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Forêts et troupeaux sont deux valori- sations extensives du territoire généra- lement juxtaposées voire entremêlées et souvent alternatives ou concur- rentes. On assiste à une succession historique de flux et de reflux au fil des évolutions écologiques, écono- miques et démographiques locales. La région Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA) constitue probablement pour l'historien un champ d'analyse privilé- gié de ce phénomène tant elle offre, de par ses conditions écologiques, un ter- rain propice à l'élevage, principale- ment ovin, et a été un lieu d'équilibre, d'affrontement ou de complémentarité entre forêts et élevage. Des Coussouls de la Crau aux estives intra-alpines, en passant par les immenses territoires de parcours des collines provençales ou des montagnes préalpines, cette région compte en effet de solides et diverses traditions pastorales qui ont fortement marqué les paysages et les sociétés rurales. Je tenterai d'apporter un éclai- rage particulier, celui d'un forestier de cette fin de XX e siècle, qui doit com- poser avec une autre caractéristique régionale, à savoir la grande vulnéra- bilité aux risques naturels. Qu'il s'agisse de phénomènes d'hydraulique torrentielle, d'avalanches ou de trans- ports solides d'une part, d'incendies de landes et de forêts d'autre part, il n'est en effet guère de parcelles de son terri- toire qui soient à l'abri de l'un ou l'autre de ces risques, voire des deux. Il est donc essentiel pour le gestion- naire actuel de 20 % de ces territoires (640 000 hectares) de prendre en compte les interférences entre ces trois facteurs essentiels de l'espace naturel (sylviculture, pastoralisme et risques naturels) dont découlent les enjeux passés actuels et futurs de l'aménage- ment du territoire. I – De Charybde en Scylla ou les leçons de l’histoire La surexploitation et l'épopée R.T.M. 80 % des forêts domaniales en région PACA (soit 170 000 hectares, représentant plus de 5 % du territoire) sont issues d'acquisitions par l'État s'étalant sur la fin du XIX e et le début du XX e siècle à la suite des graves épi- sodes catastrophiques générés par des érosions torrentielles en montagne et des crues en plaine. La loi du 4 avril 1882 qui corrigea celles de 1860 et 1864, peut être considérée comme la première loi d'aménagement des terri- toires montagnards, et est souvent citée comme la loi « R.T.M. » du nom des périmètres d'intervention de l'État institués pour délimiter les actions de « restauration des terrains dont la dégradation fait courir des dangers réels aux zones aval ». Leur fonde- ment et leurs dispositions techniques résultent des observations de l’admi- FORETS, TROUPEAUX ET RISQUES NATURELS DU XIX e AU XXI e SIECLE Restauration des terrains en montagne (R.T.M.) et défense des forêts contre les incendies (D.F.C.I.) par Jacques DEDIEU * Cet article est extrait du Cahier d’études n°11 - 2001 “Forêts et trou- peaux” publié par l’Institut d’histoire moderne et contemporaine. * Directeur régional de l’Office national des forêts de Provence-Alpes-Côte d’Azur 46, Av. Paul Cézanne 13098 Aix-en-Provence cedex 2 t. XXII, n° 2, juin 2001 150

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Forêts et troupeaux sont deux valori-sations extensives du territoire généra-lement juxtaposées voire entremêléeset souvent alternatives ou concur-rentes. On assiste à une successionhistorique de flux et de reflux au fildes évolutions écologiques, écono-miques et démographiques locales. Larégion Provence-Alpes-Côte d'Azur(PACA) constitue probablement pourl'historien un champ d'analyse privilé-gié de ce phénomène tant elle offre, depar ses conditions écologiques, un ter-rain propice à l'élevage, principale-ment ovin, et a été un lieu d'équilibre,d'affrontement ou de complémentaritéentre forêts et élevage. Des Coussouls

