FRA magazine Doctrine16 NEO

104
DOCTRINE Les enseignements tirés du déploiement du CRER au Tchad en avril 2006 >> Retour d’expérience 2009 N° 16 Revue d’études générales LES OPÉRATIONS LES OPÉRATIONS D’ÉVACUATION D’ÉVACUATION DE RESSORTISSANTS DE RESSORTISSANTS Revue d’études générales libres réflexions Kolwezi, Kolwezi, ou la première évacuation de ressortissants ou la première évacuation de ressortissants doctrine Les opérations d’évacuation de ressortissants Les opérations d’évacuation de ressortissants au cœur des principaux engagements des forces terrestres au cœur des principaux engagements des forces terrestres étranger Un vol vers l’inconnu - L’opération LIBELLULE Un vol vers l’inconnu - L’opération LIBELLULE libres réflexions Kolwezi, Kolwezi, ou la première évacuation de ressortissants ou la première évacuation de ressortissants doctrine Les opérations d’évacuation de ressortissants Les opérations d’évacuation de ressortissants au cœur des principaux engagements des forces terrestres au cœur des principaux engagements des forces terrestres étranger Un vol vers l’inconnu - L’opération LIBELLULE Un vol vers l’inconnu - L’opération LIBELLULE

Transcript of FRA magazine Doctrine16 NEO

Page 1: FRA magazine Doctrine16 NEO

DOCTRINE

Les enseignements tirés du déploiement du CRER au Tchad en avril 2006>> Retour d’expérience

2009N° 16

Revue d’études générales

LES OPÉRATIONSLES OPÉRATIONSD’ÉVACUATION D’ÉVACUATION

DE RESSORTISSANTSDE RESSORTISSANTS

Revue d’études générales

libres réflexionsKolwezi, Kolwezi, ou la première évacuation de ressortissantsou la première évacuation de ressortissants

doctrineLes opérations d’évacuation de ressortissantsLes opérations d’évacuation de ressortissantsau cœur des principaux engagements des forces terrestresau cœur des principaux engagements des forces terrestres

étrangerUn vol vers l’inconnu - L’opération LIBELLULEUn vol vers l’inconnu - L’opération LIBELLULE

libres réflexionsKolwezi, Kolwezi, ou la première évacuation de ressortissantsou la première évacuation de ressortissants

doctrineLes opérations d’évacuation de ressortissantsLes opérations d’évacuation de ressortissantsau cœur des principaux engagements des forces terrestresau cœur des principaux engagements des forces terrestres

étrangerUn vol vers l’inconnu - L’opération LIBELLULEUn vol vers l’inconnu - L’opération LIBELLULE

Page 2: FRA magazine Doctrine16 NEO

DOCTRINE N° 16 JUIN 20092

Doctrine

Les opérations d’évacuation de ressortissants au cœur des principaux engagements des forces terrestres p. 4

Gestion des crises - Une histoire de coopération entre les ministères de la Défense et des affaires étrangères et européennes p. 7

RESEVAC - Quelles évolutions doctrinales ? p. 10

La planification des opérations d’évacuation de ressortissants p. 13

La conduite des opérations d’évacuation de ressortissants p. 15

RESEVAC - La vision de la marine nationale p. 17

Le centre de regroupement et d’évacuation des ressortissants p. 20

Protection et évacuation des ressortissants - Quel cadre juridique ? p. 24

Principaux signes et acronymes p. 27

Bibliographie p. 31

Les officiers publient

La guerre au 21e siècle - Entretien avec le général (2s) Philippe Voute p. 32

Etranger

Les opérations d’évacuation de ressortissants du Liban par la 24th MEU (du 15 juillet au 20 août 2006) p. 34

Les opérations d’évacuation de ressortissants Le point de vue britannique p. 39

Un vol vers l’inconnu - l’opération LIBELLULE p. 44

Retour d’expérience

Perspective historique de l’évacuation de ressortissants p. 50

Abidjan, novembre 2004 - Une évacuation difficile, mais un succès indéniable p. 53

Les enseignements tirés du déploiement du CRER au Tchad en avril 2006 p. 59

Opération CHARI BAGUIRMI - L’évacuation de 1 750 ressortisants au Tchad en 2008 p. 60

Une opération d’assistance et d’évacuation au Liban L’opération «Baliste» (juillet-août 2006) p. 62

Opération BALISTE - Une complémentarité interarmées indispensable p. 66

Les enseignements tirés du dernier déploiement d’un CRER(Gabon février 2008) p. 69

Libres réflexions

La recherche opérationnelle au service de l’évacuation de ressortissants p. 73

L’attaché de défense, médiateur opérationnel p. 76

Diplomatie et armée - Une partenariat unique et indispensableen cas d’évacuation de ressortissants p. 79

Entretien avec M. Philippe GELINET et M. Robert GABERT p. 83

Kolwezi, ou la première évacuation de ressortissants p. 87

La complémentarité des feux vue par les Anglais p. 90

Pour une arme du renseignement p. 93

Capacités duales et forces africaines de développement p. 98

Sommaire n° 16

Directeur de la publication : Général (2S) Claude Koessler - Rédactrice en chef : Capitaine Marie-Noëlle Bayard : 01 44 42 35 91Diffusion, relations avec les abonnés : Major Catherine Bréjeon : 01 44 42 43 18 - Relecture des traductions : Colonel Daniel VauvillierMaquette : Christine Villey : 01 44 42 59 86 - Création : amarena - Crédits photos : 1re de couverture : SIRPA Terre - 4e de couverture : Nanci FauquetSchémas : Nanci Fauquet : 01 44 42 81 74 - Diffusion : établissement de diffusion, d’impression et d’archives du commissariat de l’armée de terre de Saint-EtienneImpression : Imprimerie BIALEC - 95 boulevard d’Austrasie - BP 10423 - 54001 Nancy cedexTirage : 2 500 exemplaires - Dépôt légal : à parution ISSN : 1959-6340 - Tous droits de reproduction réservés.

Revue trimestrielle : Conformément à la loi «informatique et libertés» n° 78-17 du 6 janvier 1978, le fichier des abonnés à DOCTRINE a fait l’objet d’une déclaration auprès de la CNIL, enregistrée sous le n° 732939. Le droit d’accès et de rectification s’effectue auprès du CDEF. Centre de Doctrine d’Emploi des Forces - BP 53 - 00445 ARMEES. Web : www.cdef.terre.defense.gouv.fr Mel : [email protected]

Page 3: FRA magazine Doctrine16 NEO

JUIN 2009 DOCTRINE N° 163

éditorial

EEntre le 19 et le 20 mai 1978, le 2e REP au completsautait en deux vagues sur Kolwezi. Cette opération

d’envergure avait été ordonnée sur bref préavis,par le Président de la République française. Elle permitd’évacuer 2 800 ressortissants français, belges etoccidentaux, pris au piège d’une lointaine rébellion aussisanglante que complexe. Elle marqua le point de départd’une série d’autres opérations d’évacuations deressortissants, toujours au cœur de bon nombred’engagements des forces terrestres françaises.Depuis 1990, celles-ci ont participé à vingt-six opérationsd’évacuation de ressortissants, soit une à deux par an,en moyenne.

AAujourd'hui, aucun engagement en cours ne doitnous distraire de cette nécessité de conserver en

permanence des forces disponibles pour effectuer, en casd’urgence, une opération d’évacuation de ressortissants.Cette mission peut être lancée sans délai, avec notre payscomme nation cadre ou au sein d’un dispositif coalisé.Elle peut mettre en œuvre des moyens divers, terrestres,maritimes, aériens. Le plus souvent, elle se déroule dansune ambiance de forte insécurité, donc de rapidité.

CCe numéro de la revue Doctrine veut apporter unéclairage doctrinal sur leur déroulement et aborder

les principaux enseignements tirés par ceux-là mêmesqui les ont conduites ou vécues : commandants de forces,acteurs militaires, fonctionnaires du ministère des Affairesétrangères, à Paris ou en poste diplomatique.

Général de division Thierry OLLIVIER directeur du Centre de doctrine

d’emploi des forces

C•D•E•F

Page 4: FRA magazine Doctrine16 NEO

DOCTRINE N° 16 JUIN 20094

DDans le cadre de leurs missions per-manentes, les forces terrestressont souvent amenées, sur très

court préavis et parfois dans l’urgence,à y participer. Les récentes interventionsont confirmé avec pertinence que l’éva-cuation de ressortissants constitueune véritable opération militaire danslaquelle les forces terrestres jouent unrôle déterminant permettant notammentla maîtrise de l’espace physique et dumilieu humain.

Le cadre général de ces opérations,les nombreux acteurs impliqués et aux-quelles les forces terrestres prêtent leurconcours, notamment dans la phasede mise en œuvre, s’appuient sur unedoctrine dorénavant bien assise qui asu tirer parti de l’expérience des plusrécentes opérations.

Les opérations d’évacuation de ressortissantsau cœur des principaux engagementsdes forces terrestres

PAR LE GÉNÉRAL DE DIVISION THIERRY OLLIVIER, DIRECTEUR DU CENTRE DE DOCTRINE D’EMPLOI DES FORCES

UUne opération d’évacuation de ressortissants est une “opération de sécurité ayant pour objectifde protéger des ressortissants résidant à l’étranger en les évacuant d’une zone présentant une

menace imminente et sérieuse risquant d’affecter leur sécurité, lorsque l’Etat dans lequel ils sontlocalisés n’est plus en mesure de la garantir1”.

LLe caractère interministériel, la dimension multinationale, la coopération interarmées et le cadrejuridique spécifique de ce type de missions, conjuguées à l’accroissement du nombre d’expatriés

à l’étranger, en font des opérations de plus en plus complexes décidées au plus haut niveaupolitique.

SIR

PA T

erre

Page 5: FRA magazine Doctrine16 NEO

JUIN 2009 DOCTRINE N° 165

Les opérations d’évacuation, desopérations spécifiques aux carac-téristiques militaires bien marquées

Le caractère spécifique d’une RESEVACtient d’abord à un contexte interministé-riel à forte prééminence diplomatique.C’est une opération qui est décidée auniveau politique sur recommandation del’ambassadeur et qui est supervisée par leministère des Affaires étrangères et euro-péennes (MAEE), responsable de la sécu-rité des Français à l’étranger. Lorsque l’opé-ration militaire est décidée, celle-ci estplanifiée et conduite sous l’autorité du chefd’état-major des armées par le centre deplanification et de conduite des opérations(CPCO). Le caractère interministériel trèsprononcé de ce genre d’opérations néces-site donc une étroite coopération entre lesarmées et les services du MINAE dans lesphases d’anticipation, de préparation etde conduite de l’action.

Dans la plupart des cas de surcroît, l’éva-cuation de ressortissants dépasse le cadrestrictement national et s’inscrit dans uncontexte multinational. En effet, la Franceaccepte souvent d’évacuer des ressortis-sants non nationaux sur la base de traitésou d’accords politiques, tenant comptenotamment de la densité du réseau diplo-matique français. Ainsi, lors de la crise poli-tique au Tchad en février 2008, la France aproposé à Bruxelles à ses partenaires euro-péens d’assurer le rôle d’Etat pilote enmatière de protection consulaire. Le conceptde l’État pilote a été adopté par le conseilde l’Union européenne le 18 juin 2007 etvise à améliorer la protection des ressor-tissants des Etats membres de l’Union entemps de crise dans les pays tiers, notam-ment quand certains Etats membres n’ontpas de représentation dans le pays concer-né. La coordination diplomatique s’avèreégalement nécessaire dans les relationsavec la nation hôte, voire avec des Etats tierséventuellement concernés par un transit depersonnes évacuées. Se traduisant par uneprojection de forces militaires dans un Etatsouverain, elle demeure assujettie au droitinternational. Cette obligation confère àtoute opération un environnement juridiqueparticulier, car il s’agit d’une opérationlimitée dans le temps, strictement circons-crite à l’évacuation des bénéficiaires volon-taires, préalablement autorisée par l’Etathôte si les structures de l’Etat existent enco-re et réclamant une impartialité vis-à-visd’éventuelles forces belligérantes.

Une autre caractéristique de ces opérationsréside dans le fait qu’elles sont menées deplus en plus souvent dans un cadre multi-national. La complexité de ce type d’opéra-tion, le volume souvent important des effec-tifs à évacuer comme le coût des moyens detransport stratégique militent pour cetterecherche de mutualisation permettant auxEtats de se répartir les tâches pour évacuerleurs ressortissants. Dans cette perspec-tive, l’Union européenne s’est fixée pourobjectif de posséder, à terme, la capacité deconduire des opérations d’évacuation. Demême, l’organisation du traité de l’AtlantiqueNord envisage de pouvoir mener ce typed’opérations au profit des états membres.Enfin, le poids des enjeux médiatiquesdonne une résonance particulière à ces opé-rations d’évacuation. Compte tenu en effetde ces enjeux politiques et humains, uneévacuation de ressortissants se déroule dansun environnement généralement très média-tisé. Si la politique de communication est dela responsabilité du ministère des Affairesétrangères, le CEMA fixe les principes de lamanœuvre médiatique pour le volet mili-taire de l’opération dans une directive decommunication. Dès le début de l’opération,un officier de communication est mis en pla-ce en zone d’évacuation primaire pourprendre en compte les médias présents surle théâtre. En zone d’évacuation secondai-re, un conseiller communication peut orga-niser la communication opérationnelle encoordination avec les services diplomatiques.

A ces spécificités s’ajoutent des caractéris-tiques militaires bien marquéeset qui déter-minent grandement les modes d’action géné-ralement mis en œuvre par les forcesterrestres. La première concerne l’urgenceavec laquelle est souvent planifiée et condui-te une opération d’évacuation. Le contextede crise et l’accord préalable de la nationhôte limitent les possibilités de déploiementpréalable de la force, même si ceux-ci n’em-pêchent pas que des mesures de précautionpuissent être décidées en amont. Les auto-rités diplomatiques et militaires disposentpour cela d’une part d’un dispositif de veillestratégique et d’une planification d’antici-pation concernant les pays à risque et d’autrepart des plans de sécurité des ambassadesrégulièrement mises à jour par les attachésde défense.

La seconde caractéristique tient à larapidité d’exécution de l’opération quirepose souvent sur un dispositif de va-et-vient qui permet de limiter l’empreinte logis-tique de l’opération.

Le caractère essentiellement défensifd’une opération d’évacuation n’est pasexclusif d’un recours ponctuel et local àdes actions offensives, notamment poursaisir des points clés (plate-forme aéro-portuaire, ports, nœuds routiers...) ou per-mettre l’extraction de ressortissants iso-lés ou retenus contre leur gré.

Le dispositif des forces prépositionnées,lorsqu’elles existent, permet de bénéficierde points d’appui à proximité du théâtreou en son sein, de capacités de comman-dement et d’une bonne connaissancedu milieu par une troupe acclimatée,entraînée et disponible sur court préavis.Ce dernier point est essentiel dans unenvironnement pouvant aller de la per-missivité à l’hostilité, le caractère versati-le de la crisepouvant être favorisé par desacteurs locaux et mettre en danger les res-sortissants. La protection de ces derniers,notamment par le déploiement d’une zonetemporaire de protection,est une missionque les forces terrestres se sont souventvues confier dans les dernières opérationsréalisées, caractérisée également par uneimbrication avec la population civile enzone urbaine avec les contraintes liées aumilieu et la contrainte de mettre en œuvredes actions de contrôle de foule.

Des acteurs multiplesLes opérations d’évacuation sont le fruitde la collaboration de multiples acteursdont les responsabilités sont aujourd’huibien définies. Le ministère des Affairesétrangères et européennes est respon-sable de la sécurité des Français àl’étranger. Il dispose pour cela dans le paysétranger concerné d’un ambassadeur deFrance responsable de la sécurité desressortissants français. Il est notammentresponsable de la mise à jour des plansde sécurité par l’attaché de défense quiest son conseiller militaire.

En tant que conseiller militaire du chefdes armées, le chef d’état-major desarmées émettra ensuite un avis d’oppor-tunité sur la participation de celles-ci à uneopération d’évacuation de ressortissantspar moyens militaires et formulera des pro-positions pour l’emploi des forces. Au seinde l’état-major des armées, le centre deplanification et de conduite des opé-rations (CPCO) devient alors l’intermédiairedu ministère des Affaires étrangères aveclequel il travaille en étroite coopération.

DoctrineDoctrine

Page 6: FRA magazine Doctrine16 NEO

DOCTRINE N° 16 JUIN 20096

En charge de la planification, le CPCOs’appuie sur les travaux d’anticipation réa-lisés en amont sur les pays à fort risquede dégradation intérieure. Lorsque celle-ci survient, et qu’une opération d’évacua-tion est décidée, il est en mesure d’en-gager, sur court préavis, une planificationde mise en œuvre et de produire un pland’opération.

Dans la phase de conduite de l’opération,le CPCO assure le commandement stra-tégique en national ou en multinationalsi la France est nation cadre. En sus, lorsdes opérations importantes à plusieurscomposantes d’armée, un commandementde niveau opératif peut être déployéau sein d’un poste de commandementinterarmées de théâtre (PCIAT), permettantnotamment de disposer sur le théâtre d’unéchelon politico-militaire, de conduire etde coordonner l’action des composanteset de remplir les fonctions de théâtre,notamment d’environnement (communi-cation et information opérationnelles).Néanmoins, le plus souvent, le niveauopératif n’est pas mis sur pied pour uneopération d’évacuation ; une partie de sesfonctions étant assurée par le niveaustratégique, l’autre étant pris en comptepar le niveau tactique. En fonction de leurproximité, les commandements interar-mées des forces prépositionnées outre-mer peuvent être mis à contribution notam-ment pour la mise sur pied d’un PC deniveau opératif ou tactico-opératif. Enfin,le poste de l’attaché de défense, éven-tuellement renforcé, exerce des fonctionsd’expertise de théâtre, de conseillermilitaire et de facilitateur de contact.

Les forces armées engagées dansl’opération sont placées sous le contrôleopérationnel d’un commandant de force(COMANFOR). La force est responsablede l’évacuation primaire et notammentdu centre de regroupement et d’éva-cuation des ressortissants (CRER), missur pied par les forces terrestres. Cesdernières peuvent avoir à mener desopérations ponctuelles de récupérationvoire d’extraction lorsque des ressortis-sants sont dans l’incapacité de rejoindreles points de regroupement par leurspropres moyens.Localement, cette situation impose d’unepart une préparation aussi précise quepossible et d’autre part une clairerépartition des responsabilités, notam-ment entre les forces armées et les repré-sentants du MAEE.

Une mise en œuvre complexe

Une opération d’évacuations’articule géné-ralement en quatre phases principales. Lapremière est en fait une phase prélimi-naire qui permet notamment la mise enalerte des forces, la mise en œuvre demesures de précaution comme le prépo-sitionnement de celle-ci, l’acquisition durenseignement ou encore l’établissementd’accords techniques avec la nation hôte.La phase suivante permettra la projectionde la force et la mise en place du dispo-sitif de sûretéavant dans la phase suivanteque se mette en place le dispositif de pro-tection des ressortissants et que soitconduite l’évacuation proprement dite. Ladernière phase est consacrée au désen-gagement de la force. L’un des critères desuccès de l’opération reste le contrôle despoints d’évacuation dans lequel les forcesterrestres jouent un rôle déterminant,comme d’ailleurs dans les tâches opéra-tionnelles à réaliser lorsque celles-ci fontappel à ses capacités spécifiques de com-binaison des modes tactiques.

Le schéma d’organisation ci-dessous illustrela répartition des responsabilités entreles principaux acteursdont les actions sontà la fois complémentaires et imbriquées.

Les forces engagées prennent en compteles ressortissants à partir des points deregroupement (PR), dont elles assurent lasécurité, jusqu’à la base de soutien inter-armées (BSVIA) incluse. Le transfert des ressortissants des pointsde regroupement aux points d’évacuation(PE) peut exiger le passage par une zonetemporaire de protection (ZTP) pourattendre soit que la situation se norma-lise soit la mise en place de l’ensemble dudispositif d’évacuation.

Les phases amont et aval à cette éva-cuation primaire sont de la responsabilitédu MAEE. Le centre de regroupement etd’évacuation des ressortissants (CRER) estinstallé, selon la situation, soit sur la baseopérationnelle avancée (BOA), soit sur laBSVIA. Au terme de cette évacuation pri-maire, les ressortissants sont remis à ladisposition des autorités diplomatiquesresponsables de l’évacuation secondaire.Le transfert de responsabilité a lieu à lasortie du CRER au sein duquel les auto-rités consulaires sont présentes.

1 Définition extraite de la procédure interarmées(PIA) 03 351 du 21/09/2004 relative aux opérationsd’évacuation de ressortissants.

CCes opérations d’évacuations de ressortissants mettent en exergue lesactions des forces armées, au premier rang desquelles figurent lesforces terrestres, au service de la communauté nationale à l’étranger,qui sait pouvoir compter sur leur intervention en cas de crisemenaçant sa sécurité.

Page 7: FRA magazine Doctrine16 NEO

JUIN 2009 DOCTRINE N° 167

Quand la réalité dépasse nos plusgrandes inquiétudes : la crise

LLa cellule de crise est ouverte depuisdeux jours pour gérer la crise qui sévità Pointe-Noire en ce mois d’octobre

1997. Ce soir, la ville de Pointe-Noire semblecalme. La nuit précédente a été longue etangoissante. Certains quartiers ont étépillés. Parmi les expatriés, certains ont euleur maison complètement dévalisée ouleur véhicule volé. D’autres ont été mena-cés ou molestés mais personne n’a étéblessé. Les rumeurs les plus folles circu-lent pourtant. Des Français auraient étéassassinés dans leur maison ; cette infor-mation qui, plus tard, se révélera complè-tement fausse, crée de nouvelles tensionsdans la communauté française.

C’est la troisième crise en cinq mois. Enjuillet, crise au Cambodge. Mais surtout,en juin, il y avait eu l’évacuation deBrazzaville : 6 500 personnes de 54 natio-nalités différentes dont 1 500 Françaisévacués grâce à l’action de l’armée fran-çaise qui y perdit plusieurs hommes, sansoublier les blessés.

Suite à cette crise, les matériels de com-munication du consulat général de France

à Pointe-Noire ont été renforcés, de mêmeque les moyens d’accueil. Le plan de sécu-rité est à jour et vérifié, l’îlotage opéra-tionnel. Des contacts sont pris avec les com-munautés religieuses et la grande majoritédes entreprises françaises présentes dansla région, des pétroliers pour l’essentielmais aussi des exploitations forestières ou

des entreprises dans le domaine agroali-mentaire avec des équipes travaillantparfois dans des zones dangereuses.

A la fin du dernier journal télévisé, lenombre d’appels redouble et les agentsprésents ne parviennent pas à faire face àleur nombre. On fait appel à l’agent de

permanence de nuit qui monte audeuxième étage en courant. On don-ne des éléments de langage aux agentsdu standard téléphonique et tous,nous répondons au téléphone.Combien de fois, les agents de per-manence en cellule de crise se sont-ils fait chahutés voire insultés aujour-d’hui ? : “Vous ne voyez pas les images,mais qu’attendez-vous pour évacuer?”,“Combien de morts vous faut-il sur laconscience pour évacuer ?” Et, àchaque fois, les agents de la cellulede crise répondent avec calme pourtenter de rassurer ces familles angois-sées. Certains de nos collèguescraquent parfois. D’autres retiennentleurs sanglots. Face à l’insulte ou auxmenaces, d’autres se sentent blessés.A chaque fois qu’il est nécessaire,les responsables interviennent pourdiscuter et dialoguer avec lescollègues et les aider à évacuer leurtrop plein d’émotions.

Gestion des crisesUne histoire de coopération entre

les ministères de la Défense et des Affaires étrangères et européennes

PAR MONSIEUR PATRICK LACHAUSSÉE, DIRECTEUR ADJOINT DU CENTRE DE CRISE DU MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET EUROPÉENNES

IIl est 23 heures et les téléphones sonnent toujours en cellule de crise. Les familles nous appellent,toujours aussi inquiètes. L’officier de liaison de l’état-major des armées est là avec nous pour suivrela situation. Nous échangeons régulièrement nos différentes analyses et informations.

ECPA

D

DoctrineDoctrine

Page 8: FRA magazine Doctrine16 NEO

Plusieurs personnes nous informent quecertaines familles ont été chassées de chezelles. Le cas d’un nourrisson et de sa mèreest signalé. On prend les noms, les pré-noms et les adresses, celles de leursemployeurs, amis ou de leur famille surplace, on note les numéros de portables.Un télégramme immédiat est envoyéau consul général pour l’en informer. Lecalme semble s’installer progressivement.

Il est 01h45. Le téléphone du poste de com-mandement de la cellule de crise sonne.Le standardiste précise qu’il s’agit d’unappel provenant d’une valise satellite etque la communication est très mauvaise.Le correspondant nous informe qu’il estavec un groupe d’une soixantaine de per-sonnes, des hommes, des femmes et desenfants. Ils travaillaient pour une sociétéà N’kayi quand des rebelles les ont atta-qués. Ils ont juste eu le temps de s’enfuirdans les champs de canne à sucre. Ilsse sont réfugiés dans une clairière. Ils secachent depuis trente-six heures, sans nour-riture et sans eau.

Puis, soudain, le ton de notre interlocuteurchange. On le sent nerveux, effrayé. Onentend des murmures, des cris, une agi-tation, des mouvements de panique.La respiration de notre interlocuteur s’ac-célère. Puis, c’est le silence, long et angois-sant. On ne raccroche pas. On se regarde.On attend et on écoute. Rien. Soudain,il nous lance : “Au secours ! Venez nouschercher... Vite”. Et là, on entend unerafale d’arme automatique, des crisétouffés, des appels au secours et lacommunication est coupée.

Très vite, les choses s’organisent. Lasociété est connue, nous avons les coor-données de ses dirigeants. Il faut unecarte pour localiser l’endroit. Déjà, un rédac-teur prépare un télégramme. Le cabinet duMinistre est immédiatement informé. Onappelle l’état-major des armées sur le télé-phone sécurisé. Pendant ce temps, le stan-dard arrive à joindre le président de l’entre-prise à Paris. On lui explique la situation etlui demande de nous fournir le maximumd’informations pour localiser avec préci-sion la clairière dans laquelle se sontréfugiés les employés. Il nous en fournirales coordonnées géographiques un quartd’heure plus tard. Cette information estimmédiatement communiquée à l’état-major des armées.

A trois heures du matin, le directeur de cabi-net du Ministre nous convoque en salle decrise. Les conseillers du Président de laRépublique, du Premier ministre, desMinistres de la Défense et des Affairesétrangères sont là, de même que le chefd’état-major des armées. On dresse unpoint de situation. Une décision doit êtreprise. Le plan militaire est déjà élaboré. Ilest présenté. Après quelques aménage-ments, il est accepté. Nom de code de l’opé-ration : Antilope.

Les risques sont énormes mais c’est la seu-le solution. Le plus grand secret est deman-dé et aucune communication ne doit êtrefaite tant que l’opération de sauvetage n’apas eu lieu. Les quelques heures qui nousrestent sont interminables. Impossiblede dormir et pourtant la journée qui s’an-nonce sera encore longue et peut-être dif-ficile. Il est 6 heures du matin. Trois hélico-ptères décollent. L’opération a commencé.

Finalement, elle se conclura par un succèset toutes les personnes pourront êtreextraites de cette clairière en un tempsrecord. Aucune victime n’est à déplorer.

Vers une coopération renforcée dansla gestion des crises concernant desressortissants français à l’étranger

C’est à partir de ce moment-là que le minis-tère des Affaires étrangères et européenneset le ministère de la Défense vont coopé-rer de plus en plus pour échanger des infor-mations, les plans de sécurité, des exer-cices en commun et progressivementmettre en commun les expériences et lesprojets. Le ministère des Affaires étran-gères n’a eu de cesse ces dernières annéesde s’adapter pour mener à bien une moder-nisation et adapter l’ensemble de ses dis-positifs de gestion des crises pour tenircompte des prérogatives de terrain etnotamment de la dimension militaire desinterventions. Ainsi par exemple, ce sontplus de 8 millions d’eurosqui ont été inves-tis en 6 ans pour moderniser les moyensde communication offrant ainsi une largepalette de dispositifs radio, satellites, HF,téléphoniques... A chaque crise, deséquipes formées, équipées et profes-sionnellessont envoyées sur le terrain pourassurer un appui aux ambassades et assu-rer l’interface entre les ressortissants fran-çais, l’ambassade et les forces militairesen présence.

La dimension européenne est de plus enplus importante. Lors de la récente criseau Tchad, plus de 1 500 personnes de78 nationalités différentes ont été évacuéesparmi lesquelles plus de 350 Européens.Depuis plusieurs années, nous élaboronsavec nos partenaires le concept d’Etat Pilotepour lequel nous avons organisé deux exer-cices en 2007 au Caire et 2008 à Paris et àMexico, Xibalda 2008, mettant en scèneune intervention consulaire coordonnée à27 pour porter secours à des ressortissantseuropéens pris en otage dans le cadre d’unacte de piraterie maritime. Durant la pré-sidence française, nous souhaitons pour-suivre nos travaux de façon à améliorer lacoopération consulaire dans ce domainesensible.

La création du “centre de crise”du MAEE favorisera encore cettecoopération renforcée

Dès son arrivée, en juin 2007, BernardKOUCHNER, Ministre des Affaires étran-gères et européennes, a souhaité que sonministère se dote d’un outil modernede gestion de crises. C’est ainsi qu’ontété réunies deux entités administrativesen une ; la délégation à l’action humani-taire et la sous-direction de la sécurité desFrançais à l’étranger. Ces deux services trai-taient des crises, avaient leurs propresconnexions avec le ministère de la Défenseet notamment l’état-major des armées, etavaient élaboré leurs propres procéduresd’interventions.

Aujourd’hui, le centre de crise réunit ceséquipes et élabore des procédures com-munes, une organisation qui permettra degérer des crises de différentes natures etde façon globale. Pour tout cela, la coopé-ration avec le ministère de la Défense doitencore se renforcer, non pas au momentde la gestion des crises mais dans toutesles phases qui la précèdent : veille, antici-pation, planification, alerte mais aussi dansle cadre de sessions de formation ou d’exer-cices organisés par les forces armées oupar le centre de crise.

Nous travaillons déjà ensemble aurapprochement des procédures de façonà mieux intégrer dans nos planificationsopérationnelles les contraintes que lesforces armées peuvent connaître dansle cadre des opérations extérieures etnotamment dans le domaine des RESEVAC.

DOCTRINE N° 16 JUIN 20098

Page 9: FRA magazine Doctrine16 NEO

JUIN 2009 DOCTRINE N° 169

Dans ce domaine en particulier, noustravaillons notamment à améliorer lepartage des informations, ajuster nosdispositifs d’échanges de données,assurer la circulation rapide des infor-mations entre le terrain et les cellulesdes crises des ambassades ou du Quaid’Orsay. Dès lors qu’une crise sedéclenchera, nos équipes travaillerontensemble sur le terrain et à la cellulede crise réunie au ministère desAffaires étrangères et européennes,nous travaillerons également en par-faite collaboration entre les cellulesde crises au CPCO et au ministère.C’est l’ensemble de cette chaîne deprocédures que nous devons sans ces-se améliorer pour assurer la fluiditédes échanges d’informations, antici-per et accélérer la réponse aux crises,coordonner notre action pour accom-plir les missions qui nous sontconfiées.

L’L’expérience a montré depuis de nombreuses années l’importance deséchanges d’informations dans toutes les phases allant de la simpleveille à l’engagement de forces civiles et militaires dans la gestion

d’une crise nécessitant des secours à des ressortissants français et d’autresnationalités. De Kinshasa en 1991 à N’Djamena en 2008, en passant par leLiban, la Côte d’Ivoire, le Congo-Brazzaville ou la République centrafricaine,l’armée française a montré toute son efficacité dans des situations trèsdifficiles et sur ces terrains, de nombreux hommes ont été blessés ou tuésdans des opérations d’évacuation ou de sécurisation de zones de conflits.Combien de ressortissants ont-ils pu être évacués depuis toutes ces annéesgrâce au courage des hommes et des femmes qui, sur le terrain, ont pris desrisques pour les sortir de l’enfer ?

Ceci doit naturellement nous pousser à travailler toujours plus ensemble ettoujours mieux. J’ai coutume de dire à nos compatriotes dans des payssensibles, à nos ambassadeurs et collègues, qu’en cas de crise, on risque detous finir dans le même Transall. Alors travaillons à toujours plus decoopération et de coordination de nos moyens d’action, notre efficacité n’ensera que renforcée.

ECPA

D

DoctrineDoctrine

Page 10: FRA magazine Doctrine16 NEO

DOCTRINE N° 16 JUIN 200910

LLa présence de citoyens français à l’ex-térieur du territoire national impliquepour l’Etat l’obligation de tout mettre

en œuvre, de l’action diplomatique à l’ac-tion coercitive, pour assurer leur protec-tion en cas de nécessité. Ainsi, dans lecadre de leurs missions permanentes, lesarmées françaises peuvent être conduites,sur très court préavis, à évacuer parmoyens militaires des ressortissantsmenacés dans un pays étranger en crise. Le caractère interministériel de plus en plusprégnant, la dimension multinationaledésormais permanente ainsi que le cadrejuridique spécifique et contraignant de cetype d’action, conjugués à l’accroissementdu nombre d’expatriés, en font des opé-rations de plus en plus complexes àforte teneur politico-diplomatique maisaussi médiatique en raison de la chargeémotionnelle liée au déroulement mêmede ces missions dans un contexte souventdramatique.

Les retours d’expérience récents (Côted’Ivoire - 2004, Liban - 2006, Tchad - 2006et 2008) ont mis en évidence certaines dif-ficultés lors de la mise en œuvre de cettedoctrine interarmées. C’est pourquoi, même

si les engagements récents ont confirméle bien-fondé de la prise en compte dansle document officiel de 2004 du problèmemajeur d’une évacuation de grandeampleur, il convient d’apporter quelquesaménagements aux modalités de mise enœuvre de la coordination interministériel-le et de la communication opérationnelle.

Les nouveautés déjà introduitespar la doctrine de 2004

La France, forte de son expérience dans cetype d’engagement, a développé uneconception originale de la conduite desopérations de RESEVAC.Cette particulari-té repose essentiellement sur la complé-mentarité des rôles dévolus au ministèredes Affaires étrangères et européennes età celui de la Défense. En effet, en raison del’instabilité chronique de nombreusesrégions du monde où la présence françai-se est réelle, les armées françaises se doi-vent d’être prêtes à appuyer et soutenirsans délais l’action consulaire,que la situa-tion locale nécessite ou pas la mise enœuvre de moyens militaires.

La pertinence de la doctrine relative auxopérations d’évacuation de ressortissantset en particulier le bien-fondé des ZTP ouzones temporaires de protection ont étédémontrés à l’occasion des crises récentes.Le concept même de ZTP est imposé par lenombre important de ressortissants pré-sents sur le théâtre. En effet, en quelquesannées, le nombre de bénéficiaires ouayants droit a littéralement explosé, en rai-son de l’élargissement de l’Europe et destraités1 récemment mis en œuvre qui ontmécaniquement augmenté ce nombre. Acontrario, les possibilités d’évacuer ce fluxn’ont pas évolué. En effet, les structures(portuaires, aéroportuaires) et les vecteursstratégiques sont restés peu ou prou lesmêmes. D’éventuelle, la mise en place deZTP est donc désormais devenue unenécessité opérative et tactique : il s’agitd’assurer sur place la protection tempo-raire des ressortissants dans une zone sûreavant de procéder à leur évacuation.

En plus du volume, il faut également tenircompte du fait que bon nombre de ces res-sortissants sont installés dans des régionstrès sensibles,dans lesquelles la situationsécuritaire est susceptible d’évoluer très

RESEVACQuelles évolutions doctrinales ?

PAR LE COLONEL JEAN-PHILIPPE BERNARD, SOUS-DIRECTEUR CONCEPTS ET DOCTRINE (CICDE)

Les dernières opérations d’évacuation de ressortissants menées par les forces françaises ont misen œuvre une doctrine interarmées (PIA 03.351) rédigée en 2004. Globalement, ce document a

répondu aux attentes et a permis d’intégrer les nouvelles exigences de ce type d’actions.Néanmoins quelques évolutions méritent d’être prises en compte et intégrées dans la conceptionet la conduite des RESEVAC. La nouvelle version, en cours d’approbation, s’appuyant sur les idées-forces introduites dans la version de 2004, a mis en exergue la coordination interministérielle, lacoopération multinationale et la communication opérationnelle à tous les niveaux.

Page 11: FRA magazine Doctrine16 NEO

rapidement, voire sans aucun signe avant-coureur. Cet état de fait doit conduire àenvisager le déploiement de moyens blin-dés nécessaires à la protection des res-sortissantsau cours des différentes phasesde l’évacuation en situation incertaine ouhostile.

Autre structure dont la pertinence a étémise en évidence, le centre de regroupe-ment et d’évacuation des ressortissants(CRER) répond aux attentes du MINAE etdes forces armées à la condition que sondéploiement soit coordonné avec le déclen-chement des mesures décidées aussi bienpar l’état-major des armées que par leMINAE.

Enfin, les propositions qui visent soit àdéployer un PC de terrain pour cette struc-ture modulaire dans le but de faciliter lacoordination entre les différentes cellulesimpliquées dans le processus d’évacua-tion, soit à clarifier l’organisation du com-mandement sur le théâtre permettant unerépartition des responsabilités simple etlisibleentre l’attaché de défense et le com-mandant de la force projetée et ses adjoints,s’agissant du CRER, doivent être validées.

La coordination interministérielleet la coopération multinationale

Dans le cas des RESEVAC, ces deuxdomaines de la coordination et de la coopé-ration, étaient déjà au cœur des préoccu-pations doctrinalespuisque ce type d’opé-rations associe, par nature, au moins deuxministères agissant dans des sphères com-

plémentaires. Que peut-on faire pour amé-liorer encore cette coordination et mieuxprendre en compte le fait multinational ?

Dans les prochaines années, il ne sera pasforcément plus facile que maintenant dedétecter les prémices de déclenchementde la mise en danger de ressortissants,mais la rapidité de réactiondemeurera unimpératif. Aussi, s’agit-il, dès le régime deveille stratégique, de mettre en place lesstructures et les procédures adéquates,d’échanger les planifications d’anticipa-tion et les plans de sécurité, ainsi que d’éta-blir les contacts indispensables entre cel-lules chargées de la prise de décision et dela mise en œuvre des mesures.

En matière de coordination, les relationsMINAE-MINDEFdoivent tenir compte d’uncontexte évolutif : - D’une part, le ministère des Affaires étran-gères et européennesdoit se doter d’unecapacité de gestion des crises lui per-mettant de remplir pleinement son rôlede coordination de l’action extérieure.Ceci devrait modifier la physionomie deses rapports avec les armées. Cette coor-dination est déjà instaurée au niveau cen-tral entre le MINAE et le MINDEF, préci-sément entre les cellules chargées demettre en œuvre les mesures décidéesdans un cadre toujours interministériel,ainsi qu’au niveau local entre l’ambassa-de, les services consulaires et les forcesprojetées ; concrètement, une gestionconjointe de l’évacuation par les orga-nismes des deux ministères est recher-chée et l’adoption de mesures de pré-caution se traduit par la recherche del’envoi simultané du module EVAC INFOdu centre de regroupement et d’évacua-tion des ressortissants, sorte de harponorganisationnel et logistique, et des élé-ments d’appui à la gestion de la crisedépêchés par le MINAE en renfort de l’am-bassade. Il s’agit bien de faciliter laconduite de l’opération sur le terrain endéchargeant le plus tôt possible soit l’am-bassade des modalités organisationnelles,soit la force militaire de la gestion “tech-nique” des ressortissants.

- D’autre part, la décision du conseildes affaires générales de l’Union euro-péenne2 de mettre en œuvre le concept“d’Etat pilote” en matière consulaire encas de crise confère à un Etat désignécomme pilote le rôle de protection desressortissants de l’UE et de coordination

de l’action des Etats membres sur le ter-rain. Ceci ne fait qu’officialiser ce qui sepratiquait déjà par accord tacite ou for-mel entre Etats concernés. La France ad’ailleurs proposé à ses partenaires euro-péens, le 1er février dernier, de jouer cerôle au Tchad. Ainsi, en raison du nombresans équivalent de postes diplomatiquesqu’arme notre pays en Afrique, il faut s’at-tendre à ce que ce rôle lui revienne sur cecontinent dans la plupart des cas. Il estévident que cette notion d’Etat pilotegénère un besoin accru en coordinationau niveau diplomatique mais égalemententre les états-majors des forces arméesimpliquées. En raison de l’urgence quiprévaut toujours dans ce type de crises,cette coordination doit être développéepar anticipation, le plus en amont pos-sible, et l’action diplomatique doit êtreaccompagnée par une concertation mili-taire entre les différentes armées concer-nées, en fonction des théâtres potentiels.

Les opérations d’information etla communication

Il n’y a pas d’opérations conduites par lesforces armées qui ne comportent désor-mais un volet relatif aux opérations d’in-formation. Corollaire d’une coordinationinterministérielle accrue et d’une gestioncentralisée de la crise au niveau gouver-nemental, la communication doit prendreen considération quelques développementscomplémentaires : communiquer vers quiet pour exprimer quoi ?

Tout d’abord, une opération d’évacuationde ressortissants est un signal politiquefort qui peut affecter l’équilibre précairede l’Etat hôte. Son déclenchement va direc-tement interpeller les autorités locales biensûr, mais aussi les éventuels entrepreneursde violence potentiellement responsablesde la dégradation de la situation sécuri-taire, les populations autochtones, les res-sortissants installés dans le pays et lesmedias locaux ou internationaux présentssur place.

En second lieu, pour les ressortissants,l’annonce et la présentation de l’opé-ration peuvent être lourdes de consé-quences : entre une évacuation à lacharge de l’Etat et une “incitation au départvolontaire” à la charge des intéressés, lesmodalités de mise en œuvre auront forcé-ment une influence sur leur décision. En

DoctrineDoctrine

JUIN 2009 DOCTRINE N° 1611

four

nie

par

l’aut

eur

Page 12: FRA magazine Doctrine16 NEO

DOCTRINE N° 16 JUIN 200912

outre, il conviendra de formuler des recom-mandations de façon à convaincre mêmeles plus réticents au départ tout en évitantun effet de panique. La conception de l’opé-ration militaire associée sera bien évi-demment par nature différente dans lesdeux cas.

Il s’agit donc de trouver un juste équilibreentre d’une part la nécessaire transparen-ce, destinée à rassurer toutes les popula-tions concernées, et d’autre part la dis-crétion indispensable à la liberté demanœuvre du chef ainsi qu’à la sécuritédes troupes engagées et des ressortissants.Néanmoins, il s’agira aussi de délivrer loca-lement un message clair expliquant les butslimités de l’opération de RESEVAC maissuffisamment fort pour dissuader les éven-tuels entrepreneurs de violence de s’op-poser à cette évacuation.

A ces publics doivent être ajoutés lesfamilles des ressortissants vivant en métro-pole, l’opinion publique nationale et lesmédias nationaux qui ont besoin d’uneinformation ciblée et différenciée. Il s’agitainsi de préparer au mieux l’arrivée et l’ac-cueil des ressortissants évacués. De la qua-lité de leur prise en charge dépendra aus-si en partie la résolution de la crise.

Enfin, troisième sphère intéressée par lagestion de l’opération d’évacuation : lacommunauté internationale autour del’ONU et des organisations internationales,l’Union européenne et les pays des res-sortissants à évacuer ainsi que leurs relais,les médias internationaux. Il est clair qu’enraison de la charge émotionnelle créée parun départ précipité et par les images deviolence ou de détresse qui pourraientdéferler sur tous les écrans du monde, cesaspects de la communication opération-nelle doivent être pris en compte aux dif-férents niveaux depuis le politique jusqu’autactique. En conséquence, même si le MAEEest ministère menant dans le domaine dela communication pour les RESEVAC, lesforces arméesne peuvent faire l’économied’une prise en compte au plus tôt de lacommunication opérationnelle.

1 Cf. article 20 du traité instituant la Communautéeuropéenne; article 46 de la Charte des droitsfondamentaux de l’Union européenne: “tout citoyende l’Union bénéficie sur le territoire d’un pays tiersoù l’Etat-membre dont il est ressortissant n’est pasreprésenté, de la protection des autoritésdiplomatiques et consulaires de tout Etat-membre,dans les même conditions que les nationaux de cetEtat”.

2 2808e session du Conseil AFFAIRES GENERALES,Luxembourg, les 17 et 18 juin 2007.

3 Voir à cet égard le rôle attribué à l’OTAN; Cf. AJP-3.4.2 § 0005: “les missions diplomatiques sontresponsables de la sécurité des ressortissants et dela préparation des plans d’évacuation. Les structuresde commandements de l’OTAN peuvent conseilleret assister les missions diplomatiques dans lapréparation et la mise en œuvre des plansd’évacuation, mais elles ne sont responsables quedu soutien militaire de l’évacuation dans le cadred’une mission sous commandement OTAN”.

EEn France les rôles dévolus aux différents ministères réservent une place particulière aux forces armées3 dans lamesure où les théâtres qui pourraient nécessiter le déclenchement d’opérations d’évacuation de ressortissants,en raison des risques d’une montée brusque et imprévisible aux extrêmes, exigent une très grande réactivité.Cette réactivité, caractéristique de l’intervention militaire, bénéficie d’un prépositionnement judicieux, qu’il soit

permanent ou circonstanciel, d’une planification d’anticipation très complète et d’un régime d’alerte des différentescomposantes modulé et bien maîtrisé.

Ainsi, les évolutions doctrinales envisagées ne relèvent que de l’adaptation d’idées fortes déjà éprouvées. En effet,le caractère soudain de ces opérations allié à l’ampleur des RESEVAC actuelles tout autant que leur caractèremultinational impose une coordination de plus en plus étroite avec le MAEE, un effort préalable de préparation decette mission (planification prédécisionnelle et opérationnelle pour les militaires et préparation des plans de défensepar les consulats) et une prise en compte plus globale de la dimension communication.

Il restera à diffuser et bien faire connaître cette nouvelle publication interarmées au sein des armées et desorganismes concernés. Ceci a déjà été commencé au ministère des Affaires étrangères et européennes qui demande àl’EMA de venir lui exposer cette conception des RESEVAC au cours du stage des agents consulaires et au ministère dela Défense qui sensibilise les futurs attachés de défense durant leur stage de préparation.

Page 13: FRA magazine Doctrine16 NEO

JUIN 2009 DOCTRINE N° 1613

La planificationdes opérations d’évacuationde ressortissants

PAR LE COLONEL GUILLAUME DE MARISY (CPCO)

DDu 2 au 7 février 2008, les forces françaises ont permis, dans une ambiance très tendue, parfois “sous lefeu”, l’évacuation de quelque 1 700 ressortissants de plus de 70 nationalités, dont la vie se trouvait

menacée par les âpres combats se déroulant dans la capitale tchadienne.

Cette réussite repose sur un certain nombre de facteurs pouvant être rassemblés comme suit : des forcesmilitaires entrainées, présentes sur le théâtre des opérations au moment du déclenchement des troubles,bénéficiant de l’appui et du soutien immédiat des forces pré-positionnées (les forces françaises au Gabon)et d’un renforcement rapide venant de métropole, appliquant des plans à jour, bâtis avec une coordinationtoujours plus étroite entre le MINAE et le ministère de la Défense. Sans vouloir atténuer le mérite desdifférents acteurs qui ont tous fait un travail formidable, nous pouvons donc remarquer que les conditionsde cette RESEVAC étaient particulièrement favorables.

Peu de pays sont aujourd’hui capables de mener de telles opérations, notamment sur le continent africain.Certes, nos forces prépositionnées sont un élément déterminant dans cette capacité, mais la réussite detelles opérations dépend aussi de leur prise en compte au niveau interministériel et de leur degré depréparation.

Aujourd’hui, au CPCO comme au ministère des Affaires étrangères et européennes, la planification de cegenre d’opérations est une des priorités. En outre, le degré poussé de préparation en facilite la conduite,tous les acteurs ayant pris part à la planification.

