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FOUCAULT, LE POUVOIR ET L'ENTREPRISE : POUR UNE THÉORIE DE LA GOUVERNEMENTALITÉ MANAGÉRIALE Thibault Le Texier Vrin | Revue de philosophie économique 2011/2 - Vol. 12 pages 53 à 85 ISSN 1376-0971 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-de-philosophie-economique-2011-2-page-53.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Le Texier Thibault, « Foucault, le pouvoir et l'entreprise : pour une théorie de la gouvernementalité managériale », Revue de philosophie économique, 2011/2 Vol. 12, p. 53-85. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Vrin. © Vrin. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - biblio_shs - - 193.54.110.35 - 30/05/2012 11h13. © Vrin Document téléchargé depuis www.cairn.info - biblio_shs - - 193.54.110.35 - 30/05/2012 11h13. © Vrin

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FOUCAULT, LE POUVOIR ET L'ENTREPRISE : POUR UNE THÉORIEDE LA GOUVERNEMENTALITÉ MANAGÉRIALE Thibault Le Texier Vrin | Revue de philosophie économique 2011/2 - Vol. 12pages 53 à 85

ISSN 1376-0971

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-de-philosophie-economique-2011-2-page-53.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Le Texier Thibault, « Foucault, le pouvoir et l'entreprise : pour une théorie de la gouvernementalité managériale »,

Revue de philosophie économique, 2011/2 Vol. 12, p. 53-85.

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Foucault, le pouvoir et l’entreprise :

Pour une théorie

de la gouvernementalité managériale

Thibault Le Texier *

Résumé

À partir du début des années 1970, Michel Foucault travaille surle pouvoir. Réprimer, réglementer, dominer : la discipline, sapremière formalisation élaborée de cette notion, est un méca-nisme essentiellement négatif. Foucault semble alors peiner às’extraire de la conception binaire et dominatrice du pouvoir qu’ila héritée des théories de la souveraineté. Dès le milieu des années70, il nuance et rééquilibre cette vision. Le pouvoir ne prend plusdès lors la figure du panoptique carcéral mais celle du gouver-nement – au sens restreint d’activité de l’État et au sens large detechnologie comportementale s’appliquant à des individus libres.Mais de nouveau, notre auteur se trouve encombré par cetterationalité régalienne dont il ne cesse de critiquer l’emprise sur lesentendements contemporains du pouvoir. À trois exception près :la première, c’est le pastorat chrétien ; la seconde, c’est legouvernement de soi tel qu’il est formulé par les Anciens ; latroisième, c’est la gouvernementalité managériale, que Foucaultne fait qu’esquisser très brièvement et très incomplètement et quenous nous emploierons à problématiser ici.Mots-clés : Foucault, pouvoir, gouvernement, gestion.

Abstract

From the beginning of the 1970s, Michel Foucault workson power. Repressing, ruling, dominating : the discipline, hisfirst developed conception of power, is an essentially negative

* Docteur en économie, [email protected].

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mechanism. Foucault seems to strive to escape the binary andoverbearing conception of power he inherited from the theoriesof sovereignty. By the mid-70s, it balances and nuances thisunderstanding. The power then no more takes the shape of theprison panopticon, but that of the government – in the narrowsense of state activity, and in the broad sense of a behavioraltechnology applied to free individuals. But again, our author isencumbered by this regal rationality which influence on contem-porary understandings of power he keeps on criticizing. Withthree exceptions : the first is the Christian pastoral care, thesecond is the government of the self as formulated by theAncients, and the third is the managerial governmentality, whichFoucault sketches very briefly and incompletely, and which wewill problematize here.Key-words : Foucault, power, government, management.

Classement JEL : M10

INTRODUCTION

Après avoir raconté une histoire de la folie, une autre du regardmédical et une autre encore des sciences, Foucault a entrepris, dansles années 70, de questionner le pouvoir, et ce non pas d’abord parrapport au savoir ou à soi, mais par rapport aux autres. C’est ceFoucault qui nous intéresse ici, celui des disciplines, du biopouvoiret de la gouvernementalité, plutôt que celui qui avait « la passiondu concept » et du « système » (Foucault 1966, p. 514), ou quecelui qui a réinterrogé les figures de la vérité dans un détour par lesAnciens (Le Texier 2010).

Les analyses foucaldiennes du pouvoir marient une grandecontinuité dans leur méthode et dans leurs intentions à d’impor-tantes sinuosités dans leur conceptualisation, des ruptures dansleurs objets d’étude et des réinterprétations de leurs paradigmes.Contrairement à ses autres grands thèmes de recherche (la folie etla médecine, le discours et le savoir, la prison et la discipline, lasexualité et la subjectivité), ses investigations sur le biopouvoir et lagouvernementalité n’ont pas reçu la forme élaborée d’un livre – etde ce fait ont été l’objet de sa part de beaucoup moins d’interviewset de discussions que ses travaux publiés. Certes, La Volonté desavoir (1976e) est un livre sur le pouvoir ; mais il est constituéd’hypothèses plus que de conclusions et de déclarations de

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principes plus que de démonstrations. C’est un ouvrage deprospection au conditionnel : un livre-programme, pas un livre-synthèse. Les cours au Collège de France qui lui font suite, endépit de leur grande richesse et de leur forte cohérence, restent trèsimpressionnistes.

L’œuvre de Foucault ne propose donc aucune théorie expliciteet unifiée du pouvoir mais plusieurs matrices explicatives : durantla première moitié des années 70, l’auteur privilégie le coupledomination-discipline. De 1975 à 1976 il nuance brièvement cetteconception un peu binaire et négative du pouvoir au moyen de lacombinaison pouvoir-droit-vérité. Puis, de 1976 à 1978, il trace letriangle médecine-population-norme. De 1978 à 1979, il laisse de côté ceparadigme au profit de la série gouvernement-population-économie. Et lescinq dernières années de sa vie, il privilégie le schéma gouvernement-vérité-subjectivité. Il est bien évident que ces différentes matricesconceptuelles se chevauchent sans se superposer et se recoupentplus qu’elles ne se succèdent. Elles ont répondu également, demanière toute stratégique, aux différents problèmes concrets queFoucault s’est posés en sa qualité d’intellectuel spécifique. Ellescorrespondent enfin, dans sa pensée, à certaines périodisationshistoriques.

En nous limitant à l’époque moderne, nous pouvons distinguer,à la suite de notre auteur, trois grands mécanismes de contrôle desconduites : la souveraineté, la discipline et la sécurité. Pour le diregrossièrement, la souveraineté, qui a prévalu en gros du MoyenÂge jusqu’au XVIII e siècle, consiste à poser une loi et à imposerune sanction en cas d’infraction à celle-ci. La discipline, qui devientréellement importante au XVIII e siècle, ajoute à la loi un ensemblede procédés de surveillance et de correction. La sécurité enfin,paradigme qui se constitue également au XVIII e siècle, consiste àinsérer la déviation dans une série d’événements probables et lesréactions à l’infraction dans un calcul de coût, remplaçant ladistinction binaire entre permis et défendu par la fixation d’unemoyenne optimale et de limites acceptables.

En échafaudant sa notion de discipline, Foucault entendéchapper aux théories de la souveraineté et aux approches juridi-ques du pouvoir – que nous subsumons sous le vocable derationalité régalienne. Il souhaite aussi se défaire de l’épistémologieunifiante qui caractérise ses travaux des années 60. De manière

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similaire, la notion de gouvernementalité doit lui permettre depoursuivre plus avant cette critique de la rationalité régalienne etd’assouplir la conception négative du pouvoir véhiculée par sonapproche disciplinaire. Avec un succès souvent tout relatif. Car sid’un côté Foucault a le mérite de montrer comment le pouvoirmoderne n’opère pas seulement, et peut-être plus d’abord, parconcentration, répression et interdiction mais aussi par dissémi-nation, circulation et recommandation, d’un autre côté il neparvient jamais à s’extraire tout à fait de l’hypothèse répressive etdu régime juridico-discursif qu’il ne cesse de critiquer à partir de1976.

