Foucault Avec Lacan - Sophie Mendelsohn

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    Lhistoire du tumultueux compagnonnage de Foucault avec la psychanalyse estconnue. Elle est gnralement construite en deux phases. La premire, sous lesceau dune admiration mfiante, fait de Freud dans les annes soixante le nomdune triple opration o Foucault pouvait reconnatre ses propres problmes :

    abolition de la distinction entre le normal et lanormal, le signifiant et linsigni-fiant ; minoration des prtentions de la conscience par la promotion de lin-conscient ; instauration dun principe de soupon lgard de la normativitmdicale. Une distance critique simposait dj nanmoins, pour ne pas suc-comber limprialisme freudien. Mais l o il avait t question de sexualit etdinconscient, douverture des registres marginaliss par la science de lexp-rience humaine, il tait question dans la phase suivante, celle des annessoixante-dix, dune critique sans concession, virant loccasion lattaque fron-tale. Alors que la psychanalyse stait propose au regard de Foucault comme li-mite interne lentreprise scientifique duniversalisation dune connaissanceidalement transparente elle-mme, elle passe cette poque du ct des pro-cdures de contrle et de normalisation : Quest-ce que cest que cette pudeursacralisante, sinterrogeait Foucault, qui consiste dire que la psychanalyse narien voir avec la normalisation 1 ?

    A quoi faut-il attribuer ce changement ? Si Foucault en vient inscrire la praxispsychanalytique au registre du dispositif de sexualit 2, cest quil lidentifie la

    pratique chrtienne de laveu do la pudeur sacralisante !, et quil fait decette dernire une des techniques les plus hautement valorises pour produirele vrai 3. Inscrite dans cette gnalogie, la psychanalyse participe dune her-mneutique o le sujet se voit oblig la vrit, celle-ci tant cache dans les

    Filozofski vestnik | Letnik XXXI | tevilka | |

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    Sophie Mendelsohn*

    Foucault avec Lacan : le sujet en acte

    1 M. Foucault, Pouvoir et corps (1975), Dits et crits I , Paris, Gallimard, 2001, pp. 16221628,p. 1627.2 Foucault dsigne ainsi des stratgies de rapports de force qui supportent des types de savoirayant trait la sexualit et qui sont conjointement supports par eux.3 M. Foucault, La volont de savoir, Paris, Gallimard, 1976, p. 79.

    * Psychoanalyst (Paris)

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    trfonds obscurs et inquitants de ltre et sinstrumentalisant dans une relationdautorit. Par ailleurs, Foucault indexe la spcificit de la participation de la psy-chanalyse au dispositif de sexualit la construction dune identit entre le dsiret la loi : laccs au dsir est conditionn par la rgulation et le strict encadrementdu polymorphisme pulsionnel initial au moyen de la matrice oedipienne qui assureson triomphe par linternalisation de la loi, lavnement du Surmoi et la dlimita-tion de lexercice du dsir. Dans cette critique svre, Foucault est notamment pr-cd par Deleuze et Guattari, mais leur stratgie pour rpondre ce problmecommun la psychanalyse nest pas une pratique de dsalination subjectiveparce quelle ne combat pas ce noyau de lalination quelle a cern, elle le recon-duit bien plutt dans sa pratique divergent : l o Deleuze et Guattari cherchent

    faire exister le corps sans organe comme lieu dune possible schizophrnisationdu dsir, dun dsir qui ne serait pas cod oedipiennement, Foucault passe par lecorps et les plaisirs pour chapper lasschement de la subjectivit en cherchant dvelopper un champ pratico-stratgique 4 contre le champ juridico-dis-cursif , qui pense le pouvoir en fonction de la loi Contre le dispositif de sexua-lit, le point dappui de la contre-attaque ne doit pas tre le sexe-dsir, mais lescorps et les plaisirs 5 .

    Pour essayer de prciser ce quon peut entendre par champ pratico-stratgique ,eu gard au dispositif de sexualit, dont Foucault nattend rien de moins que leremplacement dune logique de linconscient par une logique de la stratgie, oncommencera par examiner quel rapport la vrit sy joue. Le champ juridico-discursif construisait la vrit en fonction dune loi dj l, qui dtermine denhaut et avant-coup les procdures de vridiction dans le cadre desquelles le sujetsassure de lui-mme en se conformant ces manifestations prtablies de la v-rit. Ce que Foucault cherche, dans cet autre champ des pratiques et des strat-gies, cest un rapport la vrit qui nquivaut pas une obligation pour un sujet

    de dire vrai sur lui-mme ; [] [qui] nouvre jamais lme comme un domaine deconnaissances possible o les traces difficilement perceptibles du dsir devraienttre lues et interprtes. Le rapport la vrit [] nest pas une condition pist-mologique pour que lindividu se reconnaisse dans sa singularit de sujet dsirant

    SOPHIE MENDELSOHN

    4 Jemprunte cette expression Ferhat Taylan, qui la dveloppe dans son remarquable articleintitul Stratgies de la psych , in Incidence , 45, 20082009 consacr Foucault et la psy-chanalyse . Elle se construit dans une opposition la logique juridico-discursive, mais elle per-met aussi de constituer un lien fort entre stratgies et pratiques.5 M. Foucault, La volont de savoir , p. 208.

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    et quil puisse se purifier du dsir ainsi mis au jour 6. Il sagit alors dexaminer sice rapport la vrit peut tout de mme permettre au sujet de se reconnatre danssa singularit, ce qui implique de reconsidrer la fois ce quest ce rapport (com-ment il se constitue et comment il se pratique) et ce quon peut entendre exacte-ment par singularit. La question du sexe et de la sexualit se prsente comme leterrain ncessaire une telle problmatisation.

    Cest alors que souvre la troisime phase de la critique foucaldienne de la psy-chanalyse, au dbut des annes quatre-vingt, moins connue que les deux pr-cdentes. Un apaisement est reprable au point mme que Foucault est prt reconnatre une certaine dette lgard de Lacan : Il est certain que ce que jai

    pu saisir de ses uvres a certainement jou pour moi 7. Il cerne ainsi le pointdo une autre rencontre avec la psychanalyse est envisageable : Une certaineurgence de reposer autrement la question du sujet, de saffranchir du postulatfondamental que la philosophie franaise navait jamais abandonn, depuis Des-cartes, renforc par la phnomnologie. Partant de la psychanalyse, Lacan a misen lumire le fait que la thorie de linconscient nest pas compatible avec unethorie du sujet [] 8. Or, cette remise en question dune mtaphysique du sujet,que Foucault qualifie de radicale, conditionne la thorisation de linconscient,en tant que celle-ci produit le dplacement de la fonction sujet il nest plus lacause, la source du dsir, du jugement, etc. La pierre dangle sur laquelle Lacana construit sa doctrine linconscient est structur comme un langage t-moigne effectivement demble de cette incompatibilit : linconscient ne doitrien au sujet, mais tout au langage ; quant au sujet, il nen est plus que leffet.Mais cest avec lexploration de la jouissance que cette incompatibilit se creuse,ailleurs que dans le langage, mais pas sans lui, l o se niche le noyau de sin-gularit du sujet quaucune hermneutique ne saurait exhumer, mais que lacteanalytique, dont Lacan dploie la thorie entre 1966 et 1970 cherche faire exis-

    ter. Il sagira ici de mettre lpreuve de ces avances lacaniennes les trois axesde la dernire critique foucaldienne de la psychanalyse : lorientation scienti-fique de la psychanalyse (le connais-toi toi-mme y rgnerait, entrinant lou-bli du souci de soi) ; son inscription dans le champ juridico-discursif et nondans le champ pratico-stratgique ; le refus de se penser comme une technique

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    FOUCAULT AVEC LACAN: LE SUJET EN ACTE

    6 M. Foucault, Lusage des plaisirs, Paris, Gallimard, 1984, p. 100.7 Entretien avec Michel Foucault (1980), in Dits et crits II , Paris, Gallimard, 2001, pp. 860914, p. 877.8 Ibid., p. 871.

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    de travail de soi sur soi. On examinera donc comment le sujet se construit pour ledernier Foucault comme pour Lacan partir du milieu des annes soixante commeun effet en acte du rapport entre savoir et vrit, et corrlativement comment une praxologie se propose contre lpistmologie, ce que Foucault cerne dune ma-nire qui naurait sans doute pas laiss Lacan indiffrent : Jemploie le mot sa- voir en tablissant une distinction avec connaissance. Je vise dans savoir unprocessus par lequel le sujet subit une modification par cela mme quil connat,ou plutt lors du travail quil effectue pour connatre 9 . Or, dans cet horizon com-mun dun savoir li la pratique de soi, se trouve galement engag un refus, oFoucault et Lacan se rencontrent et qui devra tre explicit ici celui dune spa-ration des rgimes pratiques et thoriques.

    Vrit-foudre versus vrit-ciel 10

    Dans un cours de 1974 intitul Le pouvoir psychiatrique , Foucault rattachait laconstruction de deux catgories de vrit aux modalits de la connaissance : lesavoir scientifique, et l autre savoir. Le savoir scientifique suppose quil y a par-tout, en tout temps, de la vrit. Si celle-ci peut sans doute stablir avec plus oumoins de facilit selon les lieux et les poques, il reste que le propos scientifiquene peut consister qu se donner les bons instruments pour la dbusquer l oelle est. Rien nest assez mince ou futile pour ne pas relever dun savoir de typescientifique qui vise faire de mauvaise fortune vrit , puisquelle habitetout et nimporte quoi. En consquence de quoi nimporte qui peut ltablir, nulnest plus qualifi quun autre pour le faire, condition davoir les bonnes m-thodes et les bons outils afin de mettre en uvre une technologie adquate de lapreuve et de la dmonstration. Celle-ci vise ainsi rendre vident par des pro-cdures dtermines ce qui tait dj l.

    Pour Foucault, comme pour Lacan, le moment cartsien situe la constructionpistmique du ct de limprialisme moderne de la connaissance scientifique pour lun et lautre, en effet, la question qui sy trouve engage est celle des rap-ports du sujet la vrit. Si leurs perspectives diffrent sans pour autant tre in-compatibles, comme jessaierai de le montrer leur problme est identique :quelles sont les consquences du retournement qui se joue ce moment-l, fai-

    SOPHIE MENDELSOHN

    9 Ibid., p. 876.10 Ces expressions sont dveloppes par M. Foucault dans Le pouvoir psychiatrique, Cours au col-

    lge de France (19731974), Paris, Seuil/Gallimard/Hautes tudes, 2003.

