Français, immigration, intégration: analyse des stéréotypes et des ...

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1 Université catholique de Louvain Institut Langage & Communication Centre de recherche Valibel – Discours et Variation Français, immigration, intégration Analyse des stéréotypes et des idées reçues au sujet du rôle de la langue dans les processus d’intégration des personnes issues de l’immigration Philippe Hambye & Anne-Sophie Romainville Rapport de la recherche financée par le Service de la langue française du Ministère de la Culture de la Communauté française Wallonie-Bruxelles Novembre 2012

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Université catholique de Louvain Institut Langage & Communication

Centre de recherche Valibel – Discours et Variation

Français, immigration, intégration Analyse des stéréotypes et des idées reçues au sujet du rôle de la

langue dans les processus d’intégration des personnes issues de

l’immigration

Philippe Hambye & Anne-Sophie Romainville

Rapport de la recherche financée par le Service de la langue française

du Ministère de la Culture de la Communauté française Wallonie-Bruxelles

Novembre 2012

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Table des matières

Introduction ................................................................................................................................ 4

1. Description de la démarche de recherche ............................................................................... 6

1.1. L’analyse des stéréotypes et des idées reçues ................................................................. 6

1.2. L’identification des stéréotypes dans les discours circulants ........................................ 10

1.2.1. La prégnance des stéréotypes dans les discours ..................................................... 10

1.2.2. La constitution du corpus ....................................................................................... 13

1.3. La constitution d’un questionnaire et d’un guide d’entretien ....................................... 16

1.3.1. Le questionnaire ..................................................................................................... 16

1.3.2. Le guide d’entretien ............................................................................................... 18

1.4. L’échantillon de l’enquête quantitative par questionnaire ............................................ 19

1.5. L’échantillon de l’enquête qualitative par entretien ...................................................... 22

2. Résultats des enquêtes quantitatives et qualitatives ............................................................. 24

2.1. La non-maîtrise du français comme source des problèmes sociaux et économiques des

populations issues de l’immigration ..................................................................................... 25

2.2. Les compétences en français des personnes issues de l’immigration ........................... 32

2.3. Les raisons des lacunes en français des personnes issues de l’immigration ................. 35

2.3.1. Un problème de volonté ......................................................................................... 35

2.3.2. Les raisons du non-apprentissage du français ........................................................ 42

2.3.3. Une acceptation relative du plurilinguisme ............................................................ 47

2.4. L’apprentissage du français : une question identitaire .................................................. 51

2.4.1. Une vision essentialiste du rapport langue-culture-identité ................................... 51

2.4.2. Une vision exclusiviste et expressiviste des rapports langue-culture-identité ....... 52

2.4.3. Une intégration impossible ..................................................................................... 55

3. Pistes pour une action de politique linguistique ................................................................... 58

3.1. Mise en contexte ............................................................................................................ 58

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3.2. Premier stéréotype : « pour s’intégrer, il faut parler français » ..................................... 60

3.3. Deuxième stéréotype : « les « immigrés » ne parlent pas français »............................. 62

3.4. Troisième stéréotype : « les « immigrés » qui ne parlent pas (ou mal) français ne

cherchent pas à s’intégrer » .................................................................................................. 64

3.5. Quatrième stéréotype : « la langue, c’est l’identité, et notre identité doit être unique »66

3.6. Conclusions ................................................................................................................... 68

Conclusion ................................................................................................................................ 70

Bibliographie ............................................................................................................................ 72

ANNEXES ............................................................................................................................... 75

Annexe 1 : questionnaire de l’enquête quantitative ............................................................. 75

Annexe 2 : guide d’entretien pour l’enquête qualitative ...................................................... 83

Annexe 3 : composition des sous-catégories au sein de l’échantillon ................................. 86

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Introduction

Beaucoup de discours circulent sur le problème de « l’intégration » des personnes issues de

l’immigration. De façon générale, cette problématique est l’objet de débats récurrents dans les

médias et dans le monde politique. Des enjeux liés à la langue y sont souvent évoqués, la

dimension linguistique apparaissant comme centrale dans les différents aspects de la question

de l’intégration. L’apprentissage de la langue officielle tient d’ailleurs une place de choix

dans la plupart des parcours d’intégration mis en place par différents pays ; il s’agit d’un des

points de consensus dans les discussions politiques sur les contours exacts du parcours

d’intégration qui devrait prochainement voir le jour en Wallonie et à Bruxelles.

Cette recherche vise à analyser ces discours sur les rapports entre langue, immigration et

intégration, pour en analyser les ressorts et les fondements. Notre objectif est, d’une part, de

pouvoir identifier les représentations portant sur ces rapports qui sont les plus communément

admises ou qui sont en revanche propres à certains groupes ou encore véhiculées par

beaucoup mais à la fois remises en question par d’autres. D’autre part, il s’agit d’interroger

ces représentations et de voir sur quels présupposés et quels arguments implicites elles

s’appuient afin de pouvoir éventuellement les déconstruire.

Notre postulat de départ consistait en effet à poser que les discours sur les rapports entre

langue, immigration et intégration sont largement marqués par la présence de stéréotypes et

d’idées reçues, qui ont surtout pour fonction de donner des réponses simples, et d’une certaine

manière rassurantes, à des questions complexes. L’enjeu de leur remise en cause n’est pas

mince dès lors que l’on constate que ces discours contribuent à développer une vision

négative de l’immigration et à la voir comme un problème en soi, en s’appuyant sur une

représentation erronée des réalités de l’intégration des personnes d’origine immigrée

aujourd’hui à Bruxelles et en Wallonie.

Dans ce rapport, nous commençons dans un premier chapitre par présenter la façon dont nous

envisageons les stéréotypes ainsi que les rapports qu’ils entretiennent avec la dimension

argumentative des discours qui sont tenus ici et là à propos des langues et de l’immigration.

Nous exposons ensuite les principes qui ont guidé notre méthode de recherche ainsi que les

caractéristiques des deux échantillons de population qui ont servi de base à cette étude. Le

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second chapitre présente conjointement les résultats des deux enquêtes (qualitative et

quantitative) réalisées et les analyse à travers la mise en évidence de l’argumentaire au sein

duquel les différents stéréotypes étudiés sont reliés dans les discours. Le troisième et dernier

chapitre propose une critique systématique de cet argumentaire, en en dévoilant les

incohérences et en invalidant les erreurs de jugement sur lesquels il repose, à partir de

résultats de recherches antérieures. Cette critique constitue une première ébauche d’un

document qui pourrait nourrir une campagne de sensibilisation aux stéréotypes analysés à

destination du grand public.

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1. Description de la démarche de recherche Dans cette section, nous exposons en détails les principes qui sont au fondement de la

démarche qui a été suivie dans cette recherche. Nous commençons par présenter quelques

éléments théoriques à propos des stéréotypes, afin de préciser le statut que nous attribuons aux

énoncés qui ont été l’objet de notre enquête et la façon dont on peut, selon nous, interpréter

les réactions des informateurs face à ces énoncés (§1.1). Nous expliquons ensuite la méthode

que nous avons adoptée pour identifier les stéréotypes à tester et pour construire le

questionnaire soumis aux informateurs ainsi que le guide des entretiens semi-directifs (§1.2).

Nous présentons enfin les modalités de constitution des échantillons de population qui ont

servi de base aux enquêtes quantitative (§1.3) et qualitative (§1.4).

1.1. L’analyse des stéréotypes et des idées reçues Les stéréotypes désignent, dans leur acception restreinte, des représentations sociales1 au

sujet des différents groupes sociaux. Plus précisément, ils sont définis comme « des

généralisations basées sur l’appartenance à une catégorie, c’est-à-dire des croyances dérivées

de l’inférence que tous les membres d’une catégorie donnée partagent les mêmes propriétés et

sont donc interchangeables. » (Leyens et al. 1996 : 31). En tant que représentations sociales,

ils nous servent donc à appréhender le réel, c’est-à-dire qu’ils font partie de ces images

socialement construites des « objets » (réalités matérielles, individus, groupes, concepts, etc.)

de notre environnement. Toute représentation est une « organisation signifiante » qui a pour

fonction de situer cet objet dans le champ du réel, de lui donner une signification qui est à la

fois descriptive, catégorisante et évaluative, et qui permet de le distinguer par rapport aux

autres, de l’intégrer dans un système de normes et de valeurs et enfin de justifier les

dispositions pratiques et les jugements relatifs à cet objet (Abric 1994 : 13-17 ; Lipiansky

1991 : 38, 58 ; 1992 : 187). Bien qu’elles constituent nécessairement des images simplifiées

du réel, nos représentations sont indispensables pour nous permettre de penser le réel et pour

pouvoir agir dans le monde.

1 Précisons que le caractère social des représentations ne signifie pas qu’elles sont uniformes dans l’ensemble d’une communauté, mais plutôt qu’elles émanent d’une construction collective et sociale qui prend des visages variables lors de son appropriation individuelle : une des caractéristiques des représentations sociales est qu’elles « sont à la fois consensuelles et marquées par de fortes différences interindividuelles. » (Abric 1994 : 29). Il n’y a donc pas opposition entre une définition collective du groupe et une modalité individuelle de la représentation de celui-ci mais plutôt complémentarité entre les deux : il existe toujours en ce sens un noyau central de la représentation qui correspond aux éléments stables et institués de la représentation, partagés par la grande majorité du groupe social, et d’autre part, des éléments périphériques qui, eux, sont variables selon les individus et le contexte, et dont Flament dit pour cette raison qu’ils possèdent une « légitimité conditionnelle » (Flament 1994 : 38).

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S’ils s’appuient dès lors, comme l’ensemble des représentations sociales, sur une logique de

simplification, le propre des stéréotypes est que cette simplification repose, en ce qui les

concerne, sur la tendance de chaque groupe à se doter de caractéristiques positives dont il

prive les autres groupes (ce que les psychologues sociaux nomment le « biais pro-

endogroupe » ; Leyens & Yzerbyt 1997 : 293-294, 304-305). En ce sens, les stéréotypes ne

constituent pas simplement, comme toute représentation, une image simplifiée du réel, mais

bien une image biaisée par les intérêts particuliers du groupe qui la produit et par sa « position

idéologique » (Tajfel 1972 : 286-287) qui le conduit à amplifier les différences minimes avec

les exogroupes et à minimiser les différences à l’intérieur du groupe (Leyens et al. 1996 : 86).

Dès lors, dans nos sociétés démocratiques, le « problème » des stéréotypes n’est pas

seulement cognitif (le fait qu’il s’agisse de généralisations abusives, erronées du point de vue

objectif), mais aussi et surtout éthique et politique, dans la mesure où les stéréotypes émergent

au sein d’une communauté lorsque certains groupes parviennent à imposer des représentations

d’eux-mêmes et d’autrui qui privilégient leurs intérêts, remettant ainsi en cause le principe

d’égalité entre les citoyens.

Or, les stéréotypes au sujet d’un groupe ne vont pas uniquement déterminer la vision

dominante développée à son sujet, mais ils vont également servir de fondement à la façon

dont la collectivité va expliquer la situation (sociale, économique) du groupe en question et

dont elle va dès lors justifier les attitudes et les comportements à l’égard de ce groupe.

Comme le soulignent Leyens et al. (1996 : 101), les stéréotypes ont non seulement une

fonction de « différenciation sociale » – ils clarifient et accentuent les différences entre

groupes afin de doter leurs membres d’une identité positive et spécifique – mais également

une fonction de « causalité sociale » – ils proposent une explication de certains événements

sociaux ou non sociaux en les associant à des groupes qui en seraient responsables – et une

fonction de « justification sociale » – ils justifient les comportements et attitudes à l’égard des

exogroupes (Leyens et al. 1996 : 101).

Ceci a pour conséquence que les stéréotypes jouent un rôle clé dans les discours argumentatifs

qui servent à justifier des prises de position normatives en général ou plus spécifiquement

politiques. En effet, comme l’ont montré les théoriciens de l’argumentation (Plantin, 1990,

1993), nos raisonnements argumentatifs reposent souvent sur certaines prémisses implicites

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qui servent en réalité de « loi de passage » entre le début d’un raisonnement et sa conclusion.

Ces prémisses implicites correspondent le plus souvent à un énoncé généralisant, autrement

dit à une affirmation présentée comme évidente et admise de tous, qui est désignée dans la

tradition rhétorique sous le nom de topos (ou lieu commun)2. Ces topoï argumentatifs peuvent

s’appuyer notamment sur des principes moraux communément partagés ou sur des

représentations sociales relativement indiscutables, parmi lesquelles on trouvera souvent des

stéréotypes qui sont d’autant plus susceptibles de fonctionner dans un raisonnement comme

des prémisse relevant en apparence de l’évidence et du simple constat qu’ils sont bien ancrés

au sein d’une communauté.

Les stéréotypes ne sont pas les seuls énoncés apparemment incontestables et cependant non

valides qui sous-tendent nos raisonnement argumentatifs. Ceux-ci reposent également parfois

sur ce que l’on peut appeler des idées reçues, c’est-à-dire des représentations en partie non

fondées de la réalité, mais qui sont néanmoins communément admises, parce qu’elles se

fondent sur des extrapolations ou des raisonnements de « bon sens » paraissant aller de soi.

Par exemple, la croyance selon laquelle l’apprentissage d’une langue seconde par un individu

se ferait nécessairement au détriment de sa langue première est une idée reçue sans doute

basée sur certaines extrapolations à partir d’expériences que tout un chacun peut faire

spontanément : constatant qu’il leur arrive d’employer des mots d’une langue Y lorsqu’ils

parlent une langue X, et partant du principe que pendant qu’ils investissent de l’énergie dans

un domaine de connaissance, ils ne l’investissent pas dans un autre, les individus en viennent

à penser que l’apprentissage d’une langue a nécessairement (et pas simplement

potentiellement) un impact négatif sur la maîtrise d’une langue anciennement apprise.

Vu leur caractère d’évidence, stéréotypes et idées reçues peuvent se combiner dans des

raisonnements où ils fonctionnent comme des topoï et permettent dès lors de tirer des

conclusions non fondées à partir de constats objectifs (Romainville 2010 : 66). Prenons

l’exemple du discours suivant : « Marre de tous ces immigrés qui ne parlent même pas

2 Ainsi dans un énoncé comme « Pierre, il est allemand, donc il arrivera à l’heure » le fait de passer de l’argument « Pierre est allemand » à la conclusion « Pierre arrivera à l’heure » repose sur le lieu commun « Les Allemands sont ponctuels ».

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français. S’ils ne veulent pas s’intégrer, qu’ils rentrent chez eux. ». Schématiquement, la

structure argumentative de ce discours est la suivante :

Constat Il y a des immigrés qui ne parlent pas français

Stéréotype

(généralisation abusive)

La plupart des immigrés ne savent pas parler

français

Idée reçue Ceux qui veulent s’intégrer apprennent facilement à

parler français

Topos (loi de passage) basé sur

l’idée reçue

Les immigrés qui ne parlent pas français ne veulent

pas s’intégrer

Conclusion 1 La plupart des immigrés ne veulent pas s’intégrer

Topos (loi de passage) basé sur un

principe normatif

On ne devrait accueillir les immigrés que s’ils sont

prêts à s’intégrer

Conclusion 2 Il faut renvoyer chez eux la plupart des immigrés

Comme on le voit ici, le raisonnement s’appuie sur un stéréotype, une idée reçue et un

principe normatif. Si ce dernier est par nature discutable mais non objectivable, les deux

autres fondements du raisonnement fonctionnent avec la force de constats objectifs, alors

qu’ils ne reposent pas sur une description incontestable de la réalité. Par conséquent,

quelqu’un qui adhère au principe normatif qui sous-tend le raisonnement aura des difficultés à

invalider sa conclusion, puisqu’elle repose par ailleurs sur des propositions implicites et

présentées comme évidentes.

Si les stéréotypes et les idées reçues peuvent facilement apparaître comme des descriptions

appropriées de la réalité susceptibles de fonder nos raisonnements, c’est notamment parce

qu’ils s’organisent souvent en un système de représentations qui peut avoir une fonction

proprement idéologique au sens où il permet d’établir des rapports en apparence logiques

entre ces représentations et de les articuler de manière à ce que système puisse « […] faire

reconnaître la vision du monde qu’[il] promeut comme conforme à la réalité. » (Lipiansky

1991 : 58). La cohérence qui se dégage alors du système des stéréotypes et des idées reçues

leur permet de fonctionner dans les discours argumentatifs comme des topoï d’autant plus

indiscutables à première vue.

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Dans cette recherche, nous avons cherché à mesurer à travers un questionnaire l’attitude

critique ou approbative d’un large échantillon d’individus à l’égard de stéréotypes liés aux

pratiques linguistiques des personnes issues de l’immigration, d’idées reçues concernant de

façon générale les rapports entre langue et immigration, ou encore d’opinions ou de

jugements de valeur à propos des langues ou des personnes issues de l’immigration, basés

eux-mêmes sur des stéréotypes ou sur des idées reçues. Par souci de facilité, nous parlerons de

stéréotypes en général pour désigner les représentations et les opinions qui ont été soumises

aux informateurs, sauf lorsqu’il sera important pour l’analyse de reprendre les distinctions

notionnelles entre stéréotype et idée reçue évoquées plus haut.

1.2. L’identification des stéréotypes dans les discours circulants L’objectif de cette section est, d’une part, de montrer, à partir de discours authentiques, la

nécessité d’analyser et de déconstruire un système de représentations stéréotypées ayant pour

objets les aspects linguistiques de l’insertion sociale des migrants et, d’autre part, d’ expliquer

la méthode de constitution du corpus qui a servi de base à l’identification des stéréotypes

existants et à la constitution des questionnaires et des grilles d’entretien.

1.2.1. La prégnance des stéréotypes dans les discours Notre objectif est ici de montrer à quel point la lecture de quelques discours au sujet de la

« problématique » de l’immigration légitime le postulat qui sous-tend notre recherche et qui

consiste à affirmer qu’il existe un système de représentations (notamment linguistiques)

largement accepté (en tout cas non contesté) et mobilisé pour fonder des discours

stigmatisants prenant pour cibles les personnes issues de l’immigration. Tant la lecture

d’articles de presse que la visite de blogs ou de forums sur la question nous poussent à

constater la récurrence de certains propos qui véhiculent des représentations caricaturales de

la « problématique » migratoire. En voici quelques exemples : Ces gérants qui ne paient pas leurs cotisations sociales, vendent ces documents et flouent donc le système de la sécurité sociale belge tout en n’étant par ailleurs absolument pas intégrés (langue, … ) parce que le fictif, en Belgique, est essentiellement (pas seulement, je suis d’accord) actif chez ces étrangers mal intégrés3

Et que dire de tous ces immigrés musulmans qui ne connaissent que les sales mots de notre langue, qui possèdent la double nationalité et qui votent pour des naturalisés comme eux qui n’ont qu’un seul but, favoriser massivement la naturalisation de leurs compatriotes. Il est facile de changer de nationalité pour en obtenir les avantages tout en sachant que l’on est toujours

3 http://jacquelinegalant.wordpress.com/2010/08/03/des-mesures-plus-severes-dans-les-naturalisations/

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l’enfant du pays. Je ne suis pas raciste mais, comme vous, j’estime que choisir la nationalité du pays qui vous accueille et vous soutien et vous protège n’est pas un acte gratuit et se mérite4)

Laissons le soin à Facebook d'apprendre l'arabe aux jeunes (surtout aux jeunettes). A mon sens, qu'on commence à faire apprendre la langue Française aux jeunes d'origine maghrébine (=intégrer) que de vouloir faire apprendre l'arabe, à nos jeunes Français (=convertir). A méditer!!!5

Il est scandaleux que 20 % des élèves de 6è ne maîtrisent pas la langue nationale...alors faire en sorte que certains d'entre eux gardent leur langue maternelle...c'est marcher sur la tête ! (p.27)6

Ces discours, a priori, peuvent paraitre « uniquement » choquants, de par l’agressivité et

l’intolérance qui les caractérisent. Signaler qu’ils existent est déjà suffisant pour justifier

l’intérêt qu’il y aurait à mettre en perspective les représentations que les Belges francophones

peuvent avoir de certains aspects linguistiques de la situation des immigrés : il s’agirait donc

de lutter contre certains stéréotypes exprimés explicitement qui, en l’état, rendent les discours

ostentatoirement hostiles aux personnes issues de l’immigration. Ainsi, montrer que tous les

immigrés n’utilisent pas que « les sales mots » de notre langue, mettre en perspective le

phénomène d’invasion « linguistique » en relativisant non seulement les chiffres mais aussi le

lien habituellement établi entre langue, culture et religion, ou encore donner une lecture

objective de la situation du bilinguisme, apparaissent comme des démarches utiles en réponse

à l’observation de ces discours circulants.

Cela étant, on peut légitimement avoir l’impression, en lisant ces quelques extraits, qu’il

s’agit là de positions caricaturales, que presque personne n’oserait défendre : l’aspect

anonyme des forums et des blogs expliquerait sans doute leur violence et leur extrémisme ; et

l’on pourrait donc penser que l’on fait donc face à des discours rares et facilement

contestables.

Cependant, des discours bien plus fréquents et en apparence « recevables » reposent eux aussi

sur certains stéréotypes qu’il nous semble important de déconstruire :

4 http://jacquelinegalant.wordpress.com/2010/08/03/des-mesures-plus-severes-dans-les-naturalisations/ 5http://plus.lefigaro.fr/article/la-langue-arabe-mal-aimee-des-ecoles-francaises-20110204-394104/commentaires?page=21 6http://plus.lefigaro.fr/article/la-langue-arabe-mal-aimee-des-ecoles-francaises-20110204-394104/commentaires?page=14

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Parwais Sangari, un jeune afghan, a été expulsé ce matin vers Kaboul. Il était pourtant intégré, travaillait, a appris le néerlandais, et vivait depuis quatre ans dans une famille d'accueil en Flandre. (Didier Zacharie, Lesoir, juillet 2012)7

A priori, ce discours parait n’exprimer qu’un point de vue apparemment objectif sur une

question de société. Or, une analyse argumentative de cet extrait nous apprend rapidement que

le point de vue présenté repose sur des topoï (lieux communs) qui ne sont rien d’autre que des

loi de passage véhiculant, cette fois implicitement, des stéréotypes en proches de ceux

exprimés ci-dessus explicitement.

L’extrait ci-dessus ne choquera a priori personne, et rassurera sans doute certains citoyens

inquiets de la stigmatisation dont souffrent les personnes issues de l’immigration. Or, il

apparait que cette argumentation n’est ni neutre, ni orientée dans le sens d’une entreprise de

déconstruction des stéréotypes négatifs sur les personnes issues de l’immigration. En effet,

cette argumentation consistant à sous-entendre qu’il n’est pas normal que ce jeune afghan ait

été expulsé parce qu’il était intégré, si elle est mise au jour et analysée, peut interpeller : on

observe déjà a priori qu’on redéfinit là le fondement même du droit d’asile, son but et ses

conditions, qui ne sont en aucun cas liées à quelque indicateur d’intégration mais bien à une

nécessité d’être protégé contre des dangers encourus dans le pays d’origine.

En outre, l’analyse de l’énoncé « il était pourtant intégré, travaillait, parlait néerlandais (…) »

dans ce raisonnement global consistant à prouver qu’il est étrange que cette personne ait été

expulsée, nous semble révélatrice du fait que certaines implicatures8 idéologiquement

orientées sont réalisées : la maitrise de la langue serait un indicateur d’intégration, et, en tout

cas, une condition pour avoir le droit de rester sur le territoire belge. Ces conditions qui

permettraient d’avoir un droit de non-expulsion impliquent que d’autres réfugiés ne

remplissant pas ces conditions auraient quant à eux plus de raisons d’être expulsés. Cette

implicature réalisée implicitement ici peut tout à fait être mise en lien avec le stéréotype que

véhicule l’énoncé «ces gérants qui ne paient pas leurs cotisations sociales, vendent ces

documents et flouent donc le système de la sécurité sociale belge tout en n’étant par ailleurs

absolument pas intégrés (langue, … ) (…) » : les deux extraits se fondent sur un topos qui est

7 Disponible en ligne : http://www.lesoir.be/archives?url=/actualite/belgique/2012-07-09/parwais-sangari-parcours-d-un-immigre-integre-et-expulse-925829.php 8 En pragmatique linguistique, on considère depuis Grice que nous produisons des implicatures chaque fois que notre discours communique (ou implique) davantage que ce qu’il dit (que ce que contient la signification conventionnelle de la phrase).

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lui-même basé sur un principe normatif selon lequel pour « profiter » du système belge (en

termes fiscaux ou d’accueil), il faut au moins remplir un certain nombre de conditions dont la

principale est d’être intégré ainsi que sur le topos selon lequel être intégré se définit

notamment par la maitrise de la langue du pays d’accueil. On peut donc faire une synthèse des

deux raisonnements comme suit :

Idée reçue La maitrise du français/néerlandais est une des

conditions de l’intégration

Topos (loi de passage) basé sur

l’idée reçue

Les immigrés qui ne parlent pas français/néerlandais

ne sont pas intégrés

Conclusion 1 Certains immigrés ne sont pas intégrés

Topos (loi de passage) basé sur un

principe normatif

Les immigrés intégrés peuvent « profiter » de

(l’aide de) l’Etat belge

Conclusion 2 Certains immigrés ont moins le droit de « profiter »

de ( l’aide de) l’Etat belge

L’intérêt, face à ces discours, est donc de comprendre d’où ils tirent cette efficacité

argumentative qui rend leur conclusion incontestable et endort l’esprit critique de leurs

destinataires, voire de leurs destinateurs qui pensent parfois s’atteler à lutter contre la

stigmatisation des personnes issues de l’immigration et ne font en fait que renforcer la

prégnance de certains stéréotypes les concernant.