Après un analyse synthétique des différentes conceptionsfoucaldiennes du pouvoir, c’est sur la fécondité de ce termeambivalent de gouvernementalité que nous nous arrêterons pouren proposer un usage que Foucault n’a jamais véritablement osé. Ils’agira pour nous de nous glisser dans les écarts de sa pensée, deprofiter de ses imprécisions pour prolonger quelques-unes de seshypothèses. Ainsi, plutôt que de considérer ses recherches sur lagouvernementalité comme une boîte à outils tout constitués, nousles prendrons comme une collection d’esquisses. Pour ce fairenous investirons une institution dans laquelle il n’a mis qu’un boutde pied pour le retirer aussitôt – l’entreprise, entendue non pasd’abord comme force de production ou comme acteur sur unmarché, mais comme lieu d’élaboration et d’exercice d’unerationalité gouvernementale singulière.

RÉPRIMER, DISCIPLINER, DOMINER : LA PREMIÈRE

CONCEPTION FOUCALDIENNE DU POUVOIR

Réprimer et discipliner

Tel que Foucault le réfléchit rétrospectivement à plusieursreprises à partir du début des années 70, le problème du pouvoir aété posé aux intellectuels par les mouvements de 68 et par l’excèsde pouvoir qu’ont représenté le fascisme et le stalinisme (1977a,p. 146). Il constitue depuis lors un objet privilégié de sesrecherches.

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Ses premières réflexions sur le sujet sont se font dans le cadrede recherches sur le « système pénal » français depuis le MoyenÂge. Mais bien vite, il oriente sa réflexion vers le « systèmepénitentiaire », et s’éloigne des mécanismes juridiques pour étudierles dispositifs punitifs, à partir de cette situation très concrètequ’est le lancement du GIP (Groupe information prison), au seinduquel il occupe une place centrale. Le pouvoir, c’est alors celuiqu’il voit s’exercer sur les prisonniers, et qu’il a vu s’abattre sur lesétudiants tunisiens en mars 1968 ; pouvoir qui « domine, surgit,menace, écrase » (1973a, p. 402), qui enferme, qui réprime, quimatraque, qui épie, qui châtie, qui prive, qui réduit au silence, quisurveille et qui punit. Il s’agit, en deux mots, d’un pouvoir entenducomme « système de répression-suppression » aux accents totalitaires(Foucault 1971, p. 184, nous soulignons).

À partir de son étude des mécanismes punitifs élaborés etappliqués aux XVII e et XVIII e siècles, Foucault élabore sa notion dediscipline. Quoique cette « nouvelle mécanique du pouvoir » nes’exerce pas dans les limites d’une organisation particulière, tout letravail de Foucault tend néanmoins à prouver qu’elle essaimeprincipalement à partir d’une institution bien précise – l’armée – ets’incarne exemplairement dans deux autres institutions, qui en sontcomme le concentré et l’aboutissement – la police et, surtout, laprison. La prison, dont on sait l’importance qu’elle a pris dans lavie militante de Foucault, devient pour lui la « figure concentrée etaustère de toutes les disciplines » (1975, p. 259), le panoptiquefigurant le mécanisme disciplinaire par excellence.

Problématisant ainsi la société disciplinaire, Foucault entendcomplexifier, sans toutefois s’en défaire, l’approche classique dupouvoir proposée par les théories de la souveraineté. « Un droit desouveraineté et une mécanique de la discipline : c’est entre cesdeux limites, je crois, que se joue l’exercice du pouvoir », postule-t-il en 1976 (Foucault 1997, p. 34). La discipline lui offrel’opportunité de formuler la théorie d’un pouvoir non juridique,non unitaire, diffus et qui ne soit pas assignable à une institutionou un appareil unique. Mais cette conception du pouvoir luisemble toujours trop négative. « Il faut cesser, écrit-il dans Surveilleret punir (1975, p. 196), de toujours décrire les effets de pouvoir entermes négatifs : il “exclut”, il “réprime”, il “refoule”, il “censure”,il “abstrait”, il “masque”, il “cache”. En fait le pouvoir produit ; il

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produit du réel ; il produit des domaines d’objets et des rituels devérité ». Penser la productivité du pouvoir est une manière, pourFoucault, d’en montrer la positivité.

Produire ?

Cette idée d’une productivité du pouvoir, Foucault dit l’avoirtrouvée chez Bentham et surtout chez Marx, dont il cite abondam-ment le deuxième volume du Capital. Ce dernier, explique Foucault(1976a, p. 187), montre « comment, à partir de l’existence initiale etprimitive de ces petites régions de pouvoir – comme la propriété,l’esclavage, l’atelier et aussi l’armée –, a (sic) pu se former, petità petit, des grands appareils d’État ». Ces pouvoirs régionaux,précise-t-il immédiatement, ont pour fonction « d’être des produc-teurs d’une efficience, d’une aptitude, des producteurs d’un pro-duit ». La première caractéristique de ce pouvoir producteur, enplus de son caractère multiple, c’est donc son efficace, sa phéno-ménalité. Le pouvoir, c’est ce qui produit des effets : la guerreproduit de la destruction, l’école produit des aptitudes et du savoir,l’hôpital produit de la santé, etc. Sauf que, quand on en revient à ladiscipline, la démonstration de Foucault devient tautologique : laprison produit des criminels utiles à la police, l’asile produit desfous, la clinique des malades. La discipline produit ainsi de l’assu-jettissement, du contrôle et de la docilité ; la société disciplinairevise à « la fabrication de l’individu disciplinaire » (1975, p. 315). End’autres termes, la discipline, c’est ce qui produit de la discipline.

Si Foucault entend récuser la thèse du primat des conditionséconomiques, sociales et politiques de l’existence sur des sujetsdéjà immédiatement constitués, son articulation des techniquesdisciplinaires et du capitalisme reste vague. La manière dont iltraite le problème du travail des prisonniers éclaire cette ambiguïté.D’un côté, il indexe d’abord l’essor des disciplines au besoinpropre aux capitalistes d’une main d’œuvre docile. Dans cetteperspective, précise-t-il, la prison n’est « que l’une des techniquesde pouvoir qui ont été nécessaires pour assurer le développementet le contrôle des forces productives » (1976b, p. 65 ; 1973b,p. 469 ; 1976c, p. 17). L’objectif de rendre les corps et les tempsproductifs est alors pour Foucault au cœur des institutionsdisciplinaires : « L’usine, l’école, la prison ou les hôpitaux ont pour

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objectif de lier l’individu à un processus de production, deformation ou de correction des producteurs » (1974, p. 614). Ladiscipline est alors, pour lui, inséparable du travail. D’un autre côté,Foucault ne cesse de souligner comme ces travaux, que l’on asurtout promus à la fin du XVII e siècle et tout au long du XVIII e,sont des tâches stériles, comme les prisonniers sont maintenus àl’écart de la classe ouvrière, comme leurs produits sont invendablessur les marchés (cf. 1975, p. 246-247). Foucault avoue à cet égarden 1977 (1977b, p. 203) s’être jusque-là « occupé de gens quiétaient placés hors des circuits du travail productif » (fous,malades, prisonniers) et donc pour qui le travail avait « une valeursurtout disciplinaire ». La discipline, à nouveau, ne produit riend’autre qu’elle-même.

Limites de la conception du pouvoir comme domination

En faisant, de manière quasi obsessionnelle, de l’institutioncarcérale le nœud d’intelligibilité du pouvoir disciplinaire, Foucaulta écrasé la spécificité des mécanismes de contrôle développés ausein d’autres dispositifs. Il lui apparaît bel et bien dès 1973 (1973c,p. 440-441) que la « bourgeoisie » a rapidement renoncé à l’enfer-mement des travailleurs pratiqué dans les « usines-couvents » auprofit d’un système de contrôle plus subtile reposant sur l’endette-ment ouvrier, la vente à tempérament, le système des caissesd’épargne, les caisses de retraite et d’assistance, les cités ouvrières,et plus tard la consommation, le divertissement et le marketing.Cependant, Foucault ne théorise jamais ces modes de contrôle etn’en pipe mot dans Surveiller et punir. La manufacture n’apparaîtdans cet ouvrage qu’en qualité d’exemple de la diffusion duschéma disciplinaire, au prix de quelques anachronismes et del’occultation de plusieurs mécanismes de contrôle non-discipli-naires pourtant déjà décrits en détail par Marx (cf. Lefebvre 2005,p. 190-191).

