GASTON LEROUX-Le Mystere de La Chambre Jaune
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Gaston Leroux
Le Mystre de laChambre Jaune
- Collection Policier -
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Table des matiresLe Mystre de la Chambre Jaune.............................................................1
I - O lon commence ne pas comprendre.......................................2II - O apparat pour la premire fois Joseph Rouletabille................10III - Un homme a pass comme une ombre travers les volets ..............................................................................................16IV - Au sein dune nature sauvage .............................................25V - O Joseph Rouletabille adresse M. Robert Darzac une phrase qui produit son petit effet......................................................30VI - Au fond de la chnaie.................................................................35VII - O Rouletabille part en expdition sous le lit...........................47VIII - Le juge dinstruction interroge Mlle Stangerson....................56IX - Reporter et policier.....................................................................63X - Maintenant, il va falloir manger du saignant .........................71XI - O Frdric Larsan explique comment lassassin a pu sortir de la Chambre Jaune.........................................................................79XII - La canne de Frdric Larsan.....................................................99XIII - Le presbytre na rien perdu de son charme ni le jardin de son clat ..................................................................................104XIV - Jattends lassassin, ce soir ............................................115XV - Traquenard..............................................................................122XVI - trange phnomne de dissociation de la matire................132XVII - La galerie inexplicable.........................................................135XVIII - Rouletabille a dessin un cercle entre les deux bosses de son front.....................................................................................142XIX - Rouletabille moffre djeuner lauberge du Donjon ......................................................................................145XX - Un geste de Mlle Stangerson..................................................157XXI - lafft................................................................................162XXII - Le cadavre incroyable..........................................................171XXIII - La double piste...................................................................175XXIV - Rouletabille connat les deux moitis de lassassin..........180XXV - Rouletabille part en voyage.................................................189
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Table des matiresLe Mystre de la Chambre Jaune
XXVI - O Joseph Rouletabille est impatiemment attendu............190XXVII - O Joseph Rouletabille apparat dans toute sa gloire.......197XXVIII - O il est prouv quon ne pense pas toujours tout.......229XXIX - Le mystre de Mlle Stangerson..........................................234
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Le Mystre de la Chambre Jaune
Auteur : Gaston LerouxCatgorie : Policier
Licence : Domaine public
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I - O lon commence ne pas comprendre
Ce n'est pas sans une certaine motion que je commence raconter ici lesaventures extraordinaires de Joseph Rouletabille. Celui-ci, jusqu' ce jour,s'y tait si formellement oppos que j'avais fini par dsesprer de nepublier jamais l'histoire policire la plus curieuse de ces quinze derniresannes.J'imagine mme que le public n'aurait jamais connu toute la vrit sur laprodigieuse affaire dite de la Chambre Jaune, gnratrice de tant demystrieux et cruels et sensationnels drames, et laquelle mon ami fut siintimement ml, si, propos de la nomination rcente de l'illustreStangerson au grade de grand-croix de la Lgion d'honneur, un journal dusoir, dans un article misrable d'ignorance ou d'audacieuse perfidie, n'avaitressuscit une terrible aventure que Joseph Rouletabille et voulu savoir,me disait-il, oublie pour toujours.La Chambre Jaune ! Qui donc se souvenait de cette affaire qui fit coulertant d'encre, il y a une quinzaine d'annes ? On oublie si vite Paris.N'a-t-on pas oubli le nom mme du procs de Nayves et la tragiquehistoire de la mort du petit Menaldo ? Et cependant l'attention publiquetait cette poque si tendue vers les dbats, qu'une crise ministrielle, quiclata sur ces entrefaites, passa compltement inaperue. Or, le procs dela Chambre Jaune, qui prcda l'affaire de Nayves de quelques annes,eut plus de retentissement encore. Le monde entier fut pench pendant desmois sur ce problme obscur, - le plus obscur ma connaissance qui aitjamais t propos la perspicacit de notre police, qui ait jamais t pos la conscience de nos juges. La solution de ce problme affolant, chacunla chercha. Ce fut comme un dramatique rbus sur lequel s'acharnrent lavieille Europe et la jeune Amrique.C'est qu'en vrit - il m'est permis de le dire puisqu'il ne saurait y avoiren tout ceci aucun amour-propre d'auteur et que je ne fais que transcriredes faits sur lesquels une documentation exceptionnelle me permetd'apporter une lumire nouvelle - c'est qu'en vrit, je ne sache pas que,
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dans le domaine de la ralit ou de l'imagination, mme chez l'auteur dudouble assassinat, rue morgue, mme dans les inventions des sous-EdgarPoe et des truculents Conan-Doyle, on puisse retenir quelque chose decomparable, QUANT AU MYSTRE, au naturel mystre de la ChambreJaune.Ce que personne ne put dcouvrir, le jeune Joseph Rouletabille, g dedix-huit ans, alors petit reporter dans un grand journal, le trouva ! Mais,lorsqu'en cour d'assises il apporta la clef de toute l'affaire, il ne dit pastoute la vrit. Il n'en laissa apparatre que ce qu'il fallait pour expliquerl'inexplicable et pour faire acquitter un innocent. Les raisons qu'il avait dese taire ont disparu aujourd'hui. Bien mieux, mon ami doit parler. Vousallez donc tout savoir ; et, sans plus ample prambule, je vais poser devantvos yeux le problme de la Chambre Jaune, tel qu'il le fut aux yeux dumonde entier, au lendemain du drame du chteau du Glandier.Le 25 octobre 1892, la note suivante paraissait en dernire heure duTemps : Un crime affreux vient d'tre commis au Glandier, sur la lisire de lafort de Sainte-Genevive, au-dessus d'pinay-sur-Orge, chez leprofesseur Stangerson. Cette nuit, pendant que le matre travaillait dansson laboratoire, on a tent d'assassiner Mlle Stangerson, qui reposait dansune chambre attenante ce laboratoire. Les mdecins ne rpondent pas dela vie de Mlle Stangerson. Vous imaginez l'motion qui s'empara de Paris. Dj, cette poque, lemonde savant tait extrmement intress par les travaux du professeurStangerson et de sa fille. Ces travaux, les premiers qui furent tents sur laradiographie, devaient conduire plus tard M. et Mme Curie la dcouvertedu radium.On tait, du reste, dans l'attente d'un mmoire sensationnel que leprofesseur Stangerson allait lire, l'acadmie des sciences, sur sa nouvellethorie : La Dissociation de la Matire. Thorie destine branler sur sabase toute la science officielle qui repose depuis si longtemps sur leprincipe : rien ne se perd, rien ne se cre.Le lendemain, les journaux du matin taient pleins de ce drame. Le matin,entre autres, publiait l'article suivant, intitul : Un crime surnaturel : Voici les seuls dtails - crit le rdacteur anonyme du matin - que nous
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ayons pu obtenir sur le crime du chteau du Glandier. L'tat de dsespoirdans lequel se trouve le professeur Stangerson, l'impossibilit o l'on est derecueillir un renseignement quelconque de la bouche de la victime ontrendu nos investigations et celles de la justice tellement difficiles qu'on nesaurait, cette heure, se faire la moindre ide de ce qui s'est pass dans laChambre Jaune, o l'on a trouv Mlle Stangerson, en toilette de nuit,rlant sur le plancher. Nous avons pu, du moins, interviewer le preJacques - comme on l'appelle dans le pays - un vieux serviteur de la familleStangerson. Le pre Jacques est entr dans la Chambre Jaune en mmetemps que le professeur. Cette chambre est attenante au laboratoire.Laboratoire et Chambre Jaune se trouvent dans un pavillon, au fond duparc, trois cents mtres environ du chteau. - il tait minuit et demi, nous a racont ce brave homme ( ?), et je metrouvais dans le laboratoire o travaillait encore M. Stangerson quandl'affaire est arrive. J'avais rang, nettoy des instruments toute la soire, etj'attendais le dpart de M. Stangerson pour aller me coucher. MlleMathilde avait travaill avec son pre jusqu' minuit ; les douze coups deminuit sonns au coucou du laboratoire, elle s'tait leve, avait embrassM. Stangerson, lui souhaitant une bonne nuit. Elle m'avait dit : Bonsoir,pre Jacques ! et avait pouss la porte de la Chambre Jaune. Nousl'avions entendue qui fermait la porte clef et poussait le verrou, si bienque je n'avais pu m'empcher d'en rire et que j'avais dit monsieur : Voil mademoiselle qui s'enferme double tour. Bien sr qu'elle a peurde la Bte du Bon Dieu'' ! Monsieur ne m'avait mme pas entendu tantil tait absorb. Mais un miaulement abominable me rpondit au dehors etje reconnus justement le cri de la Bte du Bon Dieu ! ... que a vous endonnait le frisson... Est-ce qu'elle va encore nous empcher de dormir,cette nuit ? pensai-je, car il faut que je vous dise, monsieur, que, jusqu'fin octobre, j'habite dans le grenier du pavillon, au-dessus de la ChambreJaune, seule fin que mademoiselle ne reste pas seule toute la nuit aufond du parc. C'est une ide de mademoiselle de passer la bonne saisondans le pavillon ; elle le trouve sans doute plus gai que le chteau et,depuis quatre ans qu'il est construit, elle ne manque jamais de s'y installerds le printemps. Quand revient l'hiver, mademoiselle retourne au chteau,car dans la Chambre Jaune, il n'y a point de chemine.