La sécurité des ressortissants résidant à l’étranger, une priorité sans cesse réaffirmée

DDans nos sociétés modernes, la sécurité des ressortissants résidant à l’étranger est une priorité sans cesse réaffirmée.Aussi, le Livre blanc 2008 ne peut-il faire l’économie de la prise en compte d’un scénario de type déstabilisation limitée

d’un pays, nécessitant l’engagement de l’Etat pour évacuer la communauté de ses ressortissants, par des moyens civils, casle plus favorable, mais aussi parfois sous la protection de ses forces armées comme il l’a fait de nombreuses fois au coursde ces vingt dernières années.

DoctrineDoctrine

Page 14: FRA magazine Doctrine16 NEO

DOCTRINE N° 16 JUIN 200914

Une coordination approfondie entreles deux ministères

Cette priorité est prise en compte par leCPCO comme par la direction des Françaisà l’étranger/sous-direction de la sécuritédes personnes. Chaque année, s’appuyant sur les travauxdu GAS1, le CPCO retient les théâtres sus-ceptibles d’être secoués par des troublestels que l’Etat hôte ne puisse plus assurerla sécurité des ressortissants français. Leplan de charge est établi et s’enclenchealors un processus de planification.

Le premier travail consiste à mettre en cohé-rence le plan de sécurité de l’ambassadeet les exigences opérationnelles (choix etsécurisation des points de regroupement,îlotage...). Ce rôle est généralement confiéà l’attaché de Défense. Aujourd’hui, pourfaciliter ce lien, des missions conjointes2

sont organisées sous la direction du minis-tère des Affaires étrangères et euro-péennes. Le personnel de la Défense yapporte son expertise militaire. Toute inter-vention militaire, qui se ferait sans s’ap-puyer sur un plan de sécurité solide et àjour, ferait peser sur les ressortissants etles forces engagées des risques accrus.

Le second temps de la planification revientau seul CPCO aidé par les experts de laDRM et du commandement des forces spé-ciales. Il s’agit d’établir un plan RESEVAC.Celui-ci fixe les scénarios de dégradation,n’excluant aucun domaine (risque sismique,sanitaire...), les modes d’actions suscep-tibles d’être employés et les mesures deprécaution adéquates à mettre en œuvre

dès le frémissement de la crise. Une foisvalidés, ces plans sont envoyés aux états-majors interarmées outre-mer qui les décli-nent en plans opératifs, ceux-ci étant par-fois déclinés jusqu’au niveau tactique,quand la France dispose de forces militairesengagées sur le théâtre (RCA, Tchad...).

Tous ces plans doivent être mis à jourrégulièrement. Au CPCO, les délais sontvolontairement courts, particulièrementpour le continent africain soumis réguliè-rement à des déstabilisations. Un toilet-tage est prévu tous les 3 ans et une miseà jour tous les 5 ans. Cette démarche estpartagée au niveau des AE, les plans desécurité étant régulièrement remis à jourpar les ambassades. Ces échéances sontautant de moments privilégiés pour unecoordination approfondie entre les deuxministères.

Une dimension multinationale quia du mal à émerger

Si l’approche interministérielle est bienancrée dans les esprits, la dimension mul-tinationale et notamment européenne adu mal à émerger. Certes, la réalité montrequ’il n’existe pas de RESEVAC purementnationale. En planification, au niveau fran-çais, les ressortissants de tous les payseuropéens et de certains de nos alliés tra-ditionnels (USA, Canada, Liban...) sont prisen compte systématiquement. Mais com-ment aller au-delà ? Les réticences sontfortes. Aucun Etat ne veut, par principe,déléguer à un autre la décision d’évacua-tion de ses propres ressortissants.

Quelques initiatives existent au niveau poli-tique mais pour l’instant sans la moindreavancée.

Du côté militaire, la démarche se veut pluspragmatique et tournée vers l’efficacité.Ainsi, un forum informel, appelé“NEO Coordination Group3” permet deséchanges d’idées et d’expérience. Onzepays4 en font partie et à l’initiative de laFrance, l’EUMS5 y est maintenant repré-senté. Il se réunit tous les 6 mois. Les objec-tifs sont de faire le point sur des pays pré-occupants, de partager les enseignementssur les récentes évacuations et d’échan-ger sur les planifications en cours. Cetteinitiative a été à l’origine de planificationsconjointes, franco-belge sur la RDC et leBurundi, franco-espagnole sur la GuinéeEquatoriale et d’échanges avec lesBritanniques sur le Kenya ou avec lesPortugais sur la Guinée-Bissau. La coopé-ration militaire dans le domaine de l’éva-cuation des ressortissants est donc enmarche.

1 Groupe d’anticipation stratégique.2 MIECS : Mission interministérielle d’évaluation etde conseil sur la sécurité de la communautéfrançaise.

3 NEO/CG : Non-combattant EvacuationOperation/Coordination Group.

4 France, Allemagne, Autriche, Belgique, Canada,Espagne, Etats-Unis, Italie, Pays-Bas, Portugal etdu Royaume-Uni.

5 EUMS: European Union Military Staff.

EEn Afrique, la présence de nos forcesprépositionnées, si elle confère une capacitéde réaction inégalée, est aussi une exigence

forte. Elle incite la plupart des pays européens àcompter, sans le dire, sur l’intervention des forcesfrançaises au profit de leurs ressortissants. Lesréorganisations à venir pourraient faire bouger leséquilibres actuels et inciter la France à pousserune approche multinationale de la sécurité desressortissants européens. Mais, cette dernière seheurtera vite au besoin de l’Etat de préserver saliberté d’action que seule une décision nationalepeut lui garantir.

phot

o fo

urni

e pa

r l’a

uteu

r

Page 15: FRA magazine Doctrine16 NEO

JUIN 2009 DOCTRINE N° 1615

Une responsabilité de l’Etat...

CComme le rappelle la décision duconseil de l’Union européenne du17 juin 2007 : “C’est en premier lieu

aux États membres qu’il incombe d’assu-rer la protection de leurs ressortissants”.Conformément à ce principe du droit inter-national, la sécurité des ressortissants àl’étranger est d’abord de la responsabilitéde l’Etat et incombe en France au minis-tère des Affaires étrangères et euro-péennes. En effet, le caractère multinatio-nal d’une opération ne dédouane pas l’Etatde ses responsabilités.

Ainsi, “l’évacuation des ressortissants” estet restera toujours une décision politiqueprise au plus haut niveau, impliquant, danssa mise en œuvre, l’utilisation des moyenscivils ou militaires.

Assumée le plus souvent dansun cadre européen...

L’évacuation est bien de la responsabiliténationale, toutefois, l’opération menée auTchad a permis une application du concepteuropéen d’Etat pilote. Ce dernier a, en effet, été adopté parle Conseil de l’Union le 18 juin 2007. Il offi-cialise le principe de solidarité des Etatsmembres et l’extension de la notion debénéficiaires de plein droit à l’ensembledes ressortissants de l’UE. Il vise ainsi àaméliorer la protection des ressortissantsdes Etats membres de l’Union européen-ne en temps de crise dans les pays tiers,notamment lorsque certains Etats membresn’ont pas de représentation dans le paysconcerné. La mission de l’Etat pilote consiste à coor-donner les mesures de protection de l’en-

semble des ressortissants européens entemps de crise (information, regroupement,évacuation le cas échéant). Actuellement,les Etats membres expérimentent ceconcept dans des pays où ne sont pré-sentes au maximum que deux représen-tations diplomatiques de l’UE. C’était le casau Tchad où seules la France et l’Allemagnesont représentées.

Conduite en interministériel...

Ces opérations sont donc anticipées et pla-nifiées, mais aussi conduites en intermi-nistériel. Outre sur le théâtre proprementdit2, la coopération des deux ministèresse concrétise au niveau stratégique pardes réunions de crises des responsables(niveau S/C opérations de l’EMA - direc-teurs du ministère des Affaires étrangères)

La conduitedes opérations d’évacuationde ressortissants

PAR LE CAPITAINE DE VAISSEAU XAVIER GERARD (CPCO)

DDu 2 au 7 février 2008, en étroitecollaboration avec le ministère desAffaires étrangères et européennes,les armées françaises ont permis à

1 753 ressortissants dont un tiers de Françaisde quitter le territoire tchadien. De fait, il s’agis-sait d’un “classique” sur le théâtre africain.En effet, depuis 2002, les forces françaisesont participé à pas moins de six opérations1

d’aide au retour des ressortissants dont cinqen Afrique. Mais de quoi s’agit-il ?

phot

o fo

urni

e pa

l’au

teur

DoctrineDoctrine

Page 16: FRA magazine Doctrine16 NEO

et une collaboration très étroite entre lescellules de crises3. Le ministère de l’Intérieurest également impliqué que ce soit pourl’accueil des ressortissants lors de leur retoursur le territoire national ou pour la partici-pation éventuelle de la sécurité civile.

Avec des moyens militaires aucours d’opérations interarmées...

Lorsque le climat d’insécurité locale nepermet plus d’envisager une évacuation pardes moyens civils, l’autorité politique peutrequérir l’emploi des armées pour enassurer l’exécution. Les opérations d’éva-cuation appartiennent donc au domainedes opérations de sécurité dont la défini-tion est codifiée par l’IM 1000. Celle-ciprécise : “Opération de sécurité ayant pourobjectif de protéger des ressortissantsrésidant à l’étranger en les évacuant d’unezone présentant une menace imminente etsérieuse risquant d’affecter leur sécurité,lorsque l’Etat dans lequel ils sont locali-sés, n’est plus en mesure de la garantir”.A ce sujet, le Livre blanc précise que les capa-cités d’intervention des forces armées fran-çaises4devront leur permettre de conduireces opérations en autonome, y comprisdans un environnement hostile.

Dès lors que des moyens militairesfrançais sont engagés, il s’agit alors d’uneopération interarmées sous le comman-dement opérationnel du chef d’état-majordes armées.

Dans les faits, on dénomme courammentces opérations “évacuations de ressortis-sants” ou “RESEVAC”. Cette appellationcouvre en fait un panel d’opérations allantde “l’évacuation ordonnée”, à “l’incitationau retour” et à “l’aide au retour volon-taire”. Toutes les opérations menées parles armées, ces dernières années, ont étéconduites dans le cadre de cette dernière

option. L’évacuation proprement dite peutentraîner des conséquences lourdes surle plan politique, diplomatique maisaussi pour les intéressés. En effet, pourla plupart des ressortissants installés àl’étranger depuis plusieurs années, êtreévacué revient à tout abandonner.

Pour des bénéficiaires de plus enplus multinationaux

Si les ressortissants de l’Union euro-péenne sont systématiquement pris encharge, ceux de pays non européens oudes membres d’organisations internatio-nales peuvent également être pris en comp-te5, ce qui entraîne un accroissementimportant du nombre de bénéficiairespotentiels. Cette extension du périmètrede l’opération met en exergue la problé-matique des binationaux européens dontl’estimation en amont par les autoritésconsulaires reste difficile. Ainsi, le nombrede personnes évacuées est souvent mul-tiplié par deux ou trois, voire plus, comme

pour l’opération “Providence”6, où lenombre de bénéficiaires est passé dequelques dizaines de personnes à plusieurscentaines.

Par ailleurs, “l’assistance au retourvolontaire” qui laisse une certainemarge de liberté aux ressortissantsintroduit également un paramètre àprendre en compte dans la conduite del’opération.

1 2002- RCI, 2003 - MONROVIA, 2004 - ABIDJAN, 2006 -LIBAN, 2008 NDJAMENA.

2 Collaboration entre la chaîne consulaire désignant lesbénéficiaires et responsable du regroupement des ressor-tissants et la chaîne militaire prenant en charge les ressor-tissants aux points de regroupement.

3 Le ministère des affaires étrangères vient de se doter duCOVAC (centre opérationnel de veille et d’appui à la gestiondes crises)

4 Pages 200, 212, 213 225 227 capacités Terre, Air, Mer etforces spéciales.

5 La désignation des bénéficiaires de l’opération n’est pas dela responsabilité du ministère de la Défense.

6 Monrovia 2003.7 Bouké- Korhogo et Ferkessedougou.8 Page 156 - la reconfiguration des moyens prépositionnés.

DOCTRINE N° 16 JUIN 200916

Pays et annéeNb

d’évacuésDont

FrançaisNb de

nationalités Remarques

RCI 7 2002 2295 484 20

BANGUI - 2003 609 280 43

MONROVIA -2003535 18

3745 rotations de

Cougar depuis le TCDOrage.

RCI 2004 Plus de 10 0008 000

5916 Françaisaccueillis au 43e BIMa

1 500 extractions

LIBAN 200614 009 10 806

70 Dont plus de 2 000par le TCD Siroco.

TCHAD 20081753 577 79 19 rotations d’ATT

GGrâce au dispositif des forces prépositionnées, les opérations d’évacuation de demain se dérouleront dans descontextes différents et la dimension interministérielle sera vraisemblablement encore plus prégnante, sachons doncnous y préparer. Toutefois, comme par le passé, nous aurons à les conduire sous de fortes contraintes, dans l’urgence

et avec les seuls moyens immédiatement disponibles. Dans ce cadre, le dispositif des forces prépositionnées confère uneextrême réactivité qui, dans la majeure partie des cas, a fourni les forces projetées dans les premières 24 heures. Commele rappelle le Livre blanc8 : “les dispositifs prépositionnés confèrent des avantages opérationnels qui dépassent le seulchamp de la fonction de prévention. Ils contribuent au soutien et à l’aide logistique des interventions et aux actions deprotection et d’évacuation de ressortissants”.

Page 17: FRA magazine Doctrine16 NEO

Quels sont les apports particuliersd’une opération RESEVAC conduitepar voie maritime ?

Les opérations RESEVAC conduites par lamarine sont en général de deux types :

• les opérations d’opportunité, souvent defaible ampleur et qui peuvent êtreconduites par n’importe quel bâtimentprésent dans la zone de crise ;

• les opérations de plus grande ampleurqui nécessitent des capacités supérieures,interarmées et qui sont parfois complé-tées de navires civils.

JUIN 2009 DOCTRINE N° 1617

RESEVACLa vision de la marine nationale

PAR LE CAPITAINE DE VAISSEAU BERTRAND MOPIN DE L’EMM1

DDans un monde d’Etats souverains très différents au plan des ressources et dudéveloppement économique, les conflits et les tensions semblent s’installer de façondurable. Les facteurs déclenchants des crises se multiplient du fait d’une combinaison de

paramètres aussi divers que les changements climatiques, l’apparition de nouvelles idéologies,les animosités ethniques, les convoitises diverses, les revendications territoriales non résolues,le fanatisme religieux et la compétition pour les ressources. Le flot croissant de réfugiés et depersonnes déplacées, provoquera des réponses des Etats se caractérisant par des scénarioscentrés sur les populations et leurs problèmes.

Quatre-vingt pour cent des populations des grandes agglomérations, des centres commerciauxet stratégiques de première grandeur sont déjà concentrés dans la frange littorale, près desports en particulier. En 2030, soixante-cinq pour cent de la population mondiale vivra en zoneurbaine susceptible d’être atteinte par la mer. Dans ce contexte, les opérations d’évacuation deressortissants réalisables depuis la mer se multiplieront.

DoctrineDoctrineSI

RPA

Mar

ine

Page 18: FRA magazine Doctrine16 NEO

Les spécificités de l’actionmaritime dans les évacuationsde ressortissants2

DDans la conception d’une évacuationde ressortissants, l’action mariti-me est très souvent complémen-

taire des autres modes d’action, en parti-culier compte tenu des spécificitéssuivantes :

Liberté d’action

Le déploiement de troupes ou d’aéronefssur le théâtre d’une zone de crise, avec deseffectifs réduits la plupart du temps, s’ap-parente bien souvent à un pari osé, avecdes risques importants : le parachutage du2e REP sur Kolwezi, opération parfaitementréussie par ailleurs, en est un exemple. Une opération par voie maritime, lorsqu’elleest possible, reste une opération à risques,mais permet de les minimiser en adaptantl’empreinte à terre aux conditions rencon-trées, par nature évolutives. Elle permetde compléter efficacement une évacuationpar voie aérienne et de desserrer ainsi lapression sur ce mode d’évacuation.

Cette action maritime présente l’avantagecertain de libérer le décideur de contraintesmultiples : la force navale jouit d’unegrande autonomie ; elle ne dépend pas dela terre et peut attendre au large selon laposture la plus à même de permettre aupolitique de négocier la crise ; elle lui per-met aussi de basculer sans renfort lourdvers des opérations de sortie de crise avecsoutien humanitaire et déploiement d’ONG.

Cette liberté d’action découle directementde la capacité de “sea basing” des bâti-ments : soutenir depuis la mer des opéra-tions à terre, tant sur le plan tactique quedans le domaine du commandement,du renseignement, de la logistique endéployant un volume de force strictementadapté au besoin pour préserver la réver-sibilité souvent fondamentale dans cesopérations.

Capacité à durer et polyvalence

Les forces navales nécessitent davantaged’anticipation que d’autres composantespour être déployées à temps dans ce typede crise mais sont davantage aptes à durersur zone pour les raisons évoquées dansle paragraphe précédant.

Les opérations d’évacuation de ressortis-sants peuvent s’inscrire dans un cadre per-missif ou dans un cadre non permissif allantdes opérations de haute intensité aux opé-rations spéciales, à l’assistance humani-taire, aux opérations de reconstruction etde soutien des ONG.

Avec les BPC3, la France dispose d’un outilréactif, polyvalent et modulable permet-tant au décideur de gérer l’incertitude quiprévaut dans ces crises. A la fois capacitéde commandement, d’emport de matérielhumanitaire et d’embarquement de res-sortissants ; il permet aussi de disposerd’une capacité de raid héliporté particu-lièrement adaptée pour certaines opéra-tions RESEVAC et enfin, c’est une plate-forme hospitalière incomparable.

La polyvalence des bâtiments à vocationamphibie contribue de façon efficace aumaintien d’un dispositif interarmées devigilance et d’appréciation de situationautonome au plus près des zones de crises.

Il est probable que ces atouts conduirontà un investissement plus important de lacomposante amphibie dans des tâchesnon strictement militaires exigeant unemeilleure connaissance des zones sen-sibles et toujours davantage de réactivité,de souplesse d’emploi et de polyvalence.

Diplomatie coercitive

Le prépositionnement de moyens militairesoutre-mer, dans les DOM-COM comme dansles points d’appui représente une garan-tie de sécurité certaine pour les ressortis-sants français à l’étranger. Les BATRALconstituent ainsi un moyen important pourdes opérations de moindre ampleur com-me ils l’ont démontré pour l’évacuation desressortissants d’Haïti. Les bâtimentsdéployés dans une zone maritime sont tousentraînés à ce type d’opérations decirconstances comme l’a démontré l’éva-cuation de 700 personnes conduite par unaviso en Sierra Leone ou par la frégate Jeande Vienne au Liban. La polyvalence des uni-tés et des équipages permet sans diffi-culté la bascule d’une mission à une autre.

Demain, la réduction probable du format desforces permanentes prépositionnées outre-mer viendra sans doute renforcer le besoinde prépositionnements d’anticipation occa-sionnels de forces navales. Il ne s’agit pasbien sûr de déployer a priori et en perma-nence des capacités d’intervention ; il s’agit

au contraire de cibler ces déploiements surles zones et les créneaux de temps pou-vant voir le développement d’une crisemenaçant nos ressortissants.

Déployés au large d’une côte donnée defaçon ostensible, les bâtiments sont eneffet un vecteur essentiel de la diploma-tie navale dite coercitive. Ils adressent unsignal fort vers les zones de crise et influentsur le développement de situations pou-vant conduire à une opération d’évacua-tion de ressortissants. Cela a été en parti-culier le cas par exemple en février 2007avec le déploiement du Siroco qui a désa-morcé la crise guinéenne.

Le positionnement de bâtiments au large,en appui de la politique gouverne-mentale, est facilement exploitable auniveau stratégique ; il rassure les popula-tions locales, permet de développer descontacts locaux avec les autorités diplo-matiques, politiques et militaires localeset contribue au retardement des échéancesultimes.

Un bâtiment de la marine est aussi uneparcelle du territoire français, avec un sta-tut particulier. Son poids politique est bienperçu par les pays en crise. Un déploie-ment préventif permettra toujours d’en-tretenir sans contraintes diplomatiquesd’un Etat d’accueil, un dispositif crédiblede prévention, capable de mener desactions immédiates, tant dans le domainede la défense, que celui de la diplomatie.

Deux domaines essentiels dans lesopérations de RESEVAC maritimes

Enfin, les opérations de RESEVACmaritimes nécessitent de considérer deuxdomaines essentiels.

Sortie de crise et niveau de commandement

Bien que ces considérations soient enmarge des opérations RESEVAC propre-ment dites, la gestion post-crise doit êtreanticipée lors de la conception d’une tel-le opération. Or, les opérations RESEVACd’une certaine ampleur sont souvent sui-vies d’opérations de sortie de crise. Faisantappel à des composantes des trois armées,le choix du niveau de commandementn’est pas anodin.

DOCTRINE N° 16 JUIN 200918

Page 19: FRA magazine Doctrine16 NEO

La sensibilité diplomatique des opérationsd’évacuation de ressortissants avec uneforte implication interministérielle et la pré-sence de très nombreux acteurs peut impo-ser un fort niveau de coopération quidépasse le strict niveau tactique.

Un commandement de niveau opératif(COMANFOR) apparaît comme le mieux pla-cé pour assurer cette coordination. Cela nesignifie pas pour autant qu’il faille déployerun état-major surdimensionné - la phaseRESEVAC de Baliste par exemple étaitconduite par un état-major opératif de65 personnes, réduit à 40 en phase desortie de crise- il convient surtout de réflé-chir à un renforcement des liens de cet état-major avec les représentants des minis-tères et des ONG impliqués dans l’action.

Les BPC, plates-formes de commandement,sont à cet égard des outils particulièrementadaptés au contrôle opérationnel de cesopérations.

Capacité d’emport et cycle d’évacuation

L’affichage de la capacité d’emport estdéterminant et engage les autorités mili-taires envers les autorités politiques.

En première approche, une opération RESE-VAC par voie maritime permet de disposerd’une capacité d’emport théorique sansaucune mesure avec les autres modesd’opération. Cependant, cela demande àêtre relativisé. L’expérience montre qu’il estdifficile de s’engager sur un quota fixe depersonnes évacuées tant les données quimodifient la capacité d’emport d’un bâti-ment ou d’un navire sont nombreuses : • la situation d’urgence tout d’abord - undépassement des quotas théoriques sejustifie si la vie des ressortissants est endanger à terre ;

• la météorologie et la durée des transitsmaritimes qui conditionnent le confortminimal admissible ;

• la capacité du pays de départ à générerle flux de ressortissants ;

• la capacité du pays de dépose à géné-rer un flux de départ par voie aérienneet sa capacité d’hébergement des res-sortissants placés en attente.

Enfin, il conviendra de raisonner en fluxglobal, c’est-à-dire de tenir compte de ladurée d’un aller-retour entre le port d’éva-cuation et le port de dépose.

Dans bien des cas, les opérationsd’évacuations de ressortissants tellesqu’elles sont programmées demandentà être complétées par des opérationsd’évacuations de circonstance de per-sonnes en situation d’urgence. Une capa-cité héliportée, mise en œuvre depuisla mer, est alors nécessaire.

1 Etat-major de la marine.2 Les titres intermédiaires ont été rajoutés par la

rédaction.3 Bâtiment de Protection et de Commandement.

DoctrineDoctrine

JUIN 2009 DOCTRINE N° 1619

LLes opérations RESEVAC doiventêtre envisagées en exploitantles complémentarités des

différentes composantes. Le moded’action par voie maritime, présentedes particularités originales. Unebonne anticipation permettra derépondre sans délai et dans debonnes conditions aux éventuellesévacuations de ressortissants par lamer.

SIR

PA M

arin

e

Page 20: FRA magazine Doctrine16 NEO

DOCTRINE N° 16 JUIN 200920

L’L’évacuation de ressortissants(RESEVAC), nationaux ou de paysalliés, est une opération qui, par le

volume de personnes qu’il s’agit d’évacuer,les distances sur lesquelles il faut les trans-porter et le climat d’insécurité dans lequelelle se déroule généralement, nécessite uneplanification rigoureuse et une coordinationinterministérielle méticuleuse.

Elle est régie, en termes de doctrine, parla publication interarmées (PIA) 03.351,intitulée “directive traitant des opérationsd’évacuation de ressortissants”, approu-vée par le CEMA en 2004. Publiée dans labibliothèque électronique de l’armée deterre (BEAT), cette directive est en coursd’actualisation par le centre interarméesde coordination de la doctrine et des études(CICDE).

L’opération requiert, pour être conduite,une structure projetable, si possible surcourt préavis, et adaptable à toutes lessituations, qu’il s’agisse de la zone danslaquelle elle sera déployée, du volume deressortissants qu’elle aura à traiter oudu niveau de menace auquel elle seraconfrontée.

Cette structure est le CRER, armé équipéet mis en œuvre par une brigade logis-tique, qui sera renforcée en fonction dutype de déploiement requis. Elle a été miseen œuvreàplusieurs reprises au cours desdernières années, en Côte d’Ivoire en 2004,au Liban et au Tchad en 2006 ou au Gabonet à nouveau au Tchad en 2008.

En complément de la PIA 03.351, l’arméede terre a développé le “manuel de miseen œuvre du CRER”. Ce document de doc-trine précise la place et le rôle du centreau sein de l’opération, ses missions, sonfonctionnement et sa composition.

Le rôle et la place du CRERdans le système RESEVAC

Le CRER, point-clé d’une RESEVAC consti-tue à la fois la dernière étape de l’éva-cuation primaire et le point d’initiation del’évacuation secondaire, avant le rapa-triement des ressortissants, phase finalede l’opération conduite par le ministèredes Affaires étrangères et européennes(MAEE). Il constitue l’ultime zone de tran-

sit placée sous la responsabilité des forcesarmées avant le transfert de responsabili-té au MAEE.

La structure de commandement

Dans une opération RESEVAC, la respon-sabilité des forces armées s’étend de lasortie des points de regroupement à lasortie du CRER. Dès le transfert de l’auto-rité du CEMA au commandant de la force(COMANFOR), le centre est placé sous lecontrôle opérationnel de ce dernier, quipeut, en déléguer le contrôle tactique à sonadjoint soutien interarmées (ASIA). Le chefdu CRER, officier supérieur généralementd’un état-major de brigade logistique, estle conseiller du COMANFOR pour ledéploiement et la mise en œuvre du centre.Il dispose de deux adjoints, un pour le siteet un pour les opérations de synthèse infor-matique.

Les missions du CRER

Les missions du CRER couvrent quatregrands domaines.

Le centre de regroupementet d’évacuation

des ressortissants

PAR LE COLONEL PIERRE-YVES SANTENARD, CHEF DE LA DEP DES ELT1

Lorsque le pouvoir politique décide d’évacuer d’une région en crise les ressortissants, nationaux ou depays alliés, les forces armées peuvent être requises pour en conduire l’exécution. Il leur incombe de les

regrouper dans une zone sécurisée et d’initier leur évacuation secondaire. Le centre de regroupement etd’évacuation des ressortissants, ou CRER, est la structure interarmées qui est déployée pour conduire cettephase de l’opération.

Page 21: FRA magazine Doctrine16 NEO

Le centre constitue tout d’abord une zoned’accueil. Il permet d’accueillir les réfugiésdans une zone sécurisée, de les informersur la situation locale et régionale, sur lesévènements en cours et à venir et sur lesconditions de leur transfert. Il permet enfinde les enregistrer.Il est ensuite une zone de préparation pourl’évacuation secondaire. Il constitue lesgroupes de personnes à évacuer et coor-donne les opérations d’embarquement enassurant, le cas échéant, le transport jus-qu’au point d’embarquement.Il est également une zone de soutien, à lafois physique et psychologique. Les res-sortissants peuvent y être nourris, héber-gés, soignés et conseillés, dans des condi-tions de confort qui varient bienévidemment en fonction du type de CRERdéployé.Il est, enfin, une zone de collecte d’infor-mation. Outre le compte-rendu en tempsréel du déroulement de l’évacuation, leCRER peut renseigner le commandementsur la situation dans les zones évacuéesgrâce aux informations recueillies auprèsdes ressortissants. Il constitue égalementune zone de liaison interministérielle entreles autorités civiles et militaires.

Les caractéristiques de miseen œuvre

Le CRER est une structure modulairequi permet au commandement derépondre de façon appropriée à toutes lessituations : les différents types de CRERléger seront privilégiés pour faire face àl’urgence et le CRER lourd permettra, quantà lui, de faire face aux afflux massifs deréfugiés ou à la pénurie de moyens de sou-tien dans la zone d’évacuation.

Le CRER est une structure modulaire, afinde répondre au mieux aux besoins qui sontspécifiques à chaque opération. Il est arti-culé autour d’un noyau dur, le module EVACINFO, cellule élémentaire de mise en œuvrepermettant d’enregistrer 500 ressortis-sants par jour. En fonction des conditionsdans lesquelles se déroule l’opérationd’évacuation, la structure peut gagner enpuissance et en capacités par agrégationsuccessive de modules supplémentaires,le module EVAC INFO constituant dans tousles cas l’élément harpon. Les deux critèrespermettant de déterminer la structure àdéployer sont les prestations requises au

profit des ressortissants, d’une part, et lacapacité des forces déployées ou préposi-tionnées à soutenir le CRER, d’autre part.Il est déployé, chaque fois que possible,sur ou à proximité de la plate-forme d’éva-cuation secondaire et dispose d’une auto-nomie alimentaire de 10 jours pour son per-sonnel.

Tous les types de CRER intègrent unecellule recueil de l’information, directe-ment subordonnée au poste de comman-dement interarmées (PCIAT), dont le rôleest de recueillir auprès des ressortissantsdes renseignements d’intérêt militaire sus-ceptibles d’intéresser le commandant del’opération.

A partir du type ALPHA, ils intègrent éga-lement des gendarmes,officiers de policejudicaire. Leur présence est indispensabletant pour enregistrer les plaintes des res-sortissants que pour initier toute procé-dure judiciaire au profit ou à l’encontre des-dits ressortissants. Ils sont, de plus, seulslégalement habilités à fouiller les personnesqui se présentent à l’entrée du CRER.

JUIN 2009 DOCTRINE N° 1621

Schéma des 4 modules

DoctrineDoctrine

Page 22: FRA magazine Doctrine16 NEO

DOCTRINE N° 16 JUIN 200922

Le module EVAC INFO

Le module EVAC INFO est par conception unestructure légère dont la projection ne néces-site qu’un seul avion de transport tactique(ATT).Son effectif se limite à 21 personnes,incluant une cellule IMMARSAT et unecellule recueil de l’information, subordon-née au J2 du PCIAT. Son poids logistique totalest inférieur à 5 tonnes et le fret est condi-tionné en palettes afin de limiter lescontraintes d’emport et de manutentioninduites par l’emploi de conteneurs.Il est chargé d’initialiser puis de conduire lesopérations d’enregistrement, avec le systè-me informatique de gestion (SIG), à partirdes listes consulaires, puis la mise à bord dumoyen d’évacuation, permettant ainsi àl’équipe du MAEE déployée simultanémentet par le même vecteur, de procéder à l’éva-cuation secondaire. Il lui revient de préparer, le cas échéant, ledéploiement des modules complémentairesqui viendront le renforcer.Ce CRER n’a aucune capacité organique desoutien. Il dépend donc des forces localespour tous ses besoins de vie courante,ainsi que pour subvenir aux besoins desressortissants enregistrés et en attented’évacuation.

Le CRER ALPHA

Un renforcement capacitaire complète lemodule EVAC INFO pour constituer un CRERALPHA qui représente le 2e niveau de pro-jection.Son effectif passe à 44 personnes,avec l’apparition de nouvelles cellules dontune équipe prévôtale et une équipe médi-cale. Son poids logistique total reste infé-rieur à 9 tonnes, le fret étant, comme pourle module EVAC INFO, palettisé. Il est doncprojetable à l’aide d’un seul ATT ou à bordd’un bâtiment de la marine nationale.Il s’agit, là encore, d’une structure légèrequi doit, dans la mesure du possible, êtreinstallée en infrastructure et dont le sou-tien et la sécurité doivent être assurés parune unité locale.Le doublement de sa capacité d’enregis-trement lui permet, si besoin est, de tra-vailler jour et nuit. Il est également en mesu-re d’enregistrer les déclarations desressortissants (contentieux, exactionssubies, plaintes...). Il peut, enfin, assurerà ceux-ci un soutien médical et psycholo-gique léger.Deux CRER ALPHA sont systématiquementen alerte GUEPARD au sein d’une brigadelogistique, l’un à 72 heures et l’autre à 9 jours.

Le CRER BRAVO

Un second renforcement capacitaire trans-forme le CRER de type ALPHA en type BRA-VO. Son effectif est porté à 85 personnesavec, en particulier, la création de 2 nou-veaux secteurs : les zones “arrivée” et “vie-soutien”. Son poids logistique avoisine les32 tonnes et le fret reste conditionné enpalettes. Sa projection par voie aériennerequiert 2 ATT et il peut également embar-quer à bord d’un bâtiment de la marinenationale. Cette structure reste donc pro-jetable sur court préavis et adaptée auxsituations d’urgence.Il doit, lui aussi, être installé en infrastruc-ture et bénéficier des mêmes conditionsde soutien et de sécurité que le CRERALPHA.Sa capacité d’enregistrement est à nou-veau doublée. De plus, les cellules arrivée,enregistrement et départ sont, pour partie,renforcées par du personnel féminin, plusspécifiquement dédié au traitement et àl’écoute des ressortissantes. Cette mixitéreprésente un caractère obligatoire pourrassurer femmes et enfants et pour favori-ser l’enregistrement d’exactions subies.

Ce CRER est, théoriquement, en mesured’enregistrer jusqu’à 2 000 personnes partranche de 24 heures. En réalité, le ryth-me d’enregistrement est directement liéaux capacités d’accueil du centre et au ryth-me donné à l’évacuation secondaire. Celle-ci est, quant à elle, tributaire du choix dela voie d’évacuation retenue, du nombreet du type de vecteurs affectés à cette opé-ration, des capacités de la plate-formed’évacuation et de la durée des rotationsentre celle-ci et le lieu de destination fina-le. Si l’opération est conduite par voieaérienne, une moyenne de 500 personnespar jour peut raisonnablement être main-tenue. En mesure de nourrir 500 ressortissantspendant 7 jours, il assure un soutien san-té léger permanent.

Le CRER lourd

Il représente le niveau de déploiement leplus élevé, soit parce que l’afflux de res-sortissants est massif, soit parce que lesite retenu n’offre aucune capacité d’ac-cueil. Il est alors déployé avec des maté-riels de campement et, dans ce cas, soninstallation nécessite un délai de 48 heureset requiert une zone stabilisée voire asphal-tée d’au moins 4 hectares.

Sa projection est d’une nature fondamen-talement différente de celles des modulesprécédents. Son poids logistique globalest de 163 tonnes et le fret est conteneu-risé. S’il doit emporter des modules 150, ilrequiert 23 conteneurs de 20 pieds. Il est,de plus, équipé de plusieurs véhiculeslourds et légers, ainsi que de groupes élec-trogènes et, en cas de besoin, d’une cen-trale électrique. Il peut, enfin, être renfor-cé par une antenne chirurgicale. Sondéploiement ne peut être assuré que parnavire porte-conteneur ou de type RORO2

ce qui accroit évidemment les délais deprojection. De plus, si le CRER n’est pasdéployé sur le port de débarquement, ildoit disposer de camions porte-conteneurset de chariots élévateurs lourds.

L’effectif total est de 200 personnes carla fonction soutien de la vie courante, auprofit des ressortissants et du personneldu centre, augmente considérablement.

Outre l’alimentation déjà assurée par leCRER BRAVO, il est en mesure d’héberger500 ressortissants par jour dans des condi-tions raisonnables d’hygiène et de leurapporter un soutien santé relativementconséquent.

L’organisation d’un CRER

Selon le module déployé, le CRERcomprendra jusqu’à 5 secteurs distincts,chacun d’entre eux ayant en charge unedes grandes missions qui incombent aucentre. La circulation des ressortissantsentre ces différents secteurs est bienévidemment réglementée, matérialisée etcanalisée. Chaque fois que cela est néces-saire, des zones d’attente sont aménagéesentre ces secteurs afin de placer les res-sortissants dans les meilleures conditionspossibles.

Le secteur “commandement” conduit l’en-semble des opérations et renseigne leCOMANFOR.

Le secteur “arrivée” accueille, rassure etsécurise les ressortissants. Le secteur“enregistrement” identifie et enregistreles personnes en transit. Le secteur “atten-te-départ” régule et conduit les mouve-ments vers le lieu d’évacuation secondai-re. Les ressortissants y sont nourris ethébergés lorsque cela est nécessaire. Lesecteur “vie-soutien” nourrit et hébergele personnel du CRER.

Page 23: FRA magazine Doctrine16 NEO

Les moyens de soutien santé sont répartisen divers points du CRER afin d’optimiserleur action.

Le CRER devra, en outre, disposer à sa péri-phérie d’une aire de poser pour hélico-ptères et de zones de stationnement dif-férenciées pour véhicules militaires et civils.

1 Direction des études et de la prospective des écoles dutrain et de la logistique.

2 RORO: roll on roll off. Navire permettant aux véhiculesd’embarquer et de débarquer en roulant.

JUIN 2009 DOCTRINE N° 1623

121è

RT

GGarant de la capacité du pays à évacuer ses ressortissants si la situation l’exige, le CRER est un remarquable outilmilitaire et humanitaire. Mais il est également un vecteur de communication et de politique étrangère. Il permet,enfin, aux forces armées de montrer concrètement leur capacité à assurer la sécurité des citoyens expatriés, où

qu’ils puissent se trouver.

Le CRER peut et doit être considéré comme une démonstration manifeste de la capacité des forces armées à porterassistance aux citoyens français voire à les secourir partout dans le monde dès que la situation l’exige. Mais il estégalement un extraordinaire outil politique, sur le plan national et international pour les forces armées comme pourle gouvernement.

Il permet aux premières d’être l’interlocuteur privilégié du gouvernement, même si la responsabilité globale d’uneRESEVAC incombe au MAEE. Il leur confère aussi, dans le cas d’une opération multinationale, la capacité indiscutabled’en revendiquer et d’en assurer la conduite.Il offre au second une double possibilité, vis-à-vis des expatriés et vis-à-vis de pays alliés.

Parce qu’il peut leur garantir qu’ils seront évacués rapidement et sur court préavis en cas de besoin, le gouvernementpeut encourager ses concitoyens à s’expatrier, participant ainsi à développer la présence de la France dans le monde.Il peut aussi, pour la même raison, ne pas précipiter leur évacuation et attendre d’être certain que celle-ci estindispensable pour la déclencher. Ce point participe de la préservation des intérêts nationaux dans la régionconcernée.

Il lui offre, de surcroît, la possibilité d’aider des pays alliés qui n’auraient pas la capacité d’évacuer ses propresressortissants, confortant la dimension internationale de la France.

DoctrineDoctrine

Page 24: FRA magazine Doctrine16 NEO

DOCTRINE N° 16 JUIN 200924

Les bases juridiques

Si les justifications juridiques avancéespar un certain nombre d’Etats se basentsur une interprétation extensive de l’ar-ticle 513 de la Charte des Nations unies,elles ne font pas l’unanimité au sein de lacommunauté internationale4. Cependant,de ces oppositions et débats, il sembleque l’on puisse élaborer une doctrine juri-

dique d’intervention au profit desressortissants. Cette doctrine repose sur deux principes :- pour l’Etat d’accueil, la responsabilité àl’égard des étrangers ;

- pour l’Etat intervenant, la compétencerégalienne et personnelle.

Le premier principe oblige l’Etat d’accueilà mettre en oeuvre tous les moyens néces-saires pour la protection des étrangers.

Protection et évacuation des ressortissants

Quel cadre juridique ?

PAR LE LIEUTENANT-COLONEL JÉRÔME CARIO, CHEF DU BUREAU RECHERCHE ET CONSEILLER JURIDIQUE CDEF

Devant la déliquescence d’un certain nombre d’Etats, incapables d’assurer sur leur territoireleurs fonctions régaliennes, nous assistons à un “renouveau” des interventions armées au

profit des ressortissants.

De nombreux Etats occidentaux ont employé la force pour protéger leurs ressortissants sur unterritoire étranger : intervention armée de la Belgique au Congo en 1960, des Etats-Unis enRépublique dominicaine en 1965 et au Liban en 1976, d’Israël à Entebbe en 1976 et de la Franceau Zaïre en 1978. Plus récemment, le 22 septembre 2002, un communiqué de presse duministère de la Défense français indiquait que “dans le cadre des mesures de précautiondécidées par les autorités françaises pour assurer la sécurité des ressortissants français en Côted’Ivoire, l’état-major des armées a renforcé le dispositif militaire stationné à Abidjan”1.

Les bases juridiques2 de ce type d’intervention ne sont pas définies aussi clairement que lerecours à la force. Pourtant toutes les forces armées des Etats européens se préparent à ce typed’action, considérant ces opérations de leur propre responsabilité. De plus, que ce soit dans uncadre national ou multinational, les différentes opérations d’évacuation menées ces dernièresannées ont même élargi la notion de ressortissants.

Page 25: FRA magazine Doctrine16 NEO

Ces derniers doivent disposer d’un stan-dard minimum de garantie, destiné à pro-téger l’étranger de l’arbitraire de l’Etatd’accueil, en lui assurant la sécurité surson sol. Ce principe de valeur coutumièrepeut être confirmé et précisé par desaccords bilatéraux traitant des droits etobligations de catégories particulièresd’étrangers.

L’obligation juridique qui pèse sur l’Etatd’accueil n’est pas respectée s’il se livrelui-même par l’intermédiaire de ses agentsà des agissements qui portent atteinte auxdroits des étrangers ou s’il laisse s’ac-complir de tels agissements. Sa respon-sabilité peut donc être engagée par actionou par inaction.

Les hypothèses dans lesquelles un Etat vadélibérément s’en prendre aux étrangersau risque de déclencher une riposte arméedans le cadre de la légitime défense sont

rares. Le plus souvent cependant, c’estparce qu’il laisse se commettre des faitsportant atteinte aux droits des étrangersque l’intervention se verra légale etlégitime. Il existe à cet égard toute unegamme de situations traduisant des com-portements très différents de la part del’Etat d’accueil : il peut être confronté àdes actes qu’il est incapable de maîtriser,à des actes qu’il ne veut pas maîtriser ouà des actes qu’il suscite et soutient5.

Le second principe est celui de la compé-tence régalienne et personnelle de l’Etat.Un Etat va exercer un certain nombre decompétences à l’égard d’individus ratta-chés à lui par un lien juridique particulier,la nationalité,que ces personnes se trou-vent ou non sur son territoire. Ce lien auto-rise le cas échéant la protection diploma-tique dans le cas où un ressortissantnational subit un dommage sur le terri-toire d’un Etats tiers.

Cependant, la compétence d’un Etats’arrête6 en principe là où commence lacompétence territoriale de l’Etat d’accueil,c’est-à-dire sa souveraineté. Lorsque cedernier manque à son obligation de sécu-rité au profit des étrangers, l’Etat natio-nal est susceptible de l’assurer au titre desa compétence régalienne et personnelle.Cette compétence fonde juridiquementl’intervention au profit des ressortissants.Une telle intervention qui constitue auregard de la Charte des Nations unies uneatteinte à la souveraineté d’un Etat estcependant soumise à un certain nombrede conditions strictes.

Des obligations de mise en œuvre

La doctrine et la pratique s’accordent pourconsidérer que l’intervention au profitdes ressortissants est légitime si ellerespecte trois conditions : - une menace imminente pour la sécuritédes nationaux ;

- une carence des autorités locales ; - la limitation de l’intervention à son objet.

Les menaces pesant sur les français enCôte d’Ivoire étaient doubles7. Elles résul-taient du conflit ayant éclaté le 19 sep-tembre 2002, lorsque des éléments armésont mené simultanément des attaques àAbidjan, Bouaké... et qu’un certain nombrede personnalités furent tuées dans la capi-tale. A cela s’ajoutent en janvier 2003,à Abidjan, des violences antifrançaisesaccompagnées de pillages dans uncontexte particulièrement menaçantpour la communauté française, forte de15 000 personnes environ.

Un mois après le déclenchement deshostilités le pays est coupé en deux :l’administration ivoirienne n’est pas enmesure de maintenir l’Etat de droit dansle nord et la région ouest, particulièrementdangereuse.

De plus, dans la zone contrôlée par lesforces gouvernementales, l’Etat fait faceà des exactions qu’il tolère ou qu’il susci-te. L’Etat ivoirien n’est plus en mesure d’yassurer l’ensemble de ses prérogatives,notamment la sécurité des ressortissantsfrançais.

Aussi, l’action pour la protection et l’éva-cuation des ressortissants a été conduite

DoctrineDoctrine

JUIN 2009 DOCTRINE N° 1625

121è

RT

Page 26: FRA magazine Doctrine16 NEO

par les forces présentes en Côte d’Ivoireet par des unités venant d’autres pays afri-cains. Les évacuations terminées, lesforces françaises se sont retirées etregroupées sur Yamoussoukro. Les opé-rations se sont donc déroulées avec desmoyens militaires dissuasifs et après noti-fication de chacune des opérations au gou-vernement ivoirien ainsi qu’aux rebelles.

Les forces françaises sont donc inter-venues pour garantir la sécurité desressortissants, devant la carence l’Etativoirien et en limitant leur intervention àl’évacuation.

Un élargissement de la notion deressortissants

Aujourd’hui, un citoyen d’un Etat membrede l’Union européenne peut bénéficier dela protection d’un autre Etat membre aucas où son Etat n’est pas représenté dansl’Etat d’accueil8. Il est donc possibled’affirmer que l’intervention au profit desressortissants est ouverte aux nationauxdes autres Etats membres de l’Union euro-péenne.La pratique, comme le montre l’exemplede l’action conduite en Côte d’Ivoire vad’ailleurs dans ce sens. D’emblée, lecommuniqué de presse du 22 septembreévoque, à côté des Français, les «ressor-tissants de la communauté internationale».L’évacuation concerne donc au-delà desFrançais, des ressortissants des Etatsmembres de l’Union européenne, desressortissants des Etats-Unis, d’un certainnombre de pays arabes et africains9.Le lien de nationalité s’estompe doncjusqu’à disparaître comme justificationde l’intervention.

1 www.defense.gouv.fr/ema.2 Bien que l’on retrouve une première justification de cesinterventions dans l’arrêt rendu dans les Affaires desbiens britanniques au Maroc espagnol (Maroc contreEspagne), SA du 1er mai 1925 : «... Il est incontestablequ’à un certain point l’intérêt d’un État de pouvoirprotéger ses ressortissants et leurs biens, doit primerle respect de la souveraineté territoriale, et cela mêmeen l’absence d’obligations conventionnelles. Ce droitd’intervention a été revendiqué par tous les États : seslimites seules peuvent être discutées. En le niant,on arriverait à des conséquences inadmissibles : ondésarmerait le droit international vis-à-vis d’injusticeséquivalant à la négation de la personnalité humaine ;car c’est à cela que revient tout déni de justice.»RSA vol. II, p.641.

3 Charte ONU. Article 51 : «Aucune disposition de lacharte ne porte atteinte au droit naturel de légitimedéfense ...»

4 J.P. COT et A. PELLET. La Charte des Nations unies.Commentaire article par article. La légitime défenseet protection des ressortissants à l’étranger.Economica 199.1 pp. 785-786.

5 Les «forces patriotiques» en Côte d’Ivoire, ont été àl’origine de nombreuses actions conduites contre lesressortissants français.

6 La Charte des Nations unies est fondée sur la souverai-neté des Etats et impose aux Etats de régler leursdifférends de façon pacifique. Art.2 §3.

7 Sur quelques enseignements de l’ «Opération Licorne»Louis Balmond. Are`s N° 53 • Volume XXI - Fascicule 1.Juillet 2004.

8 Article 20. Traité instituant la communauté européenne.2004. «Tout citoyen de l’Union bénéficie, sur le territoired’un pays tiers où l’État membre dont il est ressor-tissant n’est pas représenté, de la protection de la partdes autorités diplomatiques et consulaires de tout Étatmembre, dans les mêmes conditions que les nationauxde cet État. Les États membres établissent entre euxles règles nécessaires et engagent les négociationsinternationales requises en vue d’assurer cetteprotection.»

