Foucault Piege de Vincenne

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MICHEL FOUCAULT « Pourquoi ce cordon sanitaire » :Le ,piée de Vincennes * " Je ne suis pas sûr lue la philosophie fel ex iste. Ce gui ex iste, ce sont des philosophes" Le ministre de l'Education nationale, Olivier Guichard, a fait part, le mois dernier , au président dé la fac ulté de Vincennes, M. Cabot, de 'son intention de ne pas accorder le titre de licencié d'enseignement aux étu- diants du dépar tement de philosophie de Vincennes. Récemment, à Radio- Luxembourg, le ministre a justifié son projet, expliquant que le contenu de l'enseignement de la philosophie à Vincennes était trop par ticulier et a spécialisé ». Pour convaincre les auditeurs, il a ensuite lu les titres d el quelques cours consa crés au marxisme et à la politique. Ces déclarations ont>pivvdqué les remous qu'on imagine et nous sommés allés interroger à ce sujet Michel Foucault, un des principaux professeurs de philosophie de Vincennes. MICHEL FOUCAULT, assons vite sur les éléments de la discussion. Il faudrait objecter : comment donner un enseignement développé et diver- sifié quand on a 950 étudiants pour 8 enseignants? Il faudrait objecter aussi : à Vincennes, il y a des étu- diants qui ont tait déjà 6 mois d'étu- des, d'autres 18; et en cours de route on leur dit : ce que vous avez fait, c'est de la broderie, il faut recommen- cer ailleurs. Il faudrait objecter. en- core : veut-on faire délibérément plu- sieurs centaines de chômeurs intellec- tuels à l'époque où les statistiques sont, paraît-il, menaçantes ? Je pour- rais ajouter enfin- _: qu'on nous dise clairement ce qu'est la philosophie et au nom de quoi -- de quel texte, de quel critère ou de quelle vérité — Mais je crois qu'il faut aller à l'es- sentiel ; et l'essentiel, dans ce que dit un ministre, ce ne sont pas les rai- sons qu'il avance ; c'est la décision qu'il veut prendre. Elle est claire les étudiants qui auront fait leurs études de philosophie à Vincennes n'auront pas le droit d'enseigner dans le secondaire. Je p - se à mon tour des questions : pourquoi ce cordon. sanitaire? Qu'est- ce que la philosophie (la classe de philosophie) a de si précieux, et de si fragile pour qu'il faille, avec tant- de soins, la protéger ? Et qu'y a-t-il, chez les Vincennois, de si dangereux ? Que reprochez-vous à l'enseignement de la philoso- phie et, en particulier, à la - classe de philosophie ? sa..... nnnnn n 10. Le Nouvel Observateur Page 33

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MICHEL FOUCAULT

« Pourquoi ce cordon sanitaire »

:L e ,p iéede V incenn es

* " Je ne su is pas sûr lue

la philoso phie fel ex iste. Ce gui ex iste,ce sont des philosophes"

• Le ministre de l'Education nationale, Olivier Guichard, a fait part, le

mois dernier, au président dé la faculté de Vincennes, M. Cabot, de 'son

intention de ne pas accorder le titre de licencié d'enseignement aux étu-

diants du département de philosophie de Vincennes. Récemment, à Radio-

Luxembourg, le ministre a justifié son projet, expliquant que le contenu

de l'enseignement de la philosophie à Vincennes était trop particulier eta spécialisé ». Pour convaincre les auditeurs, il a ensuite lu les titres d el

quelques cours consacrés au marxisme et à la politique. Ces déclarations

ont>pivvdqué les remous qu'on imagine et nous sommés allés interroger

à ce sujet Michel Foucault, un des principaux professeurs de philosophie

de Vincennes.

MICHEL FOUCAULT,—assons vite

sur les éléments de la discussion. Ilfaudrait objecter : comment donnerun enseignement développé et diver-

sifié quand on a 950 étudiants pour8 enseignants? Il faudrait objecteraussi : à Vincennes, il y a des étu-diants qui ont tait déjà 6 mois d'étu-des, d'autres 18; et en cours de routeon leur dit : ce que vous avez fait,c'est de la broderie, il faut recommen-cer ailleurs. Il faudrait objecter. en-

core : veut-on faire délibérément plu-sieurs centaines de chômeurs intellec-

tuels à l'époque où les statistiquessont, paraît-il, menaçantes ? Je pour-

rais ajouter enfin- ;_: qu'on nous diseclairement ce qu'est la philosophieet au nom de quoi -- de quel texte,de quel critère ou de quelle vérité —on rejette ce que nous faisons.