1.2.2. La constitution du corpus

A. La méthode de constitution du corpus

Les quelques extraits analysés dans la section précédente sont issus du corpus qui a été

constitué pour identifier les stéréotypes prégnants dans les discours. Le but de la constitution

de ce corpus était de pouvoir disposer d’un matériau authentique de base à partir duquel nous

pourrions analyser les différentes formes sous lesquelles ces stéréotypes peuvent être

véhiculés, de façon à pouvoir ensuite tester leur prégnance chez nos informateurs, par le biais

d’enquêtes qualitative et quantitative.

Nous nous sommes attelés à recenser les positions que les citoyens ainsi que les journalistes et

les experts expriment dans la presse ou dans des espaces d’expression libre (forums, blogs,

discussions faisant suite à des articles de presse, etc.) au sujet des aspects linguistiques de

l’immigration. Dans ce but, nous avons réalisé des recherches sur internet à partir d’une série

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de mots-clés, afin de nous constituer un corpus de textes (de 11 822 mots). Les recherches ont

été réalisées à partir des mots-clés suivants : « langue-immigration », « bilingu*-immigr* »,

« maitrise langue française immigr* », « immigrés maitrise du français », « arab* bruxelles

immigr* », « échec scolaire immigration », « immigrés bilingues difficultés (Belgique) »,

« immigrés arabes maitrise langue (Belgique ) », « immigrés arabe français langue »,

« immigrés turc français langue », « immigrés italien français langue ». Une fois les résultats

de recherche obtenus pour chaque mot-clé, nous avons visité les différents sites proposés, et

nous avons extrait les passages où certains stéréotypes (négatifs comme positifs) sur la

situation linguistique des personnes issues de l’immigration étaient exprimés ou sous-

entendus. Ce corpus ne peut évidemment pas être considéré comme un corpus de discours

représentatif du discours global des Belges francophones9, mais il est suffisamment large et

d’origine diversifiée que pour que l’on puisse se permettre de penser qu’il est intéressant d’y

observer la récurrence de certains stéréotypes (que nous étayerons de toutes façons par les

analyses quantitative et qualitative).

B. L’identification des thématiques et des stéréotypes principaux à tester

Dans l’objectif d’identifier les stéréotypes et les formes que ceux-ci peuvent adopter dans le

discours ambiant, nous avons analysé la logique argumentative de chacun de ces discours

recensés, jusqu’à ce que nous atteignions un principe de saturation (les mêmes stéréotypes

revenant en boucle).

Nous avons ainsi pu, à partir des extraits de notre corpus, élaborer un réseau de stéréotypes et

identifier les thématiques globales dans lesquelles semblait s’insérer un système de

représentations sur les aspects linguistiques de l’immigration. Nous proposons ici de montrer,

à partir d’un extrait issu de notre corpus, comment nous avons procédé pour identifier et

déterminer quelle(s) formulation(s) proposer pour tester les stéréotypes repérés. Laissons le soin à Facebook d'apprendre l'arabe aux jeunes (surtout aux jeunettes). A mon sens, qu'on commence à faire apprendre la langue Française aux jeunes d'origine maghrébine (=intégrer) que de vouloir faire apprendre l'arabe, à nos jeunes Français (=convertir). A méditer!!! (http://plus.lefigaro.fr/article/la-langue-arabe-mal-aimee-des-ecoles-francaises-20110204-394104/commentaires?page=21 )

9 Notons qu’une partie des sites consultés étaient des sites français. Nous les avons néanmoins intégrés à notre corpus lorsque rien ne semblait indiquer que les propos qui y étaient tenus présentaient une quelconque spécificité française.

Page 15: Français, immigration, intégration: analyse des stéréotypes et des ...

15

A partir de cet extrait, nous pouvions relever rapidement deux stéréotypes : l’un consiste à

établir une équation entre le fait d’apprendre le français et le fait de s’intégrer, l’autre consiste

à penser que la présence des langues d’origine dans l’espace public (à l’école par exemple)

impliquerait un changement de culture (ici de religion). Ayant observé de manière régulière

la présence de ces stéréotypes dans les discours recensés, nous avons donc tenté de formaliser

des énoncés-types qui les contiendraient, et d’en proposer quelques formulations afin

d’identifier la (les) forme(s) réelle(s) sous laquelle (lesquelles) ces stéréotypes peuvent faire

écho dans les représentations des informateurs et fonder des raisonnements.

Ainsi, l’association entre intégration et maitrise de la langue a été testée (sous ses différentes

formes d’articulation, notamment en termes de lien de causalité et de conséquence , etc.), par

la formulation d’énoncés-types tels que « Quelqu’un qui ne parle pas correctement français ou

néerlandais ne pourra jamais trouver du travail à Bruxelles. » (21), « Les gens qui ne parlent

pas correctement français ou néerlandais ne pourront pas s’installer à Bruxelles, y trouver un

logement, y faire des rencontres, etc. » (23), « En Wallonie, on peut s’intégrer à la vie sociale

et économique même si on ne parle que très peu français. » (48), « Si certaines personnes

issues de l’immigration ne trouvent pas de travail à Bruxelles, c’est surtout parce qu’elles ne

parlent pas bien français ou néerlandais » (27) et « En Wallonie, les personnes issues de

l’immigration ont des problèmes d’intégration principalement parce qu’ils ne parlent pas

français » (63)10.

L’association entre langues d’origine et repli/invasion culturel(lle) a été quant à elle testée

également par plusieurs énoncés-types : « Il est impossible de bien comprendre la culture et

les valeurs de la société belge si on ne parle pas correctement français (ou néerlandais) » (24)

et « Donner plus de place aux langues de l’immigration dans l’espace public, c’est laisser

penser que les Belges sont prêts à renoncer à leur culture et à leurs valeurs » (55). Une série

d’énoncés-types ont également été créés afin de tester si la pratique même des langues

d’origine pouvait être considérée comme impliquant le repli communautaire (comme certains

extraits de notre corpus le sous-entendaient) : le questionnaire comporte par exemple les

questions « Quelqu’un qui apprend ou qui continue à parler sa langue d’origine aura tendance

à s’enfermer dans sa communauté d’origine » (26) et « Une personne issue de l’immigration

10 Voir le questionnaire soumis aux informateurs (annexe n°1).

Page 16: Français, immigration, intégration: analyse des stéréotypes et des ...

16

qui continue à parler sa langue d’origine montre qu’elle ne veut pas vraiment s’intégrer en

Belgique » (10).

Les différentes étapes de la recherche sont donc complémentaires pour garantir la validité de

notre démarche : la constitution d’un corpus de textes authentiques nous permet de repérer

certains énoncés qui véhiculent des stéréotypes ; grâce à l’analyse de ces textes et de leur

construction nous pouvons identifier plus précisément les stéréotypes prégnants dans les

discours ; nous en testons ensuite la réelle prégnance dans un échantillon « représentatif » en

les formalisant en énoncés-types (v. § 1.3.1) ; puis, enfin, les entretiens semi-dirigés réalisés

dans le cadre de l’enquête qualitative nous permettent d’analyser le système de

représentations dans lequel ces stéréotypes s’insèrent et le fonctionnement de ceux-ci en

discours, c’est-à-dire leur force argumentative indéniable, que nous avons intuitivement

approchée dans l’analyse exploratoire de notre corpus (v. § 1.3.2).

1.3. La constitution d’un questionnaire et d’un guide d’entretien Les stéréotypes que nous avons ainsi identifiés sont donc largement attestés dans les discours

de ceux qui s’expriment sur internet notamment. Nous voulions cependant tester la prégnance

et la circulation des stéréotypes recensés dans une population plus vaste. Dans ce but, nous

avons cherché à savoir et à analyser non seulement la prégnance quantitative de certains

stéréotypes (relativement les uns aux autres) mais aussi la manière donc ceux-ci s’articulent et

servent l’argumentation, notamment lorsqu’ils sont mobilisés comme topoï.

Un double dispositif méthodologique a donc été mis en place pour répondre à nos questions

de recherche: d’une part, une enquête quantitative par questionnaire a été réalisée afin

d’étudier les réactions d’adhésion ou d’opposition face à différents stéréotypes et de voir

quelles explications pouvaient être données à ces réactions ; d’autre part, une enquête

qualitative par entretien semi-directif a été menée afin de soumettre les stéréotypes de

l’enquête à un échantillon restreint d’informateurs pour analyser en profondeur le système de

représentations qui leur permet de justifier leur degré d’accord quant aux différents

stéréotypes et donc pour tenter de mettre au jour ce réseau de topoï qui permet de fonder

certains raisonnements idéologiquement orientés.

1.3.1. Le questionnaire L’analyse de la prégnance des stéréotypes a été réalisée grâce à une enquête par questionnaire.

Celui-ci a été pensé de façon à permettre une analyse quantitative des données : ainsi, le

Page 17: Français, immigration, intégration: analyse des stéréotypes et des ...

17

questionnaire comportait des énoncés à propos desquels les informateurs avaient à marquer

leur degré d’accord. L’échelle de degré d’accord comportait 5 points, à savoir « pas du tout

d’accord », « plutôt pas d’accord », « je ne sais pas », « plutôt d’accord » et « tout à fait

d’accord ». Cette formule, qui peut être critiquée par la difficulté de l’exercice (les

informateurs désirant souvent nuancer leur réponse), nous permet toutefois d’avoir une idée

globale de la prégnance relative des différents stéréotypes testés.

Les énoncés soumis aux juges correspondaient à des formes tantôt radicales tantôt atténuées

des stéréotypes relevés dans notre corpus de base. Prenons l’exemple de l’idée reçue, qui

apparait comme assez prégnante dans notre corpus de base, selon laquelle il existe un lien

intrinsèque entre une langue nationale et la culture du pays où on la parle. Cette idée reçue est

parfois exprimée telle quelle dans notre corpus mais elle constitue également régulièrement

une loi de passage dans des raisonnements qui apparaissent comme objectifs. La question est

donc de savoir si les informateurs adhèrent à des discours radicaux fondés sur cette idée reçue

que l’on retrouve dans les corpus, comme dans l’affirmation « donner plus de place aux

langues de l’immigration dans l’espace public, c’est laisser penser que les Belges sont prêts à

renoncer à leur culture et à leurs valeurs » ou s’ils ont plus ou moins tendance à « adhérer »

ou à considérer comme acceptable un énoncé aux apparences plus nuancées du type « il est

impossible de bien comprendre la culture et les valeurs de la société belge si on ne parle pas

correctement français (ou néerlandais). », qui articule pourtant la même idée.

Les énoncés ont été formulés de façon à trouver le meilleur équilibre possible entre simplicité

et précision. Certains d’entre eux sont néanmoins complexes, notamment parce qu’ils

articulent des notions abstraites comme celles de l’identité ou expriment différents liens

logiques.

Étant donné le caractère souvent implicite des stéréotypes dans les raisonnements

argumentatifs recensés, notre objectif principal était de voir quelles étaient les propositions du

questionnaire qui n’étaient pas considérées comme non valides par nos informateurs. En effet,

bien que l’absence de rejet par rapport à certaines formulations complexes ne signifie pas

l’adhésion à proprement parler, on peut partir du principe qu’un stéréotype, une idée reçue ou

une opinion qui ne serait pas rejetés explicitement pourront fonctionner implicitement comme

fondement d’un raisonnement et renforcer son poids argumentatif. Nous ne prétendons pas en

ce sens qu’un informateur qui ne marque pas son désaccord avec un énoncé signifie

Page 18: Français, immigration, intégration: analyse des stéréotypes et des ...

18

nécessairement par là son adhésion pleine et réfléchie à l’idée exprimée par cet énoncé : cela

ne garantit pas que le contenu total de l’énoncé soit compris, analysé et pris en compte dans la

décision finale de l’informateur quant à son degré d’accord. Nous postulons néanmoins que

l’absence de résistance à un stéréotype (soit des réponses autres que « pas du tout d’accord »

ou « plutôt pas d’accord ») peut être interprétée comme un indice du fait que ce stéréotype fait

partie d’un discours ambiant, habituel, qui n’appelle plus d’analyse critique tant il parait

naturel et revêt un caractère hégémonique. En d’autres termes, lorsqu’un locuteur ne marque

pas à travers sa réponse de prise de distance par rapport à un énoncé, nous considérons que

celui-ci est susceptible de fonctionner comme un topos, une évidence non interrogée, et de

fonder des prises de position apparaissant dès lors comme étayées.

Par conséquent, l’essentiel pour nous est de comparer le degré d’accord des locuteurs vis-à-

vis des différents stéréotypes (et des différentes formulations de ceux-ci) de manière à

identifier ceux qui sont l’objet d’une prise de distance et ceux qui sont entérinés par les juges.

Il faut enfin remarquer les 63 questions posées aux informateurs ont été présentées dans un

ordre aléatoire du point de vue thématique, afin d’éviter un effet d’habituation qui aurait pu

avoir comme conséquence que les informateurs aient le sentiment de lire les mêmes

propositions et répondent à chaque fois de la même façon. Aussi, l’incursion de certains

stéréotypes positifs à la suite de stéréotypes négatifs permettait également de contraindre les

informateurs à reconsidérer chaque énoncé.

1.3.2. Le guide d’entretien L’enquête quantitative a été complétée par une série d’entretiens semi-directifs, qui avaient

pour but non seulement de nous permettre d’étayer notre réflexion en étudiant les stéréotypes

qui émanaient spontanément dans le discours des informateurs, ou qui étaient spontanément

mobilisés dans leurs argumentations, mais aussi de permettre d’étudier en profondeur

comment fonctionne le système de représentations sur les personnes issues de l’immigration,

en identifiant les stéréotypes les plus ancrés qui permettent de fonder les raisonnements des

individus et de faire passer pour valides et légitimes des discours qui tendent à reproduire des

représentations stigmatisantes de l’immigration.

Page 19: Français, immigration, intégration: analyse des stéréotypes et des ...

19

Le guide d’entretien11 a donc été pensé de façon à privilégier, lors de l’entretien, la parole

spontanée des informateurs. C’est pourquoi les questions ouvertes ont évidemment été

majoritaires. En outre, l’entretien s’articulait autour de l’expérience professionnelle des

informateurs grâce à des questions de transition qui faisaient le lien entre leurs pratiques

professionnelles et leurs représentations : ces questions de transition amenaient les

informateurs à expliquer ce qu’ils observaient dans leurs pratiques au niveau du « problème »

de la langue chez les personnes issues de l’immigration, puis, peu à peu, quelques questions-

clés les faisaient s’éloigner du cadre de leurs pratiques pour finalement s’interroger sur une

série de sujets de société. Ainsi, outre les questions de transition par lesquelles l’entretien

commençait nécessairement (à savoir, « observez-vous, dans la vie de tous les jours et/ou

dans votre métier, des problèmes de « langue » chez les personnes issues de l’immigration,

qui pourraient leur faire obstacle, etc. », « à quoi est-ce dû selon vous ? » « quelles structures

existent/n’existent pas pour pallier ce problème » ?), quelques questions-clés étaient prévues

par le guide d’entretien, mais leur ordre d’apparition et leur formulation ont évidemment varié

en fonction de l’orientation que prenait chaque entretien semi-directif. Il nous faut également

ajouter que les entretiens ont duré de 25 minutes à 1h30 et que ceux-ci ont été réalisés, pour la

plupart, sur le lieu de travail des personnes interrogées.

1.4. L’échantillon de l’enquête quantitative par questionnaire L’objectif de l’enquête quantitative étant d’étudier la prégnance de certains stéréotypes dans

les représentations des Belges francophones, le questionnaire a été soumis à un échantillon de

807 informateurs issus de différents groupes sociaux. Le public scolaire a évidemment été

approché par le passage dans des écoles. Afin de garantir une hétérogénéité sociale dans notre

échantillon, nous avons veillé à sélectionner des écoles fréquentées par des populations aux

statuts socioéconomiques différents : ce sont les types d’enseignement (général, de transition,

professionnel) qui nous ont permis de faire cette distinction (une école n’ayant qu’une section

générale étant considérée comme attirant un public relativement favorisé et une école n’ayant

que du professionnel étant considérée comme susceptible d’être fréquentée par un public

moins favorisé socio-économiquement, v. ci-dessous la répartition de l’échantillon en quatre

catégories sociales). Pour recruter des « adultes » issus de différents groupes sociaux, nous

avons fait circuler largement le questionnaire papier (par envoi postal à des entreprises ou à

des personnes dont nous avions eu l’accord et chez de nombreux commerçants) ainsi que sa

11 Voir annexe 2.

Page 20: Français, immigration, intégration: analyse des stéréotypes et des ...

20

version électronique. Observant que les répondants étaient majoritairement des diplômés de

l’enseignement supérieur, nous avons contacté le Forem et Bruxelles-formation pour faire

passer les questionnaires chez leurs stagiaires, qui en général n’avaient qu’un diplôme du

secondaire.

Les catégories utilisées pour étudier les éventuelles différences de réponses en fonction des

critères sociaux sont multiples. D’abord, nous avons fait la distinction entre le public

« scolarisé » et le public non scolarisé. Cette distinction a été résumée sous la forme de

l’opposition entre deux sous-groupes au sein de notre échantillon : « élèves » et « adultes »,

bien que l’âge de certaines personnes comprises dans la catégorie « élèves » soit identique à

certaines personnes de la catégorie « adultes ». Notre échantillon est composé de 431 élèves et

de 376 adultes.

En outre, il nous faut signaler que nous demandions aux informateurs de « choisir » entre

deux versions du questionnaire : l’une concernant la Wallonie, l’autre propre à Bruxelles qui

tenait compte du bilinguisme officiel de la région de Bruxelles et mentionnait donc le

néerlandais dans les propositions chaque fois que cela pouvait être pertinent. Ainsi, les

informateurs étaient amenés à choisir la version du questionnaire (Wallonie ou Bruxelles) en

fonction de leur lieu d’habitation ou du lieu où ils travaillaient, selon l’expérience qu’ils

pensaient avoir de l’une ou l’autre région. Ils sont 301 informateurs à avoir répondu au

questionnaire concernant Bruxelles et 506 au questionnaire adapté à la Wallonie. Dans

l’analyse qui suit, nous utiliserons les termes « Bruxellois » et « Wallons » pour désigner ces

deux groupes, même si des Wallons ont choisi de répondre au questionnaire concernant

Bruxelles.

L’origine des informateurs constitue évidemment une donnée non négligeable, en tout cas a

priori, pour l’analyse des résultats de l’enquête : à partir des réponses obtenues dans la fiche

personnelle contenue en fin de questionnaire (où les informateurs devaient indiquer leur lieu

de naissance, celui de leurs parents, et les langues parlées à la maison), nous avons classé les

informateurs de notre échantillon en trois catégories : la catégorie « d’origine belge »

comprend les informateurs qui n’ont « pas » d’origine étrangère (qui sont belges et nés de

parents belges); la catégorie « d’origine mixte » concerne quant à elle les personnes qui sont

dans des situations dites « intermédiaires » (soit parce que leurs parents sont d’origine

étrangère mais qu’ils ont toujours vécu en Belgique, soit parce qu’un de leurs parents est

Page 21: Français, immigration, intégration: analyse des stéréotypes et des ...

21

belge); enfin, les personnes nées à l’étranger et de parents étrangers appartiennent à la

catégorie « d’origine immigrée ». Notre échantillon comprend 533 personnes d’origine belge,

177 personnes d’origine mixte et 92 personnes d’origine immigrée.

Les informateurs se distinguent selon leur sexe (469 femmes et 333 hommes) et sont

également répartis selon leur âge en trois catégories, à savoir celle des « jeunes » qui concerne

les moins de trente ans, celle des personnes d’« âge moyen » qui comprend les personnes

âgées de 30 à 49 ans, et, enfin, celle des plus « âgés » qui est constituée par les plus de

cinquante ans. Dans l’échantillon global, 556 personnes ont moins de 30 ans (dont 125

adultes), 169 sont d’âge moyen et 79 sont plus âgés.

Enfin, afin d’étudier le rôle que peut jouer le degré d’éducation sur la prégnance de certains

stéréotypes, nous avons classé les informateurs en quatre catégories en fonction du niveau de

leur diplôme (ou du type d’enseignement fréquenté) et de celui de leurs parents. Voici la taille

et la composition de ces quatre catégories qui tiennent compte de la répartition effective des

profils de notre échantillon :

Catégorie sociale 1 (73 individus) :

- adultes ayant au maximum un diplôme de l’enseignement primaire et dont au moins

un des deux parents n’a pas été scolarisé au-delà de l’enseignement primaire,

- élèves de l’enseignement professionnel.

Catégorie sociale 2 (113 individus) :

- adultes ayant au maximum un diplôme de l’enseignement secondaire et dont au

maximum un des deux parents a un diplôme du supérieur, et adultes ayant un diplôme

de l’enseignement supérieur mais dont les deux parents n’ont pas été scolarisés au-

delà de l’enseignement primaire,

- élèves de l’enseignement technique dont les deux parents ont au maximum un diplôme

du secondaire.

Catégorie sociale 3 (305 individus) :

- adultes ayant au maximum un diplôme de l’enseignement secondaire et dont les deux

parents ont un diplôme du supérieur, et adultes ayant un diplôme de l’enseignement

supérieur dont au maximum un des deux parents a un diplôme du supérieur,

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22

- élèves de l’enseignement technique dont au moins un des parents a un diplôme du

supérieur, et élèves de l’enseignement général dont au maximum un des deux parents

a un diplôme du supérieur.

Catégorie sociale 4 (282 individus) :

- adultes ayant un diplôme de l’enseignement supérieur tout comme leurs deux parents,

- élèves de l’enseignement général dont les deux parents ont un diplôme du supérieur.

Il nous parait important de préciser que pour chaque variable prise en compte (ex. hommes vs

femmes) les sous-groupes ne sont pas nécessairement composés de façon équivalente du point

de vue des autres variables (ex. âge, catégorie sociale), ce qui peut avoir des conséquences

pour l’analyse, puisqu’il devient plus difficile de savoir quelle est la variable qui explique une

différence observée entre deux sous-groupes. Si de manière générale la plupart des sous-

groupes sont assez bien équilibrés, certains d’entre eux connaissent une répartition inégale des

autres catégories. On observe ainsi que les élèves connaissent une sur-représentation des

catégories sociales 1 et 4 et une sous-représentation des catégories 2 et 3 par rapport aux

adultes12. Dans le groupe des adultes, les informateurs d’origine belge sont surreprésentés Il

faut aussi tenir compte de la répartition des groupes d’âge au sein des élèves (uniquement des

« jeunes ») et des adultes (où les jeunes ne représentent qu’un tiers de l’échantillon)13. Aussi,

nous remarquons que chez les Bruxellois, les élèves sont sur-représentés, tout comme les

personnes les plus instruites et les personnes d’origine mixte et immigrée14 On remarque enfin

que, chez les personnes « âgées », on retrouve moins de personnes « instruites » (appartenant

à la catégorie sociale 4) et que chez les personnes d’origine immigrée la catégorie sociale 1

est sur-représentée15. Lorsqu’on analyse la répartition hommes vs femmes par contre, on

n’observe que les deux sous-groupes sont bien équilibrés au niveau des autres variables16.

1.5. L’échantillon de l’enquête qualitative par entretien La constitution de l’échantillon pour l’enquête qualitative n’a pas été réalisée dans l’objectif

d’atteindre une certaine représentativité de la population. Au contraire, nous avons pris le

parti de nous intéresser à un public bien particulier, susceptible, de par ses caractéristiques

professionnelles, d’avoir des représentations sur les questions qui nous intéressent mais aussi

12 Voir annexe 3, figure 1. 13 Voir annexe 3, figures 2 et 3. 14 Voir annexe 3, figures 4, 5, et 6. 15 Voir annexe 3, figures 7 et 8. 16 Voir annexe 3, figures 9 à 12.

Page 23: Français, immigration, intégration: analyse des stéréotypes et des ...

23

une certaine expertise en matière d’insertion socioprofessionnelle - expertise qu’il s’agissait

de mettre en confrontation avec les stéréotypes de notre enquête. Ainsi, nous désirions

interroger des personnes susceptibles d’avoir suffisamment de connaissance du terrain pour ne

pas véhiculer certains stéréotypes de façon caricaturale par pure méconnaissance de la

situation; il s’agissait donc de pouvoir analyser la force de certains stéréotypes, et la

prégnance relative des uns par rapport aux autres. Étant donné notre objectif d’analyser la

logique argumentative des discours, notre méthode supposait que les personnes interviewées

puissent construire un discours argumenté et autonome à partir des questions posées, il nous

paraissait donc essentiel d’interroger des personnes confrontées, directement ou indirectement

(via des collègues, etc.) à la réalité de l’immigration. C’est pourquoi nous avons cherché à

interroger des professionnels du domaine de l’insertion socio-professionnelle, tous secteurs

confondus.

Notre échantillon de vingt et un informateurs est ainsi composé de six personnes travaillant

dans des antennes du FOREM, de sept personnes occupant une fonction d’assistant social

dans un CPAS, d’une personne chargée de gérer les dossiers de sans-papiers demandant le

droit d’asile, d’une personne travaillant dans une entreprise à finalité sociale qui octroie des

microcrédits à des indépendants et de quatre personnes travaillant dans des Missions locales.

Deux personnes seulement sont d’origine mixte ou immigrée. Les jeunes, les Bruxellois, et les

diplômés de l’enseignement supérieur sont surreprésentés dans cet échantillon.

Il nous faut enfin remarquer que le choix d’un tel échantillon est susceptible d’avoir des

incidences sur la prégnance de certains stéréotypes dans le discours des informateurs, mais

que ces effets s’équilibrent sans doute. En effet, les informateurs ont la particularité d’être

sensibilisés à l’importance de la maitrise de la langue vu la place que lui accorde le système

belge d’insertion socioprofessionnelle (proposition de cours de français pour tous et souvent

comme première étape de l’insertion). Ceci aurait comme conséquence la prégnance du

stéréotype associant langue et intégration dans leur discours. Cependant, nos informateurs ont

aussi davantage l’occasion d’être confrontés à la multiplicité des parcours d’intégration, ce

qui impliquerait qu’ils puissent relativiser une vision stéréotypée du lien entre langue et

intégration.

