Fureur Des Vivres FDV N 38 2011 MAG

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Fureur des Vivres # 38 Mai 2011 Les salades

Editorial, sign Patrick

# Nous allons vous raconter des salades

En ce mois de mai 2011, nous allons vous raconter des salades, toutes sortes de salades. Des recettes de salades, avec chaque fin de semaine une salade clbre teste par Irisa et une salade de sa cration. Des histoires de salades : travers les ges, la waldorf salad, la caesar salad, la laitue et ses copines, l'endive, etc... L'conomie de la salade. Les sauces salade, avec une histoire de la mayonnaise. Les salades exotiques, la salade de riz.

Et mme les expressions lies la salade, sans oublier le dessin mensuel. Je vous conseille de tout lire, sinon vous risquez le panier salade en reprsailles.

Patrick

Cest lart de Flicie, la jaffe. Avec le professeur Sauvy, on cause ; avec Matthieu, on regarde. Avec mman, on dguste. De toute manire, cest une forme de partance. Les seuls vritables voyages, ce sont nos sens qui nous les font faire. Les autres, ceux des dpliants, ne sont quilluses et retours curants. Pleins feux sur le tutu, 1984(p 45 dans le livre) Cette rubrique est aussi la votre. Si vous avez aim un livre, n'hsitez pas partager votre plaisir en nous envoyant une petite chronique. Evidemment le livre doit traiter d'alimentation, de produit, de gastronomie ou de recettes. Les recettes du cahier de Flicie, prsentes dans un succulent crin de savoureuses citations extraites des livres de San-Antonio, sont des recettes bien de chez nous, de belles recettes classiques qui nous font saliver, habituellement exclues des livres culinaires branchs ; Des plats pour mecs qui en ont et pour leurs donzelles qui nont pas froid aux yeux. Pour crire ce livre, B. Vi sest mise la langue sanantonienne, truffant lexercice de citations tel point quil est parfois difficile de diffrencier le vrai du plagiat ; ce qui donne un style vif et joyeux. Blandine Vi nest pas une emmanche du stylo, quon se le dise ! Blandine Vi San-Antonio se met table Edition de lEpure, 370 pages, 28

Blandine Vi a fait parler le hros de Frdric Dard. Aprs un interrogatoire serr, elle est en mesure de nous livrer toutes les recettes de Flicie, la vioque de San-Antonio, et par consquent tous les gots et passions culinaires du clbre commissaire.

Sgolne

Le vin au secours de l'humain

En choisissant de privilgier les recettes de la mre de San-Antonio, Blandine Vi se fait une ennemie, la monumentale moiti de Brurier, le comparse de San-Antonio. Une fameuse cuisinire, elle aussi, faon gras double et louche de crme, du srieux, du roboratif qui tient au corps et nourrit ou plutt engraisse son homme. Tous ses secrets culinaires se trouvent en fin douvrage. Mais auparavant, lobjet du livre, les recettes prfres de San-Antonio, plutt celles de se mre, bien entendu, forme le plat de rsistance. Car le commissaire fait partie de ces hommes pour toujours amoureux de la cuisine maternelle. Celle qui lui a forg le got et quil continue de manger en clibataire endurci quil est rest.

Le Vin et les rves que vient de publier aux Editions Glyphe Jean-Pierre Goubert porte un titre trompeur. Rien voir avec une approche psychanalytique ni mme philosophique des rves. L'auteur, professeur l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, a plutt choisi l'angle historique et sociologique. Il aborde le vin et les rves sous trois aspects : le Rve du Divin, qui traite de la religion et du sacr travers les grandes civilisations du monde, aztque, grecque, romaine, juive et bien entendu chrtienne ; le Rve de Sant, o cette fois le vin tient le double rle d'aliment et de remde jusqu' une poque trs rcente et enfin, le Rve de Fraternit, qui retrace de la Rvolution franaise nos jours la fonction sociale du vin De la premire partie on retiendra surtout que le vin, quelle que soit le type de civilisation, parle une re-ligion, exprime un second lien, une relation avec le divin . Rien de nouveau sous le soleil. Dans la seconde partie, la plus intressante, car la moins traite sauf justement dans les traits de mdecine, nous rappelle combien le vin, partie intgrante de l'alimentation, a longtemps t aussi utilis comme traitement. Le vin rchauffe les corps et les coeurs et s'oppose la froidure de la mort. Il tait mme jug ncessaire et indispensable la sant jusqu'aux annes 60 du sicle dernier. Autrefois, point d'hpital sans vin, aujourd'hui, point de vin l'hpital rsume l'auteur. Heureusement le French paradox et la prsence atteste de resvratrol et de polyphnols sont passs par l pour remettre un peu d'ordre dans les esprits, notamment chez ceux qui ont tendance diaboliser le vin, bien que de ce point de vue, il ne faille pas trop rver... La troisime partie, mis part le chapitre intitul Confrries bachiques et business , est la moins surprenante, sans doute parce que le vin rpublicain, le vin citoyen, les cabarets et autres lieux de convivialit sont des thmes rcurrents sur lesquels nombre d'auteurs se sont longuement attards. Au total donc un ouvrage qui traite plus des rapports du vin et du sacr, du vin et de la sant, du vin et de la fraternit, que des rves. Si les rves prsentent la ralisation de dsirs, la consommation du vin en socit y participe met quand mme l'auteur la fin de l'ouvrage, on aurait aim qu'il nous en dise plus.

confrences consacrs au vin. Un texte qu'il faut lire dans son contexte et o il est question une fois l'ivresse dissipe que tout ce que nous avions vu, entendu, espr la veille au soir n'a t qu'un rve Les Effets pyschologiques du vin Edmondo De Amicis L'Anabase, 77 p, 9,45

Barthlmy Le Vin et les rves, Jean-Pierre Goubert, Editions Glyphe, 250 p. 21

P.S. Le hasard a fait qu'en mme temps que je lisais le livre prcdent, je suis tomb sur Les Effets psychologiques du vin, de Edmondo De Amicis, journaliste et crivain (1848 1908). Il s'agit d'une intervention prononce en 1880, lors d'un cycle de

Cette salade sinscrit dans la srie des petites fantaisies sucres sales du dimanche. A servir en entre lgre. Attention tout de mme ses saveurs pices !

# Salade du Pacifique

Prparer la sauce daccompagnement : Dans un bol, mettre le piment, oignon, gingembre, nuoc mam, huile dolive, jus de citron et sel Ajouter la chair de crabe et laisser mariner une heure au frais. Eplucher la mangue et la tailler en fines tranches la mandoline. Dresser deux trois feuilles de salade asiatique sur une longue assiette. Disposer les tranches de mangue. Mettre un cordon de crabe tout le long. Verser un trait dhuile dolive et poivrer au moulin. Pour deux personnes Choisir quelques longues feuilles de pousses asiatiques (salade la saveur acidule que lon trouve, en sorte de mesclun mlang, chez les marachers). - Une mangue - Trois quatre rondelles de piment finement coup (adapter selon votre tolrance) - Le jus d1/2 citron vert - Un oignon nouveau finement minc - Un demi pouce de gingembre rp - 2 CC de nuoc mam - 2 CS dhuile dolive + 1 - Sel, poivre - Une boite de crabe de 180g Irisa

Jusqu la guerre de Scession, cest dire vers le milieu de la dcennie 1860, les Amricains ne se proccupaient pas beaucoup de manger de la salade. Quand le mot tait employ, il ne recouvrait pas la chose que nous connaissons et lorthographe utilise alors, dans les livres de cuisine tait, salat [1], sans forcment signifier une varit spcifique dherbe ou de laitue.

# La salade, avant ou aprs ?

Au dix-neuvime sicle, la green salad, en Anglais dAngleterre, tait constitue de feuilles de laitue destines accompagner le plat de viande ou de volaille rtie. La laitue faisait donc partie du repas, servie avec les rtis et elle tait garnie de beaucoup de choses, comme radis, ufs durs, chalotes et fleurs de capucine, avec huile, vinaigre sel et poivre, le tout agrment de cerfeuil et destragon. Dans lAmrique davant 1890, ce plat relev dhuile et de vinaigre, tait servi sparment, le plus souvent avant le plat principal [2]. On peut donc dire quavant cette priode, la salade tait plutt une tradition europenne et en France, on laimait bien assaisonne, aprs le plat principal et avant le fromage. Un Amricain francophile donne son avis sur la salade Jusquau milieu du dix-neuvime sicle donc, les Amricains ne se proccupaient pas davoir de salade comme point final leur repas. La mode venue ultrieurement de France a commenc se rpandre, en descendant lentement du haut de lchelle sociale, vers le reste de la population. George Ellwanger [3] consacre un chapitre entier aux salades, dans The pleasure of the table, ce qui est indicateur de la relative nouveaut de la chose, la fin du dix-neuvime sicle. Il voque les salades et leurs assaisonnements, nous rappelle que dans les restaurants hupps, les menus sont en Franais et il met en garde ses compatriotes, contre dventuelles erreurs. Il leur apprend par exemple, quendive sur les menus amricains signifie chicore et que chicory qualifie linverse, ce que nous appelons endive.

Il cite le baron Brisse, accorde aux Allemands un satisfcit pour leurs salades de pommes de terre, qui convient bien avec la bire et il conseille pour le concombre, dliminer "l 'acide prussique quil contient, en le dcoupant en tranches, que lon place dans de leau glace et sale, un peu de temps, avant de lemployer". Son livre date de lpoque o les Amricains honnissaient lodeur des alliaces. Nanmoins, il pousse utiliser dans les salades, de loignon de lchalote et pour tenir compte des objections de ses compatriotes propos dail, de le frotter plutt sur le rcipient/rceptacle de la salade. En France, le lent et long parcours de la laitue cultive Lingrdient central quest la laitue, ltat encore sauvage, vint de Mditerrane pour se rpandre trs tt vers le Nord et lOuest de lEurope (en passant par la France). On lutilisait quand on la trouvait sur les marchs. Ce serait Charlemagne qui aurait inclus la laitue dans la liste des plantes cultiver dans ses domaines, mais l encore, elle mit du temps pour se rpandre et devenir courante car le public lui prfrait le cresson. On a dit ( tort) que la laitue romaine avec ses feuilles plus longues,

plus fermes, dotes dune grosse nervure centrale, craquant sous la dent, est arrive vers 1534 en France, dans une valise de Rabelais, qui rapportait des graines confies par le pape. Nous disons tort , car il est plus probable quelle tait dj en France, au moins, deux sicles auparavant, du temps o le pape avait quitt Rome pour Avignon. DAvignon, elle serait monte Paris vers 1389, la suite dun voyage dun ministre de Charles V.

