Garland - L`intervention preliminaires dans les nevroses traumatiques

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Revue française de psychanalyse (Paris) Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque Sigmund Freud

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Garland - L`intervention preliminaires dans les nevroses traumatiques

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  • Revue franaise depsychanalyse (Paris)

    Source gallica.bnf.fr / Bibliothque Sigmund Freud

  • Socit psychanalytique de Paris. Revue franaise de psychanalyse (Paris). 1927.

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  • L'intervention prliminairedans l'abord des nvroses traumatiques

    Caroline GARLAND

    En 1995, Caroline Garland avait accept l'invitation du Centre Jean-Favreau et nous avions ttout particulirement intresss, dans son expos, par la prsentation du cas dramatique de M. O'R. etpar la manire claire et rigoureuse dont se trouvaient poss et rsolus, la Tavistock Clinic, les enjeux sidlicats de la rencontre initiale avec des patients souffrant de nvrose traumatique.

    Un tel expos avait naturellement sa place dans ce numro consacr la Rencontre : l'essentiel estprsent dans le texte publi ci-dessous. Cependant, celui-ci n'est que la transcription d'une sance d'unsminaire d'enseignement de la Tavistock centr sur le thme du trauma ; il s'agit d'un enseignement quin'est pas destin des analystes, ce qui explique le caractre simplifi des brefs dveloppements mtapsy-chologiques relatifs la conception du traumatisme (J.-L. Donnet).

    Le traumatisme est un sujet dont on parle beaucoup en ce moment, commeon en a sans doute toujours parl, mais il y en existe de toutes sortes. Rcem-ment, dans un journal, mon attention a t attire par le titre d'un article, Jurytraumatis , qui traitait des squelles traumatiques possibles chez les jurs quisont exposs aux horreurs criminelles, et plus prcisment le cas de RosemaryWest. Grce la presse, nous sommes trs au courant de ce qui se passe en Bos-nie et l'on sait par ce qu'ils racontent que les vtrans de la guerre des Malouinescontinuent tre hants par ce qu'ils ont vcu. Il est certain que les vnementstraumatiques ont des rpercussions profondes et durables chez ceux qui les ontvcus. Par dfinition, un traumatisme est quelque chose que l'on ne peut pas soi-gner avec des moyens ordinaires. Ainsi, M. O'Reilly vint demander de l'aide laclinique, au service des soins aux traumatiss, parce qu'il lui tait arriv quelquechose de terrible, quelque chose de si inattendu et qui avait laiss chez lui dessquelles si lourdes qu'il en tait totalement dvast, non pas une difficult pas-sagre comme peut l'tre un problme relationnel, un tat d'angoisse ou unedpression, mais parce qu'il tait perturb par des souvenirs et des cauchemars.Il demandait de l'aide pour arriver surmonter ces symptmes.Rev. franc. Psychanal. 1/1998

  • 76 Caroline Garland

    A la plupart de ceux qui viennent nous consulter pour ce type d'aide, nousoffrons quatre sances d'environ une heure et demi avec un membre de notre

    quipe, espaces de trois semaines, sur une dure d'environ deux mois et demi.J'exposerai en dtail le contenu des quatre sances de M. O'Reilly, en esprantmontrer le caractre trs particulier de ce genre d'intervention et ce que nouspouvons en attendre.

    M. O'Reilly, venu d'Irlande, tait arriv en Angleterre l'ge de vingt ans etil en avait quarante lorsqu'il vint me consulter la clinique. Bien qu'il m'appa-rut beau garon et quilibr, je savais que quelque chose n'allait pas chez lui : ilavait suivi avec succs une formation comme dlgu au Comit de surveillancedes prisons et tait arriv un poste suprieur. Mais quatre ans avant que je lereoive, il avait t victime d'un incident srieux alors qu'il rendait visite undtenu malade : alors qu'il tait en conversation au chevet de cet homme, undtenu agressif qui avait dj eu des histoires de violence l'avait sauvagementattaqu par derrire avec une chaise, le blessant srieusement la tte et auvisage. Il s'tait retrouv par terre, saignant abondamment, pendant que sonassaillant, un pied sur son cou, cherchait l'touffer. Il s'tait vanoui sous lecoup de la douleur avec l'ide horrifiante qu'il allait mourir. C'est un autredtenu qui l'avait sauv quelques minutes plus tard, rejoint tardivement parl'quipe hospitalire qui tait arrive matriser l'assaillant. M. O'Reilly s'entait tir avec un visage couvert de bleus et une douzaine de points de suture surla tte, ce qui lui avait valu un arrt de travail de plusieurs semaines.

