Février 2020 n° 949 7 € LE PATRIOTE RÉSISTANT

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F.-H. Manhès Présidents fondateurs de la FNDIRP LE PATRIOTE Marcel Paul Février 2020 n° 949 7 € Journal édité par la Fédération nationale des Déportés et Internés, Résistants et Patriotes RÉSISTANT

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F.-H. ManhèsPrésidents fondateurs de la FNDIRP

LE PATRIOTEMarcel Paul

Février 2020n° 9497 €

Journal édité par la Fédération nationale des Déportés et Internés, Résistants et Patriotes

RÉSISTANT

Page 2: Février 2020 n° 949 7 € LE PATRIOTE RÉSISTANT

Lettres de lecteurs Page 4Les faits du mois Pages 5 à 11 Jean Moulin, le roman et le récit national, Grégory Baudouin ; Quatre voix surgies du passé, Julien Le Gros ; Rappeuse contre le fascisme, Cornélia Kerth ; Les fonds historiques de la FNDIRP aux Archives nationales, Patricia Gillet ; Insa Eschebach, pour l’avenir d’un mémorial, J. L. G. ; Mémoires croisées, Hélène Amblard ; Le corps du déporté ; « Délit » de solidarité à Lesbos ; Décès de Guy Thomas, parolier de Jean Ferrat ; Menace sur le bar des « antifas » J. L. G. ; Jeu-film : le cinéma associé à la Seconde Guerre mondiale.

Mémoire Pages 12 à 15 Faire de la rue une œuvre humaniste, François Mathieu ; La mémoire longtemps occultée des « Triangles roses », Arnaud Boulligny.

Dans les départements Pages 16 à 21 Aube Un camp de concentration à Troyes, le centre Jules-Ferry, Jean Lefèvre ; Val-d’Oise Témoignage en milieu carcéral, Julien Le Gros ; Hauts-de-Seine Assemblée générale de l’ADIRP 92, Jean-Pierre Raynaud et Claude Girard ; Eure-et-Loir L’hommage à René Perrouault, étienne égret ; Sarthe Décès d’Albert Girardet, ancien déporté de Buchenwald, Yves Voisin ; Puy-de-Dôme Robert Marchadier, un grand syndicaliste, Alexandra Rollet ; Nord Hommage à Jacques Colin (1923-1945), Cécile Drossart-Masson ; Côte-d’Or Gabriel Lejard, un résistant ouvrier ; Var Rencontre témoignage avec les collégiens, Michel Magnaldi.

Souscription nationale Page 22L’invité du mois Pages 23 à 25 Pascal Manoukian. Les orphelins du même sabre.

Chez le libraire Pages 26 à 30 Franck Schwab, Julien Le Gros.

Carnet Page 30

La uneAlex Jordan (Nous Travaillons Ensemble). D'après l’affiche de l’exposition La propagande sous Vichy, au musée d’histoire contemporaine aux Invalides en 1990 par Claude Baillargeon, graphiste, poète, photographe, décédé en 2016. reproduction avec l’autorisation des ayants droit.

- 21 février 1916 : début de la bataille de Verdun dont Philippe Pétain fut l'un des soi-disant « héros ». - 22 juin 1940 : le maréchal Pétain signe l'Armistice avec les nazis et entre dans la collaboration.

Humour, par Serge WourgaftDans le tohu-bohu qui règne en ce moment dans les hôpitaux par manque de personnel, une femme, renvoyée de guichet en guichet et de poste en poste, cherche désespérément la salle où elle doit se rendre pour une consultation.Finalement elle voit une pièce dans la direction qui lui a été indiquée, avec deux hommes en blouse blanche.Sans perdre de temps, elle ôte ses vêtements et dit en montrant avec son doigt son ventre : « J’ai surtout mal le soir, ici et ici. »« Nous on s’en fout madame, on est les peintres ! », répond l'un des hommes.

SOMMAIRE

Le Patriote RésistantMensuel édité depuis 1946 par la Fédération nationale des Déportés et Internés, Résistants et Patriotes. Association Loi 190110, rue Leroux. 75116 Paris.SIRET : 775 688 807 000 12

Représentant légal : Jean Villeret, président délégué.

Directeur de publication : Serge Wourgaft.Rédaction Administration10, rue Leroux, 75116 ParisCourriel : [email protected] Site Internet : www.fndirp.fr

CPPAP n° 1120 A 05599ISSN 0223-3150

Prix de vente à l’unité : 7 €.Prix de l’abonnement :• 61 €, tarif public.• 65 € et au-delà,

tarif de soutien.• à partir de 45 €,

tarif spécial faibles revenus.

Rédacteur en chef : Julien Le Gros [email protected] 01 44 17 38 34

Abonnements et publicité : [email protected] 01 44 17 38 24

Maquette : [email protected] 01 44 17 38 22

Crédits photos : tous droits réservés.

Imprimerie RivetPresse-Édition Limoges24, rue Claude-Henri-GorceixBP 1577 87022 Limoges - cedex 9Dépôt légal à parution par imprimeur.Date de parution : sur couverture.

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Et le respect de l’humain ?Le désordre et le retour de certaines erreurs du passé qui caractérisent les relations internationales de la précédente décennie sont marqués par le mépris cynique des dirigeants des « grandes puissances » à l’égard du droit international.Pour quelqu’un qui a eu l’expérience vécue de la déshumanisation dans le non-droit absolu, qui a participé au Serment de Buchenwald et à l’engagement de poursuivre la lutte pour une démocratie sociale fondée sur le droit, dans l’esprit de l’accord du Conseil national de la Résistance, les manifestations de ce mépris sont quelquefois lourdes à supporter.Que le président de la première puissance militaire et – pour le moment – économique du monde se considère au dessus du droit, même, dans une certaine mesure constitutionnel, qu’il dénie le respect d’accords et de traités internationaux réalisés après de longues et difficiles négociations, qu’il recoure systématiquement aux mensonges et aux fake news (infox), représente une conception et conduit à des actions qui, de toute évidence, ne concernent pas seulement les États-Unis mais ont d’importantes répercussions négatives sur la situation et les politiques nationales et internationales.On a dit maintes fois que l’éthique a peu à voir avec les relations internationales. Mais la désinvolture et le mépris manifestés par le président Trump à l’égard du respect de l’humain, dont les médias américains fournissent des illustrations quotidiennes, n’ont-elles pas une influence sur l’atmosphère

de peur et de violence qui règne dans le monde ?D’autant qu’il n’est malheureusement pas le seul à donner une priorité absolue à la force et que d’autres agissent, dans certaines circonstances, de manière similaire. Ils ont au moins le souci de la justifier, ce qui implique un minimum de respect envers le multilatéralisme et la communauté mondiale.La menace contenue dans les propos du président Trump, d’une action contraire aux principes fondamentaux du droit et des accords existants et portant atteinte à la sécurité au niveau international relance la course aux armements qui avait pourtant connu un arrêt et même un recul grâce aux différents accords réalisés dans les années 1980 et 1990.Mille milliards de dollars de dépenses annuelles !Et puis la « modernisation » des armes nucléaires, en dépit de tout ce qui a été dit par leurs plus fervents soutiens, civils et militaires de haut rang, en particulier aux États-Unis, en faveur d’une réduction et d’une progression éventuelle vers leur suppression.Le mépris du droit international peut aussi influer sur les comportements nationaux. Les sentiments de crainte et de peur d’un avenir incertain devant les changements profonds entraînés par la révolution numérique et technologique actuelle sont renforcés par les menaces d’actions intempestives. D’où la progression de mouvements populistes en faveur d’un État en repli, soucieux de ses seuls intérêts immédiats. Et ce, alors que

la solidarité et la coopération au niveau mondial sont de plus en plus indispensables, en particulier en ce qui concerne l’action de lutte contre le réchauffement climatique.N’est-il pas paradoxal à cet égard que c’est par une forme négative qu’une coopération – ou plutôt une connivence – existe déjà et se renforce par les réseaux sociaux critiquant et défiant les régimes démocratiques et sociaux fondés sur les principes d’humanisme et de droit ? Des critiques qui sur ces réseaux se bornent à la forme écrite mais qui, dans la rue, passent rapidement à la forme orale, puis aux actes, générant la violence et la haine qui conduisent, pour certains, à des attitudes et à des actes relevant de cerveaux reptiliens et difficilement admissibles.La réalité sombre de cette atmosphère comporte toutefois des points de lumière : les nombreux mouvements populaires qui, un peu partout dans le monde, luttent pour le respect de la dignité humaine, c’est-à-dire contre les discriminations ethniques, le racisme, l’antisémitisme, les inégalités sociales, en fait pour renforcer ou faire progresser une démocratie sociale et un État de droit fondés sur les valeurs de l’humanisme.La prise de conscience par les jeunes des menaces imminentes, pour leur monde de demain, du réchauffement climatique et leur détermination à agir, l’ébranlement de conceptions millénaires concernant une soi-disant normalité des femmes battues et tuées démontrent un rejet de la notion de fatalité et la force de l’espoir dans l’action.

Serge Wourgaft

éditorial

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Le journal de l’Aube, l’Est-éclair a fait paraître un article sur deux pages entières, le 31 décembre dernier, pour retracer la vie de « Jacques Zahm, résistant, déporté et agent de renseignement », qui mourut en 1988.On pourrait se féliciter de cet éloge dû à un combattant qui eut dans sa jeunesse une conduite

exemplaire si l’on en juge par le récit assez flou de son fils Olivier. Il fut, dit-il, « organisateur de la marche des étudiants à Paris, le 11 novembre 1940 ». Il rejoint ensuite la Résistance, fait sauter des locomotives, appréhende un collabo en janvier 1944, est arrêté le 27 avril et part pour Auschwitz où « il fait l’objet de diverses expériences. On lui a injecté plein de trucs… ça a pu l’aider à survivre. »Ces faits sont corroborés par une biographie parue sur Internet : Grandes figures des services spéciaux français.Après la guerre, il s’engage dans la Légion étran-gère, part pour l’Indochine, est décoré et entre à la DGSE service de contre-espionnage. Il devient « un homme de l’ombre » et traque la rébellion al-gérienne. Son fils consent à avouer que ce père qu’il admire, « a du sang sur les mains ». Sur cette bio-graphie en ligne il est écrit que « la dernière partie de sa carrière est plus obscure où il fut mêlé aux services spéciaux. »à la fin de sa vie il a dit : « J’ai survécu aux nazis, aux communistes, aux fanatiques… ».Mon étonnement vient de l’importance donnée par le journal à cette figure qui ne représente pas tota-lement l’idéal qu’on serait en droit d’exiger d’un patriote engagé pour la paix dans le monde comme la FNDIRP s’y inscrit. Son engagement militaire contre les peuples en lutte pour leur indépendance, entache ses combats de jeunesse. Quant à la presse locale, elle a pourtant des centaines d’exemples glo-rieux à explorer avec près de 300 Aubois, hommes et femmes, morts dans les camps.

Jean Lefèvre

Cher Jean, merci de pointer ces contradictions entre le résistant et le bourreau qui montrent que l’histoire n’est pas un bloc monolithique. La Résistance, c’est l’émancipation de tous les peuples. Marceline Loridan-Ivens, Germaine Tillion, Simone Veil… autant de déportées résistantes qui, au contraire de ce monsieur, ont pris fait et cause pour l’indépendance algérienne.

De résistant à « homme de l’ombre »

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les services de la FNDIRP• Service juridique :

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lettres de lecteurs

Étant donné que la plupart des témoins directs ont disparu, je me questionne sur le devoir de mémoire de leurs descendants.Ainsi, j’espère pouvoir y contribuer d’une manière ou d’une autre par le livre qui pourrait éclairer des lecteurs sur le vécu des descendants et aussi faire prendre conscience aux plus jeunes de l’effet d’un tel vécu !En l’occurrence, je me suis proposée pour inter venir auprès d’élèves de 3e.Voici les références de ce recueil de témoignages que vous trouvez facilement sur internet : Entre mémoire collective et mémoire familiale. L’héritage d’un trauma collectif lié à la violence totalitaire.Cette étude a eu pour objectif de montrer les effets de la transmission du traumatisme et de sa repré-sentation sur les descendants.Les enfants des résistants déportés ont subi une double influence, marquée par le sentiment de fragilité et de souffrance parentale, associé à celui de force, de courage et d’engagement (paradoxe héros/victime).Après une description des séquelles traumatiques, j’ai laissé une large place à l’expression des descendants que j’ai interrogés.En espérant avoir suscité votre intérêt, je vous prie de bien vouloir recevoir mes meilleures salutations.

Irène Mathier

Entre mémoire collective et mémoire familiale

à propos de Hôtel de BretagneJe suis scandalisée par la publicité qui est faite autour du livre Hôtel de Bretagne de Grégoire Kauffmann. Au début de l’ouvrage, l’auteur critique son grand-père Pierre Brunerie, résistant, d’avoir couvert l’exé-cution sommaire d’Adolphe Fontaine, chef du per-sonnel de l’entreprise allemande Todt, responsable de la construction du mur de l’Atlantique, dont le but était d’empêcher le Débarquement. Cette construc-tion a retardé la Libération et a laissé tant de jeunes tués sur les plages, venus débarrasser la France de l’Occupation nazie ! Des exécutions sommaires à la Libération il y en a eu, pas toujours justifiées, mais qu’un auteur regrette qu’un collabo lié à la construc-tion de ce mur soit exécuté dans un moment où on n’avait pas de temps pour la réflexion ne me paraît pas pertinent.Nous descendants de résistants, sommes révoltés que l’on puisse regretter l’initiative des auteurs de cet acte de justice. L’épuration à la Libération est mal vue maintenant, en toute bonne foi… Ces gens-là n’ont pas connu l’Occupation !Amicalement.

Lucette Asso-Mège, Viroflay, Yvelines

Jacques Zahm

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Les dessins succèdent aux dessins dans le bloc-notes qu’il porte toujours sur lui. Il des-sinera des affiches pour les étudiants, pour une foire, à l’occasion du 150e anniversaire de la Révolution. Il est éclectique dans ses choix, mais il a une soif d’apprendre, ce qui l’amènera à prendre des cours, quand bien même son père ne voit pas d’un bon œil cette possible carrière.C’est pourquoi, en entrant dans la Préfectorale, Jean Moulin prendra un pseudo nyme, celui de « Romanin », du nom d’une ruine médiévale des Alpilles, près de Saint-Rémy-de-Provence, lieu qu’il connaît bien depuis son enfance. S’il tra-vaille sérieusement en préfecture, il publie tout aussi régulièrement dans des journaux de Paris, notamment Le Rire, Les gens qui rient, Gringoire. Il fera sa première expo-sition au Palais des glaces de Chambéry en juillet 1922. C’est à cette époque qu’il fait des rencontres déterminantes, comme celle de Jean Saint-Paul qui lui présente-ra le « Tout-Paris » artistique, de Picasso à Ravel. Dans les années 1930, il est fréquem-ment sur Paris. Client assidu de la Coupole et du Dôme, il caricature ce qu’il voit autour du zinc mais aussi dans la rue et dans les soirées. Curieux de tout, il s’essaie à l’encre

de chine, à l’aquarelle, à la céramique. Ce sont ses années folles, des années faites de maturité et d’insouciance.