9 Ce fut le cas pour l’évacuation de Korhogo et deFerkessédougou menée sous commandement françaisavec une participation américaine, les unités améri-caines relevant ensuite les forces françaises dans lasécurisation de l’aéroport.www.defense.gouv.fr/ema/forces/operations/afrique/cote/ivoire/301102.htm.

10 La cour internationale de justice dans l’arrêt du26 juin 1986 déclarait dans l’affaire des activitésmilitaires et paramilitaires au Nicaragua : «Si les USApeuvent certes porter leur appréciation sur la situationdes droits de l’homme au Nicaragua, l’emploi de laforce ne saurait être la méthode appropriée pourvérifier et assurer le respect de ces droits.» (§268).

DOCTRINE N° 16 JUIN 200926

L’L’ intervention armée pour la protection et l’évacuation des ressortissants ne connaît pour limites de sa présencesur un territoire étranger que le libre choix des personnes à vouloir être évacuées et la capacité des forces àassurer l’évacuation. Cependant il serait très facile de sortir de la légalité invoquée pour la protection et

l’évacuation des ressortissants et violer les règles du droit international.

En effet, un Etat qui interviesndrait avec ses forces armées sur le territoire d’un autre Etat pour soustraire à un conflit despersonnes civiles ressortissantes de l’Etat en guerre aussi bien que ses ressortissants dont les droits fondamentauxseraient violés, violerait à son tour les règles du droit international10.

Une telle justification est avancée aujourd’hui par les promoteurs du «droit d’ingérence».

Page 27: FRA magazine Doctrine16 NEO

JUIN 2009 DOCTRINE N° 1627

Main Acronymsabout

Non-Combattant Evacuation Operation

Principaux sigles et acronymesconcernant les opérations

d’évacuation de ressortissants

ALAT

ANT

ASIA

ATT

BEA

BIMa

BOA

BPC

BSVIA

CDC

CEMA

CENTREVAC

CFLT

CICDE

CID

COGIC

Elément Combat Aérien

Aviation légère de l’armée de terre

Armée nationale du Tchad

Officier Air

Adjoint soutien interarmées

Avion de transport tactique

Bibliothèque électronique de l’armée de terre

Bataillon d’infanterie de marine

Groupe de débarquement du bataillon

Base opérationnelle avancée

Bâtiment de projection et commandement

Base de soutien à vocation interarmées

Centre de crise

Commandant du groupe de destroyers

Elément de commandement

Chef d’état-major des armées

Centre d’évacuation

Commandement Centre américain

Commandement de la force logistique terrestre

Centre interarmées de concepts, de doctrines et d’expérimentations

Collège interarmées de défense

Centre opérationnel de gestioninterministérielle des crises

ACE

AA

AO

BLT

FOB

CDS

CE

CENTCOM

Air Combat Element

Army Aviation

Chad National Armed Forces

Air Officer

Deputy for Joint Logistics

Utility Transport Tactical Aircraft

Army E-Library

Marine Infantry Battalion

Battalion Landing Team

Forward Operational Base

Command Assault Ship

Joint Support Base

Crisis Management Center

Commander Destroyer Squadron

Command Element

Armed Forces Chief of Staff

Evacuation Center

Central Command

Land Logistics Force Command

Joint Center for Concepts, doctrines and experimentations

Joint Defense College

Interagency operational centerfor crisis management

AbreviationsAbreviations

Page 28: FRA magazine Doctrine16 NEO

DOCTRINE N° 16 JUIN 200928

COMANFOR

CPCO

CRER

DL

DOM-COM

DRM

EFT

ELC 500

EMA

EMO-T

ESSC

EMUE

EVACINFO

FANCI

FINUL

FUC

GAS

Commandant de la force

Centre de planification et de conduitedes opérations

Centre de regroupement et d’évacuation desressortissants

Elément de soutien

Groupement interallié 59

Détachement de liaison

Département d’outre-mer- Collectivité d’outre-mer

Direction du renseignement militaire

Eléments français au Tchad

Eléments lourd de cuisson pour cinq cents personnes

Etat-major des armées

Etat-major opérationnel terre

Force expéditionnaire

Equipe de soutien en situation de crise

Etat-major de l’Union européenne

Système informatique d’enregistrement des ressortissants

Forces armées nationales de Côte d’ivoire

Elément avancé de commandement

Force intérimaire des Nations unies au Liban

Front uni pour le changement

Groupe d’anticipation stratégique

FC

CSSE

CFT 59

MIA

ESG

EUMS

FCE

UNIFIL

Force Commander

Joint Operations Planning and Command andControl Center

Combat Service Support Element

Combined Task Force 59

Liaison Element

French Overseas territorial communities

Military Intelligence Agency

French Forces in Chad

Main Field Cooking Module

Armed Forces Joint Staff

Land Force Operational HQ

Expeditionary Strike Group

Crisis Support Unit

European Union Military Staff

Digitized system for NEO registering operation

Ivory Coast Armed forces

Forward Command Element

United Nations Interim Force in Lebanon

United Front for Change

Strategic Anticipation Working Group

Page 29: FRA magazine Doctrine16 NEO

AbreviationsAbreviations

JUIN 2009 DOCTRINE N° 1629

GRI

GTAM

GTIA

HM

LURD

MAEE

MCP

MINDEF

ONG

ONUCI

ONU

OPEX

OTAN

PCIAT

PE

Groupement de recueil de l’information

Groupement terre aéromobile

Groupement tactique interarmes

Hélicoptères de manœuvre

Navire à grande vitesse

Equipe de réaction aux incidents

Libériens unis pour la réconciliationet la démocratie

Ministère des Affaires étrangères et européennes

Centre de RETEX des Marines américains

Mise en condition avant projection

Ministère de la Défense

Unité expéditionnaire amphibie

Unité de soutien des Marines 24

Hélicoptère de transport moyen

Groupe de coordination RESEVAC

Réseau Internet non protégé

Organisation non gouvernementale

Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire

Organisation des Nations unies

Opération extérieure

Organisation du traité de l’Atlantique Nord

Poste de commandement interarmées de théâtre

Point d’évacuation

HSV

IST

LURD

MCCLL

MOD

MEU

MSSG 24

MTH

NEO/CG

NIPRNET

NGO

UNOCI

UNO

NATO

Information Collection Group

Airmobile Battle Group

Combined Arms Battalion Task Force

Utility Helicopters (Medium)

High Speed Vessel

Incident Support Team

Liberian United for Reconciliation andDemocracy

Ministry of Foreign and European Affairs

Marine Corps Center for Lessons Learned

Pre-Deployment Training and Preparation

Ministry of Defense

Marine expeditionary unit

Marine service support group 24

Medium transport helicopter

Non-combattant evacuation operation/coordination group

Non secret internet protocol router network

Non-Governmental Organization

United Nations Operation in Côte d’Ivoire

United Nations Organization

Overseas operations

North Atlantic Treaty Organization

Theater Joint HQ

Evacuation Point

Page 30: FRA magazine Doctrine16 NEO

DOCTRINE N° 16 JUIN 200930

PIA

PR

RCA

RDC

RESEVAC

SAMU

SIG

TCD

UE

UL

ZDC

ZTP

Publication interarmées

Bureau Information

Equipage (en particulier sur deséquipements offshore)

Point de regroupement

République centrafricaine

République démocratique du Congo

Evacuation de ressortissants

Navire roulier

Service d’aide médical d’urgence

Système informatique de gestion

Réseau Internet protégé

Transport de chalands de débarquement

Union européenne

Unité logistique

Zone de confiance

Zone temporaire de protection

JP

PIO

POB

CP

CAR

DRC

NEO

RORO

SIPRNET

LSD

EU

Joint Publication

Public Information Office

Personnel on Board

Collection Point

Central African Republic

Democratic Republic of the Congo

Non-Combatant Evacuation Operation

Roll on-Roll off

Emergency Medic Unit

Computerized management system

Secret internet protocol router network

Landing Ship Dock

European Union

Logistical Unit

Confidence Area

Temporary Protection Zone

Page 31: FRA magazine Doctrine16 NEO

JUIN 2009 DOCTRINE N° 1631

Documents de référence concernant les opérations d’évacuation de ressortissants

Instruction 6 000 - Evacuation des ressortissants français à l’étranger approuvé en 2000 sous le n° 632/DEF/EMA/EMP.3/NPet sous le n°00118/DEF/EMA/EMP.3/NP du 29/06/2000.

Directive interarmées sur la prévention des crises et la diplomatie de défense (INS 11 00) approuvée sous les référencesn°001100/DEF/EMA/EMP.1/NP du 03 juillet 2002 (PIA 00 204).

PIA 03.351 - Directive traitant des opérations d’évacuation de ressortissants sous le n° 975/DEF/EMA/EMP1./DRdu 21 septembre 2008.

Rapport de mission BALISTE «1» (16 juillet-09 octobre 2006) : - Référence sous du PIA 07-202 N°055/DEF/EMA/EMP.3/NP du 14/01/2005.- Instruction DISAC D030 (C).

Manuel de mise en œuvre du centre de regroupement et d’évacuation des ressortissants approuvé le 03 juillet 2007 sousle n°277/ELT/DEP/DOC/MVT-RAV.

Publications ou articles traitant des opérations d’évacuation de ressortissantsfrançais ou étrangers

L’évacuation des ressortissants – Tribune du CID N°14 du CES Hubert GOUPIL.

LIBERIA : Les soldats français évacuent les étrangers de Monrovia enseignements tirés du Figaro du 11/06/03.

TCHAD : les ressortissants français évacués sont soulagés. Sources : La Tribune du 03/02/08.

RCI : Licorne 1er RIMa. Sources : Extrait Action terrestre, ADC Chesneau, Sirpa Terre.

Opération RESEVAC en RCI 2004. Source doctrine N°08 mars 2006, par le CNE Vincent FABRE du CDEF/DREX/B.ENS.

Iris CHANG, Le viol de Mankin.1937. Un des plus grands massacres du XXe siècle. Paris, Payot 2007.

Pierre SERGENT, La légion saute sur Kolwezi. Paris Presses de la Cité, 1978.

Ronald COLE, Operation Urgent Fury-Grenada, Washington DC Joint History office JCS, 1997.

Collectif, War in peace. An analysis of warfare from 1945 to the present day,Washington DC Orbis, 1985.

BibliographieBibliographie

Page 32: FRA magazine Doctrine16 NEO

DOCTRINE N° 16 JUIN 200932

Mon général, pourquoi vous êtreintéressé à cet ouvrage ?

Lors de mon séjour aux Etats-Unis à la findes années 1990, j’ai participé à des sémi-naires cherchant à établir les menaces aux-quelles l’armée de terre américaine pour-rait être confrontée à l’horizon 2025-2030,et donc à définir des organisations, desmissions et des doctrines possibles (c’étaitle programme Army After Next). Mon pas-sage en deuxième section des officiersgénéraux n’a pas subitement effacé monintérêt pour la guerre dans le futur ou lefutur de la guerre. En outre, ma passionpour la culture historique - sur laquelle nosarmées semblent faire l’impasse depuispresque deux décennies - ne pouvait queme rendre sympathique un auteur qui esti-me que l’Histoire est notre meilleur guidevers le futur, voire même le seul.

Peut-être, connaissiez-vous déjà leprofesseur Colin S. Gray ?

Non, en dépit de ses liens avec le StrategicStudies Institutede Carlisle (Pennsylvanie)auquel il continue à collaborer, je ne mesouviens pas de l’avoir jamais rencontré.En tout cas, sa double culture européen-

ne et américaine ainsi que sa grande expé-rience professionnelle, dans les instancesstratégiques décisionnelles comme dansles centres universitaires de recherche, mesemblaient constituer des atouts certainspour que ce sujet prospectif soit traité aveccompétence et sérieux. C’est ce que l’au-teur a fait ... et de main de maître.

Mais, on ne peut pas prédirel’avenir stratégique avec certitude !

Non, d’ailleurs Colin S. Gray met en gardecontre le manque d’humilité de certains etcontre les prophéties à la mode. Il cite ain-si une série de prévisions passées quiconstituent autant de morceaux d’humourinvolontaire. Mais, ce qu’il affirme c’est quel’Histoire nous fournit des constantes, destendances dans l’évolution des domainesqui nous intéressent, ainsi que desexemples de rupture ; que vous nommiezces ruptures «révolutions dans les affairesmilitaires, ou les affaires stratégiques,ou les affaires de sécurité, etc.» ! A nousd’envisager et de rechercher ce qui demeu-rera constant, ce qui évoluera, enfin ce quise situera en rupture totale avec le passé... sans oublier que la surprise et l’impré-visible ne sont pas seulement probablesmais inévitables.

Pouvez-vous nous donner unexemple de ces constantes ?

Oui, c’est le fait que la guerre constitueune donnée permanente de la conditionhumaine ; ainsi les raisons de faire laguerre se réduisent-elles toujours à la tria-de de Thucydide : «l’honneur, la peur etl’intérêt». Permettez-moi aussi d’insistersur l’approche tout à fait clausewitziennede l’auteur qui fait la différence entre lanature immuable de la guerre - un acte deviolence organisé à des fins politiques - etson caractère variable en fonction ducontexte géographique, culturel, social outechnique du moment.

A ce propos, n’est-ce pas le déve-loppement technique qui consti-tuera le facteur essentiel et trans-formera le futur de la guerre ?

Vous me rappelez une excellente bandedessinée des années 1970 sur le dévelop-pement de l’armement, depuis la massuejusqu’aux armes nucléaires, dont toutesles pages se terminaient immuablementpar la formule «avec une arme pareille, laguerre devient impossible» ! Plus sérieu-

La guerre La guerre au 21au 21ee siècle siècle Entretien avec le général (2S) Philippe Voute,

traducteur de l’ouvrage de Colin S. Gray, Another Bloody Centuryparu aux éditions Economica sous le titre : La guerre au 21e siècle

Page 33: FRA magazine Doctrine16 NEO

JUIN 2009 DOCTRINE N° 1633

sement, Colin S. Gray prend en compte lesévolutions techniques, mais il prévientqu’elles ne sauraient avoir plus d’impor-tance que des facteurs permanents com-me le danger, le hasard, la friction, la fatigue,la peur ou l’incertitude. Ce qui est plussérieux, c’est qu’il voit l’élargissement iné-luctable de la guerre aux nouvelles dimen-sions géographiques que sont l’espace etle cyberespace ... et qu’il n’oublie pas detraiter longuement des armes de destruc-tion massive qui sont à la disposition desbelligérants et ont fait leurs preuves !

Et le terrorisme dans tout cela ?Certes, Colin S. Gray est un des raresauteurs à envisager la résurgence de lagrande guerre régulière inter-étatique. Mais,rassurez-vous, le terrorisme est traité dansle cadre de la guerre irrégulière dont il neconstitue, rappelons-le, qu’un mode d’ac-tion. Les Etats-Unis sont lancés dans laguerre mondiale contre le terrorisme - laGWOT (Global War On Terrorism) commeelle est appelée ; mais, ce phénomène -auquel est lié l’expansion des missions desforces spéciales - va-t-il constituer la marquedu XXIe siècle ? L’auteur en doute.

Votre focalisation, et celle del’auteur, sur les Etats-Unis nerisque-t-elle pas de passer soussilence des évolutions ou desrévolutions dans d’autres parties dumonde ?

Certes, je ne connais ni le russe ni le chi-nois et ce livre est très centré sur l’Amériquedu Nord. Mais, l’auteur s’en explique : lesEtats-Unis sont encore (pour combien detemps ?) l’hyper-puissance qui possède lavolonté, les idées et les moyens d’agir stra-tégiquement sur l’ensemble du globe. Leursréalisations et leurs visions méritent qu’ons’y intéresse ; ce n’est pourtant pas oublierles idées chinoises et russes (ou françaises)et l’auteur ne s’en prive pas, comme labibliographie et les citations de l’ouvragele prouvent. En contrepartie, Colin S. Graymet en garde contre la capacité américai-ne à créer des concepts - «la guerre de qua-trième génération», les «opérations fon-dées sur les effets», etc. - et des acronymesqui ne font que camoufler des idéesanciennes et troubler la vision du phéno-mène guerrier.

Traitant de la guerre, l’auteur a-t-ilune opinion sur la paix ?

Bien sûr, et c’est même le thème de la der-nière partie de l’ouvrage intitulée«Dompterla bête». On ne fait pas la guerre pour laguerre, mais en vue d’obtenir une paix jus-te ... ou avantageuse qui, elle-même, risqued’être le point de départ d’un futur conflit.Sans se bercer d’illusions et en faisant preu-ve d’un solide réalisme, Colin S. Graydémontre que la guerre possède certaineslimites naturelles ... mais estime que, com-me l’affirme Platon : «Seuls les morts ontvu la fin de la guerre» !

Vous semblez très enthousiasmé parle contenu de ce livre ! Partagez-vous toutes les vues de l’auteur ?

Bien sûr que non ! Ce livre n’est pas la «Bibleet les Prophètes» ! D’ailleurs, par endroits,il pourra faire grincer les dents à nos com-patriotes qui risquent d’y trouver la visiondes néo-conservateurs américains très cri-tiques vis-à-vis de l’attitude française faceà la guerre en Irak. Mais, au-delà de cesdétails - qui nous permettent de nousremettre en cause et de constater que cha-cun dans ce monde ne partage pas notrevision «gauloise» - il faut reconnaître quecet ouvrage fera date pour tous les pas-sionnés des questions de défense.

Merci, mon général, pour votrepatience. Peut-être un derniercommentaire ?

En fait, j’ai à formuler un regret et un espoir.Le regret, c’est de ne pas avoir «foncé» dèsla parution de ce livre au Royaume-Uni en2005 afin de faire connaître la richesse deson contenu et permettre à l’ensemble dela communauté de la défense françaised’intégrer ces données avant de se lancerdans le Livre blanc. Mon espoir, c’est qu’autravers de cette traduction - et en dépit deses faiblesses - mes jeunes camarades offi-ciers prennent conscience des risques etenjeux auxquels ils risquent fort d’êtreconfrontés dans les années à venir, qu’ilsse servent de ce livre comme d’unesource féconde de réflexions et qu’ilspuissent, le moment venu, y trouver deséléments de solution à leurs problèmes.

Les officiers publientLes officiers publient

Page 34: FRA magazine Doctrine16 NEO

DOCTRINE N°16 JUIN 200934

* Le colonel SUSNJARA était Officier de liaison auprès du corps des Marines américains de 2005 à 2008.

RESEVAC : un rappel succinctsur le concept américain

En cas de crise, les opérations d’évacua-tion de ressortissants ou Non CombattantEvacuation Operation (NEO) sont confiéesau grand commandement interarméesrégional responsable de la zone consi dérée.

Dans ce cadre, les MEU (MarineExpeditionary Unit) sont une piècemaîtresse dans le dispositif militaireaméricain. En effet, force aéroterrestreembarquée, la MEU constitue une forcede réaction rapide capable de remplir ungrand éventail de missions, dont l’unedes principales est l’évacuation de ressor-tissants3.

La MEU est organisée classiquement enquatre éléments ; un élément de com-mandement (Command Elementou CE), unélément de combat terrestre (GroundCombat Element ou GCE), un élémentde combat aérien (Air Combat Element ouACE) et enfin un élément de soutien logis-tique (Combat Service Support Elementou CSSE4).

Les opérations d’évacuation de ressortissants du Liban par la 24th MEU(du 15 juillet au 20 août 2006)

PAR LE COLONEL PHILIPPE SUSNJARA* (CID)

Le 12 juillet 2006 marque, avec l’attaque du Hezbollah contre un poste frontière israélien et la riposteisraélienne contre le Liban, le début de la guerre israélo-Hezbollah.

Face à la montée de la menace et faisant suite à la demande du Department of State du 14 juillet 2006,CENTCOM (Central Command), le grand commandement régional américain responsable de la zone, adéclenché une opération d’évacuation des ressortissants (Non-combattant Evacuation Operation ouNEO) présents au Liban. Pour cette mission, CENTCOM a désigné logiquement la 24th MEU (MarineExpeditionary Unit)1 qui constituait à ce moment son élément de réaction rapide.Participant à l’exercice Infinite Moonlight en Jordanie, la 24th MEU a mis en place dès le 15 juillet, unélément précurseur d’une centaine d’hommes sur l’île de Chypre2. Le dimanche 16 juillet 2006, troishélicoptères CH-53 du Marine Corps ont évacué 25 ressortissants américains de Beyrouth vers Chypreaprès avoir mis en place un détachement de 80 hommes pour renforcer la sécurité de l’ambassade.Le 20 juillet, les premiers bâtiments américains ont débuté les évacuations depuis les côtes du Libanet le 21 juillet, l’ensemble des moyens de l’ESG Iwo Jima était arrivé dans la zone d’opération.Au bilan en 33 jours d’opération, la Combined Task Force 59 (CTF 59), mise en place par les forcesaméricaines, a conduit avec succès l’évacuation de 14 776 citoyens américains et 499 ressortissantsde pays tiers entre le 15 juillet et le 20 août 2006.

Page 35: FRA magazine Doctrine16 NEO

JUIN 2009 DOCTRINE N° 1635

ÉtrangerÉtranger

Lors des opérations d’évacuation de ressor-tissants, le CSSE est responsable de l’or-ganisation et de la mise sur pied del’Evacuation Control Center (ECC)5. Dans sonorganisation, le commandant du MSSGouCSSE dispose de deux équipes pouvantarmer chacune un ECC de 36 personnes6.

La Combined Task Force 59

Conformément à la doctrine des forcesarmées des Etats-Unis, l’évacuation desressortissants américains du Liban a été con-fiée à CENTCOM (Central Command). Pourcette mission, CENTCOM a désigné logique-ment la 24thMEU (Marine Expeditionary Unit)qui constituait à ce moment son élément deréaction rapide.

CENTCOM a désigné le commandant de lacomposante navale (NAVCENT) commeresponsable des opérations. Celui-ci aensuite désigné le commandant del’Expeditionary Strike Group (ESG)présentdans la zone comme commandant del’opération d’évacuation de ressortissants.Selon la terminologie propre à l’US Navy,cet ESG, sous les ordres du général debrigade du Marine Corps Carl Jensen, étaitconnu sous le nom de Combined Task Force59 ou CTF 59.

Bien que la CTF 59n’ait pas eu le statut deforce opérationnelle interarmées (Joint TaskForce), une zone d’opérations interarméesou Joint Operating Area (JOA) a été définieincluant Chypre, le Liban et la zone mari-time comprise entre les deux pays. Cedécoupage a permis de délimiter la zone

d’action de la force par rapport à la zoned’action traditionnelle de la 6e flotte améri-caine en Méditerranée.

La CTF 59 a été constituée autour dunoyau dur composé de l’ESG Iwo Jima.Elle disposait du commandement opéra-tionnel (OPCON) sur la 24thMEU ainsi quesur les navires amphibies de l’ESGou Amphibious Squadron 4 (PHIBRON-4).Dans ce cadre, NAVCENT a établi unerelation supported/supporting ou«menant/concourant» entre la 24thMEUetle PHIBRON-4. Afin de remplir au mieux samission d’évacuation et de transport,la CTF 59 a été renforcée par un bâtimentde transport de chalands de la 6e Flotte,l’USS Trenton (LPD14), par le navire à grandevitesse ou High Speed Vessel (HSV) Swiftainsi que par des navires civils affrétés. Cesnavires ont été mis sous commandementtactique du PHIBRON-4.Le commandant de la CTF 59 disposaitégalement du commandement tactique(TACOM) sur les bâtiments de combat del’ESG. Ces bâtiments ont été regroupés sousle commandement du CDS 60 (CommanderDestroyer Squadron) auxquels ont étéadjoints l’USS Barry (DDG 52) de la 6e Flotte.Un autre bâtiment de la 6e Flotte, l’USSGonzalez (DDG 66) est resté sous TACONde la CTF 59.

La force a également reçu le renfort d’undétachement du 352e groupe des opéra-tions spéciales de l’US Air Force (352 SOG).Ce détachement a été placé sous TACOMde la 24th MEU par le commandant de laforce afin de disposer de l’ensemble desmoyens aériens disponibles sous un com-

mandement unique. Cette décision apermis à l’Air Officer (AO) de la MEUd’élaborer des plans d’emploi des moyensaériens cohérents et surtout d’éviter despertes de temps inutiles.Enfin un détachement de soutien psy-chologique (Incident Support Teamou IST),formé à partir d’une unité PSYOPSde l’Army,a été placé sous OPCON de la force.

La majeure partie des opérations a étéplanifiée et conduite par la MEU aprèsvalidation finale de CENTCOM. Dans cecontexte, la présence de deux échelonsintermédiaires (CTF 59 et NAVCENT) a puapparaître comme générateur de friction.Pourtant, le rôle de la Task Forces’est avéréessentiel pour la MEU. L’état-major d’unetelle Task Force, particulièrement réduit(environ 20 personnes), ne dispose pas desmoyens pour planifier et conduire desopérations. En revanche, il agit comme unfiltre protecteur pour la MEU contre lesdemandes et interventions diverses deséchelons supérieurs ou des autresministères.

Déroulement et organisationdes opérations

L’état-major de la 24thMEU en exercice enJordanie a commencé à planifier une opéra-tion d’évacuation de ressortissants du Libanavant même d’en recevoir l’ordre deCENTCOM (Executive Order en date du15 juillet). Cette planification a permis à laMEU d’anticiper et de réagir dans desdélais particulièrement courts. Ainsi dès le

Structure d’une Marine Expeditionary Unit ou MEU

Elément de commandementCommand Element

Elément de combat terrestre Elément de combat aérien Elément de soutien logistiqueGround Combat Element Aviation Combat Element Combat Service Support Element

Page 36: FRA magazine Doctrine16 NEO

DOCTRINE N°16 JUIN 200936

13 juillet, l’USS Nashville avec à son bordl’état-major du groupement de soutien(MSSG 24), responsable en cas d’évacua-tion, partait pour rejoindre la Méditerranéeorientale. Dans le même temps étaitplanifié le plan de réembarquement puisde transfert de la MEUdans la même zone.

Le commandant de la CTF 59 a articulé laforce en 3 échelons :•un élément avancé au Libancomposé d’unétat-major tactique (type Harpon),de l’Evacuation Control Center ainsi qued’un détachement de protection ;

•un élément d’appui/soutien en mer com-posé essentiellement de la 24th MEUembarquée à bord des bâtiments amphi-bies du PHIBRON-4 ;

• un élément arrière stationné à Chypreet comprenant le PC de la force ainsi quedes moyens de soutien.

L’élément avancé

Comme nous l’avons vu, cet élément a étémis en place par voie aérienne dès le16 juillet. Il était composé d’un état-majortactique à 9 personnes, d’une section deprotection à 40 et d’un centre de regroupe-ment et d’évacuation à 36. Ce détachementa été mis en place à l’ambassade des Etats-Unis à Beyrouth. Ses deux missions étaientprincipalement :

- renforcer la sécurité de la représentationdiplomatique américaine à Beyrouth ;

- assurer l’évacuation des ressortissantsaméricains et des citoyens des pays tiersvers Chypre.

L’état-major tactique ou ForwardCommand Element (FCE)

La mission principale de ce PC TAC était decoordonner l’ensemble des opérations avecl’ambassade américaine et de maintenirles liaisons avec les autres éléments de laforce. Commandé par l’Executive Officerde la MEU7, il comprenait une équipe trans-missions de 3 personnes (2 opérateursradio et 1 spécialiste des transmissionsde données), un officier communication,une équipe d’exploitation HUMINT et unauxiliaire sanitaire. La présence d’unmédecin n’avait pas été jugée nécessaire,l’ambassade disposant d’un praticien.

Le rôle du PC TAC a été essentiel pourobtenir la participation des forces arméeset des forces de police libanaises. Ainsi toutau long des opérations d’évacuation, l’ar-mée libanaise a sécurisé avec une com-pagnie mécanisée la zone d’embarquementdes ressortissants. Grâce à cette action,la CTF59 a pu limiter au minimum ledéploiement de troupes effectif sur leterritoire libanais permettant de répondreaux exigences politiques (minimum foot-print) et tactique (maintien d’une fortecapacité de réaction si besoin, notammentau Sud Liban).

Le détachement de protection ouSecurityForce Detachment

Ce détachement composé d’une sectiond’infanterie du 1/8 a rempli deux missionsprincipales :- sécuriser l’ambassade en menant despatrouilles dans et autour de l’enceinte ;- participer à la mise en place d’une zonede poser HM8.

Les missions de sécurité ont été faites enétroite collaboration avec les équipes desurveillance employées par l’ambassadeet, pour la sécurité extérieure, avec lesforces armées libanaises.Le détachement a participé également à lasécurité, au regroupement, au triage et àl’embarquement des ressortissants enaidant le personnel de l’ECC.

L’Evacuation Control Center (ECC)

L’ECCest en charge de l’organisation et dela préparation des opérations d’évacuationmais est également en charge de la sécu-rité et du soutien logistique des ressortis-sants. Dans le contexte semi-permissif del’opération menée au Liban et avec le sou-tien des forces armées libanaises, l’effec-tif de 36 personnels a été jugé suffisant.La mission première de l’ECCétait de veillerau bon fonctionnement du centre deregroupement en coordonnant l’action del’ensemble des acteurs présents (ECC, FCE,ambassade, forces libanaises...). Cecentre était situé dans un commissariat depolice libanais à environ 4 kilomètres del’ambassade. Son fonctionnement est trèsproche de celui du centre de regroupementd’évacuation des ressortissants (CRER) desarmées françaises. Il établit notamment les

ordres de priorité au sein des différentescatégories de personnel à évacuer.En temps normal, le centre peut absorber100 personnes par heure. Lors des opéra-tions de l’été 2006, entre 150 et 250 per-sonnes par heure ont pu être traitées aumoment des pics d’affluence.

L’élément appui/soutien en mer

Bien que cet élément ait compris la24thMEU embarquée à bord des bâtimentsdu PHIBRON-4 ainsi que les bâtiments decombat essentiellement regroupés au seindu CDS 60, le MSSG 24 en a constitué lecœur.Embarqué à bord de l’USS Nashville,l’état-major du MSSG 24 a planifié et con-duit la majeure partie des opérationsd’évacuation des ressortissants soit à terrevia l’ECC soit à bord des bâtiments lors desphases de transit entre la côte libanaise etChypre.

Pour ce faire, les deuxECCdu groupementont été à tour de rôle déployés au Liban.S’agissant de l’accueil des ressortissantsà bord des bâtiments, l’ensemble des per-sonnels de la MEU et des équipages a étémis à contribution.

Les Marines ont utilisé pour l’évacuationdes ressortissants des chalands de débar-quement (LCU), des engins sur coussin d’air(LCAC) ainsi que des hélicoptères moyens(CH-46) et lourds (CH-53).Malgré la vitesse très supérieure du LCAC,les Marinesont préféré, de loin, utiliser lesclassiques LCU. Leur chargement étant plussimple et beaucoup plus rapide, les LCUont pu transporter, dans le même temps,le double de passagers. De plus, leur grandecapacité a eu un effet psychologique posi-tif sur les ressortissants qui voient la filed’attente se vider d’un seul coup lors desphases d’embarquement.

Les éléments stationnés à Chypre

La base de souveraineté britanniqued’Akrotiri a été utilisée comme base arrièrede la CTF 59. Les éléments américainsdéployés sur cette base étaient :- Quelques éléments en charge du soutienlogistique. Dans ce cadre, les appareilsKC130J ont joué un rôle majeur dans lesoutien des éléments basés au Liban.

Page 37: FRA magazine Doctrine16 NEO

JUIN 2009 DOCTRINE N° 1637

ÉtrangerÉtranger- L’état-major de la force. La position del’état-major, à terre, sur l’île de Chypre aété jugée beaucoup plus pratiquecar ellea permis de surveiller directement lesopérations d’évacuation ainsi que lesopérations logistiques tout en facilitantla coordination POL-MIL via l’ambassadedes Etats-Unis à Nicosie.

Les points clés

Cette opération a montré une nouvelle foisl’importance de la coordination entre lesdifférents intervenants tant civils que mili-taires ainsi que le rôle primordial desliaisons.

Coordination

Les relations «interagences»

Le caractère particulier des opérations d’é-vacuation de ressortissants demande uneétroite collaboration entre les différents

acteurs civils et militaires, et principale-ment entre les équipes du Department ofState (DoS)et les éléments du Departmentof Defense (DoD). Les critiques dans cedomaine rejoignent le plus souvent cellesfaites dans les mêmes circonstances parles autres armées, et notamment les arméesfrançaises :

- manque de coordination préalable lors dela phase de planification ;

- méconnaissance des procédures et capa-cités desMEU par le personnel de l’am-bassade, entraînant retards et incom-préhensions au début des opérations ;

- intervention directe du DoS lors des opéra-tions se résumant essentiellement endemandes de mise à disposition demoyens militaires et non en effets àobtenir ;

- difficile coordination interministérielleauniveau central à Washington malgré lamise en place d’une cellule spéciale ausein du DoS9.

La nation hôte

Les relations avec la nation hôte sontapparues comme essentielles afin demener à bien les opérations. Le canal diplo-matique via l’ambassadeur a été privilégié.Les informations et les moyens fournis parles forces armées libanaises ont permis delimiter le volume de forces déployées et deconserver une capacité de réaction dans leSud Liban importante.

Les officiers de liaison

Les forces armées américaines ont euen charge en plus des citoyens américainsl’évacuation des ressortissants cana-diens, australiens, hollandais et grecs. Laprésence d’officiers de liaison auprèsde l’état-major de la MEU a été parti-culièrement appréciée et s’avère néces-saire. Le Marine Corpsa déploré l’absencede structure de coordination entre lesdifférents pays et organisations impliquésdans cette «opération multinationaleà commandement national». Dans ce cadre,

Page 38: FRA magazine Doctrine16 NEO

DOCTRINE N°16 JUIN 200938

la cellule spécifique d’EUCOM (CoalitionCoordination Cell) aurait été très utile.

Malgré de nombreuses tentatives, la MEUn’a pas réussi à mettre en place un offi-cier de liaison auprès de la FINUL10. Al’avenir, il semble probable que les Etats-Unis essayeront, via leur mission à l’ONU,d’obtenir la mise en place d’officiers de liai-son auprès des états-majors des forces del’ONU.

Liaisons

En raison du dispositif même, les liaisonsont été, comme toujours, essentielles aubon déroulement des opérations. Elles ontreposé sur les réseaux classiques VHF/UHFet HF mais également sur une utilisationde plus en plus importante des réseauxinformatiques non sécurisés (NIPRNET),sécurisés (SIPRNET) et des communica-tions satellitaires.

Au travers des réseaux NIPRNET (Non-secretInternet Protocol Router Network) maissurtout SIPRNET (Secret Internet ProtocolRouter Network), les différents élémentsde la force ont pu établir des vidéocon-férences quotidiennes, créer des espacesde discussions sécurisés ou échanger desdonnées volumineuses, en particulier dansle domaine logistique. Confirmant la ten-dance de ces dernières années, cette opéra-tion a vu également une utilisation inten-sive et systématique des téléphonessatellitaires de type INMARSAT équipésd’une interface de type SIPRNET, permet-tant ainsi de communiquer directementsans perte de temps et sans risque de pertede données.

Un réseau DSN (Defense Switched Network),équivalent du réseau RITTER, a été mis enplace utilisant des moyens civils. Ce réseau,n’étant pas sécurisé, n’a pas pu être pleine-ment rentable.

1 La 24th MEU SOC était composée du BattalionLanding Team 1/8 (BLT1/8) dont le noyau étaitle 1er bataillon du 8e Marines, de l’escadron mixteHMM 365 ainsi que du groupement de soutien 24ou Marine Service Support Group 24 (MSSG 24).Elle était déployée au sein de l’ExpeditionaryStrike Group (ESG) Iwo Jima composé pour lapartie amphibie du PHIBRON-4, soit l’USS IwoJima (LHD 7), de l’USS Nashville (LPD 13) et del’USS Whidbey Island (LSD 41). Les bâtimentsde combat de l’ESG étaient l’USS Cole (DDG 67),l’USS Philippine Sea (CG 58), l’USS Bulkeley(DDG 84) et l’USS Albuquerque (SSN 706).

2 La mise en place des éléments précurseursà Chypre s’est faite à l’aide de 3 hélicoptèreslourds CH-53 et de 2 appareils HERCULES KC-130J appartenant à l’élément de combat aériende la MEU.

3 La MEU s’entraîne systématiquement à ce typed’opérations lors de sa phase de montée enpuissance (Pre-Deployment Training).

4 Depuis cette opération, l’élément logistique achangé d’appellation pour devenir le LogisticsCombat Element ou LCE.

5 L’ECC effectue les missions dévolues au centrede regroupement et d’évacuation desressortissants (CRER) dans les arméesfrançaises.

6 La MEU étant embarquée à bord de troisbâtiments, le commandant du MSSG a dû veillerà ne pas dissocier les ECC entre plusieursbâtiments afin d’éviter des opérations detransbordement de personnel consommateurde temps et d’énergie.

7 Bien qu’il n’existe pas d’équivalence exacte enraison notamment de la taille et de lacomposition de la MEU, on peut considérer quel’Executive Officer (XO) tient le rôle du chefopérations au sein d’une brigade interarmes.

8 Bien que située en pleine agglomération,l’ambassade des Etats-Unis à Beyrouth permetle poser d’un CH-53 ou de 2 CH-46.

9 Cette relative inefficacité est toutefois àrelativiser en raison de la parfaite entente surle terrain entre l’ambassadeur, le chef demission adjoint (Deputy Chief of Mission) et lechef de l’état-major tactique.

10 Il semble que ce refus ait été motivé par lavolonté de ne pas mélanger les genres.

Le succès de l’opération d’évacuation de ressortissants du Liban par les forcesarmées américaines à l’été 2006 permet de tirer deux enseignements majeurs.Tout d’abord, d’un point de vue technique, les opérations d’évacuation deressortissants par les forces américaines sont très comparables à celles menées parles forces armées françaises et reposent essentiellement sur l’EvacuationCoordination Center (ECC), centre de regroupement et d’évacuation desressortissants. Les problématiques et les solutions apportées sont très comparables.

Ensuite, d’un point de vue général, la réussite de l’opération d’évacuation deressortissants du Liban a montré la pertinence du concept de MEU dans la posturepermanente de sécurité des forces américaines. En l’absence de bases permanentesà l’étranger à l’image des forces françaises en Afrique, le prépositionnement à la merpermet de disposer d’une capacité de réaction rapide en tout point du globe.

Page 39: FRA magazine Doctrine16 NEO

JUIN 2009 DOCTRINE N° 1639

ÉtrangerLes opérations d’évacuation de ressortissantsLe point de vue britannique

PAR LE LIEUTENANT-COLONEL JW RUTTER, OFFICIER DE LIAISON BRITANNIQUE AUPRÈS DU CDEF

Étranger

La doctrine et les opérations d’évacuation de ressortissants

Au cours des 3 années qui ont suivi la création du CPCO britannique (PJHQ) le 1er avril 1996, celui-cia planifié et projeté des unités lors de 25 opérations menées dans 14 pays et réparties sur3 continents. Sur ces 25 opérations, 11 ont été des opérations d’évacuation de ressortissants. Étantdonné la fréquence relativement grande de ces opérations, le PJHQ a élaboré la Directive deplanification interarmées 1 (JPG1) pour la planification et l’exécution de telles opérations. Toutefois,c’est l’expérience de l’évacuation réussie en Sierra-Leone - en tant qu’élément de l’opérationPALLISER - au début de l’année 2000 et son RETEX (Retour d’expérience), qui ont mis en évidencele besoin de réviser la doctrine provisoire. Cela s’est traduit par la publication du Mémentobritannique sur les opérations interarmées 3-51 - Les opérations d’évacuation de ressortissants. Ils’agit d’un projet mené en collaboration entre le FCO (bureau des Affaires étrangères et duCommonwealth) et le ministère de la Défense britannique. Remplaçant le JPG1, il en a élargi lespectre mettant en avant la primauté du bureau des Affaires étrangères et du Commonwealth pourde telles opérations et incluant les procédures, les techniques et la tactique interarmées intervenantdans la planification et l’exécution d’une opération d’évacuation de ressortissants.

Cet article repose sur la doctrine britannique actuelle relative aux opérations d’évacuation deressortissants. Il a pour objectif de fournir une vue d’ensemble de ces opérations et de mettre ceconcept en relief du point de vue britannique, en l’illustrant d’un bref cas concret d’évacuationréussie, intervenant au début de l’opération PALLISER au Sierra-Leone en mai 2000, et dont découlele dernier document.

Le contexte

UUne opération d’évacuation de res-sortissants vise à transférer en unlieu sûr des ressortissants identifiés

se trouvant sous menace dans un paysétranger. La menace peut provenir d’unecatastrophe naturelle, d’un conflit, ou d’unecombinaison complexe des deux. Le relo-gement peut être temporaire ou permanent

et le lieu sûr peut se trouver dans le paysmême. Les personnes évacuées sont le plussouvent des Britanniques et d’autresressortissants dont le gouvernement bri-tannique et ses représentants dans le paysont accepté la responsabilité. Le FCO estresponsable de la protection des citoyensbritanniques outre-mer. A cet égard, il estaidé par le ministère de la Défense. La doc-trine britannique considère toute opérationd’évacuation de ressortissants comme une

opération d’intervention limitée (LIO). Cesactions d’urgence complexes se produisentgénéralement dans des pays instables etpeuvent être menées dans le cadre d’opé-rations de soutien de la paix de plusgrande ampleur. Toute opération d’éva-cuation ou de relogement de réfugiés, quidoit normalement être menée sous les aus-pices de l’ONU, n’est pas considéréecomme opération d’évacuation de ressor-tissants.

Page 40: FRA magazine Doctrine16 NEO

DOCTRINE N°16 JUIN 200940

L’environnement

Les opérations d’évacuation de ressortis-sants se déroulent dans des environ-nements imprévisibles et particuliers, fré-quemment dans des conditions qui sedétériorent rapidement, et dans une atmo-sphère d’incertitude et de tension. Ellespeuvent se produire dans des circonstancesoù le gouvernement ou les autres autori-tés du pays, submergés par la catastropheou la défaite, ont de fait cessé defonctionner ou bien ont été renversés sansavoir été remplacés. Dans un tel conflit, leniveau d’intensité varie et les différentesfactions, aux motivations et aux pro-grammes en opposition les uns avec lesautres, peuvent être parties prenantes dela violence. Dès lors qu’une opération d’éva-cuation de ressortissants est lancée, lethéâtre peut connaître dans certainsendroits des périodes imprévisibles et spo-radiques de haut niveau d’intensité, ou voirles conditions se détériorer rapidement etbasculer définitivement dans un conflit dehaute intensité. Toutefois, tout plan doitêtre souple et pouvoir s’adapter facilementà une situation changeante et complexe.Le niveau de la menace ou de l’oppositionà l’opération détermine la nature de celle-ci et l’environnement dans lequel elle estmenée. On peut difficilement s’opposer àune opération d’évacuation de ressortis-sants menée à la suite d’une catastrophenaturelle ou de troubles. Dans de telles cir-constances, on dispose de l’accord d’unenation-hôte et très vraisemblablement d’unsoutien pour l’évacuation de ceux qui sou-haitent partir. Des avions et des navirescivils réguliers ou affrétés sont utilisés sipossible. Bien que l’on soit peu suscep-tible de requérir des moyens militaires pourassurer la sécurité, on peut en avoir besoinà des fins logistiques, telles que les soinset les transports médicaux d’urgence.Malheureusement, toutes les opérationsde ce type ne sont pas susceptibles d’êtreaussi simples et la planification des grou-pements de forces interarmées doit tou-jours prendre en compte des situations oùl’on ne peut disposer du soutien d’unenation-hôte et où les autorités civiles etmilitaires locales ont perdu le contrôle, ouont entièrement cessé de fonctionner et oùla loi n’est plus appliquée. Les personnesévacuées peuvent devenir immédiatementdes cibles et leurs vies se trouver mena-cées. Dans certains cas, des factions arméesou même des forces de protection locales

peuvent tenter de faire obstruction à l’éva-cuation. Par conséquent, dans des envi-ronnements incertains ou hostiles, le grou-pement de forces interarmées doit être enmesure de parer à toute éventualité.

Les caractéristiques

La culture et les valeurs

Il est nécessaire que les agences civiles etles militaires impliqués dans une opéra-tion d’évacuation de ressortissants tra-vaillent en équipe,pour que la conduite decelle-ci soit réussie. Au Royaume-Uni, celasignifie que le ministère de la Défense etle FCO travaillent ensemble. Il est néces-saire que chacun reconnaisse la culture etles valeurs de l’autre partie et s’en accom-mode. Le FCO, dont la finalité est de pro-mouvoir les intérêts britanniques, souhai-tera rester engagé diplomatiquement leplus longtemps possible et cherchera àéviter les signaux politiques accidentels etles engagements non nécessaires. Le minis-tère de la Défense, dont la finalité est dedéfendre les intérêts britanniques, favori-sera une planification militaire en tempsopportun, une projection précoce, en par-ticulier d’unités de liaison et de recon-naissance, et des actions préventives. Toutedemande diplomatique de déploiementd’un groupement de forces interarmées,presque toujours considérée comme inter-venant en dernier ressort, peut ne pas seprésenter au meilleur moment du point devue militaire. Cela peut provoquer une ten-sion forte entre les besoins militaires et les

exigences diplomatiques. Les liaisons, auxdifférents échelons du commandement,doivent assurer une interface civilo-mili-taire efficace et surmonter les malenten-dus éventuels liés aux besoins exprimés,aux capacités et à la chronologie.

La multinationalité

Par définition, les opérations d’évacuationde ressortissants sont multinationales.D’autres pays sont immanquablementimpliqués à divers degrés, outre celui quifait l’objet de l’évacuation. Les pays voisinsdoivent être consultés sur un grand nombrede questions, telles que les autorisationsde survol ou le lieu de montée en puissancede la force. D’autres pays peuvent envisa-ger de projeter une force pour évacuer leurspropres ressortissants, ou encore peuventdemander à d’autres pays de le faire à leurplace. Le moment où d’autres pays ont l’in-tention de mettre en œuvre leurs plansd’évacuation peut avoir une influence surle calendrier précis de toute décision d’éva-cuation. Toutes les opérations d’évacua-tion britanniques récentes ont dû faire l’ob-jet d’un compromis ou d’une coordinationà plus ou moins grande échelle avec lesopérations menées par les autres pays.

Les contraintes

De telles opérations sont toujours sujettesà un certain nombre de contraintes poli-tiques, juridiques et pratiques. L’importancedes forces engagées et les contraintes impo-sées sont décidées à la lumière des recom-

WW

W.D

efen

ceim

ages

.mod

.uk

Page 41: FRA magazine Doctrine16 NEO

mandations politiques. D ’autres contraintesjuridiques et politiques façonnent les règlesd’engagement (ROE) et peuvent limiter lacapacité du groupement de forces interar-mées à mener toute forme d’opération mili-taire préventive. Dans des circonstancesnormales, la souveraineté, les lois et lescoutumes du pays où a lieu l’évacuationdoivent être respectées et le niveau de laforce requis pour surmonter toute opposi-tion locale peut être si important qu’il s’avè-re politiquement inacceptable, rendant ain-si l’opération d’évacuation de ressortissantsimpossible. Finalement, des considérationsfinancières sont susceptibles de restreindrele volume, la méthode employée et la duréede l’engagement du groupement de forcesinterarmées.

La perception et la coopération des personnes évacuées

Les évacués potentiels se composent sou-vent d’un ensemble disparate d’individuset de groupes qui ont peu de choses encommun, à l’exception de leur nationalitéet du fait qu’ils sont pris dans la mêmecrise. Leur volonté ou leur réticence à par-tir dépend souvent de perceptions ou decirconstances individuelles. On peuts’attendre à ce que les non-résidents, telsles touristes et les personnes en déplace-ment professionnel, souhaitent être rapa-triés et partir rapidement. Les expatriéspeuvent s’avérer être beaucoup plus réti-cents à abandonner leur maison et leursmoyens d’existence. Ils ne veulent pas êtreévacués au-delà de ce qui est nécessaire,voire pas du tout, et ils veulent reveniraussi rapidement que possible. Il est pos-sible que des membres d’organisationshumanitaires et des missionnaires, ins-pirés par des idéaux religieux et moraux,puissent préférer le martyre à l’abandonde leur cause. Paradoxalement, la projec-tion d’un groupement de forces dans unenvironnement incertain est susceptiblede créer un faux sentiment de sécurité chezcertaines personnes évacuées. Elles peu-vent comprendre soit que le groupementde forces interarmées va diminuer la mena-ce, rendant leur départ inutile, soit qu’ilpeut venir à leur aide si jamais la situationse détériore, leur permettant ainsi de retar-der leur départ de manière déraisonnable.Une telle situation augmente la difficulté demener une évacuation efficace et en tempsvoulu.

