FRANÇOIS PONSIN, CHRONIQUEUR ET PEINTRE D'AUDUN-LE …

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FRANÇOIS PONSIN, CHRONIQUEUR ET PEINTRE D'AUDUN-LE-TICHE ET DU VALLON DE L'ALZETTE par Mme Anne BLANCHOT-PHILIPPI, membre correspondant En décembre dernier, une amie de ma famille m'a fait don, à la veille de sa mort, de l'oeuvre écrite de son grand-père, François Ponsin. Non seulement elle n'avait jamais prêté à personne ces manuscrits qu'elle me confia, mais elle n'avait pu les lire elle- même, à cause de sa mauvaise vue. C'est une partie de cette oeuvre, absolument inédite, que je me propose d'étudier ici, mais je vais essayer, tout d'abord, de vous présenter l'auteur qui fut à la fois peintre, écrivain et patriote lorrain. François Ponsin est né en 1845 et mort en 1915 à Audun- le-Tiche, près de la frontière luxembourgeoise. Les anciens du village qui se souviennent de lui l'ont connu comme peintre, artisan et artiste peintre. On sait qu'il a copié des toiles célèbres de Raphaël, Rubens, Reynolds, etc., avant de se risquer à des compositions originales. Il peignit surtout des paysages et des portraits, portraits qu'il offrait souvent à ses modèles pour les dédommager du temps qu'ils avaient passé à poser. Il s'amusait à peindre les membres de sa famille, ses voisins et les clients de son entreprise. Ce qui frappait dans les portraits qu'il exécutait, c'était leur extraordinaire fidélité. « Il ne flattait jamais personne », écrit son fils. 1

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FRANÇOIS PONSIN,

CHRONIQUEUR ET PEINTRE

D'AUDUN-LE-TICHE ET DU VALLON DE L'ALZETTE

par Mme Anne BLANCHOT-PHILIPPI, membre correspondant

En décembre dernier, une amie de ma famille m'a fait don, à la veille de sa mort, de l'œuvre écrite de son grand-père, François Ponsin.

Non seulement elle n'avait jamais prêté à personne ces manuscrits qu'elle me confia, mais elle n'avait pu les lire elle-même, à cause de sa mauvaise vue.

C'est une partie de cette œuvre, absolument inédite, que je me propose d'étudier ici, mais je vais essayer, tout d'abord, de vous présenter l'auteur qui fut à la fois peintre, écrivain et patriote lorrain.

François Ponsin est né en 1845 et mort en 1915 à Audun-le-Tiche, près de la frontière luxembourgeoise. Les anciens du village qui se souviennent de lui l'ont connu comme peintre, artisan et artiste peintre. On sait qu'il a copié des toiles célèbres de Raphaël, Rubens, Reynolds, etc., avant de se risquer à des compositions originales.

Il peignit surtout des paysages et des portraits, portraits qu'il offrait souvent à ses modèles pour les dédommager du temps qu'ils avaient passé à poser. Il s'amusait à peindre les membres de sa famille, ses voisins et les clients de son entreprise. Ce qui frappait dans les portraits qu'il exécutait, c'était leur extraordinaire fidélité. « Il ne flattait jamais personne », écrit son fils.

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Il s'est peint lui-même plusieurs fois, avec des traits dont la gravité s'accentue au fil des ans.

Mais le genre qu'il affectionnait le plus était le paysage. En toute saison et à toute heure, il installait son chevalet dans les vieilles rues d'Audun et dans les sous-bois. Il a même reproduit le village de nuit, au feu de son usine et de celle de Belval.

On lui doit deux tableaux panoramiques représentant le Vallon de l'Alzette, l'un, daté de 1889 et l 'autre de 1914.

Soixante peintures à l'huile concernant Audun-le-Tiche et ses environs, qui firent l'objet d'une exposition en 1949, ont été acquises par la municipalité qui les a toujours en sa possession.

Mais Ponsin ne fut pas seulement portraitiste et paysagiste, il a peint aussi des natures mortes, des animaux et des fleurs. Quantité de dessins au crayon ou à la plume, au fusain ou à la sanguine, des pastels, des lavis, des aquarelles et des litho­graphies ont été dispersés et perdus.

Si François Ponsin avait acquis de son temps, dans son village, une certaine notoriété pour son œuvre picturale, du fait qu'il exposait souvent le dimanche, dans sa vitrine, le tableau de la semaine, très rares étaient, par contre, ceux qui avaient connaissance de ses manuscrits. Ceux-ci ont toujours été pieuse­ment, voire même farouchement conservés par sa famille. Ils furent enterrés pendant la première guerre, évacués en 1940 et c'est maintenant seulement, après la disparition de sa dernière descendante, Mlle Aline Fleuret, que l'on découvre à quel point l'œuvre écrite de François Ponsin est importante.

Cette œuvre se compose :

1) D'une monographie d'Audun-le-Tiche et de ses environs en deux volumes illustrés, l'un de 700 pages et l 'autre de 500, ce dernier étant un remaniement abrégé du premier.

2) D'une relation vécue de la guerre de 1870 int i tulée: « L a petite guerre » ou « Les Eclaireurs de la. Seine en Province ». Il s'agit là d'un volume de ¿350 pages avec illustrations hors texte.

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3) D'un ouvrage en vers de 590 pages illustrées, int i tulé: « L'Iliade travestie, d'après une traduction de Bitaubé ».

4) D'une pièce en cinq actes en vers tirée d'un conte de Ulbach et intitulée « Les Coxigrues ».

5) D'un volume de chants imités d'Ossian, orné d'un frontispice et de vignettes (264 pages).

6) D'un volume de 166 pages intitulé « Imitations en vers de plusieurs auteurs célèbres».

7) D'une plaquette de poésies originales.