    Peu de temps aprs cet incident, il reut chez lui la visite de deux membresde la direction de l'hpital carcral qu'il connaissait bien et avec qui il travaillait,qui lui demandrent de ne pas dire exactement la commission d'enqute ce quitait arriv et essayrent de lui imposer une version diffrente des faits.M. O'Reilly en dduisit qu'ils craignaient d'tre pris en faute parce qu'ils avaientinsuffisamment surveill son assaillant. Ils le menacrent de reprsailles s'il disaitla vrit sur ce qui s'tait vraiment pass, mais honnte et courageux,M. O'Reilly prit la plume et ft la Commission d'enqute un rapport exact surl'incident. Mais ses deux collgues firent en sorte qu'il soit accus et qu'il passedevant le Conseil de discipline. Deux ans plus tard, M. O'Reilly, qui entre-tempsavait t mut ailleurs et un poste subalterne, fut enfin dclar non coupable,alors que ses deux suprieurs faisaient l'objet d'une enqute disciplinaire. Quatreans aprs cette victoire, M. O'Reilly, qui tait venu me consulter, me dit que savie avait perdu tout son sens et qu'il ne voyait pas son avenir avec optimisme : iln'arrivait plus travailler, avait peur de sortir et sa vie tait gche par l'an-goisse qu'il ressentait.

    Le cas que je viens d'exposer montre quel point une exprience de ce genrepeut dstabiliser quelqu'un et, comme nous le savons, on ne peut vraiment com-

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    prendre l'impact d'un traumatisme que si on connat les dtails de la vie dupatient. Les gens ragissent plus ou moins violemment devant un vnementinattendu et selon les moments. Il est important, pour comprendre l'impactqu'un traumatisme peut avoir sur le patient, de le replacer dans le contexte de savie et de son histoire. C'est l un des bnfices que peut apporter la consultationsi on explore les dtails de la vie infantile du patient et son histoire personnelle,la qualit de ses relations d'objet internes et externes. C'est grce au transfertque l'on peut dceler la nature des objets internes : c'est--dire que cette relationinterne se rvle dans la manire dont le patient peroit la personne du thra-peute et dans son interaction avec lui. C'est pourquoi, au cours des quatresances dont je parle, je n'ai pas suivi une structure thrapeutique classique. Lesrelations d'objet deviennent visibles et vivantes au fur et mesure du discours dupatient. Grce toutes les donnes recueillies au cours de la consultation, thra-peute et survivant sont en mesure de commencer comprendre l'vnement partir de l'image que le patient donne de lui-mme avant la survenue du trauma-tisme, la raison pour laquelle il se trouvait prcisment sur le lieu de l'incident etles rpercussions que cet incident a eues sur lui particulirement en termes d'ob-jets internes. Il ne s'agit pas l de rsumer des faits mais de montrer ce que peutapporter une relation thrapeutique.

    Une squence de quatre sances espaces favorise le processus de mise aujour des problmes et la relation avec le thrapeute. Quatre sances suffisentpour le dbut, le milieu et la fin de cette relation thrapeutique. C'est l ce que jevais illustrer par l'expos de quelques dtails du traitement de M. O'Reilly :

    Lors de notre premire entrevue, M. O'Reilly prsentait l'image mme del'homme bless et dsespr, paules tombantes et regard baiss. Il me dit qu'ilavait toujours pens qu'il avait de la chance parce qu'il se jugeait comme quel-qu'un de gai et chaleureux, satisfait de son mariage et de ses deux enfants, gar-on et fille. Mais tout avait chang partir de l'incident qu'il me raconta d'unseul trait pendant vingt minutes, tout doucement, posment, d'une voix dses-pre. Il semblait particulirement obnubil par l'attaque dont il avait t l'ob-jet, plus que par le blme sous le coup duquel il tait encore cette poque. Ilme dit qu'il continuait toujours revivre cette scne: C'est comme si as'tait pass hier. Je revois l'homme qui m'a attaqu, je peux le dcrire, jerevois les bagues qu'il avait aux doigts, j'entends encore ce qu'il me disait, cequ'il faisait. Mon principal problme c'est que je n'arrive pas oublier. Iltait de plus en plus dprim et angoiss, au point de ne plus mme supporterla sonnerie de la porte ; il n'arrivait plus dormir ou bien se rveillait subite-ment, en sueur, cause d'un cauchemar rptitif au cours duquel il tait atta-qu. Il continuait travailler mais devait lutter contre une panique incoercibleds qu'il y avait la moindre tension autour de lui. Peu de temps avant que je