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    sant du savoir un pralable la vrit, et non plus de la vrit un lieu dpreuve dusavoir 11? Foucault prsente cette dernire position de la vrit comme ayant t re-couverte, oublie par le triomphe de la technologie dmonstrative de la science.Cette vrit-l se prsente sous une forme disperse, discontinue, interrompue.Elle surgit de temps en temps, dans certains lieux propices et en fonction dagentsou de porteurs privilgis. Elle impose sa gographie et son calendrier celui quicherche tablir un rapport avec elle. L o la vrit-ciel de la connaissancescientifique se dmontre, la vrit-foudre se produit comme vnement ; l ola vrit-ciel se donne, la vrit-foudre se provoque ; la premire tablit unrapport de connaissance, la seconde produit un rapport de choc, ouvre lespacedun risque, nest jamais assure, nexiste que dans une certaine tension. Or, sou-

    tient Foucault, lintrieur de notre civilisation, cette vrit-vnement, cettetechnologie de la vrit-foudre, il me semble quelle a subsist longtemps et a uneimportance historique trs grande 12. Et il ny a certainement rien de fortuit ceque cette histoire des rapports entre vrit et subjectivit reprise sous le signe dela foudre souvre avec la question du sexe

    La volont de savoir , parue en 1976, pose en effet cette question partir dunetriple matrice : le sexe est devenu en Occident quelque chose dire ; le dire estle lieu de vridiction du sujet ; le sujet est aux prises avec la vrit dans le dis-cours sur le sexe. Ce qui mintressera ici, cest de montrer comment lirruptiondu sexe est le point dentre dun renouvellement de la question du sujet, asso-cie une reprise du statut de la vrit dans une pratique de parole spcifique.

    Au-del du dispositif de sexualit

    Foucault se soumet rgulirement et sans doute est-ce dabord li aux nom-breuses sollicitations quil reoit lexercice consistant prciser le sens de sa d-

    marche, voire en construire la raison rtrospectivement ; sous sa forme la plus g-nrale, il ne sest jamais agi pour lui, souligne-t-il ainsi, que de faire lhistoire de

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    FOUCAULT AVEC LACAN: LE SUJET EN ACTE

    11 Faut-il dire que nous avons traiter dautres savoirs que celui de la science, quand nousavons traiter de la pulsion pistmologique ? Et revenir encore sur ce dont il sagit : cest dad-mettre quil nous faille renoncer dans la psychanalyse ce qu chaque vrit rponde son sa- voir ? Cela est le point de rupture par o nous dpendons de lavnement de la science. Nousnavons plus pour les conjoindre que ce sujet de la science. J. Lacan, La science et la vrit ,in Ecrits, Paris, Seuil, 1966, p. 868.12 M. Foucault, Le pouvoir psychiatrique, p. 239.

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    la vrit . Cet effort de positionnement de son travail samplifie aprs la publica-tion de La volont de savoir en 1976. Il y a cela plusieurs raisons, me semble-t-il :dune part, il apparat Foucault lui-mme quil ne tiendra pas le programme deson Histoire de la sexualit 13 quil avait annonc, et il cherche sen justifier. Maiscelle-ci prend nanmoins rebours les attentes de son public. En effet, le passagede larchologie du savoir lanalytique du pouvoir navait pas surpris, dans la me-sure o sy poursuivait la construction du nexus savoir/pouvoir ; mais inscrire dansle mme programme une dramatique de la vrit , ou althurgie , qui fait ren-trer lintrieur de la subjectivit ces jeux de vrit et ces relations de pouvoir dontle sujet ntait jusque l que la projection ? Michel Foucault a maintenant entre-pris, toujours lintrieur du mme projet gnral, dtudier la constitution du su-

    jet comme objet pour lui-mme : la formation des procdures par lesquelles le su-jet est amen sobserver lui-mme, sanalyser, se dchiffrer, se reconnatrecomme domaine de savoir possible. Il sagit en somme de lhistoire de la subjecti- vit, si on entend par ce mot la manire dont le sujet fait lexprience de lui-mmedans un jeu de vrit o il a rapport soi 14. Au mme moment, dans son ultimecours, Le courage de la vrit , Foucault formule de manire trs synthtique le mou- vement en trois temps de son projet gnral, la lumire des dplacements qui ontsous-tendu la construction de ses problmes : Cest en oprant ce triple dplace-ment thorique du thme de la connaissance vers celui de la vridiction [ar-chologie du savoir], du thme de la domination vers celui de la gouvernementa-lit [analytique du pouvoir], du thme de lindividu vers celui des pratiques de soi[dramatique de la vrit] que lon peut, me semble-t-il, tudier, sans jamais lesrduire les uns aux autres, les rapports entre vrit, pouvoir et sujet 15. Or, une tellesynthse tend recouvrir prcisment ce quil sagit dclaircir : de quelle n-cessit interne luvre foucaldienne lindividu laisse-t-il place au sujet, et

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    13 Alors que le premier volume, La volont de savoir , parat en 1976, les deux suivants, Lusagedes plaisirs et Le souci de soi paratront en 1984, huit ans plus tard, donc, et aprs un long d-tour consacr larchologie du rapport soi. Par ailleurs, les volumes parus en 1984 ne cor-respondent pas au programme annonc en 1976, qui rpondait une dmarche la foishistorique et thmatique, mais doivent bien plus lenqute consacre aux formes antiquesdu souci de soi .14 M. Florence, Foucault , in Huisman (D.), d. Dictionnaire des philosophes , Paris, PUF, 1984,t. I, pp. 942944 ; in Dits et crits , pp. 14501455, p. 1452. Cette notice biographique a t rdi-ge par Michel Foucault lui-mme, sous pseudonyme.15 M. Foucault, Le courage de la vrit, Le gouvernement de soi et des autres II , Cours au Collgede France, (1984), Paris, Seuil/Gallimard/Hautes tudes, 2009, p. 10. Les notations entre cro-

    chets sont de moi.

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    comment le sujet conduit-il sinterroger sur les pratiques de soi ? Le passage dela forme individu la forme sujet devient en effet possible dans la mesure o ilexiste des pratiques discursives qui engagent la reconnaissance de la parolecomme tant le lieu dnonciation dune singularit. Si cette singularit elle-mmeest conue comme exigence de vrit si on est amen parler de soi pour direle vrai , alors il y a un espace pour lexercice dune subjectivit. Mais o se croi-sent les lments de cette squence sujet, discours, vrit ? On voit mal jusquel, en effet, par o la question de la vrit sintroduit dans le discours. Cest lesexuel qui constitue prcisment ce point de jonction.

    Foucault aborde la question de la sexualit par un biais qui tmoigne de la faon

    dont la squence sujet/vrit hrite bien effectivement de celles qui lon prcd savoir/pouvoir et vrit/pouvoir : le sexuel apparat ici par excellence commetant le registre o il faut dire le vrai, et o, corrlativement, dire le vrai cest r- vler ce quon a de plus singulier ( le rapport du discours vrai au plaisir du sexea t lun des soucis les plus constants des socits occidentales 16 ). Le plus sin-gulier nest pas tant le sexe lui-mme, en ralit, que le plaisir qui lui est associ,plaisir quil est devenu difficile dimaginer hors du dispositif grce auquel lasexualit sest constitue la fois comme un enjeu de contrle des pratiques etcomme enjeu de vridiction subjective sil y a bien quelque chose dont on esttoujours coupable, quon le sache ou non, quon le veuille ou non, cest de cenoyau opaque du plaisir, dont on ne sait pas grand-chose, sauf le dire dans lestermes institus par le dispositif de sexualit lui-mme (aveu, confession, du-cation). Cest pourquoi la question de la sexualit occupe une place dtermi-nante, au-del mme de ce que Foucault est prt reconnatre 17 : non seulementce nest pas un exemple parmi dautres dans son histoire de la subjectivit, maiscest mme plus quun cas assez privilgi, puisque cest partir de la sexualitque simpose de penser le problme du sujet dans sa tension, son ambigut pro-

    pre. On peut en effet soutenir que la question du sexe et de la sexualit est un cas

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    16 M. Foucault Loccident et la vrit du sexe , in Dits et crits , pp. 101108, p. 103.17 La question du sexe et de la sexualit a paru constituer Michel Foucault non pas sansdoute le seul exemple possible [dans lhistoire de la subjectivit], mais du moins un cas assezprivilgi : cest en effet ce propos qu travers tout le christianisme, et peut-tre au-del, lesindividus ont t appels se reconnatre tous comme sujets de plaisir, de dsir, de concupis-cence, de tentation et quils ont t sollicits, par des moyens divers (examen de soi, exercicesspirituels, aveu, confession), de dployer propos deux-mmes et de ce que constitue la partla plus secrte, la plus individuelle de leur subjectivit, le jeu du vrai et du faux. Foucault ,

    p. 1452. La notation entre crochets est de moi.

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    paradigmatique de lassujettissement : le dispositif de sexualit est un des pluspuissants qui se soient exercs sur le sujet pour larrimer la vrit mais lapuissance mme avec laquelle sexerce la loi du sexe rpondent des proces-sus de subjectivation par lesquels les pratiques du plaisir donnent lieu dautresstratgies subjectives.

    Foucault a pingl lasservissement la loi du sexe par un retournement par-ticulirement explicite : si lme est devenue en Occident la prison du corps, cestquon en a fait la chambre denregistrement de la loi en disciplinant le corps. Lecorps est marqu, rgl, construit par les effets du pouvoir, repris et instancicomme une loi interdictrice dont lme est le nom. Les agencements locaux aux-

    quels cela a donn lieu seraient apparus plus spcifiquement si Foucault avaitralis le programme quil stait fix lore de Lhistoire de la sexualit en tu-diant propos des enfants, des femmes, des perversions ou encore de la rgula-tion des naissances tous les mcanismes qui ont induit sur le sexe un discoursde vrit et organis autour de lui un rgime ml de plaisir et de pouvoir 18. Lide mme que lon puisse dtenir en soi une vrit et une vrit qui nest pasimmdiatement accessible, quil va falloir traquer, attraper, noncer , appa-raissait ainsi comme tributaire du sexuel. Pas de sujet, en somme, sans sexua-lit 19, parce que cest avec la sexualit que sintroduit la question de la vrit 20.Ce qui apparat l cest donc bien aussi lespace propre de la subjectivit : le sexecomme vrit exige en effet une reprise singulire, un retour du sujet sur lui-mme, la construction, ltablissement dun rapport soi. Il y a une densit, unematrialit du sujet qui rend possible le retournement du champ juridico-dis-cursif de la loi du sexe en un champ pratico-stratgique du corps et des plaisirs.Car si le plaisir a t rabattu sur le dispositif de sexualit, et ainsi domestiqu, ilne couvre pourtant pas tout le champ du corps et des plaisirs : il reste les marges,que lon peut faire grandir et cultiver, dont on peut faire une stratgie de rsis-

    tance face la puissance assujettissante de la loi du sexe. Foucault entretient

    SOPHIE MENDELSOHN

    18 Loccident et la vrit du sexe , p. 105.19 [L]e problme du sujet na pas cess dexister tout au long de cette question de la sexualitqui, dans sa diversit, ne cesse de le rencontrer, de le multiplier. Le retour de la morale ,entretien avec M. Foucault, in Dits et crits , pp. 15151526, p. 1524.20 Pourquoi lOccident sest-il si continment interrog sur la vrit du sexe et exig que cha-cun la formule pour soi ? Pourquoi a-t-il voulu avec tant dobstination que notre rapport nous-mme passe par cette vrit ? M. Foucault Loccident et la vrit du sexe , pp. 101

    108, p. 105.