8 ) D'un recueil de vingt-cinq fables de La Fontaine traduites en patois lorrain versifié \

( ') L'CHANTRE ET L'PICHALIT

Le Chantre, qu'aveut chantay Tout l'etay,

S'est trouvay sans fu ni lu Et sans rin dri ni rin dvant Au temps d'la noge et dou vent. I s'en va, tout nu, tout cru, Chu s'compere Pichalit : « J ' a fe, j ' a seu, qui li dit, Ette in lopin d'vermesson, Veche, baouette ou heurlon A mougni ? je't 'les rendra Aveu la rente a la m'chon ». Les Pichalits n'printont oua L6 lard sans rteni l'cochon : « Ouatte ivroune, dit cilcette En froumant l'huche au grillot Qu'e qu'te fa, au temps don slot ? » — « N u t et jou, sus la bleusette, J'chanteus titi-carabi ! » — « T'chanteus ? ma, te moult bin fa ! Eh bin ! astaur, faut dansi .»

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Ces derniers manuscrits ont tellement souffert de l'humidité pendant qu'ils étaient dans la terre qu'ils durent être remis en état et partiellement recopiés par le fils de l 'auteur qui rédigea par ailleurs de nombreuses notes sur la vie et l'œuvre de son père.

SA VIE

Grâce à lui, nous savons que François Ponsin est né de Julie Verdeaux et de Michel Ponsin, le 17 mars 1845. Son père était, comme son aïeul, ouvrier faïencier à la petite manufacture de la localité. Il avait deux sœurs et trois frères. Deux de ses frères devinrent instituteurs et s'installèrent en Savoie nouvelle­ment annexée, le troisième se fixa comme chef du huitième bureau des Poids et Mesures à Paris.

François Ponsin, le plus jeune des quatre, d'un caractère très indépendant, ne fut pas un élève très docile. Il barbouillait ses cahiers à l'école primaire avec des bonshommes, ce qui lui valut maint coup de férule. Il avait déjà le goût du dessin et de la couleur, mais ses parents étaient trop pauvres pour lui acheter le papier nécessaire à l'épanouissement de son talent. Il apprit bien le français cependant, car il semble qu'il n ?y ait pas la moindre incorrection dans aucun de ses manuscrits.

Sorti de l'école, il fut embauché comme apprenti à Aumetz. Le pain avait souvent manqué à la maison et il eut au moins l'avantage de pouvoir manger souvent chez des clients aisés.

En 1865, il était ouvrier peintre à Metz.

L'année suivante, le tirage au sort le désigna pour l'armée. Ne pouvant se racheter, il partit après un séjour préliminaire à Metz pour le centre de Lyon et fut incorporé au 6 1 e de Ligne.

Le service était alors de sept ans. Il demeura de longs mois au Fort de l'Ecluse, à 1.600 mètres d'altitude et, sa pauvreté lui interdisant l'achat de livres, il étudia les ouvrages de la biblio­thèque du fort. C'est à l'Ecluse, dans les brumes et dans les vents, qu'il composa ses premières imitations d'Ossian. Il ne manquait aucune occasion de dessiner et de peindre.

Quand éclata la guerre de 1870, François Ponsin était employé à l'arsenal de Lyon. Il se porta volontaire pour rejoindre

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son régiment à l 'armée du Rhin et fut admis dans un bataillon qui essaya vainement de rejoindre l'arrière-garde de Mac Mahon.

Après l'armistice, il fit partie de l'Armée de Versailles qui refoula de rue en rue les Communards dans la capitale et il en fut très marqué.

« Puis, l'annexion de son pays natal vint mettre le comble à sa douleur », écrit son fils.

En 1872 il passa dans la réserve, trouva de l'embauche dans une entreprise de peinture de Paris et fut recueilli au foyer de son frère.

Il travailla très dur pour pouvoir suivre des cours de dessin, le soir. Son professeur lui dit qu'il avait « de la patte ». Mais il ne résista pas longtemps à l 'appel de son pays natal. En 1874 il alla rendre visite à sa mère devenue veuve et alors, écrit son fils, « Audun le reprit et ne le lâcha plus ».

L'auteur dit lui-même dans l'un de ses poèmes :

« Pauvre village où je suis né, Où j 'attendrai la mort prochaine, D'où vient la force qui m'enchaîne A ton asile in fo r tuné?»

Il s'y établit modestement comme peintre en bâtiments.

En 1879 il épousa une Audunoise et ils eurent trois enfants :

Camille qui mourut à l'âge de vingt ans, Georges qui fournit de précieux renseignements sur son père et une fille : Jeanne.

Mais la vie commune avec les Allemands devint, avec le temps, de plus en plus difficile.

François Ponsin fonda avec un ami une chorale dont le but avoué était de propager le goût du chant, mais les membres comprirent vite qu'il s'agissait aussi de resserrer les liens entre annexés. Cependant la société ne put se développer dans le sens désiré par le peintre. Il fut obligé d'y admettre des Allemands et s'en désintéressa.

Il démissionna aussi du Conseil municipal et se consacra de plus en plus à l'écriture et à la peinture. Il écrivait fort tard

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dans la nuit et, de jour, parcourait les rues avec sa boîte à cou­leurs et son chevalet. A cette époque, il pouvait s'installer en plein village, sans être dérangé. Pour économiser les toiles, il lui arrivait malheureusement de peindre par-dessus des peintures plus anciennes.

Il fut chargé de décorer les églises de Mailing, Aumetz et Hussigny.

Les Allemands, tout en voyant en lui le « Franzose », dit son fils, admiraient et respectaient l'artiste, mais en 1888, il fut dénoncé pour ses sentiments anti-prussiens. Un commissaire perquisitionna chez lui pendant qu'il travaillait à Aumetz, fort heureusement, ses écrits étaient bien cachés.

