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Institut de géographie Espace Louis-Agassiz 1 CH - 2001 Neuchâtel MEMOIRE DE BACHELOR sous la direction du Prof. Francisco Klauser et de l’assistante Sarah Widmer novembre 2011 Clémence Bulliard, Camille Daudet, Laura Favrat & Raphaël Perrier Le Quai 9 face au quartier des Grottes : Un conflit d’usage en milieu urbain.

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Institut de géographie

Espace Louis-Agassiz 1

CH - 2001 Neuchâtel

MEMOIRE DE BACHELOR

sous la direction du Prof.

Francisco Klauser

et de l’assistante

Sarah Widmer

novembre 2011

Clémence Bulliard, Camille Daudet,

Laura Favrat & Raphaël Perrier

Le Quai 9 face au quartier des Grottes : Un conflit d’usage en milieu urbain.

LE QUAI 9 FACE AU QUARTIER DES GROTTES : UN CONFLIT D’USAGE EN MILIEU URBAIN 1

REMERCIEMENTS

Tout d’abord, nous tenons à remercier Madame Martine Baudin, directrice du Quai 9, pour avoir pris le temps de nous recevoir et de répondre à toutes nos questions. A ce remerciement, nous joignons toute l’équipe des travailleurs sociaux du Quai 9, en particulier Monsieur David Gachet, pour nous avoir permis d’obtenir les propos des usagers de la drogue. Nous remercions également les habitants du quartier des Grottes qui ont accepté de témoigner sur la situation actuelle dans leur espace de vie, mais aussi de nous avoir chaleureusement reçus chez eux et dans leur quartier. Nous souhaitons également remercier les usagers de la drogue qui ont eu la gentillesse de nous faire part de leur point de vue. Finalement, nous remercions Sarah Widmer pour sa disponibilité et pour ses commentaires qui nous ont beaucoup aidés lors de la réalisation de ce travail de recherche.

LE QUAI 9 FACE AU QUARTIER DES GROTTES : UN CONFLIT D’USAGE EN MILIEU URBAIN 2

TABLE DES MATIERES

Première partie

Introduction

1.1. Introduction générale page 5

1.2. Mise en contexte page 5

1.2.1. Le quartier des Grottes page 5

1.2.2. Le Quai 9 et son histoire mouvementée page 6

Deuxième partie

Problématique

2.1. Question de recherche page 9

2.1.1. Question de départ page 9

2.2. Cadre théorique page 9

2.2.1. Effet NIMBY page 9

2.2.1.1. Axe de recherche 1 : Discours NIMBY page 10

2.2.2. Le conflit d’usage page 10

2.2.2.1. Axe de recherche 2 : Le « bon usage » du lieu page 11

2.2.2.1. a) Habitants : le « bon usage » du lieu page 12

2.2.2.1. b) Toxicomanes : un usage marginal du lieu page 12

2.2.3. L’image de quartier page 12

2.2.3.1. Axe de recherche 3 :

Représentations du quartier des Grottes page 13

Troisième partie

Méthodologie

3.1. Introduction page 15

3.2. Entretien exploratoire page 15

3.3. Entretiens semi-directifs page 15

3.3.1. Récolte de l’échantillon page 15

3.3.2. Grille d’entretien page 16

3.3.3. Support vidéo et arguments page 16

3.4. Entretiens par questionnaire page 17

LE QUAI 9 FACE AU QUARTIER DES GROTTES : UN CONFLIT D’USAGE EN MILIEU URBAIN 3

Quatrième partie

Analyse

4.1. Généralités page 19

4.2. Le discours NIMBY page 19

4.2.1. Caractéristiques symptomatiques du discours NIMBY page 19

4.2.2. Résignation et discours de légitimation de la localisation page 20

4.2.3. La localisation du Quai 9 pour les toxicomanes page 21

4.3. Le « bon usage » du lieu page 22

4.3.1. L’identification à l’espace

comme moyen de légitimation d’un usage page 22

4.3.2. Définition du « bon usage » page 22

4.3.3. Stratégies pour défendre le « bon usage » page 24

4.3.4. Le « bon usage » et les toxicomanes page 25

4.4. La perception du quartier des Grottes page 25

4.4.1. Un « quartier-village » page 25

4.4.2. L’influence du Quai 9 sur l’image du quartier page 27

4.4.3. Définition des limites du quartier page 27

Cinquième partie

Conclusion page 30

Bibliographie page 33

Sites internet page 35

Annexes

Annexe A : Photos du Quai 9 et des Grottes page 37 Annexe B : Plans du quartier page 41 Annexe C : Affichette pour entretien avec habitants page 43 Annexe D : Détails des entretiens page 44 Annexe E : Grille pour l’entretien exploratoire page 45 Annexe F : Grille d’entretien habitants page 46 Annexe G : Publication intégrale de l’entretien semi-directif mené avec Daniel page 48 Annexe H : Liste de questions et réponses des usagers de la drogue page 57 Annexe I : Transcription de la vidéo avec Soli Pardo (politicien du « MCG ») page 60

Première partie

INTRODUCTION

LE QUAI 9 FACE AU QUARTIER DES GROTTES : UN CONFLIT D’USAGE EN MILIEU URBAIN 5

1.1 INTRODUCTION GENERALE Il y a dix ans, l’espace d’accueil et d’injection pour consommateurs de drogues, Quai 9, a vu le jour à Genève. Il a été placé derrière la Gare Cornavin, dans le quartier des Grottes. Cette installation a provoqué de fortes réactions de la part des riverains, qui craignaient une influence négative sur leur espace de vie. C’est la situation géographique à proximité d’un quartier résidentiel et accueillant de nombreux commerces qui a fait débat. Ainsi, il nous a paru intéressant de traiter ce sujet d’un point géographique étant donné que ce conflit se situe dans un espace clé de la ville, fréquenté par différents acteurs sociaux. Le Quai 9 a été conçu comme un bâtiment très visible, qui se détache clairement du paysage urbain par ses caractéristiques architecturales (couleur verte fluo, composé de containers …).

1.2. MISE EN CONTEXTE

1.2.1. LE QUARTIER DES GROTTES

Le quartier des Grottes se trouve au centre-ville de Genève1, entre la Gare de Cornavin au Sud-est, la rue de la Servette à l’Ouest et les rues Chouet, Grand-Pré et Fort-Barreau au Nord (selon le Service social de la Ville de Genève, 2006/2007 : 6). Un bref résumé des événements historiques permet de mieux saisir certains enjeux actuels. Selon une brochure d’information publiée par la Ville de Genève (Service social de la Ville de Genève 2006/2007 : 7-10), les premiers habitants se sont installés dans le quartier au 19ème siècle. Il s’agissait d’une population laborieuse à moyens économiques limités, ne pouvant pas se permettre la construction d’un habitat de qualité. Très vite, le quartier des Grottes est connoté comme étant « vétuste et insalubre » (2006/2007 : 8). Pour mettre un terme à cette « verrue » (2006/2007 : 8), la ville de Genève, propriétaire principale des parcelles, prévoit à partir de 1928 la destruction totale du quartier. Plus tard, et face à d’autres offensives radicales, les habitants forment dans les années 1970 l’association « Action populaire aux Grottes » : « on occupe les nombreux appartements vides, laissés à l’abandon. Une vie communautaire s’organise. Pour lutter contre la mort lente programmée, des activités sont mises en place : crèche, ateliers réunis, maison de la musique, cantine populaire, marchés… Habitants, occupants et sympathisants vont lutter trois ans pour sauver les Grottes. » (2006/2007 : 10) Cette mobilisation va réussir à persuader les autorités publiques d’abandonner leurs plans d’une démolition totale et de favoriser « une réhabilitation basée sur les besoins des habitants. » (2006/2007 : 8) Les traces de l’opposition sont encore visibles de nos jours : au-delà du paysage urbain qui reste avant tout composé d’anciens bâtiments, de nombreuses associations favorisent le contact entre les riverains et organisent régulièrement des évènements festifs. De plus, plusieurs petits commerces, cafés et une place animée au cœur du quartier contribuent à la maintenance d’un certain esprit de village.

1 Cf. plans en annexe, page 41.

LE QUAI 9 FACE AU QUARTIER DES GROTTES : UN CONFLIT D’USAGE EN MILIEU URBAIN 6

1.2.2. LE QUAI 9 ET SON HISTOIRE MOUVEMENTEE

Comme l’explique Martine BAUDIN2, directrice de l’association « Première Ligne 3» qui gère le Quai 9, c’est l’émergence du VIH dans les années 1980 et sa diffusion par l’utilisation de seringues usagées qui a poussé les experts du domaine de la santé à entreprendre des mesures concrètes pour réduire les risques liés à la consommation de drogue par voie intraveineuse. Après l’installation de points d’échange de seringues dans les pharmacies genevoises, un bus mobile a été mis en place en 1991. Il était également utilisé comme lieu d’accueil et d’information et desservait les endroits clés du milieu de la drogue. Pour Madame BAUDIN, le choix d’une structure mobile montre la crainte des instances politiques d’attirer de nouveaux consommateurs, mais aussi de nouveaux dealers avec la construction d’un centre permanent. Toutefois, peu après la mise en service du bus, un véritable débat a eu lieu concernant les lieux où le bus devait s’arrêter. De plus, « l’apparition de la consommation de cocaïne a entraîné une multiplication des injections et une dégradation de l’état de santé des consommateurs […]. Parallèlement, la drogue est devenue plus présente dans l’espace public urbain : augmentation du trafic, matériel d’injection laissé à l’abandon, injections dans des espaces publics. » (BENNINHOF, SOLAI, HUISSOND, DUBOIS-ARBER 2003 : 14) Face à cette évolution, le Groupe Sida Genève a déposé en 1999 une demande pour la création d’un lieu d’accueil permanent, incluant une salle d’injection. Deux ans plus tard, le gouvernement a accepté une motion parlementaire qui a permis, en décembre 2001, l’ouverture du Quai 9 (selon BENNINHOF, SOLAI, HUISSOND, DUBOIS-ARBER 2003 : 14). Finalement, il aura donc fallu presque une décennie pour qu’une structure fixe voie le jour en ville de Genève. Cette longue période reflète les points litigieux liés à ce type de projet. En effet, en plus d’un « travail de lobbying parlementaire, il a fallu réunir les différents partenaires (police, santé, etc.) et négocier des solutions acceptables par tous. L’idée a également dû faire son chemin dans l’opinion publique. » (BENNINHOF, SOLAI, HUISSOND, DUBOIS-ARBER 2003 : 14). Aujourd’hui, le Quai 9 est un élément central des mesures entreprises pour réduire les risques liés à la consommation de drogue. Les chiffres confirment le succès de cette politique : selon Martine BAUDIN, le taux de transmission du VIH-SIDA (nombre de personnes contaminées par le VIH-SIDA en pourcentage) aurait baissé de plus de 70%, à moins de 10%, sur 15 ans en Suisse. En ce qui concerne la décision de localiser l’établissement à proximité du quartier des Grottes et de la gare de Cornavin, la directrice de « Première Ligne » met en évidence le pragmatisme qui a accompagné cette phase du projet : il s’agissait de construire le centre dans un endroit où le marché de la drogue était particulièrement actif. Toutefois, l’intégration du Quai 9 dans un espace fortement fréquenté avec de nombreux commerces et des bâtiments locatifs à proximité n’a pas été facile : lors de la première année, de nombreux habitants se sont plaints auprès de l’équipe du Quai 9 des nuisances liées à la consommation de drogue. Afin d’améliorer l’ancrage du centre dans le quartier des Grottes et de créer un contact conciliant avec ses résidents, différentes mesures ont été entreprises, comme par exemple l’édition du journal gratuit « Première Ligne » ou l’organisation de soirées de contact, qui ont permis l’échange d’idées entre les habitants, les responsables du Quai 9 et les toxicomanes. De plus, un programme de ramassage de seringues dans le quartier des Grottes par des usagers du Quai 9 a été mis en place pour réduire les nuisances visibles. Malgré ces efforts, le centre s’est vu confronté ces dernières années à plusieurs motions parlementaires qui demandaient une fermeture immédiate du Quai 9, voire un déplacement

2 Les informations de Martine BAUDIN dans la partie 1.2.2. ont été obtenues lors de l’entretien exploratoire qui a eu lieu le 28 septembre 2011 au Quai 9. 3 http://www.premiereligne.ch, consulté le 25.04.2011.

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de ses services à l’hôpital cantonal. Dans ce sens, les déclarations faites par le candidat du « Mouvement Citoyen Genevois » Soli PARDO lors d’une interview avec la « Tribune de Genève » 4 en vue des élections municipales5 témoignent de l’actualité de la controverse : le Quai 9, « c’est le genre de lieu que les Genevois ne veulent plus avoir sous les yeux. […] Il ne faut pas le faire en pleine ville, il ne faut pas le faire au milieu des commerces, au milieu des habitants qui ont ça sous les yeux, ça peut parfaitement se déplacer ailleurs. » Madame BAUDIN souligne que les motions mentionnées ci-dessus et pratiquement l’ensemble des contestations politiques proviennent du « MCG », et met en évidence le caractère contestataire et isolé du parti. Selon notre interlocutrice, l’avenir du centre ne serait pas menacé, cette structure n’étant pour elle pas remise en question par l’Etat.6 En ce qui concerne la situation actuelle dans le quartier des Grottes, Martine BAUDIN estime qu’il y a une certaine acceptation de la part des habitants et mentionne plutôt des difficultés épisodiques. Elle précise que le mécontentement dû à la présence de seringues dans l’espace public surgit encore, mais qu’il s’agit d’un phénomène assez ponctuel.

4 http://www.tdg.ch/geneve/actu/soli-pardo-creons-etats-generaux-logement-2011-04-12, consulté le 12.10.2011. La transcription de la vidéo se trouve en annexe de notre travail (page 60). 5 Qui ont eu lieu en avril 2011. 6 Elle fait référence à la votation fédérale sur la révision de la loi sur les stupéfiants de novembre 2008, lors de

laquelle les électeurs genevois ont accepté avec une large majorité l’ancrage de la politique des quatre piliers (prévention, thérapie, réduction des risques, répression et régulation du marché). Source : http://www.bag.admin.ch/themen/drogen/00042/00624/06044/index.html?lang=fr, consulté le 23.09.2011.

Deuxième partie

PROBLEMATIQUE

LE QUAI 9 FACE AU QUARTIER DES GROTTES : UN CONFLIT D’USAGE EN MILIEU URBAIN 9

2.1. QUESTION DE RECHERCHE Notre travail se situe dans la problématique générale de la géographie des conflits, plus précisément des conflits d’usage d’un lieu fréquenté par différents types de populations. Nous avons décidé de nous focaliser sur deux groupes d’acteurs principaux : les usagers de la drogue et les riverains du quartier des Grottes. Dans une première partie, nous cherchons à comprendre quels effets l'installation du Quai 9 a eu sur le discours des habitants concernant leur espace de vie. Puis, nous nous intéressons aux différents usages qui sont faits de cet espace et comment ceux-ci sont défendus par les acteurs. Finalement, une dernière partie est consacrée à l'impact que le Quai 9 a eu sur l'image de ce quartier. 2.1.1. QUESTION DE DEPART Comment le Quai 9 cristallise-t-il les conflits autour des différents usages territoriaux dans le quartier des Grottes à Genève ?

