Fresnault-Deruelle- Du Lineaire Au Tabulaire

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  • 7/21/2019 Fresnault-Deruelle- Du Lineaire Au Tabulaire

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    Pierre Fresnault-Deruelle

    Du linaire au tabulaireIn: Communications, 24, 1976. pp. 7-23.

    Citer ce document / Cite this document :

    Fresnault-Deruelle Pierre. Du linaire au tabulaire. In: Communications, 24, 1976. pp. 7-23.

    doi : 10.3406/comm.1976.1363

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1976_num_24_1_1363

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_comm_209http://dx.doi.org/10.3406/comm.1976.1363http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1976_num_24_1_1363http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1976_num_24_1_1363http://dx.doi.org/10.3406/comm.1976.1363http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_comm_209
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    Pierre Fresnault-Deruelle

    Du l inaire au tabulaire

    Le terme bandes dessines

    ,

    comme le

    mot

    anglais comics (on

    trouve

    gal

    ement

    funnies),

    renvoie

    une

    ralit

    qui, pour

    possder

    des

    traits

    dfinitionnels

    assignables en

    gros

    l'ensemble des produits

    culturels

    qu on

    sait,

    souffre cepen

    dant 'une certaine htrognit.

    Il

    semble en effet que

    sous le vocable

    comics

    se soient

    rfugis

    les avatars

    stripologiques

    de genres aussi

    diversifis que

    le

    dessin humoristique (et

    la

    caricature),

    l'illustration,

    la narration

    figurative

    ou

    son paronyme la

    figuration

    narrative.

    En

    d'autres

    termes,

    bien que comic-

    strips

    et

    planches soient souvent

    conus et

    produits dans

    une optique

    mtony

    mique la partie

    /le

    tout),

    il

    apparat

    qu on est en prsence de deux pratiques

    spcifiques (neutralisant souvent, de

    fait,

    leurs traits

    pertinents

    dans une zone

    commune indiffrencie

    :

    la B.D.

    en gnral) qui sont

    la fois complmentaires

    et antagonistes,

    aussi dialectiquement lies que peuvent l'tre le

    continu et

    le

    discontinu.

    Le

    strip

    relve du

    temporel

    (le linaire),

    la

    planche,

    en

    principe,

    du

    spatial

    (le

    tabulaire).

    A. LES STRIPS AU JOUR

    LE

    JOUR

    :

    UNE FORME ET UN CONTENU NCESSAIRES

    Avant a Seconde Guerre

    mondiale,

    lors d'une grve des journaux

    new-yorkais,

    le

    maire de la ville, F. La Guardia,

    qui

    soignait

    sa

    popularit, lut et

    commenta

    la

    radio les comics qui paraissaient habituellement dans les

    journaux1. Les

    ncessits

    du

    temps

    faisaient

    ainsi ressortir

    qu un

    feuilleton pouvait connatre

    temporairement

    une

    version mtalinguistique

    pourvu

    que la

    fonction

    phatique

    ft

    prserve.

    Le

    rfrent

    iconique

    prsent

    l'esprit,

    les

    auditeurs

    pouvaient

    embrayer sur l'mission sans

    trop

    de

    dperdition

    phantasmatique 2. Le

    raccord

    se

    faisait sans mal

    tant

    il est vrai

    que le

    contenu hyper-strotyp n avait,

    de

    fait, aucune importance (n'tait porteur

    d aucune

    information

    au

    sens quanti-

    1. Cf. P. Couperie,

    Bande

    dessine et figuration narrative, Arts Dco,

    1967,

    p. 151.

    2. Ceci d'autant

    plus

    facilement que ces mmes

    auditeurs

    n'coutaient

    qu'une

    lecture et non pas une adaptation. L 'adaptation,

    comme

    on sait, est toujours

    source

    de dsenchantement. Cf. cette rflexion d'un petit garon au sortir du

    cinma

    aprs

    la projection

    de

    Tintin et le lac

    aux

    requins

    :

    Le

    Capitaine

    Haddock

    ne

    parle

    pag

    comme

    dans

    le livre.

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    Pierre Fresnault-Deruelle

    fiable du

    terme) et

    ne servait de prtexte

    qu

    des retrouvailles

    entre

    les lecteurs

    et

    le

    monde

    de l'auteur, peut-tre l auteur lui-mme travers ses tics et ses

    tours

    particuliers.

    C'est

    sans doute ici

    que

    se trouve

    la

    cl de l'extraordinaire russite des comic-

    strips

    dans

    la

    presse

    occidentale, dans

    celle

    des

    U.S.A.

    au

    premier

    chef

    :

    ces

    bandes sont

    un rendez-vous rcratif et un

    produit

    individuellement consommable

    garanti quoi qu il arrive, aussi

    sr

    que la plus

    sre

    des institutions, le signe en

    quelque sorte

    d'une prennit rassurante face l'incertitude

    des

    temps.

    Inventaire.

    Prcisons que par comic-strip nous entendons ces bandes (strips)

    de

    trois

    ou quatre vignettes

    (unit

    de publication) paraissant jour

    aprs

    jour dans les

    grands quotidiens

    d'information, qu elles soient humoristiques, comme

    leur

    nom

    l'indique,

    ou non.

    Le

    domaine

    des

    comic-strips est

    le

    lieu d'une

    assez

    grande

    diversification. Sans

    faire ici

    l'historique

    du

    genre et

    l tude

    de son volution,

    disons

    que

    cette portion

    importante du

    monde

    des

    bandes dessines (le reste se

    rapportant

    aux pages hebdomadaires

    et

    aux

    comic-books)

    se rpartit sur

    une

    gamme qu on peut

    cerner

    partir de deux critres :

    a) le public vis (ou le genre) ;

    b)

    la frquence d'dition (bien qu en

    principe

    nous parlions

    de

    B.D.

    paraissant

    quotidiennement)

    D un

    point

    de vue

    gnral les

    strips

    sont

    conus pour tre

    lus

    et regards par

    le public adulte

    qui

    achte les journaux2. Mais

    chaque journal

    ses lecteurs.

    Si France-Soir

    et

    V

    Aurore publiaient il

    y a quelque

    temps

    encore des sries

    grosso

    modo

    interchangeables, un

    strip

    comme

    B.C.

    n'est

    gure

    got

    outre-

    Atlantique

    par le

    grand

    public et

    trouve

    ses supporters plutt chez

    les intellec

    tuels.

    On

    peut distinguer en gros deux grandes catgories de strips :

    a) les strips dramatiques, qui se subdivisent leur tour en deux

    sous-ensemb

    l s

    1

    les

    sries

    sentimentales : The heart

    of

    Juliett Jones (Juliette de

    mon

    cur)

    ou

    13

    rue de

    V

    Espoir;

    2

    les

    sries

    d'aventures,

    soit

    de type

    policier

    : Modesty Blaise, Secret Agent

    Corrigan,

    soit

    fantastique

    (au

    sens de fantasy) comme le

    Fantme.

    En

    gnral

    toutes ces

    sries sont

    des feuilletons.

    b) les strips humoristiques, eux-mmes

    rpartis

    en deux groupes :

    1 les

    sries

    de type

    satirique

    suites ou non : L il Abner, Wizard of Id.;

    2

    les

    sries

    humoristiques

    de type

    classique

    gnralement

    autonomes

    relatant

    les

    mille et un

    petits riens de

    la vie

    familiale.

    Elles

    sont les plus nomb

    reuses

    et

    proposent des bandes qui

    vont

    des livraisons les plus strotypes

    (Blondie)

    aux plus

    inventives

    (Peanuts).

    Ces sries

    quotidiennes

    (

    daily strips

    )

    1. Cf. Grard Blanchard, La Bande dessine,

    Marabout

    Universit, 1974, 2e dition.

    2. Cf. E.

    J. Robinson

    et

    D.

    M.

    Manning,

    Who reads

    the funnies

    and why? ,

    Comic reading

    in

    America, report

    5,

    1962, Communication Research

    Center, Boston

    University.

    3. Pour les U.S.A.

    nous

    dirions : chaque

    strip

    ses

    lecteurs. Les

    strips mlo

    (Soap

    opera)

    et

    intellectuelles

    fleurissent

    cte

    cte.

    8

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    Du linaire au tabulaire

    qui

    paraissent

    en

    noir et blanc

    se distinguent des

    sries

    hebdomadaires qui sont

    dites, elles, en couleur.

    En

    France, elles

    sont

    groupes dans la presse

    pour

    adolescents (Tintin, Pif,

    Pilote, Spirou,

    Lucky-Luke, etc.),

    aux

    U.S.A. dans les

    supplments dominicaux

    des

    grands quotidiens (

    Sunday

    strips ). La

    jonction

    entre ces

    deux catgories de bandes se fait en

    Amrique

    dans les

    sries

    synchron

    ises

    .

    Il

    s'agit

    d une

    formule cre

    par

    le

    Chicago

    Tribune

    qui demande

    beau

    coup de virtuosit de la part des scnaristes. La bande

    parat

    chaque jour y

    compris

    le dimanche, mais

    de telle manire que l'pisode

    dominical

    puisse

    faire

    un

    tout,

    retranchable

    du continuum en

    noir et blanc

    suivi par la catgorie de

    lecteurs

    qui n achte pas de journaux

    le dimanche (Little Orphan

    Annie) \

    On le comprendra aisment, le genre de

    la bande,

    la place dont elle dispose

    (simple ou

    double

    strip), la

    priodicit, enfin, imposent

    chaque dessinateur

    une marge de manuvres troite. La nature du

    ressort

    dramatique (ou comique)

    varie en fonction

    du

    rythme productif impos

    aux

    cartoonists. Autrement dit,

    pour

    ne pas s'essouffler,

    la

    livraison journalire sera

    conue

    selon des procds

    narratifs peu

    coteux (les bandes

    hebdomadaires

    disposent,

    en

    revanche,

    d une

    conomie

    digtique

    plus

    contraste

    cf.

    infra).