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24

2. Résultats des enquêtes quantitatives et qualitatives Nous présentons ci-dessous les résultats combinés des deux enquêtes en commençant par les

résultats quantitatifs qui sont ensuite éclairés ou nuancés par des extraits significatifs issus de

l’enquête par entretiens semi-directifs.

Nous faisons état des réactions des informateurs face aux différents stéréotypes qui leur ont

été soumis non pas en suivant l’ordre de ces stéréotypes dans le questionnaire, mais en tentant

déjà d’articuler ceux-ci logiquement de manière à reconstruire ainsi les raisonnements

auxquels semble adhérer une partie plus ou moins importante de notre échantillon.

Nous donnons en général le pourcentage d’adhésion (réponses 4 et 5) ou de non-adhésion

(réponses 1 et 2) à chaque stéréotype pour l’ensemble de notre échantillon (toutes les données

quantitatives ne concernent que les informateurs de l’enquête par questionnaire et non les 21

personnes interrogées pour la partie qualitative de la recherche). Comme pour la quasi-totalité

des items du questionnaire, les réponses intermédiaires (2 et 4) sont largement plus fréquentes

que les réponses extrêmes (1 et 5), nous ne prenons pas la peine de le rappeler chaque fois et

nous ne donnons le détail de la ventilation des réponses que quand il permet de révéler une

adhésion ou un rejet particulièrement explicite. Lorsque des différences significatives17

apparaissent dans les résultats selon les différentes sous-catégories envisagées, nous le

signalons, en précisant les résultats chiffrés sauf s’ils ne font que confirmer des tendances

maintes fois observées pour d’autres stéréotypes.

Remarquons enfin que nous ne précisons pas systématiquement dans notre analyse que les

items du questionnaire qui concernaient Bruxelles ou la Belgique dans son ensemble tenaient

compte du bilinguisme officiel et mentionnaient dès lors systématiquement tant le français

que le néerlandais lorsqu’il s’agissait de désigner une langue officielle ou prédominante dans

un espace donné (ex. item n°21 : « Quelqu’un qui ne parle pas correctement français ou

néerlandais ne pourra jamais trouver du travail à Bruxelles »). Lorsque nous évoquons le

français dans les lignes qui suivent, il faudrait en toute rigueur faire référence au français ou

17 Pour déterminer si une différence entre les réponses de plusieurs sous-groupes est significative, nous nous basons toujours sur un test de type chi-carré comparant le nombre de réponses négatives (1-2), neutres (3) et positives (4-5) face à un stéréotype donné dans chacun des sous-groupes.

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25

au néerlandais (ex. les répondants estiment qu’il est nécessaire de parler français/néerlandais),

ce que nous avons choisi de ne pas faire, par souci de lisibilité.

2.1. La non-maîtrise du français comme source des problèmes sociaux et

économiques des populations issues de l’immigration Une partie importante de nos informateurs pense que la non-maitrise du français est une des

causes principales des difficultés d’accès à l’emploi de certaines personnes issues de

l’immigration18. Cette idée remporte l’adhésion de 41% des répondants en moyenne, avec une

adhésion plus importante auprès des élèves (45% vs 35% chez les adultes, p < 0,05) et des

hommes (43% vs 39% chez les femmes, p < 0,01). Dans le même sens, une maîtrise

insuffisante du français est pour 44% des informateurs la cause principale de l’échec scolaire

des élèves issus de l’immigration19 ; cette fois, ce sont les informateurs de plus de 50 ans qui

se distinguent par une adhésion plus importante au stéréotype (65% vs 40% en moyenne pour

les autres groupes, p < 0,001), de même que les Wallons (47% vs 38%, p < 0,05) et les

répondants d’origine belge (50 % vs 36% en moyenne pour les autres groupes, p < 0,05).

Corollairement, l’idée que la maîtrise du français est un gage de réussite scolaire recueille

l’adhésion de 40% des personnes interrogées20. En revanche, seule une minorité pense qu’une

mauvaise maîtrise du français favorise le recours à la violence physique (30% d’adhésion aux

énoncés soutenant une telle idée21) ; cette idée est néanmoins davantage présente chez les

élèves (39% vs 24%, p < 0,001), chez les personnes plus âgées parmi les adultes (32% vs

22%, p < 0,05), chez les hommes (37% vs 28%, p < 0,01), les Wallons (35% vs 27%, p <

0,05) et dans la catégorie sociale 1 (45% vs 31% en moyenne pour les autres groupes, p <

0,05)22.

Les trois premiers stéréotypes évoqués ici ne suscitent pas un accord massif des informateurs,

mais on observe néanmoins que les personnes qui y adhèrent (42% en moyenne pour les trois

énoncés) sont plus nombreuses que celles qui les rejettent (38%), tandis que 20% des sondés 18 Voir item n°27 du questionnaire : « Si certaines personnes issues de l’immigration ne trouvent pas de travail en Wallonie, c’est surtout parce qu’elles ne parlent pas bien français. » 19 Voir item n°5 : « En Wallonie, si les élèves issus de l’immigration échouent souvent à l’école, c’est principalement parce qu’ils ne maîtrisent pas bien le français. » 20 Voir item n015 : « Quelqu’un qui apprend à bien parler français réussira sans trop de difficultés à l’école. ». On observe à nouveau ici encore une adhésion plus nette dans le groupe des plus âgés où le taux de réponses positives atteint 59% (p < 0,001). 21 Voir items n°33 (« En Wallonie, quelqu’un qui ne connaît pas bien les mots en français pour exprimer ce qu’il ressent aura plus vite tendance à résoudre les conflits par la violence physique.») et 40 (« En Wallonie, lorsqu’on sait bien s’exprimer en français, on a moins de raison d’utiliser la violence pour régler les problèmes. »).») 22 Les différences entre sous-catégories ne concernent que l’item 33.

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26

ne se prononcent pas. On pourrait à première vue estimer légitime qu’une majorité de

personnes adhèrent aux idées exprimées par ces trois propositions : n’est-il pas évident en

effet qu’une bonne maîtrise du français constitue un facteur de réussite scolaire et d’insertion

professionnelle en Belgique francophone ? S’il est assez incontestable qu’une telle maîtrise de

la langue officielle peut favoriser des trajectoires de réussite scolaire et économique, il n’est

pas évident de soutenir que cette maîtrise est nécessairement un gage de réussite et encore

moins de prétendre que l’absence de maîtrise du français est en tant que telle la cause

principale des difficultés scolaires ou professionnelles des personnes issues de l’immigration

– ce que les trois énoncés en question suggèrent pourtant. C’est donc en ce sens que ces trois

énoncés constituent à proprement parler des idées reçues qui peuvent être interrogées (v. §3).

Le fait que nos informateurs ne problématisent pas la logique qui sous-tend ces énoncés

apparaît de façon plus claire encore dans leurs réactions à la proposition faisant de la non-

maîtrise la cause « principale » des « problèmes d’intégration » en général des personnes

issues de l’immigration23. Un peu plus d’un élève sur deux adhère à cette idée (55%), tandis

qu’ils sont légèrement moins nombreux chez les adultes à y adhérer (45%, p < 0,01). Parmi

ceux-ci, les plus âgés adhèrent néanmoins plus massivement encore au stéréotype (63%).

Dans l’ensemble, les informateurs d’origine belge sont également plus nombreux à être en

accord avec l’énoncé (57% vs 45% en moyenne, p < 0,001). Seuls 28% des répondants en

moyenne le rejettent (réponses 1 et 2).

Pourtant, une majorité des répondants estime qu’on « peut s’intégrer à la vie sociale et

économique même si on ne parle que très peu français » (46%) et rejette l’idée selon laquelle

il est impossible de trouver du travail si on ne parle pas français (50%)24. Ils sont plus

nombreux (76%) encore à marquer leur désaccord avec l’idée selon laquelle quelqu’un qui ne

parlerait pas français serait incapable de trouver un logement ou de faire des rencontres25 – ce

qui montre que les réponses des informateurs sont nuancées et qu’ils se distancient des

propositions énoncées dès qu’elles relèvent de visions largement caricaturales.

23 Voir item n°63 : « En Wallonie, les personnes issues de l’immigration ont des problèmes d’intégration principalement parce qu’elles ne parlent pas français. ». 24 Voir items n°48 et n°21 (« Quelqu’un qui ne parle pas correctement français ne pourra jamais trouver du travail en Wallonie. »).». L’item n°48 ne fait pas partie du questionnaire soumis aux élèves. 25 Voir item n°23 : « Les gens qui ne parlent pas correctement français ne pourront pas s’installer en Wallonie, y trouver un logement, y faire des rencontres, etc. »

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27

Ces personnes reconnaissent donc que la maîtrise du français n’est pas une condition de

l’intégration sociale et économique, ce qui implique que l’absence de maîtrise ne saurait être

une cause irrémédiable de non-intégration. Toutefois, un bon tiers des informateurs conteste

néanmoins la possibilité de s’intégrer sans parler français p (item 48, 39%) et adhère à l’idée

que l’accès à l’emploi est impossible pour un non-francophone (item 21, 36%) – ils sont plus

nombreux dans ce cas à Bruxelles qu’en Wallonie (40% vs 34% p < 0,05), ce qui semble

paradoxal vu que la présence plus importante de personnes issues de l’immigration à

Bruxelles rend sans doute plus probable le fait de trouver un emploi pour un non-francophone.

En résumé, même si nos informateurs considèrent majoritairement qu’on peut participer à la

vie économique et sociale sans parler français, ils estiment néanmoins que, malgré cette

possibilité, l’absence de maîtrise du français est la source principale des difficultés

d’intégration des personnes issues de l’immigration.

On retrouve cette ambivalence dans les entretiens que nous avons menés avec des personnes

occupant des fonctions les amenant à être sensibilisés aux questions de l’insertion socio-

professionnelle. La quasi-totalité de ces personnes ont conscience de la possibilité de vivre en

Belgique, de s’insérer professionnellement et socialement (dans une certaine mesure) sans

maîtriser le français, non seulement en raison de l’existence de quartiers « ghettos », mais plus

généralement en raison de l’existence d’espaces sociaux et économiques qui fonctionnent

dans d’autres langues que le français (néerlandais) :

inf020 c'est logique quoi / mais j'ai une dame qui a travaillé pendant elle a quand même travaillé

quelque temps pour un employeur belge mais où il y avait que des Turcs / et / elle est arrivée près de moi elle parle pas un mot mais puis je dis mais comment vous avez fait pour travailler quoi parce que l'employeur c'était un vrai Belge quoi / elle me dit mais il y avait des Turcs // et je dis maintenant // ben elle se rend compte que si elle veut aller autre part c'est pas possible quoi // et donc euh j'ai essayé de lui faire comprendre qu'il fallait qu'elle fasse une pause / alors elle me dit oui mais si je trouve du travail je peux arrêter la formation je dis non / vous allez pas arrêter votre formation parce que le problème se reposera après / quand vous n'aurez plus d'emploi et donc vous avez des gens comme ça qui sont restés en ne parlant pas le français parce qu'ils sont restés mais qui ont ils ont travaillé / et et pas parce qu'ils sont restés juste dans leur communauté / ils ont travaillé mais les choses font qu'ils ont pas appris le français parce que euh // et vous avez des gens qui qui se débrouillent bien j'ai un monsieur électricien qui a travaillé ici en Belgique je dis mais comment vous avez fait vous parlez pas // ben j'avais un copain et mon copain traduisait les consignes26

26 Dans les transcriptions, nous utilisons les italiques pour mettre en évidence des passages qui nous semblent particulièrement intéressants. Pour le reste, les transcriptions respectent les conventions de transcription du Centre de recherche Valibel (http://www.uclouvain.be/81836.html).

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28

inf016 c'est très difficile [de trouver du travail sans parler la langue] ça arrive parfois hein mais euh ce sont on trouve ça dans des quartiers ghettos mais je dis bien c'est très péjoratif mais / en tout cas des des |- des <ASR> des quartiers -| des quartiers qui sont tout à fait euh / monoculturels au niveau du euh / au niveau d'une communauté en particulier

Si la grande majorité des interviewés reconnaît qu’il est possible de « se débrouiller » sans

bien parler français, c’est sans doute parce que leur fonction d’acteurs de l’insertion socio-

professionnelle leur a permis, contrairement à la plupart de nos informateurs, de faire

l’expérience de nombreux allophones qui ne sont que partiellement francophones et qui sont

mais qui n’ont pas attendu l’aide du FOREM ou du CPAS pour s’insérer sur le marché de

l’emploi et tenter de subvenir à leurs besoins.

Toutefois, on observe néanmoins chez quelques personnes interviewées un discours qui

véhicule l’idée de la nécessité absolue de maîtriser le français pour trouver un travail :

ASR et alors est-ce que vous avez euh / euh l'impression qu'il est possible mais c'est juste savoir

votre opinion de / quand même c/ possible de s'intégrer plus ou moins euh avec un tissu social particulier mais quand même avoir un tissu social et un travail par exemple à Bruxelles sans parler l/ le néerlandais ou le français?

inf002 |- mais le tissu social <ASR> est-ce que vous avez l'impression -| c'est possible d'en avoir un si on reste entre personnes de la même qui pratiquons {ou, ont} la même langue mais euh / euh // par rapport au travail (silence) à moins de trouver dans une ambassade où on pratique la langue {où on, on} ne demande que ça m/ mais mais même même dans ce contexte-là il faut quand même maîtriser la langue du pays {qu'elle} / oui

ASR |- vous avez l'impression <inf001> (xxx) -| que c'est une condition inf002 oui inf016 c'est indispensable de de / en tout cas d'essayer [d’apprendre le français] c'est comme ça

qu'on s'intègre qu'on rencontre des gens et ça évite des problèmes parce que on a on a au-delà d'avoir une vie quotidienne on a une vie euh administrative hein on on est inscrit on doit faire des démarches dans une commune on doit faire des démarches ben un peu partout pendant toute notre vie ne fût-ce qu'auprès des banques euh le jour où on travaille euh ben voilà trouver du boulot sans maîtriser une des langues faut pas rêver c'est impossible

Ce discours atteste de la prégnance relative du stéréotype selon lequel le marché de l’emploi

en Wallonie et même à Bruxelles serait uniquement francophone ou néerlandophone, alors

que l’existence de secteurs d’emploi allophones, par exemple dans le domaine du commerce

alimentaire, de la construction ou de l’horeca, ne fait pas de doute [ici référence]. Ces

discours tiennent peut-être à la distinction implicite que ces acteurs de l’insertion socio-

professionnelle, influencés par la réalité de leur terrain, font entre des occupations non

déclarées permettant de gagner de l’argent et des emplois officiels et stables, comme le

suggèrent les extraits suivants :

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inf019 (…) pour savoir bosser // la langue euh est quand même quasi indispensable à part pour le petit paki euh / là-bas au bout de la rue qui sait toujours pas qui parle toujours pas un mot de français mais (rires)

inf006 (…) m/ mais ça me paraît clair que si on parle pas français c'est quand même difficile d'avoir

un vrai boulot euh

Ces interviewés considèrent en ce sens sans doute qu’il est impossible d’avoir un « vrai »

travail sans parler une langue officielle, étant donné que les procédures qui sont celles du

système dans lequel ils désirent insérer les demandeurs d’emploi posent souvent la maitrise de

la langue comme condition nécessaire à l’ouverture d’un dossier. Cette distinction explique

sans doute également une partie des réponses des informateurs qui considèrent qu’il est

impossible de trouver un travail sans connaître le français.

Comme nous le montrerons en détails plus loin (v. §3), cette idée que l’accès au marché de

l’emploi est impossible pour des personnes qui ne maîtriseraient pas le français/néerlandais en

Wallonie et à Bruxelles est un stéréotype qui nous semble alimenter trois visions discutables

des réalités de l’immigration :

- une forme de déni de l’existence d’espaces sociaux (en dehors de la sphère familiale)

où d’autres langues que le français sont utilisées,

- l’idée que le français (néerlandais) est la condition première de toute insertion

professionnelle,

- et corollairement, l’idée selon laquelle les personnes issues de l’immigration parlant

peu ou mal français sont dans l’incapacité de travailler et de contribuer à la création de

richesses, et qu’ils profitent donc nécessairement du système.

Bien qu’ils aient souvent reconnu la possibilité de s’insérer socialement et

professionnellement sans être un francophone accompli, nos témoins insistent sur la nécessité

(souvent « première ») de maîtriser le français pour s’intégrer de manière large. Ils sont ainsi

nombreux à rejoindre les propos de cet informateur :

inform8 moi je pense quand même que [parler français] c'est pour leur intégration en partie quelqu'un

qui va pouvoir comprendre comment fonctionne la société pouvoir échanger c/ c'est bête mais pouvoir aller au magasin et dire s'il vous plaît ah je vous dois cinq euros voilà merci beaucoup ben les personnes je pense qu'elles ont euh dix kilos en moins sur leurs épaules quoi donc c'est un peu euh c'est plus pour elles et je pense que ça fait quand même partie du bien être quand tu es dans une autre société euh qui n'est pas la tienne de pouvoir te sentir finalement un petit peu plus intégré même si voilà il y a des personnes qui veulent pas s'intégrer mais ça je pense que ça fait partie de ton bien-être de dire ben je peux un petit peu m'exprimer je peux un peu euh je sais pas moi

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30

Personne ne contestera en ce sens que la maîtrise du français est un atout pour une meilleure

intégration. Cependant nos informateurs passent spontanément de cette idée – le français

favorise l’intégration – à trois représentations plus discutables, comme nous l’avons suggéré

plus haut : (a) la maîtrise du français serait la condition première de l’intégration, (b) cette

maîtrise serait une condition suffisante de l’intégration, et (c) l’absence de maîtrise du français

suffirait à expliquer les difficultés d’intégration (violence, chômage, repli sur la communauté,

réactions des autochtones en réaction à cette non-maitrise, etc. ; v. §3, ci-dessous, pour une

critique). Les extraits qui suivent illustrent ces représentations : inf022 moi je trouve -| que l'apprentissage de la langue en tout cas comme vecteur d'intégration est

super important / voilà même s'ils vont travailler avec des personnes de leur culture etcetera. ils savent communiquer avec d'autres et / et et pour moi c'est c'est quand même c'est la base pour pouvoir euh / pouvoir s'intégrer

inf022 pour certaines personnes oui / pour moi le le ce qui pose le plus problème pour l'intégration

c'est les différences de culture / et euh / et la compréhension parfois des cultures différentes // mais mais c'est vrai que / on ne sait pas arriver à ce qu'on / à parler de ces problèmes de culture si la maîtrise de la langue n'est pas là / donc c'est c'est l'étape / oui c'est la première étape

inf017 (silence) les gens qu'on voit ici dans le cadre du travail oui mais ils arrivent ici dans un / dans

un système où ils sont encadrés par le service social ici on les inscrit à des cours de français ça fait partie / pas des obligations mais en tout cas du du du programme qu'on leur propose et caetera donc il y a plein de choses qui sont mises en place pour que // voilà pour qu'ils puissent justement s'intégrer euh / en Belgique

ASR est-ce que vous avez cette impression aussi que (…) cet accès au français qu'on qu'on offre

ou qu'on permet euh euh aux imm/ aux personnes issues de l'immigration ben il est il est un peu nécessaire aussi pour une intégration identitaire dans un groupe

inf002 oui quand même |- oui <ASR> ok -| // |- parce que <ASR> vous ave/ -| si ça n'est pas le cas ils vont rester de nouveau groupés entre personnes pratiquant la même langue et auront du mal à aller dans vers d'autres groupes euh notamment de personnes qui parlent français ou néerlandais

ASR est-ce que vous avez l'impression qu'il y a un lien qui est / assez euh fort entre ces ces / |- ces

phénomènes [le niveau du français et l’intégration]? inf002 je pense que -| c'est quand même ça / c'est inévitable euh // que si euh on n'arrive pas bien à

se faire comprendre euh dans la région où on habite euh / ben tout / tout va avoir euh une con/ ça aura une conséquence sur plein d'autres choses (…) donc euh // moi spécifiquement je dirais au niveau de la socialisation oui et euh l'emploi quoi l'emploi ça fait partie aussi de la socialisation je trouve [nous soulignons]

ASR et pour -| ceux qui ont une maîtrise un peu minimale mais avec des gros accents qui font des

grosses fautes tu tr/ tu crois que c'est globalement un problème ou Inf09 ben moi je suis sûre que il y a rien à faire la langue c'est inconsciemment ça fait ça fait ça

donne des a priori de malade et du coup ouais je crois que c'est vraiment un obstacle aux / donc effectivement si tout le monde pouvait parler pouvait bien maîtriser la langue je suis sûre que ça aiderait à l'intégration

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31

Dans ces différents extraits, on voit que les répondants présupposent que la maîtrise du

français est une des conditions principales de l’intégration, comme si elle allait constituer un

tremplin indépendamment d’autres facteurs (quartiers où l’on habite, école que l’on

fréquente, occupation professionnelle ou non), et comme si c’était principalement parce qu’ils

ne pourraient pas s’exprimer en français correct et parce qu’ils ne parviendraient pas à se faire

« comprendre » que les locuteurs issus de l’immigration seraient amenés à « rester de nouveau

groupés ». Pourtant, est-ce que ces locuteurs sont réellement nombreux à avoir des difficultés

à se faire comprendre ? Est-ce que le regroupement de populations issues de l’immigration

n’est pas dû en premier chef à d’autres facteurs que la langue, comme la ségrégation urbaine

et scolaire ?

Il convient toutefois de signaler la présence incontestable, dans notre corpus d’entretiens, de

raisonnements critiques sur la question des rapports entre maîtrise de la langue et intégration.

En effet, comme le montrent les extraits suivants, certains informateurs insistent sur la

multiplicité des facteurs pouvant favoriser ou entraver l’intégration :

ASR et euh est-ce que vous avez l'impression que ce problème-là [de la maîtrise de la langue]

enfin a est c'est un obstacle mais qu'il y a souvent des solutions qui sont trouvées comme vous dites des amis qui traduisent etcetera ou que ça reste un obstacle quand même qui pose problème pour beaucoup de de personnes comment est-ce que vous voyez un peu cet obstacle-là et euh

info10 (silence) de de nouveau il y a il y a aussi euh il y a la langue mais il y a même déjà un peu le le le le délit de faciès quand on va se présenter qu'on est demandeur du d'une chose donc quand même déjà un peu en situation inégalitaire avec la personne euh ça ça pose vraiment enfin ça renforce encore les problèmes ça renforce encore cette cette inégalité encore en tout cas dans la relation

inf020 je pense que réduire le tout à la langue c'est vite fait bien fait et euh / on se donne bonne

conscience / parce que c'est pas ça / c'est pas juste la langue maintenant c'est vrai / vous avez quelqu'un qui euh / euh est universitaire qui vient en Belgique ben / forcément que les choses seront plus simples dans l'apprentissage de la langue dans les choses qui seront bien mises en ordre maintenant ce n'est pas plus simple de trouver du boulot parce que / le problème / c'est euh / la difficulté en tout cas même à équivalence de diplôme reconnu etcetera etcetera qu'ils puissent avoir un boulot en fonction de leurs compétences // alors ils trouvent du boulot / mais pas en fonction de leurs compétences

ASR et ça à cause de la langue du fait qu'ils parlent pas inf020 non pas pas spécialement / je pense pas ASR ah oui / et donc à c/ vous vous pensez à cause de (silence) inf020 pff // si je dois être tout à fait honnête je pense que la couleur de la peau a quand même

malheureusement encore beaucoup d'influence / et je trouve que / autant par rapport aux Marocains euh etcetera etcetera ça enfin je dirais ça ça pose pas trop trop de problèmes / mais je trouve que par rapport aux euh / (tousse) aux Africains noirs ça pose réellement problème /

(…) inf020 je pense aussi par rapport à votre question [sur l’importance de maîtriser le français] que c'est

/ vraiment / la / la grosse différence ça va être je me débrouille je me débrouille pas / je me débrouille ben je vais y arriver même si je parle pas même si je baragouine même si ceci même si cela / ça va aller je vais m'insérer / je vais trouver quand même je vais trouver un

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32

boulot etcetera etcetera euh / quand vous savez que j'ai eu une dame récemment euh turque aussi qui a travaillé comme technicienne de surface au ministère euh des Finances et qui parle pas français // magnifique hein quand même / elle me dit je comprends juste ce qu'on me demande / mais comme je travaillais bien on m'a gardée // tout simplement / et donc je pense que / les gens qui se débrouillent ils y parviennent / les gens qui se débrouillent pas // qui parviennent pas qui n'ont pas un // c'est même pas en terme d'intelligence c'est vraiment sens pratique quoi des choses eux vont avoir plus de mal mais remarquez que les purement belges c'est la même chose hein / et je pense que c'est c'est le même problème alors oui il y a la langue qui est un souci d'accord mais qu'on n'arrête de dire que la langue est le problème de tout

Les extraits cités tout au long de cette section mettent en évidence des divergences de vue

entre nos informateurs (et parfois chez une même personne), qui ne reposent pas

nécessairement selon nous sur des visions incompatibles des rapports entre langue et

intégration. En effet, certaines de ces divergences tiennent simplement au fait que pour

répondre à nos questions, les personnes interrogées s’appuient tantôt sur une expérience

concrète (comme l’attestent les nombreux recours à des illustrations du type « par exemple,

j’ai une dame marocaine qui… »), tantôt sur des représentations plus abstraites qui laissent

davantage de place aux stéréotypes et aux idées reçues qui circulent dans les discours

dominants. Cela apparaît clairement dès qu’il s’agit de parler de l’intégration : lorsque les

informateurs envisagent cette notion à travers des indicateurs concrets (trouver un travail,

avoir des contacts sociaux), ils donnent une vision plutôt nuancée du poids de la langue dans

l’intégration en se référant à des expériences précises, tandis que, dès qu’ils évoquent

l’intégration comme un concept abstrait et relativement flou, ils proposent des discours plus

stéréotypés et semblent réfléchir davantage à partir d’idées reçues qui sont disponibles dans

leur imaginaire qu’à partir d’un raisonnement basé sur une représentation précise de la réalité.