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    ainsi lide que lon peut produire dun ct une sexualisation autre du corps( Lide que le plaisir physique provient toujours du plaisir sexuel et lide quele plaisir sexuel est la base de tous les plaisirs possibles, cela, je pense, cest vrai-ment quelque chose de faux. Ce que les pratiques S/M nous montrent, cest quenous pouvons produire du plaisir partir dobjets trs tranges, en utilisant cer-taines parties bizarres de notre corps, dans des situations trs inhabituelles,etc 21. ), et dun autre ct une dsexualisation du plaisir ( Je pense que lesdrogues doivent devenir un lment de notre culture [] En tant que source deplaisir. Nous devons tudier les drogues. Nous devons fabriquer de bonnesdrogues susceptibles de produire un plaisir trs intense 22. )

    On voit comment, poursuit Maurice Florence dans son souci de clarification,le thme dune histoire de la sexualit peut sinscrire lintrieur du projet g-nral de Michel Foucault : il sagit danalyser la sexualit comme un mode dex-prience historiquement singulier dans lequel le sujet est objectiv pourlui-mme et pour les autres, travers certaines procdures prcises de gouver-nement 23. Mais on voit aussi pourquoi Foucault naura pas ralis le programmequil stait fix : si le sexe nexiste culturellement que comme vrit du sujet, nesagit-il pas de faire lhistoire des formes de vridiction du sujet ? Que serait unehistoire de la sexualit qui ne serait pas conjointement une histoire de la sub-jectivit et une histoire de la vrit, faisant apparatre par quelles pratiques, tech-niques et stratgies le sujet construit son rapport lui-mme comme lieu de vrit ? Le programme se dplace donc : il sagit, conformment lanalytique dupouvoir, de faire une histoire de la sexualit qui ne soit pas ordonne simple-ment lide dun pouvoir-rpression, dun pouvoir-censure ayant pour effet lerefoulement, qui permette de dgager la faon dont le rgime de coercition, dediscours et de plaisir est aussi bien constitutif de la sexualit, le pouvoir sy mon-trant cette fois incitatif; mais pour ce faire, lhistoire de la sexualit se trouve ins-

    crite dans le cadre plus large de lhistoire de la subjectivit envisage commehistoire des techniques et stratgies par lesquelles le sujet construit son rapport lui-mme comme lieu de vrit.

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    FOUCAULT AVEC LACAN: LE SUJET EN ACTE

    21 Michel Foucault, une interview : sexe, pouvoir, et la politique de lidentit , in Dits et crits ,pp. 15541565, p. 1557.22 Idem.23 Foucault , op. cit., p. 1455.

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    Le souci de la vrit

    Le premier des cours, en 19801981, o Foucault poursuit les investigations au-tour de lhistoire de la sexualit tmoigne dj de ce dplacement par son titre,Subjectivit et vrit ; si la question du sexe et de la sexualit se maintient, elletend tre relativise 24 et surtout rapporte au problme de la subjectivation : Il sagit de la formation de soi travers des techniques de vie, et non du refou-lement par linterdit et la loi. Il sagit de montrer non pas comment le sexe a ttenu lcart, mais comment sest amorce cette longue histoire qui lie dans nossocits le sexe et le sujet 25.

    Or, cest dans la parole que cette histoire a pris forme. La question qui orientealors la recherche de Foucault et qui lamne revenir lAntiquit est celle-ci : comment stablit, comment se fixe et se dfinit le rapport quil y a entre le dire- vrai et la pratique du sujet 26 ? Lenjeu est la fois de dtacher le dire-vrai delaveu et de distinguer la vrit du secret, de tout ce qui est cach dans lobscu-rit de lme et donc passible dune approche psychologique. Et effectivement,rien nest plus loign dune hermneutique que ces exercices rgls (de rmi-niscence, dcriture, de gymnastique) et ces techniques de soi qui ncessitentune ascse, et dont Foucault commence tudier les formes. Le type de savoirproduit ne relve pas dun dchiffrement mais bien dune pratique de soi : la v-rit ny est pas interprter, mais apprendre, mmoriser, et pratiquer. Sa- voir et vrit ainsi situs sinscrivent dans une rationalit spcifique, celle dusouci de soi, dont la discrte permanence dans lhistoire a t obscurcie parlclat du connais-toi toi-mme socratique. La parresia 27 en est lombilic.

    SOPHIE MENDELSOHN

    24 Il serait tout fait arbitraire de lier tel ou tel moment lmergence premire du souci desoi-mme propos des actes sexuels , mais mme si leur place [aux rapports sexuels] danslordre des proccupations est assez loin dtre la premire, il est important de remarquer la ma-nire dont ces techniques du soi lient lensemble de lexistence le rgime des actes sexuels. Subjectivit et vrit , in Dits et crits II , pp. 10321037, p. 1034 et 1035.25 Ibid., p. 1034.26 M. Foucault, Lhermneutique du sujet , Cours au Collge de France (19811982), Paris,Seuil/Gallimard/Hautes tudes, 2003, p. 220.27 Notion araigne prsente dans les textes Grecs antiques, hellnistiques et romains, la par-resia comporte un registre thique et politique, et dsigne laction de dire-vrai , de tout dire . Siun seul trait lui est consacr, celui de Philodme, cette notion est prsente dans une histoire

    longue qui va de Platon Grgoire de Nysse.

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    Apparue dans Lhermneutique du sujet 28, cette notion du dire-vrai se prsentedonc comme un lieu privilgi de la construction de la subjectivit considrecomme une pratique de soi, une manire de squiper des vrits ncessaires laccomplissement de sa propre vie. Nulle part peut-tre mieux que dans lusageque Foucault fait de la parresia ne saperoit le refus dune thorie du sujet, quile substantialiserait. Le sujet sy prsente au contraire comme la forme que prend,dans des circonstances historiques dtermines, un certain rapport la vrit quiest engag dans et par un acte prcis, ici un acte de parole. Et pas plus quil ny ade sujet substantiel, il ny a de contenu de vrit. Mais il y a une parole qui pro-duit un rapport la vrit o le sujet peut se reconnatre comme tel.

    A quoi, ds lors, reconnat-on ce qui fonde le dire-vrai de la parole ? Le gouver-nement de soi et des autres 29 explore les coordonnes de cet acte par lequel on selie soi-mme par sa propre parole. Parmi tous les registres possibles de la pa-role, la parresia se reconnat dabord son style brutal: Dans la parresia, celuiqui dit vrai jette la vrit la face de son interlocuteur, une vrit violente,abrupte, tranchante 30. De sorte que le parresiaste est immdiatement confront cette condition fondamentale de son acte : le dire-vrai engage un risque pourle locuteur, et un risque non dfini, ou mal dfini, incluant jusqu sa mort mme.Ce risque se caractrise de npargner a priori aucun registre de la vie : la posi-tion sociale et politique du parresiaste est mise en jeu (on peut ainsi risquer lebannissement confronter par la parresia un tyran ses erreurs), ses relationsaffectives (on peut risquer de blesser ou mme de perdre linterlocuteur privil-gi sans qui lexercice mme de la parresia est impossible), sa relation lui-mme(lnonciation affecte ltre de lnonciateur). La parresia est ainsi toujours uneformulation de la vrit deux niveaux : il y a lnonc lui-mme de la vrit,mais cet nonc nexiste que par une nonciation dun genre particulier, quiprend le statut dacte parce quun sujet accepte de sy engager absolument, cest-

    -dire sans que cet engagement soit limit, dtermin lavance. De sorte que lecontenu de lnonc na effectivement pas de valeur en soi, puisquil ne consti-tue la parresia qu tre repris au niveau de lnonciation en tant quacte produi-sant un sujet celui qui, disant le vrai, se reconnat comme tant dune part

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    FOUCAULT AVEC LACAN: LE SUJET EN ACTE

    28 M. Foucault, Lhermneutique du sujet , Cours au Collge de France (19811982), Paris,Seuil/Gallimard/Hautes tudes, 2001.29 M. Foucault, Le gouvernement de soi et des autres , Cours au Collge de France (19821983),Paris, Seuil/Gallimard/Hautes tudes, 2008.30 Ibid., p. 54.

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    leffet de cet acte ( je suis celui que je suis davoir dit ce que jai dit et je lai ditparce que cest vrai ), et dautre part comme tant lui-mme affect diversplans par cette vrit. Si la parresia occupe la place centrale dans ce registre queFoucault nomme althurgie , cest--dire lensemble des procds par lesquelsle vrai est amen au jour, sans doute cela tient-il ce quon peut en attendre : lintroduction, lirruption du discours vrai dtermine une situation ouverte, ouplutt ouvre la situation et rend possible un certain nombre deffets qui prcis-ment ne sont pas connus 31. La parresia relve ainsi de lvnement : elle fait ir-ruption, elle surprend par sa violence, elle modifie les coordonnes de lasituation existante et ce faisant, elle produit une coupure dans la continuit dela vie.