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    le reoive, sa peur avait atteint un tel degr qu'il avait arrt de travailler. Sonmariage lui-mme commenait battre de l'aile. Il me dit : Depuis l'incident,je n'ai plus de relations sexuelles avec ma femme. Nous n'en sommes pasencore au divorce mais nous faisons maintenant chambre part. Nous nousaimons toujours, mais comme une chose en entrane une autre, notre pro-blme, au lieu de s'arranger, est en train de s'envenimer.

    Au cours de cette sance, il me dit qu'il avait vcu deux moments particuli-rement dprimants, l'un pendant et l'autre aprs l'incident. Au cours du premier,lorsqu'il tait allong sur le sol, saignant abondamment, il avait atteint lecomble du dsespoir et pensait qu'il allait mourir, sans tre capable de faire quoique ce soit. A ce moment-l, lui tait venue en tte l'image de son fils qui luienjoignait de se lever et de filer, ce qu'il n'avait pas pu faire.

    Le deuxime moment d'angoisse qu'il avait vcu remontait la visite deses deux suprieurs lorsqu'ils l'avaient menac devant sa femme et son fils. Ilme dit qu' ces deux occasions, il avait eu l'impression d'avoir laiss tombersa famille : J'tais le mari, le chef de famille et je ne pouvais rien faire. J'ailaiss ces gens m'intimider devant ma femme et mon fils et je n'ai rien fait,sinon pleurer devant eux, ce qui ne m'tait jamais arriv avant. Pour moi,pleurer est un signe de faiblesse.

    Je lui dis alors que je pensais qu'il tait en train de me dire que l'image d'unhomme fort, capable de traiter avec des clients difficiles mais aussi capable deprotger sa famille contre les menaces tait extrmement importante pour lui,une image dont il tait trs fier et qui lui ressemblait sur bien des points ; j'ajou-tai que je pensais qu'il avait l'impression que c'tait l des traits de son caractrequ'il avait perdus. Il accepta cette interprtation et me dit qu'aprs l'incident,lorsqu'il attendait le verdict de la Commission disciplinaire et qu'on l'avaitrtrograd un poste subalterne, il avait pens au suicide parce qu'il avait lesentiment d'avoir tout perdu : J'avais perdu ma femme, mon enfant, tout ceque j'avais, et c'tait insupportable. En fait, sa femme est reste et l'a beaucoupaid, mais je pense qu'il avait perdu son image de mari et de pre protecteur.C'tait la premire fois qu'il n'arrivait plus assumer ce rle et c'est son fils quiavait pris l'initiative de dire exactement ce qui s'tait pass la Commission dis-ciplinaire, grce quoi on avait compris qu'il n'tait pas coupable : mais lorsqueM. O'Reilly avait appris que c'tait son fils qui avait jou le rle de chef defamille, il en avait t particulirement humili. Au cours de la sance, je lui disalors qu'il me semblait que, bien avant l'incident, il pensait ne pas tre capabled'assumer toutes ses responsabilits, ce dont il convint. Je lui montrai donc unautre aspect de la situation en lui faisant remarquer que personne n'tait venu son secours pendant les quelques minutes horribles o il avait pens qu'il allaitmourir : C'est vrai, me dit-il, tout le monde s'est enfui et ce n'est qu'au bout

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    d'un moment qu'un malade est venu me secourir. L'quipe des soignants a com-menc par s'enfermer dans le bureau quand ils ont compris que a se passait malet qu'ils ont eu peur. Je me suis senti lch par ceux qui auraient d m'aider, etdepuis lors, je n'imagine pas que quelqu'un puisse m'aider, c'est un sentimentque je n'ai jamais eu auparavant.