L’année suivante, dans La Volonté de savoir, Foucault semblerésolu à se défaire du modèle de la prison, à élaborer d’autresmodes de résistance que la simple « vérité du discours » et àexaminer la logique juridique du pouvoir. Il s’agit désormais pourlui de faire pièce à ce qu’il nomme la représentation « juridico-discursive » des modes de gouvernement. En dénigrant les

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représentations du pouvoir comme borne qui appelle latransgression qui elle-même provoque la répression qui appelle latransgression, etc., Foucault critique autant la psychanalyse et lesthéories de la souveraineté que ses premières conceptions dupouvoir. Cependant, si Foucault a réussi à se défaire du schème dela transgression, il paraît avoir beaucoup plus de mal à se débarrasserde la notion de répression. Dans La Volonté de savoir, à mesure que saréflexion sur la sexualité dérive vers un examen de l’Étatmonarchique, son propos laisse de côté la critique du discursifpour se concentrer sur une attaque de l’aspect juridique desthéories, avant de finalement rabattre le problème du discours surcelui du pouvoir.

Sortir de la souveraineté

Telle est la première tâche que se fixe Foucault à partir de1976 : sortir de la conception dominante du pouvoir en termesjuridiques héritée des théories classiques de la souveraineté. Uneconception tellement dominante, à l’entendre (1976a, p. 186), que« l’Occident n’a jamais eu d’autre système de représentation, deformulation et d’analyse du pouvoir que celui du droit, le systèmede la loi ». Foucault reproche à ces analyses du pouvoir leur négati-vité, leur propension à totaliser et leur caractère circulaire. Ainsiexpliquent-elles l’État par l’État et projettent-elles dans l’histoireles catégories prédécoupées de « nation », de « peuple », de « com-munauté », de « démocratie », de « légitimité », de « souveraineté »ou encore de « société civile ». La raison historique de la prévalencede cette représentation du pouvoir, on la trouve à l’aube de l’âgeclassique : il s’agit évidemment de la constitution de l’Étatmonarchique et de son usage privilégié des mécanismes juridiquesface aux pouvoirs féodaux et aux résistances populaires.

De Hobbes à nos jours, la science politique est largement restéeune science de l’État. Elle a pensé le pouvoir à partir soit demodèles juridiques (qu’est-ce qui le légitime ?) soit de modèlesinstitutionnels (qu’est-ce que l’État ?). « Ce dont nous avonsbesoin, diagnostique Foucault (1977a, p. 151), c’est d’une théoriepolitique qui ne soit pas construite autour du problème de lasouveraineté, donc de la loi, donc de l’interdiction ; il faut couper latête du roi et on ne l’a pas encore fait dans la théorie politique. »

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Pour ce faire, Foucault entend « saisir le pouvoir du côté del’extrémité de moins en moins juridique de son exercice » (1997,p. 25), et « orienter l’analyse du pouvoir du côté de la domination(et non pas de la souveraineté), du côté des opérateurs matériels,du côté des formes d’assujettissement, du côté des connexions etutilisations des systèmes locaux de cet assujettissement et du côté,enfin, des dispositifs de savoir » (Ibid, p. 30). De 1976 au début del’année 1978, il privilégie deux domaines d’analyse : la guerreet la médecine ; ainsi que deux opérateurs théoriques : la tactiqueet la norme. Par la suite, Foucault modère ce cadre conceptuelau moyen de trois opérateurs théoriques : la norme, la gouverne-mentalité et la subjectivation.

GOUVERNEMENTALITÉ, LIBERTÉ, SUBJECTIVITÉ :LA SECONDE CONCEPTION FOUCALDIENNE DU POUVOIR

Guerre

En janvier 1976 (ibid, p. 21), Foucault fait le point sur sesrecherches : « Jusqu’à présent, pendant les cinq dernières années,en gros, les disciplines ; dans les cinq années suivantes, la guerre, lalutte, l’armée ». Si la prison a figuré pour Foucault l’institutiondisciplinaire par excellence, il affirme tout au long de Surveiller etpunir que l’armée a été une matrice centrale dans la formation desdisciplines.

Par la suite, il recherche dans l’armée et la guerre moins un casd’étude que des opérateurs méthodologiques. « Il s’agit en somme,résume-t-il dans La Volonté de savoir (1976e, p. 135), de s’orientervers une conception du pouvoir qui, au privilège de la loi, substituele point de vue de l’objectif, au privilège de l’interdit le point devue de l’efficacité tactique, au privilège de la souveraineté, l’analysed’un champ multiple et mobile de rapports de force où se produi-sent des effets globaux, mais jamais totalement stables, de domina-tion ». En remplaçant le schéma juridique « contrat-oppression »axé autour du légitime et l’illégitime par le schéma « guerre-répres-sion » où prévalent les questions de lutte et de domination,Foucault troque le modèle d’une domination unitaire et homogènepour celui d’une domination locale et diffuse, mais il n’en reste pas

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moins dans le schème de la domination. En 1977, il paraîtadmettre que la guerre n’est pas un principe satisfaisant d’analysedes rapports de pouvoir et c’est dès lors comme modèle degouvernement qu’il analyse l’armée – tout en conservant lesopérateurs qu’il a tiré de son analyse de la guerre : la stratégie et latactique.

Biopolitique

Dès La Volonté de savoir, Foucault cherche une conception dupouvoir non juridique, ou infra-juridique, dans les mécanismes depouvoir prenant en charge, « à partir du XVIII e siècle, la vie deshommes, les hommes comme corps vivant » (ibid, p. 117) ; dans ces« nouveaux procédés de pouvoir qui fonctionnent non pas au droitmais à la technique, non pas à la loi mais à la normalisation, nonpas au châtiment mais au contrôle, et qui s’exercent à des niveauxet dans des formes qui débordent l’État et ses appareils » (ibid,p. 118). À ce moment de la réflexion de Foucault, la rationalitéproprement moderne qui le dispute à la raison régalienne, c’estcette rationalité médicale qu’il a étudiée au début de la décennie(1963). La productivité de ce pouvoir, c’est sa capacité à prendre lavie en charge, à la valoriser, à la faire croître. C’est un pouvoir quiagit sur la prolifération des êtres, sur les naissances, la mortalité, lesmaladies, la santé, la durée de vie ou encore la longévité. Auxtechnologies de discipline, qui s’appliquaient aux corps singuliers età l’organique (anatomo-politique), Foucault ajoute donc des « techno-logies de régulation » qui visent, à partir du milieu du XVIII e siècle,la population et le biologique ; il les subsume sous le vocable debiopolitique.

Ce faisant, notre auteur rectifie son hypothèse antérieured’une « société disciplinaire généralisée » (1976e, p. 225). Si la bio-politique ne succède pas aux disciplines mais les inclut, Foucaultpasse bien, en revanche, d’une société de la loi à une société de lanorme. Selon ce schéma, la discipline n’est plus une contrainteextérieure et correctrice s’exerçant sur les corps mais une volontéintériorisée par voie de suggestion, de prévention et de manipu-lation des variables du milieu. Selon cet entendement du pouvoir,il n’y a plus transgression de la loi mais déviation par rapport à unenorme. Et c’est très logiquement que « la médecine, science par

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excellence du normal et du pathologique, va être la science reine »(1976d, p. 75-76).

Gouvernementalité

Dans son cours du 25 janvier 1978, Foucault remarque que plusil traite de la population et moins il parle du souverain au profit dela notion de gouvernement. Lors du cours suivant, il élabore pour lapremière fois le concept de « gouvernementalité », qui devient trèsrapidement l’opérateur privilégié à partir duquel il questionne ànouveaux frais le pouvoir (2004a, p. 111-112). Le gouvernement,ce mode d’exercice du pouvoir « ni guerrier ni juridique » (1982b,p. 314), doit lui permettre de s’éloigner encore un peu plus duparadigme régalien – dont il ne se déferra toutefois jamais.

Cette notion de gouvernementalité reste assez fluctuante chezFoucault – ce qui pourrait expliquer le grand succès universitairequ’elle rencontre depuis une vingtaine d’années. Dès son premierusage connu (2004a, p. 111-112), le terme « gouvernementalité »prend en effet immédiatement trois sens distincts pour Foucault.Chacune de ces significations se rapporte alors, d’une manière oud’une autre, aux manières de gouverner élaborées par les Étatsoccidentaux à partir du XVIII e siècle. Foucault entend utiliser cenouvel opérateur pour élaborer une généalogie de la rationalitépolitique occidentale, dont il postule (1979, p. 161) qu’elle « s’estd’abord enracinée dans l’idée de pouvoir pastoral, puis dans cellede raison d’État ».