de la Crau aux estives intra-alpines, enpassant par les immenses territoires deparcours des collines provençales oudes montagnes préalpines, cette régioncompte en effet de solides et diversestraditions pastorales qui ont fortementmarqué les paysages et les sociétésrurales. Je tenterai d'apporter un éclai-rage particulier, celui d'un forestier decette fin de XXe siècle, qui doit com-poser avec une autre caractéristiquerégionale, à savoir la grande vulnéra-bilité aux risques naturels. Qu'ils'agisse de phénomènes d'hydrauliquetorrentielle, d'avalanches ou de trans-ports solides d'une part, d'incendies delandes et de forêts d'autre part, il n'esten effet guère de parcelles de son terri-toire qui soient à l'abri de l'un oul'autre de ces risques, voire des deux.Il est donc essentiel pour le gestion-naire actuel de 20 % de ces territoires(640 000 hectares) de prendre encompte les interférences entre ces troisfacteurs essentiels de l'espace naturel(sylviculture, pastoralisme et risquesnaturels) dont découlent les enjeuxpassés actuels et futurs de l'aménage-ment du territoire.

I – De Charybde enScylla ou les leçons del’histoireLa surexploitation et l'épopée R.T.M.

80 % des forêts domaniales enrégion PACA (soit 170 000 hectares,représentant plus de 5 % du territoire)sont issues d'acquisitions par l'États'étalant sur la fin du XIXe et le débutdu XXe siècle à la suite des graves épi-sodes catastrophiques générés par desérosions torrentielles en montagne etdes crues en plaine. La loi du 4 avril1882 qui corrigea celles de 1860 et1864, peut être considérée comme lapremière loi d'aménagement des terri-toires montagnards, et est souventcitée comme la loi « R.T.M. » du nomdes périmètres d'intervention de l'Étatinstitués pour délimiter les actions de« restauration des terrains dont ladégradation fait courir des dangersréels aux zones aval ». Leur fonde-ment et leurs dispositions techniquesrésultent des observations de l’admi-

FORETS, TROUPEAUX ET RISQUES NATURELS DU XIXe AU XXIe SIECLE

Restauration des terrains enmontagne (R.T.M.) et défense des

forêts contre les incendies(D.F.C.I.)

par Jacques DEDIEU *

Cet article est extrait du Cahierd’études n°11 - 2001 “Forêts et trou-peaux” publié par l’Institut d’histoiremoderne et contemporaine.* Directeur régional de l’Office national des forêts de Provence-Alpes-Côte d’Azur46, Av. Paul Cézanne 13098 Aix-en-Provence cedex 2

t. XXII, n° 2, juin 2001150

nistration des Ponts-et-Chaussées :Alexandre Surrel avait publié l’Étudesur les torrents des Hautes-Alpes(1841) établissant le lien entre ledéboisement des montagnes et ledésordre des torrents à l'aval. Elleseurent pour effet, après la restaurationpar le Code de 1827 d'une administra-tion forestière fortement amoindrie ausortir de la période révolutionnaire, dedéclencher une mobilisation considé-rable des services forestiers pour cetteaventure d'une cinquantaine d'annéesoù s'illustrèrent des figures commeDemontzey dans les Alpes du Sud ouFabre dans l'Aigoual. Les actuels ser-vices R.T.M. de l’Office national desForêts (O.N.F.) en sont les héritiers.« Je ne sais pas de plus noble missionque celle d'aider la nature à recons-truire dans nos montagnes l'ordrequ'elle avait si bien établi et que seulel'imprévoyance de l'homme a changéen véritable chaos »

Prosper DEMONTZEY

Ceci nous ramène à nos moutons enremontant aux causes d'une telledégradation du milieu montagnard.Diverses sources historiques conver-gent pour décrire les conditions d'exis-tence dans toutes les vallées alpines etdans les arrière-pays provençaux etvarois :

– une population en pleine crois-sance atteignant son maximum vers1830-1850,

– un système économique ruralautarcique fondé sur la dominance cul-turale des céréales dans l’ager, un éle-vage majoritairement ovin pour lefumier, la laine et accessoirement laviande, et sur les pratiques de lajachère, de l'essartage et du parcours,qui font du saltus un espace trèsétendu et à faible productivité,

– un espace forestier, résiduel et sur-exploité pour les besoins en énergie,fruits, feuillage et pâturage, obligeantmême à acheter le bois d'œuvre à l'ex-térieur.