    L usage

    de

    la

    couleur

    (ou

    son absence), ainsi que

    le format

    des strips interfrent

    galement

    dans

    le

    model

    age

    u contenu

    que

    vhiculent les B.D.

    En

    noir

    et

    blanc (plus

    parfois

    jusqu

    deux

    gammes

    de gris) les

    strips

    proposent l'image

    d'un

    univers

    qui, s'il varie

    en

    fonction de l'esprit

    et

    du style des dessinateurs,

    reste

    avant

    tout

    marqu

    par le schmatisme qu'ils

    doivent s'imposer

    (Dick Tracy). La

    taille,

    somme

    toute assez rduite, dont disposent les cartoonists, dfalcation

    faite

    de l emploi

    des ballons, conduit fatalement les

    dessinateurs,

    soumis

    par

    ailleurs aux impr

    atifs d'une lisibilit

    maximale, laguer

    le

    monde de ses particularismes.

    Les strotypes

    s'imposent

    avec force (les paysages sont souvent

    interchang

    eables)

    t la simplification amne

    quasi

    inluctablement l'auteur choisir

    entre conformisme

    et

    caricature,

    ces

    positions

    apparemment

    antinomiques,

    finissant

    quelquefois

    par

    se

    conjuguer chez

    les

    satiristes

    qu une trop

    longue

    pratique a fait

    verser

    dans le

    systmatique

    (Vil Abner). Nul doute,

    pourtant,

    que

    ces

    handicaps ne soient surmonts

    par certains

    artistes

    et

    intgrs

    leur

    style propre. La Dame assise de Copi,

    diaphane

    force d'tre vue de profil,

    devient, dans

    la conscience

    du lecteur, comme

    le simple signe d'elle-mme,

    son

    propre hiroglyphe

    (ses reprsentations courent comme une frise). Son

    nant

    est

    fait de cette

    dsincarnation-l, et l'on

    ne sait plus

    trs

    bien si

    le

    blanc du

    papier retrouve sa qualit de support, ou s'il continue timidement suggrer

    une reprsentation de l espace.

    Les

    strips

    autonomes.

    Lorsqu ils

    sont

    humoristiques, les strips renvoient la plupart

    du

    temps des

    sries

    familiales (

    family strips ), tant

    il est

    vrai que du

    familier (le

    strip quot

    idien) au familial

    le

    rapport

    est

    quasi structural.

    Crs

    en

    Amrique

    dans les

    annes 20

    pour

    contrecarrer l'extension de B.D.

    par

    trop

    satiriques

    (Krazy

    Kat), qui choquaient les rigoristes,

    puissants

    alors, les daily strips offrent aux

    1.

    Cit par

    R.

    Gubern

    in Imagen

    Y Sonido,

    n

    86,

    aot

    1970, Barcelone;

    repris dans

    El lenguaje de los comics, d. Peninsula,

    Barcelone, 1972.

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    Pierre

    Fresnault-Deruelle

    lecteurs leur ration de

    quotidiennet

    idalise.

    Le

    gag

    amen

    en

    un dtour m in

    imum

    n'est

    de fait que

    le

    prtexte

    l'entretien

    d un rapport de

    connivence

    entre

    le public et

    l'image qu il croit

    reconnatre comme sienne.

    Par-del

    l'humour

    programm

    du strip, on

    s'enchante ainsi

    de

    faire

    partie de

    la

    communaut

    culturelle qu il prsuppose et nourrit la fois.

    Paradoxalement,

    ces

    sries

    sont

    exportables

    en

    nos

    pays

    latins,

    en

    marge

    c'est

    le

    moins

    que

    l'on puisse

    dire

    du

    consensus amricain, l'exotisme

    de

    ces bandes

    ayant ici

    valeur

    de

    palliatif.

    Ayant introduit

    un

    thme quelconque, le dessinateur l'exploitera jour

    aprs

    jour, mthodiquement, tirant profit de

    la

    moindre association d ide pour

    pro

    longer le filon. C'est la technique

    utilise

    par un Smythe

    (Andy

    Capp), un

    Parker

    (B.C.) ou

    un

    Walker

    (Beetle Bailey) et

    de

    faon exemplaire

    par

    un

    Schulz,

    l'auteur

    des Peanuts.

    Fortement imprgns de la philosophie vang-

    lique de leur crateur1, les Peanuts

    dveloppent

    en

    quatre cases canoniques

    des gags centrs

    le

    plus souvent sur

    une

    vision pessimiste de

    l'univers.

    Comme

    nous le laissions

    entendre

    plus haut, c'est dans le mouvement mme de

    la

    reprise

    d'un thme

    X

    ou Y

    que se

    situe, notre

    sens, la

    richesse

    d'une telle srie.

    L'intrt

    ne

    rside plus

    dsormais

    dans l'innovation

    ritre

    toutes

    les

    vingt-quatre

    heures (c tait le cas de Blondie), mais dans

    l'art,

    monotone, de

    la

    rptition.

    Une technique narrative

    qui, au

    lieu

    de camoufler

    sa

    rhtorique limite, s'efforce,

    tout

    au

    contraire, d'en

    exorciser

    la

    ncessit par un surplus

    de redondance. En

    somme,

    la maladie combattue par le poison. Outre l'ingniosit de l'auteur

    qui

    tisse

    peu peu

    ses

    repres

    pour

    les

    pouvoir retrouver

    de

    temps

    autre (situa

    tions

    de

    prdilection

    qui ne sont pas

    sans

    crer, au fil des jours,

    toute

    l paisseur

    d un

    monde second), la

    reprise d'un mme thme (sur quatre ou cinq livraisons

    successives

    par exemple) nous

    administre

    la preuve

    qu il

    n'est rien

    de

    banal

    pour un

    humoriste

    et

    que

    la

    rptition,

    lorsqu'elle

    devient

    fugue,

    donne voir

    dans ses

    imitations que

    l'phmre et le constant

    sont des

    catgories

    qui

    cessent

    d'tre

    contradictoires.

    Le

    mme argument

    dclin

    graphiquement

    et

    thmatique-

    ment procure

    au

    lecteur cette

    impression

    que la

    dure

    s'est soudain abolie

    puisque,

    sans cesse, les mmes

    prmisses

    renvoient

    des

    conclusions indites.

    Partant, point de sentiment de pitinement narratif, mais celui d'un renouvelle

    menteureusement gagn

    sur

    les dangers

    prvalents

    du radotage

    : le paradigme

    dploy, le syntagme doit en rabattre Qui mieux est, en

    reprenant

    parfois terme

    terme et dans

    les

    mmes positions

    les

    lments

    de

    la premire et

    de la

    dernire

    vignette,

    Schulz

    signifie

    que

    les

    choses

    se passent surtout sur le mode imaginaire

    (le rel est

    immuable)

    et va

    jusqu introduire

    la rime

    l'intrieur de

    la bande

    'BU

    PE6C6NMNT DU

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    BOIS ETAIENT

    PIEIN8

    DE

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    .

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    VRES

    I6A0CHE ..DES COULEU

    VRES PBOfle.DES COOLBO'

    Sf& BARTOOT/JE

    Illustration

    extraite

    de Charlie-Mensuel.

    (Illustration n I). A l'

    assonance

    quotidienne (la chute

    du

    gag

    la quatrime

    vignette), se superpose

    un

    jeu intra-stripologique : les extrmits en miroir,

    1. Cf. R.

    L.

    Short, The Parables

    of

    Peanuts, Collins Fontana Books, 1968, New York.

    10

  • 7/21/2019 Fresnault-Deruelle- Du Lineaire Au Tabulaire

    6/18

    Du linaire au tabulaire

    l'image de l'univers

    schulzien,

    symbolisent

    que

    tout est

    dj dit et que

    le

    dtour

    (le

    jeu)

    n'est

    que

    vanit.

    Il y a quelque chose de pascalien

    dans ces

    comics

    o

    tout le malheur

    des hros parat

    venir de ce qu'ils ne savent

    pas

    se tenir en repos

    dans une chambre.

    Constamment

    en

    butte

    aux dceptions, les personnages

    vivent

    le prsent

    dans

    un

    monde o

    le

    possible

    n a

    gure

    de

    place.

    Les

    heurs

    et

    les malheurs de

    Charlie

    Brown,. c'est la

    vrification

    mthodique

    que

    l existence

    est dcidment

    prosaque. Comme dans

    le

    monde de

    l'enfance, le temps est

    cyclique

    et,

    si les saisons

    passent

    (la

    neige,

    la pluie), les enfants, eux, restent ce

    qu'ils

    sont.