Mais je crois qu'il faut aller à l'es-

sentiel ; et l'essentiel, dans ce que dit

un ministre, ce ne sont pas les rai-sons qu'il avance ; c'est la décisionqu'il veut prendre. Elle est claire

les étudiants qui auront fait leursétudes de philosophie à Vincennesn'auront pas le droit d'enseigner dans

le secondaire.

Je p-se à mon tour des questions :pourquoi ce cordon. sanitaire? Qu'est-

ce que la philosophie (la classe dephilosophie) a de si précieux, et desi fragile pour qu'il faille, avec tant-de soins, la protéger ? Et qu'y a-t-il,chez les Vincennois, de si dangereux ?

• Que reprochez-vous à

l'enseignement de la philoso-

phie et, en particulier, à la

- classe de philosophie ?

sa.....nnnnn•n10 .

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A LA IN

« Un droit...J OHA N N GOT T LIE B FIC HT E

... de regard...

* «L a classe de philosophie,c'est le luthéranism e

de la France catholiqu e

et anticléricale))

M. F. — Je rêve d'un Borges chi-

nois qui citerait, pour amuser ses lec-

teurs, le programme d'une classe dephilosophie en France : « L'habitude;le temps; les problèmes particuliersà la biologie ; la vérité; les machines;la manière, la vie, l'esprit, Dieu —tout d'un trait, c'est sur la même

lignea tendance et le désir ; laphilosophie, sa nécessité et son but. »Mais nous, nous devons nous garderd'en rire : ce programme a été faitpar des gens intelligents et instruits.Scribes sans défaut, ils ont fort bienretranscrit, dans un vocabulaire par-fois archaïque, parfois dépoussiéré,

un paysage qui nous est familier etdont nous sommes responsables. Mais

surtout, ils ont conservé l'essentielc'est-à-dire la fonction de la classe de

philosophie. Et cette fonction, ellem'apparaît dans la position de la

classe, de philosophie. Position privi-légiée, puisque c'est la classe termina-

le— le « couronnement », comme on

dit, de l'enseignement secondaire.Position menacée : depuis cent ans,on nè cesse d'en contester l'existence,

on propose toujours de la supprimer.Au début du siècle, il y a eu toute

une discussion qu'il faudrait relire.Un des plus farouches adversaires de

la classe de philosophie lui repro-chait alors de mettre en circulationdes bandes d' « anarchistes ». Déjà.C'était Maurice Pujo, un des fonda-teurs de « l'Action française ». Fra-gile royauté de la classe de philo ;couronne exposée et toujours prête à

tomber. Voilà plus de cent ans qu'ellesurvit en cette position périlleuse.

C'est que la philosophie est là, auterme de l'enseignement secondaire,

pour donner à ceux qui en ont . reçu

le bénéfice, conscience qu'ils ont dé-

sormais un droit de regard sur l'en-semble des choses. On leur dit

« Non, je ne vous apprendrai rienla philosôphie n'est pas un savoir,c'est une réflexion, une certaine ma-nière de réfléchir, qui permet de tout

remettre en question, et y contraint.Vous venez pendant cinq ou six ansde croire aux beautés d' « Iphigé-nie », à la méiose des cellules sexuel-les, au « take off » économique del'Angleterre bourgeoise. Tout cesavoir, vous voici en droit de leréexaminer — non dans son exacti-tude, mais dans ses limites, ses fon-dements, ses origines. Et ce que vousaurez à apprendre, quand vous de-

viendrez médecin, chef de marketing,

ou chimiste, il faudra le soumettre aumême tribunal. Vous êtes en trainde dev enir libres citoyens dans larépublique du savoir; à vous d'exer-cer vos droits. Mais à une conditionc'est que vous fassiez usage de votreréflexion et d'elle seule. Réflexion,c'est-à-dire bon sens légèrement re-haussé, jugement impartial qui saitécouter le pour et le contre, libertéenfin. C'est pourquoi — continue leprofesseur —, en dépit de la lettred'un pro gramme qui ne vous obligepas tout à fait, j'essaierai de vousapprendre à juger librement. Libertéet jugement — telle sera la formede notre discours; tel en sera doncnaturellement le contenu : mon col-lègue de la classe d'à côté, qui estsexagénaire, insistera davantage sansdoute sur le jugement en se référantà Alain. Je vous parlerai surtout dela liberté — et de Sartre : je suisquadragénaire. Mais ni vous ni voscamarades ne perdront au partage.Sartre et Alain, c'est classe de philo-sophie devenue pensée. »