    Ce lien du vrai louvert que ralise lacte parresiastique, on le trouve port son paroxysme dans la geste cynique laquelle Foucault sintresse dans le courssuivant, Le courage de la vrit 32 . Les cyniques vont en effet jusqu faire de laforme de lexistence une condition pour le dire-vrai, et corrlativement cest la vieelle-mme qui est manifestation de la vrit exercer par et dans sa vie le scan-dale de la vrit. Il ne sagit donc pas simplement de coordonner un acte de pa-role une prise de position ou une dcision, mais en quelque sorte dincarnercette vrit et de la prolonger dans la parresia. Les trois axes selon lesquelles sestructure la pratique de soi des cyniques une vie non dissimule, y comprisdans ses aspects les plus honteux ; une vie sans dpendance morale ou mat-rielle ; une vie hors convention ont pour effet de retourner la vie vraie en vieautre . Ce retournement se conoit en fonction dun paradoxe : la vie cynique ra-dicalise lexigence parresiastique par la ncessit daccomplir la vrit dans sa viemme ; or, cest cet accomplissement lui-mme qui implique une vie radicale-ment autre la vie de dshonneur, la vie honte, la vie danimalit, cest ce qui pour la philosophie antique, la pense antique, lthique et la culture antique

    tout entire, est le plus difficile accepter 33. Le vrai se couple donc ncessaire-ment lautre dans la parresia cynique. De sorte que si Foucault tend alors tra-duire parresia par tout dire plutt que pas dire-vrai , cest bien parce quecest de ce ct que se trouve le courage de la vrit, qui sy montre li essentiel-lement un positionnement de laltrit le vrai, ce nest jamais le mme. Nest-

    SOPHIE MENDELSOHN

    31 Ibid., p. 61.32 M. Foucault, Le courage de la vrit.33 Ibid., p. 248.

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    ce pas effectivement lautre qui donne forme louvert dans la parresia cynique,o le souci de soi comme jeu de la vrit engage la question thique : commentpratiquer la libert ?

    Ambigut du sujet

    La parresia se prsente alors nous comme un carrefour stratgique : dune part,son importance tient lintrieur du travail de Foucault au fait que la vrit synoue la parole, autrement que dans le dispositif de sexualit, mais en conti-nuant soutenir la question du sujet qui en avait merg ; dautre part, par lin-tensification quelle produit, elle met particulirement en tension lambigut

    du sujet, soumis quil est dun ct par les rgles avec lesquelles il tablit un rap-port en se reconnaissant li lobligation de les mettre en uvre, mais corrla-tivement attach sa propre identit par la conscience ou la connaissance desoi quil acquire de la sorte. Si bien que si Foucault a fait le choix de se tourner vers lAntiquit grecque ou grco-romaine, choix a priori surprenant dans la me-sure o son projet reste lanalyse des relations de pouvoir et des jeux de vrit ac-tuels, cest aussi quil y a trouv un espace o la constitution du sujet moral 34 soriente en fonction de pratiques de soi constituant autant de modes de sub-jectivation par lesquels le sujet entreprend de se connatre, se contrle,sprouve, se perfectionne, se transforme 35 . Or, toute morale est elle-mme por-teuse dambigut dans la mesure o elle se structure autour de prceptes decomportement et/ou de pense, mais o sa loi, aussi profondment accepte etapplique soit-elle, laisse ncessairement une place, mme tnue, linterpr-tation, donc linvention du sujet.

    Paradoxe apparent : la libert est bien plus une condition dexistence du pouvoirque le pouvoir nempche la libert dexister. Il ne saurait en effet y avoir de re-

    lation de pouvoir sans points dinsoumission, qui par dfinition lui chappent,mais cest bien parce que linsoumission est possible que le pouvoir a une raisondtre. Pouvoir penser une telle intrication dpend du refus de lopposition entresystmes dobligations normatifs (les formes dassujettissement du ct desquels

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    FOUCAULT AVEC LACAN : LE SUJET EN ACTE

    34 On entendra par l la faon dont lindividu circonscrit la part de lui-mme qui constitue cetobjet de pratique morale, dfinit sa position par rapport au prcepte quil suit, se fixe un cer-tain mode dtre qui vaudra comme accomplissement moral de lui-mme , M. Foucault, Usage des plaisirs et techniques de soi , in Dits et crits II , pp. 13581380, p. 1377.35 Idem.

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    se trouvent les discours vrais auxquelles appartiennent les morales), et les pro-cessus de subjectivation (du ct desquels se trouvent les pratiques singuliresde transformation de soi) ; et cest dun tel refus que sassure le champ pratico-stratgique o lambigut du sujet peut trouver un aboutissement dans lareprise possible de la question que Foucault appelle thique, du ct dune pra-tique de la libert. Ce champ dinteractions abrite des stratgies multiples et peutinduire la fois des singularits qui se fixent partir de leurs conditions dac-ceptabilit (les discours vrais) et un champ de possibles, douvertures, dindci-sions, de retournements et de dislocations ventuelles.

    Ce que propose lAntiquit, vue par Foucault, cest un sujet en acte, produit par

    son acte (sa parresia) comme plan dimmanence, partir duquel il devient pos-sible de rendre intelligible une positivit singulire, dans sa singularit mme. La formule de ce sujet en acte, dtourne des Cyniques 36, pourrait tre : Changela valeur de ton assujettissement lautre tu ne peux pas refuser, ni chapper cet assujettissement, mais si tu as accs ta libert, cest dans la mesure exacteo tu construis la possibilit de te demander ce que tu peux faire de cet assujet-tissement . Le sujet ainsi mis en fonction ne peut en aucun cas tre celui de lapsychanalyse, puisque, dans la parresia, le sujet de lnonciation y concide avecle sujet de lnonc il sagit donc dun sujet non divis par son inconscient. Del dire quil ny a aucun rapport possible entre Foucault et la psychanalyse, ilpourrait ny avoir quun pas, que daucuns ont franchi ; on ne peut reconnatrela validit de cette objection que si lon considre que les processus de subjecti- vation, et les formes de subjectivit qui en rsultent, rsolvent lassujettissement.Cela ne manquerait pas daboutir un sujet tranquille, sans conflit, jouissantparfaitement et totalement de son corps et de ses plaisirs. Mais cest faire bienpeu de crdit Foucault que de lui prter une perspective si nave 37 et de fait,on ne rencontre pas trace dun tel sujet dans les cours dont il vient dtre ques-

    tion. Au contraire, la subjectivit ny apparat jamais comme une forme stable,

    SOPHIE MENDELSOHN

    36 Il sagit de la fameuse et nigmatique injonction cynique : Change la valeur de la monnaie [ parakharaxon to nomisma ].37 Les corps et les plaisirs sont plus un horizon thico-politique quun programme rali-ser : sil faut tendre vers eux, cest que ce mouvement est en lui-mme une pratique de libert,puisquil dessine les limites de lemprise de la loi du dsir sur le sujet. Par ailleurs, lusage desplaisirs ne vise pas du tout produire une sorte de fte orgiaque permanente, mais aucontraire en faire un usage modr conforme au souci de soi, ce qui ne se fait que dans une

    guerre permanente du sujet avec lui-mme.

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    mais comme lenjeu dun travail permanent o les forces assujettissantes se trou- vent aux prises avec les possibilits de subjectivations et inversement. Rintro-duire l, avec Lacan, la dimension de linconscient ramne un sujet qui neconcide pas avec lui-mme. Mais plutt que dy voir demble une incompatibi-lit avec Foucault, pourquoi ne pas se laisser une chance de considrer ce que lesoutils psychanalytiques pourraient apporter lexplicitation de cette ambigutdu sujet, qui la concerne galement ? Cest galement par la question du sexe oude la sexualit que lassujettissement vient au sujet de la psychanalyse, et en lienavec le problme de la vrit. Or, il est possible avec les outils que Lacan met enplace partir du milieu des annes soixante de penser une imbrication du pou- voir et de linconscient mme le corps sans ramener pour autant le pouvoir

    la loi. Une telle imbrication sappuie dune part sur une autre conceptualisationdu jeu signifiant et dautre part sur une thorie de lacte qui permet de penserune logique de la stratgie .

    Les prmisses de lacte

    Prenant rebours, non sans humour, la vieille thse anti-freudienne du pan-sexualisme, Lacan claire la fonction paradoxale du sexuel pour la psychana-lyse dans son sminaire intitul Lacte analytique : le sexe nest pas tout, []cest cela la dcouverte de la psychanalyse. Si ce que Freud a dit signifie quelquechose, cest bien sr quil y a eu la rfrence ce quon attendrait qui se produisede la conjonction sexuelle, savoir une union, un tout , justement sil y a quelquechose qui simpose au terme de lexprience, cest que [] le sexe nest pas tout .Le tout vient sa place. Ce qui ne veut pas dire du tout que cette place soit laplace du tout. Le tout lusurpe en faisant croire, si je puis dire, que lui, le tout , vient du sexe 38. Or, cest prcisment dans la mesure o la psychanalyse peutconstruire le sexe comme pas-tout quil est tout pour elle

    Il faut, pour clairer un tel paradoxe, mesurer dj quel retournement prala-ble il doit son existence. Si Freud a toujours fait du plaisir lhorizon de la vie psy-chique mme lorsque lau-del de cet horizon simpose, cela ne remet pas enquestion le statut fondamentalement premier de la satisfaction , il la construitnanmoins dans la dpendance dun principe de ralit ncessaire ce que lemoi puisse tenir compte et sadapter la ralit. Le plaisir est ainsi ncessaire-

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    FOUCAULT AVEC LACAN: LE SUJET EN ACTE

    38 J. Lacan, Lacte analytique (19671968), sminaire indit, sance du 20 mars 1968.

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    ment subordonn une ralit qui lui impose son ordre 39. Apparaissent l lesprmices du couple du dsir et de la loi, fatal aux yeux de Foucault et dequelques autres. Or, dans la fidlit Freud qui lui est propre, Lacan inverselordre de succession de ces principes 40 : sil y a du rel 41 cest plutt du ct dela pulsion quon le trouve, dans sa brutalit, dans son immdiatet, dans son im-manence sauvage. Il ny a pas alors de plaisir possible pour la simple raisonquil ny a pas de sujet pour le ressentir, lidentifier comme tel. Le plaisir ne sin-troduit quavec le langage qui produit le sujet quil faut au plaisir, en rendantsymbolisable ce qui navait jusque l pas de nom et ntait donc pas pensable.Ce qui est perdu dans le processus de symbolisation de la pulsion, cest ce queLacan cherche cerner en forgeant le concept d objet a . Mais avant de sy

    intresser, constatons la chose suivante : si la pulsion cherche bien la satisfac-tion, celle-ci nest donc appropriable subjectivement que dans la mesure o elleest symbolise ; la symbolisation produit lespace ncessaire ce que puissestablir le dsir, comme diffrence entre ce qui est attendu comme rptition delexprience asubjective de satisfaction et ce qui a lieu ; si le dsir se contentaitde tmoigner de la russite sans diffrence, donc sans reste de cette opration