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Nous tions donc rests, M. Stangerson et moi, dans le pavillon. Nous nefaisions aucun bruit. Il tait, lui, son bureau. Quant moi, assis sur unechaise, ayant termin ma besogne, je le regardais et je me disais : Quelhomme ! Quelle intelligence ! Quel savoir ! J'attache de l'importance ceci que nous ne faisions aucun bruit, car cause de cela, l'assassin a crucertainement que nous tions partis . Et tout coup, pendant que lecoucou faisait entendre la demie pass minuit, une clameur dsesprepartit de la Chambre Jaune. C'tait la voix de mademoiselle qui criait : l'assassin ! l'assassin ! Au secours ! Aussitt des coups de revolverretentirent et il y eut un grand bruit de tables, de meubles renverss, jetspar terre, comme au cours d'une lutte, et encore la voix de mademoisellequi criait : l'assassin ! ... Au secours ! ... Papa ! Papa ! Vous pensez si nous avons bondi et si M. Stangerson et moi nous noussommes rus sur la porte. Mais, hlas ! Elle tait ferme et bien ferme l'intrieur par les soins de mademoiselle, comme je vous l'ai dit, clef etau verrou. Nous essaymes de l'branler, mais elle tait solide. M.Stangerson tait comme fou, et vraiment il y avait de quoi le devenir, caron entendait mademoiselle qui rlait : Au secours ! ... Au secours ! EtM. Stangerson frappait des coups terribles contre la porte, et il pleurait derage et il sanglotait de dsespoir et d'impuissance. C'est alors que j'ai eu une inspiration. L'assassin se sera introduit par la fentre, m'criai-je, je vais lafentre ! Et je suis sorti du pavillon, courant comme un insens ! Le malheur tait que la fentre de la Chambre Jaune donne sur lacampagne, de sorte que le mur du parc qui vient aboutir au pavillonm'empchait de parvenir tout de suite cette fentre. Pour y arriver, ilfallait d'abord sortir du parc. Je courus du ct de la grille et, en route, jerencontrai Bernier et sa femme, les concierges, qui venaient, attirs par lesdtonations et par nos cris. Je les mis, en deux mots, au courant de lasituation ; je dis au concierge d'aller rejoindre tout de suite M. Stangersonet j'ordonnai sa femme de venir avec moi pour m'ouvrir la grille du parc.Cinq minutes plus tard, nous tions, la concierge et moi, devant la fentrede la Chambre Jaune. Il faisait un beau clair de lune et je vis bien qu'onn'avait pas touch la fentre. Non seulement les barreaux taient intacts,mais encore les volets, derrire les barreaux, taient ferms, comme je les
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avais ferms moi-mme, la veille au soir, comme tous les soirs, bien quemademoiselle, qui me savait trs fatigu et surcharg de besogne, m'et ditde ne point me dranger, qu'elle les fermerait elle-mme ; et ils taientrests tels quels, assujettis, comme j'en avais pris le soin, par un loquet defer, l'intrieur . L'assassin n'avait donc pas pass par l et ne pouvaitse sauver par l ; mais moi non plus, je ne pouvais entrer par l ! C'tait le malheur ! On aurait perdu la tte moins. La porte de lachambre ferme clef l'intrieur , les volets de l'unique fentreferms, eux aussi, l'intrieur , et, par-dessus les volets, les barreauxintacts, des barreaux travers lesquels vous n'auriez pas pass le bras... Etmademoiselle qui appelait au secours ! ... Ou plutt non, on ne l'entendaitplus... Elle tait peut-tre morte... Mais j'entendais encore, au fond dupavillon, monsieur qui essayait d'branler la porte... Nous avons repris notre course, la concierge et moi, et nous sommesrevenus au pavillon. La porte tenait toujours, malgr les coups furieux deM. Stangerson et de Bernier. Enfin elle cda sous nos efforts enrags et,alors, qu'est-ce que nous avons vu ? Il faut vous dire que, derrire nous,la concierge tenait la lampe du laboratoire, une lampe puissante quiilluminait toute la chambre. Il faut vous dire encore, monsieur, que la Chambre Jaune est toutepetite. Mademoiselle l'avait meuble d'un lit en fer assez large, d'une petitetable, d'une table de nuit, d'une toilette et de deux chaises. Aussi, la clartde la grande lampe que tenait la concierge, nous avons tout vu du premiercoup d'oeil. Mademoiselle, dans sa chemise de nuit, tait par terre, aumilieu d'un dsordre incroyable. Tables et chaises avaient t renversesmontrant qu'il y avait eu l une srieuse batterie . On avait certainementarrach mademoiselle de son lit ; elle tait pleine de sang avec desmarques d'ongles terribles au cou - la chair du cou avait t quasi arrachepar les ongles - et un trou la tempe droite par lequel coulait un filet desang qui avait fait une petite mare sur le plancher. Quand M. Stangersonaperut sa fille dans un pareil tat, il se prcipita sur elle en poussant un cride dsespoir que a faisait piti entendre. Il constata que la malheureuserespirait encore et ne s'occupa que d'elle. Quant nous, nous cherchionsl'assassin, le misrable qui avait voulu tuer notre matresse, et je vous jure,monsieur, que, si nous l'avions trouv, nous lui aurions fait un mauvais
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parti. Mais comment expliquer qu'il n'tait pas l, qu'il s'tait dj enfui ?... Cela dpasse toute imagination. Personne sous le lit, personne derrireles meubles, personne ! Nous n'avons retrouv que ses traces ; lesmarques ensanglantes d'une large main d'homme sur les murs et sur laporte, un grand mouchoir rouge de sang, sans aucune initiale, un vieuxbret et la marque frache, sur le plancher, de nombreux pas d'homme.L'homme qui avait march l avait un grand pied et les semelles laissaientderrire elles une espce de suie noirtre. Par o cet homme tait-il pass ?Par o s'tait-il vanoui ? N'oubliez pas, monsieur, qu'il n'y a pas dechemine dans la Chambre Jaune. Il ne pouvait s'tre chapp par laporte, qui est trs troite et sur le seuil de laquelle la concierge est entreavec sa lampe, tandis que le concierge et moi nous cherchions l'assassindans ce petit carr de chambre o il est impossible de se cacher et o, dureste, nous ne trouvions personne. La porte dfonce et rabattue sur le murne pouvait rien dissimuler, et nous nous en sommes assurs. Par la fentrereste ferme avec ses volets clos et ses barreaux auxquels on n'avait pastouch, aucune fuite n'avait t possible. Alors ? Alors... je commenais croire au diable. Mais voil que nous avons dcouvert, par terre, mon revolver . Oui,mon propre revolver... a, a m'a ramen au sentiment de la ralit ! Lediable n'aurait pas eu besoin de me voler mon revolver pour tuermademoiselle. L'homme qui avait pass l tait d'abord mont dans mongrenier, m'avait pris mon revolver dans mon tiroir et s'en tait servi pourses mauvais desseins. C'est alors que nous avons constat, en examinantles cartouches, que l'assassin avait tir deux coups de revolver.
Tout de mme, monsieur, j'ai eu de la veine, dans un pareil malheur, queM. Stangerson se soit trouv l, dans son laboratoire, quand l'affaire estarrive et qu'il ait constat de ses propres yeux que je m'y trouvais moiaussi, car, avec cette histoire de revolver, je ne sais pas o nous serionsalls ; pour moi, je serais dj sous les verrous. Il n'en faut pas davantage la justice pour faire monter un homme sur l'chafaud ! Le rdacteur du matin fait suivre cette interview des lignes suivantes : Nous avons laiss, sans l'interrompre, le pre Jacques nous racontergrossirement ce qu'il sait du crime de la Chambre Jaune. Nous avons
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reproduit les termes mmes dont il s'est servi ; nous avons fait seulementgrce au lecteur des lamentations continuelles dont il maillait sa narration.C'est entendu, pre Jacques ! C'est entendu, vous aimez bien vos matres !Vous avez besoin qu'on le sache, et vous ne cessez de le rpter, surtoutdepuis la dcouverte du revolver. C'est votre droit et nous n'y voyonsaucun inconvnient ! Nous aurions voulu poser bien des questions encoreau pre Jacques - Jacques-Louis Moustier - mais on est venu justement lechercher de la part du juge d'instruction qui poursuivait son enqute dans lagrande salle du chteau. Il nous a t impossible de pntrer au Glandier, -et, quant la Chnaie, elle est garde, dans un large cercle, par quelquespoliciers qui veillent jalousement sur toutes les traces qui peuvent conduireau pavillon et peut-tre la dcouverte de l'assassin. Nous aurions voulu galement interroger les concierges, mais ils sontinvisibles. Enfin nous avons attendu dans une auberge, non loin de la grilledu chteau, la sortie de M. de Marquet, le juge d'instruction de Corbeil. cinq heures et demie, nous l'avons aperu avec son greffier. Avant qu'il nemontt en voiture, nous avons pu lui poser la question suivante : - Pouvez-vous, Monsieur De Marquet , nous donner quelquerenseignement sur cette affaire, sans que cela gne votre instruction ? - Il nous est impossible, nous rpondit M. de Marquet, de dire quoi quece soit. Du reste, c'est bien l'affaire la plus trange que je connaisse. Plusnous croyons savoir quelque chose, plus nous ne savons rien ! Nous demandmes M. de Marquet de bien vouloir nous expliquer cesdernires paroles. Et voici ce qu'il nous dit, dont l'importance n'chappera personne : - Si rien ne vient s'ajouter aux constatations matrielles faites aujourd'huipar le parquet, je crains bien que le mystre qui entoure l'abominableattentat dont Mlle Stangerson a t victime ne soit pas prs de s'claircir ;mais il faut esprer, pour la raison humaine, que les sondages des murs, duplafond et du plancher de la Chambre Jaune, sondages auxquels je vaisme livrer ds demain avec l'entrepreneur qui a construit le pavillon il y aquatre ans, nous apporteront la preuve qu'il ne faut jamais dsesprer de lalogique des choses. Car le problme est l : nous savons par o l'assassins'est introduit, - il est entr par la porte et s'est cach sous le lit en attendantMlle Stangerson ; mais par o est-il sorti ? Comment a-t-il pu s'enfuir ?
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Si l'on ne trouve ni trappe, ni porte secrte, ni rduit, ni ouverture d'aucunesorte, si l'examen des murs et mme leur dmolition - car je suis dcid, etM. Stangerson est dcid aller jusqu' la dmolition du pavillon - neviennent rvler aucun passage praticable, non seulement pour un trehumain, mais encore pour un tre quel qu'il soit, si le plafond n'a pas detrou, si le plancher ne cache pas de souterrain, il faudra bien croire audiable , comme dit le pre Jacques ! Et le rdacteur anonyme fait remarquer, dans cet article -article que j'aichoisi comme tant le plus intressant de tous ceux qui furent publis cejour-l sur la mme affaire - que le juge d'instruction semblait mettre unecertaine intention dans cette dernire phrase : il faudra bien croire audiable, comme dit le pre Jacques.L'article se termine sur ces lignes : nous avons voulu savoir ce que lepre Jacques entendait par : le cri de la Bte du Bon Dieu . On appelleainsi le cri particulirement sinistre, nous a expliqu le propritaire del'auberge du Donjon, que pousse, quelquefois, la nuit, le chat d'une vieillefemme, la mre Agenoux , comme on l'appelle dans le pays. La mre Agenoux est une sorte de sainte qui habite une cabane, au coeur de lafort, non loin de la grotte de Sainte-Genevive . La Chambre Jaune, la Bte du Bon Dieu, la mre Agenoux, lediable, sainte Genevive, le pre Jacques, voil un crime bien embrouill,qu'un coup de pioche dans les murs nous dbrouillera demain ;esprons-le, du moins, pour la raison humaine, comme dit le juged'instruction. En attendant, on croit que Mlle Stangerson, qui n'a cess dedlirer et qui ne prononce distinctement que ce mot : Assassin !Assassin ! Assassin ! ... ne passera pas la nuit... Enfin, en dernire heure, le mme journal annonait que le chef de laSret avait tlgraphi au fameux inspecteur Frdric Larsan, qui avait tenvoy Londres pour une affa i re de t i t res vols , de revenirimmdiatement Paris.