Encore une vingtaine dannes et Libault compte en France quatre types de laitues cultives : La petite, la commune, la boucle et la romaine, toutes les quatre considres comme produits de luxe, rputation que la laitue en gnral avait depuis le Moyen-ge et la Renaissance. Et puis, ce fut lenvole au dix-septime sicle, car Louis XIV en tait trs friand et lapprciait assaisonne destragon, de mouron, de basilic, ou si possible, de fleurs de violettes. Pour lui plaire, La Quintinie arriva (1690), produire des laitues en janvier, destines la table royale, il ddaignait par contre la mche, considre comme trop rustique pour figurer sur la table du roi. Au-del du got, les mdecins de ce temps, considraient dune faon quasi unanime que les salades humectaient, rafrachissaient, rendaient le ventre libre et ouvraient lapptit . Comment dans de telles conditions ne pas ladopter ? La folie des grandeurs des Amricains passe par une bonne salade franaise Sur le continent amricain, on commena cultiver les laitues, peu aprs la venue de Christophe Colomb qui avait embarqu des graines lun de ses voyages. Les laitues taient abondantes Hati en 1565 et elles passrent sur la terre ferme pour se retrouver en grosses quantits, moins dun sicle plus tard, dans ce qui sera le Brsil. Mais ce nest pas par le sud que la laitue entra dans les colonies anglaises du nord du continent. Les changes se faisaient plus facilement avec lEurope et Thomas Jefferson un des premiers ambassadeurs de la jeune nation amricaine en France, prit sans doute, lors de son sjour europen, lhabitude de consommer des laitues et autres herbes assaisonnes. Devenu le troisime prsident des Etats-Unis, il fit semer des laitues dans son jardin de Monticello, comme lindique son Garden Book, tenu de 1766 1824 (deux ans avant quil ne dcde). On lit par exemple, le 5 juillet 1767, les concombres peuvent tre servis ou le 1er fvrier 1823, laitues, radis, pinards, carottes, semer des laitues tous les lundi matins, dici le 30 septembre .

Une belle laitue romaine Rabelais la connaissait donc, sans lavoir rapporte et il conseillait de choisir des lectues, les lavant doncques premirement en la fontaine () et avecques huile et vinaigre et sel, les mangeoit pour soy rafraishir davant souper . Ce davant, signifiaitil que lhabitude de manger la salade aprs le plat principal ntait pas encore adopte ? La rponse cette question na de sens que si la laitue tait rpandue, mais en ltat, lon ne sait pas trs bien, ce qui composait une salade. Le mme Rabelais nous claire l-dessus, puisquil cite le cresson, lobelon (houblon) la couille lvque (bourse pasteur, dite parfois cresson des murailles), la response [4] et quelques autres herbes. Et Montaigne ajoutait : Quelques varits dherbes quil y ait, tout senveloppe dans le nom de salade ! Une vingtaine dannes aprs Rabelais, Ronsard, devenu le pote officiel du roi Charles IX en 1560, crivit plusieurs vers sur la nourriture. Charg par Catherine de Mdicis, ne en Italie, dorganiser les ftes, il a laiss un pome sur la prparation de la salade, dont la racine est le sel (composant avec l'huile et le vinaigre, l'assaisonnement) plutt que du choix des feuilles et des herbes utilises [5]. Sa recette, telle quil la suggre pourrait bien convenir notre poque : Aprs avoir cherch et cueilli la boursette touffue, la pquerette la feuille menue, la pimprenelle, la rponsette la racine douce, et le bouton des nouveaux groseliers , il crivait Nous laverons nos herbes main pleine / Au cours sacr de ma belle fontaine, / La blanchirons de sel en mainte part, / L'arroserons de vinaigre rosart, / L'engraisserons de l'huile de Provence; / L'huile qui vient aux oliviers de France.

Modle de jardin potager De ce fait, il est considr comme lun des premiers consommateurs de salades dans la jeune

rpublique amricaine et il aurait servi dexemple. Autrement, il est difficile dimaginer que ce pays qui adopta et apprcia la viande plus que tout autre aliment, puisse se convertir la salade. Mais chacun sait quen matire dinfluence alimentaire, cest rarement une raison unique qui lexplique, mais plutt un rseau de facteurs. Un sicle aprs, le clbre restaurant Delmonicos de New York, cherchant apparatre comme le vrai dtenteur de lorthodoxie en matire de gastronomie franaise, se devait davoir plusieurs salades sur sa carte. Cest ce que prouve le recueil de recettes, The Epicurean (publi en 1920) que Charles Ranhofer crivit, aprs avoir dirig ses cuisines. Il y numre, prs de 70 salades partir de lgumes crus et cuits, remarque que les Amricains napprcient pas le got fortement marqu de lhuile dolive et conseille dutiliser les huiles plus neutres. Le transfuge du Delmonicos, Oscar Tschirky, emporta avec lui lhabitude des salades quand il migra au Waldorf Astoria. Seulement voil, la salade qu'il inventa convenait mieux en hors-duvre et partir de l, le Waldorf les servait au dbut du repas et moins, la fin. Comme de plus, le plat principal dans ces restaurants est trs copieux, beaucoup de clients en faisaient leur plat unique, ce qui a incit tromper lattente avec une petite salade. Cette habitue se mit doucement en place, sans pour cela que lavant ne lemporte sur laprs, partout et tout le temps. La situation tait diffrente aux repas des familles trs fortunes des grandes villes de l'Est des EtatsUnis. On pouvait ici, se payer un cuisinier comme Sylvain Goy [6], qui servit tous les jours, entre autres la famille Astor, des repas la franaise, avec la salade la fin ! Mais la mode change et quand les ditticiens estimrent que les vitamines taient mieux absorbes par un appareil digestif vide, ce conseil se rpandit comme une traine de poudre et les Amricains firent pencher la balance en faveur de la salade-prambule. Ces salades pouvaient tre sales/sucres par ladjonction de fruits (riches en vitamines), sans que cela drange les Amricains. Ainsi on a eu la salade cleri (deux tiers) et ananas (un tiers) dont il faut veiller, nous dit Sylvain Goy, mler les articles avec soin ! En descendant d'un cran dans les catgories sociales, la matresse de maison qui aurait voulu imiter les habitudes table des classes riches, navait souvent pas les moyens davoir quelquun pour laider la cuisine. Elle pouvait faire appel un traiteur qui promettait de prsenter un repas la franaise, mais vitait les prparations complexes cause de leur cot. Do la description dun repas du dbut du vingtime sicle, qui comportait la salade bien craquante venue aprs le plat principal et avant la glace, comme cela aurait t le cas en France [7]. Car lhabitude de manger la salade la fin du repas ntait pas morte chez ceux des Amricains qui cherchaient faire comme les Franais .

Lide de la salade au repas (que ce soit avant ou aprs), fut renforce par les efforts de promotion des Californiens pour leurs productions. Pensez donc, la Californie fournissait plus de 70% des laitues des Etats-Unis et ce chiffre grimpait 98% de la demande, quand ce ntait pas la saison. Cest ainsi que les Californiens inventrent le free salad bar, permettant chacun de se servir, pendant que le steak grillait (le mot, free voulait seulement dire que le prix de la salade tait bel et bien inclus dans celui du steak). Des restaurateurs inventrent de nouvelles salades en ajoutant du mas, du riz, du soja et tellement dingrdients que lon pouvait la substituer au plat principal ! Mais pourquoi limiter les ajouts aux seules crales, ce qui fit natre la Chef salad qui comporte, outre les feuilles de laitue, du jambon minc, du gruyre en fines lamelles, des tranches de blanc de dinde ou de blanc de poulet, et selon l'inspiration, dautres choses. Plat trop copieux pour tre servi avant ou aprs, mais convenant bien, la place du plat principal. Dautres influences que la franaise se firent jour, avec des immigrants dautres pays. Sans passer en revue toutes les salades du monde, arrtons-nous, sur les 270 Hollandais, installs vers 1623 Nieuw Amsterdam (actuel bas Manhattan).

Coleslaw Leur nombre augmenta et la Compagnie des Indes Occidentales, mit tout en uvre pour rappeler ces cadres expatris , la mre-patrie. Les maisons et les fermes de cette enclave, taient hollandaises, maintenant l'illusion d'un morceau de leur pays, dans le nouveau monde. Il fallait aussi leur donner la possibilit de manger comme en Hollande. Pour ce qui est de la salade, le jardin qui jouxtait la maison, permettait den avoir en abondance et on y rcoltait du chou, des navets et des carottes. Si vous commandez aujourdhui, du corned beef dans un deli des tats-Unis, il sera servi avec une coupelle de salade de choux rps, aigres-doux, avec des carottes (rpes) et raisins secs, nomme coleslaw, que vous devrez aux colons hollandais ! Ce nom de coleslaw ne correspond rien, si on cherche l'origine en Anglais (cole nest pas une dformation de cold comme on pourrait le supposer). En fait, cest du nerlandais transpos et corrig, de kool (chou) et de sla (salade). Les vendeurs ambulants de sandwiches nont pas voulu tre la trane et ont incorpor trs tt, dans leur petit pain contenant une saucisse, de la

choucroute ou de la coleslaw. Aussi quand les McDonalds et autres Burger King ont industrialis le hamburger, ils lon trs vite agrment dune feuille de laitue et dune tranche de tomate.

vinaigre, remplacs quils sont, par du poivre de Cayenne et du jus de citron. En plus, vous trouverez de la moutarde et si vous le souhaitez, du raifort Passez sur les sites de lItalian dressing, vous aurez la mme chose avec quelques herbes (origan) en plus

Maurice Bensoussan

[1] Quand Brillat-Savarin voque dans la Physiologie du got, un personnage qui a fait fortune en Angleterre en se spcialisant dans lassaisonnement des salades, il nhsite pas crire : salat maker [2] Selon John F. Mariani, The Dictionary of American food & drink, Ticknor & Fields, 1983 [3] The pleasure of the table est le septime livre de George H. Ellwanger, (New York - Doubleday and C- 1902) ayant pour sous-titre Histoire de la gastronomie des temps les plus reculs nos jours , avec ses coles, ses artistes les plus remarquables, des recettes spciales et quelques vues concernant l'esthtique des repas et des invitations dner . L'auteur est fin gourmet (Amricain de surcrot) qui s'est donn comme mission de diffuser, par ses livres, son savoir en matire de plaisirs de la table [4] Docteur Alfred Gottschalk, Histoire de lAlimentation et de la Gastronomie depuis la prhistoire jusqu nos jours. Editions Hippocrate, 1948 [5] Costanzo Felici en parle dans un trait sur la salade, fin seizime. Dautres auteurs aussi, une date antrieure [6] Auteur de la Cuisine Anglo-Amricaine, publi par lArt Culinaire vers 1914. Ancien chef du Metropolitan Club de New York, ainsi que chez les familles Gurnee, Astor et Vanderbuilt [7] Charlotte Perkins Gilman, What Diantha did

Ajouter de la salade au sandwich Un cran de plus et on pouvait choisir son type de salade et lassaisonnement correspondant, au moment de la commande du sandwich, cest ce que proposent les centaines de licencis de Submarine. Nous sommes loin, trs loin des salades de Delmonicos, mais cest lAmrique ! Attention, le mot French gastronomie franaise ! ne signifie pas,

