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Les cabanes, un p’tit coin de paradis… Quatre planches, un bout de terrain et un peu de bric-à-brac. Intimes et festives à la fois, les cabanes des bords d’étang révèlent la passion de leurs propriétaires. Récup’, chasse ou montgolfière: rencontre avec des cabaniers épanouis. Le vrai luxe, c’est d’être là. Pro- tégé des regards, loin du quoti- dien et pourtant si proche de la maison. Mazet, baraquette, caba- nette ou cabanon, peu importe l’appellation: les cabanes nous font rêver d’enfance et de liberté, de grillades et de convivialité. Le long du canal de La Peyrade ou du canal du Midi, au bord de l’étang de Thau ou des Ares- quiers, des “cabaniers” ont amé- nagé leur “p’tit coin”, à leur image. Et surtout à l’image de leur passion. De celles qui ne peuvent s’épanouir qu’en plein air: la passion des oiseaux (à pro- téger ou à chasser!), de l’art, du vol en ballon, de la pêche… Alors, le temps d’un après-midi ou d’un repas, ils troquent le plafond contre la tonnelle, le bruit des embouteillages contre le clapotis de l’eau et les cris des oiseaux, La gabion du chasseur Camouflée en marron, sous un filet, en bord d’étang. Cette cabane-affût en forme de chaussure, la “gabion”, Régis Jullian l’a construite lui-même. L’hiver, le chasseur s’y installe avec matelas, duvet et café au lait. Et, la nuit, tire foulques, colverts ou sarcelles, à l’aide d’appeaux, voire de canards élevés pour attirer les sauvages, les “appelants”. Il pratique cette “chasse d’eau” ici, depuis ses 14 ans, avec son père puis ses amis d’enfance: “Je me régale !” Le temple de la récup’ “Interdit aux chiants”, annonce la cabane la plus photographiée de la Pointe- Courte à Sète. Si son propriétaire, dit “le clown”, préfère la discrétion, ses babioles récupérées, accumulées, disposées avec goût et humour créent une véritable œuvre d’art modeste. Que ne renierait pas le Musée international du même nom, de l’autre côté du quai. La Gazette n° 274-275 - Du 5 juillet au 29 août 2012 reportage les intérieurs polissés contre les bric-à-brac hétéroclites. Ambiance musicale avec chips et cubis pour les journées “Portes ouvertes” ou les anniversaires. Ou au contraire solitaire, avec la nature pour inspiration. Nature inspirante Comme pour Moss, artiste “sin- gulier”: “L’hiver, je peins du côté canal du Rhône-à-Sète, sur mon ponton, face aux péniches. L’été, je me tourne du côté de l’étang, face aux flamants, aux couchers de soleil orangés et au bois des Ares- quiers. Ce que je crée là est plus clair, plus gai, plus primitif.” Idem pour Annie Kirsch, sculp- trice sétoise amoureuse des oiseaux : entourée de hérons pique-bœufs, de martins-pê- cheurs, de tadornes et d’assour- dissants flamants, elle rêve de monter un sentier d’interpré- tation sur les oiseaux. Néanmoins, le paradis des cabanes peut vite virer à l’enfer, surtout pour ceux qui y logent à l’année (voir p. suivante). Au canal des Aresquiers, les pro- priétaires des 35 maisonnettes occupent des terrains… appar- tenant à Voies navigables de France (VNF) : dans ce no man’s land juridique, impossible de s’installer l’esprit tranquille. Loin des yeux, mais près des cabanes, anses, rivières et che- mins s’alourdissent d’encom- brants dépôts sauvages, et de plastiques pas vraiment fantas- tiques. Et dans les sublimes criques aux allures” tranquilles”, les cabaniers craignent vols et voitures brûlées : “Pas question de stocker du matériel : ici, c’est une zone de non-droit.” 14 014-015 reportage Cabaniers Ter_274SETE_014_015 03/07/12 14:22 Page14

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Les cabanes,un p’tit coin de paradis…Quatre planches, un bout de terrain et un peu de bric-à-brac.Intimes et festives à la fois, les cabanes des bords d’étang révèlentla passion de leurs propriétaires. Récup’, chasse ou montgolfière :rencontre avec des cabaniers épanouis.