Le pastorat est une conception du gouvernement des hommes nigrecque ni romaine, mais qui nous vient de l’Orient pré-chrétien, etnotamment des Hébreux, puis de l’Orient chrétien. « Le pasteur,analyse Foucault en 1978 (2004a, p. 170), guide vers le salut, ilprescrit la loi, il enseigne la vérité ». Ce que la pastorale a de vérita-blement spécifique, c’est qu’elle désigne un pouvoir protecteur,nourricier, bienfaisant et continue qui demande néanmoins enretour une obéissance permanente et absolue. C’est cette pastoralequi constitue l’arrière-plan historique de la gouvernementalité quiva s’institutionnaliser dans l’État à partir du XVI e et du XVII e siècle.

Toute une littérature sur l’art de gouverner émerge en Europeaux XVI e et XVII e siècles qui distingue trois grands domainescontigus de gouvernement : soi-même, la famille, l’État. Les

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doctrines de la raison d’État, à travers lesquelles cette dernièreinstitution entre dans la pratique réfléchie des hommes décompo-sent ainsi l’action gouvernementale : la police, qui rend sensibleet préhensible la population ; un dispositif diplomatico-militairegarantissant la balance européenne ; et le mercantilisme, devantassurer aux États les moyens de leur survie et de leurs ambitions.

Sécurité et économie politique

En 1976 (1997, p. 21), Foucault disait privilégier le « triangle :pouvoir, droit, vérité ». Il lui substitue deux ans plus tard le trianglesécurité-population-gouvernement, puis très rapidement le trianglegouvernement-population-économie politique, dont les éléments « consti-tuent, à partir du XVIII e siècle, une série solide qui n’est certaine-ment pas, encore aujourd’hui, dissociée » (2004a, p. 111).

Dans la perspective de la gouvernementalité, Foucault met ausecond plan les mécanismes disciplinaires, les édifices juridiques etles dispositifs biopolitiques. Au peuple, entendu comme ensemblede sujets de droit pouvant être réglementés par des lois, il opposela population, définie non comme agrégats de corps vivant maiscomme l’ensemble « des producteurs, des acheteurs, des consom-mateurs, des importateurs, des exportateurs » (2004a, p. 46), quiréclament pour leur part un type spécifique de régulation. Répon-dant à la mobilité des biens nécessitée par le capitalisme, cette« société de sécurité » vise à la majoration économique des forcesde l’État par l’échange marchand. La police, essentiellement définiedans Surveiller et punir comme appareil de répression, d’enferme-ment et de censure, est ici analysée comme mécanisme d’autori-sation et de circulation. Foucault trouve indéniablement dans leproblème de la population, tel que le pose l’économie politique, unexemple de cette conception positive et productive du pouvoirdont il annonçait la quête dans La Volonté de savoir. Pour lui, duXVI e au XVIII e siècle, « l’art de gouverner, c’est précisément l’artd’exercer le pouvoir dans la forme et selon le modèle de l’écono-mie » (2004a, p. 98). L’idée du panoptique lui paraît alors « tout àfait archaïque » (ibid, p. 68).

Cette nouvelle matrice conceptuelle qu’il favorise pourcomprendre le pouvoir constitue l’une de ses définitions de lanotion de gouvernementalité. Le désir, selon cette perspective, n’a

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pas à être contrecarré par les lois du souverain mais utiliséprofitablement, et éventuellement manipulé. Voilà qui marque uneévolution importante dans la pensée de Foucault. Si l’économie estd’abord pour lui politique, c’est sans doute en ceci qu’elle apparaîtcomme un moyen rationnel d’action sur le peuple. Ainsi loge-t-illes réalités économiques au cœur de ses analyses du pouvoir.

La pensée physiocratique, poursuit Foucault dans ses cours auCollège de France, annonce le libéralisme, ce nouvel art degouverner qui, à partir du XVIII e siècle, consiste en la production,« la gestion et l’organisation des conditions auxquelles on doit êtrelibre » ; qui exerce un pouvoir « gestionnaire de la liberté » (2004b,p. 65, nous soulignons) ; un pouvoir qui prend la liberté pourappui ; un pouvoir producteur et consommateur de liberté. Telserait le libéralisme : un gouvernement des intérêts et non dessujets. Dans cette perspective, la liberté n’est pas quelque chosequ’il s’agit d’opposer au pouvoir ; c’est bien au contraire un instru-ment produit et utilisé par le pouvoir. Le pouvoir, dans cetteperspective, consiste à « gérer, et non plus réglementer » (2004a,p. 360, nous soulignons). Si Foucault recourt ici au lexique dumanagement pour penser le pouvoir, c’est à un titre essentiel-lement métaphorique. Ainsi ne théorise-t-il jamais l’aspectgouvernemental de la gestion.

Subjectivation

Dans son cours au Collège de France de 1979-1980, Foucaultreflue vers un lointain passé, comme s’il s’était aventuré trop avantdans son propre siècle en étudiant le néolibéralisme (2004b, p. 79et sq.). Il s’en explique ainsi au début des années 80 (1981, p. 171) :« Si l’on veut analyser la généalogie du sujet dans la civilisationoccidentale, on doit tenir compte non seulement des techniques dedomination (ce qui impose au sujet des objectifs et détermine saconduite), mais aussi des techniques de soi ». Il ne s’agit doncpas pour lui d’abandonner ses analyses du pouvoir mais de lesassouplir plus encore. Certes, les capacités et les attributs dessujets, les libertés mêmes dont ils peuvent jouir ou auxquelles ilspeuvent aspirer, tout cela est façonné par les dispositifs de gouver-nement. Mais il est mille et une façons de suivre une règle et biendes marges de manœuvre laissées aux individus dans leur devenir

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sujet. Dans cette perspective stratégique, le gouvernement formeun ensemble de relations de pouvoir réversibles, par opposition àla domination entendue comme fixation de ces relations en unehiérarchie stable. Et la notion de gouvernementalité d’être redé-finie comme « rencontre entre les techniques de dominationexercées sur les autres et les techniques de soi » (1982a, p. 785 ;cf. Bonnafous-Boucher 2009).

Cette reformulation du problème du gouvernement lui permetde donner une réelle positivité au pouvoir et de se défaire en parti-culier d’une vision du gouvernement comme action consciente,volontaire et finalisée. Foucault concède ainsi, au début de l’année1984 (1984, p. 727), que « les relations de pouvoir ne sont pasquelque chose de mauvais en soi, dont il faudrait s’affranchir ; jecrois qu’il ne peut pas y avoir de société sans relations de pouvoir,si on les entend comme stratégies par lesquelles les individusessaient de conduire, de déterminer la conduite des autres ».Cependant, dès 1980, ses objets d’étude l’amènent rapidement àremettre le problème de la vérité au cœur de sa réflexion et àdonner à celui du pouvoir une moindre importance. Selon son amiPaul Veyne (2008, p. 185), « l’intérêt qu’il s’était découvert pourles philosophie antiques l’avait emporté, il s’était fait l’analyste du“souci de soi” ». Ces techniques de soi auxquelles Foucaults’intéresse, ce sont certes des techniques de gestion de soi, mais cesont avant tout des techniques de connaissance de soi.

Sortir de l’État

De même que l’étude de la sexualité lui avait permis de nuancersa conception disciplinaire du pouvoir, l’étude des techniques desoi permet à Foucault de détacher la notion de gouvernementalitéde l’État. Du moins en partie. Car s’il a bel et bien donné au gou-vernement de soi une forme souple et positive, il n’a en revanchejamais pu détacher complètement sa conception du gouvernementdes théories de la souveraineté. Et si d’un côté Foucault récusel’idée que l’État soit un universel et dénonce de manière répétée la« survalorisation du problème de l’État » (2004a, p. 112), de l’autreil n’en finit pas d’arrimer fermement son étude du gouvernement àcette figure tutélaire.