2.2. CADRE THEORIQUE 2.2.1. EFFET NIMBY Une des manifestations particulièrement présente dans les conflits de localisation est le syndrome NIMBY. Une première définition de cet effet est donnée par Arthur JOBERT : « La ″théorie″ décrite sous le terme de ″syndrome NIMBY″ est simple : l'implantation de tout équipement collectif crée des nuisances pour les riverains proches de l'équipement alors qu'ils n'en tirent pas d'avantages directs. Ceux-ci auront donc pour réaction ″naturelle″ et égoïste de refuser le projet et de réclamer qu'il se fasse ailleurs. » (JOBERT 1998 : 71) Cet effet découle d’une métaphore résumée par l’expression « Not In MY Back Yard » (pas dans mon jardin, mais, implicitement, dans celui du voisin si cela vous arrange). Comme l’explique MARCHETTI dans son article, « cet acronyme est censé traduire l’attitude d’opposition d’une population locale vis-à-vis d’un projet lorsque celui-ci est susceptible d’entraîner certaines nuisances ou modifications, réelles ou supposées, dans le cadre de vie […]. Appliqué au problème de la localisation, le syndrome NIMBY est donc l’ensemble des symptômes en rapport avec la volonté de plus en plus grande des citoyens de ne pas vivre à proximité de ce qui est considéré comme une menace. » (MARCHETTI 2005 : 5) Enfin, notons que l’effet NIMBY est un phénomène d’opposition se réalisant dans un milieu local, dans un cadre de proximité entre les acteurs. Un autre aspect concernant la dimension spatiale est celui de la proximité : en effet, plus un riverain se trouve proche d’une structure potentiellement gênante, plus il aura tendance à manifester son opposition contre celle-ci. Comme le montre MARCHETTI, « l’éloignement par rapport à un équipement générateur de nuisances tient une place prépondérante dans l’esprit des citoyens. » (MARCHETTI 2005 : 22) PELLETIER, JOERIN et VILLENEUVE vont même plus loin en caractérisant la proximité comme motif de légitimation d’un conflit : « C’est en partie par une proximité spatiale que les acteurs acquièrent une légitimité à s’impliquer dans le conflit. Cette légitimité diminue toutefois avec l’éloignement géographique. » (PELLETIER, JOERIN, VILLENEUVE 2007 : 80) De plus, l’effet NIMBY s’accompagne bien souvent de discours de la part des riverains pour tenter de justifier leurs réactions. MARCHETTI énonce plusieurs types de discours que l’on retrouve fréquemment dans les conflits de localisation. Il précise notamment ce qu’il entend par « principe de localisation justifiée » (MARCHETTI 2005 : 12) : les personnes expriment au bout d’un certain temps une sorte de résignation et sortent quelque peu du schéma

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égoïste que caractérise parfois l’effet NIMBY pour tenter de trouver des éléments justifiant l’emplacement de la structure gênante. « En théorie, le principe de la localisation justifiée permet d’envisager des solutions de sortie de crise plus aisément que dans le cas d’opposition NIMBY. En effet, il est possible de répondre à ce type de revendications en démontrant qu’il existe bien des éléments objectifs qui justifient la localisation du projet contesté. » (MARCHETTI 2005 : 12) Toutefois, il est important de rester critique face au concept NIMBY qui peut parfois réduire les acteurs d’un conflit tenant ce genre de discours à des égoïstes, refusant de faire quelques efforts au nom de l’intérêt général. Caractériser un propos de syndrome NIMBY peut alors revenir à décrédibiliser les acteurs (LAFAYE 2000 ; TROM 1999). Dans cette perspective, nous considérons la déclaration liée à l’effet NIMBY comme le symptôme d’un conflit plus profond, lié à différents usages incompatibles de l’espace.

2.2.1.1. Axe de recherche 1 : Le discours NIMBY Notre première hypothèse dans cette recherche considère l’existence d’un effet NIMBY dans le discours des habitants du quartier des Grottes. Nous pensons que les habitants acceptent l’idée d’une structure d’accueil pour toxicomanes visant la réduction des risques, mais pas dans leur environnement immédiat. La base du conflit est ainsi l’emplacement géographique du Quai 9, trop proche de leur lieu de vie. Le discours NIMBY des habitants est alors centré sur les nuisances (réelles ou perçues) engendrées par le Quai 9, telles que la présence d’une population de toxicomanes et/ou de dealers dans les rues, la présence de seringues retrouvées dans l’espace public, un sentiment d’insécurité, etc. L’effet NIMBY peut impliquer une idée de mobilisation de la part des citoyens incommodés. L’hypothèse d’une telle mobilisation doit être gardée à l’esprit lors de notre analyse, même si les moyens de médiation mis en œuvre par l’association « Première Ligne » pour apaiser le conflit peuvent peut-être avoir fait effet sur ce point. La dernière hypothèse de ce sous-chapitre questionne le choix des autorités concernant l’installation du Quai 9 à proximité du quartier des Grottes et son influence sur le discours NIMBY. Ainsi, nous nous imaginons que certains habitants tentent de légitimer l’emplacement de la structure, en l’occurrence le Quai 9, par des arguments qui se réfèrent aux décisions effectuées par les instances politiques de la ville dans les années 907. L’installation du Quai 9 est donc le fruit d’une série de discussions, de réflexions menées par les autorités de la ville de Genève. Ainsi, les habitants acceptent peut-être le développement de ce centre, estimant que si cette décision politique est largement soutenue par les autorités genevoises, elle est en conséquence justifiée. Le discours NIMBY est alors atténué par cet aspect politique et transformé en résignation de la part des habitants. 2.2.2. LE CONFLIT D’USAGE

Les conflits d’usage sont définis comme « […] le résultat des insatisfactions d’une partie de la population quant à des actions entreprises ou projetées par leurs voisins, par des institutions privées ou par les pouvoirs publics. Ils sont le révélateur des innovations en cours dans les territoires et des résistances qu’elles suscitent. » (TORRE 2010 : 3) KIRAT ajoute

7 Un choix qui, selon l’entretien du 20 mars 2006 de Christophe MANI, ex-directeur de l’association « Première Ligne », résulte d’un raisonnement pragmatique : « Le Quai 9 a finalement vu le jour à cause de la dégradation des conditions d'injection due à une croissance massive de la consommation de cocaïne (on a même parlé d'épidémie) et des problèmes de voisinage occasionnés par de nombreuses injections effectuées dans des endroits inappropriés. » Source : http://www.salledeconsommation.fr/christophemani/index.html, consulté le 05.10.2011.

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que les conflits d’usage sont fortement liés à la nouveauté, et apparaissent souvent au moment des phases d’innovations sociales, techniques ou organisationnelles, « […] des innovations qui font question, provoquent des débats et des oppositions et conduisent souvent à la structuration de groupes d’acteurs qui s’opposent sur les options futures et cherchent à faire triompher leurs points de vue respectifs. » (KIRAT 2006 : 4) Ces conflits dépassent bien souvent la querelle entre simples particuliers et sont plutôt portés par des groupes d’acteurs locaux, des associations ou encore mobilisés par des hommes politiques qui peuvent en faire un enjeu (KIRAT 2006 : 5). La dimension spatiale, à nouveau, est primordiale dans ce genre de conflits : ceux-ci sont inscrits dans des territoires, c’est-à-dire qu’ils se déroulent entre des acteurs partageant un même espace, les mêmes biens. Une des revendications souvent exprimées tourne autour de l’idée de modification du paysage urbain qui dénature le paysage d’origine d’un quartier, à travers l’implantation de nouveaux équipements par exemple (TORRE 2010). Mais ce qui va être décisif dans ce genre de conflit sera la capacité des acteurs à définir quel usage du lieu est « le plus légitime ». En effet, on peut considérer le conflit d’usage comme une cohabitation de divers modes d’usage du territoire. Selon MORMONT, dans ce genre de conflits, « on tend nécessairement à mettre en évidence des incompatibilités entre des usages de l’espace qui sont propres à des groupes sociaux. […] Ce qui va jouer un rôle décisif dans ce conflit c’est la capacité relative des acteurs d’imposer des catégories de représentation de l’espace comme les catégories légitimes. » (MORMONT 2006 : 5) Certains usages de l’espace et les représentations qui y sont liées s’imposent dans un territoire et vont ainsi favoriser certaines catégories sociales au détriment d’autres, qui en seront exclues. Plus clairement, LEVY et LUSSAULT relèvent que les acteurs produisent un ensemble de discours, de représentations et de pratiques normatives du « bon usage » d’un espace (LEVY, LUSSAULT 2003 : 481). Cela entre aussi dans la conception d’espace porteur de normes de LEFEBVRE : « Par l’action du pouvoir, l’espace pratique porte en soi des normes et contraintes. » (LEFEBVRE 1974 : 413-414) Ainsi, les acteurs sociaux vont projeter des normes sur l’espace qu’ils utilisent. Celles-ci peuvent devenir visibles à travers des barrières physiques par exemple.

MORMONT parle en fait de « conflits de légitimité : l’espace étant une ressource relativement rare, il y a concurrence pour son appropriation entre des modes d’usage qui sont peu ou pas compatibles. Il s’agit alors de faire prévaloir des usages légitimes. Et les politiques publiques, spécialement celles qui organisent l’aménagement du territoire, sont évidemment cruciales pour consacrer la légitimité des usages. » (MORMONT 2006 : 6) RETAILLE fait le résumé suivant : « Les conflits d’usage ou d’origine renvoient, le plus souvent, à un débat portant sur la légitimité supérieure d’une référence ou d’une autre. » (RETAILLE 2011 : 2)

2.2.2.1. Axe de recherche 2 : Le « bon usage » du lieu

Dans le conflit lié à l’installation du Quai 9, deux groupes d’acteurs se distinguent : habitants et toxicomanes. Les tensions sont alors créées par deux usages différents d’un même lieu et la question de la légitimité d’un usage. D’une part, le quartier des Grottes est un lieu de résidence et de vie pour les habitants. D’autre part, les toxicomanes fréquentent ce quartier à des fins médico-sociales, c’est-à-dire pour avoir accès au Quai 9 et pouvoir utiliser ses ressources mais aussi pour des raisons pratiques, le marché de la drogue se trouvant à proximité.

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2.2.2.1. a) Habitants : le « bon usage » du lieu Notre principale hypothèse sur le bon usage du lieu est la suivante : les habitants du quartier des Grottes légitiment leur vision d’un « bon usage » de cet espace par une identification à ce lieu. Celle-ci se traduit par l’utilisation d’un discours mettant en avant l’image du « quartier-village ». En s’appropriant l’espace, ils se sentent en droit de déterminer quel usage de ce lieu est adéquat. Selon DI MEO, « s’identifier […] revient à se différencier des autres tout en affirmant son appartenance à des catégories, des groupes, mais aussi des espaces. » (DI MEO 2007 : 74) Ainsi, les résidents se différencient des usagers du Quai 9 de par leur catégorie sociale, mais aussi par leur espace. Les riverains s’identifient à l’espace et y associent des pratiques liées à leur groupe. Ils mobilisent l’argument d’appartenance à un quartier pour définir l’usage légitime de ce lieu. Ce lieu de vie est alors incompatible avec la structure du Quai 9. Les habitants dans leurs discours et leurs pratiques tentent d’imposer le « bon usage » de cet espace.

2.2.2.1. b) Toxicomanes : un usage marginal du lieu Tout d’abord, notons qu’il est plus difficile d’observer clairement les toxicomanes comme formant un groupe à part entière. Contrairement aux habitants, le quartier des Grottes est un « lieu d’usage » dans lequel les toxicomanes se rendent avec un but spécifique : avoir accès au centre d’injection qu’est le Quai 9 et fréquenter le quartier. Si discours il y a, celui-ci serait peut-être de nature à répondre à celui des riverains qui verraient l’installation du Quai 9 dans le quartier comme un problème. Pour justifier l’usage de cet espace en particulier, les toxicomanes peuvent s’en remettre à la décision des autorités de placer le Quai 9 à cet endroit de la ville. En effet, ce n’est pas un collectif de toxicomanes qui a amené à l’implantation du centre, mais l’association « Première Ligne », ainsi que les autorités de la ville de Genève. Cependant, l’espace est tout de même marqué par leurs pratiques, puisque durant de longues années, on a pu trouver des seringues usagées dans le quartier des Grottes. Désormais, un ramassage collectif et quotidien est effectué par les utilisateurs du Quai 98. On peut donc supposer qu’une partie des utilisateurs du centre d’injection ont conscience de leur impact sur la vie du quartier et qu’ils occupent aussi cet espace d’une manière particulière. 2.2.3. L’IMAGE DE QUARTIER Nous supposons donc que les habitants mobilisent l’argument d’appartenance à un quartier pour justifier et définir un usage particulier du lieu. L’idée de « quartier-village » est une représentation que certains usagers du lieu vont utiliser pour légitimer leur pratique de l’espace. Ainsi que le précise DI MEO, « comme tout espace, l’espace de vie est aussi un espace perçu et un espace représenté » (DI MEO 1991 : 62), considérant ainsi le quartier comme un espace de vie, pratiqué au quotidien. L’acteur social entretient une relation avec son environnement, relation qui se concrétise dans la production de représentations de ce même espace (DEBARBIEUX 2001 : 200). Notons également que des valeurs, des pratiques sont intimement liées à ces perceptions ; en effet « toutes les représentations de l’espace sont des constructions sociales : […] sociale car si la représentation est celle d’un individu, elle est liée à la culture et à la société de celui-ci. » (LEVY, LUSSAULT 2003 : 760) DEBARBIEUX

8 http://www.metropolitiques.eu/Quai-9-une-salle-d-injection-au.html, consulté le 15.09.2011.

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ajoute que « les groupes subordonnent leur pratique de l’espace à la production de représentations permettant de l’appréhender, de lui conférer une signification collective. » (DEBARBIEUX 2001 : 200) En fait, les quartiers peuvent constituer des cadres socialisateurs, dans lesquels l’individu acquiert un certain nombre de normes, de représentations et de pratiques spécifiques. AUTHIER va même jusqu’à dire que le quartier structure plus ou moins la vision du monde, les pratiques et les trajectoires de ceux qui l’habitent (AUTHIER 2006 : 212). Plus clairement, la ville (et donc le quartier) est avant tout une représentation intégrée des valeurs sociales (BAILLY, BAUMONT, HURIOT, SALLEZ 1995 : 5). Pour notre étude, nous insisterons sur l’aspect « proche et familier » du quartier. (GRAFMEYER, 2006 : 25) Une notion qui permet d’aller plus loin dans l’analyse est celle de « quartier-village ». En effet, « nombre d’acteurs recherchent ainsi un ancrage, une identification locale par la référence au quartier […] fréquemment référé au "village", type-idéal de l’espace de vie de proximité. Le quartier est un des outils de l’intégration signifiante de l’espace de pratique. Cela permet de s’assurer un statut sécurisant de "localier9" sans renoncer à la mobilité personnelle. » (LEVY, LUSSAULT 2003 : 760) LEHMAN-FRISCH explique qu’au cours de son étude, « lorsqu’ils tentent d’approfondir les raisons de leur attachement à leur quartier, les habitants et les commerçants en viennent tous et toujours à évoquer son aspect de "village" ou de "petite ville". » (LEHMAN-FRISCH 2002 : 63) Cette notion de quartier-village est caractérisée par la valorisation des ressources locales et architecturales issues du passé, la promotion d’espaces publics, un lien social fort relayé par des activités associatives. (FIJALKOW 2006 : 76) Enfin, un des derniers aspects importants dans la représentation d’un quartier est la question de la définition spatiale des limites de ce dernier. Ainsi, « le plus souvent le quartier est indépendant de toute limite administrative. » (CHOAY, MERLIN 1996 : 661) Les limites sont donc formulées par ses usagers, et sont en constante redéfinition. Selon GRAFMEYER, « si, pour certains le quartier est bien circonscrit dans un périmètre clairement identifié, pour d’autres au contraire l’espace considéré comme familier se polarise autour d’équipements ou de monuments emblématiques, ou encore autour de nœuds ou de voies de communication qui peuvent faire référence pour eux, là même où les divisions administratives tracent des frontières entre les quartiers. » (GRAFMEYER 2006 : 26)

2.2.3.1. Axe de recherche 3 : Représentations du quartier des Grottes Notre première hypothèse est la suivante : les habitants du quartier des Grottes considèrent leur lieu de vie comme « un village ». Le quartier des Grottes et son passé marqué par les divers associations de luttes liées à la classe ouvrière amènent ses usagers à le considérer comme un « quartier-village », un quartier où le lien social est encore possible, où on observe une certaine « vie de quartier ». Nous cherchons également à savoir si les habitants intègrent le Quai 9 dans les limites du quartier ou si, au contraire, ils le considèrent comme étant extérieur. En effet, la représentation du Quai 9 comme faisant partie du quartier peut traduire une certaine tolérance envers cette structure et les pratiques qui y sont liées. Au contraire, le rejet hors du quartier traduit une sorte de répulsion envers le centre et ses usagers. Enfin, la perception d’un quartier est variable en fonction des différents acteurs : le ressenti de l’influence du Quai 9 sur le quartier sera donc propre à chaque individu.