Ponsin se rendait souvent à pied dans les communes voisines pour son travail et il en profitait pour consulter des archives et dessiner les vestiges mis à jour par les fouilles de minières ou les fondations de maisons. Il se dépêchait de fixer par un croquis tout ce qui était voué à une,destruction impie et recueillait les débris qui échappaient aux outils des ouvriers indifférents.

Il se rendait aussi régulièrement à la librairie Sidot, rue des Jardins à Metz, où il consultait des livres anciens. Il achetait tous les ouvrages traitant de l'histoire de la Lorraine, mais se plaignait d'y trouver très peu de renseignements sur Audun-le-Tiche et ses environs.

En 1910, la première monographie est à peu près terminée. Elle forme un gros volume de 700 pages, relié par l 'auteur, comme les autres ouvrages, mais, estimant que sa chronique est trop touffue, il la recommence en la condensant le plus possible, d'où ce deuxième volume qui est l'abrégé du premier.

En 1906, sa fille avait épousé Jules Fleuret, un jeune homme de la région messine et, de cette union, étaient nés deux enfants : Paul et Aline, (C'est Mlle Aline Fleuret qui vient de s'éteindre à Audun-le-Tiche, en me léguant les manuscrits de son grand-père.)

En 1912, François Ponsin effectue avec son dernier fils un voyage en Savoie, d'où il rapporte plusieurs études de paysages qu'il offrira plus tard à sa famille savoyarde. A leur retour, ils

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sont bien près d'être arrêtés, en gare de Fontoy, parce qu'ils n'ont pas sur eux tous leurs papiers, alors qu'ils viennent de parcourir une bonne partie de la France, en étrangers, sans avoir jamais été inquiétés.

En 1913, admis comme indigent dans un hôpital parisien, il est opéré d'une tumeur. Bien qu'étranger, il bénéficie de soins gratuits et en reste très reconnaissant à la France. *

Il rentre chez lui à la veille de la guerre. Alors que tonne déjà le canon aux abords de Longwy et qu'Audun est traversé par une force allemande imposante, il enfouit hâtivement ses manuscrits dans sa cave.

Son fils et son gendre partent en guerre et n'ont le droit de lui écrire qu'en allemand, ce qui brise le cœur au vétéran de 1870 qui avait toujours refusé d'apprendre cette langue.

Seul un proverbe allemand lui avait semblé digne d'être retenu et il ne manquait pas une occasion de le citer : « Gedanken sind zollfrei » ou « Les idées ne sont pas soumises aux taxes douanières », autrement dit : « On ne doit aucun compte de ses pensées ».

Il s'éteint le 21 février 1915 et ni son gendre, ni son fils Georges ne peuvent venir à ses obsèques.

VHOMME

D'après son fils, François Ponsin était libre penseur, mais tolérant. Respectueux de tous les prêtres, pourvu qu'ils se tinssent à l'écart de la politique, il tenait en grande estime le curé Spon-ville de Russange qui se dévoua sans compter pendant l'épidémie de choléra de 1866. Il vénérait sainte Jeanne d'Arc et... Gambetta, et il avait toute dictature en horreur. Une seule fois seulement, il manifesta publiquement ses sentiments politiques. Ce fut lorsque le socialiste lorrain Schleicher, candidat au Reichstag, vint à Audun et dénonça l'armement menaçant décidé par Guillaume IL François Ponsin, présent à la réunion (et qui avait dû se faire traduire son discours) applaudit alors chaleureusement.

Son fils rapporte qu'un jour, dans un café, un bourgeois d'Audun lui avait confié qu'en bon catholique il était du « Zen-

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t r um» , ce qui revenait à dire qu'il suivait la ligne droite. Ponsin lui aurait alors répondu que le centre n'était jamais que le centre, mais que le droit chemin était tout autre chose.

Georges Ponsin dit que, pendant toute sa vie, son père avait été contraint au silence, comme écolier, par la férule du maître, comme jeune ouvrier, par sa pauvreté, comme soldat, par une discipline de fer, et comme homme, par sa situation d'annexé.

Il dut faire taire finalement jusqu'à ses manuscrits, en les enfouissant dans la terre où la moisissure faillit en venir à bout.

LA CHRONIQUE D'AUDUN-LE-TICHE

L'œuvre écrite de François Ponsin est tellement volumineuse (2.878 pages) qu'il ne saurait être question de l'analyser entiè­rement ici. Je voudrais cependant m'attarder un peu sur la seconde monographie d'Audun qui me semble apte à retenir l'attention des amateurs de notre passé régional.

Premier partie

Histoire de la Seigneurie d'Audwn

C'est à l'histoire de la seigneurie d'Audun-le-Tiche, du X I I I e siècle à la Révolution, que l 'auteur consacre le premier chapitre de ce manuscrit illustré de nombreux dessins, d'aqua­relles et de lavis.

Il a essayé de reconstituer ces cinq siècles d'histoire locale en s'inspirant des sources qui étaient à sa portée : vestiges de toutes sortes, inscriptions relevées sur les vieilles pierres, les archives communales de la région et les actes civils des presby­tères, l'œuvre de Dom Calmet, l'histoire de Longwy de l'abbé Musset, la Chronique de Metz de Charles de Vigneulles, l'Histoire de Dudelange de J.-B. Wolf (qui fut professeur à l'Athénée de Luxembourg), la «Notice Historique de Vil lerupt» publiée en 1910 par Vivin et Cazin, de même que les deux volumes intitulés : « Die alten Territorien des Bezirkes Lothringen », publiés par Du Prel à Strasbourg en 1909.

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Pour commencer, Ponsin évoque le comte de Salm, le plus ancien seigneur d'Audun dont il ait retrouvé la trace. En 1253, celui-ci céda la seigneurie qui avait relevé jusque-là du Luxem­bourg, à son cousin : Thiébauld de Bar.