A dfaut de moyens de se payer la cuisine franaise, la vraie, les publicitaires et autres inventeurs de marketing, poussrent lusage du qualificatif French au moins pour la vinaigrette et autres assaisonnements. Ils prirent exemple sur les pages des premires ditions que le livre de cuisine de Fannie Farmer consacre aux salades. Lillusion est maintenue, grce lemploi du mot, french. Son chapitre des salades contient dix assaisonnements qualifis de french, mais l'vidence, le verbe dpasse la ralit, car il s'agit pour certaines, des prparations inconnues en France et mme imaginaires. La Club French Dressing ajoute la vinaigrette, deux cuillers de Cognac ! La Columbia French Dressing utilise de la Worcestershire sauce..., un autre French, du Tabasco..., une autre vinaigrette qui se veut francocalifornienne intgre du jus de pamplemousse, la place du vinaigre... Mais plus simplement essayez sur Google de voir ce que signifie French dressing et vous trouverez du sel, du sucre, de poivre, de lail minc, du paprika, de lhuile et du vinaigre Sur dautres sites, le paprika disparait, ainsi que le

melons, les radis, les artichauts sauvages et les pastques ainsi que toutes sortes de plantes potagres : laitue, cresson alnois, persil, chicore sauvage assaisonne dhuile et de sel. Les huiles les plus frquemment utilises taient lhuile de ssame et lhuile de coloquinte, lhuile dolive tait rare et jusquau nouvel Empire importe de Crte. Salade, salade compose, salade de fruits, ce mets se prte dinnombrables compositions. La salade reste un plat simple, familial, sans cuisson. Trs apprcies toute lanne, les salades sont davantage consommes la belle saison lorsque la multitude des ingrdients permet den varier les combinaisons et les assaisonnements. Les salades, vieilles comme le monde et universelles, ont connu des priodes de gloire et de dsamour, ont fait parler les hommes et inspir les crateurs culinaires de toutes sortes. Sur lautre rive de la Mditerrane, en face, il y avait des grecs trs friands de lgumes. Sils pratiquaient encore souvent la cueillette dherbes et de plantes sauvages, ils savaient fabriquer le vin et donc le vinaigre. Ils apportrent donc cet ingrdient nouveau et une espce de sauce fermente appele garros pour assaisonner leurs salades avec leur merveilleuse huile dolive. A Rome, on ne fit pas mieux. Toutes sortes de lgumes dont diverses varits de salades taient consomms crus et assaisonns. Considrant que les lgumes crus taient dj prcuits par le soleil, les salades de lgumes et dherbes aromatiques taient mlanges et trempes dans une sauce dhuile et de garum ou une vinaigrette mielle et du sel et parfois des aromates tels du cumin ou des baies de genivre. Les dominantes de saveurs acides voire amres des herbes et lgumes taient presque toujours contrebalances par des apports miells et doux des accompagnements. Les petits artichauts et les trs fines asperges sauvages taient dgusts de la mme faon. Les lgumes verts taient conservs dans le sel et le vinaigre : brocolis, asperges sauvages, chicores, jeunes fves, graines de lupins pour tre consomms tels quels ultrieurement. Pline nous apprend que tous ces lgumes portaient le nom acetaria (acides, vinaigrs) : Du jardin plaisaient surtout les lgumes qui nexigeaient pas de feu et conomisaient le bois, nourriture toujours prte et disponible, do leur non dacetaria . Les lgumes et les salades faisaient partie du prandium, le repas de la mijourne qui tait toujours un repas froid, pris rapidement. La consommation de salades et de lgumes cuisins personnifiait le romain civilis face au barbare, mangeur de viande. Les romains avaient invent la salade comme modle culturel. Ils ntaient pas les seuls. Dautres socits faisaient aussi grande consommation de salades. La cuisine hbraque et juive qui a influenc plus tard la cuisine judo-arabe dAfrique du nord et plus spcialement de la Tunisie avec lexquise slata mchouia. Revenons la cuisine juive, hors la traditionnelle et immuable salade pascale dherbes amres, les ingrdients changeaient selon les saisons. Les lgumes du potager ou du march permettaient de varier la composition de ce plat quotidien que lail, le safran, la coriandre aromatisaient ainsi que le poivre, le sel et lhuile. De nombreuses recettes de salades des livres de cuisine juive montrent un got pour la saveur acide. La diaspora juive a importe ses recettes dans toute lEurope et sur tout le pourtour mditerranen.

# Des sicles de salades

Si lorigine le mot salade dsigne toutes sortes de plantes potagres feuilles, cresson, laitue, mche, pissenlit, chicore, runies sous le mme vocable, le mot ensuite indique ces mmes plantes prpares avec un assaisonnement de sel et dhuile. Le mot vient de sal, le sel qui fut le premier ingrdient qui amliora les diverses feuilles, il fut vulgaris beaucoup plus tard. Peu peu dautres ingrdients vinrent amliorer cet assaisonnement pour former la vinaigrette dont la salade est indissociable.

Scarole de mon potager Les premiers mangeurs de salades A notre connaissance, les premiers consommateurs de salade dont nous avons la trace se situent sur le pourtour mditerranen, chez les premires civilisations dagriculteurs. Les Egyptiens cultivaient et apprciaient beaucoup les lgumes rafrachissants : les concombres, les

En France, quelques amateurs de salades Les plus grands mangeurs de salades en Occident et en France taient bien les moines. En raison du grand nombre de jours maigres, lordinaire des repas comportait toujours un plat de lgumes ou de fruits frais, toutes sortes de salades de lgumes accompagnes dherbes et de fleurs comestibles, du pain et du vin servis aprs la soupe. Les huiles qui accompagnaient les salades taient les huiles locales, noix, noisette, illette et olive dans le sud. Lordinaire des paysans tait assez semblable celui des moines et le potager fournissait lessentiel de la nourriture. Larroche des jardins, lamarante, le chnopode, le cresson alnois ou passerage, le cresson, la laitue, la mauve, la roquette et mme le souci ainsi que le houblon et autres herbes encore que nomme Rabelais : sallades de cent diversitez, de cresson, de obelon (houblon), de couille levesque (cresson sauvage), de responces (raiponce), daurelles de Judas (cest une forme de champignons issus des vieux sureaux), de aspergez, de chevrefeuel (cerfeuil) et tant dautres. (Rabelais, Quart Livre, chapitre LX, 1552) Pour le reste de la population, les salades taient servies soit en entre, soit en accompagnement des viandes rties. Les salades taient considres comme aliments lgers froids et humides, elles passaient pour tre difficiles tre digres. On se mfiait des salades ainsi que le disait ce dicton : De la salade et de la paillarde, si tu es sage, donne ten garde. On conseillait de boire du vin pour en faciliter la digestion et de laccommoder dingrdients chauds comme le sel, lhuile et le vinaigre. Salade bien lave et sale, peu de vinaigre et bien huile. Cependant, ce plat gardait ses amateurs tel Ronsard qui chante avec tant de posie cette ode la salade : Lave ta main quelle soit belle et nette Marche aprs moy, apporte une serviette, Une salade amasson et faison Part nos amis des fruits de la saison Dun errant pied, dune ve escate, De, del, en cent lieux rejette, Sus dune rive et dessus un foss, Dessus un champ en paresse laiss Du laboureur qui, de luy-mme apporte, Sans cultiver, herbes de toute sorte, J Je men iray solitaire lcart. Tu ten iras Jamyn dune autre part, Chercher soigneux la boursette touffue, La pasquerette la feuille menue, La pimprenelle heureuse pour le sang Et pour la ratte, et pour le mal de flanc : Je cueilleray, compagnon de la mousse, La responsette la racine douce, Et le bouton des nouveaux groseliers Qui le printemps annoncent les premiers ;

Puis, lisant lingnieux Ovide En ces beaux jours o lamour est le guide, Regagnerons le logis pas pas. L racorsant jusquau coude nos bras Nous laverons nos herbes main pleine, Au cours savr de ma belle fontaine ; La blanchirons de sel en mainte part, Larrouserons de vinaigre rosart, Lengresserons dhuile de Provence ; Lhuile qui vient de nos vergers de France Rompt lestomac et du tout ne vaut rien. Voil, Jamyn, voil mon souverain bien, En attendant que de mes veines parte Cette excrable horrible fivre quarte Qui me consomme et le corps et le cur, Et me fait vivre en extrme langueur". (Ronsard, Ode Jamyn. 1550)

Nous nous apercevons une fois de plus que nous navons pas le monopole des salades mlanges qui reviennent la mode.

Salade frise de mon potager Une vogue europenne des lgumes Si en France, on sintresse davantage aux salades, on avait conserv lancienne manire de manger les salades en deuxime service avec les rtis. Dans tous les jardins potagers on continuait cultiver des varits nombreuses de feuilles. Olivier de Serres, dans son domaine de Pradel, mlait des cultures anciennes comme la mche et le cresson et acclimatait des espces mditerranennes dans des climats plus septentrionaux tels le melon et la laitue. Toutes lesquelles viandes (toutes espces de nourriture), on loge s jardins dhiver et dt, diversement, selon leurs diverses proprits : laitues et pinards, persil, roquete, oseille, pimprenelle, bourrache, pourpier, corne de cerf, cerfeuil, le nazitor ou cresson alenois, targon coq, senemonde, baume, tripe-madame, ache, chreste-marine, pied dalouette, v basilic et autres menues herbes [] Servent divers appareils de

viandes en tous temps, mme en salade en hiver. Olivier de serres, Thtre dAgriculture, Sixime lieu, chapitre III Ce que confirme un de ses contemporains, N. de Bonnefons qui, dans le Cuisinier mthodique publi en 1660, propose une salade de sant. Au printemps prenez toutes sortes de bonnes herbes, boutons de rose, de fenouil et violettes, faites que les herbes soient bien mles, elle peut se servir avec du sucre. Car la salade commence avoir bonne rputation, on considre avec plus dintrt ses bienfaits. En Angleterre, une certain John Eveleyn publie mme un livre prcieux, le Trait des salades qui tout en montrant la vogue de cette prparation, donne de multiples recettes qui intgraient autres choses que des herbes et des feuilles, en particulier les pommes de terre que les franais ddaignaient. Les anglais taient en avance sur les franais dans ce domaine. Montaigne, qui ne prisait pas particulirement les lgumes, crivait : quelque varit dherbe quil y ait, tout senveloppe dans le nom de salade. Malgr de ce peu dattirance pour les salades et pour la cuisine en gnral, il dcouvrit avec plaisir, lors dun voyage en Italie, les salades composes de lgumes, artichauts, fves, et les rafraichissantes salades dagrumes. Car lItalie tait lautre grand pays europen de la salade. Le XVme sicle y fut le sicle des zeladas , trs sales, do leur nom. Outre les lgumes dcouverts par Montaigne, les trvises et le pissenlit un peu amres, les romaines craquantes, la roquette piquante et le pourpier charnu, aromatis de thym et de basilic, se mlangeaient joyeusement avec le fenouil, les haricots blancs, les oignons rps et, avant les autres pays, les tomates et les poivrons venus dAmrique. Ils y incorporrent trs vite le riz et les ptes, les ufs, des viandes et les poissons. Les salades de lgumes taient releves de moutarde, de citron et aussi parfois de confitures. Changement total dans les mentalits en France, les grands dcouvraient la salade et ses vertus la cour de Louis XIV o il tait de bon ton dimiter en tout le souverain. Et le roi raffolait des lgumes et des salades, il faisait une grande consommation de salades auxquelles on commenait prter dinnombrables vertus thrapeutiques et plus du plaisir gustatif de les dguster. La salade, disait-on humectait, rafraichissait et rendait le ventre libre, elle conciliait le dormir et ouvrait lapptit, temprait les ardeurs de Vnus et apaisait la soif ; une vritable panace ! Des salades la table royale venaient directement du potager du roi o La Quintinie faisait cultiver sous serres ou sur couches chaudes de trs grandes varits de salades aux noms charmants tels le Crpe Blonde, la laitue coquille, la Mignone, la Gnes verte, la Royale ou la Capucine. Sur la table, elles arrivaient