« Ah, les années 1930… »Ce fut les années folles pour l’homme, pour l’artiste, et les années de la progression et des promotions pour le professionnel. Les an-nées 1930, ce sera pour lui la Bretagne et l’en-nui de Châteaulin, mais également des ren-contres avec le poète Saint-Pol-Roux dit « Le Magnifique ». Il fait la connaissance égale-ment de Céline et surtout de Max Jacob, une rencontre déterminante pour lui. Il s’essaie avec succès à la gouache, et à la gravure sur bois, plomb, cuivre et lino. Romanin lira Tristan Corbière et en fera une de ses œuvres les plus fortes, les plus profondes : des eaux fortes pour illustrer Amor. D’aucuns ont vu dans l’une de ses eaux fortes, La pastorale de Conlie, une préfiguration, comme une pré-monition de la Solution finale, les « NN », des camps de la mort nazis.Plus tard, son métier le prendra de plus en plus, comme l’actualité, comme l’histoire ; et s’il croque encore parfois sur son bloc-notes, Romanin ne publiera plus. Amoureux de l’art, des arts, il les fera découvrir et notam-ment la peinture, à son fidèle Daniel Cordier,

son secrétaire particulier, en lui offrant un livre, L’Histoire de l’art contemporain. Jean Moulin était capable d’autant de coups de sang qu’il était humain.« Grâce aux illustrations, vous pourrez comprendre ce dont je vous parle depuis des mois…Ce sont ces œuvres qui témoignent de notre culture. C’est en regardant Braque, Kandinsky, Picasso, Mondrian, Matisse et tous leurs collègues que vous pourrez com-prendre votre époque. Il n’y a pas qu’en po-litique, que la Révolution change la vie des hommes. » (1)

Daniel Cordier deviendra par la suite gale-riste grâce à l’héritage culturel et spirituel de son « patron ». Mais tel le Phoenix ressus-citant de ses cendres, tel Jean Moulin im-mortel, Romanin revivra de nouveau sous la forme d’une galerie, la Galerie Romanin, ce qui lui permit de couvrir ses activités clan-destines – mais c’est une autre histoire.à l’orée de la mort, il se dit qu’on voit le film de sa vie. Peut-être se revit-il de sa naissance à Béziers (hélas aujourd’hui sinistrée), un 20 juin 1899 ? Enfant, il sera un bon élève quoiqu’espiègle, se passionnant déjà plus pour le dessin que pour les matières dites nobles. On le voit en photo, habillé en cos-tume marin, puis juché sur les épaules d’un père aimant mais rigide. Peut-être revoyait-il son village adoré, celui de son adolescence : Saint-Andiol. Ses professeurs diront de lui : « Fera un excellent élève quand il se décidera à travailler ». L’art toujours…

GréGory Baudouin président du Cercle Jean-Moulin

(1) Alias Caracalla, au cœur de la Résistance, film de 2013 réalisé par Alain Tasma.

n http://cercle.jean.moulin.over-blog.com/

Jean Moulin, le roman et le récit national« La guerre, déjà »… Peut-être se rappelait-il la guerre. La première, celle qui aurait dû être « La der des ders ». La guerre aidant, il s’appuyait davantage sur l’actualité. Les casques à pointe commencent à poindre sous sa plume. Il publiera dans La baïonnette et dans La guerre sociale, et ce sera la première fois qu’il sera payé pour dessiner, 10 francs d'alors. Sa décision était prise : « Je serai dessinateur ». Deuxième volet.

les faits du mois

éric Caravaca, alias Rex (Jean Moulin), et Jules Sadoughi, alias Alain (Daniel Cordier) dans le film Alias Caracalla, au cœur de la Résistance d'Alain Tasma.

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les faits du mois

« Savais-tu que ton père faisait partie des Einsatzgruppen (1) ? » Nous sommes en 2006 et cette révélation que reçoit Barbara Brix, professeur allemande d’histoire et de français qui vient alors de prendre sa retraite est comme un uppercut. Avec résilience, elle reconstitue l’itinéraire de sa famille d’Al-lemands baltes animés par un sentiment de supériorité envers les Lettons qui les mènera au nazisme. « Il y a une tendance humaine à se sentir meilleur que tous les autres. C’est un piège de l’extrême droite qu’on doit supprimer », décrypte-t-elle, devant l’assemblée attentive de l’auditorium. Après le décès de son père, en 1981, Barbara avait travaillé avec ses élèves sur le national-socialisme et leur a fait réaliser des re-cherches sur un camp annexe de Neuengamme. « Mes amis

trouvaient bizarre mon obses-sion pour le sujet. J’ai compris qu’il y avait un lien avec mon histoire personnelle. Tout le monde devrait faire cette intros-pection. » C’est aussi Barbara qui, devenue en 2007 bénévole du mémorial de l’ancien camp d’internement de Rivesaltes a plus tard concrétisé l’idée que ce « quatuor » témoigne dans des établissements sco-laires. Près d’elle, Jean-Michel Gaussot, président de l’ami-cale française de Neuengamme complète : « Pour les descen-dants de persécuteurs il y a un conflit intérieur. Barbara ad-mirait ce père médecin qui est tombé de son piédestal. »

Le boucher de MinskL’échange est animé par François-René Christiani-Fassin, dont le père est mort dans un kommando à Neuengamme : « Qu’est-ce qui

vous a poussé à vous exprimer ? » demande-t-il à Ulrich Gantz, l’autre enfant de persécuteur nazi : « Jean-Michel Gaussot disait qu’il n’est pas respon-sable du fait que son père décé-dé en camp de concentration en avril 1945 soit un héros. (2) C’est pareil pour mon père qui était un bourreau. » En juin 2002, après l’enterrement de son père la fa-mille d’Ulrich Gantz se réunit dans une cuisine. « Ma belle-mère s’est levée et est revenue avec deux sacs en plastique : “Ulrich, tu trouveras toutes les réponses à tes questions.” Mon frère voulait brûler les do-cuments. J’ai refusé. » Ulrich Gantz lit alors un jugement du tribunal de Kiel accusant son père d’être un assassin, dossier clos faute de témoins. Il dé-couvre que son père comman-dait une unité d’Einsatzgruppen à Minsk, en Biélorussie, chargée

d’assassiner les Juifs et les communistes, environ 600 000 personnes, le chiffre exact n’est pas connu. En 2009, encoura-gé par l’historien du mémorial de Neuengamme Oliver von Wrochem, Ulrich Gantz raconte cette histoire au cours d’un ate-lier pour les descendants de per-sécuteurs ayant besoin de sou-tien psychologique. Yvonne Cossu, fille d’un déporté en-voyé de la prison de Rennes à Neuengamme, où il est mort, est allée à Compiègne avec Ulrich Gantz, qu’elle a connu au cours de l’un de ces ateliers. « On était devant le wagon d’où est par-ti mon père. C’était très émou-vant », raconte-t-elle. à la fin du colloque, les questions fusent : « Comment vivez-vous avec ce fardeau ? Comment vous adres-sez-vous aux nouvelles géné-rations ? » s’enquiert Nathan, petit-fils d’un enfant caché juif. « C’est un long chemin », estime Ulrich Gantz. « Je res-semble beaucoup à mon père. J’ai mis du temps à admettre que c’est lui le criminel et pas moi. » Jean-Michel Gaussot, quant à lui, nous met en garde : « Nous sommes dans une période in-quiétante, avec des résurgences des idéologies de haine, comme le dit Michaël Fœssel dans son livre : Récidive 1938. » Et cette quête mémorielle réparatrice ne s’arrête pas là : en fin de séance une jeune chilienne Veronica Estay a évoqué un dispositif de travail entre enfants de tor-tionnaires de la dictature de Pinochet et leurs victimes…

Julien le Gros

(1) Unités policières militarisées du IIIe Reich.(2) Ode au grand absent qui ne m’a jamais quitté, récit d’un fils de déporté français (L’Harmattan, 2016).

Quatre voix surgies du passéLe colloque Mémoire à quatre voix (voir le Patriote Résistant numéro 934) a eu lieu à l’hôtel de ville de Paris en présence notamment de représentants des amicales de Ravensbrück, Oranienburg-Sachsenhausen et Mauthausen. Aperçu.

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les faits du mois

Esther est née Esther Loewy à Sarrelouis dans la Sarre et a passé son enfance à Sarrebruck où son père était chanteur. à partir de 1933, commenca un long chemin de souffrance pour la famille.

En 1941, elle est envoyée dans un camp de travail à Rietz-Neuendorf. Les parents d’Esther et sa sœur Ruth furent assassinés à Auschwitz. Elle a survécu au camp de la mort où elle est transférée le 20 avril 1943, en étant recrutée comme accordéoniste de l’orchestre feminin qui devait jouer pour les SS. (1) L’arrivée des trains destinés aux chambres à gaz reste jusqu’à aujour-d’hui le souvenir le plus cruel de la vie d’ Esther. Transférée à Ravensbrück, elle a dû travailler avec des femmes soviétiques pour l’entreprise Siemens. Avec quelques camarades, elle fut libérée par des soldats de l’Armée rouge après s’être sauvée des marches de la mort.

Elle a vécu quinze ans en Palestine et en Israël où elle est devenue chanteuse. Elle s’y est marié avec Nissim Bejarano et ses enfants Edna et Joram y sont nés. En 1960, la famille décide de s’installer à Hambourg. C’est à ce moment qu’Esther devient membre de l’Association des per-sécutés du régime nazi (VVN). En 1986, avec Peter Gingold, elle crée le comité d’Ausch witz en République fédérale alle-mande (RFA) dont elle est la présidente.

Présidente du comité d’Auschwitz en Allemagne, présidente d’honneur de la VVN-Union des Antifascistes et de la FIR, elle est une voix forte de l’antifascisme en Allemagne. Son aura est impressionnante au-près des jeunes et des moins jeunes qui rem-plissent ses salles de concert en Allemagne, dans les pays voisins ou même… à Cuba.

En 2019, sa lettre au ministre des Finances et ancien maire de Hambourg Olaf Scholz à propos des menaces financières qui pèsent sur notre organisation a fait du bruit dans les médias. En voici la conclusion : « Nous, rescapés devons remplir une mission qui nous a été assignée par les millions d’as-sassinés et de torturés dans les camps de concentration et dans les prisons. Beaucoup d’amis, les antifascistes nous y ont aidé. Antifascistes – pour l’amour de l’huma-nité ! – ne laissez pas ce travail devenir plus difficile en y ajoutant des pesanteurs fiscales. » Souhaitons qu’elle puisse parler longtemps encore…

Cornélia Kerth, Coprésidente de la VVn-Bda

(1) Elle en est l’une des dernières survivantes avec Anita Lasker-Wallfisch.

Les fonds historiques de la FNDIRP aux Archives nationales

En octobre 2013, un premier ensemble de docu ments, en provenance du centre Jean-Moulin de Fleury-Mérogis, avait pris la direction de Pierrefitte-sur-Seine. Désormais, conformément à la décision prise par le conseil d’administration de la FNDIRP, ce sont les dossiers conservés au siège de la rue Leroux qui font l’objet de toutes les attentions.Le travail de préparation a commencé fin novembre, sous ma houlette. Les archives seront sommairement décrites, boîte par boîte, avant d’être soigneusement conditionnées puis progressivement acheminées vers leur nouvelle demeure. À l’issue de ces diverses

étapes, il restera à réaliser leur classement définitif et leur inventaire détaillé, puis à déterminer d’un commun accord leurs conditions de consultation.Ainsi, ce fonds d’une extraordinaire richesse, source essentielle pour l’histoire et la mémoire de la Résistance, de l’internement et de la déportation, pourra continuer à être pleinement exploité et à témoigner auprès du plus grand nombre de l’œuvre exemplaire accomplie depuis des décennies par la Fédération.

patriCia Gillet, conservatrice générale du patrimoine, responsable du pôle Seconde Guerre mondiale aux Archives nationales

Rappeuse contre le fascismeEsther Bejarano a fêté ses quatre-vingt-quinze ans le 15 décembre 2019 avec une centaine d’amis de tous âges, origines et sensibilités… sans doute tous des antifascistes ! Avec son groupe de rap Microphone mafia qui délivre des messages contre l’extrême droite elle remplit les salles partout en Allemagne.

Esther Bejarano et la Microphone mafia.

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La conversation avec Insa Eschebach est traduite par Carter Hinz. Recruté en 2003 à travers le comité international de Ravensbrück, il souligne la drôlerie d’être un interprète mâle pour honorer la mé-moire du « camp des femmes ». Son enga-gement mémoriel est aussi lié au fait d’ap-partenir à un groupe persécuté, celui des homosexuels.« Après la chute du mur de Berlin en 1989 on pouvait aller en Allemagne de l’Est et accéder aux archives », rapporte Insa Eschebach. « Les déportées de Ravensbrück étaient peu connues. Jusqu’à aujourd’hui, peu de recherches ont été réalisées, et sur-tout sur des femmes juives, sinti et rom. Notre question était : “Comment s’est effec-tué le retour des déportées ? Quelles ont été leurs difficultés ?” Les femmes seules étaient particulièrement exposées. Deux cents femmes travaillaient dans des bor-dels. 3 500 femmes environ ont été internées pour des “contacts” avec des étrangers. » Un tabou a aussi été abordé: celui de ces

femmes « engrossées » par des soldats de l’Armée rouge à la Libération.

Forum des générationsParmi les projets en cours auquel le mémorial est associé figure la traduction de l’ouvrage Les Françaises à Ravensbrück en alle mand, initié par l’amicale française de Ravensbrück : « Les déportées françaises se sont organisées dans le camp de façon très rationnelle », rappelle Insa. « D’où l’importance de rendre disponible ce tré-sor pour la mémoire. En Russie ou en Pologne, il y a peut-être d’autres trésors. Avec les nou-velles technologies, ce sera plus facile d’y avoir accès. » Depuis, trois ans, ce mémorial inter-national abrite également un forum des gé-nérations, un échange pendant une semaine entre trois survivantes : deux israéliennes et une anglaise, et la jeunesse européenne. Des ateliers de travail sur des thèmes comme le tra-vail forcé chez Siemens associent des jeunes du monde entier (Japon, Mexique, France, Angleterre…). Le principal souci d’Insa serait qu’avec la montée du fascisme, en particulier

dans la Pologne voisine « chacun ne célèbre que ses morts et que la solidarité se perde. » Pour l’heure, Ravensbrück est épargnée par des ma-nifestations antisémites et nationalistes qui ont pu entacher les mémoriaux de Buchenwald ou d’Oranienburg- Sachsenhausen. « Je touche du bois », nous lance Insa Eschebach, avec un demi-sourire inquiet. J. l. G.n Pour aller plus loin : https ://www.ravensbrueck-sbg.de/en/

« Le Chevalier de Saint-Georges est tout à la fois homme d’armes, compositeur, musicien, enga-gé dans la Révolution et la pre-mière abolition de l’esclavage : un homme des Lumières, pour la Liberté.Toutefois, nous attirons votre attention sur la personnali-té aussi remarquable de Rose Blanc. Encore toute jeune fille, elle s’engage contre le fascisme et pour la défense de la République d’Espagne, elle devient une diri-geante de l’Union des jeunes filles de France, à une époque où

Insa Eschebach, pour l’avenir d’un mémorialles faits du mois

Mémoires croiséesPar un courrier daté du 5 décembre, Yves Jégouzo, coprésident de l’association Mémoire vive, interpelle Thierry Meignen, maire du Blanc-Mesnil : le conseil municipal a décidé d’effacer le nom de Rose Blanc, anciennement attribué à l’une des écoles maternelles de la ville, à l’occasion de l’ouverture d’un établissement la remplaçant, lié à l’école de musique. Il serait baptisé au nom du Chevalier de Saint-Georges, pour l’ouverture d’une nouvelle école maternelle prévue au même nom. Extraits.

Le 4 novembre, Insa Eschebach, directrice depuis 2005, du mémorial de Ravensbrück était à Paris, invitée par l’amicale de Ravensbrück et ses kommandos dépendants.

Insa Eschebach, directrice du Mémorial de Ravensbrück, Marie-France Cabeza Marnet, coprésidente de l'Amicale de Ravensbrück et des kommandos dépendants et Carter Hinz, interprète.