En 1289, nous trouvons à la tête de la seigneurie d'Audun Jean de Malberg, homme lige du duc de Lorraine. La seigneurie est donc détachée du Barrois pour dépendre de la Lorraine.

Suit alors toute la lignée des seigneurs d'Audun appartenant à la maison de Malberg ou Madelbergh. Le berceau de cette famille se trouverait dans l'ancienne Eifel luxembourgeoise, près de Killbourg, au bord de la Kill, affluent de la Moselle.

La seigneurie d'Audun retourne au Barrois après la mort du dernier descendant mâle des Malberg en 1561, mais par l'accord conclu à Marville entre l'Espagne et la Lorraine en 1608, les villages d'Audun, Russange et Rédange, nommés « Terres Mêlées » échoient à nouveau au duché de Lorraine.

La seigneurie, complètement endettée, est vendue en 1679 par les créanciers au Marquis de Chamblay.

A la Paix de Riswick, en 1697, Audun-le-Tiche est rétrocédé à la Lorraine par la France, après avoir été occupé par les troupes du roi.

En 1736 la marquise de Gerbéviller, fille du seigneur d'Audun joint, par son mariage avec Camille de Lambertye, la terre d'Audun à celle de Cons la Grandville.

La seigneurie, mise sous séquestre en 1785-1786 est morcelée à la Révolution et mise en vente, mais le gros du domaine n'ayant pu être vendu retourne finalement aux héritiers de Camille de Lambertye, marquis de Gerbéviller.

Etymologie du nom d'Audun-le-Tiche

Après avoir situé le pays des Woëvres qui s'étendait, il y a mille ans, entre la Moselle, la Meuse, l'Orne, la Chiers et l'Alzette et qui comprenait le Mathois ou Montois dont Audun faisait partie, l'auteur se penche sur l'étymologie d'Audun-le-Tiche.

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Dans le cartulaire de Villers-Bettnach on trouve en 1389 Audieux et Audun-le-Thieux.

En 1418, d'après Dom Calmet, le château s'appelle Château d'Awedu.

«: Adicht » au XVI e siècle, « Audy » et « Adud » au XVII e .

« Audun-le-Teutsch » au XVII I e siècle, puis, par corruption « Audun-le-Tiche », en allemand « Deutsch Altheim » et en luxem­bourgeois « Deutsch-Oth » que les Allemands finirent par adopter en 1871. Mais, en patois, il semble qu'Audun ait toujours été « Audu ».

D'après Ponsin, « Au » viendrait du latin « aqua » et la désinence « d u n » de « d u n u m » qui désignait une forteresse ou une ville située au sommet d'une colline. L'auteur estime qu'Audun signifie donc : l'eau des hauteurs.

A Audun-le-Roman il existe, sur une hauteur, une source jamais tarie que l'on appelle « la petite Awdu ». Il y a donc apparence d'étymologie commune entre les deux Auduns.

Selon l'auteur, il aurait été indispensable d'ajouter à ces deux noms une particule qui permît de les distinguer. Audun-le-Roman devrait son nom aux vestiges d'un camp romain et «Tiche» a très vraisemblablement la même origine que « Deutsch ». Audun-le-Tiche signifierait donc Audun la Germanique. Ponsin s'en indigne et constate qu'il n'existe dans son village aucun souvenir de dialecte germanique. Il dit qu'Audun doit probablement cette désignation à son voisinage immédiat avec les territoires de lan­gue germanique 2 .

Les vestiges

L'auteur répertorie les vestiges découverts à Audun, s'inté-ressant surtout aux pierres gravées qui furent démolies ou crépies par la suite. Il reproduit les premiers objets retrouvés sur le site mérovingien que l'on exploite actuellement. Il identifie déjà un vase en terre guillochée, comme appartenant à l'époque méro­vingienne.

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Etude historique de la région d9 Audun-le-Tiche

Cette étude fort complexe va du Moyen Age à la Révolution. Lui est annexée la liste chronologique des souverains de Lorraine et du Barrois couvrant cette même période.

La vaine pâture (1740-1755)

Cette rubrique est composée d'extraits des archives commu­nales concernant le procès des communautés contre les seigneurs. L'auteur y a copié l'essentiel -d'une cinquantaine de feuillets comportant surtout des plaintes adressées au Grand Chancelier de Lorraine et Bar ou au Lieutenant Général du Bailliage d'Etain contre le sieur de Wendel qui était à l'époque admodiateur de la seigneurie.

Les châteaux d'Audun-le-Tiche

Quatre résidences seigneuriales se sont élevées successivement sur le même emplacement.

1) Le burg d'Audun dont les vestiges sont rares. L'auteur a dessiné une clef de voûte à écusson qui semble dater de la fin du XIV e siècle. Ce premier château fut détruit en 1418 par l'évêque de Metz, Conrade Bayer de Boppart, sous prétexte qu'il était devenu repaire de brigands.

2) Après la bataille de Nancy en 1477, René II récom­pensa le chevalier de Malberg qui l'avait aidé à vaincre le Témé­raire, et le château renaquit de ses cendres. En 1551 ce nouveau château fut anéanti par les troupes de Charles Quint qui punirent ainsi le seigneur de Malberg de sa fidélité au roi de France. Ponsin reproduit une ogive en accolade moulurée et écussonnée ainsi qu'une stèle en cartouche servant de passeau à l'angle droit d'un lavoir qui semblent dater de la fin du XV e siècle.

3) Reconstruit, le château fut à nouveau démoli à partir de 1662 par Richelieu qui fit démanteler toutes les places fortes de la Lorraine. Les matériaux furent utilisés pour construire deux fermes, le premier étage du château de Villerupt et le chœur de l'église de Russange. Ponsin reproduit au lavis un bas-relief

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commémoratif dédié au fils de François et de Catherine de Malberg qui s'est ainsi trouvé encastré dans cette église.