assaisonnes de fines herbes, de sel, de poivre et dhuile, releves dun filet de vinaigre, car prconisait le dicton populaire, pour assaisonner la salade il fallait un avare pour le vinaigre, une prodigue pour lhuile et pour le sel un sage. Dans son Instruction pour les jardins fruitiers et potagers , La Quintinie donnait une dfinition de la salade : Salade est un compos de diffrentes plantes potagres quon mange pour lordinaire crues tant assaisonnes de sel et de vinaigre avec de lhuile ; ainsi fait-on un mlange de laitues soit pommes, soit non pommes avec des fournitures, par exemple de baume, destragon, cerfeuil, pimprenelle, pourpier, etc. Il y a mme des salades cuites, par exemple des betteraves ; il y en a de confites dans du sel et du vinaigre, par exemple des petits concombres, autrement dits des cornichons, des capucines, des cpres, des ctons de pourpier, etc. (Jean-Baptiste de la Quintinie, Instruction pour les jardins fruitiers et potagers, premire partie, Explication des termes de jardinage, lettre S, 1690) Dresser la salade, car cest ainsi quil faut le dire, requrait un vrai talent, la salade devant tre toujours parfaite. Les feuilles devaient tre fraches et craquantes, bien pluches et nettoyes, et trs bien gouttes. La vinaigrette devait tre monte dans le fond du saladier, les couverts croiss au dessus sur lesquelles on disposait la salade qui ntait remue quau moment de la servir. Cest tout lart de prparer la salade, un art typiquement franais que les anglo-saxons nommrent the French Dressing qui dsignait la prparation de la vinaigrette. Un art qui fera la fortune de certains migrs en Angleterre ou en Amrique au moment de la Rvolution Franaise. Les aristocrates qui staient mis au fourneau, dans le grand lan de nouvelle cuisine au XVIIIme sicle. Le hros de Brillat-Savarin dans une des Varits de la Physiologie du Got intitule Industrie gastronomique des migrs en est lexemple parfait : [] mais jaime mieux conter, comme plus singulire, lhistoire dun Franais qui senrichit Londres par son habilet faire de la salade. Il tait Limousin ; et, si ma mmoire est fidle, il sappelait dAubignac ou dAlbignac. Quoique sa pitance ft fortement restreinte par le mauvais tat de ses finances, il nen tait pas moins un jour dner dans une des plus fameuses tavernes de Londres ; il tait de ceux qui ont pour systme quon peut bien dner dun seul plat, pourvu quil ft excellent. Pendant quil terminait un succulent rostbeef, cinq six jeunes gens des premires familles se rgalaient une table voisine ; et lun deux stant lev, sapprocha, et lui dit dun ton poli : "Monsieur le Franais, on dit que votre nation excelle dans lart de faire la salade ; voudriez-vous nous favoriser et en accommoder une pour nous ?" DAlbignac y consentit aprs quelques hsitations, demanda tout ce quil crut ncessaire pour faire le

chef-duvre attendu, y mit tous ses soins, et eut le bonheur de russir. Pendant quil tudiait ses doses, il rpondait avec franchise aux questions quon lui faisait sur sa situation actuelle ; il dit quil tait migr, et avoua, non sans rougir un peu, quil recevait des secours du gouvernement anglais, circonstance qui autorisa sans doute un des jeunes gens lui glisser dans la main un billet de cinq livres sterling, quil accepta aprs une molle rsistance. Il avait donn son adresse ; et quelque temps de l il ne fut que mdiocrement surpris de recevoir une lettre par laquelle on le priait, dans les termes les plus honntes, de venir accommoder une salade dans un des plus beaux htels de Grosvenor-Square. DAlbignac, commenant prvoir quelque avantage durable, ne balana pas un instant, et arriva ponctuellement, aprs stre muni de quelques assaisonnements nouveaux quil jugea convenables pour donner son ouvrage un plus haut degr de perfection. Il avait eu le temps de songer la besogne quil avait faire ; il eut donc le bonheur de russir encore, et reut, pour cette fois, une gratification telle quil neut pas pu la refuser sans se nuire. Les premiers jeunes gens pour qui il avait opr avaient, comme on peut le prsumer, vant jusqu lexagration le mrite de la salade quil avait assaisonne pour eux. La seconde compagnie fit encore plus de bruit, de sorte que la rputation dAlbignac stendit promptement : on le dsigna sous la qualification de fashionable salad-maker ; et, dans ce pays avide de nouveauts, tout ce quil y avait de plus lgant dans la capitale des trois royaumes se mourait pour une salade de la faon dun gentleman franais : I die for it, cest lexpression consacre. DAlbignac profita en homme desprit de lengouement dont il tait lobjet ; bientt il eut un carrick pour se transporter plus vite dans les divers endroits o il tait appel, et un domestique portant, dans un ncessaire dacajou, tous les ingrdients dont il avait enrichi son rpertoire tels que des vinaigres diffrents parfums, des huiles avec ou sans got de fruits, du soy, du caviar, des truffes, des anchois, du calchup, du jus de viande, et mme des jaunes dufs, qui sont le caractre distinctif de la mayonnaise. Plus tard, il fit fabriquer des ncessaires pareils, quil garnit compltement, et quil vendit par centaine. On constatera que Paul Newman avait eu un prdcesseur Londres et que la fabrication de la vinaigrette et autres sauces de salades avait dj au XIXme sicle un rel succs outre-manche. En France, si lon en croit Grimod de la Reynire, le premier critique gastronomique de lhexagone, on restait classique dans lassaisonnement de la salade verte servie au repas, il tait habituel alors, dassaisonner la salade sur la table, do ces vinaigriers qui comportent aussi une burette pour lhuile, du sel, du poivre et de la moutarde- que lon trouve dans les services anciens. (Manuel des

Amphitryons). Peut-tre est-ce en raison de cette habitude quil prcise dans un menu propos dans le mme ouvrage une salade anglaise apparemment prpare dune manire diffrente.

Feuilles de chne de mon potager Vive la salade ! Ailleurs quen France, les lgumes venus dAmrique et dAsie et nouvellement acclimats avaient connu davantage de succs dans les pays europens quen France o un rejet les a tenu loigns de la table jusquau dbut du XIXme sicle. Une fois adoptes la pomme de terre et la tomate furent prpares en salade et fort bien accommodes quoique de manire diffrente et mles parfois dautres lgumes ou dautres ingrdients. La sauce de salade pouvait aussi prter lintroduction dingrdients nouveaux en remplacement ou en accompagnement de lhuile. Cest en tout cas ce que prconise Alexandre Dumas larticle salade : ce mot sert principalement dsigner des prparations culinaires qui requirent, outre du sel et du poivre, de lhuile ou bien du beurre et de la crme et communment du vinaigre. Il recommande duser trs sobrement du vinaigre et plutt exclusivement du vinaigre de vin, afin que sa saveur se confonde avec celle des herbes, de lhuile et des autres ingrdients. et le jaune duf est un intermdiaire utile pour diluer la saveur du vinaigre. On dcouvre dans cet article que les manires daccommoder les diverses salades proposes aux consommateurs nont gure chang. Que lit-on ? Pour la chicore on ne les

assaisonne quavec une crote de pain rassis frotte d ail, pose au fond du saladier et que lon remue avec la salade afin quelle sen imprgne bien. Un sicle plus tard, Joseph Delteil vantera les mrites dune telle alliance En tout cas, sil sagit de la salade frise, le chapon simpose : ce sont des crotons de pain terriblement frotts dail, repus dhuile et de vinaigre et jets dans la mle. Et puis jamais fille ni salade ne fut trop farandole. La scarole, nature mais lhiver mche, raiponce et cleri coup en btonnets et lorsque le cleri est prpar seul, il est bon de le relever dune sauce faite avec de lhuile battue, de la moutarde et du soja. En cette saison, le cresson de fontaine et la barbe-decapucin sont mlanges des tranches de betteraves. Bel effet visuel ! A. Dumas conseille aussi les salades de lgumes cuits. Il est trs prolixe sur la laitue de printemps pour laquelle il suggre une grande quantit dingrdients y mler, laissons-lui la parole : Cest de toutes les salades celle quon aime le mieux, et le plus gnralement on y met des herbes de fournitures, des ufs durs coups par quartiers, quelquefois des hutres marines, des queues de crevettes, des ufs de tortue, des filets d anchois, des olives farcies et quelquefois aussi des achards et du soja de la Chine ; Cette salade exige beaucoup dhuile, et lhuile verte dAramon est la meilleure [] La naissance et la multiplication des restaurants dans les villes ont pouss les chefs faire voluer leur cuisine autant dans les recettes que dans la prsentation et le service : le service la russe, une simplification des prsentations, des menus la carte. Dans ces cartes des salades, nombreuses et varies, des plus simples aux plus sophistiques. Limagination des chefs tait en bullition et sans limite, pour preuve les 91 salades expliques dans lEscoffier la fin du XIXme sicle qui donnent une ide de ce que lon peut faire en mlangeant divers ingrdients et en les liant avec une sauce, le plus gnralement des vinaigrettes et des mayonnaises additionnes de toutes sortes daromates, pices et ingrdients. Les dcouvertes scientifiques appuyrent ce got pour la salade. On dcouvrit que les lgumes crus apportaient lorganisme des vitamines et des minraux et que plus ils taient colors plus ils taient bnfiques et dans cet lan de modernisme et de changement, on conseille de consommer les salades non pas au dbut, ni la fin du repas, mais au cours de ce repas en mme temps que des aliments cuits ce qui permet notre organisme de mettre en route son systme de dfense immunitaire. Il est donc recommand aussi de mler aliments cuits et aliments crus dans les salades. Ce qui est maintenant frquent dautant que la salade est devenue un plat complet, un repas lui tout seul. Les cartes des brasseries proposent de nombreuses salades copieuses et

certains restaurants en ont fait leur spcialit. Des restaurants de salade, jamais on aurait imagin cela quelques sicles plus tt. La bataille de lassaisonnement Nous avons vu comment lmigr connu de BrillatSavarin avait fait fortune avec ses sauces de salades. La base reste toujours la mme pour la vinaigrette, sel et poivre, huile et vinaigre, parfois de la moutarde et toutes sortes de condiments et dherbes aromatiques pour parfumer et relever le got. Lautre sauce est la mayonnaise, cette mulsion qui monte, qui monte et qui sassaisonne aussi. Sur ce point tout le monde est daccord. La bataille de lassaisonnement a lieu sur les quantits dhuile et de vinaigre et la manire de les incorporer. Nous avons cit prcdemment moult dictons conseillant de manier la bouteille de vinaigre avec parcimonie. Colette, souvent iconoclaste mais terriblement gourmande, adorait le got du vinaigre, got quelle avait dvelopp dans sa prime enfance. A dix-huit mois, je suais la salade vinaigre dans lassiette de ma nourrice, pour contenter ce besoin dacide vivant qu prsent on admet chez la crature en mal de croissance, puisquon lui administre jus de citron et quartiers dorange. On peut se fier assez largement linstinct dun jeune animal humain, quand il est n sain. Il va aux crudits souvent, comme le chat va au chiendent. Ce qui corrobore les conseils et prconisations dont nous parlions plus haut. Mais la controverse ne sarrte pas l. Elle dborde galement sur lordre dentre des ingrdients, lhuile avant le vinaigre ou le vinaigre avant lhuile ? Sel dissout dans lhuile ou dans le vinaigre ? Chaque bord tient son champion. Ct huile Alexandre Dumas notre gastronome crivain, qui sappuie sur la caution de Chaptal. La chose consiste saturer la salade avec de lhuile assaisonne de sel et de poivre, avant dy mettre le vinaigre, ce dont il rsulte que la salade ne saurait jamais tre trop vinaigre, parce que le vinaigre glisse sur chaque feuille huile, de sorte que si lon a mis trop de vinaigre dans la salade, ainsi quil arrive souvent comme chacun sait, on na jamais sen repentir, parce que le vinaigre se runit toujours au fond du saladier o Chaptal a calcul fort judicieusement quil devait tomber en vertu des lois de sa pesanteur spcifique lgard de lhuile. Nous ferons remarquer que le sel ne se dissolvant pas dans le vinaigre, il est inutile d essayer de ly faire fondre ; il est prfrable de le mler lhuile et de le verser ensuite sur la salade. Avec une telle caution scientifique, Alexandre Dumas laisse bouche be ses lecteurs. Pourtant il me semble que le sel se dissout trs bien dans le vinaigre. Il me semble aussi que dans ce domaine comme dans dautres, il est inutile de tenter de convaincre les tenants de telle ou telle cole. Et pour mettre tout le monde daccord, je laisse la