Ce discours n'est oas vain. Maisde l'extérieur, un autre lui répond.« Les professeurs de philosophie sontbavards, toujours inutiles, parfoisdangereux. Ils parlent de ce qui neles regarde pas; ils s'arrogent le droitde tout critiquer — la connaissancequ'ils n'ont pas, et la société qui lesnourrit. Il est grand temps pour lesélèves de ne plus perdre leur temps.Supprimons tout ce fatras. »

Il ne faut pas sous-estimer la me-nace : elle existe. Mais elle n'a pascessé d'exister. Elle fait partie, enFrance, des conditions d'existence dela classe de philosophie. C'est le gen-darme nécessaire à l'intrigue : grâceà lui le rideau ne retombe pas. C'estque le jeu, me semble-t-il, est le sui-vant : aux élèves -du primaire, lasociété donne le « lire-et-écrire »

(l'instruction) ; à ceux du technique,elle donne des savoirs à la fois par-

ticuliers et utiles; à ceux du secon-

daire, qui doivent normalement en-

trer en faculté, elle donne des savoirs

généraux (lct littérature, lascience)

mais en même temps la forme géné-rale de pensée qui permet de jugertout savoir, toute technique, et la

racine même de l'instruction. Elleleur donne le droit et le devoir de« réfléchir »; d'exercer leur liberté,mais dans l'ordre de la seule pensée,d'exercer leur jugement mais dans

l'ordre seulement du libre examen.La classe de philosophie, c'est l'équi-valent laïque du luthéranisme, l'anti-Contre-Réforme : la restauration de

l'Edit de Nantes. La bourgeoisie fran-

çaise, comme les autres bourgeoisies,a eu besoin de cette forme de liberté.Après l'avoir manquée de peu au

xvi° siècle, elle l'a reconquise au

xvilf et l'a institutionnalisée au

xixe, dans son enseignement. La

classe de philosophie, c'est le luthé-ranisme d'un pays catholique et an-ticlérical. Les pays anglo-saxons, eux,

n'en ont pas besoin et ils s'en pas-sent.

• En France aussi, d'une

certaine manière, on s'en

passe, il y a relativement peu

de jeunes Français ( qui accè-

dent à la classe de philosophie.

M.F.ous avez raison : c'estpour la bourgeoisie un luthéranismeà usage interne. Elle a tété obligée, au

xix° siècle, d'accorder le suffrage uni-versel. Or, à fa différence du Protes-tantisme, la conscience catholique ne

pouvait pas à la fois soutenir la bour-

geoisie (qui avait établi son pouvoiren dépit de l'Eglise) et assurer le

contrôle de cette liberté. Il a doncfallu avoir recours à l'instruction. Al'instruction publique. Le secondaire,

s'épanouissant dans la philosophie,

assurait la formation d'une élite quidevait compenser le suffrage univer-sel, en guider l'usage, en limiter lesabus. Il s'agissait de constituer, auxlieu et place d'un luthéranisme endéfaut, une conscience politica-mora-

le. Une garde nationale des conscien-

ces.

• Tout cela est peut-être

vrai( pour la première moitié

du siècle. Mais maintenant ?

M. F.—l est vrai, les chosessont en train de changer. La prolon-

gation de la scolarité est un fait et,à la limite, l'enseignement de la philo-

sophie pourrait être donné à tout lemonde. Mais en même temps, ontâche de trouver un moyen pour év i -ter l'entrée de tous dans les universi-

tés. La classe de philosophie risquede devenir inutile (si tout le mondey a accès) et dangereuse (si elle donne

droit de regard sur toute connais-sance). Sa suppression est réellement

à l'ordre du jour.

• Après ce que vous avez

dit, vous ne la pleurerez sans

doute pas beaucoup.