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les faits du mois

les femmes n’ont pas encore le droit de vote. Dès 1940, elle s’engage dans la Résistance et la Résistance universitaire en tant qu’agent de liaison de Jacques Solomon, gendre du Professeur Langevin, en lien avec Georges Politzer. Arrêtée en mars 1942 par les Brigades spéciales, elle est remise aux Allemands. Elle est internée au fort de Romainville et retrouve ainsi ses compagnes avec lesquelles elle sera déportée le 24 janvier 1943 à Auschwitz-Birkenau.Le premier convoi de femmes résistantes déportées compte 230 femmes aux engagements politiques, philosophiques et religieux divers : communistes, gaullistes, anglophiles, engagées dans des chaînes d’évasion ou Justes parmi les Nations. Au-delà de la diversité de leurs enga-gements, elles étaient unies dans leur volonté de libérer la France, dans la solidarité, la fraternité vis-à-vis de chacune d’entre elles et vis-à-vis des autres déportées.Rose Blanc est morte à Birkenau en avril 1943. De son convoi, seules 49 survivantes revinrent des camps nazis. Ces femmes té-moigneront inlassablement de l’ampleur des crimes nazis et pour la mémoire de toutes leurs compagnes, qu’elles soient des personnalités connues ou incon-nues. Nous restons fidèles à cette ambition (…) ».Rappelant que 2020 marque le 75e anniversaire de la libération des camps et de la victoire sur le nazisme, il note que l’effacement du nom d’une résistante dépor-tée morte à Auschwitz dans un contexte où menacent racisme et xénophobie « serait un signal négatif et préoccupant ».Pourquoi ne pas associer les deux noms en gardant celui de Rose Blanc pour la future ma-ternelle, et celui du Chevalier de Saint-Georges à l’école pri-maire ? C’est la proposition faite par Mémoire vive, comme « un geste pédagogique et porteur de sens ».

reCueilli par hélène amBlard

Sous la direction de Daniel Simon, président de l’Amicale de Mauthausen, cette journée a permis aux participants de prendre connais-sance de contributions riches et fortes sur ce corps décharné et martyrisé du déporté : ca-davres de « musulmans » (1), gisants, visages émaciés… saisis au vif par des dessins de dé-portés, des gravures ou dans des gestes d’ar-tistes, parfois eux-mêmes anciens rescapés. Pour Daniel Simon l’intérêt de ces images est que « ça nous atteint autrement que par l’infor-mation que ça nous donne sur la réalité quoti-dienne, le vécu. Quelque chose sublime tout ça qu’il faut bien appeler de l’art. » Une première partie de la conférence a abordé les monuments de la Déportation au Père-Lachaise (Yvonne Cossu), de Buchenwald (Dominique Durand), de Mauthausen (Daniel Simon). Caroline Ulmann s’est intéressée aux représentations de corps dans l’après-guerre. Agnès Triebel, membre de l’ami-cale française de Buchenwald-Dora, a présenté l’œuvre de Walter Spitzer, qui a été sauvé de la mort à Buchenwald par sa pratique artistique. Peintre, graveur, sculpteur, survivant des camps, il est connu comme le créateur du Monument de la rafle du Vel’ d’Hiv. Yvonne Cossu présidente de l ’amicale de Neuengamme a comparé : « la sobriété du mo-nument d’Auschwitz de 1949 où le corps est à peine ébauché contrastant avec l’ élan, la force, la théâtralité du monument d’Oranienburg-Sachsen hausen érigé en 1970 ou avec la préci-sion du monument de Buna-Monowitz datant de 1993, où le corps du déporté devient une image concrète, représentative du quotidien du

camp et ne peut guère être considérée comme une icône. »

Les déportés par des déportésLe second temps portait sur les représentations de ce corps par les déportés eux-mêmes. Des dessins de Thomas Gève ont été montrés par Agnès Triebel et de Jeanne Lherminier par Aurélie Cousin, assis-tante de conservation au musée de la Résistance de Besançon. Résistante, déportée en février 1944 à Ravensbrück, Jeanne Lherminier a choisi de « ne pas dessiner les visages de ses camarades qui pourraient être démoralisées de se voir ainsi. » Gisèle Provost a abordé les gravures sur médaille de son père Pierre.Dans un dernier volet, les gestes d’artistes de Ceija Stojka (voir l’article de François Mathieu dans le Patriote Résistant numéro 928), Edith Kiss, Zoran Music, Miklos Bokor et Jean-Marc Cerino ont été dis-séqués par Sylvie Ledizet de l’amicale de Mauthausen, Marie Janot, doctorante en histoire de l’art et Anne Bernou, coautrice du Cahier Miklos Bokor (Insti-tut national d’histoire l’art 2011). Enfin, Christophe Cognet, a dédicacé éclats, son ouvrage sur les pho-tographies clandestines prises dans les camps, paru l’an dernier au Seuil. Pour aller plus loin, la teneur de ces textes et interventions sera publiée… J. l. G.(1) Musulman : Mot issu du yiddish muselmänner. Dans la langue des camps nazis, un déporté tellement affaibli que sa mort semble imminente.

n Plus d’informations :- https ://www.campmauthausen.org/- à lire : Ceija Stojka, Auschwitz est mon manteau et autres chants tziganes, Doucey éditions, 2018.Gisèle Provost, Mémoire gravée : Pierre Provost - Buchenwald 1944-1945, Loubatière éditions, 2016.

Le corps du déportéLe 24 novembre à la Préfecture de Paris s'est tenu un colloque ambitieux intitulé « Le Corps du déporté, icône tragique du XXe siècle », initié par l’union des associations de mémoire des camps nazis. Petit aperçu.

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Agnès Triebel, à gauche, analyse l'art de Walter Spitzer.

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Contrairement à ce que laissent penser son visage poupin et son air candide, Sean Binder, vingt-cinq ans, est un citoyen euro péen d’une grande maturité. Né en Allemagne, il grandit dans le sud de l’Ir-lande où il se passionne pour les sports aquatiques. Il pratique la voile, le sauvetage en mer. Plus tard, à l’université, il étudie les politiques européennes sécuritaires de défense : « C’est ainsi que j’ai appris que la façon dont l’Europe répond à la crise huma-nitaire est de fermer ses frontières vis-à-vis de ceux qui sont le plus dans le besoin », dénonce-t-il. « L’Europe a décidé de rendre les demandes d’asile de plus en plus diffi-ciles pour eux, même s’ ils y ont droit. » En 2017-2018 il décide de rejoindre une ONG grecque à Lesbos, petite île stratégique. (1) Au moment de Noël, l’organisation est en sous-effectif et Sean se retrouve propulsé coordinateur de l’un des centres d’accueil les plus névralgiques, au sud de l’île. Les réfugiés qu’il côtoie sont pour la plupart Syriens, Afghans, parfois Congolais. « Ils ont tous en commun de venir d’environne-ments extrêmement périlleux », explique-t-il. « Il y a une infox disant que l’Afgha-nistan est stabilisée alors qu’en réalité c’est pire qu’au début de la guerre ! Ce sont des survivants qui ont le droit de fuir la vio-lence, leur vie entière a été détruite et ils

ont mis tous leurs efforts dans ce trajet pé-nible. Ces bateaux censés contenir quinze personnes sont remplis avec plus de quatre-vingts ! Ils ne portent pas de gilets de sauve-tage, parfois il y a une vingtaine d’enfants à bord. Les gens peuvent faire de l’hyper-thermie, un arrêt cardiaque, se noyer… Il y a des femmes enceintes qui risquent de perdre leur enfant… »

Accusation d’espionnageEn août 2018, Sean et sa collègue de vingt-quatre ans Sarah Mardini sont arrêtés par les autorités grecques. Ils passent trois mois et demi en prison à Lesbos, en attente d’un procès et risquent jusqu’à vingt-cinq ans d’emprisonnement. Le motif ? « On nous ac-cuse d’être des passeurs, de faire partie d’une organisation criminelle, de blanchiment d’argent, de fraude et même d’espionnage, ce qui est extrêmement grave. » L’argument principal et fallacieux c’est l’utilisation de Whatsapp, une application mobile de messagerie instantanée très usuelle.Sean n’en démord pas : « Il y a un droit d’asile et une obligation d’aider les noyés en mer. Les gens qui portent assistance comme moi ne devraient pas être poursuivis pour leur travail. » Récemment, le jeune homme a participé à une conférence sur les droits humains, avec l’exemple des passeurs de

la Résistance faisant fuir les opposants à Vichy en Espagne ou en Angleterre. « Les résistants de la Seconde Guerre mondiale ont sauvé des vies pour échapper à la ter-reur nazie. Aujourd’hui tout le monde re-connaît le bien fondé de ces actions. Mais sur l’aide aux réfugiés, le débat est beau-coup plus polarisé pour des raisons poli-tiques. On dit que ce sont des menaces ter-roristes, qu’ils ne viennent que pour des raisons économiques… » Pour son engage-ment Sean a reçu sur les réseaux sociaux des messages hauts en couleur, dont cer-tainement ouvertement fascistes « On m’a dit : “Sean, ce que tu as fait est une menace pour la sécurité, la paix et les valeurs euro-péennes.” C’est une ironie amère. Quand on abandonne les gens à leur sort et qu’on criminalise l’aide humanitaire, on perd ces valeurs qui doivent être mises à l’épreuve. Il faut se débarrasser de la rhétorique poli-tique d’un Salvini et répondre au message essentiel : “Doit-on ou non laisser des gens se noyer ?” »

Campagne de solidaritéUne pétition de soutien aux deux volon-taires a été lancée par Amnesty interna-tional. Mais leur cas est loin d’être isolé. « Quand j’ étais en prison, j’ai fait des recherches sur Internet sur la plateforme Resoma.eu, sur l’accueil des réfugiés, et j’ai découvert qu’il y a au moins 158 cas simi-laires dans l’Union européenne, en France, au Danemark, au Royaume-Uni, en Grèce, en Italie… J’ai reçu un courriel d’un pas-teur suisse poursuivi parce qu’il a laissé des demandeurs d’asile dormir dans son église durant une tempête. S’ il y a un accident de voiture, qu’est-ce que vous regardez en pre-mier : le pouls de la victime ou son passe-port ? Si vous le secourez sans faire attention à sa nationalité vous pouvez vous retrouver dans ma situation. C’est aussi ridicule que dangereux ! », s’indigne-t-il.

J. l. G.

(1) Plus de 49 000 migrants sont arrivés en Grèce l’an dernier, dont au moins la moitié à Lesbos.

n Pour en savoir plus : https :/www.amnesty.fr/personnes/sarah-mardini-et-sean-binder

« Délit » de solidarité à LesbosSean Binder, un jeune Allemand et sa collègue syrienne Sarah Mardini encourent vingt-cinq ans de prison pour avoir secouru des embarcations en détresse au large de l’île grecque de Lesbos. Récit.

Sean Binder et Sarah Mardini.©

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Le Saint-Sauveur, bar du XXe arrondissement de Paris a été frappé d’une fermeture administrative de plusieurs jours fin janvier par la préfecture de police de Paris en raison « du bruit ». Le propriétaire Julien Terzics est une figure de l’anti-fascisme parisien. En 1986, il dirige la bande des Red Warriors qui s’oppose physiquement aux mouvements néonazis alors très présents en banlieue parisienne. Leur symbole provo-cateur était une faucille croisée d’une batte de baseball. Les Red Warriors ont assuré la sécurité lors de concerts de groupes punk antifascistes comme les Bérurier noir et leur célèbre chanson Porcherie contre le Front national, et Laid Thénardier. Si la bande a été dissoute au début des années quatre-vingt-dix, le Saint-Sauveur s’est imposé comme un lieu de contre-culture. Une cagnotte a été établie en sou-tien au bar. On peut lire sur sa page Facebook : « Parce que pour eux, la convivialité est dangereuse car synonyme de sub-version. Parce que ce qu’ils ne contrôlent pas leur fait peur. Parce que dans leur vision du monde, le Paris antifasciste populaire et militant n’a pas sa place. Parce que nous ne sommes pas de celles et ceux qui courbent l’échine. » J. l. G.

Il est parti le 19 janvier. Les poèmes de ce professeur de français jurassien dans des revues poétiques ont été repérés notamment par Léo Ferré et Georges Brassens. à partir de 1960 il a collaboré avec François Cavanna, fondateur de Hara-Kiri et de Charlie-Hebdo. La postérité retiendra son travail aux côtés de Jean Ferrat à qui il a livré des textes caus-tiques et antifascistes. On se souvient en 1975 du Bruit des bottes : « C'est partout le bruit des bottes / C'est partout l'ordre en kaki. En Espagne on vous garrotte / On vous étripe au Chili. On a beau me dire qu'en France on peut dormir à l'abri / Des Pinochet en puissance travaillent aussi du képi » ou encore en 1981 La Porte à droite : « Dois-je vous l'avouer ces propos me renversent ? / Quand je vais boire un verre au café du commerce / Parfois je crois revoir sur du papier jauni / La photo de Pétain dans mon verre de Vichy ».

Menace sur le bar des « antifas » Tous les pays qui ont été le terrain de la

Seconde Guerre mondiale ont eu un cinéma qui évoqua ce conflit. Donnez-nous un titre de film, un seul par pays (exemple : France, La Bataille du rail). Après un tri par fréquence des réponses, nous publierons la liste des films les plus cités, chacun associé à son pays. Ce sera une construction collective qui donnera un reflet culturel du lectorat du Patriote Résistant.

Vos réponses peuvent nous parvenir par courrier (Jeu-film, Le Patriote Résistant, 10 rue Leroux, 75016, Paris) ou par mail : [email protected]

Jeu-filmLe cinéma associé à la Seconde Guerre mondiale

Décès de Guy Thomas, parolier de Jean Ferrat

La Bataille du rail, René Clément, 1946.

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du Palais des papes, une imposante exposition rétros-pective de près de quatre cents de ses œuvres – dessins, croquis préparatoires, photographies des dessins in situ, collages et autres documents, provenant de la gale-rie Lelong & Co (Paris), du musée Ingres à Montauban et de collections privées – sous le titre « Ecce Homo » [Voici l’homme]. Ce sont donc quatre cents œuvres d’un artiste engagé qui témoigne des combats pour la dignité humaine dans un demi-siècle d’histoire – le nôtre et, ce faisant, dénonce et rappelle des réalités du monde, notre monde.La démarche du créateur est, à partir du fait appré-hendé, connu, et de la réflexion politique sur celui-ci, de penser, au-delà de la convention du dessin, à l’ins-cription de l’image dans un lieu sur la base de l’effet du réel et de l’impact de la rencontre sur le passant. Mais Ernest Pignon-Ernest va plus loin – c’est dire qu’il se démarque des tenants du street-art, même si d’aucuns le classent à tort dans ce mouvement artis-tique – dans la mesure où il tente « de faire de la rue une œuvre, alors que la plupart des gens du street-art font de la rue une galerie, un lieu d’exposition (2). »Très tôt, il avait abandonné la technique du pochoir pour les grandes sérigraphies exécutées à partir de dessins au fusain et à la pierre noire (3), une autre technique

Faire de la rue une œuvre humanistePlasticien émérite, créateur de unes pour le Patriote Résistant, Ernest Pignon-Ernest s’expose au Palais des papes d’Avignon jusqu’au 29 février. Notre correspondant a esquissé les contours de son « Ecce homo ».

Au commencement, en 1966, il y eut les « parcours pochoirs » au plateau d’Albion. Ernest Pignon-

Ernest venait d’emménager dans le Vaucluse. Sous la présidence de Charles de Gaulle puis de Georges Pompidou, les gouvernements de l’époque font instal-ler sur le plateau le site de lancement des missiles nu-cléaires de la force de dissuasion nucléaire française, provoquant une vague de protestations, avec, en tête, le poète René Char en compagnie des écrivains Jean-Paul Sartre, Jean Rostand et Michel Leiris, le peintre Pablo Picasso illustrant l’affiche du mouvement Provence Point Oméga. Désireux de témoigner, de protester, lui aussi, le jeune artiste – il a vingt-quatre ans – recherche des documents sur Hiroshima et découvre une « photo où l’on voit que l’éclair atomique a brûlé le mur, décom-posant un passant dont il ne reste que l’ombre portée, litté ralement photogravée, pyrogravée sur la paroi (avec à ses côtés l’ombre d’une échelle (1)). » Ernest Pignon-Ernest découpe, à partir de la photo du corps calci-né et de l’échelle un pochoir, puis colle « ces fantômes d’Hiroshima » sur des rochers, des murs du plateau.

voici l’hommeCinq décennies plus tard, la Ville d’Avignon et Avignon Tourisme proposent dans la Grande Chapelle

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« L’ombre d’Hiroshima », cliché pris par Matsumoto Elishi à Nagasaki dans les décombres d’une base militaire. Le corps a disparu, l’ombre est restée. Ernest Pignon-Ernest «collant» Pasolini dans la cité napolitaine de Scampia. Extrait de Si je reviens.

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permettant « de mieux investir dans la conception de l’image, dans le dessin, et de mieux affirmer, avec le sup-port papier, le choix de la fragilité, de l’éphémère : un rapport au temps autant qu’au lieu. » Et d’insister sur les dimensions desdits dessins qui donnent à ceux-ci tant de vérité : « J’ai toujours conservé un élément déjà pré-sent dans ce premier pochoir : le corps grandeur nature, et une espèce de neutralité plastique qui vise à conférer à ces images les caractéristiques d’une empreinte, cette faculté dialectique qu’ont les empreintes de pouvoir sug-gérer à la fois une présence et une absence (4). »

De la Commune de Paris à la PalestineUn lieu, une dénonciation, un combat. Il convien-drait d’en dresser la liste, au point de provoquer chez le lecteur le « vertige de la liste » – pour reprendre la belle expression de l’écrivain sémioticien italien Umberto Eco (5). Aussi suffirait-il, non sans regrets en raison de la non-exhaustivité, d’évoquer les marches du Sacré-Cœur et les « Gisants » de la Commune de Paris ; le Chili martyr de Pablo Neruda ; la dénoncia-tion de l’Apartheid et du jumelage de Nice, sa ville natale, avec Le Cap ; l’assassinat par des parachutistes français du mathématicien communiste et militant de l’indépendance algérienne Maurice Audin à Alger ; le combat pour la reconnaissance de son peuple du poète palestinien Mahmoud Darwich à Ramallah ; l’assas-sinat de l’écrivain et réalisateur Pier Paolo Pasolini sur la plage d’Ostie près de Rome. Ernest Pignon-Ernest a aussi illustré des drames humains indivi-duels consécutifs à des drames collectifs en traitant de l’avortement, de l’exclusion, du sida, de l’immigra-tion. Son Rimbaud, poète trimardeur « aux semelles de vent », a fait le tour du monde. De même qu’il a aussi rendu un hommage sensible à ces autres « suicidés de la société » qu’ont été Antonin Artaud et Jean Genet ;

ainsi qu'aux suppliciés de la prison Saint-Paul à Lyon exécutés par la police de Vichy.