Le vrai luxe, c’est d’être là.Pro-tégé des regards, loin du quoti-dien et pourtant si proche de lamaison. Mazet, baraquette, caba-nette ou cabanon, peu importel’appellation: les cabanes nousfont rêver d’enfance et de liberté,de grillades et de convivialité. Lelong du canal de La Peyrade oudu canal du Midi, au bord del’étang de Thau ou des Ares-quiers, des “cabaniers” ont amé-nagé leur “p’tit coin”, à leurimage. Et surtout à l’image deleur passion. De celles qui nepeuvent s’épanouir qu’en pleinair: la passion des oiseaux (à pro-téger ou à chasser!), de l’art, duvol en ballon, de la pêche… Alors,le temps d’un après-midi ou d’unrepas, ils troquent le plafondcontre la tonnelle, le bruit desembouteillages contre le clapotisde l’eau et les cris des oiseaux,

La gabion du chasseurCamouflée en marron, sous un filet, en bord d’étang. Cette cabane-affût en formede chaussure, la “gabion”, Régis Jullian l’a construite lui-même. L’hiver, le chasseurs’y installe avec matelas, duvet et café au lait. Et, la nuit, tire foulques, colverts ousarcelles, à l’aide d’appeaux, voire de canards élevés pour attirer les sauvages, les“appelants”. Il pratique cette “chasse d’eau” ici, depuis ses 14 ans, avec son père puisses amis d’enfance : “Je me régale !”

Le temple de la récup’“Interdit aux chiants”,annonce la cabane la plusphotographiée de la Pointe-Courte à Sète. Si sonpropriétaire, dit “le clown”,préfère la discrétion, sesbabioles récupérées,accumulées, disposées avecgoût et humour créent unevéritable œuvre d’art modeste.Que ne renierait pas le Muséeinternational du même nom,de l’autre côté du quai.

La Gazette n° 274-275 - Du 5 juillet au 29 août 2012

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les intérieurs polissés contre lesbric-à-brac hétéroclites. Ambiance musicale avec chipset cubis pour les journées “Portesouvertes” ou les anniversaires.Ou au contraire solitaire, avec lanature pour inspiration.

Nature inspiranteComme pour Moss, artiste “sin-gulier”: “L’hiver, je peins du côtécanal du Rhône-à-Sète, sur monponton, face aux péniches. L’été,je me tourne du côté de l’étang, faceaux flamants, aux couchers desoleil orangés et au bois des Ares-quiers. Ce que je crée là est plusclair, plus gai, plus primitif.”Idem pour Annie Kirsch, sculp-trice sétoise amoureuse desoiseaux : entourée de héronspique-bœufs, de martins-pê -cheurs, de tadornes et d’assour-dissants flamants, elle rêve de

monter un sentier d’interpré-tation sur les oiseaux.Néanmoins, le paradis descabanes peut vite virer à l’enfer,surtout pour ceux qui y logentà l’année (voir p. suivante). Aucanal des Aresquiers, les pro-priétaires des 35 maisonnettesoccupent des terrains… appar-tenant à Voies navigables deFrance (VNF): dans ce no man’sland juridique, impossible des’installer l’esprit tranquille.Loin des yeux, mais près descabanes, anses, rivières et che-mins s’alourdissent d’encom-brants dépôts sauvages, et deplastiques pas vraiment fantas-tiques. Et dans les sublimescriques aux allures” tranquilles”,les cabaniers craignent vols etvoitures brûlées: “Pas questionde stocker du matériel: ici, c’estune zone de non-droit.” !

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La tonnelle de l’artisteTotem en bois flotté, “L’Ange des Aresquiers” s’inspire du lieu, le quartier du canaldes Aresquiers, une bande de terre entre deux eaux, à Frontignan. Là, l’artiste Mosscolore tout à la bombe, personnages, courette, abri de jardin. Pour exposer d’autresartistes “singuliers”, en septembre, il transforme les anciennes “cabanes d’été” engalerie à ciel ouvert.

Le mazet, c’est gonflé !Caché dans la pinède,l’ancien mazet viticole sertde base aux pilotes du clubde montgolfière Aérostat-Thau. Avec une dizaine depassionnés du ballon aérien,le pilote Christian Jeanjeanentretient les brûleurs de lamontgolfière, refait les“épissages” (cordages à huitbrins tressés) du panier etpropose des démonstrationsen vol “captif”, attaché ausol, à 50 mètres de hauteur.Baptême : 220! par adulte,06 59 87 41 52,www.aerostat-thau.net

Le préau des oiseaux“Ce terrain, c’est la propriété des oiseaux”,déclare Annie Kirsch, son récent acquéreur.Au hasard d’une cavalcade de sa chienne, lasculptrice d’oiseaux sétoise a eu le coup decœur pour ce bout de terre humide de lacrique de l’Angle, entre la Vène et l’étang deThau. Autour d’une cabane-préau “repeinteen vert-gris pour s’intégrer à la nature”,elle installe récupérateur d’eau et toilettessèches. Elle plante frênes et tamaris pourfavoriser la nidification.