9 Par ce terme de « localier », LEVY et LUSSAULT veulent en fait parler du statut de résident rattaché à un lieu particulier (domicile, etc.) et du caractère rassurant de ce statut.

Troisième partie

METHODOLOGIE

LE QUAI 9 FACE AU QUARTIER DES GROTTES : UN CONFLIT D’USAGE EN MILIEU URBAIN 15

3.1. INTRODUCTION Pour ce qui concerne le travail de terrain, nous allons nous focaliser sur l’analyse du discours relatif à la situation actuelle dans le quartier des Grottes, afin de vérifier nos hypothèses et répondre aux questions mentionnées dans la partie précédente.

3.2. ENTRETIEN EXPLORATOIRE Avant de nous rendre sur le terrain et d’entreprendre les entretiens avec les usagers principaux de l’espace en question (à savoir : les habitants et les toxicomanes), il était important de réaliser un entretien exploratoire avec un expert du domaine, afin de préciser le cadre théorique et adapter les questions des grilles d’entretiens. Pour cela, nous nous sommes adressés à Martine BAUDIN.10 En tant que directrice, Madame BAUDIN connait les besoins et les problèmes du Quai 9 et de ses usagers. Toutefois, il est indispensable de mentionner que « subjectivité, manque de recul, vision partielle et partiale sont inhérentes à ce genre d’entretien. » (QUIVY, VAN CAMPENHOUDT 2006 : 60)

3.3. ENTRETIENS SEMI-DIRECTIFS Pour notre étude, nous avons choisi de procéder à des entretiens de type « semi-directifs » individuels. Comme le soulignent QUIVY et VAN CAMPENHOUDT, les entretiens semi-directifs donnent la possibilité d’analyser le « sens que les acteurs donnent à leurs pratiques et aux événements auxquels ils sont confrontés : leurs représentations sociales, leurs systèmes de valeurs, leurs repères normatifs, leurs interprétations de situations conflictuelles ou non, […] etc. » (QUIVY, VAN CAMPENHOUDT 2006 : 175) Ces éléments sont précisément ceux qui nous intéressent dans l’analyse du conflit d’usage où nous cherchons à comprendre les discours et les pratiques des habitants. L’utilisation d’entretiens semi-directifs permet des questions ouvertes afin de laisser parler l’interlocuteur et d’influencer le moins possible ses réponses. Le chercheur peut à tout moment rediriger la discussion si celle-ci prend une direction trop éloignée du sujet. 3.3.1. RECOLTE DE L’ECHANTILLON Pour la récolte d’échantillon, nous avons collé des affichettes sur les portes d’entrée des immeubles du quartier des Grottes dans un périmètre plus large que la délimitation officielle du quartier11, ce qui équivaut à un peu moins d’une centaine d’affiches. Nous avons choisi cette méthode, car elle nous semblait être la plus appropriée, simple et efficace pour recueillir des témoignages variés et représentatifs de la population du quartier. Ainsi, nous laissons la liberté aux habitants de nous contacter s’ils le souhaitent, nous recherchons des personnes bien disposées à nous répondre, à se laisser enregistrer, etc. Evidemment, cette méthode entraîne des biais très concrets dont il faut être conscient pour l’analyse de nos données. En effet, les gens ayant répondu à notre annonce ont sans doute été interpellés parce que le sujet les touche de quelque façon que ce soit. Nos interlocuteurs se sont montrés très engagés dans leurs propos face au Quai 9, qu’il soit positif ou négatif. Ainsi, les personnes peut-être moins touchées personnellement par le conflit et dont le discours aurait pu être différent nous ont échappé. Par ailleurs, le périmètre, relativement, large, dans lequel nous avons posé nos affichettes, peut également entraîner des biais dans la récolte de l’échantillon. En effet, la zone

10 Directrice de l’association « Première Ligne » qui gère le Quai 9. 11 Cf. plan officiel vs. plan de distribution des affichettes en annexe, pages 41 et 42.

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d’influence du Quai 9 dans le ressenti du conflit n’est pas quelque chose que nous avons clairement pu établir. Ainsi, il est possible que des personnes nous ayant répondu ressentent moins l’impact du Quai 9 et le conflit d’usage qui en découle en raison de la distance qui sépare leur habitation du centre d’injection. Finalement, sept habitants du quartier des Grottes ont pris contact avec nous pour participer aux entretiens.12 Nous les avons rencontrés entre le 28 septembre 2011 et le 26 octobre 2011 soit directement chez eux, soit dans un café du quartier.13 3.3.2. GRILLE D’ENTRETIEN

Pour mener les entretiens semi-directifs avec les habitants du quartier des Grottes, nous avons élaboré une grille spécifique qui englobe les trois axes14 développés dans la partie « Problématique » de ce travail. Pour cela, nous avons construit la grille en partant du général au spécifique, c’est-à-dire du ressenti des habitants dans leur quartier à la situation actuelle concernant le Quai 9, en passant par des questions concernant leur usage du quartier et la définition du « bon usage » qui en découle. De même, pour éviter d’influencer les réponses, nous avons tenté de formuler des questions ouvertes sans codage de valeur. Un choix que confirment GUMUCHIAN et MAROIS en déclarant que « le recours aux questions ouvertes nous apprend beaucoup sur les valeurs, les opinions, les attitudes des répondants car elle donne l’opportunité de s’exprimer librement sur une question ou un sujet donné. » (GUMUCHIAN, MAROIS 2000 : 254) Lors des entretiens, la grille nous a servi de cadre de référence, mais n’a pas toujours été appliquée avec la même rigidité : en effet, les questions concrètes ont pu varier d’un entretien à l’autre et être adaptées aux énonciations de l’interlocuteur, sans toutefois omettre les sujets principaux de notre travail. A noter aussi que la grille elle-même a été modifiée et améliorée après une première série d’entretiens, afin de mieux répondre aux exigences de notre travail de recherche. 3.3.3. SUPPORT VIDEO ET ARGUMENTS

Pour illustrer le point « effet NIMBY » dans le cadre des entretiens semi-directifs, nous avons utilisé la vidéo de Soli PARDO (MCG), mentionnée dans l’introduction de ce travail.15 Effectivement, le politicien suit dans son discours une argumentation typiquement « NIMBYiste » du point de vue des habitants, en revendiquant la délocalisation du Quai 9 à un endroit moins fréquenté et moins visible. L’insertion de la vidéo nous a permis d’observer la réaction des riverains face à cette position plutôt tranchée, sans que nous soyons obligés d’abandonner notre neutralité en tant que chercheurs. Toutefois, il est important de mentionner que la vidéo n’a pas pu être intégrée à chaque entretien, soit pour des raisons techniques, soit parce que l’interlocuteur avait déjà argumenté pareillement dans son discours. Dans un même sens, les arguments concernant la « légitimité du Quai 9 dans le quartier » ont confronté les habitants à des propositions assez marquées (qui n’étaient explicitement pas les nôtres), ce qui nous a permis d’obtenir des informations plus concrètes sur le sujet en question. De plus, pour garantir une neutralité, nous avons élaboré deux arguments opposés, le premier évoquant des aspects négatifs de l’installation du Quai 9, le deuxième

12 Cf. liste des interlocuteurs en annexe, page 44. 13 A la seule exception de l’entretien avec Lucie qui a eu lieu au parc des Bastions à Genève. 14 A savoir : discours NIMBY, le « bon usage » du lieu, représentation du quartier des Grottes. 15 Cf. transcription intégrale de la séquence vidéo en annexe, page 60.

LE QUAI 9 FACE AU QUARTIER DES GROTTES : UN CONFLIT D’USAGE EN MILIEU URBAIN 17

louant des effets positifs du local d’injection. Précisons qu’il s’agissait pour les habitants de se positionner face aux deux arguments, et non pas de choisir celui qui convient le plus.

3.4. ENTRETIENS PAR QUESTIONNAIRE Pour connaître l’opinion des usagers du Quai 9 sur l’emplacement du centre dans un espace fortement fréquenté et très visible, il était prévu de mener plusieurs entretiens semi-directifs semblables à ceux réalisés avec les habitants du quartier des Grottes. En prenant contact avec la directrice du Quai 9, il s’est avéré impossible d’obtenir un rendez-vous avec les toxicomanes. Comme alternative, Madame Baudin nous a proposé de lui envoyer une liste de questions qui ont été posées aux toxicomanes par des travailleurs sociaux du Quai 9. Nous avons donc tenté de trouver des questions adaptées aux difficultés d’une telle démarche : il s’agissait d’élaborer des formulations courtes et facilement compréhensibles, ne demandant pas de précisons. En même temps, nous avons essayé de poser des questions ouvertes qui influencent le moins possible l’interlocuteur, tout en évoquant les sujets principaux qui touchent les usagers de la drogue.16 C’est donc par l’intermédiaire d’un médiateur, les travailleurs sociaux, que nous avons pu connaître l’avis des toxicomanes. Il est important de mentionner que nous n’avons eu aucune influence sur le cadre dans lequel ont été réalisés les entretiens, ni sur le déroulement de ces derniers. Les réponses obtenues de trois usagers de la drogue ont été très brèves et se résument souvent à une seule phrase. Toutefois, étant donné que les toxicomanes forment un des groupes d’usagers principaux, nous pensons que leur avis est indispensable pour notre travail et avons donc décidé d’en tenir compte lors de l’analyse, malgré les biais rencontrés. Afin de faciliter la compréhension, nous avons paraphrasé les réponses des usagers de la drogue : il ne s’agit donc pas de citations directes, mais plutôt de résumés reformulés de notre part.17 Notons finalement que la qualité des informations concernant les toxicomanes ne peut pas, en conséquence, être comparée à celle obtenue lors des entretiens semi-directifs avec les habitants.

16 Cf. liste de questions pour les entretiens avec les toxicomanes en annexe, page 57. 17 Cf. annexe H, pages 57 – 59.

Quatrième partie

ANALYSE

LE QUAI 9 FACE AU QUARTIER DES GROTTES : UN CONFLIT D’USAGE EN MILIEU URBAIN 19

4.1. GENERALITES Pour analyser les entretiens réalisés avec les habitants des Grottes et les informations obtenues des toxicomanes par l’intermédiaire des travailleurs sociaux, nous allons nous référer aux axes de recherches développés dans la partie théorique de ce travail de recherche. Toutefois, avant de procéder à l’analyse, il est important de remarquer que la perception d’un quartier peut varier d’un acteur social à un autre, même si des valeurs communes coexistent. Selon PAN KE SHON, les individus ne sont pas tous sensibles aux mêmes attraits (loisirs, animation, équipements de proximité, tranquillité, sécurité, chaleur relationnelle) de leur lieu d’habitation : cela dépend de leur catégorie sociale (PAN KE SHON 2005 : 4) : « ces remarques reviennent à dire que deux personnes vivant dans un même quartier et soumis aux mêmes qualités et défauts de celui-ci pourraient avoir deux jugements opposés selon leurs particularités sociodémographiques. » (PAN KE SHON 2005 : 6)

4.2. LE DISCOURS NIMBY Un des effets immédiats que nous avons pu observer dans le discours des habitants est un discours de type NIMBY. Rappelons-le, l’effet NIMBY est traduit par « Not In My BackYard » qui signifie schématiquement « pas dans mon jardin, mais ailleurs ». Comme le mentionne JOBERT (1998), l’effet NIMBY entraîne une opposition de la part de la population locale, non pas par rapport à la politique d’un projet, mais par rapport à son emplacement géographique. Lors de nos entretiens, toutes les caractéristiques classiques d’un discours NIMBY sont ressorties : le refus de proximité avec la nouvelle structure comme « réaction "naturelle" et égoïste » selon JOBERT (JOBERT 1998 : 71), l’absence de contestation envers la légitimité du projet en lui-même et la modification du paysage perçue comme une nuisance visuelle. Dans un deuxième temps, nous avons constaté un discours qui va au-delà des caractéristiques premières du phénomène NIMBY : d’abord, les habitants reconnaissent bien la difficulté de trouver un lieu pour implanter le Quai 9. Puis, une certaine résignation se manifeste quant à la localisation du centre à proximité du Quartier des Grottes. 4.2.1. CARACTERISTIQUES SYMPTOMATIQUES DU DISCOURS NIMBY Pour commencer, certains interlocuteurs remettent en cause la position géographique de cette institution. Ce qui est problématique pour eux, c’est la proximité entre leur lieu de vie et l’objet du conflit – ici le Quai 9. Celle-ci joue un rôle dans l’intensité du ressenti des effets négatifs. Le quartier des Grottes ne se résume certes pas aux rues jouxtant le pavillon vert du Quai 9, mais nous sommes en mesure de nous demander si les riverains qui donnent littéralement sur ce dernier ont un discours plus « NIMBYiste » que les autres. Ainsi, le fait de voir la structure du Quai 9 depuis leurs fenêtres aurait un impact négatif sur la tolérance des habitants envers la situation géographique du centre. Comme le soulignent PELLETIER et al. , « […] c’est en partie par une proximité spatiale que les acteurs acquièrent une légitimité à s’impliquer dans le conflit. » (PELLETIER, JOERIN, VILLENEUVE 2007 : 80) Plusieurs habitants mobilisent cet aspect pour expliquer leur opposition.

« Il n’y a personne qui a envie d’avoir ça à côté de chez lui … »

« Moi ce qui me gêne, c’est où il est. C’est vraiment sa localisation dans le quartier.

C’est un quartier où il y a des enfants, où il y a des familles, où c’est vraiment hyper

… il y a vraiment énormément de gens. »

LE QUAI 9 FACE AU QUARTIER DES GROTTES : UN CONFLIT D’USAGE EN MILIEU URBAIN 20

Nous constatons que bien souvent, ces mêmes personnes ne s’opposent pas à la politique intrinsèque au projet. Ils ne sont pas contre une structure d’accueil du type du Quai 9, c’est-à-dire une consommation de drogue minimisant les risques, et encouragent même cette gestion du problème de la drogue. C’est uniquement la position géographique qui pose problème.

« Oui, je suis pour la libéralisation de la drogue, pour qu'on n’ait pas de trafic comme

on en a. Parce que je pense que la plus grosse partie des violences, c'est le trafic. »

« Ben déjà, je trouve que c'est une bonne chose déjà tout ce qui est lié à la réduction

des risques au niveau du SIDA. C'est tout à fait novateur, il y a pas mal d'autres villes

en Europe qui sont en train de se poser la question. »

Un dernier aspect classique du discours NIMBY concerne la modification du paysage urbain suite à l’installation d’une structure. Comme nous le rappelle TORRE (2010), « l’expression matérielle des changements à l’origine des conflits relève de plusieurs catégories, qui sont : la construction, la dégradation ou la destruction d’un bien, d’un paysage ou d’une infrastructure. » (TORRE 2010 : 5) En effet, pour certains de nos interlocuteurs, c’est l’aspect esthétique de la structure du Quai 9 qui dérange, en tant qu’intrusion dans le paysage.