Les média

Les média ont la capacité de produire desémissions sur le vif non censurées etd’émettre des communiqués immédiatsdepuis la zone d’opérations interarmées.L’accès à l’Internet permet à quiconque defaire ses commentaires sur la situation demanière à l’exploiter à ses propres fins. Unplan de communication opérationnelexhaustif, dynamique et à jour constituela manière la plus efficace d’influencer favo-rablement les perceptions. Il est néces-saire de disposer d’une organisation degestion de crise solide et efficace, qui dif-fuse des «éléments de langage» clairs, nonéquivoques et en temps opportun, ainsique des personnels sur le terrain ayantl’expérience des opérations médiatiques.Des «porte-parole» bien informés et expé-rimentés (des personnels formés dans ledomaine des techniques médiatiques) sontnécessaires sur le théâtre, si jamais l’opé-ration se déroule sur un certain laps detemps.

L’exercice du commandement

Une coordination et une coopération de niveau élevé

La sensibilité politique d’une opérationd’évacuation de ressortissants imposequ’elle soit coordonnée au plus haut niveau.Distinctes, les chaînes de commandementmilitaire et civile sont centralisées au niveauministériel, sous pilotage du FCO. La coor-dination est complexe, impliquant fré-quemment un certain nombre d’autresagences et d’ONG (organisations non gou-vernementales), ce qui nécessite unecoopération mutuelle et une définition clai-re des objectifs communs.

Le commandement opérationnel

Le commandement opérationnel (OPCOM)est exercé par le commandant interarmées,à partir du PJHQ. Il est responsable de ladirection, de la projection, du soutien et dela récupération du groupement de forces.A son niveau, le commandant du grou-pement de forces interarmées exerce lecontrôle opérationnel (OPCON), générale-

ment depuis le PC du groupement déployédans la zone d’opérations interarmées.C’est là que la planification et la conduitede l’opération se déroulent. Dans la zoned’opérations interarmées le commandantdu groupement de forces est subordonnéau représentant du gouvernement britan-nique, lequel, en tant que haut fonction-naire britannique sur le théâtre, est res-ponsable des ordres d’exécution del’évacuation. Une fois cet ordre donné, lecommandant du groupement assume laresponsabilité de l’exécution.

Le commandement tactique

Au niveau tactique, les commandants decomposante sont étroitement impliquésdans la mise en œuvre du plan de cam-pagne. Le commandant de composantechargé de l’évacuation en sécurité des res-sortissants devient le commandant de l’opé-ration d’évacuation et reçoit le soutien desautres commandants de composante. Ilutilise sa propre structure organique decommandement et de conduite, adaptée àla situation, afin de fournir les capacités decommandement et de conduite nécessairesau processus d’évacuation. Dans le casd’opérations d’évacuation de ressortissantsde faible envergure, le commandant dugroupement de forces interarmées peutdécider d’exercer directement le comman-dement et d’agir en tant que commandantde l’opération d’évacuation en utilisant sonétat-major au sein d’un PC de groupementconfiguré en conséquence.

Le concept général

Concept et mise en œuvre

Il s’agit d’accueillir les personnes àévacuer, d’en assurer le traitement admi-nistratif et le filtrage dès que possible, puisde les transférer vers un lieu sûr, éven-tuellement en passant par des lieuxsuccessifs. Comme mentionné plus haut,la responsabilité de lancement d’une opé-ration d’évacuation de ressortissants relèvedu représentant de la Reine et repose surune coordination étroite entre le ministèredes Affaires étrangères britannique, le com-mandant du groupement interarméeset lui, afin de s’assurer que la demanded’une telle opération est appropriée. La

JUIN 2009 DOCTRINE N° 1641

ÉtrangerÉtranger

Page 42: FRA magazine Doctrine16 NEO

DOCTRINE N°16 JUIN 200942

fourniture d’information en temps oppor-tun en vue de cette décision est fonda-mentale et des informations anticipées etprécises ont une valeur inestimable.

La projection et l’entrée sur le théâtre

L’opération d’évacuation de ressortissantsdépend de l’environnement et peut néces-siter une approche amphibie, aéroportéeou aéroterrestre. Le groupement de forcespeut être directement projeté par voieaérienne vers le pays où l’évacuation doitavoir lieu, ou peut profiter d’une base inter-médiaire. Si l’on dispose de suffisammentde temps, le groupement peut être proje-té par voie maritime. Un groupementembarqué peut être prêt avant l’enga-gement et fournir à la fois une base mari-time et un lieu sûr, et de ce fait réduire sontemps de présence dans le pays ainsi queson volume et minimiser les besoins ensoutien. Quelle que soit la méthode de pro-jection utilisée, une base avancée de prédé-ploiementest mise sur pied à l’endroit d’oùl’opération est lancée. Cette base sécuri-sée, port ou aérodrome, est normalement,mais pas forcément, hors du théâtre d’opé-ration. Elle est susceptible de constituerun tremplin essentiel pour entrer dans lethéâtre. Il faut qu’elle permette à une forced’intervention de monter en puissance et

par la suite de s’occuper des personnesévacuées, tout en accueillant les renfortsou les réserves. Une BSA (base de soutienavancée) est mise en place dans la zoned’opération, afin d’assurer le soutien desopérations tactiques.

L’évacuation

Le groupement de forces interarmées estdéployé pour assurer la protection de sitesd’évacuation planifiés à l’avance, où lespersonnes sont rassemblées en vue de leurévacuation. Selon les plans élaborés parl’ambassade britannique ou par le Hautcommissariat, les personnes à évacuer sontinformées du lancement de l’évacuation etse dirigent vers des sites désignés à l’avan-ce, dénommés centres d’accueil,où ils sontaccueillis par un réseau de volontaires,généralement sélectionnés parmi desmembres de confiance de la communautébritannique, appelés îlotiers et s’insèrentdans la chaîne d’évacuation. Avec si néces-saire, l’aide du groupement, le chef d’îlotrassemble les personnes à évacuer aucentre d’accueil et les transporte vers unsite d’évacuation. A ce point, le groupementprend en charge les personnes à évacuer,les protège et les transporte vers le centrede traitement des évacuations. L’objectifpremier du centre de traitement des éva-cuations consiste à organiser le transportdes personnes à évacuer vers un lieu sûr.Il fournit également un dispositif de filtra-ge pour s’assurer que seules les personnesprévues seront transportées. Il peut four-nir un soutien médical et logistique, sinécessaire. Le filtrage doit être placé autanten amont que possible dans la chaîne d’éva-

cuation. Toutefois, il ne doit pas retarder leprocessus d’évacuation ou mettre inutile-ment en danger les personnes à évacuer,le personnel diplomatique ou les person-nels militaires. Au centre de traitement desévacuations, le FCO reprend la responsa-bilité des personnes à évacuer, aidé par legroupement de forces si nécessaire. Puis,

ayant établi leur droit à évacuation, il faci-lite leur rapatriement ou tout autre trans-port vers un lieu sûr, selon le cas. A l’exa-men de ce processus, il est important deconstater que les personnes à évacuer puis-sent entrer dans la chaîne d’évacuation eten sortir en tout point et que les sites d’ac-cueil et d’évacuation, le centre de traite-ment des évacuations et les lieux sûrs soientpris en compte selon leur fonction et nonpas en tant que lieux géographiques dis-tincts et qu’ils puissent être situés au mêmeendroit lorsque cela est opportun.

Étude de cas : la Sierra Leone Opération PALLISERMai 2000

La situation de la Sierra Leone

En janvier 1999, la paix fragile qui régnaitdans l’ancienne colonie britannique a étérompue et le pays a sombré dans une guer-re civile, conduisant à la mise en place d’unemission des Nations unies en Sierra Leone(MINUSIL), agissant dans le cadre de larésolution 1289 du Conseil de sécurité desNations unies et du chapitre VII de la Chartedes Nations unies. Cependant, à la fin avril,le début du processus de désarmement,démobilisation et réintégration (DDR) s’esttraduit par une reprise de l’offensive par leFront uni révolutionnaire (FUR) rebelle,conduisant à des pertes humaines, ainsiqu’à des prises d’otages parmi les per-sonnels de la MINUSIL et à une situationdans laquelle Freetown, la capitale, a étéune fois de plus menacée par le FUR.

La réaction britannique

Le gouvernement britannique s’est initia-lement tourné vers les Nations unies pourcoordonner l’opération internationale.Toutefois, le Conseil de sécurité des Nationsunies a exprimé le 4 mai dans une réuniond’urgence qu’il envisageait que le Royaume-Uni résolve la crise. Cela s’est traduit parle plus grand déploiement unilatéral deforces britanniques à l’étranger depuis laguerre des Malouines en 1982. L’opérationa impliqué la projection d’une force d’env-iron 4 500 hommes, comprenant un porte-avions, un groupe amphibie organisé autour

WW

W.D

efen

ceim

ages

.mod

.uk

Page 43: FRA magazine Doctrine16 NEO

d’un commando de Royal Marines, un régi-ment parachutiste, un détachement de l’ar-mée de l’air de quatre hélicoptères Chinook,un groupement de forces spéciales assezimportant et les moyens de commande-ment et de conduite nécessaires.

La projection

La situation s’est détériorée rapidement etle PJHQa envoyé une équipe opérationnellede liaison et de reconnaissance en SierraLeone. Sa mission a consisté à réaliserrapidement une évaluation de la situationen liaison avec le Haut commissaire bri-tannique qui venait juste d’arriver. Dans lesheures qui suivirent leur arrivée, les unitésbritanniques ont commencé à faire mou-vement vers une base avancée de prédé-ploiement à Dakar, au Sénégal, afin d’êtreen mesure de réagir en cas de détério-ration de la situation. L’aéroport inter-national de Lungi, seul aéroport opéra-tionnel capable de recevoir rapidementles avions de transport nécessaires àtoute intervention extérieure, s’est avé-ré indispensable. En conséquence, lapermission a été obtenue du gouverne-ment de la Sierra Leone pour quel’aéroport soit contrôlé par les forcesbritanniques dès leur arrivée à Dakar.Cela a offert un point d’entrée aux forcesbritanniques et aux forces des Nationsunies, ainsi qu’un itinéraire de sortiepotentiel pour les ressortissants étran-gers. Alors que l’équipe de reconnais-

sance britannique atterrissait sur l’aéro-port le matin du 6 mai 2000, la situationempirait effectivement, la MINUSIL se trou-vait en grande difficulté et les Nations uniesavaient déjà commencé à évacuer leur com-posante civile.

Début de l’opération et évacuation

Deux jours plus tard, une violente mani-festation s’est produite, lorsqu’une fouled’environ 10 000 personnes a marché endirection de la maison du chef du FUR.Comme la tension augmentait, plusieursde ses gardes du corps ont ouvert le feu,et au cours de l’échauffourée qui a suivi,21 personnes ont été tuées. Il devenait clairque la Sierra Leone se trouvait quasimentdans un état d’effondrement, et cet après-midi là, le Haut commissaire britannique

a demandé au commandant militaire bri-tannique en Sierra Leone de commencerl’évacuation de toutes les ayants droit.L’aéroport de Lungi étant protégé par unecompagnie du 1er régiment parachutiste,un autre régiment s’est rendu par avion àFreetown, afin de sécuriser le site derassemblement des personnes à évacuer.Celles-ci ont été évacuées vers Lungi parles hélicoptères de soutien Chinook, etde là, évacuées par avion de transportHercules vers Dakar. Au cours des 48 heuresqui ont suivi le lancement de l’opération le8 mai 2000, environ 500 Britanniques etautres ayants droit sur les 1 000 estimésont été évacués vers le Sénégal. Ceux quisont restés ont choisi de le faire en raisonde la présence des troupes britanniquesou parce qu’ils se trouvaient dans d’autresendroits dans le pays et qu’il n’était paspossible de les évacuer.

JUIN 2009 DOCTRINE N° 1643

ÉtrangerÉtranger

Le RETEX

L’opération d’évacuation de ressortissants en Sierra Leone s’est soldée sans équivoque par un succès. Mais il afallu pour cela de la chance, de l’initiative, de la confiance dans l’intuition des militaires, et accepter une certainedose de risque. D’autres paramètres ont contribué à rendre l’évacuation rapide et relativement facile et en faire uneréussite. Les installations à Dakar et la disponibilité du Haut commissaire britannique se sont avérées trèsprécieuses dans le sens où le temps normalement nécessaire pour mener l’opération a été réduit. Une solidecoordination, mettant en œuvre plusieurs services gouvernementaux à différents niveaux et dans divers domaines,a permis l’obtention d’une réaction rapide pour déclencher l’opération. Tout a bien fonctionné mais des points faiblesont été identifiés que les services ministériels et les militaires ont dû prendre en compte. La conséquence de cetteévaluation honnête a été le projet commun FCO/Ministère de la Défense consistant en la publication d’une nouvelledoctrine britannique interarmées sur les opérations d’évacuation de ressortissants quelque 3 mois plus tard.

WW

W.D

efen

ceim

ages

.mod

.uk

Page 44: FRA magazine Doctrine16 NEO

DOCTRINE N°16 JUIN 200944

Une crise soudaine

EEn mars 1997, la situation politiqueintérieure en Albanie, engendrée pardes opérations financières fraudu-

leuses, dans lesquelles étaient égalementimpliqués des éléments du gouvernement,était devenue incontrôlable. Les forcesarmées étaient en pleine déliquescence,les stocks d’armes avaient été pillés, la paixcivile et l’ordre n’étaient pratiquement plusassurés, des fusillades éclataient dans lesrues. Personne ne se risquait à faire de pro-nostic sur l’évolution de la situation dansles jours qui allaient suivre.

Le ministère fédéral des Affaires étrangèresdonna des instructions à l’ambassaded’Allemagne à Tirana, pour que celle-ci pro-cède immédiatement aux préparatifs d’éva-cuation des ressortissants allemands etd’autres nations qui désiraient quitter lepays. Par la suite, plus de 100 ressortis-sants allemands et étrangers désireux dequitter le pays se rassemblèrent à Tirana.Le 12 mars, l’ambassade informa le minis-tère fédéral des Affaires étrangères qu’uneévacuation par voie terrestre, maritime ourecourant au transport aérien civil ne luiparaissait plus envisageable en termes degarantie de sécurité, ajoutant que la situa-tion devenait menaçante pour l’intégritéphysique des personnes. Au terme d’un processus décisionnel àBonn, le Chancelier fédéral ordonna

le 13 mars à la Bundeswehr de procéderà l’évacuation sous commandement natio-nal. Suite à cela, le soir du 13 mars, le Centred’opérations de la Bundeswehr (FüZBw)donna l’ordre au commandant national surle théâtre de Bosnie et Herzégovine (NatBefi.E.)de procéder à l’évacuation hors de Tiranale 14 mars. Dans la nuit du 13 au 14 mars,le groupement tactique fut alors constituéà partir des éléments du contingent alle-mand de la SFOR stationnés sur le campde Rajlovacet l’opération préparée. Le matindu 14 mars, le groupement tactique fit mou-vement vers Dubrovnik. Le même jourà 19h30, après le retour du dernier héli-coptère à Dubrovnik, l’action pouvait êtreconsidérée comme terminée, 20 heuresaprès la réception de l’ordre écrit. Laphase d’évacuation réalisée à Tirana même,particulièrement critique, exigea moinsd’une demi-heure.

L’opération se déroula avec succès, toutesles personnes à évacuer le furent par la voiedes airs.Un hélicoptère fut endommagé parun tir de fusil. Il n’y eut pas de pertes ni deblessés à déplorer dans les rangs amis.

Camp de Rajlovac, 13-14 mars 1997Pour le contingent allemand de la SFOR surle camp de Rajlovac, au nord-ouestde Sarajevo, le 13 mars 1997 s’annonçaitcomme un jour ordinaire. L’état-major ducommandant national de théâtre suivait

certes les événements dans l’Albanie encrise, mais personne ne semblait considé-rer un engagement dans ce secteur com-me une option réaliste. Les soldats du pre-mier contingent GECONSFOR (L) étaient àcette date affectés depuis six à dix semainessur le secteur. Ils avaient été soigneuse-ment sélectionnés et avaient bénéficié enAllemagne d’une formation préliminairecomplète. Pour une partie des soldats, ils’agissait de leur deuxième, pour certainsmême de leur troisième affectation.

Les acteurs principaux au sein de l’état-major du commandant national de théâtreà Rajlovac, à Bonn au centre d’opérationsde la Bundeswehr (FüZBw) et à Coblenceau commandement des forces terrestres(HFüKdo) se connaissaient déjà en partiepour avoir accompli des missions com-munes auparavant, coopéraient étroite-ment, et il régnait une grande confiancemutuelle. Cet élément devait s’avérer ulté-rieurement être un facteur décisif pour lesuccès de l’opération.

Lors du briefing de la soirée à l’état-majordu commandant national de théâtre arrivaà 18h15 une communication téléphoniqueurgente du chef du G3 HFüKdo à l’atten-tion du chef d’état-major. Il informait quele ministère de la Défense envisageait deréaliser ou tout au moins de soutenir dansles prochains jours une opération d’évac-uation hors de Tirana en recourant auxforces du contingent allemand de la SFOR.

Un vol vers l’inconnuL’opération LIBELLULE

PAR LE GÉNÉRAL DE BRIGADE HENNIG GLAWATZ, COMMANDANT ADJOINT DE LA DIVISION DES OPÉRATIONS SPÉCIALES DE L’ARMÉE DE TERRE ALLEMANDE

EEn mars 1997, la situation chaotique en Albanie nécessita l’évacuation dans l’urgenced’environ 100 ressortissants allemands et étrangers désireux de quitter la capitale Tirana. Le

13 mars 1997, le Chancelier fédéral donna à la Bundeswehr l’ordre de procéder à l’évacuation.L’opération d’évacuation LIBELLULE requérant six hélicoptères CH-53 débuta le matin du 14 mars1997 et put être conclue au soir de la même journée par un succès et sans avoir aucune perte àdéplorer.

Page 45: FRA magazine Doctrine16 NEO

JUIN 2009 DOCTRINE N° 1645

ÉtrangerÉtrangerToutefois, rien ne permettait de dire à cetteheure si cette opération dont les détails et lecadre étaient encore incertains, serait effec-tivement réalisée. Sur la base de cette information, l’état-major du commandant national de théâtre,avec la participation de l’escadrille de trans-port de l’ALAT (HFlgTrpStff) et de l’hôpitalde campagne (Flaz), lança dans un cadreconfidentiel les premières réflexions et éta-blit une première ébauche de conceptionen termes de dimensionnement du dispo-sitif de forces. Quelques heures plus tard,nous devions déjà être en mesure de mobi-liser ces moyens, ce qui, compte tenu dela faible ressource temps, nous conféra unavantage important, peut-être même déci-sif, lors de la préparation. Je me rendis personnellement dans lasoirée au groupement tactique blindé où,vers 21h45, un message d’alerte émanantde mon état-major et intitulé «Tirana» mefut communiqué. Le HFüKdo avait informéà 21h35 qu’à partir du 14 mars à l’aube uneopération d’évacuation serait à effectuer.Un ordre émanant du FüZBw fut annoncécomme imminent.

L’ordre écrit du FüZBw arriva à 21h35 àRajlovac. Le message disait : «Evacuez lesressortissants allemands et d’autres nationsde la zone Grand Tirana». Un ordre com-plémentaire du HFüKdo arriva peu après.Le commandement pour la préparation del’opération continua dans un premier tempsde relever du HFüKdo. Simultanément, jefus nommé commandant du groupementtactique et relevé de ma mission de chefde l’état-major du commandant nationalde théâtre. Cette dernière fonction futconfiée à mon adjoint, qui coordonna aucours de la nuit avec beaucoup de cir-conspection le travail de soutien de l’état-major. Le décollage de Rajlovac avec comme pre-mière destination Dubrovnik en Croatie étaitprévu pour le lendemain à 07h30. Avantcela, il fallait procéder à une évaluation dela situation, constituer un groupement tac-tique, l’équiper et le préparer à décollerpour la mission. La rédaction et diffusiondes ordres devaient être lancées immé-diatement. Outre le groupement tactique,qui fut constitué à partir d’éléments del’armée de terre stationnés sur le camp deRajlovac, le FüZBw fournit deux avionsTransall pour le transport des personnes àévacuer et un Transall faisant office de relairadio, ainsi que la frégate Niedersachsen,

également relai radio et chargée de la sur-veillance de l’espace aérien. Sur cette baseet sous le nom de code LIBELLULE com-mença vers minuit la planification détail-lée de l’opération pour l’intervention. Lepersonnel chargé de la préparation de lamission fut astreint au secret. L’opérationput être gardée secrète jusqu’à son terme.

Le groupement tactique opérationnel futconstitué de la manière suivante :

- à partir de l’état-major du commandantnational de théâtre fut constitué le groupede commandement sur la base d’uneffectif 8/5/1/14,- l’escadrille de transport de l’ALAT a four-ni six CH-53 avec leur équipage et le per-sonnel de soutien technique/géophysique(17/17/3/37),- l’hôpital de campagne et l’antenne sani-taire de la garnison (StOSanZentrum)ontconstitué la composante sanitaire(9/4/0/13) et- à partir d’éléments d’une compagnie dugroupement tactique blindé, une sectionde protection sur la base d’un effectif de3/10/12/25 a été activée.

L’effectif global du groupement tactiques’élevait ainsi à 37/36/16/89. En regard deleur formation, de leur motivation, de leuréquipement et de leur disponibilité, les élé-ments stationnés sur le camp de Rajlovacavaient la qualification pour effectuer cet-te mission imprévue. Une partie des com-mandants était déjà habituée aux fonda-mentaux d’une telle opération. La troupetravailla d’arrache-pied toute la nuit sansinterruption. Personne ne chercha à sedéfiler. Il a même fallu décliner l’offre deservice spontanée de certains éléments.

J’ai pu ensuite observer le même phéno-mène à Dubrovnik, lorsque je procédai à lastructuration du groupement tactique entrois éléments ; nombreux étaient ceux quivoulaient à tout prix être affectés au grou-pe Tirana.

En termes de conduite des hommes, aucunproblème spécifique ne fut à signaler danscette phase. La priorité fut, lors d’une inin-terrompue course contre la montre, derésoudre une grande quantité de problèmestactiques, organisationnels et techniques.L’emport en armement et en munitionsconsistait en G3, fusils automatiques, armesantichars portables, pistolets lance-gre-nades et grenades à main. Des rations desurvie et de l’eau se trouvaient égalementà bord des appareils. De l’argent liquidedéboursé par le guichet de Rajlovac à hau-teur de 100 000 DM et 15 000 dollars futréparti sur les appareils 1 à 6.

Le 14 mars à 07h00, je présentai le grou-pement tactique sur le plot de Rajlovacau commandant national de théâtre, legénéral de division Klaus Frühhaber. Ilrappela à nouveau les soldats à leur mis-sion, sans cacher que celle-ci était assor-tie d’un risque. Ensuite, le groupement tac-tique prit place dans les appareils et seprépara à faire mouvement. Ainsi, entrel’instant de la première information faisantétat de l’éventualité d’une telle mission,et celui de la disposition à décoller, toutjuste 14 heures s’étaient écoulées ; et seu-lement neuf bonnes heures depuis lacommunication de l’ordre de mission pro-prement dit. Aussi, les préparatifs de l’opération durent-ils se faire dans la plus grande urgence. Larigueur à observer lors de la préparation

Page 46: FRA magazine Doctrine16 NEO

DOCTRINE N°16 JUIN 200946

de cette opération devait être conciliée avecla situation à Tirana imposant la nécessitéd’agir rapidement. Dans ces conditions, iln’était plus possible d’envisager des modesd’action alternatifs.On ne disposait prati-quement pas de réserves. En cas de fric-tions, il eût été nécessaire d’improviser.D’autre part, la rareté des informations desituation disponibles nous contraignait engrande partie à une planification vers l’in-connu. Ainsi, à l’instant du décollage deRajlocvac, on ne savait pas à quel(s)endroit(s) de Tirana les personnes à éva-cuer se trouvaient, ni où il faudrait les ame-ner, indépendamment du fait que nous nedisposions ni d’un plan de la ville, ni decartes suffisantes.

Le groupement tactique LIBELLULE avaitentre-temps fait officiellement l’objet auprèsdu SHAPEd’un retrait du contingent SFOR,et avait été placé sous commandementnational. Peu après 07h30, l’hélicoptèreleader s’éleva dans le ciel gris du mois demars et prit le cap vers Dubrovnik, laissantSarajevo de côté. La première phase del’opération LIBELLULE avait commencé.

Escale à Dubrovnik et PodgoricaA 09h20, le dernier des appareils atterris-sait à Dubrovnik. La frégate Niedersachsenavait établi le contact pendant la nuit etentrait dans les eaux proches de la côtealbanaise. L’aéroport de Dubrovnik s’avéraêtre pour nous tout à fait adéquat, car :

- on pouvait y établir immédiatement desliaisons par télécommunication, - les unités étaient totalement protégéesdans une zone annexe de l’aéroport, rapi-dement réquisitionnée,- l’hébergement et le soutien étaientparfaitement assurés,- un soutien généreux et efficace fut accor-dé par un petit détachement françaiset le personnel croate de l’aéroport,- l’approvisionnement en carburants etingrédients était garanti.

Personne ne nous posa de questions. Nousn’y aurions de toute façon pas répondu. A09h20, la décision me fut communiquéed’effectuer, conformément à ma proposi-tion, le vol aller et retour vers Tirana viaPodgorica/Montenegro pour le ravitaille-ment en carburant, et qu’un détachementde l’ambassade d’Allemagne à Belgrade ferait

sur place les préparatifs nécessaires. Ceci futcoordonné entre le ministère fédéral de laDéfense et celui des Affaires étrangères.

Je donnai à 09h50, au PC de Dubrovnik, l’ordreN° 1 pour l’engagement que j’avais élaborépendant le vol ralliant Rajlovac à Dubrovnik.A 10h50, l’attaché militaire à Zagreb le lieu-tenant-colonel Peer Schwan, qui avait étédépêché à Dubrovnik par le ministère fédé-ral des Affaires étrangères, se signala, et pritimmédiatement à sa charge le maintien descommunications et les consultations ulté-rieures avec les autorités croates.

Vers 11h30 l’ordre de mission suivant futcommuniqué par le FüZBw :

GECONSFOR (L)procède à l’évacuation enutilisant Podgorica entre 141500A-mar-97-141699A-mar-97 hors de Tirana, dans le butde faire quitter le pays à des ressortissantsallemands et étrangers. Attendre l’ordrepour le rassemblement.Vers 12h00, un colonel arriva de Bonn, qui,quelques jours auparavant, était encoreconseiller militaire du gouvernement alba-nais. Il avait avec lui des cartes dont nousavions un urgent besoin et devait, en regardde ses remarquables connaissances duthéâtre, s’avérer être d’une grande utilité lorsde la planification et ultérieurement égale-ment lors de l’exécution de l’opération. Pourcelle-ci, les unités furent subdivisées en troisgroupes :Dubrovnik, Podgorica et Tirana.

Des informations de situation concernantla ville de Tirana étaient disponibles grâceà la connaissance de l’endroit dont disposaitl’ancien conseiller militaire. Ainsi, l’itinéraired’approche précédemment défini fut-il modi-fié juste avant le départ grâce à ses infor-mations. Sans cela, la trajectoire de vol eûtdirectement survolé des positions antiaé-riennes albanaises permanentes.

Les règles d’engagement définitives n’ar-rivèrent que quelques minutes avant ledécollage, juste à temps pour être com-muniquées aux commandants.

A 11h30, je donnai l’ordre N° 2 pour la mis-sion. Le sous-alinéa 3a stipulait :- rallier par mouvement aérien et avec sixCH-53 en trois vagues la zone au-dessusde FORWARD OPERATIONG BASEPODGORICA,- atterrir à proximité de l’ambassade desEtats-Unis,

- sécuriser immédiatement l’environnementde proximité du plot,- installer un PC mobile,- assurer la prise en charge et l’évacuationpar voie aérienne des personnes concer-nées en sécurisant,- acheminer immédiatement les personnes àévacuer vers Podgorica par voie aérienne,- replier le PC mobile et le dispositif de sécu-risation après le décollage des dernièrespersonnes à évacuer et- retour vers Podgorica.- Axe d’effort principal : embarquementrapide des personnes à évacuer et duréede séjour très bref, en n’ayant jamais plusd’un hélicoptère au sol à la fois.

A cet instant, l’embarquement des personnesà évacuer était encore censé être effectuéavec l’appui des Américains à proximité del’ambassade. Lors de l’affectation des héli-coptères, il était important de débarquer avecl’atterrissage de la première machine le grosde la section de commandement et une gran-de partie de la section de protection, afin depouvoir garantir immédiatement à partir dusol la conduite et la sécurisation de l’opéra-tion d’évacuation.

D’autres éléments de sécurisation suivi-rent dans les hélicoptères 2 à 5, afin quel’on puisse également disposer d’élémentsde sécurisation débarqués lors d’éventuelsatterrissages. Tous les éléments de sécu-risation, à l’exception des deux mitrailleursde bord que compte chaque hélicoptère,étaient débarqués pendant la durée del’opération.

D’autre part, il y avait au minimum unmédecin dans chaque appareil. Dansl’hélicoptère d’évacuation de grande capa-cité, dont l’atterrissage n’était prévu qu’encas de détresse et sur mon ordre, se trou-vaient quatre médecins. Il y avait deuxmédecins dans l’hélicoptère de comman-dement. Pendant toute la durée de l’opé-ration, un médecin était présent à mes côtésà terre, également en qualité de conseillerpour les cas d’urgence. Il y avait égalementdes moyens de transmission dans chaquehélicoptère.

Le gros de la section de commandement etde la section de sécurisation devait ensui-te redécoller avec le dernier hélicoptère,après que les appareils 1 à 4 aient embar-qué jusqu’à 30 civils.

Page 47: FRA magazine Doctrine16 NEO

JUIN 2009 DOCTRINE N° 1647

L’espacement des appareils qui avait étéordonné pour l’approche prévoyait le volde trois patrouilles de deux MTH (MediumTransport Helicopter), l’intervalle chrono-logique entre deux patrouilles était res-pectivement de dix minutes. L’hélicoptèrede grande capacité évoluait au sein de lapatrouille du milieu. Il était piloté par lecommandant d’escadrille de l’escadrille detransport de l’ALAT. Le commandant d’es-cadrille avait pour mission de prendre ladirection de l’opération pour le cas où l’en-semble de la section de commandement àterre ne serait plus en mesure d’opérer. A13h00, le FüZBw prit le commandement.Pendant ce temps, on mettait la dernièremain aux préparatifs précédant le décolla-ge de Dubrovnik, les appareils étaientarmés, les hommes connaissaient leur mis-sion et avaient déjà embarqué.

A 13h35 arriva l’ordre de mission. La situa-tion à Tirana restait confuse. La dernièreinstruction radiotéléphonique que j’avaisreçue juste avant le décollage disait en sub-stance : «La situation sur place est totalement chao-tique, il y a des fusillades partout, person-ne ne sait exactement ce qui se passe.Ralliez l’endroit et faites en sorte de pou-voir évacuer les personnes. Si la situationdevient dangereuse, décrochez».

A 13h50, l’hélicoptère de commandementdécolla en direction de Podgorica, les cinqautres hélicoptères suivirent peu après. Lesvisages des hommes étaient tendus, maisrésolus. Les pilotes et personnels de l’ALAT,habitués aux missions, et sans rien concé-der du sérieux imposé par la situation, yvoyaient volontiers un défi sportif et rayon-naient la confiance. Chacun des hommesdu groupement tactique était tout à faitconscient du fait qu’à partir de cet instantnous volions vers une zone où le risquen’était plus calculable avec certitude. Maisl’ambiance générale était de se dire : on vale faire.

L’approche vers Podgorica dura environ 26minutes. Gardant une formation rappro-chée, six hélicoptères se posèrent sur uneprairie entre la piste et le taxiway. Il s’avé-ra alors que le personnel de l’ambassadede Belgrade n’était pas sur place et qu’àPodgorica on n’était que vaguement infor-mé de notre venue. La communication avecle FüZBw put être établie immédiatement.Le ravitaillement en carburant dura plus de

30 minutes en raison du manque de pré-paration et de la vétusté des camionsciternes. Les Serbes refusèrent d’accepterles cartes de crédit. Il s’avérait très utiled’avoir emporté de l’argent liquide.

A Podgorica, nous parvint un messagedisant que le plot d’atterrissage à proxi-mité de l’ambassade des Etats-Unis n’étaitplus accessible pour des raisons de sécu-rité et qu’il n’y aurait plus de soutien de lapart des Américains. Nous étions désor-mais entièrement livrés à nous-mêmes.Dans l’urgence, nous recherchâmes sur leplan de la ville une solution de rechange.Sur proposition du conseiller militaire, lechoix fut fait de rallier l’aérodrome militai-re de Labrak. La situation globale restaitconfuse. Personne n’était en mesure dedire s’il y avait encore des militaires sur cetaérodrome. Le groupe Podgorica resta enarrière, prit contact avec les services serbeset prépara notre retour. Son action devaits’avérer efficace.

29 minutes à Tirana

A 15h02 décolla la première patrouille,l’hélicoptère de commandement et l’ap-pareil N°2, mettant le cap au sud vers Tirana.L’opération LIBELLULE entrait dans sa phasedécisive. L’approche vers Tirana se fit à unealtitude de vol supérieure à 3 000 pieds. A15h21 nous parvint via le relais radio C-160un message disant que des hélicoptères

US avaient essuyé un feu antiaérien et untir de roquette au-dessus de Tirana etavaient ensuite définitivement interrompuleur opération. Le pilote se retourna et meregarda droit dans les yeux. Sans qu’uneparole ait été prononcée, la question étaitclaire : on continue ou on décroche ?Il fallait maintenant prendre rapidementune décision de commandement. Un courtinstant, j’envisageai de modifier l’altituded’approche, afin de rallier le site à bassealtitude, ainsi que de garder encore plusloin en retrait l’hélicoptère grande capaci-té. La réponse à nos questions, retransmi-se par le relais, fut que notre nouvelle zoned’atterrissage n’avait pas été concernéepar ces feux de barrage. Aussi, fut-il déci-dé de maintenir le cap et l’altitude jusqu’àl’objectif. A 15h39, le pilote bascula lemanche vers l’avant, au-dessus de Labrak,l’hélicoptère de commandement passa envol de descente rapide. Peu avant l’atter-rissage, l’appareil fut touché une fois. Lechoc fut nettement audible.

A la réception du message faisant état del’interruption de l’opération des Américains,se posa évidemment la question de la pour-suite de l’entreprise. Toutefois et en pre-mier lieu, les tirs avaient été essuyés dansun endroit éloigné de celui prévu pour notreatterrissage et, d’autre part, je considéraile risque lié à des roquettes antiaériennescomme réduit. Même si des roquettesétaient tombées aux mains des émeutiers,il était peu probable que ceux-ci sachent s’en

ÉtrangerÉtranger

Page 48: FRA magazine Doctrine16 NEO

DOCTRINE N°16 JUIN 200948

servir. Aussi avais-je de sérieux doutes quantà la véracité de ce message. Ultérieurement,il s’avéra effectivement qu’un hélicoptèreavait essuyé un tir de roquette anti-char. Leplus grand danger venait pour moi toujoursdes nombreux et incontrôlables tirs d’armesindividuelles. Mais nous n’étions pas en traind’effectuer un vol touristique et étions pré-parés à faire usage de nos armes si on nousy forçait. Lorsque l’hélicoptère de commandementfut touché au moment de l’atterrissage, jene considérai pas cet incident comme étantl’expression d’une résistance organisée etévaluai notre situation comme étantmaîtrisable dès lors que nous aurionsdébarqué. Nous étions tous conscients deprogresser désormais dans une zone derisque aggravé, et acceptions cet état defait. Nous étions à un point auquel celuiqui a choisi notre métier peut se trouver unjour. La première impression forte aprèsavoir débarqué par la rampe arrière fut lestirs incessants autour de nous et venant detoutes les directions.

Ceci renforça ma détermination à effectuerl’embarquement le plus rapidement pos-sible. Les éléments de sécurisation mirentimmédiatement en place le dispositif adé-quat sur le site. L’aérodrome proprementdit avait été abandonné par les militairesalbanais. Des avions en piètre état étaientsans surveillance dans les hangars. La sec-tion de commandement établit immédia-tement la communication avec le FüZBw.Il s’agissait maintenant d’embarquerrapidement les personnes à évacuer etde quitter l’endroit. Un problème inatten-du et majeur se posa toutefois à nous.L’embarquement dans des conditions nomi-nales fut notablement compliqué par le faitqu’en raison du soudain changement du lieud’atterrissage, l’ambassade avait égaré leslistes d’affectation des hélicoptères quej’avais communiquées via le FüZBw. Les per-sonnes à évacuer étaient rassemblées enune foule anarchique, à laquelle s’étaientmêlés 300 à 400 Albanais. La confusion étaitgrande. Une partie des personnes à évacuerétait dans un état psychologique préoc-cupant et avait besoin d’une prise en char-ge. Il s’avérait très judicieux de disposer d’unmédecin par hélicoptère.

A nouveau, je me trouvais brutalementconfronté à une situation imposant unedécision. J’étais parti du principe que confor-mément à ma demande l’ambassade éta-

blirait des listes d’affectation des personnesà évacuer en quatre groupes de 30 per-sonnes, et avait tout organisé de manièretelle que je n’aurais plus qu’à donner l’ordrechronologique d’embarquer dans les héli-coptères. Là aussi, il convenait de décidersans tarder : vérification minutieuse etaffectation par nos soins des personnes àévacuer ? Ceci aurait eu pour conséquen-ce un séjour prolongé au sol, ou alors j’au-rais dû, pour des raisons de sécurité, faireredécoller le premier appareil en raison durisque, déroger au plan ordonné et deman-der au fur et à mesure par radio l’atterris-sage des différents appareils. Nous n’avionspas de temps pour de longues concerta-tions avec l’ambassadeur. Je pris la déci-sion dans une ambiance de feu incessantautour de nous. Même au risque d’évacuerégalement quelques personnes non auto-risées, je donnai la priorité à la rapidité. Enoutre, mon analyse était que des Albanaisqui parviendraient à prendre place dansles appareils ne représenteraient pas derisque pour nous. Aussi, quelques Albanaisont-ils pu prendre place dans les deux pre-miers appareils. Ensuite, je fis réaffecterdes éléments de la section de sécurisation,qui furent chargé d’identifier et de repous-ser les non-ayants droit. A partir du troi-sième hélicoptère, il redevint possible deprocéder à la vérification des personnes,car en raison de l’espacement des appa-reils, nous disposions d’environ dix minutes.Vers 15h54, il y eut un bref mais vif échan-ge de coups de feux. Considérant la direc-tion de progression et le comportementdes deux véhicules blindés légers à rouesqui s’approchaient de notre ligne de sécu-risation en faisant feu, j’en déduisis que lefeu nourri d’armes individuelles émanantdes véhicules était destiné à l’opérationd’évacuation. Dans une telle situation, etayant la responsabilité de l’intégrité phy-sique des soldats et des personnes àévacuer, le seuil d’hésitation en termesd’usage de la force des armes se trouveétonnement vite révisé à la baisse. L’actiondes feux fut engagée. 188 coups furent tirés,le tir était bien groupé et les véhicules firentimmédiatement demi-tour.

Ultérieurement, nous eûmes la possibilitéd’examiner brièvement un de ces véhicules.Nous avons estimé 50 à 100 impacts, dontenviron la moitié avait percé le blindage.Nos soldats et les personnes à évacuer nefurent pas blessés lors de l’engagementdes feux ; nous ne savons pas s’il y a eu

des blessés dans les rangs de l’agresseurou d’autres. Il s’agissait probablement d’uncommando de la police secrète albanaise,qui devait disperser la foule. Mais nousn’en fûmes informés que plus tard.

L’action menée à terre à Tirana dura29 minutes, de l’atterrissage du premierappareil jusqu’au redécollage du dernier.Le vol retour vers Podgorica se déroula sansrien à signaler. J’ordonnai le rassemblementde l’unité et procédai à l’appel, avant derendre compte au FüZBw. Le groupetactique était devant moi au complet, laphase la plus difficile était derrière nous.Les autorités de la République fédérale deYougoslavie procédèrent dans les règlesau contrôle de la nationalité des évacués.Les Albanais qui avaient emprunté le volfurent identifiés et reconduits à la frontiè-re. Il n’y eut pas de résistance. Après l’ar-rivée des deux C-160 à 17h20, les personnesévacuées furent remises à l’armée de l’air,chargée de les acheminer vers l’Allemagne.On pouvait lire un profond soulagementmais aussi de l’épuisement sur les visagesdes femmes et hommes évacués.

Le réapprovisionnement en carburant sefit sans problèmes. Dans l’ensemble, tantles autorités que les militaires serbes àPodgorica se montrèrent extrêmementcoopératifs. Le commandant de l’aéroportse tint toujours près de moi après mon arri-vée et mit d’autre part un véhicule à madisposition. Avant le décollage, j’eus unlong entretien avec lui et le remerciai deson soutien lors de cette action humani-taire. Ce fut presque une conversation ami-cale entre deux soldats au bord de la pis-te. Dans le crépuscule naissant, les deuxC-160 décollèrent à côté de nous, ramenantà leur bord les évacués vers l’Allemagne.

En tout, 99 ressortissants de 23 nationsfurent évacués par l’armée de l’air etramenés en Allemagne.Dix personnes pour-suivirent le voyage de manière autonomeà partir de Podgorica. Je décollai dePodgorica à 19h30 avec le dernier appareil.

A Dubrovnik, on procéda immédiatementau ravitaillement et au rétablissement dela capacité opérationnelle intégrale dansl’éventualité d’une nouvelle mission versTirana le 15 mars, qui avait été ordonnéepar le FüZBw lors du retour à Podgorica.Toutefois, dans la matinée du 15 mars, leFüZBw informa qu’il n’y aurait pas d’autre

Page 49: FRA magazine Doctrine16 NEO

JUIN 2009 DOCTRINE N° 1649

ÉtrangerÉtrangermission, et ordonna de repasser sous lecommandement du commandant nationalde théâtre et de procéder au retour immé-diat vers Rajlovac.

Lors de l’atterrissage à Rajlovac, les cama-rades du camp nous réservèrent un accueilmémorable qui nous toucha beaucoup, nous

qui étions encore sous l’impression de l’évé-nement vécu. «Rajlovac, Tirana - we alwayscome back», avaient-ils inscrit en grandeslettres sur la porte du hangar. Avec le compterendu de la mission au général de divisionFrühhaber s’était achevée l’opération. Lecommandant national de théâtre ne fit pasmystère de son soulagement de voir LIBEL-

LULE de retour au complet à Rajlovac :«Mission accomplie, pas de pertes». Outre le véritable professionnalisme, dontles états-majors et les unités avaient remar-quablement fait preuve lors de cette entre-prise, la chance avait également été de notrecôté pendant toutes les phases et au bonmoment.

EEn 1993, il y avait eu un dur débat de politique intérieure quant à la question de savoir s’il était légitime d’engagerdes forces allemandes avec une mission militaire hors du cadre du territoire de l’Alliance atlantique. A peinequatre années plus tard, le Chancelier fédéral décida, dans une situation de crise, et soumis à une forte

pression dictée par l’urgence, de prélever des éléments allemands du contingent SFOR en ex-Yougoslavie et de lesengager dans une opération nationale d’assistance à des ressortissants, afin de les évacuer d’une Albanie secouéepar des troubles proches d’une guerre civile. D’autre part, la direction politique décida de garder cette opérationsecrète jusqu’à son terme.

L’objectif de l’évacuation était en l’occurrence non seulement de porter assistance à des citoyens allemands, maisaussi d’évacuer des ressortissants de différentes autres nations. Cette opération fut menée sur fond d’une situationnon entièrement clarifiée et était en partie incertaine. Cette opération fut menée à un moment ou d’autres nationsinterrompaient leurs propres opérations d’évacuation, car le risque potentiel leur paraissait trop élevé. L’opérationLIBELLULE ne fut pas interrompue, car côté allemand, le risque restait encore considéré comme admissible. Unéventuel engagement armé avait été intégré dans les réflexions et préparé par les militaires avec maîtrise etcirconspection. Le groupe tactique sut accomplir ses tâches avec professionnalisme et une grande maîtrise. Lesdéfis de cette opération - manque de sommeil, pression de l’urgence, incertitude par rapport à la situation, situationchaotique sur le point d’embarquement, engagement du feu et risque personnel - les soldats ont su maîtriser tousces paramètres et montrèrent une grande solidité. En terme de qualité, ils n’avaient rien à envier à nos alliés qui sontdepuis longtemps rompus à de telles missions.

Le HFüKdo et le FüZBw ont assumé la conduite de manière souveraine, en l’occurrence fourni les moyens nécessaireset défini le cadre, tout en accordant une grande marge de manœuvre au commandant de l’opération. Les analyseseffectuées sur le théâtre et les décisions prises ont immédiatement été acceptées, en particulier lors des momentscritiques. Personne n’a cédé à la tentation d’abuser des moyens de télécommunications pour imposer une décision,ni d’établir des diagnostics à distance concernant l’estimation de la situation faite par les unités sur le théâtre. Laconfiance établie entre les officiers responsables au HFüKdo et au FüZBw et les commandants sur le théâtre fut selonmoi un facteur décisif. Les alliés ont par la suite souvent fait part de leur étonnement concernant la dose selon euxtrès élevée de liberté d’action accordée au commandant du théâtre dans une telle opération. On avait en l’occurrenceaffaire à un commandement par objectif de première qualité.

L’opération généra de nombreux enseignements et expériences en termes de planification et d’exécutiond’opérations d’évacuation. Le maillon faible majeur s’était avéré être le fait que l’ambassade à Tirana n’était paspréparée à une évacuation et fut totalement dépassée par les événements. La réalisation d’opérations d’évacuation aentre-temps été confiée à la division des opérations spéciales au sein de l’armée de terre allemande, celle-cimaintient en permanence en disponibilité un groupe d’intervention pour les opérations d’évacuation dans le cadrede la prévention du risque à l’échelon national. Dans les ambassades de certains pays, des opérations d’évacuation deressortissants on fait l’objet d’une préparation et d’une projection calendaire avec le soutien des forces armées.

Cette opération avait certes été harmonisée avec d’autres Etats, mais elle fut conduite dans un cadre purementnational. La responsabilité du succès ou de l’échec incombait entièrement aux Allemands. Ce faisant, on avaitaccepté, avec toutes les conséquences, d’assumer la responsabilité de l’intégrité physique de ressortissants d’autrespays. Le consentement du Bundestag ne put être recueilli qu’après la conclusion heureuse de l’opération, en raisonde l’urgence et de la nécessité de préservation du secret. Seuls les présidents des groupes parlementaires des partisreprésentés au Bundestag avaient été informés avant l’opération.

Le vol de LIBELLULE vers Tirana éclaire d’un nouveau jour l’évolution du rôle dévolu à la République fédéraled’Allemagne dans le concert de la politique internationale.

Page 50: FRA magazine Doctrine16 NEO

DOCTRINE N° 16 JUIN 200950

Perspective historiquede l’évacuation de ressortissants

PAR LE PROFESSEUR GUILLAUME LASCONJARIAS, CHERCHEUR AU CDEF/DREX1

DDans l’histoire des grands pays occidentaux, la notion d’évacuation de ressortissants semble

une idée neuve et une préoccupation récente. Pourtant, quoi de plus naturel et de plus

essentiel que l’obligation d’un État de protéger et secourir ses ressortissants ? Retour sur

les évolutions d’une pratique dont l’esprit a connu de profonds bouleversements.

