Formes et fonctions du langage à l’adolescence :

parler, se construire et exister parmi les pairs

Cyril TrimailleLabo. Lidilem

Université de Grenoble - Stendhal

PLAN

1. Fonctions du langage, des langues et des pratiques langagières

2. Aspects sociaux et sociolinguistiques de l’adolescence : un exemple

3. Formes langagières et interactionnelles4. Conclusions

quelques jalons pour un langage commun

1. Fonctions du langage, des 1. Fonctions du langage, des langues et des pratiques langues et des pratiques

langagilangagièères res

Ces langues ont des fonctions : référentielles (parler du monde)

communicatives (à autrui)mais aussi…

Jalons 1 : Langage/langues

Langage = faculté humaine universellement partagée de ‘faire’ et de ‘transmettre’ du sens

s’actualise en une multitude de langues

Outil permettant de construire le monde social, d’agir sur lui en parlant (pratiques langagières) ou en en parlant (discours)

Jalons 2 : fonction de construction sociale du langage

Pratiques langagières Discours

« chaque fois que nous nous trouvons dans une situation de communication, nous activonsune tension entre une fonction communicative

et une fonction démarcative ou identitaire de notre discours.

Nous parlons pour communiquer avec autrui, mais en même temps, par les particularités denotre façon de parler, nous nous démarquons

des autres » (Kremnitz, 2008 :13)

Jalons 3 : fonctions communicatives + démarcatives

Jalons 4 : identité et communication

Pour tout locuteur, communiquer :c’est se donner à percevoir et à catégoriser +/- comme ceux à qui l’on parle+/- différentParticipe à la « présentation de soi »

Mêmeté et différence sont les deux pôles de la construction de tout sujet

Identité = être identique + être unique

Diversité des langues + hétérogénéité au sein d’une langue

= ressources pour dire / montrer / construire

Jalons 5 : l’hétérogénéité comme ressource

qui/ce quel’on est qui/ce que

l’on n’est pasqui/ce que l’on voudrait / prétend être

quelle relation / position on a ou veut avoir par rapport à

l’interlocuteur

a) je vais le faire avant les vacances je te dis b) j(e) vais y faire avant les vacances [S ] te dis

‘sélection’ +/- consciente de variantes phonétiques et morphosyntaxiques qui permet de converger/diverger par rapport à un/des interlocuteurs, de définir la situation

tu/vous = réfère à la pers. à qui je parle mais dénote 1 relation/distance sociale différente

2 exemples

2. Aspects sociaux et 2. Aspects sociaux et sociolinguistiques de sociolinguistiques de

ll’’adolescence adolescence

SOCIALISATIONAcquisition/apprentissage

des normes et des valeurs des groupes

Socialisation : définition

influence et contrôle social horizontal

influ

ence

et c

ontrô

le

soci

al v

ertic

aux Institutions / autorités

parentales, scolairesreligieuses...

Pairs, modèles d’identification…

Socialisation adolescente• Devenir adolescent c’est :• 1) s’identifier à des pairs au plan des

représentations, des normes et valeurs et, si possible, des comportements ; et donc établir avec eux une relation au moins horizontale sur certains aspects (conquête d’autonomie, affirmation de conduites transgressives…) ;

• 2) se différencier des enfants et instaurer avec eux une relation verticale en s’y arrogeant une position haute ;

• 3) contester, en actes et/ou en discours, les normes et la domination des adultes.

Une interaction socialement significativeInteraction choisie pour la densité de phénomènesÉléments de contextualisation

Socialisation: illustration

* rencontre dans les locaux du Centre social, mais non organisée par l’institution* 1ère prise de contact avec plusieurs ados; entretiens informels, lectures de phrases* les ados s’adressent formellement au micro visible, produisant une représentation d’équipe et individuelle (cf. la métaphore théâtrale de Goffman)

899N oui bonjour je m’appelle N B (patronyme) et j’aime bien les filles […]

900K salut c’est S B (patronyme) j’aime bien les filles je suis mongol/ ciao […]

902B ça va ma poule poule poule (chantonné)903K (avec une voix aigüe) eh oui c’est N et je suis mongol et j’en suis fier (rire)904B et S. <poule poule poule> (rires et chahut)905E chut/ faites pas les cakes906S attends/ jurez wullah (par Dieu) vous boucavez

(dénoncez) pas/ jurez wallah vous boucavez pas907N La Mecque on boucave pas908S je suis C et je suis un tricard909K je m'appelle C B (patronyme) je suis toujours en

prison ciao […]910A je m'appelle C j'ai pas de coiffeur911N je m'appelle C B et je suis tricard/ donc je ne peux pas

venir à l'assoc(i)ation […]913K pa(r)ce que: j'ai fait trop de bêtises avec le shit et tout/

allez ciao

Deux leaders donnent le ton1. ouverture de N; marqueur de prise

de tour; salutation standard; réponse sérieuse à un entretien +/-parodiée; affirmation d’hétérosexualité: N lance un 1er

genre « présentation »

2. K reprend, modifie et "usurpe" l’identité de S, garçon plus jeune présent, pour le vanner : K lance un 2nd genre

3. K adresse le même axiologique cette fois à N. Il renforce sa vanne en prenant une voix aigüe, une voix de fausset, actualisant ainsi une stylisation parodique.