    Lors de la premire consultation, il arrive qu'un thrapeute soit accrochpar le rcit du patient. Que ce rcit soit plus ou moins complet ou plus ou moinsclair, l'important est que l'exprience soit mise en mots avec quelqu'un quicoute. Il tait clair que M. O'Reilly n'avait jamais pu se dbarrasser de l'an-goisse de l'exprience qu'il avait vcue et qu'il en tait compltement dstabilis.Nous, thrapeutes, par notre coute active et en aidant le patient mettre enmots son traumatisme, nous pouvons dire que nous lui offrons notre contenantmental et que son moi fonctionne alors comme un moi auxiliaire. Nous sommesun peu comme une mre avec son bb, dans ce sens qu'elle s'occupe du bbdsarm et impuissant qui subsiste chez le patient, ce que Bion a dcrit commele processus au cours duquel la mre contient les sensations primaires de sonbb en les prenant en elle, avec sa capacit penser, rver et prouver, grce quoi elle parvient comprendre ce qu'prouve son enfant et, de ce fait, letransformer en quelque chose d'labor qui peut tre chang. Ainsi, un bbdprim et angoiss pourra tre contenu si sa mre a la capacit de le prendre encharge psychiquement sans qu'elle en soit affecte. Alors son tour, dit Bion, lebb devient capable d'introjecter sa mre et d'acqurir la capacit de contenirsa propre exprience et celle de sa mre. Cette sorte de reprsentation maternelleinterne qui contient et protge contre l'envahissement est ce que nous appelons,dans notre langage psychanalytique, le bon objet interne.

    Celui ou celle qui a survcu un traumatisme ou un dsastre a perdu laconfiance lmentaire qu'il avait peu peu acquise dans ses bons objetsinternes qui lui servaient de protection contre les expriences difficiles (cer-taines personnes n'ont pas l'occasion de trouver ces bons objets de sorte qu'ilest ncessaire de comprendre le traumatisme dans ce contexte). En psychana-lyse, on peut comprendre toutes les expriences partir des objets internes, demme que les vnements malheureux de la vie peuvent survenir cause desmauvais objets et l'absence des bons. C'est la thorie qui s'applique aux exp-riences extrmes alors que la perte de quelqu'un ou une menace de mort(maladie) peut tre bien vcue.

    Tout comme il y a catastrophe externe, il y a catastrophe interne, tat danslequel le monde interne est dpourvu de bons objets et envahi par les mauvais.Aprs la catastrophe, le monde externe sur lequel le monde interne s'est projetcontinue d'tre vcu comme hostile et dangereux. L'vnement traumatique estvcu sur le plan interne comme une trahison du bon objet. Quelle que soit la

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    nature de la catastrophe, elle se transforme en relation d'objet interne, laquellese rvle dans la relation transfrentielle avec le thrapeute et devient, comme jel'ai dit, dpendante des objets internes qui existaient avant que survienne le trau-matisme. Pour M. O'Reilly, l'exprience qu'il avait vcue avait t particulire-ment destructrice parce qu'il avait t trahi par ses bons objets, pendant qu'onl'assaillait puis aprs coup, lorsque ses suprieurs ne l'avaient pas soutenu etavaient au contraire essay de le couler. Une exprience involontaire provoquepresque toujours chez le traumatis des sentiments de colre et de dfiance qu'ilprojette sur ceux qui cherchent l'aider, professionnels, amis ou famille. Lors denotre premire sance, alors que nous tentions, M. O'Reilly et moi, de donnerdu sens ce qui lui tait arriv, j'avais compris que le doute dont il m'avait faitpart sur l'aide qu'on pouvait lui apporter s'appliquait galement notre travailcommun. J'en profitai pour lui poser la question mais il m'assura trs calme-ment qu'il avait toujours cru la thrapie mais que jusqu'alors il ne savait pasque quelqu'un pouvait l'aider.