« Bon, je ne suis pas super ravie d'habiter en face. En fait, ça ne me gêne pas

d'habiter en face et c'est vrai que j'ai hâte que les arbres poussent parce que ce n’est

pas très joli. La vue des toxicomanes, ça ne me gêne pas. C'est plutôt la vue de ces

gros containers. Mais bon, ils font au mieux, donc bon, c'est plutôt ça qui me gêne

plutôt que les toxicomanes qui passent devant. »

« On peut dire qu’architecturalement, c’est hyper moche, parce que c’est un truc

provisoire. »

4.2.2. RESIGNATION ET DISCOURS DE LEGITIMATION DE LA LOCALISATION Après une première phase de mécontentement de la part des riverains face à l’emplacement du Quai 9, certains tentent de construire une réflexion logique sur les possibilités alternatives à la situation actuelle du centre. Par ailleurs, plusieurs habitants réalisent qu’il est difficile de trouver un endroit idéal, après avoir proposé puis rejeté un certain nombre de lieux à Genève. Certains de nos interlocuteurs tentent de retracer le raisonnement qui a été effectué par les autorités politiques. En effet, il est important de rappeler que l’emplacement du Quai 9 résulte d’un choix politique pragmatique : comme nous l’avons précisé dans le premier axe de recherche du travail en citant Christophe MANI18, c’est la dégradation de la situation liée à la consommation de drogue et l’augmentation des nuisances pour le voisinage qui ont poussé les instances politiques à opter pour une structure permanente dans le centre-ville de Genève.19 Les deux habitants cités ci-dessous relèvent que le quartier de Champel ne conviendrait pas. Selon eux, ce quartier, relativement aisé de Genève, ne serait pas à même d’accepter « aussi bien » une telle structure. Ainsi, ce constat est une façon de tolérer le Quai 9 et ses nuisances près de chez eux.

18 Ancien directeur de l’association « Première Ligne ». 19 Cf. partie 2.2.1.1. Axe de recherche 1 : le discours NIMBY, page 10.

LE QUAI 9 FACE AU QUARTIER DES GROTTES : UN CONFLIT D’USAGE EN MILIEU URBAIN 21

« Alors, si j’ai une baguette magique, je déplace tout de suite le Quai 9. […] Ah ouais,

[…] tu vas à l’autre bout de la ville. Tu déménages dans… je ne sais pas, pas dans le

quartier de Champel. Mais bon. Parce que voilà, là-bas ça serait encore plus mal vu.

Mais je dirais euh, je ne sais pas, vers euh … non, pas vers Meyrin. Mais peut-être pas

non plus en campagne, mais entre les deux quoi. Vers euh … »

« Si j'essaie de réfléchir à quel endroit ils auraient pu le mettre ben ... A mon avis, à

la base y a d'abord eu un désir politique de vider la place du Molard qui est au centre-

ville qui est une rue marchande. A mon avis, il y a quand même eu une pression

politique par rapport à ça. Ce genre de choses, il n’y en aura jamais dans un quartier

comme Champel. C'est un peu ça aussi quelque part. Je ne veux pas être extrémiste,

mais ici c'est un quartier populaire. Après, géographiquement vous mettez ça dans

une zone industrielle à Plan-Les-Ouates, est-ce que les junkies vont aller là-bas ? Je

ne sais pas, je trouve que ... Bon comme je l’ai dit, je n’ai pas une opinion tranchée,

mais voilà c'est dérangeant quand même ... »

Un autre type d’arguments mobilisé par les habitants est celui de la centralité du quartier de la gare. Ce lieu est non seulement au cœur de la ville de Genève, mais il concentre aussi une bonne partie du marché de la drogue et accueille un important poste de police. Il serait ainsi un non-sens de mettre le Quai 9 en pleine campagne où ce dernier serait difficile d’accès, peu surveillé et trop éloigné du marché de la drogue.

« Je verrais mal un centre d'injection à Dardagny ou à Bernex, enfin personne n'irait

là-bas et je crois que les habitants seraient d'autant moins contents. »

« Et je pense qu’à côté de la gare, il y a les flics pas loin, je pense que c’est une

bonne idée de l’avoir mis là. C’est près de la gare, comme ça, ça les concentre tous

au même endroit ou en tout cas dans la même région. »

Enfin, les riverains manifestent au bout d’un certain temps une forme de résignation face à leur premier mécontentement concernant la localisation du Quai 9. Ils sortent ainsi du schéma « égoïste » qui découle fréquemment du discours NIMBY. (MARCHETTI : 2005)

« C’est un peu chiant pour les gens qui vivent tout près comme nous. Mais bon, ben,

je préfère à la rigueur qu’ils soient concentrés là ou vers l’église [plutôt] qu’ils soient

vers l’école ou dans des parcs où là il y a des enfants qui jouent quoi. »

« Le problème a été déplacé quelque part, je sais qu’il faut qu’on l’accepte … »

« Je ne connais personne dans mon immeuble qui va dire : "Ah ouais le Quai 9, il

devrait être déplacé." »

4.2.3. LA LOCALISATION DU QUAI 9 POUR LES TOXICOMANES Comme nous l’avons constaté lors de l’analyse des réponses par questionnaire adressé aux usagers du Quai 9, la localisation du centre est également problématique pour les toxicomanes. Ceux-ci relèvent le caractère trop visible de cette structure de par sa couleur et son implantation dans un endroit très fréquenté. En effet, plusieurs lignes de trams, des voies de trains et un grand axe de transport routier (rue de la Servette) passent à proximité du Quai 9 qui se retrouve sur un « îlot urbain » au milieu du trafic. Cette trop grande visibilité devient ainsi gênante pour les utilisateurs du centre d’injection. Nous supposons que

LE QUAI 9 FACE AU QUARTIER DES GROTTES : UN CONFLIT D’USAGE EN MILIEU URBAIN 22

ce malaise résulte d’une norme de la société en général qui définit la consommation de drogue comme une mauvaise pratique.

4.3. LE « BON USAGE » DU LIEU L’une des facettes du conflit d’usage entre les habitants du quartier des Grottes et les usagers du Quai 9 est celle du « bon usage » du lieu en question. Comme le rappelle MORMONT (2006), le conflit d’usage implique une incompatibilité entre deux activités sur un même espace. Les acteurs vont alors commencer par définir leur vision du « bon usage » et user de stratagèmes pour l’imposer au détriment de l’autre population en discorde. C’est ce « conflit de légitimité » (MORMONT 2006 : 6) que nous allons tenter d’analyser au travers de cet axe. Nous allons ainsi voir quelle utilisation du quartier est légitime selon eux, mais aussi par quels procédés ce « bon usage » est défendu. 4.3.1. L’IDENTIFIACTION A L’ESPACE COMME MOYEN DE LEGITIMATION D’UN USAGE Comme nous l’avons mentionné dans la problématique, l’identification au quartier des Grottes joue un rôle important dans le conflit. En effet, pour DI MEO « s’identifier […] revient à se différencier des autres tout en affirmant son appartenance à des catégories, des groupes, mais aussi des espaces. » (DI MEO 2007 :74) Nous avons ainsi tenté d’observer la relation des habitants à leur quartier et constaté un attachement certain au quartier dans leur discours comme nous le développerons plus en détails dans l’axe 3. Ici, notre interlocutrice parle de son attachement au quartier. Les riverains apparaissent donc comme une unité liée par une identification à leur espace et aux pratiques qui en découlent. Cette identification mêlée à un attachement affectif au quartier permet donc aux habitants de se différencier de la population toxicomane et ainsi de légitimer un certain usage de leur lieu de vie.

« Moi j'adore mon quartier. Les gens des Grottes, ils adorent leur quartier. »

4.3.2. DEFINITION DU « BON USAGE » Par leur nombre, les habitants du quartier des Grottes forment le groupe dominant des différents usagers de l’espace en question et ont, en conséquence, une grande influence sur la définition du « bon usage » de ce lieu. Comme mentionné plus haut, cette définition se construit pour Lévy et Lussault à partir « d’un ensemble de discours, de représentations et de pratiques normatives » (LEVY, LUSSAULT 2003 : 481) : ainsi, les habitants perçoivent le quartier comme étant destiné à l’habitation ou à des activités commerciales, étant donné que ce paysage urbain se compose surtout de bâtiments locatifs et que les résidents eux-mêmes l’utilisent pour y habiter et consommer dans les cafés ou commerces alentour. A travers la quotidienneté, ces pratiques obtiennent une valeur normative et pénalisent ainsi d’autres usages. C’est notamment ce processus qui explique les tensions observées lors de l’installation du Quai 9 : bien que la consommation de drogue se fît depuis plusieurs décennies autour de la gare de Cornavin, c’est la construction d’un centre permanent et fortement visible au cœur du quartier qui a suscité l’opposition des riverains. En précisant ce qui les gêne dans le quartier, certains de nos interlocuteurs mettent en avant ce qu’ils considèrent comme un « mauvais usage » : cela les incommode, voire les révolte ou encore les met mal à l’aise car, sans forcément l’exprimer directement, ils ne considèrent pas ces activités comme légitimes dans leur quartier. Ce sont des nuisances qu’ils n’acceptent pas, car elles sont souvent liées à des activités ou à un comportement qui ne devraient pas avoir leur place dans un quartier. En règle générale, ce n’est pas tant l’activité de prise de

LE QUAI 9 FACE AU QUARTIER DES GROTTES : UN CONFLIT D’USAGE EN MILIEU URBAIN 23

drogue au sein du Quai 9 qui dérange (celle-ci semble inévitable dans la société en général et le Quai 9 apparaît comme un bon compromis), mais plutôt les effets qui en découlent, comme par exemple le fait de retrouver des seringues dans des espaces publics, la présence de deal ou encore les nuisances sonores. Certains ont toutefois précisé que ces troubles n’avaient parfois rien à voir avec la structure du Quai 9, ou alors étaient indirectement liés à ce dernier.

« Mais, en tout cas, enfin moi je vois depuis qu’il y a le Quai 9, ouais c’est vraiment

une ruée de … de drogués qui vont là-bas. Après, ça ne me gênerait pas s’ils faisaient

attention aux habitants : donc pas de casse, pas crier à minuit le soir, pas de… de

ouais de gens qui viennent se piquer dans les allées, pas d’engueulades, pas de

bagarres … A la limite, ça passerait. Mais là, c’est l’inverse. Il y a … Ils ne font pas

attention, ils se croient tout permis. Dans ce cas-là, oui c’est gênant. Ça peut même

être très gênant. »

« Ici ce qui pose problème à certains, c'est les bagarres dans les cours [d’immeubles]

et qui, globalement, n’ont pas grande chose à voir avec le Quai 9. […] Les

consommateurs sont un non-problème. »

« Alors ce qui est plus désagréable par rapport à la drogue, ce n’est pas tellement les

drogués, mais peut être euh … les revendeurs. Voilà, c’est ça qui est gênant. »

Par ailleurs, le « mauvais usage » est parfois sous-entendu par opposition à un usage adéquat dans le discours de nos interlocuteurs. Aller au Quai 9 n’est pas une situation socialement « normale ». Si l’on se rend dans cette structure, c’est que l’on est drogué et notre interlocutrice ci-dessous ne veut surtout pas qu’on la considère comme telle, car cela ferait d’elle un membre de la population des usagers du Quai 9 et non plus de celle des habitants du quartier. Pour reprendre l’analyse de DI MEO (2007), sur l’identification par la différenciation développée précédemment dans la problématique, cette habitante tient à se différencier des toxicomanes et à rester dans la catégorie de population qui a un « bon usage » de cet espace. Le sous-entendu est exprimé par « l’étiquette tox » qui est bel et bien celle d’un « mauvais usage » du quartier.

« Moi ce qui m'inquiète le plus, c'est de retrouver des seringues dans ma boite aux

lettres, comment on fait pour manipuler, moi ça me ferait chier d'aller là-bas ramener

la seringue parce que je connais quand même tous mes voisins et s’ils me voient

rentrer là-dedans, c'est bon ils vont se dire que c'est l'étiquette tox directement. Mais

même moi, si je voyais ma voisine rentrer là-dedans, je me dirais "mais elle va

s'injecter ?!" »

Pour certains, ce « mauvais usage » du quartier peut même aller jusqu’à prendre le dessus sur le « bon usage » défini par les habitants. Ces derniers observent une occupation de l’espace par un autre usage et le lieu lui-même leur apparaît différent : certains habitants ne se sentent plus chez eux de par la présence trop importante d’un usage qui n’est pas le leur.

« Je me sens moins proche de ce quartier. J’ai limite envie de partir quand je vois

certaines personnes. […] Et tout d’un coup, enfin j’ai ce sentiment de répulsion parce

que je me sens… j’ai l’impression que ce n’est plus ma place quoi. Et c’est

dommage. »

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4.3.3. STRATEGIES POUR DEFENDRE LE « BON USAGE » Le « bon usage » ressort aussi du discours des habitants par les mesures physiques ou éphémères que prennent ces derniers pour le défendre. Les riverains ont recours à différentes stratégies pour empêcher un mauvais usage de leur quartier et en promouvoir un autre. D’une part, des mesures concrètes et durables sont prises pour empêcher un usage illégitime du lieu : des barrières physiques (grillages, digicodes, éclairages automatiques, etc.). Celles-ci sont les plus évidentes, mais pas forcément les plus efficaces. Comme le montre LEFEBVRE, « par l’action du pouvoir, l’espace pratique porte en soi des normes et contraintes. » (LEFEBVRE 1974 : 413-414) Ces barrières protègent l’espace physiquement et montrent implicitement l’exemple du « bon usage ».

- « Alors oui, chez nous, ils ont installé des éclairages avec un détecteur de mouvement. » - « Vous pensez que ça un effet, ces mesures ? Ça peut aider à lutter contre … » - « Ça peut aider contre les deals, des choses comme ça. Mais le drogué qui veut se

faire sa dose, ça va pas l’arrêter. »

Le Quai 9 lui-même peut également faire office de délimitation spatiale. L’avantage d’une telle structure est sa capacité à « canaliser » le problème et à le restreindre à un espace confiné sans contact avec l’extérieur. Cette vision voit alors la structure du Quai 9 d’une manière positive face au problème d’une utilisation dérangeante du quartier puisque certes elle impose un usage mais elle le limite à son espace. Le Quai 9 n’est plus vraiment la source du problème, mais plutôt une solution.

« Avant, il n'y avait pas de bâtiment, mais il y avait des secteurs, et puis on déplaçait

toujours ces secteurs. […] Je me rappelle quand c'était à la place du Molard ou au

Jardin Anglais, ça c'était gênant. Parce que le Quai 9, ça les contient, c'est un

bâtiment, ils peuvent faire ça à l'intérieur, ils sont entre eux. »

D’autre part, des activités d’un jour ou d’un week-end (fêtes de quartier, manifestations, marché, etc.) sont organisées afin de montrer et promouvoir un certain usage du quartier. En occupant l’espace d’une certaine manière, les habitants montrent leur vision du « bon usage » et l’imposent dans l’espace. Certains immeubles ont par ailleurs affiché des pancartes interdisant l’usage de seringues dans les allées20. Ces panneaux d’interdiction ne représentent pas vraiment une barrière physique qui empêche les toxicomanes de s’injecter de la drogue, mais leur présence permet d’occuper indirectement l’espace et de limiter de façon symbolique des pratiques. Ces différentes façons de régir l’espace sont ainsi révélatrices d’une volonté d’imposer son usage à son espace.