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II - O apparat pour la premire fois JosephRouletabille
Je me souviens, comme si la chose s'tait passe hier, de l'entre du jeuneRouletabille, dans ma chambre, ce matin-l. Il tait environ huit heures, etj'tais encore au lit, lisant l'article du matin, relatif au crime du Glandier.Mais, avant toute autre chose, le moment est venu de vous prsenter monami.J'ai connu Joseph Rouletabille quand il tait petit reporter. cette poque,je dbutais au barreau et j'avais souvent l'occasion de le rencontrer dans lescouloirs des juges d'instruction, quand j'allais demander un permis decommuniquer pour Mazas ou pour Saint-Lazare. Il avait, comme on dit, une bonne balle . Sa tte tait ronde comme un boulet, et c'est causede cela, pensai-je, que ses camarades de la presse lui avaient donn cesurnom qui devait lui rester et qu'il devait illustrer. Rouletabille ! As-tu vu Rouletabille ? - Tiens ! Voil ce sacr Rouletabille ! Iltait toujours rouge comme une tomate, tantt gai comme un pinson, ettantt srieux comme un pape. Comment, si jeune - il avait, quand je le vispour la premire fois, seize ans et demi - gagnait-il dj sa vie dans lapresse ? Voil ce qu'on et pu se demander si tous ceux qui l'approchaientn'avaient t au courant de ses dbuts. Lors de l'affaire de la femme coupeen morceaux de la rue Oberkampf - encore une histoire bien oublie - ilavait apport au rdacteur en chef de l'poque, journal qui tait alors enrivalit d'informations avec Le Matin, le pied gauche qui manquait dans lepanier o furent dcouverts les lugubres dbris. Ce pied gauche, la policele cherchait en vain depuis huit jours, et le jeune Rouletabille l'avait trouvdans un gout o personne n'avait eu l'ide de l'y aller chercher. Il lui avaitfallu, pour cela, s'engager dans une quipe d'goutiers d'occasion quel'administration de la ville de Paris avait rquisitionne la suite des dgtscauss par une exceptionnelle crue de la Seine.Quand le rdacteur en chef fut en possession du prcieux pied et qu'il eutcompris par quelle suite d'intelligentes dductions un enfant avait t
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amen le dcouvrir, il fut partag entre l'admiration que lui causait tantd'astuce policire dans un cerveau de seize ans, et l'allgresse de pouvoirexhiber, la morgue-vitrine du journal, le pied gauche de la rueOberkampf . Avec ce pied, s'cria-t-il, je ferai un article de tte. Puis, quand il eut confi le sinistre colis au mdecin lgiste attach lardaction de L'poque, il demanda celui qui allait tre bienttRouletabille ce qu'il voulait gagner pour faire partie, en qualit de petitreporter, du service des faits divers . Deux cents francs par mois , fit modestement le jeune homme, surprisjusqu' la suffocation d'une pareille proposition. Vous en aurez deux cent cinquante, repartit le rdacteur en chef ;seulement vous dclarerez tout le monde que vous faites partie de lardaction depuis un mois. Qu'il soit bien entendu que ce n'est pas vous quiavez dcouvert le pied gauche de la rue Oberkampf , mais le journalL'poque. Ici, mon petit ami, l'individu n'est rien ; le journal est tout ! Sur quoi il pria le nouveau rdacteur de se retirer. Sur le seuil de la porte, ille retint cependant pour lui demander son nom. L'autre rpondit : Joseph Josphin.- a n'est pas un nom, a, fit le rdacteur en chef, mais puisque vous nesignez pas, a n'a pas d'importance... Tout de suite, le rdacteur imberbe se fit beaucoup d'amis, car il taitserviable et dou d'une bonne humeur qui enchantait les plus grognons, etdsarma les plus jaloux. Au caf du Barreau o les reporters de faits diversse runissaient alors avant de monter au parquet ou la prfecture chercherleur crime quotidien, il commena de se faire une rputation dedbrouillard qui franchit bientt les portes mmes du cabinet du chef de laSret ! Quand une affaire en valait la peine et que Rouletabille -il taitdj en possession de son surnom - avait t lanc sur la piste de guerre parson rdacteur en chef, il lui arrivait souvent de damer le pion auxinspecteurs les plus renomms.C'est au caf du Barreau que je fis avec lui plus ample connaissance.Avocats, criminels et journalistes ne sont point ennemis, les uns ayantbesoin de rclame et les autres de renseignements. Nous causmes etj'prouvai tout de suite une grande sympathie pour ce brave petit
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bonhomme de Rouletabille. Il tait d'une intelligence si veille et sioriginale ! Et il avait une qualit de pense que je n'ai jamais retrouveailleurs. quelque temps de l, je fus charg de la chronique judiciaire au Cri duBoulevard. Mon entre dans le journalisme ne pouvait que resserrer lesliens d'amiti qui, dj, s'taient nous entre Rouletabille et moi. Enfin,mon nouvel ami ayant eu l'ide d'une petite correspondance judiciairequ'on lui faisait signer Business son journal L'poque, je fus mmede lui fournir souvent les renseignements de droit dont il avait besoin.Prs de deux annes se passrent ainsi, et plus j'apprenais le connatre,plus je l'aimais, car, sous ses dehors de joyeuse extravagance, je l'avaisdcouvert extraordinairement srieux pour son ge. Enfin, plusieurs fois,moi qui tais habitu le voir trs gai et souvent trop gai, je le trouvaiplong dans une tristesse profonde. Je voulus le questionner sur la cause dece changement d'humeur, mais chaque fois il se reprit rire et ne rponditpoint. Un jour, l'ayant interrog sur ses parents, dont il ne parlait jamais, ilme quitta, faisant celui qui ne m'avait pas entendu.Sur ces entrefaites clata la fameuse affaire de la Chambre Jaune, quidevait non seulement le classer le premier des reporters, mais encore enfaire le premier policier du monde, double qualit qu'on ne sauraits'tonner de trouver chez la mme personne, attendu que la pressequotidienne commenait dj se transformer et devenir ce qu'elle est peu prs aujourd'hui : la gazette du crime. Des esprits moroses pourronts'en plaindre ; moi j'estime qu'il faut s'en fliciter. On n'aura jamais assezd'armes, publiques ou prives, contre le criminel. quoi ces espritsmoroses rpliquent qu' force de parler de crimes, la presse finit par lesinspirer. Mais il y a des gens, n'est-ce pas ? Avec lesquels on n'a jamaisraison...Voici donc Rouletabille dans ma chambre, ce matin-l, 26 octobre 1892. Iltait encore plus rouge que de coutume ; les yeux lui sortaient de la tte,comme on dit, et il paraissait en proie une srieuse exaltation. Il agitaitLe Matin d'une main fbrile. Il me cria :- Eh bien, mon cher Sainclair... Vous avez lu ? ...- Le crime du Glandier ?- Oui ; la Chambre Jaune ! Qu'est-ce que vous en pensez ?
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- Dame, je pense que c'est le diable ou la Bte du Bon Dieu qui acommis le crime.- Soyez srieux.- Eh bien, je vous dirai que je ne crois pas beaucoup aux assassins quis'enfuient travers les murs. Le pre Jacques, pour moi, a eu tort de laisserderrire lui l'arme du crime et, comme il habite au-dessus de la chambre deMlle Stangerson, l'opration architecturale laquelle le juge d'instructiondoit se livrer aujourd'hui va nous donner la clef de l'nigme, et nous netarderons pas savoir par quelle trappe naturelle ou par quelle portesecrte le bonhomme a pu se glisser pour revenir immdiatement dans lelaboratoire, auprs de M. Stangerson qui ne se sera aperu de rien. Quevous dirais-je ? C'est une hypothse ! ... Rouletabille s'assit dans un fauteuil, alluma sa pipe, qui ne le quittaitjamais, fuma quelques instants en silence, le temps sans doute de calmercette fivre qui, visiblement, le dominait, et puis il me mprisa :- Jeune homme ! Fit-il, sur un ton dont je n'essaierai point de rendre laregrettable ironie, jeune homme... vous tes avocat, et je ne doute pas devotre talent faire acquitter les coupables ; mais, si vous tes un jourmagistrat instructeur, combien vous sera-t-il facile de faire condamner lesinnocents !... Vous tes vraiment dou, jeune homme. Sur quoi, il fuma avec nergie, et reprit : On ne trouvera aucune trappe, et le mystre de la Chambre Jaunedeviendra de plus, plus en plus mystrieux. Voil pourquoi il m'intresse.Le juge d'instruction a raison : on n'aura jamais vu quelque chose de plustrange que ce crime-l...- Avez-vous quelque ide du chemin que l'assassin a pu prendre pours'enfuir ? demandai-je.- Aucune, me rpondit Rouletabille, aucune pour le moment... Mais j'aidj mon ide faite sur le revolver, par exemple... Le revolver n'a pas servi l'assassin...- Et qui donc a-t-il servi, mon Dieu ? ...- Eh bien, mais... Mlle Stangerson...
- Je ne comprends plus, fis-je... Ou mieux je n'ai jamais compris... Rouletabille haussa les paules :
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Rien ne vous a particulirement frapp dans l'article du Matin ?- Ma foi non... j'ai trouv tout ce qu'il raconte galement bizarre...- Eh bien, mais... et la porte ferme clef ?- C'est la seule chose naturelle du rcit...- Vraiment ! ... Et le verrou ? ...- Le verrou ?- Le verrou pouss l'intrieur ? ... Voil bien des prcautions prises parMlle Stangerson... Mlle Stangerson, quant moi, savait qu'elle avait craindre quelqu'un ; elle avait pris ses prcautions ; elle avait mme prisle revolver du pre Jacques , sans lui en parler. Sans doute, elle ne voulaiteffrayer personne ; elle ne voulait surtout pas effrayer son pre... Ce queMlle Stangerson redoutait est arriv... et elle s'est dfendue, et il y a eubataille et elle s'est servie assez adroitement de son revolver pour blesserl'assassin la main - ainsi s'explique l'impression de la large maind'homme ensanglante sur le mur et sur la porte, de l'homme qui cherchaitpresque ttons une issue pour fuir - mais elle n'a pas tir assez vite pourchapper au coup terrible qui venait la frapper la tempe droite.- Ce n'est donc point le revolver qui a bless Mlle Stangerson la tempe ?- Le journal ne le dit pas, et, quant moi, je ne le pense pas ; toujoursparce qu'il m'apparat logique que le revolver a servi Mlle Stangersoncontre l'assassin. Maintenant, quelle tait l'arme de l'assassin ? Ce coup la tempe semblerait attester que l'assassin a voulu assommer MlleStangerson... Aprs avoir vainement essay de l'trangler... L'assassindevait savoir que le grenier tait habit par le pre Jacques, et c'est une desraisons pour lesquelles, je pense, il a voulu oprer avec une arme desilence , une matraque peut-tre, ou un marteau...- Tout cela ne nous explique pas, fis-je, comment notre assassin est sorti dela Chambre Jaune !- videmment, rpondit Rouletabille en se levant, et, comme il fautl'expliquer, je vais au chteau du Glandier, et je viens vous chercher pourque vous y veniez avec moi...- Moi !- Oui, cher ami, j'ai besoin de vous. L'poque m'a charg dfinitivement decette affaire, et il faut que je l'claircisse au plus vite.- Mais en quoi puis-je vous servir ?
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- M. Robert Darzac est au chteau du Glandier.- C'est vrai... son dsespoir doit tre sans bornes !- Il faut que je lui parle... Rouletabille pronona cette phrase sur un ton qui me surprit : Est-ce que... Est-ce que vous croyez quelque chose d'intressant de cect ? ... demandai-je.- Oui. Et il ne voulut pas en dire davantage. Il passa dans mon salon en me priantde hter ma toilette.Je connaissais M. Robert Darzac pour lui avoir rendu un trs gros servicejudiciaire dans un procs civil, alors que j'tais secrtaire de matreBarbet-Delatour. M. Robert Darzac, qui avait, cette poque, unequarantaine d'annes, tait professeur de physique la Sorbonne. Il taitintimement li avec les Stangerson, puisque aprs sept ans d'une courassidue, il se trouvait enfin sur le point de se marier avec Mlle Stangerson,personne d'un certain ge (elle devait avoir dans les trente-cinq ans), maisencore remarquablement jolie.Pendant que je m'habillais, je criai Rouletabille qui s'impatientait dansmon salon : Est-ce que vous avez une ide sur la condition de l'assassin ?- Oui, rpondit-il, je le crois sinon un homme du monde, du moins d'uneclasse assez leve... Ce n'est encore qu'une impression...- Et qu'est-ce qui vous la donne, cette impression ?- Eh bien, mais, rpliqua le jeune homme, le bret crasseux, le mouchoirvulgaire et les traces de la chaussure grossire sur le plancher...- Je comprends, fis-je ; on ne laisse pas tant de traces derrire soi, quandelles sont l'expression de la vrit ! - On fera quelque chose de vous, mon cher Sainclair ! conclutRouletabille.