    Alors,

    vingt

    fois sur le

    mtier Schulz peut-il remettre

    son

    ouvrage,

    et

    vingt fois le rite de la

    chute

    peut-il

    venir

    en briser la fragile construction. L ent

    tement

    et

    les

    manires des Peanuts opposent leur extraordinaire contrepoids

    l'chec permanent qui

    caractrise

    leur univers: L'illusion

    car ces person

    nagesvivent sans cesse leur

    rve

    et

    l'habitude

    ils refont

    sans

    cesse les

    mmes gestes

    sont

    la garantie

    de

    leur

    survie.

    Recommencer

    tous les

    jours,

    tel

    est leur

    lot,

    alors

    que les hros des bandes plus classiques font

    tout pour

    se

    maintenir.

    D une

    contrainte

    (la

    livraison quotidienne),

    l'auteur des

    Peanuts,

    en

    la

    pliant

    la

    forme

    de son monde,

    en

    a

    fait

    une

    force. Et si l on

    dcle

    depuis

    quelque

    temps une tendance

    au

    flchissement, nous sommes encore trs loin

    de

    ces

    strips qui se sont attirs les

    foudres

    des comics dvastateurs

    de

    l under

    ground pour

    cause

    d'inanit graphique.

    La facture des strips classiques (comiques ou

    non) est

    tout autre; l'argument

    dsesprment rcurrent (alors qu il

    tait .

    miraculeusement

    sauvegard

    chez

    Schulz) nous apprend que Maggie s'est achet un

    nouveau

    rfrigrateur ou que

    Juliett

    refuse

    de voir son fianc

    pour

    la raison qu'elle a des boutons

    sur le

    visage.

    La nullit ou l absence

    d'information

    n a

    que

    peu d'importance en

    l'occurrence

    :

    hormis

    la

    fonction phatique signale plus

    haut,

    ce qui

    compte

    ici ce sont les

    imperceptibles

    rajustements qui

    accompagnent,

    au fil des mois, les

    hros

    de

    ces

    imprissables

    sries

    (Blondie

    date

    de 1930, Dick Tracy de 1934,

    Uil Abner

    de935)." C'est

    ainsi

    qu on

    est

    amen

    remarquer que les meubles changent, que les

    jupes

    rallongent

    ou raccourcissent, en bref, toute dfalcation faite du scnario,

    que

    le

    quotidien prend sa forme dans

    le

    moule mme du conformisme, fut-il

    l objet d une

    constante

    radaptation. A

    propos de l'art de masse,

    R.

    Hoggart

    crit

    dans

    la

    Culture du

    pauvre

    1 : La

    passion

    du petit dtail dans

    la

    description

    des

    gens et de leur condition est le premier trait

    qu il faut prendre

    en

    consid

    ration

    our

    comprendre l'art des classes populaires. Le got de l anecdotique,

    du

    domestique,

    que

    l on retrouve

    dans

    la presse

    sensation,

    celle justement

    qui hrose

    la

    vie, est ici

    rig

    au rang

    d'institution.

    L'art populaire, crit encore

    notre

    auteur,

    est fondamentalement un art

    qui

    vise montrer (par

    opposition

    un

    art

    d analyse

    ou d'investigation),

    il

    met

    en

    scne

    ce

    qui

    est

    dj

    connu,

    partant

    du principe

    que la

    vie

    est

    passionnante en elle-mme.

    Son

    objet de

    prdilection, c'est la vie en ses formes particulires et immdiatement reconnais-

    sabls. Sa vocation

    est

    d abord celle du

    miroir mme s'il est capable

    de tous les

    fantastiques.

    Alors

    que

    les vignettes d un

    Schulz

    retrouvent plus ou moins consciemment

    les voies

    du

    dessin humoristique ou

    satirique

    d' antan (le dcoupage traduit

    en

    effet l'articulation narrative

    et

    fort

    peu

    celle

    d'une

    problmatique fable), les

    dessins d'une srie comme Bringing up father (Illico) ressortent,

    quant

    eux,

    1.

    R.

    Hoggart,

    La

    Culture du

    pauvre,

    d.

    de

    Minuit,

    1972.

    11

  • 7/21/2019 Fresnault-Deruelle- Du Lineaire Au Tabulaire

    7/18

    Pierre

    Fresnault-Deruelle

    de

    la

    tradition feuilletonesque, mme si ces derniers

    forment

    chaque jour des

    units autonomes.

    Les

    Peanuts comme

    les nouvelles

    B.D.

    intellectuelles

    (B.C.,

    Doonesbury, etc.) manifestent une tendance de

    plus

    en

    plus

    prononce pour la

    mise

    en scne de

    personnages

    statiques

    (Feiffer,

    Copi, Bretcher),

    pourtant

    les

    dcors

    sont rduits

    au

    minimum

    puisque

    le

    hros

    n a

    pas

    besoin

    d'accessoires.

    Blondie ou

    Sam

    et Zette, en

    revanche, tous remplis

    de galopages,

    ncessitent

    force

    items

    sur lesquels le cartoonist ancre ses effets. Le dnuement

    des

    premires

    sries

    mne

    immanquablement la rflexion qui, si elle

    n'est

    pas philosophique,

    ne

    se situe pas moins

    pour autant un certain degr niveau

    d abstraction;

    le relatif

    encombrement

    des secondes,

    par contre, connote

    l'enlisement des

    personnages

    dans le sicle et s'achve le plus souvent sur une

    morale proverbiale

    o le dri

    soire le dispute un bon

    sens empreint

    de

    poujadisme1.

    Un

    point

    commun

    cependant : les unes

    et

    les

    autres

    paraissent avoir en commun d'tre

    la

    forme

    moderne

    de la tradition populaire des proverbes, dictons

    et

    autres maximes.

    Chaque strip est une fable (Pogo en assure jusqu la lettre puisqu il s'agit

    d une

    srie

    animalire)

    qui aboutit

    sur

    un

    constat

    plus

    ou

    moins

    cuisant (gag),

    souvent cruel et structuralement parlant sans issue. L exprience dcrite, loin

    d'tre

    didactique

    ce qui

    supposerait

    qu elle soit prsente

    comme un dbut

    et non une conclusion2, est oriente vers la rtrospective, sur ce qu il aurait

    fallu justement

    viter et

    qui

    pour

    cause ne l a pas

    t (Illustration n 2).

    fmatwpoc

    ccHWfc.

    s .os maxBS

    eeoaatTBS

    ^

    io.

    OnpM.lt

    Illustration extraite de Charlie-Mensuel.

    L'empirisme au jour

    le

    jour

    vcu par

    les

    personnages

    dbouche

    sur la

    raillerie,

    la rsignation, au mieux

    sur le fin mot. Ainsi Pogo ou

    Illico

    donnent-ils un

    moule

    gnral

    nos

    petites contrarits quotidiennes

    comme les locutions enclosent

    nos

    expriences

    sans que celles-ci

    cessent pour

    autant d'tre des lments de

    dtails

    dans

    l'univers du

    distinct3 . D o

    cette

    sensation d'miettement de la

    vie

    la

    lecture de

    ces

    recueils de

    strips

    dits

    maintenant sous

    forme

    de

    livres.

    Cet grnement de

    mini-dconvenues reste une multiplicit d'lots

    plus

    appr

    hends sur le mode de la juxtaposition 4 que de la liaison : l'univers des strips

    est l'univers qui sait

    s'additionner

    mais

    pas

    se multiplier.

    1. Cf. R. Barthes, Mythologies,

    Seuil, 1957,

    p. 96-98

    et 205,

    212.

    2. Cf. A. Jolies, Formes simples,

    Seuil, 1972,

    p. 127.

    3. Ibid.,

    p. 125.

    4.

    Et

    ce malgr

    la

    reprise

    thmatique

    de

    certains

    strips,

    cf.

    supra.

    12

  • 7/21/2019 Fresnault-Deruelle- Du Lineaire Au Tabulaire

    8/18

    Du linaire au tabulaire

    Les

    strips

    suites.

    Le

    monde

    du

    feuilleton proprement

    dit

    (les strips

    suites :

    Modesty

    Blaise,

    Rip

    Kirby,

    etc.)

    se

    dploie

    sous

    nos

    yeux d'une

    faon

    fort

    diffrente

    :

    retirement

    est

    sa loi.

    Ce dernier

    confine

    parfois

    une

    extraordinaire inflation de l' aspec-

    tuel en regard d'une

    action dispense par ailleurs

    doses homopathiques.

    Prcisons un

    peu

    les

    choses

    : par aspectuel nous entendons les modalits de

    l action

    (multiplication

    des

    ambiances,

    cadrages, etc.) telle qu elle nous est

    offerte

    travers

    la

    prolifration des

    attitudes (voire leur

    dcomposition)

    et

    l'pellation

    intimiste

    du

    dcor

    des aventures contes

    (Illustration

    n

    3).

    La

    La

    complexit.

    Les

    relations

    entre les personnages ncessitent

    de nombreux

    dialogues; afin

    d'allger au maximum le contenu

    des

    ballons, le scnariste procde

    une troncation du

    discours,

    ainsi distribu

    sur

    plusieurs

    vignettes.

    La

    table ne progresse

    gure; en

    revanche

    nous assistons

    une vritable

    enqute

    sur

    les gots

    de

    l'hrone en matire vestimentaire.

    camra du cartoonist s'immisce partout.

    N'tait

    le souci pointilleux des

    censeurs qui

    veillent

    la

    bonne

    tenue des

    strips *, le voyeurisme invitabl

    ement

    i

    au genre

    s'engagerait

    vite sur

    la

    voie pratique

    par

    les B.D.

    pour

    adul

    tes .

