Fralib, Pilpa, Demain se créé aujourd'hui

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  • 8/19/2019 Fralib, Pilpa, Demain se créé aujourd'hui

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      LE LOT EN ACTION n°94 - vendredi 2 octobre 2015 P 15 

    1973. Aux usines Lip de Besançon, commence la grève la plus emblématique de l'après 68. Un mouvement de lutte incroyable, une épopée ouvrière qui

    dura plusieurs années, mobilisa des foules entières en France et en Europe, multiplia les actions illégales et les gestes audacieux, porta la démocratie

    directe et l'imagination à incandescence, faisant peur au pouvoir. LIP, c'est un appel à l'insurrection des esprits contre la fatalité. Ce combat symbolisa

    l'espoir et les rêves de toute une génération, mais il résonne encore aujourd'hui avec une force singulière.

    Entre 1998 et 2002, de l'autre côté de l'Atlantique, l'Argentine est en proie aux diktats du FMI et sombre dans une crise sociale et économique violente.

    Nombre d'entreprises ferment leur porte, parfois du jour au lendemain. Naît alors le mouvement des ERT, les entreprises récupérées par les travailleurs,

    avec plus de 300 coopératives créées.

    En France, le fameux slogan des LIP, en 1973, « on fabrique, on vend, on se paie ! » est remis au goût du jour avec l'aventure des Fralib et des Pilpa. Ces

    deux entreprises rachetées par des multinationales, comme tant d'autres, ont été pillées de leur savoir-faire et jetées à la poubelle, leurs salariés n'étant

    alors qu'une simple petite variable d'ajustement. Nous consacrons ce dossier central à ces deux coopérative ouvrières (via deux articles de Basta mag etde l'Association Autogestion) qui s'inscrivent dans la continuité de cette histoire, qui n'en est probablement qu'à son tout début. Produire sans patron,

    et parfois même sans capitaux propres n'est pas une illusion.

    Mais la question qui se pose inévitablement est, bien sûr, celle de la nalité de la production. Tout mode de production est un ensemble cohérent, même

    ses incohérences apparentes en font partie. Mettre en autogestion une usine de fabrication d'armes ne présente aucun intérêt ! Plus fondamentale en-

    core, l'organisation administrative aussi bien que technique de cette production est toujours au service des intérêts des classes possédantes et participe

    de la reproduction élargie de leur pouvoir. L'administration hiérarchique favorise l'intériorisation par les ouvriers de la soumission, et la technique or-

    ganise la dépossession de chacun de ses actes, qui est l'essence même de notre aliénation. Vécue, dans un premier temps comme une mesure de survie

    prise dans l'urgence, la mise en autogestion est ce moment où, dans la dynamique de l'action, doivent se poser toutes les questions liées à la nalité de

    cette production. En premier lieu, que produit-on et comment le produit-on ? Dans toutes ces expériences ces questions on en effet été posées. Toujours.

    Mais le pas qui n'a pas encore été franchi est celui de l'insertion d'une production sous contrôle ouvrier dans un monde lié aux prots et aux marchan-

    dises. En effet, à moins d'être insérée dans une société toute entière dédiée à « l'autogestion de tous les aspects de la vie », l'autogestion trouve devant

    elle toute la force du mode de production majoritaire. Et à chaque fois, ces magniques expériences se sont heurtées à la répression, aux sabotages par

    le grand patronat ou à une récupération par la transformation de ces coopératives en associations à but uniquement lucratif. Ce sont là les limites qui

    n'ont toujours pas été franchies.

    Mais ce n'est pas parce que ce pas n'a pas été fait qu'il nous faut désespérer de ces moments de l'histoire humaine. Plus nombreux qu'on ne se l'imagine,

    ils courent de la Russie de 17 à l'Espagne de 36, en passant par la Bavière et l'Italie en 1920. Ils ont existé, même si le pouvoir voudrait nous le faire oublier,

    toujours ils sont revenus et reviendront, « jusqu'au moment où tout retour en arrière sera devenu impossible ».

    près quatre années d’un rude combat,la soixantaine de coopérateurs de laSociété coopérative ouvrière proven-

    çale thé et infusions, les ex-Fralib, lancent1336 et ScopTI, leurs nouvelles marques.Exit les actionnaires d’Unilever, l’anciennemultinationale propriétaire, les arômes ar-tificiels et le management néolibéral. Bien-venue à la politique salariale décidée enconsensus, au tilleul bio et au thé cente-naire. À Carcassonne, les anciens employésde la Fabrique du Sud se sont engagés dansle même type d’aventure, pour la fabrica-tion de crèmes glacées. Reportage auprèsde ces coopératives en quête d’une nou-velle éthique, de véritable progrès social etenvironnemental.

    Rien que le bureau de la direction a dequoi provoquer des sueurs froides chez unadhérent du Medef. Déjà, il y a la plaque.En la lisant, un représentant patronal man-querait probablement de s’étouffer en cestemps de remise en cause du dialogue so-cial : « Direction. Comité d’entreprise. Syn-dicat ». Puis la décoration du bureau de ladirection, où trône un portrait du Che, etoù traîne non pas un audit pour réduire le

    coût du travail, mais une attestation syndi-cale reçue lors d’un récent voyage à Cuba.Malaise assuré pour un PDG traditionnel.