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III - Un homme a pass comme une ombre travers les volets
Une demi-heure plus tard, nous tions, Rouletabille et moi, sur le quai dela gare d'Orlans, attendant le dpart du train qui allait nous dposer pinay-sur-Orge. Nous vmes arriver le parquet de Corbeil, reprsent parM. de Marquet et son greffier. M. de Marquet avait pass la nuit Parisavec son greffier pour assister, la Scala, la rptition gnrale d'uner e v u e t t e d o n t i l t a i t l ' a u t e u r m a s q u e t q u ' i l a v a i t s i g n simplement : Castigat Ridendo. M. de Marquet commenait d'tre un noble vieillard. Il tait, l'ordinaire,plein de politesse et de galantise , et n'avait eu, toute sa vie, qu'unepassion : celle de l'art dramatique. Dans sa carrire de magistrat, il nes'tait vritablement intress qu'aux affaires susceptibles de lui fournir aumoins la nature d'un acte. Bien que, dcemment apparent, il et pu aspireraux plus hautes situations judiciaires, il n'avait jamais travaill, en ralit,que pour arriver la romantique Porte Saint-Martin ou l'Odonpensif. Un tel idal l'avait conduit, sur le tard, tre juge d'instruction Corbeil, et signer Castigat Ridendo un petit acte indcent la Scala.L'affaire de la Chambre Jaune, par son ct inexplicable, devait sduireun esprit aussi... littraire. Elle l'intressa prodigieusement ; et M. deMarquet s'y jeta moins comme un magistrat avide de connatre la vritque comme un amateur d'imbroglios dramatiques dont toutes les facultssont tendues vers le mystre de l'intrigue, et qui ne redoute cependant rientant que d'arriver la fin du dernier acte, o tout s'explique.Ainsi, dans le moment que nous le rencontrmes, j'entendis M. de Marquetdire avec un soupir son greffier : Pourvu, mon cher monsieur Maleine, pourvu que cet entrepreneur, avecsa pioche, ne nous dmolisse pas un aussi beau mystre !- N'ayez crainte, rpondit M. Maleine, sa pioche dmolira peut-tre lepavillon, mais elle laissera notre affaire intacte. J'ai tt les murs et tudiplafond et plancher, et je m'y connais. On ne me trompe pas. NousIII - Un homme a pass comme une om... 16
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pouvons tre tranquilles. Nous ne saurons rien.Ayant ainsi rassur son chef, M. Maleine nous dsigna d'un mouvement dette discret M. de Marquet. La figure de celui-ci se renfrogna et, commeil vit venir lui Rouletabille qui, dj, se dcouvrait, il se prcipita sur uneportire et sauta dans le train en jetant mi-voix son greffier : surtout,pas de journalistes ! M. Maleine rpliqua : Compris ! , arrta Rouletabille dans sa course eteut la prtention de l'empcher de monter dans le compartiment du juged'instruction. Pardon, messieurs ! Ce compartiment est rserv...- Je suis journaliste, monsieur, rdacteur l'poque, fit mon jeune amiavec une grande dpense de salutations et de politesses, et j'ai un petit mot dire M. de Marquet.- M. de Marquet est trs occup par son enqute...- Oh ! Son enqute m'est absolument indiffrente, veuillez le croire... Je nesuis pas, moi, un rdacteur de chiens crass, dclara le jeune Rouletabilledont la lvre infrieure exprimait alors un mpris infini pour la littraturedes faits diversiers ; je suis courririste des thtres... Et comme je doisfaire, ce soir, un petit compte rendu de la revue de la Scala...- Montez, monsieur, je vous en prie... , fit le greffier s'effaant.Rouletabille tait dj dans le compartiment. Je l'y suivis. Je m'assis sescts ; le greffier monta et ferma la portire.M. de Marquet regardait son greffier.- Oh ! Monsieur, dbuta Rouletabille, n'en veuillez pas ce bravehomme si j'ai forc la consigne ; ce n'est pas M. de Marquet que jeveux avoir l'honneur de parler : c'est M. Castigat Ridendo ! ...Permettez-moi de vous fliciter, en tant que courririste thtral l'poque... Et Rouletabille, m'ayant prsent d'abord, se prsenta ensuite.M. de Marquet, d'un geste inquiet, caressait sa barbe en pointe. Il exprimaen quelques mots Rouletabille qu'il tait trop modeste auteur pour dsirerque le voile de son pseudonyme ft publiquement lev, et il esprait bienque l'enthousiasme du journaliste pour l'oeuvre du dramaturge n'irait pointjusqu' apprendre aux populations que M. Castigat Ridendo n'taitautre que le juge d'instruction de Corbeil.
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L'oeuvre de l'auteur dramatique pourrait nuire, ajouta-t-il, aprs unelgre hsitation, l'oeuvre du magistrat... surtout en province o l'on estrest un peu routinier...- Oh ! Comptez sur ma discrtion ! s'cria Rouletabille en levant desmains qui attestaient le Ciel.Le train s'branlait alors... Nous partons ! fit le juge d'instruction, surpris de nous voir faire levoyage avec lui.- Oui, monsieur, la vrit se met en marche... dit en souriant aimablementle reporter... en marche vers le chteau du Glandier... Belle affaire,monsieur De Marquet, belle affaire ! ...- Obscure affaire ! Incroyable, insondable, inexplicable affaire... et je necrains qu'une chose, monsieur Rouletabille... c'est que les journalistes semlent de la vouloir expliquer...
Mon ami sentit le coup droit. Oui, fit-il simplement, il faut le craindre... Ils se mlent de tout... Quant moi, je ne vous parle que parce que le hasard, monsieur le juged'instruction, le pur hasard, m'a mis sur votre chemin et presque dans votrecompartiment.- O allez-vous donc, demanda M. de Marquet.- Au chteau du Glandier , fit sans broncher Rouletabille.M. de Marquet sursauta. Vous n'y entrerez pas, monsieur Rouletabille ! ...- Vous vous y opposerez ? fit mon ami, dj prt la bataille.- Que non pas ! J'aime trop la presse et les journalistes pour leur tredsagrable en quoi que ce soit, mais M. Stangerson a consign sa porte tout le monde. Et elle est bien garde. Pas un journaliste, hier, n'a pufranchir la grille du Glandier.- Tant mieux, rpliqua Rouletabille, j'arrive bien. M. de Marquet se pina les lvres et parut prt conserver un obstinsilence. Il ne se dtendit un peu que lorsque Rouletabille ne lui eut paslaiss ignorer plus longtemps que nous nous rendions au Glandier pour yserrer la main d'un vieil ami intime , dclara-t-il, en parlant de M.Robert Darzac, qu'il avait peut-tre vu une fois dans sa vie.
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Ce pauvre Robert ! continua le jeune reporter... Ce pauvre Robert ! ilest capable d'en mourir... Il aimait tant Mlle Stangerson...- La douleur de M. Robert Darzac fait, il est vrai, peine voir ... laissachapper comme regret M. de Marquet...- Mais il faut esprer que Mlle Stangerson sera sauve...- Esprons-le... son pre me disait hier que, si elle devait succomber, il netarderait point, quant lui, l'aller rejoindre dans la tombe... Quelle perteincalculable pour la science !- La blessure la tempe est grave, n'est-ce pas ? ...- Evidemment ! Mais c'est une chance inoue qu'elle n'ait pas tmortelle... Le coup a t donn avec une force ! ...- Ce n'est donc pas le revolver qui a bless Mlle Stangerson , fitRouletabille... en me jetant un regard de triomphe...M. de Marquet parut fort embarrass. Je n'ai rien dit, je ne veux rien dire, et je ne dirai rien ! Et il se tourna vers son greffier, comme s'il ne nous connaissait plus...Mais on ne se dbarrassait pas ainsi de Rouletabille. Celui-ci s'approcha dujuge d'instruction, et, montrant le Matin, qu'il tira de sa poche, il lui dit : Il y a une chose, monsieur le juge d'instruction, que je puis vousdemander sans commettre d'indiscrtion. Vous avez lu le rcit du Matin ?Il est absurde, n'est-ce pas ?- Pas le moins du monde, monsieur...- Eh quoi ! La Chambre Jaune n'a qu'une fentre grille dont lesbarreaux n'ont pas t descells, et une porte que l'on dfonce... et l'onn'y trouve pas l'assassin !- C'est ainsi, monsieur ! C'est ainsi ! ... C'est ainsi que la question sepose ! ... Rouletabille ne dit plus rien et partit pour des pensers inconnus... Un quartd'heure ainsi s'coula.Quant il revint nous, il dit, s'adressant encore au juge d'instruction :- Comment tait, ce soir-l, la coiffure de Mlle Stangerson ?- Je ne saisis pas, fit M. de Marquet.- Ceci est de la dernire importance, rpliqua Rouletabille. Les cheveux enbandeaux, n'est-ce pas ? Je suis sr qu'elle portait ce soir-l, le soir dudrame, les cheveux en bandeaux !
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- Eh bien, monsieur Rouletabille, vous tes dans l'erreur, rpondit le juged'instruction ; Mlle Stangerson tait coiffe, ce soir-l, les cheveux relevsentirement en torsade sur la tte... Ce doit tre sa coiffure habituelle... Lefront entirement dcouvert..., je puis vous l'affirmer, car nous avonsexamin longuement la blessure. Il n'y avait pas de sang aux cheveux... etl'on n'avait pas touch la coiffure depuis l'attentat.- Vous tes sr ! Vous tes sr que Mlle Stangerson, la nuit de l'attentat,n'avait pas la coiffure en bandeaux ? ...- Tout fait certain, continua le juge en souriant... car, justement, j'entendsencore le docteur me dire pendant que j'examinais la blessure : C'estgrand dommage que Mlle Stangerson ait l'habitude de se coiffer lescheveux relevs sur le front. Si elle avait port la coiffure en bandeaux, lecoup qu'elle a reu la tempe aurait t amorti. Maintenant, je vous diraiqu'il est trange que vous attachiez de l'importance...- Oh ! Si elle n'avait pas les cheveux en bandeaux ! gmit Rouletabille, oallons-nous ? o allons-nous ? Il faudra que je me renseigne.Et il eut un geste dsol. Et la blessure la tempe est terrible ? demanda-t-il encore.- Terrible.- Enfin, par quelle arme a-t-elle t faite ?- Ceci, monsieur, est le secret de l'instruction.- Avez-vous retrouv cette arme ? Le juge d'instruction ne rpondit pas.