« C'est vrai que j'ai eu des voisins qui disaient "essayons d'occuper l'espace" parce

que c'est vrai que quand il y a des gens dehors, je ne sais pas quand il y a des

barbecues en bas, on peut faire des actions pacifiques. Bon, il y en a qui voulaient y

aller avec des pancartes et tout, mais c'est vrai que faire des barbecues dehors, de

faire des pique-niques entre voisins ça, c'est une façon de lutter contre le problème ...

il y a des gens qui passent, et puis voilà c'est d'occuper de l'espace ... »

« Ecoutez, moi j’ai l’impression que justement, que … que … ouais, qu’ils organisent

beaucoup de choses, […] voilà, ça ne gomme pas le problème, mais déjà comme dit,

s’il ne s’y passait rien sur cette place, elle serait peut-être beaucoup plus facilement

envahie. »

20 Cf. photos en annexe, page 40.

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4.3.4. LE « BON USAGE » ET LES TOXICOMANES

Du point de vue des toxicomanes21, leur usage du quartier des Grottes ne semble pas si différent de celui des habitants. Les usagers du Quai 9 l’utilisent d’abord comme lieu de passage et se restreint parfois à cela. Mais cet espace apparaît aussi comme un lieu de vie agréable au même titre que pour les riverains. En effet, certains toxicomanes sont ou ont été des résidents. D’autres participent aux activités et aux fêtes organisées ou se rendent au « resto scout » qui est un restaurant associatif qui distribue des repas gratuitement. Ces usages semblent conformes à la définition du « bon usage » que les habitants expriment dans leur discours. Néanmoins, certains consomment de la drogue à l’extérieur du Quai 9 et donc dans l’espace public du quartier. Sur ce point, les toxicomanes ont effectivement un usage qualifié d’illégitime par les habitants. Cependant, les usagers du Quai 9 semblent conscients qu’ils représentent un « mauvais usage » pour les riverains et intériorisent cette norme sans forcément la respecter. Ils évitent par ailleurs tout contact avec les habitants : les toxicomanes savent sans doute qu’ils représentent le « mauvais usage ». Leur définition du « bon usage » est donc la même que celle des habitants, car ils adhèrent à la norme d’un usage imposé par ce groupe. Ainsi, les toxicomanes ne semblent pas vouloir défendre ou promouvoir un certain usage du lieu. Ils se contentent d’utiliser le quartier comme bon leur semble en ayant conscience des « bons et mauvais usages » sans discours revendicatif à ce propos.

4.4. LA PERCEPTION DU QUARTIER DES GROTTES Dans le conflit portant sur l’utilisation du quartier des Grottes, la perception du quartier et l’identification à ce dernier par ses différents acteurs sont sous-jacentes à de nombreux discours, dont celui se rapportant aux normes implicites du bon usage de cet espace. Nous avons cherché à mettre en lumière ces différentes représentations et images du quartier à travers nos entretiens. Comme le rappelle DEBARBIEUX, « les groupes subordonnent leur pratique de l’espace à la production de représentations permettant de l’appréhender, de lui conférer une signification collective. » (DEBARBIEUX 2001 : 200) Pour légitimer un certain usage du lieu, les habitants font implicitement référence à des normes propres à un certain espace, en l’occurrence le quartier des Grottes. Tout se passe comme si l’appartenance au quartier découlait d’un processus identitaire. Les habitants considèrent leur quartier comme un lieu de vie et de socialisation, et l’arrivée d’une nouvelle structure peut être à même de perturber ce « milieu de vie ». Nous tenterons de voir comment l’image du quartier est mobilisée pour appréhender l’installation du Quai 9 et l’arrivée de nouvelles pratiques dans le quartier. 4.4.1. UN « QUARTIER-VILLAGE » Tout d’abord, le quartier des Grottes se définit par opposition à d’autres quartiers comme étant un « véritable quartier », authentique, répondant exactement à la définition du quartier telle que les habitants l’entendent. Ainsi, on retrouve bien l’idée de CHOAY selon laquelle « les représentations traditionnelles du quartier l’associent à une unité de vie collective et postulent une sociabilité spontanée. » (CHOAY, MERLIN 1996 : 662) En effet, nos interlocuteurs mettent régulièrement en avant le caractère « vivant », « convivial » du quartier des Grottes.

21 Cf. réponses obtenues des toxicomanes en annexe, pages 57 – 59.

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« C'est un quartier urbain, animé, vivant, contrairement à juste à côté où on a des quartiers qui sont morts comme le Vidollet. C'est des espaces de logements où les gens ne se parlent pas beaucoup et ne se voient pas beaucoup. Ici, on est dans un vrai quartier. »

- « Quels adjectifs donneriez-vous pour décrire l'ambiance du quartier actuellement ? » - « Sympathique, vivant. Surtout vivant en fait je crois, parce qu'il y a le marché, y a beaucoup d'activités entres voisins. Il me semble qu'ils font pas mal de choses. Et puis c'est quand même un quartier où les gens sont dehors, il y a pas mal de terrasses, et oui plutôt vivant avant toute chose. »

En outre, les habitants des Grottes se représentent souvent leur quartier comme un village, avec tous les implicites liés à l’idée d’une communauté villageoise : convivialité, proximité, lien social. Cette représentation de communauté villageoise repose sur des associations de résidents (jardins d’enfants autogérés, associations des artisans), les parcs locaux (parc des Cropettes), les activités en commun (marché, soirée à thème, fête de la musique, etc.) et les écoles, mais aussi des lieux symboliques (par exemple la place des Grottes et sa fontaine) auxquels se rattachent l’identité du quartier (LEHMAN-FRISCH 2002 : 64). Pour LEHMAN-FRISCH (2002), cette comparaison traduit un attachement des habitants à leur quartier. Le même message est donné, mais par des sources différentes, lorsqu’on se rend sur le site internet de l’association des commerçants du quartier des Grottes22. Le site accueille le visiteur avec le slogan « Les Grottes, un village dans la ville ». Après avoir décrit le quartier comme « typique et authentique, respirant la vie heureuse », le site fournit un plan du quartier, ce qui offre une délimitation « officielle ». Force est de remarquer que ces deux discours d’origines différentes présentent des points communs. Lors de nos entretiens, cette comparaison du quartier avec une ambiance de village est souvent apparue.

« Parce que les Grottes, il y a encore des choses qui se passent, c'est un quartier qui bouge énormément, il y a encore le marché ... Ouais, il y a beaucoup de choses qui se font. Je n’irais pas habiter à Meyrin, parce qu’ici il y a encore une ambiance de village, c'est agréable. Ça s'est un peu embourgeoisé, mais sinon c'est sympa. »

« C’est un quartier où il fait bien vivre et qui est un peu à l’échelle humaine, c’est un petit village et nous aussi, on a grandi dans ce village, on a eu nos enfants. On a créé avec d’autres copains un jardin d’enfants autogéré. »

Nous nous sommes également rendu compte que les usagers du Quai 9 avaient une vision du quartier semblable à celle des habitants, dans le sens où ils le considèrent aussi comme un lieu agréable23, où il y a beaucoup d’activités. Certains le considèrent comme un lieu de passage, mais d’autres le fréquentent quand des activités sont organisées (fête de la musique, concerts, etc.). Ainsi, il existe une identité propre à ce quartier, à même de transmettre certaines valeurs associées à la convivialité, à une ambiance festive, une culture artistique et un sens du partage. Certains de nos interlocuteurs nous ont parlé de « l’esprit des Grottes » comme représentant l’ensemble de ces valeurs.

« Ça fait partie de l’esprit des Grottes. Ça c’est… enfin les fêtes, la fête de la musique, des manifestations, ça c’est vraiment je trouve que ça fait un peu partie de l’ambiance conviviale. Il y a des manifs. Enfin de temps en temps, c’est bien, il y a des expos, des marchés… C’est [une] ambiance un peu conviviale. »

22 http://www.grottesvillage.ch, consulté le 25.04.2011. 23 Cf. réponses obtenues des toxicomanes en annexe, pages 57 – 59.

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En construisant une identité propre à ce quartier, les habitants bâtissent également l’idée d’une communauté réunie autour des mêmes valeurs. C’est le fait de considérer ces valeurs présentes chez autrui qui est à l’origine de l’idée du partage d’une même communauté. Pour LEHMAN-FRISCH, « en voulant reconnaître le même lien au quartier chez les autres, ces habitants créent l’idée d’une véritable communauté autour de ce sentiment d’affection pour [leur quartier]. » (LEHMAN-FRISCH 2002 : 63) Une des habitantes reprend exactement ce raisonnement :

« Moi j'adore mon quartier. Les gens des Grottes, ils adorent leur quartier. »

4.4.2. L’INFLUENCE DU QUAI 9 SUR L’IMAGE DU QUARTIER Ensuite, on retrouve dans le discours des habitants l’influence que l’installation du Quai 9 a eu sur le quartier. Néanmoins, comme nous l’avons déjà vu plus haut, la perception d’un espace peut varier selon les individus, notamment en fonction de leur catégorie sociodémographique (PAN KE SHON 2005). Cela ressort dans nos entretiens : en effet, pour la plupart de nos interlocuteurs, l’installation du Quai 9 a eu un effet sur leur représentation du quartier, mais cette nouvelle représentation n’est pas univoque. Certains relèvent le côté novateur de l’installation et son aspect bénéfique sur le quartier. D’autres, au contraire, remarquent les effets négatifs sur l’ambiance et la sécurité du quartier, qui se répercutent directement sur l’image de celui-ci.

« Moi je trouve que le Quai 9, ça donne plutôt une image avant-gardiste. Et puis c'est vrai que ce n’est pas très joli, mais là ils ont mis des petites plantes devant. »

« Parce que, ben ouais, pour moi ça a eu une influence directe [l’installation du Quai 9], rien que pour l’image. Je veux dire, le touriste qui vient, qui sort de la gare, puis il voit ça, il doit être là : "Ok, certes, mais …" »

« Oui quelque part aussi ce n’est pas un environnement de vie qui est des plus ... Ce n’est pas bisounours quoi je veux dire. […] On ne se sent pas très bien dans le quartier, non non ça c'est clair.»

Un élément semble intervenir dans la perception de l’influence du Quai 9 sur le quartier, c’est la durée de résidence dans le quartier. En effet, si pour une de nos interlocutrices, le Quai 9 donne une image novatrice et « avant-gardiste » au quartier, il faut noter qu’elle n’a pas vécue l’arrivée du Quai 9 dans le quartier et que, résidant depuis cinq ans dans son domicile, elle nous a déclaré avoir choisi en connaissance de cause son logement. Deux autres, au contraire, habitent depuis plus de dix ans dans le quartier et ont donc vécu l’installation du Quai 9. Ils peuvent en conséquence faire une comparaison concernant l’ambiance du quartier au regard de ce qu’ils ont vécu auparavant. Néanmoins, d’autres habitants résidant depuis plus de 10 ans dans le quartier ne voient pas d’éléments négatifs liés à l’installation du centre. Par exemple, un résident habite depuis dix-sept ans dans le quartier :

« C'est convivial, c'est agréable, il y a une bonne dynamique dans le quartier. C'est un bon quartier, zéro souci. »

4.4.3. DEFINITION DES LIMITES DU QUARTIER Pour comprendre l’influence que le Quai 9 a eu sur le quartier des Grottes, la question de la définition des limites du quartier est prépondérante. En effet, certains habitants choisissent d’exclure le Quai 9 (en tant que structure), proposant ainsi un rejet au-delà des limites du quartier. Ce rejet exclut également les usagers du Quai 9 et leurs pratiques au sein de cet espace.

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« Pour moi, les Grottes commencent juste au-dessus des rails de tram. […] Le Quai 9, on l’assimile plus au quartier de la Gare … »

« Ici où on est présent [place des Grottes], il y a encore une petite ambiance de quartier. Si vous allez 50 mètres plus bas, c’est la zone à côté de la gare … »

A l’inverse, ceux qui incluent le Quai dans leur quartier, acceptent également les activités et la proximité du Quai 9. Certains habitants ont effectué des comparaisons significatives :

« Le Quai 9 par rapport aux Grottes, c’est notre petite "léproserie" si vous voulez. »

On sent une nette appropriation du Quai 9 au quartier dans ce discours. Typiquement, la léproserie se situe généralement aux abords du village, isolée, pour éviter toute contamination, mais elle est intégrée à celui-ci. Force est de remarquer que la situation est très similaire dans la position spatiale du Quai 9 par rapport aux Grottes.24 Il se situe à l’orée du quartier, mais certains habitants décident de l’intégrer tout en considérant son caractère spécial et spécifique.

24 Cf. plan du quartier en annexe, page 42.

Cinquième partie

CONCLUSION

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Dans la problématique, nous avons mentionné que le but de notre recherche était de comprendre quelle influence le centre d’injection du Quai 9 a eu sur le quartier des Grottes et sur les discours et représentations des habitants. Notre question de départ était donc la suivante : comment le Quai 9 cristallise-t-il les conflits autour des différents usages territoriaux dans le quartier des Grottes à Genève ? Afin de répondre à cette question, nous avons élaboré trois principaux axes de recherche. Le premier cherche à savoir s’il existe un effet NIMBY dans le discours des habitants et si ces derniers affichent une certaine résignation face à l’emplacement géographique du Quai 9 après 10 ans d’existence. Le second tente de comprendre comment les habitants définissent et légitiment le « bon usage » de leur quartier et par quelles pratiques ils tentent d’imposer leur usage du lieu. De plus, cette deuxième piste de recherche cherche à savoir s’il existe une définition du « bon usage » propre aux toxicomanes. Enfin, le dernier axe traite du concept de « quartier-village » que certains usagers du lieu (habitants et toxicomanes) utilisent pour légitimer leurs pratiques et les normes sous-jacentes. Cet axe a également pour but d’observer si les habitants intègrent la structure du Quai 9 dans leur quartier et si l’image de ce dernier a été modifiée par l’implantation du centre d’injection. Pour tester nos hypothèses de recherche, nous avons utilisé différentes méthodes et ressources selon le type d’acteurs interrogés. L’entretien exploratoire avec Madame Martine BAUDIN, directrice de l’association « Première Ligne » qui gère le Quai 9, nous a permis d’avoir une première approche du terrain et de mieux saisir les enjeux liés à cet espace. Par la suite, nous avons entrepris des entretiens semi-directifs avec les habitants du quartier. Pour les toxicomanes, des entretiens par questionnaire, médiatisés par les travailleurs sociaux du Quai 9, ont été menés. A l’issue de cette recherche, nous constatons d’abord que le conflit d’usage entre les résidents du quartier des Grottes et les usagers du Quai 9 est bien réel, même s’il semble s’être atténué après 10 ans d’existence du centre. En effet, ce conflit est toujours d’actualité et perceptible dans le discours des riverains qui se manifeste par un effet NIMBY. Bien que la politique de réduction des risques du Quai 9 paraisse être largement acceptée par nos interlocuteurs, la question de la localisation reste un point contesté. Toutefois, une tendance à la résignation s’observe dans les propos exprimés par les habitants. Ainsi, la structure du Quai 9 semble s’être intégrée dans le paysage et a plus ou moins fini par se faire accepter, étant donné la difficulté à trouver un emplacement alternatif à la situation actuelle « derrière » la gare de Cornavin. Par ailleurs, les toxicomanes ne sont pas non plus entièrement satisfaits de la situation géographique du Quai 9. Ils relèvent son caractère trop visible dans un espace très fréquenté. Dans un deuxième temps, l’axe concernant le « bon usage » du lieu a révélé l’existence d’une définition relativement claire de la part des habitants. Ces derniers défendent un « bon usage » de l’espace lié à leur lieu de vie avec des activités qui sont inhérentes à l’habitation d’un quartier (passage, achats, loisirs, fêtes). Les résidents passent par un processus d’identification mêlé à un attachement affectif au quartier qui leur permet de se différencier de la population des usagers de la drogue et de légitimer leur définition du « bon usage ». Différentes stratégies permettent aux riverains de défendre cette vision : des barrières physiques et symboliques (barrières, digicodes, etc. mais aussi affiches interdisant l’usage de la drogue), ainsi que des mesures visant à occuper l’espace (fêtes, marchés, manifestations, etc.). Du côté des toxicomanes, nous avons constaté qu’il n’existe pas de définition du « bon usage » propre à leur groupe. Ils reprennent plutôt l’usage définit par les habitants tout en le transgressant de temps à autre, en consommant de la drogue à l’extérieur du Quai 9.