    Je me sentis oblige de le rassurer, sans doute cause de son tat : il mesemble que le thrapeute peut tre amen dire son patient : Je ne suis pascomme a, je suis l pour vous aider en sortir et non pas pour vous trahir etvous laisser tomber. Mais cette attitude risque de faire penser au patient queson thrapeute ne supporte pas sa dfiance. Sur un certain plan, le thrapeutedcevra son patient parce qu'il ne pourra jamais lui garantir qu'il ne lui arriveraplus jamais rien et que tout se passera bien dans sa vie, et certainement pas enquatre sances. C'est ce qu'il est important de lui faire comprendre. Celui quiil arrive quelque chose de terrible et d'inattendu voit le monde chavirer, et le butd'une partie de la thrapie est d'analyser la souffrance, la colre et la rage qui endcoulent en aidant le patient les mettre en mots et les analyser de faon luiredonner confiance. Pour rsumer, la consultation offre au patient l'occasion derevenir et de rflchir sur le traumatisme qu'il a subi, mais cette fois en tantcontenu. C'est l la tche ardue du thrapeute qui doit tre capable d'entendreet de supporter tout l'ventail de sentiments de son patient traumatis. Il sem-blait vident que M. O'Reilly ne me faisait pas confiance parce que, lors de sadeuxime sance, il me dit sur le ton de la confidence qu'il me souponnait d'treen contact avec son employeur (le ministre de la Sant) et que cela risquait decompromettre sa future situation. Je lui fis remarquer qu'il me mettait dans lemme sac que ses collgues qui il ne pouvait plus faire confiance et, avec millehsitations et salamalecs destins m'apaiser, il m'assura qu'il n'avait pas d'ani-mosit contre moi et qu'il ne me trahirait pas, comme il l'avait fait avec ses col-lgues qu'il avait dnoncs quatre ans auparavant.

    Comme on peut s'y attendre la suite d'un traumatisme, M. O'Reilly secomportait comme quelqu'un qui a peur de ses sentiments de rage lorsqu'il y eu

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    destruction externe. Mais chez lui, quatre ans aprs, un pas vers le mieux requ-rait qu'il soit capable d'prouver de la rage, d'une part en raison de l'attaquedont il avait t victime et d'autre part cause de la trahison de ses collguesqui, n'tant venus le secourir que tardivement, lui avaient donn l'impressiond'tre abandonn par eux. Il avait bien conscience de la colre qu'il nourrissaitcontre eux, mais il la redoutait et s'employait la refouler, tout en tant bris,craignant les dangers du monde hostile et redoutable qui se trouvait derrire saporte. Je fus frappe par la passivit et la docilit qu'il manifesta, particulire-ment au cours de nos deux premires sances, et malgr la rage qu'il ressentaitcontre ses collgues, sa suspicion et sa colre mon endroit parce qu'il n'allaitpas bien, il resta soumis et servile. Il me sembla qu'il projetait maintenant sarage sur le monde extrieur, ce qui ne me facilitait pas la tche pour l'aider ladtourner. Deux raisons motivaient son comportement, dont nous pmes par-ler : d'une part sa colre signifiait qu'il s'identifiait la violence de son agresseurqui avait fait la preuve de sa puissance puisqu'il avait t sur le point de le sup-primer. Aussi, si M. O'Reilly avait surmont cette preuve et avait reprisconfiance en lui, il risquait d'tre attaqu et trahi nouveau. Par consquent,plutt que de prendre ce risque, il prfrait rester passif et humili, circonspect etsuspicieux au point de ne plus ouvrir sa porte, de peur de se confronter unmonde bienveillant qui lui aurait prouv qu'il se trompait.

    D'autre part, M. O'Reilly avait eu peur de mourir et bien qu'il n'ait pas ttu, il se comportait comme quelqu'un qui l'avait t. Il tait devenu une sortede non-personne , quelqu'un qui on avait drob la vie. Tout en en souf-frant, il prfrait cette situation qu'inconsciemment il jugeait plus scurisante aurisque d'une ventuelle nouvelle attaque, tout comme il s'acharnait avoir avecmoi une relation tendue et pleine d'animosit.