    Nous ne sommes pas, justement, dans

    une entreprise traditionnelle. Bienvenuedans l’usine de fabrication des thés et in-fusions de Gémenos (Bouches-du-Rhône),autrefois propriété du géant alimentaireUnilever, aujourd’hui coopérative reprisepar une grande partie des salariés aprèsquatre ans de lutte contre la liquidation.Pour dévoiler leur nouvelle marque, lesex-Fralib ont choisi le 26 mai, date à la-quelle le protocole d’accord de fin deconflit a été signé en 2014 avec la direc-tion d’Unilever. La marque phare sera dé-sormais "1336", référence au nombre de jours de lutte qu’il a fallu aux salariés pourfaire plier la multinationale anglo-néerlan-daise. L’annonce publique, faite hier mardisur le site à 13h36, en présence de nom-

    breux médias et soutiens, a donné lieu àquelques larmes. Émotion non feinte : lanaissance de ces deux nouvelles marques"1336" (« éveille les consciences, réveille lespapilles ») et "ScopTI" (« engagé sur l’hu-main, engagé sur le goût ») symbolise bienle début d’une nouvelle aventure pour cessalariés devenus leurs propres patrons.

    La coopérative ouvrière provençale est dé-sormais dirigée par un trio de syndicalistes,désignés par le Conseil d’administrationissu de l’assemblée générale des coopé-rateurs. Gérard Cazorla, ex-secrétaire CGTdu comité d’entreprise de Fralib, en est leprésident, Olivier Leberquier, ancien délé-gué syndical CGT, le directeur général délé-gué et Marc Decugis, le directeur général.Gérard Affagard, ancien délégué CFE-CGC,désormais à la retraite après avoir partici-pé à la lutte de bout en bout, présidera luil’association Force et bon thé dont l’objetsera de soutenir et de faire connaître lacoopérative. Prix de la cotisation annuelle :13,36 euros. Forcément.

    1336 jours de lutte

    et une année de transitionQuelques jours avant l’annonce, à l’ex-

    térieur, le parfum de lutte s’est estompé.Les barricades ont été remisées, les tagset graffitis nettoyés. Dans l’Algeco à l’en-trée, un salarié en tenue verte distribue lesbadges aux visiteurs. L’usine est clairseméemais ceux qui s’y trouvent ont déjà la têteet les mains au travail, testant méthodique-ment les nouveaux sachets en plastiquesur les chaînes où défilent des emballages

    Lipton et Éléphant - la marque embléma-tique qu’Unilever n’a pas voulu céder. « Onutilise les stocks restants pour faire nos es-sais », confient Fred et Yves, responsables

    du bureau planning logistique et achat.« Dans les semaines qui viennent, 22 coo-pérateurs de plus vont entrer en tant quesalariés, assure Gérard Cazorla. On devraitêtre prêts pour une reprise de la produc-tion fin juin. »

    Après, donc, 1336 jours de lutte et uneannée de transition, les sept premierscontrats de travail ont été signés le 11 mai.Sur les 76 femmes et hommes concernéspar l’accord de fin de conflit, ils sont au

    Suite du dossier >

    Dossier préparé par Bill et Bluboux

    Les anciens de Fralib et leur coopérative lancent 

    le thé de la transformation sociale et écologiquePar Emmanuel Riondé et Jean de Peña (Basta mag)

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    Carcassonne. Fin de semaine à la Fa-brique du Sud, la coopérative qui amaintenu l’activité de production de

    crèmes glacées suite à la fermeture du sitePilpa par le groupe R&R. Comme dans denombreuses entreprises industrielles unvendredi après-midi, les machines s’ar-rêtent, les bureaux se rangent. Pourtant,devant le parking déjà désert, des salariéss’activent pour charger une camionnettegarée devant l’entrée. « As-tu déjà embar-qué les dernières documentations ? Le pré-sentoir est-il là ? » demande l’un d’eux. Cecamion se prépare pour aller ce soir et toutle week-end à la « moustoussade » du vil-

    lage voisin de Villemoustaussou, une fêtealliant rencontres de fanfares (bandas) etfoire gourmande. Les anciens de Pilpa, leurlutte et leur nouvelle gamme de glaces LaBelle Aude (1) font définitivement partie dupaysage local.

    Un fonds d’investissement à l’origine d’une désindustrialisation

    Ils reviennent pourtant de très loin, cesanciens de Pilpa. Il s’agissait à l’origine dela filiale d’une coopérative agricole, 3A,qui s’était positionnée sur le créneau desmarques de distributeurs (2). Faisant face àdes difficultés économiques, 3A a dû, en

    septembre 2011, vendre l’entreprise à sonprincipal concurrent et leader européen surce marché, R&R, lequel appartient au fondsd’investissement américain Oaktree Capi-tal Management. Dix mois après, en juillet2012, R&R annonce la fermeture de l’en-treprise, récupérant ainsi le portefeuille desmarques de Pilpa, centralisant la produc-tion en Bretagne et laissant sur le carreauplus de cent salariés sans parler des intéri-maires qui étaient régulièrement recrutésau printemps pour préparer la saison esti-vale… Les salariés ne l’entendaient pas ain-si et ont engagé une lutte largement ap-puyée par la population locale. Un an plustard, en juillet 2013, les salariés signentun accord avec R&R dans lequel tous ob-tiennent des indemnités de licenciement,dont une partie supra légale, représentantentre quatorze et trente-sept mois de sa-laire brut ainsi qu’un budget de formationde 6 000 euros par salarié. Par ailleurs, R&Rappuie la formation d’une SCOP – sous ré-

    serve que celle-ci ne se positionne pas surle créneau des marques de distributeurs –en cédant certaines machines et en la sub-ventionnant pour plus d’un million d’eurosen investissements et en formations. Enavril 2014, dix-neuf salariés-sociétaires lan-çaient la Fabrique du Sud, une coopérativeouvrière qui allait proposer des crèmes gla-cées de qualité artisanale avec des ingré-dients naturels et si possible locaux.

