Frossay - Bords de Terres

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ESTUAIRE 2029 BORDS DE TERRES Entre paysages & métissages, l’émergence d’une traversée Tirer des bords Juliette Dupuis, Pierre Y. Guerin (PFE), Simon Henry (PFE), Margot Moison Directeurs d'étude : Saweta Clouet, Chérif Hanna, Jean-Yves Petiteau ensa nantes - arts de faire FROSSAY – CANAL DE LA BASSE LOIRE

description

« L'église St-Pierre-aux-Liens marque le seuil d'une porte sur l'Estuaire. Des chemins sont révélés et infiltrent les coteaux vers le Migron, village côtier de la Grande Loire. Leur parcours est ponctué par la folie de lieux singuliers qui construisent les étapes d'une déambulation vers un ailleurs. Le voyage oscille dans un jeu d'interaction d'échelles et de points de vue, entre projection sur l'horizon et émergence de traces, empreintes d'un vécu. Les rives qui bordent les marais marquent un second seuil, interface physique entre deux univers. Les praxis s'y accrochent et cultivent les métissages entre gens du pays et découvreurs, entres savants d'un lieu et passeurs d'un ailleurs. Le canal, passerelle des marais, croise le cheminement et invite à d'autres horizons le long de berges où s'égrainent les empreintes d'appropriations diverses. Plus loin, le Carnet, l'eau s'évase sur le panorama d'un bout du monde. Face au Migron, la route se poursuit vers le chenal ligérien.

Transcript of Frossay - Bords de Terres

  • ESTUAIRE 2029

    BORDS DE TERRESEntre paysages & mtissages, lmergence dune traverse

    Tirer des bordsJuliette Dupuis, Pierre Y. Guerin (PFE), Simon Henry (PFE), Margot Moison

    Directeurs d'tude : Saweta Clouet, Chrif Hanna, Jean-Yves Petiteauensa nantes - arts de faire

    FROSSAY CANAL DE LA BASSE LOIRE

  • 2Juliette DupuisPierre Y. GurinSimon HenryMargot Moison

    Estuaire 2029Estuaire de la Loire, territoire

    en mouvement

    Equipe tudiants :

    Equipe enseignante : Chrif Hanna, Architecte Urbaniste Jean-Yves Petiteau, Anthropologue Saweta Clouet, Architecte

    Intervenants : Cendrine Robelin , CinasteFlore Grassiot, Architecte et ArtisteRicardo Basualdo, Artiste et Scnographe Urbain

    Ouvrage dit en 20 exemplaires - Achev dimprimer en Janvier 2015

  • 3ESTUAIRE DE LA LOIRE TERRITOIRE EN MOUVEMENT

    BORDS DE TERRESENTRE PAYSAGES & METISSAGES, LMERGENCE

    DUNE TRAVERSE

    TIRER DES BORDS

    JULIETTE DUPUIS, PIERRE Y. GURIN (PFE), SIMON HENRY (PFE), MARGOT MOISON

    DIRECTEURS DTUDE : CHERIF HANNA, JEAN-YVES PETITEAU, SAWETA CLOUET

    cole Nationale Suprieure dArchitecture de Nantes -arts de faire-

  • 4Lestuaire de la Loire : un territoire en mouvement

    Lestuaire de la Loire est, de son origine nos jours, le territoire de tous les dparts, celui des voyageurs, des aventuriers, celui des conqurants et des migrants.Les villes de lestuaire se sont greffes sur les quais o ont transit les hommes, les marchandises et la valeur.

    Ce territoire instable au rythme des crues, des mares, des creusements du lit dun fleuve sauvage sur lequel se croisaient migrants et commerants est devenu lespace privilgi dune immigration. Le mouvement sinverse, le territoire sinvente au fil de limaginaire et devient lenjeu de multiples investissements.La valeur de ce territoire repose sur un hritage, celui des mobilits antrieures, dont les infrastructures conservent la mmoire. Elle repose sur les dplacements et mouvements qui les investissent aujourdhui, multipliant les croisements, liens et concidences sur lesquels se jouent de nouveaux rapports de civilit et une nouvelle urbanit.Un monde sinvente au croisement de ces mouvements, une mtropole originale se construit sur les liens que les nouveaux et anciens habitants tissent sur un paysage redcouvert donc rinvent.

    La question sur laquelle repose le mnagement de la future mtropole estuarienne, repose sur la qualit de nouveaux espaces-temps sollicits par la mise en rsonance des diffrents territoires.

    Tirer des bords : une mtaphore pragmatique...Mobiliser une rsilience

    En mer, tirer des bords, cest poursuivre sa route au prs serr contre le vent.Remonter lestuaire contre le vent , souvent contre courant, cest engager un parcours de reconnaissance. Cest retrouver au prsent les traces dune histoire.

    Tirer des bords, cest, en louvoyant, rveiller les traces dun dplacement antrieur; celles des liens qui peuvent encore mobiliser le territoire.Lestuaire est un territoire en mouvement : celui du fleuve, de la mare, des marais et de lestran que lon protge ou que lon sdimente. Les btiments ou les infrastructures ne suivent pas la mme temporalit que celle des constructions ancres sur le sol.

    Lestran, les rives, les bords, les berges et les quais ne subissent pas seulement les mouvements naturels du fleuve ou de la mer, ils bordent un territoire continental. Lieux des passages et transactions qui animent, modifient et obligent rinvestir les espaces o les hommes et marchandises embarquent ou dbarquent. Ils deviennent miroir des grandes mutations conomiques inscrites dans un rapport de mondialisation.

    Sur un tel espace en mutation, les strates de chaque occupation recouvrent la mmoire des changes et valeurs sur lesquelles se rejoue, priodiquement, dans un rapport daltrit, une identit des hommes et des lieux.

    Ces implantations et ces effacements obligent,

    PRFACEChrif Hanna et Jean-Yves Petiteau

  • 5comme le monde non encore dcouvert, redcouvrir un territoire qui sinvente et renat au fil de lhistoire.Si les rives ne recelaient pas un potentiel, jamais les nouveaux conqurants ne rinvestiraient priodiquement cet espace dont la valeur repose sur la transaction. Et parce que ce territoire sinvente chaque phase de lhistoire ; le reprage doit tre analys et pratiqu comme une aventure : celle dune dcouverte et dune relecture du potentiel que rvle cette identification des traces.Retrouver ces traces, cest mobiliser des liens que chaque frontire met en tension entre des territoires, lointains ou proches. Cette reconnaissance en acte des traces qui tissent les relations potentielles dun bord par rapport ses diffrents contextes permet dvaluer, de choisir et de construire les liens qui placent chaque projet comme lattente dune relation, dun change et dune ngociation.Ce que nous rvle chaque ngociation, cest que ce qui schange dborde ou dplace lobjet dans sa fonction ou sa dfinition premire.Les arguments de lchange mobilisent de nouveaux contextes. Ce qui est important nest pas toujours la fonction premire, mais ce quelle induit comme rapports sociaux. Ce que lon change dans lchange. Ce nest jamais ni lobjet lui mme ni son usage mais sa valeur1 qui est totalement relative la reconnaissance des partenaires de lchange et du contexte.

    Sur un espace en mutation, la rvlation de ce maillage dynamique est la premire cl pour la mise en uvre dune problmatique de lamnagement.

    Ce sont donc les liens, le contexte et lenjeu de chaque traverse qui permettent de rinventer le potentiel de chaque territoire.

    1 Ce quun conomiste /anthropologue: Georges Hubert de Radkowski analyse dans son ouvrage : La mtamorphose de la valeur, Presses universitaires de Grenoble, 1988

    Le reprage pour cela nest pas neutre puisque le dplacement du dcouvreur est dj une mise lpreuve dune interaction ; soit la reconnaissance dun change, qui rvle le potentiel de chaque parcelle ou fragment sollicit, par lexprience dun tel dplacement.

    Lestuaire est par excellence, un territoire en mouvement. Il nest pas seulement le lieu dune identit remarquable, mais, le territoire privilgi dune problmatique nouvelle. Le lieu dune exprience o sexplicite un regard nouveau sur le territoire.

    Le master 2015 est la 8me dition dune dmarche stratgique centre sur lEstuaire de la Loire. Chaque session est loccasion dexplorer de nouveaux espaces diffrentes chelles ; les mobiliser et rendre explicite des arts de faire et des arts de vivre, peu ou pas toujours reconnues par les experts et professionnels de lamnagement.

    Aprs La mtaphore dune le en 2013 et import/export en 2014, la thmatique retenue pour le projet actuel tirer des bords tente de retrouver sur les traces de la mmoire, la dynamique dun mnagement capable dinaugurer un processus de rsilience in-situ.Cette dmarche propose avec les personnes qui y vivent, un projet : mnagement/amnagement sur les communes de : Nantes (Chantenay), Frossay, Cordemais, Donges, Paimboeuf, Trignac, Saint-Brvin. et les lisires quils contaminent.

    Ce livre, parce quil est une reconnaissance de lart de vivre et lart de faire sur chaque espace abord, est un document ressource pour aider chaque communaut rflchir et laborer des propositions qui valorisent lidentit des diffrents lieux et mobilisent les potentialits reconnues lors de cette premire enqute-participation , prsentant un reprage et de libres propositions.

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  • 7SOMMAIRE

    4 PRFACE

    9 INTRODUCTION

    11 DE LESTUAIRE AU CANAL

    12 Premier contact avec le terrain14 Un projet la campagne

    17 LES AUTRES, LES CARTES ET NOUS

    18 Une mthodologie particulire20 La singularit du canal22 Le dessous des cartes24 Messagers des lieux26 Ateliers publics28 Ngociations

    33 DES RIVES AUX COLLINES

    34 Une terre deau38 Vi(ll)e(s) territoire(s)41 Des Hommes et leurs milieux

    47 RETZ-SUR-LOIRE

    48 A la croise des territoires50 Ceci nest pas un vide rsiduel !52 Traverser pour mieux tisser

    59 EMERGENCE DUNE TRAVERSE

    61 Jete sur Loire(s) Simon Henry (PFE)

    77 Un canal pas comme les autres Juliette Dupuis

    83 Trac(s) fertile(s) Margot Moison

    89 Frossay s/ Loire Pierre Y. Gurin (PFE)

    106 BIBLIOGRAPHIE

    107 REMERCIEMENTS

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  • 9La dmarche de ce semestre dbute en ralit avec le choix mme du studio de projet. En effet, il sagit pour nous tous, chaque semestre, de faire un choix sur la manire de dfinir notre avenir professionnel. Concernant les tudiants qui passent leur diplme, cest une manire de conclure cinq annes dtudes, et dengager une posture pour notre futur. Cette posture, cest celle dune interrogation et dune rflexion particulire sur nous-mme en tant quindividu, sur notre mtier et aux choix quil implique, sur notre relation avec les personnes pour qui nous travaillons, directement et indirectement, et cest enfin une interrogation sur la socit en gnral. Le choix de suivre le studio Estuaire 2029, cest en fait, en quelque sorte, un acte militant.