Et la blessure la gorge ? Ici, le juge d'instruction voulut bien nous confier que la blessure la gorgetait telle que l'on pouvait affirmer, de l'avis mme des mdecins, que, sil'assassin avait serr cette gorge quelques secondes de plus, MlleStangerson mourait trangle . L'affaire, telle que la rapporte Le Matin, reprit Rouletabille, acharn, meparat de plus en plus inexplicable. Pouvez-vous me dire, monsieur le juge,quelles sont les ouvertures du pavillon, portes et fentres ?- Il y en a cinq, rpondit M. de Marquet, aprs avoir touss deux ou troisfois, mais ne rsistant plus au dsir qu'il avait d'taler tout l'incroyablemystre de l'affaire qu'il instruisait. Il y en a cinq, dont la porte du
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vestibule qui est la seule porte d'entre du pavillon, porte toujoursautomatiquement ferme, et ne pouvant s'ouvrir, soit de l'intrieur, soit del'extrieur, que par deux clefs spciales qui ne quittent jamais le preJacques et M. Stangerson. Mlle Stangerson n'en a point besoin puisque lepre Jacques est demeure dans le pavillon et que, dans la journe, elle nequitte point son pre. Quand ils se sont prcipits tous les quatre dans laChambre Jaune dont ils avaient enfin dfonc la porte, la porte d'entredu vestibule, elle, tait reste ferme comme toujours, et les deux clefs decette porte taient l'une dans la poche de M. Stangerson, l'autre dans lapoche du pre Jacques. Quant aux fentres du pavillon, elles sontquatre : l'unique fentre de la Chambre Jaune, les deux fentres dulaboratoire et la fentre du vestibule. La fentre de la Chambre Jaune etcelles du laboratoire donnent sur la campagne ; seule la fentre duvestibule donne dans le parc.- C'est par cette fentre-l qu'il s'est sauv du pavillon ! s'criaRouletabille.- Comment le savez-vous ? fit M. de Marquet en fixant sur mon ami untrange regard.- Nous verrons plus tard comment l'assassin s'est enfui de la ChambreJaune, rpliqua Rouletabille, mais il a d quitter le pavillon par la fentredu vestibule...- Encore une fois, comment le savez-vous ?- Eh ! mon Dieu ! c'est bien simple. Du moment qu' il ne peut s'enfuirpar la porte du pavillon, il faut bien qu'il passe par une fentre, et il fautqu'il y ait au moins, pour qu'il passe, une fentre qui ne soit pas grille. Lafentre de la Chambre Jaune est grille, parce qu'elle donne sur lacampagne ; les deux fentres du laboratoire doivent l'tre certainementpour la mme raison. Puisque l'assassin s'est enfui , j'imagine qu'il atrouv une fentre sans barreaux, et ce sera celle du vestibule qui donne surle parc, c'est--dire l'intrieur de la proprit. Cela n'est pas sorcier ! ...- Oui, fit M. de Marquet, mais ce que vous ne pourriez deviner, c'est quecette fentre du vestibule, qui est la seule, en effet, n'avoir point debarreaux, possde de solides volets de fer. Or, ces volets de fer sont restsferms l'intrieur par leur loquet de fer, et cependant nous avons lapreuve que l'assassin s'est, en effet, enfui du pavillon par cette mme
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fentre ! Des traces de sang sur le mur l'intrieur et sur les volets et despas sur la terre, des pas entirement semblables ceux dont j'ai relev lamesure dans la Chambre Jaune, attestent bien que l'assassin s'est enfuipar l ! Mais alors ! Comment a-t-il fait, puisque les volets sont restsferms l'intrieur ? Il a pass comme une ombre travers les volets. Et,enfin, le plus affolant de tout, n'est-ce point la trace retrouve de l'assassinau moment o il fuit du pavillon, quand il est impossible de se faire lamoindre ide de la faon dont l'assassin est sorti de la Chambre Jaune, nicomment il a travers forcment le laboratoire pour arriver au vestibule !Ah ! oui, monsieur Rouletabille, cette affaire est hallucinante... C'est unebelle affaire, allez ! Et dont on ne trouvera pas la clef d'ici longtemps, jel'espre bien ! ...- Vous esprez quoi, monsieur le juge d'instruction ? ... M. de Marquet rectifia :- ... Je ne l'espre pas... Je le crois...- On aurait donc referm la fentre, l'intrieur, aprs la fuite del'assassin ? demanda Rouletabille...- videmment, voil ce qui me semble, pour le moment, naturel quoiqueinexplicable... car il faudrait un complice ou des complices... et je ne lesvois pas... Aprs un silence, il ajouta : Ah ! Si Mlle Stangerson pouvait aller assez bien aujourd'hui pour qu'onl'interroget... Rouletabille, poursuivant sa pense, demanda : Et le grenier ? Il doit y avoir une ouverture au grenier ?- Oui, je ne l'avais pas compte, en effet ; cela fait six ouvertures ; il y al-haut une petite fentre, plutt une lucarne, et, comme elle donne surl'extrieur de la proprit, M. Stangerson l'a fait galement garnir debarreaux. cette lucarne, comme aux fentres du rez-de-chausse, lesbarreaux sont rests intacts et les volets, qui s'ouvrent naturellement endedans, sont rests ferms en dedans. Du reste, nous n'avons rien dcouvertqui puisse nous faire souponner le passage de l'assassin dans le grenier.- Pour vous, donc, il n'est point douteux, monsieur le juge d'instruction,que l'assassin s'est enfui - sans que l'on sache comment - par la fentre duvestibule !
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- Tout le prouve...Je le crois aussi , obtempra gravement Rouletabille.
Puis un silence, et il reprit :- Si vous n'avez trouv aucune trace de l'assassin dans le grenier, commepar exemple, ces pas noirtres que l'on relve sur le parquet de laChambre Jaune, vous devez tre amen croire que ce n'est point lui quia vol le revolver du pre Jacques...- Il n'y a de traces, au grenier, que celles du pre Jacques , fit le juge avecun haussement de tte significatif...Et il se dcida complter sa pense : Le pre Jacques tait avec M. Stangerson... C'est heureux pour lui...- Alors, quid du rle du revolver du pre Jacques dans le drame ? Ilsemble bien dmontr que cette arme a moins bless Mlle Stangersonqu'elle n'a bless l'assassin... Sans rpondre cette question, qui sans doute l'embarrassait, M. deMarquet nous apprit qu'on avait retrouv les deux balles dans la ChambreJaune, l'une dans un mur, le mur o s'talait la main rouge - une mainrouge d'homme - l'autre dans le plafond. Oh ! oh ! dans le plafond ! rpta mi-voix Rouletabille... Vraiment...dans le plafond ! Voil qui est fort curieux... dans le plafond ! ...Il se mit fumer en silence, s'entourant de tabagie. Quand nous arrivmes Epinay-sur-Orge, je dus lui donner un coup sur l'paule pour le fairedescendre de son rve et sur le quai.L, le magistrat et son greffier nous salurent, nous faisant comprendrequ'ils nous avaient assez vus ; puis ils montrent rapidement dans uncabriolet qui les attendait. Combien de temps faut-il pour aller pied d'ici au chteau duGlandier ? demanda Rouletabille un employ de chemin de fer.- Une heure et demie, une heure trois quarts, sans se presser , rponditl'homme.Rouletabille regarda le ciel, le trouva sa convenance et, sans doute, lamienne, car il me prit sous le bras et me dit : Allons ! ... J'ai besoin de marcher.- Eh bien ! lui demandai-je. a se dbrouille ? ...
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- Oh ! fit-il, oh ! il n'y a rien de dbrouill du tout ! ... C'est encore plusembrouill qu'avant ! Il est vrai que j'ai une ide...- Dites-la.- Oh ! Je ne peux rien dire pour le moment... Mon ide est une question devie ou de mort pour deux personnes au moins...- Croyez-vous des complices ?- Je n'y crois pas... Nous gardmes un instant le silence, puis il reprit : C'est une veine d'avoir rencontr ce juge d'instruction et son greffier...Hein ! que vous avais-je dit pour le revolver ? ...Il avait le front pench vers la route, les mains dans les poches, et ilsifflotait. Au bout d'un instant, je l'entendis murmurer : Pauvre femme ! ...- C'est Mlle Stangerson que vous plaignez ? ...- Oui, c'est une trs noble femme, et tout fait digne de piti ! ... C'est untrs grand, un trs grand caractre... j'imagine... j'imagine...- Vous connaissez donc Mlle Stangerson ?- Moi, pas du tout... Je ne l'ai vue qu'une fois...- Pourquoi dites-vous : c'est un trs grand caractre ? ...- Parce qu'elle a su tenir tte l'assassin, parce qu'elle s'est dfendue aveccourage, et surtout, surtout, cause de la balle dans le plafond. Je regardai Rouletabille, me demandant in petto s'il ne se moquait pas tout fait de moi ou s'il n'tait pas devenu subitement fou. Mais je vis bien quele jeune homme n'avait jamais eu moins envie de rire, et l'clat intelligentde ses petits yeux ronds me rassura sur l'tat de sa raison. Et puis, j'tais unpeu habitu ses propos rompus... rompus pour moi qui n'y trouvaissouvent qu'incohrence et mystre jusqu'au moment o, en quelquesphrases rapides et nettes, il me livrait le fil de sa pense. Alors, touts'clairait soudain ; les mots qu'il avait dits, et qui m'avaient paru vides desens, se reliaient avec une facilit et une logique telles que je ne pouvaiscomprendre comment je n'avais pas compris plus tt .