    Une première année réussie

    La première année a été un véritable suc-cès pour les nouveaux coopérateurs. Ilsont dépassé leur objectif initial de 620 000euros et ont réussi à s’implanter dans denombreux magasins et supermarchés desenvirons. Un effet de la lutte ou la qualitéintrinsèque des produits ? « Les deux fac-teurs ont joué » répond sans hésiter Chris-tophe Barbier, Président du conseil d’ad-ministration et directeur commercial del’entreprise. « 80 % de nos ventes de l’an-

    final 57 coopérateurs. Et 51 sont promis àêtre salariés de la coopérative (1). Au boutde quatre ans de lutte, certains ont préfé-ré partir avec les indemnités. D’autres, quin’étaient pas loin de la retraite au momentde l’annonce de la fermeture en 2010, ontdécidé de la prendre. Les treize élus syndi-caux de Fralib, licenciés seulement en jan-

    vier dernier, lors du dernier « plan social »d’Unilever, iront au bout de leur congé dereclassement avant de se faire embaucherpar la coopérative.

    « L’écart des salaires allait 

    de 1 à 210, chez nous

    ce sera de 1 à 1,3 »L’année passée a été consacrée à préparer

    l’avenir : mise en place de la structure coo-pérative, réorganisation des équipes, priseen main des enjeux commerciaux, finalisa-tion des partenariats, établissement d’unbusiness plan... Les 2,85 millions d’ € « fon-gibles », arrachés au cours des négociationsont permis, entre autres, d’embaucher desprestataires extérieurs (2), comme « l’équipede jeunes » spécialistes du marketing, avecqui les nouveaux logos et marques ont étéfaçonnés.

    Résolument tournés vers les enjeux à venir,ces salariés-patrons sont désormais débar-rassés d’ « actionnaires à payer ». Ce qui negarantit en rien l’absence de problèmes !« Après des mois de discussions et de débats,nous avons réussi à décider collectivementde la politique salariale, soupire Gérard Ca-zorla. Chez Unilever, l’écart entre les salairesallait de 1 à 210, chez nous ce sera de 1 à1,3. » Un salaire par catégorie. Le plus faibledevrait tourner autour de 1480 euros net etle plus élevé, autour de 1880 euros, payé sur

    13 mois et sans compter les aides aux chô-meurs créant ou reprenant une entreprise(Accre).

    Partenariat avec les enseignes 

    spécialisées BiocoopCôté production, 250 tonnes de thé et d’in-fusions doivent être produites la premièreannée. Avec l’objectif d’arriver, d’ici 2019, àen fabriquer 1000 tonnes par an (3). Au dé-but, la majeure partie de la production (envi-ron 60 %) devrait être vendue et condition-née pour des marques distributeurs. L’autrepartie sera commercialisée sous les marques1336 dans la grande distribution et ScopTIsur les rayons des enseignes spécialisées Bio-coop. Les deux marques reviennent à une« aromatisation 100 % naturelle ». ScopTI neproposera que du bio, produit en France –sauf le thé, bien entendu. 1336, se conten-tera, elle, de « privilégier » le bio et la produc-tion française.

    C’est la grande nouveauté : cégétistes et sa-lariés en lutte se sont mis au bio. « C’est unedémarche commerciale bien sûr, mais celarépond aussi à une volonté ancienne de pro-poser des produits de qualité à nos clients »,explique Bernard, 52 ans, opérateur sur lachaîne de production. « Dès janvier 2011,abonde Gérard Cazorla, nous avions défen-du le principe d’un retour à l’aromatisationnaturelle. » La certification Écocert est déjàacquise pour l’usine.

    Du côté de la Scop TI aussi, on pense « cir-cuits courts » et participation à la « recons-

    truction des filières nationales ». La coopé-rative de Gémenos a passé un accord avecle Syndicat des producteurs de tilleul voi-sins. Une quarantaine de producteurs instal-lés dans la Drôme approvisionneront désor-mais la coopérative en tilleul sec, malgré unprix (entre 16 et 18  € /kg) deux fois plus cherque celui produit en Chine ou en Europe del’Est. « Le tilleul qu’Unilever va chercher àl’Est coûte certes moins cher à l’achat, maisil passe par le port d’Hambourg, repart à Ka-towice en Pologne pour être conditionné et

    revient en France pour être vendu... Nous,entre son lieu de production et l’usine, il fera180 km », explique Gérard Cazorla. En termed’empreinte carbone, la démonstration estimparable...