    En effet, lune des tapes fondamentale de ce studio porte sur la concertation habitante. Cette notion comme base dlaboration dun projet remet en cause le pouvoir habituellement port aux sachants et permet la mise en lumire dun autre savoir, celui de celles et ceux qui vivent et habitent, dans la propre subjectivit de leurs expriences, le territoire. Ces experts du quotidien prennent alors place, par lintermdiaire de larchitecte, sur lchiquier des acteurs, et apportent un rapport nouveau de ngociation dans la conception.

    La rencontre et la dcouverte des personnes vivants sur le site amne galement une implication autre, et apporte un engagement face des paroles qui nous ont t donn dentendre. Cet engagement influence lacte architectural dans un dessein de reconnaissance des interlocuteurs.

    La position de larchitecte est ainsi exprimente dans une aventure humaine o une valeur particulire est donne au geste architectural. Larchitecte quant lui prend un rle de passeurs permettant de lier les savoirs et les expriences des diffrents acteurs.

    INTRODUCTION

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    DE LESTUAIRE AU CANALa priori

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    Jeudi 25 septembre 2014. Une longue procession de voitures fait le tour de lEstuaire, la recherche de lieux potentiels dintervention. Plusieurs situations, formant la plupart du temps des vis--vis de part et dautre de la Loire, ont dj t slectionnes par les enseignants. La journe est donc rythme par des arrts successifs dans ces points singuliers, nous permettant de dcouvrir diffrentes facettes dun territoire contrast.

    Le canal de la Martinire est le dernier site que nous devons visiter. Aprs une pause-caf sur les quai de Paimbuf, nous nous donnons rendez-vous la cale des Carris, un des rares points daccs la Loire depuis la rive Sud. Ltroite route qui y mne traverse les marais ; si quelques

    surplombs donnent voir un paysage dont lhorizontalit stend perte de vue, la vgtation filtre la plupart du temps le regard, dvoilant seulement par instants la beaut incertaine des lieux.

    Alors que la route semblait infinie, la Loire apparat subitement, et avec elle, le paysage change dchelle. Nous navons jamais t si proches du fleuve, leau est presque affleurante, on pourrait la toucher. Cest pourtant la centrale de Cordemais qui focalise lattention : elle instaure, par ses dimensions, un puissant rapport de frontalit entre les deux rives du fleuve. On a du mal croire que lon tait en face il y a seulement quelques heures : la rive Sud napparaissait alors que comme une fine ligne verte, perdue entre ciel et eau.

    PREMIER CONTACT AVEC LE TERRAIN

    La journe de visite de lEstuaire a jou un rle important dans notre apprhension du territoire. Le canal et ses environs nous ont ainsi particulirement frapp par leur mystre. Mme si cet aperu tait forcment partiel, les perceptions et intuitions quil a dclenches ont largement contribu au choix de travailler ici. Il nous a sembl important de relater cet tat desprit de dpart, pour clairer la manire dont nous avons abord cette exprience.

    Le marais et le village de La Roche. La rive Sud depuis la villa-chemine.

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    Dj, le soleil dcline. Nous longeons le canal pour rentrer Nantes. Les platanes dfilent au rythme de la musique de lautoradio, soulignant la monotonie du lieu. Comment une infrastructure de cette ampleur a-telle pu ntre utilise que pendant dix ans ? Mme si la journe a t longue, nous faisons une dernire halte : le long du canal, quelquun a install un frigo et des tagres, dans lesquels on peut trouver des fruits et des gteaux en libre-service. Les prix sont inscrits sur un panneau, une petite bote mtallique fait office de caisse; le systme fonctionne uniquement sur la confiance et lhonntet. Et les gteaux sont excellents.

    Notre premire impression est donc celle dun paysage composite et intrigant,

    caractris par la succession de milieux assez diffrents mais relis entre eux par une dimension mystrieuse assez marque : le marais, la fois majestueux et fragile ; la cale, sorte de bout du monde tendu vers une cathdrale industrielle ; le canal, vestige monumental dune poque rvolue. Et contrairement aux autres lieux que nous avons visits au cours de la journe, il ny a ici que peu dindices de la prsence humaine. A lexception du frigo, qui manifeste une hospitalit sinon peu perceptible, et dun pcheur venu mettre leau son bateau la cale, nous navons en effet crois personne. Ce mystre nous attire, mais il est aussi un peu inquitant : si personne ne vit ici, pour qui allons-nous construire ?

    Un alignement de platanes le long du canal. Le fameux frigo.

    La centrale de Cordemais, face la cale des Carris.

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    A premire vue, le territoire du canal se caractrisait surtout par son appartenance au monde rural et son loignement relatif des deux ples urbains de la mtropole estuarienne. Situe presque mi-chemin entre Nantes et Saint-Nazaire, il nous avait fallu plus d'une demi-heure de voiture pour rejoindre Frossay. Ce ntait plus la ville, ni mme la priphrie ; et, bien que le grignotage pavillonnaire, tait visible autour de presque chaque hameau, lagriculture semblait encore jouer un rle important, que ce soit dans les champs ou dans les marais.

    Nous tions aussi frapps par labsence de singularit immdiatement identifiable. Aucun lment du paysage ne semblait en effet soulever de problmatique majeure et incontournable. Il y avait bien sr le canal en lui mme, mais il constituait nos yeux dabord une sorte de ruine, qui ne semblait plus avoir beaucoup dinfluence sur la vie des habitants, contrairement, par exemple, la raffinerie de Donges, cathdrale industrielle qui fait la richesse de cette commune de la rive nord de la Loire, tout en constituant un risque non ngligeable pour la scurit de ses habitants.

    UN PROJET LA CAMPAGNE ?

    Les intuitions dcoulant de cette premire visite rsonnaient aussi avec nos propres dsirs et centres dintrts. Pour nous, travailler la campagne tait loccasion daborder des problmatiques nouvelles et de donner notre proposition une dimension exemplaire.

    Frossay merge au milieu des champs.

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    Notre impression premire tait donc que lon allait pouvoir rflchir sur la campagne, aborder la situation assez gnrique dun territoire rural confront la mtropolisation et ltalement urbain, et proposer une rponse qui pourrait avoir une porte plus gnrale. Cette perspective tait dautant plus sduisante que la campagne est un thme assez peu abord au cours de nos tudes, plutt portes sur le fait urbain. Il y avait donc aussi lattrait de linconnu et le dsir du dcentrement par rapport nos visions durbains et de futurs architectes.

    Au fur et mesure de notre dcouverte du territoire et de nos rencontres avec les habitants, ces a priori ont logiquement t remis en question. Des singularits

    ont ainsi merg, battant en brche notre perception initiale dun espace gnrique. Nous avons galement t amens questionner lappartenance complte de Frossay lespace rural, tant donn limportance des pratiques lies la ville qui y prennent place, et, plus gnralement, prendre conscience des limites de lopposition rural/urbain, lheure de la gnralisation de ce que Bernardo Secchi appelle la ville diffuse : La ville diffuse va de pair avec un mode de vie, celui de la maison unifamiliale avec petit jardin. Cette "idologie" est devenue trs forte en Europe. Je le perois quand des gens me disent, comme une vidence, quils vont se marier, faire des enfants et donc partir sinstaller la campagne .

    Campagne, nf Cher ami, dit Hubert marchant aussi, tu exagres : les campagnes commencent o finissent les villes, simplement. Je repris : Mais, cher ami, prcisment, elle nen finissent pas, les villes ; puis aprs elles, cest la banlieue, Andr Gide, Paludes, 1895

    Dfinie par une Centre national de ressources textuelles et lexicales (CNRTL) comme une vaste tendue de pays plat ou vallonn, dcouvert, o se trouvent les prairies, cultures, vergers, etc. entourant les lieux d'habitation rurale, la campagne est la plupart du temps oppose la ville. Comme le rappelle Michel Gervais dans tudes Rurales (n49-50, 1973), la campagne, c'est tout ce qui n'est pas la ville. C'est donc une zone dans laquelle la densit de population est plus faible que celle des noyaux urbains qu'elle contient et o les activits productives sont moins varis que dans la ville. En fait la campagne est le lieu spcifique de la production agricole. Et c'est des particularits conomiques et sociales de cette activit qu'elle tire son originalit.

    Pourtant, la campagne est aujourd'hui largement considre comme un espace de loisirs pour les citadins et une rserve foncire pour l'urbanisation future. Attirs par des prix attractifs, de nombreux mnages s'installent toujours plus loin des villes pour concrtiser leur rve d'acqurir une maison individuelle avec jardin, tout en conservant un mode de vie citadin grce la voiture.

    Ce phnomne de rurbanisation questionne les fonctions et les reprsentations traditionnellement attribues la ville et la campagne. Que ce soit dans la morphologie ou dans les usages, les limites entre ces deux milieux tendent devenir floues. Au risque de faire disparatre les spcificits de l'espace rural et de le rduire un parc ou un dortoir ?

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    LES AUTRES, LES CARTES ET NOUS

    dcouverte partage

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    ExplorationLa dcouverte du site a commenc par une srie de prgrinations sur les lieux. De faon intuitive, nous avons ainsi construit nos premiers repres sur un territoire vaste englobant lensemble des communes proches du canal de la Martinire.

    A cette occasion, diffrents moyens ont t mis en place : enregistrements vido, photographies, croquis, et retranscriptions de nos ressentis du moment. Paralllement cela, ltude de cartes contemporaines et anciennes accompagne lexploration, des crits sont parcourus et nourrissent notre reprsentation mentale de cet

    environnement, nouveau pour chacun de nous.

    Dans les yeux de...Nous avons rapidement pris contact avec la population. Nous ciblons vite les personnes cls du territoire, souvent via les conseils dhabitants interrogs au hasard. La ralisation ditinraires avec ces acteurs nourrissent une vision certe singulire et subjective mais extrmement riche : le paysage devant nous se mtamorphose, les prjugs seffacent peu peu, nous ralisons que o nous mettons les pieds, nous marchons sur un bout de lhistoire de lEstuaire, les hommes et les femmes

    UNE MTHODOLOGIE PARTICULIRE

    Extrait de l'un de nos carnets de bord

    Plusieurs outils ont t mis notre disposition par les enseignants, quil a fallu adapter la situation singulire de la zone tudie, afin dexplorer et comprendre les interactions et les dynamiques en mouvement.

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    qui lont construit apparaissent derrire lhorizon. Litinraire est une mthode denqute mis en place par Jean-Yves Petiteau, consistant se faire emmener laveugle par un habitant dans les lieux quil connat bien et quil affectionne. Le rcit rentre en rsonnance avec le parcours, il se fait en temps rel et offre une nouvelle apprhension du territoire

    Points de vue dlusIl nous a aussi t important de dcouvrir le positionnement des municipalits face ce site, nous avons donc rencontrs les lus (adjoint lurbanisme ou maire) de quatre communes autour du site tudi. Il nous a t donn les documents lgislatifs et administratifs (PLU, SCoT) que nous avons analys.