    Au fur et mesure de la sance, il devint vident que l'attitude deM. O'Reilly tait directement lie ses relations primaires qui l'affectaientencore. Puis, pendant la deuxime et troisime sance, il commena voquerson pass; il tait le plus jeune d'une famille irlandaise et pauvre de huitenfants; il avait perdu ses parents, la mre quinze ans auparavant et le predix-huit ans. Il me raconta que sa mre avait t longtemps malade avant demourir et il pleura en se rappelant quel point elle tait faible et dprime.Son pre qui tait employ des Douanes travaillait dur pour lever ses huitenfants. Il avait l'image d'un pre fort, honnte et responsable, d'humeurgale. M. O'Reilly me dit que son pre l'avait lev en lui disant qu'un garonne doit jamais montrer ses motions, par consquent ne doit pas pleurer etdoit toujours garder le contrle de soi. Il ajouta que c'tait la raison pourlaquelle il lui tait extrmement difficile de parler de ses sentiments. Il me fitune description trs vivante de sa mre qui s'tait entirement dvoue sa

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    famille, et lorsque je lui demandai s'il avait un souvenir de sa toute petiteenfance, il me raconta un incident qui lui tait arriv : il jouait nu-pieds dansun pr, tout prs de l'endroit isol o vivait la famille, et il avait march surdu verre cass. Il s'tait coup si profondment et il saignait si fort qu'il avaiteu l'angoisse affreuse que personne ne vienne le secourir. Il avait commenc marcher vers la maison lorsque sa mre tait arrive, qui l'avait pris dans sesbras et avait appel l'ambulance pour l'emmener l'hpital.

    Il me fit l une peinture de parents qui ne laissent jamais tomber leur enfantet ne le laissent pas mourir.

    Comme son pre, M. O'Reilly tait devenu employ des Douanes, maiscontrairement lui, il avait dmissionn au bout d'un an et demi pour entrerau Comit de surveillance des prisons. Il me sembla que le choix de cette pro-fession tait la fois une faon de s'identifier une mre attentive et dvoueet un pre fort et responsable ; il n'avait pas cherch s'occuper directementdes criminels mais il avait choisi une profession qui avait voir avec les soinsqu'on leur donne, cette approche lui donnant une ide de force et deconfiance. Il avait donc tout fait pour devenir un vritable professionnel danscette branche, s'occupant des criminels et menant une vie de famille irrpro-chable. Depuis son enfance, il se croyait fort et invulnrable, l'image de sesparents, ce qui revtait un sens particulier chez lui, le plus jeune de la famille,par essence mme le plus faible et le plus vulnrable. M. O'Reilly me racontaquelque chose qui tait particulirement embarrassant et humiliant pour lui, savoir que depuis qu'il avait t attaqu, il lui arrivait de mouiller son ht. C'est curieux, c'est quelque chose dont je ne me souvenais pas ; j'ai eu quel-quefois le mme problme lorsque j'tais enfant ; je me sentais si humili ! J'intervins alors pour lui dire que je pensais que ce problme avait un sensparticulier pour lui en ce qu'il lui donnait le sentiment d'tre amput de sescapacits d'adulte masculin et d'tre identifi la fois une mre devenue vul-nrable la fin de sa vie et un enfant abandonn qui mouille son lit ou seblesse aux pieds, situation extrmement humiliante qui lui donnait l'impressiond'avoir tout perdu (tout comme il avait perdu contact avec ses bons objets pri-maires internes, ses parents). Il me semble que cet tat interne, un mondeinterne qui a tourn au cauchemar, me fut rvl par un rve qu'il me rap-porta et qu'il avait souvent fait aprs l'incident : sa mre, toute jeune, belle ethabille de blanc, se penchait sur son lit et l'embrassait sur le front en luidisant au revoir. Puis eUe disparaissait et le rve virait au cauchemar: il seretrouvait perdu dans un tunnel sans fin, souffrant de claustrophobie et inca-pable de respirer, cherchant vainement la sortie.

    Pendant notre dernire sance, je dis M. O'Reilly qu'une partie de luicraignait que s'il n'tait pas soumis et servile avec moi, je risquais d'tre vio-

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    lente avec lui et de l'humilier; que la soumission et la servilit taientprfrables la culpabilit qu'engendrent la colre et la rage qu'il prouvait la suite de l'incident dont il avait t la victime. A la place, il semblait avoirretourn sa rage contre lui-mme, comme une dfense contre sa culpabilit etle chtiment.

    Il me regarda, sourit pour la premire fois et me dit : Vous avez raison.Je ne sais toujours pas si je peux avoir confiance en vous mais je me sensmoins angoiss en vous disant que vous avez raison. Pour moi, il taitimportant que M. O'Reilly me dise lui-mme qu'il doutait de moi et que jepuisse le supporter. Il poursuivit en me disant qu'il tait trs du parce que jene lui avais propos que quatre sances et qu'il pensait que c'tait insuffisantpour rsoudre ses problmes.