4) C'est grâce aux secours du duc Léopold que fut construit après 1672, le quatrième château, dit le Château Bas, maison d'exploitation foncière qui fut détruite avec une certaine sauva­gerie à la Révolution.

Les plaids annaux

Un long chapitre est consacré aux plaids annaux ou assem­blées de justice auxquelles étaient convoqués tous les chefs de famille qui devaient reconnaître leurs redevances au seigneur.

Les plaids annaux que Ponsin reproduit en partie sont ceux de 1725, 1762 et 1789. Y sont énumérés les droits seigneuriaux et les noms des chefs de famille. Il est intéressant de noter que, sur ces listes, figure deux fois le patronyme Hilaire. Il s'agit probablement de parents du peintre Jean-Baptiste Hilaire né à Audun-le-Tiche en 1753 et dont deux toiles sont conservées au musée du Louvre.

Les paroisses

Au spirituel, la seigneurie d'Audun-le-Tiche, ainsi que tout le pays du Montois a fait partie de l'archevêché de Trêves jusqu'à la Révolution.

En l'an VIII de la République, la communauté d'Audun qui ne disposait jusque-là que d'une chapelle et d'un vicaire, adresse à l'évêque de Metz une supplique à l'effet d'obtenir un curé, la cure s'étant trouvée jusque-là à Russange. Ponsin rapporte que l'on racontait par plaisanterie que les bourgeois de Russange, fatigués d'entretenir le presbytère, vendirent leur curé aux Audu-nois, enrichis par les minières, pour deux jambons et quelques pots de vin (six chopes de bière et un jambon, dit plus tard l'abbé Adam dans son étude historique sur la paroisse de Russange).

En 1810 la cure fut effectivement transférée à Audun où l'on construisit une église en 1845. L'auteur consacre de nom­breuses pages à l'histoire de cette église et de son précieux chemin de croix peint qu'il fut appelé à restaurer.

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La première partie du manuscrit se termine sur une étude de l'organisation des communautés et des mouvements de la popu­lation audunoise de 1772 à 1870 selon les registres de l'état-civil.

Deuxième partie de la Chronique

Etude historique

La seconde partie du manuscrit couvre une période d'un siècle environ, de la Révolution à la guerre de 1870.

L'auteur y évoque d'abord, sur une trentaine de pages, tous les événements qui ont marqué la vie du village et des environs, ainsi : la division en départements, les émigrés, la Marche des Alliés, le camp de Tiercelet, le combat de Fontoy, la capitulation de Longwy et de Verdun, le siège de Thionville, l 'Armée de la Moselle, les volontaires d'Audun-le-Tiche, l'échauffourée de Dude-lange que 74 habitants de cette localité payèrent de leur vie et la mise à sac d'Esch-sur-Alzette par les soldats républicains.

L'histoire passe au X I X e siècle avec Bonaparte, suit l 'Empire, l'occupation étrangère, la Restauration, la I I e République, puis le Second Empire.

L'auteur suit pas à pas toutes les étapes de cette époque troublée, ému par la souffrance des uns et des autres, n'héroïsant personne, tout comme, dans ses portraits, il n'idéalisait jamais ses modèles. Tout bon républicain qu'il soit, il constate la cruauté de certains soldats de la République et la veulerie des villageois qui, après avoir aveuglément détruit jusqu'aux derniers vestiges du château, adresseront plus tard une supplique hypocrite aux frères du roi et aux princes français, au cas où ils passeraient par Audun en rentrant d'exil. Il reproduit cette longue supplique élaborée par le conseil municipal, dont voici un extrait :

«.••Cette communauté, Princes, dont les mœurs n'ont jamais démenti la pureté de ses sentiments, si elle s'est quelquefois oubliée, si elle s'est rendue réfractaire en adoptant des maximes qui répugnaient à sa conscience et à sa probité, son silence parle aujourd'hui en sa faveur. »

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Avec la minutie d'un bénédictin, Ponsin relève toutes les années marquantes pour le village. Ainsi, pour 1857 il note : « L'Académie Impériale de Metz a donné le titre de membre correspondant à M. le Génissel, capitaine du génie en mission en Egypte. M. le Génissel, fils d'un officier des douanes, est né à Audun-le-Tiche ».

L'INDUSTRIE

Un long chapitre est consacré au développement de l'industrie à Audun-le-Tiche, principalement à la faïencerie, aux minières et à la métallurgie.

La faïencerie

Ponsin raconte comment trois frères : Pierre-Joseph, Domi­nique et François Boch improvisèrent vers l'an 1755 un four à céramique dans une impasse que l'on appelle toujours « Le Four ». Leur père travaillait comme fondeur à Hayange. Peut-être était-ce ce François Boch qui avait signé en tant que maire les plaids annaux recopiés par Ponsin et c'est un certain Boch, faïencier, qui signa en 1810 la supplique adressée à l'évêque de Metz pour qu'Audun fût érigé en paroisse.

Les trois frères céramistes curent bientôt des difficultés avec M. de Gerbéviller, le seigneur du village qui leur interdit de laver l 'argile dans la source qui sortait de son château délabré. Ils construisirent alors, un peu plus haut, une autre fabrique mieux aménagée (dont les principaux bâtiments subsistèrent jus­qu'en 1940) .

Se basant sur une notice parue en 1895 dans le « Luxem-burger Land », il retrace toute l'histoire de ces faïenciers qui, contrariés par leur différend avec le seigneur d'Audun, allèrent s'installer à Sept-Fontaines, près de Luxembourg, tout en main­tenant quelque temps encore la petite manufacture d'Audun qui tomba ensuite en différentes mains et périclita vers 1870.