    Paroles aux habitantsNous avons procd llaboration dun atelier public, organis dans un local de la commune. Nous avons invit les habitants venir parler avec nous de leur territoire, et cela durant cinq jours.

    La pluralit de ces sources qui sentrecroisent dans lespace et dans le temps, la fois objectives et sensibles, ont permis une analyse croise formant une vision un instant T dune localit dans un ensemble en mouvement. Cette vision est celle de nos expriences et de nos intuitions appliques la subjectivit des personnes actrices du territoire et de lobjectivit assume des donnes techniques recueillies.

    Reprages filmsEn plus des habituels reportages photographiques et crits, nous avons t invits filmer nos premires alles et venues sur le terrain, comme si nous ralisions notre propre itinraire.

    Ces reprages films relatent la vision assez radicale dun moment, lorsque, aprs lmerveillement de la premire visite, nous avons vraiment commenc prendre conscience de la complexit du site et des enjeux quil soulevait.

    La musique rsonne dans lautoradio, nos trajets rguliers jusqu Frossay sont longs et monotones...

    ...Bienvenue dans la ville fantme! Le brouillard narrange rien laffaire... Lart de faire la ville aujourdhui questionne...

    ...Le temps semble stre arrt. Le charme des vieilles btisses ne rsonne plus avec limaginaire villageois dantan...

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    Obsolescence et reconversions Le canal maritime de la Basse-Loire (appel gnralement Canal de La Martinire, du nom du hameau qui le borde son extrmit Est), a vu le jour en 1892 aprs dix ans de travaux pharaoniques. Mesurant quinze kilomtres de long, il fut conu

    comme voie de drivation la Loire, permettant ainsi aux bateaux de remonter de nouveau jusquau port de Nantes, alors que la navigation en Loire tait perturbe par lensablement. Pendant vingt ans, il connat une intense priode dactivit. Mais le dveloppement des bateaux vapeur

    LA SINGULARIT DU CANALA l'origine mconnu par la plupart d'entre nous, tudiants, le canal est pourtant apparu rapidement comme une particularit forte dans le majeusteux travelling estuarien, au mme titre que les infrastructures industrielles du Nord-Loire, mais plus discret, comme en attente d'tre rvl aux yeux de tous.

    Reprages films (suite)

    ...Vu du ciel la planit du site devient encore plus prgnante. Les marais et la Loire napparaissent plus si infranchissables...

    ...Arrivs au terme du parcours, et malgr la beaut des lieux, rien na suscit lenvie particulire de sarrter...

    ...Nous avons limpression de rouler sur les ruines dun monde disparu. Il a fallu prs dune demi-heure pour parcourir le canal...

    ...Le marais apparat soudain comme une proprit prive. Et nous avons limpression de dranger.

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    (dont le tirant deau tait trop important) et lamlioration des techniques de dragage du fleuve le rendent rapidement obsolte. Il devient alors, partir de 1921, un cimetire de voiliers, avant dtre utilis comme lieu de stockage par larme allemande, puis lOTAN.

    Aujourdhui vid de tous ses bateaux, ses cluses ont laiss place des vannes de rgulation hydraulique, amnages partir de 1962 par lUnion des Syndicats de Marais du Sud-Loire, et qui facilitent depuis lexploitation et lentretien dun large rseau de marais et de zones humides, allant jusquau lac de Grand-Lieu et Machecoul.

    Le canal, fil conducteur de nos dcouvertes, ...Il a guid, dans un premier temps, nos dambulations solitaires : nos premires traverses se sont ainsi effectues proches du canal, en le parcourant de long en large, bifurquant quelques fois sur l'un des cts. Mais il a aussi t le cadre de beaucoup de nos rencontres sur le terrain, que ce soit par exemple avec Claude Chreau, le vendeur au frigo (cf. 1.1), seule personne qui possde une maison au nord du canal (inhabitable depuis la tempte Xynthia), ou avec les responsables de l'Association culturelle du canal maritime (ACCAM), rencontrs fortuitement prs d'une cluse, qui nous ont permis de comprendre son histoire et son fonctionnement originel.

    ... de notre choix de site,...Le canal se situe sur le territoire des communes du Pellerin et de Frossay, et ctoie dassez prs celles de Vue et Rouans. Nous avons donc tout dabord men une enqute assez large, pour comprendre les enjeux de cette infrastructure dans le grand territoire. Le choix de sintresser plus particulirement la commune de Frossay sest pourtant impos assez vite, pour sa

    proximit physique avec le canal, mais aussi pour sa proximit culturelle et historique avec la Loire et le marais: les villages de La Roche et du Migron, aujourdhui au bord du canal taient ainsi autrfois des ports de Loire. Aujourdhui encore, lconomie locale reste lie leau, qui abreuve les marais et permet une agriculture riche; et le canal occupe une place importante, tant pour la gestion hydraulique que pour le tourisme.

    et de nos ateliers publics.Pour lorganisation de nos ateliers publics, nous avons dcid de nous installer au Quai Vert, un quipement culturel situ le long du canal, entre les villages de La Roche et du Migron. Ce btiment, inaugur en 2008, est gr par lassociation Couvre-Feu pour le compte de la Communaut de Communes Sud-Estuaire, qui le dcrit comme un lieu pluridisciplinaire articul autour de la dcouverte de la nature (animations nature, balades contes), la diffusion culturelle (concerts, expositions) et les loisirs de plein air (cano, kayak, vlo).

    Hier, un cimetime de voiliers...

    ... aujourd'hui, un outil de gestion hydraulique

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    LE DESSOUS DES CARTES

    A la rencontre de la parole des lus et du discours des documents durbanisme, afin de comprendre la place et le sens donns au territoire du canal dans les orientations politiques locales et territoriales.

    Au bord de lEstuaireFrossay et le canal se situent sur la rive Sud de lEstuaire de la Loire, mi-chemin entre Nantes et Saint-Nazaire, au sein dun espace dlimit par le Sillon de Bretagne au Nord et la voussure du Pays de Retz au Sud.

    Le canal se dploie paralllement la Loire, traversant une vaste tendue de marais correspondant lancien lit du fleuve. Les quatre communes qui le bordent Frossay, Vue, Rouans et Le Pellerin sont tablies en hauteur, sur danciennes les ou sur les cteaux, labri des inondations.

    les villes ancestrales se plaaient prs des cours deau pour faciliter le transport des marchandises mais restaient sur des hauteurs protgs des crues Marcel Hnaff, La ville qui vient.

    Un territoire scind en deuxLe territoire tudi est partag entre deux SCoT : celui de la Mtropole Nantes/Saint-Nazaire et celui du Pays de Retz (la dmarcation est visible sur la carte ci-dessus), ce qui le place la marge de ces deux espaces de planification territoriale : aucun des deux SCoT ne mentionne en

    effet, dans ses orientations, de prrogatives particulires lattention du canal et de ses alentours.

    Des volonts ambivalentesPour mieux comprendre leurs orientations et leurs priorits en terme damnagement, nous avons rencontr les mairies des quatre communes concernes par la prsence du canal. Toutes se placent dans une perspective de croissance dmographique, qui entrane un besoin en logements. Pour rpondre cette pression, elles privilgient lextension autour des bourgs, proximit des quartiers pavillonnaires et services existants. Le construction

    Le territoire selon les lus - orientations rglementaires des SCoT et PLU.

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    Rserve du Massereau

    RIVES

    LOIRE

    MARAIS

    BOCAGES

    BOCAGES

    MARAIS

    MARAIS

    FRANCHISSEMENT

    TOURISTES

    Frossay3500 habitants en 2023,

    soit construction de 15 logements par an.

    Vue1800 habitants en 2020,

    soit construction de 12 logements par an.

    Rouans3400 habitants en 2023, soit construction de 30 logements par an.

    Le Pellerin4800 habitants en 2015, soit construction de 35 logements par an.

    Le Migron

    La Cheminandais

    La Ranire

    LaunayLes Rivires

    Messan

    LOisilire

    SCOT NANTES / SAINT NAZAIRESCOT PAYS DE RETZ

    contournement de Vue

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    Le territoire selon les lus - orientations rglementaires des SCoT et PLU.

    dans les hameaux est la plupart du temps proscrite, ou alors limite aux extensions ou la prservation du patrimoine bti. A lexception de la commune du Pellerin, qui a men ces dernires annes quelques oprations de logement collectif dans son centre-bourg, le rapport la densit reste assez timide. Le PLU de Frossay a ainsi comme objectif d inciter au maintien dune structure urbaine dont la densit doit rester mesure . La nouvelle quipe municipale cherche galement ne pas trop favoriser lattractivit rsidentielle de la commune pour viter de multiplier ses investissements dans les infrastructures et quipements publics, alors que ses

    ressources sont assez limites (la moiti de la population ntant pas imposable).

    Les quatre communes sont par ailleurs confrontes des contraintes rglementaires importantes, lies la prsence des zones humides, qui sont la plupart du temps considres par les lus comme un frein leur dveloppement. Les PLU de Frossay et du Pellerin engagent toutefois tirer profit des vues sur ces espaces protgs, au mme titre que sur dautres lments repres du paysage (la centrale de Cordemais, les clochers, les chteaux deau).

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    $$

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    Rserve du Massereau

    RIVES

    LOIRE

    MARAIS

    BOCAGES

    BOCAGES

    MARAIS

    MARAIS

    FRANCHISSEMENT

    TOURISTES

    Frossay3500 habitants en 2023,

    soit construction de 15 logements par an.

    Vue1800 habitants en 2020,

    soit construction de 12 logements par an.

    Rouans3400 habitants en 2023, soit construction de 30 logements par an.

    Le Pellerin4800 habitants en 2015, soit construction de 35 logements par an.

    Le Migron

    La Cheminandais

    La Ranire

    LaunayLes Rivires

    Messan

    LOisilire

    SCOT NANTES / SAINT NAZAIRESCOT PAYS DE RETZ

    contournement de Vue

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    Ce constat, inhrent la fabrication dun projet sur un territoire donn, nous a pouss faire la rencontre plus particulire de personnes qui allaient dclencher de nouvelles perspectives.

    Rencontres et itinrairesLagriculture tant un lment fort de notre site, nous avons effectu un itinraire avec deux agriculteurs du marais, Bernard Dousset et Claude Chreau. Tout les deux nous ont fait dcouvrir leur territoire avec leur camion de travail. Nous avons parcouru les marais, leurs marais, frlant parfois lembourbement. Sils ont des pratiques agricoles differentes, tous

    deux reconnaissent avoir un avantage de travailler sur cette zone de marais. La terre, fortement imbibe deau, est trs riche, ce qui permet aux btes dtre exclusivement nourries avec de lherbe et donne une viande plus riche et meilleure au got. Le fils de Bernard Dousset est dailleurs engag dans la mise en place dun label des marais pour valoriser la qualit particulire de cette production.