Ceci montre que même chez des personnes pourtant en contact étroit avec les réalités

effectives de l’immigration, certaines idées non fondées au sujet des rapports entre langue,

immigration et intégration tendent encore à s’imposer tant elles sont sans doute considérées

comme évidentes par une part importante de la population.

2.2. Les compétences en français des personnes issues de l’immigration Nous avons vu ci-dessus que la non-maîtrise du français était envisagée par bon nombre de

répondants comme l’obstacle principal à l’intégration des personnes issues de l’immigration.

La question qui se pose dès lors est celle de savoir quelle est, selon eux, la part de ces

personnes qui ont effectivement des difficultés à maîtriser le français ?

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33

Presque la moitié de nos informateurs (49%) rejettent l’idée selon laquelle « la plupart des

personnes issues de l’immigration ne parlent pas bien français »27 ; ils sont plus nombreux

dans ce cas chez les Bruxellois que chez les Wallons (56% vs 45%, p < 0,01). Le reste de

l’échantillon se partage entre la réponse neutre (24%) et l’adhésion au stéréotype (27%). Les

répondants d’origine belge sont plus nombreux à marquer leur adhésion que les deux autres

groupes (31% vs 22% en moyenne, p < 0,05), idem pour les élèves par rapport aux adultes

(30% vs 23%, p < 0,05), tandis que les plus âgés se distinguent des deux autres tranches d’âge

par un rejet moindre (34%) et un taux plus important de réponses neutres (33% ; p < 0,05).

Une différence significative oppose les catégories sociales, mais uniquement lorsqu’on

oppose la catégorie la plus basse à la plus élevée, la première rejetant moins (41% vs 52%) et

adhérant davantage (40% vs 24%) à la proposition que la seconde (p < 0,05). De façon

cohérente, les répondants rejettent plus massivement encore (59%) l’énoncé soutenant que

« de nombreuses personnes issues de l’immigration ne parlent correctement ni français (ou

néerlandais) ni leur langue d’origine »28. Contrairement à ce qu’on observe pour la plupart des

items, les élèves sont ici plus nombreux à rejeter le stéréotype (68% vs 50%, p < 0,001), alors

que chez les adultes le taux de réponse neutre est élevé (38% vs 23%, p < 0,001). En réalité,

le degré de rejet/adhésion à ce stéréotype oppose fortement les plus jeunes (67% de rejet, 9%

d’adhésion) aux plus âgés (33% de rejet, 20% d’adhésion, p < 0,001), le groupe d’âge

intermédiaire se situant à l’entre-deux.

En revanche, lorsque le même type d’énoncé porte sur les jeunes issus de l’immigration en

particulier, les réponses sont plus contrastées. Face à la proposition selon laquelle « les jeunes

issus de l’immigration parlent en général un français très appauvri, qu’ils mélangent29 souvent

avec leur langue d’origine »30 , les répondants sont partagés entre le rejet (37%) et l’adhésion

(38%). On retrouve à nouveau une adhésion sensiblement plus grande chez les élèves (44% vs

30%, p < 0,001) et chez les personnes d’origine belge (43% vs 32%, p < 0,05). Les réactions

sont très similaires face à l’affirmation selon laquelle les jeunes issues de l’immigration

27 Voir item n°35. 28 Voir item n°41. 29 On notera à ce propos que nos informateurs n’adhèrent pas massivement au stéréotype négatif concernant le problème du mélange de langue présenté dans notre questionnaire. Face à l’énoncé « le bilinguisme n’est bénéfique pour quelqu’un que s’il a appris à ne pas mélanger les langues » (item n°6), les réactions sont partagées entre le rejet (42%) et l’adhésion (38%). 30 Voir item n°31.

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34

utilisent des expressions vulgaires et parlent de façon agressive31. Par contre, face à un énoncé

plus caricatural – « la langue parlée par de nombreux jeunes issus de l’immigration est un

mélange de plusieurs langues, qui n’est plus ni du français, ni une autre langue »32 – le taux

d’adhésion diminue (27%), mais davantage au profit des réponses neutres (32%) que du rejet

du stéréotype (42%), et il reste plus fort chez les élèves(30%) que chez les adultes (23%, p <

0,05).

Pour finir, on peut examiner les réactions des informateurs à l’énoncé posant que « la plupart

des élèves issus de l’immigration ne sont pas francophones » (item n° 60). Le taux de

réponses neutres est très important (48%), ce qui signifie que les répondants se sont estimés

incapables de juger faute de connaissance de la réalité, ou ont considéré que la question était

peu claire (on peut légitimement se demander ce que signifie « être francophone »). Pour le

reste, les taux d’adhésion et de rejet sont proches (28% vs 24%) en moyenne, mais le taux

d’adhésion augmente, à nouveau, chez les personnes d’origine belge (35%, p < 0,001) et

diminue chez les Bruxellois (23%, p < 0,001).

En résumé, seule une minorité des répondants adhère à ces stéréotypes au sujet de la mauvaise

qualité des pratiques linguistiques des personnes issues de l’immigration en général.

Toutefois, cette minorité reste significative – un tiers des informateurs en général – et il reste

interpellant par ailleurs de voir que si peu de personnes sont prêtes à affirmer que la plupart

des élèves issus de l’immigration sont bel et bien francophones. Certes, certains répondants

ont peut-être entendu le terme francophone non pas comme une catégorie strictement

linguistique, mais comme une catégorie ethnolinguistique. Nous pensons que ces résultats

révèlent cependant deux faits importants : (a) il ne va pas de soi pour une grande majorité des

personnes interrogées que la plupart des élèves issus de l’immigration sont francophones

(puisque seuls 24% rejettent explicitement l’affirmation inverse), (b) ce qui s’explique peut-

être en partie par le fait que les informateurs associent spontanément la notion de

personnes/élèves issus de l’immigration avec des immigrés récents provenant de pays non

francophones33 et ne savent pas (ou oublient), d’une part, que la plupart des immigrés

31 Voir item n°38 : « Ce qui frappe le plus quand on entend les jeunes issus de l’immigration parler, c’est qu’ils utilisent des expressions vulgaires et parlent de façon agressive. » Rejet : 44%, adhésion= : 39%, à nouveau les élèves, les personnes d’origine belge et de catégorie sociale 1 sont significativement plus nombreux à adhérer au stéréotype. 32 Voir item n°37. 33 C’est ce que confirment les réactions des informateurs à l’item n°25 selon lequel le nombre d’immigrés et, dès lors, le nombre de non-francophones augmente en Belgique. Une majorité de répondants (46%) y adhèrent en effet (contre 31% de rejets et 23% de réponses neutres).

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35

viennent de pays limitrophes et en grande partie de France, et d’autre part, que la majorité des

personnes issues de l’immigration sont des descendants d’immigrés de 2e, 3e voire 4e

génération, qui sont francophones monolingues. Enfin, on peut souligner que le degré

d’adhésion supérieur aux stéréotypes qui concernent spécifiquement les jeunes montre

probablement qu’il s’agit là de représentations plus courantes dans les discours circulants.

2.3. Les raisons des lacunes en français des personnes issues de

l’immigration Si une part non négligeable de nos informateurs pensent que les personnes issues de

l’immigration ne parlent pas ou parlent mal français, comment expliquent-ils ce phénomène ?

Y voient-ils un problème individuel, dont ces personnes seraient en premier chef

responsables, ou un problème collectif qui interrogerait les conditions d’intégration mises en

place par la société d’accueil ?

2.3.1. Un problème de volonté Pour près de deux tiers de nos informateurs (69%), il est « assez facile d’apprendre à bien

parler français si on fait quelques efforts et si on a la volonté de s’intégrer »34. Ce qui signifie

que ceux qui n’ont pas appris à bien parler français n’ont pas fait assez d’effort et n’ont pas eu

la volonté de s’intégrer. L’adhésion est surtout massive chez les élèves (77% vs 61%, p <

0,001). Notons que seuls 3% des répondants en moyenne ne sont pas du tout d’accord

(réponse 1) avec la proposition. Les personnes interrogées estiment donc que la non-maîtrise

du français est le signe d’un manque de volonté/d’effort d’intégration, et, comme nous l’avons

vu ci-dessus, également la cause d’une absence effective d’intégration. En conclusion, dans

l’esprit de nos informateurs, l’absence d’intégration et les lacunes en français qui en sont la

cause sont donc dues à un problème individuel dont les personnes issues de l’immigration

sont elles-mêmes responsables.

On retrouve ces représentations dans les entretiens menés avec les professionnels du secteur

de l’intégration. Dans l’extrait qui suit, l’informateur suggère en effet que l’apprentissage du

français est a priori accessible à tout le monde, qu’il n’y a pas de condition à cela : inf002 |- maintenant <ASR> (xxx) -| il me semble que c'est accessible à / à tous oui parce que // euh /

s'ils savent parler leur propre langue euh ils devraient pouvoir aussi apprendre une autre langue

34 Voir item n°28.

Page 36: Français, immigration, intégration: analyse des stéréotypes et des ...

36

Qu’est-ce qui pourrait dès lors empêcher cet apprentissage ? Implicitement, on postule que ce

ne peut être qu’une question de volonté individuelle. Dans le même sens, plusieurs

informateurs reprennent cette idée que l’essentiel pour s’intégrer c’est d’avoir la volonté de

s’intégrer et d’apprendre le français, ce qui présuppose, de façon contestable (§3), que les

personnes issues de l’immigration qui ont des difficultés d’intégration manquent de cet

élément essentiel qu’est la volonté de faire des efforts, d’accepter de s’adapter, d’essayer de

parler français, etc.

Inf010 (…) ce qu'on discute pas mal maintenant hein et où on a des visions différentes en Flandre et

en Wallonie autour de la f/ formation pour être belge ou la formation pour venir dans une et le l'acceptation déjà de suivre un cours de langue que ce soit en français ou en néerlandais hein c'est la même chose euh bon je pense que si c'est bien bien présenté et bien bien fait fait par des gens compétents ouverts d'esprit qui leur présentent ça non pas comme une obligation et en disant eh toi t'es un emmerdeur qui vient |- etcetera <asr> mais comme une -| mais comme une aide réelle ça peut être bien je pense que c'est donc là moi je serais plutôt pour euh mais mais de le faire vraiment non pas de le présenter comme comme une aide réelle et pas comme une obligation que si c'est une obligation que dès qu'ils passent la frontière on leur dit ah (xxx) des cours hein (xx) ça évidemment c'est pas comme ça qu'ils auront envie de les faire ou qu'ils seront motivés donc je pense que ça dépend très fort de la motivation pour que amener à ces gens en disant ben voilà vous venez dans un dans une région qui parle une langue pour vous pour vous intégrer et sans du tout dire qu'on veut que vous abandonniez vos racines votre culture et des trucs tout à fait euh respectables et même on est pour cette intégration cette multiculturalité c'est assez génial c'est intéressant mais il faut quand même que ce soit fait d'une façon positive quoi

inf004 ben oui parce que // oui je pense enfin mais moi je prends par exemple mon exemple quand /

simplement / moi ici je vais à la mer du Nord chez nous // ben j'essaie de / parler néerlandais pour euh quand je vais dans les magasins et tout pour / parce que je trouve ça normal quoi / d'essayer de m'intégrer /

inf012 ben parce que pour moi le donc je reviens sur ce dont on a parlé tout à l'heure mais pour moi

si je vais dans un autre pays je je je m'adapte à ce pays enfin je veux dire je n'oublierai pas mes racines ni ma langue ni quoi que ce soit mais quand même il y a quand même une adaptation au niveau de la culture au niveau des valeurs au niveau parce qu'alors je vois pas comment le système peut fonctionner correctement si voilà

Dans la mesure où les personnes interviewées sont en général au courant des possibilités

formelles d’apprendre le français (via des cours gratuits par exemple), elles ont tendance à

considérer que l’accès à ces offres de formation ne dépend en effet que du bon-vouloir des

allophones, qui n’auraient dès lors aucune excuse à ne pas parler correctement français,

comme si ces possibilités d’apprentissage "sur papier" étaient nécessairement des possibilités

effectives pour les personnes concernées, dans leur situation concrète de vie.

ASR et euh // et donc pas au niveau juste du français où vous avez l'impression que c'est quand

même accessible quoi donc si quelqu'un en / en Bel/ arrive en Belgique et qu'il veut apprendre le français normalement il devrait y arriver

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37

inf001 je peux lui trouver beaucoup d'adresses où il y a des cours bien foutus et // |- et où il sera aidé <ASR> et qui ne coûtent euh -| et qui coûtent que dalle hein parce que franchement c'est pas cher / il y en a même des si on n'a pas de sous on ne paie pas dans la plupart des organismes

ASR ah oui inf001 mais oui on s'inscrit comme demandeur d'emploi et en avant et / tandis euh / celui qui ne veut

pas apprendre c'est qu'il se cache hein inf004 je connais pas bien / je ne connais pas bien mais d'après ce que je connais je pense que il y a

quand même des organismes qui existent et qui sont compétents euh / à ce niveau-là maintenant il faut il faut aussi le vouloir / il faut aussi voir aller vers / ces organismes peut-être que / enfin (…) moi je / enfin / mais / je connais pas tout ce qui existe / dans cette matière-là mais je pense que // que il y a quand même moyen si on veut on peut j'ai l'impression

L’extrait suivant montre que même chez des professionnels conscients des difficultés que

rencontrent les personnes issues de l’immigration pour s’intégrer, on retrouve une idée reçue

selon laquelle certaines d’entre elles voudraient sciemment imposer leur langue en Belgique –

une réalité qui existe certes peut-être mais qui semble tellement marginale qu’elle ne suffit

pas à expliquer la récurrence de ce discours (v. §3).

Inf010 ben je crois vraiment qu'il y a une un besoin d'améliorer l'accueil d'abord c'est vraiment une

question d'accueil on sent directement si on arrive dans un pays a/ a/ accueillant ou dans un pays qui ouille ouille ouille des étrangers on n'a pas envie qu'ils viennent je crois que déjà le premier contact à la douane le premier contact avec la police de l'aéroport si on vient en avion les premiers contacts avec les citoyens ici en Belgique on sent bien si

(…) Inf010 // ben je trouve que faire l'effort d'apprendre la langue enfin la langue est quand même un outil

relationnel très très important et donc tout en étant absolument je dis pas du tout pour dire ah il faut absolument que les gens s'intègrent avec le gros risque qu'ils le vivent eux-mêmes comme une espèce de déjà ils sont dé/ ils ils sont déracinés par par des choses qu'ils n'ont pas ch/ choisies souvent je dis toujours moi pour que quelqu'un quitte son pays quitte souvent sa famille ses amis s'il en a etcetera et prenne soit un avion soit un bateau pour venir en Europe il faut déjà qu'il soit très mal donc en plus de ça si on on l'oblige à des choses maintenant que que ces gens essaient quand même de parler la langue c'est un exemple bête mais quand moi je vais en Flandre je ne commence jamais à parler français je commence par parler néerlandais je me débrouille je suis pas vraiment bilingue mais enfin j'ai quelques petites phrases que je peux lancer et une fois sur dix les gens me répondent et me disent vous préférez peut-être pa/ parler français et ça marche très bien et je sais aussi que les gens qui arrivent et qui parlent français directement dans un magasin de la mer on leur on va pas le faire ce transfert en disant ben écoutez ok on va parler français et les gens qui savent parler français leur répondront quand même en néerlandais donc je pense qu'il y a une agression à ne pas à vouloir / à imposer sa langue à soi dans un pays où qui où elle n'est pas la langue enfin

Il est important de souligner ici que les mêmes informateurs peuvent nuancer leurs propos à

d’autres moments de l’entretien, comme nous l’avons déjà suggéré plus haut, selon qu’ils vont

répondre en s’appuyant sur la représentation qui leur vient le plus spontanément à l’esprit – et

qui a de fortes chances d’être stéréotypée – ou au contraire en se basant sur des cas concrets,

des éléments empiriques, etc.

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ASR et sinon de manière générale vous pensez que / quand des personnes arrivent en Belgique elles ont vraiment la possibilité de

inf016 il y a toujours la possibilité bien sûr euh après ça dépend aussi de la volonté de la personne ou pas euh / chacun tout un chacun hein euh // envie d'apprendre ou pas euh ça dépend de l'âge les personnes âgées sont peut-être plus réfractaires / les enfants c'est plus facile quand ils vont à l'école par exemple etcetera donc ça dépend un petit peu de de de tout un chacun euh on est plus ou moins doué en langue aussi à titre individuel / euh / mais il y a quand même pas mal de choses qui existent oui

Dans le mouvement argumentatif concessif de cet extrait, l’on voit bien que l’informateur

concède que certains facteurs vont influencer l’apprentissage de la langue (l’âge, les aptitudes

individuelles) mais affirme en dernière instance, en répondant que les structures

d’apprentissage sont suffisantes, que cet apprentissage est toujours possible, inconditionnel, et

qu’il ne dépend donc que de la volonté des personnes.

Vu la prégnance de ce type de discours, on comprend que, selon une majorité significative de

répondants (63%), seules les personnes qui font des efforts pour s’intégrer en apprenant le

français « méritent » d’obtenir la nationalité belge35 – idée à laquelle les adultes plus âgés

adhèrent davantage que les plus jeunes (76% vs 59%, p < 0,05), alors que les personnes

d’origine immigrée y adhèrent moins que celles d’origine mixte ou belge (49% vs 65% en

moyenne pour les deux autres groupes, p < 0,01). Plus de la moitié des élèves (51%), contre

36% des adultes (p < 0,001) estiment d’ailleurs que de « nombreux immigrés » ne méritent

pas de « profiter du système belge » alors qu’ils ne font pas les efforts nécessaires pour

s’intégrer, comme celui d’apprendre le français36. De façon générale, les hommes s’accordent

davantage avec cette idée (51% vs 39%, p < 0,001), de même que les répondants d’origine

belge (51% vs 35%, p < 0,001) et les Wallons (48% vs 38%, p < 0,05). Dans la mesure où, si

quelqu’un ne parle pas français, c’est parce qu’il refuse de l’apprendre et de s’intégrer, il est

normal de le priver de l’aide du CPAS pour 38% des élèves et 29% des adultes (p < 0,05)37.

Certes, une majorité (53%) est en désaccord avec cet énoncé, mais le fait qu’un tiers des

répondants entérinent une proposition aussi radicale et politiquement incorrecte montre bien à

quel point est ancrée l’idée, pourtant discutable (v. §3), selon laquelle bien parler français est

35 Voir item n°29 : « Les personnes issues de l’immigration ne devraient obtenir la nationalité belge que si elles montrent qu’elles le méritent en faisant des efforts pour s’intégrer, notamment en apprenant à bien parler français ou néerlandais. » 36 Voir item n°36 : « De nombreux immigrés profitent du système belge sans faire les efforts nécessaires pour s’intégrer, par exemple l’effort de bien apprendre le français (ou le néerlandais).» 37 Voir item n°58 : « Il n’est pas normal que des gens reçoivent de l’argent du CPAS alors qu’ils ne parlent même pas français (ou néerlandais). » Les autres différences significatives entre sous-groupes sont semblables à celles de l’item précédent.

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une question de volonté et combien il est donc légitime de sanctionner celles et ceux qui ne

prennent pas leurs responsabilités en apprenant la langue commune.

Enfin, toujours selon le même raisonnement (« celui qui veut s’intégrer apprend le français

puisque c’est « assez facile » »), l’usage d’une autre langue que le français en public est perçu

par 69% des informateurs comme le signe d’un manque de volonté d’intégration38 (seuls 5%

ne sont pas du tout d’accord avec cet énoncé et 12% ne se prononcent pas, ce qui est

nettement plus faible que pour les autres items). Si le maintien des langues d’origine est loin

d’être explicitement stigmatisé (v. §2.3.2), on voit que de nombreux répondants s’attendent

néanmoins à ce que les personnes issues de l’immigration utilisent exclusivement le français

en public et considèrent l’emploi d’autres langues en dehors de la sphère privée comme des

crimes de lèse-majesté linguistique, imputables au refus de s’intégrer ou au repli

communautaire. C’est ce qui apparaît clairement dans l’extrait d’entretien suivant : ASR ok et est-ce que vous pensez que c'est des que ce sont des obstacles aussi qui qui ont des

effets non seulement sur l'emploi mais aussi sur l'intégration et tout ça le fait de pas bien savoir parler français

Inf012 je pense que on voit quand même des différences au niveau des personnes qui euh soit sont là depuis peu de temps ou euh ne veulent pas apprendre le français enfin n'ont pas en tout cas la motivation de enfin par le et chez eux et pas spécialement en société ne parlent pas le français ni en société enfin comment on va dire ni chez eux ni en société enfin euh oui je pense par contre une personne qui qui euh / enfin on voit quand même une différence d'intégration avec des personnes qui se débrouillent pour apprendre qui font tout ce qui est possible pour apprendre qui suivent des formations je pense qu'elles auront eu beaucoup plus facile de se trouver quelque chose que des personnes qui euh ne sont pas enfin ou soit sont là depuis peu de temps et donc n'ont pas du tout accès à appris ou alors euh s'isolent entre guillemets par rapport à leur langue euh bon dans leur famille souvent ils en ils parlent dans ils continuent à parler dans leur famille mais il y en a qui à l'extérieur vont d'office parler le français

Certains vont même jusqu’à interpréter explicitement l’utilisation d’autres langues par un

individu comme un refus d’intégration, ce qui suppose soit que cet individu a choisi de ne pas

apprendre le français s’il est allophone, soit que pour s’intégrer dans un pays il faudrait faire

preuve d’une allégeance inconditionnelle à la langue officielle de ce pays. Dans l’extrait

suivant, on voit à nouveau cette idée apparaître, mais elle semble fonctionner comme un lieu

commun, sans que l’informateur ait nécessairement la conviction forte que cette idée est juste

comme on peut le supposer grâce aux nuances qu’il apporte : ASR oui et euh // euh alors au niveau aussi des langues d'origine euh il y en a qui / dans le métro et

dans le tram et caetera à Bruxelles on entend quand même pas mal de gens qui parlent leur langue d'origine entre eux entre amis d/ est-ce que vous trouvez que publiquement si on veut

38 Voir item n°22 : « En Wallonie, quelqu’un qui veut montrer qu’il cherche à s’intégrer fera l’effort de toujours parler français en public, plutôt que dans sa langue d’origine. »

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vraiment montrer qu'on veut s'intégrer il faudrait essayer d'arrêter de parler sa langue d'origine / ou est-ce que vous comprenez et que vous trouvez que c'est même euh / euh pff une richesse que d'entendre parler comme ça plusieurs langues euh

inf001 c'est c'est vraiment euh / ça va dans les deux sens hein / je ne sais pas quoi dire là / dans un sens bon il y a pas de raison // mais effectivement si ils ne parlent que encore une fois si s'ils s'expriment que dans leur langue / c'est un refus d'intégration // maintenant si on dit une phrase dans une langue une phrase dans l'autre parce qu'on est avec quelqu'un de la famille

À l’inverse, on trouve dans notre corpus d’entretiens des propos qui contrastent avec le

discours de responsabilisation des personnes issues de l’immigration qui a été décrit ci-

dessus. Dans l’extrait qui suit par exemple, l’informateur évoque le fait que certains

allophones apprendront très bien le français et d’autres pas, sans présupposer contrairement à

d’autres personnes que cela dépend de la volonté des uns et des autres : inf016 ben bon en arrivant euh / maintenant euh apprendre une langue euh à partir de son pays c'est

pas toujours facile les gens sont parfois demandeurs d'asile des réfugiés politiques euh / euh / donc ils ont pas toujours choisi de venir non plus euh // donc euh du moment qu'ils prennent le temps d'apprendre on a moi j'ai déjà vu un / un / un Iranien qui a appris le français en six mois de temps hein euh / il parlait le français mieux que moi je ne parlerai jamais le néerlandais euh après il y en a d'autres qui pataugeront toute leur vie pour baragouiner une phrase euh /

Dans les extraits suivants, les personnes interviewées insistent quant à elles sur la

responsabilité de la société d’accueil d’offrir de réelles conditions d’intégration : Inf007 euh qu'est-ce que ça veut dire s'intégrer d'abord / bon alors euh il faut il faut bien discerner

une vraie intégration euh c'est-à-dire euh si si on arrive dans un pays et qu'on connaît pas la langue ben comment on va se débrouiller ça c'est clair et net maintenant si si euh si on a en vue les personnes qui sont issues de l'immigration qui étaient venues ici amenées par euh par euh justement un appel de la Belgique qui manquait de main-d'oeuvre alors après si on veut leur taper sur les doigts après coup c'est un peu exagéré mais ce qu'il y a c'est que ils sont venus ici par le pour l'espoir d'une vie meilleure alors euh dans avec leurs moyens du bord euh ils ont fait ce qu'ils ont pu maintenant euh c/ la Belgique ne les a peut-être pas aidés à ça non plus parce qu'elle ne leur a pas au au déb/ dès le départ euh au départ elle ne les a pas pris en charge au niveau linguistique / bon ça ce qui les aurait aidés évidemment