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D’un côté, Foucault utilise la notion de « gouvernement » ausens restreint d’« activité qui consiste à régir la conduite deshommes dans un cadre et avec des instruments étatiques » (2004b,p. 324) et la « raison gouvernementale » comme un type de rationa-lité mis en œuvre « dans les procédés par lesquels on dirige, àtravers une administration étatique, la conduite des hommes » (Ibid,p. 327). L’objet de ses cours au Collège de France de 1977 à 1979est en ce sens « le gouvernement des hommes dans la mesure, etdans la mesure seulement, où il se donne comme exercice de lasouveraineté politique » (Ibid, p. 2). Si l’État, la loi et la dominationne sont pas les universaux sur lesquels prend appui sa réflexion surle pouvoir, ils en demeurent ses « formes terminales » (1976e,p. 121). Bien étrange façon de s’en affranchir. De manières simi-laires, Foucault veut donner la parole aux dominés plutôt qu’auxdominants, mais ne sort pas de la domination ; il renverse l’apho-risme de Clausewitz sans en modifier les éléments ; et il annoncel’année suivante vouloir considérer « la “gouvernementalisation”de l’État » plutôt que « l’étatisation de la société » (2004a, p. 112).Bref, au lieu de décapiter le roi, Foucault lui met la tête bas.

D’un autre côté, si Foucault n’a jamais élaboré une « théorie del’État », on peut se demander s’il a véritablement souhaité faire une« généalogie de l’État », comme l’avancent certains de ses com-mentateurs (cf. Lemke 2002 ; Senellart 2004). Discutant des théo-ries de la raison d’État, il avoue n’avoir « voulu en aucun cas fairela généalogie de l’État lui-même ou l’histoire de l’État » (2004a,p. 282). S’il dit plus loin qu’une telle généalogie est possible à partirde l’étude des rationalités gouvernementales, il n’affirme jamaisavoir voulu entreprendre une telle chose. Tout au plus l’intéresseune généalogie du problème de l’État, de la manière dont l’État estdevenu un objet de questionnement et un principe d’intelligibilitédu réel.

Dans les faits, le fil du gouvernement amène Foucault às’éloigner de l’État tout au long de ses cours de 1977 à 1979.Renouant avec les premiers usages de la notion de gouvernement,il en élargit son acception à des réalités telles que la famille, lamaison, la communauté des chrétiens, les enfants, l’entreprise ouencore soi-même. Le gouvernement c’est, dans ce sens large, une« technologie du comportement humain » (2004b, p. 265), une« une action sur des actions » consistant à « conduire des

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conduites » et à « structurer le champ d’action éventuel des autres »(1982b, p. 313-314). Foucault de préciser (1984, p. 728) : « danscette notion de gouvernementalité, je vise l’ensemble des pratiquespar lesquelles on peut constituer, définir, organiser, instrumen-taliser les stratégies que les individus, dans leur liberté, peuventavoir les uns à l’égard des autres ». Dans ses analyses du gouverne-ment de soi (2001, p. 241), il parle de la même manière d’une« gouvernementalité entendue comme un champ stratégique derelations de pouvoir, au sens plus large du terme et pas simplementpolitique, […] dans ce qu’elles ont de mobile, de transformable, deréversible ».

L’État n’est donc pas le seul mécanisme de production desujets ; il ne crée pas non plus le pouvoir mais il aménage, capte etutilise des relations de pouvoir qui lui préexistent et le débordentde toutes parts. « L’État, ce n’est qu’une péripétie du gouverne-ment » tranche-t-il en 1978 (2004a, p. 253). Le gouvernementsubsume l’État comme la discipline subsume le système pénal,comme la ségrégation subsume la psychiatrie, comme la bio-politique subsume les institutions médicales et comme la subjecti-vation subsume la sexualité. Et de même que l’apparition de cettereprésentation du pouvoir précède de long temps l’État, elle n’estpas condamnée à y rester attachée. En plus de la pastorale, il estdonc possible de mettre à jour une multitude de gouvernemen-talités qui ne s’articuleraient pas directement aux mécanismes et auréférentiel propres à l’État. Il nous semble qu’une telle tâche neferait pas injustice au travail de Foucault, tout au contraire.

On peut regretter en ce sens que les notions de gouvernementet de gouvernementalité soient généralement rabattues, parbeaucoup de commentateurs de Foucault, sur l’institution étatiqueet sur l’administration publique (cf. notamment Rose and Miller1992 ; Barry, Osborne and Rose 1996 ; Lascoumes 2004 ; Berns2005). Plus encore, quand bien même ils usent de la notion degouvernance, pourtant profondément marquée par ses théorisa-tions managériales ; quand bien même il multiplient les expressionstelles que « la gestion de la population », la « production de l’indi-vidu » ou « le management de la société » ; quand bien même ilstraitent du « néolibéralisme comme rationalité politique » ; et quandbien même ils sont spécialistes des sciences de gestion, pas un

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Foucault, le pouvoir et l’entreprise 69

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commentateur de Foucault, à ma connaissance, n’a interrogé lagestion comme gouvernementalité.

ORGANISATION, CONTRÔLE, COMPTABILITÉ, EFFICACITÉ :LA GESTION, UNE CONCEPTION DU POUVOIR QUI RESTEÀ PENSER

Foucault et le marché

Foucault n’étudie jamais directement le capitalisme et ne luiaccorde pas une place bien déterminée dans ses analyses. Enrevanche il examine, dans son cours au Collège de France de 1978-1979, la manière dont la logique économique a été utilisée par leslibéraux pour reconfigurer la rationalité régalienne du XVIII e auXX e siècle. C’est en ce sens qu’il analyse longuement les deuxdernières incarnations principales du libéralisme : l’ordolibéralismeet le néolibéralisme.

Dans la droite lignée du libéralisme classique, le gouvernementde type ordolibéral ne s’applique pas au sujet juridique mais àl’homo œconomicus, défini comme partenaire d’échange et être debesoins. Les ordolibéraux se donnent ainsi pour problème lafondation de l’État à partir du marché. L’État reste l’acteur prin-cipal et le terme de leurs analyses. Selon le schéma d’interprétationque Foucault leur reprend, c’est l’État qui, dans son propre intérêt,favorise la propagation des dispositifs de marché dans tout le corpssocial comme mécanismes de coordination économique, commeleviers de légitimation et comme moteurs de la croissance natio-nale. Le bon fonctionnement du marché appelle ainsi une inter-vention permanente du gouvernement non pas sur le marché lui-même mais sur la société, « pour que les mécanismes concurren-tiels, à chaque instant et en chaque point de l’épaisseur sociale,puissent jouer le rôle de régulateur » (2004b, p. 151). De plus, lapuissance publique doit garantir l’État de droit, soit un cadrejuridico-institutionnel permettant la bonne marche du jeuéconomique.

Ce qui est visé, à travers cette application à tout le corpssocial des principes formels d’une économie de marché, « ce n’estpas une société soumise à l’effet-marchandise, c’est une société

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soumise à la dynamique concurrentielle. Non pas une société desupermarché – une société d’entreprise » (ibid, p. 152). Et Foucaultd’ajouter (ibid, p. 231) : « Une économie faite d’unités-entreprises,une société faite d’unités-entreprises : c’est cela qui est, à la fois, leprincipe de déchiffrement lié au libéralisme et sa programmationpour la rationalisation et d’une société et d’une économie ».Seulement, s’il s’agit pour les ordolibéraux de confier à l’État latâche de généraliser la forme « entreprise » au sein de la popu-lation, de faire de l’entreprise l’unité de base de la société, c’estpour l’adapter à ce mécanisme de régulation qu’est le marché, cen’est pas que ce modèle entrepreneurial présente en lui-même quoique soit de valable. L’entreprise est ici prise par sa face externe,comme une entité agissant sur des marchés, comme « une certainemanière de se comporter dans le champ économique » (ibid,p. 180), et non pas comme un mécanisme d’organisation interneporteur d’une rationalité gouvernementale propre. Peu importe,d’une certaine manière, la manière dont sont gérées ces différentesentreprises. Seul compte l’esprit qu’elles infusent au sein de lasociété et le type d’interaction qu’elles entretiennent dans le champéconomique – à savoir l’esprit d’entreprise et la concurrencemarchande.

La clé d’intelligibilité de la théorie ordolibérale, ce n’est doncpas l’entreprise mais le marché. Il n’y a pas de théorisation de lagouvernementalité managériale chez les ordolibéraux. Tout commeles économistes classiques, ils restent à la porte de l’entreprise etn’en proposent jamais véritablement d’analyse interne. Le modèled’entreprise qu’ils entendent promouvoir, c’est celui de la petiteexploitation, du petit commerce ; c’est l’entreprise dans sa formeréduite et artisanale et non dans sa forme bureaucratique. Poureux, les individus n’ont pas à se comporter comme des entreprisesmais comme des entrepreneurs capitalistes, des petits propriétairesindividuels (cf. Dardot et Laval 2009, p. 187-272). Il y a enfin, pourles ordolibéraux, danger que les valeurs associées à la concurrencese diffusent au-delà du champ strictement économique. La moralede la société doit venir de l’État et non de l’entreprise ; elle doitêtre une éthique de la coopération et non de la concurrence. Surces points, les néolibéraux américains vont beaucoup plus loin etappliquent à tout le champ des réalités sociales autant la grilled’intelligibilité du marché que celle de l’entreprise.