    Pour notre dernier itinraire, nous avons dcid de rencontrer Gilles Violleau, un jeune de 23 ans qui a pass toute sa jeunesse Frossay. Parti de chez ses parents depuis quelques annes pour tudier, il revient

    MESSAGERS DES LIEUXAller la rencontre de lAutre cest comprendre que le territoire est avant tout un tissu de relations et dindividualits. Ces personnes coexistent sur un mme lieu mais elles ont chacune un habiter spcifique , une faon particulire dtre et de percevoir ce milieu dans lequel elles voluent.

    Itinraire en camionette avec Bernard Dousset.

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    parfois le week-end. Munis de nos vlos nous avons visit les terrains de jeux de son enfance, des endroits secrets jusqu la plage amnage par leurs soins, sur laquelle parents et enfants se runissaient pour pique-niquer le long du canal: vous voyez entre ces brins dherbe l, bon cest pas vraiment du sable mais a y ressemble .La dcouverte travers le regard de ces passeurs nous a permi de constater la richesse du territoire, prsente mais cache aux yeux du visiteur comme nous.

    Parmi les autres rencontres que nous avons faites, il y a celle avec Alain Prin, un autre agriculteur qui est aussi diacre dans la paroisse de Frossay. Sa particularit est de vendre une partie de ses produits la ferme, en partenariat avec un producteur de lgumes, ce qui gnre un rseau dconomie locale et dentraide : jai investi dans une chambre froide, a cote cher, donc quand certains me demandent dentreposer la viande, jaccepte . Lors de nos prgrinations, nous avons aussi crois la route de pcheurs, de promeneurs, de commerants... avec qui nous avons chang sur leurs souvenirs, leurs rveries, leurs dsirs vis--vis de leur territoire.

    Les mmoires du lieuFrossay et le canal ont par le pass t lobjet de plusieurs tudes ethnographique et anthropologique. Jean-Yves Petiteau y a ainsi ralis plusieurs itinraires, et notamment celui du dernier gardien de lIle du Massereau, qui a habit pendant 21 ans sur cette ancienne le de Loire, aujourdhui intgre aux marais. Nous avons galement pu rencontrer Christiane Sarlangue, anthropologue habitant au Migron, et auteur dune tude sur le canal: Des mares aux marais, le canal maritime de la Basse-Loire. Elle a pu nous raconter en dtails cette exprience, mais aussi sa passion pour le territoire quelle habite.

    Ces rcits nous ont aussi t narrs, dune autre manire, par Guy Lucas, un habitant du bourg considr comme lhistorien de Frossay, et auteur de plusieurs ouvrages sur la commune. Il sest un jour passionn pour lhistoire de sa rgion, et est all fouiller dans les archives avec obstination, jusqu devenir le livre sur pattes de rfrence des environs.

    Itinraire vlo avec Gilles Violleau.

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    ATELIERS PUBLICSPour complter les rencontres impromptues de nos traverses, nous avons organis une rsidence de cinq jours sur le terrain, pour inviter les habitants changer avec nous sur leur pratique du territoire.

    Mobiles par peur du flopLe territoire tudi tant rural et donc peu dense, il nous a paru important se ne pas nous cantonner un lieu fixe et daller la rencontre des habitants, l o ils taient susceptibles de se trouver. En parallle dune permanence au Quai Vert, le long du canal, nous nous sommes donc dplacs plusieurs plusieurs reprises, au vide-grenier, lcole, la maison des jeunes, ou encore au march, transportant certains des dispositifs dans un camion.

    Nous apprhendions beaucoup notre prsence au Quai Vert, situ loin du bourg. Pourtant, si assez peu de personnes sont venues nous rendre visite pendant la semaine, nous avons profit du week-end, estival, pour nous installer le long du canal, o les promeneurs taient nombreux.

    Les cartes, un prtexte pour discuterDans cet atelier ce ntaient pas les exercices en tant que tels qui taient importants mais

    plutt leur rle de support pour faciliter la parole.

    Le dispositif qui a le mieux fonctionn tait une table recouverte dune vue sattellite du territoire, que nous placions systmatiquement au centre de latelier, et qui permettait le plus souvent damorcer la discussion : Ah oui, ici cest le bourg, moi jhabite cette maison l, et ce champ mappartient. Nous invitions ensuite nos interlocuteurs annoter cette carte laide de postit, pour relater des avis ou des anecdotes, pointer des lieux en particulier. Au fur et mesure de la semaine, la carte se remplissait donc dexpressions, ce qui poussait les habitants ragir sur ce qui avait t dit et crit prcdemment.

    Nous avions galement imprim une grande carte de lEstuaire, sur laquelle les personnes pouvaient matrialiser par des fils en laine leurs trajets quotidiens, pour le travail ou les loisirs. La carte dduite

    Le jeudi matin, au march

    La table dexpression, ici au Quai Vert

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    de cet atelier (cf. 3.2) met en vidence limportance des ples de Nantes et Saint-Nazaire. Les habitants vivent leur territoire lchelle de lEstuaire, se dplaant essentiellement en voiture.

    Dautres dispositifs ont fonctionn de manire plus ponctuelle, en fonction des situations : cartes projetes, mur dexpression libre, exposition de dessins denfants...

    Sur place, ou emporter ?Certaines personnes rencontres au cours des ateliers nous ont emmen avec elles sur leur lieu de vie ou de travail. Cest en effet cette occasion que nous avons rencontr Bernard Dousset, avec qui nous avons fait un itinraire ds le lendemain (cf. 2.4). Nous avons aussi reu la visite du patron de la base ULM des Champs-Neufs, qui nous a offert chacun un vol au dessus du canal.

    Lcole des loisirsNous avons eu loccasion dintervenir auprs de deux classes de lcole primaire Alexis Maneyrol, puis la Maison des Jeunes. A chaque fois, nous proposions aux enfants de reprsenter ce qui tait important pour eux Frossay, ce quils aimeraient nous faire dcouvrir. Au del de leur propre maison ou de celle de leurs amis, beaucoup ont dessin le canal et lusage quils en avaient (cano avec

    lcole, promenade avec les parents), en le confondant parfois avec la Loire.

    Les jeunes les plus gs de la Maison des Jeunes sont revenus le lendemain latelier public pour discuter plus longuement avec nous de leur pratique du territoire, et notamment de leurs dplacements. La problmatique principale pour eux, cest la mobilit : comme ils ne sont pas motoriss, ils prouvent des difficults se dplacer selon leur bon vouloir

    Ateliers du soirLa somme dinformation collecte a t trs importante, le premier exercice a donc t de dgager les points forts du site, les organiser afin dtablir une ligne de conduite respecter.

    Le travail se poursuivait donc entre nous le soir : nous installions une grande nappe sur la table et faisions le proint sur les problmatiques souleves au cours de la journe. Chaque runion nous a permis daborder un thme particulier, en fonction les personnes rencontres. datelier Ces nappes furent un support important pour notre cohsion de groupe mais aussi pour instaurer les grandes lignes de notre rflexion.

    Affluence dominicale, le long du canal

    Les trajets quotidiens tissent un territoire grande chelle

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    NEGOCIATIONSSuite aux ateliers publics, nous entrons dans une nouvelle phase. Les esquisses programmatiques, urbaines et architecturales sont confrontes avec les habitants, un espace de ngociation souvre.

    Ces rencontres se sont tendues tout au long de notre travail : aprs ces ateliers, nous avons continu les allers-retours sur le terrain, avec Alain Prin, Bernard Dousset, Guy Lucas, les animatrices du Quai Vert Ces entretiens en cours de route nous ont permis de vrifier nos premiers dessins, nous voluons alors entre conception et ngociation. Nous restons dans lcoute du territoire et de ses occupants, tout en franchissant un pas; on entre maintenant dans laction du changement.

    Un rle de concepteur ngocierSuite toutes ces rencontres, parfois ritrs, on finit par connatre un attachement, une empathie : tre accept par les habitants, nous fait gagner leur confiance et il est alors difficile de les dcevoir. Nat alors le dsir de reconnatre les pratiques des personnes rencontres. Progressivement on sadresse des individus en particulier, il y a une notion dengagement. Sinstalle alors le risque de ne plus toucher rien.

    Comment projeter en conservant des attitudes identiques de bienveillance et de reconnaissance ? Comment continuer dintgrer la parole habitante pour faire ? Acte complexe, car il sagit dintgrer fortement un lment, qui est la parole habitante, lment dhabitude sous-estim dans le projet architectural. La rponse pourrait tre donne par Lucien Kroll qui dclare la possibilit de nous placer non pas comme les auteurs dun projet mais comme des interprtes dune parole qui nous a t donne . Dsormais, il nous faut engendrer une sorte de dcolonisation en tant quurbaniste, en sappuyant sur le dsordre du rseau de relations des choses, et des gens, afin quil ne soit plus permis une forme projectuelle dexprimer un point de vue unilatral.

    Un rle dinterprte impulseurLes personnes vivant sur le site sont donc des lments cls du projet, dans le sens o notre action impulse, afin de mettre

    Ngociation au Quai Vert... et convivialit.

    Retour sur le terrain, avec Alain Prin.

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    en mouvement des usages. Ces derniers, nouveaux ou non, font voluer le territoire vers un fragment de la mtropole assumant ses singularits. Il faut apprendre cohabiter pour que a volue bien nous disait lagriculteur Bernard Dousset en parlant des conflits dusages avec les chasseurs. Cette phrase fonctionne autant lchelle du territoire mtropolitain qua celle du marais. Apprendre vivre ensemble est un acte collectif que le projet doit venir impulser. Venir impulser et non pas figer ce mouvement, pour prendre conscience de ltat transitoire des choses. Nous prenons en compte la notion dinstantanit

    et de subjectivit de lanalyse. Dans le projet, notre volont est danticiper une appropriation non dtermine possible (et encourage !) par les usagers. Et de linclure dans la formalisation mme de larchitecture, car pour quun espace soit habit, il ne suffit pas quil soit construit, il faut quil soit travaill par le sens que lui donnent les gens qui lhabitent.

    Limprvisible engagEn partant du principe que larchitecture a dabord le rle dinfluencer les choses, les pratiques, on accepte alors que des choses arrivent larchitecture.

    ... Il y a une diffrence entre notre propre dsir de reconnaissance et la ncessit de reconnatre les habitants et leurs pratiques. Cest dur de choisir entre faire ce qui est bien pour le site et ce qui est bien pour le PFE... Faire un truc qui claque, quoi ...

    ... Dun autre ct, si toi tu es sensible cette dmarche, tu vas sans doute te diriger vers des agences qui y sont sensibles aussi... Et ton PFE te reprsentera ...

    ... Cest aussi une question de timing. Il nous reste seulement trois mois pour finir quelque chose, cest difficile de concilier des attendus du PFE avec les liens que lon tisse sur le terrain. On sinvestit pour des gens, mais dans trois mois, on rend un projet et cest fini ? Cest un peu une trahison, non ? On a parfois un peu limpression dtre des voleurs ...

    ... Ces personnes que lon a rencontres ne sont-elles pas seulement des faire-valoir ? Aujourdhui, cest presque un leitmotiv de faire remonter la parole des habitants, mais il y a 30 ans, on ne faisait pas larchitecture de la mme manire... Et si ctait juste une mode ? ...