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IV - Au sein dune nature sauvage
Le chteau du Glandier est un des plus vieux chteaux de ce paysd'le-de-France, o se dressent encore tant d'illustres pierres de l'poquefodale. Bti au coeur des forts, sous Philippe le Bel, il apparat quelques centaines de mtres de la route qui conduit du village deSainte-Genevive-des-Bois Montlhry. Amas de constructionsdisparates, il est domin par un donjon. Quand le visiteur a gravi lesmarches branlantes de cet antique donjon et qu'il dbouche sur la petiteplate-forme o, au XVIIe sicle, Georges-Philibert de Squigny, seigneurdu Glandier, Maisons-Neuves et autres lieux, a fait difier la lanterneactuelle, d'un abominable style rococo, on aperoit, trois lieues de l,au-dessus de la valle et de la plaine, l'orgueilleuse tour de Montlhry.Donjon et tour se regardent encore, aprs tant de sicles, et semblent seraconter, au-dessus des forts verdoyantes ou des bois morts, les plusvieilles lgendes de l'histoire de France. On dit que le donjon du Glandierveille sur une ombre hroque et sainte, celle de la bonne patronne deParis, devant qui recula Attila. Sainte Genevive dort l son derniersommeil dans les vieilles douves du chteau. L't, les amoureux,balanant d'une main distraite le panier des djeuners sur l'herbe, viennentrver ou changer des serments devant la tombe de la sainte, pieusementfleurie de myosotis. Non loin de cette tombe est un puits qui contient,dit-on, une eau miraculeuse. La reconnaissance des mres a lev en cetendroit une statue sainte Genevive et suspendu sous ses pieds les petitschaussons ou les bonnets des enfants sauvs par cette onde sacre.C'est dans ce lieu qui semblait devoir appartenir tout entier au pass que leprofesseur Stangerson et sa fille taient venus s'installer pour prparer lascience de l'avenir. Sa solitude au fond des bois leur avait plu tout de suite.Ils n'auraient l, comme tmoins de leurs travaux et de leurs espoirs, quede viei l les pierres et de grands chnes. Le Glandier, autrefois Glandierum , s'appelait ainsi du grand nombre de glands que, de touttemps, on avait recueillis en cet endroit. Cette terre, aujourd'hui tristement
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clbre, avait reconquis, grce la ngligence ou l'abandon despropritaires, l'aspect sauvage d'une nature primitive ; seuls, les btimentsqui s'y cachaient avaient conserv la trace d'tranges mtamorphoses.Chaque sicle y avait laiss son empreinte : un morceau d'architectureauquel se reliait le souvenir de quelque vnement terrible, de quelquerouge aventure ; et, tel quel, ce chteau, o allait se rfugier la science,semblait tout dsign servir de thtre des mystres d'pouvante et demort.Ceci dit, je ne puis me dfendre d'une rflexion. La voici :Si je me suis attard quelque peu cette triste peinture du Glandier, cen'est point que j'aie trouv ici l'occasion dramatique de crer l'atmosphre ncessaire aux drames qui vont se drouler sous les yeux dulecteur et, en vrit, mon premier soin, dans toute cette affaire, sera d'treaussi simple que possible. Je n'ai point la prtention d'tre un auteur. Quidit : auteur, dit toujours un peu : romancier, et, Dieu merci ! Le mystrede la Chambre Jaune est assez plein de tragique horreur relle pour sepasser de littrature. Je ne suis et ne veux tre qu'un fidle rapporteur .Je dois rapporter l'vnement ; je situe cet vnement dans son cadre,voil tout. Il est tout naturel que vous sachiez o les choses se passent.Je reviens M. Stangerson.Quand il acheta le domaine, une quinzaine d'annes environ avant le dramequi nous occupe, le Glandier n'tait plus habit depuis longtemps. Un autrevieux chteau, dans les environs, construit au XIVe sicle par Jean deBelmont, tait galement abandonn, de telle sorte que le pays tait peuprs inhabit. Quelques maisonnettes au bord de la route qui conduit Corbeil, une auberge, l'auberge du Donjon , qui offrait une passagrehospitalit aux rouliers ; c'tait l peu prs tout ce qui rappelait lacivilisation dans cet endroit dlaiss qu'on ne s'attendait gure rencontrer quelques lieues de la capitale. Mais ce parfait dlaissement avait t laraison dterminante du choix de M. Stangerson et de sa fille. M.Stangerson tait dj clbre ; il revenait d'Amrique o ses travauxavaient eu un retentissement considrable. Le livre qu'il avait publi Philadelphie sur la Dissociation de la matire par les actions lectriques avait soulev la protestation de tout le monde savant. M. Stangerson taitfranais, mais d'origine amricaine. De trs importantes affaires d'hritage
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l'avaient fix pendant plusieurs annes aux tats-Unis. Il avait continu,l-bas, une oeuvre commence en France, et il tait revenu en France l'yachever, aprs avoir ralis une grosse fortune, tous ses procs s'tantheureusement termins soit par des jugements qui lui donnaient gain decause, soit par des transactions. Cette fortune fut la bienvenue. M.Stangerson, qui et pu, s'il l'avait voulu, gagner des millions de dollars enexploitant ou en faisant exploiter deux ou trois de ses dcouverteschimiques relatives de nouveaux procds de teinture, avait toujoursrpugn faire servir son intrt propre le don merveilleux d' inventer qu'il avait reu de la nature ; mais il ne pensait point que son gnie luiappartnt. Il le devait aux hommes, et tout ce que son gnie mettait aumonde tombait, de par cette volont philanthropique, dans le domainepublic. S'il n'essaya point de dissimuler la satisfaction que lui causait lamise en possession de cette fortune inespre qui allait lui permettre de selivrer jusqu' sa dernire heure sa passion pour la science pure, leprofesseur dut s'en rjouir galement, semblait-il , pour une autre cause.Mlle Stangerson avait, au moment o son pre revint d'Amrique et achetale Glandier, vingt ans. Elle tait plus jolie qu'on ne saurait l'imaginer,tenant la fois toute la grce parisienne de sa mre, morte en lui donnant lejour, et toute la splendeur, toute la richesse du jeune sang amricain de songrand-pre paternel, William Stangerson. Celui-ci, citoyen de Philadelphie,avait d se faire naturaliser franais pour obir des exigences de famille,au moment de son mariage avec une franaise, celle qui devait tre la mrede l'illustre Stangerson. Ainsi s'explique la nationalit franaise duprofesseur Stangerson.Vingt ans, adorablement blonde, des yeux bleus, un teint de lait,rayonnante, d'une sant divine, Mathilde Stangerson tait l'une des plusbelles filles marier de l'ancien et du nouveau continent. Il tait du devoirde son pre, malgr la douleur prvue d'une invitable sparation, desonger ce mariage, et il ne dut pas tre fch de voir arriver la dot. Quoiqu'il en soit, il ne s'en enterra pas moins, avec son enfant, au Glandier,dans le moment o ses amis s'attendaient ce qu'il produist Mlle Mathildedans le monde. Certains vinrent le voir et manifestrent leur tonnement.Aux questions qui lui furent poses, le professeur rpondit : C'est lavolont de ma fille. Je ne sais rien lui refuser. C'est elle qui a choisi le
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Glandier. Interrog son tour, la jeune fille rpliqua avec srnit : Oaurions-nous mieux travaill que dans cette solitude ? Car Mlle MathildeStangerson collaborait dj l'oeuvre de son pre, mais on ne pouvaitimaginer alors que sa passion pour la science irait jusqu' lui fairerepousser tous les partis qui se prsenteraient elle, pendant plus de quinzeans. Si retirs vivaient-ils, le pre et la fille durent se montrer dansquelques rceptions officielles, et, certaines poques de l'anne, dansdeux ou trois salons amis o la gloire du professeur et la beaut deMathilde firent sensation. L'extrme froideur de la jeune fille nedcouragea pas tout d'abord les soupirants ; mais, au bout de quelquesannes, ils se lassrent. Un seul persista avec une douce tnacit et mritace nom d'ternel fianc , qu'il accepta avec mlancolie ; c'tait M.Robert Darzac. Maintenant Mlle Stangerson n'tait plus jeune, et ilsemblait bien que, n'ayant point trouv de raisons pour se marier, jusqu'l'ge de trente-cinq ans, elle n'en dcouvrirait jamais. Un tel argumentapparaissait sans valeur, videmment, M. Robert Darzac, puisque celui-cine cessait point sa cour, si tant est qu'on peut encore appeler cour lessoins dlicats et tendres dont on ne cesse d'entourer une femme detrente-cinq ans, reste fille et qui a dclar qu'elle ne se marierait point.Soudain, quelques semaines avant les vnements qui nous occupent, unbruit auquel on n'attacha pas d'abord d'importance - tant on le trouvaitincroyable - se rpandit dans Paris ; Mlle Stangerson consentait enfin couronner l'inextinguible flamme de M. Robert Darzac ! Il fallut que M. Robert Darzac lui-mme ne dmentt point ces proposmatrimoniaux pour qu'on se dt enfin qu'il pouvait y avoir un peu de vritdans une rumeur aussi invraisemblable. Enfin M. Stangerson voulut bienannoncer, en sortant un jour de l'Acadmie des sciences, que le mariage desa fille et de M. Robert Darzac serait clbr dans l'intimit, au chteau duGlandier, sitt que sa fille et lui auraient mis la dernire main au rapportqui allait rsumer tous leurs travaux sur la Dissociation de la matire ,c'est--dire sur le retour de la matire l'ther. Le nouveau mnages'installerait au Glandier et le gendre apporterait sa collaboration l'oeuvre laquelle le pre et la fille avaient consacr leur vie.Le monde scientifique n'avait pas encore eu le temps de se remettre decette nouvelle que l'on apprenait l'assassinat de Mlle Stangerson dans les
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conditions fantastiques que nous avons numres et que notre visite auchteau va nous permettre de prciser davantage encore.Je n'ai point hsit fournir au lecteur tous ces dtails rtrospectifs que jeconnaissais par suite de mes rapports d'affaires avec M. Robert Darzac,pour qu'en franchissant le seuil de la Chambre Jaune, il ft aussidocument que moi.
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V - O Joseph Rouletabille adresse M.Robert Darzac une phrase qui produit sonpetit effet
Nous marchions depuis quelques minutes, Rouletabille et moi, le long d'unmur qui bordait la vaste proprit de M. Stangerson, et nous apercevionsdj la grille d'entre, quand notre attention fut attire par un personnagequi, demi courb sur la terre, semblait tellement proccup qu'il ne nousvit pas venir. Tantt il se penchait, se couchait presque sur le sol, tantt ilse redressait et considrait attentivement le mur ; tantt il regardait dans lecreux de sa main, puis faisait de grands pas, puis se mettait courir etregardait encore dans le creux de sa main droite. Rouletabille m'avait arrtd'un geste : Chut ! Frdric Larsan qui travaille ! ... Ne le drangeons pas !Joseph Rouletabille avait une grande admiration pour le clbre policier. Jen'avais jamais vu, moi, Frdric Larsan, mais je le connaissais beaucoup derputation.L'affaire des lingots d'or de l'htel de la Monnaie, qu'il dbrouilla quandtout le monde jetait sa langue aux chiens, et l'arrestation des forceurs decoffres-forts du Crdit universel avaient rendu son nom presque populaire.Il passait alors, cette poque o Joseph Rouletabille n'avait pas encoredonn les preuves admirables d'un talent unique, pour l'esprit le plus apte dmler l'cheveau embrouill des plus mystrieux et plus obscurs crimes.Sa rputation s'tait tendue dans le monde entier et souvent les polices deLondres ou de Berlin, ou mme d'Amrique l'appelaient l'aide quand lesinspecteurs et les dtectives nationaux s'avouaient bout d'imagination etde ressources. On ne s'tonnera donc point que, ds le dbut du mystre dela Chambre Jaune, le chef de la Sret ait song tlgraphier sonprcieux subordonn, Londres, o Frdric Larsan avait t envoy pourune grosse affaire de titres vols : Revenez vite. Frdric, que l'on appelait, la Sret, le grand Fred, avait fait diligence,
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sachant sans doute par exprience que, si on le drangeait, c'est qu'on avaitbien besoin de ses services, et, c'est ainsi que Rouletabille et moi, cematin-l, nous le trouvions dj la besogne. Nous comprmes bientt enquoi elle consistait.Ce qu'il ne cessait de regarder dans le creux de sa main droite n'tait autrechose que sa montre et il paraissait fort occup compter des minutes. Puisil rebroussa chemin, reprit une fois encore sa course, ne l'arrta qu' lagrille du parc, reconsulta sa montre, la mit dans sa poche, haussa lespaules d'un geste dcourag, poussa la grille, pntra dans le parc,referma la grille clef, leva la tte et, travers les barreaux, nous aperut.Rouletabille courut et je le suivis. Frdric Larsan nous attendait. Monsieur Fred , dit Rouletabille en se dcouvrant et en montrant lesmarques d'un profond respect bas sur la relle admiration que le jeunereporter avait pour le clbre policier, pourriez-vous nous dire si M.Robert Darzac est au chteau en ce moment ? Voici un de ses amis, dubarreau de Paris, qui dsirerait lui parler.- Je n'en sais rien, monsieur Rouletabille, rpliqua Fred en serrant la mainde mon ami, car il avait eu l'occasion de le rencontrer plusieurs fois aucours de ses enqutes les plus difficiles... Je ne l'ai pas vu.- Les concierges nous renseigneront sans doute ? fit Rouletabille endsignant une maisonnette de briques dont porte et fentres taient closeset qui devait invitablement abriter ces fidles gardiens de la proprit. Les concierges ne vous renseigneront point, monsieur Rouletabille.- Et pourquoi donc ?- Parce que, depuis une demi-heure, ils sont arrts ! ...