ASR est-ce que vous avez l'impression que il y a un problème d'intégration qui est dû à la langue (…) inf015 ça dépend ce qu'on appelle intégration / j'aime pas tellement le mot intégration sauf si on le

prend dans le sens où euh / où l'intégration elle vient des deux côtés parce que à partir du moment où on se trouve dans un pays où il y a beaucoup beaucoup d'étrangers c'est un peu dommage de dire ça mais nous aussi on doit s'intégrer / et donc je trouve qu'il faut euh il faut être tolé/ tolérant par rapport aux étrangers et peut-être justement les aider à s'intégrer plus que ce qu'on ne fait pour le moment / j'ai l'impression qu'ils qu'ils arrivent et qu'on leur demande de tout faire // euh ben je suis désolée quand on arrive dans un pays enfin moi si j'arrive en Chine et que je dois me démerder ben je vais être perdue quoi je sais pas lire le nom des rues je sais rien s'il y a pas quelqu'un qui va me prendre la main et m'expliquer euh comment fonctionne le pays où je peux aller apprendre le chinois où je dois aller pour pour trouver tel et tel service ben / je vais pas m'en sortir donc ici c'est pareil je trouve qu'il faut il faut vraiment aider les personnes

inf005 après euh il y avait aussi toutes vos questions sur est-ce qu'il faut apprendre euh les langues

d'origine à l'école et tout / moi je crois que le russe ou l'arabe c'est intéressant (…) mais pas dans une spécialement dans une visée euh intégrative (…)que ce soit l'interdire ou que ce soit euh l'apprendre [la langue d’origine je pense pas que c'est / enfin l'intégration c'est tellement autre chose quoi et l'intégration c'est // ça veut rien dire en plus mais (rires) (…) moi je préfèrerais parler de tiens est-ce que il y a un accès à l'emploi |- est-ce que il y a un accès à

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l'éducation <ASR> oui c'est ça -| est-ce que ils vont bien est-ce qu'il y a un accès à la santé est-ce qu'il y a un épanouissement personnel culturel // est-ce qu'il y a une vie euh voilà c'est c'est plutôt c/ ces choses-là et le mot intégrer il veut malheureusement plus euh (silence) il est connoté dès le départ j'ai l'impression

Dans le même ordre d’idées, on remarque que plusieurs informateurs interrogent les

possibilités réelles pour les personnes issues de l’immigration d’apprendre le français, et

relativisent ainsi la responsabilité des personnes issues de l’immigration dont on souligne le

champ d’action parfois restreint par des considérations d’ordre matériel (temporelles,

financières) mais aussi organisationnelles, culturelles (au sens anthropologiques du terme),

administratives, etc. Inf012 euh il y a pas assez de je pense qu'il y a pas il y a pas assez de ressources enfin de comment

on va dire d'organismes (…) donc il y a la promotion sociale ou alors les cours de langue euh très cher inaccessibles et apparemment il y a pas assez de place dans la promotion sociale

Inf013 mais ce qu'il y a il y a plusieurs par r/ par rapport aux personnes qui veulent ben suivre des

cours qui veulent euh ben il y a plusieurs problématiques qu'il y a puisque pour je pense à toute une série de femmes qui ont des enfants aussi en bas âge donc il y a des difficultés par rapport pouvoir placer ses enfants pouvoir mettre ses enfants dans des crèches ou dans des lieux pendant qu'on va suivre des cours de français donc là je pense que c'est un problème un peu un peu plus global aussi donc

Inf08 ouais moi je pense déjà euh à un gros truc c'est que il y a quand même énormément

d'informations qui sont données sur le net et qu'il y a vraiment énormément de personnes qui ne qui n'ont pas accès à internet qui ne savent pas comment ça fonctionne un ordinateur qui n'ont pas l'argent pour se payer un ordinateur (…)

inf20 (…) le problème c'est qu'apprendre le français c'est très long / donc euh quand on dit aux

gens ben oui il faut aller un an voire deux ans à l'école / ils vous regardent en disant mais non moi je dois travailler parce que je dois manger / à juste titre /

inf014 voilà -| sur comment ça fonctionne et alors ici euh du côté francophone toutes les il y a aussi

énormément de de comment dire de cours de français qui sont complètement complets hein donc et puis il y a le coût aussi ça coûte cher ça dépend lesquels enfin quand c'est des petites ASBL ben là forcément c'est des ASBL avec les moyens du bord et les cours sont peut-être pas de meill/ de très bonne qualité donc il y a cet aspect-là il y a l'aspect où quand c'est des cours de meilleure qualité c'est souvent bien rempli et ça coûte un peu plus cher donc on va dire que il y a un peu plusieurs facteurs quoi

ASR oui c'est ça donc tu dirais pas il je sais pas si tu as déjà entendu mais il y a pas mal de gens qui trouvent que euh c'est scandaleux que des gens qui sont là depuis dix ans ne parlent toujours pas français t/ |- tu as pas cette imp/

inform14 mais c'est p/ -| moi je trouve je peux trouver ça aussi parce que c'est vrai que dans un sens euh moi si je vais dans un autre pays euh m'installer ben de toute façon la première chose que je fais c'est apprendre la langue mais ça dépend euh / je pense que la question d'accueil aussi est importante parce que la mentalité n'est pas la même la manière de penser et donc euh et les raisons de venir aussi il y a des personnes qui viennent euh ça dépend qui hein mais je c'est vrai qu'après dix ans oui tu peux apprendre la langue effectivement mais je me dis aussi que ça dépend le parcours de la personne une personne qui est là euh qui est depuis dix ou vingt ans mais qui n'a jamais été à l'école et qui n'a pas je pense à une mère de famille et que pour trav/ pour elle dans sa mentalité travailler c'est pas possible ben du coup là c'est autre chose que simplement |- la motivation <ASR> c'est plus complexe quoi -| de s'intégrer c'est tout le côté changement de mentalité enfin de mentalité par rapport à sa vie / et puis aussi pour qu'elle apprenne à cinquante ans c'est pas la même façon que quand tu as tu

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as vingt ans surtout si tu as jamais été à l'école et puis il y a l'aspect aussi quand tu as beaucoup de problèmes tu sais pas te concentrer pour étudier donc enfin bon ces choses-là

Ce dernier extrait est particulièrement révélateur de la prégnance de certaines idées reçues,

même chez des personnes adoptant pourtant une attitude critique et développant un discours

nuancé par rapport aux rapports entre langue et intégration : d’un côté, l’informateur témoigne

d’une conscience claire des limites des conditions d’intégration, des difficultés auxquelles un

allophone peut faire face pour apprendre le français, mais d’un autre côté, il suggère que s’il

était à la place des allophones, apprendre le français serait « la première chose » qu’il ferait,

sous-entendant par là que certains ne cherchent pas à le faire et font d’autres choix, par

manque de volonté d’intégration.

2.3.2. Les raisons du non-apprentissage du français Pourquoi les personnes issues de l’immigration ne font-elles pas plus d’efforts pour apprendre

le français et s’intégrer, puisque que, rappelons-le, c’est selon nos informateurs « assez

facile » ? Les informateurs refusent majoritairement d’expliquer cela par la paresse des

personnes (60%) ou par leurs capacités intellectuelles limitées (81%)39 – ce refus est

néanmoins moins important chez les hommes que chez les femmes (52/74% vs 65/85%, p <

0,05), et dans la catégorie sociale la plus basse (50/67% vs 61/83% en moyenne dans les

autres groupes, p < 0,05 et 0,001). Certains, en revanche, leur reconnaissent des circonstances

atténuantes : ils sont 39% en effet à considérer que les difficultés qu’ont les personnes issues

de l’immigration pour bien parler français sont dues au fait qu’il s’agit d’une langue

difficile40– ils sont cependant aussi nombreux à rejeter cette idée (41%). Ils sont nettement

plus nombreux à considérer que « l’envie de s’intégrer » et que les chances d’intégration des

personnes issues de l’immigration pourraient augmenter si la société d’accueil les

accompagnait davantage, par exemple en les aidant à bien apprendre le français (64%

d’adhésion, avec 7% seulement de répondants qui ne sont pas du tout d’accord avec la

proposition) ou en les accueillant positivement et en leur donnant des chances égales

d’insertion socio-économique (80% d’adhésion, 4% d’informateurs en total désaccord)41 –

39 Voir items n°16 (« Certaines personnes issues de l’immigration ne parlent pas bien français, parce qu’ils sont trop paresseux pour apprendre à bien parler cette langue. »)» et 39 (« Certaines personnes issues de l’immigration ne parlent pas bien français, parce que bien parler cette langue va au-delà de leurs capacités intellectuelles. »), qui n’ont été soumis qu’aux adultes. 40 Voir item n°12 (« Les personnes issues de l’immigration ont des difficultés à bien apprendre le français parce que c’est une langue très difficile. »), qui n’a été soumis qu’aux adultes. 41 Voir items n°59 (« Si on les aidait à bien apprendre le français (ou le néerlandais), les immigrés auraient plus envie de s’intégrer en Belgique. ») et 20 (« Pour s’intégrer en Belgique, il est surtout important d’être accueilli

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deux idées pour lesquelles l’adhésion augmente avec la catégorie sociale (p < 0,05). Cela dit,

on remarquera que si l’on peut envisager comme le font les répondants que les personnes

issues de l’immigration pourraient avoir « plus envie de s’intégrer » (item n°59), c’est

implicitement que cette envie n’est pas déjà à son niveau maximal, ce qui constitue une

représentation pour le moins contestable (v. §3) qui remporte d’ailleurs moins l’adhésion des

informateurs d’origine mixte ou immigrée que de ceux d’origine belge (60% vs 70%, p <

0,05), alors que l’idée de donner des chances égales d’insertion socio-économique suscite

quant à elle une adhésion très forte (91%) des personnes d’origine immigrée (mais la

différence est non significative par rapport aux deux autres sous-groupes).

Dans la même lignée, une majorité de répondants estime qu’il faudrait insister davantage sur

la nécessité pour les immigrés d’apprendre le français (53% d’adhésion et 15% de rejet),

comme si les personnes issues de l’immigration avaient des difficultés de maîtrise du français

parce qu’ils n’avaient pas conscience de l’importance de cette maîtrise – alors même que les

discours dominants ne cessent déjà de le rappeler. Cette idée suscite davantage l’accord des

plus âgés (62% vs 53% en moyenne, p < 0,01), des hommes (58% vs 50%, p < 0,01) et des

personnes d’origine belge (62% vs 40% en moyenne, p < 0,001).

Sept des personnes interviewées abondent en ce sens et estiment que le problème principal est

qu’on ne sensibilise pas suffisamment les personnes issues de l’immigration sur la nécessité

de parler la langue du pays et omettent, comme dans l’extrait ci-dessous, d’envisager que si

certaines d’entre elles ne parlent pas (bien) français, ce n’est peut-être pas parce qu’elles ne

veulent pas ou ne savent pas que c’est important, mais parce qu’elles ne peuvent pas,

autrement dit, parce qu’elles ne sont pas dans les bonnes conditions pour que cela soit

effectivement possible. ASR est-ce que vous parlez des / des des gens qui viennent d'arriver et qui du coup parlent pas du

tout le français ou il y a aussi des gens qui sont là quand même depuis longtemps mais qui ont une maîtrise du français qui est pas très / pas très bonne

inf004 euh / non il y en a aussi qui / qui sont là aussi depuis quelques années mais qui n/ / qui ne voient pas vraiment peut-être le / le besoin de parler français / qui ne se rendent peut-être pas compte que pour trouver un travail il vaut mieux bien savoir parler français quand même

positivement et de recevoir des chances égales d’insertion socio-économique. »), ce dernier n’ayant été soumis qu’aux adultes.

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Selon la logique voulant que le non-apprentissage du français soit le produit d’un manque

d’effort ou de volonté individuels, une part importante des répondants (45%) estime que les

personnes issues de l’immigration n’apprennent pas le français et ne s’intègrent pas parce

qu’elles « préfèrent rester attachées à leurs racines, leur culture, leur langue »42. Les élèves

sont à nouveau plus nombreux à partager cette idée que les adultes (52% vs 37%, p < 0,001) –

21% d’entre eux sont même « tout à fait d’accord » avec cette proposition, contre 11% des

adultes. C’est également le cas des hommes (53% vs 40%, p < 0,001) et des Wallons (48% vs

41%, p < 0,05). Seuls 9% des informateurs affirment être en total désaccord avec cette

proposition que 29% de l’échantillon total rejettent.

Dans nos entretiens, plusieurs personnes reprennent cette idée selon laquelle certains ne

feraient pas l’effort d’apprendre le français et de s’intégrer parce qu’ils choisiraient de se

complaire dans leur environnement allophone. ASR et / a priori est-ce que vous / vous savez expliquer pourquoi ils sont pas demandeurs [pour apprendre le français] ou euh // comment est-ce que vous expliquez ça inf018 il y a peut-être des gens qui s'enferment un peu dans leur dans leur cutlure et qui ont envie de

rester dans dans ce qu'ils ont quitté // et qui n'ont peut-être qui n'ont peut-être pas choisi vraiment de quitter leur pays et donc euh / c'est peut-être ça // maintenant je sais pas plus (…) si ils sont / tous ensemble dans le même quartier et qu'ils parlent tous leur langue d'origine oui ils se disent pourquoi apprendre le français si on se comprend tous / et ça c'est vrai que je trouve que c'est un peu dommage

ASR (tousse) donc vous avez l'impression ok et euh // comment est-ce que / vous interprétez donc

les / l/ le fait que certaines personnes justement ne se battent pas pour euh / enfin ne se battent pas ne font pas l'e/ l'effort nécessaire pour apprendre le français? // qu'est-ce que / pour vous ça signifie quoi?

inf004 ben peut-être qu'ils veulent rester entre eux et ne pas / ne pas / ils veulent peut-être rester dans leur culture et ne pas euh / ne pas s'intégrer chez nous // euh / mais voilà moi j/ personnellement je trouve que c'est / ça ne va pas mais bon c'est mon avis à moi / p/ voilà peut-être que ou ou qu'ils n'aiment pas notre culture et qu'ils n'ont pas envie de / de s'y intéresser euh ils sont pas o/ bon / enfin / ils sont pas obligés d'aimer notre culture mais / mais je pense que quand on est dans un pays euh / il faut / un tout petit peu quand même euh essayer de parler la langue et / c'est un minimum quoi / pas être parfait bilingue mais / savoir se débrouiller quoi

ASR (…) est-ce que vous avez le sentiment que globalement la langue est un obstacle pour les

personnes issues de l'immigration qui arrivent en Belgique (…) inf015 ben un obstacle ça dépend un obstacle à quoi un obstacle à l'emploi certainement ASR oui par exemple inf015 maintenant euh certaines communautés euh // euh trouvent que enfin des personnes issues

de certaines communautés vivant à l'intérieur de ces communautés trouvent que c'est pas un obstacle parce qu'en fait euh elles vont faire leurs courses euh par exemple une personne turque va aller faire ses ses courses dans un magasin turc va trouver un voisin qui parle français pour l'accompagner à la commune etcetera et euh n'a pas spécialement envie de

42 Voir item n°30 : « De nombreuses personnes issues de l’immigration préfèrent rester attachées à leurs racines, leur culture, leur langue, plutôt que s’intégrer et apprendre le français ou le néerlandais. »

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45

trouver du travail ou donc voilà |- maintenant <asr> donc vous pen/ -| les personnes qui ont envie d'être autonomes oui c'est un obstacle

ASR euh {parce qu'} on entend quand même souvent euh des gens qui disent ben oui finalement si

euh certaines personnes euh après quelque temps euh / ne parlent pas français c'est quand même parce que c'est un manque de volonté et que si on a de la volonté on peut vite arriver à / à s'intégrer euh / est-ce que par rapport à ce discours vous trouvez que (silence)

inf021 je pense qu'il y a des ghettos (silence) et que euh / ben il y a une forme de de d'économie et de vie sociale parallèle qui s'organise / euh et que les communautés se reforment / euh / et et que / est-ce que c'est un manque de volonté ou est-ce que c'est / une forme de confort finalement ben à partir du moment où je vis dans ma communauté et où euh // est-ce que j'ai vraiment besoin d'apprendre le français parce que voilà / maintenant / les Italiens qui sont venus dans les mines et les Turcs qui sont venus dans les mines on s'en foutait qu'ils parlent le français on avait besoin d'eux pour bosser / donc / tout ça est aussi une question de de d'époque / et de besoins / maintenant ben on est dans dans un monde et dans une société où il y a pas trop de travail et donc il y a / plus en tout d'intolérance euh voilà

Ce type de discours rejoint l’idée déjà évoquée plus haut selon laquelle l’emploi d’une autre

langue que le français en public constituerait un signe de non-volonté d’intégration. De

manière générale, l’idée que la pratique d’une autre langue se fait au détriment du français est

donc bien présente parmi les personnes interrogées.

Cependant, l’adhésion à cette représentation abstraite et assez générale contraste avec la

tendance à rejeter des énoncés qui opposent de façon exclusive les langues d’origine au

français en donnant des exemples plus concrets qui semblent alors permettre aux informateurs

de prendre une distance critique. Comme nous l’avons souligné plus haut, il semble donc que

les informateurs s’accordent d’autant plus avec un stéréotype que celui-ci est exprimé en

termes abstraits et généraux.

Plus de la moitié des répondants (64%) rejettent ainsi l’idée selon laquelle maintenir sa langue

d’origine43 c’est nécessairement montrer qu’on ne veut pas s’intégrer44 – rejet plus important

chez les femmes (67% vs 59%, p < 0,01), chez les personnes d’origine mixte ou immigrée

(71% vs 62%, p < 0,01), chez les Bruxellois (70% vs 60%, p< 0,05) et qui augmente avec la

catégorie sociale des informateurs (de 46% à 71%, p < 0,001). Les propositions affirmant que

la pratique ou l’apprentissage d’une langue d’origine créeront nécessairement des difficultés

43 Précisons ici que dans ce rapport, nous avons utilisé la notion de « langue d’origine » comme si elle correspondait nécessairement à une réalité précise et unique pour les informateurs. Or, plusieurs travaux (dont Lucchini et al. 2008) ont montré qu’il s’agissait en réalité d’une notion problématique, pouvant renvoyer à des réalités multiples (langue ancestrale, lange familiale, langue symbolisant les origines, etc.). Il ne nous semble pas cependant que cette complexité ait un impact sur les questions qui nous occupent ici. 44 Voir item n°10 : « Une personne issue de l’immigration qui continue à parler sa langue d’origine montre qu’elle ne veut pas vraiment s’intégrer en Belgique. »

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46

pour la maîtrise du français sont également rejetées par une majorité des répondants45, même

si celle-ci est plus faible (50%) – la non-adhésion est plus forte chez les adultes (57/60% vs

43/40%, p < 0,001) et augmente à nouveau avec la catégorie sociale des répondants (de

34/41% à 71/56%, p <0,05 uniquement pour l’item n°7). L’énoncé affirmant que la

valorisation des langues d’origine constituerait un frein à l’apprentissage du français et à

l’intégration46 suscite les mêmes types de réponse (49% de désaccord), avec dans ce cas un

taux de rejet significativement plus faible (p < 0,001 dans tous les cas) chez les hommes (42%

vs 54%), les personnes d’origine belge (48% vs 56%), les Wallons (44% vs 58%) et les

catégories sociales les plus basses (39% pour 1 et 2 vs 54% pour 3 et 4). Ils sont en revanche

légèrement moins nombreux à se distancier des idées selon lesquelles le maintien d’une

langue d’origine conduirait à s’enfermer sur sa communauté d’origine (45%) ou créerait des

difficultés scolaires47 (36%, dans ce dernier cas, l’adhésion est même majoritaire et recueille

41% des réponses) ; dans ce cas-ci, ce sont surtout les personnes d’origine belge qui adhèrent

davantage aux stéréotypes (46% vs 31/36% p < 0,001), ainsi que les élèves pour l’énoncé

relatif aux difficultés scolaires (45% vs 36%, p < 0,05). Dans un sens plus positif, une petite

majorité des répondants (41%) s’accorde pour penser que « valoriser ou enseigner certaines

langues de l’immigration à l’école » pourrait in fine favoriser l’apprentissage du français par

les élèves issus de l’immigration, même s’ils sont quand même 29% à rejeter cette idée et

30% à ne pas se prononcer48 – l’adhésion est ici plus forte uniquement chez les femmes (48%

vs 31%, p < 0,01).

On notera enfin que la moitié des répondants refuse de se prononcer sur la question de savoir

si les familles où l’on parle uniquement une langue de l’immigration sont en augmentation en

45 Voir item n°7 (« Il est difficile pour une personne issue de l’immigration de bien apprendre le français si elle continue par ailleurs à utiliser sa langue d’origine (en famille, en regardant la télévision, etc.) » et 42 (« Un enfant issu de l’immigration qui suit des cours pour mieux parler sa langue d’origine aura plus de difficultés à bien maîtriser le français. »). 46 Voir item n°32 : « Valoriser ou enseigner les langues de l’immigration, c’est freiner l’apprentissage du français et donc l’intégration des personnes issues de l’immigration. » 47 Voir items n°26 (« Quelqu’un qui apprend ou qui continue à parler sa langue d’origine aura tendance à s’enfermer dans sa communauté d’origine. »)» et 34 (« En Wallonie, les élèves issus de l’immigration ont souvent des difficultés scolaires en grande partie parce qu’ils parlent dans leur famille une autre langue que le français. »).») 48 Voir item n°62, qui n’a été soumis qu’aux adultes : «:« Valoriser ou enseigner certaines langues de l’immigration à l’école pourrait améliorer l’image de l’école auprès des élèves issus de l’immigration et favoriser dès lors leur apprentissage du français. »

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47

Belgique49, ce qui montre que les informateurs nuancent leurs réponses selon qu’ils disposent

ou non d’une représentation de la réalité évoquée par l’item du questionnaire.

2.3.3. Une acceptation relative du plurilinguisme Si, selon la majorité des informateurs, les langues d’origine n’ont pas droit de cité dans

l’espace public et sont la cause du non-apprentissage du français par certaines personnes

issues de l’immigration qui s’y attachent trop, elles ne sont pas en soi des sources de problème

comme nous venons de le voir. Dans le même sens, elles ne sont pas l’objet d’attitudes

négatives dans le chef de la plupart des personnes interrogées.

Ainsi, seule une minorité (20%) des répondants pense que les langues de l’immigration sont

davantage des dialectes que des langues50, la plupart rejetant cette idée (40%) ou refusant de

se prononcer (41%). L’adhésion à l’idée selon laquelle ces langues ne seraient pas utiles51 est

plus forte (36%) mais reste minoritaire (rejet à 49%, 15% de réponses neutres) ; comme pour

le stéréotype voulant que l’arabe soit une langue agressive52 (adhésion à 39%, rejet à 50%,

11% de réponses neutres). Les élèves adhèrent dans les trois cas davantage à ces stéréotypes

que les adultes53 ; en revanche les informateurs les plus instruits (cat. sociale 4) se

démarquent par une adhésion moins importante à l’idée que ces langues sont des dialectes

(14% vs 25%, p < 0,05), tout comme les femmes (32% vs 43%, p < 0,01) et les personnes

d’origine mixte ou immigrée (32% vs 40%, p < 0,05) par rapport à l’affirmation du caractère

inutile de ces langues. De manière plus positive, une majorité importante s’accorde pour dire

que certaines de ces langues sont de grandes langues de culture (64%) et qu’elles valent dès

lors la peine d’être apprises en tant que langues étrangères54 (58%). De façon cohérente avec

ce que nous avons observé pour les items précédents, ce sont cette fois les adultes qui

marquent davantage leur accord (75/66% vs 55/52%, p < 0,001). En revanche, on pourrait

s’étonner a priori de ce que les répondants d’origine immigrée adhèrent quant à eux

49 Voir item n°47 : « Il y a de plus en plus de familles en Belgique qui parlent uniquement une langue de l’immigration à la maison. » 50 Voir item n°43 : « Les parlers d’origine des personnes issues de l’immigration sont plutôt des dialectes et non des langues. » 51 Voir item n°45 : « Ça ne sert pas à grand-chose de proposer des cours de langues de l’immigration dans les écoles car ce ne sont pas des langues utiles (contrairement à l’anglais par exemple). » 52 Voir item n°44 : « Quand on entend parler arabe, on a l’impression que c’est une langue agressive. » 53 Pour l’item n°43 : 23% vs 16%, p < 0,05 ; pour l’item n°45 : 43% vs 28%, p < 0,001 ; pour l’item n°44 : 48% vs 29%, p < 0,001. 54 Voir items n°49 (« Certaines langues de l’immigration (l’arabe, le russe, etc.) sont des grandes langues de culture internationales. ») et 50 (« Parmi les langues de l’immigration, celles qui sont de grandes langues de culture internationales valent la peine d’être apprises comme langues étrangères. »).

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48

significativement moins que les deux autres sous-groupes à ces énoncés (54/47% vs 68/63%

en moyenne, p < 0,001). Toutefois, ce résultat s’explique si l’on tient compte du fait que,

comme l’ont observé Lucchini et al. (2008), les Belges issus de l’immigration estiment en

général que le domaine de l’enseignement est d’abord et avant tout un espace réservé au

français et où les langues de l’immigration n’ont pas réellement leur place. Signalons enfin

que l’adhésion à ces représentations positives des langues de l’immigration augmente avec la

catégorie sociale des répondants (de 53/41% à 70/62%, p < 0,01).

Ces attitudes globalement positives à l’égard des langues de l’immigration vont de pair avec

le rejet d’énoncés faisant du monolinguisme l’état normal des êtres humains. La majorité des

répondants (67%) conteste ainsi la vision selon laquelle il serait plus « naturel » de parler une

seule langue55. Pour une fois, le rejet du stéréotype est plus marqué chez les élèves (71% vs

63%, p < 0,05), peut-être parce qu’ils sont plus nombreux à côtoyer des personnes bilingues

dans leurs écoles. Il en va de même chez les femmes (70% vs 64%, p < 0,001) qui,

conformément à ce que nous avons déjà pu observer plus haut, tendent à davantage contester

les stéréotypes négatifs que les hommes. L’affirmation posant que le bilinguisme créerait des

difficultés pour la construction de l’identité56 suscite des réactions similaires (69% de rejet ;

sans différences entre sous-catégories).