La cahute du pêcheurUn “pochon” de moules pour la consommation personnelle,une drague à huîtres sauvages, une échelle pour descendrese baigner dans l’étang de Thau, une courette fleurie etenguirlandée, avec des transats : l’ancien pêcheur RenéIsoird et son épouse Isabelle ont tout pour s’évader… à deuxminutes de leur maison. Patiemment aménagée depuisvingt ans, la cabane sert aussi de lieu de stockage dumatériel de pêche de leur fils Antony : filets, turlutes(leurres), moteur, équipement de plongée…

15Textes Raquel Hadida / photos Raquel Hadida /

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Des épines dans les pieds des maires. Pour eux, les ca-banes n’ont rien de bucolique. À Balaruc-le-Vieux, Mèze,Poussan, Marseillan, mais aussi à Mireval ou

Villeneuve-lès-Maguelone, le large territoire rural se révèlepropice aux installations illicites. Qui posent de sérieux di-lemnes sur le plan social, environnemental et de sécurité. Enbord d’étang ou dans les garrigues, environ 800 foyers habitentdans des caravanes, cabanes, mazets, voire véritables villasen dur… sur des terrains dévolus à la nature ou à l’agri culture.Vivre en cabane, pour le plaisir? Oui, pour une partie d’entreeux, friands d’une vie moins normée, avec les grenouilles etles oiseaux, lovés au calme, dans des paysages idylliques. Parobligation? Oui, pour plus de la moitié d’entre eux, en situationprécaire, comme “dépannage” pour vivre à moindres frais.Avec une population en explosion à proximité de Montpellier,la spéculation fait grimper le prix des terrains et des loyers,et la pénurie de logement social devient aiguë. Alors certainsacquièrent des terrains non-constructibles, à des tarifs plusqu’attractifs: 1 à 10!/m2, contre 2000!/m2 en constructible.Des “marchands de sommeil” ruraux en profitent même poury louer des caravanes 100!/mois à des familles en difficulté.Tous restent discrets,au moins pendant trois ans. La construc-tion est ensuite protégée par prescription (voir encadrés).

Un sac de nœuds socialFace à eux, les communes se montrent plus ou moins regar-dantes: si Mèze fait la chasse à la cabanisation depuis 20 ans,d’autres comme Poussan ont plus facilement fermé les yeux,par manque de logement social, et/ou pour s’attirer des faveursélectorales. Treize communes, de Villeneuve à Marseillan, sesont engagées avec la Préfecture à une politique communede lutte contre la cabanisation, depuis 2008. Pour cette mission,entre autres, la Communauté de communes du nord du bassinde Thau (CCNBT) s’est même dotée depuis 2011 d’une brigadeterritoriale de six agents de terrain. Selon Jean-Bruno Barutchi,l’élu chargé de la brigade, “pour le passé, on ne peut rien faire.Mais on empêche que la cabanisation ne prenne de l’ampleur,en agissant sur le stationnement illicite de caravanes et mobil-homes, sur les mas en pierre renforcés avec des parpaings”.

“Mais si on applique la loi sans alternative, les familles deviennentSDF alors qu’elles sont propriétaires de leur terrain!”, prévientYvan Gazagnes, président de la Ligue des droits de l’Hommede Loupian et le nord bassin de Thau. Or, une fois installéesavec jardin et piscine, raccordées à l’eau et l’électricité, les fa-milles n’acceptent pas d’aller en HLM. “Pour éviter la cassepsychologique, il faut intervenir dès le début. Et porter attentionaux situations personnelles”, insiste Yvan Gazagnes. La LDHse préoccupe notamment du cas de Bettina Beau, censéequitter son terrain mézois en août, et de dix-sept famillesgitanes de la Plaine à Poussan, qui, elles, ont eu gain de cause.Pour les gens du voyage désirant se sédentariser, elle proposede développer des terrains familiaux locatifs, pour quatre àcinq familles. Le système existe déjà, par exemple à Pignan,mais sa mise en place est longue et complexe.