LA PROTECTION DES «NATIONAUX», UNE NOTION ANCIENNE2

SSous l’Antiquité grecque et romaineou dans l’Europe médiévale, à uneépoque où la notion d’État se déve-

loppe, la tâche du souverain ou du sei-gneur tient dans la nécessaire protectiondonnée aux citoyens ou aux sujets. Déjà,pendant la Guerre du Péloponnèse (431-404 avant notre ère), les agriculteurs del’Attique sont protégés par la cavalerieathénienne qui les conduit à l’intérieur desmurailles de la ville lorsque les arméesspartiates franchissent les limites de lapolis3. Aux temps des grandes invasions,aux IXe et Xe siècles, les villes européennesdressent des murailles pour offrir auxruraux un abri et un secours.

Une lente transformation s’opère dèsle XVIe siècle, à l’heure où se constituentde grands empires coloniaux. Les nationseuropéennes fondent des comptoirs enAfrique, aux Amériques et en Asie, yinstallent leurs colons et bientôt, déve-loppent une véritable administrationcalquée sur les modèles métropolitains.Dans cet esprit qui se nourrit de la lenteimprégnation d’idées politiques et philo-sophiques sur les devoirs des souverainset des États envers leurs sujets, l’arméejoue un rôle essentiel dans la protectiondes «nationaux» par rapport aux indigènes.

AVEC LA COLONISATION, UNE NOUVELLE CONCEPTION

La conception même de l’État moderne,fondée sur les théories de Hobbes(Léviathan, chapitre XVII) et reprise parAdam Smith dans les Recherches sur lanature et les causes de la richesse desnations (1776), exige du souverain qu’ildéfende «la société de tout acte de vio-lence et d’invasion de la part des autressociétés indépendantes» et protège«chaque membre de la société contrel’injustice ou l’oppression de tout autre

membre». Or, bien souvent, la missionsacrée cache d’autres raisons bien moinsavouables.Derrière la protection des siensse dissimulent des volontés impérialistes.

Nul étonnement à ce que le devoir deprotection ne tienne pas ou peu comptedes possibilités d’évacuation. Il estd’ailleurs rare ou exceptionnel que lescolons demandent à être évacués. Aucontraire, ils exigent de pouvoir rester etvivre en toute sécurité. Les interventionsmilitaires visent d’autres buts que le sau-vetage des ressortissants et se transfor-ment souvent en la présence permanen-te de contingents. La révolte des Boxers,de 1899 à 19014, connue par le siègedes légations européennes, illustre cetargument.

En juin 1900, le mouvement des Boxers,antieuropéen et soutenu par l’impéra-trice Cixi, atteint Pékin où la populationse soulève. Les prêtres étrangers sont mas-sacrés, le chancelier japonais Sugiyamaest assassiné le 6 juin, suivi du baron alle-mand von Ketteler le 20. Le quartier deslégations se trouve assiégé par des mil-liers de Boxers où se retranchent lesOccidentaux. Pour leur porter secours,20 000 soldats - principalement britan-niques mais aussi allemands, italiens, fran-çais, japonais, américains ou russes -débarquent dans le port de Tianjin le

phot

o fo

urni

e pa

r l’a

uteu

r

Page 51: FRA magazine Doctrine16 NEO

Retour d’expérienceRetour d’expérience14 juillet 1900 et marchent sur Pékin. Après55 jours de siège, les légations sont sau-vées et les troupes alliées mènent unerépression féroce aboutissant à la signa-ture d’un traité de paix inique en sep-tembre 1901. L’intervention est motivéepar la volonté de sauver les Européens etun modèle de civilisation :«La révolte desBoxers est impie, puisqu’elle va contre leprogrès, contre les idées modernes (...).Devant les menaces de ces barbares, lacivilisation ne doit pas reculer5.»

D’une façon plus cynique, les ressortis-sants servent parfois de prétexte àun débarquement de vive force et à uneannexion coloniale. Ainsi, en septembre1911, l’Italie déclare la guerre à l’Empireottoman. Le casus belli tient aux condi-tions de vie et de travail des ressortissantsitaliens en Cyrénaïque et en Tripolitaine6 ;après un ultimatum que les autorités dela Sublime Porte rejettent, les troupesitaliennes débarquent en Lybie et occu-pent le pays7.

VERS UNE LENTEAPPROCHE HUMANITAIRE

Il faut semble-t-il attendreles périodes de décoloni-sation pour que l’évacua-tion de ressortissantsconfiée à des autoritésmilitaires apparaisse.L’intervention est désor-mais dictée par des con-sidérations d’un autregenre, souvent humani-taires, et les aspectsmédiatiques prennent untour essentiel. Désormais,il s’agit pour un État depouvoir intervenir dans unpays souverain ou dans unconflit où il occupe uneposition plus ou moinsneutre. Un des premiersexemples susceptiblesd’éclairer ces nouvellesmissions date du conflitsino-japonais. Au début dumois de décembre 1937,Nankinest menacée par lestroupes nippones.L’ambassade américaineinsiste pour que les der-niers Occidentaux présentsdans la ville embarquentsur le USS Panay, une

canonnière dépêchée pour la circonstan-ce. Le 9 décembre, dans le chaos des com-bats, une centaine de diplomates, de jour-nalistes, d’hommes d’affaires et deréfugiés, prennent le large. Mais cetteopération connaît une fin tragique ; le12 décembre dans l’après-midi, l’aviationnippone ouvre le feu sans sommation etcoule le navire, tuant deux membresd’équipage et faisant de nombreuxblessés8.

Pour autant, ces opérations ne retiennentguère l’attention des états-majors quivoient surtout dans les réfugiés à évacuerdes zones de combat la possibilité deconserver leur liberté d’action. Pendantle deuxième conflit mondial, priorité estdonnée à l’évacuation des combattants.Ainsi en est-il de l’opération Hannibal, finjanvier 1945 ; la Wehrmacht aurait donnél’ordre d’évacuer la Prusse Orientale faceà l’avancée inéluctable des troupes sovié-tiques. La Kriegsmarinede l’amiral Dönitzaurait pris les dispositions nécessairespour évacuer les réfugiés via la merBaltique. Or, il s’agit là manifestement

d’une falsification historique ; les réfugiésn’embarquent sur les navires que s’il res-te de la place. Il faut attendre le 6 mai 1945,deux jours avant la capitulation du régi-me nazi, pour que l’amirauté déclare lesauvetage des populations prioritaire9 !

LE TOURNANT DES ANNÉES 1960

Finalement, il faut attendre les années1960 et les grands épisodes consécutifsà la décolonisation et aux grands boule-versements politiques pour que la notiond’évacuation de ressortissants entre dansle cadre des opérations confiées aux forcesarmées. En avril 1965, au moment où laguerre civile éclate en République domi-nicaine, les États-Unis mettent en placeune Task Force de 1 500 Marines au largede l’île. Ce n’est que le 29 avril, au momentoù le gouvernement dominicain jugeimpossible de protéger les ressortissantsétrangers, que les soldats américains atter-rissent à Saint-Domingue, établissent unezone de sécurité entre l’ambassade amé-ricaine et l’Hôtel Embajador où les réfu-

JANVIER 2009 DOCTRINE N° 1651

ECPA

D

Page 52: FRA magazine Doctrine16 NEO

CCes deux exemples, tous deux américains, mettent en lumière les principes d’une évacuation deressortissants. D’abord, une volonté politique forte, soutenue par une pression médiatiqueimportante qui conditionne la mise en œuvre rapide d’une telle opération. Ensuite, une gestion

interministérielle souple et réactive, où lesdiplomates et les militaires travaillent en parfaitecollaboration. Enfin, des moyens adéquats pourassurer le succès de l’opération : un nombreimportant de soldats déployés, une panoplie dematériels (navires d’accueil, hélicoptères, véhiculesde ramassage...).

Un an plus tard, à Entebbe (3 juillet 1976), le raiddes parachutistes israéliens démontre que, pourprotéger et évacuer des ressortissants, un État doitaussi être prêt à mettre en jeu une somme derisques élevés.

giés sont rassemblés, avant qu’ils ne soienthéliportés sur les navires croisant aularge. L’opération Powerpack prendde l’ampleur les jours suivants ; du 29 avrilau 4 mai, 10 000 soldats supplémentairesdébarquent, sécurisant l’aéroport puisles terminaux maritimes, offrant ainsi lapossibilité d’embarquer directement lesressortissants à quai. En tout, près de8 000 réfugiés de 30 nationalités diffé-rentes furent évacués en un peu plusd’une semaine10.

Autre exemple connu, lui aussi américain,l’opération Frequent Wind, lancée devantl’imminence de la chute de Saigon. Laprincipale difficulté tient à l’urgence danslaquelle il convient de prendre unedécision ; le Pentagone souhaite une éva-cuation rapide et massive quand leDépartement d’État, craignant un mouve-ment de panique, espère une évacuationprogressive. Gérald Ford choisit le com-promis ; une évacuation progressive jus-qu’au maintien de 1 100 hommes qu’ilserait possible d’évacuer en une fois aucas où la situation le nécessiterait. Le29 mai 1975 l’aéroport de Saigon estdirectement sous le feu vietcong.L’ambassadeur met alors en place deuxpoints d’évacuation ; les civils apprennentle début de l’opération par une chansondiffusée sur les ondes. Protégés par desdétachements de Marines, les hélicoptères

volent entre Saigon et les navires de la7e flotte US au mouillage dans la baie. Lespertes au cours de l’opération sont rela-tivement faibles ; deux gardes de l’am-bassade sont tués dans des combats ausol et deux membres d’équipage sont por-tés disparus après le crash de leur héli-coptère. Plus de 7 000 citoyens américainset de nombreux Vietnamiens sont sauvés,après 194 sorties sur les différents sites.

1 Egalement lieutenant de réserve.

2 Les titres intermédiaires ont été rajoutés

par la rédaction.

3 Sur la Guerre du Péloponnèse et les leçons

d’actualité que l’on peut en tirer, Victor Davis

HANSON, La Guerre du Péloponnèse, Paris,

Flammarion, 2008, chapitre 1.

4 À l’origine, les membres d’une société

secrète (la «Milice de la Justice et de la

Concorde») qui pratiquent un art martial

proche de la boxe anglaise, dénoncent

l’impuissance et la corruption du pouvoir

impérial face aux Occidentaux. Le

mouvement prend de l’ampleur au cours

de l’année 1900 et s’attaque aux signes

de la présence étrangère, du chemin de fer

aux missions catholiques.

5 Lucien Victor MEUNIER, «Europe contre

Chine», Le Rappel, 5 juillet 1900 cité par

Christine CORNIOT, «La guerre des Boxeurs

d’après la presse française», Études

chinoises, vol. VI, n°2, 1987, p. 73-99.

6 Ces deux régions formeront la future Lybie.

7 Tripoli est rapidement occupé mais il faut

encore neuf mois de guerre pour réduire

les résistances turques et indigènes.

Par le traité de Lausanne, la Sublime Porte

reconnaît la souveraineté italienne

(15 octobre 1912).

8 Sur cet épisode peu connu, nous renvoyons

à Iris CHANG, Le Viol de Nankin. 1937 : un

des plus grands massacres du XXe siècle,

Paris, Payot, 2007, p.167-175.

9 Sur le mythe de l’évacuation des Allemands

de Prusse-Orientale, voir l’interview

de l’historien allemand Heinrich

Schwendemann, diffusée sur Arte,

avril 2005.

10 Sur Powerpack, il est possible de

consulter le site

DOCTRINE N° 16 JUIN 200952

www.globalsecurity.org/military/

ops/powerpack.htm. U

S N

avy

Page 53: FRA magazine Doctrine16 NEO

Retour d’expérienceRetour d’expérience

JUIN 2009 DOCTRINE N° 1653

UN IMPÉRATIF : LE CONTRÔLE DE L’AÉROPORT ET LA DÉFENSE DU CAMP DE PORT BOUËT4 ...

LLe 43e BIMa5 déclenche le plan Citadelle de défense du camp de Port Bouët. A 16 h 00, une de ses sections est attaquée surl’aéroport par des militaires ivoiriens. Le combat tourne à l’avantage des Français qui déplorent deux blessés légers et unTransall gravement endommagé par un tir de roquettes. Le 43 reçoit, alors, l’ordre de s’engager à l’extérieur du camp et

de prendre le contrôle de l’aéroport afin de préserver la capacité à accueillir des renforts et à évacuer les ressortissants.

Articulé en sous-groupements interarmes, le bataillon se déploie avec un PC principal sur le camp et un PC tactique surl’aéroport confié au chef opérations. En dépit de la faiblesse des moyens, il faut réaliser deux missions impératives : contrôlerl’aéroport pour le lendemain à l’aube et défendre le camp de Port Bouët.

Abidjan, novembre 2004Une évacuation difficile, mais un succès indéniable

PAR LE COLONEL LUC DU PERRON DE REVEL, ATTACHÉ DE DÉFENSE EN ETHIOPIE1

EEn octobre 2004, la crise ivoirienne dure depuis deux ans et le pays est coupé en deux par la «zonede confiance» (ZDC) sur laquelle veillent les forces de l’ONUCI2 appuyées par les forces françaises.Le blocage politique conduit le camp présidentiel à tenter de reprendre l’avantage au moyen d’une

offensive : l’opération Dignité, à laquelle les «forces impartiales» (françaises et de l’ONU) ne peuvent, oune savent, s’opposer.

L’opération débute le 4 novembre dans la matinée par des raids aériens sur le Nord à partir deYamoussoukro, d’où les FANCI3 opèrent avec deux avions de combat Sukhoï 25. Le 5 novembre,parallèlement aux raids aériens, les FANCI pénètrent dans la ZDC en direction de Bouaké dont ellesatteignent les faubourgs le 6 dans la matinée. A 13 h 30, sans que rien n’ait pu le laisser prévoir, un SU 25tire un panier de roquettes sur le camp français installé dans le lycée Descartes d’où on retire dix tués(neuf soldats français et un civil américain) et trente-trois blessés. A 14 h 00, après s’être posés surl’aéroport de Yamoussoukro sans, apparemment, s’inquiéter de la présence d’une unité française qui ystationne, les deux SU 25 sont détruits par celle-ci.

A Abidjan, dès que la nouvelle est connue, des bandes de pillards s’en prennent à tout ce qui représentela France et envahissent les quartiers à forte concentration d’expatriés. Les établissements scolairesfrançais sont saccagés et en partie détruits. Les entreprises et les domiciles sont pillés.

Page 54: FRA magazine Doctrine16 NEO

Après un bref engagement, la neutralisa-tion de la base aérienne est obtenue parla négociation, cependant que partoutsurgissent des manifestants. En ville, atti-sée par le passage en boucle de mes-sages appelant à lutter contre lesFrançais, la mobilisation se renforce etdes dizaines de milliers de personnes sedirigent vers la zone des combats. Endébut de soirée, le niveau de violence estexceptionnellement élevé. La consomma-tion de grenades lacrymogènes est enlimite de rupture et les armes de guerredoivent être utilisées face à des attaquesdélibérées ou en intimidation. Jusqu’àdeux heures du matin, la situation estcritique et le résultat de la confrontationdemeure incertain. Sur l’aéroport, lessous-groupements sont plus ou moinsmorcelés, l’aérogare et le tarmac sont,en partie, envahis alors que sur le verroud’Akwaba, le sous-groupement a étécontraint de se replier le long de l’axe etde s’installer sur la dernière ligne d’arrêtpossible aménagée avec des containers.

Cependant, en dépit de tentatives deplus en plus hardies, la défense ducamp n’est pas entamée. Afin de couperle flux des émeutiers le plus en amontpossible, le commandant de la forceLicorne engage avec succès des hélico-ptères afin d’interdire le franchissementdu pont De Gaulle sur la lagune. Dans le

DOCTRINE N° 16 JUIN 200954

Extrait du rapport du chef de corps sur les actions de feux en zone 4

(...) A partir du 7 novembre à onze heures, la progression vers lesponts et la reconnaissance des axes sur la presque île de Koumassis’est heurtée à de nombreux barrages disposés sur le boulevardValéry Giscard d’Estaing (VGE). Ralenti dans sa mission, lecommandant du sous-groupement Rouge a fait appliquer quelquesfeux précis pour intimider les émeutiers et les maintenir à distancependant le dégagement des barricades. De même, des tirs ontparfois été nécessaires pour extraire des familles menacées par despillards, éloigner ceux-ci ou répondre à des tirs visant directementles soldats français. Après s’être installés sur les ponts Houphouët-Boigny et De Gaulle sans difficulté particulière, les sous-groupements Vert et Jaune ont, à différentes reprises, employé desgrenades offensives pour tenir les manifestants à distance et éviterl’imbrication dans leur dispositif. Sur Houphouët-Boigny, Vert a dûriposter face à des tirs effectués à partir d’une embarcation surla lagune.

La nécessité de contrôler les ponts au plus vite et de protégerles populations confrontées à près de vingt-quatre heures de pillageet en butte à de nouvelles exactions a justifié un emploi du feumaîtrisé dans cette phase de la mission. Celui-ci a permis d’imposernotre volonté et de ramener le calme rapidement dans la zone sudde la ville.

ARTICULATION DU 43 BIMA LE 6 NOVEMBRE 2004

Page 55: FRA magazine Doctrine16 NEO

JUIN 2009 DOCTRINE N° 1655

même temps, sans interruption aucune,les forces spéciales extraient nosressortissants partout où elles le peu-vent et les ramènent sur le camp où lebataillon les accueille tout en se prépa-rant à équiper les renforts attendus.

Petit à petit, les unités repoussent lesémeutiers sur l’aéroport et reprennentl’ascendant pendant que le sous-grou-pement blindé tient sa position.Interdits de passer sur le pont, les mani-festants refluent. En milieu de nuit, lavictoire se dessine. Confronté dès ledébut de soirée à un ordre de destruc-tion plusieurs fois éludé des aéronefsivoiriens immobilisés sur la base, lechef de corps les fait, alors, neutraliseren douceur. A l’aube, le carrefourAkwaba est repris par une contre-attaque. A 06 h 25, les avions se posent ;les renforts arrivent. La première partiede la mission est un succès. Il faut main-tenant dégager le maximum de forcespour aller secourir nos ressortissantsdont l’immense majorité avait dû êtrelaissée à son sort afin de parer au plusurgent : la défense du camp et le con-trôle de l’aéroport.

A dix heures, relevées sur l’aéroport parle groupement de Libreville, les unitésrentrent au camp et se réapprovision-nent. Elles sont immédiatement réenga-gées sans qu’elles ne puissent s’accor-der un instant de repos. Leur missionest de s’emparer des ponts et de con-trôler la zone de Koumassi afin deprotéger et d’évacuer les expatriés. Amidi, les ponts sont tenus et la ville estcoupée en deux. Il est possible d’impo-ser le calme et la sécurité dans la partiesud et d’y recueillir des compatriotesqui arrivent en nombre sur le camp.

Dans le même temps, et à marche for-cée, des groupements blindés issus destrois GTIA6 descendent de province pourrenforcer le dispositif, mais seul le pre-mier sera finalement engagé. Le GTIA 1pénètre dans Abidjan en début de soi-rée, bouscule barricades et opposantset aboutit, par mégarde, devant la rési-dence présidentielle avant de rejoindrele camp. Cette erreur de trajectoiremarque le début de la deuxième phasede la bataille d’Abidjan.

Le lendemain, recevant l’ordre de sedéployer à l’Hôtel Ivoire, ce groupementtactique relance, bien malgré lui, la crise

sur un mode dramatique. Le 9, il quitteune position intenable et se replie au GolfHôtel où il recueille des centaines depersonnes dont le 43e BIMa assure l’éva-cuation par la lagune. Le même jour, legroupement Guépard relève dansKoumassi les unités de ce bataillon quirentrent au camp après trois jours d’en-gagement ininterrompu.

Dans Abidjan, le dispositif français aalors son aspect final. Initialementrépartie sur tout le pays la force Licorne,s’est, presque complètement, redé-ployée vers Abidjan tout en accueillantun millier d’hommes en renforts et endébutant l’évacuation de près de cinqmille personnes qui s’achèvera le14 novembre.

... EN VUE DE L’ÉVACUATIONDIFFICILE DE PRÈS DE 5 000 RESSORTISSANTS

La recherche du contrôle d’un accès

Dans une ville immense de plusieursmillions d’habitants installée en bordurede l’océan Atlantique et cloisonnée parune lagune aux bras multiples, la libredisposition d’une porte d’entrée et desortie était essentielle. Elle devaitpermettre d’acheminer des renforts,d’autant plus indispensables que lestroupes sur place étaient particulière-ment réduites face à l’ampleur de latâche, et d’évacuer par la suite lesmilliers de ressortissants. Ce fut doncl’objectif premier du commandement,celui qui déciderait du succès ou del’échec.

Aussi, pour les Français comme pour lesIvoiriens, le contrôle de l’aéroportdevint immédiatement le centre degravité de l’action. Le camp qui s’enemparait gagnait la partie. Toutes lesénergies, tous les efforts, se sontconcentrés dessus. Pour les forces fran-çaises, ceci ne pouvait se faire sansmaintenir le lien qui unissait l’aéroportau camp de Port Bouët distant de moinsde deux kilomètres. C’est pourquoi,hormis les forces spéciales, aucuneunité n’a pu être distraite de cette mis-sion prioritaire et secourir les ressortis-sants. Objets d’appels téléphoniquesangoissés et conscients de la situationterrible de certaines familles, ni le com-

mandement du bataillon, ni celui de laforce Licorne ne purent prendre lerisque de dévier d’une ligne de condui-te impérative : contrôler, coûte quecoûte, l’aéroport.

En se posant le 7 novembre à l’aube sur lapiste avec les premiers renforts en prove-nance de Libreville, les Transalls concréti-saient le succès de la première manche.L’arrivée de deux compagnies puis, dansla soirée, du Guépard permettait, enfin,aux unités du bataillon de s’engager sansdélai au secours des ressortissants etd’étendre la zone de protection jusqu’auxponts sur la lagune.

L’accueil et l’évacuation des ressortissants

A Port Bouët, les ressortissants detoutes nationalités sont arrivés sur lecamp dès les premières heures. Montédans l’urgence, un centre d’évacuationfut armé et confié au commissaire dubataillon, jeune capitaine plongé danssa première expérience opérationnelle.S’appuyant sur un ordinaire récemmentconstruit autour d’un ELC 5007 et surdeux bivouacs aménagés pour lestroupes de relève, le chef du centre et seséquipes ont pu accueillir, enregistrer,alimenter et héberger un flux ininter-rompu de personnes avant qu’elles nesoient évacuées. Face à l’ampleur desbesoins, les familles du personnelpermanent furent un «complément opé-rationnel» précieux en s’engageantsans réserve au sein des équipes duCENTREVAC8 et en ouvrant largementleurs domiciles à nos compatriotes,avant d’être évacuées, pour celles qui ledésiraient (moins d’un quart d’entreelles), dans le dernier avion affrété.

Arrivé tardivement - le 11 novembre - leCRER9 a pu s’insérer dans le dispositifen place et assurer une gestion du fluxdes ressortissants quittant le territoireen liaison étroite et constante avec desservices consulaires renforcés dont uneantenne était déployée sur le camp.

Leur regroupement dans des conditions difficiles

A jour et connu des Français, le plan desécurité ne s’est pas déroulé commeprévu compte tenu de l’ampleur et de la

Retour d’expérienceRetour d’expérience

Page 56: FRA magazine Doctrine16 NEO

simultanéité des pillages. Victimes desexactions, de nombreux chefs d’îlotn’ont pu tenir leur rôle et coordonner lesregroupements. En partie livrés à eux-mêmes ou se rassemblant comme ils lepouvaient, les ressortissants ont étévictimes d’un brigandage généraliséqui, bien que parfois très violent, n’apas dégénéré en meurtres. Les pointsde regroupements retenus ont rarementpu être activés car les familles n’avaientplus la capacité de s’y rendre ou parcequ’ils étaient, eux-mêmes, neutraliséspar la présence des émeutiers. D’autrespoints se sont spontanément crééscomme à l’hôtel de La Pergola sur leboulevard de Marseille où des cen-taines de personnes ont trouvé refugesous la protection de l’ONUCI dontc’était le PC. Cependant, même par-tiellement mis en œuvre, le plan desécurité a joué un rôle important car il aservi de cadre de référence à beaucoupet généré des reflexes salvateurs dansle chaos du moment.L’épisode dramatique de l’Hôtel Ivoirea mis en évidence la nécessité d’uneconnaissance de l’environnement dansle choix de points de regroupement

dont les caractéristiques techniquesne peuvent être les seuls critères.Satisfaisant à bien des égards (capacitéd’accueil, proximité de la lagune, airesde poser), le choix de cet établissementprésentait, cependant, des risques quiauraient dû conduire le commandementà ne pas le retenir comme pivot de samanœuvre au nord des ponts. Emblèmed’un âge d’or et d’une richesse révolus,situé dans un cul-de-sac à moins decinq cents mètres de la résidence prési-dentielle, siège de services d’écouteaux ordres d’un pouvoir qui logeait làses caciques, l’Hôtel Ivoire est devenuen quelques heures le symbole absolud’une Côte d’Ivoire - et de son président- debout face à «l’agression» française.Tout entier mobilisé sur les aspectsmilitaires de la protection des ressortis-sants et n’ayant qu’une connaissance«power-point» du terrain, le comman-dement de l’opération a enfermé leGTIA 1 dans un piège et, involontaire-ment, permis au pouvoir ivoirien dereconquérir une légitimité médiatiqueet une victoire politique que la tournuredes évènements avait, d’abord, mis aucrédit des forces françaises.

Une approche militaire des évènements

Dans la plupart des évacuations deressortissants, les armées interviennenten coordination avec les autorités diplo-matiques dans une crise dont elles nesont pas partie prenante mais un acteurextérieur et temporaire. Le 6 novembre2004 fut, d’abord, une attaque desforces ivoiriennes contre la forceLicorne suivie d’une confrontationarmée généralisée impliquant une partde la population ivoirienne en parallèleà des agressions de grande ampleurcontre la population expatriée. Lescaractéristiques essentielles de l’éva-cuation d’Abidjan furent, ainsi, l’impli-cation de la force Licorne commeacteur principal et l’instantanéité de laconfrontation. Elles ont entraîné unepriorité donnée à la dimension militairede l’action et à la réaction de très courtterme au détriment, non seulement dela protection initiale des ressortissants,mais aussi d’une réflexion tactique plusvaste et de l’implication des acteurscivils français ou de l’ONU. Dès la pre-mière minute, et de manière délibérée, le

DOCTRINE N° 16 JUIN 200956

Photo 43

eBIMa

Page 57: FRA magazine Doctrine16 NEO

commandant de la force a tenu à l’écartdes autorités diplomatiques assistant dutoit de l’ambassade à l’orage qui sedéchaînait sur la ville. La destructionimmédiate des SU 25 responsables del’attaque sur Bouaké et, dans la soirée,celle des hélicoptères stationnés dansl’enceinte du palais présidentiel àYamoussoukro, l’ordre de détruire laflotte aérienne à Abidjan puis ledéploiement d’un groupement blindé àl’Hôtel Ivoire furent des décisionsstrictement militaires, prises sans con-certation aucune avec l’ambassade quicoordonnait, jusqu’à ce jour, les actionsde la France dans le pays. Toutes eurentun impact direct sur le cours des évène-ments dans le sens d’une aggravation dela crise. A cet égard, le fait que l’ambas-sadeur de France apprenne dans lebureau et de la bouche du PrésidentGbagbo que les forces françaises pre-naient le contrôle de l’aéroport inter-national sans pouvoir donner le moindrecomplément d’information sur la situa-tion à son interlocuteur devait le mettrehors jeu pour les jours suivants et le mar-ginaliser pour de longs mois.

La réponse à une attaque, la destructionou la neutralisation de la menace et desimpératifs tactiques évidents furent,naturellement, des causes légitimes decette réaction avant tout militaire.

Cependant l’impact psychologique del’attaque de Bouaké - brutalité del’agression, sentiment de trahison, ven-geance - la méconnaissance relatived’un environnement complexe de lapart d’un PC vivant en vase clos et ledéclenchement de pillages manifeste-ment planifiés et coordonnés à unniveau élevé du pouvoir ivoirien accen-tuèrent l’option militaire de la réponse.Ceci renforça une analyse manichéennede la situation qui ne permit sans doutepas la recherche de solutions alterna-tives à une escalade militaire brutaletandis que la destruction des SU 25 àYamoussoukro déclenchait un incendiegénéralisé sans que la moindre mesured’anticipation ne soit prise par lesforces françaises sur Abidjan ou n’alertenos ressortissants et les autoritésconsulaires.

1 Ancien chef de la DREX du CDEF. A l'époque desfaits, chef de corps du 43e BIMa.

2 ONUCI : opérations des nations unies en Côted'Ivoire.

3 Les FANCI (forces armées nationales de Côted'Ivoire) sont, à une immense majorité, restéesfidèles au gouvernement ivoirien et s'opposentaux FAFN (forces armées des forces nouvelles)qui sont les forces «militaires» de la rébellion.

4 Les grands titres intermédiaires ont été rajoutésou modifiés par la rédaction.

5 43e BIMa : 43e bataillon d'infanterie de marine.6 GTIA : groupement tactique interarmes.7 ELC 500 : élément lourd de cuisson pour cinqcents personnes.

8 CENTREVAC : centre d'évacuation9 CRER : centre de regroupement et d'évacuationdes ressortissants.

Estimée fortement improbablepar l’ampleur qu’on lui prêtait,

l’évacuation des ressortissantsfrançais à Abidjan s’est

brutalement imposée à tous.Difficilement reproductible

ailleurs, elle s’est déroulée dansun climat de violence quepersonne n’envisageaitréellement et a montré

l’extraordinaire engagement detoutes les composantes

militaires et civiles françaisesdéployées sur place ou

acheminées dans l’urgence.Si l’appréciation stratégique de

l’action reste à porter, elle fut unsuccès technique indéniable.

Retour d’expérienceRetour d’expérience

JUIN 2009 DOCTRINE N° 1657

Page 58: FRA magazine Doctrine16 NEO

DÉROULEMENT DES FAITS

Le 11 avril 2006 vers 13 heures, une colonned’une centaine de pick-up rebelles prove-nant du Darfour attaque la ville de Mongosituée à 350 Km à l’est de N’Djamena.L’armée nationale tchadienne (ANT) déploiealors préventivement ses blindés dans labanlieue sud-est de la capitale. Les élémentsfrançais au Tchad (EFT) sont mis en alerte.Les unités en tournée de province (TP) sontrecomplétées en munitions par HM2. Lemême jour à 22 h 30, deux C130 déposent àN’Djamena la 4e compagnie du 8e RPIMa,prépositionnée en mission de courte duréeà Libreville. Les rebelles continuent leurprogression dans la nuit du mardi 11 aumercredi 12 avril. À 10 h 30, le lycée fran-çais de N’Djamena (Montaigne) ferme sesportes. À 11 h 20, sur ordre de l’état-majoropérationnel terre (EMO-T), le comman-dement de la force logistique terrestre(CFLT) fait passer le centre de regroupe-ment et d’évacuation des ressortissants(CRER) en alerte à 24 heures au lieu de48 heures. À 17 heures 47, le centre de pla-nification et de conduite des opérations

(CPCO) donne l’ordre d’engager le CRERAlpha au Tchad. Simultanément, des déta-chements de liaison (DL) du groupementterre sont envoyés sur les points sensiblesrépertoriés dans le plan d’évacuation bapti-sé «Chari Baguirmi». Le jeudi 13 avril est mar-qué par de violents affrontements dans lacapitale ; à 18 heures, le CPCO ordonne laprojection du CRER. Le samedi 15 avrilà 16heures, l’avion le transportant atterrit surla base militaire de N’Djamena.

Une reconnaissance est conduite sans délaisur la zone prévisionnelle d’implantationdu CRER. La solution qui avait été préco-nisée par des reconnaissances antérieuresn’est pas retenue pour des raisons essen-tiellement pratiques. Une réunion de crisese tient alors entre le consul, le chef ducentre d’évacuation (CENTREVAC) et le chefdu CRER. S’appuyant sur son expériencepersonnelle acquise lors du montage duCRER à Abidjan en novembre 2004, le chefdu CRER propose de mettre au point unnouveau dispositif intégrant un resserre-ment des modules prévus, une disponibi-lité instantanée des infrastructures utili-

sées et une diminution des moyenshumains nécessaires au fonctionnementde l’ensemble. Son plan est accepté.

Le dimanche 16 avril matin, la chaîneconsulaire et le CRER A sont installés. Endébut d’après-midi, le système informa-tique EVAC INFO3 permettant l’enregistre-ment des ressortissants est déployé.Compte tenu du retour à la normale dansN’Djaména, l’ambassadeur de France auTchad décide de ne pas procéder à l’éva-cuation des ressortissants.

ENSEIGNEMENTS PRINCIPAUX

Une parfaite maîtrise du plan Chari Baguirmi

Tout d’abord, chaque contingent arrivantsur le théâtre effectue la reconnaissancedes points de regroupement ainsi que desitinéraires permettant de rallier le campKosseï. A l’issue, un exercice est menéau profit des unités, permettant l’appro-priation de la mission d’évacuation.

DOCTRINE N° 16 JUIN 200958

Les enseignements tirés du déploiementdu CRERau Tchad en avril 2006

PAR LE CHEF DE BATAILLON TANGUY EON-DUVAL DU CDEF/DREX

EEn avril 2006, le front uni pour le changement (FUC), poussé par le gouvernement de Khartoum, tente derenverser le président Deby ce qui provoque la rupture des relations diplomatiques tchado-soudanaises.De violents affrontements opposent alors les partisans du président Déby et les rebelles, provoquant des

centaines de morts. Dans ce cadre, la France prépare une opération d’évacuation de ses ressortissants quifinalement n’aura pas lieu, le pouvoir politique décidant de ne pas évacuer.

Ces événements ont permis de rappeler quelques vérités qui, sans être nouvelles, méritent d’être évoquéespour nourrir une réflexion plus poussée sur le concept et la pratique des RESEVAC. La pertinence duprépositionnement des forces françaises et l’appropriation de l’esprit de la mission par les EFT1 apparaissentcomme les facteurs principaux qui auraient conduit à la réussite de l’évacuation si celle-ci avait été conduite.

A l’épreuve des faits qui ont secoué le Tchad en avril 2006, provoquant le montage d’un CRER A par l’arméefrançaise, des enseignements ont été tirés. Ils ont permis de conduire rapidement et avec efficacité l’évacuationde ressortissants au Tchad en février 2008.

Page 59: FRA magazine Doctrine16 NEO

Baptisé «Chari-Baguirmi»,cet exercice de synthèseest contrôlé par l’état-majorinterarmées (EMIA) quivalide les savoir-faire desunités présentes. L’instruc-tion sur la mise en œuvred’une évacuation de res-sortissants lors de la miseen condition avant projec-tion (MCP) et l’entraîne-ment sur le théâtre confè-rent aux EFT à la fois lalégitimité et les capacitésde conduire une RESEVACavec efficacité et sanspertes.

La prise en compte des enseignements denovembre 2004 en RCI

Ensuite, le chef du CRERprojeté à N’Djamena enavril 2006 était le même que celui qui avaitcommandé le CRER lors des évènementsde novembre 2004 en Côte d’Ivoire. Il avaittiré à l’époque des enseignements précisà la fois sur les modalités de montage duCRER et sur la gestion des personnes àaccueillir.Ainsi aurait-il pu gérer l’afflux deressortissants et de réfugiés, appréhen-dant en particulier leur aspect psycholo-gique. Le processus RETEX consistant à laprise en compte des évènements passéspermet donc un gain de temps précieux etest, rappelons-le une nouvelle fois, gaged’efficacité.

Une bonne coordination entre les différents services

Le succès de la montée en puissance de ceCRER repose également sur une bonnesynergie des services concernés par unetelle opération. Les représentants locaux

du ministère de la Défense ainsi que ceuxdu ministère des Affaires étrangères (MAE)ont conservé un contact permanent du lan-cement de l’alerte jusqu’au retour à la nor-male. Le consul, le chef du CENTREVAC etle chef du CRER ont ainsi pu mettre enœuvre leur structure conformément auxplans dûment établis. Colocalisées,les équipes consulaire et militaire auraientainsi pu prendre en compte successive-ment les personnes évacuées, chaquecellule ayant une mission propre.

La souplesse d’emploi du personnel duCRER A dans son nouvel environnement

Les prévôts du CRER A devaient rejoindrel’antenne prévôtale de N’Djaména pourparticiper aux fouilles des ressortissantset de leurs bagages ainsi qu’au service ducontentieux. De même, les deux informa-ticiens étaient prêts à mettre leurs moyens

et leurs compétences au service de la cel-lule informatique des EFT. Enfin, le postede secours aurait travaillé en parfaite syner-gie avec l’infirmerie de la BSVIA pour l’ai-der dans le traitement des ressortissants.Le CRER A n’est donc pas une structure quiagit de façon autonome.Son efficacité estdue principalement à sa capacité à s’adap-ter au nouvel environnement qu’il trouvesur le théâtre.

1 Éléments français au Tchad.2 Hélicoptères de manœuvre.3 Le module EVAC INFO est le module de baseminimum pour réaliser les opérationsd’enregistrement de 500 ressortissants par24h00. Il constitue le cœur du module harpondu CRER A.

JUIN 2009 DOCTRINE N° 1659

ADJ DRAHI/SIRPA

Ter

re

Ainsi, la structure projetée en avril 2006 au Tchad a permis de valider le principe même du déploiement d’unCRER A. Les autorités politiques françaises ayant décidé de ne pas évacuer les ressortissants, le CRER A a étédémonté et le personnel est rentré en France. Le prépositionnement des troupes et françaises au Tchad et labonne connaissance du milieu ont permis l’accueil et le déploiement rapide du CRER A. L’expérience acquise avec la projection et l’installation du CRER a permis de conduire dans d’excellentesconditions l’évacuation des 1 384 ressortissants du 1er au 8 février 2008.

Retour d’expérienceRetour d’expérience

Page 60: FRA magazine Doctrine16 NEO

DOCTRINE N° 16 JUIN 200960

Opération CHARI BAGUIRMIL’évacuation de 1 750 ressortissants

au Tchad en 2008

PAR LE COLONEL XAVIER COLLIGNON*

AAlors que de violents combats opposent la rébellion tchadienne à l’armée nationale tchadienne et quel’opération EUFOR Tchad RCA monte en puissance, le groupement terre 21e RIMa participe à l’évacuationde 1 750 ressortissants, dont le tiers de Français, de Ndjamena du 1er au 8 février 2008. Dans ce cadre,

l’action du 21e RIMa est évidemment déterminante mais elle n’est pas exclusive. En effet, elle s’inscrit dans uncadre global interarmes, interarmées et international très favorable qui lui a fourni les moyens logistiques, ethumains indispensables à la réussite de l’opération.

Fondamentalement, l’expérience vécue par le groupement terre n’est pas exceptionnelle, l’armée de terrepossède de multiples exemples similaires dans son passé récent ; elle remet simplement en lumière quelquesvérités : la nécessité de l’entraînement, la liberté d’action et l’indispensable fluidité de l’information sont troispoints toujours essentiels.

* Chef de corps du 21è RIMa de 2006 à 2008.

UN ENTRAÎNEMENT CAPITAL

Le GTIA 21 est à la base très hétérogène.Certes l’ossature du GTIA est constituéepar le 21e RIMa. Mais pendant 4 moisil faut optimiser les savoir-faire descavaliers légionnaires et des Bigorspour obtenir un GTIA efficace ethomogène. Un entraînement intensifinterarmes et interarmées facilitegrandement cette fusion. Par la suitele renforcement des unités TAP se faitassez naturellement. Leur arrivée en24 heures, la tension qui monterapidement et les retrouvailles descommandants d’unité, chefs de sectionou de groupe qui se sont connus aucours de différents séjours, accélèrentune intégration qui s’avère être unenécessité opérationnelle.Le GTIA 21 est donc entraîné et aguerri.Le travail réalisé à Fréjus lors de lamise en condition pour la projection,l’exercice conduit au début du mois deseptembre sur l’ancienne base aéro-navale a permis aux différentes unitésdu GTIA 21 de se préparer avecréalisme, appliquant à l’occasion leplan CHARI BAGUIRMI fourni lors des

reconnaissances réalisées un moisavant le départ.Le GTIA 21 connaît parfaitement sonenvironnement. Après quatre moisd’entrainement intensif de missions deprésence et de reconnaissances, il esten mesure d’accueillir les renforts deLibreville. Ces derniers connaissent lemilieu africain, ils sont déjà acclimatés.En outre, les commandos de l’air et legénie de l’air fournissent des renfortsde dernière minute. Les sapeurs aurontà travailler jour et nuit pour embosserles engins et protéger la troupe.

Ainsi le GTIA 21 bien aguerri par quatremois de mission, bénéficiant d’unrenfort entraîné et expérimenté, voit-ilse déclencher les événements avec unecertaine sérénité.

LA LIBERTÉ D’ACTION DU GTIA

Cette liberté d’action repose sur saconnaissance de son environnement etsur la qualité de sa réserve tactique.Il faut encore et toujours insister sur laconnaissance de l’environnement. Celle-

ci ne s’arrête d’ailleurs pas seulement àl’environnement géographique. Il convientd’y ajouter la connaissance du matérielmis à disposition, la connaissance desplans, des moyens complémentaires etdes chefs.Si nous n’y prenons pas garde, la libertéd’action du GTIA peut être limitée par«l’externalisation». En effet, la réalisa-tion de tâches multiples par du person-nel non militaire (casernement, soutien de l’homme) en temps de paix permetindéniablement de conserver du per-sonnel pour l’entraînement. Cependantdès que la crise surgit, ce personnel nepouvant (ou ne voulant) venir travailler,son absence impose de nouvelles con-traintes à la force qui a justementbesoin à ce moment de tout son per-sonnel... Pour faire face à cette situa-tion, il est indispensable que les unitésconservent une capacité de rusticité etd’autonomie afin de maintenir leur dis-ponibilité opérationnelle.

La connaissance des matériels permetde s’adapter au matériel en service. Enl’occurrence, le parc automobile enservice aux EFT est insuffisant en terme

Page 61: FRA magazine Doctrine16 NEO

JUIN 2009 DOCTRINE N° 1661

de blindage pour la troupe ou pour lecommandement. Par ailleurs, toutesles sections ne peuvent disposer deVAB 12.7. Ainsi, ayant pris l’habitude demanœuvrer en tenant compte de ceslacunes, la répartition des moyens a-t-elle été adoptée d’emblée pour faireface à ces difficultés déjà connues. De même le plan RESEVAC dominé dansl’esprit comme dans la lettre a pu êtreutilement actualisé pour le faire collerà la réalité du moment. Notons qu’ils’est révélé particulièrement utile carla connaissance des plans, des amis oualliés et des chefs facilite la compré-hension et la coordination. Enfin le GTIA 21 connaissait ses chefsdirects et savait ce qu’il pouvait attendredes amis ou alliés (moyens interarmées,ambassade, armée nationale tcha-dienne). C’est pourquoi au fur et àmesure des événements l’aide del’ambassade pour déterminer les sitesd’extraction des ressortissants isolés oupour coordonner l’action de nos troupess’est révélée déterminante.

La qualité de la réserve tactique estcomme toujours prépondérante. Il s’agitbien sûr de sa nature qui doit coller à laréalité du combat. Lorsqu’il est apparuclairement que les rebelles ne faisaientpas grand cas de la vie des ressortissantsen n’hésitant pas à prendre à partie nosconvois, nous avons immédiatementdécidé d’évacuer sous blindage. Certes,compte tenu du nombre de VAB, les

opérations ont été ralenties mais cettedécision nous a permis de disposer d’unecapacité d’extraction protégée et d’unecapacité de réaction (d’escorte) sousblindage. Cette option plus lente maisplus sûre a été validée par les faits. Aucunressortissant n’a été blessé. La faiblessede nos moyens était compensée par lesappuis disponibles, la SAM était prête àtirer et les hélicoptères appuyaient lesconvois.

FLUIDITÉ DE L’INFORMATION

La fluidité de l’information est égalementdéterminante, elle conditionne, la com-préhension de la mission à tous leséchelons et la réactivité des élémentsengagés.La circulation de l’information estprimordiale. L’évacuation au milieu descombats dans une zone peu étenduemais urbaine avec des belligérants trèsmobiles impose un effort de rensei-gnement de contact pour choisir lesitinéraires d’évacuation les moinsexposés et une sélection pertinente despoints de regroupement de ressor-tissants. Du fait de la quasi-absencede capteurs spécialisés (faute deblindage), le renseignement au contactpeut être directement exploité grâce àl’emploi d’un réseau radio unique per-mettant de coordonner en boucle courtel’action des unités. De même, l’exploi-tation des informations détenues par les

ressortissants évacués s’avère primor-diale pour le suivi et la poursuite desopérations. Enfin, il apparaît indis-pensable de déterminer des points deregroupement de ressortissants prochesdu CENTREVAC qui, en début de crise,peuvent être rejoints au plus vite afin dediminuer le nombre et la vulnérabilité desconvois d’évacuation sous blindage.Cette fluidité de l’information permetégalement au chef de détachement de sesituer en permanence dans l’actionprincipale, il s’agit bien d’accroîtrel’intelligence de situation. Ainsi informéen direct des intentions des chefs deséchelons supérieurs ou des subor-donnés, il peut décider en intégrant leséléments d’ambiance et adapter sesactions ou réactions. C’est en suivant leréseau radio de l’échelon subordonnéque nous pouvons faire replier deséléments qui sont pris à partie parméprise par des éléments de l’arméenationale tchadienne, évitant ainsi lepire.

Cette fluidité de l’information estcapitale également au niveau «hori-zontal» ou en interarmées. En effet, ladéfense de la piste et son emploisimultané par les avions de transportstactiques imposent une coordination trèsfine avec l’armée de l’air, afin de pouvoirappuyer les décollages et atterrissagesdes aéronefs. La colocalisation du J3avec la cellule de commandement duGTIA permet ainsi une informationinstantanément exacte et une réactionimmédiate.Les limites de cette fluidité del’information résident dans la maîtrise etle volume des informations traitées. Lesmessages opérationnels, les photos etautres films sont de nature certes àexpliquer et témoigner de l’action encours mais la multiplicité des sourcesdoit induire une attention soutenue del’encadrement. En effet, le nombreconséquent de films et de photos prisespendant l’opération par les soldats eux-mêmes ou les ressortissants (voir lessites Internet spécialisés) doit nousinciter à la vigilance.

ADJ DRAHI/SIRPA

Terre

Retour d’expérienceRetour d’expérience

En conclusion, cette RESEVAC a été à l’image de toutes celles que l’armée de terre a eu à conduire dans le passé ;soudaine et violente elle a nécessité savoir-faire et réactivité. Entraînement, liberté d’action et fluidité del’information sont évidemment indispensables. Faut-il souligner qu’ils ne seraient rien s’ils n’étaient réalisés par deshommes motivés et bien encadrés, dans une organisation aux qualités avérées et dans un environnement maîtrisé ?

Page 62: FRA magazine Doctrine16 NEO

DOCTRINE N° 16 JUIN 200962

Une opération d’assistance et d’évacuation au Liban L’opération «Baliste» (juillet-août 2006)

PAR LE CONTRE-AMIRAL XAVIER MAGNE DE L’EMM*

LLe 12 juillet 2006, après une incursion en territoire israélien ayant conduit à la capture de deuxIsraéliens par des combattants du Hezbollah et provoqué la mort de huit autres soldats, les hostilitéséclatent, très violentes, entre Israël et le Hezbollah dans le sud du Liban. L’aviation israélienne attaque

méthodiquement les positions du Hezbollah - en particulier le quartier chiite de Beyrouth et le village de BentJ’Bail au sud du Litani. Elle fragilise ou détruit plus d’une centaine de ponts routiers dans tout le Liban,bombarde une usine dans la plaine de la Bekaa. Elle frappe également la centrale électrique de Jiyé, situéeen bord de mer, provoquant ainsi une marée noire qui souille la côte vers le nord jusqu’à Tripoli. Le Hezbollahréplique par des tirs de roquettes qui atteignent le territoire israélien de façon aveugle. Ces actionsprovoquent, d’une part, un exode important de la population libanaise du sud du Litani vers Beyrouth etle nord du Liban et, d’autre part, un déplacement limité de réfugiés israéliens vers le sud d’Israël.