Les céramistes Boch portèrent finalement leur industrie à Mettlach en Sarre, où leur nom, associé à celui de Villeroy, devint, comme on le sait, très célèbre.

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Reproduction d'une page de la Monographie d'Audun par François Ponsin.

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Ponsin remarque avec une certaine amertume que, sans l'hostilité de M. de Gerbéviller, cette puissante manufacture aurait pu se développer à Audun-le-Tiche. Ce chapitre est illustré de nombreux dessins représentant la faïencerie et les faïenciers au travail, de même qu'une série d'objets sortis de la fabrique d'Audun tels que : soupières, vases tournés, cafetières et surtout des terrines de four appelées « f o r m e s » dont le couvercle simulait une hure de sanglier. Une de ces formes figura dans la vitrine de la collection de Mettlach, à l'exposition des Arts Céramiques de Metz en 1906.

Les minières

L'auteur retrace l'histoire du minerai de surface exploité de longue date par les différents propriétaires de terrains entre Aumetz, Ottange et Audun-le-Tiche. Les usines de Villerupt furent longtemps alimentées par le minerai d'Audun, mais à partir de 1869 l'exploitation décline rapidement et c'est le minerai en roche qui est presque exclusivement employé.

Ponsin explique le fonctionnement de l'exploitation du mine­rai primitif qui avait l 'apparence de boules brunes d'une grosseur variant de celle d'un pois à celle d'une noix. Il a dessiné les laveurs de mine et les mineurs au travail à ciel ouvert.

La métallurgie

Vient ensuite l'histoire du premier haut fourneau qui fut construit à Audun en 1840 par M. Bauret-Laval qui était meunier. Ponsin dessine cette usine primitive qui fonctionna un certain temps conjointement avec le moulin. Il montre les fondeurs de l'époque ayant pour tout vêtement de longues chemises de toile. L'usine du meunier n'avait point de clôture et, en hiver, plus d'un mendiant, plus d'un passant transi était admis à s'y réchauffer.

Ponsin compare cette industrie artisanale aux usines gigan­tesques d'Esch et de Villerupt qu'il évoque dans un poème qui vaut la peine d'être cité, je crois :

« L'antre cyclopéen est toujours en haleine. Tandis qu'à flots laiteux le chaudron infernal, Débordant nuit et jour du terrible métal,

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Reproduction d'une page illustrée de la Monographie d'Audun représentant des laveurs de mine et des mineurs du X I X e siècle

travaillant à ciel ouvert.

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Vomit en ses crachoirs sa bave à gorge pleine, Des gnomes, équipés de pinces, de ringards, Fourgonnent les brasiers pleins de lingots informes Qui, jetés dans la gueule aux mâchoires énormes, Vont, laminés serpents, ramper sous les hangars. Les engins tourmentés ont des voix convulsives De réprouvés, jouets de forces oppressives : Tout gémit, grince, crie, et le fer mord le fer ; Et le halètement des machines soufflantes S'échappe en gerbes d'or des lucarnes d'enfer Avec des tourbillons de vapeurs fulgurantes. » (1909)

Vers 1870 l'usine d'Audun prit elle aussi des dimensions impressionnantes avec ses quatre hauts fourneaux. (C'est cette même usine qui vient d'être démontée.)

Les industries secondaires

Quelques pages sont consacrées aux petites industries d'avant 1850 : tuilerie, poterie, huilerie, tannerie, tissage, clouteries, fours à chaux, brasserie et carrières. Au sujet de ces dernières, il dit que les vieux carriers prétendaient que la ville de Luxembourg était sortie tout entière des carrières d'Audun, dont l'exploitation remonte à l'époque gallo-romaine. Il termine ce chapitre en parlant de l'affaissement minier qui, en 1900, éventra de part en part les deux grandes carrières et coupa la route d'Aumetz.

Les institutions

Après les industries, l 'auteur aborde les institutions du X I X e siècle telles que les douanes, la Garde Nationale, l'école primaire, etc. Il évoque la grande misère des écoliers, en parti­culier des indigents dont il avait fait partie. Il mentionne les besognes communales auxquelles on astreignait souvent les maîtres et rappelle que les sous-maîtres ne pouvaient subsister qu'en pre­nant leurs repas dans toutes les maisons du village.

Le patois

Suit un glossaire du patois de la région d'Audun-le-Tiche et un répertoire de dictons avec leur traduction en français moderne.

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148 FRANÇOIS PONSIN, CHRONIQUEUR ET PEINTRE

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Extraite de la Monographie d'Audun par François Ponsin : Série d'objets sortis de la faïencerie d'Audun-le-Tiche fondée en 1755 par les frères Boch

(aquarelle).

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Les chants populaires

L'auteur a copié, souvent avec la musique, une quarantaine de chansons en patois ou en français, que l'on avait coutume de chanter dans son village. Quelques-unes, très anciennes, sont frag­mentaires. Ponsin transcrivit entre autres les trimazos que chan­taient les jeunes filles devant chaque maison, le premier mai. Ces trimazos différaient de ceux du pays messin devenus plus satiriques, dit-il.

Les costumes

Sont reproduits à l 'aquarelle plusieurs costumes du XVI I I e

et XIX e siècles, mais l 'auteur spécifie que l'on ne portait pas à Audun de costume lorrain bien caractérisé.

L'agriculture

Dans le chapitre consacré à l 'agriculture, nous trouvons de très nombreux renseignements sur l'élevage et les cultures prati­quées dans le Vallon de l'Alzette. L'auteur explique comment l'on séchait, peignait, cardait et filait le chanvre. Il y parle de l'affouage, des mesures, du prix des grains.