    SOPHIE MENDELSOHN

    39 Dans la thorie psychanalytique, nous admettons sans hsiter que le principe de plaisirrgle automatiquement lcoulement des processus psychiques; autrement dit, nous croyonsque celui-ci est chaque fois provoqu par une tension dplaisante et quil prend une directiontelle que son rsultat final concide avec un abaissement de cette tension, cest dire avec unvitement de dplaisir ou avec une production de plaisir. [] Nous devons dire cependant quentoute rigueur il est inexact de parler dune domination du principe de plaisir sur le cours desprocessus psychiques. Si une telle domination existait, limmense majorit de nos processuspsychiques devraient tre accompagne de plaisir ou conduire au plaisir, or lexprience la plusgnrale est en contradiction flagrante avec cette conclusion. Aussi doit-on admettre ceci : ilexiste dans le psychisme une forte tendance au principe de plaisir mais certaines autres forcesou conditions sy opposent de sorte que lissue finale ne peut pas toujours correspondre la ten-dance au plaisir. [] Le premier cas o lon rencontre une telle inhibition du principe de plai-sir est dans lordre. [] Sous linfluence des pulsions dauto-conservation du moi, le principede plaisir est relay par le principe de ralit; celui-ci ne renonce pas lintention de gagner fi-nalement du plaisir mais il exige et met en vigueur lajournement de la satisfaction, le renon-cement toute sorte de possibilit dy parvenir et la tolrance provisoire du dplaisir sur lelong chemin dtourn qui mne au plaisir. S. Freud, Au-del du principe de plaisir , in Es-sais de psychanalyse, Paris, Payot, 1981, pp. 4346.40 On trouve ce retournement labor dans le sminaire de 19591960, Lthique de la psycha-nalyse.41 Ce rel nest certainement pas homogne la ralit freudienne, mais celle-ci ne peut plus trepour Lacan, conformment linversion dont il est ici question, que le fantasme du sujet, qui,

    quant lui, relve bien du rel .

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    de symbolisation, alors, oui, il y aurait coalescence du dsir et de la loi, et la cri-tique que Foucault adresse la psychanalyse dans les annes soixante-dix se-rait fonde. Mais si, plutt quau rgne du signifiant, on mesure les effets de sujet lobjet a qui le cause, le signifiant savrant lui-mme enrgiment par la jouis-sance, alors la critique foucaldienne na plus la mme pertinence or, cet objeta est au travail dans la thorisation lacanienne depuis le dbut des annessoixante, trouve un support dexistence dans lacte analytique entre 1966 et 1970et modifie coextensivement la conception de linconscient et la direction de lacure.

    Lenvers de la pense

    Une attention particulire est donc porte ce drle dobjet a , dit non-spcu-laire, cest--dire dpourvu de caractristiques permettant de lui attribuer uneimage, mais dot par contre de tout ce dont Lacan a besoin pour approcher cettecatgorie particulirement difficile concevoir, celle du rel, qui tait reste danslombre jusque l, alors que limaginaire, puis le symbolique staient trouvstre le cadre des grandes oprations structurales, stade du miroir et mtaphorepaternelle notamment. Lobjet de la psychanalyse (19651966) travaille ainsi cerner lobjet a dans son surgissement et dans ses effets sur le sujet de lincons-cient. Au cur du sujet divis celui du miroir qui ne voit son image quen tantquil sy incarne comme dsir de lAutre mais qui ne peut pour autant savoir cequest exactement ce dsir ; celui de la mtaphore paternelle, qui le sauve dunealination radicale lAutre mais dont le rsultat est quil ne peut plus tre iden-tique lui-mme, identifi quil est par ce signifiant qui le reprsente , il y a cetobjet a, dont la fonction est de porter la valeur de vrit. Il est ressoud, abouchau sujet divis, et il en est considr comme le support. Avant dexaminer ce quilen est de cet abouchage , voyons comment Lacan construit cette ide du sup-

    port, qui savre relever de la cause matrielle.

    Constatons que pour y parvenir, Lacan reprend le sillon cartsien. En effet, lapremire sance de ce sminaire consacr lobjet et qui constitue aussi, riende fortuit l-dedans, lun des derniers textes des Ecrits intitul La science etla vrit dsigne bien un partage, une division, celle du savoir et de la v-rit. Lacan cherche cerner lopration de la division par une rcriture du co-gito : je pense : donc je suis , o il fait apparatre un je qui nest pas unpuisquil est divis en sujet de lnonciation ( je pense ) et sujet de lnonc

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    ( je suis ) sans quil soit possible de dmontrer quil sagit chaque fois dumme je puisque la pense est dun ct, ltre de lautre, sans unit du sujetprtablie. Les guillemets indiquent que quelque chose est dit, quil y a doncde la parole ; la parole est l du ct de ltre ; si la pense a quelque chose voir avec ltre, cela se conoit dans lordre du parltre 42. Enfin, Lacan met enrelief le donc comme lien de causalit : le donc est du ct du parltre. Il serfre alors Aristote pour faire valoir que la cause nest pas seulement ce quiprcde leffet mais le rgime dexistence dun tre et poursuit en soutenantque le statut de la vrit dans la science est dtre une cause formelle. La vrittrouve forme dans la science dans la mesure o celle-ci fait uvre de nommer,classer et dfinir tout ce qui est cest la vrit ciel de Foucault. La psy-

    chanalyse aurait quant elle un autre rapport la vrit, parce quelle en ac-centue le rle de cause matrielle : des quatre causes aristotliciennes, cest laplus inaccessible, la moins connaissable, la plus opaque, bien que la plus pr-sente cest la vrit foudre de Foucault. Cest ce qui est perceptible, sen-sible, mais qui reste inatteignable comme tel, et dont on ne peut saisir lessencemme. Lacan lui donne alors une forme, celle dun signifiant particulier : le si-gnifiant phallique, qui met en vidence lcart du signifiant avec la significa-tion. En effet, le signifiant phallique na pas pour fonction de dsigner lorganesexuel masculin, le pnis, il nen est pas le signe, il est un signifiant pur , quine se connat ni ne se pense, mais qui supporte le langage comme structuresymbolique. Lacan voit dans ce concept la participation possible de la psy-chanalyse au matrialisme historique du fait de laccentuation du statut de cau-salit matrielle de la vrit qui sy produit 43. Comment la vrit comme causematrielle, dont la science ne veut pas, est-elle donc lie ce nud questla division du sujet ?

    SOPHIE MENDELSOHN

    42 Terme anachronique ici, mais nanmoins utile puisquil fait apparatre lacte de parler commeseul fondement possible de ltre.43 Mais ce sera pour en clairer que la psychanalyse par contre en accentue laspect de causematrielle. [] Cette cause matrielle est proprement la forme dincidence du signifiant que jydfinis. Par la psychanalyse le signifiant se dfinit comme agissant dabord comme spar desa signification. [] Cest, en termes minimaux, la fonction que jaccorde au langage dans lathorie. Elle me semble compatible avec un matrialisme historique qui laisse l un vide. Peut-tre la thorie de lobjet a y trouvera-t-elle sa place aussi bien. J. Lacan, La science et la v-

    rit , p. 875876.

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    Une ontologie de lacte

    On peut trouver dans le dplacement du signifiant phallique vers la paire or-donne S 1-S244 un prolongement de cette question. Commenons par prciser cequil en est de cette paire en rappelant linversion dont il tait question plus haut :si ce qui est premier dans lordre de lexistence, cest cette exprience asubjectivedu rel, cest--dire un corps pulsionnel dont la jouissance nest pas rgle, alorsil est question de savoir ce qui permet de passer de la jouissance au plaisir, cest--dire comment ce qui tait subi peut tre appropri dans lexprience dune sa-tisfaction. Quest-ce qui permet de sy reprer dans et avec sa jouissance ? Cesten ce point que le S 1 entre en fonction : il ne sagit pas dun signifiant en parti-

    culier, cest un signifiant sans substance ; il est le trait qui tmoigne de la ren-contre contingente, mais dterminante, du langage et du corps. Cest unsignifiant sans nom, qui ne peut tre quinfr qui pourra jamais dire quel dit(ou quel non-dit) a mu la pulsion au point den rorienter le cours ? Aussicontingent soit-il, S 1 na pas fait que rencontrer le corps, il la aussi dcisivementaffect, il sy est, pour ainsi dire, intgr. Leffet de cette opration est que ds-ormais le corps peut se dire ; il nest plus ce tombeau, cet enfermement sur soi.Cest le scandale de cette division, qui laisse le sujet aux prises avec lincompl-tude et lexprience qui en dcoule, difficile soutenir, dune altrit interne,dune extimit , qui rend ncessaire cette figure que Lacan nomme Autre 45,seul recours du sujet mais recours paradoxal puisque lAutre, comme le sujet,surgit de la division et ne saurait rpondre que delle.

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    FOUCAULT AVEC LACAN: LE SUJET EN ACTE

    44 Le S indexe le signifiant chez Lacan. La paire ordonne commence tre conceptualise ds19641965 dans Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse . Elle accompagne lathorisation de lobjet a qui commence dans le sminaire sur langoisse (19621963), o ilest dj li au rel dont il est le signal , et soutient la recherche de Lacan jusqu Lenvers dela psychanalyse (19691970) dans le sens dune accentuation du rle de la jouissance ; diversdplacements sen suivront dans les sminaires des annes soixante-dix, notamment du si-gnifiant la lettre, de la langue lalangue , du symptme au sinthome...45 Il est intressant de noter qualors que la conception de lAutre trsor des signifiants fait par-tie des classiques de la doctrine, on connat moins lAutre-corps. On en trouve une des rares oc-currences dans La logique du fantasme (sminaire indit), le 26 avril 1966 : Et ceci vousindique que le lieu que jai introduit comme le lieu o sinscrit le discours de la vrit nestcertes pas [ un] incorporel. Jaurai dire ce quil est, savoir, prcisment, quil est : le corps. Par o il apparat que le signifiant et le corps ne sont pas dans un rapport dexclusion mutuelle,

    comme on pourrait tre tent de le penser, mais dans un rapport dimplication rciproque.