    ... Si on utilise la sociologie et lanthropologie comme alibi, cest sr que cest une catastrophe... Il faut une rarticulation permanente. On a un rle de traducteur, de passeur, qui est difficile matriser... On est toujours en attente de quelque chose, mme si on ne sait pas ce que cest. On nexiste pas dans le vide, il y a une question de rciprocit, de don contre don, mme si on ne sait pas ce que lon va recevoir en retour. Comment restituer, partager cette exprience ? ...

    ... Est-ce que la bonne restitution nest pas simplement de rpter leur parole ? Crer du lien juste par la parole des gens ? Et en mme temps, ce dialogue donne souvent naissance des projections, des dsirs. La confiance que nous font les gens nous donne une responsabilit ...

    Doutes et questionnementsParler-Ecrire, vendredi 7 novembre 2014

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    Paroles dhabitants, le territoire racont

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    Cette carte a t dduite des paroles rcoltes lors de nos rencontres. Elle dvoile ltendue du territoire des habitants, travers les actes et les subjectivits qui les proccupent. Le site se rvle travers ces tmoignages et pratiques singulires ; et une nouvelle strate de perception merge, au del de celle du paysage et des donnes objectives.

    Ces intrts forment des alliances ou des conflits, et nous donnent des raisons de nous engager.

    Le rapport de confiance instaur avec ces personnes nous investit dune responsabilit nouvelle : celle de reconnatre, dans nos propositions, leur manire particulire dhabiter ce lieu.

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    DES RIVES AUX COLLINESportrait dun territoire htroclite

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    Lloignement progressif du fleuve et de sa cultureLa Loire est par essence un fleuve mouvant, faisant et dfaisant constamment ses rives, au fil de lvolution de son dbit et des apports sdimentaires. Elle a aussi t fortement amnage par lHomme, pour faciliter la navigation et lagriculture.

    Au milieu du XIXe sicle, un bras de Loire bordait ainsi les villages du Migron et de La Roche, petits ports qui tiraient leur richesse de la pche et des changes, ainsi que de lexploitation des les de Loire, rputes pour leur fertilit. La construction du canal en 1892, pour faciliter laccs des bateaux

    jusquau port de Nantes (cf. 2.2), cre une premire frontire physique avec le fleuve. Par la suite, les oprations successives de dragage conduisent lacclration du dbit du chenal principal de la Loire et la disparition progressive des bras annexes (dont celui du Migron), si bien que les villages ns de la proximit avec le fleuve sont aujourdhui distants du chenal de prs de trois kilomtres.

    Loin des yeux, loin du cur ? Lloignement physique saccompagne galement dune diminution des pratiques lies leau, qui ne concernent aujourdhui globalement que les agriculteurs qui

    UNE TERRE DEAUPar la varit de ses paysages et limportance des usages dont il a t le support, lEstuaire de la Loire a depuis toujours jou t un lment majeur des territoires quil traverse. Bien que les liens entre le fleuve et Frossay se soient au fil du temps distendus, la prsence de leau reste dterminante dans le paysage et les pratiques de ses habitants.

    Tentacules de Loire dans le marais.

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    exploitent le marais ainsi que quelques usages rcratifs (pche de loisir, aviron, kayak). Guy Lucas, un passionn dhistoire que nous avons rencontr, nous a ainsi fait part de limportance quavait par le pass le fleuve pour les habitants: pour ma gnration et celle de mes parents, [] a a t aussi une rivire nourricire, parce quon y pchait toute lanne, languille, la civelle Ctait un lment qui faisait partie du patrimoine . La Loire tait aussi un moyen de transport et dchanges petite chelle, limitant lenclavement du territoire : Autrefois il y avait normment de passage Il y a eu pleins de petits ports du ct Sud-Loire qui rejoignaient le Nord [], il y avait un passage Carris pour aller Cordemais Essayons de se reporter quelques temps en arrire, il ny avait pas de vlo, il ny avait pas de voitures, les gens navaient pas de chevaux Pour transporter ctait leau. Cest pour a que toutes les villes se sont dveloppes autour des fleuves.Aujourdhui, si leau reste un lment fort dans lesprit des habitants, cest celle du canal dont il souvent est question. Ce dernier opre une relle frontire dans le territoire et le sentiment qui sen dgage est un loignement avec la Loire et les pratiques quelle gnre.

    Cette frontire devient incontestable concernant la rive nord du chenal de la Loire. Mis part les ponts de Chevir ( Nantes) et de Saint-Nazaire, aucun moyen ne permet de sy rendre. Seule la cale des Carris offre un contact visuel sur la rive oppose, dont lhorizontalit disparat derrire lcran de la centrale charbon de Cordemais. Cet loignement culturel avec la vie du fleuve sincarne dans les nouvelles constructions, comme le dplore Guy Lucas : L ils ont fait des maisons de plain-pied, mais autrefois ctait des caves, tout tait en hauteur. Et demain, on va dire: cest une catastrophe on a leau dans la maison !.

    Itinraire : Claude ChreauClaude Chreau est agriculteur des marais depuis 40 ans. Il sest install avec sa famille en 1974 et a construit sa maison sur les bords du canal. En 2010, la tempte Xynthia inonde son habitation. Depuis il nhabite plus ici, la lgislation linterdit. Il a conserv son exploitation, ainsi que le frigo alimentaire en libre service situ le long de la route. Cet itinraire se passe dans les marais, bord de son camion.

    Quand jai pris ce terrain l, il y a 40 ans ctait des roseaux, ctait impntrable, y avait que des chasseurs qui ventuellement y allaient.

    Avant, a appartenait au Port Autonome, ils refoulaient du sable de la Loire, et ils ont fait des digues ici, on voit la trace tout au fond.

    Ce terrain l je lai labour, je lai dfrich, ici on est sur la digue que javais faite, pour pouvoir passer, et le port la confort avec du sable.

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    Linfluence de leau persisteLes volutions successives du lit de la Loire ont contribu crer un paysage composite, marqu divers degrs par la prsence de leau. Celle-ci produit des espaces de marais de diffrentes natures, plus ou moins humides et appropris par lHomme. En effet, les marais dpendent directement des mouvements du fleuve ; ce dernier impose un rythme rgulier de mares, plus ou moins fortes, qui rgissent la manire dun maestro les interventions des agriculteurs. Les saisons galement marquent leurs rythmes, rglant la disposition des troupeaux, la flore des marais, linondation plus ou moins longue des parcelles. Cest tout un paysage qui volue au fil du temps et de leau.

    Ainsi le fleuve, habituellement assimil son unique chenal navigable, pourrait ainsi tre envisag de manire plus large, en y incluant ces espaces intermdiaires entre terre et eau. Un fleuve diffrents visages: un visage liquide, celui du chenal, et un visage humide, celui des marais, lui mme trs vari. Deux aspects diffrents mais intrinsquement lis, qui forment ce que nous avons nomm la grande Loire .

    Le canal, un outil de gestion hydraulique grande chelleAu milieu de ce patchwork de zones humides, le canal vient jouer un rle multiple facettes ; physiquement, il forme une digue insubmersible de quinze kilomtres de long, un pont travers les marais. Sil nest plus utilis comme un canal de navigation, il est aujourdhui une gigantesque machine hydraulique : rachet en 1962 par lUnion des Marais du Sud-Loire, il permet depuis la rgulation dun vaste rseau de marais, allant jusquau Lac de Grand-Lieu et Machecoul. Linfrastructure, comprenant plusieurs vannages automatiss installs divers points du canal, permet dvacuer les excdents deau en hiver, ou au contraire

    Itinraire : Claude Chreau

    ... et quon peut ouvrir pour quelle reparte. a marche plus ou moins bien. Mais leau baisse, dans une petite semaine il y en aura plus.

    Ctait impntrable, un peu comme a avec des arbres. Jai aussi mis des clapets, dont le rle tait dempcher leau de rentrer...

    Les animaux restent toute lanne dehors. Il y a des buttes de sables, cest trs important, il faut un terrain qui porte les animaux lhiver.

    Il ny a pas de paille, de paillage apporter, y a pas les btiments amortir, le fumier, le matriel. Chaque terrain, chaque exploitation a une opportunit quelque part, faut la trouver.

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    La grande Loire, du chenal aux marais

    de capter de leau en Loire en t, pour maintenir un niveau compatible avec lexploitation agricole.

    Lensemble est aujourdhui gr par le Syndicat dAmnagement Hydraulique du Sud-Loire, une structure runissant les 42 communes concernes. Un entretien avec son prsident, Herv de Villepin, nous a permis de prendre conscience de la prcision ncessaire la bonne gestion de ce systme : un retard dans la fermeture dune vanne risquerait par exemple de faire entrer de leau sale ou dinonder lensemble des marais, qui sont pour la plupart situs sous le niveau de la Loire. Si la rgulation est essentiellement pense pour faciliter llevage et ne pas endommager les tiers par des dbits trop importants, le SAH essaie en outre, dans la mesure du possible, de ne pas perturber les autres usages de leau, comme la pche ou laviron.

    Ces quipements rendent toutefois impossible la navigation sur le canal, qui nest plus aujourdhui un plan deau unique. La prsence des vannes empche en effet laccs depuis la Loire et le divise en trois bassins indpendants.

    Le marais, un espace meuble et model par lHommeLes marais sont un espace en perptuelle recomposition, variant au rythme des mares et des saisons. Ils sont souvent considrs comme des espaces naturels fragiles, prserver pour la grande biodiversit quils accueillent. Pourtant, les diffrentes rencontres avec les agriculteurs qui lexploitent nous ont permis de nous rendre compte du rle jou par lHomme leur fonctionnement. Le marais est en effet un espace intrinsquement artificialis, cr et amnag par lHomme pour les besoins de lagriculture. Bernard Dousset, un leveur que nous avons rencontr plusieurs reprises, nous a ainsi expliqu limportance de lentretien des digues et des tiers pour permettre une bonne rgulation de leau. Ces amnagements, crs par lHomme, sont indispensables lexploitation, et donc la prservation du marais : car comme le rappelle Alain Prin, un autre leveur, les vaches sont le meilleur moyen de prserver le marais sans lentretien par le pturage ou le fauchage, on aurait vite une jungle enfin, a redeviendrait un marcage .

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    VI(LL)E(S) TERRITOIRE(S)

    Si la commune de Frossay est encore aujourdhui largement rurale, il nen demeure pas mois que la pression mtropolitaine se fait de plus en plus ressentir avec notamment larrive de nouveaux habitants qui quittent les grands ples urbains pour une nouvelle vie la campagne.

    Mtropolisation et rurbanisationFace un bourg qui na presque pas volu depuis la fin de la guerre, limpact de lattractivit croissante de Nantes et de Saint-Nazaire sincarne principalement travers la multiplication progressive des pavillons individuels sur les terres agricoles, grce un prix du foncier bien plus attractif que dans les ples urbains ou les priphries proches, et le dsir daccder un confort individuel souvent inaccessible en ville ou dans les centre-bourgs : jardin priv, stationnement facilit, plus grand logement, possibilit dune extension, etc...