En outre, nos informateurs refusent massivement de considérer que le bilinguisme constitue

un problème en soi pour l’apprentissage du français : 72% des informateurs contestent qu’il

soit nécessaire d’apprendre le français très tôt pour le parler correctement57 et admettent donc

qu’on peut parler très bien français sans l’avoir pour langue première. Le rejet du stéréotype

est plus fort chez les adultes (78% vs 67%, p < 0,01) et augmente avec l’âge des répondants

(de 69% à 85%, p < 0,05), mais il est moindre parmi les informateurs d’origine immigrée

(65% vs 70/76% pour ceux d’origine mixte ou belge), peut-être parce que ceux-ci sont plus

sensibles à la difficulté de la maîtrise d’une langue seconde, ainsi que chez les informateurs

de la catégorie sociale la plus basse (64% vs 73% en moyenne, p < 0,05). Les répondants ne

sont pas d’accord pour considérer que le bilinguisme chez l’enfant est en soi une source de

55 Voir item n°1 : « Il est plus naturel d’utiliser une seule langue dans sa vie de tous les jours que d’en parler deux ou plusieurs. » 56 Voir item n°4 : « Quand on doit régulièrement choisir entre parler français et parler sa langue d’origine, on a nécessairement des difficultés pour se construire une identité. » 57 Voir item n°8 : « Quelqu’un qui n’a pas appris le français très tôt (avant 3 ans) aura toujours des difficultés pour le parler correctement ensuite. »

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49

fatigue et donc de difficultés scolaires (rejet à 74%, davantage chez les adultes – 79% vs 70%,

p < 0,01 – et chez les femmes – 77% vs 69%, p < 0,05) ou d’incapacité à parler correctement

chacune des langues apprises (rejet à 79%, sans distinction entre sous-catégories).

Le bilinguisme en tant que tel est même associé à certaines valeurs positives : le fait de parler

couramment deux langues donnerait accès à un niveau de maîtrise élevé dans ces langues58

(63% d’adhésion, sans distinction marquée au sein de l’échantillon ; seuls 3% des répondants

ne sont pas du tout d’accord) et serait indispensable pour trouver un emploi59 (63%

d’adhésion). Ce dernier item remporte davantage l’adhésion des élèves (67% vs 58%, p <

0,05) – qui sont peut-être plus sensibles au discours ambiant sur les conditions d’accès à

l’emploi –, des personnes d’origine immigrée (74% vs 61% pour celles d’origine belge, p <

0,01) et, comme on pouvait s’y attendre, des Bruxellois (85% vs 49%, p < 0,001). Les

réactions sont plus partagées face à l’énoncé disant que le bilinguisme permet de développer

des capacités intellectuelles supérieures à la moyenne60 : 47% y adhèrent, 22% marquent leur

désaccord et 31% ne se prononcent pas (l’adhésion augmentant avec l’âge des informateurs,

de 42% à 61%, p < 0,01).

Le corpus d’entretiens laisse toutefois apparaître que des représentations plus négatives du

bilinguisme font encore partie de l’imaginaire des informateurs. Nous avons souligné plus

haut la présence implicite dans les représentations des répondants d’une vision qui conçoit le

bilinguisme comme soustractif : la pratique ou le maintien d’une langue (d’origine) se fait

nécessairement au détriment d’une autre (le français) – ce que l’on appelle également la

« balance theory » du bilinguisme – comme le suggèrent les extraits suivants : Inf08 non mais pour moi il faut quand même euh avoir la maîtrise d'une langue à fond à fond donc

par exemple quelqu'un qui euh euh je sais pas moi qui a vécu pendant sept huit ans au Maroc ben voilà a pu développer des bonnes bonnes compétences en arabe et bien il faut continuer par rapport à cet apprentissage et alors venir avec une autre langue moi je suis pas persuadée que quelqu'un qui apprend comme ça très vite plusieurs langues euh je suis pas sûre qu'elle pourra avoir une maîtrise totale euh et c'est la même chose exactement les les les per/ les enfants qui ont été dans un enseignement en immersion euh voilà d'avoir été à l'unif ou quoi avec ces personnes-là euh ben c'est des personnes qui euh vont maîtriser bien les deux langues mais qui feront plein de fautes d'orthographe qui au niveau de la syntaxe ça reste bizarre

58 Voir item n°2 : « Un individu qui parle couramment deux langues peut atteindre un niveau de maîtrise de ces langues plus élevé que la moyenne, car il a appris à les comparer et à en analyser le fonctionnement. » 59 Voir item n°17 : « En Wallonie, il est pratiquement indispensable de connaître plusieurs langues pour trouver un emploi. » 60 Voir item n°14 : « Les personnes qui parlent couramment deux langues développent des capacités intellectuelles supérieures à la moyenne (capacités d’analyse, mémorisation, etc.). »

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50

Inf011 oui / euh je crois que ça dépend des personnes moi je crois que je pourrais pas faire plusieurs

langues et être au top de plusieurs langues vraiment moi je pense que j'en ferais une une par une maintenant je pense qu'il y a des personnes qui ont la capacité certainement à apprendre plusieurs langues je pense que c'est faisable oui mais mais c'est vrai que j'ai l'impression que si on apprend plusieurs langues en même temps on sera moyen dans tout j'aurais tendance à dire ça oui

Il faut noter que notre corpus comporte de nombreux raisonnements (chez presque tous les

informateurs) qui sont fondés sur l’adhésion à une vision soustractive du bilinguisme. Cette

idée que la maitrise d’une des langues, voire des deux langues, est mise en péril par le fait

même d’évoluer dans un monde bilingue, semble être objective aux yeux de l’ensemble de

nos informateurs, dont l’une a une formation de logopède. ASR oui c'est ça -| tu vas pas du tout euh ok sinon par rapport à la situation du bilinguisme en fait il

y a pas mal de gens qui se disent tiens euh parler à la maison une langue d'origine qui est pas du tout la langue de l'école ou du pays c'est ça doit pas être facile pour apprendre du coup euh à l'école est-ce que toi tu

Inf014 mais moi je confirme parce qu'en fait j'ai fait des études euh avant de logopédie (…) Inf014 ah voilà mais donc du coup euh ça a clairement un effet quoi le fait de parler une autre langue

à la maison ben forcément tu tu vas plus facilement avoir des difficultés d'apprentissage quoi ASR mh mh Inf014 pour l'autre ASR et sinon est-ce que tu as l'impression que être être éduqué dès ta petite enfance dans un

contexte bilingue ça ça va d'office impliquer que tu vas maîtriser moins vite ces langues-là comment est-ce que tu vois ces choses-là

Inf014 mais moi je suis moi je suis pas bilingue hein donc c'est un peu difficile mais je dirais que pff en même temps je sais que les personnes qui ont appris euh euh qui vivent dans deux univers et tout ça deux langues différentes et ben c'est vrai qu'après ils ont plus de facilité pour apprendre les langues aussi donc c'est pas euh non-négligeable maintenant c'est vrai que je pense que elles le maîtrisent pas totalement euh je p/ enfin je sais pas une une sur je pense qu'il y en a toujours une qui est en

ASR qui est euh Inf014 ouais ASR la la plus Inf014 ou même euh non mais qu'il y en finalement ils ne les maîtrisent pas parfaitement toutes les

deux je pense Nous voyons ici une nouvelle illustration de la façon dont les idées reçues réapparaissent dans

le discours et interviennent dans les raisonnements des locuteurs : même si, ici, l’informatrice

donne des arguments précis en faveur de l’idée que le bilinguisme pourrait être un atout, elle

revient néanmoins dans sa conclusion avec cette idée que les bilingues ne maîtriseraient

parfaitement aucune de leurs deux langues, sans que l’on sache si cette idée est autre chose

pour elle qu’un lieu commun – le paradoxe étant qu’on ne se demandera jamais si un

monolingue est, lui, capable de maîtriser parfaitement la seule langue qu’il parle, ce qui

montre la tendance à envisager le bilinguisme comme un état qui poserait certains problèmes,

qui n’irait pas de soi, etc.

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51

2.4. L’apprentissage du français : une question identitaire L’ambivalence des informateurs qui oscillent entre la valorisation du bilinguisme et la

préoccupation qu’il engendre, étant donné son caractère soustractif, se marque aussi au niveau

des attitudes par rapport à la diversité linguistique et aux liens entre le partage d’une langue,

d’une culture et d’une identité communes.

2.4.1. Une vision essentialiste du rapport langue-culture-identité Une majorité significative de nos informateurs (68%) estiment que les personnes issues de

l’immigration doivent maintenir leur langue d’origine pour ne pas perdre leurs racines et leur

identité61. L’adhésion à cette proposition est plus importante chez les femmes (72% vs 62%, p

< 0,01) et chez les Bruxellois (74% vs 64%, p < 0,01) et augmente avec la catégorie sociale

des répondants (de 55% à 73%, p < 0,01).

A première vue, on pourrait penser que le soutien important à cette idée entre en contradiction

avec l’insistance sur l’apprentissage du français. L’analyse des entretiens permet de penser

qu’il n’y a pas à proprement parler d’incohérence dans le point de vue des répondants. Ceux-

ci adhèrent en effet de façon générale à une conception essentialiste des rapports entre langue

et identité : c’est parce que la langue est centrale dans l’identité qu’ils souhaitent à la fois le

maintien des langues d’origine par les personnes issues de l’immigration et le maintien de leur

langue et de leur culture francophone en Belgique. L’importance qu’a le français pour eux et

qu’ont les langues de l’immigration pour les personnes d’origine immigrée est due au fait

qu’elle est le lieu des racines et de l’identité – ce qui justifie sans doute le poids qu’ils

attribuent à ces questions de langue.

Inf013 mais moi je pense que / ben j'essaye de me mettre à leur place et je pense que le fait de se

retrouver dans un pays étranger après parfois des parcours très très compliqués le fait de pouvoir parler la langue de son pays ou la langue / ça fait du bien aussi quoi c'est aussi

ASR donc vous trouvez que c'est important qu'ils |- qu'ils parlent Inf013 donc c'est important -| de pouvoir aussi enfin c'est c'est les racines qu'on qu'on a donc c'est

important de poursuivre et de pouvoir continuer ASR et donc vous a/ vous avez l'impression que c'est possible qu'ils s'identifient vraiment à cette

langue comme étant la leur et celle qui représente leurs valeurs et tout ça? par exemple des personnes qui changent d'un pays à un autre euh la première génération quoi / parce que

inf002 oui ça leur fait un / un tronc commun euh / oui ça les construit oui

61 Voir item n°53 : « Les personnes issues de l’immigration doivent essayer de maintenir leur langue pour ne pas perdre leurs racines et leur identité. »

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52

ASR euh // est-ce que vous trouvez que parler sa langue d'origine c'est important euh aux // pour les les / pas rien qu'au niveau utilitaire mais est-ce que vous trouvez que ça // c'est important dans la construction d'une identité et caetera de parler sa langue d'origine avec ses parents?

inf004 oui ça je pense ASR et euh et pourquoi est-ce que vous avez l'impression que c'est important euh inf004 parce que // c'/ c'est / c'est p/ // c'est rassurant peut-être? c'est euh // c'est quelque chose de

naturel / et qu'il faut pas euh / enlever ce qui est naturel -| voilà ASR ok et euh par rapport au maintien justement des langues d'origine on observe qu'il y a des

personnes issues de l'immigration qui se disent ben que ils vont essayer de parler le moins possible leur langue d'origine avec leurs enfants pour que dans un peu dans cette idée où on disait ben oui à la maison il faut parler aussi le français ou le néerlandais sinon l'enfant va être perturbé et tout ça euh ben est-ce que vous pensez que c'est grave et pourquoi enfin |- quels enjeux

Inf07 oui moi je suis tout à -| fait contre parce que en fait euh la langue d'o/ la langue de parl/ derrière la langue il y a la culture et il y a l'identité de la personne et j'ai remarqué enfin je le sais mais je l'ai remarqué aussi que par exemple si on est issu de l'immigration et qu'on ne connaît pas sa langue d'origine donc on ne connaît pas tout ce qui est la langue c'est ça véhicule toute une identité une culture ça veut dire qu'on est pas on est pas enraciné et si on est pas enraciné et bien euh on on est on est comme un arbre coupé de de ses racines donc on sait pas d'où on vient et donc on va nous plaquer une culture supplémentaire ou une langue au-dessus non ça fonctionne pas comme ça l'individu euh et donc il y a il y a des personnes il y a beaucoup de d'enfants issus de l'immigration qui sont délinquants pourquoi parce qu'ils n'ont plus de repères ni dans leur culture ni dans leur pays d'origine ni dans ce pays-ci où ils sont pas acceptés et euh ça ça passe par la langue donc identitairement il y a des études qui ont été faites il faut savoir d'où on vient et là-dessus on peut rajouter autre chose mais pas euh dire non on vous coupe de votre votre langue maternelle à la maison pour ap/ euh et ensuite quoi et ensuite quoi voilà

Ce qui est vrai pour les langues de l’immigration l’est aussi a fortiori pour le français : inf003 c'est important // (…)eh bien ils [des francophones natifs à l’étranger] seront tellement heureux

d'entendre parler français parce qu'ils ont entendu ça pendant toute leur enfance et que / et que ça leur rappelle des souvenirs et / et que c'est le fondement de leur être il a été constitué en français après / à partir de la vingt / au-delà de vingt-cinq ans (xx) l'immigration / la suite a été construite dans une autre langue avec une autre culture dans une autre structure / et du coup ça altère ta personnalité / mais fondamentalement la racine de ta personnalité elle s'est faite sur un/ sur une base de culture francophone

inf09 oui ça quand même quoi ça me dérangerait [que le français soit minorisé] ASR et pourquoi Inf09 ben parce que euh c'est ma moi la langue ça fait partie de la culture étant donné que je suis

belge et que le français c'est ma culture Dans ce sens, une partie, certes minoritaire, de nos informateurs adhère à l’idée selon laquelle

« il est impossible de bien comprendre la culture et les valeurs de la société belge si on ne

parle pas correctement français »62 (35%, contre 47% de rejet) – une adhésion qui augmente

avec l’âge des répondants (de 28% à 65%, p < 0,001).

2.4.2. Une vision exclusiviste et expressiviste des rapports langue-culture-identité Cette vision essentialiste des rapports langue-culture-identité s’accompagne dans les discours

des informateurs d’une conception à la fois exclusiviste et expressiviste de ces rapports. 62 Voir item n°24.

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53

Penser un lien intrinsèque indéfectible entre langue, culture et identité, c’est en effet adhérer à

l’idée qu’en utilisant une langue, un individu exprime nécessairement son appartenance à une

et une seule identité. En ce sens, les personnes interrogées semblent considérer a priori que le

"choix" de la langue qu’on pratique est nécessairement identitaire, qu’il est nécessairement le

signe d’un investissement défini dans une culture/identité donnée – il n’est pas en ce sens le

simple reflet d’habitudes, de normes conversationnelles, de contraintes diverses, etc. Que l’on

critique ou que l’on justifie l’emploi des langues d’origine, celui-ci est souvent perçu comme

le résultat du choix de maintenir son identité d’origine plutôt que comme une pratique plus

instrumentale et fonctionnelle. Inf08 ben c'est vrai que c'est un une situation hyper courante quand tu prends les transports en

commun ça arrive très souvent que deux femmes marocaines viennent d'aller rechercher les enfants tout le m/ limite les enfants parlent un petit peu français mais les deux femmes ben elles parlent arabe etcetera et c'est vrai que c'est une situation hyper courante mais voilà là moi ça ça me dérange pas spécialement euh et ces personnes-là parlent peut-être sont tellement contentes de pouvoir parler leur langue d'origine que ben en dehors elles savent quand même se débrouiller un peu en français donc il faut pas euh pourquoi pas enfin moi je m'imagine dans un autre pays si je devais être dans la même situation ben je serais contente de pouvoir rencontrer quelqu'un d'autre de Belgique qui me voilà où je peux parler en français où c'est quand même la langue maternelle c'est la langue où on a le plus de sensibilité où on est on sait exprimer les choses les plus euh les plus profondes quoi mais à côté de ça je pense que la langue fait partie d'un du processus d'intégration mais n'est pas la clé qui te permet une intégration réussie quoi |- ça c'est sûr

On comprend dès lors que la non-maîtrise du français ou même le non-emploi du français par

certaines personnes issues de l’immigration ne posent pas simplement problème en ce qu’ils

constitueraient des entraves à la communication, mais bien parce qu’ils expriment une

adhésion à une identité d’origine, alors que bon nombre de répondants semblent attendre que

ces personnes expriment, par leur usage du français, une appropriation de celui-ci et une

certaine adhésion voire allégeance au groupe majoritaire.

Certes, la plupart des informateurs attribuent de la valeur à la diversité linguistique et

culturelle et la considèrent comme une richesse. Ainsi, 66% des répondants pensent que les

écoles hétérogènes « permettent aux élèves belges d’avoir une expérience plus riche de la

diversité sociale »63, l’adhésion à cette idée augmentant avec la catégorie sociale (de 57% à

79%, p < 0,01). Les extraits qui suivent vont dans le même sens de la valorisation de la

diversité des langues et des cultures présentes à Bruxelles et en Wallonie :

63 Voir item n°18, soumis uniquement aux adultes.

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inf013 mais je pense que bon on entend ben Bruxelles est une ville internationale donc on entend parler enfin d'autant plus avec la commission européenne donc on entend effectivement parler donc euh / je pense que c'est pas quelque chose qui qui me choque et je pense que ça fait partie aussi de la richesse de Bruxelles donc euh

ASR mais ça vous semble pas -| a priori anormal et euh handicapant quoi d'être // éduqué dans un

environnement bilingue ou |- trilingue inf005 non je crois que plutôt -| au contraire ça / ça pourrait être un truc qui enrichit la vision du

monde mais euh ASR et et pourquoi ça enrichirait la inf005 parce qu'il y a accès à beaucoup plu/ à p/ / ça veut dire que / aussi on n'a peut-être / ça veut

dire qu'on n'a par exemple une culture familiale d'un pays plus une culture d'adop/ d'adoption d'un autre pays ben ça fait deux cultures c'est / c'est plus riche que une seule quoi (silence)

inf001 c'/ même pour nous c'est amusant [l’existence d’une pluralité de langues dans l’espace public]

parce que on on a l'occasion de de de l'entendre et / on a un peu l'impression d'être en vacances tout d'un coup là quelques secondes (rires)

Cependant, comme nous l’avons vu plus haut, la pratique d’autres langues que le français est

également souvent considérée comme le signe d’un manque de volonté d’intégration, d’une

absence d’identification à la communauté belge, qui reste pensée comme intrinsèquement

monolingue, dans la logique de l’équation stricte entre une langue, une culture, une nation.

Les représentations des informateurs sont certes à nuancer. En effet, seule une minorité

d’entre eux (36%) considère que le maintien des langues d’origine dans l’espace public va à

l’encontre du respect de la culture et des valeurs des Belges64 ; ils sont plus nombreux dans ce

cas parmi les hommes (41% vs 32%, p > 0,001) et les répondants d’origine belge (43% vs

24%, p < 0,001). Toutefois, 53% des personnes interrogées estiment que le partage du

français est nécessaire pour que les Belges de souche et issus de l’immigration partagent une

identité commune65 – avec une adhésion plus forte chez les adultes (62% vs 46%, p < 0,001)

et qui augmente avec l’âge des répondants (de 47% à 85%, p < 0,001) – ce qui montre bien

que la pratique du français est considérée par beaucoup comme un signe de rassemblement et

de ralliement, comme le suggère également l’extrait qui suit :

ASR et euh je / je sais pas si je vous ai posé la question aussi mais au niveau de euh / est-ce que

t/ vous trouvez vraiment que / la langue f/ fait partie de l'identité / bah de tout le monde et donc en Belgique le français ça fait vraiment partie de notre identité le néerlandais aussi / et que du coup euh / s/ si euh si les personnes issues de l'immigration ne le parlent pas correctement ben voilà c'est c'est c'est un peu un obstacle total à / au fait qu'on soit un groupe euh plus uni et euh

inf001 oui ça fait partie de l'identité ça c'est sûr // enfin il me semble ASR oui

64 Voir item n°55 : « Donner plus de place aux langues de l’immigration dans l’espace public, c’est laisser penser que les Belges sont prêts à renoncer à leur culture et à leurs valeurs. » 65 Voir item n°51 : « Les Belges de souche et issus de l’immigration doivent tous parler français (ou néerlandais) pour partager une identité commune. »

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inf001 maintenant // c'est indispensable si on veut former un groupe ASR oui inf001 quelqu'un qui vient avec une autre langue si s'il ne sait pas la nôtre (silence) ou s'il ne veut

pas l'apprendre on pourra l'intégrer et la lui apprendre c'est tout / mais s'il veut pas l'apprendre il s'intègrera pas ça c'est clair

On observe ainsi que la définition de l’identité collective et de la collectivité dans son

ensemble n’évolue pas parallèlement au bouleversement de nos sociétés devenues de facto

multiculturelles : l’idéal de l’Etat-nation reste prégnant dans l’imaginaire des citoyens, et

surtout chez les plus âgés, même s’il entre violemment, pour certains, en dissonance avec leur

réalité (par exemple à Bruxelles).

Dès lors, on voit apparaître des discours qui témoignent de la crainte que les francophones

perdent peu à peu leur langue et leur culture, comme si la présence de langues de

l’immigration était tellement massive qu’elle en deviendrait menaçante66. ASR et pourquoi est-ce que tu tu sais expliquer pourquoi tu trouverais ça dommage que le français

disparaisse ou tu c'est parce que c'est ta langue ou c'est |- parce que c'est en soi une langue euh

Inf011 parce que c'est ma langue parce que c'est ma langue -| parce que déjà je trouve ça dommage maintenant aussi tout ce qui se passe avec la la Flandre je me dis enfin se séparer enfin je sais pas je trouve que enfin je suis {peut-être fort} pour l'unité de la Belgique et garder des des

ASR cette caractéristique-là Inf011 cette caractéristique-là euh enfin ça fait partie de notre culture enfin je trouve que c'est

important {pour} chacun dans sa culture je trouve ça très enrichissant justement les les échanges de culture mais alors il faut qu'on garde la nôtre quoi

En ce sens, on soulignera que 30% des personnes interrogées vont jusqu’à craindre que le

français devienne une langue minoritaire sous la pression des langues de l’immigration67 –

une crainte davantage présente chez les élèves (35% vs 24%, p < 0,01), les hommes (35% vs

26%, p < 0,05), les Wallons (35% vs 21%, p < 0,001), les personnes d’origine belge (36% vs

20%, p < 0,001) et de catégorie sociale basse (42% vs 29% en moyenne, p < 0,05).

2.4.3. Une intégration impossible Cette conception des rapports entre langue, culture et identité conduit à envisager l’intégration

comme un processus presque nécessairement insoluble. Il faudrait en effet que les personnes

issues de l’immigration d’un côté conservent leurs langues d’origine, parce qu’elles

66 Il est à ce propos significatif de constater le déferlement, sur les forums, de craintes et de scénarios catastrophistes quant à l’avenir du français, de la culture « belge » et même de la religion des futures générations, en réaction à la simple proposition de donner la possibilité à n’importe quel élève de suivre à l’école des cours d’arabe en tant que deuxième ou troisième langue. 67 Voir item n°19 : « Bientôt, à Bruxelles, le français sera une langue minoritaire tant les gens parleront des langues de l’immigration. »

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constituent indéfectiblement leurs racines, et d’un autre côté, les abandonnent pour ne plus

pratiquer que le français, dans la mesure où tout usage d’une autre langue les inscrit dans une

différence, dans une identité distincte, alors que les informateurs appellent de leurs vœux

l’émergence d’une identité commune centrée sur le partage de la langue : pour être un (belge)

francophone (sur le plan identitaire), il faut parler français et uniquement français ; il est

presque impossible d’être francophone et plurilingue (v. Lucchini et al. 2008). Pour le dire

autrement, tout se passe comme si les personnes interrogées se refusaient à reprocher aux

personnes issues de l’immigration d’être autres, et souhaitaient à la fois qu’elles leur soient

purement semblables. La conscience de cette impasse transparaît notamment chez ces deux

informateurs : ASR et vous avez l'impression de garder continuer à parler sa langue ça permet peut-être d'avoir

justement euh / un rattachement ou de continuer oui? inf020 je pense // je pense euh comme ben regarder la télé en Italie ou ce genre de choses ça ça ça

laisse vraiment un / un fil / on on est quand même encore un peu au courant de ce qui se passe euh / dans le pays et je pense que la langue oui ça véhicule quand même beaucoup beaucoup de choses et / et et je pense que même les les / les étrangers de la deuxième génération ont c'est vraiment un / un gros souci de se dire euh / mais qu'est-ce que / qu'est-ce que je suis réellement en terme d'identité quoi / est-ce que je suis euh / est-ce que je suis belge euh / et et et je pense que maîtriser les deux langues ça permet quand même qu'il y ait des rattachements aux deux / à la fois au pays d'adoption mais au pays d'origine qui restera le pays d'origine on aura beau faire tout ce qu'on veut en terme d'intégration ce sera comme ça

ASR et est-ce que tu as l'impression que / on dit que le français est est une source de problème de

ce problème-là ou le néerlandais est-ce que tu as l'impression que si il y avait plus ce problème là il y aurait tout autant euh / entre guillemets de problèmes euh

inf003 oui / oui / ça c'est très clair / ça c'est / tout le monde pourrait parler parfaitement sans accent ça ne changerait rien

ASR tu penses que ça ne changerait tu penses que c'est une excuse entr/ entr/ pour encore dire euh |- il est trop étranger euh

inf003 c'est c'est c'est une excuse parmi d'autres -| / je veux dire pour vraiment régler tous les problèmes il faudrait que tout le monde parle parfaitement français que tout le monde se fasse blanchir la peau / que tout le monde adopte la religion catholique ou bien un genre de similo religion catholique où en fait on dit ouais en fait je suis catholique de culture mais voilà un genre de truc un peu mou comme ça / et puis il faudrait enfin tu vois il faudrait il y a tellement de trucs à faire mais c'est pas possible un étranger c'est un étranger / faut accepter c'est tout quoi

Si l’on ne peut que respecter le souci des gens de maintenir un environnement culturel et

linguistique auquel ils sont attachés, faut-il réellement voir dans la présence d’autres langues

une menace pour la préservation de la langue et de la culture belge francophone ? Pour que les

membres d’une entité politique soient intégrés et fassent société, faut-il nécessairement qu’ils

ne pratiquent qu’une seule langue ? Est-ce que le fait de constituer une communauté politique

solidaire passe nécessairement par le partage d’une langue-culture-identité unique ? Voilà

autant de questions auxquelles les discours de nos informateurs donnent des réponses souvent

réductrices, qu’il s’agit de nuancer (v. §3).