LE QUAI 9 FACE AU QUARTIER DES GROTTES : UN CONFLIT D’USAGE EN MILIEU URBAIN 31

Enfin, dans la dernière partie de notre recherche concernant les représentations de l’espace du quartier des Grottes, notre analyse permet de saisir l’importance du concept de « quartier-village ». En effet, les habitants se rassemblent autour de cette idée d’un espace de vie proche de celui d’un village et ont le sentiment de former une « communauté unie ». C’est également par ce ressenti que les riverains sont en mesure de donner une définition commune à tous du « bon usage » de leur espace, mais aussi de défendre ces normes et ces pratiques. Bien que la majorité de nos interlocuteurs reconnaissent un changement de l’image du quartier suite à l’arrivée du Quai 9 en 2001, cette modification est perçue de différentes manières. Certains estiment que cette structure a ajouté une note positive à leur environnement en rassemblant les toxicomanes dans un espace délimité. D’autres perçoivent le Quai 9 comme étant responsable d’une dégradation de la situation dans leur quartier étant donné qu’il aurait eu un effet d’attraction des toxicomanes et ainsi multiplié les nuisances liées à la consommation de drogue dans l’espace public. Selon ces deux manières de percevoir l’influence du Quai 9, les habitants définissent les limites de leur quartier en incluant le centre dans leur espace de vie ou, au contraire, en le rejetant. Enfin, il serait intéressant de poursuivre d’autres pistes de recherches basées sur nos observations. Tout d’abord, des entretiens semi-directifs approfondis avec les usagers du Quai 9 permettraient de mieux comprendre leur perspective dans le cadre de ce conflit. De plus, une étude quantitative avec un échantillon tous ménages pourrait confirmer l’hypothèse d’un rôle joué par la proximité entre le lieu d’habitation et la structure contestée (Quai 9). Dans une perspective théorique, notre recherche porte sur les conflits d’usage en milieu urbain mettant en jeu une structure entraînant des nuisances typiquement propres à la ville. Ceci contrairement à une bonne partie des études réalisées dans ce domaine qui prennent souvent pour cadre un milieu périurbain ou rural (débats portant sur les installations d’éoliennes, de centrales nucléaires, autoroutes, etc.). Finalement, notre travail permet de dresser un état des lieux de la situation actuelle entre le Quai 9 et le quartier des Grottes, et constitue un bilan de l’installation d’un centre de réduction des risques au sein d’un quartier. Une analyse qui prend tout son sens dans le contexte actuel, où la question de la mise en place d'une telle infrastructure devient un enjeu de débat dans plusieurs pays européens.

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ANNEXES

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ANNEXE A : PHOTOS DU QUAI 9 ET DES GROTTES

Photo 1 : le Quai 9 depuis la rue de la Servette. (Clémence Bulliard, le 17 septembre 2011)

Photo 2 : le Quai 9. (Clémence Bulliard, le 17 septembre 2011)

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Photo 3 : par ses aspects visuels, le Quai 9 ressort clairement du paysage urbain typique du quartier des Grottes. (Clémence Bulliard, le 17 septembre 2011)

Photo 4 : la place des Grottes avec, en arrière-plan, le parc des Cropettes. (Clémence Bulliard, le 17 septembre 2011)

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Photo 5 : angle rue des Grottes / rue du Midi. (Clémence Bulliard, le 17 septembre 2011)

Photo 6 : place des Grottes avec la fontaine au centre. (Clémence Bulliard, le 17 septembre 2011)

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Photo 7 : affichette repérée dans l’allée du 15 rue des Gares. (Clémence Bulliard, le 21 octobre 2011)

Photo 8 : affichette repérée dans l’allée du 15 rue des Gares. (Clémence Bulliard, le 21 octobre 2011)

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ANNEXE B : PLANS DU QUARTIER

Illustration 1 : situation du quartier des Grottes face au centre-ville de Genève. (source : http://etat.geneve.ch/geoportail/monsitg/, consulté le 03 novembre 2011)

Illustration 2 : délimitation officielle du quartier des Grottes selon le « Guichet cartographique du Système d'Information du Territoire Genevois. » (source : http://etat.geneve.ch/geoportail/monsitg/, consulté le 03 novembre 2011)

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Illustration 3 : périmètre de distribution des affichettes avec l’emplacement du Quai 9. (fond de carte : http://etat.geneve.ch/ geoportail/monsitg/, consulté le 03 novembre 2011)

Illustration 4 : plan du quartier des Grottes publié sur le site internet de « l’Association des commerçants et artisans des Grottes ». (source : http://www.grottesvillage.ch/home.html, consulté le 19 octobre 2011)

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ANNEXE C : AFFICHETTE POUR ENTRETIEN AVEC HABITANTS

Bonjour,

Nous sommes des étudiants en 3e année de

Bachelor en Géographie à l’Université de

Neuchâtel. Nous faisons un petit mémoire de

Bachelor sur le quartier des Grottes et sur la

structure du Quai 9. Nous cherchons à comprendre

l’impact qu’a eu l’installation du Quai 9 dans votre

quartier et dans votre vie quotidienne.

Votre collaboration pour une interview nous serait

très précieuse. Merci de prendre contact avec nous

par mail : [email protected] – ou par

téléphone 079 452 25 15.

Meilleures salutations,

Clémence Bulliard, Camille Daudet, Laura Favrat et

Raphaël Perrier.

LE QUAI 9 FACE AU QUARTIER DES GROTTES : UN CONFLIT D’USAGE EN MILIEU URBAIN 44

ANNEXE D : DETAILS DES ENTRETIENS Entretien exploratoire Martine Baudin Directrice de l’association « Première Ligne » (qui gère le Quai 9). Entretien réalisé le 28 septembre 2011, durée : 60 min 08. Habitants * Daniel 35 ans ; profession inconnue ; habite depuis 2010 à proximité du Quai 9. Entretien réalisé le 03 octobre 2011, durée : 48 min 05. Fabrice Age et profession inconnus ; habite depuis 1994 dans le quartier des Grottes. Entretien réalisé le 28 septembre 2011, durée : 43 min 04. Lucie 21 ans ; étudiante ; habite depuis 1990 à proximité du Quai 9. Entretien réalisé le 17 octobre 2011, durée : 65 min 41. Patrick Age et profession inconnus ; habite depuis 1998 ans à proximité du Quai 9. Entretien réalisé le 28 septembre 2011, durée : 52 min 35. Robert 61 ans ; profession inconnue ; habite depuis 1975 dans le quartier des Grottes. Entretien réalisé le 05 octobre 2011, durée : 50 min 10. Sophie 25 ans ; restauratrice d’art ; habite depuis 2006 à proximité du Quai 9. Entretien réalisé le 03 octobre 2011, durée : 47 min 34. Sylvie Age inconnu ; médecin ; habite depuis 1994 dans le quartier des Grottes. Entretien réalisé le 26 octobre 2011, durée : 39 min 07. Usagers de la drogue * Bruno Entretien réalisé à la fin du mois d’octobre 2011 par un travailleur social du Quai 9. Jean-Marc Entretien réalisé à la fin du mois d’octobre 2011 par un travailleur social du Quai 9. Paul Entretien réalisé à la fin du mois d’octobre 2011 par un travailleur social du Quai 9.

* Prénoms fictifs

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ANNEXE E : GRILLE POUR L’ENTRETIEN EXPLORATOIRE

Questionnaire à l’attention de Mme BAUDIN, directrice de l’association « Première Ligne » – 28 septembre 2011

Objectifs de l’interview : comprendre « l’histoire du Quai 9 » et comment son installation s’est déroulée, ainsi que l’état de la situation actuelle. • Quels ont été les acteurs qui ont été à l’origine du lancement du Quai 9 ? Y-a-t-il eu un collectif d’usagers de la drogue à l’origine du Quai 9 ou de Première ligne ? • Pour quelles raisons exactement ce centre a-t-il été placé dans le quartier des Grottes ? • Quelles ont été les réactions du voisinage lors de l’installation du centre ? Y-a-t-il eu un conflit ? Si oui, quelles ont été les démarches mises en place pour le régler ? • Quel est l’état de la situation actuelle dans le quartier des Grottes ? Avec quels problèmes le centre se voit-il confronté en ce moment ? • Comment définiriez-vous les rapports qu’entretiennent les usagers de la drogue et les habitants du quartier? Ce rapport s’est-il modifié depuis 2001 ? • Pensez-vous que les habitants qui sont en conflit avec le Quai 9 estiment que certaines activités ne sont pas légitimes dans leur quartier ? Pensez-vous qu’il y a une certaine appropriation des habitants à leur quartier ? • Lors d’une interview avec la TDG en vue des élections municipales de ce printemps, Soli PARDO du MCG revendique ouvertement le déplacement du Quai 9 loin de la gare, des commerces et des habitants. S’agit-il d’une opinion isolée ou plutôt d’un mouvement plus général ? A votre avis, est-il réaliste, voire nécessaire d’envisager un tel déplacement ? • Quel est votre avis sur l’installation d’un centre comme celui du Quai 9 ? Pourquoi ? • Pensez-vous qu’il serait possible de réaliser une interview de toxicomanes à propos de l’éventuel conflit entre les usagers de la drogue et les habitants du quartier.

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ANNXE F : GRILLE D’ENTRETIEN HABITANTS

Présentation du groupe et du travail

Présenter les membres du groupe, expliquer la

démarche et les sujets de notre travail.

Informer l’interlocuteur de l’enregistrement de l’entretien et demander l’accord de citer son nom et les déclarations faites lors de l’interview dans le travail.

Présentation de l’interlocuteur

Connaître l’identité de l’interlocuteur : nom, âge, profession, situation familiale et adresse (pour savoir si plus ou moins proche du Quai 9)

Depuis quand habitez-vous le quartier des Grottes ?

Vécu & ressenti

Que représente pour vous le quartier des Grottes ?

Que pensez-vous du quartier dans lequel vous vivez ? Comment vous sentez-vous bien dans ce lieu ? Y-a-t’il des choses qui vous dérangent ou déplaisent ? Lesquelles ?

Quels adjectifs selon vous qualifieraient l’ambiance du quartier des Grottes actuellement ?

Y-a-t-il des zones dans le quartier que vous évitez généralement ? Quels sont vos endroits préférés ? Lesquelles ? Si oui, pour quelles raisons ?

Utilisation quotidienne du quartier

Combien de temps êtes-vous présent dans le quartier des Grottes lors d’un jour de semaine typique ? Comment utilisez-vous le quartier (habitation, courses, activité professionnelle, …) ? Passez-vous beaucoup de temps dans les rues et si oui, pour quelles activités précisément ?

Point de vue sur le Quai 9

Le Quai 9, un centre d’injection pour toxicomanes, se trouve au cœur du quartier des Grottes. Que pensez-vous de cette institution ? Est-ce que vous vous informez sur ses activités ? Si oui, comment (journal « Première ligne », site d’internet, soirée de contact) ?

Comment participez-vous à la vie du quartier ?

LE QUAI 9 FACE AU QUARTIER DES GROTTES : UN CONFLIT D’USAGE EN MILIEU URBAIN 47

Bon usage du lieu

Y-a-t-il des activités qui vous déplaisent dans le

quartier ?

Quelle est votre opinion face à la consommation de substances illicites dans le quartier des Grottes ?

Tolérez-vous ces pratiques des activités du Quai 9 dans votre quartier ? Pourquoi ?

Est-ce l’usage de drogue tout court qui vous pose

problème ou l’usage de drogue dans votre quartier ? Etes-vous en désaccord avec cette façon de gérer le problème de la drogue ou avec la situation géographique du Quai 9 ?

Légitimité du Quai 9 dans le quartier

Que pensez-vous des arguments suivants ?

L’installation du Quai 9 à proximité du quartier

des Grottes a été une intrusion dans la vie du Quartier. Elle a eu une influence négative sur l’ambiance générale.

La Quai 9 a permis d’améliorer l’encadrement

des toxicomanes et de diminuer les nuisances liées à la consommation de drogues (ramassage des seringues).

Effet NIMBY ? + Support vidéo

Quel est votre opinion face à l’installation du Quai 9

dans un espace très fréquenté avec des commerces, des écoles et des bâtiments locatifs à proximité ?

Montrer la vidéo de Soli Pardo (MCG) → Que pensez-

vous de cette proposition ? Devrait-on délocaliser le « Quai 9 » à un endroit moins fréquenté et moins visible ?

Evolution de la situation

Si l’interlocuteur habite depuis plus de 10 ans dans le

quartier : comparé à la situation avant l’ouverture du centre en 2001, quels changements pouvez-vous observer dans le quartier ?

Comment décririez-vous la situation actuelle dans le

quartier (au niveau des seringues dans les rues, de la sécurité, des toxicomanes dans les caves etc. …) ?

Dans le futur, si la possibilité vous était donnée de

changer quelque chose, que modifieriez-vous dans votre quartier ?

LE QUAI 9 FACE AU QUARTIER DES GROTTES : UN CONFLIT D’USAGE EN MILIEU URBAIN 48

ANNEXE G : PUBLICATION INTEGRALE DE L’ENTRETIEN SEMI-DIRECTIF MENE AVEC DANIEL (HABITANT) Entretien réalisé le 03 octobre 2011 dans un café sur la place des Grottes. Durée : 48 min 05. DANIEL - J’ai 35 ans, j’habite là depuis un an et demi. En fait, moi j’ai pas mal bougé en Suisse romande. Je me suis marié en 2002 à la Tour-de-Peilz, qui est dans le canton de Vaud. Après, j’ai habité en Valais. Enfin j’ai pas mal bougé ! Puis là ben j’ai rencontré quelqu’un et je me suis rapproché d’elle. Je suis venu habiter … elle, elle habite là depuis trois ans. Moi, je suis venu habiter là il y a un an et demi. ETUDIANTS – Est-ce que vous habitez à proximité du Quai 9 ? DANIEL - Ben je l’ai sous mes fenêtres ouais … Ben je vais vous montrer justement les photos que je vous ai amenées … [Commentaires sur les photos]. Quand je suis dans mon canapé, donc face à ma télé, quand je regarde sur la droite, j’ai une fenêtre, et en bas de cette fenêtre, je ne vois pas le Quai 9 en lui-même, je vois l’entrée du Quai 9. Et puis, on voit régulièrement passer l’ambulance, genre quasiment une fois par jour, avec le bruit. Puis il s’est passé un truc justement la dernière fois là-bas, quelques jours après qu’on ait pris rendez-vous, où ils sont venus, après les flics sont venus, et tout, enfin moi, j’ai fait le paparazzi et j’ai tout photographié ça. ETUDIANTS – Et donc, en fait, quand vous êtes arrivé, il était déjà là ? En fait, vous n’avez pas vécu l’arrivée du Quai 9 ? DANIEL - Non, je n’ai pas vécu l’arrivée, mais ça fait un moment que ça existe déjà… une dizaine d’années. Non non, l’arrivée, je n’ai pas du tout vécu ça. Non non, moi je suis arrivé bien après. Voilà, c’est ce que je vois quand je suis assis du haut de mon 5ème étage [en montrant les photos]. Quand ils s’engueulent devant leur petit portail ou bien quand ils font la queue, quand ils font la queue juste là quand c’est fermé, alors là, moi, je n’ai qu’à tourner la tête et je les vois. ETUDIANTS – Et vous entendez le bruit ? DANIEL - Alors, j’entends le bruit, je les entends souvent s’engueuler. Parce que moi, j’ai tout le temps la fenêtre ouverte, parce que ben on est juste sous les toits, donc il fait chaud, et j’ai tout le temps la fenêtre … donc effectivement, quand ça gueule, 99 fois sur 100, c’est le Quai 9. ETUDIANTS – Et pour vous, c’est une nuisance, enfin ça vous dérange ? DANIEL - Vous savez, on est au bas de la Servette, c’est une des rues les plus bruyantes de Genève, les ambulances, tout ça, on les entend plus… moi, au tout tout début où j’habitais là … je n’habitais pas seulement ici. Je dormais un peu ici, et puis un petit peu à Vallorbe qui est le trou du cul du monde ... et ben Vallorbe est hyper calme, je me réveillais la nuit, ici je dors comme une masse toute la nuit ... le bruit …on s’était presque habitué au bruit quoi.