    Création d’emplois indirects 

    en FranceLa qualité joue aussi un rôle : « En Chine ou

    en Europe de l’Est, ils mettent des additifset allongent les délais de cueillette quitte àlaisser la fleur tourner, ce qui leur permet devendre à 8 euros le kilo... », déplore NicolasChauvet, président du syndicat des produc-teurs de tilleul des Baronnies, au sud de laDrôme. L’accord ouvre des perspectives, mo-destes mais réelles, de revivification d’uneproduction locale et d’emplois indirects. « Sile projet de la Scop marche, des personnesqui ne cueillent plus s’y remettront peut-être : ce qui signifie de la taille, de l’entre-tien, une plus-value paysagère. Et pourquoipas la création d’un emploi au sein du syn-dicat, un peu d’investissement dans des cel-

    lules de froid ? On peut imaginer la relanced’une petite activité autour de ça dans la ré-gion », s’enthousiasme Nicolas Chauvet.

    Reste que le cœur de métier historiquedes ouvriers de Gémenos est bien le thé.Qu’il faut aller chercher en Asie, en parti-culier au Vietnam. Une filière y est débus-quée en 2012, avec le concours de la Fédéra-tion agroalimentaire (FNAF) de la CGT et duConseil général du Val-de-Marne. Olivier Le-berquier était sur place courant mai, dans laprovince du Yên Bái, pour revoir les produitset discuter de leurs prix avec les producteursde ces « thés vert et noir centenaires de trèsgrande qualité », et pour certains desquels« des processus de certification bio sont encours » et très avancés.

    Commerce équitable en Asie ?Quid de la dimension sociale à l’autre

    bout du globe, à l’heure où de nombreusesmarques occidentales, dans le textile oul’agroalimentaire, sont critiquées pour leurrecours à du travail indigne ? « On en a tenucompte, assure Olivier Leberquier. En passantun accord avec eux, on assure du travail etdonc une certaine autonomie à des ethniesminoritaires vivant dans cette partie du paysoù elles cherchent des débouchés écono-

    miques. Ensuite, il s’agit d’acheter à un prixqui assure des revenus décents aux produc-teurs tout en restant à un seuil qui nous per-mette de proposer un thé accessible à nosclients en France. On ne veut pas vendre unthé réservé aux classes aisées. On tient à ceque ceux qui n’ont pas les moyens de payer5 euros les 50 grammes puissent eux aussiaccéder à des thés de qualité. »

    Les discussions en cours ont déjà permis deréduire les prix. Dans la même zone, d’autresthés « d’excellente qualité » mais plus abor-dables, sont en lice. Et la coopérative ne sefournira pas qu’au Vietnam : la Chine, leLaos, le Kenya ou Madagascar sont évoqués.Bienvenue dans le grand bain de la globalisa-tion… Cette quête d’un équilibre idéal, entrequalité des produits, prix abordable et rétri-

    bution décente, présage encore de longuesheures de réflexions et de débats au seinde la coopérative de Gémenos. Cela tombebien, dans le cadre de leur congé de reclas-sement, Olivier et Gérard se sont inscrits àMontpellier dans une formation longue degestion d’entreprise de l’économie sociale etsolidaire. « C’est une formation diplômante,se félicite Gérard Cazorla. Et on n’a vraimentpas fait exprès mais les cours débutent le 28septembre ! » Soit cinq ans, jour pour jour,après l’annonce de la fermeture de l’usinepar le géant Unilever. À Gémenos, le goût duthé a celui des anniversaires 

    Article d'Emmanuel Riondé (photos : Jean de Peña), publié le 27mai 2015 : http://bit.ly/1NYz3aM 

    .Notes 

    (1) Les Fralib étaient 182 salariés au moment de l’annonce de lafermeture de l’usine de Gémenos par Unilever le 28 septembre2010.(2) Cette somme fait partie des quelques 20 millions d’euros cédésau final par Unilever aux ex-salariés de Fralib. Il faut y ajouter lesindemnités légales et supralégales des salariés (autour de 10 mil- lions) et la valeur comptable de l’outil industriel - en l’occurrencele site, l’usine et l’outillage, récupérés par la Communauté urbainede Marseille Provence métropole en septembre 2012 (estimés à7 millions).(3) L’usine, qui compte six lignes de production distinctes avec destechnologies différentes, est en capacité de produire 6000 tonnespar an. Au moment de la fermeture en 2010, elle en faisait encore3000.

    L’an II de La Fabrique du SudPar Benoît Borrits

    Après une première année particulièrement réussie, la coopérative de production

    de crèmes glacées La Fabrique du Sud prépare sa seconde saison estivale.

    Ayant pris la suite de l’usine Pilpa fermée par un fonds d’investissement,

    ces ex-salariés de l’entreprise réinventent au jour le jour de nouvelles façons

    de travailler, plus démocratiques et plus respectueuses du consommateur et

    de l’environnement.

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    née dernière ont été réalisées dans le dé-partement de l’Aude. Notre lutte a indiscu-tablement joué un rôle dans ce chiffre maisla qualité du produit aussi, faute de quoiles acheteurs ne reviennent pas. » Autourd’une glace à la réglisse, un des trois nou-veaux parfums de la marque La Belle Aude,Christophe Barbier se montre intarissablequant à la question du goût : « Sur trenteans, les ingrédients ont perdu en qualité.On rajoute du sucre, des adjuvants, descolorants. On a tellement dénaturé les ali-ments que l’on a perdu les goûts qu’affec-tionnaient nos parents et grand-parents. »

    Il est vrai qu’il n’y a pas photo en termede couleurs entre les anciennes glaces Pilpaet La Belle Aude : d’un côté, des couleurscriardes, de l’autre, les teintes naturellesdes ingrédients.