    Ce

    regard

    indiscret

    surprenant

    volontiers

    les

    personnages

    dans

    leur

    quoti

    diennet

    rpond

    une double attente

    :

    1. le

    voyeurisme

    cit il y

    a

    un instant et

    dont la tradition remonte au Quattrocento

    ; 2.

    le

    besoin

    pour le scnariste

    d

    en

    rajouter sans cesse

    non

    pas

    tant pour remplir son contrat

    (noircir

    ses

    quatre

    cases) que

    pour

    honorer sa dette de

    participation au jeu structurel

    auquel

    il

    contribue

    :

    dcouper le monde

    (cf.

    infra) ou plutt le

    rduire

    une somme

    de

    signes interchangeables. Mais chez les plus grands

    cartoonists

    (Printice,

    O Donnel,

    etc.) un quilibre dans la composition

    des

    strips permet une gratification

    phan-

    tasmatique du lecteur sans

    que

    ce

    dernier

    se

    laisse

    envahir

    par

    le

    sentiment

    d'artifice,

    l'impression de

    remplissage

    ne

    s'imposant

    que lorsque l action

    est

    reconnue comme prtexte (la rtention

    narrative

    conue comme suspense ne doit

    pas

    dpasser

    un

    certain

    seuil critique).

    En

    dernier

    ressort

    tout

    dpendra

    de

    ce

    que

    cherche l amateur de comics.

    S il

    est

    avide

    de ralisations, il

    sera

    immanq

    uablement du par le daily strip;

    si

    au

    contraire il s'accorde avec l auteur

    pour

    reconnatre

    que

    l'action

    vient

    en bonne

    seconde

    derrire cette propension que

    1. Les

    strips

    comme les

    publications

    destines la

    jeunesse

    en France sont

    troit

    ement urveills (existence aux U.S.A.

    d'un

    Comic

    Code,

    etc. et

    d'un

    rglement

    pour

    notre pays) par

    les syndicates (UFS,

    Operamundi, Intermonde, etc.). Ces syndicates qui

    monopolisent le march des comics

    bannissent

    certains sujets et vont jusqu examiner

    la

    forme

    des

    espaces

    entre

    les

    personnages

    13

  • 7/21/2019 Fresnault-Deruelle- Du Lineaire Au Tabulaire

    9/18

    Pierre Fresnault-Druelle

    nous avons tous cultiver le

    familier

    ou son

    image,

    mais

    aussi le code (le ft

    ichisme) *, alors

    le

    spectateur pourra

    concider

    avec l'indestructible Dsir,

    ce

    dernier serait il

    dvoy.

    Pour

    toffer

    leurs strips au maximum, les cartoonists ont recours ce que

    nous

    pourrions

    appeler

    la

    technique

    du

    dcrochage

    .

    Cette

    dernire

    consiste

    offrir

    au lecteur,

    partir

    d un

    moment donn,

    des vignettes formellement diffrentes

    des prcdentes mais entretenant avec elles

    des

    rapports

    d quivalence sman

    tique le

    contenu des ballons sauve en

    gnral

    les vignettes de

    la pure redon

    dance).

    Le rcit se fige,

    pour

    se

    boursoufler

    dans l aspectuel dont nous

    avons

    dit

    un

    mot plus haut. Fort de

    la

    caution

    selon

    laquelle

    la

    varit est gage de

    nou

    veaut, le dessinateur peut ainsi

    dbrayer

    en

    toute quitude. Le syntagme

    stripologique

    maquille de fait une suite iconique de type paradigmatique,

    laissant

    l'auteur libre

    de s'adonner

    la

    variation des

    points

    de vue

    et

    de

    crer

    une atmosphre. Cette lasticit

    du

    rythme

    digtique

    est rendue possible grce

    au

    caractre indiffrenci

    des espaces blancs sparant

    chaque

    vignette. Partout

    identiques,

    ils varient

    pourtant sans cesse

    de

    valeur

    (spatiale

    et /ou

    temporelle).

    Or, parce qu ils jouent le rle de chane de liaison

    entre

    les dessins, l il a ten

    dance

    voir en eux

    le

    moteur

    par excellence

    de

    la progression

    de l action

    (ce

    bond ludant l'insignifiant).

    C'est

    faire

    peu

    de cas de la narration

    et

    l on sait

    les

    pitinements

    qu'elle

    peut imposer la

    fable

    On

    aurait

    tort de voir dans cet tirement

    un

    simple truc d'auteur, unique

    ment oucieux de remplir son contrat, mme si ce

    fait

    doit entrer en ligne

    de

    compte dans l'apprciation

    du

    montage. L espace blanc

    entre

    les images,

    qui

    permet

    tous les

    caprices

    de composition

    en matire

    de vitesse de rcit

    2, assure

    au scnariste un volant de manuvre indispensable,

    en

    particulier pour la struc

    turation des

    rcits

    vous aux servitudes du dcoupage

    quotidien.

    Le

    temps

    de

    l action peut tre arrt et l. La rtention des faits devient alors le

    lieu

    d un

    suspense

    qui

    a

    dmarr

    incognito

    3.

    La technique utilise

    par

    les

    cartoonists pour faire durer leur

    rcit

    doit tenir

    compte de l'impratif

    commercial

    qui

    exige

    qu on termine chaque

    strip

    sur

    un

    temps

    fort permettant

    la relance digtique et incitant le lecteur

    se reporter

    rgulirement son quotidien habituel

    4.

    En fait

    la

    difficult

    n'est

    pas si grande

    qu on croit. Si l'on se livre l'exprience

    qui consiste oprer

    une coupure au

    hasard

    dans le continuum d'un comic-book,

    on s'aperoit que

    la dernire vignette

    pargne prend ipso

    facto

    une

    dimension

    nouvelle (une sorte

    d

    effet

    koulechov

    rebours). La charge

    dramatique

    dont elle se valorise soudain s explique de la

    faon qui suit : le final du

    strip

    (rappelons

    que

    nous

    parlons

    de strips suites

    et

    1. Cf. J. Baudrillard, La Rduction

    smiologique ,

    in Pour une critique de

    Vco-

    nomie politique du signe, N.R.F.,

    1972.

    2. La

    vitesse de rcit

    rsulte

    de

    la saisie

    par la conscience de la

    progression couple

    de la fiction et de la narration. Sur ce

    point particulier

    voir J. Ricardou, Problmes du

    nouveau roman, Seuil, 1967, p. 164.

    3. On retrouve naturellement ce processus

    dans

    les pages

    de comics livrs chaque

    semaine dans

    les

    journaux pour adolescents.

    La

    tendance, pourtant, veut qu'on

    se

    dirige

    actuellement

    vers des rcits

    complets.

    4.

    Les comics

    ne se sont dvelopps aux U.S.A. que parce que les

    journaux

    qui les

    supportaient

    agaaient

    l'attente d'un public toujours plus avide de

    ce

    type de pro

    duction. Les

    strips

    constituant un important facteur de vente,

    les

    directeurs de jour~

    naux

    n'hsitaient pas

    dbaucher

    des cartoonists

    qui

    travaillaient

    chez

    leurs

    concurrents

    14

  • 7/21/2019 Fresnault-Deruelle- Du Lineaire Au Tabulaire

    10/18

    Du linaire au tabulaire

    non des

    gags

    en quatre dessins) est reu comme un arrt sur

    l'image,

    c'est--dire

    comme un signal

    paraissant prcder

    le moment important qu on a soin

    de pr

    parer 1.

    Tout

    geste, toute

    attitude

    bauche, confront au mur blanc de

    la marge

    tendance tre lu

    aussi

    pour lui-mme et

    non plus

    dans la

    coule de

    la

    lecture o vient s'articuler

    la

    digse.

    Reste

    que la suite est parfois dcevante

    en

    regard de

    l'attente suscite.

    Le

    mouvement

    suspendu,

    o

    dj

    se

    lit

    le

    projet

    de son accomplissement,

    tombe

    . plat. Formellement pourtant, rien qui ne

    droge

    la rgle, la solution

    de continuit

    impose par

    les

    raccords

    relve

    des

    lois du

    genre; mais, sous le couvert d'un

    dcoupage

    apparemment dramatique,

    c'est un

    dcoupage

    rellement typographique (commercial) qu on a

    propos au

    lecteur.

    DiffrA /Ence.

    S il

    a

    t

    rpandu,

    ce type de

    leurre est devenu assez

    rare.

    Le suspense

    dans les

    sries

    d'aventures >

    correspond

    maintenant, avec des cartoonists chevronns

    comme Printice (Rip Kirby) ou Al Williamson

    (Agent

    Corrigan),

    un

    dcou

    page e

    plus

    souvent

    consquent:

    Ce type

    de

    dcoupage, par ailleurs, n'est pas

    le

    seul utilis :

    l'instar

    des strips autonomes, la

    dernire

    case peut tre

    investie

    d'une valeur conclusive

    drle

    ou

    dramatique. Un exemple particulirement

    frappant nous est

    offert par Herg dans son rcit intitul le Secret de

    la

    licorne.

    Prcisons

    d'emble

    qu il s'agit de la premire version de ce rcit publi

    quoti

    diennement sous forme

    de

    strips,

    en 1942, dans le journal belge le Soir (repris

    plus

    tard chez

    Casterman).