Photo 1 : La stèle de ProsperDemontzey au Col du Labouret

Photo D.A.

Photos 2 et 3 : L’épopée RTM a conduit, outre les reboisements, à la construction d’ouvrages de correction torrentiellePhotos D.A.

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Ce modèle a entraîné une surexploitation des ressourcesnaturelles et donc un cercle vicieux d'appauvrissement dessols (les rendements de blé dans le Dévoluy variaient de 2 à4 volumes de graines récoltés pour 1 volume semé) s'accom-pagnant de phénomènes d'érosion sur des terres pentues quene protégeait plus la végétation arborée. À titre d'exemple,vers 1873 entre deux relevés parcellaires, au hameau desSauvas dans le Dévoluy, le ravinement et les dépôts de gra-vier avaient amputé plus d'un tiers du terrain couvert pourl'agriculture. Au moindre orage, l'accès routier vers l'Italie àtravers le pays de Seyne et l'Ubaye était coupé et de nom-breux villages étaient sinistrés.

Il ne faudrait pas croire que l'action des services forestiersfut aisée. L’État lui-même, à la faveur du changement derégime (du Second Empire à la IIIe République), dut corrigerla première loi très dirigiste et technocratique de 1860 par laloi plus souple et « multifonctionnelle » de 1882. Il estcependant un fait que les terrains acquis le furent générale-ment à l'amiable et sans utiliser la procédure d'expropriationpourtant prévue. Cette apparente contradiction provient sansdoute de ce que d'autres mouvements profonds étaient àl'œuvre depuis les années 1850, marquant l'évolution versl'ère moderne, ce qui explique aussi les divers courants depensée perceptibles dans l’administration elle-même (fores-tiers « étatistes » et forestiers « sociologues », tels Briot, par-tisans d'une démarche plus agraire).

Le développement de l'industrie et du transport combinéavec un déclin démographique des campagnes ont progressi-vement transformé le système de mise en valeur de l'espace :

– effondrement des deux principales productions concur-rencées par les importations à Marseille de blé russe et delaine australienne, au profit des cultures fourragères,

– forte émigration de main d'œuvre, remplacée par lamécanisation croissante (aucune charrue dans le canton deDigne en 1836, 197 vingt ans plus tard) mais induisant ladéprise des espaces les moins productifs ou les plus difficile-ment mécanisables (restanques...),

– diminution du nombre de troupeaux d'ovins, mais forteaugmentation de leur taille et passage à l'objectif viande,impliquant à la fois une forte dépendance des surfaces deparcours ou de transhumance et une intensification des éle-vages (fourrages).

Cette différenciation des espaces ruraux en territoires fer-tiles et spéculations en voie d'intensification d'une part, etl'utilisation de plus en plus extensive des territoires pastorauxde l’autre, a deux conséquences :

– moindre réaction sociale à la mise en défens par lesforestiers de surfaces importantes pour les chantiers de res-tauration des sols et de reboisement qui firent d'ailleurs appelà la main d'œuvre locale,

– développement spontané et incontrôlé dans les parcoursde strates ligneuses basses induisant le recours aux feux net-toyants qui devient un élément fondamental de la gestion desespaces non productifs,