L'hygiène

Ponsin se désole parce que le résidu des lavoirs de minerai et les nombreux fumiers transforment le village, pendant la majeure partie de l'année, en bourbier que barattent sans cesse les chevaux et lès voitures des transporteurs de pierres, surnommés « hallegotis ». Il considère comme un bienfait les orages extrê­mement violents qui s'y abattent depuis toujours et qui purgent régulièrement les rues de leurs eaux croupies, mettant le village à l'abri des épidémies.

L'habitat

Après un long chapitre sur la voirie et les cours d'eau, l'auteur s'intéresse à l'habitat, aux matériaux de construction, à la disposition des pièces, à l'ameublement. A cette étude est annexé l'inventaire du mobilier d'une maison de manœuvre établi par notaire en 1820. Tout y est répertorié, jusqu'au moindre détail.

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Les coutumes

L'auteur consacre la dernière partie de son étude, la plus importante peut-être, aux coutumes locales. Après 1870, avec le développement de l'industrie, elles commencèrent à se perdre et Ponsin se donna pour tâche de leur prêter refuge dans sa chronique.

Dans une centaine de rubriques, il évoque, entre autres tradi­tions, la veillée des morts, les accordailles, les Bûles, les daye-ments, les veillées, les processions, la pesée des filles au mois de mai...

Il parle aussi des superstitions, des envoûtements, des légen­des locales et de la mentalité des villageois en général.

Le combat d9Audun-le-Tiche

Pour conclure, Ponsin raconte encore l'affrontement qui opposa, dans la nuit du 29 au 30 août 1870 un détachement de 150 hommes composé principalement de douaniers et de gardes-forestiers de Longwy à un escadron de hussards allemands.

Il ne fut pas donné à l 'auteur de vivre cet événement mémo­rable pour le village, puisqu'il était sur un autre front, mais, après son retour, il effectua une enquête minutieuse auprès des témoins oculaires et en fit, après coup, une description saisissante.

Il nous montre, par exemple, les douaniers surgissant dans la maison Brahy où étaient attablés quelques hussards et pour­suivant de chambre en chambre le maître de maison qui essayait de se protéger le corps en saisissant les baïonnettes à la main nue, tout en criant qu'il n'était pas prussien, tandis qu'à la cuisine, les Allemands couraient autour de la grande table, suppliant la servante de les protéger et l 'arrosant de leur sang.

Ponsin rappelle enfin comment Villerupt, grâce à l'habileté de Pouyer-Quertier, l'un des négociateurs du Traité de Francfort est demeuré français, alors qu'Audun fut annexé.

Epilogue

A cette chronique est annexé, en guise d'épilogue, une sorte de conte dont les héros sont deux Audunois du XVII e siècle qui,

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à la faveur des exhumations de 1903 reprirent chair et firent un tour du village où rien ne ressemblait plus à rierl de ce qu'ils avaient connu, ce qui permet à l 'auteur de comparer les deux époques et de montrer à quel point l'industrie avait transformé la population et le paysage.

L'histoire se termine à l'instant où deux militaires allemands mettent la main au collet des revenants qui leur échappent en se retransformant sur le champ en purs esprits.

CONCLUSION

Cette étude abondante est plutôt l'œuvre d'un amateur pas­sionné que celle d'un spécialiste. François Ponsin n'était pas un savant, il ne pouvait l'être. Lui avaient manqué pour cela et la formation et les matériaux. Son fils écrit : « Mon père ne se piquait pas d'érudition ». Il a d'ailleurs modestement intitulé ce manuscrit :

« Recueil de Notices et Documents Historiques relatifs au pays du Mathois ou Montois, et spécialement du Vallon de l'Alzette, pour servir de matériaux à la Monographie d'Audun-le-Tiche. »

Ce recueil n'est pas toujours très facile à lire. L'ordre des chapitres est déroutant et les développements souvent obscurs, surtout dans la première partie.

On peut dire qu'il s'agit là d'une œuvre fleurie, fleurie de réflexions philosophiques, d'anecdotes et de poésie.

Toutes proportions gardées, Ponsin s'y prend un peu comme Shakespeare qui, aussi tragique et dense que fût l'histoire qui l'occupait, ne pouvait s'empêcher d'arrêter son héros çà et là pour lui permettre de rêver, de contempler la nature ou de chanter une chanson sur la brise printanière.

Fleuri, le manuscrit l'est aussi de dessins de tous genres et si certains ne valent que par la finesse de leur exécution, la plupart d'entre eux ont le mérite de représenter des objets, des scènes folkloriques et même des paysages désormais disparus.

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Témoin lucide d'une époque en pleine évolution, Ponsin avait compris que son présent serait notre passé et il s'est appliqué à fixer sous sa plume tout ce qui lui paraissait avoir valeur de document.

Une œuvre aussi complexe que la sienne porte en elle toutes les qualités de ses défauts.

Si elle manque de rigueur, elle ne manque certes pas de richesse, de diversité, de charme, ni de chaleur humaine.

Si elle est touffue, elle présente l'avantage de contenir une mine extraordinaire de renseignements de tous genres.

Devant les dimensions de l'ouvrage, on ne manquera pas de s'interroger sur la motivation de l'auteur. Pour qui et pourquoi cet humble manuel a-t-il pu s'astreindre à un travail aussi déme­suré sur ce lieu perdu d'Extrême Lorraine ? Comment a-t-il pu consacrer sa vie entière à une œuvre aussi ardue, allant jusqu'à regretter parfois d'avoir fondé une famille qui risquait de le distraire de sa tâche ? Et l'on peut se demander par ailleurs pour quelle raison cet homme qui supporta si mal d'être annexé est revenu s'établir au pays après la guerre de 1870.

On m'a rapporté que, lorsque ses amis lui conseillèrent de repartir pour Paris, il aurait répondu : « Si mes frères étaient encore ici, je n'hésiterais pas un instant à m'en aller, mais comme je suis le dernier de la famille, il faut que je reste, pour le témoignage ».

