Gazette AFAR Octobre 2014 - Relations Normales de Travail

1
N°85 - OCTOBRE 2014 es dispositions de l’article L. 4113-6 du Code de la santé publique « ne sau- raient soumettre à convention les relations normales de travail ». L Quelle est la définition des relations normales de travail ? Le point sur... PAR SÉBASTIEN PRADEAU Avocat, Paris D’après ce texte, un industriel de la santé n’a pas l’obliga- tion de signer une convention, avec un praticien, pour une prestation qui consiste en une relation normale de travail (ci-après « RNT »). C’est sur ce constat que s’achève la loi anti-cadeaux, soulevant plus de questions qu’elle n’apporte de réponses. Toutefois, sa circulaire d’application du 9 juillet 1993 (la « Circulaire ») a énoncé que « L’interdiction générale posée par la loi (…) ne vise évidemment pas à interdire les RNT, qu’il s’agisse de missions, de contrats de travail ou de participation à des conseils scientifiques. Mais si la rémunération de telles activités était sans rapport avec les services effectivement rendus, elles [seraient interdites] ». Il serait donc possible, sous certaines conditions, de confier des missions d’expertise à des professionnels de santé, sans signer de convention et sans effectuer de déclaration préalable au conseil de l’Ordre. Quelle est la position du CNOM 1 , du CNOP 2 et de la HAS 3 et de la DGCCRF 4 à propos des RNT ? Pour le CNOM, les RNT sont des « situations particulières qui ne sont ni programmées, ni répétitives et qui restent dans le domaine du raisonnable et de l’accessoire. (A titre d’exemple : invitation à déjeuner par concours de circonstance) ». Cette définition des RNT, datant du 21 juin 2007, est plus restrictive que celle donnée par la Circulaire. Selon le CNOP, les RNT consistent notamment en : • « La rémunération d’une prestation réelle effectuée par le pharmacien. Cette prestation peut consister, par exemple, en la participation à une commission ou à une autre instance de tra- vail, présenter une conférence, effectuer une mission spécifique (en dehors des activités de recherche ou d’évaluation) (…), • Un repas payé par l’entreprise dans le cadre de ces relations normales de travail, s’il est d’un coût raisonnable » (juillet 2007). La HAS, en janvier 2013, a concédé qu’il était « difficile de fixer de manière précise les limites des RNT » et rappelé la position commune du LEEM, du SNITEM 5 et du CNOM datant de juin 2007 selon laquelle « ces relations normales de travail – typiquement un déjeuner avec un visiteur – sont acceptées à deux conditions : caractère impromptu et raison- nable de l’avantage. Ces « RNT » ne sortent pas du champ de l’article L. 4113-6 du CSP. Elles sont en effet susceptibles de faire l’objet d’un contrôle a posteriori par la DGCCRF et donc le cas échéant de requalifications ». Contrairement au CNOP, la HAS a une approche très limita- tive des RNT, qui se rapproche de celle du CNOM. La DGCCRF partage également cette analyse restrictive. Qu’en dit alors la jurisprudence ? Un industriel avait chargé plusieurs médecins de réaliser une enquête observationnelle sur son nouveau médicament. En contrepartie, les praticiens pouvaient conserver, en fin d’étude, un assistant numérique qu’il leur avait été confié pour mener celle-ci. Aucune convention n’avait été soumise au CNOM. Dans le cadre d’une action pénale, fondée sur l’article L. 4113-6 du CSP, le Tribunal correctionnel de Nanterre a prononcé la relaxe de l’industriel, le 3 février 2006. Selon lui, l’industriel et les praticiens entretenaient des RNT dans le cadre de l’enquête observationnelle ; il n’était donc pas néces- saire de déclarer les conventions au CNOM. De plus, la valeur de l’assistant numérique, lorsque les médecins en devenaient propriétaires, était négligeable (aux environs de 70 ). La relaxe a été confirmée par la Cour d’appel de Versailles, le 7 décembre 2006. Ces deux décisions sont toutefois contestables. Quelles conclusions tirer de ce panorama ? Les laboratoires pharmaceutiques et les fabricants de dispositifs médicaux disposent d’une certaine marge de manœuvre pour définir leur propre politique de RNT. Celle-ci s’appuiera sur la Circulaire mais aussi sur la définition qu’en donnent les ordres professionnels et les administrations. Enfin et conformément à la « Transparence », les industriels doivent publier les RNT qu’elles consistent soit en des avantages de plus de 10 TTC, soit en des conventions. La visibilité que donne désormais la « Transparence », aux RNT, milite donc pour que celles-ci soient précisément codifiées par les industriels de la santé. NOTES 1 Conseil National de l’Ordre des Médecins 2 Conseil National de l’Ordre des Pharmaciens 3 Haute Autorité de Santé 4 Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes 5 Syndicat national de l’industrie des technolo- gies médicales GAZETTE DE L’AFAR N°85 - OCTOBRE 2014 17

description

Gazette AFAR Octobre 2014 Sébastien Pradeau - les relations normales de travail

Transcript of Gazette AFAR Octobre 2014 - Relations Normales de Travail

Page 1: Gazette AFAR Octobre 2014 - Relations Normales de Travail

N°85 - OCTOBRE 2014

es dispositions de l’article L. 4113-6du Code de la santé publique « ne sau-raient soumettre à convention lesrelations normales de travail ». L

Quelle est la définition des relations normales de travail ? Le point sur...PAR SÉBASTIEN PRADEAU

Avocat, ParisD’après ce texte, un industriel de la santé n’a pas l’obliga-

tion de signer une convention, avec un praticien, pour uneprestation qui consiste en une relation normale de travail (ci-après « RNT »). C’est sur ce constat que s’achève la loianti-cadeaux, soulevant plus de questions qu’elle n’apportede réponses.