    Le pari de La Fabrique du Sud est loind’être gagné même si les débuts sont plusqu’encourageants. Les coopérateurs pro- jettent cette année de réaliser 1,5 milliond’euros et 2,5 millions en 2016, exerciceoù l’équilibre financier devrait être atteint.La coopérative entend poursuivre son dé-veloppement local mais aussi se faire réfé-rencer chez Carrefour Sud-est, Sud-ouestet Île-de-France : une belle réussite pourune si jeune entreprise.

    Pragmatisme et polyvalenceCette histoire est belle et pourtant elle estloin d’être un long fleuve tranquille. Aprèsun démarrage réussi, les coopérateursdoivent désormais assurer une croissance à100 %. Si la vente est un prérequis, l’inten-dance doit suivre et c’est là que les coopé-rateurs doivent faire preuve d’inventivité.Ce vendredi, les stocks de lait ont été réap-provisionnés trop tard. Qu’à cela ne tienne,les salariés de la production ont décidé dese retrouver samedi à cinq heures du matin

    pour terminer raisonnablement tôt afin depréserver le repos du week-end. « Aupara-vant, on entendait le terme « flux tendu ».Maintenant, on le vit et on comprend ceque cela signifie y compris en finance » ex-plique mi-sérieux mi-amusé Maxime Jarne.« On a eu quatre semaines de très grossescommandes et nos stocks ont fondu. On a

    dû faire appel à trois intervenants extérieursen CDD. » La Fabrique du Sud développe-rait-elle l’emploi précaire comme le faisaitPilpa à grande échelle ? « Non, répond ca-tégoriquement Maxime Jarne, ce n’est pasnotre modèle. Nous souhaitons élargir lespériodes de production grâce à des inves-tissements en chambre froide et en sollici-tant à chaque saison le personnel adminis-tratif et commercial à la production. » Il estvrai que les trois jeunes embauchés sont desconnaissances des salariés de la SCOP quiavaient suivi la lutte. Une nouvelle chambrefroide de 160 palettes vient d’être instal-lée dans les locaux mais « celle-là, on l’a eubien trop tard » souligne Maxime. Par ail-leurs, la polyvalence est un maître mot dans

    cette entreprise. Plutôt que d’embaucherdes commerciaux professionnels, les coo-pérateurs ont préféré que ceux-ci viennentde leurs propres rangs. Ce sont quatre an-ciens glaciers, dont Christophe Barbier, l’ac-tuel Président du conseil d’administration,qui sont aujourd’hui les porte-parole de lamarque La Belle Aude : quoi de mieux quede connaître le produit pour en parler ? Etcette pratique sans doute décriée dans lescours de management a fonctionné commeen témoignent les premiers résultats.

    Stéphane Maynadier, travaille à la pasteu-risation et revendique cette polyvalence :« Cet hiver, j’ai été commercial durant troismois. C’était une opportunité de se formeret c’était intéressant d’avoir des contacts

    avec nos acheteurs. » Il n’a de cesse de com-parer la situation entre Pilpa et La Fabriquedu Sud. « Avant, c’était alimentaire : avoirun salaire à la fin du mois. J’avais perdu lamotivation, je faisais mes heures. Mainte-nant, je viens travailler mais je ne me senspas salarié. Je me suis approprié la vie del’entreprise. » Un autre état d’esprit sembles’instaurer comme en témoigne l’abandonde la pointeuse. Aujourd’hui les salariés re-portent leurs heures sur des fiches carton-nées dans un climat de confiance mutuelle.

    Son collègue, Jérôme Samso, responsablede ligne et de contrôle qualité, abonde :« C’est bien d’avoir cette indépendance. Jeviens quand je veux sous réserve bien sûrde respecter le travail des collègues. »

    Salaires et syndicatsPourtant, tout n’est pas rose à la Fabrique

    du Sud. « Je touche 300 euros de moinsqu’avant » tient à préciser Jérôme Samso.Suite à la fermeture par R&R de cette unitéde production, tous les coopérateurs ontdû faire des efforts significatifs sur la feuillede paye : se lancer sur un nouveau marchéne permet pas de garantir immédiatementles revenus antérieurs. Comment alorsdéfinir les nouveaux salaires ? Les travail-leurs des SCOP ayant un statut salarié (3),il a fallu garantir les minima salariaux dela Convention collective nationale de l’in-dustrie des glaces, sorbets et crèmes gla-cées. Ceci a induit des différences de sa-laires certes faibles – de 1250 euros à 1450euros – mais qui passent mal auprès dequelques personnes au premier échelon (4)

    qui, dans le cadre des sacrifices à consen-tir, auraient préféré que l’entreprise adoptele salaire unique. Dans un tel cas, il auraitfallu aligner par le haut, risque que la ma-

     jorité des coopérateurs ne souhaitaient pasprendre. « Il y en a qui ne comprennent pasqu’il y a des différences parce que les fonc-tions sont différentes » lance Jérôme Sam-so. Une discussion que l’on retrouve assezsouvent dans les coopératives de travail etqui n’a pas de solution évidente…

    Mais est-ce que le syndicat aurait un rôleà jouer sur ce sujet ? Quel serait d’ailleursson rôle dans une coopérative où les tra-vailleurs détiennent l’entreprise ? À la Fa-brique du sud, tous les travailleurs, à l’ex-ception des trois personnes en CDD, sont

    sociétaires et se réunissent une fois tousles mois en « Assemblée de Salariés » pourdébattre de la vie de l’entreprise. Tout lemonde est ainsi à la fois patron et salarié…Stéphane Maynadier, secrétaire du syndi-cat CGT, n’y va pas par quatre chemins :« J’ai de plus en plus de mal à me dire quec’est nécessaire si le fonctionnement estcomme je le vois. » Son collègue, JérômeSamso, aujourd’hui délégué du personnel,était non syndiqué durant la lutte. Il a choi-si récemment d’adhérer « car c’est grâce à

    la CGT qu’on a obtenu de pouvoir conti-nuer à produire. » Plus par solidarité quepar nécessité.