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3. Pistes pour une action de politique linguistique Il ne revient pas aux auteurs de ce rapport de définir les objectifs de la politique du

gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles à l’égard des stéréotypes que cette

recherche a mis en évidence. Le fait que ces stéréotypes constituent des représentations

partiellement non fondées de la réalité ne justifie pas en soi qu’ils fassent l’objet d’une action

politique quelconque : la nécessité de les déconstruire ne repose pas simplement sur le fait

qu’ils ne soient pas entièrement fondés, mais sur l’idée que leur mise en cause pourrait avoir

des conséquences jugées importantes sur le plan politique. Dans le cas qui nous occupe, on

peut de façon générale, et sans préjuger des orientations que prendront les responsables

politiques, considérer qu’il est important de déconstruire plusieurs des stéréotypes testés dans

notre questionnaire parce qu’ils contribuent à véhiculer une image négative des personnes et

des langues issues de l’immigration et à alimenter dès lors les résistances de certaines couches

de la population vis-à-vis de la présence de communautés issues de l’immigration. Plus

précisément, nous pensons que s’ils ne sont pas remis en question, plusieurs des stéréotypes

étudiés sont susceptibles de fonctionner comme des topoï et d’étayer des discours qui :

- tendent à faire des personnes issues de l’immigration les responsables de leurs

difficultés d’insertion économique et sociale ;

- perpétuent une conception des rapports entre nation, identité et langue, selon laquelle

une communauté politique doit nécessairement se baser sur le partage d’une identité

culturelle commune, fondée principalement sur le partage d’une seule et unique

langue, ce qui au final tend à faire de l’immigration une espèce d’anomalie, un

problème en soi qui obligerait à s’éloigner de l’idéal d’une nation linguistique et

culturellement homogène.

Dans la section qui suit nous présentons une première version de ce qui pourrait devenir le

document de base d’une campagne de sensibilisation permettant d’interroger les fondements

des discours en question.

3.1. Mise en contexte Il nous paraît important pour commencer de pouvoir brièvement problématiser les discours

dominants au sujet des rapports entre langue, immigration et intégration, de manière à justifier

l’analyse critique des stéréotypes. Une telle problématisation pourrait prendre la forme

suivante :

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On entend souvent dire que les personnes issues de l’immigration ne sont pas (ou sont mal)

intégrées dans la société belge. Certains parlent même d’un « échec » de l’intégration. Si

s’intégrer c’est participer à la vie sociale (par le biais de l’école, du quartier, d’ associations,

etc.), économique (travailler), et citoyenne (participer au débat public, contribuer à la

réflexion sur les choix politiques, agir dans le champ politique), on voit mal sur quelle base on

pourrait prétendre qu’il n’y a pas d’intégration des personnes issues de l’immigration : la

majorité d’entre elles est en effet relativement bien intégrée – du moins tout autant que les

Belges dits « de souche » – au sens qui vient d’être défini, et l’intégration ne constitue donc

en rien un échec.

Force est de constater néanmoins que de nombreux individus en Belgique n’ont pas les

moyens de participer pleinement aux trois dimensions de la vie en société évoquées ci-dessus,

et que cette situation touche particulièrement les personnes issues de l’immigration68.

La question cruciale est celle de savoir quels sont les obstacles à cette intégration et comment

on peut dès lors y remédier. À ce propos, les discours que l’on peut entendre au quotidien

pêchent souvent par leur simplisme et sont rarement fondés sur une analyse objective de la

réalité. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne les aspects linguistiques de cette

question. De nombreuses personnes adhèrent en effet spontanément au raisonnement suivant :

- pour s’intégrer il faut parler français,

- or de nombreuses personnes issues de l’immigration ne font pas l’effort d’apprendre le

français

- et préfèrent parler leurs langues d’origine et s’enfermer dans leur communauté,

- du coup, elles ne trouvent pas de travail et profitent du système,

- ce qui est injuste,

il faudrait donc

- soit les obliger à apprendre le français et tout rentrerait dans l’ordre,

- soit les priver des mesures de protection sociale,

- soit les renvoyer dans leur pays d’origine,

- etc.

68 En juin 2007, 18,3% des actifs étrangers (83.959 personnes) étaient au chômage contre 9,4% des actifs belges (414.703) (Direction générale Emploi et marché du travail, 2009). Un rapport d’Eurostat (2011) montre que la Belgique est le pays européen où les écarts de revenus entre immigrés et non-immigrés sont les plus importants et où les immigrés courent le plus grand risque de sombrer dans la pauvreté.

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On en trouve une illustration concrète dans l’extrait suivant, où une personne interrogée lors

d’une enquête réalisée en 2012 donne son avis concernant la possibilité que des personnes

venant d’arriver en Belgique bénéficient du CPAS sans parler français : inf004 oui ça m'énerve parce que / euh je pense que / déjà dans les dans chez nous dans les les

Belges il y a des gens qui ont besoin d'être aidés au niveau du CPAS et des aides sociales et tout ça / et que / euh / il y a beaucoup d'étrangers qui passent parfois avant nous alors que il faudrait peut-être d'abord / s'occuper des Belges proprement parler avant de / voilà mais / je / je ne suis pas non plus totalement euh / contre c/ le fait qu'on aide les étrangers etcetera mais / euh / je trouve qu'alors il faut euh / il faut que eux euh / montrent de la bonne volonté et c'est pas toujours le cas je trouve et c'est ça qui m'énerve voilà

Un tel raisonnement, qui paraîtra valide à première vue aux yeux de certains, repose en fait

sur une série de stéréotypes et d’idées fausses que l’on peut démonter si on les confronte avec

la réalité. Dans ce document nous nous employons à interroger les stéréotypes qui, selon les

résultats d’une enquête réalisée en 2012, sont très présents dans les discours et les

représentations des Belges francophones.

La mise en relation des stéréotypes auxquels nos informateurs sont nombreux à adhérer nous

a permis de saisir l’argumentaire dans lequel ces stéréotypes s’insèrent et prennent un

caractère d’évidence grâce à la cohérence qui s’en dégage. L’argumentaire en question peut

être schématisé en quatre stéréotypes majeurs autour desquels serait structurée la

communication vers le grand public.

Pour chacun d’entre eux, nous commençons par rappeler, sur base de l’enquête, le contenu de

la représentation stéréotypée. Ensuite, nous exposons les éléments qui permettent de rendre le

stéréotype plausible à première vue et qui font qu’il apparaît comme relativement

incontestable. Nous donnons enfin toute une série de contre-arguments pour invalider ou

nuancer le stéréotype, avant de souligner en quoi la critique que nous proposons a des

conséquences importantes sur la représentation de la réalité de l’immigration que l’on

construit. Le texte qui suit est rédigé dans un style qui se veut déjà proche d’un écrit destiné

au grand-public, même si des efforts pour communiquer de façon plus claire et directe

pourraient certainement encore être entrepris.

3.2. Premier stéréotype : « pour s’intégrer, il faut parler français » Selon bon nombre de personnes, le fait que certains individus d’origine immigrée ne parlent

pas ou parlent mal français est la cause de toute une série de difficultés d’intégration qu’ils

rencontrent (sur le marché du travail ou à l’école notamment). À l’inverse, les personnes

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interrogées estiment que l’apprentissage du français est un gage d’intégration, qu’il permet

d’ouvrir les portes du marché du travail, d’intégrer des réseaux sociaux variés, etc.

Certes, il est incontestable que parler la langue dominante et officielle du pays où l’on vit est

un atout très important pour s’intégrer à la vie sociale, économique et citoyenne de ce pays.

Mais, cela ne veut pas dire que c’est parce qu’on ne parle pas bien français qu’on a des

difficultés pour s’intégrer. Une telle vision des choses ne pas tient compte de la

réalité suivante : en général, ce sont les conditions d’accueil dans le pays d’immigration (le

fait de travailler dans la langue du pays, d’envoyer ses enfants à l’école dans la langue du

pays, d’habiter un quartier composé majoritairement d’autochtones, etc.) qui favorisent

l’apprentissage de la langue du pays d’accueil. Or, l’on sait à quel point la Belgique

francophone est marquée par une ségrégation urbaine (Martiniello et Rea 2001, Kesteloot

1986, Poulain et Perrin 2002) et scolaire (Lafontaine et al., 2003, Jacobs, Rea et al. 2009) qui

contribue à exclure les personnes issues de l’immigration des espaces où elles pourraient

apprendre le français. Comme l’a montré Lucchini (2012), l’intégration est première dans

l’acquisition des langues : c’est parce qu’il est intégré dans un réseau communicatif que le

jeune enfant peut acquérir une langue, c’est parce que la langue parlée autour de lui est une

langue normée qu’il va pouvoir l’apprendre à son tour en se conformant spontanément aux

normes dominantes, c’est quand on est immergé dans une langue qu’on développe des

compétences communicatives variées et étendues dans celle-ci, etc.

Comme le suggère l’analyse des conditions d’apprentissage du français par les Belges issus de

l’immigration (v. Lucchini et al. 2008), ce sont les caractéristiques des trajectoires sociales

particulières des individus – les rencontres qu’ils font, les opportunités qui leur sont offertes,

le bagage culturel dont ils disposent, etc. – qui font qu’ils ont la possibilité d’apprendre le

français ou non. Si cet apprentissage peut ensuite devenir un tremplin vers une meilleure

intégration, il ne tombe pas du ciel, mais dépend de toute une série de conditions d’intégration

et de la disponibilité de différentes ressources (économiques, sociales, culturelles). Or, étant

donné le profil social des personnes issues de l’immigration et vu les conditions dans

lesquelles elles émigrent (guerre, régime politique autoritaire, problèmes économiques), elles

manquent le plus souvent des ressources qui leur permettraient de se trouver dans les

meilleures conditions pour s’intégrer dans la société d’accueil et y apprendre le français.

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En résumé, c’est plutôt l’intégration économique et sociale qui est la source de l’apprentissage

de la langue et non l’inverse, et la non-maîtrise du français est plutôt la conséquence que la

cause de difficultés d’intégration.

Il existe d’ailleurs en ce sens de nombreuses personnes qui participent à la vie économique

même si elles n’ont pas eu la chance d’apprendre le français et qui tentent de se débrouiller

pour s’insérer socio-économiquement dans des conditions souvent très difficiles.

Contrairement à une idée fort répandue, les personnes allophones ne sont pas incapables de

travailler sous prétexte que le marché de l’emploi serait exclusivement francophone

(néerlandophone) et elles ne sont pas condamnées à dépendre du système de protection

sociale : les professionnels du secteur de l’insertion socio-professionnelle que nous avons

rencontrés témoignent de nombreux exemples de personnes ne parlant presque pas français

mais ayant réussi à décrocher un petit boulot ici ou là, dans des conditions très précaires et

dans des environnements qui ne permettent pas nécessairement l’apprentissage de la langue

(métiers techniques sans aucun contact), avec parfois pour conséquence que cette intégration

économique peut être ce qui les prive (faute de temps) de suivre des cours de français.

Cela signifie aussi que, contrairement à ce qui est présupposé par beaucoup de gens, il ne

suffirait pas que les individus d’origine étrangère apprennent le français pour que

soudainement les problèmes d’accès au marché de l’emploi et de ségrégation urbaine ou

scolaire soient résolus. En faisant comme si l’apprentissage du français était la clé de

l’intégration, les répondants évitent de s’interroger sur les conditions réelles de l’intégration

en Belgique et sur les chances réelles de participer à la vie sociale et économique de la

majorité qui sont offertes aux personnes issues de l’immigration. Ceci a surtout comme

conséquence de leur laisser toute la responsabilité du problème : « ils n’ont qu’à apprendre à

parler français »… et tout rentrera dans l’ordre.

3.3. Deuxième stéréotype : « les « immigrés » ne parlent pas français » Admettre, comme beaucoup des personnes que nous avons interrogées, que la cause

principale des problèmes d’intégration est le fait que la population issue de l’immigration

parle peu ou mal français, c’est nécessairement croire qu’une bonne partie de cette population

est réellement non francophone.

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Certes, il est incontestable que parmi ceux qu’on appelle les primo-arrivants (les immigrés

récents), on trouve de nombreuses personnes venues de pays où la population ne parle pas en

général français – bien qu’il convienne de rappeler que la majorité des « immigrés » en

Belgique viennent de France et des Pays-Bas et qu’une part importante vient de pays au moins

partiellement francophones (Direction générale emploi et marché du travail, 2009).

Cependant, selon les enquêtes réalisées auprès d’échantillons de taille variable (Audrit 2009,

Declercq 2008, Janssens 2008), il apparaît clairement que la grande majorité des personnes

issues de l’immigration en Wallonie et à Bruxelles parle français et est même monolingue

francophone – ce qui n’est guère étonnant si l’on inclut dans la population issue de

l’immigration tous les descendants d’immigrés de la 2e ou de la 3e génération qui ont été

scolarisés uniquement en Belgique.

Certes, ces francophones ne parlent pas tous un français normé ou considéré comme correct,

certes ils connaissent parfois des difficultés dans l’emploi d’un registre soutenu, notamment à

l’écrit, mais c’est là une caractéristique qu’ils partagent avec les Belges « de souche » peu

scolarisés ; il ne s’agit donc en rien d’un problème spécifique à l’immigration. Contrairement

à une idée qui circule parfois et que l’on retrouve marginalement dans notre enquête, le

bilinguisme supposé (mais loin d’être systématique) des personnes issues de l’immigration ne

constitue en rien un obstacle à l’apprentissage du français : le fait de maintenir ou d’apprendre

sa langue d’origine par exemple ne se fait pas automatiquement au détriment de la maîtrise du

français ; autrement dit, le bilinguisme n’est pas nécessairement soustractif (v. Dabène &

Moore 1995 ; Gadet et Varro 2006, Grosjean 1987 ; Heller 2006 ; Lambert 1997, Lüdi 1995 ;

Lüdi & Py 1986). En revanche, les difficultés que l’on rencontre dans l’une à l’écrit ou pour

utiliser certains registres, en raison de son milieu socio-culturel, se retrouveront également

dans l’autre. Mais à nouveau, il s’agit d’abord et avant tout d’une question de milieu socio-

culturel et de niveau de scolarité.

En réalité, rares sont les individus d’origine immigrée qui ont des difficultés pour

communiquer, pour se faire comprendre en français. Le « problème », tel qu’il est vécu par

nos répondants, est ailleurs : ce n’est pas qu’ils ne savent pas parler français, c’est qu’ils ne le

parlent pas assez souvent (ils parlent d’autres langues), et qu’ils ne le parlent pas comme

« nous ». Dès lors, leur rapport au français rappelle leur différence, leur altérité (leur accent

n’est pas simplement populaire, c’est un accent étranger), il nous montre qu’ils ne se sont pas

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assimilés – ce qui, comme nous le verrons (§3.5) reste malgré tout une préoccupation

envahissante dans la conception dominante de l’intégration.

3.4. Troisième stéréotype : « les « immigrés » qui ne parlent pas (ou mal)

français ne cherchent pas à s’intégrer » Si cette différence linguistique dérange, c’est parce qu’elle est largement perçue comme le

signe d’un manque de volonté d’intégration dans le chef des personnes issues de

l’immigration. De manière générale, la grande majorité des individus que nous avons

interrogés ne comprend pas que certaines personnes issues de l’immigration ne soient pas

capables de parler correctement français, ou se mettent à utiliser d’autres langues que le

français dans l’espace public. Ils interprètent globalement ces comportements comme des

comportements volontaires de repli sur sa communauté chez des personnes qui ne feraient pas

les efforts nécessaires pour bien parler français et pour s’intégrer.

Certes, sauf exception, tout le monde est en principe capable d’apprendre une langue et des

possibilités réelles existent d’apprendre le français pour les personnes issues de l’immigration.

Mais si cet apprentissage était réellement « facile », comme le pense une majorité des

personnes interrogées, pourquoi est-ce que les individus d’origine immigrée n’en profiteraient

pas ? Qu’est-ce qui pourrait donc les pousser à ne pas avoir envie d’apprendre le français et de

s’intégrer – si du moins cette intégration ne se confond pas à une assimilation pure et simple ?

Qui pourrait avoir intérêt à immigrer dans un pays ou une région et à ne pas vouloir en

apprendre la langue principale ? Plus généralement, qui aurait intérêt à refuser de s’intégrer si

on lui en offrait la chance ?

Des études antérieures (Lucchini et al. 2008) ont montré que la nécessité absolue d’apprendre

le français à Bruxelles et en Wallonie était parfaitement évidente aux yeux des Belges issus de

l’immigration. Si certains d’entre eux restent attachés à leurs langues d’origine, il n’est pas

question pour eux que celles-ci viennent concurrencer la prédominance parfaitement légitime

du français – contrairement à ce que prétendent les discours selon lesquels les immigrés

voudraient « imposer » leur langue.

Néanmoins, plusieurs personnes interrogées s’indigent de ce que des individus issus de

l’immigration ne parlent pas français en disant qu’à leur place, apprendre la langue du pays

d’accueil serait leur premier objectif en tant qu’immigré récent. Mais lorsqu’ils se projettent

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ainsi, la plupart des répondants s’imaginent émigrer comme le font la plupart des citoyens des

pays riches : émigrer dans ce cas, c’est aller dans un pays où l’on a déjà un emploi avant de

partir, où l’on a déjà noué des contacts sociaux ou professionnels avec des autochtones, etc.

Dans ce cas, en effet, qu’est-ce qui pourrait empêcher que la langue du pays s’apprenne

facilement ? Comment quelqu’un qui serait baigné dans un environnement francophone, à qui

on offrirait un emploi, à qui on proposerait un logement dans un quartier confortable et

majoritairement francophone pourrait ne pas apprendre le français ?

Toutes les études scientifiques sur les minorités linguistiques dans le monde ont montré

combien il était en réalité difficile pour un groupe linguistique de résister à la pression de la

langue dominante : en général, si on ne met pas des lois en place pour les protéger, les

minorités linguistiques finissent par adopter la langue majoritaire et par s’assimiler. En

d’autres termes, lorsqu’une minorité linguistique fait bel et bien partie d’une société où une

autre langue est majoritaire, elle tend non pas à ne pas assez parler cette langue majoritaire,

mais bien à trop la parler.

Il est facile en ce sens de considérer qu’il suffit de faire « quelques efforts » pour apprendre la

langue, quand on n’envisage aucunement tous les obstacles qui peuvent se dresser sur la route

d’un immigré récent. Un de nos informateurs fait preuve de clairvoyance lorsque, pour se

mettre à la place des individus d’origine immigrée, il ne s’imagine pas, comme le font la

plupart, en train d’immigrer aux États-Unis, mais il se projette en tant qu’immigré

francophone en Chine, incapable de lire quoi que ce soit, complètement dépourvu face à un

univers qui ne lui est pas du tout familier. Ceci montre bien que si des personnes issues de

l’immigration n’apprennent pas le français à Bruxelles et en Wallonie, c’est donc qu’elles

n’ont pas été intégrées à la société d’accueil d’une manière qui leur aurait spontanément

permis d’apprendre le français.

Dans le même sens, il est fréquent que des répondants s’offusquent que des personnes issues

de l’immigration ne fassent pas l’effort de parler français, en comparant leur situation avec

celle qu’ils connaissent en tant que francophones lorsqu’ils vont en Flandre : là, disent-ils, ils

font au moins l’effort d’essayer de parler néerlandais, dans la mesure de leur compétence, ne

fût-ce qu’en utilisant les quelques mots qu’ils connaissent, sachant également que leur

interlocuteur sera souvent capable de leur parler français mais qu’il aura d’autant plus envie

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de le faire qu’il aura perçu un respect pour sa langue chez le francophone à qui il s’adresse. La

comparaison est en effet intéressante, mais elle a des limites :

- lorsqu’un immigré parlant arabe, russe ou vietnamien s’adresse à un francophone en

baragouinant quelques mots, peut-il espérer qu’ayant ainsi témoigné de son respect, il

pourra ensuite continuer la conversation dans sa langue, que son interlocuteur

connaîtra et acceptera d’utiliser pour lui montrer qu’il est prêt lui aussi à

s’accommoder à la langue d’autrui ?

- le francophone qui fait l’effort d’utiliser deux, trois mots de néerlandais lorsqu’il

achète son déjeuner dans une boulangerie de la côte en Flandre, ne continue-t-il pas

ensuite à parler français avec ses amis en se promenant sur la digue ? Qui peut penser

qu’il en va autrement pour les personnes issues de l’immigration en Wallonie ou à

Bruxelles ?

Cet exemple montre bien que, comme nous l’avons déjà suggéré plus haut, l’usage d’autres

langues que le français (ou le « mauvais » usage du français) est interprété comme un signe de

non-intégration et de manque de volonté de s’intégrer. Or, ce ne peut être vrai que si :

- l’on croit que ceux qui ne parlent pas bien français le font exprès, ne font pas d’effort

– ce qui suppose à tort que cet apprentissage est facilement accessible à tout le monde

(voir ci-dessus) ;

- l’on croit que quelqu’un qui veut s’intégrer doit nécessairement s’efforcer de parler

français dans toutes les circonstances.

En d’autres termes, tout se passe comme si de nombreuses personnes attendaient des locuteurs

issus de l’immigration qu’ils fassent preuve de leur volonté de s’intégrer en parlant

exclusivement français dans l’espace public par exemple, comme s’il relevait de leur

responsabilité d’invalider le stéréotype selon lequel ils ne sont pas assez intégrés. Mais dans

quelle mesure une telle exigence est-elle légitime ?

3.5. Quatrième stéréotype : « la langue, c’est l’identité, et notre identité doit

être unique » De nombreuses personnes considèrent que la langue, la culture et l’identité sont

indissociables, ce qui fait qu’elles estiment qu’il est normal et souhaitable que les personnes

issues de l’immigration maintiennent leur langue d’origine, pour ne pas perdre « leurs

racines ». Si la langue exprime la culture et l’identité, alors parler français ou une autre langue

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quand on est issu de l’immigration, c’est aussi affirmer une appartenance identitaire. Or, la

plupart des informateurs estiment que les membres d’une société doivent partager une identité

unique. L’assimilation des individus d’origine immigrée serait-elle dès lors la seule solution ?

Certes, la plupart des gens considèrent leur langue comme une composante essentielle de leur

identité individuelle et leur attribue une valeur symbolique élevée. Le type de raisonnement

énoncé ci-dessus peut néanmoins être interrogé à plusieurs niveaux.

Premièrement, l’importance de la langue dans l’identité n’implique en rien que tout emploi

d’une langue donnée soit aussi une affirmation identitaire : on peut parler une autre langue

que le français par habitude, parce que c’est la norme dans tel ou tel environnement, par

facilité, sans que cela relève du choix de privilégier une identité sur une autre, son

appartenance à sa culture d’origine sur son appartenance à une culture francophone.

Deuxièmement, qu’est-ce qui justifie cette volonté de partager une identité linguistique et

culturelle unique ? Dans une vision de la société où plusieurs identités collectives peuvent

coexister au sein d’une même entité politique, l’existence de plusieurs langues, cultures et

identités ne pose pas de problème particulier. Toutefois, un part importante des personnes

interrogées semble encore attachée à un modèle de société dérivé de la vision romantique de

la nation : le peuple doit être uni autour d’une identité commune, d’une culture, d’une langue,

etc.

Dès lors que l’on reste dans une telle logique, toute présence d’autres cultures, d’autres

langues que les individus chercheraient à maintenir et à valoriser, devient nécessairement une

remise en cause de la nation, une menace et la seule issue est l’assimilation.

Il faut commencer par insister sur le fait que cette vision de la nation est un mythe : les

peuples n’ont jamais été homogènes et toute société démocratique est profondément marquée

par le pluralisme des valeurs, des pratiques et par la gestion de conflits entre des groupes aux

préférences et aux intérêts divergents (Heller 2006).

Ce mythe est d’autant plus intenable aujourd’hui dans nos sociétés qui sont devenues

objectivement davantage diversifiées sur le plan linguistique et culturel. S’agit-il pour autant

d’abandonner toute volonté de fonder une communauté politique autour d’un socle de valeurs

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ou de pratiques partagées ? Est-il pour autant absurde de vouloir construire une identité

commune ?