    Extraordinaire pisode

    que celui

    o le compagnon

    de

    Tintin,

    le capitaine Haddock, entreprend de

    raconter

    au hros les circons

    tances au cours desquelles

    son

    anctre

    (le

    chevalier

    Franois

    de

    Haddoque)

    livra

    bataille au pirate Rackham le Rouge. Avec

    un

    sens

    consomm

    du rythme,

    Herg nous

    livre

    l narration (Haddock

    qui

    raconte) et

    l objet de

    la narration

    (la scne raconte /vcue /vue). Alternent donc des

    images

    d'un prsent d vo

    cation et celle

    d un pass d autant plus actualis qu anctre (Haddoque)

    et

    descendant

    (Haddock)

    se ressemblent,

    n'taient

    les

    costumes,

    comme

    deux

    gouttes

    d eau.

    Le capitaine, qui s'est

    arm

    d'un sabre d abordage

    et

    d un

    cha

    peau plumes d'autruche, relique et support la fois de son

    rve,

    revit littrale-,

    ment,

    sous

    l'empire de

    l alcool,

    la scne

    qu il

    voque

    pour

    son ami. Dans le

    journal le Soir (Illustration n 4) le

    dcoupage

    du cartoonist mnage des finales

    Victoire.'...

    Rackham le Pouce

    est

    liquid . .Et

    o-no-ho et

    m- "-

    -r"fr-"r Hertium.',-

    Extrait

    de

    l'album, le

    Secret

    de la licorne

    par

    Herg.

    by

    ditions Casterman.

    o alternent suspense et conclusions (ouvertures et fermetures). Le sommet

    en la matire

    est atteint avec la dernire

    vignette du

    strip

    ici

    reproduit. Haddock

    est sur le point de liquider son ennemi. Le combat fait

    rage.

    Dans son

    emporte

    ment,e capitaine heurte le portrait de l'anctre accroch au mur. Le tableau

    I. Cf. notre article, La Page de B.D., unit commerciale de narration , in La Nouv

    elle Critique, n 47.

    15

  • 7/21/2019 Fresnault-Deruelle- Du Lineaire Au Tabulaire

    11/18

    Pierre Fresnault-Deruelle

    (le pass)

    tombe sur Haddock qui

    crve la toile et vient

    s'ajuster,

    en

    lieu

    et

    place

    de la tte

    du

    chevalier. Devenu son propre hros (comme les badauds sur les

    foires qui

    prtaient leur

    tte aux silhouettes auxquelles

    il

    manque

    un

    visage),

    le personnage s'est, la lettre, encastr /incarn dans son modle.

    Sur

    le plan

    de

    l'imaginaire,

    la

    transfiguration

    du marin (voyez sa

    joie) concide avec la rali

    sation

    de son

    phantasme.

    Du

    point de

    vue

    du

    dcoupage,

    la

    chute

    du

    strip

    rejoint

    celle du tableau, elle-mme signe de la double consommation suggre : la

    mort

    de l'ennemi et la joie

    du hros. Pour

    une fois la

    ralit,

    fut-elle mtaphorique,

    s est

    hisse

    jusqu la plnitude du rve. Le lecteur,

    combl,

    en a

    pour

    son argent.

    Les problmes de

    composition

    formelle

    voqus, nous

    voudrions pour

    terminer

    cette premire partie attirer l'attention

    du

    lecteur

    sur

    le.

    contenu des strips

    suites en regard de

    l'actualit

    laquelle,

    parfois, ils se

    rfrent.

    On sait,

    pour

    les

    avoir

    vus

    pendant vingt

    ans dans

    les

    gares, que

    les

    bandes dessines trouvrent

    dans

    la relation

    des faits de guerre

    un

    terrain quasi inpuisable. Les rcits bell

    iqueux

    mettant

    aux prises des

    G.I. et

    des

    soldats japonais commencrent

    ds

    le

    dbut

    de l'entre en scne

    des

    U.S.A. sur le thtre

    des

    oprations.

    On

    assista

    donc,

    ds les

    premiers

    jours

    du

    conflit

    sur

    le

    front

    du Pacifique,

    un

    enregistr

    ement

    es hros

    de comics dans les rangs de

    l arme

    1. Les

    sries

    en cours durent

    procder une

    certaine

    reconversion.

    Or

    un

    scnario, fut-il

    tronqu

    en pisodes

    de quelques

    vignettes,

    n'est

    pas

    un argument

    manipulable

    merci.

    C'est ainsi

    que,

    pour

    avoir conduit son hros en

    un lieu

    fort

    loign des U.S.A., le

    dess

    inateur Milton

    Caniff ne

    put

    permettre

    Terry (Terry

    and the pirates) de

    faire

    son entre en temps

    et

    heure dans les forces

    ariennes.

    Cet exemple rapport par

    les historiens de la B.D. 2

    illustre

    avec clat les

    difficults que peuvent

    rencontrer

    les cartoonists qui font appel aux faits saillants de

    la chronique

    contemporaine

    vcue au jour

    le

    jour. Faisant le plus souvent contrepoint

    par rapport

    l poque

    qu ils retaillent la

    dimension

    de leurs

    dessins,

    les strips chouent

    partiellement

    dans

    leur

    entreprise

    (des

    dcalages

    entre

    les

    faits et

    leur intgration

    dans

    l imagi

    naire

    ollectif sont

    parfois sensibles).

    Entre le fait et sa reprise

    dramatique

    par

    les mdias, s'interposent les contraintes technologiques. Lorsqu

    ces

    contraintes

    doivent

    s ajouter

    les exigences de

    la fiction, le

    dlai de

    rajustement peut tre

    fatal (la B.D.

    est un

    art de l'phmre). C'est peut-tre une des

    raisons pour

    lesquelles

    la science-fiction,

    qui

    ne craint

    pas

    en principe ces revers, trouve aujour

    d hui n nouvel

    lan

    dans les comics d aventures

    (Jeff Hawke

    de Sydney

    Jordan).

    B.

    DE

    LA VIGNETTE A LA PAGE

    OU L ESPACE GOMME

    SIGNIFIANT3.

    Comme nous le disions au dbut de cette tude,

    la

    planche de comics n'est

    parfois qu un regroupement de strips. Certaines

    pages qui constituent des

    units

    hebdomadaires

    de narration

    continuent d'obir

    cette

    logique linaire

    du

    rcit

    1. B.D.

    et Figuration

    narrative, op. cit., p. 83.

    2.

    P.

    Couperie, Cl. Moliterni (B.D. et Figuration narrative, op. cit.). Si

    Caniff

    rata

    le dbut

    de

    la

    guerre,

    il se

    rattrapa bien vite en publiant

    entre autres

    une

    srie

    spcialement conue

    pour

    les G.I.

    du

    front

    :

    Male

    Call.

    3. Cette

    partie de l'article fait

    partie d'un

    ensemble plus

    large, publi

    par la revue

    du

    C.R.D.P. de Bordeaux (Messages

    n

    5). C'est l'aimable autorisation de son

    directeur

    qu'elle

    peut figurer ici.

    16

  • 7/21/2019 Fresnault-Deruelle- Du Lineaire Au Tabulaire

    12/18

    Du

    linaire au tabulaire

    par

    tranches (strips) comme

    s'il

    s'agissait seulement d'octroyer au lecteur une

    portion digtique plus

    importante

    que

    celle consentie dans les

    quotidiens. A

    quelques nuances

    prs,

    c'est de cette faon que

    procde encore une large

    partie

    des

    auteurs

    de la presse pour adolescents. Il n'en est pas (et n'en fut pas) cepen

    dant oujours de mme.

    Lorsque

    les

    cartoonists

    purent

    disposer

    de

    pages

    entires

    dans

    les

    journaux,

    l'uniformisation des rectangles tendit peu peu se relcher. Sans ncessair

    ement

    enier la

    fragmentation

    fonctionnelle

    conquise de haute lutte

    raconter

    des histoires

    travers

    une discontinuit

    et

    non plus illustrer par une

    juxtapos

    ition

    les artistes graphistes

    retrouvrent

    des

    procds

    figuratifs fort anciens

    qu ils

    vivifirent de leurs nouvelles techniques. La composition

    des

    pages

    devint

    la

    recherche d'une intgration du jeu des

    variables

    visuelles de l image

    (forme,

    surface,

    valeur, couleur) au

    plan

    d'ensemble reprsent par la

    surface

    impri

    mable.

    D emble une

    contradiction se fit jour dans

    la

    pratique des cartoonists.

    Ces

    derniers furent trs vite tiraills

    entre

    deux tendances a priori

    antagon

    istes

    d'un ct

    raliser une planche,

    construire

    un ensemble

    deux

    dimensions,

    avec

    tout

    ce

    que

    cela suppose

    comme

    mise

    en

    forme,

    de

    l'autre, raconter une

    histoire,

    i.e

    susciter un

    espace-temps

    fractionn et

    perspectif.

    Cette tension

    pourrait galement

    se

    formuler

    de la

    faon

    suivante : comment,

    en

    partant

    d une fragmentation diversifie, arriver matriser la

    disparit

    des

    points

    de vue

    dans une construction unifiante?

    Autrement dit,

    encore, comment concilier

    surface

    et

    espace?

    Il

    va sans

    dire

    que le

    problme ainsi pos n'est

    qu une instance

    mthodologique susceptible de nous aider aborder une pratique spcifique

    d un point de vue smiologique, tant entendu que

    notre

    approche

    chercher

    des structures

    n a rien

    voir

    avec la

    pratique

    elle-mme

    :

    faire des

    B.D.