parole un sage picurien, Joseph Delteil lorsquil parle de la salade, une salade sauvage, salade des champs du printemps. Quant la manire , il y a, vous le savez, les deux coles : vinaigre dabord ou huile dabord. La grande querelle de la salade. Platon vote huile. Aristote vinaigre. Les vinaigrebordistes expliquent que cest la seule faon de dissoudre le sel, lequel ne prend pas lhuile, comme il est dit de la brebis ou de la jument. Les huilebordistes rpliquent que oui mais quune fois la salade cuirasse de vinaigre, jamais lhuile vierge ne saurait sinstaller. Mes choses en sont l. Quand je dis huile, je veux dire huile dolive, toujours lolive, rien que de lolive, grands dieux ! Les choses en sont l pour nous aussi prsentement. A vous de dcider si vous prfrez manger la salade en dbut de repas comme Lyon ou aprs les viandes ou encore avec votre fromage. A vous de dcider si vous mlangez votre sel dans lhuile ou dans le vinaigre, et si vous versez dabord lhuile ou dabord le vinaigre et ce dernier en dose homopathique ou gnreusement. Et quel vinaigre ? Et quelle huile ? De toute manire comme disait ma grand-mre, servez vous en premier car la politesse est au fond du saladier.

Sgolne

A la fin du dix-neuvime sicle, le nombre des nouvelles fortunes ralises dans lindustrie des chemins de fer, les mines, la spculation foncire, lindustrie et autres activits, augmenta sensiblement aux Etats-Unis. Les millionnaires qui taient moins de 20 pour tout le pays en 1820, devinrent une bonne centaine en 1860 et dpassrent le chiffre de 4 000 en 1890.

# Les repas les plus prestigieux se concluent parfois par une simple salade

Le restaurant Delmonico Un millionnaire [3] voulut un soir, avoir un seul repas de dix mille dollars(!). On dcora pour lui, la salle avec de vrais troncs d'arbres et on y plaa deux fontaines. On installa au centre de la table, une piscine dans laquelle nageaient des cygnes (!). On plaa autour du bassin, un grillage en or, sign Tiffany, doubl de gros bouquets de fleurs rares , pour sparer les cygnes [4] de la table et protger les convives, dventuelles claboussures. Les dames avaient leur place un bouquet des mmes fleurs et les 72 invits pouvaient emporter le menu grav sur une plaque d'argent(!). Le menu (en Franais), tait compos de neuf services et aprs les : Consomm lImpriale / Timbales la Cond / Red snapper la Vnitienne / filet de buf lEgyptienne / Ctelettes de volaille la Svign / sorbet /chapon truff et avant les 14 entremets sucrs et le dessert, une simple salade de laitue, ce qui tait une habitude chez Delmonico pour les grands banquets, malgr les 70 salades numres dans The Epicurean. Pour 50 000 $, peut-on avoir en plus, de lavoine pour les chevaux ? En 1890, Delmonicos ntait plus le seul restaurant avec des menus hors de prix. Un certain Louis Sherry, n dans le Vermont en 1856, grimpa les chelons du restaurant de lhtel Elberon, (New Jersey), en prtendant haut et fort quil tait Franais, pensant ainsi, acclrer sa promotion. Avec 1 300 dollars dconomies, il ouvrit un restaurant New York en 1881 et connut un gros succs, ce qui lamena en 1890 acheter une grande maison dans la cinquime avenue. Dans ce milieu de restaurants pour millionnaires, il fallait se surpasser, ce quil fit et huit ans aprs, il inaugurait un magnifique tablissement, plac juste en face du Delmonicos. Cest l quil reut

Cette monte en flche du nombre des trs riches, semblait plus forte encore New York, car ctait l, que la majorit dentre eux se montraient. Les sommes dpenses touchaient tous les domaines, mais galement, la table. Vers 1880 donc, par la force des choses, New York tait devenue l'arbitre du pays en matire de manires et des gots de l'lite. La classe riche tait implique dans une course folle au statut social, se traduisant par une vritable orgie d'exhibitions et de spectacles. [1] Un exemple de folie dpensire, un repas pour 72 personnes, 10 000 $ Il y avait une sorte de lutte sourde entre la horde affame de nouveaux riches et ceux que lon appelait les dtenteurs de lold money. Les uns et les autres dpensaient beaucoup dargent et titre dexemple, voici, sans tre exhaustif, quelques unes des extravagances qui taient demandes aux restaurateurs. Car un moyen efficace dtaler sa fortune, tait dinviter ses amis (si possible, beaucoup damis) dner au Delmonico's, restaurant rput le plus cher de New York. Ici, on savait prendre soin dajuster le dcor de la table, au standing du client et selon le cas, on disposait au milieu de la table, une large pice d'argenterie avec des plantes, des fougres, des fleurs naturelles ou un vase haut, ou simplement un panier de fleurs (). De chaque ct de la pice centrale, deux paniers de fruits de saison joliment arrangs et ct de chacun deux, une pice ornementale en hauteur, faite de nougat et de sucre, ou une pice en bronze () avec chaque bout, des candlabres ou des lampes. [2]

souper le 28 mars 1903, trente-six cavaliers en smoking qui entrrent cheval, dans son grand salon ! Lamateur de chevaux, C.K.G. Billings, avait lou la salle, pour fter la cration de ses nouvelles curies [5]. Mais la vraie raison tait son besoin dimpressionner les membres du club hippique. Il demanda que lon transforme l'immense salon de Sherrys, en clairire de fort, grce des arbres exotiques en pot et des oiseaux vivants, lchs pour voler de branche en branche, durant la rception. Ridicule soire, mais tout de mme, mmorable.

aussi. Il ouvrit son second restaurant New York en 1899, pour capter quelques grands dpensiers, acteurs, financiers et autres mas tu vu, qui se pavanaient avec les poches pleines dargent. Pour la plupart, ils ignoraient les belles manires et leur seul but, tait de se faire voir. Ce fut ce crneau que visa Rectors, et des clients bruyants et tapageurs, entraient par la porte tournante (la premire New York), pour clbrer tel vnement, vrai ou imaginaire. Il y avait aussi parfois, une girl accroche au bras dun vieux, esprant avoir aprs le dner de homard au champagne, un diamant la bijouterie d ct, qui restait ouverte, tard dans la nuit. On servait chez Rectors, 1,000 couverts par jour, au prix de deux dollars pour le dner et le djeuner valait de 35 50 cents (du 19me sicle), niveaux pratiqus par les autres grands restaurants. Le personnel devait se prsenter en smoking, ras de prs, se montrer trs poli avec les clients et ne pas porter des lunettes. Si lun dentre eux drogeait ces rgles, ils taient suspendus dix jours. Charles Rector attachait le mme srieux pour le contenu de ses assiettes, quau service. Son restaurant de poissons frais de Chicago avait t une russite et il tait dcid faire aussi bien New York, face Delmonicos et Sherry. Il soignait sa vaisselle, nhsitait pas acheter le linge de maison Belfast et l'argenterie, chez les meilleurs orfvres amricains. Si un client demandait une cuillre ou un couteau en souvenir, on la lui offrait. Mais si on voyait quelquun mettre un couvert dans sa poche, on ajoutait son prix la note. Un de ses clients habituels tait un certain James Brady, qui avait fait fortune dans les chemins de fer. Il frquentait Sherrys, Delmonico's, le restaurant du Waldorf Astoria mais se plaisait bien chez Rector's, o lon se mettait en quatre, pour le servir. Ctait une aubaine, car disait-on, lui tout seul, il reprsente nos vingt-cinq meilleurs clients . Dot dun apptit lgendaire, il mangeait son repas ordinaire, trois douzaines d'hutres, douze crabes, six homards frais, un steak, et la totalit du plateau pour dessert. Une anne de stage Paris, pour garder son meilleur client ! Jim avait dcouvert Paris, le Caf Marguery et ses filets de sole quil souhaitait retrouver New York, mais les chefs de Rector s'essayrent sans russir et la sauce Marguery quils prsentaient n'tait pas ce que Jim avait en mmoire. Charles Rector convainquit alors son fils George, de partir Paris et de ne revenir quaprs avoir perc le secret de la sauce et matris la prparation des filets de sole. Bien plus tard, voquant cette mission, le fils Rector, raconta, J'tais apprenti les huit premiers mois dans les cuisines du Caf Marguery. () Tout, dans cet tablissement, entrait dans un cadre strict. Les couverts devaient tre placs table suivant un rapport avec le Nord magntique et les curedents ne devaient jamais se trouver ailleurs qu' l'endroit dfini. J'tais encore trs loin de la recette

La clairire dans le salon Les serveurs empresss, servaient les convives, sans quils mettent pied terre en plaant des plateaux contenant le dner, sur l'encolure des pur-sang [6]. Dans les fontes, des bouteilles de champagne avec un tuyau courant jusquau revers du smoking, permettait aux cavaliers de boire, en aspirant au bout du tuyau. Pas de coupes de champagne sur le plateau et les cavaliers devaient se servir dune main, lautre devant tenir les rnes. Pendant que les cavaliers mangeaient et buvaient, les chevaux taient servis en avoine par le personnel, en tenue queue de pie. Y avait-il une salade ce dner, limit un seul service ? On ne le sait pas, mais sil y en avait une, caurait t une chicken salad, parce que depuis toujours, elle tait celle Louis Sherry prfrait faire pour ses clients. Blanc de poulet coup en cubes, de noix bien grills, cte de cleri coupe en petits morceaux, raisins secs sans ppins le tout assaisonn de mayonnaise, vinaigre, sel et poivre. Avec ou sans chicken salad, lvnement qui avait cot la bagatelle denviron 50,000 dollars, avait fait grand bruit chez les riches de la socit newyorkaise, qui en parlrent durant plusieurs annes. Rectors, troisime candidat la course des restaurants les plus chers ! A la fin de ce 19me sicle dor, il y avait encore de la place pour des endroits au service de la horde affame des nouveaux riches. L, plutt que la bonne cuisine, ctait le spectacle o on allait tre reprsent que lon cherchait. Charles Rector, qui avait dj lanc un restaurant de fruits de mer Chicago en 1884, se mit en tte de russir ici

de la Sole Marguery. Aprs deux longs mois de grande application, je commenais me sentir en possession du tour de main. Durant ces 60 jours, au rythme de quinze heures par jour, je poursuivais l'exprience : filets de sole d'une part et sauce d'autre part, jusqu' ce que j'arrive combiner les deux composants. Au bout de ce long calvaire, le rsultat fut jug conforme par les 7 chefs du Caf Marguery . Il pouvait donc revenir New York.