    Tout doucement, il commenait tre plus dtermin. A la fin de cettesance, il me regarda droit dans les yeux, ce qu'il ne faisait jamais, et me dit : Jen'en suis pas certain, mais il se peut que vous m'ayez aid. Je ne m'tais jamaisattard aussi loin sur ce qui m'est arriv parce que j'avais peur de mes senti-ments : j'ai t lev avec l'ide qu'un homme ne doit ni pleurer ni montrer sessentiments. Mon pre me disait que la colre est mauvaise. Vous m'avez aid plonger en moi et dans mon pass, et c'est quelque chose que je n'avais jamaisimagin. Je sais que je ne suis pas all assez loin et que j'ai encore beaucoup dire. Je ne veux pas de mdicaments car c'est une solution provisoire, mais il mefaut rsoudre tout a.

    Le tableau avait donc chang: M. O'Reilly n'tait plus seulementl'homme qui souffrait des squelles de son traumatisme, il tait devenu unepersonne avec son histoire particulire, laquelle histoire avait contribu for-ger l'homme qu'il tait, c'est--dire quelqu'un qui s'tait identifi des figuresparentales fortes et qui tait dtermin assumer ses responsabilits profes-sionnelles et familiales. C'tait important pour lui et c'est la perte de ses objetsinternes qui lui avait permis de trouver un sens au traumatisme qu'il avaitsubi. Il envisageait maintenant d'entreprendre une psychothrapie en privparce qu'il ne voyait plus son problme sous le seul angle d'un vnementtraumatique.

    On lui offrit donc une place qu'il accepta dans le Service de psychothrapieo il poursuit son traitement : il y a peu, il a racont qu'il avait, pour la premirefois depuis l'incident, t capable de tenir tte quelqu'un qui voulait exiger delui qu'il renonce ses droits dans une affaire de famille. Il avait trouv la forcede refuser.

    Comme M. O'Reilly, certains patients demandent poursuivre leur psycho-thrapie aprs les quatre sances d'urgence alors que d'autres ne le souhaitentpas. J'espre avoir montr ce qu'on peut attendre de ce type d'intervention pr-

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    liminaire lorsqu'on se penche sur les squelles laisses chez le patient parce qu'ila perdu toute capacit mentale de s'en sortir.

    J'espre avoir galement donn une ide du droulement du processus enquatre sances, savoir la tentative de donner du sens ce qui est arriv au patient,de faon ce qu'il commence reconstruire ce qui a t bris dans sa vie.

    (Traduit de l'anglais par Catherine Alicot.)Caroline Garland

    27 Heath Hurst RoadLondon NW3

    (Grande-Bretagne)

    Commentaire

    Il me semble utile de commenter brivement cet expos pour souligner ce quisur le plan pratique, nous est apparu essentiel dans la discussion :

    1) La Tavistock Clinic n 'hsite pas autonomiser et dnommer une unit desoins destine l'accueil des nvroses traumatiques. Cette dmarche s'taye sur latypicit d'une pathologie, qui justifie aussi la formalisation d'un cadre d'investiga-tion, dcoulant d'une problmatique commune relative la pertinence virtuelle dela mthode analytique. C'est prcisment la dimension dsubjectivante, dsingulari-sante de la pathologie traumatique qui est prise en compte dans et par l'interven-tion prliminaire , pour la mettre en question.

    2) Les quatre rencontres constituent bien un traitement d'essai. On voitque le caractre la fois dfini et provisoire du cadre ainsi convenu, sous le signed'une chance, d'une dcision venir, se lie de manire pertinente la vise d'unbut : vise lie la reconnaissance de ce que la suspension de la reprsentation debut consciente ne peut faire sens pour ces patients. La ralisation du but provisoireest un pralable indispensable l'instauration d'une situation tablie .

    Ce but est clairement prsent dans la dmarche de l'analyste, car dcoulantd'un savoir clinique anticipateur qui ne saurait ici tre mis en latence. L'enjeu duprocessus de la consultation est d'amener le patient, travers le double rcit dutrauma et de l'histoire, la conviction consciente du lien structurel entre eux.Dmarche qui doit assumer d'tre en un sens directive, mme si la pense associa-tive y est mise l'oeuvre.