    Alors, demain, quel avenir pour la SCOP ?Les coopérateurs ont encore deux an-nées difficiles à parcourir avant d’arriverà l’équilibre. Pragmatisme, polyvalence etdémocratie sont les maître mots de cetteaventure profondément humaine. Une fois

    cet équilibre atteint, tout sera possible.« Même si le produit est artisanal, on ai-merait concurrencer Haagen-Dazs ou Ben& Jerry’s au niveau national. Pour cela, ilfaut une impulsion d’achat sur une basecitoyenne » s’enthousiasme ChristopheBarbier. C’est ici qu’il sera important demaintenir vivantes les origines et l’histoirede cette coopérative afin d’acheter un peuplus qu’une glace, une aspiration à uneautre économie. « R&R faisait du profit,nous, nous faisons d’abord des produits »rappelle Christophe. Sans doute un bon ré-sumé de cette petite révolution qui est entrain de se dérouler à Carcassonne et quichange énormément de choses sur le ter-

    rain de l’Humain comme de l’écologie. 

    Article de Benoît Borrits publié sur le site Association Autogestion :http://www.autogestion.asso.fr/?p=5310 

    Notes : 

    (1) Voir leur site : http://www.labelleaude.fr/(2) Une marque de distributeur, ou MDD, est une marque crééeet détenue par un distributeur et utilisée pour commercialiser desproduits fabriqués sur demande par des industriels selon un cahierdes charges précis établi par le distributeur. Pilpa travaillait ainsipour Carrefour, Système U, Leclerc, Auchan, Disney, Oasis.(3) À la différence des coopératives de travail espagnoles ou ar- gentines où les travailleurs ont un statut d’indépendant.(4) 11 personnes sur 19 sont au premier échelon, c’est-à-dire la ma-  jorité absolue 

    Comme le déclarait José Abellí en 2009,le phénomène de récupération d’entre-

    prises par les travailleurs est au- jourd’hui bien ancré dans la classe ouvrièreargentine : « Aujourd’hui, quel que soitl’endroit dans le pays, lorsqu’une entre- prise ferme, les travailleurs brandissent ledrapeau de l’autogestion. C’est le grandacquis de la lutte de la classe ouvrièreargentine » . Il n’est donc pas qu’un loin-

    tain souvenir de la crise de 2001 commele confirmait également Andrés Ruggeri en

    2010  « les entreprises récupérées par lestravailleurs, non seulement, n’ont pas dis- paru mais elles se sont converties en uneoption que les travailleurs reconnaissentcomme valide, malgré toutes les difficul- tés, plutôt que de se résigner à la ferme- ture des entreprises » .

    Les premiers éléments de la quatrième en-

    quête nationale sur les entreprises récupé-rées par les travailleurs (ERT) réalisée parle programme « Faculté ouverte » de l’uni-versité de Buenos Aires en mars 2014 enapportent une démonstration éclatante.Elle indique que ce sont plus de 60 entre-prises qui ont été récupérées ces trois der-nières années et 2 500 emplois qui ont étépréservés. Depuis 2001, plus de 300 entre-prises en faillite ou abandonnées par leurspropriétaires ont été reconverties par leursanciens travailleurs, même si beaucoup

    courent le risque d’être contestées par desdécisions de justice.

    Si la nouvelle loi de 2011 avait initialementété perçue comme une avancée, dans lamesure où elle permettait au juge d’accor-der la poursuite de l’activité des entreprisessous le contrôle de coopératives de travail-leurs, il n’en demeure pas moins que dans

    la pratique, le juge conserve toute latitudepour permettre cette possibilité et qu’il enabuse parfois au détriment des travailleurs.Les faits le confirment puisque seuls 9,7 %des nouveaux cas de récupération ont puprofiter de ce recours. Alors qu’en 2010,63% des ERT avaient obtenu une loi d’ex-propriation, seuls 19% des cas postérieursy sont parvenus.

    Pour autant, ce cadre juridique ne freinepas les récupérations d’entreprises. Bien aucontraire, devant les fermetures intempes-tives d’usines le processus se poursuit. Se-lon l’enquête, sur la période 2010-2013, cesont précisément 63 initiatives d’autoges-tion qui ont été engagées permettant depréserver 2 664 postes de travail.

    Les évolutions relevées lors

    de la dernière enquêteDepuis les premiers relevés, réalisés entre2001 et 2002, jusqu’au dernier, le Pro-gramme « Faculté Ouverte »  a comptabilisé311 entreprises récupérées, autant de pro-cessus qui ont permis de préserver l’emploide 13 462 travailleurs dans le pays.