    Mme si quelques habitants des quartiers pavillonnaires se sont avrs tre natifs de la rgion et connaisseurs de son histoire, la majorit est nouvellement arrive sur le territoire et se sentent souvent dconnecte des lieux: je ne suis ici que depuis 10 ans, je ne connais pas vraiment le coin . Cette diffrence nest pas tonnante : ces deux populations nont pas le mme rapport au lieu et nont pas les mmes rfrences culturelles et sociales.

    Toute la puissance potentielle dun mtissage entre nouveaux et anciens est en outre mise mal par lenclavement des personnes dans le systme pavillonnaire : sil offre un confort certain, il limite en effet les frictions entre habitants, et par la mme occasion la transmission dune culture locale et sa crolisation. Autrement dit, cest ici lcologie sociale de la commune qui est en pril : Moi ce qui me doit aujourdhui cest que les gens des campagnes l ils vont vraiment tre arrirs. Parce quils ne connaissent plus leur campagne. Les gens qui vivent Frossay aujourdhui nont aucune notion des produits agricoles, des rcoltes, des pommes de terre, des fraises, des raisins, des pommes, des mres etc. ... Ce qui me gne cest que les gens ne connaissent pas leur village.

  • 39

    La satellisation des modes de vie ou la taylorisation du territoireParalllement larrive de nouveaux habitants apparat un nouveau mode de vie. Si Frossay nappartient pas encore laire urbaine de Nantes ou de Saint-Nazaire, elle est aujourdhui clairement dans leurs sphres dinfluences. Ainsi, et face au peu dattractivit de la commune, les habitants ont tiss, au fil du temps et des rencontres, une vie disperse lchelle du Pays de Retz.

    Si lattraction des grandes villes est forte concernant lemploi (mon mari travaille Nantes, et moi Saint-Nazaire ), le rseau de petites et moyennes villes du Sud-Loire offre sinon tout ce dont les gens ont besoin pour vivre, depuis les grandes

    surfaces ( Paimbuf, Saint-Pre-en-Retz, Saint-Brvin ou Pornic) jusquaux possibilits de vente directe chez certains agriculteurs. Enfin, concernant les loisirs, la cte offre un panel intressant, avec ses plages, cinmas, restaurants, etc... Ce phnomne a t mis en exergue avec la ralisation dune carte des trajets rguliers des habitants lors de latelier public (cf. ci-dessus).

    Cette dispersion des polarits semble tre due deux raisons principales : premirement, la commune de Frossay est aujourdhui trs pauvre en services, le bourg noffrant par exemple pas de restaurant, peu dactivit de loisirs, aucun distributeur de billets ni de station-service. Surtout, loffre demploi est quasi-inexistante,

    Des mobilits lchelle du territoire, pour le travail comme pour les loisirs.

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    lexception de la maison de retraite, qui est de loin le premier employeur de la ville. Il manque des commerces Frossay ! , On a vite fait le tour, a manque dactivits!.

    De fait, habiter la commune implique intrinsquement lusage de lautomobile pour la vie quotidienne. La gnralisation des modes de transport individuels motoriss, face une offre de transport en commun trs rduite, permet aux habitants de la commune (mais aussi des communes alentours) daller chercher ce dont il ont besoin l o cela se trouve.

    Ainsi, et pour rsumer, les rsultats de latelier public montrent quune partie de la population habite la commune de Frossay, travaille autour des grands ples mtropolitains, se distrait sur la cte, et se nourrit dans les communes limitrophes. Un mode de vie qui engage un nouveau rapport spatial au territoire et qui, terme, pourrait avoir tendance lessiver les singularits des localits derrire lapposition de fonctions en dconnection avec la culture locale. Le rapport Soi et lAutre semble aussi tre en mutation : On ne connait plus grand

    monde. Et comme les gens travaillent tous lextrieur, on a plus le temps de discuter.

    Une mobilit parfois difficileLoffre en transport collectif nest par ailleurs pas adapte aux diffrents rythmes dune population de plus en plus htrogne. Un cercle vicieux se met alors en place, face un service ne rpondant pas aux attentes, les usagers utilisent leur voiture et acclrent ainsi laffaiblissement des services de transports en communs. Un rel problme pour les habitants non-motoriss comme les personnes ges, et surtout les jeunes, comme en tmoigne, Coralie, que nous avons rencontre la Maison des Jeunes : Je fais mes tudes Nantes, lcole desthtique... cest ct de la gare. Mais je nai pas le permis, je suis trop jeune. Alors le matin, mes parents memmnent jusqu Vue en voiture, et l je prends le bus... enfin le car Lila, il va jusqu Pirmil... Et aprs je dois encore prendre le tram, et changer Commerce... En tout, a me prend presque une heure et demi... cest un peu long.

    Larrive des nouveaux habitants.

  • 41

    Le canal, accueil de nombreux pcheurs.

    Superposition des usages, solidarits & conflitsLagriculture est encore aujourdhui la principale activit de ce petit pays coinc entre les ples mtropolitains de Nantes et Saint-Nazaire. Et la posture particulire quimposent les marais lve les exploitants agricoles une place prpondrante dans le paysage.

    La rgion du canal et des marais accueille galement une multitude dusages qui forgent le caractre des lieux: leau douce du canal et ses berges accessibles en font un lieu de prdilection des pcheurs; les terres cultives des marais permettent la pratique de la chasse ; et lensemble du territoire, canal en tte, offre la possibilit aux promeneurs de tous horizons de parcourir les grandes tendues pied comme vlo, activit renforce par le passage de la Loire Vlo depuis quelques annes.

    Fort dun cosystme riche, les zones humides accueillent nombre despces doiseaux, aujourdhui protges par la rserve ornithologique du Massereau. La base de loisirs du Quai Vert amne galement un nouveau public sur les berges du canal, o la pratique du cano et de laviron se dveloppe. Ensuite, acteur discret mais essentiel, lquipe du SAH rgule tout au long de lanne les millions de mtres cubes deau des marais et du lac de Grand-Lieu. Enfin, et de part une relle

    spcificit cologique, les zones humides sont aujourdhui recouvertes dun mille-feuilles de protections naturelles.

    La pratique de toutes ces activits sur le mme territoire implique, outre une richesse culturelle et un potentiel de rencontre entre diffrentes populations, un certain nombre de conflits quant au bon usage des lieux. Ainsi, le passage des chasseurs dans les prs donne parfois lieu lvasion du btail cause dune barrire mal referme, la navigation des canos et lusage des vannes par le SAH perturbent la pratique de la pche, etc Le dveloppement potentiel du tourisme pose enfin de relles questions quant au respect des espaces naturels, aucune infrastructure ntant aujourdhui capable de les accueillir.

    DES HOMMES ET LEURS MILIEUX

    La rgion du canal juxtapose autant dacteurs que de singularits. De nouveaux usages viennent se greffer dautres, plus anciens ou plus essentiels, et renforcent un potentiel dinteractions dj riche.

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    Partage et ngociationsNous avons galement remarqu que certains de ces conflits sont rapidement rsolus par la mise en contact des diffrents acteurs entre eux. Comme en tmoigne lclusier des Champs-Neufs, une des trois personnes en charge de la gestion du canal: oui avant on avait pas mal de critiques quand on ouvrait les vannes, mais le tout cest de leur expliquer (aux pcheurs), aprs ils comprennent quon fait a pour le bon fonctionnement des marais, et depuis on a beaucoup moins de gens qui viennent rler. Il en va de mme pour Bernard Dousset, principal producteur de viande bovine sur les marais: les chasseurs quand on les voit, on va leur dire quil ny a pas de problme pour chasser mais quil faut faire attention bien fermer les portails, [], aprs il y a encore des incidents des fois, mais bon cest normal . Le principe de reconnaissance est ici luvre, la mise en contact des diffrents acteurs amne une prise de conscience de lautre, et un respect induit de ces pratiques, dans un amour partag de la terre. Le lien social apparat donc comme source de solutions concernant la mixit des usages. Le territoire se partage

    et devient le support de contacts humains, de ngociations entre les diffrents acteurs, qui impactent directement le territoire en retour.

    Une terre (sur)protge ? Bnfices et paradoxesDu point de vue lgislatif et rglementaire, un mille-feuilles de protections environnementales sapplique sur lensemble des zones humides : loi Littoral, directives Natura 2000 1 et 2, ZNIEFF 1 et 2 (Zone Naturelles dIntrts cologique Faunistiques et Floristiques), rserves naturelles (rserves du Massereau et du Migron). Cette situation est parfois mal comprise des habitants et des lus, qui se plaignent de se voir remis en question dans la capacit de prserver leur territoire. Le point culminant de ces inquitudes est sans doute le projet de mise en place dun Parc Naturel Rgional lchelle de lEstuaire. Souvent confondu avec le projet concurrent de cration dune Rserve Naturelle Nationale (beaucoup plus contraignante), il questionne rellement la population, comme en tmoigne la raction de Marie-Line Bousseau, adjointe

    Lhomme, la bte et la machine.

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    lurbanisme et la culture de la mairie de Frossay: Sil faut se mettre avec une peau de bte pour dire bonjour aux touristes a va !... il y a un moment a suffit ! Cest bien, mais il ne faut pas quon devienne un sanctuaire !.

    Le constat est que la mise en place de ces dispositifs se fait sans relle implication de la population locale. Ainsi, et depuis le rachat dune partie du marais par le Conservatoire du Littoral, son entretien des marais est complexifi pour les exploitants agricoles, qui doivent obir une procdure administrative stricte avant toute intervention sur le site. Pourtant, comme en tmoigne Bernard Dousset, il faut parfois agir vite pour permettre le retrait des eaux sur les terres inondes. Un cas emblmatique est celui de la digue de lle de la Marchale qui, malgr les messages dalertes des agriculteurs, na pas t suffisamment entretenue et a fini par rompre, rendant toute une partie du marais inexploitable pour de nombreuses annes.

    Du point de vue humain, lhistoire de la rgion a par ailleurs montr une grande

    capacit de mobilisation des habitants, comme en tmoigne la rsistance face un projet de construction dune centrale nuclaire sur lle du Carnet dans les annes 1970. Prcdent dans la mobilisation citoyenne locale, et rappelant les ractions contestataires contemporaines contre laroport de Notre-Dame-des-Landes, cet vnement montre quel point les habitants des lieux tiennent leur terre, et au cadre de vie quelle offre. Cest galement le tmoin de lappropriation des lieux par une population, mme htrogne.

    Le cano, une des activi

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    Par la conscience que leau de la Grande Loire est omniprsente sur notre zone dtude, que cette prsence est une force et un support de porosit, qui amne des interactions et des usages particuliers, alors, on acte le fait que ce territoire se rvle comme une singularit de la mtropole. Cest en lui donnant une nouvelle subjectivit que lon vient structurer une culture territoriale, qui va contribuer faire merger de nouvelles reconnaissances, entre les habitants et avec leur territoire.