- Arrts ! s'cria Rouletabille... Ce sont eux les assassins ! ... Frdric Larsan haussa les paules. Quand on ne peut pas, dit-il, d'un air de suprme ironie, arrter l'assassin,on peut toujours se payer le luxe de dcouvrir les complices !- C'est vous qui les avez fait arrter, monsieur Fred ?- Ah ! non ! par exemple ! je ne les ai pas fait arrter, d'abord parce queje suis peu prs sr qu'ils ne sont pour rien dans l'affaire, et puis parceque...- Parce que quoi ? interrogea anxieusement Rouletabille.
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- Parce que... rien... fit Larsan en secouant la tte.- Parce qu'il n'y a pas de complices ! souffla Rouletabille.Frdric Larsan s'arrta net, regardant le reporter avec intrt. Ah ! Ah ! Vous avez donc une ide sur l'affaire... Pourtant vous n'avezrien vu, jeune homme... vous n'avez pas encore pntr ici...- J'y pntrerai.- J'en doute... la consigne est formelle.- J'y pntrerai si vous me faites voir M. Robert Darzac... Faites cela pourmoi... Vous savez que nous sommes de vieux amis... Monsieur Fred... jevous en prie... Rappelez-vous le bel article que je vous ai fait propos des Lingots d'or . Un petit mot M. Robert Darzac, s'il vous plat ? La figure de Rouletabille tait vraiment comique voir en ce moment. Ellerefltait un dsir si irrsistible de franchir ce seuil au-del duquel il sepassait quelque prodigieux mystre ; elle suppliait avec une telleloquence non seulement de la bouche et des yeux, mais encore de tous lestraits, que je ne pus m'empcher d'clater de rire. Frdric Larsan, pas plusque moi, ne garda son srieux.Cependant, derrire la grille, Frdric Larsan remettait tranquillement laclef dans sa poche. Je l'examinai.C'tait un homme qui pouvait avoir une cinquantaine d'annes. Sa tte taitbelle, aux cheveux grisonnants, au teint mat, au profil dur ; le front taitprominent ; le menton et les joues taient rass avec soin ; la lvre, sansmoustache, tait finement dessine ; les yeux, un peu petits et ronds,fixaient les gens bien en face d'un regard fouilleur qui tonnait etinquitait. Il tait de taille moyenne et bien prise ; l'allure gnrale taitlgante et sympathique. Rien du policier vulgaire. C'tait un grand artisteen son genre, et il le savait, et l'on sentait qu'il avait une haute ide delui-mme. Le ton de sa conversation tait d'un sceptique et d'un dsabus.Son trange profession lui avait fait ctoyer tant de crimes et de vileniesqu'il et t inexplicable qu'elle ne lui et point un peu durci lessentiments , selon la curieuse expression de Rouletabille.Larsan tourna la tte au bruit d'une voiture qui arrivait derrire lui. Nousreconnmes le cabriolet qui, en gare d'pinay, avait emport le juged'instruction et son greffier. Tenez ! fit Frdric Larsan, vous vouliez parler M. Robert Darzac ; le
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voil ! Le cabriolet tait dj la grille et Robert Darzac priait Frdric Larsan delui ouvrir l'entre du parc, lui disant qu'il tait trs press et qu'il n'avaitque le temps d'arriver pinay pour prendre le prochain train pour Paris,quand il me reconnut. Pendant que Larsan ouvrait la grille, M. Darzac medemanda ce qui pouvait m'amener au Glandier dans un moment aussitragique.Je remarquai alors qu'il tait atrocement ple et qu'une douleur infinie taitpeinte sur son visage. Mlle Stangerson va-t-elle mieux ? demandai-je immdiatement.- Oui, fit-il. On la sauvera peut-tre. Il faut qu'on la sauve. Il n'ajouta pas ou j'en mourrai , mais on sentait trembler la fin de laphrase au bout de ses lvres exsangues.Rouletabille intervint alors : Monsieur, vous tes press. Il faut cependant que je vous parle. J'aiquelque chose de la dernire importance vous dire. Frdric Larsan interrompit : Je peux vous laisser ? demanda-t-il Robert Darzac. Vous avez une clefou voulez-vous que je vous donne celle-ci ?- Oui, merci, j'ai une clef. Je fermerai la grille. Larsan s'loigna rapidement dans la direction du chteau dont onapercevait, quelques centaines de mtres, la masse imposante.Robert Darzac, le sourcil fronc, montrait dj de l'impatience. Je prsentaiRouletabille comme un excellent ami ; mais, ds qu'il sut que ce jeunehomme tait journaliste, M. Darzac me regarda d'un air de grand reproche,s'excusa sur la ncessit o il tait d'atteindre pinay en vingt minutes,salua et fouetta son cheval. Mais dj Rouletabille avait saisi, maprofonde stupfaction, la bride, arrt le petit quipage d'un poingvigoureux, cependant qu'il prononait cette phrase dpourvue pour moi dumoindre sens : Le presbytre n'a rien perdu de son charme ni le jardin de son clat. Ces mots ne furent pas plutt sortis de la bouche de Rouletabille que je visRobert Darzac chanceler ; si ple qu'il ft, il plit encore ; ses yeuxfixrent le jeune homme avec pouvante et il descendit immdiatement desa voiture dans un dsordre d'esprit inexprimable.
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Allons ! Allons ! dit-il en balbutiant.Et puis, tout coup, il reprit avec une sorte de fureur : Allons ! monsieur ! Allons ! Et il refit le chemin qui conduisait au chteau, sans plus dire un mot,cependant que Rouletabille suivait, tenant toujours le cheval. J'adressaiquelques paroles M. Darzac... mais il ne me rpondit pas. J'interrogeai del'oeil Rouletabille, qui ne me vit pas.
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Nous arrivmes au chteau. Le vieux donjon se reliait la partie dubtiment entirement refaite sous Louis XIV par un autre corps debtiment moderne, style Viollet-le-Duc, o se trouvait l'entre principale.Je n'avais encore rien vu d'aussi original, ni peut-tre d'aussi laid, ni surtoutd'aussi trange en architecture que cet assemblage bizarre de stylesdisparates. C'tait monstrueux et captivant. En approchant, nous vmesdeux gendarmes qui se promenaient devant une petite porte ouvrant sur lerez-de-chausse du donjon. Nous apprmes bientt que, dans cerez-de-chausse, qui tait autrefois une prison et qui servait maintenant dechambre de dbarras, on avait enferm les concierges, M. et Mme Bernier.M. Robert Darzac nous fit entrer dans la partie moderne du chteau par unevaste porte que protgeait une marquise . Rouletabille, qui avaitabandonn le cheval et le cabriolet aux soins d'un domestique, ne quittaitpas des yeux M. Darzac ; je suivis son regard, et je m'aperus que celui-citait uniquement dirig vers les mains gantes du professeur la Sorbonne.Quand nous fmes dans un petit salonet garni de meubles vieillots, M.Darzac se tourna vers Rouletabille et assez brusquement lui demanda : Parlez ! Que me voulez-vous ? Le reporter rpondit avec la mme brusquerie : Vous serrer la main ! Darzac se recula : Que signifie ? videmment, il avait compris ce que je comprenais alors : que mon ami lesouponnait de l'abominable attentat. La trace de la main ensanglante surles murs de la Chambre Jaune lui apparut... Je regardai cet homme laphysionomie si hautaine, au regard si droit d'ordinaire et qui se troublait ence moment si trangement. Il tendit sa main droite, et, me dsignant : Vous tes l'ami de M. Sainclair qui m'a rendu un service inespr dansune juste cause, monsieur, et je ne vois pas pourquoi je vous refuserais lamain...
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Rouletabille ne prit pas cette main. Il dit, mentant avec une audace sanspareille : Monsieur, j'ai vcu quelques annes en Russie, d'o j'ai rapport cetusage de ne jamais serrer la main quiconque ne se dgante pas. Je crus que le professeur en Sorbonne allait donner un libre cours lafureur qui commenait l'agiter, mais au contraire, d'un violent effortvisible, il se calma, se dganta et prsenta ses mains. Elles taient nettes detoute cicatrice. tes-vous satisfait ?- Non ! rpliqua Rouletabille. Mon cher ami, fit-il en se tournant vers moi,je suis oblig de vous demander de nous laisser seuls un instant. Je saluai et me retirai, stupfait de ce que je venais de voir et d'entendre, etne comprenant pas que M. Robert Darzac n'et point dj jet la portemon impertinent, mon injurieux, mon stupide ami... Car, cette minute,j'en voulais Rouletabille de ses soupons qui avaient abouti cette scneinoue des gants...Je me promenai environ vingt minutes devant le chteau, essayant de relierentre eux les diffrents vnements de cette matine, et n'y parvenant pas.Quelle tait l'ide de Rouletabille ? tait-il possible que M. Robert Darzaclui appart comme l'assassin ? Comment penser que cet homme, quidevait se marier dans quelques jours avec Mlle Stangerson, s'tait introduitdans la Chambre Jaune pour assassiner sa fiance ?