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Foucault, le pouvoir et l’entreprise 71

revue de philosophie économique / volume 12, n˚ 2

Foucault et l’entreprise

Foucault n’a jamais pris l’entreprise pour objet d’étude. Si lanotion de gestion est très récurrente dans ses réflexions sur lepouvoir, elle n’a jamais fait l’objet de ses analyses. Pensant lamanufacture sur le modèle de la prison, interrogeant la rationalitééconomique du XX e siècle dans les termes de l’économie politiqueclassique et postulant une continuité fondamentale entre le XVIII eet le XX e siècle, Foucault n’a pas saisi la rupture épistémique qu’aconstitué le taylorisme au sein des théories et des pratiques de lagestion.

Comme il le reconnaît, l’idée qu’il faut « démultiplier la forme“entreprise” à l’intérieur du corps social » (2004b, p. 154) est lepoint de mire des néolibéraux plus que celui des ordolibéraux. Lenéolibéralisme présente une nouveauté radicale par rapport auxprécédentes rationalités libérales : alors que, depuis le XVIII e siècle,il ne fallait pas toucher à l’homo œconomicus, il apparaît désormaiséminemment maniable et doit être constamment adapté auxmarchés. Ce n’est plus la diffusion des mécanismes du marché quidoit favoriser la multiplication des entreprises mais l’inverse.Cependant, quand les néolibéraux, et Foucault à leur suite,esquissent quelques caractéristiques de ce pourrait être un art degouverner managérial, c’est sous l’angle des choix individuels et dugouvernement de soi, non comme mode de gouvernement desautres.

Si l’ordolibéralisme restait dans la tradition gouvernementale dulibéralisme classique, Foucault parle explicitement de « la possibi-lité d’une gouvernementalité néolibérale » (Ibid, p. 198) qui s’arti-culerait à la figure non plus de l’État ou du marché mais de l’entre-prise. Au lieu de fouiller cette possibilité dans la suite du cours de1978-1979, Foucault reflue alors vers le XVIII e et revient versl’État, pour finalement nier ce qu’il vient d’affirmer du bout deslèvres : il existerait une gouvernementalité qui ne prendrait pas laforme d’un État, qui ne fonctionnerait pas par rapport à un souve-rain unitaire, qui ne se poserait pas en termes juridiques, qui nes’exercerait pas d’abord sur un territoire, qui ignorerait les méca-nismes disciplinaires, qui ne procéderait pas par assujettissementinterne des individus, qui ne requerraient pas « le mécanisme de lanormalisation générale et de l’exclusion du non-normalisable »

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72 Thibault Le Texier

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(Ibid, p. 265). Un mode de gouvernement que nous proposons denommer la gouvernementalité managériale.

S’il est vrai, comme le dit Foucault, que le marché ne sauraitconstituer une gouvernementalité et que « la science économiquene peut pas être la science du gouvernement » (Ibid, p. 290), ilsemblerait que le management puisse en revanche en constituerune. Cette hypothèse d’un art de gouverner proprement mana-gérial n’a été que brièvement esquissée par Foucault et ne semblepas l’avoir véritablement intéressé. Repérée dans son œuvre parPaul Veyne et Gilles Deleuze, cette hypothèse n’a pas fait l’objet dedéveloppements de leur part. Le premier a bien vu dans larationalité managériale la promesse d’un art de gouverner à partentière, notamment lorsqu’il avance que « d’autres pratiques (degouvernement) sont possibles, par exemple la “grande entre-prise” » (Veyne 1978, p. 390). Le second fait de la gouvernemen-talité managériale un portrait qui nous semble inexact. Caractériséepar le pouvoir de l’argent et l’endettement, dominée par le secteurbancaire, elle se limite à la dimension du contrôle (Deleuze 1990).Un contrôle vaguement défini comme « ouvert et continue », trèsdifférents « des récentes disciplines closes » (Deleuze 1989, p. 191).Deleuze minore ainsi les fonctions d’organisation et de savoir quicaractérisent la rationalité gouvernementale gestionnaire, ainsi quele principe d’efficacité qui en constitue le cœur.

Foucault et les sciences de gestion

Si Foucault n’a pas fait un sort à l’entreprise, l’entreprise a faitun sort à Foucault, si l’on peut dire. Ses travaux ont en effet étérepris en gestion au milieu des années 80 et dans les études surl’organisation à la fin de la décennie (cf. Cooper and Burrell 1988 ;Clegg 1989). Les cours qu’il a donnés au Collège de France sur legouvernement et le libéralisme ont été publiés en 1991 dans unouvrage très lu dont l’un des éditeurs, Peter Miller, professeur decomptabilité des entreprises, a fait beaucoup pour diffuser lesanalyses foucaldiennes au sein des sciences de gestion (Burchell,Gordon and Miller 1991). Pour autant, ces analyses y restentutilisées de façon assez instrumentale et partielle. La lecture deFoucault n’a pas véritablement été l’occasion pour les managers de

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s’interroger sur leurs pratiques ou leurs schémas de pensée, commea pu l’être celle de l’Histoire de la folie pour les psychiatres.

Curieusement, c’est le Foucault de Surveiller et Punir, dupanoptique et des disciplines qui est le plus souvent lu et repris parles gestionnaires, et dans une moindre mesure sa problématisationdes techniques de soi. Loin de théoriser une gouvernementalitépropre au management, la plupart de ces analystes lui appliquentune rationalité disciplinaire souvent à peine aménagée. L’œuvre deFoucault est ainsi principalement utilisée par les théoriciens de lagestion dans des études de sociologie critique anglo-américaine(critical studies in management) visant à mettre en lumière l’aspectdisciplinaire de l’organisation des entreprises. Selon un éminentreprésentant de cette tendance, « la recherche critique anglo-saxonne va trouver dans le Foucault du Panopticon une de ses armesprincipales, son combat de guerre contre la recherche en gestion“orthodoxe” assimilée au point de vue traditionnel de la firmecapitaliste » (Starkey 2005, p. 45). Le « panoptique entrepreneurial »constituerait ainsi un cas typique de société disciplinaire (McKinlayand Starkey 1998, p. 113).

Suivant une conception marxiste bien établie, Foucault est ainsicommunément utilisé pour mettre en lumière la domination ducapital sur le travail (Gramsci 1934 ; Gorz 1973 ; Braverman 1974 ;Marglin 1974 ; Noble 1977 ; Montgomery 1979 ; Edwards 1979 ;Clawson 1980 ; Edwards, Reich, et Gordon 1982 ; Piore et Sabel1984 ; Bowles et Gintis 1986). Loin de constituer une rationalitéen soi, le management est alors représenté comme entièrementsoumis à la logique capitaliste. D’autres chercheurs utilisentFoucault pour contester la neutralité apparente des techniques, desinstruments et des dispositifs de gestion (cf. Pezet 2004). Les ana-lyses de Foucault sont aussi utilisées pour penser les relations depouvoir dans l’entreprise. La problématique du savoir-pouvoir telleque l’a élaborée notre auteur a également été très convoquée dansles études critiques sur la comptabilité dès le milieu des années 80(cf. Armstrong 1994).

Tel est l’étrange spectacle donné par les analystes foucaldiens del’entreprise : plutôt que d’utiliser les études que Foucault a menéesau voisinage de l’entreprise elle-même, ou du moins celles dispo-nibles de longue date sur la gouvernementalité, ce qui sembleraittout naturel pour des chercheurs en gouvernement des entreprises,

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ceux-ci privilégient le paradigme disciplinaire qu’il a commencé àcritiquer sitôt la parution de Surveiller et punir ainsi que le schémarégalien qu’il a si durement malmené par la suite.