Droit au blasphèmeQue l’art d’Ernest Pignon-Ernest ne soit pas du goût de tout le monde est une évidence ! Invité en 2007 à dialo-guer à Montauban avec l’œuvre d’Ingres, il accorde une place de choix au « Vœu de Louis XIII (6)», représentant notamment deux anges dénudés dont le sexe féminin est clairement ébauché. Deux ans plus tard, à l’occa-sion de l’exposition « Ingres et les modernes » proposée dans le musée éponyme qui, en trois mois, attirera plus de 34 000 visiteurs, l’artiste colle deux bandes de cinq mètres sur la façade de la cathédrale montalbanaise les représentant. Oh, blasphème ! Dans la nuit du 25 au 26 juillet 2009, trois jeunes gens d’une famille intégriste mutilent les dessins à l’endroit du sexe, renouvelant le geste qu'Ingres, lui-même, avait connu quand, en 1826, le chapitre de la cathédrale avait fait poser des feuilles de vigne sur les sexes de l’enfant Jésus et de deux ange-lots au bas de son tableau. Sans porter plainte, Ernest Pignon-Ernest s’était interrogé : « Je m’interroge sur les fantasmes de ces jeunes gens. Où en sont-ils pour être troublés par de telles images ? Il y a un refus du corps qui m’étonne. (7)» Et le refus de l’art. Voilà les hommes ?

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n Pour plus d’informations :Exposition Ecce Homo au Palais des Papes d’Avignon jusqu’au 29 février 2020.Plein tarif : 12 € (entrée Palais incluse), Tarif réduit : 10 € (entrée Palais incluse).- https ://pignon-ernest.com/- http://www.palais-des-papes.com/fr/content/

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(1) Ernest Pignon-Ernest, Face aux murs, exposition Ecce Homo, Delpine, p. 7.(2) Extrait de Ernest Pignon-Ernest : l’art de révéler l’invisible sur les murs des villes du monde, par Isabel Pasquier, 8 août 2019, France Inter.(3) La pierre noire est une roche de schiste et de carbone provenant notamment de Bretagne. Elle s’utilise aussi avec la craie blanche et la sanguine dans la technique dite des « trois craies ». Elle permet dans la réalisation de portraits des veloutés voisins du velouté de la peau.(4) Ibid., p. 8.(5) Umberto Eco, Vertige de la liste, trad. de l’italien par Myriem Bouzaher, Flammarion, 2009.(6) Une commande passée en 1820 par le maire de Montauban à Ingres pour célébrer, en pleine Restauration, la mise sous protection de la sainte Vierge du royaume de France.(7) Source : https://musees-occitanie.fr/musees/musee-ingres/collections/ingres-et-les-modernes/ernest-pignon.

Ernest Pignon-Ernest à Naples. Jumelage Nice-Le Cap 1978, la dénonciation de l’Apartheid.

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Si le sort des déportés au « triangle rose » est évoqué dès la fin des années 1950 dans la

revue homophile Arcadie, il faut attendre les années 1970 et l’essor d’un mouvement radical de libération sexuelle pour qu’il s’impose chez les militants comme un élément constitutif de leur identité et un outil de légitimation de leurs luttes. La première de leurs revendications est de pouvoir commémorer le souvenir de ces vic-times. Le 25 avril 1975, afin de dénoncer le si-lence qui entoure la question, le GLH (Groupe de libération homosexuelle) s’invite à la céré-monie organisée au Mémorial des martyrs de la Déportation à Paris. Le petit groupe de mili-tants est vite refoulé et la gerbe rose en forme de triangle qu’ils portent est confisquée et dé-truite. La participation aux commémorations devient dès lors un enjeu de crispations, parfois extrêmes, entre déportés et associations homo-sexuelles. Ainsi à Besançon, en 1985, des mi-litants tentant de déposer une gerbe à l’issue de la cérémonie officielle, sont-ils violemment pris à partie par certains déportés qui veulent « rouvrir les fours pour les mettre dedans » (1).

La longue marche vers la reconnaissanceLa création en 1989 du Mémorial de la déportation homosexuelle augure d’un changement de stratégie chez les militants.

Il s’impose rapidement comme leur principal interlo cuteur auprès des autorités et des dé-portés, et entend aussi mieux faire connaître cette histoire. Le journaliste Jean Le Bitoux, son fondateur, s’efforce ainsi de promouvoir le témoignage unique de Pierre Seel, homo-sexuel alsacien interné au camp de Schirmeck. Celui-ci multiplie les passages télé et son récit est publié, avec l’aide du journaliste, au début de 1994 (2). La même année, les militants ré-clament, en vain, d’être associés de façon offi-cielle à la Journée nationale de la Déportation. En réaction, une manifestation est organisée aux abords du Mémorial de l’île de la Cité : plusieurs centaines de militants brandissent en silence des triangles roses pour honorer la mémoire des déportés homosexuels. Ce coup médiatique contraint l’État à intervenir. à par-tir de 1995, des représentants des associations homosexuelles sont invités à assister à la céré-monie officielle et le principe d’une seconde cérémonie, officieuse, est accepté.Peu après, le ministère des Anciens Combattants demande à la Fondation pour la Mémoire de la Déportation (FMD) de mener une étude sur la matérialité de cette déportation pour la France. Elle permet d’identifier 210 déportés pour ce motif : 206 résidents d’Alsace-Moselle et quatre travailleurs arrêtés en Allemagne. Dans

un discours qu’il prononce aux Invalides le 26 avril 2001, avant même la publication du rapport, le Premier ministre Lionel Jospin inclut les homosexuels parmi les minori-tés dont il convient d’honorer la mémoire. Mais ce geste a peu d’écho, contrairement à la manifestation « officieuse » organi-sée trois jours plus tard lors de la Journée nationale de la Déportation, avec Pierre Seel, en présence de nombreux élus. Il faut néanmoins attendre quatre ans pour que la commémoration publique des victimes homosexuelles soit pleinement reconnue, au terme d’une mobilisation sans précé-dent des militants. Le 24 avril 2005, dans son discours pour le 60e anniversaire de la libération des camps, Jacques Chirac déclare : « En Allemagne, mais aussi sur notre territoire, celles et ceux que leur

La mémoire longtemps occultée des « Triangles roses » En France, la déportation pour motif d’homosexualité n’a longtemps été portée que par les militants homosexuels. Sa reconnaissance officielle, obtenue au prix d’une longue lutte, intervient avant que ne soient engagées des recherches solides sur le sujet. Tout en confirmant la réalité d’une déportation homosexuelle, celles-ci révèlent la pluralité de la répression à l’encontre d’hommes dont les pratiques étaient jugées comme « contre nature ».

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à gauche : prisonnier de guerre condamné par le tribunal de Weiden au titre du paragraphe 175 du code pénal allemand. (Service historique de la Défense de Caen).

à droite : photo anthro-pométrique d'un Alsacien condamné par le tribunal de Strasbourg. (Archives départemen-tales du Bas-Rhin).

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vie personnelle distinguait, je pense aux homo sexuels, étaient poursuivis, arrêtés et déportés ».

un intérêt récent des chercheursà partir de 2006, l’équipe de recherche de la FMD reprend l’étude à la suite de la dé-couverte de cas pour la France occupée dans les fonds du Service historique de la Défense de Caen où elle est installée. Elle bénéficie rapidement du concours de plu-sieurs chercheurs, le sujet s’imposant désor-mais comme un véritable objet scientifique.

Parmi eux, Régis Schlagdenhauffen, qui pré-pare une thèse sous la direction d’Annette Wieviorka (3), puis Frédéric Stroh (4) et Jean-Luc Schwab (5) qui poursuivent des travaux universitaires sur la répression des homo-sexuels en Alsace-Moselle. Outre l’exploita-tion de fonds conservés à Caen, les recherches sont menées aux Archives nationales, aux ar-chives de la Préfecture de police de Paris et dans plusieurs services départementaux. Les premiers résultats sont présentés lors d’une journée d’étude organisée en 2007 à l’uni-versité de Dijon par Mickaël Bertrand, puis dans les actes dont il assure la direction (6). Les recherches suscitent l’intérêt des asso-ciations homosexuelles, en particulier des « Oublié.e.s » de la Mémoire qui sont à l’ori-gine d’une nouvelle journée d’étude en 2016 à Paris, donnant lieu à la publication d’un ouvrage collectif deux ans plus tard (7).Deux enseignements principaux ressortent de l’étude ; d’abord la fragilité des conclu-sions du rapport rendu en 2001 : plus de 90 % des « résidents » d’Alsace-Moselle, identifiés pour la plupart sur les registres du camp de Natzweiler, sont en effet des

étrangers, essentiellement des Allemands, dont le seul lien avec la zone annexée est d’y avoir été détenus. Elle permet de sai-sir ensuite la variété des mesures prises à l’encontre d’homosexuels, dont seule une minorité est déportée.

une répression multiformeTrois processus répressifs ont été repérés pour la France, à commencer par l’internement ad-ministratif utilisé contre des homosexuels de zone libre, dès l’automne 1940. Une quaran-taine d’« invertis notoires » de la Côte-d’Azur sont ainsi transférés en centre de séjour surveil-lé, en particulier Sisteron et Fort-Barraux. Si une majorité sont libérés après quelques mois ou années de détention, trois y trouvent la mort et sept sont déportés à Buchenwald et Dachau au cours d’opérations d’évacuation visant, en juin 1944, les lieux où ils sont enfermés.

D’autres homosexuels, 35 au moins, sont condamnés en zones occupées par la justice militaire allemande au titre du paragraphe 175 du Code pénal allemand sanctionnant les relations sexuelles entre hommes. Sont ici punies des agressions sexuelles contre des soldats allemands, mais aussi des relations intimes entre Français et militaires qui pourraient nuire à la sécurité du Reich, l’homosexuel étant aux yeux des nazis un traître ou un espion en puissance. Parmi eux, douze sont déportés dans le sys-tème carcéral allemand pour y purger leur peine. Enfin, les recherches ont aussi permis d’identifier neuf homosexuels dont la dé-portation relève de la police de sécurité alle-mande (Sipo-SD). Arrêtés pour des relations avec des Allemands, ils sont déportés depuis Compiègne dans des camps de concentra-tion où ils sont classés comme « politiques ». Outre ces Français arrêtés en France même, plus d’une centaine sont aussi condamnés au titre du paragr. 175, sur le territoire du Reich où ils se trouvaient au travail. Ils y subissent une détention strictement carcérale dans des prisons et forteresses d’où ils sont libérés à l’issue de leur peine ou par les Alliés.La répression des homosexuels a été la plus marquée en Alsace-Moselle (environ 350 cas). Les recherches témoignent d’une importante disparité entre l’Alsace d’une part, soumise très tôt à une vive répression, et la Moselle où l’on relève peu de cas (moins de 20). Parmi les homosexuels de la zone annexée : une cen-taine sont expulsés vers la « France de l’in-térieur », dès l’été 1940, environ 130 sont victimes d’une détention policière, d’un in-ternement de sûreté ou de rééducation, de

quelques jours à quelques mois, environ 120 sont condamnés au titre du paragr. 175 après l’introduction du droit allemand en 1942. Le rôle du camp de Schirmeck est ici à souligner puisqu’environ 110 homosexuels y sont inter-nés, soit dans l’attente d’une expulsion, soit pour y être « rééduqués » (c’est notamment le cas de Pierre Seel), soit à la suite d’une mesure de réclusion préventive prise contre des déte-nus jugés comme trop dangereux pour être li-bérés en fin de peine. Contrairement à ce que laissait penser le rapport de 2001, Natzweiler occupe, en revanche, une place mineure : seuls 14 Alsaciens-Mosellans figurent, en effet, par-mi les 312 détenus homosexuels du camp.

à ce stade, les recherches permettent d’af-firmer qu’au moins 550 Français ont été in-quiétés durant la Seconde Guerre mondiale en raison de leur homosexualité dont 27 sont morts durant ou des suites de leur détention. Le monument LGBT qui devrait prochaine-ment voir le jour à Paris permettra de leur rendre l’hommage qu’ils méritent.

arnaud BoulliGny, responsable de l'équipe de recherche

de Caen de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation

(1) Source : « Incidents entre homosexuels et déportés à Besançon », Le Monde, 30 avril 1985.

(2) Moi, Pierre Seel, déporté homosexuel, Paris, Calmann-Lévy, 1994.

(3) Publiée sous le titre Triangle rose. La persécution nazie des homosexuels et sa mémoire, Paris, Autrement, 2011.

(4) Auteur d’une thèse intitulée Justice et homosexualité sous le national-socialisme : étude comparée du pays de Bade et de l’Alsace soutenue en 2018 à Strasbourg.

(5) Jean-Luc Schwab a soutenu à Mulhouse en 2015 un master consacré à la Répression de l’homosexualité en Alsace annexée de fait (1940-1945). Il est par ailleurs le biographe de Rudolf Brazda.

(6) La Déportation pour motif d’homosexualité en France. Débats d’histoire, enjeux de mémoire, Lyon, Mémoire Active, 2010.

(7) Les Homosexuel.le.s en France : du bûcher aux camps de la mort. Histoire et mémoire d’une répression, Paris, éditions Tirésias, 2018.

Cérémonie du 29 avril 2001.De gauche à droite : Jean Le Bitoux, Christophe Girard et Pierre Seel.

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16 LE PATRIOTE RÉSISTANT N° 949 - février 2020

Dès qu’ils arrivent au camp, les papiers d’identité sont retirés aux prisonniers « par mesure de précaution », mais une autre carte « spéciale » leur est donnée. On leur prend les empreintes digitales. Une photo-graphie anthropométrique est réalisée, de face et de profil droit. Une nouvelle carte d’identité spéciale est établie. L’autorité française obéit conformément aux instruc-tions du Kriegsverwaltungsrat (1), Herr Kley. Permission est donnée à quelques uns de se promener en ville avec la seule carte spéciale qui est comme un fil à la patte.

Les sujets anglais sont interdits de sortie, « par précaution personnelle », dit le préfet, « bien qu’ils y fussent autorisés d’après les

dites instructions. » Servilité propre au régime qui n’y gagne aucune compensa-tion. Exception est faite cependant pour trois religieuses de nationalité britannique qui logeront au couvent à la demande de monseigneur Lefèbvre, évêque de Troyes.La règle au camp va devenir de plus en plus stricte, avec comptages et recomptages le soir, les Juifs étant comptés à part.Le nombre de personnes ayant séjourné au camp est difficile à chiffrer étant donnés les va-et-vient fréquents, un millier sans doute. Il y avait par exemple 337 personnes recensées le 17 janvier 1941.

Centre de tri et camp de concentration, l’école Jules-Ferry a repris en 1945, après

quelques travaux, sa fonction républicaine. Il a fallu attendre soixante-dix ans pour que soit reconnu ce lieu comme faisant partie du système répressif nazi.

Jean Lefèvre(1) conseiller administratif

L’histoire occultée et surprenante d’un groupe scolaire transformé en camp par l’occupant nazi. Épisode 5 et dernière partie.

dans les départements

Aubeun camp de concentration à Troyes, le centre Jules-Ferry

TémoignagesExtraits d’une lettre de M. Arthur Vincent, enfant interné au camp, datant du 27 mai 2005 :« (…) Ressortissant britannique, j’ai été interné avec ma mère de février 1941 à juillet 1942. Nous venions de Saint-Omer accompagnés de Juifs, Tziganes, communistes… Cette période de mon enfance n’a jamais été évoquée avec mes parents, mes enfants ou petits-enfants. Cependant, elle m’a marqué fortement, surtout et essentiellement par le souvenir des familles juives que nous avons côtoyées quelques mois seulement (…) ».

Extraits du témoignage de Mme Léonie Konieczka, vice-présidente de la FNDIRP et internée dans le camp (dans Bourse du Travail, mémoire vivante du 21 décembre 2014) :« (…) Il y avait des déportés juifs, hollandais, tziganes… Nous avons voyagé pendant trois jours, jour et nuit, en direction de l’Allemagne, sans manger ni boire, même moi une enfant de deux ans. (…) Pourquoi, avons-nous été arrêtés ? La raison exacte, nous ne l’avons jamais sue. Mais j’ai appris que les Polonais étaient aussi mal vus que les Juifs, et à cette époque, tout étranger devait être exterminé.(…) Moi je me considère comme une déportée. (…) Je ne me rappelle pas grand-chose de cette époque, sauf que j’ai une peur bleue des hôpitaux, plus que quiconque. Et que je ne savais plus parler au retour avec mes parents. J’étais une éternelle malade, peur de tout, introvertie. Jusqu'à maintenant, je ne sais pas rire, j’ai toujours les yeux tristes. Ma mère ne s’est jamais remise. Que s’est- il passé pendant leur internement dans ce camp ? »

Dévoilement de la plaque par le maire de Troyes François Baroin, aux côtés de son adjointe Sybille Bertail. à gauche Arthur Vincent et Léonie Konieczka, à droite Jean Lefèvre.