LE QUAI 9 FACE AU QUARTIER DES GROTTES : UN CONFLIT D’USAGE EN MILIEU URBAIN 49

ETUDIANTS – Et quand vous êtes arrivé, vous avez su directement ce que c’était ? DANIEL - Elle m’a expliqué, ouais ouais, elle m’a expliqué … mais bon, ben voilà … je sais que ça existe, je sais que c’est une particularité suisse d’aller jusque là dans le chouchoutage des drogués. Il se trouve que moi, il y a quelques années euh … il se trouve que j’ai un peu consommé des drogues durs, donc je connais un peu l’envers du décor aussi … heureusement, moi je suis clean depuis plusieurs années. Et puis je me suis fait suffisamment peur la dernière fois pour ne plus avoir envie de toucher à ça. Mais je pense que voilà … c’est un peu chiant pour les gens qui vivent tout près comme nous. Mais bon, ben, je préfère à la rigueur qu’ils soient concentrés là ou vers l’église, qu’ils soient vers l’école ou dans des parcs où il y a des enfants qui jouent quoi. ETUDIANTS – Ok. Alors, on a une … des listes de questions à vous poser… et puis… pour vous, le quartier des Grottes, qu’est ce que ça représente ? DANIEL - C’est un vieux quartier de Genève, c’est encore un des quartiers qui n’est pas envahi de buildings, vous n’avez qu’à voir la hauteur des maisons, c’est encore … ça fait encore vieux quartier. C’est un quartier qui a une histoire. Bon, qu’ils l’aient mis là, je pense … pour moi, les Grottes commencent juste au dessus des rails de tram. C’est plus euh … le Quai 9, on l’assimile plus au quartier de la Gare … ETUDIANTS – Oui, mais bon… Est-ce que vous voyez une influence ? DANIEL - Ah oui, ça fait trainer beaucoup de monde. ETUDIANTS – Et puis, dans votre usage, dans la relation avec le quartier, vous vous balader, vous faites vos courses ici, vous sortez ? DANIEL - Sans crainte, sans crainte … moi, sans aucune crainte, à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Quand ma copine finit de bosser à onze heures le soir, j’essaie, quand je peux, d’aller la chercher. Pas qu’elle rentre toute seule. ETUDIANTS – Mais vous, vous êtes souvent présent dans le quartier ? DANIEL - Oui, tous les jours … j’ai une vie normale, quoi. Je fais juste attention … on est un peu plus regardant sur qui on laisse entrer dans l’immeuble. Et puis on fait juste gaffe à sur quoi on marche au milieu de la nuit quoi… Parce que dans le petit escalier, je ne sais pas si on voit depuis là ... non, on ne le voit juste pas, juste pas … C’est dans l’immeuble qui est là, il y a un petit escalier là en béton, et en fait, les deux côtés de l’escalier sont en béton. Donc ce qui fait que s’il y a quelqu’un qui s’assied, on ne voit plus rien. On ne voit pas de l’extérieur qu’il y a quelqu’un. Et très souvent, enfin avant, la saison passée, je partais bosser tous les matins à quatre heures et demie, et aller … deux fois par mois, je trouvais sur l’escalier un drogué, soit en train de se droguer, soit en train de piquer du nez, qui avait versé à cette endroit-là. Pour les photos, j’en ai une autre, je vais vous la montrer aussi … [il fouille dans le tas de photos.] Mais une fois on en avait trouvé un, il devait être en train de consommer, je pense, et puis il s’est affalé là, et … alors, je ne l’ai pas là la photo … mais je vous en prie, continuez seulement vos questions …

LE QUAI 9 FACE AU QUARTIER DES GROTTES : UN CONFLIT D’USAGE EN MILIEU URBAIN 50

ETUDIANTS – Oui oui, alors, ben, toujours un peu sur l’ambiance du quartier : si vous aviez quelques adjectifs qui vous viennent à l’esprit pour décrire l’ambiance, bon vous êtes arrivé, il n’y a pas longtemps, il y a peut-être … ou ce qu’on vous a raconté, voilà … DANIEL - On m’a rien raconté … Moi je trouve que … ici où on est présent, il y a encore une petite ambiance de quartier. Si vous allez cinquante mètres plus bas, c’est la zone à côté de la gare … je pense qu’il y a un esprit. Ce qu’ils ont fait, et qui est très intelligent dans le quartier, c’est que sur la place qui est juste là, il y a des animations genre un weekend sur deux. Alors une fois, c’est une soirée africaine, deux semaines plus tard, c’est une brocante … en fin, il y a des animations vraiment … ETUDIANTS – Vous y allez ? DANIEL - Alors, oui, moi ça m’arrive en rentrant de m’y arrêter pour boire un verre, d’y passer … Je veux dire : il y a de l’animation ici pour contrer un petit peu … je pense que si c’était vide et s’il ne s’y passait jamais rien, ça serait plus facilement envahi… ETUDIANTS – Pour contrer quoi ? DANIEL - Pour contrer la présence d’indésirables qui sont plus proches de la gare. ETUDIANTS – Le fait qu’il y ait une vie de quartier, ça permet d’éviter des effets nuisibles ? DANIEL - Ça permet en tout cas de focaliser l’esprit et le regard des gens sur autre chose. ETUDIANTS – Et puis, qu’est ce que vous pensez du Quai 9, plus au niveau ben … de cette politique d’injection dans un centre ? DANIEL - Il y a un pays, je ne sais plus si c’est le Laos ou si c’est le Cambodge, un de ces pays par là-bas en Asie, où ils ont une politique de consommation de drogue qui est beaucoup plus dure, c’est que si on vous trouve dans la rue, même en temps que touriste … avec je ne sais pas moi, un pétard ou une dose de quelque chose, on va faire un test d’urine ou de sang … Si vous êtes négatif … si vous êtes positif, vous êtes un toxicomane, vous partez tout de suite en camps de désintox. Ca dure deux ans, enfin c’est très dur, et puis si vous êtes négatif, ben vous êtes un dealer. Alors là, c’est la corde directement. Ça, c’est une manière qui est très cru, mais voilà … ils ont peut-être moins de problèmes. En Suisse, on a tendance à toujours tout laisser aller un petit peu, à tolérer, à accompagner, à aider … Je vais peut-être vous sembler un peu raciste ou un peu nationaliste, mais si ces structures-là sont là pour aider les Suisses, les gens qui sont dans le besoin en Suisse, j’y trouve une utilité. De la même manière qu’un centre de désintox pour l’alcool ou bien … ou, voilà des centres de santé pour divers addictions, divers maladies. Maintenant, le problème c’est que, vu qu’on est beaucoup plus libéral en Suisse à ce sujet-là, ben ça ouvre du tourisme, ça ouvre beaucoup de tourisme. ETUDIANTS – Donc vous avez l’impression, ça a attiré du monde ? DANIEL - Moi, je ne l’ai pas vu de mes yeux … Mais ce qu’on raconte, c’est ce qui se dit, c’est qu’en fait il y a des gens de Lyon, de Bellegarde, des alentours qui prennent le train, qui ne font même pas une fois le tour de la gare, parce qu’un demi-tour, ça suffit à trouver ce qu’il faut, et puis qui vont se le shooter dans un cinq étoiles où on ne le fait pas chier …

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ETUDIANTS – Ici, ou au Quai 9 ? DANIEL - Au Quai 9 ! Où on leur donne le désinfectant, tout pour faire passer en toute sécurité, mais de manière peut-être un peu plus propre. Ça, l’aspect propreté, hygiène, moi je pense que c’est important quand même. ETUDIANTS – Donc vous connaissez les activités du Quai 9 ? DANIEL - Ah oui, je pense qu’ils ont toute une structure d’accueil, conseil. Voilà … Et puis je ne sais pas … et on peut se piquer, sniffer, fumer … ETUDIANTS – Est-ce que vous vous informez sur les activités ? DANIEL - Non. ETUDIANTS – Le journal « Première Ligne », par exemple, vous ne connaissez pas ? DANIEL - Non… non non. ETUDIANTS – Non ? Parce que, selon le centre, il est distribué dans tout le quartier, justement pour avoir une politique un peu d’échange avec les habitants du quartier et… vous l’avez reçu ? DANIEL - Alors, je ne l’ai jamais vu … ETUDIANTS – Ouais, c’est étonnant … Ce n’est pas la première fois qu’on entend … DANIEL - Ceci dit, on reçoit tellement de publicité … ETUDIANTS – C’est ce qu’on s’est dit, ça peut aussi passer à la trappe peut-être? DANIEL - En tout cas, nous, on est assez sévère, avec ma copine sur les publicités … genre, je pense qu’il faudrait vraiment que … ouais non, je pense que ça a passé à la trappe comme étant une pub. ETUDIANTS – On peut vous montrer un exemplaire, peut-être que ça dira quelque chose ? [Les étudiants montrent un exemplaire du journal.] ETUDIANTS – Ca ne vous dit rien ? DANIEL - Ecoutez, moi je pense que, encore une fois, bon je n’ai pas été à fond dans la drogue et pendant de nombreuses années, mais moi j’ai connu un petit peu le … cet aspect-là. Il y a quelques règles de base pour s’en sortir qu’on m’avait dites, et que j’ai exécutées, et puis qui, avec moi, ont fonctionnées … Aujourd’hui, je me tiens loin de tout ça, je ne vais surtout pas me mettre à lire une feuille d’informations sur ce que font les toxicomanes. Vous voyez, je m’en tiens loin, et puis ça va très bien …

LE QUAI 9 FACE AU QUARTIER DES GROTTES : UN CONFLIT D’USAGE EN MILIEU URBAIN 52

ETUDIANTS – Ouais ouais … et on voulait vous proposer de commenter deux arguments qu’on avait, qui sont un peu opposés. Je vous les lis, puis … DANIEL – Juste avant, je vous montre cette photo. Alors ça c’est donc un mec qui devait être en train de consommer et qui a piqué du nase. Mais ce qu’il faut dire, c’est que, un dimanche, on est sorti avec ma copine, ça devait être onze heures et demi. On allait manger au resto, on est sorti, on l’a vu … Ah bon, il y en a un qui roupille là et on est revenu trois heures après et il était toujours dans cette position. Rien n’a changé. Donc moi, j’ai fait la photo à ce moment-là. Ca fait partie des petites spécialités qu’on voit. J’en ai vu un autre aussi, une fois il y a un mec … donc je pense que ça doit pas mal dealer autour de ce Quai 9. Dedans, ils prétendent que non et puis je pense qu’ils font attention, mais ça doit quand même pas mal dealer … Et un jour j’ai vu un type qui était, avec une longue tringle et qui était en train de fouiller, entre les bacs à fleurs. On a, au bas de la maison, des grands bacs à fleurs avec des buissons dedans. Et entre chaque bac à fleurs, il y a un espace de genre même pas un centimètre, et il était en train de gratter tout ce qu’il pouvait au milieu. Il ressortait tous les petits bouts de papier qu’il dépliait consciencieusement pour voir s’il trouvait quelque chose dedans. Peut-être qu’il y a des dealers qui ont été planqué des trucs par là, mais euh … ça, ça fait des fois … Alors ça, ça me fait un petit peu peur dans le sens qu’il y a une crèche juste là. Il y a des gamins … Là, la photo que je vous ai montré, c’est le petit escalier qui est juste à côté de l’entrée de la crèche, elle est à trois mètres quoi. Alors ça c’est un dimanche, évidemment il n’y a pas d’enfant qui joue. Mais un mardi, il y a des enfants. S’il fait beau, ils jouent sur la petite terrasse derrière, voilà. ETUDIANTS – Ouais, ça fait peut-être pas longtemps que vous êtes là … mais vous avez vu se mettre en place peut-être des barrières physiques pour, je ne sais pas, empêcher l’accès à certains … ? DANIEL - Alors oui, chez nous, ils ont installé des éclairages avec un détecteur de mouvement. Et, ben d’ailleurs, ça m’a surpris les premiers jours ! Alors ben c’est qu’en fait, quand il y a quelqu’un devant le détecteur, ça déclenche. C’est un truc moderne, à LED, mais qui fait comme en plein jour. D’ailleurs, ceux qui habitent dans la maison-là, ils doivent souffrir. Parce qu’il y en a un juste en haut de l’escalier, le fameux escalier où on ne voit rien de chaque côté, et alors tout à coup, quand on passe là devant, la première fois, c’est : « Wow ! » Mais effectivement, ça, ça un … Ils en ont mis quatre autour de l’immeuble. Ça, c’était avant l’hiver dernier. ETUDIANTS – Vous pensez que ça a un effet, ces mesures ? Ça peut aider à lutter contre … DANIEL - Ça peut aider contre le deal, des choses comme ça. Mais le drogué qui veut se faire sa dose, son truc, ça ne va pas l’arrêter … Simplement, pour nous, c’est peut-être un peu mieux. Parce que, par exemple, ben l’escalier en béton, on sait s’il y a quelqu’un dedans tout de suite. Quand on passe, on voit tout de suite. Parce que quand il fait sombre, c’est que quand on est à un mètre de lui, qu’on voit s’il y a quelqu’un. ETUDIANTS – Vous, vous pensez que ça a contribué à rassurer ? DANIEL - Ça contribue en tout cas à montrer qu’ils font quelque chose, et puis c’est quelque chose d’intelligent. Je trouve le coup de la lumière ouais c’est quelque chose d’intelligent. Alors allez-y, les arguments …

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ETUDIANTS – Oui, je vous en lis un : « L’installation du Quai 9 à proximité du quartier des Grottes a été une intrusion dans la vie du Quartier. Elle a eu une influence négative sur l’ambiance générale. » Ou alors : « Le Quai 9 a permis d’améliorer l’encadrement des toxicomanes et de diminuer les nuisances liées à la consommation de drogues » Il y a, par exemple, un ramassage de seringues qui est effectué deux fois par jour par un groupe de toxicomanes volontaires, et donc … Je ne sais pas. DANIEL - Alors ça, par exemple, des seringues ou des trucs comme ça, je n’en ai jamais vu. Je ne suis jamais tombé sur un alu, sur une seringue ou sur un truc comme ça… ça, moi je n’en ai jamais vu. Quand je pense à vos deux arguments, je ne peux pas répondre avec certitude sur le premier, l’intrusion dans le quartier des Grottes, parce que moi je ne suis pas là depuis longtemps, mais je sais par expérience que la faune se concentre de toute façon autour de la gare, dans toutes les villes, dans toutes les grandes métropoles, c’est autour de la gare que se transforment, que s’agglutinent les mendiants, les drogués, etc. … Je pense que ben la gare, elle était là bien avant le Quai 9 et que ça occasionnait de toute façon des problèmes. Ils étaient peut-être légèrement déplacés sur le parc des Cropettes qui est à cent mètres par là-bas, d’accord. Mais je ne suis pas sûr que … des problèmes, ils en avaient déjà avant le Quai 9. Maintenant, l’argument qui est pour le … ça leur a permis … si ça a permis, ne serait-ce qu’à 50 personnes sur 10 ans de s’en sortir, mais si c’est juste pour les aider à s’enfoncer un petit peu plus … Moi, il y a un truc qui m’a halluciné : [relate l’histoire d’un ancien ami qu’il avait rencontré quand il était jeune et qui consomme de la drogue depuis des années. Il le voit régulièrement au Quai 9, alors qu’il pensait qu’il était mort, vu la quantité de substances qu’il prenait.]. Donc, c’est ça qui est un petit peu sournois, je pense, là-dedans. ETUDIANTS – Et puis, par rapport au fait de l’avoir placé ici … Quand même, il y a des écoles autour, c’est un quartier résidentiel, avec une vie de quartier … DANIEL - Oh ben, il y a des écoles partout. Et je pense qu’à côté de la gare, il y a les flics pas loin, je pense que c’est une bonne idée de l’avoir mis là. C’est près de la gare, comme ça, ça les concentrent tous au même endroit ou en tout cas dans la même région. ETUDIANTS – Donc pour vous, c’est plutôt une bonne idée de l’avoir situé là ? DANIEL - Je ne dis pas qu’il faut faire un ghetto, non, pas du tout ! Mais je pense que c’est, ouais, près de la gare, c’est une bonne idée. Parce qu’avant, la drogue à Genève, c’était vers l’Usine principalement et puis le Jardin Anglais. Ben tant mieux, on a rendu les jardins aux touristes et puis … alors effectivement, les toxicomanes, ils se groupent sur la petite terrasse qui est entre l’église de Notre Dame et … ils se foutent tous là, ils discutent là. Et puis de temps en temps, ils viennent au Quai 9. ETUDIANTS – Alors on va vous montrer une vidéo. Et vous pourrez nous dire ce que vous en pensez. Donc c’est Soli Pardo du MCG qui parle à propos du Quai 9. [Visionnage de la vidéo.] ETUDIANTS – Voilà … Donc lui [Soli PARDO], il est favorable à un déplacement. Vous pensez que c’est quelque chose qui n’est pas possible du tout ? DANIEL - Ah non, c’est tout à fait possible.