899N oui bonjour je m’appelle N B (prénom+nom) et j’aime bien les filles […]

900K salut c’est S B (prénom+nom) j’aime bien les filles je suis mongol/ ciao […]

903K (avec une voix aigüe) eh oui c’est N (prén.) je suis mongol et j’en suis fier (rire)

• S. demande aux autres participants de garantir (demande de jurer avec AC) qu’il ne sera pas dénoncéindiquant qu’il va dire quelque chose de « fort »

• N garantit l’omerta au nom de tous (sans toutefois jurer formellement)

• S vanne C et se présente ainsi comme apte à évaluer négativement et à attaquer la face du leader de sa grappe relationnelle et la légitimité de son leadership

S, un prétendant leur emboite le pas?

906S attends/ jurez wullah (par Dieu) vous boucavez (dénoncez) pas/ jurez wallah vous boucavez pas

907N La Mecque on boucave pas

908S je suis C (prénom)et je suis un tricard

Tricard: réglages de sens et affirmations de soi

affirmation de mêmeté par stigmatisation de l’altérité

"autre absolu"stigmatisé, stigmate

essentialisé

4 trouillard

affirmation de soi par stigmatisation de la « faiblesse »

pair ou non pair, stigmatisé,

3 battu physiquement

se pose en évaluateur d’un échange et "performe" sa capacitéà le faire

pair vanné (valeur rituelle)

2 vaincu verbalement

se catégorise comme ado émancipé par rapport aux parents et intégré dans le groupe de pairs

pair inaccompli, stigmatisé

1 serré par ses parents

Implications sociales de l’énonciation pour l’énonciateur

Implications sociales pour le tricard

Sens

• K reformule la vanne de S par une métaphore

• A déplace la vanne sur le terrain physique

• N reprend la main en adopte un style vocal et un genre de discours formel (débit lent, hyperarticulation, connecteur donc, double négation) jouant en quelque sorte l’adulte

• et K co-énonce la raison pour laquelle C est « puni » : il s’arroge le dernier mot, en introduisant le thème des stupéfiants

909K je m'appelle C B (patronyme) je suis toujours en prison ciao

910A je m'appelle C j'ai pas de coiffeur

911N je m'appelle C B et je suis tricard/ donc je nepeux pas venir àl'assoc(i)ation […]

913K pa(r)ce que: j'ai fait trop de bêtises avec le shit et tout/ allez ciao

En résumé, que se passe-t-il?formes langagières et interactionnelles 1

Chaque (pré-)adolescent y va de sa vanne, construisant sur les modèles (genres) initiés par les deux plus ‘grands’ (âgés de 14 ans)

compétition entre ces deux garçons, talonnés par un 3è plus jeune

le maniement de la catégorie "tricard" est une catégorisation sociale significative

même B qui a 9 ans (est en Cm1) s’initie à la vanne, mais sans maitriser les catégories pertinentes

formes langagières et interactionnelles 2

Quelques formes et procédés servant cesphénomènes de construction interactive de

positionnements et d'identité• Utilisation de formes (lexicales, phonétiques

marquées et marquantes)• Auto et hétéro catégorisations: utilisations

d’axiologiques ontotypiques; ethno-sociotypiques; Stylisation plus ou moins parodique

• Vannes, insultes rituelles, formes de jurements perdant +ou- leur valeur de jurement (La Mecque)

Identification et mêmeté– Construire et affirmer une appartenance au

groupe de pairs, participer à une communauté de pratiques, par l’observation de normes et de valeurs locales et/ou de discours sur celles-ci

– pour certains enfants/adolescents, s’inscrire dans une certaine continuité linguistico-culturelle par rapport aux parents migrants et/ou aux participants à leur réseau social dense (contrôle social informel favorisant le maintien de normes locales)

– Revendiquer l’influence de modèles identificatoires

conclusion 1

Construction d’altérités enchâssées

– Différenciation : par rapport aux autres "absolus" perçus ou voulus comme tels (enfants, "Bourgeois", "Français déjà là", "Blédards")

– Identisation : se construire un statut au sein du groupe ; obtenir ‘existence’ et reconnaissance parmi les mêmes (comme plus autonome, émancipé, courageux, débrouillard, transgresseur, bagarreur…)

conclusion 2

Conclusion 3

agence de socialisation verticale mais qui est aussi un lieu d’intense socialisation horizontale

Paradoxes de l’école

Instance de relative homogénéisation identitaire (intégration/assimilation) mais qui crée de

l’hétérogénéité en mettant en présence différents groupes

Quels points de passage entre la maitrise de LA langue et la compétence plurilingue?

Comment résoudre des tensions idéologiquesentre l’un et le pluriel

entre LA norme et les variations ?

Merci!