Une bombe à retardementAvec un tel casse-tête juridique et social, pourquoi s’acharnercontre la cabanisation? “Pour éviter que la commune devienneun bidonville et que les eaux grises soient déversées dans le tout-à-l’étang!”, s’écrie-t-on à la Ville de Mèze. Pour le conseillergénéral Christophe Morgo, “Impossible d’imposer l’assainis-sement aux cabaniers: il faudrait déjà pouvoir les recenser…Certains ont des fosses sceptiques, mais la plupart polluent lesnappes phréatiques. Or le thermalisme, l’agriculture, la pêche,les coquillages dépendent du bon état de l’environnement. Deplus, la présence humaine permanente, avec chats et chiens, aun impact sur la faune. Et les captages sauvages d’eau potabletarissent les sources…”Sans compter les dangers pour les personnes. Proches descours d’eau ou des étangs, les cabanes se trouvent souventen zone inondable.Dans les garrigues de la Gardiole ou des collines de la Mourre,c’est l’incendie qui menace: en 2010 à Mèze, des maisonscachées et non assurées ont brûlé… “Si ça brûle et qu’il y a desgamins dans la caravane ou dans les villas illicites, on fait quoi?,s’inquiète Christophe Morgo. Les pompiers auront du mal àvenir les chercher dans des habitations non répertoriées. Ensuite,on va pleurer…” !

Un casse-tête à gérer. Au bord de l’étang de Thau commedans les garrigues, les cabanes et autres installations“sauvages” prennent le territoire en tenaille. Entre crisedu logement et risques pour l’environnement.

L’enferde la cabanisation

“Un problème de survie!”C

Rares sont les cabaniers qui acceptent detémoigner. Vivant au quotidien dans des

cabanes, caravanes ou même maisons en durinstallées illégalement, leur intérêt est de resterle plus discret possible pour éviter de perdre leurtoit. Voici la réaction d’une cabanière anonymede Poussan: “Tu fouilles la vase! On n’a pasintérêt à faire de vagues pour ne pas se faire virer,c’est un problème de survie, à vif ! On est hors laloi, on a peur qu’un bulldozer passe sur notrebaraque sur ordre de la Préfecture, et de seretrouver à la rue du jour au lendemain. Ou mêmeen HLM: je ne me vois pas dans un immeuble, j’aibesoin d’espace…Alors je me planque: je ne me suis pas inscrite surles listes électorales, je ne vais pas au conseilmunicipal, je ne joue pas de musique ici, je nedistribue pas de tracts. Pourtant je me donne dumal : j’ai construit ma maison en bois, 75 m2 avecvéranda, atelier et poêle à bois, j’ai planté desarbres, fait un forage et une fosse septique, je payema taxe d’habitation, les éboueurs… Mais monvoisin tire au fusil toute la nuit, les gens s’insultent,entretiennent mal les terrains, les jonchent dedéchets. Outre les originaux fauchés comme moi,on est entourés de repris de justice, de défoncés. Età cause d’eux, on a mauvaise réputation. Tu croisque c’est facile?”

Les procèspour cabanisationC

Une centaine de procès pour constructionsillicites sont en cours sur le bassin de Thau.

Ils concernent les constructions ou extensions,avec ou sans fondations:- en zone agricole ou naturelle (un millier selon leSchéma de cohérence territoriale, le Scot),- sans permis ou déclaration préalable (< 20 m2),- utilisées comme habitation permanente (commeles mas conchylicoles avec pièce à vivre, vendus…en agence immobilière),- et construites depuis moins de trois ans (avant, ily a “prescription juridique”).• La brigade territoriale les repère et vérifie leurillégalité auprès des mairies.• La gendarmerie établit un procès-verbal. Aprèstentative de conciliation, la mairie est alors obligéede porter plainte et de se constituer partie civile(loi Loppsi II).• Le procès a lieu. Sans collectif, les habitantsperdent quasi systématiquement.• En cas de condamnation, la Préfecture oblige lespropriétaires à remettre le terrain en état, donc àdémolir leur construction (ou extension) dans les3 mois, 6 mois ou un an. Chaque jour de retard estassorti d’une astreinte financière (par ex. 50!/j).Ces sanctions sont plus ou moins respectées.

Dans les garrigues du“quartier” des Carrièresà Poussan, lesinstallations sauvagesse sont mutipliées.Caravanes, grandescabanes, camionsaménagés : desfamilles en difficultéoccupent des terrainsnon-constructibles àbas prix, en autonomieavec forages, groupesélectrogènes etpanneaux solaires,ou reliés aux réseauxd’eau et d’électricité.Protégés des regardspar des cyprès ou desclôtures en sommiers…

reportage réalisé par Raquel Hadida /Photo Raquel Hadida /

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