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    T E R R I T O I R E S I N E X P L O R S

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    Carte subjective - La Presqu'le de Retz

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    T E R R I T O I R E S I N E X P L O R S

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    RETZ-SUR-LOIREscnario global

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    Comme nous lavons vu prcdemment, nous nous trouvons face un territoire menac par la dpendance aux deux ples urbains de la mtropole, et par la disparition de ses singularits. En induisant une transformation des modes de vie, une perte de contact social et une certaine homognisation de lespace, ltalement urbain et la propagation du modle pavillonnaire menacent les cologies environnementale, sociale et mentale des espaces ruraux et la mmoire des pratiques lies au territoire.

    Un territoire en marge ?Notre analyse et nos rencontres ont permis de rvler que la pratique du territoire se faisait essentiellement lchelle du Pays de Retz, avec une attraction importante des ples urbains de Nantes et de la cte. Par ailleurs, si la prsence de leau est essentielle dans la vie et lhistoire de la commune, la Loire et le canal jouent un rle de frontire plus ou moins floue et paisse par rapport la rive Nord, et font apparatre Frossay la marge du Pays de Retz.

    LA CROISE DES TERRITOIRES

    Le territoire de Frossay et du canal tient une position particulire. Encore rural, mais influenc par Nantes et Saint-Nazaire, il est marqu par la prsence de leau, support de pratiques singulires mais aussi frontire avec la rive Nord. Cette situation de bord, qui le relgue a priori une marge, pourrait devenir celle dune interface entre des entits diffrentes.

    Les chemines de la centrale, mergence de la rive Nord.

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    Estuaire de la Loire

    Echarpe verte entre Nantes et Saint-Nazaire

    Pays de Retz

    Cette vision est assez paradoxale puisque, comme le montre la carte ci-dessus, la commune se rvle tre au centre dune multiplicit dentits fortes et singulires: la mtropole Nantes / Saint-Nazaire, l'Estuaire de la Loire et son complexe industrialo-portuaire, lcharpe verte des marais, lensemble rural du Pays de Retz. Frossay tient donc une position de bords multiples ; le dveloppement de porosits entre ces lments pourrait permettre la commune de devenir une interface lchelle du territoire.

    Un fragment singulier de la mtro-pole estuarienneCe rle potentiel est une manire de cultiver les singularits du territoire et de louvrir vers de plus larges horizons. En dautres termes, lide est de sappuyer

    sur les richesses de la commune pour lui permettre de devenir un fragment part entire de la mtropole, un espace faisant valoir ses spcificits tout en tant capable de sadapter.

    Un terreau social fortLa mise en place dune telle volont repose essentiellement sur les personnes qui habitent le site, le font vivre aujourdhui et le feront voluer demain. Il tient alors dimpulser leur mise en contact, dveiller une prise de conscience commune des atouts en place et de ceux dvelopper ensemble.

    Frossay est au contact dentits diffrentes, et au cur de la mtropole estuarienne

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    Notre stratgie sappuie sur trois orientations principales :

    Enclencher la mise en rseau, plusieurs chelles, de lentre-deux mtropolitain. Par la connexion mentale et physique de ces espaces, il sagit de rquilibrer les relations entre les diffrentes facettes de la mtropole, et de tirer profit de leurs complmentarits. Reconnatre et cultiver les singularits du territoire. Cette reconnaissance passe ici par la mise en avant de la richesse des rapports leau et des pratiques qui sappuient sur ces spcificits. Renforcer les interactions entre les diffrents acteurs et usages du territoire. Les interventions projetes viennent ponctuer le territoire, et rvler des points de friction potentiels.Lobjectif est de mettre en mouvement le

    territoire, et de contribuer ainsi inventer une rurbanit qui ne se rduise pas la rurbanisation.

    Retz-sur-LoireA plus grande chelle, Frossay pourrait devenir la porte du Pays de Retz sur lEstuaire, un point de contact entre larrire pays et le fleuve, qui redonne la Loire un rle de lien plutt que de frontire. Cette ouverture reprsente une opportunit en terme de mobilits et dchanges, lheure o lpuisement des nergies fossiles pose question. Elle joue aussi un rle important dans le rapport symbolique au territoire. Ouvrir le Pays de Retz sur la Loire, cest enfin lintgrer dans la cohrence mtropolitaine, rebours des textes rglementaires qui divisent actuellement lEstuaire en deux (cf. 2.3).

    CECI N'EST PAS UN VIDE RSIDUEL !

    Entre Nantes et Saint-Nazaire, dautres communes sont confrontes la mme situation de dpendance. Intervenir Frossay, cest affirmer que cet entre-deux nest pas une page blanche disponible pour lextension future des ples urbains, mais bien un espace dont les singularits peuvent constituer un atout pour la mtropole.

    La grande Loire, un jour de grande mare

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    L'invention des maraisLes marais offrent un paysage changeant, aux temporalits complexes. Gnralement peu accessibles, humides et vaseux, ils renvoient univers nigmatique, mais aussi parfois effrayant. A limage de linvention de la plage voque par Alain Corbin dans Le Territoire du vide, il est pourtant possible de rendre dsirable cet espace singulier. Comme le rivage, les marais peuvent devenir ce lieu de retraite active, cet otium, ce moment entre lHomme et une terre, et peut-tre entre lHomme et lui-mme. Loin de vouloir gnrer un afflux touristique potentiellement dvastateur, il sagit de percer par endroits lpaisseur de ce que nous avons nomm la grande Loire et de rapprocher les habitants de leur territoire. Ici, pas de ligne sur le sol, ni de panneaux directionnels, mais seulement la volont de cultiver cette relation au mystre, la dcouverte et la surprise.

    Les marais se distinguent galement par la posture quils induisent : il sagit dune terre en constante mutation, le

    fruit dun travail perptuel de leau et de lHomme. Cette posture est le fruit dune relation intime entre une terre et ceux qui lentretiennent. A cet gard, le projet de certains agriculteurs de crer un label des marais pourrait contribuer sa reconnaissance. Faire aimer les marais, cest aussi une faon de les protger. A travers un paysage, ce sont des personnes et leurs pratiques qui apparaissent alors au grand jour.

    Habiter le canal de la Basse-LoireLe canal occupe quant--lui une place particulire au sein du territoire. Empreinte physique de lactivit humaine dans le paysage, il rappelle lessor portuaire du sicle dernier, mais aussi la rapidit avec laquelle une infrastructure peut devenir obsolte. Sil est aujourdhui un puissant outil de rgulation hydraulique, il naccueille que sporadiquement la vie, entre pcheurs, rameurs et promeneurs. Cest cette vie quil nous tient cur de dvelopper en multipliant les appropriations du canal et de ses rives, par les habitants comme par les gens de passage.

    Le miroir d'un momentIl dissipe le jour,Il montre aux hommes les images dlies de lapparence,Il enlve aux hommes la possibilit de se distraire,Il est dur comme la pierre,La pierre informe,La pierre du mouvement et de la vue,Et son clat est tel que toutes les armures, tous les masques en sont fausss.Ce que la main a pris ddaigne mme de prendre la forme de la main,Ce qui a t compris nexiste plus,Loiseau sest confondu avec le vent,Le ciel avec sa vrit,Lhomme avec sa ralit.

    Paul Eluard, Capital de la douleur

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    Le bourg de Frossay se situe dans les bocages, zone lgrement vallonne aboutissant au Migron et la Roche.Ces villages, historiquement ctiers, marquant aujourdhui le point avanc de lurbanisation, bordent les marais, limite paisse de la Loire autour de son chenal.

    Le canal sectionne cet espace en deux entits distinctes : il forme une limite visuelle et physique entre deux marais qui ont chacun leur qualits propres.A limage dune colonne vertbrale, les interventions sinstallent plusieurs points

    stratgiques du site, dans le but de faire merger lessence des lieux, leurs richesses intrinsques.

    La dmarche globale sincarne travers une traverse du territoire qui, plus que de relier, tente de rvler. Cette traverse justifie une pause profonde, en lien avec son environnement paysager, humain et culturel, une pause qui suppose un amont dcouvrir, un lieu sujet une qute inconsciente de la surprise, de la rencontre. Lensemble revt un caractre racinaire qui va chercher, lide tant de nourrir ce

    TRAVERSER POUR MIEUX TISSER

    La commune de Frossay est aujourdhui divise en strates de paysages qui avancent par tapes vers la Loire, sans connexion lisible. Les diffrentes interventions s'implantent de manire mettre en tension l'ensemble du site.

    Rhizome Gilles Deleuze & Flix Guattari

    Dans la thorie philosophique de Gilles Deleuze et Flix Guattari, un rhizome est un modle descriptif et pistmologique dans lequel l'organisation des lments ne suit pas une ligne de subordination hirarchique avec une base, ou une racine, prenant origine de plusieurs branchements, selon le modle de l'Arbre de Porphyre, mais o tout lment peut affecter ou influencer tout autre (Deleuze & Guattari 1980:13).

    Dans un modle arborescent d'organisation de la connaissance comme la taxinomie et la classification des sciences ce qui s'affirme comme lment de niveau suprieur est, en vrit, ncessairement subordonn, mais non l'inverse; dans un modle rhizomatique, tout attribut affirm d'un lment peut influencer la conception des autres lments de la structure, peu importe sa position rciproque. Le rhizome n'a, par consquent, pas de centre, une caractristique qui le rend particulirement intressant pour la philosophie des sciences, la philosophie sociale, la smiotique et la thorie de la communication contemporaine.

    Le Migron

    Le Carnet

    Frossay bourg

    Carris

    canal de la basse-loire

    rives du chenal

    rives d

    e la g

    rande

    loire

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    Le Migron

    Le Carnet

    Frossay bourg

    Carris

    canal de la basse-loire

    rives du chenal

    rives d

    e la g

    rande

    loire

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    lien central par des lments singuliers qui sont sa porte. A linstar du concept de rhizome de Gilles Deleuze et Flix Guattari, les interventions se rpondent sans lien hirarchique, dans une logique commune de rciprocit.

    Traverse structurante du territoireLa traverse est une route, une voie de communication qui engage le passage, larrt, la rencontre. Elle invite se raconter des histoires, en vivre. Cest une ligne de friction et de mise en tension dentits disparates, dont les nergies singulires mettent en mouvement lensemble dun territoire vers une nouvelle destine, celle dun fragment part entire de la mtropole estuarienne.

    Diffrentes situations rvles au cours

    de la dcouverte du territoire sont mises en lumire et se matrialisent dans une cristallisation spontane de lessence des lieux. Les interventions retranscrivent et provoquent, dpendamment des matriaux leur porte, lesprit dun paysage, la trace dun usage, limage dune histoire, passe et venir. La construction, palpable, slve la constitution dune identit, dun imaginaire, portrait et tmoin de son environnement. Cet lment singulier et volutif se rattache alors la fresque dun territoire, le long dun fil de singularits.