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ETUDIANTS – Mais c’est plus efficace ? DANIEL - C’est tout à fait possible. Je pense que non, de l’avoir mis là, c’était une solution qui n’était pas gagnée d’avance. Puis, apparemment, ça a l’air d’être bien implanté. Ce que je veux dire quand même, c’est que, bon on aimerait bien ne pas l’avoir sous ses fenêtres, mais j’ai pu voir certaines scènes … j’ai été témoin de beaucoup de choses depuis ma fenêtre, et moi, j’ai un côté un peu concierge : quand ça gueule, je vais voir. Et j’ai notamment vu une chose, c’est que … donc dans le Quai 9, il y a une structure d’accueil avec, je pense, des assistants sociaux et ce genre de choses, et puis il y a un sécu. Un seul sécu qui est là. Ça doit être une boîte comme la Securitas ou Protectas, enfin c’est un sécu professionnel. Le type, je l’ai croisé une ou deux fois en allant acheter des clopes. Il a des fringues très épaisses. Donc je ne serais pas étonné qu’il ait un gilet pare-balles et tout … mais, j’ai vu … alors ce n’est pas toujours le même, mais alors évidemment c’est toujours une montagne, et je l’ai déjà vu lors d’engueulades ou de bagarres tenir quinze tox en respect avec sa matraque uniquement. Et le mec, je ne sais pas … apparemment, je pense qu’il y a une discipline qui s’est intégrée dans cette histoire, qu’apparemment les toxs jouent le jeu. Parce que je les ai vus … Par exemple, dès qu’il y a une couille et l’ambulance arrive, ils vident tout le monde. Il n’y a plus personne dedans. Ils sortent tout le monde et les mecs, alors des fois ils s’agglutinent devant la porte, attendent que ça rouvre. Mais genre quand il y a un problème et que l’ambulance arrive, le truc reste fermé une demi-heure, trois quarts d’heure. Le temps qu’ils évacuent la personne qui a un problème. Et là, tout le monde joue le jeu. Et j’ai vu des fois des engueulades, quand … On voit tout de suite, même de loin, qui fait partie de l’équipe d’encadrement et qui n’en fait pas partie. Et ils arrivent bien ! Apparemment, je pense que ça doit leur rapporter quelque chose, vu qu’ils font des efforts pour pouvoir y revenir … Alors que pour ces gens-là, si on suit les clichées, qu’ils vont attaquer les petites vieilles pour avoir leurs sous et qui seraient sans foi ni loi, ben là, apparemment ils ont dicté des règles là-dedans qui semblent être respectées. Et avec des toxs, ce n’est pas gagné d’avance, je pense. ETUDIANTS – Mais donc, finalement, votre bilan… disons du Quai 9, c’est quand même assez positif ? DANIEL - Je pense qu’ouais, c’est assez positif. C’est une structure … disons que … ils ont refusé je crois à Lausanne le local d’injection, ils l’ont refusé. Mais Genève a surement servi de laboratoire et de site d’étude pour voir ce que ça amenait comme bons et comme mauvais côtés. Bon, tant pis pour notre gueule, il fallait bien que ça aille à quelque part, quoi. Maintenant, je pense aussi qu’on est une ville … alors ce qui me dérange un petit peu, je ne sais pas si vous avez vu l’article qui est paru dans « Entre vues », vous l’avez vu ou pas ? ETUDIANTS – « Entre vues » ? Non… Ce n’est pas un article de la « Tribune » ? DANIEL - Non non. « Entre vues », c’est un journal français, c’est un journal assez trash, et « je cherche la merde »… Ils ont fait une double page sur le Quai 9. Mais alors c’est un portrait à la française, très trash, très … Et ce qui est très drôle, c’est qu’ils ont publié une lettre qu’ils auraient trouvé, et c’est : « Les habitants de la rue Grenue n’en peuvent plus. ». ETUDIANTS – D’ici ? DANIEL - Oui oui … Alors, ce qui me faisait rire, c’est que la rue Grenue, elle est beaucoup plus bas. Donc c’est … et là, il y a une petite erreur. Mais en fait, ils ont voulu rentrer comme journalistes, se prétendant être journaliste avec une caméra, on les a envoyé pétés. Après, ils se présentaient en tant que drogués et ils ont dû sniffer de la vitamine C pour prendre des

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photos. Je vais vous retrouver cet article … Donc ça me dérange un peu … ça me dérange un peu au niveau de l’image que ça donne. Mais, mais voilà … je pense que … Donc là, je vais vous montrer … [Daniel montre des photos qui ont été prises depuis son appartement.] Donc régulièrement, quand j’entends la sirène et s’arrêter tout près, quand je ne l’entends pas passer… je sais que c’est pour le Quai 9. Donc voilà … donc ils ouvrent les portes, et puis euh … [Il explique aux étudiants comment se passe une intervention sanitaire avec l’ambulance.] Et voilà, alors à chaque fois, vous avez l’agglutinement devant la porte, et ça attend jusqu’au moment où … ça c’est une des nanas … celle-là, je crois qu’on la voit souvent en photos … viens enfin rouvrir la porte, et voilà. ETUDIANTS – Mais donc, c’est surtout le bruit des ambulances qui vous dérange ? DANIEL - C’est le bruit des ambulances… c’est les mecs qui s’engueulent dans la rue… C’est… ETUDIANTS - Mais la réputation sur le quartier … en fait, peut-être les habitants font bloc et ça permet de conserver une bonne ambiance ? DANIEL - Ecoutez, moi j’ai l’impression justement, que … que … ouais, qu’ils organisent beaucoup de choses, qu’il y a une vie de quartier ici contrairement à d’autres quartier ou d’autres bleds où j’ai pu habiter, qui fait que ben voilà, ça ne gomme pas le problème, mais comme déjà dit, s’il ne s’y passerait rien sur cette place, elle serait peut-être beaucoup plus facilement envahie. Alors que là, sur cette place, il se passe quelque chose tous les quinze jours. Et puis voilà, pour les habitants du quartier ça permet aussi de… voilà, de focaliser sur autre chose. On se dira : ben voilà, on va se faire une fête africaine, une fête cubaine, ou une soirée brocante ou un machin, puis … bon, ben voilà. Je pense que c’est une façon de faire qui n’est pas bête. ETUDIANTS - Ben oui, ouais ouais … Nous, on a déjà entendu aussi des avis qui … enfin une personne qui réfléchissait à déménagé à cause du Quai 9. Pour vous, ce n’est pas du tout une option ? DANIEL – Non … Non non … Non non non non … Non. ETUDIANTS - Ouais ouais, ce n’est pas un point de dérangement … DANIEL - Non non, parce qu’à ce moment-là … ici c’est les drogués, là-bas c’est le centre espagnol qui est juste à côté, là-bas c’est le centre portugais, ici c’est les petites vieilles qui font des tricots. Non, non non non non … on ne s’en sort plus, vous savez. Par contre, il y a une chose qui est un peu étonnante, c’est que moi j’ai toujours vécu dans des appartements sans alarmes … d’accord ? Des appartements où on ferme la porte à clé, punktschluss. Ben là, euh, ma copine, dès qu’elle a emménagé dans cette appart il y a trois ans, pour elle c’était clair qu’elle paierait 100 balles par mois une société d’alarme, pour mettre l’appartement sous alarme et tout. ETUDIANTS - Et pour quelles … enfin, l’origine de cette … [Daniel raconte l’expérience traumatisante qu’a vécue sa copine lors du cambriolage de son appartement, mais pas celui aux Grottes.] DANIEL - N’importe où, où j’aurais habité avant, j’aurais dit qu’une alarme, ça ne sert à rien du tout. Mais là, oui, je me dis que j’en paie la moitié parce que c’est … ça rassure. C’est justifié.

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ETUDIANTS - Ouais, d’accord. DANIEL - C’est justifié… [Remerciements, fin de l’interview.]

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ANNEXE H : LISTE DE QUESTIONS ET REPONSES DES USAGERS DE LA DROGUE Réponses de Bruno TRAVAILLEUR SOCIAL - Depuis combien de temps environ fréquentez-vous le Quai 9 ? BRUNO - 5 ans. TRAVAILLEUR SOCIAL - Fréquentez-vous le quartier des Grottes en dehors du périmètre du Quai 9 ? Où allez-vous ? BRUNO - Habitait dans ce quartier. Va au « Resto scout ». TRAVAILLEUR SOCIAL - Quel genre de relations entretenez-vous avec les habitants du quartier des Grottes ? BRUNO - Pas de problème, pas de relation particulière. TRAVAILLEUR SOCIAL - D’après vous, comment vous perçoivent les habitants ? BRUNO - Cela dépend, cela peut aller de très bien à indifférent. TRAVAILLEUR SOCIAL - Comment percevez-vous les habitants ? Etes-vous en conflit avec eux ? Avez-vous des contacts avec eux ? BRUNO - N'a pas de contact avec, ne se pose pas la question. TRAVAILLEUR SOCIAL - Pensez-vous que le quartier des Grottes soit un lieu approprié pour le Quai 9 ? Pourquoi ? BRUNO - Trop près de la gare, lieu de passage, mais près du marché (deal). TRAVAILLEUR SOCIAL - Etes-vous satisfait de l’emplacement géographique du Quai 9 ? Pourquoi ? BRUNO - Trop visible, les trams passent trop près, rue de la Servette très fréquentée. TRAVAILLEUR SOCIAL - Comment vous sentez-vous dans le quartier des Grottes ? BRUNO - Le trouve sympa (il y a habité), le quartier a beaucoup changé, il y a beaucoup d'activité (concert…).

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Réponses de Jean-Marc TRAVAILLEUR SOCIAL - Depuis combien de temps environ fréquentez-vous le Quai 9 ? JEAN-MARC - 9 ans. TRAVAILLEUR SOCIAL - Fréquentez-vous le quartier des Grottes en dehors du périmètre du Quai 9 ? Où allez-vous ? JEAN-MARC - Pas vraiment, y va pour y passer, pour la fête des Grottes. N'y consomme pas. TRAVAILLEUR SOCIAL - Quel genre de relations entretenez-vous avec les habitants du quartier des Grottes ? JEAN-MARC - Aucune, c'est un lieu de passage TRAVAILLEUR SOCIAL - D’après vous, comment vous perçoivent les habitants ? JEAN-MARC - N'en sait rien, imagine que ça doit pas être facile tous les jours de voir des usagers. On trouve toujours ça bien quand c'est loin de chez nous. Certain doivent être content du Quai 9 d'autres non. TRAVAILLEUR SOCIAL - Comment percevez-vous les habitants ? Etes-vous en conflit avec eux ? Avez-vous des contacts avec eux ? JEAN-MARC - N'a pas de conflit ou de contact avec. Ils ont le droit, comme tous le monde d'avoir leur tranquillité. TRAVAILLEUR SOCIAL - Pensez-vous que le quartier des Grottes soit un lieu approprié pour le Quai 9 ? Pourquoi ? JEAN-MARC - Oui proche de la gare et du deal. On ne traversera pas la ville pour aller consommer. TRAVAILLEUR SOCIAL - Etes-vous satisfait de l’emplacement géographique du Quai 9 ? Pourquoi ? JEAN-MARC - C'est un peu visible, rue très fréquentée. TRAVAILLEUR SOCIAL - Comment vous sentez-vous dans le quartier des Grottes ? JEAN-MARC - Comme dans tous les autres quartiers. Un consommateur a toujours tendance à être rejeté.

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Réponses de Paul TRAVAILLEUR SOCIAL - Depuis combien de temps environ fréquentez-vous le Quai 9 ? PAUL - Environ 5 ans. TRAVAILLEUR SOCIAL - Fréquentez-vous le quartier des Grottes en dehors du périmètre du Quai 9 ? Où allez-vous ? PAUL - Cela lui est arrivé dans le passé. Pourrait consommer dans des allées. TRAVAILLEUR SOCIAL - Quel genre de relations entretenez-vous avec les habitants du quartier des Grottes ? PAUL - Il a eu une fois une altercation avec un concierge. Autrement n'a pas de relation particulière. TRAVAILLEUR SOCIAL - D’après vous, comment vous perçoivent les habitants ? PAUL - N'as pas d'idée, cela change en fonction des personnes. TRAVAILLEUR SOCIAL - Comment percevez-vous les habitants ? Etes-vous en conflit avec eux ? Avez-vous des contacts avec eux ? PAUL - N'as pas de contact avec eux, cherche à être tranquille. TRAVAILLEUR SOCIAL - Pensez-vous que le quartier des Grottes soit un lieu approprié pour le Quai 9 ? Pourquoi ? PAUL - C'est un lieu approprié. TRAVAILLEUR SOCIAL - Etes-vous satisfait de l’emplacement géographique du Quai 9 ? Pourquoi ? PAUL – Oui, mais le Quai 9 est très visible. TRAVAILLEUR SOCIAL - Comment vous sentez-vous dans le quartier des Grottes ? PAUL - C'est un quartier agréable, avec beaucoup d'activité.

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ANNEXE I : TRANSCRIPTION DE LA VIDÉO AVEC SOLI PARDO (POLITICIEN DU « MOUVEMENT CITOYEN GENEVOIS »)

Introduction par une journaliste de la « Tribune de Genève » : « Dix candidats, et seulement cinq sièges. Les Genevois vont élire le 17 avril prochain l’exécutive de Genève. Nous avons rencontré chacun d’entre eux. Ils se présentent dans un lieu de leur choix qui symbolise leur action politique. Rencontre. » Soli PARDO : « J’ai choisi cet emplacement parce qu’il est symptomatique et emblématique. On a derrière nous ce container vert [le Quai 9], qui est un lieu d’injection et d’inhalation pour les drogués de Genève et d’ailleurs. A un endroit qui est un carrefour : c’est la pénétrante de l’aéroport et c’est à côté de la gare. Donc c’est le premier spectacle que les gens qui viennent de l’aéroport et qui viennent de la gare peuvent voir de Genève. Et c’est le genre de lieu que les Genevois ne veulent plus avoir sous les yeux. […] Il ne faut pas le faire en pleine ville, il ne faut pas le faire au milieu des commerces, au milieu des habitants qui ont ça sous les yeux, ça peut parfaitement se déplacer ailleurs. Et ce n’est pas déplacer le problème que de le mettre ailleurs. C’est enl… c’est gérer un problème sans créer d’autres problèmes pour les habitants de la périphérie. »

Vidéo publiée le 13 avril 2011 sur le site internet de la « Tribune de Genève » Url : http://www.tdg.ch/geneve/actu/soli-pardo-creons-etats-generaux-logement-2011-04-12, consulté le 20 octobre 2011.

Transcription de la première séquence (0 min 00 – 0 min 59)