mariner jusqu les imprgner totalement. Dispersez une demi-tasse d'amandes blanchies effiles, une cuillre soupe d'oignon hach fin et une autre de poivron vert hach. Mlanger soigneusement et laisser se refroidir hors du rfrigrateur. Juste avant de servir, mlanger dans une tasse, la mayonnaise avec une cuillre soupe de persil hach et servir sur un lit de laitues saupoudrs de paprika. Le Waldorf Astoria permet aux riches de manger aussi, deux ufs sur le plat ! Ceux que jai qualifis de dtenteurs de lold money , comme les Astor, ne voulaient surtout pas se mlanger aux nouveaux riches. Certes, ils frquentaient Delmonicos, mais ils le faisaient dans un salon priv. Ils prfraient manger dans leur rsidence construite sur un terrain achet ds 1827, situ au croisement de la cinquime avenue et 33me rue. Cette rsidence de cinq tages, devint le point dattraction de la zone la plus recherche de Manhattan. Ctait l, quil y avait la fameuse salle de bal pouvant contenir les 400 personnes que Mrs Astor considrait comme ses amis. La rputation des bals donns dans la rsidence, jointe au rayonnement du nom des Astor, fit de cette maison lpicentre de la haute socit newyorkaise . Puis vint le temps des brouilles entre successeurs, et de la dcision de lun deux de construire une maison ressemblant aussi peu un htel quil tait humainement possible . Cest ainsi que naquit le Waldorf [8] Hotel, haut de treize tages. Trois ans plus tard, il fut accol lautre moiti de la proprit, pour devenir limmense htel Waldorf Astoria. Lhtel abritait la clbre salle de bal de Lady Astor, mais malgr cela, elle ne pouvait pas supporter que sa demeure jouxte un ensemble commercial comme lhtel, malgr sa classe. De plus, lhtel dpassait sa rsidence en hauteur, ce qui lirritait aussi et elle dcida de dmnager plus au nord, dans la cinquime avenue, o elle stait fait construire un petit chteau renaissance franaise, en 1893. Dautres lments des deux maisons Astor, dmnagrent lhtel qui en plus, fit lacquisition dquipements modernes, permettant doffrir la clientle riche, des installations idales pour tous les types de manifestations. Le personnel avait galement t choisi pour son savoir-faire et le matre dhtel du Palm Garden, le restaurant le plus hupp de cette grande maison, venait du Delmonicos. Il devint un personnage quil y avait intrt connatre, si on voulait avoir une bonne table. Oscar Michel Tschirky (1866-1950) aimait placer lui-mme les habitus, servait certains soirs, plus dun millier de homard Newburg ainsi que des centaines de bouteilles de champagne. Il laissa la postrit gourmande, lors dun dner de 1896, une simple salade de son invention, la salade Waldorf, un peu comme la montagne qui a accouch dune souris. Linvention de la salade par un matre d'htel sexplique sans doute par le fait, que c'est

Le fils Rector parle de son pre Son pre et... James Brady en personne, lattendaient son retour, sur le quai du port de New York, avec l'orchestre du Rector's au grand complet. On se transporta au restaurant et le fils rejoignit les cuisines, alors que Jim s'installa en attendant de juger du rsultat. A la premire bouche, le goinfre gourmet ferma les yeux, hocha la tte pour dire que c'tait bien ce qu'il avait en mmoire et il en redemanda une troisime fois, et encore une autre... et sarrta seulement, aprs s'tre fait resservir sept fois ! On na pas su quel fut le montant de la note ou si la marge dj dgage avec un tel client, avait permis de compenser le prix du voyage du fils Rector sans compter, les perspective dune telle relation. Nous navons rien dit de la salade, parce que Jim Brady ne trouvait pas de salade assez consistante. Par la suite (1934), dans, Dine at Home with Rector, on trouvait la recette de Charles, pour la salade de pommes de terre. Une fois quelles sont tendres, les peler et les mettre dans un bol afin de les briser et les rendre granuleuses, quand elles sont encore chaudes, en y plongeant une grande fourchette et en donnant des coups de couteau dans tous les sens. Il faut sloigner de leffroyable habitude de les trancher proprement, avec un couteau, quand elles sont froides. Donner leur boire de la vinaigrette [7] dans des proportions d'un tiers de tasse pour six pommes moyennes, et laissez-les

gnralement lui, qu'incombait de faire lassaisonnement en pleine salle manger, devant le client, comme d'ailleurs la dcoupe des grosses pices de viande ou les flambages, trs la mode au Waldorf. Cette salade connut immdiatement le succs et sa version originale ne contenait que des pommes, le cleri et la mayonnaise. Les noix haches vinrent plus tard [9].

secteur rsidentiel des Waldorf Towers, la fois, la spcialit du chef franais ou simplement une crpe du Vermont arrose de sirop drable . Ainsi donc, sil vous arrive de vous rveiller en ayant envie de boulettes de poulet ou de gteau aux cerises, il vous suffit dappeler la cuisine amricaine [10] Comme quoi, mme les plus riches ont quelquefois, envie de manger simplement et les quipements dun htel comme le Waldorf, devait le leur permettre. Ces riches peuvent aussi demander limpossible, comme le fit en 1935, Elsa Maxwell, chroniqueuse mondaine, qui rservait son salon favori, la Starlight Room, au sommet de lhtel. Je veux des arbres avec des vrais pommes dessus, mme si on doit les y pingler, () Jaurai un puits bire. Je veux une table avec des moutons, de vraies vaches, des nes, des oies, des poulets et des cochons et un orchestre Elle eut sa soire, avec pour attraction principale, une pseudo-vache appele, the Mot cow, dont le pis donnait du champagne dun ct et du whisky-soda de lautre [11] ! On ne peut pas sempcher de repenser Oscar Tschirsky et sa salade, car ctait vraiment, au milieu de cette immense montagne, laccouchement dune souris !

Maurice Bensoussan

[1] Harvey Levenstein, Revolution at the Table, Oxford University Press, 1988 [2] Charles Ranhofer (chef de chez Delmonico's) The Hotel Monthly Press 1920 [3] Edward Luckmeyer qui ayant reu des douanes, un trop peru de 10 000 $ (1873), dcida de les dpenser en une seule fois, chez Delmonico's [4] Il y avait plusieurs cygnes et les deux mles se battirent entre eux, ce soir-l, en plein dner [5] Ce diner prvu lorigine chez lui (copie de chteau renaissance) vit sa destination changer quand des journaux eurent vent de la chose. Il dcida de rserver le grand salon Sherry sur la cinquime av. et 44me rue [6] On apprendra par la suite, que les chevaux utiliss avaient t choisis parmi les plus sages, pour permettre aux bons et aux mauvais cavaliers de participer au dner [7] Le French dressing de Rector est un mlange de sel, poivre, paprika, sucre en poudre, moutarde en poudre, poivre de Cayenne, dans le fond d'un bol, sur lequel on verse goutte goutte, lhuile d'olive, en remuant jusqu' mulsionner lensemble. Ajouter goutte goutte du vinaigre et goter pour ventuellement rectifier

Oscar Michel Tschirsky Le Waldorf Astoria fut dmoli en 1929 pour laisser son emplacement lEmpire State Building (belle opration immobilire) et fut reconstruit sur Park Avenue, avec des lments des anciennes salles manger, repris pour assurer une sorte de continuit. Tschirky suivit, dans le cadre de cette mme continuit, pour diriger (comme avant) le restaurant principal et ceci, jusquen 1943. Aprs son dpart, le coffee shop du Waldorf fut baptis Oscar, en souvenir du plus clbre matre dhtel de New York, dont le magnifique portrait trne (toujours) dans une des salles de bal de l'htel. Mais le concept de lhtel tait totalement nouveau. Construit sur les terrains des voies ferres aboutissant la Central Station de la 42me rue, ce fut le seul htel o les trs riches, pouvaient garer leur wagon de train priv juste au dessous de lhtel. Par contre, le fait de ne pas avoir de sous-sol, qui est gnralement lemplacement des services de cuisine dun htel, a amen les concepteurs du btiment prvoir tout un rseau de cuisines pour assurer les prestations des innombrables salles manger de lhtel. Tant et si bien, quau 19me tage, se trouvait une cuisine familiale. On pouvait ainsi avoir, si on habitait le

[8] Waldorf est le nom de la ville allemande, do le premier des Astor (John Jacob) migra au dixhuitime sicle, vers les Etats-Unis [9] La salade Waldorf est servie sur un lit de laitue. La recette originale ne contenait pas de noix. D'autres ingrdients, comme le poulet, la dinde, les raisins secs, les dates, sont parfois ajouts la salade [10] Helen Worden, Women and the Waldorf [11] Rem Foolhaas, New York dlire, Editions du Chne Paris

Tijuana est une ville du Mexique situe prs de la frontire des Etats-Unis, limitrophe du comt de San Diego, en Californie. Les vnements rcents, notamment les clandestins qui cherchent traverser la frontire nuitamment, les problmes de drogue, les arrestations de narcotrafiquants ne devraient pas faire oublier que cette ville a t un centre touristique important.

# Linvention de la Caesar Salad, retombe indirecte de la prohibition

Sa proximit des grandes villes de Californie, en avait fait dans la dcennie 1920, une destination de nombreux Amricains, fuyant la prohibition. Ils passaient la frontire pour boire en toute lgalit et des casinos gants ouvrirent, comme Agua Caliente, pour leur permettre de jouer. Profitant de ce boum, un certain Caesar Cardini [1], pensa quil ferait de bonnes affaires de lautre ct de la frontire. Comme les tacos, frijoles, quesadillas, burritos et autres empenadas, offerts par les estaminets mexicains ne convenaient pas bien aux anglos, Cardini tablit une carte avec des mets amricains, afin que son restaurant qui comptait dj une clientle qui venait boire, puisse offrir des mets pour accompagner les boissons. La naissance de la riche salade csar, partir de la pnurie ! Et voil quun soir o il y avait eu beaucoup de monde, le stock des denres alimentaires diminuait, alors quil y avait encore des clients servir. A partir de l, on a racont beaucoup de choses au sujet dune salade qui aurait t invente ce mme soir par Caesar Cardini lui mme. Comme on la dit, il y avait encore quelques tables qui navaient pas command et pour ne pas perdre cette clientle, Caesar prit les choses en mains et concocta une salade avec ce qui restait. Il la prpara sur le ct des tables, devant les clients.