    1.

    Ce

    fut la

    recherche passionne

    pour faire

    concider

    forme de

    l expression

    et

    forme du

    contenu

    qui

    est

    l'origine des

    tentatives originales

    de

    mise en

    page.

    Entit commerciale

    de narration,

    la

    page

    s'offrit

    pour certains

    comme

    le

    lieu

    d une

    mise

    en scne

    o

    les

    images,

    en plus de

    leur valeur

    digtique propre,

    devaient s'inscrire

    dans une

    structure

    coiffante, la fois

    seconde

    et

    esthtique

    mentr-formante. De

    1937

    1948, le

    dessinateur scnariste

    franais R. Pellos

    prsenta ses

    lecteurs des

    planches dont l'agencement

    retient

    particulirement

    l'attention. Il

    s'agit de son uvre Futuropolis ou

    les

    cartons s'interpntrent

    selon

    des

    contours indits, se mlent selon

    des

    lignes brises,

    des

    zigzags,

    des

    arcs-en-ciel, et renforcent la tension

    dramatique

    de la

    planche

    qui

    finit par explo

    ser en un choc visuel et psychologique

    d'une

    forte

    intensit2

    . Un principe

    rgit la

    composition des

    pages

    : l'laboration

    d'une

    symtrie

    en accord avec le

    signifi global

    de

    narration. Un quilibre

    des

    masses antagonistes

    rythme

    par

    exemple

    les

    scnes

    de

    combat,

    et

    les cartoons

    pousent

    les

    lignes

    de

    composition dudessin

    qu'ils

    renferment. Aux

    U.S.A.,

    F.

    Godwin (Connie

    partir

    de

    1937) renona

    lui aussi trs souvent

    la

    fragmentation classique des pages de faon pouvoir

    composer ces

    sortes de calligrammes

    abstraits. Une structure

    supra-segmentale

    1. Dans

    son livre Langage et Cinma,

    Larousse, 1970,

    Ch.'

    Metz

    crit

    (p. 56) : Le

    parcours du

    smiologue

    est parallle (idalement) celui du spectateur (...); c'est le

    parcours d'une lecture , non d'une

    criture

    ; mais le

    smiologue

    s'efforce d expli

    citere parcours dans toutes ses parties alors que le spectateur le franchit d'un trait et

    dans l'implicite, voulant avant tout comprendre

    le film.

    Le

    smiologue

    voudrait en

    outre

    pour

    sa part comprendre

    comment

    le

    film est compris.

    2.

    B.D.

    et Figuration narrative, op. cit., p. 158.

    17

  • 7/21/2019 Fresnault-Deruelle- Du Lineaire Au Tabulaire

    13/18

    Pierre Fresnault-Deruelle

    s'organisait en

    une rhtorique

    du

    puzzle,

    engendrant des connotations

    diverses

    (par exemple la

    solidarit

    du hros au centre d une composition radiale 1.

    Ces

    pages

    s'affichent comme

    des

    collages-restitution o le simultanisme

    plus

    statique

    que dynamique

    du point de vue de l'intrigue

    sinon

    du mouvement

    permet justement ces

    sortes de flottements

    entre

    les codes de

    la reprsentation

    (surface)

    et

    ceux

    du reprsent

    (l espace fictif

    trois

    dimensions)

    2.

    La

    page

    fonc

    tionne

    la fois comme

    systme (signifiant)

    et

    comme

    nature

    (signifi).

    Le quadrillage orthogonal des

    planches.

    La pratique qui consiste jouer de

    la

    discontinuit du signe

    (le

    cadre rigide

    des

    vignettes,

    leur sparation) pour qu en fin de compte lui

    soit

    substitue une

    instance

    unifiante

    (la composition d un

    signifiant

    de connotation : exemple,

    la

    forme

    du puzzle),

    cette

    pratique l n'offre

    pas,

    on s'en

    doute, toute la

    maniabilit

    souhaite en matire de narration. L'esthtisme risque trs vite de

    prendre

    le

    pas

    sur

    le

    fonctionnel

    (de

    fait,

    de

    nombreuses planches

    apparaissent

    comme

    des

    exercices de style le plus souvent

    gratuits).

    Seul

    un

    arbitraire

    pleinement

    assum

    (le quadrilatre indiffrenci) peut, notre sens, garantir

    la discursivit

    iconique

    souhaite.

    La nostalgie

    d'une

    langue o signifiant et rfrent

    se nourriraient

    d une

    rciproque osmose est un

    mythe

    producteur

    de rares

    et

    accidentelles

    russites. Les motivations dans

    l conomie tabulaire des

    vignettes pourtant

    ne

    sont pas absentes des comics, bien au

    contraire.

    Il faut seulement qu un fi

    ltrage

    puisse

    permettre

    aux

    cartoonists

    de

    composer

    leurs planches

    partir

    d un systme maniable (universel). Outre quelques images circulaires ici ou l,

    les pages sont

    conues

    en fonction

    d un

    dcoupage

    orthogonal o la

    forme des

    cartoons peut tre la fois

    signifiante et programme.

    Abscisses

    et

    ordonnes

    imposent

    aux

    auteurs une marge de

    manuvres plus

    restreinte,

    mais

    plus

    srement

    pertinente.

    Le style de l'artiste doit

    se

    couler dans un

    code3.

    C'est

    B.

    Hogarth,

    reprenant Tarzan en

    1947

    (lanc dans les B.D. par

    Foster),

    qui

    donnera

    au systme

    des

    rectangles son expression la plus consomme. Trois

    bandes horizontales et trois verticales et sur

    cette

    grille

    compose de neuf rec

    tangles gaux, il joue

    son aise en

    combinant

    les cases deux

    par

    deux,

    par trois,

    verticalement,

    horizontalement, en carrs de

    quatre

    cases,

    obtenant

    ainsi une

    mise

    en

    page souple et

    calme (...)

    et

    autorisant des variations de format que

    1.

    Autre

    connotation du puzzle : la reconstitution

    policire.

    2.

    Autres exemples

    de

    compositions

    calligrammatiques

    :

    Little

    Nemo

    in

    Slumberland

    de

    McCay

    (Horay d., 1969), planche

    du

    22/10/1905, et d'une faon quasi systmati

    quees comics-books

    amricains.

    Ex.

    The Phantom, Charlton comics

    n

    30, fvrier

    1969,

    cit

    in

    Les

    Bandes dessines

    (publications

    du C.R.D.P. de Bordeaux), p. 88. On

    citera

    galement la photo-synthse-

    utilise en

    publicit; cf. La

    Grammaire de l'image

    d'A.

    Plcy,

    Marabout-universit,

    1971.

    3. Roman Gubehn

    dans

    Imagen

    Y sonido,

    aot

    1970 (n 86, p.

    9) crit :

    Formelle

    ment

    ne page de

    comics

    peut

    se

    dfinir comme un groupement de

    vignettes

    qui couvrent

    sa surface entire,

    mais cette dfinition simplement descriptive

    n'est pas

    satisfaisante

    (...),

    il

    nous parat

    plus rigoureux de dfinir

    la

    page de comics comme une

    structure

    de mont

    age particulire

    certains comics, qui se

    caractrise pour

    avoir

    t

    conue

    et ralise

    pour tre reproduite

    sur toute la surface d'une

    page

    afin

    d'obtenir une unit

    graphique

    et une cohrence

    plastique globale.

    18

  • 7/21/2019 Fresnault-Deruelle- Du Lineaire Au Tabulaire

    14/18

    Du linaire au

    tabulaire

    jalouserait

    le

    cinma

    enferm dans le cadre immuable

    de l cran (...)

    1 . Les

    variations du

    format

    des vignettes jouent

    galement un

    rle important dans les

    B.D.

    comiques,

    spcialement

    celles pour

    lesquelles chaque

    page

    doit corre

    spondre une action complte :

    la

    surface

    est

    divise de telle

    manire

    qu une place

    importante

    est rserve

    la

    dernire

    image

    en

    laquelle

    culmine

    le

    gag

    amen

    son point optimum (Achille Talon de Greg). Le cartoon s'enfle

    symboliquement

    aux

    dimensions

    du

    signifi

    de connotation :

    l'normit

    de

    la

    situation.

    Les

    divers lments

    accumuls peu peu au cours du

    rcit, et finalement rassembls

    en

    une synthse catastrophique, s'offrent dans le plus expressif des bouquets

    htroclites 2.

    Avec les

    gags

    en

    une page, la

    planche

    est au

    sens

    plein

    du

    terme

    le

    thtre

    d une vritable

    mise

    en scne. Le doute

    n'est

    plus ici

    permis

    lorsque

    nous ajouterons que, jouant, parfois de rectos intermdiaires,

    le

    cartoonist

    cache

    un

    instant aux yeux du

    lecteur

    son

    dernier

    dessin

    agrandi

    au

    format

    de

    l'imprim

    (Achille

    Talon,

    Pilote, 1970, I, 2). Dans un hebdomadaire,

    en

    effet,

    des

    sries peuvent

    venir s'intercaler

    entre

    les pages d'un mme rcit 3. En l occu-

    rence un

    pas

    de

    plus

    a

    t

    franchi.

    Il

    n'est

    plus

    question

    de

    la

    vignette

    ni

    de

    la

    page,

    mais du journal

    lui-mme,

    partir

    duquel

    notre

    propos

    doit tre renvisag.