Il semble que son histoire d'Audun ait été écrite, elle aussi, pour le témoignage. Et s'il craignait tant qu'elle ne fût décou­verte par les Allemands, ce n'était pas sans raison.

En lisant et relisant ces pages, on a l'impression que l'auteur avait, en plus de cette extraordinaire soif de savoir qui fut la sienne, le besoin de doter son village en quelque sorte d'un pedigree latin, de démontrer qu'en dépit de son nom, du X I I I e

siècle à 1870, Audun-le-Tiche n'a été à aucun moment Audun la Germanique.

Dans le poème 37 il parle d'ailleurs de son « pays vendu, maquignonné, allemand par le fait et français atavique».

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En parlant des coutumes, il se plait à souligner leur ressem­blance avec celles du Pays Haut non annexé (ainsi la Pesée des Filles appelée « Holmée » dans le Pays Haut ) . Il remarque à propos des Bûles, qu'il s'agit là, sous un autre nom de la Fête des Brandons que l'on célébrait en France.

Les nombreuses chansons qu'il a recueillies de la bouche des anciens, ces vieilles chansons populaires sont toutes françaises.

Et ces longues listes des chefs de familles signataires des plaids annaux : ... Pépin, Petit, Pierron, Poncin... l 'auteur ne les a-t-il pas reproduites avec tant de soin pour le plaisir de montrer que les neuf dixièmes au moins étaient d'origine française ?

Les dictons pratiqués à Audun-le-Tiche et le patois local qu'il a répertorié dans son glossaire sont français.

Quant aux célèbres faïenciers Boch, on sent que Ponsin n'est pas peu fier de révéler qu'ils n'ont pas toujours été allemands.

En recopiant les actes seigneuriaux et les dossiers retrouvés dans les archives communales, il ne manque pas de souligner que tous étaient rédigés en français.

Et tout au début de la monographie on sent qu'il se désespère de ne pouvoir prouver l'origine romaine de son village. Il men­tionne qu'un pavé en mosaïque a été mis à jour et malheureu­sement détruit par la pioche d'un nommé Barthélémy vers 1828, mais il ajoute qu'après les gros orages on peut voir scintiller d'innombrables parcelles de mosaïques multicolores dans le lit des ruisseaux. Il a tellement envie, semble-t-il, qu'il en soit ainsi, que la vision de l'artiste vient au secours du chercheur impuissant.

Et la fin de son épilogue est révélatrice elle aussi. A l'instant même où les Allemands mettent la main au collet de ces deux vieux Audunois français, ceux-ci se transforment en purs esprits et leur échappent.

Cette image sur laquelle se termine toute son œuvre, n'est-elle pas le symbole de la propre libération de l'auteur, de cet homme solitaire qui, sentant approcher sa fin, confia au papier, dans le secret des nuits, ce qu'il avait dû taire pendant plus de quarante ans et qu'il n'avait pu exprimer dans la peinture, c'est-à-dire son

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attachement à la France et « France » était pour lui synonyme de « l i b e r t é » .

Il a été dit souvent que, dans un premier roman, on raconte toujours l 'amour de sa vie. Dans ce livre, Ponsin a chanté lui aussi, à sa façon, l 'amour de sa vie, calui qu'il portait à la patrie perdue.

Son chant n'a pas l'éclat d'une Marseillaise, il faut bien écouter pour l'entendre. Il n'est que sous-jacent, mais il est là, dans tous les chapitres, sur toutes les pages, d'autant plus poignant qu'il reste pudique et discret et qu'il s'est encore tu pendant soixante ans après la mort de l 'auteur.

Si la Chronique d'Audun-le-Tiche n'est pas l'œuvre d'un érudit, elle n'en restera pas moins un document historique et humain d'autant plus émouvant qu'il émane de cet humble artisan autodidacte qui, étant données la qualité et la diversité de ses dons, serait peut-être devenu, dans un contexte plus favorable, un grand homme.

2 A propos de l'étymologie d'Audun-le-Tiche, selon M. Henri Hiegel, professeur honoraire du Lycée d'Etat mixte de Sarreguemines et membre associé libre de l'Académie Nationale de Metz : En 1347, Audun-le-Tiche s'appelait « Aweduix », « Adoyth », forme germanique « Aducht » dérivée du latin aquaeiiuctus = aqueduc, canal ou conduite d'eau, alors qu'Audun-le-Roman porte les graphies de « villa aqueductus » en 898 et d'« Aquae­ductus » en 1049. Audun-le-Tiche s'appela « Audeux-le-Thieux » en 1389 et « Deutsch-Oth » en 1871, c'est-à-dire l'Audun où l'on parlait allemand, par apposition à Auidun-le-Roman, « Auidax gallica » en 1330, « Audun-le-Wallon » en 1629, « Audève-le-Roman » en 1681.

Je me permets de signaler, d'autre part, l'hypothèse de MM. Bourciez et Klincksieck (Précis historique de Phonétique française, p. 84), selon laquelle de nom­breux noms géographiques (Melun=Melodunu, Verdun—Virodunu, Lyon=Lugdunu, etc.) seraient formés à l'aide du suffixe celtique dûnu ( = le mont), précédé d'un nom d'homme (Autun=Augustodûnu : le mont d'Auguste).

Quant a M. Paul A. Piémont {La Toponymie - Conception nouvelle), il donne au suffixe dûnu le sens de borne. Il voit, dans le premier élément de Audun, le terme « octavu », 8 e , rappelant la perception de la taxe, dite octava, à la 8ï lieue des itinéraires. Or Audun-le-Tiche est situé à 8 lieues de la frontière S.-O. de l'ancien archidiocèse de Trêves.

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