Du moins, cest lhistoire qui fut rapporte par la fille de Caesar, Rosa Cardini, qui confirma que les armoires aux victuailles taient vides et qui data lvnement, au 4 juillet 1924 (week-end fri aux Etats-Unis donc foule plus dense au restaurant). La salade tait faite partir de feuilles de laitue romaine, agrmentes de crotons brunis dans de l'huile chaude parfume l'ail, le tout assaisonn dun uf mollet, sal, poivr, jus de citron et huile d'olive. Comme jusque l, la chose navait pas de nom, elle lui donna le prnom de son pre et lhistoire (vraie ou fausse), pardon, la lgende de la Ceasar Salad prit son envol ! Cette histoire nest pas vraie , affirma un contradicteur qui disait avoir la preuve de ce quil avanait, puisquil tait collectionneur de menus. La Caesar Salad figurait, affirma-t-il, sur un menu (quil na jamais exhib) dat de 1920 dun restaurant. Cest alors que la voix dun certain Giacomo Junia, cuisinier italien, se fit entendre, pour confirmer que lhistoire de Rosa tait fausse. Il officiait au dbut du sicle, dans un petit restaurant de Chicago, le New York Caf, servant des pizza et des spaghetti, une poque o les Amricains napprciaient pas ces mets trop rouges de sauce tomate . Julia revendiqua la paternit de cette salade, invente par lui en 1903 ! Il lavait appele alors Caesar Salad, en lhonneur du plus grand Italien de tous les temps, Jules Csar ! Il confirmait ainsi, que la thse avance par Rosa Cardini ntait quun moyen fallacieux, dattirer et de retenir des touristes amricains dans le restaurant de Tijuana quelle dirigeait dsormais. Un grand acteur dHollywood, inventeur de la Caesar Salad ?? Mais chacun sait quune recette volue et Tijuana, l'influence italienne s'est de nouveau, interpose sous la forme de parmesan rp, ajout sur le tout, su temps de la direction de Rosa. Des milliers d'Amricains venus chaque anne, en voisins de San Diego, au restaurant de cette petite ville du Mexique, parlrent autour deux de la

salade et la recette sest retrouve Hollywood, en plat unique pour sustenter des stars soucieuses de leur ligne.

salade nioise, mais quil fallait pour se diffrencier, bien craser les filets dans lhuile dolive. Mais tout cela navait plus dimportance, car beaucoup de cuisiniers avaient adopt la Caesar Salad et on la trouvait bientt, dans toutes villes dAmrique du Nord. Ici et l, on vit disparaitre ou rapparaitre les filets danchois. On pourrait citer dautres cuisiniers qui ont dit tre de prs ou de loin, les inventeurs de cette salade, ou du moins, les amliorateurs qui ajoutaient, au gr des occasions, dautres varits de laitues, des cpres, du poulet, de la mayonnaise, des crevettes, du saumon, du bacon, ou encore telle varit de fromage italien Les nouveaux livres de recettes ne pouvaient pas omettre la Ceasar Salad dans leur chapitre des salades, en se conformant ou pas avec la recette originelle. En somme cette salade a t diffuse dans tous les tats-Unis comme une prparation californienne, qui peu peu, perdait son appartenance la seule Californie. Dailleurs Tijuana navait jamais t situe en Californie ! Des Etats-Unis, elle passa au Canada o on l'appela, entre autres, la Reine des salades. Pour leur crdibilit, les lgendes ont besoin dune princesse Et puis voil, que la Salade Csar traverse lAtlantique, traverse qui ajouta son caractre mythique ! Les dbuts de cette salade en Europe, seraient rattacher Madame Wallis Warfield Simpson (future pouse du Prince de Galles, qui renoncera pour elle devenir roi dAngleterre). Cette dernire rencontra en effet le Prince lhtel Del Coronado, quelque part entre San Diego et Tijuana, dans la dcennie 1920. Elle connaissait l'htel Caesar's Palace, apprciait la Caesar Salad et aurait mme exig que se soit Cardini en personne, qui la prpare sur le ct de sa table. Au cours de ses nombreux voyages (notamment en Europe), la future Duchesse de Windsor demanda de la lui prparer. La lgende qui comme toutes les lgendes, avait enfin sa princesse, lui attribua le mrite dtre la premire couper la laitue avec un couteau et une fourchette, plutt que de prendre les feuilles avec les doigts, comme on le faisait Tijuana. Cest ainsi que la salade Csar fut connue en Europe. Tellement bien connue, que dans les annes 1930, la Caesar Salad fut classe comme la plus grande recette originaire des Etats-Unis, depuis cinquante ans par lInternational Society of Epicures in Paris (?!?). En matire de diffusion des modes alimentaires, ce ne sont pas toujours les thses les plus jolies qui sont les vraies ou du moins, qui sont celles qui ont vritablement contribu la notorit. Ce qui vient dtre dcrit, est sans aucun doute vrai, mais ce nest pas seulement par cette voie que sest faite la diffusion. La cration des htels amricains du type Hilton, Sheraton et autres Marriott dans virtuellement toutes les capitales trangres, comme dailleurs, la multiplication des Hollyday Inn dans des villes moins

Le Ceasar Hotel construit sur le site du restaurant de Cardini En matire de salades, Hollywood donnait lpoque, bien souvent le ton, non pas tellement parce que les chefs y taient ici, plus inventifs quailleurs, mais parce que tel ou tel acteur (ou metteur en scne) clbre faisait une fixation sur un nouveau plat, qui lui avait plu. Pour lui faire plaisir (et surtout pour profiter de sa notorit), on baptisait le plat du nom de l'acteur et selon le niveau de clbrit, le plat se diffusait dans le reste du pays, plus ou moins vite. Ce fut lorigine dune autre histoire donc, qui affirmait que la Caesar Salad fut cre par un groupe de stars dHollywood, aprs un long week-end festif. Pour contrer cette nouvelle histoire, qui avait de grandes chances de prvaloir, les Cardini rappelrent quun nombre important de clbrits de Hollywood, Clark Gable ou Jean Harlow, pour ne citer que quelques uns, dnaient souvent au restaurant de Tijuana pour chapper aux lois de la prohibition. Cest ainsi que lun ou plusieurs dentre eux, de retour Hollywood, aurait pu prtendre avoir invent une salade originale en sattribuant le mrite de la recette. Alex, le frre de Csar Cardini, venu aux Etats-Unis avec lui, avait eu une carrire exemplaire au cours de la Premire Guerre mondiale, comme pilote dans laviation de guerre italienne. Il se mit en tte dajouter quelques ingrdients nouveaux la salade, entre autres, des filets danchois et baptisa la chose, Aviator Salad pour attirer la sympathie des pilotes bass Rockwell Field de San Diego. Mais son frre Csar, se dclara fermement oppos l'inclusion d'anchois dans SA salade, soutenant que la sauce Worcestershire [2] suffisait pour donner ce lger got de poisson. Il dcrta dans la foule que seule lhuile d'olive italienne devait tre utilise. Les chroniqueurs amricains aimant de cuisine franaise, affirmrent haut et fort que lanchois incorpor, lavait t sous l'influence de la

importantes, ont t des vecteurs puissants de la Caesar Salad.

California. Sa fille, Rosa Cardini, dirigea laffaire et fit de lassaisonnement son produit vedette.

Produits pour caesar salad La Caesar salad avec de gros crotons De mme, lintrieur des Etats-Unis, la diffusion de la Caesar Salad a t booste par la tlvision et ses missions culinaires. Et Julia Child, devenue clbre par ses apparitions la tl amricaine o, pendant des annes, elle prparait, devant les tlspectatrices bahies, des recettes de tous les pays, crivit un jour ses souvenirs et voqua son escapade Tijuana, alors quelle ntait quune enfant. Un de mes plus anciens souvenirs de la vie des restaurants remonte 1925 ou 1926, quand je suis alle Tijuana avec mes parents, qui taient heureux de dcouvrir le restaurant de Csar Cardini et sa Caesar salad. Mes parents commandrent bien entendu, la salade et ce fut Csar lui-mme qui rapprocha de notre table le chariot, mit la romaine dans un grand bol en bois, et je voudrais pouvoir dire que je me souviens de chacun de ses mouvements, mais ce ne serait pas vrai. Ce que je revois clairement, ce sont les deux ufs quil cassa sur la romaine qui devint toute crmeuse quand il commena touiller. Deux ufs mollets d'une minute dans une salade ? Crotons l'ail et fromage parmesan rp ? C'tait une salade sensationnelle, connue dune cte l'autre des Etats-Unis La salade est compose de laitue romaine classique avec une vinaigrette l'ail. Sa recette originale comprenait des crotons, laitue romaine, ail, et parmesan, ufs mollets, huile d'olive et sauce Worcestershire. Caesar Cardini veillait ce que les feuilles de romaine soient places dans une assiette plate contenant la sauce, tout en gardant leur tige sur le ct, de telle sorte les apprhender avec les doigts. Tout ceci et bien dautres choses sont dcrites dans le livre de Terry D. Greenfield, In Search of Caesar publi en 1996 et je me demande encore comment on peut crire 144 pages sur une salade ?! On y apprend aussi quen 1948, Csar Cardini a pris un brevet pour lassaisonnement en bouteilles (qui continue jusqu nos jours tre commercialis sous le nom de Cardini's Original Caesar dressing mix et vendu par la Caesar Cardini Foods, de Culver City, On dit aussi, que dans ces derniers jours (1956), Cardini insistait encore et encore, pour que les anchois ne soient pas utiliss, car disait-il, ces filets danchois nappartiennent pas ma salade !

Maurice Bensoussan

[1] Cesare Cardini, n en 1896 prs du lac Majeur en Italie, migra San Diego avec son frre Alessandro, aprs la premire guerre mondiale. Il changea son prnom en Caesar (son frre le fit aussi, en Alex), et lors des lois instituant la prohibition, ils ouvrirent un restaurant de lautre ct de la frontire lenseigne de Caesars Restaurant (Avenida Revolucin Tijuana) pour dbiter librement de lalcool [2] Des sauces base de noix, de poisson ou de champignons taient courantes en Angleterre et elles donnrent naissance des sauces commercialises jusqu nos jours comme la Worcestershire sauce, base de poissons, dite Worcester sauce et prononce Wouster sauce ! voir FdV N 28 ; condiments et aromates [3] Child Julia, From Julia Child's Kitchen, 1975

Les salades clbres Je vais vous conseiller de lire larticle de Maurice Bensoussan, historien spcialiste des USA Vous y apprendrez la vritable histoire de la salade Csar Minspirant de cette lecture je vous propose aujourdhui de dcouvrir cette fameuse recette La salade utilise devrait tre de la laitue romaine (laitue vert ple de forme conique avec des ctes bien marques), les marachers de ma rgion ne la commercialisent pas, elle serait rpute difficile de culture montant en graines trs vite. Pour la remplacer jai choisi une batavia blonde de forme oblongue.

# Salade csar des origines

Disposer des feuilles de salade sur une assiette plate. Parsemer de crotons. Verser la sauce daccompagnement sur lensemble. Ajouter le parmesan rp. Mettre au milieu un uf mollet. Cette salade est assez simple, frache et raffine au demeurant. De nombreuses versions ont fleuri depuis, il est courant dy ajouter des filets de poulet grills ainsi que dautres lgumes pour en faire un plat plus complet. Certains y ajoutent des filets danchois, mais Mr Cardini, linventeur de cette salade, y tait farouchement oppos, pour lui la sauce Worcestershire suffisait donner cette saveur (la sauce Worcestershire contient de lanchois).