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    Passer par la paire ordonne est donc prcieux puisque sa structure mme ma-trialise la division dont le sujet est leffet : on na plus un signifiant phalliquemais deux signifiants qui font apparatre lcart entre eux. Au signifiant phal-lique rpondait la thorie de linconscient structur comme un langage. A la paireordonne correspond un dplacement de la thorie de linconscient caus dansle langage par la jouissance et structur comme une rptition. En effet, S 1 sur-git comme un premier signifiant qui dit le vrai sur la jouissance, cest--dire quilny a quelle, quelle est le rien, quelle est impossible, et qui en mme temps labarre de son trait et ne la fait plus apparatre quen ngatif S 1 est le nom delacte opr par le langage sur le corps. Mais il ne saccomplit comme tel qu trerepris en S 2. Si S1 est du ct du vrai parce quil lui revient de montrer que la

    jouissance est la matire de linconscient, S 2 est la reprise de S 1 du ct dun sa- voir possible, l o le signifiant indtermin quest S 1 prend forme en un signi-fiant particulier qui le dit S 1 ayant surgi se rpte en S 2. Pourtant, la rptitionne vaut pas l identit ; S 2 ne subsume pas S 1, il le signifie. Lobjet a est alorssitu comme lindex de cette rptition. La jouissance telle quelle peut exister au-del de son arrimage par le langage sy condense.

    Pris entre la foudre de la vrit et lclair du savoir, lobjet a dtermine le champdextension de la jouissance du sujet, mais il vaut en mme temps rappel de sadivision. Ce plaisir dplaisant quest la jouissance est laxe autour duquelsenroule le fantasme, qui essaye de ramener le dplaisir au plaisir lnoncfreudien on bat un enfant , ou un enfant est battu , dit bien comment la di- vision du sujet de lnonc et du sujet de lnonciation y est l mise au service duplaisir. Cest parce que lnonciateur ne se reconnat pas comme tant celui dontparle lnonc que le corps pulsionnel, mme (ou parce que) violent, retrouvedroit de cit. Toutefois, le fantasme est ici inconscient, il ne se propose lexp-rience du sujet que sous les oripeaux du symptme, nous y reviendrons. Par son

    existence, le fantasme prouve que le dsir, qui en est dans la doctrine lacanienne la fois le prolongement et la limite, ne se fonde que dune perversion gn-ralise 46 . On continue jouir sous le rgime des pulsions partielles parce quele S1 na pas rduit toute leur vie, ni norm tous leurs trajets.

    Concevoir ainsi la production de linconscient la surface du corps et mme lamatire pulsionnelle, cest se donner les moyens de penser le pouvoir sans le

    SOPHIE MENDELSOHN

    46 Lexpression est de Colette Soler, dans Lacan, linconscient rinvent , Paris, PUF, 2009.

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    roi pas de pre interdicteur lhorizon et le sexe sans la loi , pour autantque lon pense la loi comme un point central dorganisation fixe, intangible, va-lable pour tous. Que serait une loi qui ne serait pas valable pour tous, qui necrerait pas une forme duniversalit ? Cest la question poser dipe elle ladailleurs t bien souvent : fallait-il reconnatre avec Freud que linterdit laideduquel il avait dtermin la loi du fonctionnement psychique valait universelle-ment, quelle que soit la structure des groupes sociaux et la culture considrs ?Qudipe puisse ne pas valoir pour tous, en tous temps et en tous lieux, pouvaitsuffire en invalider la fonction, et contraindre la psychanalyse repenser sonrapport la loi. Lacan en a fait lun des axes de sa recherche : en utilisant le lan-gage contre le mythe dabord, puis en retournant le langage sur lui-mme pour

    en examiner le fondement de jouissance, il a effectivement rendu possible le pas-sage dune logique juridico-discursive oedipienne, un inconscient pratico-stra-tgique. L o Foucault tait tent de proposer une logique de la stratgie rivalede la logique de linconscient, on aperoit en effet plutt avec Lacan la possibi-lit dune adquation entre les deux. Car si S 1 est bien le premier trait par lequella jouissance est assujettie, on ne saurait trop souligner quil est lui-mme ind-termin, et de ce fait singulier chacun. Il est un effet de lhistoire propre chaque individu, et si son principe est gnralisable, le point de son effectua-tion reste singulier. Il est un invariant, mais un invariant vide, non prescriptif; ilaura bien sr, en tant qunonciation initiale, des effets subjectifs dont on re-trouvera les traces au niveau des noncs, mais lassujettissement quil ralisene relve pas dune logique juridique. Sans doute est-ce pour cela quil permet desinterroger sur la porte stratgique de lacte en psychanalyse.

    La stratgie de lacte ?

    La consquence troublante de cette perversion gnralise est qu il ny a pas

    dacte sexuel , au sens du moins o il sagirait dans cet acte dtablir un rapport lautre. Cest plutt un rapport soi qui sy joue, ou plus prcisment ce blocopaque de singularit quest lobjet a, auquel sabouche le fantasme et qui orientele dsir du sujet, tout en len dfendant, vers cette jouissance quil sest dentrede jeu aline en consentant tre dit par lAutre et en tre marqu dans soncorps. La clbre formule qui vient dtre rappele est plus particulirement d-plie dans deux sminaires, La logique du fantasme (19661967) et Lacte analy-tique (19671968). Sy dsigne donc le ratage dans lacte de la complmentaritqui y est recherche avec lautre, do dcoule labsence de repre fixe dans lor-

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    dre de la sexuation qui dirait lindividu homme ou femme, et qui corrlativementlui assurerait une rente de jouissance. Il y a pourtant bien une russite danslacte, celle de faire jouer plein la division et de sen servir. Cet acte-l peut trequalifi de psychanalytique. En interroger la porte stratgique, cest donc leconsidrer comme le moyen proprement psychanalytique datteindre une autre version de la division que celle dont on souffre, se plaint, et avec laquelle onentre en analyse.

    Pourquoi partir de lacte sexuel pour approcher la structure de lacte? Sans doutedabord parce que la non-rencontre des corps reprend la logique que Lacan aconstruite avec la paire ordonne 47. On ne saurait en effet perdre de vue quil

    sagit dune non-rencontre productive cest bien ce qui fait du sexe qui nestpas tout un point dappui pour penser les stratgies de linconscient. Si la psy-chanalyse commence avec lenfant, comme le dit Lacan, cest parce que lenfantest le produit de la rencontre sexuelle, et que cest en tant que tel quil a faire lui-mme comme sujet sexu. Sil y a un inconscient, cest prcisment quelopration de lengendrement sexuel dont le sujet est le produit et par rapport laquelle il a se situer reste aportique : la rencontre sexuelle ne sest pas bou-cle sur elle-mme, et le sujet en sait quelque chose, lui qui en est la chute, quien est le produit, qui atteste par son existence mme en quelque sorte que cetteopration a un reste, quelle nest pas rsolutive. Lacan construit ainsi lactesexuel sur le modle de la paire ordonne, qui produit lobjet a comme tmoi-gnage de la non-fusion de S 1 et S2 S1 nexiste que signifi en S 2, mais S 2 ne faitque signifier S 1, il ne lest pas. En tant que produit de lacte sexuel quil ny apas, lenfant lui-mme est cet objet a. Or, cest lobjet a qui inaugure aux yeux deLacan le champ proprement psychanalytique 48, dans la mesure o la vrit sypositionne comme concernant ce rel-l, celui dans lequel nous engage lactesexuel. Ce rel, cest donc celui de lacte sexuel o lUn (S 1) se donne comme fic-

    tif de nexister quen se rptant dans lAutre (S 2). LAutre apparat l en effetdans sa bivalence : trsor des signifiants parce quil offre lUn son lieu dins-cription signifiante, et en ce sens lUn nexiste que repris par cette inscriptiondans lAutre ; rservoir matriel des signifiants do le sujet se trouve marqu

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    47 Si je suis parti, cette anne, de lacte sexuel dans sa structure dacte, cest en relation cecique le sujet ne vient au jour que par le rapport dun signifiant un autre signifiant. J. Lacan, Lacte analytique , sance du 10. 05. 1967.48 Lacan a dclar plusieurs reprises quil considrait lobjet a comme tant son invention

    propre.

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    par le langage, lAutre cest le corps. Si Lacan peut avancer que cest du Un queparle toute vrit, cest quil ny a de vrit que pour autant que lUn ne se raliseque dans le signifiant que lAutre promeut pour le faire exister peine surgi,lUn est signifi dans lAutre. Or, Lacan situe la vrit comme la signifiance desdiscordances entre le rel ( il ny a pas dacte sexuel ) et ce pour quoi il se donne( il ny a que lacte sexuel ) 49. Si lacte psychanalytique peut tre considrcomme relevant dune logique de la stratgie, cest donc dans la mesure o peutsy jouer la modification du statut de la division : de tragdie du sujet qui ny ren-contrerait que sa limite, elle pourrait devenir dans lacte analytique le lieu dac-tualisation dun rapport plus libre du sujet la vrit, dans les termes dun savoir et non dune connaissance .

    Lacte analytique est en effet ce qui soustrait le rel au connatre pour le verser aucompte dun savoir o ce rel vient fonctionner. Il ny a rien connatre, etmme rien de connaissable dans lopration structurale de division dont le sujetest leffet. Sa formalisation par la paire ordonne laisse nanmoins apparatre,quelle nest pas non plus de lordre de linconnaissable. Elle se repre clinique-ment (dans le fantasme, mais aussi dans langoisse et dans le symptme, on vale voir) en fonction de lobjet a, index de la rptition par laquelle sest instituela division du sujet; lacte analytique se qualifie comme tel de produire le retourde ce reste Cet effet de division [lobjet a], cest pour autant quune fois ra-lis, quelque chose peut en tre le retour, quil peut y avoir racte, que nous pou- vons parler dacte et que cet acte [] est lacte psychanalytique 50. Lacteanalytique 51 est donc le point do la division est rejoue afin den faire lappuidun savoir singulier. Si Lacan peut dire que lacte est la rptition 52 , cestdonc parce quil est reprise de la division partir de ce qui la dsignait commerptition, lobjet a. Cest pourquoi il pourrait tre tentant de revenir sur le co-rollaire de la dfinition du sujet de linconscient dduite de la division le sujet

    est reprsent par un signifiant pour un autre signifiant en soutenant que

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    FOUCAULT AVEC LACAN: LE SUJET EN ACTE

    49 Cest bien pourquoi les relations sexuelles peuvent tre dvalorises et dautres plaisirs ducorps recherchs SM et bonnes drogues , entre autres. Si lacte sexuel accomplissait les pro-messes dont il est charg, il serait inutile daller voir ailleurs50 J. Lacan, Lacte analytique (sminaire indit), sance du 20. 03. 1968. (La notation entre cro-chets est de moi).51 Il peut avoir plusieurs formes (linterprtation, la scansion, le silence mme, un geste ven-tuellement) ; ce nest pas sa forme qui le dtermine, mais son effet : il participe de la logiquetemporelle propre linconscient, celle de laprs-coup.52 J. Lacan, La logique du fantasme (sminaire indit), sance du 22. 02. 1967.