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Val-d’OiseTémoignage en milieu carcéralDébut décembre, Frania haverland a raconté son récit de déportation à la maison d’arrêt du val-d’Oise (MAvO) à Osny. une première.

dans les départements

écrit d’après un article de Julie Ménard du Parisien.Depuis des années Frania Eisenbach-Haverland, 93 ans, promue récemment cheva-lier de l’Ordre national du mérite, est sollicitée par des établissements scolaires pour dire son histoire. Elle a confié au Patriote Résistant avoir été particulièrement émue par sa ren-contre avec des détenus d’Osny. Cet échange sans faux-semblants a bouleversé autant l’an-cienne déportée, seule survivante d’une fa-mille juive polonaise de soixante personnes, que la vingtaine de participants réunie à la bibliothèque du centre pénitentiaire.Ces hommes, qui ont entre vingt-cinq et soixante-dix ans, sont restés captivés pen-dant deux heures : « Vous êtes une femme formidable », s’enf lamme l’un d’eux en écoutant son récit. « Comment faites-vous pour ne pas avoir de haine après tout ça ? » interroge une autre personne.« Si je suis là devant vous ce n’est pas pour me soulager, répond Frania. C’est pour vous pré-venir que cette haine envers les autres existe toujours. Ma vie est derrière moi, mais la vôtre est devant vous. » Frania, qui a connu l’horreur concentrationnaire, et est passée par quatre camps, parle d’humanisme avec d’autant plus de vérité qu’après la Seconde Guerre mondiale elle fut une « migrante » livrée à elle-même, à Paris. Les détenus, considérés par la société comme des parias, ne pouvaient qu’être profondément touchés par le témoignage de Frania.

Catherine Bujaud, enseignante au scolaire de la MAVO, a lancé cette belle initiative qui s’inscrit dans un projet pédagogique sur le thème des génocides et des déportations. « Ce type d’intervention peut apporter à ces détenus une forme d’empathie réciproque. C’est aussi le signe de la confiance qu’on leur accorde. »

Un prisonnier a même déclaré à Frania « Je suis arrivé ici démoralisé, mais vous m’avez redonné de la force ». Et Frania de conclure : « On m’a dit que j’étais un vaccin contre la haine, ça va me rester en mémoire. Je suis certaine que leur parler de ma souffrance les aide à surmonter la leur. »

Julien Le Gros

Frania Haverland, escortée par Alain Rivet, président de l’ADIRP du Loiret, est sur la route dans le Loiret et en Corrèze, ce mois-ci, pour livrer son témoignage précieux d’ancienne déportée qu’elle résume dans son ouvrage Tant que je vivrai.

Loiret- Le 1er février à la salle des fêtes de Cepoy,

dans l’agglomération de Montargis (400 places).

- Le 13 février au théâtre Gérard-Philipe à Orléans la Source (540 places).

Corrèze- Le 17 février à l’Espace Ventadour à égletons

(800 places).- Le 18 février à la salle des Trois-Provinces

à Brive-la-Gaillarde (2 000 places).

Hauts-de-SeineAssemblée générale de l’ADIRP 92Le 14 décembre, au Chalet, à Malakoff, nous avons mené cette réunion en deux parties à la demande de nos adhérent(e)s.D’abord, la section Malakoff-Bagneux, a fait son bilan 2019, notamment de trésorerie. Il n’y a pas eu de changement de bureau.Ensuite, l’ADIRP 92 a tenu son assemblée avec 85 participants. Une seule section n’était pas représentée en raison de la grève des transports, celle de Courbevoie. Pour le 75e anniversaire de la libération des camps Jean-Pierre Raynaud, secrétaire départemental représente le national. Nous avons fait deux adhésions à Suresnes.

À la pause déjeuner, nous avons été rejoints par la maire de Malakoff Jacqueline Belhomme et trois adjoints ainsi que par la maire de Bagneux Marie-Hélène Amiable avec lesquels nous avons bu le verre de l’amitié. Nous avons ensuite pris un repas en commun avec nos camarades de l’Association républicaine des anciens combattants (ARAC).L’après-midi, nous avons reçu Joëlle Fontaine professeure d’histoire et géographie, écrivaine, en présence d’enseignants de Malakoff et de Bagneux. La discussion a porté sur le Concours national de la Résistance et de la déportation 2020. Ce bel événement s’est terminé en chansons.

Pour le bureau de l'ADIRP 92, Jean-Pierre Raynaud et Claude Girard

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Frania Haverland témoigne à la maison d’arrêt du Val-d’Oise, à Osny.

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Eure-et-LoirL’hommage à René Perrouault

15 décembre 1941 – 14 décembre 2019 : 78 années se sont écoulées depuis cette tra-gédie de la Blisière, près de Châteaubriant en Loire-Atlantique, où neuf internés du camp de Choisel étaient fusillés. Communistes, ils étaient considérés comme de dangereux terroristes.L’un d’eux – René Perrouault – était dans un premier temps inhumé à Casson (Loire-Atlantique). Son corps est rapatrié le 17 juin 1945 dans le cimetière de Dammarie, au cœur d’une Beauce qu’il aimait tant, où il avait des attaches familiales.Si en ce 14 décembre nous sommes un peu moins nombreux que les années pré-cédentes à assister à la cérémonie orga-nisée par la Fédération nationale CGT des industries chimiques, l’amicale de Châteaubriant-Voves-Rouillé-Aincourt et le Comité du souvenir du camp de Voves, nous ne sommes pas moins déterminés et fidèles à la mémoire. Les représentants d’associations du monde combattant et pa-triotique avec leur drapeau, les organismes mentionnés ci-après, madame la maire de

Dammarie ainsi que des « individuels » sont toujours attachés à cette cérémonie.Partant de la mairie de Dammarie le cor-tège se rend au cimetière de la commune où cinq gerbes sont déposées sur la tombe aux noms de : la CGT et du PCF d’Eure-et-Loir, du comité du souvenir du camp de Voves, de l’amicale de Châteaubriant-Voves-Rouillé-Aincourt et de la Fédération natio-nale CGT des industries chimiques. Après la minute de silence dédiée à la mémoire de René et de ses camarades, les partici-pants interprètent le Chant des partisans.Avant de quitter le cimetière, une halte est observée au monument aux morts de la commune où une minute de silence est res-pectée en mémoire des enfants de la com-mune tombés lors des différents conf lits, suivie de l’interprétation de la Marseillaise.

Le combat pour les valeurs essentiellesDe retour à la salle, deux courtes allocu-tions sont prononcées. Jackie Hoffmann au nom de l’amicale, après avoir remercié

les présents rappelle les raisons et condi-tions de l’exécution de René et des autres otages au mont Valérien, à Souge, à Nantes, à Caen, à Fontevraud, entre octobre et décembre 1941. Elle fait état du courage et de la conviction qu’il fallait à ces hommes et femmes face aux exactions de l’ennemi et de Vichy voulant en finir « avec ce vent mauvais qui se lève ». Elle parle de l’espoir de paix, d’égalité, de liberté qui animait ces personnes pour voir des jours meilleurs, ce qui l’amène à évoquer la casse actuelle d’un pilier du modèle social issu du Conseil national de la Résistance en concluant que le combat de René Perrouault, celui de valeurs essentielles, est toujours à dé-fendre pour que l’Histoire ne s’écrive pas à reculons.Claude Gillet-Colart pour la Fédération des industries chimiques aborde le sujet plus général de ces (jeunes) résistants « n’ac-ceptant ni l’Occupation ni la collaboration prônée par Pétain et ses ministres qui ont poussé l’ ignominie jusqu’à aller au- delà des demandes des nazis et leur remettre des listes de “terroristes” parmi lesquelles choisir les otages à fusiller ». Elle procède également au rappel d’un révisionnisme insidieux voulant faire croire que le ré-gime de Vichy avec sa milice « qui a poussé à la déportation d’enfants juifs, qui a livré nos camarades aux assassins n’était qu’ai-mable bouffonnerie, que la Résistance n’a eu qu’un rôle secondaire dans la libération du pays, que nous devons tout à nos amis américains ». Elle relate l’appel de Charles Tillon depuis Gradignan le 17 juin 1940 et l’arrestation de René Perrouault. Pour ter-miner elle cite la phrase de Guy Môquet écrite sur une planche de sa baraque nous demandant d’être dignes d’eux et fait un rapprochement avec la situation actuelle.Le verre de l’amitié clôt cette cérémonie qui, si elle est simple, se veut être digne afin de ne pas oublier.

étienne égret, secrétaire mémoire du Comité du souvenir du camp de Voves

Le 14 décembre dernier, le comité du souvenir de voves a honoré la mémoire de René Perrouault à Dammarie. Compte rendu.

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La halte au monument aux morts de la commune.

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SartheDécès d’Albert Girardet, ancien déporté de Buchenwald

Puy-de-DômeRobert Marchadier, un grand syndicalisteL’Institut d’histoire sociale (IhS) de la CGT du Puy-de-Dôme, a rendu hommage le 6 novembre dernier à Robert Marchadier, qui a été, entre 1936 et 1955, une figure majeure du mouvement ouvrier clermontois et puydomois et de la Résistance.

J’ai appris le décès le 17 décembre dernier, à quatre-vingt- quatorze ans, dans le Jura, de notre camarade Albert Girardet, chevalier de la Légion d’honneur. Je tenais à saluer le souvenir de cet ex-cellent témoin et compétent guide pour les visites des camps de Buchenwald et de Dora.Nous avons travaillé ensemble en 2014 et il avait su maintenir constamment l’attention de notre groupe composé de 30 lycéens et de 10 adultes de notre association AERI-Sarthe. Ses rappels histo-riques portaient sur la montée du nazisme. Il a décrit les conditions de vie des déportés et l’organisation de la Résistance dans le camp. Les prisonniers de guerre soviétiques étaient assassinés « au manège ».On a été frappés par son témoignage sur l’exécution par pendaison de « saboteurs ». Le parcours de l’immense mémorial avec sa des-cription des stèles et des bas reliefs… Sa gentillesse, sa simplicité, son accent des Vosges ont laissé des traces indélébiles dans les mémoires. La lecture du Serment de Buchenwald par des jeunes a particulièrement marqué les esprits…

Yves Voisin, ADIRP de la Sarthe

Près de 200 personnes sont venus visiter l’exposition de photos sur Robert Marchadier et les luttes du Front populaire à Clermont-Ferrand. à 20 heures, la salle Conchon de la capitale du Puy-de-Dôme était pratiquement comble pour accueillir Éric Panthou, chercheur-associé à l’Univer sité

de Clermont-Ferrand, qui a pré-senté la conférence intitulée : « Robert Marchadier, l’ouvrier qui fit trembler Michelin », suivie d’un débat. Robert Marchadier est resté dans les mémoires pour avoir été celui qui déclencha et mena la première grève orga-nisée chez Michelin, en 1936,

puis en dirigeant localement un syndicat passé de quelques dizaines d’adhérents à plus de sept mille, quelques semaines plus tard. Il reste le symbole d’un syndicalisme de masse face à la toute-puissance de Michelin, par ailleurs bailleur de fonds de la Cagoule, organi-sation politique terroriste et clan-destine d’extrême droite. Pour ses activités militantes, Robert Marchadier a subi la répression. Licencié en février 1936 et mis sur liste noire, il fut le militant le plus lourdement condamné en France après la grève générale du 30 novembre 1938. Premier condamné à mort de la Zone libre en septembre 1941, pour son engagement comme militant communiste contre le régime de Pétain, puis contre l’occupant

nazi, il s’évada de la prison de Saint-Étienne en 1943, avant d’être repris et déporté à Dachau. Comme beaucoup d’autres mili-tants communistes, il eut les pires difficultés à faire reconnaître ses droits de déporté- résistant. Élu au Comité central du PCF, et secrétaire de l’Union départe-mentale CGT à la tête des grandes grèves de 1947-1950, il fut le héros ouvrier de Clermont, avant de subir après 1955, le désaveu puis l’oubli…

Alexandra Rollet

La brochure sur Robert Marchadier est en vente auprès de l’Institut d’histoire sociale de la CGT au prix de 2 € hors frais de port. Contact : IHS CGT, Place de la Liberté, 63000 Clermont-Ferrand ou [email protected]

Albert Girardet en rouge, au milieu, avec les lycéens de la Sarthe et l’AERI.

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Nordhommage à Jacques Colin (1923-1945)

Étudiant au lycée Faidherbe à Lille, Jacques Colin fait partie du mou-vement Défense de la France et participe à l’or-ganisation dans le Nord de la diffusion du jour-nal clandestin et de faux

papiers pour la lutte contre le STO. Il est pris lors d’une vague d’arrestations en juillet 1943, survenue à Paris et dans le Nord suite à la dé-nonciation d’un agent infiltré (Serge Marongin dit « Elio »). Geneviève de Gaulle-Anthonioz et Jacques Lusseyran font partie de cette vague d’arrestations.Il est mis au secret à la prison du Cherche-Midi. En février 1944 il est transféré au camp de Buchenwald puis à celui de Dachau. Le camp est libéré le 29 avril 1945. Jacques Colin est emmené à l’hôpital américain de Dachau où il décède le 18 mai 1945 des suites du typhus.Extrait du discours de Paul Drossart, professeur agrégé de lettres, prononcé le 11 février 1950 au cimetière de Ronchin, en présence d’Edmond Michelet, président de l’amicale des anciens de Dachau, à l’occasion du retour des cendres de Jacques Colin :« (…) Jacques Colin n’a pas choisi la mort par vocation. Aussi loin que je remonte en arrière, et jusqu’aux bancs de la 6e où nous nous ren-contrâmes en 1933, ses gestes, son rire, sa force physique, son exubérance même, son ardeur au travail, tout en lui témoignait d’une vitalité presque excessive. Cette surabondance d’éner-gie, cette prodigalité même, jointes à son intel-ligence et aux disciplines morales qu’il tenait de son milieu familial, expliquent les succès sco-laires qui lui permirent pendant toute la durée de ses études secondaires de figurer à la tête de sa classe. Elles expliquent aussi une turbulence intermittente trop peu calculée pour lui ôter la confiance de ses professeurs, assez efficace toutefois pour lui valoir celle de ses camarades.(…) Bachelier à dix-sept ans (en 1940), après un an de première supérieure à Louis-le-Grand, il revient faire une seconde, puis une troisième année au lycée Faidherbe. En même temps que le concours d’entrée à l’École normale supérieure, il préparait sa licence ès lettres

et obtenait les certificats d’études latines et d’études grecques. C’était le même garçon confiant et prodigue de ses forces qui nous était revenu, mais moins insouciant, mûri déjà par sa jeune science et surtout par l’action clan-destine dans laquelle il s’était engagé. Chacun de nous se souvient des propos où éclataient sa résolution et son impatience, entretenues par la présence des Allemands dans le lycée même, par celle du portrait du maréchal dans la classe de khâgne, provocations qui le faisaient littéralement grincer des dents.

On nous arrêta un matin de vacances, en juillet 1943. Sans retracer ici les étapes de son martyre, il me faut évoquer son attitude cou-rageuse après l’arrestation et au cours des in-terrogatoires. D’abord parce qu’elle a contribué à m’épargner la déportation et que je tente de m’acquitter ici d’une dette personnelle. Ensuite, parce que le sacrifice de Jacques Colin, loin de lui paraître exceptionnel et surhumain, ne dut être pour lui qu’un acte de bonne volon-té et de bonne foi s’ajoutant à tous ceux dont était faite depuis si longtemps sa vie d’éco-lier et d’étudiant. Se jugeant le plus compro-mis, il n’hésita pas à se compromettre encore davantage, car il lui paraissait tout naturel de prendre pour lui la part la plus difficile et de ne pas reculer devant la tâche. Il accom-plit ce sacrifice si simplement, et quand plus tard il refusa de renier quoi que ce soit de sa conduite et de ses principes, ce fut avec si peu de grandiloquence qu’en vérité, j’ai peur d’en avoir déjà trop dit pour ne pas lui déplaire… »

Cécile Drossart-Masson, adhérente de l’ADIRP de Paris

Côte-d’OrGabriel Lejard, un résistant ouvrierun livre de Jean Belin raconte l’histoire de ce syndicaliste, déporté à Auschwitz et responsable départemental de la FNDIRP.

Né en 1901, il part en 1917 à Lyon chercher un emploi avec une formation d’ajusteur. Confronté aux difficultés de son époque pour survivre, il s’engage très tôt dans les luttes, dans les rangs de l’anarcho-syndicalisme.Après avoir épousé Léa en 1923 à Lyon, le couple s’installe à Dijon. Gabriel Lejard devient dirigeant du Syndicat des métaux de Dijon et membre de la direction de l’Union départementale CGT de Côte-d’Or. Après la déclaration de guerre, il est exclu de la direction par la tendance Jouhaux. Le Syndicat des métaux est dissout par le préfet.

Dès le début de l’Occupation, il rejoint les groupes clandestins et s’engage dans la résistance ouvrière. Arrêté à son domicile en juin 1941, il est envoyé en prison à Dijon, Compiègne, puis déporté à Auschwitz. De retour des camps de la mort en mai 1945, il retrouve sa compagne Léa. Malheureusement, il apprend le décès de son unique fille, agent de liaison de la Résistance et déportée à Ravensbrück.