    Un rhizome sapplique de faon transversale depuis le bourg de Frossay jusqu la cale des Carris et vient ponctuer la progression de la vie qui lhabite. Lglise St-Pierre-aux-Liens marque le seuil dune porte sur lEstuaire. Des chemins sont

    Un nouveau maillage du territoire

    Connexion physique

    Connexion mentale

    Flux de productions agricoles

    Connexion physique

    Connexion mentale

    Flux de productions agricoles

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    rvls et infiltrent les coteaux vers le Migron, village ctier de la Grande Loire. Leur parcours est ponctu par la folie de lieux singuliers qui construisent les tapes dune dambulation vers un ailleurs. Le voyage oscille dans un jeu dinteraction dchelles et de points de vue, entre projection sur lhorizon et mergence de traces, empreintes dun vcu. Les rives qui bordent les marais marquent un second seuil, interface physique entre deux univers. Les praxis sy accrochent et cultivent les mtissages entre gens du pays et dcouvreurs, entres savants dun lieu et passeurs dun ailleurs. Le canal, passerelle des marais, croise le cheminement et invite dautres horizons le long de berges o sgrainent les empreintes dappropriations diverses. Plus loin, le Carnet, leau svase sur le panorama dun bout du monde.

    Face au Migron, la route se poursuit vers le chenal ligrien. Pass le pont, le paysage aplati invite lvasion. Sans perspective, lavancement se noie entre hautes herbes et horizons incertains. Le jete est rythm par linvitation de portes ouvertes sur les marais, refuge dun paysage instable. Leur mergence fait chos aux jalons du chemin parcouru. Enfin, la route disparat dans les tumultes dun fleuve lunatique. Lhorizon sincline face une dmesure immobile et puissante qui sabat sur le paysage Mais dj, la navette arrive, nous serons Nantes dans 30 minutes.

    Un nouveau maillage du territoire

    Connexion physique

    Connexion mentale

    Flux de productions agricoles

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    La traverse en rhizome cre des dispositifs dinterdpendances entre les acteurs. Ceux-ci viennent articuler les diffrentes entits territoriales avec un impact grande chelle. Ainsi, un maillage dchange et dhospitalit envers toutes les singularits se construit sur le grand territoire de lEstuaire.

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    Carte subjective - Ouverture de la Presqu'le de Retz sur la rive nord du fleuve

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    EMERGENCE DUNE TRAVERSE

    propositions

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    Simon Henry (PFE)

    JETE SUR LOIRE(S)premiers jalons dune redcouverte du fleuve

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    Postulat de dpartNotre envie dagir part du constat que le lien entre Frossay et son territoire stiole peu peu, au risque de rduire la commune sa fonction rsidentielle : une ville-dortoir gnrique qui ne survivrait que par sa position par rapport la mtropole, suffisamment proche pour pouvoir y travailler, suffisamment loigne pour que les prix du foncier restent attractifs.

    Si la gnralisation des modes de vie urbains semble tre un fait acquis, la disparition de lespace rural nest pas inluctable. Quelque chose dautre peut sinventer entre la ville et la campagne, une rurbanit qui ne soit pas seulement la ville en plus loin, moins cher, moins dense,

    mais qui tente faire un peu mieux, de contribuer repenser les rapports lAutre et au territoire, en sappuyant sur leurs singularits.

    Le funambule et la vache sacreCe dsir de tisser de nouveaux liens entre les habitants et avec le territoire est en partie n de lexprience du collage, qui constitue un moment charnire de la dmarche. Il est une premire resignification des fragments rcolts au cours de la dcouverte et des rencontres, qui permet de faire merger des points dappuis possible pour construire un projet.Ralis la fin des ateliers publics, ce premier collage a pour cadre le marais.

    DICI AILLEURS

    A Orly, le dimanche, les parents mnent leurs enfants voir les avions en partance. De ce dimanche, lenfant dont nous racontons lhistoire devait revoir longtemps le soleil fixe, le dcor plant au bout de la jete, et un visage de femme. Rien ne distingue les souvenirs des autres moments: ce nest que plus tard quils se font reconnatre, leurs cicatrices. La jete, Chris Marker, 1962

    Premier collage, le funambule et la vache sacre

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    Sorte de trsor commun, la fois fragile et empreint de mystre, il est la source dun rapport particulier au territoire, mais aussi de richesses matrielles, symbolises par la vache sacre. La menace de dpendance aux ples urbains, qui tend rduire la campagne un tat de dortoir, commence se faire sentir, mme si les interactions restent fortes lchelle locale. Un point dancrage est-il possible pour les parachutes, ou sont-ils destins rester hors-sol ? Au centre, un funambule tente, dans un quilibre prcaire, de faire le lien entre ces diffrents lments. En se dirigeant vers lautre rive, de laquelle seules les chemines de la centrale sont perceptibles, il semble galement chercher

    faire exister le territoire une chelle plus importante, se projeter vers un ailleurs.

    Cette projection pourrait tre une jete, une avance dans un autre milieu, invitant contempler le monde. Quil sagisse davions ou de bateaux, la jete a toujours voir avec le mouvement. Elle est le lieu des dparts et des arrives, des sparations et des retrouvailles, de la projection et de la mmoire. Ouvrir une jete sur la Loire est une manire de tisser de nouveaux liens, pour ne pas laisser disparatre les spcificits du territoire.

    Premier collage, le funambule et la vache sacre

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    RETOURNEMENT VERS LE FLEUVE

    Face au risque de dpendance aux ples urbains et de perte des singularits, un nouveau rapport est possible avec le territoire, tissant des liens avec les multiples facettes de la Loire.

    Bord, dbordsLimaginaire de la rive joue un rle majeur dans le territoire : ligne plus ou moins paisse, le bord est la fois la frontire qui spare deux espaces et un point de contact possible, une interface entre deux mondes. Cest aussi un lieu de dplacement, le rivage que lon quitte ou celui que lon aperoit au loin, une promesse qui met en scne la dcouverte dun ailleurs.LEstuaire est marqu par le mouvement de son fleuve, qui, au fil des mares, des crues et des interventions humaines, a produit une multiplicit de rives. Il y a bien sr la plus vidente, celle du chenal navigable, symbolise sur les cartes par un trait alors mme quelle est en perptuel mouvement, selon que lestran est recouvert ou non par la mare. Lvolution du lit du fleuve au cours du temps a nanmoins produit dautres rives, plus subtiles mais pourtant perceptibles dans le paysage. Suivant souvent digues

    et tiers, elles bordent aujourdhui des milieux proches mais diffrents, marais plus ou moins humides et sauvages selon leur situation dans un ancien bras du fleuve ou sur une le.La lisire des marais, au contact de la terre ferme des coteaux apparat elle aussi comme une rive, celle qui dlimite la grande Loire, le territoire de leau.

    Mystres des maraisSi les marais font partie intgrante du fleuve, ils nen restent pas moins un espace singulier, comme lvoque Gaston Bachelard dans Leau et les rves : Le limon est la poussire de leau, comme la cendre est la poussire du feu. () Cest le mariage substantiel de la terre et de leau, ralis dans le marais, qui dtermine la puissance vgtale anonyme, grasse, courte et abondante.Cette dualit est reconnue par les dmarches actuelles dartialisation de

    Mmoire dune rive.

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    lEstuaire, qui contribuent inventer, dans le sens o lentend Alain Corbin, un paysage fragile et mouvant, un trsor model par la Loire. Au del de la beaut de lespace naturel, il semble ncessaire dengager galement la reconnaissance de sa dimension anthropique, celles des pratiques qui le font exister. Il sagit en premier lieu du travail des agriculteurs, qui eux aussi le modlent pour rendre possible son exploitation. Le marais est aussi un lieu secret, sur lequel se nouent des histoires particulires comme celle du dernier gardien de lle du Massereau, qui y a vcu pendant 21 ans, et des lgendes de braconneurs, de prisonniers en cavale ou de trafiquants de drogue, que nous a racontes Gilles au cours de son itinraire, et qui forgent un imaginaire particulier du lieu.

    Le Migron est un village ctierDans ce paysage marqu par la grande Loire , le village du Migron retrouve sa place sur les rives du fleuve. Premire implantation de Frossay, cet ancien port sest dvelopp grce la proximit avec leau, source de richesses et de transactions. Vivat de la pche et de la culture des les de Loire, il occupait une place importante dans les changes marchands lchelle de lEstuaire, et constituait un point

    de passage privilgi pour les sel en provenance de la baie de Bourgneuf, ou les pellerins cheminant vers Saint-Jacques-de-Compostelle. Le nom mme de Migron voque ce pass de mobilit, celui dun lieu de dpart, dembarquement.Ce rle de carrefour sincarnait galement par lexistence dune traverse vers Cordemais. Mise en place la fin du XIXe sicle pour rpondre aux besoins de lconomie agricole, elle comportait plusieurs tapes : un pont tournant

    La Loire borde Le Migron (carte de lEtat major, 1850)

    Vers la redcouverte dun voisinage.

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    permettait tout dabord de franchir le canal maritime, sans gner la navigation, puis un premier bac traversait le bras du Migron jusqu lle de La Marchale. Une chausse en pierre longue denviron un kilomtre permettait alors datteindre un second bac, qui franchissait le chenal principal et rejoignait la rive Nord. Face lenvasement du bras du Migron, le premier bac est remplac par un pont en bton arm dans les annes 1930. Mais, du fait de la perte dimportance progressive des foires bestiaux, qui constituaient la principale raison du trafic, la frquence des traverses diminue progressivement au cours du XXe sicle ; et, stopp par la Seconde Guerre Mondiale, le bac ne sera pas remis en service la Libration. Sa mmoire sest depuis peu peu estompe, ne subsistant que grce quelques traces, comme la chausse de La Marchale, toujours existante.Au fil du temps et de lloignement physique du fleuve, les pratiques lies leau, qui taient la raison dtre du village, se sont taries. Aujourdhui, seule la typologie particulire des constructions, qui rappelle celle des villages de pcheurs voisins, ou quelques lments de la toponymie (la rue du Port, la rue du Quai), font encore trace de ce pass portuaire. La redcouverte du voisinage avec le fleuve et les marais

    peut tre un moyen de faire merger de nouvelles interactions autour du rapport leau, en tirant profit de cette situation de lisire.

    Diffrent et diffrendToujours dans Leau et les rves, Gaston Bachelard met en avant laction bivalente de leau sur la matire : leau est rve tour tour dans son rle mollient et dans son rle agglomrant. Elle dlie et elle lie. Dune certaine manire, le fleuve dans son ensemble joue ici un rle similaire, puisquil loigne autant quil ne rapproche. Si la Loire a toujours t un support propice aux changes, elle a en effet aussi constitu une frontire, dlimitant deux aires culturelles diffrentes. Ainsi, bien que le Pays de Retz soit un des pays traditionnels de Bretagne, il est surtout influenc par sa proximit avec la Vende et le Poitou, contrairement lautre rive. Une certaine rivalit persiste aujourdhui, au del de la diffrence folklorique entre les toits en