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    dans lacte le signifiant se signifie lui-mme 53. Lacte est donc le seul lieu o lesignifiant a lapparence la fonction en tout cas de se signifier lui-mme. Cest--dire de fonctionner hors de ses possibilits 54. Ce fonctionnement annuleraitla division, et partant linconscient, mais si lacte analytique sen approche au-tant que faire se peut, cest parce que le sujet, dans lclair de lacte, est quiva-lent son signifiant il est, dans le temps de lacte, sa division mme, ce quinannule pas celle-ci mais lui donne un autre statut.

    En effet, ce rel de la division que concentre lobjet a est soustrait dans lacte la logique de la connaissance la subjectivation dans linstant ou la convocationinstantane et momentane du sujet oppose massivement lexistence au conna-

    tre. Quant au rel qui intresse la psychanalyse, il dmontre son existence par laplace que la psychanalyse donne la contingence. Or, cest prcisment delacte, comme dispositif de savoir propre linconscient, que dpend que se d-couvre la fonction du rel. Comme tout dispositif, il sinscrit dans un processuscontraignant, que Lacan dfinit ainsi : il sagit dlever limpuissance (celle dontrend raison le fantasme) limpossibilit logique (celle quincarne le rel) im-possibilit que lon pourra dcliner : il ny a pas dacte sexuel , le signifiantne se signifie pas lui-mme , etc. Ce trajet de limpuissance limpossible estcelui de la cure analytique 55, pour autant que la fonction du rel est dy faire delimpossible un savoir de vrit. Lacte o se joue la conversion dun savoir quine se sait pas (dont limpuissance tmoigne), en vrit-foudre dont on peutconstruire le savoir dans la cure (il y a de limpossible), ralise une conjonctionbien particulire : il fait de linconscient un savoir (de la division) sans sujet, entant que tel intgralement transmissible par le mathme parce quil nest pluscaptif de la position du sujet; il cerne dans un mme mouvement lobjet a commeeffet de vrit absolument singulier (la stratgie de linconscient, chaque fois

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    53 Lun des enjeux de la paire ordonne est de prsentifier qu un signifiant ne se signifie paslui-mme .54 La logique du fantasme (sminaire indit), sance du 22. 02. 1967.55 Alain Badiou en donnait un trs bel aperu dans le sminaire quil a consacr lanti-philo-sophie de Lacan en 19941995 : Et je dirais que l, mon sens, est tout lart de lanalyste, i.e.de tenir ou dtre le tenant de llvation de limpuissance limpossible par des pripties tou-jours singulires une fois faite lopration de situation [de limpossible] qui est en gnral mo-notone dans ses effets de rptition du mme. Par contre, le mode propre sur lequellimpuissance pingle de faon signifiante va se trouver leve limpossibilit logique relvedun art de la singularit vritable. Cest une formalisation ad hoc . (7me sance). (La notation

    entre crochets est de moi).

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    particulire, pour faire face la division). On entrevoit alors quoi tient ce queLacan nomme lhorreur de lacte , entre vrit-foudre et savoir insupposa-ble lacte dfait le sujet suppos savoir , celui qui soutient le transfert et letravail de lanalyse ; la place, il y a un effet de vrit qui tient ce que dans lesavoir (dont le dispositif particulier se constitue dans la cure) un rel (limpossi-ble) vient fonctionner. Si jai pu minterroger sur la porte stratgique de lacte,cest dans la mesure o il se pose en quelque sorte comme le rpondant des stra-tgies particulires de linconscient pour faire avec la division. Mais on mesureaussi quil est le point do toute stratgie vacille : que faire de limpossible ? Jy vois la reprise psychanalytique de la question thique 56 qui conduisait les der-nires recherches de Foucault : comment pratiquer la libert ?

    Le symptme, un style dexistence

    Il nest pas envisageable, en effet, de sen tenir limpossible comme fin mot detoute lhistoire du sujet, voire considrer, comme Foucault a pu tre tent de lefaire, que la leon psychanalytique se rsumerait un vous tes tous toujoursdj pigs Cela reviendrait simplement reconduire limpossible lim-puissance, dans une radicale impasse. A limpossible lanalysant est tenu, certes,mais pour tenter dy fonder le style de son existence. Cest vers cette questionque convergent les recherches rcentes dun certain nombre de lacaniens 57, vialeur intrt renouvel pour le symptme, qui se constitue comme une matricepossible de subjectivation dans la dernire partie de lenseignement de Lacan 58.

    Le symptme est un enjeu essentiel pour la psychanalyse, et la toujours t,puisque en somme cest partir de lui quelle se dtermine comme un champ pra-tique, et non comme une philosophie mais cest pourtant en fonction de la tho-rie quelle sen fabrique quelle peut tre aussi autre chose quune thrapeutique 163

    FOUCAULT AVEC LACAN: LE SUJET EN ACTE

    56 En appui cette perspective, on peut rappeler lultime et radicale reprise de lacte par Lacan,au moment de la dissolution de son cole en 1980, et trs peu de temps avant sa mort ; il lais-sait entendre que tout ldifice quil avait construit naurait quune vise ( thico-pratiquo-stratgique ) : permettre lanalyste de faire face son acte .57 Notamment : G. Morel, La loi de la mre. Essai sur le sinthome sexuel , Paris, Anthropos, 2008 ;M.-J. Sauret, Leffet rvolutionnaire du symptme , Toulouse, Ers, 2008 ; C. Soler, Lacan, lin-conscient rinvent , Paris, PUF, 2009 ; P. Bruno, Lacan, passeur de Marx. Linvention du symp-tme , Toulouse, Ers, 2010 ; E. Porge, Lettres du symptme , Toulouse, Ers, 2010.58 Cest principalement dans les sminaires RSI (19741975) et Le sinthome (19751976) que se

    trouve expose cette rethorisation du symptme.

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    On ne sadresse pas un psychanalyste, en effet, parce quon rve ou quon fait deslapsus, mais parce quon souffre sans savoir exactement de quoi, ni pourquoi, etquon a nanmoins lide que cette souffrance a quelque chose dire de/sur soi. Lesymptme tel que lentend la psychanalyse est cette condition : une suppositionde sens, qui engage une recherche curieuse, un amour du savoir , dit Lacan. Or,tant que linconscient tait conu comme entirement dtermin par la fonctionsymbolique du signifiant phallique, la conception du symptme correspondantefaisait de lui une mtaphore, une formation signifiante dchiffrer par une inter-prtation relevant ncessairement dune hermneutique. Lentre en lice du relincarn par lobjet a que lacte analytique supporte, permet denvisager le symp-tme comme tant la faon dont chacun jouit de son inconscient, soit de ce qui la

    divis partir de cette bute du rel. Dans ces conditions, le signifiant se retrouveenrgiment comme appareil de jouissance 59 il rgule encore, certes, ce quilui maintient sa fonction symbolique, mais pour le compte de la jouissance. Laquestion se pose alors de cerner la prise du symptme, comme formation de lin-conscient, sur ce rel dont il savre tre le marqueur. Rpondre cette question,cest aussi se donner une chance de cerner le symptme comme forme dexistence,dans la mesure o le rel cest ce qui ek-siste 60.

    Le rel, cest ce qui nous est donn et qui nous prcde. Il ne fait lobjet daucunchoix, pas plus que dune slection, nous le subissons dabord entirement aupoint de ne pouvoir ni le penser, ni le dire daucune faon 61. Il est donc le lieudun radical assujettissement. Or, cest prcisment en ce point que le symptmeentre en fonction dans cette configuration renouvele : il est le signe de ce qui ne va pas dans le champ du rel. Et ce qui ne va pas, cest cet assujettissement lajouissance, qui nest pas nanmoins tout fait informe, on la vu il a un nomparticulier, S 1. Le symptme, tel que le transfert le fait exister dans lanalyse, senourrit dune passion plus ou moins forte du dchiffrement, qui larrime au sens

    et au savoir et le situe de ce fait en S 2, o ne cesse dessayer de se dire cette v-rit de la jouissance qui scrit mme le corps en S 1. De sorte quen essayant de

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    59 J. Lacan, Encore, Paris, Le Seuil, 1975, p. 75.60 Le choix de la graphie heideggerienne dek-sistence renforce le statut dabsolue prsence,dtre-l du rel.61 On voit par l quune des critiques que Foucault adresse la psychanalyse lacanienne, de nepas considrer ce qui chappe au langage, pourrait faire lobjet dune contre-critique : certes,le signifiant sy prsente jusqu la fin comme incontournable, mais comme appareil de la jouis-

    sance. Et le symptme sillustre prcisment ici dtre la rponse du corps au langage.

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    dire quand mme ce rel qui ne parle pas, le symptme le fait exister et corr-lativement, linterprtation ne se satisfait plus du cadrage symbolique maispointe ce rel que le symptme fait exister en se servant notamment de lqui- voque, o le signifiant joue contre le sens, retrouve la matire de ses sonorits,se faisant en quelque sorte posie du rel. On pourrait parler ainsi dun art dusymptme, puisquil invente les formes de cet assujettissement que lacte navaitquant lui que les moyens de pointer 62 : refus du corps hystrique, fixations ob-sessionnelles, blasons de la phobie et autres langages dorgane des psychosessont dabord les rponses une division exprimente douloureusement, maisils peuvent devenir, moyennant le travail de lanalyse, les points dappui dunesubjectivation inattendue passant par lidentification au symptme 63.