    Il

    s'agit incontestablement d une

    amorce nouvelle

    de

    la

    vision-lecture des

    imprims.

    Mais adapter le format des vignettes

    la

    recherche

    d'effets

    stylistiques est

    une

    opration qui s accompagne parfois de

    revers

    non ngligeables. L agrandisse

    ment

    une

    image

    occasionne

    invitablement

    des

    modifications dans la taille

    des autres vignettes qui doivent, de ce fait, s adapter aux donnes orthogo

    nales

    u

    cartoon de rfrence :

    pour

    un format

    vritablement

    signifiant,

    combien

    d images n apparaissent plus

    que

    comme des units ajoutes, destines combler

    un

    vide structurel.

    S il n'y

    est pris garde,

    la

    recherche d une

    pertinence dans la

    variation

    de surface des vignettes peut se retourner contre elle-mme. C est

    peut-tre

    une

    des

    raisons

    qui

    poussrent

    McCay

    4

    tabler

    sur

    l'indiffrenciation

    des formelles

    des

    vignettes de ses planches. Little

    Nemo,

    comme

    on

    sait, raconte

    l'histoire

    d un petit garon

    poursuivant

    travers

    ses

    rves

    l objet

    de ses chimr

    sla princesse de

    Slumberland. A chaque

    page correspond un pisode

    de

    cette

    qute invariablement

    arrte

    au bas de

    la

    feuille

    par

    le rveil du

    hros,

    debout

    au

    milieu

    de son

    lit.

    Chaque planche

    rembraye

    directement dans

    le

    rve.

    Le

    format

    des dessins, qui peut

    varier

    d'une

    page l'autre et qui

    semble

    choisi

    en

    fonction du

    milieu

    trait (palais,

    rue,

    zoo, etc.), va servir de patron pour

    tous

    les cartoons de la

    planche. On

    trouvera ainsi

    des pages faites

    uniquement

    de carrs ou de

    rectangles

    gaux,

    voire

    de quatre ou

    cinq

    strips continus. Comme

    au

    cinma

    5, le cadre o vient s'investir

    l'image

    reste gal

    lui-mme.

    Les

    hiatus

    1. B.D. et Figuration narrative,

    op.

    cit.

    2.

    Pouvant galement concorder

    avec

    une

    image choc, le dernier dessin d'une planche

    peut

    tripler,

    quadrupler

    de

    surface par rapport au

    prcdent,

    pour

    la raison qu il dvoile

    un

    paysage grandiose : il s'agit de

    l'entre

    du

    hros

    sur

    une scne

    imposante.

    3.

    Certaines publicits

    ont dcouvert rcemment ce type d'agencement.

    4.

    W. McCay,

    Little Nemo in Slumberland, rdit en France

    par P. Horay

    en 1967,

    paru dans le

    New

    York Herald partir de

    1904.

    On notera, en correctif, la prsence de

    dessins rompant

    parfois avec la rgularit des planches classiques. Telle srie de vignettes

    en escalier

    grandissant au

    fur

    et

    mesure

    que

    le

    personnage s'enfonce plus

    avant dans

    le paysage o

    il

    volue. Planche du

    22/10/1905,

    du

    29/10/1905,

    du 6/05/1906

    etc.

    5.

    McCay

    est

    galement un pionnier dans

    le

    domaine

    du dessin

    anim avec

    Gertie

    the

    dinosaur, 1909,

    U.S.A.

    19

  • 7/21/2019 Fresnault-Deruelle- Du Lineaire Au Tabulaire

    15/18

    Pierre

    Fresnault-Deruelle

    spatio-temporels

    entre

    les cartoons

    sont rduits

    au minimum

    :

    les planches se

    donnent

    parfois

    lire comme des

    groupements ordonns

    de

    photogrammes 1.

    Une

    projection

    spatiale du continuum filmique en quelque sorte. Toujours

    mi-chemin de l analytique et du synthtique, les pages de notre auteur sont

    conues

    selon

    un

    principe

    transformationnel

    assez

    subtil

    :

    il

    s'agit

    dans

    les

    cas les plus intressants de brouiller les

    codes

    conventionnels de

    la

    reprsen

    tation

    t

    de la narration, savoir animer les dcors au maximum

    et

    rduire au

    minimum l'action des

    personnages.

    A

    la

    limite,

    ce

    sont

    les

    paysages qui

    agissent

    et

    les hros qui assistent,

    interdits,

    leurs mtamorphoses. Au contraire de

    ses successeurs

    qui laboreront

    leurs planches de faon dramatiser leurs rcits

    (d

    Hogarth

    Gir en passant

    par

    Herg), McCay invente des fables qui parti

    cipent

    la composition des

    planches. De l,

    rptons-le,

    cette

    importance

    confie

    aux dcors

    ou, plutt,

    aux

    modalits

    partir desquelles ceux-ci' donnent leur

    attrait

    cette B.D. exemplaire. Un extraordinaire dlire

    perspectif fait que

    nous

    nous demandons sans

    cesse

    si le

    hros voyage

    ou

    s il

    vieillit, s'il grossit ou

    rapetisse,

    tandis

    que

    grottes et

    montagnes,

    forts,

    mers

    et

    palais

    closent,

    s pa

    nouissent,

    dclinent et disparaissent en

    l espace

    de quelques dessins. Des comp

    ositions symtriques cheval sur deux cartoons, des jeux de miroirs horizon

    tauxt verticaux, des enfilades de couloirs

    dignes des

    meilleurs compositions

    en

    abme etc., ruinent par l'excs les

    lois du

    cube scnographique, qui, force

    de

    sophistication,

    retrouve

    la

    platitude du

    support.

    Pass

    un certain

    stade,

    les pages de McCay se donnent voir comme un pur champ d aplats.

    Nemo,

    en

    ce

    sens, c'est la

    conqute

    de la surface

    partir

    de la

    reprsentation

    des volumes

    2.

    Le geste inaugural toute vision qui consiste vouloir investir

    la

    surface

    d'une

    fictive profondeur

    est

    ici

    battu

    en brche

    3.

    Avec soixante-dix ans d avance dans

    le domaine

    des

    comics,

    Nemo,

    c'est la subversion

    des codes

    de la reprsentation

    (reprise

    et

    amplifie

    par

    Devil

    dans

    sa

    Saga de

    Xam,

    cf.

    infra).

    Le

    refoulement

    de

    la

    surface

    dnonc en peinture par

    Czanne

    trouve en McCay, et pour les

    B.D.,

    un

    premier

    grand adversaire.

    Rsumons-nous.

    Le passage

    du

    strip la planche occasionne un bouleverse

    ment

    ans

    l'conomie

    du

    rcit

    : en tant que systme

    flch, la

    digse connat

    une remise

    en cause ds

    lors

    que

    le

    cartoonist, jouant des variables

    visuelles,

    brise l'ordonnance uniforme

    des vignettes. L image standard (avatar du photo-

    gramme)

    telle que

    l'utilise un

    Schulz

    (Peanuts) ou un

    Gould

    (Dick Tracy)

    relevait

    d'une

    conception

    srement phonocentrique du discours

    selon

    lequel

    un

    autre peut ressembler

    un

    mme. Comme

    un

    clou chasse

    l'autre, la

    vignette

    1.

    A

    noter

    que

    les

    dessins

    de

    McCay

    sont

    trs

    analytiques

    :

    ils

    reprsentent les

    personnages saisis instantanment :

    soulevant

    un pied, amorant un geste,

    etc.

    Ce

    n'est

    que vingt ans

    plus

    tard

    que

    les

    cartoonists atteignirent une conception plus

    synthtique de la

    gestique

    des personnages.

    2. L'artiste a tellement conscience du jeu en

    trompe-l'il auquel

    il se livre qu'au

    cours

    de l'pisode du 11 fvrier

    1906 (cf.

    dition Horay, 1967)

    il

    s'amuse confondre

    son hros prisonnier de la mme

    illusion

    que le lecteur : Nemo s'adresse

    une

    petite

    fille qui,

    l'instar

    d'autres

    personnages,

    fait tapisserie le

    long

    d'un couloir. Comme la

    petite fille ne rpond pas, le hros

    dcouvre qu'elle

    n'est

    qu'une

    figurine de

    papier.

    La

    mtaphore faire tapisserie

    est prise

    au pied de

    la lettre.

    Nemo ne s'tait

    pas

    aperu

    qu il faisait face

    une

    galerie de

    portraits,

    dont cette silhouette

    trangement vraisem-

    blable.

    3.

    Cf.

    ce

    sujet

    le

    discours

    actuel

    des

    Cahiers

    du

    cinma.

    20

  • 7/21/2019 Fresnault-Deruelle- Du Lineaire Au Tabulaire

    16/18

    Du

    linaire au tabulaire

    de daily strip

    trouve

    en

    effet

    son

    statut

    en

    remplaant la

    prcdente. Avec des

    auteurs comme

    Hogarth

    (Tarzan), Pellos

    (Futuropolis),

    Godwin (Connie),

    au contraire, l escamotage en chane

    n'est

    plus possible;

    le jeu

    des

    quivalences

    se grippe

    :

    les dessins varient de formats. Derrire la valeur d change des vignett

    es

    eur

    valeur

    d usage

    est

    l

    qui

    revient

    en

    force,

    freinant

    la

    lecture

    dans sa

    course.