    3) Toute rencontre analytique suppose une bauche, une tentative de mise ensens travers la rptition-diffrence dans la relation pass-prsent (celui-ciincluant l'actualisation transfrentielle).

  • Commentaire 85

    A cet gard, les interprtations faites ici par le consultant n'ont de particulierque la prcocit de leur explicitation : on en a reconnu le bien-fond.

    Je voudrais cependant relever deux interventions :

    a) L'analyste a reconnu, avec le patient, la place tenue par son idal du moidans l'impact singulier de l'vnement, mais c'est l'intervention suivante qui me

    parat dcisive : elle fait le constat de ce que, en somme, la survenue d'un vnementde ce type tait, pour le patient, impensable.

    Cette intervention est dans le droit fil de la remarque de Freud sur le rle joupar l'imprparation du moi dans l'effet traumatique ; mais elle l'tend la struc-ture mme du moi (et du surmoi-idal), en tant qu'elle contenait, en ngatif, undni virtuel. (Je me demande si cela ne met pas en question le statut de la rfrenceau bon objet interne : ne s'agit-il pas ici d'un psychisme qui n'aurait pas intgrla menace de castration ?)

    b) Il est trs frappant de relever l'insistance mise par l'analyste dgager lesindices d'affects plutt latents du registre ngatif (mfiance, doute, rage, faussesoumission).

    L'objectif est de leur donner droit l'existence au sein de la future ventuellerelation de transfert. Il me semble que le caractre la limite un peu construit, decette prvision du transfert ngatif est la mesure du risque selon lequel l'instau-ration d'un cadre de traitement rpterait les clivages dj l'oeuvre chez le patientet perptuerait l'exclusion d'un pan essentiel de la ralit psychique.

    4) On aura not que l'indication retenue, pour un tel patient, est celle d'unepsychanalyse de groupe, dont on sait avec quelle rigueur elle est pratique laTavistock Clinic (dans la tradition de Bion). Un avantage de cette option estque les identifications de groupe et les paroles qu'elles induisent peuvent avoir

    quant au lien social, au surmoi culturel, une valeur restauratrice que les interven-tions de l'analyste ne peuvent -peut-tre - revtir qu'au dtriment de sa positiond'interprte.

    Jean-Luc Donnet

  • Dans quel esprit aborder le premier entretien ?

    Christian DAVID

    On ne peut pas conceptualiser la fonctionpsychanalytique en excluant la personnalit dupsychanalyste qui exerce cette fonction.

    ... Si on nglige l'influence de sa personna-lit on en arrive nier les ralits du processusanalytique.

    (John Klauber.)

    La finalit de la premire rencontre d'un analyste avec quelqu'un quis'adresse lui ne peut se concevoir que dans une troite liaison avec celle qu'ilattribue l'analyse et aux thrapies analytiques. Certes, le but immdiat de larencontre est de jauger l'analysabilit du demandeur en mme temps que d'ap-prcier la teneur de sa demande. D'emble cependant se profile la question fon-damentale de l'accessibilit thrapeutique et donc du sens du processus qui seraventuellement engag. Ainsi l'analyste peut-il se dire : en mon commencementest ma fin comme en ma fin est mon commencement. Si d'aventure il rcuse lesides de gurison et d'amlioration comme trop marques d'une conceptionmdicale, voire mdico-sociale, quoi l'exprience de l'analyse se doit de restertrangre, il faut qu'il se souvienne que la vise thrapeutique, pour Freud etceux qui le suivent, fait partie intgrante de la dfinition et donc de l'essence dela psychanalyse. Allguer qu'un jugement d'analysabilit n'implique rien d'autrequ'un pari positif sur l'tablissement d'un transfert et du processus volutif, avecla richesse indfinie de ses fluctuations, rien de plus qu'un possible changementdans le fonctionnement mental li l'efficacit de l'interprtation dans le cadreinstitu, ne peut manquer de retentir sur la faon dont la premire rencontre (ounon-rencontre...) sera vcue et juge des deux cts.

    La personne qui vient consulter, supposer videmment que sadmarche mane de sa seule et propre initiative, n'est pas au fait de tout ce quecomporte et signifie sa demande. L'analyste lui-mme n'a pas conscience de toutRev. franc. Psychanal, 1/1998