L’opération Baliste, décidée par le gouvernement français dès le 14 juillet, a pour objectif initial de porterassistance à nos ressortissants qui fuient les bombardements au sud du Liban, d’acheminer du frethumanitaire vers les zones les plus touchées par les combats et d’apporter un soutien à la force intérimairedes Nations Unies au Liban (FINUL). Cette dernière est dans une situation précaire et particulièrementinconfortable du fait de son positionnement géographique, exactement entre les deux protagonistes, au cœurde la zone des combats.

Deux C-160 Transall et trois EC-725 Caracal sont projetés immédiatement sur la base britannique d’Akrotirià Chypre et le Jean de Vienne reçoit l’ordre d’appareiller dans l’heure. Une compagnie du 7e bataillon dechasseurs alpins et une compagnie du 2e régiment d’infanterie de marine, chacun avec ses éléments desoutien, reçoivent l’ordre de rejoindre le Siroco et le Mistral à Toulon. Le Siroco appareille dès le 16 juillet,le Mistral et le Jean Bart appareillent le 19, sitôt leur chargement effectué.

Dès que l’ensemble du dispositif militaire est en place, les opérations d’évacuation prennent une dimensionbeaucoup plus professionnelle grâce à la présence et au travail précis et méthodique des centres deregroupement et d’évacuation des ressortissants (CRER). L’organisation est cohérente et répond de façonefficace à la situation d’urgence - les ressortissants sont immédiatement rassurés par le calme des soldats,l’impression qu’ils maîtrisent la situation, la puissance et le sentiment de sécurité qui se dégagent dudispositif. C’est le fruit de l’expérience acquise par l’armée de terre lors des diverses opérations d’évacuationde ressortissants auxquelles elle a participé au cours des dernières années, en particulier en Afrique.

Au bilan, ce sont plus de huit mille ressortissants de soixante et une nationalités différentes qui sontévacués par les moyens militaires, mille quatre cents tonnes de fret humanitaires qui sont acheminées versles ports de Beyrouth, Tyr, Saïda et Naqourah, le tout dans un contexte très tendu.

Comme dans toute opération réelle, les choses ne se sont pas passées exactement comme elles avaient étéplanifiées et les surprises se produisaient comme toujours à l’endroit où on ne les attendait pas.

Page 63: FRA magazine Doctrine16 NEO

JUIN 2009 DOCTRINE N° 1663

Retour d’expérienceRetour d’expérienceL’UNICITÉ DU COMMANDEMENT :UN PRINCIPE IMMUABLE ?

Dès que nous adoptons le métier desarmes, nous apprenons à nous organiserpour mener des opérations et gérer descrises en nous appuyant sur le principe del’unicité du commandement. Ce principen’est jamais remis en cause parce que cha-cun peut ou a pu vérifier par lui-même quele fait d’avoir plusieurs chefs est presquetoujours gage de désordre et d’ineffica-cité. Tout le monde s’accorde sur ce prin-cipe essentiel et, pourtant, ce n’est pas tou-jours ce qui se passe dans la réalité. C’estainsi que pendant les premières semainesde l’opération Baliste, j’ai pu identifierjusqu’à six donneurs d’ordre différents aupremier rang desquels il y avait, bien évi-demment, le centre de planification et deconduite des opérations (CPCO), ce qui esttout à fait normal puisqu’il est dans sonrôle de courroie de transmission des ordresdonnés par le chef d’état-major des armées(CEMA). En revanche, certaines «incita-tions», pour ne pas dire injonctions,venaient d’autres correspondants et cesinterventions n’étaient manifestement pastoutes coordonnées.

Il est toujours un peu déroutant pour unchef de se voir solliciter de cette manière,surtout au moment où les événementsrequièrent concentration et précision. Nousn’avons pas, loin s’en faut, le don d’ubi-quité et il n’est généralement pas possiblede répondre à toutes les demandes dansles temps impartis. Sous la pression desévénements, l’envie d’un chef trop sollici-té est alors d’éconduire poliment chacunde ces interlocuteurs supplémentaires maisil faut résister à la tentation de leur faireun procès d’intention. En effet, dès lorsqu’une opération comporte une fortedimension émotionnelle, elle fascine et

attire inéluctablement le monde politiquequi y voit, à juste titre, une excellente oppor-tunité d’œuvrer pour le bien commun.Chacun se dépense sans compter, oubliantjuste parfois qu’il n’est pas seul à se sou-cier du bien commun. C’est la raison pourlaquelle il y a parfois un manque de coor-dination qui pose problème à l’échelond’exécution.

Que peut-on faire ? On peut s’en remettreà son chef direct pour tenter de supprimerles interférences. On risque surtout de sevoir reprocher le fait d’avoir introduit desdélais supplémentaires dans des proces-sus issus de sollicitations qui sont en réa-lité parfaitement légitimes. Il ne reste alorsplus qu’une option, faire au mieux enessayant de rester fidèle à l’esprit de lamissionet, patiemment, expliquer le bien-fondé de ses choix, donner une indicationsur les délais de réalisation pour bienmontrer qu’on ne laisse rien tomber.

LA COMMUNICATION : UNE ÉCOLE DU CALME ET DE LA PATIENCE

Les journalistes sont des gens pressés, ilsuffit de les côtoyer pour s’en convaincre.Parce qu’ils suivent les développementsde l’actualité, ils cherchent en permanen-ce à l’anticiper pour mieux la couvrir etdécrocher le «scoop» mythique lorsquec’est possible. Cette impatience, aggravéepar la dure compétition qui existe entreeux, devient parfois agressivité pure,ce qui nous place, par contrecoup, en pos-ture défensive. Cette attitude, que noussommes trop souvent tentés d’adopter, estressentie elle aussi comme très agressivepar les journalistes. C’est comme un jeu demiroirs qui se renvoient la même image etqui fait monter la tension.

Ici aussi il me semble qu’il faut s’abstenirde faire un procès d’intention aux journal-istes - sans pour autant être naïfs. Ils nefont, en effet, que leur métier. Bien sûr,nous tentons de nous justifier en remar-quant que certains d’entre eux souffrentd’un manque d’éducation chronique. Celane change rien au fait qu’ils sont chargésd’informer nos concitoyens. Mieux vautprendre son mal en patience et fairepreuve de pédagogie pour que l’informa-tion soit présentée de la façon la plus objec-tive possible. Nous avons eu à gérer l’impatience etl’agressivité des médias présents àNaqourah les 19 et 25 août 2006 aumoment du débarquement des premiersrenforts de la FINUL. Nous avions mis à ter-re une section de génie avec son matérielle 19 et nous débarquions, le 25, le restantde la compagnie. Les journalistes ne com-prenaient pas que les quinze mille hommesde renfort, annoncés avec de grands effetsde manches par le monde politique, nedébarquent pas tous ensemble. Il m’a fal-lu leur expliquer que, compte tenu dunombre d’engins explosifs disséminés dansla zone - et qui provoquaient chaque jourdes accidents au sein de la population - ilétait essentiel de préparer le terrain pouréviter d’avoir à gérer un problème encoreplus grand. C’est pour cette raison que nousmettions à terre deux cents spécialistesavec mille huit cents tonnes de matériel,capables de dépolluer le terrain et deconstruire les infrastructures d’accueil. Lereste suivrait en son temps. Curieusement,ceci a mis fin à toute cette agressivité.

LA SÉCURITÉ : UNE QUESTION DIFFICILE DANS CE CONTEXTE

La phase d’évacuation des ressortissantsa été une opération délicate qui nécessi-tait méthode, organisation et rigueur. Elledemandait surtout une synergie entre lesdifférents acteurs présents sur le terrain,en particulier ceux des affaires étrangères,afin d’optimiser le travail d’identificationdes personnes évacuées, le transit desressortissants vers les bâtiments de la ma-rine nationale et l’accueil à bord de nosunités. Malgré l’affolement, les pleurs,la lassitude, l’impatience des familles sou-vent composées de jeunes enfants, il nousfallait garder le contrôle de la situation etéviter l’apitoiement face à ce dramehumain que tous, militaires comme civils,vivaient en direct et souvent pour la pre-mière fois.

SIR

PA M

arin

e

Page 64: FRA magazine Doctrine16 NEO

DOCTRINE N° 16 JUIN 200964

Le contexte était à l’urgence et le risqued’une action contre nos bâtiments ne devaitpas être négligé. La question sécuritaireétait donc primordiale. Pourtant, face à ladétresse des personnes évacuées, il parais-sait particulièrement indélicat de se lancerdans une inspection détaillée de leursbagages. Alors, une fois les personnesaccueillies à bord de nos unités et lesbagages regroupés dans un même lieu,une équipe cynophile, spécialisée dans larecherche d’explosifs, venait méthodique-ment flairer les paquetages embarqués.

La question délicate de la sécurité s’estégalement posée lors de la prise en char-ge et l’acheminement de fret humanitaireen direction du Liban. Le contrôle desmatières transportées, regroupées et empi-lées sur des palettes, était difficile à réali-ser en raison de la quantité et du volumeque cela représentait. Les aspects juri-diques étaient complexes et conduisaient,dans la plupart des cas, à l’interdiction ducontrôle des marchandises acheminées.Ainsi, pour éviter la fouille directe du fretqui risquait de nous faire sortir du cadrelégal, l’emploi de l’équipe cynophile s’estavéré être le moyen optimal pour répondreau volet sécuritaire de cette opération mêmes’il ne garantissait en aucune façon l’étan-chéité du dispositif. Un effort reste à faire-dans ce domaine pour trouver un cadrejuridique satisfaisant.

LA GESTION DU POTENTIEL : UNE RESPONSABILITÉ QUI N’EST PAS PARTAGÉE

Lors de la phase dite «urgence»1, au coursde laquelle les évacuations avaient lieu,les hélicoptères EC-725 Caracalde l’arméede l’air servaient, plus particulièrement, àexfiltrer des personnalités menacées oudes ressortissants blessés, à mobilité rédui-te. Le fait de disposer d’un outil de cettequalité et de cette facilité d’utilisation n’a,bien sûr, pas échappé aux services de l’am-bassade de France à Beyrouth. Et, tout natu-rellement, ils se sont servis de ces machinesde guerre un peu comme s’il s’agissait d’unservice de taxi aérien. Il n’y avait pas deraison objective de le leur reprocher dansla mesure où aucune règle du jeu ne leuravait été fixée et que seule l’urgence pré-valait. En revanche, dès mon arrivée sur zone,m’étant posé la question de la gestion dupotentiel de ces appareils, il a fallu prévoirassez rapidement une visite sur chacun

des trois. J’ai demandé à organiser les volsde façon à permettre l’échelonnage de cesvisites dans le temps pour éviter une rup-ture capacitaire. Cela m’a amené, parexemple, à refuser le transfert d’une équi-pe de relève du groupement d’interventionde la police nationale (GIPN) par voie aérien-ne sur le trajet Chypre - Beyrouth. L’attachéde défense est intervenu pour tenter deforcer la décision. Puis comme je mainte-nais le refus, c’est l’ambassadeur en per-sonne qui est intervenu. Ceci m’a permisd’expliquer, aussi délicatement que pos-sible, les raisons qui motivaient mon choixet de rappeler que ce choix relevait de maresponsabilité. Devant, en particulier, main-tenir une capacité d’exfiltration au profitde l’ambassade, je ne pouvais, sans faillirà ma mission, laisser les hélicoptères arri-ver à échéance de potentiel au risque d’enavoir deux - voire trois - indisponibles simul-tanément. Il me fallait donc gérer rigou-reusement leur potentiel. Dans le cas pré-cité, la meilleure réponse n’était pasnécessairement un transfert par voie aérien-ne et nous avons assuré la relève dansles meilleures conditions en retardant d’unejournée le retour en métropole del’équipe relevée.

LA «RÉDUCTION DE LA TOILE» :UNE DÉCISION DIFFICILE

Sitôt la phase «urgence» achevée, noussommes passés à la phase «recons-truction». La hache de guerre étaitofficiellement enterrée entre les protago-nistes et les hostilités avaient cessé. Lasituation n’en était pas moins explosive etchacun sentait que les combats pouvaientreprendre à tout instant. Et pourtant,l’armée libanaise prenait la décision de sedéployer dans le sud Liban, faisant tomberun tabou.

En plus de trente années de carrière,j’ai pu constater que la règle habituelle àl’ONU, lorsqu’une opération se déclenche,consiste à mettre en place des troupes,la plupart du temps en mission d’interpo-sition, puis à les «oublier». Les opérationsde maintien des Nations unies ne seterminent jamais. C’est ainsi qu’il y a tou-jours, à ma connaissance, des casquesbleus à Chypre. C’est ainsi que la FINULétait en place depuis 1978. Il m’a sembléimportant, par principe, d’initier la décrueet de remettre à disposition de l’employeurune partie des forces allouées à l’opéra-tion Baliste. Bien évidemment, c’était

prendre le risque de voir l’incendie serallumer et de ne plus avoir les forces indis-pensables pour conduire la mission. Maconviction profonde était que, si je nefaisais pas cet effort, nos forces resteraientinoccupées trop longtemps et, se sentantinutiles, se démotiveraient. Par ailleurs,nous sentions localement à quel point ilétait important d’investir sur l’arméelibanaise. Ceci m’a conduit à développerune coopération bilatérale.

LE DÉTACHEMENT «BAILEY» :UN SOUTIEN À PARTIR DE LA MER

Dès la fin des hostilités, l’action de notreforce s’est orientée vers une phase de sou-tien et de reconstruction au profit du Liban.C’est ainsi qu’une compagnie de légion-naires du 2e régiment étranger de génie arallié le territoire libanais afin de participerà la restauration des axes routiersstratégiques avec la construction de pontsprovisoires Bailey. Cette équipe de200 hommes, renforcée par des militairesdu 121e régiment du train, a rejoint direc-tement le Liban sans qu’un point de situa-tion ait pu leur être fait, au sein de laforce Baliste, avant leur déploiement surle terrain. Puisqu’ils étaient sous maresponsabilité, j’ai souhaité leur rendrevisite le plus tôt possible. Ils m’ont dittoute leur appréhension d’être exposésdans une zone qu’ils pensaient êtretoujours au cœur des combats, sans avoirune quelconque connaissance des acteurset des enjeux. Après leur avoir présentéle dispositif de la force Baliste et le soutiendont ils allaient bénéficier, les avoir con-vaincus de l’utilité de leur action, leurscraintes ont diminué. Elles ont complète-ment disparu lorsqu’ils ont pu vérifierqu’une unité était toujours à proximité,veillant fidèlement sur eux et que chaquefois qu’ils exprimaient un besoin, il étaitsatisfait dans la mesure de nos moyens.

Lors de ma première visite, le chef de déta-chement m’a fait part de sa préoccupationde ne disposer que de rations de combat.Elles semblaient dérisoires compte tenudes efforts physiques à fournir - nos légion-naires manipulaient des pièces de métalde deux cents kilos sous un soleil de plomb,avec des températures autour de quaran-te degrés. Le soutien à partir de la mer aalors pris une forme très concrète avec lafourniture de deux unités logistiques2 quiont sans doute été un facteur essentiel dumoral.

Page 65: FRA magazine Doctrine16 NEO

* Etat-major de la marine. Le CA Magne étaitCOMANFOR de l’Opération BALISTE.

1 La phase «urgence» a duré du 14 juilletau 14 août 2006.

2 Une «unité logistique» (UL) représente de quoinourrir 300 personnes pendant 10 jours.La variété des aliments qui sont proposés dansune «UL» résulte d’études rigoureuses faitesconjointement par des nutritionnistes, des

commis aux vivres et des cuisiniers. On y trouvevivres frais, congelés et quelques conserves.La première UL a été acceptée sans trop deconviction, la seconde a été commandée avecenthousiasme !

SIR

PA M

arin

e

Retour d’expérienceRetour d’expérience

LA COOPÉRATION BILATÉRALE AVEC LE LIBAN

Au-delà de la construction des ponts Bailey, l’action de notre force s’est également orientée vers une

coopération bilatérale avec l’armée libanaise. Il était important de les intégrer dans cette phase de

l’opération car l’armée libanaise avait besoin d’une légitimité forte vis-à-vis de sa population. Elle avait

aussi besoin de prendre confiance en ses capacités d’action et d’intervention sur son territoire et ses

approches maritimes. La coopération bilatérale a été initiée, de part et d’autre, dans un esprit de solidarité,

de respect de l’autre et de partage du savoir-faire. Cette coopération, qui s’est appuyée sur des liens créés

il y a plus de trente ans entre de jeunes aspirants français et libanais à l’Ecole navale de Lanvéoc-Poulmic,

était empreinte d’une confiance mutuelle qui permettait un dialogue optimal entre les deux marines. En

prenant une part active aux opérations de reconnaissance de plages le long de leur littoral, les marins

libanais obtenaient estime et reconnaissance de leur savoir-faire par une marine amie qui compte pour eux.

Cette coopération nous a ainsi permis d’apporter soutien à la motivation des marins libanais, de les aider

à retrouver la fierté légitime d’œuvrer à la sécurisation de leur espace maritime et de leur garantir notre

estime pour leur professionnalisme malgré leurs contraintes matérielles.

JUIN 2009 DOCTRINE N° 1665

Page 66: FRA magazine Doctrine16 NEO

DOCTRINE N° 16 JUIN 20966

Opération BALISTE Une complémentarité interarmées indispensable

PAR LE COLONEL LAUNOIS*

Opération interarmées depuis la mer, l’opération BALISTE a vu les trois armées œuvrer sans préavis à partir

des bâtiments déployées au large du Liban durant plus de huit semaines sur le théâtre Est-Méditerranée

dans un cadre initialement non permissif évoluant favorablement avec pour résultat l’aide au départ du Liban

dans de bonnes conditions de plus de huit mille ressortissants français ou étrangers.

* Chef de corps du 2è RIMa de 2006 à 2008.

DDéployée sur deux bâtimentsamphibies, le BPC1 Mistral et leTCD2 SIROCCO après un déclen-

chement de l’opération en urgence horsprogrammation le 17 juillet 2006, laparticipation de la composante terrecentrée sur le 2e RIMa3 stationné auMans s’élevait à près de 600 personnes. LeGTE4 «Richelieu» était articulé de manièreéquivalente à un groupe amphibie deniveau 2. Il était en conséquence enmesure de fournir tout l’éventail decapacités opérationnelles allant de laconception et la conduite d’opérationsamphibies de niveau CATG-CLG5 jusqu’àla mise sur pied d’un centre d’évacuationautonome ou de cellules de rapatriementen soutien du MINAE, en passant par leraid blindé et héliporté de niveau GTEdans une ambiance non permissive.

Si la directive BALISTE ouvrait toutes lespossibilités d’action avec une dominanted’action amphibie, pour le 2e RIMa, avecson chef de corps commandant de laforce terrestre embarquée, les opéra-tions durant les 45 jours de mission dont37 en zone d’opération ont été succes-sivement centrées autour des activitéssuivantes :- intégration opérationnelle, techniqueet humaine des différentes compo-santes du groupement terrestre envue d’opérations amphibies dans uncadre de haute intensité au moyen

d’exercices et d’instruction (qualifi-cation du personnel navigant, prépa-ration d’une opération amphibie sur lacôte du Liban et exercice sur cartepour l’état-major tactique, service desarmes et soins au combat pour latroupe, maintenance des matériels àla mer) ;

- appui aux opérations de rapatriementdes ressortissants dans les fonctionsde protection, d’accueil, de filtrage, deguidage, depuis Beyrouth au lycéefrançais et sur le port, à la jetée deNaqourah, lors de l’embarquement etdu débarquement à Mersin en Turquieet à Chypre, en liaison avec lepersonnel du ministère des Affairesétrangères en ambassade ;

- protection rapprochée des bâtimentslors des mises à quai de ceux-ci ;

- évacuation sanitaire héliportée depersonnel à terre au Liban de jourcomme de nuit vers les bâtiments ;

- transport par hélicoptère tactiqued’autorités civiles ou de personnelmilitaire spécialisé ;

- opérations amphibies de mise à terrede personnel et de moyens n’appar-tenant pas à des formations spécia-lisées ;

- opérations de soutien au transport etdébarquement de fret humanitaire dela fondation «Raffik HARIRI».

Au bilan, si l’ensemble de la forceterrestre était en mesure de conduire àterre une évacuation de ressortissantsdepuis la mer, l’opération peut êtreconsidérée comme une aide au départ eton peut en retirer les enseignementssuivants.

ENSEIGNEMENTS TERRE

Les principaux enseignements ont étéles suivants :- réactivité indispensable des troupespour servir hors programmation ;

- expérience impérative du cadre de vieet d’emploi des autres armées pour lesuccès initial et dans la durée de lamission en raison de la promiscuité etde la charge de travail à bord. Lescaractéristiques d’ouverture d’espritet de disponibilité méritent d’êtresoulignées et sont indispensablespour ce type de mission interarmées ;

- compétences de fond à acquérir etentretenir au préalable dans la durée,sous réserve de prise de risques fortspar improvisation (compétences am-

Page 67: FRA magazine Doctrine16 NEO

phibies d’état-major et de troupe,maintenance à la mer, concept et miseen œuvre d’une évacuation de ressor-tissants) ;

- réalisation d’une cartographie numé-rique des zones d’opérations. Dans cedomaine, il est à noter que l’utilisationd’atlas commerciaux tels que GoogleEarth a permis de mener un utiletravail de préparation de mission,allant jusqu’à la présélection deszones à coup sûr impropres auplageage ;

- maintien régulier de la capacitéopérationnelle de la force terrestreembarquée tant du point de vue desqualifications des troupes de mêlée(manœuvres, tirs, aguerrissement,appontage jour/nuit) que du moral encas d’embarquement d’une duréedépassant le mois. Le GTE a donc priscontact avec les autorités militaireschypriotes en vue de disposer defacilités d’exercices techniques soitnationaux, soit conjoints. Or, la force setrouvait dans un contexte particulier parrapport aux dispositions réglementairesdes opérations amphibies (Instruction3500 titre 3- GA1), en ce sens qu’elleparticipait à une opération, et non àun prépositionnement. De ce fait, lamise à terre du GTE pour des phasesd’entraînement ne pouvait-elle se fairequ’avec précaution, compte tenu de laproximité du théâtre et de la nature dusignal envoyé vers les acteurs régio-naux par ce type d’entraînement ;

- utilité d’un conseiller d’environne-ment franco-libanais au profit ducommandement, officier de marine dela réserve citoyenne ;

- insuffisance, voire absence desdotations en maintenance, munitionset piles embarquées pour des opéra-tions de haute intensité à terre ;

- importance de la désignation d’unélément de maintenance conséquentquantitativement et qualitativementpour mener l’ensemble des matérielset donc des personnels à destination.Au regard des délais contraints6 pourrejoindre l’arsenal de Toulon, il étaitimpératif de disposer de compétencesvariées, susceptibles de procéder auxréparations sans délais, sur terre maisaussi à bord.

S’agissant du commandement internedu GTE, la répartition sur deux bâti-ments n’a pas posé de problème parti-culier en raison des facilités multiplesde liaison entre bâtiments, mais surtoutde la simplicité des missions finalementdévolues aux éléments terrestresembarqués. Ainsi, en accord avec le chef du GTE, lesordres de détails pour la protectionrapprochée du bord ou de la batellerieou pour l’appui aux opérations derapatriement, de ravitaillement et derenforcement de la FINUL7, pouvaientêtre donnés en permanence par lecommandant de chaque bâtiment à satroupe embarquée, à l’exclusion rigou-

reuse de toute autre mission, enparticulier s’agissant de la mise à terred’une force de combat. En outre, les opérations amphibiesmenées ont finalement été du niveau 1.Elles ont cependant permis à chaquefois de mettre en œuvre les savoir-fairetechniques requis, que ce soit dans larédaction des ordres ou dans la mise enœuvre de la batellerie (opérations deporte à porte et mise à terre, effectuéesexclusivement par du personnel qualifiéTECHPHIB8).

Enfin, l’environnement était à chaquefois permissif bien que toujours risquéavec la présence des forces arméeslocales comme de miliciens. S’il avait fallu mener une opération devive force, une planification rigoureusedont la force avait les moyens et surtoutune répétition eussent cependant étédes facteurs critiques de succès.

En ce qui concerne les hélicoptères duGTAM9 embarqué, la nécessaire cohé-rence à réaliser entre les missionsdonnées par le J3 AIR du COMANFOR10

et les contraintes inhérentes auxbâtiments ou aux zones de poserterrestres a parfois conduit à unelimitation relative de la souplessed’emploi de ces aéronefs. Leur emploidepuis la mer aura été directementréalisé par le J3 AIR. Le mixage entremoyens embarqués et aéronefs del’armée de l’air gardés sur Chypre auraalors permis de répondre avec lameilleure réactivité possible aux besoins,y compris lors d’une évacuation sanitaireà proximité de tirs d’artillerie hostiles auprofit de la FINUL.

ENSEIGNEMENTS INTERARMÉES

Compte tenu des effectifs très impor-tant de ressortissants à évacuer, laprésence d’une force terrestre estapparue indispensable à la réalisationdans des conditions strictement satis-faisantes des missions de la forceBALISTE. La quasi-totalité des effectifsterre a été requise, tant à terre pouraccueillir depuis l’ambassade lesressortissants, les mettre en conditionadministrative et les guider, participer àla protection rapprochée des bâtiments,qu’à bord pour encadrer et soutenir sur

JUIN 209 DOCTRINE N° 1667

Retour d’expérienceRetour d’expérienceSI

RPA

Mar

ine

Page 68: FRA magazine Doctrine16 NEO

les plans sécurité, moral, alimentationet santé un effectif à chaque fois del’ordre de 2 000 ressortissants. En effet,les équipages à l’effectif limité desbâtiments avaient à assurer en prioritéleur fonction à bord.

S’agissant de la structure de comman-dement interarmées de l’opération,inspirée par la structure générique CATFélaborée dans la perspective de l’exerciceamphibie multinational Brilliant Midas2006, elle a manifesté sa validité enraison du niveau des forces étrangèressur zone, de son efficacité par sapermanence tant dans la conception quedans la conduite et enfin par la réactivitéapportée par la colocalisation des PC deniveau opératif et tactique, aspecttypique de ce genre d’opération àvocation amphibie.

Dans le domaine du soutien, il est ànoter le caractère parfaitement fondé dusystème des dépenses à bon compte quipermet de faire face instantanémentaux besoins opérationnels ou logis-tiques urgents qui ne peuvent êtresatisfaits qu’à partir des ressourceslocales du théâtre et de liquiditésfiduciaires. Ainsi, l’avance de 100 000 €,emportée sur la trésorerie du 2e RIMa aété répartie au profit de l’ensemble de laforce interarmées comme trésorerie

OPEX et a permis de répondre aveccélérité aux besoins individuels etcollectifs (alimentation, santé) de laforce comme de la FINUL isolée.

Quant à la communication, il estimpératif de l’intégrer d’emblée commeune condition du succès d’une opé-ration. La présence de l’officiercommunication du 2e RIMa, travaillanten liaison avec la cellule correspon-dante du BPC Mistral, est apparueindispensable pour contribuer à gérerles nombreuses présences médiatiqueset commencer à élaborer des élémentsde langage adaptés à la mission initiale.Ultérieurement, ces deux cellules sesont naturellement intégrées dans lePIO interarmées.

En dernier lieu, il est à noter l’utilité dela formation apportée par le CID avecla présence de nombreux officiersétrangers. En effet, en raison desrelations personnelles nouées tant entreofficiers des armées qu’avec lesétrangers et du référentiel acquis lors decette scolarité commune, les contacts ontété d’emblée aisés tant au sein de la forcefrançaise qu’à Chypre ou au Liban avecles états-majors locaux, par exemple lorsdu montage d’activité d’entraînement.

1 Bâtiment de projection et de commandement.2 Transport de chalands de débarquement.3 2e RIMa, 7e BCA,1er RS,1er REG, 6e RG, 3e RHC,121e RT, GRI, 132e BCAT, Prévôté.

4 Groupe tactique embarqué.5 Commander of amphibious task force -commander of landing force.

6 24 heures.7 Force intérimaire des Nations unies au Liban.8 Niveau de technique amphibie (1/2/3).9 Groupement terre aéromobile.10 Commandant de la force.

DOCTRINE N° 16 JUIN 20968

Il est une nouvelle fois évident qu’une opération interarmées nes’improvise pas tant au niveau des états-majors que des troupes ouéquipages. Pour la partie terre, conditions du succès initial, la formationinterarmées, l’expérience des opérations amphibies et du milieu,l’entretien de la capacité de maintien en condition opérationnelle ettechnique de la troupe embarquée, apparaissent définitivementcomme incontournables.

Hormis les extractions en haute intensité qui n’ont finalement pas eulieu d’être, le schéma d’organisation interarmées d’une opérationd’évacuation de ressortissants a été mis en place sur l’ensemble de larégion entre le Liban, Chypre et la Turquie. Sans doute rendu pluscomplexe dans sa mise en œuvre par les élongations et les différentsmilieux d’opérations, il a une nouvelle fois fait la preuve de sa validitédans un contexte à dominante navale.

Cela étant, si une opération à portée réduite en effectifs et en temps peutcertainement être conduite par une seule armée individuellement, encas d’opération de masse et dans la durée, les différentes armées sontindissolublement complémentaires même s’il reste indispensable deconfier le leadership à l’une d’entre elles.

Page 69: FRA magazine Doctrine16 NEO

Retour d’expérienceRetour d’expérience

JUIN 2009 DOCTRINE N° 1669

CADRE GÉNÉRAL

AAussi, dans le cadre de leurs missions générales, lesarmées doivent être en mesure de participer, sur déci-sion politique, en tout temps et tous lieux à la sécurité des

ressortissants français à l’étranger. Le cas échéant, l’actiondes forces arméesconsiste à planifier etconduire une opéra-tion visant à évacuerles ressortissants,depuis chez eux ou àpartir de points deregroupement, par desmoyens militaires versune zone sécurisée oùse déploie générale-ment le centre de re-groupement et d’éva-cuation de ressortis-sants (CRER) ; cettephase est baptiséeextraction ou évacua-tion primaire.

Les autorités consu-laires se chargentensuite, à partir duCRER, d’organiserleur rapatriement, enprincipe vers le paysd’origine, cette phaseconstitue l’évacua-tion secondaire.

Or, l’instabilité politique de nombreux pays, conjuguée àl’augmentation constante du nombre de ressortissantsnationaux, notamment ceux résidant de façon ponctuellehors des frontières, rend cette mission sans cesse pluscomplexe.

Les enseignements tirés du dernier déploiement d’un CRER (Gabon février 2008)

PAR LE LIEUTENANT-COLONEL THIERRY BOSSET, CHEF DE CORPS DU CEDIMAT

Une opération d’évacuation de ressortissants se définit comme une opération de sécurité ayant pour objectifde protéger des ressortissants résidant à l’étranger en les évacuant d’une zone présentant une menaceimminente et sérieuse risquant d’affecter leur sécurité.

Lorsque dans un Etat en crise, cette sécurité est gravement exposée, l’autorité politique française peut déciderd’en évacuer la communauté de ressortissants. Si le climat d’insécurité locale ne permet pas d’envisager uneévacuation par des moyens civils, l’autorité politique peut requérir l’emploi des forces armées pour en assurerl’exécution.

Système d’évacuation des ressortissants

Page 70: FRA magazine Doctrine16 NEO

Cela signifie que les unités de la forcelogistique terrestre, en charge de cettemission, se préparent à cette missionen développant des savoir-faire spéci-fiques. En outre, les évolutions tantpolitiques que militaires conduisent àenvisager désormais ce type d’opérationdans un cadre résolument multinationalimpliquant une coopération inter-ministérielle indispensable à la réussitede la mission.

Enfin, le succès de ces opérations estconditionné par une capacité de réactionimmédiate illustrée par l’état-major de la1re brigade logistique lors du déploiementdu CRER à Libreville en 2008 pourassurer l’évacuation des ressortissantsfrançais et européens expatriés auTchad.

LE CRER : UN SAVOIR-FAIRE SPÉCIFIQUE

Maillon du système global d’évacuationde ressortissants mis en place parl’EMA, la mission de mise en œuvred’un CRER est spécifiquement attribuéeà la force logistique terrestre. Un centreest commandé par l’un des deux états-majors de brigade logistique et armépar l’un des quatre régiments du train -régiments de soutien1.

Conduisant une mission de soutien quipermet aux forces prépositionnées desauvegarder leur cœur de métier, leCRER est un lieu où les ressortissantssont protégés et pris en compte par lesforces armées en vue de leur évacuationvers la métropole. C’est la dernière zonede transit placée sous la responsabilitédes forces armées, on y effectuel’ensemble des opérations d’accueil,d’administration, de soutien, préalablesà l’évacuation secondaire.

C’est aussi le lieu privilégié pour lesforces armées de collecter tous lestémoignages pouvant faciliter lesévacuations et permettre une meilleurecompréhension de la situation politico-militaire au profit des forces engagéesou susceptibles de l’être.

Le CRER est, si possible, déployé dansune zone parfaitement sécurisée del’État hôte ou éventuellement dans unpays tiers. Il se situe prioritairementdans une zone pouvant accueillir les

aéronefs et /ou les navires nécessairesà la poursuite de l’évacuation vers lamétropole. Il peut être confondu avec cepoint d’évacuation si la menace estfaible. Toutefois, il sera différencié encas d’opération importante ou demenace sur le point d’évacuation. Ilpeut être déployé dans une emprise dudispositif prépositionné et située àproximité du théâtre. Pour les opérationsd’évacuation de forte communauté deressortissants, il peut être nécessaire dedéployer plusieurs CRER en un ou deuxsites différents (cas de Baliste 2006).Une opération d’évacuation de ressor-tissants peut durer de une à plusieurssemaines.

Ses missions consistent à :- Accueillir : accueillir les ressortissants et lesinformer de la situation générale,

effectuer des mesures de sécurité2,

procéder à l’enregistrement de ren-seignements d’identité,

rassembler et préparer l’évacuationet le transport des ressortissants,

coordonner les opérations d’embar-quement,

assurer, si besoin est, le transportjusqu’au point d’embarquement,sous responsabilité du ministère desAffaires étrangères et européennes(MINAE).

- Soutenir : assurer un soutien santé3 (médicalet psychologique) des ressor-tissants,

être en mesure de les héberger et deles nourrir.

- Rendre compte : renseigner le commandement del’opération sur le nombre et l’identitédes ressortissants,

maintenir les liaisons avec lesautorités civiles et militaires.

Le CRER se distingue par sa capacité à :- reprendre à son compte les travaux

d’enregistrement initiés par les forcesprépositionnées (de souverainetéou de présence) ou les autoritésconsulaires4,

- déployer en quelques heures undispositif complet d’enregistrementdes ressortissants,

- renseigner le commandement sur lanature et le volume des ressortissantsenregistrés et évacués.

En outre, il constitue une structureindispensable de coordination entre laforce et le ministère des Affairesétrangères et européennes. Il repré-sente l’ultime étape de l’évacuationprimaire et permet par son action letransfert de responsabilité entre les deuxministères.

Le CRER est modulaire, il s’articuleautour d’un système d’enregistrementdes ressortissants (système EVACINFO)pouvant être projeté seul avec uneautonomie de deux à trois jours.

Les modules complémentaires (CRERAlpha, Bravo et CRER lourd) ne consti-tuent qu’un renforcement capacitairedéployé en fonction de la durée de lamission et du nombre de ressortissantsà évacuer.

Deux CRER A sont en permanence enalerte l’un à 72 heures, l’autre à 9 jours. Les opérations récentes entre 2002 et2006 font apparaître que le CRER A estle module le plus fréquemment projetécar son poids logistique est compatibleavec les capacités de transport straté-gique actuelles des armées. Deux CRERALPHA peuvent être projetés successi-vement dans le cas d’une opérationdélicate qui nécessite une évacuationdes ressortissants à partir de deuxzones distinctes.

Le CRER A est sécable en deux sous-ensembles :un module harpon EVACINFOet un module complémentaire. Auxprémices d’une crise, il convient deprojeter le module EVACINFO simul-tanément avec l’équipe du ministère desAffaires étrangères.

Ainsi, le chef du CRER, arrivant enprécurseur, peut effectuer une recon-naissance des lieux, préparer la mise enœuvre du CRER, prendre contact avec leCOMANFOR, les autorités locales et lesautorités diplomatiques, commencer le

DOCTRINE N° 16 JUIN 200970

Page 71: FRA magazine Doctrine16 NEO

JUIN 2009 DOCTRINE N° 1671

déploiement et l’initialisation du logicield’enregistrement des ressortissants.Pour mener à bien cette mission délicate,les états-majors de brigade logistiqueconduisent très régulièrement avecleurs régiments des exercices d’éva-cuation. Systématiquement ces auto-entraînements font l’objet d’une analysequi permet d’affiner les procédures etd’orienter les décisions du comman-dement en cas d’engagement réel. Ilsrenforcent également les brigades inter-armes lors d’exercices programmés (ex :CRER à Fréjus avec le 21e RIMa lors del’exercice ANVIL 2008.)

LA COOPÉRATION INTERMINIS-TÉRIELLE : UN PARTENARIATPERMANENT

Décidée au plus haut niveau politiquesur recommandation de l’ambassadeur,l’évacuation de ressortissants estdéclenchée et supervisée par leministère des Affaires étrangères eteuropéennes (MAEE), responsable de lasécurité des Français à l’étranger.Lorsqu’une opération militaire est dé-cidée, celle-ci est planifiée et conduitesous l’autorité du chef d’état-major desarmées (CEMA). Le CEMA détient alors lecommandant opérationnel de la forceengagée. Compte tenu du caractèreinterministériel très prononcé de ce genred’opération, une étroite coordination doitavoir lieu entre les armées et les servicesdu MAEE dans les phases d’anticipation,de préparation et de conduite de l’action.

Dans la plupart des cas, une évacuationde ressortissants dépasse le cadrestrictement national. En effet, en vertud’accords diplomatiques ou de lienshistoriques importants, la France assurel’évacuation des ressortissants d’autresnationalités, en leur accordant la qualitéde bénéficiaires, au même titre que lesressortissants français. Dans ce cas, uneétroite coordination doit être assuréeavec les services diplomatiques despays concernés.

Lors de l’évacuation du Tchad en février2008, 79 nationalités ont été recenséesparmi les évacués.Par ailleurs, une évacuation deressortissants induit des transferts depopulations qui doivent être soumis àl’assentiment des Etats concernés (ycompris ceux dont le territoire estutilisé pour le transit). Mal contrôlés,ces transferts peuvent faciliter destentatives isolées d’immigration illégale.Cet aspect renforce l’importance desmesures de coordination à mettre enplace sur le terrain entre le commandantde la force, la représentation consulairefrançaise, l’équipe du MAEE projetée, leCRER et les instances diplomatiquesdes différents pays concernés (notam-ment pour le contrôle et le tri desbénéficiaires).

Seront évacués sur désignation desservices consulaires : les ressortissantsfrançais, les doubles nationaux, lesressortissants européens et d’une autrenationalité dans le cadre d’accordsdiplomatiques définis.

De façon à entretenir et améliorer lacoopération entre les deux ministères,les exercices menés par les états-majors de brigade logistique per-mettent la participation d’agentsconsulaires du MAEE soit à titre deformation initiale soit à titre d’amé-lioration des procédures et deséchanges entre les deux partenaires.Ces améliorations ont permis au chefmilitaire du CRER, au Liban en 2006puis au Gabon en 2008, de transmettredepuis le théâtre des fichiers dedonnées immédiatement exploitablespar la cellule de crise du quai d’Orsay.

Enfin, il n’est pas rare de retrouver, encas d’engagement réel, des agentsconsulaires et des militaires qui seconnaissent car ayant participé soit à unexercice commun quelques semainesauparavant soit à une précédenteévacuation.

UNE CAPACITÉ DE RÉACTIONPARTICULIÈREMENT ÉLEVÉE :TCHAD 2008

Au cours de la semaine précédent levendredi 1er février 2008 des colonnesde rebelles opposées à Idriss Deby fontmouvement vers le TCHAD. Dès levendredi des affrontements ont lieudans la capitale Ndjamena.Ce même jour en soirée, le CPCO décidede placer le CRER GUEPARD à 24H.Tout le personnel d’alerte rejoint alorsla base de Montlhéry, le dernierdétachement arrivera le samedi 2 enmatinée.Le CRER A qui sera déployé est com-mandé par l’état-major de la 1re brigadelogistique qui fournira également lesystème d’enregistrement (EVACINFO), ilest composé d’un groupe «soutien» et«santé» du 121e RT, d’une équipe à2 prévôts, d’une équipe «INMARSAT»du 48e RT et d’un groupe de recueil del’information du GRI de Metz.Le détachement une fois constitué rejointla base aérienne de Villacoublay à 14H00et décolle en direction d’Istres à 17h00pour percevoir un lot pédiatrique.Une fois à Istres le détachementapprend que le CRER ne sera pasdéployé à N’Djamena mais à Librevilleen raison de la situation sécuritaire trèsdégradée sur l’aéroport de la capitaletchadienne.

121è

RT

Retour d’expérienceRetour d’expérience

Page 72: FRA magazine Doctrine16 NEO

Le dimanche 3 février 2008 à 05h00le CRER atterrit au Gabon et se déploieau sein du 6e BIMa qui dès lors peutreprendre ses activités normales.Deux heures après s’être posé, le CRERest opérationnel, il «traite» et enregistreson premier avion de ressortissants etfournit les comptes rendus demandéspar le commandant de la force et lacellule de crise du MAEE. L’évacuation des ressortissants duTchad est organisée en deux temps : uneévacuation primaire du Tchad vers leGabon par avions tactiques (C130 etC160) ; 19 rotations ont eu lieu entreN’Djamena et Libreville évacuant quel-que 1 384 personnes.

Une évacuation secondaire à partir deLibreville principalement vers Paris,mais aussi vers d’autres destinations enfonction des demandes émises par lesressortissants et les moyens offerts parles diverses ambassades et organi-sation internationales.

4 vols ont été affrétés en directionde Paris par le MAEE entre le 3 et le6 février. A partir du 7, des places ontété réservées par le MAEE sur la lignerégulière Libreville-Paris.

Certains ressortissants ont préféré serendre dans des pays limitrophes de larégion (Sénégal, Cameroun...).

1 121e RT/RS (Montlhéry), 503e RT/RS (Souge),511e RT/RS (Auxonne) et 515e RT/RS(La Braconne).

2 Le tri des bénéficiaires est effectué par leministère des Affaires étrangères eteuropéennes. Il n’incombe pas aux forcesarmées.

3 Dans certains cas le soutien santé de niveau 2est effectué à partir d’un bâtiment de la marinenationale (TCD ou BPC).

4 Ce qui permet alors aux forces armées de seconcentrer sur la sécurisation et au MINAEsur l’évacuation secondaire.

DOCTRINE N° 16 JUIN 200972

Au final, ce sont 1 384 personnes qui ont été extraites de N’Djamena représentant 79 nationalités différentes.Tous les éléments, position géographique du CRER, collaboration étroite avec le MAEE, l’ambassadeur et leconsul de France, les autorités gabonaises, étaient réunis pour faire de ce déploiement une réussite largementsoulignée par les ressortissants eux-mêmes, mais aussi par l’ensemble des ambassadeurs ou autoritésconsulaires d’autres nations présentes à Libreville et qui ont pu assister et accompagner leurs proprescompatriotes dans ces moments difficiles.

Les opérations d’évacuations à travers le monde

Page 73: FRA magazine Doctrine16 NEO

JUIN 2009 DOCTRINE N° 1673

Libres réflexionsLibres réflexionsLa recherche opérationnelle au service de l’évacuation de ressortissants

PAR LE LIEUTENANT-COLONEL PHILIPPE BOUGERET* EMAT

CComposante de l’aide à la décision, la recherche opérationnelle est la discipline des méthodes scientifiquesutilisables pour élaborer de meilleures décisions grâce à l’étude, la compréhension et la résolution de

problèmes complexes. L’armée de terre fait régulièrement appel à des chercheurs opérationnels pour trouverdes solutions optimisées principalement dans le domaine organique. Cependant, le domaine opérationnel estun champ d’application potentiel de ces techniques, notamment pendant les phases de stabilisation quis’inscrivent dans la durée.

C’C’est pourquoi, au cours de son plan de charge annuel, la division simulation et recherche opérationnelle(DSRO) a engagé une réflexion de fond sur l’emploi des techniques de recherche opérationnelle au

profit de l’engagement des forces dans le cadre de la planification opérationnelle et de la conduite desopérations. L’instabilité politique de nombreux pays et le nombre croissant de Français expatriés ontaugmenté la probabilité d’opérations d’évacuation de nos ressortissants. On peut estimer que quinzeopérations de ce type pourraient avoir lieu dans les vingt prochaines années !

C’C’est donc tout naturellement qu’une étude concernant l’évacuation des ressortissants a été initiée enliaison avec le commandement de la force logistique terrestre (CFLT1), en charge de la mise sur pied de

quatre centres de regroupement et d’évacuation des ressortissants (CRER). Le premier volet de cette étudeconsiste à développer un démonstrateur permettant d’optimiser le déploiement et le fonctionnement duCRER.

* anciennement au CDEF/DSRO

La problématique générale d’une RESEVAC

LLorsqu’un Etat n’est plus en mesure degarantir l’ordre public sur son territoire, uneopération d’évacuation des ressortissants est

alors initiée à la demande de l’ambassadeur deFrance et conduite soit par le ministère des affairesétrangères soit sous l’autorité du chef d’état-majordes armées (CEMA), s’il y a engagement de forcesmilitaires.

La conception des plans de sécurité repose surune étroite collaboration entre les servicesconsulaires et l’attaché de défense, conseillermilitaire de l’ambassadeur. Chaque plan définit

les modalités de l’opération d’évacuation suivanttrois phases : le regroupement, l’évacuationprimaire et l’évacuation secondaire.

L’organisation du regroupement des ressor-tissants vers les points de regroupement(PR) revient aux services diplomatiques.L’intervention des forces armées commencelors de la protection des PR puis du transportvers un point d’évacuation central (PE). Si lesconditions du pays et la conjoncture font quele convoi est arrêté, les forces peuventmettre en place une zone temporaire deprotection (ZTP) pour garantir la sécurité desressortissants.

1 Le CFLT sera dissous à l’été 2009.

Page 74: FRA magazine Doctrine16 NEO

DOCTRINE N° 16 JUIN 200974

Placée sous la responsabilité des armées,l’évacuation primaire est mise en œuvre entrele PE et un CRER implanté à proximitéimmédiate d’infrastructures aéroportuairesou maritimes. Jouant un rôle central dans laprocédure RESEVAC, le CRER est le point àpartir duquel les ressortissants quittent leterritoire après y avoir rempli des formalitésadministratives simples et effectué uncontrôle sanitaire. Lorsque les conditions desécurité le permettent, le CRER peut êtrecolocalisé avec un PE.

Enfin, le ministère des affaires étrangèresorganise l’évacuation secondaire entre leCRER et la métropole.

Par leur nature et la multiplicité des acteurs, lesopérations d’évacuation de ressortissants sontcomplexes et conduites dans un environnementinterarmées, interministériel voire multinational.L’opération Baliste menée au large du Liban en2006 a en effet mis en relief la dimensioninterarmées de l’évacuation de ressortissants. Ilpeut être utile d’élaborer un outil d’aide à laplanification et à l’organisation de l’évacuationde ressortissants à destination de l’attaché dedéfense.

Destiné à agir dans l’urgence et dans desconditions de déploiement difficiles, le CRERapporte un précieux concours pour assurer lasécurité des personnes et leur évacuation. Laprojection d’un CRER d’urgence composé detrente militaires en novembre 2004 en Côted’Ivoire a montré la pertinence d’une tellestructure, avec plus de 4 800 ressortissantsévacués en 10 jours.

L’expérience montre que les délais induits par laprise de décision de RESEVAC et la projection duCRER limitent ce dernier à n’être opérationnelqu’après les premières rotations d’évacuation. Orle CRER doit être opérationnel immédiatementaprès son déploiement et la mise à dispositiond’outils simples pourrait permettre d’embléed’optimiser l’emploi de ses ressources et sonorganisation.

La démarche adoptée par la DSRO

S’appuyant sur le retour d’expérience d’officiersayant eu des responsabilités en Côte d’Ivoire etau Liban, la première étude de la DSRO consisteà modéliser le centre de regroupement et

d’évacuation des ressortissants. L’objectif est decréer un logiciel d’aide à l’organisation, à laplanification et la conduite du CRER.