La gouvernementalité managériale

À la fin du XX e siècle, dans les pays industrialisés, l’institutionqui est en mesure d’enrôler les individus, d’en prendre soin, d’entirer de l’information, de les éduquer, de les surveiller, de les punir,de les protéger, de les évaluer, de les récompenser, d’en façonnerles représentations, d’en obtenir du consentement ou encore d’eninfluencer les désirs, c’est au moins autant l’entreprise privéeque l’État. Les grandes forces subjectivantes sont aujourd’huidavantage le management et le marketing que l’administrationpublique, le droit et la police. Et la normalisation des comporte-ments passe moins par des voies religieuses, juridiques ou médi-cales que par les phénomènes de production, de consommation etde gestion. Le réseau de corps intermédiaires et de techniques degouvernement que l’État monarchique avait soit forgé, soit extirpéd’autres mains, est en cours de privatisation dans les démocratiesindustrielles depuis un siècle au profit des entreprises. Celles-cise sont également annexés les marchés. Tel est l’ensembled’hypothèses que nous entendons développer pour conclure.

La grande force organisatrice qui reconfigure aujourd’hui lesentendements courants du pouvoir, c’est sans doute moins lemarché que l’entreprise, selon des principes non pas d’intérêt, deprofit, de propriété, d’investissement ou de capital mais d’efficacité,d’organisation, de contrôle et de savoir. Selon ce prisme, le marché n’estsouvent qu’un mode parmi d’autres de coordination des entre-prises. Contrairement à ce qu’avançait Foucault, laisser les marchéslibres et les laisser sortir de la sphère proprement marchande n’estpas renoncer à toute pratique de gouvernement ; c’est favoriser unelogique de gouvernement de type managérial. Il faudrait égalementse défaire du schéma aujourd’hui commun assimilant la sociétécivile à une société de marché et le contrat social à un contratcommercial. L’idée d’individus atomisés contractant librement surdes marchés est contredite par la simple existence des grandesentreprises. À ces représentations de la société comme marché etde l’État faisant face au marché, il faudrait substituer l’idée de la

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société et l’État comme des entreprises constituées d’entreprises etinteragissant en leur qualité d’entreprises.

Penser les organisations, y compris les États ou les individus,comme des entreprises, voilà qui relève à mon sens d’une ratio-nalité non pas néolibérale mais plutôt managériale. Une rationalitéqui a été mûrie et qui s’est trouvée partiellement appliquée, entreautres, par les socialistes utopistes, les administrateurs coloniaux detous bords et les administrateurs publics de l’État, mais dont onpeut trouver trace dans la conception grecque de l’oikonomia etdans la pastorale chrétienne. Ce n’est pourtant qu’au milieu duXIX e siècle, avec l’apparition de ces grandes sociétés par actionsaméricaines que furent les entreprises de chemin de fer et detélégraphe, que cette rationalité a pris son plein essor. Au traversd’un important réseau de promotion constitué de clubs, d’associa-tions, d’instituts, d’universités, de centres de formation, d’organisa-tions internationales, de revues, de brochures, d’ouvrages, decollections, de symposiums ou encore de colloques internationaux,une nouvelle classe de cadres salariés a élaboré le noyau dur de larationalité managériale. Les ingénieurs industriels américains qui, àl’aube du XX e siècle, tournent leurs regards des machines vers lesouvriers, sont les premiers véritables penseurs de cette rationalitégouvernementale nouvelle. S’ils empruntent d’abord leurs schémasmentaux aux économistes et à l’ingénierie, ils forgent unegouvernementalité jusqu’alors inédite.

L’efficacité est le premier principe cardinal de lagouvernementalité managériale, « le “bien” élémentaire de lascience de l’administration, quelle soit publique ou privée », pourreprendre les termes d’un célèbre penseur du management (Gulick1936, p. 192). Selon ce prisme, les mots, les choses et les individussont essentiellement des producteurs d’effets. Les ingénieursaméricains du début du XX e siècle appliquent aux employés l’intel-ligence et les principes qu’ils ont développés dans la conception etle maniement d’outils techniques, mais la machine est alors, poureux, moins un paradigme ou un archétype qu’une métaphore del’exactitude et de l’efficacité. En ce sens, si la logique managériales’inspire de la rationalité instrumentale, l’intelligence de l’unene saurait être pleinement appliquée à l’autre. Tout au long duXX e siècle, ce principe d’efficacité structure progressivementl’imaginaire des sociétés industrielles au détriment de principes

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plus proprement familiaux, religieux et régaliens tels que lacohésion, la fraternité et la justice. L’efficacité est ainsi unopérateur théorique non seulement de la plupart des théoriciens dela gestion depuis Frederick Taylor mais également de nombred’historiens de l’entreprise, autre preuve de la prégnance de ceprincipe au sein du champ symbolique propre à cette institution.Pour Alfred Chandler (1977, p. 7) et une majorité d’historiens del’entreprise à sa suite, c’est bien l’efficacité de l’entreprise américainequi permettrait d’expliquer ses succès pratiques, plutôt que l’essorde l’entreprise qui pourrait rendre compte du succès symboliquedu principe d’efficacité. Au contraire, il semblerait que le principed’efficacité, loin de pouvoir expliquer les mutations existentielles etinstitutionnelles propres à la révolution industrielle, se diffusesocialement dans leur sillage. Si ce principe est bel et bien unélément ordonnateur du code génétique des grandes entreprisesaméricaines, il ne saurait expliquer leur naissance et leur essor.C’est en quelque sorte un principe moins actif que réactif.

Deuxièmement, à partir du début du XX e siècle, managerconsiste essentiellement à organiser. Le principe d’organisation a ététhéorisé par les managers scientifiques dans une opposition quasi-révolutionnaire à l’imaginaire figé du travailleur rural, du pro-priétaire terrien et du dirigeant patriarcal. Selon cette perspective,les êtres, les signes et les artefacts sont tenus pour infiniment mal-léables. Organiser, cela consiste en effet à incorporer structurel-lement des schémas préconstitués dans des espaces, des outils, descorps, des règles, des procédures, des comportements, des sym-boles, des institutions et des consciences, afin de produire efficace-ment et presque automatiquement des résultats prédéterminés.Une organisation formelle plus ou moins durable est l’un de cesprincipaux résultats. Autrement dit, l’organisation opère pararrangement et formalisation de dispositifs matériels, de symboles,d’individualités et de collectifs humains. En ce sens, organiser c’estfaire société par agencement d’artefacts, d’individus, de collectifs,d’émotions, de désirs et de signes. Ou, comme le résumentMichel Crozier et Erhard Friedberg (1977, p. 35), une organisationconsiste en une « structuration consciente des champs d’action ».La littérature gestionnaire contemporaine consiste dans une largemesure en une réflexion sur l’entreprise comme un ensembleinstitutionnalisé et formalisé de procédés de gouvernement. Elle

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consacre plus largement une conception technicienne desinstitutions entendues comme incorporation contrôlée detechniques, de représentations et de routines sociales. L’ergonomieet le design sont dans cette perspective les héritiers directs de lagouvernementalité managériale.

Le contrôle, troisième pivot de la gouvernementalité managériale,n’est ni le commandement ni la discipline. Il est même théorisé parles penseurs du management moderne en réaction à ces formesd’exercice du pouvoir. Le management est ainsi conjuration duconflit, selon l’idée que l’arbitrage, la médiation, la négociation fontrefluer la possibilité du recours à la force physique. À la grammairede l’obéissance, de la discipline et de l’interdit caractéristique desrationalités régalienne et militaire, le manager préfère l’influence, laprescription et l’injonction. Dans cette perspective, le gouverne-ment ne s’exerce pas dans un rapport en pointillé de domination etde réaction visant principalement la correction d’une transgressionde loi, mais à travers un conditionnement perpétuel de tousles types de comportement qui se veut consensuel, séduisant,prescriptif et pourquoi pas divertissant. Contrôler consiste moins àsurveiller, à punir et à discipliner qu’à normaliser, à agencer et àformer. Il ne s’agit pas de contraindre mais de persuader ; non pasde plier mais d’éduquer. Il s’agit de soumettre les travailleurs nonpas à une volonté individuelle mais à des normes objectivées.Selon un tel prisme, les ordres sont idéalement remplacés par desstandards. En cas de faute, de refus ou de révolte, le managementsanctionne par exclusion, renvoi et relégation plutôt qu’il n’en-ferme et ne châtie. Le contrôle repose donc sur des mécanismesde pouvoir détachés des corps, des personnes et du principe depropriété ; mécanismes qui, pour être impersonnels, n’en sont pasmoins hautement individualisants. Le management est égalementun type de pouvoir reposant sur la participation active des gouver-nés à leur propre gouvernement. Le stade ultime du contrôle, pourainsi dire, c’est l’autocontrôle. Contrôle de soi et des autres,participation, adhésion, consentement : à partir des années 1920, leprincipe de leardership subsume ce faisceau de concepts dessinantun art de la motivation, de l’encouragement, de la séduction, del’incitation et de l’inspiration.