Pour deux personnes - Une salade romaine (ou batavia blonde) - Des crotons de pain de campagne grills lhuile dolive - Du parmesan rp - Un uf mollet par personne La vinaigrette Mlanger ensemble : - 3 CS dhuile dolive - 1 CS de jus de citron - Une gousse dail finement mince - 1 CS de sauce Worcestershire - Sel et poivre

Irisa

Les fves arrivent sur les marchs de Provence, juste au bon moment pour satisfaire nos envies de vert et de vitalit Cette salade sinspire des tabouls libanais, je lui ai donne une saveur de citron confit, adoucie de miel

Salade orientale de fves au boulghour Prparer le boulghour : Mettre le boulghour dans un plat creux avec les pices de G vives. Verser hauteur de leau bouillante et fermer le rcipient. Attendre dheure et mietter le boulghour la fourchette. Faire cuire les fves la vapeur, juste quelques mns. Enlever la peau dure et rserver. Ciseler le vert du persil et les feuilles de menthe. Hacher loignon et le piment. Couper le citron confit en menus morceaux (garder une lamelle pour le dcor). Mlanger le boulghour avec les fves, les herbes, loignon et le piment. Prparer un mlange de 3 CS dhuile dolive avec le miel et le sel. Verser sur le boulghour et bien mlanger. Rserver une heure au frais.

Pour deux personnes - Un bol de fves fraches - 1/2 citron confit - 1/2 verre de boulghour - 1 petit bouquet de persil - Quelques feuilles de menthe - 1 oignon nouveau - 2 3 rondelles de piment vert - 1 CS rase de miel dacacia - 1 CC de mlange pour taboul de G Vives (pices prtes lemploi) - De lhuile dolive, du sel

Irisa

P-S vous trouverez les pices de G Vives sur son site Le comptoir des poivres . Si vous nen avez pas, parfumez le boulghour avec de la cannelle, cumin, curcuma, poivre avant de le mouiller deau bouillante.

Il tait une fois, sur lle de Lesbos, dans la ville de Mytilne, un batelier prnomm Faon. Un jour une trs belle femme vint lui demander de la transporter dans sa barque. Sduit par sa beaut, il refusa tout paiement. En remerciement, elle le transforma alors en un jeune homme dune blouissante beaut. Faon ne savait pas que cette trs belle femme tait Vnus. Sur lle de Lesbos vivait une jeune femme, Sapho, ellemme trs belle, qui tomba follement amoureuse de Faon. Mais hlas pour elle, Faon, ne pouvait oublier Vnus et ddaignait les avances de Sapho. Ronge par la jalousie, Sapho trouva un jour Faon rvant en haut du rocher de Leucade. Folle de rage, elle le poussa dans le vide. Mais Vnus qui veillait sur Faon le transforma en laitue pour lui viter la noyade.

Les grecs ont invent une belle lgende pour expliquer lexistence de la laitue dont ils faisaient une grande consommation. Cueillie dans les espaces sauvages avant dtre cultive, lactuca scariola, lanctre sauvage de la laitue, a pouss spontanment dans toute lEurope, sans doute originaire du Kurdistan. Ses feuilles ont nourri des gnrations dhommes et de femmes avant dtre cultive et acclimate dans les jardins potagers. Sur tout le pourtour de la Mditerrane et mme au del, les perses, les phniciens et les carthaginois, les gyptiens la cultivaient car tous taient friands de ce lgume rafrachissant, mange avec du sel et de lhuile, la plupart du temps. Il sagissait dune laitue non pomme que lon consommait dj quelques centaines dannes avant notre re. Il existait une autre varit de laitue qui est cite dans la Bible, la laitue vireuse, une laitue amre que mangeaient les hbreux avec lagneau pascal, aux feuilles trs amres, dentes et hrisses daiguillons quils mlaient aux feuilles de laitue. Les romains prfraient la mlanger la roquette. Plus raffins, les romains prparaient la laitue avec une sauce chaude et trs sale, la rservant pour la fin du repas. Cette manire de manger la laitue dura jusquau XVme sicle quand on lui prfra un accompagnement de vinaigrette froide et quon la servait en dbut de repas. Rabelais raconte que la laitue romaine arriva en France avec les papes dAvignon. Mais elle tait connue bien avant ds la domination romaine. On retrouve la lactuca dans le Capitulaire de Villis crit sous Charlemagne, sans plus de prcision sur son espce. Plus tard, ds le XVIme sicle, la laitue pomme est bien prsente dans tous les potagers Olivier de Serres est le premier apporter le plus de renseignements sur ce lgume, sur la faon de la cultiver et de la consommer. Il lui consacre de longues pages dans son Thtre dAgriculture . A cette poque lItalie tait la patrie des salades qui, les laitues, mles des herbes aromatiques telles que la menthe, lorigan, le cerfeuil, et dautres salades comme la scarole, le cresson, la roquette, tait accommodes avec de lhuile, du vinaigre et du sel selon un rite appel legge insalatesca , la loi saladesque. A partir du XVIIme sicle, les varits cultives vont se multiplier tel point quun sicle plus tard on recense 25 laitues pommes et 7 laitues romaines cultives partout en France. La Quintinie, lui-mme en cultivait environ quinze varits diffrentes dans le Potager du Roi Versailles. Elles portaient les noms de Laitue Capucine, de Gnes, Impriale, Dauphine, Grosse Blonde, Palatine, Merveille des 4 saisons, Laitue brune dhiver ou Blonde du Cazard. Cultives en primeur, sous serres, la laitue taient

# Laitue

Contrairement une certaine logique, le mot laitue na rien emprunt ce pauvre Faon, lamoureux transi de Vnus - les grecs lappelaient tridax - mais du mot lait. Bizarre, pensez-vous. Pas tant que a, cela relve mme dune certaine logique. Ce sont les romains qui lont baptis lactuca en raison dun curieux phnomne quils avaient observ. La laitue lorsque lon coupe ses feuilles laisse schapper un suc lactescent. Ce suc, une fois dessch, a servi autrefois de succdan lopium. Et on fabrique toujours un sdatif appel opium de laitue partir du suc de L. virosa, une laitue toxique dose leve. Une histoire damour qui dure

prsentes presque tout au long de lanne sur la table du Roi.

Batavia Bonne manger et bonne pour la sant Rafraichissantes, faciles prparer on consomme essentiellement les feuilles de laitue en salade accompagnes dune vinaigrette. Mais les laitues sont excellentes cuites en potage, voire encore en pure ou en terrine, braises pour accompagner des viandes rties. On consomme les tiges de certaines laitues dcoupes en tronons et cuites la vapeur, comme en Chine. Autrefois, en France on faisait des sortes de confiture avec les tiges, car les laitues ne se conservent pas trs longtemps. Les feuilles peuvent tre cuites en tempura, cristallises ou sches au four. Trs digeste, elle peut tre consomme en dbut comme en fin de repas. La laitue contient 95% deau. Trs riche en fibres, elle favorise le transit intestinal. Elle contient de la vitamine A et C, des minraux comme le calcium, le potassium et le fer. Les laitues non pommes sont plus riches en vitamines A et C et en calcium que les laitues pommes. Les laitues ayant un fort pouvoir de concentration des lments toxiques, prfrez les laitues bio ou celles de votre jardin condition de ne pas lutter contre les limaces avec des produits chimiques. Une assiette remplie de bire pose ct des laitues est aussi efficace et moins toxique. Les petites limaces raffolent de la bire et vont sy noyer. Une mort plus joyeuse ! La laitue est vraiment une plante bienfaisante. Noubliez jamais den acheter lors de vos marchs hebdomadaires. Si vous les lavez et essorez bien, vous les conserverez plus longtemps dans le rfrigrateur enveloppes dans un torchon. Si elles commencent se fltrir cuisiner-les, cest vraiment dlicieux et vite prpar.

Une famille nombreuse La laitue cultive, Lactuca sativa de la famille des Astraces, est une herbace, annuelle dont la famille peut se prvaloir de comporter des membres aux aspects et aux gots varis. On en dnombre une centaine en Europe. Les laitues pommes et de forme rondes qui comprennent la laitue beurre aux feuilles tendres let nervures et la batavia feuilles plus craquantes et les laitues grasses feuilles paisses et craquantes. Chez les batavias on trouve la batavia proprement dites et la laitue iceberg. Les laitues romaines rondes mais sans pomme aux feuilles plus oblongues avec une nervure centrale assez grosse. Les laitues couper aux feuilles dcoupes telle la feuille de chne. Elles repoussent plusieurs fois sur le mme pied. Les laitues tiges dont on ne consomme que la tige un fois cuite. La laitue scarole est le produit dun croisement de L.sativa et dune varit sauvage appele L. serriola. La famille des laitues sest aussi considrablement modifie au XXme sicle par une slection trs stricte des genres cultivs. Il fallait des laitues de qualit et saines, aux pommes rondes et fermes, qui rsistent aux parasites et maladies. Des laitues qui prsentent bien aux feuilles lisses et aux bords parfaits, adaptes la culture sous abri toute lanne (sous faible luminosit et basse temprature) et qui ne fltrissent pas aprs la rcolte, feuilles plus paisses et pommes moins fermes. Les varits hybrides sont apparues, pommes ou couper, telles les feuilles de chne verte, rouge et blonde et des Lollo rossa et Lollo blonda.

Sgolne

A mon premier voyage professionnel aux Etats-Unis (ctait aussi mon tout premier voyage ; l-bas) au milieu de la dcennie 1960, jai connu deux difficults lors des repas. Avant, quand mes invitants me demandaient (ou mes invits qui je demandais) ce que lon allait boire en apritif. Je ne pouvais simplement pas commander un verre de vin, car le martini, cher James Bond tait roi. Ce mlange de vermouth blanc sec, gin, olive avait dtrn les breuvages base de whiskey comme lOld Fashioned avec ici et l, quelques concoctions de rhum blanc et de jus de fruits. Mais pas de verre de vin, avant le repas [1] ! What dressing ? Jtais comme une poule qui a trouv un couteau La seconde, plus proche de la salade, qui est le sujet du jour, sest prsente, quand le matre dhtel ou le garon me demandait What dressing ? au moment de la salade. Jtais comme une poule qui a trouv un couteau, sans savoir quoi rpondre ! Aux fois suivantes, quand le garon grenait French, Italian, Russian Thousand Islands, Roquefort ? je maccrochais au mot Roquefort, parce que je connaissais le fromage. Jessayais parfois autre chose et jai dcouvert le meilleur et le pire en assaisonnements de salades. Le blue cheese dressing est loin dgaler le Roquefort dressing Avec les annes et la multiplication des voyages, alors que virtuellement, tous les restaurants de NewYork et dailleurs, offraient dans les annes soixantedix, le roquefort dressing comme lune des sauces possibles, elle fut remplace par le blue cheese dressing, gnralement moins bonne. Peuttre parce que le roquefort devenait trop cher. Peut-tre parce que les bleus danois utiliss souvent aux Etats-Unis, avaient moins de got, dautant moins, quils ne pouvaient entrer dans le pays, que pasteuriss ! Peut-tre aussi, parce que les industriels staient rus dans ce crneau pour viter au chef de perdre du temps doser les ingrdients. Chacun sait que le got dun morceau dauthentique Roquefort, cras et mlang dans une vinaigrette, est unique et quil est difficile de lui trouver un substitut convenable par une sauce contenant tout