Le CRER est situé en zone sécurisée. Il s’agit à lafois d’un refuge et d’une chaîne de traitementayant un but bien précis : celui de faire évacuerles personnes recevant l’autorisation de retourneren France par les moyens mis en place par l’Etat.Certains réfugiés peuvent y rester plusieurs joursquand d’autres y séjournent seulement quelquesheures, et ce, pour des raisons de priorité etd’accord politique entre nations. Pour lecommandant de ce centre, l’organisation est unvéritable casse-tête.

En effet, les ressortissants doivent être fouillésavant d’entrer dans le centre pour endiguer toutemenace d’attentat. Ils doivent recevoirl’autorisation du consulat ainsi que le niveau depriorité lié à leur statut. Ils sont ensuite recensés,et une liste de passagers embarquant sur levecteur d’évacuation (avion, bateau...) doit êtreéditée afin de tenir informées les autorités et lesfamilles. Les blessés doivent être soignés, et enfinles détenteurs d’informations relatives à la crisesont interrogés par le groupement de recueil del’information (GRI). Le GRI pourra alors suivrel’évolution de la menace et prendre en compte lesfamilles encore isolées dans le pays. Une fois toutes ces tâches effectuées, lesressortissants figurant sur la liste de passagerssont appelés puis transportés vers le sited’embarquement (aéroport, port...). Cette situation d’urgence doit être planifiée etmaîtrisée afin d’être conduite dans lesmeilleures conditions.

La DSRO va donc mettre au point undémonstrateur qui permettra à son utilisateur,de créer un CRER virtuel, dans lequel il pourraindiquer pour chaque tâche les caractéristiquesnécessaires à la simulation (nombre de postes,durée de la tâche, capacité de traitement...).

Ce CRER sera modélisé par un organigramme oùchaque tâche sera représentée par un bloc et oùchaque lien entre deux blocs représentera le fluxde ressortissants allant d’une tâche à l’autre (voirschéma ci-contre). Cette modélisation permettrade déterminer la répartition des ressortissantsdans le CRER à un instant donné. Par expérience,le chef du CRER est en permanence en train decalculer ces flux à la main. La visualisation desétapes et des flux sera une aide précieuse pourprévoir et anticiper l’hébergement, l’alimen-tation, les moyens de transport ainsi que leseffectifs à consacrer à chaque tâche, optimisantainsi l’utilisation des ressources.

Avis complémentaires sur les opérations d’évacuation de ressortissants

Page 75: FRA magazine Doctrine16 NEO

Une fois les informations saisies, l’utilisateur auraaccès à un panel de fonctionnalités. Grâce à elles,on pourra notamment déterminer les ressourcesnécessaires au bon fonctionnement du CRER(nombre de véhicules, nombre de repas àproduire, assignation des postes...). On pourraégalement déterminer l’heure à laquelle lancer la

chaîne de traitement, afin que les passagersappelés soient tous sur le site d’évacuation aumoment où le vecteur est prêt à partir. Cela auracomme conséquence de minimiser le temps destationnement des vecteurs d’évacuation et doncde réduire leur vulnérabilité tout en diminuantles coûts engendrés.

JUIN 2009 DOCTRINE N° 1675

Comme nous l’avons vu, ceci est une première approche. Il est également possible d’étudier chaque point clef del’évacuation : du théâtre à l’arrivée en France (ou toute autre destination qui permet de sécuriser les familles). Ces étudessuccessives permettront d’améliorer sensiblement l’évacuation, et ainsi de rapatrier plus rapidement les ressortissantstout en réduisant les dépenses liées à une telle opération.Plus généralement, la phase décisive de stabilisation s’inscrit résolument dans la durée afin de recréer les conditionsnécessaires et suffisantes à un retour à la normale. Elle se caractérise aussi par une plus grande stabilité permettant ainsiaux chercheurs opérationnels d’étudier tous les types de problèmes génériques. La recherche opérationnelle peut trouverdans les opérations actuelles un vaste champ d’application en s’inscrivant toujours dans une logique d’aide à la décisionpréservant toujours in fine la capacité de prise de décision.

Libres réflexionsLibres réflexions

Page 76: FRA magazine Doctrine16 NEO

DOCTRINE N° 16 JUIN 200976

Une opération militaire à double effet

LLa situation politique de la zone était à cetteépoque (elle l’est encore) très explosive. Lesgouvernements des deux pays étant chacun

en lutte armée avec une opposition très active.

Denis Sassou N’Guesso, le Président du CongoBrazzaville, venait de reprendre par la force lepouvoir à Pascal Lissouba et devait à ce moment làfaire face à une opposition venant du sud du payset menée par un certain Pasteur N’Toumi qui, avecdes groupes armés très mal équipés mais trèsmotivés, menaçait la capitale après avoir fait subiraux forces du Président en place quelques reversimportants.

Le Président de la RDC, Laurent Désiré Kabila,soutenu à l’époque par le Rwanda, avait pris lepouvoir également par la force quelques annéesauparavant mais subissait aujourd’hui la pressiond’une force armée d’opposition qui contrôlait lamajorité du pays et qui, appuyée par ses alliersd’hier, était en marche vers Kinshasa.

Brazzaville sortait d’une guerre civile très grave.La ville entièrement pillée et dévastée par seshabitants eux-mêmes, tentait de renaître de sescendres. La population, à peine revenue descampagnes où elle s’était réfugiée, vivait dans unegrande précarité et s’apprêtait à subir un nouvelépisode de guerre du pouvoir. La ville étaitintensément contrôlée et cloisonnée par desbarrages filtrants tenus par des hommes armés

1 En poste à Brazzavillede 1998 à 2001.

Avis complémentaires sur les opérations d’évacuation de ressortissants

L’attaché de défense, médiateur opérationnel

PAR LE GÉNÉRAL (2S) JACQUES DESCAMPS1

Question : quels sont les 2 pays du monde dont les capitales sont géographiquement les plus proches ?Ceux qui ont un peu bourlingué en Afrique savent qu’il s’agit de la République du Congo et de la Républiquedémocratique du Congo dont les capitales Brazzaville et Kinshasa séparées par le fleuve Congo sontéloignées de 4 kilomètres seulement.Ces deux villes comptent chacune plusieurs millions d’habitants et sont depuis 40 ans le théâtre régulierd’affrontements ethniques et de lutte pour le pouvoir qui plongent à chaque fois la population, déjà trèspauvre, dans une insécurité insoutenable.La présence d’une communauté occidentale et en particulier française importante a amené la France,durant ces périodes de troubles, à réaliser des opérations militaires pour permettre l’évacuation de sesressortissants, chacune des capitales servant, alternativement et suivant le cas, de base de départ et debase de transit pour les opérations d’extraction.

Ce fut le cas en fin d’année 1998 où Brazzaville a permis l’évacuation des ressortissants français deKinshasa alors que les opposants armés à Laurent Désiré Kabila étaient annoncés aux portes de cettecapitale.Cette opération fut particulière par son opportunité et les circonstances qui nous ont demandé d’agir àfront renversé.

Page 77: FRA magazine Doctrine16 NEO

vaguement militarisés dont l’incompétence n’avaitd’égal que leur nervosité, ce qui les rendaientextrêmement dangereux et capables de toutes lesvilénies.

Les ressortissants étrangers étaient très peunombreux à Brazzaville et se limitaient quasimentaux seuls membres des ambassades qui rouvraientles chancelleries avec beaucoup de prudence, laFrance n’ayant, il faut le noter, jamais fermé lasienne même durant les événements.

Kinshasa comptait en revanche dans sapopulation plusieurs milliers d’occidentaux etl’arrivée probable et rapide des forces arméesd’opposition inquiétait.

Une opération militaire fut décidée. Avec l’accorddes autorités locales, un groupement de force futprojeté et installé à Brazzaville avec pour missionl’évacuation des ressortissants français etoccidentaux de Kinshasa en cas de besoin.

Cette mise en place eut un double effet : celui decristalliser les fronts à Brazzaville et de permettreà Sassou N’Guesso de respirer tout en rendant lestensions internes plus vives à Kinshasa. Laprésence française de l’autre côté du fleuve étaitlue en effet par les deux partis opposés de la RDCcomme un soutien à l’autre bord, tandis que lesressortissants étrangers, notamment les bina-tionaux français, face à une agressivité montantede la population à leur égard, se sentaient de plusen plus en insécurité.

Le déroulement de l’action :

le non prévisible et l’adaptation

Très tôt sur les lieux, la forcefrançaise eut le tempsd’échafauder le plus descénarii possibles et de s’ypréparer. Reconnaissances,entraînements spécifiques,prise en compte du contextepolitique, géographique etclimatique donnèrent auxsoldats une confiance suffi-sante pour affronter desmissions qui se présentaientcomme difficiles.Mais ce qui est bon au planopérationnel ne l’est pasforcément au plan de l’inté-gration.

La présence des troupesfrançaises à Brazzaville, bien acceptée au début,est devenue rapidement lourde à supporter :d’une part pour les politiques et les chefsmilitaires locaux qui y ont vu très vite uneingérence insupportable et d’autre part pour lapopulation déçue de notre neutralité devant lesexactions des bandes armées à la solde du pouvoiren place qui contrôlaient la ville.

Mais c’est comme souvent à une situation nonprévue à laquelle il a fallu faire face.Alors que contre toute attente un accord semblaitnaître à Kinshasa entre les rebelles et legouvernement, les ressortissants étrangersréclamaient leur évacuation de manière de plus enplus pressante, tandis qu’à Brazzaville l’oppo-sition aux troupes françaises était de plus en plusévidente.Lorsque la décision fut prise, la situation était pourle moins paradoxale : il s’agissait en effetd’évacuer des ressortissants français d’une villeplutôt calme et sous contrôle et de les amenerdans une autre ville où leur présence n’était pasforcément désirée. D’où cette sensation detravailler à front renversé.

Avec l’assentiment et la presque facilitation desautorités de Kinshasa, le transfert des ressor-tissants français fut réalisé avec les bateaux quihabituellement assuraient les liaisons entre lesdeux capitales. Cela fut fait sans aucuneintervention des troupes françaises et sous lecontrôle des consulats des deux rives, ce qui fut,on s’en doute, l’occasion de sarcasmes de la part

JUIN 2009 DOCTRINE N° 1677

ECPA

D

Libres réflexionsLibres réflexions

Page 78: FRA magazine Doctrine16 NEO

DOCTRINE N° 16 JUIN 200978

de nos amis du ministère des Affaires étrangèresprompts à mettre en évidence la supériorité del’esprit de négociation qui les anime.On comprit assez vite la raison de la facilitationdes uns et de l’opposition des autres. Lesressortissants évacués étaient pour la presquetotalité des binationaux congolais dotés pour laplupart de passeports relativement neufs dontl’authentification posa nombre de problèmes àl’adjoint de l’ambassade chargé de cette délicatemission.

En quelques jours, près de 2 000 personnesfurent acheminées, posant le problème de leursécurité, de leur alimentation et de leur sortie dece pays d’accueil exsangue qui ne pouvaitsupporter leur installation durable. La France nepouvant quant à elle pas non plus accueillir lamajorité d’entre eux, faute d’une nationalitétotalement prouvée et faute de moyens desubsistance avérés dans notre pays, une solutionde transit par le Gabon fut alors trouvée.

La mission des soldats français se limita alorsà la sécurisation et au transport de cesressortissants entre le port, lieu d’arrivée, lecentre culturel français, base de transit, etl’aéroport pour l’acheminement vers le Gabon ausein d’une ville où l’insécurité régnait et avec uneposture non agressive pour ne pas déclencherd’accrochage avec les bandes armées locales cequi eût été catastrophique.

La coopération entre les militaires et lesmembres de l’ambassade fut alors très grande etl’on vit l’ambassadeur de France, drapeau françaisau vent, franchir en tête des convois les différentsbarrages hostiles sous l’escorte discrète dessoldats du 3e RPIMA, un vrai bonheur.

L’attaché de défense dans son rôle de médiateur

Expliquer pour assurer les liaisons et les liensentre les acteurs et ainsi rassurer chacun, donnerles éléments du contexte relationnel du pays etsurtout ménager «l’Ego» des chefs politiqueset militaires présents sur le terrain sont les tâchesmajeures de l’attaché de défense lors dudéroulement d’une opération de ce type.

Celui-ci doit ainsi se placer dans un rôle demédiateur opérationnel qui lui prend toute sonénergie en lui faisant manger de nombreusescouleuvres, mais qui est essentiel pour la réussitede l’action.

Ce rôle est à mon sens totalement incompatibleavec les fonctions de contrôleur opérationnelqu’on pourrait parfois vouloir lui faire tenir et quilui fait prendre trop visiblement parti. Même si,pour l’intéressé, cela peut être justementconsidéré comme éminemment valorisant et s’ilest sans doute nécessaire de tenir cette place entout début de mise en place de la force, il doitpouvoir très vite la transmettre.

Dans un contexte comme celui-là, l’ambassadeurde France aura toujours tendance à retarderl’arrivée des forces alors que les militairesvoudront avoir un temps d’avance le plusimportant possible. Expliquer à l’un que l’arrivéedes troupes laissera encore de la place à lanégociation et à l’autre que la mise en placediscrète ne l’empêchera pas de prendre en mainson terrain n’est pas chose facile. L’attaché dedéfense est bien la seule personne capable depratiquer cet exercice de funambule car en pleineconnaissance des intérêts de l’un et de l’autre.Cela n’est possible cependant que s’il a réussi àinstaurer une relation de confiance avec sonambassadeur, son seul supérieur, et si sacompétence opérationnelle est reconnue parl’EMA.

Avis complémentaires sur les opérations d’évacuation de ressortissants

Il s’agira donc pour cet attaché de défense

de ménager l’Ego des uns et des autres et

souvent de faire fi du sien car il recevra des

coups des deux bords, ce à quoi il n’est pas

forcément préparé.

C’est l’expérience majeure que l’on peut

tirer de ce poste dans ce cadre opérationnel

spécifique, apprendre à faire preuve de

modestie et se mettre totalement au

service de l’action, en sachant que l’on sera

toujours considéré comme un fusible

salvateur en cas d’échec.

Page 79: FRA magazine Doctrine16 NEO

JUIN 2009 DOCTRINE N° 1679

Libres réflexionsLibres réflexionsDiplomatie et arméeUn partenariat unique et indispensable en cas d’évacuation de ressortissants

PAR MONSIEUR MATTHIEU GRESSIER DU CENTRE DE CRISE DU MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET EUROPÉENNES

DDans un environnement sécuritaire fortement dégradé, où menaces terroristes, tensions politiques, alertessanitaires et catastrophes naturelles se sont multipliées au cours des dernières années, la sécurité des

ressortissants français à l’étranger, qui compte parmi les plus hautes priorités de l’action gouvernementale,est un défi permanent pour le ministère des Affaires étrangères et européennes.

RRelever ce défi exige des réformes pour être à l’avenir plus efficace face aux crises de très grande ampleuret surtout lors des opérations d’évacuation de ressortissants. Ces réformes sont déjà engagées à travers

la mise en place du nouveau centre de crise (CDC).

Rôles et responsabilités

Les opérations d’évacuation de ressortissantspeuvent se définir comme une action de mise ensécurité des ressortissants résidant à l’étrangeren les soustrayant d’une zone présentant unemenace imminente et sérieuse risquant d’affecter

leur sécurité, lorsque l’Etat dans lequel ils sontlocalisés, n’est plus en mesure de la garantir.

Au niveau politique, ces opérations d’évacuationsont décidées à la demande de l’ambassadeur etconduites par le ministère des Affaires étrangèresou, s’il y a engagement de forces militaires, sousl’autorité du chef d’état-major des armées(CEMA).

En l’absence de toute norme conventionnelleen la matière, l’évacuation des ressortissantss’inscrit dans un cadre coutumier et relève del’obligation qu’a tout Etat de porter secours à sesressortissants, même lorsque ceux-ci se trouventà l’étranger.

Néanmoins, en matière de droit international, cetype d’opération constitue une entorse auprincipe de souveraineté des Etats. A ce titre, ildoit être considéré comme une exception à larègle de non-recours à la force armée (article 2de la charte des Nations unies), justifiée par le faitque l’Etat hôte n’est plus en mesure de garantirl’ordre public sur son territoire.

Phot

o fo

urni

e pa

r l’a

uteu

r

Page 80: FRA magazine Doctrine16 NEO

DOCTRINE N° 16 JUIN 200980

Au cours des dernières années, nombreux ont étéles Français impliqués dans des situations de criseà l’étranger : touristes, expatriés, volontairesd’organisations non gouvernementales, au Liban,en Haïti ou encore en Afrique, en Asie ou enAmérique latine. Ces situations de crise exigentune capacité permanente d’intervention.

Lorsque dans un Etat en crise, la sécurité de sesressortissants est gravement exposée, l’autoritépolitique française peut décider d’en évacuer lacommunauté de ressortissants. Si le climatd’insécurité locale ne permet pas d’envisager uneévacuation par des moyens civils, l’autoritépolitique peut requérir l’emploi des forcesarmées pour en assurer l’exécution en lien avecles autorités diplomatiques. Le cas échéant,l’action des forces armées consiste à planifier etconduire une opération visant à évacuer lesressortissants par des moyens militaires vers unezone sécurisée.

Par la suite, les autorités consulaires sont encharge d’organiser leur rapatriement, en principevers leur pays d’origine. Or l’instabilité politique denombreux pays, conjuguée à l’augmentationconstante du nombre de ressortissants nationaux,notamment ceux résidant de façon ponctuellehors des frontières, rend cette mission toujoursplus complexe. En outre, les évolutions tantpolitiques que militaires conduisent à envisagerdésormais ce type d’opération dans un cadrerésolument multinational.

Anticipation et transparence La gestion des risques doit reposer aujourd’huisur ces deux principes.

Ne pas vivre dans la peur des crises, c’est avanttout intégrer la notion de risque, et apprendre à lemesurer et à l’anticiper.

Pour être efficace, l’anticipation doit s’accompagnerd’une nécessaire transparence vis-à-vis de nosconcitoyens, en vue de les sensibiliser aux risqueset de les informer sur les dispositifs de protectionmis en place. Cette transparence vaut, bien sûr,pour les quelque deux millions de Françaisexpatriés mais également pour les vingt millionsde touristes français qui sillonnent le mondechaque année et qui peuvent être confrontés àdes situations de crise dans les pays où ilsséjournent.

Selon la gravité de la situation, et bien avant quela décision d’engager une opération d’évacuationde la communauté française soit prise, il peut être

décidé de l’envoi immédiat d’une équipe desoutien en situation de crise (E.S.S.C). Tel anotamment été le cas au Tchad et au Gabon enfévrier 2008. Cette équipe doit être capable derenforcer l’ambassade, de constituer une antennesur place, voire un poste consulaire autonome,dans un environnement dégradé. Elle estprincipalement amenée à gérer les points deregroupement, diffuser des consignes de sécuritéà la communauté française, assurer un accueillogistique (coordination des équipes médicales),déterminer, si nécessaire, les bénéficiairesd’une évacuation, apporter une assistance auxressortissants sinistrés (relogement, eau,nourriture, renouvellement de documentsd’identité), et participer à la recherche desvictimes ou encore rassurer nos compatriotes etsoutenir les familles des victimes.

Retour d’expérience sur la crise politiqueau Tchad : aide aux départs des ressortis-sants français et étrangers

Les événements de février 2008 au Tchad ontconfirmé l’importance de maintenir un dispositifefficace pour assurer la sécurité de nosressortissants à l’étranger, priorité absolue duministère des Affaires étrangères et européennes.Cette crise politique constitue un exemple-typed’évacuation.

Dés le début de cette crise, le ministère desAffaires étrangères et européennes a mis en placeun numéro vert à l’attention des personnes quisouhaitaient avoir des informations sur lasituation de leurs proches se trouvant au Tchad.

Pilotée par la cellule de crise du quai d’Orsay,l’opération de rapatriement des ressortissantsétrangers a été coordonnée sur place par lesarmées françaises en lien avec les autoritésdiplomatiques et consulaires. Comme toujours,la procédure s’est déroulée en trois phases, selondes plans prédéfinis à l’avance.

Dans un premier temps, le ministère des Affairesétrangères et européennes a demandé auxressortissants français, via l’ambassade, derejoindre les points de regroupements (PR)préalablement définis dans les plans de sécurité1

au sein desquels l’armée française a pris positionpour sécuriser les ressortissants au fur et à mesurede leur arrivée. Ces points de regroupementpeuvent être par exemple des hôtels, des écoles,des centres culturels, etc. La deuxième étape a consisté à transférer les

Avis complémentaires sur les opérations d’évacuation de ressortissants

1 Le plan de sécurité,outil indispensabledans les opérationsd’évacuation, viseà faire en sorteque la missiondiplomatique soiten mesure defonctionner dansun contexte de crisedécoulant dedésordres civils oud’une catastrophenaturelle quimenaceraient lasécurité de noscompatriotes etde surmonter lesdifficultésinhérentes.

Page 81: FRA magazine Doctrine16 NEO

civils vers une zone hors de toute menace. AN’Djamena, il s’agissait de la base militaire françaisede Kosseï, à proximité de la capitale tchadienne. Letransfert des points de regroupement vers le camps’est effectué en véhicules blindés. Le départ pourLibreville s’est fait grâce aux 6 avions Transall C160et Hercule C130 présents dans la zone.

Enfin, troisième et dernière étape, la prise encharge des civils évacués par le centre deregroupement et d’évacuation de ressortissants(CRER), installé à Libreville.

Depuis plusieurs années, les armées et le MAEEont mis en place un circuit particulièrementefficace pour gérer les ressortissants. A leurarrivée, ces derniers ont été informés sur la suitedes opérations, puis ils ont fait l’objet d’une sériede contacts visant à préparer leur évacuation :

1) avec la police de l’air et des frontières du paysconcerné, si elle est présente, qui s’est assuréede leur statut de ressortissant (délivranced’une autorisation d’entrée sur le territoire,passeport...) ;

2) avec la gendarmerie française, pour enregistrerd’éventuelles déclarations de perte ou plaintespar rapport à de mauvais traitements subis... ;

3) avec l’un des militaires du CRER, en lien avecles services consulaires, afin de leur délivrer lacarte d’embarquement pour le vol de retour ;

4) avec un médecin (médecins des SAMU, de lasécurité civile et/ou du CRER) ;

5) avec un membre de l’équipe d’aide médico-psychologique, en cas de besoin.

Comme cela se fait habituellement, une équiped’aide médico-psychologique a accompagné cedispositif et a été surtout présente au centre deregroupement et dans les avions de retourpermettant ainsi de prendre en charge trèsrapidement les troubles post-traumatiques.

Les psychiatres ont constaté qu’une personne surtrois éprouvait une réelle souffrance par rapportau vécu des dernières heures pendant lesquelleselle avait été confinée dans un espace réduit etcontrainte de rester de longues heures sansbouger pour se protéger des impacts de balles. Dessymptômes de stress dépassé ont été observés :enfants présentant un stress traumatique avecsyndrome de répétition, manifestations d’anxiété...

Des troubles comme l’angoisse de perte etd’abandon ont été diagnostiqués chez un certainnombre de ressortissants, obligés de quitter leurrésidence de façon précipitée et craignant lespillages. Angoisse par rapport à des parents dontils étaient sans nouvelle, au Tchad, ou même enFrance comme cette femme qui craignait uneaggravation cardiaque chez son père gravementmalade. Par ailleurs, les équipes soignantes ontdû prendre en charge l’inquiétude d’un grandnombre de familles sur l’avenir, l’incertitude, lanécessité de trouver une solution temporaire ouplus prolongée voire définitive.

A l’approche du départ, les ressortissants ont étéinformés et rassemblés pour être conduits àl’aéroport. Toutes les personnes passées par lecentre de regroupement ont fait part de leursatisfaction quant au dispositif mis en place etnotamment à l’égard des soldats français qui lesont protégées tout au long de leur évacuation.

Le retour de nos compatriotes a pu être réalisédans les meilleures conditions possibles grâce àla coordination assurée par la cellule de crise duministère des Affaires étrangères et européennesavec les intervenants extérieurs : ministère de laDéfense/Etat-major des armées ; ministère del’Intérieur : (Centre opérationnel de gestioninterministérielle des crises (C.O.G.I.C.) etPréfecture de Seine-Saint-Denis pour l’accueil àRoissy) ; ministère de la Santé, SAMU et Croix-Rouge française ; et le ministère des Transports,sans oublier une coopération particulièrementefficace avec Air France et nos partenaireseuropéens. La crise tchadienne a égalementsuscité une mobilisation exceptionnelle desambassades et des consulats de France de larégion pour l’accueil des personnes ayant quittéle Tchad par d’autres moyens que les vols affrétéspar le ministère des Affaires étrangères eteuropéennes, en particulier au Cameroun.

JUIN 2009 DOCTRINE N° 1681

Phot

o fo

urni

e pa

r l’a

uteu

r

Libres réflexionsLibres réflexions

Page 82: FRA magazine Doctrine16 NEO

DOCTRINE N° 16 JUIN 200982

A l’ère de la construction européenne, il devientde moins en moins envisageable d’évacuer nosseuls ressortissants. A l’avenir, une coopérationet une étroite coordination seront nécessaires àtoute action d’évacuation commune décidée parles autorités politiques.

Le concept d’Etat pilote

Lors de la crise politique au Tchad en février2008, la France a proposé le vendredi 1er février2008, à Bruxelles, à ses partenaires européens,d’assurer le rôle d’Etat-pilote en matière deprotection consulaire.

Le concept d’Etat-pilote a été adopté par leConseil de l’Union européenne le 18 juin 2007. Ilvise à améliorer la protection des ressortissantsdes Etats membres de l’Union européenne entemps de crise dans les pays tiers, notammentquand certains Etats membres n’ont pas dereprésentation dans le pays concerné. La missiond’Etat-pilote consiste à coordonner les mesuresde protection de l’ensemble des ressortissantseuropéens en temps de crise (information,regroupement, évacuation le cas échéant). A cestade, les Etats membres expérimentent ceconcept dans des pays tiers où deux membres, auplus, de l’Union européenne sont présents. C’estle cas au Tchad où seules la France et l’Allemagnesont représentées.

Dans le cadre de la situation que nous avonsconnue au Tchad, la France a ainsi organiséle regroupement et l’évacuation de près de300 ressortissants de plus de 10 Etats membresde l’Union européenne. Au total, ce sont lesressortissants de plus de 50 pays différents que laFrance a aidé à quitter le Tchad, ce qui représenteprès de la moitié du total des personnes secouruespar l’armée française.

Nécessaire adaptation de notre dispositifaux enjeux de demain

Dans sa lettre de mission adressée au ministre desAffaires étrangères et européennes le 27 août 2007,le Président de la République a souhaité que «leministère des Affaires étrangères et européennesse dote d’une capacité de gestion des crises luipermettant de remplir pleinement son rôle decoordination de l’action extérieure», afin derépondre efficacement aux crises de toute nature.

Dans cette perspective, il était donc prévu qu’undispositif conciliant les exigences d’une veillepermanente et les nécessités d’une réactionimmédiate en cas de crise soit mise en place.

Anticipant cette demande, l’arrêté du 11 juillet 2007 acréé un centre opérationnel de veille et d’appui à lagestion des crises, le centre de crise (CDC). Le centrede crise est conçu comme le point d’entrée privilégiéau ministère pour les postes diplomatiques etconsulaires, les autres administrations et lespartenaires extérieurs intervenant en situation decrise à l’étranger.

Depuis le 1er juillet 2008, le centre de Crise estdoté d’une cinquantaine d’agents, résultantd’une fusion entre la sous-direction de la sécuritédes personnes de la direction des Français àl’étranger et des étrangers en France d’une part etde la délégation à l’action humanitaire d’autrepart.

En effet, le CDC n’a pas seulement vocation à traiterles crises touchant les ressortissants français àl’étranger, mais aussi les crises humanitaires ou lapartie humanitaire d’une crise (ex : catastrophenaturelle impliquant des ressortissants français etnécessitant également d’apporter une aide à unpays démuni).

Avis complémentaires sur les opérations d’évacuation de ressortissants

Les opérations d’évacuation s’inscrivent dans des contextes decrises lointaines et d’hostilités incertaines qui les rendentcomplexes à mener. L’évacuation de près de 15 000 personnes duLiban pendant l’été 2006 a été, de loin, la plus importanteopération de ce genre jamais réalisée par la France.

A l’avenir, pour mettre en place ce type d’opération et rapatrierainsi des milliers de Français et d’Européens à des milliers dekilomètres, il est indispensable qu’un travail d’équipe tel quecelui évoqué plus haut puisse se déployer, sur des basespérennes, en associant différents ministères et notamment celuide la Défense.

Page 83: FRA magazine Doctrine16 NEO

JUIN 2009 DOCTRINE N° 1683

Libres réflexionsLibres réflexions

Entretien AVEC M. PHILIPPE GELINET, DE LA DIRECTION DE LA SÉCURITÉ GÉNÉRALE

ET AVEC M. ROBERT GABERT, RESPONSABLE DE LA GESTION DE CRISE DU GROUPE TOTAL1

1 Ancien officier de Marine, M. GELINET est à la fois chargé du secteur Afrique et expert sur les questions de sécurité maritime au sein de la direction dela sûreté générale. Spécialiste des opérations pétrolières, M. GABERT est un opérationnel du groupe Total qui, dans une première partie de carrière, a passé 25 ans dansles différentes filiales du Groupe à l’étranger. Cette expérience acquise, il est devenu le responsable de la coordination et de la gestion de crise pourl’ensemble du groupe. À ce titre, ils ont accordé à la revue Doctrine cet entretien. Ils y évoquent notamment comment les collaborateurs d’un des premiers groupes françaisdans le monde sont préparés à faire face à l’éventualité d’une évacuation du territoire où ils sont déployés, comment ils font face à ces situationsde crise et quels sont les principaux enseignements qui ont été tirés des dernières opérations vécues.

Page 84: FRA magazine Doctrine16 NEO

DOCTRINE N° 16 JUIN 200984

Quel est le cadre général de votre action ?

Le groupe Total est aujourd’hui une entreprisecomprenant 110 000 collaborateurs, présentssouvent en famille sur l’ensemble des continentsdans 130 pays, répartis sur 1 200 sites,222 terminaux et 23 000 Km de pipelines.

Quelle est la nature des crises auxquellesvous devez être prêts à faire face ?

Compte tenu de la diversité de ses activités quivont de l’exploration à la distribution en passantpar la production, la transformation et letransport de produits souvent dangereux, legroupe Total peut être confronté à des risques detoute forme et de toute nature, qui peuventconcerner tant la sécurité (industrielle parexemple) que la sûreté de ses collaborateurs etde leurs familles dans un pays étranger. Il est clairégalement que notre groupe travaille dans unenvironnement sécuritaire contraint dans plusd’une centaine de pays, sans toujours pouvoirbénéficier de la présence éminemment rassurantede troupes françaises prépositionnées. Or, legroupe Total doit en permanence pouvoir garantirsa capacité à déployer des compétences àl’étranger dans des conditions souventexigeantes. C’est la raison pour laquelle legroupe dispose de ses propres capacités à faireface à un large éventail de crises, cette capacitéétant le gage de la sérénité de leurs familles,corollaire de l’adhésion de nos collaborateursexpatriés. Ceux-ci sont très attachés aux capacitésdont dispose le groupe pour pouvoir non seulementassurer l’analyse de l’évolution des pays danslesquels il évolue, mais également la sécurisationdes familles, voire leur rapatriement.

Comment vous préparez-vous à faire faceà une situation qui se dégrade ?

Dans notre groupe, la gestion de crise est uneactivité que nous avons totalement démystifiée :c’est en effet l’affaire de tous. Depuis le drame quia touché en 2002 à Karachi le personnel expatriéd’un chantier naval, chacune et chacun d’entrenous se considère plus encore comme un acteurpotentiel d’une crise et s’attache à acquérir avecprofessionnalisme la culture de la précaution etde la prévention avec rigueur, réactivité et soucidu travail en équipe. Ceci se concrétise d’abordpar un effort de formation à la gestion et à lacommunication de crise. Des stages réguliersd’une semaine sont organisés au sein du groupe ;

ils sont complétés par des exercices : à titred’exemple en 2007, 50 exercices d’alerte et degestion de crises ont été conduits au niveau desbranches du groupe ; au niveau de la direction de lasécurité générale, nous avons régulièrementl’occasion de participer à des exercices organiséspar les armées et qui comportent systématiquementun volet évacuation de ressortissants. Cettecollaboration nous permet de tester en grandeurnature la complémentarité de nos plans avec ceuxdes autorités diplomatiques et consulaires. Eneffet, des plans de management des crises sont enplace dans chaque filiale avec des dossierscomplets comportant la désignation du personnelqualifié, la définition des missions, des outilsdisponibles dans les différentes salles de crise etdes fiches de méthodologie pour faire face auplus large panel d’incidents possibles. Ces plansrépondent bien à la nécessité d’entretenir unsystème permanent d’alerte.

Pourriez-vous nous décrire le processus de gestion de crise dont vous êtes le coordinateur ?

La multiplicité des crises possibles nous conduit àdévelopper en permanence une prise en comptedu risque sécuritaire de chacun des pays où legroupe Total est présent. Pour cela, nous avonsmis en place un dispositif fondé d’abord sur laveille et l’analyse, ensuite sur la planificationdes mesures à prendre et enfin sur des outils degestion de crises.

Quelles sont les capacités de veille et d’analyse dont vous disposez ?

Les capacités de veille et d’analyse sont assuréesgrâces à une parfaite synergie entre le siège dugroupe, les filiales qui sont sur le terrain et lesorganismes extérieurs comme le ministère desAffaires étrangères et celui de la Défense.S’agissant tout d’abord du groupe, nousdisposons au sein de la direction de la sécuritégénérale d’une capacité d’expertise permettantl’analyse et la compréhension des crises possiblesdans les domaines politiques, institutionnels,économiques et sociaux. Les informations dontdisposent les filiales permettent ensuite de validerces analyses en liaison avec les partenairesextérieurs (consultants, ministères concernés...).Ce travail débouche ainsi sur un dossier par payspermettant de dresser la liste des risques dontcelui-ci fait ou pourrait faire l’objet. Cette capacitéà entretenir une veille stratégique et à disposer

Avis complémentaires sur les opérations d’évacuation de ressortissants

Page 85: FRA magazine Doctrine16 NEO

d’outils d’analyse croisée avec nos principauxpartenaires institutionnels débouche ensuite surun travail de planification.

En quoi consiste ce travail de planification ?Notre travail de planification est de deux natures.Grâce au travail de veille et d’analyse, nousdisposons en effet d’une planification à froidpour chacune de nos filiales. L’objectif est encoreune fois de se préparer à toute éventualité ycompris dans des régions où le risque ne fait paspartie des préoccupations quotidiennes.

En cas de crise, la subsidiarité s’impose et c’estla filiale qui conduit localement les opérationsavec le concours de notre cellule de crise installéeà Paris. Celle-ci lui apporte en effet plutôt sonassistance pour la phase aiguë de la crise dansdes domaines où la filiale ne dispose pas desexpertises ou si la collaboration avec despartenaires comme les Affaires étrangères ou laDéfense s’avère nécessaire.

Sur quoi débouchent ces différents travaux de planification ?

Le travail de planification qui est conduit, tant ausein de la filiale qu’à partir du siège, permetd’élaborer des plans de sûreté, à partir d’uneapproche matricielle. En effet, ces plans

permettent de définir des niveaux d’alerte quisont ensuite déclinés par des types de mesures àappliquer sur le terrain. La possibilité deregrouper le personnel dans un hôtel ou derapatrier les familles constitue un exemple desmesures qui peuvent être prises pour faire face àune crise. Ces plans de sûreté comportentégalement des plans d’évacuation. Ceux-ci sontréalisés en liaison très étroite avec l’ambassadeou le consulat qui tient à jour les plans d’îlotagedans lesquels ils s’intègrent.

Dans quelles circonstances êtes-vousamenés à participer à une opération d’évacuation de ressortissants ?

Compte tenu de son implantation dans le mondeentier, le groupe a souvent été confronté à laproblématique du rapatriement ou de l’évacuationde ses collaborateurs. Pour chaque site et danschaque pays, les plans d’évacuation existent etpermettent de réagir de manière appropriée. Leproblème est bien sûr abordé de manière différenteselon que les opérations sont conduites par lesforces armées françaises ou non. Dans le premiercas, l’évacuation est une opération militaire telleque décrite dans les articles de cette revue. Mais lecas est assez fréquent où, en l’absence de forcesprépositionnées ou d’évacuation décidée par legouvernement, le rapatriement des familles de noscollaborateurs voire de ceux-ci est organisédirectement par le groupe.

JUIN 2009 DOCTRINE N° 1685

Libres réflexionsLibres réflexions

Phot

o fo

urni

e pa

r le

s au

teur

s

Page 86: FRA magazine Doctrine16 NEO

DOCTRINE N° 16 JUIN 200986

Ainsi, à titre de prévention, on peut décider unrapatriement limité aux familles et auxcollaborateurs essentiellement impliqués dans leback office. Ceci permettra la poursuite de laproduction et la mise en sécurité desinstallations.

Lorsqu’il estime en effet que la sécurité de cesderniers est en question, comme ce fut le cas enRépublique de Côte d’Ivoire en 2004 ou au Tchaden 2008, l’évacuation est alors décidée,généralement par les autorités diplomatiques enliaison avec les forces militaires chargéesd’assurer la sûreté des points de regroupement.

Quels sont les principaux enseignementsque vous avez pu retirer de ces opérations?

Le premier enseignement tiré des rapatriementsou des opérations d’évacuation vécus par legroupe Total est la nécessité de disposer d’unsystème d’alerte permanent et d’un réseau localpermettant d’anticiper toute dégradation de lasituation. Nos responsables de filiales portentainsi un intérêt tout particulier à la prise encompte par chacun de nos collaborateurs desmesures à adopter en cas d’urgence, qu’ils’agisse des points de regroupement à connaîtreet de l’intégration dans l’îlotage organisé parl’ambassade ou le consulat.

Le second enseignement tient à l’indispensablecapacité à conduire au niveau local et dansl’urgence la gestion d’une crise. Celle-ci étant

généralement imprévisible dans son déroulementparticulier, seule une bonne connaissance desprocédures à appliquer permet d’éviter de céder àla panique. Cela peut tenir à des choses simplescomme par exemple de disposer en temps réeld’une parfaite connaissance des collaborateursprésents sur le site ainsi que de leur famille. C’estce que nous appelons le personnel on board(POB). Quelle que soit la précision des plansd’évacuation réalisée, il est toujours délicat deconnaître, à l’instant où se déclenchent lesopérations, les effectifs présents effectivement.

Il convient aussi de souligner l’importance desmoyens de communication. Il est en effetindispensable dès le début de la crise d’avoir laliaison avec l’ensemble de nos collaborateursd’une part et avec les autres parties prenantes(ambassades ou consulats, forces militaires pré-positionnées et le cas échéant, forces militairesou de police locale). Disposer de ces liaisonsrésout une bonne partie des problèmes, permetde donner des consignes et de rassurer.

D’une manière générale, nous sommes bien sûrparticulièrement attentifs à l’exploitation desenseignements tirés des différentes opérationsauxquelles nous avons été confrontés. Le retourd’expérience montre ainsi toute l’importance àaccorder à la rigueur dans l’organisation, lasolidarité dans le travail d’équipe, la réactivité àcultiver, les réseaux à entretenir pour êtreefficace, l’importance d’une communicationexterne et interne parfaitement maîtrisée ettransparente.

Avis complémentaires sur les opérations d’évacuation de ressortissants

Enfin, en conclusion, je voudrais souligner l’excellente coopération entre le groupe Total et ses

correspondants naturels que constituent à Paris la direction des Français à l’étranger du

ministère des Affaires étrangères ainsi que l’état-major des armées.

Page 87: FRA magazine Doctrine16 NEO

JUIN 2009 DOCTRINE N° 1687

Libres réflexionsLibres réflexions

Kolwezi, ou la première évacuation de ressortissants

PAR LE GÉNÉRAL DE CORPS D’ARMÉE BRUNO DARY1

Le jour du 30e anniversaire de l’opération aéroportée sur Kolwezi et à la demande du Figaro, j’avais écrit un article,pour expliquer le triple pari que constituait à l’époque cette opération. Sans en reprendre in extenso les termes etnotamment sa conclusion, je me permets de revenir sur ce sujet, non pas pour raconter une fois encore mescampagnes, mais plutôt pour évoquer cet événement à travers la ‘‘grille de lecture’’ des évacuations deressortissants, car tel était bien le premier but de cette opération, le saut en parachute ne devant pas occulter safinalité.

Bonite, en effet, fut la première ‘‘RESEVAC’’, qui, malheureusement fut suivie par de nombreuses autres. J’emploievolontairement le terme de ‘‘malheureusement’’, car toute opération d’évacuation, aussi brillante soit-elle sur leplan tactique, reste cependant un échec politique et humanitaire, et même plus que cela, elle est en effet parfois,notamment pour le pays qui a été le théâtre de l’évacuation, un ‘‘accélérateur de crise’’, puisque le départ desressortissants, européens pour la plupart, entraîne des pillages supplémentaires et l’arrêt de nombreuses petitesentreprises.

Pour en revenir à Kolwezi, il ne faut pas oublier le triple pari que constitua à l’époque cette opération et qui expliquesans doute son retentissement international, car le succès n’était pas garanti d’avance.

Le pari politique…

Kolwezi fut d’abord un fabuleux pari politique. Ilfaut se rappeler le contexte de 1978, celui de laGuerre froide, où les Etats-Unis, sous laprésidence de Jimmy Carter, sont en phase derepli sur eux ; cette situation laisse le champ libreaux Soviétiques, qui, par puissance interposée,en l’occurrence Cuba, déstabilisent l’Afrique parune stratégique indirecte. Ainsi, l’Angola sert-il debase de départ pour l’invasion du Shaba en 1978 ;le mois de mai se situe juste à la fin de la saisondes pluies, ce qui rend les pistes carrossables etpermet une attaque surprise de la ville. La Franceest donc seule sur l’échiquier mondial et africain.De surcroît, le Zaïre est un pays immense, quireprésente plus de cinq fois la France  ; aussi,mettre un pied dans la province du Shaba revientà mettre un pied dans un pays gigantesque, cequi, même en cas de succès initial, risqued’enliser notre pays pour de longues années,comme l’est l’ONU aujourd’hui. Or la France vagagner ce premier pari, par une opération

audacieuse, courte, intense et bien ciblée, quipermettra d’abord le sauvetage de plusieursmilliers de vies humaines et qui suscitera, enoutre, la pleine adhésion de la communautéinternationale.

Le pari stratégique…

Le saut sur Kolwezi a été et restera également unpari stratégique majeur. L’histoire des opérationsaéroportées nous révèle que si elles ontenregistré des succès éclatants, elles ont étéaussi le tombeau de beaucoup de parachutistes.Pour Kolwezi, les délais sont très contraints, carles interceptions radios font état de pillageset d’exécutions sommaires d’Européens etd’autochtones, ce qui impose une intervention,conduite dans l’urgence, sans planification etavec un largage au plus près de l’objectif. Enoutre, les moyens français sont limités  : laprojection depuis la France est assurée par desavions civils réquisitionnés et parmi les 6 avions

1 Le GCA Dary,gouverneur militairede Paris etcommandant de laRT Ile-de-France,était lieutenant chefde section à Kolwezi.

Page 88: FRA magazine Doctrine16 NEO

DOCTRINE N° 16 JUIN 200988

tactiques du largage, deux seulement sontfrançais. Si les moyens aériens sont précaires, lesautres le sont tout autant, puisque une fois au solles légionnaires ne peuvent compter que sur eux-mêmes et leur sens de la débrouillardise. En fait,il s’agit d’un vol sans retour possible ; une fois lelargage décidé et effectué, les légionnaires nepeuvent espérer ni soutien, ni appui feu, ni renfortà moins de deux ou trois jours.

Or le 2e REP va gagner ce pari stratégique parune opération militaire exemplaire, alliée à unemission humanitaire remarquable  ; en effet, enmoins de 24 heures, les unités vont s’emparerrapidement de quelques points majeurs de la ville,qui seront autant de ‘‘points de regroupement’’, etqui, en déstabilisant l’adversaire, visent à lui fairearrêter les massacres. Dans les jours suivants, unefois la majorité des civils mis à l’abri ou évacués, lerégiment devra sécuriser les faubourgs et lesvillages environnants, pour repousser l’ennemisur ses bases de repli en Angola.

Le pari tactique…

Les décisions politiques les plus pertinentes et lesmanœuvres les mieux conçues ne peuvent réussirque si elles se concrétisent par une exécutionrigoureuse, et c’est bien ce qui va se passerdurant l’engagement ; c’est le troisième pari de

cette opération, le pari tactique. A cette époque,en effet, ceux qui ont connu le feu, dans les rangsde l’armée française et même au 2e REP, que cesoit en Algérie ou au Tchad, sont une poignée ; àtitre d’exemple, au sein de la 4e compagnie àlaquelle j’appartenais, seul l’adjudant d’unitéavait une expérience opérationnelle.

Ce pari tactique a été gagné, car le REP palliaitcette absence d’expérience opérationnelleconcrète par plusieurs facteurs qui furentprépondérants : un entraînement continuel, danstoutes les circonstances, par tous temps et danstous les domaines ; le régiment, sans prétendreen avoir le monopole, était ‘‘surentraîné’’. Il avaitaussi une excellente forme physique, ce qui apermis d’encaisser sans difficulté l’accumulationde fatigue liée à la projection, aux nuits courtes,au stress du saut dans l’inconnu, au poids desmunitions à transporter, et aux déplacements àpied. Enfin, troisième facteur essentiel, le moraldu régiment, car si nous n’avions que peu derenseignements sur l’adversaire, nos forcesmorales, renforcées par la justesse de notrecause, nous conféraient une ardeur, et même plusque cela une force d’âme, qui était palpablesimplement dans le regard des légionnaires,embarqués dans le bruit assourdissant desmoteurs, équipés pour le saut, chargés commedes mulets, et volant vers une destination connuemais incertaine.

ECPA

DAvis complémentaires sur les opérations d’évacuation de ressortissants

Page 89: FRA magazine Doctrine16 NEO

Et une leçon pour les générations à venir

Je me permettrais de tirer quelques leçons àtravers ma propre expérience et notamment mespremiers pas dans cette ville.

Chef de la 2e section, j’appartenais à la4e compagnie, commandée par le capitaine Grail,qui 20 ans plus tard deviendra le généralcommandant la Légion étrangère  ; nous fûmesdésignés pour faire partie de la 2e vague d’assaut,qui survola Kolwezi le 19 à la tombée du jour, maissur ordre du colonel Erulin et par précaution, ne futlarguée que le lendemain à l’aube, non loin de laville européenne. La première mission donnée à lasection fut de rechercher une ‘‘maison de cequartier, où se trouverait un charnier’’… Quelledéception pour moi et la section qui espérions bien‘‘rattraper le retard’’ sur nos camarades parachutésdepuis la veille. Remplissant la mission plus dans saforme que dans son esprit, je rendis compte peu detemps après que rien n’avait été trouvé, mais qu’enrevanche nous étions prêts à reprendre la missionavec la compagnie  ; la réponse ne se fit paslongtemps attendre : ‘‘Gris 22 ! Vous reprendrez lamission avec la compagnie, une fois que vous aurezdécouvert ce charnier…’’. Peu de temps après, peut-être une heure, après avoir recoupé différentesinformations auprès de la population encore cachéechez elle et quelques autochtones, je découvrisavec horreur le charnier, où une trentained’Européens avaient été regroupés, avant d’êtreabattus  ; j’accueillais et guidais ensuite lesjournalistes vers la maison où avait eu lieu lemassacre. Une semaine plus tard, une photo de cecharnier faisait la première de couverture de Paris-Match… Cette action et surtout sa médiatisationpermettaient à la fois de légitimer l’opération dela France et de décrédibiliser notre adversaireaux yeux de l’opinion publique.