Gabriel Lejard reprend la direction du Syndicat des métaux et lors du 1er congrès de l’Union départementale après la Libération, il accède aux plus hautes res-ponsabilités de la CGT Côte-d’Or. La question du ravitaillement, des

prix et des salaires est au centre des préoccu-pations des salariés et du combat qu’il mène dès les premiers jours de son élection. Gabriel Lejard, qui a perdu un frère durant la guerre 1914-1918, ainsi que sa fille unique dans l’en-fer des camps nazis, s’engage sans relâche et avec obsession jusqu’au terme de sa vie pour défendre la paix.

En 1961, il prend sa retraite mais sa vie militante ne s’arrête pas, puisque l’année suivante il accepte la présidence départementale de la FNDIRP, responsabilité qu’il occupera pendant seize ans. Toutes ses années restantes, il consacre beaucoup de temps et de force à témoigner, à participer aux activités commémoratives, à préserver les sites, ainsi qu’à la lutte contre le négationnisme. Il décède le 2 novembre 1988 à Dijon.

dans les départements

Résistant à Lille, déporté à Buchenwald et à Dachau, Jacques Colin a fait l’objet d’un hommage par son ami Paul Drossart, ancien trésorier de la section FNDIRP de Lomme (voir le Patriote Résistant numéro 945).

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21LE PATRIOTE RÉSISTANT N° 949 - février 2020

Hélène Robineau, fille d’un père communiste qui deviendra maire et d’une mère juive, a ému les jeunes en leur racontant sa propre histoire d’enfant cachée pen-dant la Seconde Guerre mondiale. Ses parents étaient dans la clandestinité.

Hélène Pouyade, représentante de l’Association natio-nale des familles de compagnon de la libération dans le Var, fille de l’aviateur Pierre Pouyade, a expliqué le lourd tribu des pilotes. Le général Pouyade, comman-dant de l’escadrille Normandie-Niemen, fait partie de ces aviateurs héroïques qui ont fui la France de Vichy pour combattre le régime nazi. Il fut dégoûté après la livraison par les autorités de Vichy d’un pilote améri-cain à l’armée japonaise qui le fit décapiter.Une stèle en son honneur a été inaugurée à Bandol au Parking central le 13 septembre dernier, puisqu’il fut bandolais et député du Var.

Joëlle Robert-Colmay, représentante de l’Association nationale des familles de compagnon de la Libération dans les Bouches-du-Rhône, a évoqué le parcours de son père Constant, compagnon de la libération des Forces françaises libres, originaire de Saint-Pierre-et-Miquelon, et son engagement dans les campagnes des FFL en 1941, en Syrie et au Liban, contre les forces de Vichy, puis en 1942 à la bataille de Bir Hakeim face à l’Africa Corps qui fut un prélude à la chute de l’Axe. En 1943, les FFL furent intégrées avec l’armée d’Afrique à la 1re Armée française du maréchal de Lattre qui débar-qua en Provence, le 15 août 1944. Constant Colmay est inhumé en 1965 à Toulon où il œuvra comme passeur de mémoire et comme président de l’Association des Français libres.

Olivier Maurel, professeur agrégé de français retrai-té, nous a relaté le parcours de sa sœur Micheline Maurel, résistante toulonnaise du réseau de la France libre Marco Polo agissant à Lyon. Micheline Maurel qui décèdera en 2009 dans sa ville de naissance fut une élève brillante et ancienne professeure agrégée de l’ancien lycée de jeunes filles de Toulon, l'actuel lycée Bonaparte, où une plaque a été inaugurée lors d’une importante et émouvante cérémonie le 1er décembre 2017, en présence de la famille et à l’initiative de l’asso-ciation du CNRD83, de la Fondation de la France libre et de l’Éducation nationale.

Jean Ghibo issu d’une famille toulonnaise, enfant alors âgé de douze ans, pendant la Seconde Guerre mon-diale, a été très tôt agent de liaison au sein des mou-vements unis de la Résistance, dans l’Ain. Il quitta Toulon pour échapper aux bombardements et bernera par son jeune âge les forces d’Occupation par la trans-mission de messages pour la Résistance…

Les élèves ont été particulièrement touchés par ces témoignages. Une autre rencontre est prévue avec notamment Pierre Saunier, un déporté bandolais victime de répression à Mauthausen « identifié dans le roman Le Tunnel paru en 1978 d’André Lacaze, déporté dans le même camp, qui fut chef du service informations à Paris Match. Plusieurs collégiens de la classe Défense de 4e encadrés de leurs professeurs d’histoire participent en catégorie devoir collectif audio visuel au Concours national de la Résistance et de la Déportation 2020.

Michel Magnaldi, membre de la Fondation de la France libre, animateur de l’association CNRD du Var

dans les départements

VarRencontre témoignage avec les collégiens Le 7 novembre, les élèves de la classe Défense et Sécurité Globale du collège Raimu de Bandol ont rencontré plusieurs personnalités liées à la Résistance.

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22 LE PATRIOTE RÉSISTANT N° 949 - février 2020

souscription nationale

Aisne : Mme Morice-Hebert, Soissons 24 ;

Alpes-de-Haute-Provence : M. Caillard, Mane 4 ;

Hautes-Alpes : Mme Farnaud Martin, Gap 4 ;

Alpes-Maritimes : Mmes Defossez, Vallauris 39 ; Glacet, Saint-Laurent-du-Var 9 ; Pals, Villefranche-sur-Mer 39 ;

Ardèche : M. Hermitte, Saint-Andéol- de-Vals 4 ;

Aube : M. Patris, Laines-aux-Bois 15 ;

Bouches-du-Rhône : M. et Mmes Clément, Calas 29 ; Coiffard, Aix-en-Provence 39 ; Geniez, Vauvenargues 22,87 ; Vermée, Eyragues 4 ;

Cantal : M. Aymard, Maurs 4 ;

Charente : M. Touzain, Ruelle-sur-Touvre 4 ;

Corrèze : M. Fage, Tulle 39 ;

Côte-d’Or : MM. et Mme Belin, Chenôve 4 ; Lauthier, Chenôve 224 ; Rosso, Dijon 39 ;

Côtes-d’Armor : Mme Olivo, Plouagat 4 ;

Dordogne : M. et Mme Chouet, Périgueux 39 ; Vignaud, Lanouaille 4 ;

Drôme : Mme Pez, Montélimar 39 ;

Haute-Garonne : Mme Lorenzo, Toulouse 40 ;

Gers : M. De Luget, Esclassan-Labastide 4 ;

Gironde : M. et Mmes Godives, Gujan-Mestras 9 ; Guillaudat, Pessac 4 ; Marcadie, Mérignac 7 ; Tribouillard, Bordeaux 9 ;

Hérault : Mmes Berriot-Salvadore, Montpellier 4 ; Mathivet De Mirmont, Montpellier 4 ;

Ille-et-Vilaine : M. et Mmes Bunel, Saint-Malo 4 ; Lancelot, Saint-Broladre 104 ; Ledean, Saint-Malo 4 ; Thouanel-Drouillas, Saint-Jacques-de-la-Lande 4 ;

Indre-et-Loire : MM. Maillet, Tours 4 ; Presselin, Tours 4 ;

Isère : Mmes Di Filippo-Chabloz, Saint-Martin-d’Hères 4 ; Perotti, Grenoble 39 ;

Jura : M. Gaudet, Tourmont 4 ;

Landes : M. Caux, Aureilhan 4 ; Daugey, Saint-Paul-lès-Dax 4 ; Hiquet, Saint-Paul- lès-Dax 100 ;

Loire : Mmes Préfole, Roanne 4 ; Sotton, Charlieu 4 ;

Loire-Atlantique : MM. et Mmes Julien, Nantes 30 ; Lecorre, Trignac 39 ; Mazan, Saint-Herblain 4 ; Surget, Couëron 9 ;

Loiret : MM. Rivet, Olivet 81 ; Thieblemont, Gy-les-Nonains 4 ;

Lot-et-Garonne : MM. Ducos, Marmande 55 ; Esparcia, Saint-Georges 10 ; Guitat, Nérac 30 ; Raffy, Sainte-Bazeille 39 ;

Lozère : Mmes Jacquemai, Langogne 39 ; Rouveyre-Vignettes, Saint-Bauzile 39 ;

Marne : M. Legrand, Reims 9 ;

Meurthe-et-Moselle : MM. et Mmes Buannic, Nancy 39 ; Cendan, Longwy 30 ; Lafaurie, Nancy 4 ; Rossolini, Auboué 19 ;

Meuse : M. et Mme Camacho, Salmagne 4 ; Harbulot, Bar-le-Duc 4 ;

Morbihan : Mme Trehin, Lorient 19 ;

Moselle : MM. et Mme Benni, Hayange 39 ; Flajolet, Gandrange 4 ; Kieffer, Metzing 39 ; Roffé, Nilvange 4 ;

Nord : Mmes Dacosse, Feignies 4 ; Paupert, Ronchin 39 ;

Pas-de-Calais : M. et Mmes Blanpain, Pelves 4 ; Perrot-Gressier, Boulogne-sur-Mer 10 ; Ringeval, Rœux 60 ;

Puy-de-Dôme : M. Touche, Beaumont 19 ;

Pyrénées-Atlantiques : MM. et Mmes Lajournade, Ciboure 59 ; Latusque, Lourenties 30 ; Nouqueret, Biarritz 19 ; Perea, Hendaye 35 ;

Hautes-Pyrénées : M. Roucau, Bazillac 89 ;

Pyrénées-Orientales : M. et Mmes Ferrer, Perpignan 29 ; Ferrer, Perpignan 80 ; Pol, Saint-André 4 ; Torrent, Ponteilla 27 ;

Bas-Rhin : M. Keller, Geudertheim 39 ;

Haut-Rhin : MM. Bracher, Lutterbach 9 ; Nunninger, Uffholtz 39 ; Tscheiller, Thann 39 ;

Rhône : MM. et Mme Horner, Villeurbanne 4 ; Morel, Lyon 9 ; Vuarin, Rillieux-la-Pape 4 ;

Haute-Saône : Mmes Clerc, Velleclaire 9 ; Ruiz, Ronchamp 4 ;

Saône-et-Loire : Mmes Andres, Charnay-lès-Mâcon 39 ; Miniau-Lamanthe, Paray-le-Monial 4 ;

Savoie : Mme Moulin, Albertville 4 ;

Haute-Savoie : MM. Blanc, Lugrin 4 ; Cottet, Habère-Poche 4 ; Metral, Sévrier 4 ;

Paris : MM. et Mme Bercu 7 ; Blanzy 4 ; Hirsch 9 ; Kolnitchanski 9 ; Vial 89 ;

Seine-Maritime : Mmes Houdmont, Notre-Dame-de-Bondeville 19 ; Tehet Le Havre 39 ;

Seine-et-Marne : M. Valid, Champs-sur-Marne 9 ;

Yvelines : MM. et Mmes Christophe, Rocquencourt 4 ; Degraeve, Trappes 60 ; Eicher, Versailles 30 ; Policar, Versailles 39 ;

Somme : M. Crépin, Amiens 4 ;

Var : MM. et Mme Bonifay, La Seyne-sur-Mer 39 ; Friedmann, La Garde 4 ; Martini, Le Lavandou 19 ;

Vaucluse : M. et Mmes Fernandez, La Tour-d’Aigues 38 ; Reynaud, Le Pontet 14 ; Silve, Sorgues 4 ;

Vienne : M. et Mme Amand-Guigné, Poitiers 4 ; Perillaud, Poitiers 4 ;

Haute-Vienne : Mmes Cathely-Darnajoux, Limoges 89 ; Duquerroix, Limoges 4 ;

Yonne : M. Billat, Chablis 14 ;

Territoire-de-Belfort : Mme Spieser, Giromagny 4 ;

Hauts-de-Seine : MM. et Mme Costa, Levallois-Perret 10 ; Dutems, Colombes 4 ; Ménétrier, Asnières-sur-Seine 39 ; Rousset, Le Plessis-Robinson 4 ;

Seine-Saint-Denis : M. et Mmes Costa, Gagny 4 ; Deroin-Martinez, Noisy-le-Sec 9 ; Thomas, Saint-Denis 39 ;

Val-de-Marne : M. et Mme Albano, Villejuif 19 ; Bastard, Vincennes 59 ;

Val-d’Oise : Mme Lemire, Asnières-sur-Oise 19 ;

étranger : MM. et Mme Fouter, Israël 9 ; Levy, Grande-Bretagne 15 ; Munier, Suisse 29.

Total de la liste3 134,87 €

Liste arrêtée le 3 janvier 2020 pour les abonnements de soutien

au Patriote Résistant Sont mentionnés les dons effectués à partir de 4 €

après prélèvement de 61 € au titre de l’abonnement.Ainsi, si vous avez versé 75 €, la somme qui

apparaît après votre nom est : 75 € - 61 € = 14 €et

pour les versements à la FNDIRP :Les sommes versées à la FNDIRP, en dehors

du réabonnement, ont été retenues au titre de la souscription nationale, elles sont donc mentionnées

intégralement.

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Les orphelins du même sabrel’invité du mois Pascal Manoukian

En 1983, vous publiez Le Fruit de la Patience (éditions Le Centurion)C’était une commande d’Antoine Sfeir, grand spécialiste du Moyen-Orient, décédé en 2018, qui était rédacteur à Pèlerin. En 1975 s’est créée l’Armée secrète arménienne de libération de l’Arménie (Asala), ce mouvement par lequel les Arméniens ont revendiqué, parfois violem-ment, la reconnaissance du génocide (environ 1,5 mil-lions de victimes N.D.L.R.). Tout le monde a commencé à parler des Arméniens. Sfeir m’a demandé d’écrire un livre pour expliquer ma communauté aux Français. Un chapitre sur deux j’y alterne entre l’histoire de ma famille et celle de l’Arménie. Cette Histoire remonte

à plus de trois mille ans, avec la création de ce qui fut la première nation chrétienne, avec le christianisme comme religion d’État…

Quel est ce récit familial ?Il est à la fois commun pour les Arméniens et étonnant pour les Français. Ma grand-mère, venue d’Erzeroum, a survécu au génocide arménien à l’âge de six ans, en 1915. A l’époque, les Turcs déportent les Arméniens vers le tristement célèbre désert de Deir-ez-Zor en Syrie. Au fur et à mesure, les Turcs arrêtaient les convois et tuaient les hommes. Ils ont mis à part les femmes et les enfants. Parfois, les gens mouraient d’eux-mêmes. Les Turcs faisaient marcher les survivants dans le dé-sert. Il y a un ossuaire là-bas qui a été détruit par Daesh et qui doit être reconstruit, comme un symbole du génocide arménien. Ma grand-mère a été vendue par ses gardiens turcs comme esclave en Mésopotamie à des Arabes qui cherchaient des servantes. Ça a duré cinq ans, jusqu’à l’âge de onze ans, approximativement, car il n’y avait pas d’état civil. Une association américaine, The Near East foundation, s’est mise à rechercher les orphelins arméniens en faisant le tour des itinéraires de déportation. La « maîtresse » de ma grand-mère n’a pas fait de difficultés à la revendre. Elle a été pla-cée à l’orphe linat arménien d’Alep vers 1920. à Alep, le patron de l’hôtel Baron, situé là où arrivait le train – Lawrence d’Arabie y avait une chambre – était un Arménien. J’y suis passé juste avant la guerre civile de 2011. Elle y avait été femme de ménage.

Comment s’est-elle retrouvée en France ?Les Arméniens étaient connus pour être des travail-leurs et les entreprises étrangères cherchaient de la main-d’œuvre. Une usine lyonnaise de tréfilerie basée à Charvieu-Chavagneux, dans l’Isère, a fait venir plu-sieurs orphelines, dont ma grand-mère. Mon grand-père a sans doute été hébergé par des Kurdes. Ils ont participé au génocide, mais certains d’entre eux ont sauvé des familles entières. Il a atterri en Grèce, vers 1925. Il y aurait participé à une révolution républicaine. Il a pris des papiers sur un mort arménien autorisant sa femme à travailler dans cette même tréfilerie. Ce défunt s’appelait… Manoukian. Il était trop petit à l’époque du génocide pour se souvenir de son nom de famille. Il a débarqué à Charvieu le même jour que ma grand-mère. Le recruteur grec a repéré que ce n’était pas ses papiers car toutes les personnes incorporées étaient des femmes. Mon grand-père lui a dit en grec qu’il fallait qu’il se débrouille pour lui trouver une place car

Ancien reporter de guerre, romancier, Pascal Manoukian dont le dernier ouvrage, une fable écologiste Le Cercle des hommes (Le Seuil) est paru ces jours-ci, tient sa vocation de ses racines arméniennes, avec en filigrane la mémoire du génocide. Immersion.

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Carte de l'orphelinat d'Alep.

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d’où il venait, c’était l’enfer. Avec ma grand-mère, ils ont eu leur carte de pointage l’une à côté de l’autre et se sont mariés « entre Arméniens » comme ça se faisait beaucoup. Ils se sont installés en région parisienne.