Il devrait être clair, dans un pays plurilingue, qu’une communauté politique doit se fonder sur

d’autres éléments que le simple partage d’une langue et d’une culture communes et que le

partage d’une langue et d’une culture n’est une condition ni suffisante ni nécessaire au

maintien d’une forme de solidarité nationale. Dans des sociétés de plus en plus hétérogènes, il

est indispensable de fonder la citoyenneté sur une communauté de droits, de devoirs et de

ressources (économiques, culturelles, linguistiques) et non sur le partage d’une identité définie

de façon essentialiste. Il est tout à fait envisageable en ce sens de parler plusieurs langues et

de se sentir engagés dans un projet collectif. Ce qui fait que certaines personnes issues de

l’immigration ne se sentent pas francophones, comme l’ont constaté Lucchini et al. (2008), ce

n’est pas le fait qu’elles parlent une autre langue que le français et restent attachées à leur

culture d’origine, c’est le fait qu’elles ne se sentent pas reconnues comme des francophones à

part entière, c’est-à-dire comme des membres de plein droit de la communauté politique dont

elles souhaitent contribuer au développement.

3.6. Conclusions Alors que le discours ambiant que nous avons essayé de déconstruire aboutit à la conclusion

que les immigrés sont les seuls responsables de leurs problèmes d’intégration et que

l’intégration est d’une certaine manière un problème en soi et un échec, nous avons montré

qu’en s’appuyant sur d’autres fondements, davantage conformes à la réalité, on pouvait

développer une autre représentation des rapports entre langue et intégration.

Aussi, plutôt que de responsabiliser les personnes issues de l’immigration qui soi-disant ne

parleraient pas français et refuseraient de faire les efforts nécessaires pour l’apprendre, notre

analyse suggère de s’interroger sur les conditions de possibilité réelles de leur intégration

sociale, économique et, dès lors, linguistique. Parler de responsabilité n’aura de sens que le

jour où les personnes d’origine immigrée seront mises dans des conditions favorisant

réellement leur participation à la vie sociale, économique et citoyenne de la majorité, ce qui

suppose le partage des ressources nécessaires à l’intégration. Se contenter de dire qu’il faut

leur apprendre le français serait en ce sens se donner un alibi pour ne pas avoir à poser la

question des conditions d’intégration au niveau de la scolarité, du logement, du travail, etc.

S’il existe des quartiers où l’on peut se débrouiller sans parler français, si les seuls emplois

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69

accessibles pour certains individus d’origine immigrée sont des postes dans des entreprises de

transport ou de nettoyage qui ne nécessitent pas la connaissance du français, c’est en raison de

problèmes politiques dont la responsabilité est collective, et non pas de questions relevant de

la morale (des efforts) des individus. En ce sens, il s’agit de ne plus faire comme si le

problème de l’intégration était un problème lié aux immigrés pour l’envisager pour ce qu’il

est : un problème de partage des ressources qui dépasse de loin le cas spécifique des

personnes issues de l’immigration.

Pour ce faire, il faut sans doute commencer par accepter de revoir la définition que les Belges

francophones ont de leur propre communauté, pour cesser de voir dans celui qui parle une

autre langue ou qui a une autre culture, un étranger, un « autre », qui viendrait briser la belle

harmonie d’une nation autrefois homogène. Il s’agit de penser la diversité linguistique et

culturelle comme une réalité qui fait partie de l’identité de notre société et à partir de laquelle

il faut refonder une communauté politique solidaire, autour d’un projet permettant de gérer,

comme dans toute démocratie, la tension entre l’existence de différences de valeurs, de

croyances, de pratiques (de langues), et la nécessité de définir un certain nombre de valeurs,

de références et de normes (y compris linguistiques) communes et permettant de faire émerger

une identité politique partagée.

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70

Conclusion Au-delà des résultats précis de cette étude, qui ont déjà été synthétisés au chapitre 3, nous

pouvons tirer trois enseignements principaux de cette recherche.

Le premier n’est pas un résultat direct de la recherche, mais plutôt un produit de sa

méthodologie : en effet, le corpus que nous avons constitué au départ de cette recherche a

permis de confirmer que les discours au sujet des rapports entre langues, immigration et

intégration étaient largement fondés sur des stéréotypes et des idées reçues, qui ont d’autant

plus de poids argumentatif qu’ils semblent revenir sans cesse dans les discours, au point

d’apparaître comme évidents et de pouvoir jouer pleinement le rôle de topoï (lieux communs)

argumentatifs. Ce corpus, comme notre enquête en général, a par ailleurs confirmé à quel

point la question de la langue faisait partie des aspects les plus sensibles de la problématique

de l’intégration.

Deuxièmement, nous pouvons mettre en exergue le fait que la recherche a montré que bon

nombre de ces stéréotypes remportaient l’adhésion d’une part importante des personnes

interrogées, mais avec des différences sensibles et récurrentes entre les sous-groupes de notre

échantillon. Nous avons vu ainsi à plusieurs reprises que, sans surprise, les élèves étaient plus

prompts que les adultes à adhérer à des propositions stéréotypées, sans les nuancer ou s’en

distancier. Le même constat a pu être fait à plusieurs reprises à propos des personnes des

catégories sociales les moins élevées. C’est aussi le cas des informateurs les plus âgés lorsque

les énoncés qui leur sont soumis portent sur des valeurs traditionnelles (comme l’identité, la

scolarité). Comme on pouvait également s’y attendre, les répondants d’origine mixte ou

immigrée prennent quant à eux davantage leur distance que leurs homologues d’origine belge

à l’égard des discours stéréotypés sur l’immigration. Le fait que les informateurs ayant choisi

de s’exprimer à propos de la réalité bruxelloise expriment des positions plus nuancées que

ceux répondant au questionnaire sur la Wallonie confirme que les stéréotypes sont plus ancrés

chez ceux qui connaissent le moins la réalité évoquée – dans ce cas, on voit que les

« Bruxellois » qui sont davantage confrontés à la réalité de l’immigration en ont une vision

moins stéréotypée. Enfin, on soulignera qu’à de nombreuses reprises, les femmes sont

apparues comme plus critiques envers les stéréotypes négatifs et ont adhéré davantage que les

hommes à des énoncés véhiculant une image plus positive des réalités liées à l’immigration.

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71

Enfin, les entretiens ont permis de confirmer le rôle majeur que jouent les stéréotypes dans les

raisonnements que nous tenons quotidiennement sur ces questions autour de l’immigration.

Même chez nos informateurs en contact étroit avec les réalités effectives de l’immigration,

nous avons retrouvé de nombreuses traces des stéréotypes qui circulent dans le discours

ambiant et qui sont mobilisés presque par réflexe, sans adhésion franche, parfois pour être

contredits ensuite, mais parfois aussi pour venir appuyer un raisonnement pourtant

contestable.

Cela témoigne de l’intérêt de faire circuler un contre-discours permettant que certains de ces

stéréotypes soient davantage interrogés et cela montre la pertinence de mener une campagne

de sensibilisation à ce propos.

Page 72: Français, immigration, intégration: analyse des stéréotypes et des ...

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ANNEXES

Annexe 1 : questionnaire de l’enquête quantitative

Questionnaire anonyme

Pour chaque proposition, indiquez votre degré d’accord en entourant un des chiffres

sur une échelle à cinq valeurs qui se présente comme suit :

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

1= pas du tout d’accord

2= plutôt pas d’accord

3= je ne sais pas

4= plutôt d’accord

5= tout à fait d’accord

Par exemple, si vous êtes « tout à fait d’accord » (valeur 5) avec une proposition X,

complétez comme suit :

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

1. « Il est plus naturel d’utiliser une seule langue dans sa vie de tous les jours que d’en

parler deux ou plusieurs. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

2. « Un individu qui parle couramment deux langues peut atteindre un niveau de maîtrise de ces langues plus élevé que la moyenne, car il a appris à les comparer et à en analyser le fonctionnement. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

3. « Il est facile de reconnaître la langue principale d’une personne bilingue, parce que toute personne n’a qu’une seule langue maternelle. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

4. « Quand on doit régulièrement choisir entre parler français et parler sa langue d’origine, on a nécessairement des difficultés pour se construire une identité. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

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76

5. « En Wallonie, si les élèves issus de l’immigration échouent souvent à l’école, c’est principalement parce qu’ils ne maîtrisent pas bien le français. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

6. « Le bilinguisme n’est bénéfique pour quelqu’un que s’il a appris à ne pas mélanger les langues. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

7. « Il est difficile pour une personne issue de l’immigration de bien apprendre le français si elle continue par ailleurs à utiliser sa langue d’origine (en famille, en regardant la télévision, etc.). »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

8. « Quelqu’un qui n’a pas appris le français très tôt (avant 3 ans) aura toujours des difficultés pour le parler correctement ensuite. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

9. « Un enfant qui doit apprendre deux langues en même temps sera fatigué intellectuellement et aura plus vite des difficultés à l’école. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

10. « Une personne issue de l’immigration qui continue à parler sa langue d’origine montre qu’elle ne veut pas vraiment s’intégrer en Belgique. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

11. « Un enfant qui apprend deux langues en même temps aura tendance à ne parler correctement aucune des deux. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

12. « Les personnes issues de l’immigration ont des difficultés à bien apprendre le français parce que c’est une langue très difficile. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

13. « On ne peut pas apprendre une deuxième langue correctement si on ne maitrise pas tout à fait sa langue maternelle. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

14. « Les personnes qui parlent couramment deux langues développent des capacités intellectuelles supérieures à la moyenne (capacités d’analyse, mémorisation, etc.). »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

15. « Quelqu’un qui apprend à bien parler français réussira sans trop de difficultés à l’école. »

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77

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

16. « Certaines personnes issues de l’immigration ne parlent pas bien français, parce qu’ils sont trop paresseux pour apprendre à bien parler cette langue. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

17. « En Wallonie, il est pratiquement indispensable de connaître plusieurs langues pour trouver un emploi. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

18. « Les écoles où il y a beaucoup d’enfants issus de l’immigration permettent aux élèves belges d’avoir une expérience plus riche de la diversité sociale. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

19. « Bientôt, à Bruxelles, le français sera une langue minoritaire tant les gens parleront des langues de l’immigration. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord

20. « Pour s’intégrer en Belgique, il est surtout important d’être accueilli positivement et de recevoir des chances égales d’insertion socio-économique. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

21. « Quelqu’un qui ne parle pas correctement français ne pourra jamais trouver du travail en Wallonie. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

22. « En Wallonie, quelqu’un qui veut montrer qu’il cherche à s’intégrer fera l’effort de toujours parler français en public, plutôt que dans sa langue d’origine. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

23. « Les gens qui ne parlent pas correctement français ne pourront pas s’installer en Wallonie, y trouver un logement, y faire des rencontres, etc. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

24. « Il est impossible de bien comprendre la culture et les valeurs de la société belge si on ne parle pas correctement français (ou néerlandais). »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

25. « Il y a de plus en plus d’immigrés en Belgique et donc de plus en plus de gens qui ne parlent pas français (ou néerlandais). »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

26. « Quelqu’un qui apprend ou qui continue à parler sa langue d’origine aura tendance à s’enfermer dans sa communauté d’origine. »

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(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

27. « Si certaines personnes issues de l’immigration ne trouvent pas de travail en Wallonie, c’est surtout parce qu’elles ne parlent pas bien français. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

28. « Il est assez facile d’apprendre à bien parler français en Wallonie si on fait quelques efforts et si on a la volonté de s’intégrer. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

29. « Les personnes issues de l’immigration ne devraient obtenir la nationalité belge que si elles montrent qu’elles le méritent en faisant des efforts pour s’intégrer, notamment en apprenant à bien parler français ou néerlandais. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

30. « De nombreuses personnes issues de l’immigration préfèrent rester attachées à leurs racines, leur culture, leur langue, plutôt que s’intégrer et apprendre le français ou le néerlandais. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

31. « Les jeunes issus de l’immigration parlent en général un français très appauvri, qu’ils mélangent souvent avec leur langue d’origine. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

32. « Valoriser ou enseigner les langues de l’immigration, c’est freiner l’apprentissage du français et donc l’intégration des personnes issues de l’immigration. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

33. « En Wallonie, quelqu’un qui ne connaît pas bien les mots en français pour exprimer ce qu’il ressent aura plus vite tendance à résoudre les conflits par la violence physique.»

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

34. « En Wallonie, les élèves issus de l’immigration ont souvent des difficultés scolaires en grande partie parce qu’ils parlent dans leur famille une autre langue que le français. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

35. « La plupart des personnes issues de l’immigration ne parlent pas bien français. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

36. « De nombreux immigrés profitent du système belge sans faire les efforts nécessaires pour s’intégrer, par exemple l’effort de bien apprendre le français (ou le néerlandais).»

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

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37. « La langue parlée par de nombreux jeunes issus de l’immigration est un mélange de plusieurs langues, qui n’est plus ni du français, ni une autre langue. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

38. « Ce qui frappe le plus quand on entend les jeunes issus de l’immigration parler, c’est qu’ils utilisent des expressions vulgaires et parlent de façon agressive. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

39. « Certaines personnes issues de l’immigration ne parlent pas bien français, parce que bien parler cette langue va au-delà de leurs capacités intellectuelles. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

40. « En Wallonie, lorsqu’on sait bien s’exprimer en français, on a moins de raison d’utiliser la violence pour régler les problèmes. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

41. « De nombreuses personnes issues de l’immigration ne parlent correctement ni français ni leur langue d’origine. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

42. « Un enfant issu de l’immigration qui suit des cours pour mieux parler sa langue d’origine aura plus de difficultés à bien maîtriser le français. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

43. « Les parlers d’origine des personnes issues de l’immigration sont plutôt des dialectes et non des langues. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

44. « Quand on entend parler arabe, on a l’impression que c’est une langue agressive. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

45. « Ça ne sert pas à grand-chose de proposer des cours de langues de l’immigration dans les écoles car ce ne sont pas des langues utiles (contrairement à l’anglais par exemple). »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

46. « Dans les écoles de Wallonie, de nombreux élèves finissent par adopter le français malmené des jeunes issus de l’immigration. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

47. « Il y a de plus en plus de familles en Belgique qui parlent uniquement une langue de l’immigration à la maison. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

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80

48. « En Wallonie, on peut s’intégrer à la vie sociale et économique même si on ne parle que très peu français. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

49. « Certaines langues de l’immigration (l’arabe, le russe, etc.) sont des grandes langues de culture internationales. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

50. « Parmi les langues de l’immigration, celles qui sont de grandes langues de culture internationales valent la peine d’être apprises comme langues étrangères. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

51. « Les Belges de souche et issus de l’immigration doivent tous parler français (ou néerlandais) pour partager une identité commune. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

52. « Si chacun apprenait quelques mots dans l’une ou l’autre langue de l’immigration, ("bonjour", "merci", "ça va ?"), cela aiderait les personnes qui parlent ces langues à se sentir intégrées en Belgique. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

53. « Les personnes issues de l’immigration doivent essayer de maintenir leur langue pour ne pas perdre leurs racines et leur identité. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord

54. « La plupart des personnes issues de l’immigration maghrébine ne parlent pas l’arabe correct qui est l’arabe standard, mais plutôt un dialecte de l’arabe. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

55. « Donner plus de place aux langues de l’immigration dans l’espace public, c’est laisser penser que les Belges sont prêts à renoncer à leur culture et à leurs valeurs. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

56. «En Wallonie, les personnes issues de l’immigration connaissent à peu près le même taux de chômage que les Belges de souche de même niveau socio-économique. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

57. « On n’insiste pas assez dans les écoles et au niveau politique sur la nécessité absolue pour les immigrés d’apprendre le français en Wallonie. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

58. « Il n’est pas normal que des gens reçoivent de l’argent du CPAS alors qu’ils ne parlent même pas français (ou néerlandais). »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

Page 81: Français, immigration, intégration: analyse des stéréotypes et des ...

81

59. « Si on les aidait à bien apprendre le français (ou le néerlandais), les immigrés auraient plus envie de s’intégrer en Belgique. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

60. « Dans les écoles de Bruxelles et de Wallonie, la plupart des élèves issus de l’immigration ne sont ni francophones, ni néerlandophones. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

61. « Quelqu’un qui parle français avec un accent étranger ne parle pas correctement français. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

62. « Valoriser ou enseigner certaines langues de l’immigration à l’école pourrait améliorer l’image de l’école auprès des élèves issus de l’immigration et favoriser dès lors leur apprentissage du français. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

63. « En Wallonie, les personnes issues de l’immigration ont des problèmes d’intégration principalement parce qu’elles ne parlent pas français. »

(pas du tout d’accord) 1 2 3 4 5 (tout à fait d’accord)

Page 82: Français, immigration, intégration: analyse des stéréotypes et des ...

82

Fiche personnelle

Vous exercez une fonction d’employeur : □oui □ non

Vous êtes : □ un homme □ une femme

Vous avez…….ans (âge)

Vous habitez à………………… (ville) depuis…………………. (nombre de mois ou d’années)

Vous habitez en Belgique depuis……………….. (nombre de mois ou d’années)

Vous êtes né(e) au/en……………………….. (pays de naissance)

Vos parents sont nés au/en…………………………………… (pays de naissance des parents)

Avec vos parents, vous parliez le…………………et le……………….(langue(s) parlée(s) en famille)

Avec votre famille, vous parlez le……………….et le……………….. (langue(s) parlée(s) en famille)

Votre diplôme le plus « élevé » est celui de :

□ primaire

□ secondaire

□ enseignement supérieur

Le diplôme le plus « élevé » de vos parents est celui de :

Père

□ primaire

□ secondaire

□ enseignement supérieur

Mère

□ primaire

□ secondaire

□ enseignement supérieur

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Annexe 2 : guide d’entretien pour l’enquête qualitative

I. Questions de transition, pour accéder aux représentations les plus spontanées -Y a-t-il selon vous, des difficultés liées à la langue chez les personnes issues de l’immigration? Y a-t-il un problème de « langue » chez les personnes issues de l’immigration ? Dans vos contacts professionnels avec les personnes issues de l’immigration, est-ce que vous observez des difficultés liées à la langue ? -Quelles sont ces difficultés ? -Pourquoi, en quoi ce sont des difficultés, dans quelle situation, quel contexte ? -Quelles sont les conséquences de ces difficultés, qu’est-ce que cela entraine ? -Quelles pourraient être les solutions à ces problèmes, selon vous ?

II. Questions principales et questions-clés A. Vous avez parlé des difficultés linguistiques . Précisez votre vision de la façon de parler des personnes issues de l’immigration.

-comment caractériseriez-vous le niveau de compétence en français des personnes issues de l’immigration ? Parlent-ils bien en général ? Diriez-vous que les élèves issus de l’immigration qui sont dans les écoles de Belgique sont francophones ? Tous ? -comment caractériseriez-vous le français des jeunes issus de l’immigration ? vous le trouvez pauvre ? En quoi ? y a-t-il souvent un mélange avec leur langue d’origine ? Est-ce un problème ? Est-ce du coup moins riche ? -trouvez-vous qu’on puisse dire que c’est du français, même quand il y a beaucoup de mélange ?

B. Pour vous, leur niveau de français est-il en lien étroit avec leurs difficultés d’intégration ? Développez.

-pensez-vous qu’il est essentiel de parler français pour trouver du travail ?pourquoi ? -est-ce vous pensez qu’il est nécessaire de parler français pour être logé, s’installer en Belgique, faire des rencontres, etc. ? -pensez-vous que la cause principale du chômage des personnes issues de l’immigration est la langue ? pourquoi ? -pensez-vous que la cause principale de la non intégration de certains immigrés est la langue également ?pourquoi ? -et pensez-vous qu’ils n’ont pas vraiment envie de s’intégrer en général ?qu’ils ne font pas assez d’efforts, ne sont pas assez motivés ? (pensez-vous que s’ils étaient motivés, ce serait assez simple d’apprendre le français ?) pensez-vous qu’il y en a même qui n’ont pas envie de s’intégrer, qui s’enferment sur leur communauté (notamment en parlant leur langue d’origine ?) Parler sa langue d’origine avec ses amis, sa famille, dans le bus par exemple, c’est un signe de manque de volonté de s’intégrer ? - pensez-vous que les personnes issues de l’immigration ne devraient obtenir la nationalité belge que si elles montrent qu’elles le méritent en faisant des efforts pour s’intégrer, notamment en en apprenant à bien parler français ? Est-ce que vous trouvez que la nationalité doit se mériter, notamment par l’apprentissage de la langue nationale ? Pourquoi ? -pensez-vous que le fait de parler sa langue d’origine à la maison, avec ses proches, etc ait des impacts négatifs sur l’intégration ? -et sur l’apprentissage du français ? (il y a même des enfants qui ont des cours en langue

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d’origine, pensez-vous que ça ait un impact sur l’apprentissage du français ?) -Ou alors cela permettrait de favoriser leur intégration, cela leur permettrait de se sentir intégrées? -pensez-vous notamment que les difficultés scolaires des enfants issus de l’immigration sont en général dues au fait qu’ils parlent à la maison une autre langue que le français (ou le néerlandais)

C. Et cette difficulté à parler français,est- elle est liée au bilinguisme ? Est-ce que c’est en soi un obstacle

-pensez-vous que le bilinguisme peut poser problème ? pourquoi ? -pensez-vous que le monolinguisme est plus naturel, moins dangereux, moins difficile ? Pourquoi ? -pensez-vous que le bilinguisme (dès l’enfance) est dangereux ? -pensez-vous que tout le monde a une seule langue maternelle ? -pensez-vous qu’être bilingue peut rendre difficile la construction d’une identité ? -pensez-vous que pour apprendre une deuxième langue correctement, il faut vraiment maitriser parfaitement sa langue maternelle ? -pensez-vous que le bilinguisme a des effets positifs ? Lesquels ?

D. Est-ce que du coup la présence de langues de l’immigration ne menace pas à termes l’intégration linguistique des nouveaux migrants en ne donnant pas le signal qu’il faut parler français ?

-pensez-vous que le parler des jeunes issus de l’immigration a une influence sur le français ? Quelle est-elle ? Est-ce positif ou négatif ? -pensez-vous que le français est « en danger », en recul à Bruxelles notamment ? -pensez-vous que bientôt, à Bruxelles, le français sera une langue minoritaire tant les gens parleront des langues de l’immigration ?

E. D’un autre côté, est-ce que vous trouvez que c’est normal/compréhensible voire important que les personnes issues de l’immigration maintiennent leur langue d’origine et pourquoi ?

-la langue est-elle importante dans la construction d’une identité ? Pourquoi ? Pour se sentir Belge, pensez-vous qu’il faut nécessairement parler français ou néerlandais ? Pour se sentir proche des autres belges aussi ? -pensez-vous qu’il est important que les personnes issues de l’immigration maintiennent leur langue d’origine ? -pensez-vous qu’on pourrait imaginer de donner plus de place aux langues de l’immigration (comme l’arabe par exemple) dans l’espace public ? Pensez-vous que cela aurait un effet positif /négatif ? Lequel ? -Et pensez-vous que cela laisserait penser que les Belges sont prêts à renoncer à leurs traditions, à leur culture, à leurs valeurs ?

F. Comment voyez-vous ces langues, vous-même vous les appréciez ? Pourquoi / pourquoi pas ?

-comment vous représentez-vous les langues parlées par les personnes issues de l’immigration ? Sont-elles en général des langues ou plutôt des dialectes ? -que pensez-vous de la langue arabe ? Comment trouvez-vous cette langue ?la trouvez-vous agressive ? pourquoi ? -en général, que pensez-vous des langues de l’immigration (arabe, russe, etc.) ? Trouvez-vous

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85

que ce sont toutes des grandes langues de culture internationales ? -pensez-vous que celles qui sont de grandes langues de culture internationales valent la peine d’être apprises comme langues étrangères ? -pensez-vous qu’il est utile de proposer des cours de langues de l’immigration dans les écoles ? Pourquoi (pas) ?

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86

Annexe 3 : composition des sous-catégories au sein de l’échantillon

Figure 1

Figure 2

Figure 3

Figure 4

0%

20%

40%

60%

80%

100%

Adultes Elèves

Composition des groupes "Adultes" et "Elèves" selon l'origine

Orig. immig.

Orig. mixte

Orig. belge

Age1 34%

Age2 45%

Age3 21%

Composition du groupe "Adultes" selon l'âge

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87

Figure 5

Figure 6

0%

20%

40%

60%

80%

100%

Bruxellois Wallons

Composition des groupes "Bruxellois" et "Wallons" selon l'occupation

Eleves

Adultes

0%

20%

40%

60%

80%

100%

Bruxellois Wallons

Composition des groupes "Bruxellois" et "Wallons" selon la catégorie sociale

Cat. soc. 4

Cat. soc.3

Cat. soc. 2

Cat. soc.1

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88

Figure 7

Figure 8

0%

20%

40%

60%

80%

100%

Bruxellois Wallons

Composition des groupes "Bruxellois" et "Wallons" selon l'origine

Orig. immig.

Orig. mixte

Orig. belge

0%

20%

40%

60%

80%

100%

Age 1 Age 2 Age 3

Composition des groupes "Age 1", "Age 2" et "Age 3" selon la catégorie sociale

Cat. soc. 4

Cat. soc.3

Cat. soc. 2

Cat. soc.1

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89

Figure 9

Figure 10

0%

20%

40%

60%

80%

100%

Orig. belge Orig. mixte Orig. immig.

Composition des groupes "Orig. belge", "Orig. mixte" et "Orig. immig." selon la

catégorie sociale

Cat. soc. 4

Cat. soc.3

Cat. soc. 2

Cat. soc.1

0%

20%

40%

60%

80%

100%

Hommes Femmes

Composition des groupes "Hommes" et "Femmes" selon l'âge

Age3

Age2

Age1

0%

20%

40%

60%

80%

100%

Hommes Femmes

Composition des groupes "Hommes" et "Femmes" selon l'occupation

Eleves

Adultes

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90

Figure 11

Figure 12

0%

20%

40%

60%

80%

100%

Hommes Femmes

Composition des groupes "Hommes" et "Femmes" selon la catégorie sociale

Cat. soc. 4

Cat. soc.3

Cat. soc. 2

Cat. soc.1

0%

20%

40%

60%

80%

100%

Hommes Femmes

Composition des groupes "Hommes" et "Femmes" selon l'origine

Orig. immig.

Orig. mixte

Orig. belge