Cet incident appelle trois remarques de ma part : - d’abord, la discipline fait encore la force

principale des armées et comme le rappellele code d’honneur du légionnaire ‘‘la missionest sacrée’’  ; je rajouterai pour les jeunesgénérations qu’il n’y a pas de ‘‘petite mission’’,et que chacun n’a pas à juger de la missionreçue, surtout en opérations, qu’il doit faire

confiance à ses supérieurs, mais que chacuned’elles exige un investissement complet detous ;

- on peut noter que le raisonnement d’un chef desection n’est pas celui de son chef de corps,voire du chef de l’Etat ! Mais tous les deux sontrespectables, même si celui du chef resteincontestablement prioritaire : celui-ci, en effet,une fois les premiers succès confirmés, cherchealors des indices incontestables pour justifiercette intervention à l’égard de la communautéinternationale ; il s’agit d’un paramètre-clef desopérations modernes, la légitimité. En revanche,celui-là a hâte d’en découdre, ce qui est logiquedans le contexte d’une telle opération ; n’ayonspas peur de dire que c’est une richesse pourl’armée française de disposer ainsi d’unitésardentes pour partir en opérations ;

- enfin, je crois qu’il est toujours souhaitable, etsouvent possible, dès qu’on le peut, d’éviter le“choc des logiques’’ ; en effet, lorsque les délaisle permettent, ce qui n’était peut-être pas le casà Kolwezi, on a tout à gagner, ne serait-ce que parsimple efficacité, à replacer toute action dans soncontexte, pour en expliquer la finalité, la placeet l’importance dans le contexte plus général dubut poursuivi. Il s’agit simplement de donner unsens à son action.

Le deuxième exemple que je voudrais évoquerconcerne la pénurie des moyens à cette époque-là ;le régiment ne disposait pour son entraînement etses déplacements que de GMC, qui consommaienten moyenne quelque 50 à 60 litres/100km, soit unlitre par minute sur les pistes africaines. Près d’unecinquantaine d’entre eux furent aérotransportés pardes Galaxy américains, deux ou trois jours après lesaut, ce qui nous redonna notre mobilité tactique etopérative. Avant notre retour en France, il nous avaitété demandé de les laisser gracieusement auxMarocains, qui venaient nous relever, mais quicommencèrent d’abord par les refuser, les trouvanttrop vieux, mais finirent par accepter ! Quant à nous,c’était le retour en Corse, où quelques jours plustard, nous perçûmes 60… GMC qui venaient d’êtredéstockés de leur position de ‘‘mobilisation’’ et aveclesquels nous reprîmes notre entraînement…

JUIN 2009 DOCTRINE N° 1689

Libres réflexionsLibres réflexions

Alors ceux qui se plaignent aujourd’hui de ne pas disposer de toute la panoplie requise pour

conduire une instruction de qualité, qu’ils se consolent et qu’ils se disent que les GMC de leurs

anciens ne les ont pas empêché de s’entraîner et de sauter à Kolwezi !

‘‘Il nous manquera toujours un sou pour faire cent sous !’’

2 Chaque compagnieavait une couleur, enl’occurrence Gris pourla 4e compagnie, etcomme je commandaisla 2e section, monindicatif à la radio étaitGris 2.

Page 90: FRA magazine Doctrine16 NEO

DOCTRINE N° 16 JUIN 200990

Atouts tactiques fondamentaux de la roquette unitaire

Rôle défensif : l’artillerie sauve des vies

Bien que le résultat ne soit pas chiffrable,l’artillerie sauve de nombreuses vies au sein desforces occidentales, un rapport de la Chambredes Communes en fait même état1. Cela estessentiel dans ce type de conflit et expliquepourquoi il y a des pièces d’artillerie ou de mortierslourds sur la quasi-totalité des bases, y compriscelles des forces spéciales. Cela expliqueégalement pourquoi l’artillerie britannique n’acessé de se renforcer depuis 2006 en Afghanistan.

Rôle offensif : la roquette unitaire = portée et rapidité

Avant l’arrivée en Afghanistan de la roquette enjuin 2007, les Britanniques sollicitaient l’appuides canons de 155 mm canadiens pour lesmissions offensives, car le calibre de 105 mm étaitparfois insuffisant.

Désormais, la roquette unitaire (RU) fait entrerl’artillerie dans une ère nouvelle, elle est unmoyen d’appui très sollicité. La portée de 70 km,franchie en 150 secondes dépasse de très loin lescapacités de réactivité des autres appuis (30 mnen moyenne pour un aéronef en alerte).

La roquette unitaire réduit les dommagescollatéraux

La précision et la charge militaire de la RUinférieure à celle des munitions aériennesréduisent le risque de dommages collatéraux. Elleest devenue pour les forces américaines etbritanniques l’arme d’appui privilégiée pour lescombats en milieu habité. Depuis juillet 2007, cesderniers ont multiplié les missions feux des RU et unrapport du comité de défense de la Chambre desCommunes du 3 juillet 2007 établit clairement quele déploiement récent de la RU va améliorer laprécision et réduire les risques de victimes au seindes populations.Les tout premiers tirs opérationnels de la RUayant eu lieu en septembre 2005, les leçonsd’opérations précédentes relatives aux moyens

1 13th report DefenceCommittee session2006-2007 du 3 juillet2007, p 45.

Autres contributions à la réflexion doctrinale

La complémentarité des feux vue par les Anglais

PAR LE LIEUTENANT-COLONEL OLIVIER FORT, OFFICIER DE LIAISON À LARKHILL (ROYAUME-UNI)

AAl’heure où la France se prépare à des décisions majeures concernant les capacités de ses forces armées,décisions qui lui imposeront d’optimiser ce qu’elle conserve, il est primordial de recueillir l’expérience de nosplus proches alliés.

Depuis la bataille de Castillon en 1453, il n’y a pas de victoire sans la maîtrise des feux.Ceux-ci revêtent des formes variées, artillerie classique, aviation légère (hélicoptères armés), avions, missiles,roquettes et demain drones armés. Cette variété est une source de complexité. Si cette dernière est bien assumée,elle garantit le juste effet au bon moment et devient l’outil décisif, a contrario elle peut être contreproductive,générant indécisions, dommages collatéraux ou tirs fratricides.

C’est la problématique à laquelle ont été confrontés les Américains en Irak et les Anglais en Afghanistan. C’estcette dernière expérience que vont développer les lignes qui suivent.En juin 2007, les Britanniques déployaient leur nouveau système d’artillerie, tirant des roquettes à 70 km, avec uneprécision inférieure à cinq mètres. Cela a véritablement révolutionné les appuis, rappelant qu’en tactique, si lesprincipes demeurent, les modalités d’exécution dépendent des capacités mises en œuvre.

Page 91: FRA magazine Doctrine16 NEO

d’appui indirect sont partiellement obsolètespour les armées équipées de cette nouvellemunition.

Pertinence contemporaine de cette munition

La roquette unitaire est la munition la mieuxadaptée aux tactiques asymétriques

L’artillerie est l’arme de la surprise. L’expériencede nombreux micro-engagements montre quependant le survol des zones de combat, lesTaliban se protègent et se dissimulent ; enrevanche, ils sont totalement surpris par l’arrivéed’obus ou de roquettes.

La précision de la roquette et sa moindre létalitépar rapport aux munitions aériennes sontparfaitement adaptées au tir au voisinage destroupes amies, cela permet de contrarier latactique des Taliban, qui vise à s’approcher aumaximum de la cible, afin de réduire ledéséquilibre en moyens d’appui.

L’artillerie (canon et roquettes) permet degraduer la réponse à une attaque

La présence de l’artillerie permet de graduer lariposte face à une attaque ennemie et d’employerdes moyens efficaces, sans recourir d’emblée àl’usage de munitions à très haut pouvoir dedestruction.

La roquette unitaire est l’arme de la sécuritédes troupes amies

Sa présence peut diminuer le risque pour leséquipages d’hélicoptères armés ou d’avionsd’attaque au sol, en fonction de la menace sol-air.De plus, elle n’est pas guidée laser et n’a pasbesoin d’une équipe qui illumine l’objectif. Enfinen 2003 des bombes guidées laser sont tombéestrop court, car le rayon a été arrêté par desnuages de poussière2.

L’artillerie offre une meilleure garantied’autonomie dans le domaine des appuis

La présence d’artillerie permet au chef de la forceterrestre de disposer d’une autonomie et doncd’une capacité de réaction instantanée, capacitéqui n’est pas garantie dans un contextemultinational (les moyens CAS d’une autre nationauront tendance à être redirigés en cours demission pour appuyer les unités du mêmecontingent prises à partie).

L’artillerie est un type d’appui économique

Elle vient en complémentarité des aéronefs.Lorsque ces derniers sont les seuls appuisdisponibles, ils sont soumis à une très fortepression qui use physiquement l’engin et sonpilote3. L’engagement de l’artillerie permet auxappuis aériens de se concentrer sur leursmissions spécifiques. Cela réduit de façonsignificative les coûts des opérations, tout enaugmentant de manière sensible la capacitéopérationnelle. Evitant ou limitant au juste

niveau, la présence d’aéronefsen alerte dans le ciel,l’artillerie redonne une grandeliberté d’action au chefinterarmes, qui peut denouveau disposer de moyenspour sa manœuvre.

L’artillerie est un moyend’appui adapté aux phasesde reconstruction d’un conflit

L’artillerie est un moyen discretcapable de remplir des missionssans quitter sa base, alorsque le survol d’aéronefs peutcontribuer à renforcer l’impres-sion de guerre auprès despopulations (leur rôle dissuasifne s’applique -éventuellement-qu’à l’ennemi). En Afghanistanle survol constant des avions -sans mentionner les dom-

JANVIER 2009 DOCTRINE N° 1691

2 Les armes guidéespar GPS sontcomplémentairesdes armes guidéespar laser, il ne s’agitpas de les opposer.

3 L’usure pourle pilote estégalement morale ;il est arrivé que despilotes dussentabandonner desalliés avant de leurfournir l’appuiindispensable parcequ’ils étaientdéroutés pour unepriorité nationale.

SIR

PA T

erre

Libres réflexionsLibres réflexions

Page 92: FRA magazine Doctrine16 NEO

DOCTRINE N° 16 JUIN 200992

4 L’intervention type estl’unité standard quipermet un effettactique. La différenced’appréciation entreles Américains et lesBritanniques est à lafois culturelle etfinancière. L’approchefrançaise va dans lesens des Britanniques.

5 Bilan début octobre.

6 L’approche économiqueest de plus en plusmise en avant chez lesbritanniques, elledevrait trouver deséchos en France oùles moyens sontencore plus comptés.

7 Une traduction littéralepar équipe d’appui feune convient pas à laréalité française(il pourrait y avoir uneconfusion avec deséquipes d’infanterie)il est préférabled’utiliser uneformulation : équipede coordination et decontrôle des appuisfeux rapprochés.

Autres contributions à la réflexion doctrinale

L’expérience britannique ne minimise pas le rôle des forces aériennes, qui est essentiel, mais montre

l’intérêt de la complémentarité de l’artillerie et de l’appui air-sol dans toutes leurs composantes. Cette

complémentarité pourrait même se traduire par la mise sur pied de petites équipes interarmées de

«contrôle des feux» s’appuyant sur la structure des équipes d’observation d’artillerie, destinées à

mettre en place l’ensemble des feux d’appuis qui peuvent être coordonnés sur un théâtre. Cette

intégration interarmées, idéale à long terme, demande une longue acculturation du personnel de l’armée

de l’air aux procédés tactiques de l’armée de terre, il est en revanche très rassurant pour le pilote de

savoir que l’équipe qui le guide connaît bien ses modes d’action.

Sous la pression des engagements, les Américains, Canadiens, Allemands et Britanniques ont déjà

confié à l’artillerie cette responsabilité interarmées, créant de facto un standard OTAN. C’était le thème

principal du dernier symposium international d’artillerie à Fredericton au Canada. Les autres armées

occidentales, dont la France, mènent également des réflexions qui vont dans le même sens.

En Grande-Bretagne 14 contrôleurs aériens se trouvent dans les unités d’artillerie, en 2008 les droits

ouverts augmentent de 25, et augmenteront encore par la suite pour arriver au total de 56. Les

contrôleurs aériens britanniques sont des artilleurs, la plupart du temps sous-officiers et sont intégrés

aux nouvelles Fire Support Teams7, qui comprennent également des observateurs d’artillerie, de

mortiers et d’appui hélicoptère d’attaque. Ces équipes remplacent les équipes d’observation

traditionnelles. Leur efficacité repose sur leurs multiples compétences techniques, mais surtout sur leur

connaissance des troupes appuyées et du milieu humain dans lequel elles évoluent. Sans fermer la porte

à la participation de spécialistes issus de l’armée de l’air, elles sont donc, par nature, des forces

terrestres.

mages collatéraux réguliers- est un reproche fait àla coalition par le président Karzaï. L’artillerie estadaptée à toutes les phases d’un conflit tant quesubsiste une menace, même résiduelle.

Complémentarité des feux tirés du cielet du sol

Les expériences tirées de l’emploi de l’US AirForce ne sont pas transposables à l’armée del’air

Les forces armées doivent aussi se préparer àd’autres conflits que l’Afghanistan, et il convientde souligner que la plupart des leçons tirées dece conflit s’appuient sur les capacités desvecteurs aériens américains, comme le A-10 oul’AC-130 Gunship. Dans le cadre d’une actionautonome de la France, nous ne serions pas enmesure de disposer des mêmes vecteurs, et ladisparité en matière de munitions est du mêmeordre. Cette donnée relativise considérablementl’importance de l’arme aérienne par rapport àl’artillerie.

Bien sûr la comparaison avec l’artillerie françaisen’est pas valide tant que nous ne disposons pas dela roquette unitaire. Il faut néanmoins souligner quedepuis 2005, les Américains ont en moyenne tiré8 roquettes unitaires par mois -l’interventiontype4 étant égale à trois- tandis que depuis le12 juillet 2007 les Britanniques ont tiré 48roquettes5 unitaires, soit 16 par mois -alorsqu’une intervention type britannique estseulement d’une roquette. Bien qu’elle doiveultérieurement être validée par une étudeapprofondie, cette comparaison tend à montrerque pour les Britanniques, qui disposent deforces aériennes comparables aux nôtres,l’emploi de roquettes unitaires revêt uneimportance plus grande que pour les Américains,qui disposent d’une gamme de vecteurs d’appuiair-sol bien plus sophistiqués6.

Page 93: FRA magazine Doctrine16 NEO

LLa guerre ne s’exprime plus sur le champ debataille où le tacticien cherchait encore hierà obtenir une supériorité décisive. Elle se

déroule le plus souvent au sein des populationset dans les villes, là où la supérioritétechnologique occidentale est amoindrie, là oùelle peut être gauche et brutale et donc parfoisinjuste. L’environnement au sein duquell’adversaire irrégulier provoque le soldatoccidental est complexe, multiple, mouvant etincertain. Pour agir efficacement sans sediscréditer durablement, il importe aujourd’huide comprendre cet environnement et, par làmême, l’adversaire. C’est tout l’enjeu majeurque le renseignement doit aujourd’hui releverpour répondre aux besoins exprimés1.

Or, le renseignement de l’armée de terre est-ilaujourd’hui structuré pour répondre à l’attentelégitime et parfois exacerbée du chef enopérations ? Est-il capable de prononcer cet effortde compréhension qui passe inévitablement parune analyse qualitative toujours plus élaborée ?

La réponse est indiscutablement et globalementnégative. La création d’une arme du rensei-gnement grâce au recrutement, et donc à lagestion de sa ressource humaine propre, enparticulier ses officiers, semble être uneréponse possible et durable à l’effort deconnaissance et d’anticipation que les crisesactuelles et à venir imposent. A tout le moins, lecommandant de la fonction renseignement doitavoir un rang suffisamment élevé pour peser sursa gestion.

Comprendre l’adversaire, comprendre les ressortsd’une situation politique, économique, religieuseoù il se fond, requiert des experts toujours plusperformants. Or, la fonction renseignement del’armée de terre est aujourd’hui bâtie sur unestructure profondément inadaptée2. Accepteraujourd’hui de fédérer les acteurs spécialisés dela recherche et de l’exploitation du rensei-gnement dans une arme est une réponsepossible à l’expression du besoin formulé parle chef au combat.

JUIN 2009 DOCTRINE N° 1693

Libres réflexionsLibres réflexionsPour une arme du renseignement

PAR LE COLONEL BREJOT*, OFFICIER LIAISON À FORT LEAVENWORTH (USA)

LLe XXIe siècle est né à Berlin en 1989 car, alors que certains se ruaient bien imprudemment sur la récolte

de dividendes de la paix imaginairement réalisés, la guerre faisait son retour. On la crut morte pendant

45 ans, éliminée par l’effet démultiplicateur de puissance de la bombe atomique. Les «petites guerres» qui

ont jalonné l’après-second conflit mondial étaient confinées à des espaces où l’Alliance atlantique et le

Pacte de Varsovie choisissaient de s’interdire la montée aux extrêmes. Mais la bipolarité menaçante et

stabilisatrice a laissé place au désordre (qui n’a pas été imaginé durable) avec la disparition de l’empire

soviétique. L’éclatement de l’ex-Yougoslavie dès 1991 est la première expression du retour de la guerre. Le

monde ne s’en est pas vraiment rendu compte. Ce n’est pas la guerre clausewitzienne, qui est de retour.

C’est la guerre ancienne, antique, primitive, mâtinée de terrorisme mondialisé qui réapparaît.

«L’incertitude marque notre époque», écrivait le général De Gaulle en 1932, dans le Fil de l’Épée. Le

désordre international est tel aujourd’hui que l’hyper-incertitude marque le début du siècle nouveau,

pourrait-on dire.

* Anciennement au CDEF/DDo

1 C’est d’ailleurs aussiun enjeu pour lesconseillers politiques,les actions civilo-militaires et lesopérations d’influence.

2 C’est un réservoircomprenant despersonnels d’armesdiverses qui alternentpostes renseignementet retour dans l’armed’origine.

Page 94: FRA magazine Doctrine16 NEO

DOCTRINE N° 16 JUIN 200994

Une adversité toujours plus complexe Depuis la première guerre du Golfe et l’opérationDaguet en 1991, les armées françaises se sontengagées en Bosnie-Herzégovine, au Kosovo, enCroatie, en Albanie, en Macédoine, enAfghanistan, au Tchad, en Côte d’Ivoire, auRwanda, au Congo, en Somalie, en Haïti, enIndonésie, etc. Cette liste incomplète de crises,d’intensité, de nature et de durée diverses, n’ad’autre but que de rappeler l’extraordinairedifficulté d’acquérir aujourd’hui la culture locale,au sens où l’officier des affaires indigènes ou lechef d’une section administrative spécialisée(SAS) en Algérie pouvaient l’entendre au sièclepassé, dès lors que les crises éclatent -géographiquement dans des espaces aussi variés.Or, la compréhension de l’environnement danslequel les crises actuelles et à venir à court etmoyen terme éclatent, aussi difficile soit-elle, estfondamentale, non seulement et classiquementpour les experts du niveau stratégique, mais aussiet surtout pour ceux qui recherchent et analysentle renseignement tactique.

Il est d’autant plus crucial aujourd’hui decomprendre l’environnement dans lequel laforce agit, que la «guerre probable»3 s’inscritdans la durée avec une phase de stabilisation4

qui mobilise toutes les énergies militaires,politiques, économiques, diplomatiques, etc.pour atteindre un effet final recherché parfois

tout juste formulé. Les engagements ont lieu leplus souvent au sein des populations5 et doncdans des milieux urbains où se heurtent denombreux intérêts divergents. Ce faisant,l’analyste du renseignement doit, sous peined’incompréhension profonde, investir dans uneanalyse systémique6 qui requiert intelligence,expérience et maturité, toutes qualités quidevraient être une forme d’aboutissement d’unecarrière consacrée au renseignement.

Dans cet environnement complexe évolue unadversaire irrégulier car, face à la supérioritéécrasante de la technologie occidentale, ilchoisit l’évitement, le contournement. Souventau fait des capacités des armées occidentales,décrites à l’envi dans nombre de magazines etjournaux, il adapte intelligemment ses équi-pements, ses modes opératoires et les met enœuvre là où la technologie peine à s’exprimer. Lacomplexité s’exprime aussi par le choc cultureld’agissements terroristes qui font considérerl’adversaire comme un barbare7. La subjectivitéqui en naît trouble nécessairement l’analyse froidedes faits que le renseignement tactique doitmener. Elle conduit même au risque majeur quiconsiste à considérer l’adversaire irrégulier,agissant dans l’asymétrie8, comme un «va-nu-pieds» du Tiers-Monde, profondément barbare etdonc méprisable. Or, cet adversaire est intelligent.Il adapte ses équipements opérationnels bien plusvite que l’acteur étatique empêtré dans desprogrammes industriels interminables. Il sait

3 La guerre probable,général VincentDesportes, Economica,Paris 2007.

4 FT-01, Gagner labataille, Conduire àla paix, CDEF, Paris,janvier 2007.

5 L’utilité de la force,général Rupert Smith,Economica, 2007.

6 RENS 100, tome 2,Doctrine durenseignement del’armée de Terre,2008 : l’analysesystémique a pour butde déterminer leséléments d’unsystème quelconque(politique, militaire,économique, social,etc.) puis d’analyserson fonctionnement etles relations existantau sein du système.De cette analyse, onpeut déduire surquelles parties dusystème agir pourproduire des effetsparticuliers quiconcourent à laréalisation de lamission.

7 Généalogie desbarbares, Roger-PolDroit, Odile Jacob,2007.

8 Les guerresasymétriques,BarthélémyCourmont, DarkoRibnikar, IRIS, PUF,2002.

Autres contributions à la réflexion doctrinaleSI

RPA

Ter

re

Page 95: FRA magazine Doctrine16 NEO

manier l’information, en fait une arme pouraffaiblir des volontés nationales peu mobilisées(en particulier en Europe) pour la défense d’un«avant lointain» si peu menaçant pour le pouvoird’achat. Il a par ailleurs le temps pour lui lorsqueles démocraties sont sous la pression de cyclesélectoraux si répétitifs.

L’analyse de la manœuvre possible de la divisionmécanisée soviétique engagée en Allemagne del’ouest face aux forces de l’OTAN nécessitait uneparfaite connaissance de la doctrine soviétiquepour identifier son mode d’action potentiel. Queces combats se déroulassent en Pologne, en RFAou aux Pays-Bas, peu importait l’environnementcar les populations se réfugiaient en dehors deszones de combat, comme en 1914 et 1940. Onimaginait un affrontement certes sur de largesfronts mais en somme sur le champ de batailleclausewitzien.

Le renseignement tactique est devenu extraor-dinairement plus complexe par l’amplitude dece qu’il convient de rechercher, par la naturemême de l’information à recueillir. Il n’y a plusune doctrine adverse, soigneusement mise à jourannuellement, mais une multitude de référencesculturelles, religieuses, éthiques, de butsnationalistes, mafieux, etc., qui mobilisent lesénergies de combattants étatiques ou non. Là oùil fallait, avant, savoir la doctrine adverse pourcomprendre ses intentions, il faut dorénavantcomprendre qui est l’adversaire (et son envi-ronnement) pour savoir où et comments’engager avec pertinence.

Or, l’organisation du renseignement tactique est par nature inefficace

L’évolution de la nature des combats actuels etprobables redonne à l’homme une placecruciale. L’historien Martin Van Creveld ledécrivit d’ailleurs très bien en 1991 dans Latransformation de la guerre9.

Il est évident que la recherche durenseignement s’inscrit naturellement danscette logique. Le rôle que l’homme y joue

aujourd’hui ne fait que s’accroître. Il estd’ailleurs décrit dans la doctrine durenseignement d’origine humaine de l’armée deterre10 qui impose même au soldat nonspécialisé des formations élémentaires pour larecherche d’informations.

L’armée de terre prononce aussi un effort notablepar la création dès 2008 des unités derenseignement de brigade qui comptent en leursein une section de recherche humaine. Ces unitésmulticapteurs (section de recherche humaine,section radar, section drone et groupe de guerreélectronique) au niveau de la brigade interarmestémoignent de la prise en compte officielle dubesoin accru d’acquisition de renseignement surles théâtres d’opérations.

Mais ce flux d’information n’a d’intérêt que grâceà l’analyse qui en est faite pour la transformer enrenseignement. Or la complexité desengagements rend cette analyse très difficile etrequiert des experts rompus au métier,expérimentés, formés et équipés. L’effort estévidemment aujourd’hui à prononcer sur cescapacités d’analyse, au niveau tactique pour lesujet ici abordé.

Or, le renseignement de l’armée de terre estaujourd’hui organiquement inadapté ! Il est certes une fonction opérationnelle,organisée en chantier et gérée par un pilote dedomaine mais il comprend cinq sous-domainespour le moins hétérogènes. Ainsi le sous-domaine «relations internationales» n’a que peuà voir avec la fonction renseignement.

Par ailleurs, le renseignement, malgré sonappellation opérationnelle très claire, est unregroupement de compétences en provenanced’autres fonctions que tout un chacun appellearmes  : artillerie, arme blindée cavalerie,infanterie, transmissions, etc. Il est ainsi trèsdifficile de gérer des compétences dans la duréedès lors que les armes d’origine interfèrent,légitimement, dans les cursus de carrière. LesAméricains, Canadiens, et Britanniques parexemple, ont fait le choix inverse, celui d’unearme du renseignement (l’armée allemande aaussi engagé ce processus).

JUIN 2009 DOCTRINE N° 1695

Libres réflexionsLibres réflexions

9 «Les conflits seront menés par des terriens et non par des robots dans l’espace. Ils seront plus proches des affrontements qui survenaient dans les tribusprimitives que des guerres conventionnelles… dans la mesure où l’adversaire et les populations civiles s’interpénètreront, la stratégie clausewitziennerestera sans objet. La simplification des armes, et non le contraire, ira croissant. La guerre ne sera pas menée par des hommes aux uniformes impeccables,assis derrière des écrans, dans des salles climatisées et occupés à manipuler des symboles sur des claviers d’ordinateurs ; au contraire, les «troupes»ressembleront davantage à des policiers (ou à des pirates) qu’à des spécialistes. La guerre ne se déroulera pas sur un champ de bataille, ce type d’espacen’existe plus de par le monde, mais au sein d’environnements complexes, naturels ou artificiellement créés. Ce sera une guerre d’écoutes, de voiturespiégées, de tueries au corps à corps, dans laquelle les femmes transporteront des explosifs dans leur sac, ainsi que la drogue pour les payer. Elle sera sansfin, sanglante et atroce».

10 RENS 210, doctrine du renseignement d’origine humaine, avril 2007.

Page 96: FRA magazine Doctrine16 NEO

DOCTRINE N° 16 JUIN 200996

Le constat objectif pourrait aujourd’hui se traduireainsi : à un environnement opérationnel toujoursplus complexe, une organisation fonctionnelleaussi complexe ! On répond à la complexité par lacomplexité.

En effet, dès lors que chacune des armesd’origine continue à gérer le déroulement decarrière de ses ressortissants, le renseignementn’a d’autre alternative que de combler les videsstructurels. Il est ainsi profondément choquantqu’un officier supérieur, après sept ans au seind’un régiment de renseignement d’origineélectromagnétique de la brigade derenseignement, puis trois ans à participer à larédaction de la doctrine du renseignement, aumoment où il rejoint le collège interarmées dedéfense, soit «récupéré» par son arme poursuivre une formation technique tout à fait autre.Il est tout aussi choquant que, pour tenter derépondre à ces mouvements illogiques depersonnels, il faille affecter à des postes derenseignement opérationnel des spécialistesdes relations internationales, considérant que«c’est à peu près la même chose». Les exemplessemblables sont malheureusement nombreux. Ilne s’agit évidemment pas de mettre en cause ladirection de l’armée de terre qui fait son travailconsciencieusement mais bien de relever lesconséquences immédiates et logiques del’organisation actuelle. Il y a structurellementune impossibilité à construire une carrièrecohérente et longue dans le renseignement.

Il y a par ailleurs, dans cette organisation, uneincitation à «la fuite des cerveaux». Sans cursusde carrière, il est impossible d’offrir desperspectives de postes àhaute responsabilitéà des officiers qui parconséquent fuient lafonction renseignement.

Enfin, cette gestion pararme d’origine, enhachant le parcoursprofessionnel, interdit laconstruction patiente,progressive et longue deces analystes du rensei-gnement dont la force aun impérieux besoinpour comprendre l’envi-ronnement et l’adver-saire.

Bien plus encorequ’une gestion de laressource pour le

moins erratique, cette organisation techniqueinterdit au renseignement tactique deprogresser. La capitalisation des formations(pourtant toujours plus longues et coûteusespar nature) et des expériences ne se faisantqu’au gré des circonstances et des aléas plus oumoins heureux liés aux besoins des armes, sanscontinuité dans l’enrichissement professionnel etla réflexion, il devient extrêmement complexed’identifier les besoins de progrès ou d’adaptationliés à la nature des combats. Par ailleurs, l’arrivéedes unités multicapteurs impose également unepolyvalence des hommes pour le commandementde capteurs très divers et pour la capacité del’analyse dont on a déjà dit toute l’exigence. Il estaussi possible d’évoquer les capacitéslinguistiques des acteurs du renseignement donton pourrait attendre, sous réserve de cettecohérence d’arme, qu’ils développent telle ou telleexpertise à l’heure où il n’y a jamais assezd’interprètes (à l’exemple du corps des Marinesaméricain qui fait dispenser des rudimentslinguistiques à ses soldats). Enfin, une arme secaractérise par la conservation des traditions, lamise en avant d’une culture et par conséquent,une vision d’avenir, une anticipation et donc desobjectifs de progrès partagés.

Il y a ainsi urgence à répondre organiquementaux défis opérationnels que les guerres actuelleset futures posent en acceptant l’idée de lacréation d’une arme du renseignement.

SIR

PA T

erre

Autres contributions à la réflexion doctrinale

Page 97: FRA magazine Doctrine16 NEO

JUIN 2009 DOCTRINE N° 1697

Libres réflexionsLibres réflexions

AAla complexité des crises dans laquelle la France s’engage, il est fondamental

de pouvoir apporter un peu de clarté, d’essayer d’atténuer le «brouillard» de

la guerre afin de proposer au chef les choix opérationnels les plus justes.

Charles De Gaulle écrivit dans Le Fil de l’Epée : «L’ennemi est contingent, variable ;

aucune étude, aucun raisonnement ne peuvent révéler avec certitude ce qu’il est, ce

qu’il sera, ce qu’il fait et ce qu’il va faire». S’il est admis que l’incertitude est la

marque principale du combat, les réponses simples seront à privilégier.

Il y a donc urgence à simplifier l’organisation du renseignement en en faisant une

arme, ou au minimum à renforcer le «poids» du commandant de la fonction, qui

permettra sans conteste d’optimiser l’emploi d’une ressource humaine dont la

qualité de la formation et du recrutement est un réel enjeu. Pérennité d’une carrière

pour comprendre l’environnement opérationnel des crises et s’y adapter mieux !

Mais au-delà même de l’arme du renseignement, il y a cette réflexion indiscutable

qu’il importe de mener sur la notion de finalité d’une force armée. Une simple

approche capacitaire condamne les ambitions pourtant légitimes d’adaptabilité, de

pertinence et donc d’efficacité opérationnelle pour des raisons souvent

corporatistes. A l’opposé, si la question fondamentale du «pour quoi faire ?» est

acceptée, il y a progrès dans la recherche des solutions, y compris celles que le

conformisme rejetterait au nom de la défense de capacités parfois inadaptées ou

trop coûteuses par leur nombre. Et dans ce contexte, il est réellement nécessaire de

revenir aux notions simples, claires et évocatrices des armes. Si le renseignement

cache derrière un nom limpide une organisation archaïque, les fonctions

opérationnelles «combat débarqué» ou «embarqué», «appui à l’engagement»,

«agression» et autre vocabulaire technique dissimulent des finalités opérationnelles

dans lesquelles on se perd. Parlons de l’infanterie déployée au sein des populations,

appuyée par des canons d’artillerie et éclairée par l’arme du renseignement.

Laissons à la gestion du personnel ses appellations spécifiques et revenons à

l’explicite pour éclairer la réflexion sur les finalités opérationnelles.

Page 98: FRA magazine Doctrine16 NEO

DOCTRINE N° 16 JUIN 200998

Autres contributions à la réflexion doctrinale

MMalgré le développement économique etsocial de deux pôles diamétralementopposés, sur les rives de la Méditerranée

et à l’extrémité australe du continent, l’Afriquesubsaharienne (dans laquelle nous incluons laCorne de l’Afrique) demeure aujourd’hui la zonela plus meurtrie du globe, au regard du nombre deconflits, de personnes déplacées ou réfugiées, ouencore des populations paupérisées souffrant de lafaim et nécessitant une aide alimentaire extérieure,sans compter celles n’ayant pas accès à l’eaupotable, à l’éducation et celles exposées auxpandémies. Bien sûr, des îlots de développementexistent et l’Afrique subsaharienne enregistrequelques remarquables success stories. Ainsi, lapart du continent dans les échanges mondiauxprogresse lentement (3% en 2007), comme sontaux de croissance économique supérieur cesdernières années à 5%. Cependant chacun saitque ce progrès est fragile, voire factice (cf. ledernier rapport 2007-2008 du PNUD), car surtoutdépendant des exportations des matières

premières (pétrole2 – l’Afrique recèlerait 15% desréserves mondiales –, minéraux rares, bois, etc.)et qu’il n’est guère utilisé pour tenter de résoudreles maux fondamentaux dont souffre l’Afriquenoire : le manque d’infrastructures, de moyens deproduction et surtout de transformation, lesconséquences de la mutation des sociétés, deplus en plus jeunes et de moins en moins rurales(d’ici 2015, plus de 51 ou 52% de la populationd’Afrique subsaharienne sera urbaine ou péri-urbaine), la dépendance alimentaire, conséquencede l’inadaptation des politiques économiques parrapport à l’accroissement démographique incon-trôlé (la population du Kenya étant passée de8,5 millions en 1960 à 35 aujourd’hui…), la surex-ploitation des ressources naturelles, entraînantl’accélération de la déforestation ou l’épuisementdes sols avec in fine des conséquences globalesportant sur le réchauffement de la planète, ladestruction irréversible de la faune et de la floreou encore les migrations de populations pouvantse muer en formes d’invasion pacifique.

1 Attaché de défense auZimbabwe, en Zambieet au Malawi de 2003 à2006. Auteur deMadagascar, l’île deNulle-Part ailleurs,Editions L’Harmattan,1999.

2 Grâce au programmeaméricain Agoa (AfricanGrowth Opportunity Act),les exportationsafricaines versles Etats-Unis ontprogressé de 33 % en2006. Mais la part desproduits agricoles (+17 %) ne représentaitque 1 % des échangesalors que les expor-tations de gaz et depétrole comptaientpour plus de 80 % !

Capacités duales et forces africaines de développement

PAR LE COLONEL HUGHES DE BAZOUGES1, ADJOINT AU DIRECTEUR EN CHARGE DES AFFAIRES INTERNATIONALES AUX ÉCOLES DE SAINT-CYR COËTQUIDAN

«Dans la vie, voyez-vous, il n’y a pas de solutions. Il n’y a que des forces en marche ;

il faut les créer d’abord, les solutions suivent ensuite».

Saint-Exupéry (Vol de nuit)

Page 99: FRA magazine Doctrine16 NEO

JUIN 2009 DOCTRINE N° 1699

Car l’Afrique, malgré tous ces maux, déborded’une étonnante vitalité : si 60% de sa populationa moins de 30 ans, c’est aussi la part la plustouchée par les conflits (enfants-soldats, viols,esclaves sexuels, etc.), le SIDA, l’analphabétisme,l’extrême pauvreté ou encore le chômage. Dans untel contexte, comment prétendre que cette mêmejeunesse, organisée en «forces africaines dedéveloppement», pourrait demain constituer unespoir pour le continent et plus particulièrementun instrument de paix et un vecteur de dévelop-pement  ? Les Africains seraient-ils capables demettre sur pied de telles formations  ? Lacommunauté internationale et en particulier l’Unionafricaine y verraient-elles un quelconque intérêt ?Et existe-t-il des moyens financiers à y consacrer,notamment au niveau de l’aide internationale ?

Les mouvements de jeunesse pour les actions de développement3

En premier lieu, il existe à travers le monde uncertain nombre de mouvements de la jeunesseimpliqués dans des actions de développementet réunis au sein de l’International Associationfor National Youth Service (IANYS). Fondée àpartir d’une initiative américaine lancée en 1992,cette institution regroupe de façon virtuelleautour d’un site dédié, et plus concrètement au

cours d’une conférence internationale biannuelle,l’ensemble des programmes civiques de jeunesvolontaires – 48 dont 15 pour l’Afrique – dont ellecherche à faciliter et même à stimuler leséchanges. La 8e conférence de IANYS s’est tenuedu 19 au 22 novembre 2008 à Paris, à la fondationdes Etats-Unis. Malheureusement, cetteassociation exclusivement anglophone sembleaussi ignorée des institutions françaisesqu’africaines qui viennent pourtant de se déclarerouvertement en faveur de tels programmescomme en témoigne la récente charte de lajeunesse africaine (African Youth Charter),adoptée en novembre 2006 par l’Union africaine.Celle-ci souligne en effet le soutien que lesAfricains eux-mêmes doivent apporter à de telsprogrammes – dont l’encadrement peut êtrecomposé de militaires et qui sont placés sous latutelle d’un ministère autre que celui de laDéfense – et les missions qui pourraient leurêtre confiées :

Article 15, alinéa h : Sustainable Livehoods andYouth Employment: «institute national youthservice programmes to engender communityparticipation and skills development to entryinto the labour market»,

et

3 Les titres intermé-diaires ont été rajoutéspar la rédaction.

SIR

PA T

erre

/AD

C CH

ESN

EAU

Libres réflexionsLibres réflexions

Page 100: FRA magazine Doctrine16 NEO

DOCTRINE N° 16 JUIN 2009100

Autres contributions à la réflexion doctrinale

Article 18, alinéa f : Peace and Security: «mobiliseyouth for the reconstruction of areas devastatedby war, bringing help to refugees and war victimsand promoting peace, reconciliation andrehabilitation activities».

Ces services civiques ou forces africaines dedéveloppement auraient donc une capacitéduale, à la fois dans le cadre national de labataille du développement et, au niveau régionalou continental, en soutien des forces de maintiende la paix, dans le cadre multinational d’uneaction humanitaire ou de la reconstruction d’unétat.

Organisées autour d’écoles des métiers dudéveloppement durable, et encadrées par despersonnels militaires, ces unités auraient toutd’abord la charge d’instruire les jeunesvolontaires dans les domaines prioritaires enAfrique subsaharienne :

- agriculture4 (soutien aux populations – dansdes zones où la force de travail a parfoisdisparu du fait du SIDA, du paludisme ou de lasous-nutrition – pour les récoltes,l’aménagement de digues et canaux, la lutteanti-acridienne, etc.) ;

- action sanitaire et médicale (infirmiers/-ères,sages-femmes, assistants de vétérinaires,ambulanciers, etc.) conduisant une actionciblée en faveur du contrôle des naissances, dela lutte contre le SIDA ou encore contre lesmaladies africaines endémiques ;

- construction (dispensaires, écoles, marchéscouverts, étals, etc. utilisant des matériaux etdes savoir-faire locaux) ;

- aménagement de pistes, de routes etd’ouvrages d’art dans les zones reculées oudésertées (perte d’une partie des récoltes dufait de l’enclavement de certaines zones) ;

- gestion de l’eau (formation de plombiers,forage de puits, installation de pompes,adduction et récupération d’eau, etc.) ;

- aménagements électriques (installation degroupes électrogènes, de panneaux solaires,de réseaux de distributions dans des camps deréfugiés, équipement de bâtiments, halles,etc.) ;

- alphabétisation, re-socialisation des orphelinsdu SIDA, des déplacés et autres réfugiés, etc.

La consolidation des forces africainesdéjà existantes

Contrairement à une idée reçue, il s’agirait moinsde créer a nihilo que de consolider de tellesforces déjà existantes, bénéficiant parfois d’unesolide expérience, aussi ancienne que celle denotre propre service militaire adapté (SMA) misen œuvre dans nos départements et territoiresd’outre-mer. Tel est le cas du Zambia Nationalservice (ZNS), sans doute moins connu que lesmodèles francophones que sont le service civiquebéninois, le service malgache d’aide audéveloppement (SMAD) ou encore le servicenational adapté djiboutien, tous inspirés du SMA.Créé en 1963 et donc aussi ancien que celui-ci, leZNS a surtout profité de la stabilité politique de laZambie qui a su en faire un modèle originalexempt de tout reproche ou de toute suspicionde manipulation politique ou de violence,destinant cette institution de jeunes volontairesencadrés par des militaires au service de lapopulation, et souvent dans les zones reculéesd’un pays plus vaste que la France. Ainsi, placésous la tutelle du ministère de la jeunesse et dessports, et bénéficiant du soutien direct duPrésident de la République, dans le strict respectde la loi, cette institution remplit toutes lesmissions traditionnelles d’un service civique et amême conduit récemment une expérienceremarquée au profit de la re-socialisation desenfants des rues ou street kids.

Le ZNS, déjà membre de IANYS, pourrait donc dèsà présent servir de modèle pour faire de lajeunesse africaine l’acteur de son propredéveloppement en mettant ses capacités, sondynamisme et son enthousiasme au service desorganisations ou des agences internationalesengagées dans la poursuite des objectifs dumillénaire du développement, dont on saitqu’aucun ne sera atteint en 2015, date butoir. A la condition de l’aider à se hisser au rang demodèle continental en levant les obstacles quientravent son développement…

Les entraves à la création de tellesforces africaines de développement

Grâce à des études conduites récemment enliaison avec le centre de recherche des écoles deSaint-Cyr Coëtquidan5 et soutenues par le généralCoFAT et la fondation Saint-Cyr, on peut désormaisidentifier les entraves à la création de tellesforces africaines de développement :

4 «En cinq ans, lesimportationscéréalières des paysafricains ont triplé…Cette dégradation[…] touche 48 paysafricains sur 53…» -Salée, la facturealimentaire ! in JeuneAfrique n° 2488 du14 au 20 septembre2008.

5 Dont l’actions’articule autour detrois pôlesd’excellence :éthique etdéontologie, sécuritéet Unioneuropéenne, actionglobale et forcesterrestres.

6 «Un Caracal testé enbombardier d’eau»,in Arméesd’aujourd’hui n° 325,novembre 2007,p 54.

Page 101: FRA magazine Doctrine16 NEO

JUIN 2009 DOCTRINE N° 16101

1) celles-ci souffrent en premier lieu d’un déficitd’image, souvent caricaturées à mi-cheminentre les troupes de boy-scouts et les milicesd’enfants-soldats, quand elles ne sont passimplement ignorées des medias comme desinstitutions traitant de sécurité ; ce manqued’intérêt est d’autant moins compréhensibleque notre pays a longtemps été pionnier dansl’implication des militaires dans les actionsde formation (enfants de troupe, chantiersde la jeunesse, service militaire adapté,lycées militaires, défense deuxième chance…),

2) une aversion intellectuelle stigmatise leprincipe même de capacité duale alors quenos propres forces armées ont développédepuis près de trente ans une solide cultured’aide humanitaire et de sauvegarde despopulations, créant même des unités desécurité civile dédiées ou expérimentant ceprincipe sur de nouveaux équipements6,

3) mépriser la bataille du développement auprofit des seules opérations du maintien de lapaix ou de la réforme de systèmes de sécuritéest une erreur d’appréciation du théâtreafricain et de ses spécificités : non seulementcette jeunesse constitue les gros bataillons desfutures vagues d’immigration ou d’endoc-

trinement idéologique, mais, de plus, seulesde telles forces sont susceptibles d’accueillirune part conséquente de jeunes femmes alorsque la population féminine représentedésormais plus de 50% de la population den’importe quel pays d’Afrique subsaharienne.Celles-là mêmes qui doivent jouer un rôleessentiel dans le contrôle de la natalité, laprévention du sida ou l’assistance aux orphelinsdu SIDA et autres enfants abandonnés,

4) enfin, les détracteurs de ce projet prétendenttoujours qu’aucun fond ne saurait être utilisépour soutenir des forces africaines, fussent-elles de développement. Or lors du séminaireinternational organisé en novembre 2006 parl’ambassade de France à Lusaka (Zambie), etprésidé par Monsieur Wiltzer, alors Hautreprésentant pour la paix et la prévention desconflits, deux organisations africaines ontfinancé plus du tiers de cette manifestation. Eneffet, l’ACBF (African Capacity BuildingFoundation) et le COMESA (marché communregroupant une vingtaine de pays d’Afriqueaustrale et orientale), ont montré un intérêtmarqué, la première dans le cadre de sonaction en faveur du 2D3R7 et l’autre poursoutenir un projet intéressant l’égalité deschances entre hommes et femmes (genderequity). En d’autres termes, ces institutions

7 Démobilisation,désarmement,rapatriement,réinstallation,réinsertion(DDRRR ou 2D3R).

Libres réflexionsLibres réflexions

SIR

PA T

erre

/CCH

FEF

F

Page 102: FRA magazine Doctrine16 NEO

DOCTRINE N° 16 JUIN 2009102

Autres contributions à la réflexion doctrinale

DDevons-nous, parce que nos moyens d’action sont limités, nous interdired’investir ce «champ de l’ingénierie politico-institutionnelle»8 alorsque de toutes les nations occidentales la France est la seule à

posséder un laboratoire aussi précieux que le SMA ? Elle est surtout la plusimpliquée dans la prévention et la résolution des conflits en Afrique9, nonpas seulement du seul fait de sa présence militaire (forces prépositionnées,réseau d’attachés militaires, actions de coopération militaire, etc.) mais aussien raison des initiatives qu’elle multiplie en faveur du maintien de la paix etdu développement, comme elle vient de le démontrer récemment àMadagascar10 ? Devons-nous au contraire, nous y plonger avec autant derésolution que d’audace intellectuelle, pour proposer à l’Union européenneune réflexion novatrice visant à faire de RECAMP non plus le seul programmede renforcement des capacités africaines de maintien de la paix, mais bien lecadre élargi du renforcement des capacités de l’Afrique à maintenir la paix ?

Riche de son expertise militaire du théâtre africain et de cette longuetradition de bâtisseur d’espoir au sein des populations africaines11, l’arméede terre se ferait ainsi l’écho de la vocation hier humaniste et aujourd’huihumanitaire de la France que le général De Gaulle avait résumée par cesquelques mots :

Une seule cause : celle de l’homme ;

Une seule nécessité, celle du progrès mondial ;

Un seul devoir : celui de la paix.

8 Cf. «Reconstruireensemble», inDoctrine n° spécial2008/1.

9 Nommant en août2007 un «Hautreprésentant pourla prévention desconflits enAfrique».

10 «L’armée malgacheau service dudéveloppementrural», in Arméesd’aujourd’hui n° 327,février 2008.

11 Cf. les Actes ducolloque organiséles 27 et 28novembre 2003 àFréjus sur cethème, EditionsLavauzelle,Panazol, 2006.

ont avant tout considéré les missions quipourraient être confiées à ces forces, plus queles seules structures dont on prétendabusivement qu’elles ne peuvent être quemilitaires afin de justifier une fin de non-recevoir systématique.

Il apparaît donc que l’effet majeur à rechercherconsiste à faire reconnaître une place légitime àde telles forces africaines de développementdans le cadre de la réflexion sur la réforme dessystèmes de sécurité (RSS), et plus précisémentau cœur de l’architecture de paix et de sécurité de

l’Union africaine, afin que, reconnues d’utilitépublique et comme vecteur de stabilité, ellespuissent être ensuite éligibles à deux types definancement :

• en faveur de l’action d’aide au développementconduite sur le territoire national en privilégiantl’éducation et la formation professionnelle de lajeunesse,

• mais aussi au profit des opérations de maintiende la paix ou de la reconstruction d’un payssortant de crise.

Page 103: FRA magazine Doctrine16 NEO

Gestion des crisesUne histoire de coopération entre les ministères de la défense et des Affaires étrangères et européennes

p. 7 - ECPAD

Le centre de regroupement etd’évacuation des ressortissants

p. 23 - 121è RT

Abidjan, novembre 2004Une évacuation difficile,mais un succès indéniable

p. 56 - 43e BIMa

Une opération d’assistance et d’évacuation au Liban.L’opération «Baliste» (juillet-août 2006)

p. 65 - SIRPA Marine

Kolwezi, ou la première évacuation de ressortissants

p. 101 - SIRPA Terre

()

Les op

érations

d’éva

cuation de

res

sortissa

nts «en

imag

es»

Page 104: FRA magazine Doctrine16 NEO

DOCTRINE

C.D.E.FCentre de Doctrined’Emploi des Forces