Les rescapés de la Shoah ont parfois eu du mal à s’exprimer, quid des Arméniens ?Ayant beaucoup vécu avec ma grand-mère, que j’aimais beaucoup, j’ai pu la faire témoigner. Mon grand-père était plus vague. Il y a ceux qui racontent et ceux qui ne racontent pas. Il y a quelques années le musicien de jazz André Manoukian m’a appelé : « J’ai entendu parler de toi, j’aimerai te rencontrer. » Je lui explique qu’on ne peut pas être de la même famille parce que ce n’ est pas mon vrai nom. Je lui ai offert ce livre et il m’a dit : « C’est incroyable, moi on ne m’a pas parlé de grand-chose. » C’est important de savoir ce qu’on confie à ses petits-enfants. On lui a parlé de musique et il est devenu pianiste. On m’a évoqué le génocide et je suis devenu journaliste spé-cialisé dans les conflits. En 2013, j’ai écrit un livre sur ma vie de journaliste : Le Diable au creux de la main. Bizarrement, le premier chapitre porte sur le génocide arménien et sur ma grand-mère. Pour les Arméniens il fallait que leurs petits-enfants exercent « un métier à plaque » comme médecin, dentiste ou notaire. Quand j’expliquais à mes grands-parents que je partais sur des conflits, pour eux c’était impensable. Ils avaient quitté la guerre et moi j’en faisais un métier. En écrivant cet ouvrage, j’ai compris pourquoi je le faisais. Tous les dimanche quand je voyais mes grands-parents, ils me disaient que ce génocide est une injustice qui doit être réparée coûte que coûte et de ne pas l’oublier. Pourquoi peut-on encore aujourd’hui nier le génocide arménien ? Parce qu’il n’en existe qu’une centaine de photos et dix minutes de film. C’était l’époque du télégramme et non d’Internet et des agences de presse. Inconsciemment, c’est ce qui m’a poussé à vouloir documenter les drames de mon siècle.

Ce qui donne le sentiment de nation arménienne n’est pas la langue car avec la diaspora tout le monde ne la parle pas. Mais on appartient à tous à cette com-munauté, on est orphelins du même sabre. Comme

« Le génocide arménien m'a poussé à documenter les drames de mon siècle ».

il ne reste aucune trace, ma grand-mère n’a plus de famille, donc tous les Arméniens du monde pourraient être ses petits-enfants. C’est une notion forte. Étant tous orphelins, on est une grande famille. En essayant de nous éliminer, les Turcs ont créé ce sentiment de famille, qui était d’autant plus vrai quand la diaspora était importante. Chaque fois que j’allais en reportage dans un pays, j’appelais le premier nom arménien que je trouvais dans le bottin : « Bonjour, je m’appelle Pascal Manoukian. » J’étais invité tout de suite, au besoin on me prêtait une voiture. On communiquait par radio. Le plus difficile, c’était de m’extraire de la « famille » pour faire mon travail !

Comment expliquer le déni turc ?C’est lié au nationalisme turc. Les Tucs ont toujours rêvé d’un empire. Il y a eu le pantouranisme (courant idéolo-gique et politique visant à unifier les peuples de langue turque dans une entité nommée Touran, N.D.L.R.) dont l’ambition allait de Constantinople (Istanbul) jusqu’au désert de Gobie, avec entre les deux les Arméniens et les Kurdes. Le « problème » arménien a été réglé. Pour les Kurdes, qui sont sur place, contrairement aux Armé-niens qui ne le sont plus, ils redeviennent « cocus » de l’histoire. Quand la Première Guerre mondiale éclate les Turcs se rallient aux Allemands. Les puissances françaises, anglaises, qui souhaitaient réformer l’Empire ottoman sont dans le camp adverse. Les Turcs profitent de la guerre pour éliminer leurs minorités. La version turque, c’est qu’il y avait des Arméniens en Russie. Que les Russes étaient les ennemis de la Turquie pendant cette guerre, qu’ils auraient déplacé les populations pour empêcher les connexions à la frontière et que ce sont « les horreurs de la guerre »

Le 12 décembre 2019, le Congrès américain a adopté une résolution pour reconnaître le génocide qui a fâché Ankara.Il n’y a rien de neuf à cette situation. Quand j’ai écrit Le Fruit de la patience, il y a eu des pressions turques sur mon éditeur Centurion pour que le livre ne sorte pas en disant : « Vous ne pourrez plus vendre de livres en Turquie. » C’est quelque chose sur lequel les Turcs

l’invité du mois Pascal Manoukian

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De gauche à droite : résistants arméniens ; photo d’Araxie, grand-mère de Pascal Manoukian, à l’orphelinat d’Alep, en 1923 ; orphelins arméniens.

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quitte son pays pour des raisons de guerre et rejoint l’Europe, un Bangladais, un Moldave. C’est un kaléi-doscope de plusieurs de ces exilés de guerre que j’ai rencontrés. J’étais, pendant la guerre civile, à Moga-discio en 1992. Je connais aussi bien le Bangladesh. Le roman est sorti juste avant les grandes vagues migratoires qui remontent au début des années 1990. Qui étaient ces ouvreurs de route ? Je l’ai aussi écrit parce que je sentais monter l’intolérance envers les réfugiés, celle de l’extrême-droite ou d’autres qui ont l’impression qu’ils quittent leur pays par plaisir ou pour profiter d’un système social. Ça me fait bondir. On aurait tort de croire que ça n’arrive qu’aux autres, ça s’est produit pour mes grands-parents et à ma mère pendant la Seconde Guerre mondiale, à Balan dans les Ardennes. Avec l’exode de 1940, sa mère, une femme enceinte divorcée, est arrivée jusqu’à Clamecy dans la Nièvre. Arrivée là-bas, elle a dit : « Je vais accoucher chez moi. » Il y avait des soldats allemands chez elle ! Ces images de route je les ai vues plus tard en You-goslavie, au Kurdistan. J’étais en Syrie cinq mois avant la guerre. Pas un Syrien n’aurait pensé que son pays avec des gens comme vous et moi, des intellectuels, des paysans… allait disparaître en si peu de temps. Au début de la guerre de Yougoslavie, je suis arrivé en Croatie dans un village qui brûlait. Je suis entré dans un salon dans lequel une partie de scrabble était en cours entre deux parents et deux enfants. Ça ressem-blait à chez nous, c’était des maisons européennes, pas afghanes. Le lendemain, ces gens n’étaient plus là, étaient-ils morts ou échoués dans un camp de réfugiés ? Ce qui me fait plaisir, c’est que ce livre est étudié au bac. Récemment, je suis intervenu dans une prison centrale, entre Troyes et Paris, à propos de mon livre sur l’Afghanistan. (1) Bizarrement, les détenus sont très concernés par les migrants parce que, comme eux, personne ne veut leur donner une chance et ils font peur à tout le monde…

entretien réalisé par Julien le Gros Remerciements à Roger et à Maccha Kasparian

(1) Au royaume des insoumis, Érick Bonnier éditions, 2019.

ne cèdent jamais. Avec les mêmes photos du génocide, l’ambassade de Turquie en France a édité un livre : La tentative de génocide du peuple turc par les Arméniens, dans lequel ils ont changé les légendes. Ils réécrivent constamment l’histoire. En voyant la cause palesti-nienne évoluer, l’ASALA passe à l’activisme et au terro-risme. Elle décide d’assassiner des diplomates turcs en disant : « Ces gens sont des négationnistes et c’est insoutenable ». Le dernier chapitre de mon livre parle de cette rencontre impossible entre moi, représentant de la « génération qui assassine », et un ambassadeur turc en France de celle qui est « assassinée ». Je suis venu avec un esprit ouvert et lui aussi, mais le ton est très vite monté sur le génocide. Je fais partie de la génération qui a vécu avec les témoins, donc de m’expliquer que ma grand-mère, orpheline à six ans, était une dangereuse révolutionnaire et que mes grands-parents sont des menteurs, ça ne pouvait que créer une confrontation.

Dans un roman de 2013, Ce que tient ta main droite t’appartient, vous décrivez une autre forme de fascisme : Daesh.J’ai connu l’arrivée d’Al Qaïda, des Talibans, la montée de l’islam radical. Ce qui m’a interpellé quand je voyais les clips de propagande de Daesh, c’était leur grande modernité. Je disais à mes journalistes (il a été directeur de l’agence Capa de 2013 à 2016, N.D.L.R.) qu’ils ont eu l’intelligence d’utiliser la forme de la télévision – les séries, la télé réalité – qui abrutit les gens, et de changer le message. Les premiers qui ont travaillé avec Daesh faisaient des clips de rap en Allemagne. Le journaliste américain James Foley a été assassiné à genoux, en tenue orange, dans le désert à Raqqa, en Syrie le 19 août 2014. Son exécution ressemble aux dernières images du film de David Fincher Seven. J’ai inventé l’histoire d’un jeune Français d’origine algérienne, Karim, qui infiltre Daesh. Il est monteur truquiste, ce qui inté-resse beaucoup Daesh qui pour son « califat » trouve dans l’audiovisuel un moyen de propagande efficace pour faire venir de jeunes étrangers. à l’époque, c’était plus facile d’entrer en discussion sur Internet avec un recruteur de Daesh que d’avoir des résultats sur un site de rencontres. Ce que fait mon personnage, qui se crée un profil de jeune musulman paumé ; je l’ai fait moi-même fait pendant trois mois. Ça m’a permis de rencontrer des recruteurs, des repentis, des jeunes en train d’attendre dans les hôtels. Avec une pièce d’identité, un billet d’avion low cost pour la Turquie on pouvait arriver à la frontière syrienne. Daesh, comme tous les régimes violents, documente ses crimes. Les Khmers rouges au Cambodge ont photographié tous les exécutés, le photographe officiel de Bachar al-Assad a fait quarante-cinq mille clichés où tous les assassinats sont répertoriés, numérotés ; les nazis aussi…

Enfin, dans Les échoués (2017), vous traitez le drame des migrants.Dans Les échoués, terme qui renvoie à une trajectoire aléatoire, j’ai trois personnages : un Somalien qui

Pascal Manoukian, à droite, en reportage à Beyrouth, en 1981.

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26 LE PATRIOTE RÉSISTANT N° 949 - février 2020

Dans ce petit livre de conver-sation, l ’historien du na-zisme et de la « violence de guerre » Christian Ingrao – qui a aujour d’hui cinquante ans – dresse un premier bi-lan de sa vie d’homme et de chercheur. Tout ce qu’il écrit à propos de son travail d’his-torien ne peut qu’intéresser les lecteurs du Patriote Résistant car, de par les fonctions aca-démiques très élevées qu’il a occupées entre 2005 et 2013 à la tête de l’Institut d’histoire du temps présent, il a exercé une inf luence déterminante sur l’écriture de l’histoire et sur son enseignement. C’est notamment sous son inspira-tion que les programmes de lycée de 2010 ont, pour la pre-mière fois, abandonné toute vraie perspective politique dans l ’étude de la Seconde Guerre mondiale pour l’abor-der, comme la Première (« l ’expérience combattante dans une guerre totale ») sous l’angle anthro pologique d’une « guerre d’anéantisse-ment ». L’enfer étant pavé de bonnes intentions, un certain mauvais manuel qui se croyait alors respectueux de la pen-sée du « Maître » n’hésita pas à mettre sur le même plan Auschwitz et Hiroshima, dans une double page se voulant « choc ». Mais les auteurs de ce manuel avaient-il vraiment tort de faire ainsi ? Dans une vision anthropologique de l’histoire, le choix était fina-lement logique. Dès lors qu’on s’intéresse à la « violence de guerre » en tant que telle, peu importe en effet qu’Auschwitz et Hiroshima soient, comme tous les faits historiques, des événements uniques et radi-calement différents l ’un de l’autre. Ce qui compte, c’est

de les comparer – comme on comparera ailleurs fascisme et communisme à travers le concept si vide de sens de « totalitarisme » – pour dé-gager des « modèles » et ré-f léchir, en dehors de toute préoccupation morale, aux « dispositifs sociaux » qui ont pu conduire de brillants intel-lectuels à devenir des tueurs en série (1). On comprend la dé-marche du chercheur, même si on peut se demander au fi-nal s’il ne fait pas plutôt là de la sociologie que de l’histoire.

Mais surtout, on voit les dé-gâts qu’une telle démarche a pu entraîner au niveau de l’en-seignement secondaire où les perspectives de formation his-torique et civique des jeunes restent encore très impor-tantes : approche comparée et thématique des sujets qui conduit au désintérêt pour la chronologie, la causalité et le contexte singulier de chaque fait ; refus de toute approche politique et morale des événe-ments, l’historien parce qu’il est un « scientifique » ne de-vant pas « juger » ; refus de toute prise en compte de la responsabilité individuelle des acteurs dont les actes se-raient finalement prédéter-minées par les circonstances

et les relations entre pairs… Dans cet ouvrage de conver-sation, Christian Ingrao per-siste et signe. Revenant sur le célèbre texte de Brasillach où le journaliste de Je suis partout évoque l ’émotion physique qu’il ressentait avant-guerre en assistant au congrès de Nuremberg, l’historien s’était demandé dans l’un de ses ar-ticles s’il ne serait pas possible de faire un jour « l ’histoire du frisson ». Il affirme ici que c’est toujours l’un de ses sou-haits : « Nous sommes histo-riens du temps présent et nous assignons donc le fait de por-ter notre regard sur le monde dans lequel nous évoluons, sans nous interdire d’embras-ser ces émotions et ces frissons qui pourraient, un jour, nous conduire à la destruction au lieu de nous sauver […]. Ce qui compte au fond, ici, c’est la vo-lonté […] de regarder “bien en face” ». On en est là ! Quand la politique et l’éthique sont congédiées sine die, on se pas-sionne de façon malsaine pour les pâmoisons d’un fasciste français qui, lui, faisait des choix politiques conscients et les assumait sans états d’âme. Brrr !

(1) Sujet du deuxième ouvrage de Christian Ingrao, Croire et détruire : les intellectuels dans la machine de guerre SS, Fayard/Pluriel, 2011 dont nous avons rendu compte dans le Patriote Résistant n° 860 de janvier 2012 ; le premier ouvrage de l’auteur Les Chasseurs noirs, la brigade Dirlewanger, Perrin, 2006 ayant été recensé dans le n° 808 d’avril 2007.

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chez le libraire

Frissons et pâmoisons

par Franck Schwab

Christian Ingrao, Les urgences d’un historien. Conversation avec Philippe Petit.Les éditions du Cerf, 2019, 133 pages, 12 euros.

on voit les dégâts qu’une telle démarche a pu entraîner au niveau de l’enseignement secondaire.

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27LE PATRIOTE RÉSISTANT N° 949 - février 2020

L’auteur de cet ouvrage nous rappelle que la population qui vivait dans le Vercors à la fin de l’Occupation était d’ori-gines multiples puisqu’en fai-saient partie non seulement les autochtones mais aussi de très nombreux « républicains espagnols, Italiens antifas-cistes, Juifs français de longue date naturalisés ou étrangers, Polonais notamment, sans ou-blier les réfugiés alsaciens-lor-rains » arrivés par vagues suc-cessives dans les mois et les années qui précédèrent les évé-nements de l’été 1944. L’auteur, né après le conflit, est issu d’une famille d’allogènes, son grand-père, juif nancéien, ayant trouvé refuge avec les siens à Saint-Martin-en-Vercors, grâce à l’aide active d’un réseau local de prêtres catholiques. Le tra-vail qu’il a entrepris ici se pré-sente essentiellement comme une enquête à plusieurs tiroirs. Sur les membres de sa famille d’abord : le grand-père à la per-sonnalité et au parcours véri-tablement extraordinaires, l’oncle, les tantes et, plus inti-mement le père qui était alors adolescent ; sur les habitants de Saint-Martin ensuite et le rôle qu’ils ont joué dans l’aide aux réfugiés comme dans le sou-tien à la Résistance ; sur les massacres de l’été 1944, en-fin, et leur mémoire actuelle. L’ouvrage superpose donc dif-férents niveaux d’étude, mais il trame fort habilement tous les fils de son propos et il est conduit de main de maître par un auteur qui a réussi à obte-nir de nouveaux témoignages très précieux, qui a su nour-rir sa réflexion à la lecture des meilleurs ouvrages parus sur le drame du Vercors (1) et qui écrit, de surcroît, remarquablement bien. Que nous dit-il, au final ?