Enfin, le management repose par nature sur des mécanismesde récupération, de transformation et de diffusion de savoirs

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formalisés. Autrement dit, il s’accompagnerait toujours d’unknowledge management. Le savoir est ainsi le dernier élément central dela gouvernementalité managériale. En peut le décomposer en troisdimensions structurantes. La première consiste en la mesure, lacollecte et l’enregistrement d’informations. Notons à ce titre quela comptabilité, la statistique et la communication sont souventconsidérées par les penseurs du management industriel commeun simple outil de collecte, de transformation et de circulationde l’information au service d’une organisation et d’un contrôleefficaces des comportements et des procédures, bien plutôt quecomme un élément central des dispositifs gestionnaires. Laseconde dimension majeure du principe managérial de savoir serésume en deux termes : standardisation et planification. La normalisa-tion gestionnaire ne saurait en effet exister sans recourir massive-ment à la formalisation, et notamment à l’écrit. La troisièmedimension du savoir managérial consiste à former non pas morale-ment mais techniquement des individus considérés commepresque infiniment malléables. Cette formalisation, cette transfor-mation et cette incorporation de connaissances codifiées n’est pasune dimension accessoire dont le management moderne se doteraitprogressivement, comme c’est le cas du gouvernement régalien.Les premières formalisations du management industriel y insistentet leurs auteurs reconnaissent explicitement, à l’instar d’AlexanderHamilton Church (1908, p. 10), que tout comme « le savoir est lepouvoir […] l’absence de savoir est l’impuissance ». Ainsiconstruisent-ils sciemment leur identité professionnelle autour del’idée de travailleurs intellectuels, par opposition aux ouvriersmanuels. Cette légitimation de l’autorité par le savoir est alorslargement inédite dans le milieu industriel.

CONCLUSION

En un sens, pourrait-on objecter, la grande entreprise n’a faitque s’emparer de technologies de discipline et de contrôle quiétaient déjà là. Le manager est un héritier direct du pasteur, dusouverain, du juriste, du chef militaire, de l’instituteur et dumédecin. Tout au plus a-t-il réaménagé l’arsenal gouvernementalqu’ils ont constitué au fil de l’âge classique, adapté certains

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instruments, reconfiguré des dispositifs. Mais il n’a,fondamentalement, rien inventé.

Toute nouvelle gouvernementalité semble en effet nécessaire-ment composer avec les héritages culturels et les conditions histo-riques au sein desquels elle trouve à mûrir. La gouvernementalitémanagériale n’en constitue pas moins un véritable saut qualitatifpar rapport aux gouvernementalités pastorale, patriarcale et réga-lienne, de la même manière qu’elle se détache des rationalitéscapitaliste et instrumentale – la question restant posée de savoirsi l’on peut considérer ces deux dernières logiques comme desgouvernementalités à part entière. De fait, les rationalités mar-chande et instrumentale semblent plutôt fonctionner à l’intérieurde gouvernementalités préconstituées. Il semble par exemple qu’iln’ait pas été imaginé à ce jour un type de rationalité marchandevéritablement détaché de la gouvernementalité régalienne.

Un travail approfondi de problématisation de cette rationalitémanagériale nous paraît nécessaire à trois autres titres. D’abord,nous l’avons vu, parce qu’elle peut permettre de renouvelerles approches traditionnelles du pouvoir et du gouvernement.Les schémas généraux d’appréhension du pouvoir formulés auXX e siècle, qu’ils soient inspirés de Marx, de Weber, de l’École deFrancfort ou de Foucault, se focalisent dans leur ensemble sur desdominations de type étatique, disciplinaire, juridique, physique,marchande ou encore technique. En particulier, le pouvoir y estcommunément pensé sous la figure soit du capital, de la techniqueet de la propriété, soit du souverain, de la discipline et de la loi. Denombreuses théories de la gouvernance ont, à ce titre, le mérite defigurer d’autres types de règles que les lois, d’autres types de légiti-mation de l’action que la constitutionnalité, la légalité et la justice,d’autres organes de contrôle que les forces de police ou encored’autres mécanismes de représentation que les assemblées élues.L’analyse du management comme une gouvernementalité doitpermettre de mettre au jour une conceptualisation du pouvoirs’articulant à d’autres institutions et à d’autres référentielssymboliques.

Deuxièmement, parce qu’une telle raison entrepreneuriale adepuis un siècle largement débordé les murs des entreprises pourêtre appliquée à l’administration, aux municipalités, à l’armée, àl’université, à l’école, à l’hôpital, à la police, à la famille, à l’individu,

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aux associations ou encore aux groupes religieux. Partant, cetterationalité configure également un nombre croissant de dimen-sions de notre propre vie quotidienne, à mesure que nousrecourons de plus en plus fréquemment à des entreprises pourmettre au monde et élever nos enfants, pour enterrer nos morts,prendre soin des membres infirmes et impotents de notre société,bâtir et entretenir notre habitat, nous nourrir, nous vêtir, noussoigner, nous déplacer, nous amuser, nous confier, communiquer,apprendre ou encore aimer.

Enfin parce que nous devons être, sans doute, plus conscientsde la magnitude du pouvoir managérial. Cinq siècles d’activité del’État ont forgé, souvent dans la douleur et le sang, une sensibilitédes citoyens occidentaux aux possibles excès du pouvoir régalien –et c’est une sensibilité précieuse, car la démocratie n’est jamaisacquise une fois pour toutes. Notamment grâce au travail de Marx,nous sommes également devenus plus attentifs aux pouvoirs quel’entreprise exerce sur ses membres les moins protégés, ainsi quesur les ressorts intrinsèques de la rationalité capitaliste. Il estaujourd’hui temps, sans doute, de nous sensibiliser aux pouvoirsparticuliers que les entreprises privées exercent sur la société dansson ensemble, ne serait-ce que par la simple diffusion dans tout lecorps social de la rationalité que leurs managers n’ont cessé depuisun siècle et demi de théoriser, d’étendre et de raffiner.

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Foucault, le pouvoir et l’entreprise 83

revue de philosophie économique / volume 12, n˚ 2

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– 1977b, « L’œil du pouvoir », entretien avec J.-P. Barou et M. Perrot, inJ. BENTHAM, Le Panoptique, Paris, Belfond ; in M. FOUCAULT, Dits etécrits : 1954-1988, t. III, 1976-1979, sous la dir. de D. Defert etF. Ewald, avec la collab. de J. Lagrange, Paris, Gallimard, 1994,p. 190-207.

– 1979. « “Omnes et singulatim” : Towards a criticism of “Politicalreason” » (« “Omnes et singulatim” : vers une critique de la raisonpolitique », trad. P.E. Dauzat), in S. McMurrin (ed.), The TannerLectures on Human Values, t. II, Salt Lake City, University of UtahPress, 1981, p. 223-254 ; in M. FOUCAULT, Dits et écrits : 1954-1988,t. IV, 1980-1988, sous la dir. de D. Defert et F. Ewald, avec la collab.de J. Lagrange, Paris, Gallimard, 1994, p. 134-161.

– 1981, « Sexuality and Solitude » (« Sexualité et solitude », trad.F. Durand-Bogaert). London Review of Books, vol. III n°9, p. 3, 5 et 6, inM. FOUCAULT, Dits et écrits : 1954-1988, t. IV, 1980-1988, sous la dir.de D. Defert et F. Ewald, avec la collab. de J. Lagrange, Paris,Gallimard, 1994, p. 168-178.

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– 1982b, « Le pouvoir, comment s’exerce-t-il », in H. DREYFUS etP. RABINOW, Michel Foucault : un parcours philosophique. Au-delà del’objectivité et de la subjectivité, Paris, Gallimard, p. 308-321, (Ré-édité1984).

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– 1997, « Il faut défendre la société », Cours au Collège de France, 1975-1976, Paris, Gallimard-Seuil.

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84 Thibault Le Texier

Revue de philosophie économique / volume 12, n˚ 2

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Foucault, le pouvoir et l’entreprise 85

revue de philosophie économique / volume 12, n˚ 2

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