    Pour Andrés Ruggeri : « Il y Suite du dossier >

    Plus de 60 entreprises récupérées 

    en trois ans en ArgentinePar Richard NeuvilleLa quatrième enquête nationale sur les entreprises récupérées par les travailleurs

    (ERT), et réalisée par le programme « Faculté ouverte » de l’université de Buenos

    Aires, conrme que le mouvement argentin des entreprises récupérées s’inscrit dans

    la durée. Depuis 2001, plus de 300 entreprises en faillite ou abandonnées par leurs

    propriétaires, ont été reconverties par leurs anciens travailleurs et parmi elles, 60

    l’ont été sur les trois dernières années. Si l’incertitude juridique autour de ces proces-

    sus reste forte, il apparaît que la voie de la récupération par les salariés reste une

    option valide, de plus en plus soutenue par les syndicats.

  • 8/19/2019 Fralib, Pilpa, Demain se créé aujourd'hui

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    P 18  LE LOT EN ACTION n° 94 - vendredi 2 octobre 2015

    treprises argentines récupérées est uneréférence au plan international. À notreconnaissance, c’est le plus important dumonde. Les travailleurs ont adopté la ré- cupération des entreprises comme un ou- til viable quand les possibilités d’emploi serestreignent, parce qu’ils la voient commeune option et une réalité » .

    Une autre enquête du ministère du Travail,datée de novembre 2013, confirme égale-ment la vitalité des unités productives autogé-rées en Argentine, puisqu’elle en dénombre786, dont 98 % de coopératives, impliquant28 000 travailleurs dans tout le pays.

    L’enquête du programme « Faculté ou- verte »   démontre effectivement que leprocessus de récupération d’entreprisespar les travailleurs en Argentine n'est pasqu’un lointain souvenir de la crise et, quemalgré des difficultés légales, il est bienancrés dans la classe ouvrière. Comme ledéclarait Andrés Ruggeri lors de la ren-contre internationale « L’économie des tra- vailleurs »   chez les Fralib à Gémenos endébut d’année, « l’aspiration à la démocra- 

    tisation de la production et à la redistribu- 

    tion des richesses est inscrit dans l’ADN destravailleurs ». 

    Extraits d'un article de Richard Neuville publié sur le site Associa- 

    tion Autogestion : http://www.autogestion.asso.fr/?p=4227 

    reste à payer accompagné des intérêts. Dequoi être facilement endetté à vie ! Diffi-cile à mettre en œuvre dans les Scop oùle dirigeant est un salarié comme un autrequi ne tirera aucun bénéfice particulier dela réussite de la Scop autre que celui desautres coopérateurs. Sofiscop a été conçudans les années 1980 pour répondre à cebesoin en se portant, moyennant commis-sion, caution solidaire à l’égard du Créditcoopératif jusqu’à 50 % du prêt accordé.À noter que cette garantie peut complétercelle que Bpifrance peut aussi accorder.

    Vers la disparition

    du capital social ?Cette combinaison d’outils permet de réa-

    liser des opérations de financement danslesquelles la part des salariés est infime.On cite souvent en exemple la reprise en2004 de l’entreprise Ceralep dans la Drômepour laquelle il fallait réunir 900 000 eurosde fonds de roulement et dans laquelle lessalariés n’ont au final apporté que 51 000euros, soit 5,7 % de ceux-ci. Plus récem-ment, en 2012, l’entreprise de haute tech-nologie SET a été reprise par ses salariésavec le concours des mêmes organismes.Sur 2 millions d’euros environ, les salariésont mis 160 000 euros. On peut aussi ci-ter la reprise de l’imprimerie Reprotech-nique où les 70 000 euros des salariés ontété abondés par un prêt d’honneur de200 000 euros du Conseil régional et un

    apport de Socoden de 100 000 euros quiont permis d’obtenir un financement totalde 7 millions d’euros 3.

    Bien sûr, toutes les Scop ne sont pas fi-nancées de la sorte et il faut que les or-ganismes du mouvement des Scop soientlargement convaincus de la solidité dudossier pour s’engager de la sorte. Néan-

    moins, ces exemples nous montrent clai-rement qu'il est possible de financer à desniveaux proches de 100 % des projets etque ceux-ci marchent en dépit d’un enga-gement proportionnellement faible des sa-lariés. Ceci s’explique aisément : à l’inversed’un actionnaire extérieur à l’entreprise,un salarié a plus à perdre que son capital,il peut perdre son travail. De ce point devue, l’engagement des coopérateurs estinfiniment plus solide. On peut même sedemander si leur souscription de parts so-ciales était indispensable.

    Cette dernière remarque laisse entrevoirune nouvelle possibilité : celle d’une entre-prise sans capital social, donc sans proprié-

    taire. L’intérêt politique de cette approcheest fondamental : il deviendrait possiblequ’une entreprise soit gérée par ses travail-leurs sans que ceux-ci soient sociétaires etaient investi. La coopérative constitue unerupture par rapport aux règles du capitaldans la mesure où les décisions se prennentsur la base d’une voix par personne – aulieu d’une voix par action – et que le capi-tal n’y est que faiblement rémunéré. Maisla forme coopérative reste de nature privéeen ce sens qu’il faut être sociétaire pourparticiper aux décisions. L’absence de capi-tal social permet ainsi d’envisager l’émer-gence de nouvelles unités de productionsans propriétaire, dans lesquelles l’usage

    et l’activité seraient porteurs du droit decodécider.