    Si

    la chronologie

    rgne

    toujours, elle

    ne domine plus, module qu elle

    est :

    1)

    par l'irrgularit des

    grands

    syntagmes qui brisent le flux de

    la

    coule

    narrative;

    2) par toute une

    recherche

    formelle trans-iconique

    :

    il est des

    rimes

    visuelles , chez nos auteurs,

    qui

    menacent le compartimentage de leurs plan

    ches. Faisant ntre la thorie

    de

    Gombrich x

    suivant

    laquelle la reprsentation

    de l espace perspectif est gage de narration,

    du

    moins de narrativit (le

    parcours

    d une scne est synonyme de

    fable), nous

    tenons que

    la

    B.D. menace

    la fable

    ds

    lors qu elle manifeste la platitude de son support. L'histoire des

    B.D.

    est

    riche

    d exemples

    o

    les auteurs

    prouvent le besoin de dnoncer

    les codes

    qu ils

    utilisent

    (une

    bonne part de l'humour des B.D. table sur ce procd). En

    tant

    qu organisme

    graphique, i.e.

    en

    tant

    qu'entit

    formelle,

    la

    planche

    de

    comics

    est

    parfois

    le lieu

    d une

    interrogation sur la

    nature du

    lien qu on

    s acharne

    tisser

    entre narration

    et

    profondeur de champ, plus

    prcisment

    sur

    la vertu

    fabulatrice

    de

    la

    perspective.

    C'est ce qu un

    Fred

    (Philemon) ou

    un

    McCay

    (Nemo)

    russissent

    traduire lorsque,

    devant

    telle ou telle

    planche,

    nous

    hsitons

    parler

    de dcor ou de

    dcoration, selon que nous

    balanons

    entre

    les

    vignettes

    (organes)

    et la

    planche

    (organisme). En regard de ce double champ d opposit

    ions

    onstitu

    d une

    part par le versus perspective /espace plat, et

    de l autre

    par celui

    du

    rcit et de sa mise en

    cause

    (discontinu vs

    continu), deux

    attitudes

    antagonistes

    paraissent constituer

    l espace

    graphique

    l'intrieur duquel se

    cherchent aujourd hui

    les

    cartoonists. L Italien G.

    Crepax (Valentina)

    et

    les

    pigones de N. Devil (Saga de Xam) : E. Maroto

    et

    Ph. Druillet2, incarnent ces

    nouvelles

    tendances.

    Le

    rcit disloqu.

    Crpax.

    Alors

    que l auteur de Nemo respectait le principe normatif formel

    consistant

    varier

    aussi peu que possible

    le format

    des vignettes

    l'intrieur

    d une

    mme

    planche, Crepax

    va user,

    toujours

    suivant

    des

    vecteurs

    orthogonaux,

    du morcellement le plus extrme dans

    la

    confection de ses pages. C est ainsi

    que

    certains montages faits d un

    assemblage

    d

    inserts

    drivs d un

    sujet

    quelconque donneront au

    lecteur la

    sensation d'une

    perception

    multifaciale,

    d un

    cubisme dpli

    si

    l on

    prfre.

    Le

    regard plus

    voyeur

    que

    jamais

    s immisce

    dans

    l'intimit

    de la scne fragmente, et: ce

    n'est

    certes pas

    un hasard si la

    thmatique

    erotique est

    si dveloppe

    chez

    ce

    cartoonist.

    Trs souvent

    le

    sujet

    est donn dans une grande vignette, puis c'est l'miettement, la dcomposit

    ionrrmdiable donne

    en

    pture

    l'pellation

    de l il. Le va-et-vient entre

    la

    vision globale

    et la

    parcellisation analytique

    dvoile

    ici de faon

    exemplaire

    la

    dimension ftichiste inhrente

    la

    passion pour

    la

    structure (Illustration

    1. Gombrich,

    UArt

    et l'Illusion,

    N.R.F.,

    1972.

    2. Ph.

    Druillet, Lone Sloane, Dlirius, Dargaud, 1973. E.

    Maroto, Wolff

    et

    la

    reine

    des

    loups,

    Dargaud,

    1973.

    G.

    Crpax,

    Valentina,

    Marianna,

    Losfeld

    1968.

    21

  • 7/21/2019 Fresnault-Deruelle- Du Lineaire Au Tabulaire

    17/18

    Pierre

    Fresnault-Deruelle

    Charlie

    Mensuel.

    n 5).

    Nous aurons

    mieux saisi le

    point d'articulation entre les B.D.

    classiques

    et

    cette

    cole

    du

    regard si particulire

    des

    annes 60

    lorsque nous

    aurons

    dit

    que

    la description

    se fait

    sur le

    mode

    narratif

    : d emble l'il

    reconstitue

    des syntag-

    mes

    et

    les

    ordonne linairement.

    Nous avions affaire des

    enqutes chez Caniff

    ou chez

    E. P.

    Jacobs,

    l'auteur

    de

    Valentina nous

    invite reconstruire

    pour

    notre

    22

  • 7/21/2019 Fresnault-Deruelle- Du Lineaire Au Tabulaire

    18/18

    Du linaire au

    tabulaire

    compte des scnes clates .

    Il est clair qu avec

    ce type de B.D. le pr-dcoupage

    en strips est

    devenu

    une impossibilit structurelle. Nous n'en

    voudrons

    pour

    confirmation

    que

    le fait

    suivant :

    les

    planches

    sont

    des systmes

    tabulaires

    o

    les vignettes ne sont plus

    toujours

    intgres dans

    un continuum

    logique, mais

    o

    certains

    cartoons,

    qui

    reprsentent

    la

    scne mentale

    du

    hros,

    entretiennent

    des rapports de

    contiguit

    parfois

    complexes.

    Les

    scnes

    de

    rve

    et

    les

    scnes

    vcues se

    contaminent

    au

    point

    de

    devenir

    les

    phylactres

    les

    unes des autres.

    Tout

    cela, rptons-le, joint au souci

    d'une

    composition

    d eniemble

    ou le simul-

    tanisme et la subversion

    des rapports

    syntagmatiques traditionnels

    forcent

    le

    regard redistribuer les lments de sa propre lecture. Crpax ou

    la

    mosaque

    prfre la frise.

    Druillet /Maroto.

    Avec

    ces auteurs, le quadrillage de la planche n'est plus

    un acquis

    de nombreux trous arent

    une

    composition

    dont

    les

    lments

    const

    itutifs obissent plus au principe de la

    distribution

    narrative classique. Au

    contraire, les dessins entrent en concurrence,

    brouillant comme plaisir

    l'ordre

    du discours crisp jusqu ici dans un protocole de

    dvoilement

    homopathique.

    De

    plus

    en

    plus

    mal

    l aise

    dans

    la

    structure

    de contention

    linaire

    impose

    par le

    dcoupage traditionnel, les artistes transgressent

    le

    principe de

    segmenta-

    bilit du

    signifiant

    en

    dsencadrant

    ou en superposant

    partiellement

    les motifs

    de leurs planches. Les aventures

    du

    signe

    font

    place

    celles, problmatiques, du

    hros. L il peut

    alors

    partir pour des dcouvertes.

    Les choses reprsentes

    jouent le

    rle d'lments qui

    parviennent

    exister

    de manire autonome (...); si

    quelques parties de

    surface apparaissent

    inutilises (...), ces parties jouent un

    rle dans

    la composition

    (...) d'aprs

    leur

    tendue, leurs formes, elles

    appar

    aissent

    conues

    avec autant de soin

    que

    les contours des objets *. Quoique

    fort

    mouvement (il s'agit en

    gnral

    d popes

    intergalactiques), le rcit se trouve

    pris au pige

    du

    support sur

    lequel

    il croyait pouvoir fonder ses

    assises. Mais

    la

    remise

    en

    cause

    ne

    s'arrte

    pas

    l.

    La

    lisibilit

    lie

    l'ordonnance des

    figures

    se

    perd dans la contamination

    du figuratif analogique

    sur

    l abstrait

    scriptural

    (et rciproquement)

    2.

    De mme qu on note avec les lettres

    colores et

    dessines

    des

    comics

    classiques

    une iconiciation

    du

    verbal, de mme

    voit-on ici

    se

    cher

    cher

    de nouvelles formes hybrides o l'image se

    purifie

    jusqu atteindre la

    dsincarnation

    des signes

    purs (glissement

    du

    pictogramme

    l idogramme)

    et o, l'inverse, l'immotiv retrouve la

    consistance du

    rfrent.

    A l'origine de ce sisme smiologique les pages de Saga de Xam, toutes

    tendues

    vers

    l'exploration systmatique des

    possibles

    de

    la figuration narrative. Dcorat

    ion

    t trompe-l'il s'y

    combattent sans cesse (Devil

    incorpore

    ses personnages

    au monde

    des

    bas-reliefs

    gyptiens

    ou

    celui des

    estampes japonaises). Dans

    cette

    hsitation,

    o l'intertextualit iconographique

    remplit

    une

    fonction

    vrita

    blement

    dynamique,

    semblent

    se

    prciser

    les prmisses d'un art nouveau.

    Pierre Fresnault-Deruelle

    Universit

    de

    Tours

    Institut Universitaire de

    Technologie.

    1. Guy

    Scarpetta propos de

    Brecht

    et de

    la peinture chinoise, Littrature et

    Idolog

    ie luny II,

    1971.

    2. Voir M. Covin,

    La B.D. psychdlique

    ,

    Critique, n 294.