M. F.—i, si, en un sens-et peut-

être en plusieurs. La situation,

vous, est assez compliquée.ceux qui disent : II faut supla classe de philosophie ; ellefait trop de dégâts et on doit sdre à bien pire quand les étude la nouvelle génération (cVincennes, en particulier) arrdans les lycées ; commençomettre hors circuit les étudiaVincennes et, peu à peu, de, su

-sion en suppression, on feranette dans le secondaire et lerieur. »

Il y en a d'autres qui -disenfaut sauver, à tout prix la claphilosophie. Les Vincennoisleurs bizarreries la compromsi on peut être sûr que ces étr« philosophes » n'auront pasaux lycées, nous serons plus fordéfendre la classe de philosophsa tradition légitime. »

Il me semble que vouloir cover la classe de philosophie dvieille forme, c'est tomber dpiège. Car cette forme était une fonction qui est, encore unen train de disparaître. Et le

viendra vite où l'on entendra « Pourquoi conserver encore seignement si désuet et si v ide,époque où tout le savoir est ré

nisé? Que signif ie désormaisuniverselle réflexion critique ?grand temps de la jeter par dbord. »

• Mais ne vous repr

t-on pas de faire tout

chose à Vincennes que

philosophie ?

M. F.—e ne suis pas sûrsavez, que la philosophie, ça eCe qui existe, ce sont des « phphes », c'est-à-dire une certainegorie de gens dont les activiles discours ont beaucoup variéen âge. Ce qui les distingue, cleurs voisins les poètes et lesc'est le partage qui les isole, e

pas l'unité d'un genre ou la coce d'une maladie.

Il y a bien peu de temps

sont tous -devenus professeursêtre n'est-ce qu'un épisode, peu

en avons-nous pour longtemptout cas, cette intégration du ph

phe à l'Université ne s'est pasde la même façon en FranceAllemagne. En Allemagne, lesophe a été lié, dès l'époque de

et de Hegel, à la constitutio

l'Etat : de là ce sens d'une detion profonde, de là ce sérieu« fonctionnaires de l'histoire »ce rôle de porte-parole, d'interteur ou d'invectiveur de l'Etat,ont joué de Hegel à Nietzsche.

Page 34 Lundi 9 février 1970

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En France, le professeur de philo-sophie a été rattaché plus modeste-ment (d'une façon directe dans leslycées, indirecte dans les facultés) àl'instruction publique, à la consciencesociale d'une forme soigneusementmesurée de « liberté de pensée »,disons pour être net : à l'établisse-ment progressif du suffrage univer-sel. De là ce style de directeur, oud'objecteur de conscience, de là lerôle qu'il aiment jouer de défenseursdes libertés individuelles et des res-

trictions de pensée ; de là leur goût

pour le journalisme, leur souci defaire connaître leur opinion et la

manie de répondre aux interviews...

• Ce n'est déjà pas si mal.

Les déclarations publiquesdes « philosophes » ont rendu

quelques services...

M. F.—n tout cas, on comprend

qu'avec le rôle qui leur était dévolu,ce qu'ils enseignaient devait être unephilosophie de la conscience, du juge-

ment, de la liberté. Elle devait être

une philosophie qui maintienne lesdroits du sujet devant tout savoir, lasuprématie de toute conscience indi-

viduelle à l'égard de toute politique.Or, voilà que, portés par les dévelop-

pements récents, de nouveaux problèz _

mes sont apparus : non plus quelles

sont les limites du savoir (ou ses fon-

dements) mais quels sont ceux quisavent ? Comment se fait l'appropria-tion et la distribution du savoir ?

Comment un savoir peut-il prendreplace dans une société, s'y dévelop-per, mobiliser des ressources et semettre au service d'une économie ?-Comment le savoir se forme-t-il dansune société et s'y transforme-t-il ? De

là deux séries de questions : les unes

plus théoriques sur les rapports entre

savoir et politique, et d'autres, pluscritiques, sur ce qu'est l'Université(les facultés et les lycées) en tant que

lieu apparemment neutre oà un sa-voir objectif est censé se redistribueréquitablement. Si ces questions ve-

naient à être posées dans la classe de

philosgphie, il est clair que sa fonc-tion traditionnelle devrait être profon-

dément transformée.

M. Guichard feint de défendre laphilosophie contre une intrusion

d'étudiants qui n'auraient pas été for-

més à l'enseigner. En fait, il protègele vieux fonctionnement dé la classede philosophie contre une manière de

poser les problèmes qui Ta rendentimpossible.

• Comment les choses en

sont-ellesrrivéesà ?

N'aviez-vous pas reçu des pro-

messes lorsque l'université de

Vincennes a été créée ?