Toutefois, sa circulaire d’application du 9 juillet 1993 (la« Circulaire ») a énoncé que « L’interdiction générale posée parla loi (…) ne vise évidemment pas à interdire les RNT, qu’ils’agisse de missions, de contrats de travail ou de participationà des conseils scientifiques. Mais si la rémunération de tellesactivités était sans rapport avec les services effectivementrendus, elles [seraient interdites] ». Il serait donc possible, souscertaines conditions, de confier des missions d’expertise àdes professionnels de santé, sans signer de convention etsans effectuer de déclaration préalable au conseil de l’Ordre.

Quelle est la position du CNOM1, du CNOP2 et de laHAS3 et de la DGCCRF4 à propos des RNT ?

Pour le CNOM, les RNT sont des « situations particulières quine sont ni programmées, ni répétitives et qui restent dans ledomaine du raisonnable et de l’accessoire. (A titre d’exemple :invitation à déjeuner par concours de circonstance) ». Cette définition des RNT, datant du 21 juin 2007, est plus restrictiveque celle donnée par la Circulaire.

Selon le CNOP, les RNT consistent notamment en :

• « La rémunération d’une prestation réelle effectuée par lepharmacien. Cette prestation peut consister, par exemple, en laparticipation à une commission ou à une autre instance de tra-vail, présenter une conférence, effectuer une mission spécifique(en dehors des activités de recherche ou d’évaluation) (…),

• Un repas payé par l’entreprise dans le cadre de ces relationsnormales de travail, s’il est d’un coût raisonnable » (juillet 2007).

La HAS, en janvier 2013, a concédé qu’il était « difficile defixer de manière précise les limites des RNT » et rappelé laposition commune du LEEM, du SNITEM5 et du CNOMdatant de juin 2007 selon laquelle « ces relations normales de travail – typiquement un déjeuner avec un visiteur – sontacceptées à deux conditions : caractère impromptu et raison-nable de l’avantage. Ces « RNT » ne sortent pas du champ de l’article L. 4113-6 du CSP. Elles sont en effet susceptibles de faire l’objet d’un contrôle a posteriori par la DGCCRF etdonc le cas échéant de requalifications ».

Contrairement au CNOP, la HAS a une approche très limita-tive des RNT, qui se rapproche de celle du CNOM. La DGCCRFpartage également cette analyse restrictive.

Qu’en dit alors la jurisprudence ?

Un industriel avait chargé plusieurs médecins de réaliserune enquête observationnelle sur son nouveau médicament.En contrepartie, les praticiens pouvaient conserver, en find’étude, un assistant numérique qu’il leur avait été confiépour mener celle-ci. Aucune convention n’avait été soumiseau CNOM.

Dans le cadre d’une action pénale, fondée sur l’article L. 4113-6 du CSP, le Tribunal correctionnel de Nanterre a prononcé la relaxe de l’industriel, le 3 février 2006. Selon lui,l’industriel et les praticiens entretenaient des RNT dans lecadre de l’enquête observationnelle ; il n’était donc pas néces-saire de déclarer les conventions au CNOM. De plus, la valeurde l’assistant numérique, lorsque les médecins en devenaientpropriétaires, était négligeable (aux environs de 70 €).

La relaxe a été confirmée par la Cour d’appel de Versailles,le 7 décembre 2006. Ces deux décisions sont toutefoiscontestables.

Quelles conclusions tirer de ce panorama ?

Les laboratoires pharmaceutiques et les fabricants de dispositifs médicaux disposent d’une certaine marge demanœuvre pour définir leur propre politique de RNT. Celle-ci s’appuiera sur la Circulaire mais aussi sur la définition qu’en donnent les ordres professionnels et lesadministrations.

Enfin et conformément à la« Transparence », les industriels doivent publier les RNT qu’ellesconsistent soit en des avantages deplus de 10 € TTC, soit en desconventions. La visibilité que donnedésormais la « Transparence », auxRNT, milite donc pour que celles-cisoient précisément codifiées par lesindustriels de la santé.

NOTES1 Conseil National del’Ordre des Médecins2 Conseil National del’Ordre des Pharmaciens3 Haute Autorité de Santé4 Direction Générale dela Concurrence, de laConsommation et de laRépression des Fraudes5 Syndicat national del’industrie des technolo-gies médicales

GAZETTE DE L’AFAR N°85 - OCTOBRE 2014 17