Premièrement que la Résistance dans le Vercors a été avant tout un phénomène politique : « Loin de la représentation fré-quemment véhiculée de jeunes réfractaires au STO, les combats du Vercors mobilisèrent d’an-ciens combattants de 1914-1918 et de 1939-1940, des patriotes révoltés contre l’Occu pation, des républicains révulsés contre la collaboration, de fervents catho-liques arcboutés contre l’idéolo-gie nazie, des protestants, des francs-maçons, des militants gaullistes, des radicaux, radi-caux-socialistes, socialistes et communistes ». On est à mille

lieux ici de la vision « anthro-pologique » et volontairement apolitique de Christian Ingrao ! Deuxièmement, que la popu-lation du Vercors, autochtone comme allogène, a très massi-vement soutenu la Résistance, même s’il y eut sur le plateau, comme à Nancy et partout ailleurs en France – la famille Ginsbourger est malheureuse-ment bien placée pour en té-moigner – des délateurs et des voleurs de juifs. Mieux même, l’auteur nous montre que la population du Vercors a tout simplement rendu la Résistance possible par sa complicité

active avec elle. On est à mille lieux cette fois-ci du Chagrin et la Pitié dont le « venin » – pour reprendre le terme de Pierre Laborie – continue d’in-f luencer la perception de la guerre par le grand public. Au terme de son enquête, l’auteur constate que les deux grandes vérités que sont le caractère politique de la Résistance du Vercors et la participation mas-sive de la population à son ac-tion sont aujourd’hui occul-tées, les commémorations actuelles privilégiant le sou-venir des combattants et des victimes : de combattants hé-roïques mais ultra-minoritaires et de victimes nombreuses mais passives. Comme si ces vic-times avaient été totalement extérieures à des événements qu’elles auraient été contraintes de subir ; comme si, même, les résistants s’étaient imposés par la force à des populations qui n’en voulaient pas, ainsi que le laisse entendre, par exemple, une récente BD sur le sujet des-tinée à la jeunesse… Ce beau livre de mémoire et d’Histoire rétablit la vérité et valide, peut-être sans en avoir conscience, la définition de la Résistance qu’a donné François Marcot dans son Dictionnaire historique de la Résistance (2). Un ouvrage à lire absolument.

(1) Notamment l’ouvrage de Gilles Vergnon, Le Vercors. Histoire et mémoire d’un maquis, éditions de l'Atelier, 2002.

(2) Éditions Robert Laffont, 2006.

Francis Ginsbourger, Le Vercors oublié. La Résistance des habitants de Saint-Martin (1942-1945), postface de Gilles Vergnon,Les éditions de l’Atelier, 2019, 287 pages, 19.90 euros. L'auteur a

su nourrir sa réflexion à la lecture des meilleurs ouvrages parus sur le drame du Vercors.

Le peuple du Vercors

chez le libraire

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28 LE PATRIOTE RÉSISTANT N° 949 - février 2020

Si, en dépit de ce qu’écrit Olivier Wieviorka (« la capi-tulation de l’Axe à Tunis se sol-da par la capture de 130 000 Allemands et de 120 000 Italiens, des pertes assuré-ment plus importantes que celles subies par la Wehrmacht à Stalingrad »), le désert nord-africain est bien resté jusqu’à la fin un front secondaire de la Seconde Guerre mondiale, le Nord et le Sud de la planète s’y sont cependant donné rendez-vous et les combats qui s’y sont produits ont accéléré le proces-sus conduisant à la décoloni-sation. C’est l’une des pistes les plus intéressantes ouverte

par un ouvrage collectif qui a le double mérite de mettre en lumière l’aspect très interna-tional des combats en Afrique du Nord tout comme les mul-tiples conséquences du conflit sur les populations locales. On oublie trop souvent, en effet, que les troupes des Dominions ont joué un rôle majeur dans la victoire d’El Alamein où la gloire impériale britannique jeta ses derniers feux histo-riques. Et, jusqu’à une date récente, on s’intéressait assez peu au sort des populations lo-cales arabe et juive pour pri-vilégier le récit d’une guerre européenne qui aurait été conduite par des « chevaliers ». Les auteurs font définitive-ment litière de ce mythe en montrant que de nombreux

crimes ont été commis contre les indigènes, particulièrement de la part des Italiens à propos de qui on ne redira jamais as-sez que le fascisme a lui aussi été un racisme. Leurs respon-sables n’ont pourtant jamais été jugés après-guerre et le si-lence est très vite retombé sur ces crimes, mépris du colo-nisé et peur du Rouge faisant alors la loi dans le monde oc-cidental. Mais les Allemands du « chevaleresque » Rommel n’ont pas été en reste qui avaient commencé à mettre sur pied un Einsatzkommando pour exterminer les commu-nautés juives d’Alexandrie et du Caire avant que leur défaite d’El Alamein ne mette fin à cet exaltant projet. Quant au colonisateur français qui, de-puis 1830, prétendait incarner la « Civilisation » dans la ré-gion, il est difficile d’affirmer que l’humanité et la grandeur d’âme se trouvaient vraiment de son côté quand l’un des au-teurs nous dit que « le Bey de Tunis refusa d’appliquer son sceau sur la loi obligeant au port de l’étoile jaune, contrai-gnant l’amiral Esteva [le ré-sident général français] à l’ im-poser par arrêté ». Et le général Weygand pouvait encore écrire à un proche, en avril 1941, qu’il faut « reprendre aux Juifs ce qui, accordé à leurs pères, les a élevés au-dessus de la masse indigène. Sinon nous perdons l’Afrique ». Sacrés ci-vilisateurs français, allemands et italiens ! Au total, un très bon ouvrage, dont on regrette seulement que la méconnais-sance manifeste de la France par l’auteur allemand du der-nier chapitre lui fasse dire que le 8 mai n’est pas une date qui suscite chez nous « une grande ferveur » en raison des « déchirements de [notre] mémoire collective » et que le débarquement de Provence

a eu, jusqu’aux années 1980, plus de place dans la mémoire des Français que le débarque-ment de Normandie (!). La « légende noire » des Français sous l’Occupation aurait-elle encore une fois frappé ? Avec Monsieur Wieviorka, il faut hélas s’attendre à tout…

L’effondrement de 1940, en ré-vélant la défaillance collec-tive des hommes et, avec elle, des structures de domination sociale qu’ils incarnaient, a paradoxalement offert aux femmes des perspectives d’émancipation importante, le discours réactionnaire de Vichy – qui restait le discours des vaincus de 1940 – n’y ayant sur le fond rien changé. Les femmes se seraient alors individuellement prises en charge et – pour les meilleures ou les plus concernées par le

sort commun – se seraient en-gagées dans la Résistance, an-nonçant ainsi la femme d’au-jourd’hui qui se veut l’égale de son partenaire masculin dans tous les domaines, y compris même dans la lutte armée : « Neuf balles dans mon chargeur/Pour venger tous mes frères/Ça fait mal de tuer/Ç’est la première fois/Sept balles dans mon chargeur/Ç’était si simple/L’homme qui tirait l’autre nuit/Ç’était moi », écrivit ainsi Madeleine Riffaud après avoir abattu un soldat allemand dans Paris en juillet 1944. Cette annonce de la modernité qu’aurait constitué, pour les femmes, la période de la guerre et de l ’Occupation forme la trame d’un o uvrage qui

Les femmes se seraient engagées dans la Résistance, annonçant ainsi la femme d’aujourd’hui.

Civilisateurs

chez le libraire par Franck Schwab

Nicola Labanca, David Reynolds et Olivier Wieviorka (dir.), La guerre du désert, 1940-1943.éditions Perrin, 2019, 347 pages, 23 euros.

Aurore de la modernité

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jusqu’à une date récente, on s’intéressait assez peu au sort des populations locales.

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29LE PATRIOTE RÉSISTANT N° 949 - février 2020

Que l’Allemagne hitlérienne ait été une grande puissance, personne, hélas, ne peut le nier, les nazis ayant confisqué à leur profit tout l’héritage de la civilisation matérielle ger-manique. Or si, comme toutes les grandes puissances, l’Alle-magne de Hitler a cherché à

régner – et de quelle façon – par son hard power, c’est-à-dire par la force, elle a aussi cherché à le faire – en France occu pée tout au moins – par son soft power c’est-à-dire par

la séduction de son mode de vie prétendument fondé sur le pragmatisme, l’efficacité et la recherche du confort. C’est cet aspect de la domination nazie que l’ouvrage explore à travers toute une série de courts ar-ticles consacrés à des ques-tions aussi variées que l’ap-parition du jerrycan ou des lunettes à montures métal-liques, le développement de la pomme de terre Bintje ou de la vache laitière Holstein, les politiques de regroupe-ment des communes et de re-membrement des cultures ou à la législation concernant la chasse et les animaux, l’auteur précisant à ce dernier propos que « le chien est privilégié, s’il est de race et sédentaire, au détriment du chat, “animal oriental” assimilé à la figure du Juif ». Chassez le naturel « pragmatique » de l’animal

nazi, sa bêtise remonte très vite à la surface… Un ouvrage instructif.

se présente essentielle-ment sous la forme d’une ga-lerie de portraits de femmes célèbres ou moins célèbres. Quasiment personne n’est oublié ici : ni les femmes ou filles des grands acteurs de la période comme la maré-chale Pétain, Josée Laval ou Yvonne de Gaulle ; ni les diffé-rentes figures chrétiennes de la Résistance comme Germaine Ribière, sœur Hélène ou les femmes de la Cimade ; ni les victimes juives de la dépor-tation comme Hélène Berr et Simone Veil ; ni les traîtresses ou les collaboratrices comme Mathilde Carré et Violette Morris, ni les journalistes plus ou moins compromises avec Vichy comme Louise Weiss ; ni des écrivaines au parcours par-fois hésitant comme Simone de Beauvoir ou Marguerite Duras ; ni les Françaises libres comme Jeanne Bohec, spécia-liste du sabotage, parachutée en France en février 1944, dont l’auteure nous dit qu’« elle se fait confectionner un uniforme, car elle veut paraître en soldat lors du défilé qui suivra la libé-ration de Quimper. Il constitue une mince revanche sur l’inter-diction que lui a opposée [un colonel] de se servir d’une mi-traillette dans les combats » ; ni bien sûr les déportées ré-sistantes comme Germaine Tillon ou les chefs de mouve-ments et de réseaux comme Bertie Albrecht et Marie-Madeleine Fourcade. Un gros bémol néanmoins : l’absence surprenante de Marie-Claude Vaillant-Couturier dans cette galerie de portraits, et une al-lusion malvenue à la préten-due « affaire Marcel Paul » sur laquelle l’auteure laisse pla-ner l’équivoque en en disant trop ou pas assez. L’ouvrage est cependant un très bon livre. Quatre-vingts ans plus tard, presque toutes les figures qu’il évoque sont d evenues

des modèles d’engagement, de courage et de liberté pour les femmes et les hommes d’aujourd’hui.

Cécile Desprairies, L’héritage allemand de l’Occupation. Ces 60 dispositions toujours en vigueur, préface d’Emmanuel Le Roy Ladurie.éditions Armand Colin, 2019, 253 pages, 22.90 euros.

Michèle Cointet, Les Françaises dans la guerre et l’occupation.éditions Fayard, 2018, 318 pages, 22 euros.

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chez le libraire cinéma par Julien Le Gros

En 1972, Jacques Chirac, ministre de l’Agriculture de Georges Pompidou, permet la commercialisation du chlordécone aux Antilles françaises, insecticide destiné à lutter contre les charançons qui infestent les bananeraies. En 1976, le chlordécone est interdit aux états-Unis et ne le sera aux

Antilles… qu’en 1993. Aujourd’hui, les sols sont pollués, et les riverains atteints massivement de cancers se battent pour faire reconnaître la responsabilité de l’état. En février 2019, Emmanuel Macron a créé un tollé en déclarant que : « le chlordécone n’est pas une substance cancérigène ».

Miaou !

Pour quelques bananes de plus, le scandale du chlordécone de Bernard Creutzen

Le chat, « animal oriental » assimilé à la figure du juif.

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30 LE PATRIOTE RÉSISTANT N° 949 - février 2020

Premier long métrage de cet ancien étudiant à l’université Paris VIII, le titre fait référence à la citation de Bertholt Brecht : « Que sont donc ces temps où parler des arbres est presque un crime. Puisque c’est faire silence sur tant de forfaits. » Manar Al Hilo et ses acolytes les réalisateurs soudanais Suleiman Mohamed Ibrahim, ancien étudiant à l’université de cinématographie VGIK à Moscou, Altayed Mahdi, créateur de courts-métrages audacieux et Ibrahim Shadad cinéaste censuré par divers autocraties soudanaises, passé par la République démocratique allemande (RDA), l’égypte et le Canada, sont les héros de ce documentaire. Malgré les fourches caudines du régime despotique d’Omar el Béchir, renversé depuis, l’an dernier par une révolution populaire, le quatuor de vieillards s’entête à remonter un ciné-club au cinéma Révolution de Khartoum, abandonné depuis fort longtemps. Rien de tel que de la culture pour cautériser les plaies ouvertes laissées par la dictature…

Talking about trees, un film de Suhaib Gasmelbari

cinéma par Julien Le Gros

75e anniversaire de la libération des camps de concentration

et d’extermination nazisConjointement avec l’amicale de Buchenwald et de l’AFMD DT 44 nous avons prévu :• Le 24 mars à Nantes à l’université

permanente, table ronde « 75 ans après la découverte des camps, comment transmettre la mémoire ? Rôles de l’historien et de l’artiste. »

• Le 27 mars salle Bonnaire, film le convoi des 31 000, de Natacha Giler, lecture de poèmes de déportés.

Il est aussi envisagé de faire venir Lili Leignel, entre le 11 et le 14 mai 2020 afin de transmettre son témoignage devant les collégiens et lycéens du sud Loire, avec le soutien de l’Inspection académique de Loire-Atlantique et de la mairie de Rezé pour l’accueil des élèves dans l’une de leurs salles.

Guy le Floch, président de l’ADIRP de Loire-Atlantique

communiqué

Nos peiNes

Ain Gex : Albert Girardet, Montluc, Compiègne, Dora, Buchenwald, Bergen-Belsen ; Châtillon-sur-Chalaronne : Marcel Dagallier, Compiègne, Ellrich, Dora, Buchenwald, Bergen-Belsen ;

Bouches-du-Rhône Marseille : Victoire Razon, Auschwitz-Birkenau ;

Isère échirolles : Miguel Durand, Chalon-sur-Saône, Compiègne, Mauthausen, Flossenburg ;

Moselle Manom : Jeannot Peiffer, époux de Simone (PRO), Mittelstein, Grussau, Mittlau ; Yutz : Georgette Harmant, épouse de Paul (PRO), Falkenheim, Walisfurth ;

Sarthe Beaumont-Pied-de-Bœuf : Jeannine Froger, fille d’Adrienne, Ravensbrück, réseau Buckmaster,

et veuve de Robert, Tours, Compiègne, Buchenwald, Dora ; Jean-Pierre Monnier, délégué territorial AFMD 72, gendre de Jeannine Froger ; La Bazoge : Suzanne Kerouanton, fille de Marcel Royer, fusillé à Martigne ;

Vosges Saint-Dié-des-Vosges : Noëlle Jacquot, amie ; Sainte-Marguerite : René Adam, Oberndorf-am-Neckar, Gaggenau ;

Val-de-Marne Champigny-sur-Marne : Jean Lataillade, Figueras, Pampelune, Afrique du Nord.

DécoratioN

Chevalier dans l’Ordre National du Mérite

Moselle Illange : Jean-Marie Virtt, Falkenhein, Grussau, Mittlau, vice-président de l’ADIRP de Moselle et président de la section FNDIRP de Thionville et ses environs.

Nous apprenons avec peine de nom-breux décès dont nous publions la liste ci-dessous en priant tous les proches de nos disparus de trouver ici l’ex-pression des condoléances frater-nelles de notre grande famille de la Résistance, de la Déportation et de l’Internement.

carnet

- Pensions - Les rentes perçues par les orphelins au titre des décrets de juillet 2000 et juillet 2004 sont portées à compter du 1er janvier 2020 à 615, 08 euros mensuels.

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Pour mieux comprendre, pour mieux apprendre, notre exposition.

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Des prémices de la Seconde Guerre mondiale au procès de Nuremberg, un parcours en 14 panneaux « roll-up »* de 80 X 200 cm, réalisés par Alexandra

Rollet, vice-présidente de la FNDIRP.

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(disponibles à la FNDIRP)Plus d’informations sur le site de la FNDIRp :

http://www.fndirp.fr/exposition.htm

(1) Pour les personnes possédant déjà les 12 panneaux d’origine, et qui voudraient compléter l’exposition,

il sera demandé 300 €

Hors achat, l’exposition peut également être mise à disposition par la FNDIRP ou ses associations

départementales. Prendre contact avec la FNDIRP.

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Pour commander, envoyez votre chèque de règlement à : FNDIRP, 10 rue Leroux, 75116 Paris (tél. : 01 44 17 38 10)

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Gisèle Guillemot, Frania Haverland, Eva Tichauer.Trois femmes, trois origines, trois destins à Ia fois distincts mais aussi communs, trois parcours personnels, familiaux, politiques, géographiques englobés dans l’histoire du siècle, trois itinéraires qui se croisent sans se rencontrer avant la fin de la guerre, au sein d’une même association : la FNDIRP.Trois vies parmi des millions d’autres qui ont soudain basculé dans l’indicible de la barbarie nazie et de l’inhumanité instituées en système.Trois Témoignages, dans ce DVD.* En cas de commandes multiples, merci de contacter la FNDIRP au 01 44 17 38 10

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