    Extraits d'un article de Benoît Borrits, publié sur le site AssociationAutogestion : http://www.autogestion.asso.fr/?p=5349 

    a une nouvelle génération d’entreprises ré- cupérées et il est nécessaire de s’interrogersur les raisons de cette résurgence qui, sielle n’est pas aussi massive qu’en 2001 et2002, montre que la moitié des entreprisesrécupérées existantes sont postérieures àla crise » .

    Une autre évolution notable concerne

    l’engagement du mouvement syndicaldans le soutien du processus. Alors qu’ilétait de 44% jusqu’en 2010, il passe à 64%dans la dernière période. Celui-ci sembleavoir intégré que le phénomène n’est passimplement conjoncturel, mais bel et bienancré dans la réalité économique et socialedu pays.

    Une forte majorité d’ERT (93%) main-tient les assemblées générales périodiques(56% une fois par semaine). 54% d’entreelles appartiennent à un mouvement ouune organisation d’ERT ou de coopérativeset 71% réalisent des activités solidaires ouculturelles en lien avec la communauté.

    Globalement, la capacité productive reste

    moindre qu’avant la récupération, l’ab-

    sence de capital (47,1%), de matières pre-mières (35,3%) et la difficulté d’insertionsur le marché (29,4%) restent prégnantes.Leur accès au crédit reste problématiquedu fait de leur statut. C’est ainsi que 29%des ERT ont recours au « travail à façon » ,ce qui signifie qu’elles dépendent d’undonneur d’ordre qui leur procure la ma-

    tière première, et les paie pour le travailet la maintenance des machines. Dans cer-tains cas, elles parviennent à capitaliser et àacquérir au fil du temps une certaine indé-pendance, alors que d’autres restent dansune situation de sous-traitance. Relevonségalement que 61% des ERT reçoivent desaides de l’État.

    Un autre trait significatif de ce phéno-mène est le maintien d’une égalité sala-riale (52% des cas). Dans les autres cas,la différence est le plus souvent liée à ladifférence du nombre d’heures effectuées(61,5%). Dans aucun cas, l’échelle des sa-laires n’est supérieure à 50%.

    Les résultats collectés confortent AndrésRuggeri dans son appréciation générale

    du phénomène : « Le mouvement des en- 

    L’une des difficultés classiques du lance-ment d’un projet de Scop (Société coo-

    pérative et participative) est la question dufinancement. Comment des salariés quin’ont généralement pas de capital à inves-tir peuvent-ils assurer les premiers finance-ments de la coopérative et son développe-ment ultérieur si besoin est ?

    Les trois étages du financement des Scop

    Très tôt, la Confédération Générale desScop a été confrontée à ce problème. LeCrédit Coopératif, interlocuteur privilégiédes Scop, réagit et raisonne comme unebanque, à ceci près qu’elle étudie sérieu-sement les demandes émanant des Scopalors que les autres les ignoraient géné-ralement. Dès 1965, la Confédération Gé-nérale des Scop initie le Fonds d’expan-sion coopérative qui deviendra ensuite laSocoden. Cette structure avait vocationà prendre des participations minoritairesdans les Scop en accordant un prêt parti-cipatif. Le principe de ce prêt est que sontaux d’intérêt est composé d’une partiefixe et d’une partie variable fonction desrésultats de la Scop. Comme il s’agit d’unprêt d’associé et non d’un tiers extérieur àl’entreprise, les prêts des banques serontremboursés prioritairement en cas de dé-faut de l’entreprise. C’est ainsi qu’on qua-

    lifie ces prêts de quasi-fonds propres, desfonds propres qui n’en sont pas tout à fait,

    notamment parce qu’ils devront être rem-boursés.

    Il fallait aller plus loin et c’est ainsi que laconfédération a ensuite créé Spot, devenueplus tard Scopinvest. Cette structure inter-vient en titres participatifs allant de 25 000à 200 000 euros. Comme pour le prêt par-ticipatif, un titre participatif permet à sondétenteur de toucher un taux fixe accom-pagné d’un taux variable en fonction ducomportement économique de l’entre-prise. Mais l’originalité du titre par rap-port au prêt est que son remboursementne peut se faire qu’au bout de sept ans etseulement à l’initiative de la coopérative. Sila coopérative ne souhaite pas rembourserce titre, elle peut conserver le financementindéfiniment à condition, bien sûr, d’ho-norer annuellement le paiement des tauxd’intérêt. Ce sont donc de véritables fondspropres. Comme les taux d’intérêt sont gé-néralement plus élevés que ceux d’un prêtbancaire classique, elle est évidemmentfortement incitée à rembourser.

    Enfin, lorsqu’elles accordent un prêt à uneentreprise, les banques demandent sou-vent la caution solidaire du dirigeant d’en-treprise : si cette dernière fait faillite, alorsl’ancien dirigeant devra rembourser ce qu’il

    Scop : des outils de financement qui préfigurent un dépassement de la propriétéPar Benoît Borrits

    Le mouvement des Scop a monté des outils de financement performants à destination des coopératives. Ils permettent de minimiser l’investissementinitial des salariés au point que dans certains cas, cet investissement  devienne marginal. Ceci ouvre la voie à l’abandon de la notion même de propriété. Il devient ainsi possible, sous condition de la présence d’un secteurbancaire et financier socialisé, d’entrevoir la perspective d’unités de production dirigées par les travailleurs et intégralement financées de façon externe