Enfin, rien n'tait venu m'apprendre comment l'assassin avait pu sortir dela Chambre Jaune ; et, tant que ce mystre qui me paraissaitinexplicable ne me serait pas expliqu, j'estimais, moi, qu'il tait du devoirde tous de ne souponner personne. Enfin, que signifiait cette phraseinsense qui sonnait encore mes oreilles : le presbytre n'a rien perdu deson charme ni le jardin de son clat ! J'avais hte de me retrouver seulavec Rouletabille pour le lui demander. ce moment, le jeune homme sortit du chteau avec M. Robert Darzac.Chose extraordinaire, je vis au premier coup d'oeil qu'ils taient lesmeilleurs amis du monde. Nous allons la Chambre Jaune, me dit Rouletabille, venez avec nous.Dites-donc, cher ami, vous savez que je vous garde toute la journe. Nous
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djeunons ensemble dans le pays...- Vous djeunerez avec moi, ici, messieurs...- Non, merci, rpliqua le jeune homme. Nous djeunerons l'auberge du Donjon ...- Vous y serez trs mal... Vous n'y trouverez rien.- Croyez-vous ? ... Moi j'espre y trouver quelque chose, rpliquaRouletabille. Aprs djeuner, nous retravaillerons, je ferai mon article,vous serez assez aimable pour me le porter la rdaction...- Et vous ? Vous ne revenez pas avec moi ?- Non ; je couche ici... Je me retournai vers Rouletabille. Il parlait srieusement, et M. RobertDarzac ne parut nullement tonn...Nous passions a lors devant le donjon et nous entendmes desgmissements. Rouletabille demanda : Pourquoi a-t-on arrt ces gens-l ?- C'est un peu de ma faute, dit M. Darzac.J'ai fait remarquer hier au juge d'instruction qu'il est inexplicable que lesconcierges aient eu le temps d'entendre les coups de revolver, des'habiller , de parcourir l'espace assez grand qui spare leur loge dupavillon, tout cela en deux minutes ; car il ne s'est pas coul plus de deuxminutes entre les coups de revolver et le moment o ils ont t rencontrspar le pre Jacques.- videmment, c'est louche, acquiesa Rouletabille... Et ils taienthabills... ?- Voil ce qui est incroyable... ils taient habills... entirement ,solidement et chaudement... Il ne manquait aucune pice leur costume.La femme tait en sabots, mais l'homme avait ses souliers lacs . Or, ilsont dclar s'tre couchs comme tous les soirs neuf heures. En arrivant,ce matin, le juge d'instruction, qui s'tait muni, Paris, d'un revolver demme calibre que celui du crime (car i l ne veut pas toucher aurevolver-pice conviction), a fait tirer deux coups de revolver par songreffier dans la Chambre Jaune, fentre et porte fermes. Nous tionsavec lui dans la loge des concierges ; nous n'avons rien entendu... on nepeut rien entendre. Les concierges ont donc menti, cela ne fait point dedoute... Ils taient prts ; ils taient dj dehors non loin du pavillon ; ils
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attendaient quelque chose. Certes, on ne les accuse point d'tre les auteursde l'attentat, mais leur complicit n'est pas improbable... M. de Marquet lesa fait arrter aussitt.- S'ils avaient t complices, dit Rouletabille, ils seraient arrivs dbraills,ou plutt ils ne seraient pas arrivs du tout. Quand on se prcipite dans lesbras de la justice, avec sur soi tant de preuves de complicit, c'est qu'onn'est pas complice. Je ne crois pas aux complices dans cette affaire.- Alors, pourquoi taient-ils dehors minuit ? Qu'ils le disent ! ...- Ils ont certainement un intrt se taire. Il s'agit de savoir lequel... Mmes'ils ne sont pas complices, cela peut avoir quelque importance. Tout estimportant de ce qui se passe dans une nuit pareille... Nous venions de traverser un vieux pont jet sur la Douve et nous entrionsdans cette partie du parc appele la Chnaie . Il y avait l des chnescentenaires. L'automne avait dj recroquevill leurs feuilles jaunies etleurs hautes branches noires et serpentines semblaient d'affreuseschevelures, des noeuds de reptiles gants entremls comme le sculpteurantique en a tordu sur sa tte de Mduse. Ce lieu, que Mlle Stangersonhabitait l't parce qu'elle le trouvait gai, nous apparut, en cette saison,triste et funbre. Le sol tait noir, tout fangeux des pluies rcentes et de labourbe des feuilles mortes, les troncs des arbres taient noirs, le ciellui-mme, au-dessus de nos ttes, tait en deuil, charriait de gros nuageslourds. Et, dans cette retraite sombre et dsole, nous apermes les mursblancs du pavillon. trange btisse, sans une fentre visible du point oelle nous apparaissait. Seule une petite porte en marquait l'entre. On etdit un tombeau, un vaste mausole au fond d'une fort abandonne... mesure que nous approchions, nous en devinions la disposition. Cebtiment prenait toute la lumire dont il avait besoin, au midi, c'est--direde l'autre ct de la proprit, du ct de la campagne. La petite portereferme sur le parc, M. et Mlle Stangerson devaient trouver l une prisonidale pour y vivre avec leurs travaux et leur rve.Je vais donner tout de suite, du reste, le plan de ce pavillon. Il n'avait qu'unrez-de-chausse, o l'on accdait par quelques marches, et un grenier assezlev qui ne nous occupera en aucune faon . C'est donc le plan durez-de-chausse dans toute sa simplicit que je soumets au lecteur.Il a t trac par Rouletabille lui-mme, et j'ai constat qu'il n'y manquait
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pas une ligne, pas une indication susceptible d'aider la solution duproblme qui se posait alors devant la justice. Avec la lgende et le plan,les lecteurs en sauront tout autant, pour arriver la vrit, qu'en savaitRouletabille quand il pntra dans le pavillon pour la premire fois et quechacun se demandait : Par o l'assassin a-t-il pu fuir de la ChambreJaune ?
1. Chambre Jaune, avec son unique fentre grille et son unique portedonnant sur le laboratoire.2. Laboratoire, avec ses deux grandes fentres grilles et ses portes ;donnant l'une sur le vestibule, l'autre sur la Chambre Jaune.3. Vestibule, avec sa fentre non grille et sa porte d'entre donnant sur leparc.4. Lavatory.5. Escalier conduisant au grenier.6. Vaste et unique chemine du pavillon servant aux expriences delaboratoire.Avant de gravir les trois marches de la porte du pavillon, Rouletabille nousarrta et demanda brle-pourpoint M. Darzac : Eh bien ! Et le mobile du crime ?- Pour moi, monsieur, il n'y a aucun doute avoir ce sujet, fit le fianc deMlle Stangerson avec une grande tristesse. Les traces de doigts, les profondes corchures sur la poitrine et au cou deMlle Stangerson attestent que le misrable qui tait l avait essay unaffreux attentat. Les mdecins experts, qui ont examin hier ces traces,affirment qu'elles ont t faites par la mme main dont l ' image
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ensanglante est reste sur le mur ; une main norme, monsieur, et qui netiendrait point dans mon gant, ajouta-t-il avec un amer et indfinissablesourire...- Cette main rouge, interrompis-je, ne pourrait donc pas tre la trace desdoigts ensanglants de Mlle Stangerson, qui, au moment de s'abattre, auraitrencontr le mur et y aurait laiss, en glissant, une image largie de samain pleine de sang ?- il n'y avait pas une goutte de sang aux mains de Mlle Stangerson quandon l'a releve, rpondit M. Darzac.- On est donc sr, maintenant, fis-je, que c'est bien Mlle Stangerson quis'tait arme du revolver du pre Jacques, puisqu'elle a bless la main del'assassin. Elle redoutait donc quelque chose ou quelqu'un ?- C'est probable...- Vous ne souponnez personne ?- Non... , rpondit M. Darzac, en regardant Rouletabille.Rouletabille, alors, me dit :- Il faut que vous sachiez, mon ami, que l'instruction est un peu plusavance que n'a voulu nous le confier ce petit cachottier de M. de Marquet.Non seulement l'instruction sait maintenant que le revolver fut l'arme dontse servit, pour se dfendre, Mlle Stangerson, mais elle connat, mais elle aconnu tout de suite l'arme qui a servi attaquer, frapper Mlle Stangerson.C'est, m'a dit M. Darzac, un os de mouton . Pourquoi M. de Marquetentoure-t-il cet os de mouton de tant de mystre ? Dans le dessein defaciliter les recherches des agents de la Sret ? Sans doute. Il imaginepeut-tre qu'on va retrouver son propritaire parmi ceux qui sont bienconnus, dans la basse pgre de Paris, pour se servir de cet instrument decrime, le plus terrible que la nature ait invent... Et puis, est-ce qu'on saitjamais ce qui peut se passer dans une cervelle de juge d'instruction ? ajouta Rouletabille avec une ironie mprisante.J'interrogeai : On a donc trouv un os de mouton dans la Chambre Jaune ?- Oui, monsieur, fit Robert Darzac, au pied du lit ; mais je vous en prie :n'en parlez point. M. de Marquet nous a demand le secret. (Je fis un gestede protestation.) C'est un norme os de mouton dont la tte, ou, pour mieuxdire, dont l'articulation tait encore toute rouge du sang de l'affreuse
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blessure qu'il avait faite Mlle Stangerson. C'est un vieil os de mouton quia d servir dj quelques crimes, suivant les apparences. Ainsi pense M.de Marquet, qui l'a fait porter Paris, au laboratoire municipal, pour qu'ilft analys. Il croit, en effet, avoir relev sur cet os non seulement le sangfrais de la dernire victime, mais encore des traces rousstres qui neseraient autres que des taches de sang sch, tmoignages de crimesantrieurs.- un os de mouton, dans la main d'un assassin exerc , est une armeeffroyable, dit Rouletabille, une arme plus utile et plus sre qu'un lourdmarteau.- Le misrable l'a d'ailleurs prouv, fit douloureusement M. RobertDarzac. L'os de mouton a terriblement frapp Mlle Stangerson au front.L'articulation de l'os de mouton s'adapte parfaitement la blessure. Pourmoi, cette blessure et t mortelle si l'assassin n'avait t demi arrt,dans le coup qu'il donnait, par le revolver de Mlle Stangerson. Bless lamain, il lchait son os de mouton et s'enfuyait. Malheureusement, le coupde l'os de mouton tait parti et tait dj arriv... et Mlle Stangerson taitquasi assomme, aprs avoir failli tre trangle. Si Mlle Stangerson avaitrussi blesser l'homme de son premier coup de revolver, elle et, sansdoute, chapp l'os de mouton... Mais elle a saisi certainement sonrevolver trop tard ; puis, le premier coup, dans la lutte, a dvi, et la balleest alle se loger dans le plafond ; ce n'est que le second coup qui aport... Ayant ainsi parl, M. Darzac frappa la porte du pavillon. Vousavouerai-je mon impatience de pntrer dans le lieu mme du crime ? J'entremblais, et, malgr tout l'immense intrt que comportait l'histoire de l'osde mouton, je bouillais de voir que notre conversation se prolongeait et quela porte du pavillon ne s'ouvrait pas.Enfin, elle s'ouvrit.Un homme, que je reconnus pour tre le pre Jacques, tait sur le seuil.Il me parut avoir la soixantaine bien sonne. Une longue barbe blanche,des cheveux blancs sur lesquels il avait pos un bret basque, un completde velours marron ctes us, des sabots ; l'air bougon, une figure assezrbarbative qui s'claira cependant ds qu'il eut aperu M. Robert Darzac.
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Des amis, fit simplement notre guide. Il n'y a personne au pavillon, preJacques ?- Je ne dois laisser entrer personne, monsieur Robert, mais bien sr laconsigne n'est pas pour vous... Et pourquoi ? Ils ont vu tout ce qu'il y avait voir, ces messieurs de la justice. Ils en ont fait assez des dessins et desprocs-verbaux...- Pardon, monsieur Jacques, une question avant toute autre chose, fitRouletabille.- Dites, jeune homme, et, si je puis y rpondre...- Votre matresse portait-elle, ce soir-l, les cheveux en bandeaux, voussavez bien, les cheveux en bandeaux sur le front ?- Non, mon p'tit monsieur. Ma matresse n'a jamais port les cheveux enbandeaux comme vous dites, ni ce soir-l, ni les autres jours. Elle avait,comme toujours, les cheveux relevs de faon ce qu'on pouvait voir sonbeau front, pur comme celui de l'enfant qui vient de natre ! ... Rouletabille grogna, et se mit aussitt inspecter la porte. Il se renditcompte de la fermeture automatique. Il constata que cette porte ne pouvaitjamais rester ouverte et qu'il fallait une clef pour l'ouvrir. Puis nousentrmes dans le vestibule, petite pice assez claire, pave de carreauxrouges. Ah ! voici la fentre, dit Rouletabille, par laquelle l'assassin s'est sauv...- Qu'ils disent ! monsieur, qu'ils disent ! Mais, s'il s'tait sauv par l,nous l'aurions bien vu, pour sr ! Sommes pas aveugles ! ni M.Stangerson, ni moi, ni les concierges qui-z-ont mis en prison ! Pourquoiqui ne m'y mettent pas en prison, moi aussi, cause de mon revolver ? Rouletabille avait dj ouvert la fentre et examin les volets. Ils taient ferms, l'heure du crime ?- Au loquet de fer, en dedans, fit le pre Jacques... et moi j'suis bien srque l'assassin a pass au travers...
- Il y a des taches de sang ? ...- Oui, tenez, l, sur la pierre, en dehors... Mais du sang de quoi ? ...- Ah ! fit Rouletabille, on voit les pas... l, sur le chemin... la terre taittrs dtrempe... nous examinerons cela tout l'heure...- Des btises ! Interrompit le pre Jacques... L'assassin n'a pas pass par
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l ! ...- Eh bien, par o ? ...- Est-ce que je sais ! ... Rouletabille