M. F.—Nous avons reçu dès le

départ entière liberté. Evidemment,nous aurions pu essayer de biaiseravec cette liberté. On aurait pu avoirrecours à cette petite forme d'hypo-crisie qui aurait consisté à modifierles formes pédagogiques de l'ensei-

gnement (constituer des groupes

d'études, donner une certaine libertéd'intervention aux étudiants) sans rienchanger au contenu ; on aurait conti-

nué à enseigner Plotin ou Hamelin,mais dans des formes qui auraientplu aux « réformateurs ». Il y avaitune autre hypocrisie possible : modi-fier le contenu, introduire dans leprogramme des auteurs comme Nietz-

sche, Freud, Marx, etc., mais en

maintenant la forme traditionnelle de

l'enseignement (dissertations, exa-mens, contrôles divers). Nous avonsrefusé l'un et l'autre de ces accom-modements; nous avons essayé defaire l'expérience d'une liberté, je nedis pas totale, mais aussi complèteque possible dans une université com-

me celle de Vincennes.

Il se trouvait que les étudiants,l'an dernier, venaient pour la plu- ,

part directement de la classe de

philosophie ; ils savaient donc exac-tement ce qu'ils auraient désiré et

ce dont ils avaient eu besoin danscette classe. Ils étaient pour nous lemeilleur guide pour définir la formeet le contenu de l'enseignement quenous avions à donner. Et c'est avecleur accord que nous avons défini

deux grands domaines d'enseigne-ment : l'un qui est essentiellementconsacré à l'analyse politique de lasociété et l'autre qui est consacré àl'analyse du fait scientifique et à

l'analyse d'un certain nombre de do-maines scientifiques. Ces deux ré-gions, la politique et la science, nous

ont paru - tous, étudiants et profes-

- seurs, les plus --actives -et---les plusfécondes.

Cela a d'ailleurs reçu à ce momentl'accord non seulement de l'assembléegénérale du département de philoso-phie,. mais de l'administration del'université et même de l'administra-tion ministérielle. Dans cette mesure-là, lorsqu'on nous dit aujourd'hui« Ce que vous enseignez n'est pasconforme à ce que nous entendonspar philosophie et à ce que doit êtreun programme de philosophie », nous

pouvons considérer qu'on nous a ten-

du un piège, qu'en tout cas on nousa laissé nous avancer dans une direc-

tion dont On nous annonce mainte-nant qu'elle est fermée.

• Comment prévoyez-vous

que les choses vont évoluer ?

M. F.—Nous sommes décidés àlutter au maximum pour que la li-cence de Vincennes soit considéréecomme une licence d'enseignement,donc pour obtenir que les étudiantsde Vincennes ne soient pas exclus de

l'enseignement secondaire.

• Est-ce que l'on ne peutpas faire une objection et dire

que l'enseignement de Vin-cennes est trop différent decelui des autres facultés ?

M. F.—ette différence a tou-jours existé. On nous a dit : « Votreprogramme ne correspond pas auprogramme de l'enseignement secon-daire. » Je répondrai ceci : autrefois,il y avait autant de programmes delicence qu'il y avait d'universités. Etdans chaque université, le program-

me de la licence était défini, essen-tiellement, par l'intérêt des profes-seurs ou leur spécialité, ou leur cu-riosité, éventuellement leur paresse.

Puis il existait un second programme,celui de l'agrégation. Il était fort dif-férent du programme de la licence.

Ni l'un ni l'autre n'était conforme àun troisième programme, celui dubaccalauréat. Et, derrière tout cela, ily avait les besoins, les désirs, les cu-riosités des élèves des lycées. Entre

les étudiants de l'enseignement supé-rieur et les élèves des lycées, il yavait donc trois écrans constitués partrois programmes différents.

• Si la licence de Vincen-

nes était valorisée, ces étu-diants pourraient-ils se présen-

ter aussi facilement que lesautres à l'agrégation ?

M. F.—Absolument. Le progiam-me d'agrégation a été, au cours desannées récentes,

très_ heureusementcorrigé par un président de jury au-quel il faut rendre hommage. D'ail-

leurs, la plupart des gens qui ensei-gent à Vincennes sont des élèires dece président. La querelle qu'an nouscherche maintenant est une mauvaisequerelle. Maintenant, à mon tour dePoser une question. Savez-vous dequi est cette phrase : « En refusanttoute nouveauté, l'université de Pa-ris a atteint le comble du ridicule etde l'odieux. » ?

• Edgar Faure ?

M. F.—Non, Renan.

Propos recueillis par

PATRICK LORIOT

Le Nouvel Observateur P