    A considrer do Lacan a t amen rorienter ainsi la direction de la cure, il y a peu de doute sur le fait quil sagisse l dune pratique de soi qui relve delart : Joyce le Symptme 64 est en quelque sorte le nom propre de cette opra-tion. La rencontre avec lcrivain qui a dsarrim le langage du sens, mais qui aaussi transform dans son criture lexprience radicalement dsubjectivantedes paroles imposes en piphanies, permet Lacan denvisager une sup-plance labsence ou la dfaillance du S 1. Corrlativement, il se sert de la to-pologie borromenne pour montrer, plutt que pour dmontrer, ce qui sest malnou du rel, de limaginaire et du symbolique les trois dimensions structu-rales de linconscient coinant le sujet dans ce dfaut du nud 65 . Si symp-tme est le nom dun tel dfaut, produisant souffrance et insatisfaction,

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    FOUCAULT AVEC LACAN : LE SUJET EN ACTE

    62 P. Malengreau propose dans son article Logique intuitionniste et clinique psychanaly-tique , in Filozofski vestnik XXVII, 2/2006, p. 189209, de considrer lacte analytique commele point dappui possible dun changement de style de S 1, dun assujettissement subi un as-sujettissement consenti qui laisserait une plus grande marge de manuvre subjective.63 Cest la version de la fin de lanalyse que Lacan propose en 1976, dans la premire sancedu sminaire Linsu que cest de lune-bvue saile a mourre.64 J. Lacan, Joyce le symptme , in Autres crits , Paris, Le Seuil, 2004.65 Le nud de Joyce coince limaginaire entre le rel et le symbolique sans le nouer cest cequi produit le phnomne des paroles imposes , cest--dire ces paroles entendues sanslocuteur identifi et dont le sens est nigmatique (I), dont Joyce doit faire quelque chose pourne pas y rencontrer son cueil subjectif. Les piphanies sont effectivement la marque de sonuvre, puisque la parole (S) passe lcriture (R) sans la restitution du sens (I). Il verse ainsilnigme au compte dune forme leve par lui lart, o il se fait un nom. Lacan y voit laconstruction dun ego qui fait tenir R, S et I ensemble. Voir ce sujet la deuxime partie du

    livre de G. Morel, op. cit.

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    sinthome 66 est le nom que Lacan propose alors pour dsigner la fonction cor-rectrice dune quatrime dimension, qui offre ce qui ne tenait pas une alter-native par un autre nouage qui permette de sy retrouver avec son symptme qui aura ventuellement t profondment remani dans le cours de lanalyse, voire mme, dans certains cas, qui aura t carrment construit par le travailanalytique , au point den faire le support de son tre. Quil puisse y avoir l uneexprience de satisfaction, voil quoi Joyce lui-mme naurait pas object, luiqui se rjouissait davoir donn du travail aux universitaires pour quelques mil-lnaires Mais lombre tutlaire de Joyce continue de planer au-dessus de cetteproposition de Lacan de reconsidrer le symptme dans sa version subjectivante,sa face positive pour ainsi dire, ce qui rend difficile de le mettre lpreuve dune

    clinique moins artistique cest pourtant la direction quont prise un certainnombre de lacaniens ces dernires annes. Le sinthome est en effet lalternativela plus forte une conception du sujet soumis et pig par son inconscient,ternellement ramen cette configuration familialiste du dsir que Foucaultcraignait tant il sagit l plutt de se servir de cet inconscient rel 67, pour arti-culer la libert que la structure recle.

    Le sinthome pourrait donc tre pens comme la stratgie du symptme quand ilest lev un style dexistence ; il est orient vers un savoir-faire avec pluttque vers un savoir sur/de (champ pratique) ; il vise une identit qui ne soit pasignorante de sa dtermination par le rel de linconscient (champ thique). Desorte quil saccompagne dune double dvaluation sur le plan thorique : de la v-rit au profit du rel, de la structure logique au profit de la position de ltre, oudu style de lexistence. Cela laisse penser que le sinthome pourrait bien tre lho-rizon de lacte, dont Lacan attendait quil produise des changements dans la sur-face du sujet non pas, donc, des bouleversements affectant la structure jusqurendre caduque le symptme, mais sans doute un changement de la place du sujet

    dans la structure. Lacan reprait ainsi le passage de lacte : ce au-del de quoile sujet retrouvera sa prsence en tant que renouvele, mais rien dautre 68 . Or, lesinthome nest en effet rien de plus que la version du symptme qui permet dedonner un support ce renouvellement Joyce en est lexemple paradigmatique.Reste alors parcourir les chemins varis du sinthome

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    66 Cest principalement dans les sminaires RSI (19741975) et Le sinthome (19751976) que setrouve expose cette rethorisation du symptme.67 C. Soler dans son livre va jusqu postuler deux inconscients, le symbolique et le rel.68 J. Lacan, Lacte analytique , sance du 29. 11. 1967.

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    A lissue de ce parcours, les termes de la dernire critique foucaldienne de la psy-chanalyse peuvent tre remis en perspective. Si lon en reprend maintenant lestrois axes loubli du souci de soi au profit dune connaissance de soi, la concep-tion juridique de linconscient et le refus dune prise pratique ou techniquesur la question du sujet , il apparat quil y a en fait de vritables points de ren-contre entre Lacan et Foucault, sous lgide de leur refus commun de toute m-taphysique du sujet. On peut ainsi trouver dans la construction de la thorielacanienne de lacte comme retournement du cogito cartsien un cho du soucide soi foucaldien, et dans la promotion de la jouissance comme fondement delinconscient une contestation de toute conception juridique du fonctionnementpsychique. Enfin dans le sinthome conu comme style dexistence, une inscrip-

    tion possible du symptme du ct des techniques et des pratiques de soi estpossible.

    Cette sorte de parent discrte entre lorientation des derniers travaux de Fou-cault et les voies de la psychanalyse lacanienne 69 nest pas passe tout fait ina-perue : Somme toute, ces ouvrages dans lesquels Foucault semble engagdans un projet de rcusation de lanalyse infinie de soi, de lhermneutique dusoupon, de lalliance contre-nature de la vrit du sujet et de sa sexualit se-crte, la recherche dune thique de lesthtique et de la vie belle, ne sont-ils passes travaux les plus psychanalytiques ? Nest-il pas en parfait accord avec l ethospsychanalytique de notre poque lorsquil reconnat dans la recherche dunetelle thique, indpendante de lEglise et de lEtat, de la loi et du laboratoire,lexigence la plus authentiquement moderne de lindividu dans son rapport soi70 ? A linstar de John Forrester, Frdric Gros voit galement luvre dansles derniers cours de Foucault une rvaluation tacite de la psychanalyse, maispour autant que lon fasse une distinction nette entre prcisment la psycha-nalyse comme corpus (discours vrai) et comme pratique (dire-vrai) 71. Or, il me 167

    FOUCAULT AVEC LACAN: LE SUJET EN ACTE

    69 Dans ce contexte, je laisse de ct les travaux de Judith Butler visant rapprocher Foucaultde la psychanalyse en passant par les thories de lattachement, issues de la psychanalyseanglo-saxonne. Dans son article, Ferhat Taylan (art.cit.) montre la limite de sa dmarche But-ler se trouve en effet amene rintroduire la loi au principe du fonctionnement psychique partir dune telle conception de lassujettissement li lattachement, retombant alors sous lecoup de la critique foucaldienne de linscription juridico-discursive de la psychanalyse.70 J. Forrester, Michel Foucault et lhistoire de la psychanalyse , in Incidence , pp. 5590,p. 83.71 Entretien avec Frdric Gros et Roger Ferreri, La psychanalyse et la subjectivation thique

    dans les derniers travaux de Foucault , in Incidence , pp. 355364, p. 356.

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    semble quune telle distinction ruinerait prcisment ce dialogue entre Foucaultet Lacan, qui na pas eu lieu, mais dont on peut construire a posteriori certainspossibles. Il ny a pas de distinction possible chez Lacan entre thorie et pra-tique, et cest cela sans doute qui en fait un sujet foucaldien pour qui lthiqueet lesthtique sont indissociables. Cela saperoit particulirement nettementdans sa rencontre avec lacte, qui se joue simultanment sur plusieurs scnes,interagissant les unes avec les autres et indispensables les unes aux autres : lan-ne o Lacan consacre son sminaire la question de lacte (19671968), il pro-pose en octobre un dispositif spcifique, quil nomme la passe , dont il attendque lanalyste y prenne acte de son passage de la position danalysant celledanalyste en tmoignant de ce quaura t son rapport singulier linconscient.

    Par ailleurs, ce sminaire est interrompu en mai 1968 par les vnements cequi fera dire Lacan lanne suivante : Je ne pense pas que ce soit par hasardque ce que javais noncer cette anne -l sur lacte se soit trouv ainsi, commeje viens de le dire, tronqu. Il y a un rapport, un rapport naturellement qui nestpas de causation, entre cette carence des psychanalystes sur le sujet de ce quilen est de lacte de lacte psychanalytique nommment et puis de ces vne-ments ; mais il y a un rapport tout de mme entre ce qui cause les vnements etle champ dans lequel sinsre lacte psychanalytique [] 72. Quel rapport, Lacanne le dit pas, mais on peut supposer que se trouve l exemplifie la faon dontlacte ramne sur la scne le rel (de lHistoire, en loccasion), et dont, rcipro-quement, la grande histoire, comme lhistoire subjective, se rlise dans desactes spcifiques. Si lacte se prte particulirement une contestation de la dis-tinction entre thorie et pratique, on en trouverait nanmoins une expressiontout aussi convaincante examiner de plus prs la faon dont slabore le sin-thome, entre la forgerie joycienne et le faire topologique de Lacan, qui inscrivait,jusqu en drouter plus dun, la construction thorique dans les limites de la(simple) pratique

    Reprenons donc, pour finir, lide de praxologie lance au dbut comme unterme mettre lpreuve de ce dialogue reconstruit entre Foucault et Lacan. Ilrpond, certes, leur entreprise commune de destitution du sujet de la mta-physique, mais, plus positivement, il se propose aussi comme lenvers de lpis-tmologie, comme le cadre dune rationalit conduite par la pratique plus quepar la connaissance. On y reconnatrait ainsi un statut causal de lacte, qui pro-

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    72 J. Lacan, Dun Autre lautre (19681969), Paris, Seuil, 2006 ; sance du 04. 06. 1969.

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    duit le sujet dans la parresia ou dans lanalyse, et un statut existentiel, dans despratiques et des techniques o ce sujet sprouve et se modifie. Cette praxolo-gie serait alors la rationalit propre au sujet dont il a t ici question, un sujet enacte . Mais elle ne saurait toutefois runir Lacan et Foucault au-del de leur dif-frence irrductible reconnatre ou pas le sujet comme tant leffet de lin-conscient a assurment des consquences sur la conception dune tellepraxologie. Pourtant, si le sinthome nest pas lquivalent lacanien du corps etdes plaisirs foucaldien, il a, comme eux, pour horizon pratiquo-thique laconstitution dun style dexistence.

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