Ainsi passe-t-on progressivement, au cours de ce tournanthistorique, des désordres ayant résulté de la surexploitationdes territoires, à ceux qui vont découler de leur sous-exploi-tation. « Ici comme ailleurs, la grande quantité de boisdévastée et brûlée, que l'on remarque sur la route, attristel'âme et l'on gémit sur la destruction prochaine de nos

forêts » (MILLIN, 1804). Les incendies de forêts et surtoutde landes ne sont pas une innovation tardive dans l'histoiredes forêts méditerranéennes. La pratique du feu en forêt estancienne tant dans le cadre de l'essartage (ou écobuage desparcours) aux fins de mise en culture sporadique ou depousse d'herbe pour les troupeaux, que pour la fabrication decharbon de bois à partir des taillis. Toutefois, tant que l'es-pace rural est très colonisé, et donc les espaces susceptiblesde brûler très cloisonnés et parfois ruinés, ces feux quiéchappent fréquemment sont soit vite maîtrisés soit viteéteints faute de nourriture. Les déprises humaine et pastoraleaugmentent par contre les volumes inflammables qui favori-sent la propagation sur des surfaces importantes.

Une étude des documents d'archives disponibles réaliséeen 1985 par le Centre d’études, de recherches et de forma-tion institutionnelles du Sud-Est (CERFISE) pour le comptede la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’actionrégionale (DATAR) et du Centre national du machinismeagricole du génie rural, des eaux et des forêts (Cemagref),apporte des éléments intéressants. Si des témoignages plusanciens attestent des dégâts causés à la fin du XVIIIe siècledu Ventoux aux massifs cristallins du Var, en passant par lesBouches-du-Rhône, il apparaît toutefois que le nombre defeux et surtout leur étendue croissent à la fin du XIXe et audébut du XXe siècle avec la systématisation de la pratique del'écobuage et la remontée biologique de la végétation. Lesannées « rouges » 1923, 1925, 1928, 1929, 1936 et 1937 ver-ront ainsi se succéder des feux catastrophiques dans leLuberon. L. Raybaud (1921) et G. Tallent (1924) dénoncentl'incurie des populations de l'Estérel et du Tanneron face auxincendies de forêt, au moins « quand ils sont très éloignés de

Photo 4 : Le pastoralisme aujourd’hui est une solutiontechnique performante en matière d’entretien du milieu

Photo J.-P. Chassany

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Les grandes tendances pesant sur lesperspectives d'aménagement du terri-toire régional, peuvent être résuméesainsi :

1 – le maintien du pastoralisme ovinrégional, du fait de l'ouverture desmarchés européens et donc de la chutedes cours de la viande, restera durable-ment dépendant des aides annexes aurevenu (Prime compensatoire ovine —P.C.O.— et Indemnité spéciale mon-tagne —I.S.M.) qui couvrent pourl'heure 50 % du chiffre d'affaires,

2 – la politique européenne de déve-loppement rural, les politiques natio-nales agricole et d'aménagement duterritoire, les futurs contrats de PlanÉtat-Régions mettent en avant lesapproches territoriales pour l'avenir.Ainsi les Contrats Territoriauxd’Exploitation (C.T.E.) tentent-ils decombiner en agriculture les démarcheséconomiques traditionnelles parfilières avec des projets collectifslocaux,

3 – la poursuite de la déprise agri-cole, les bons résultats de la préven-tion des feux de forêt, le faibleprélèvement ligneux, concourent auprolongement d'une tendance lourde à

la fermeture des espaces naturels et àune probabilité accrue de catastrophesnaturelles de grande ampleur,

4 – la faible organisation de la filièrebois régionale et le faible écho desenjeux forestiers auprès des pouvoirs

publics rendent aléatoire le finance-ment d'une gestion durable en dehorsde quelques grands massifs renommés(Alpilles, Luberon, Sainte-Baume) oudes périmètres urbains.

Ces diverses tendances ont générédepuis déjà plusieurs années de nom-breuses initiatives ou expérimentationsparallèlement à d'autres travaux réali-sés sur le pourtour méditerranéen.Partant de situations très diverses, tantsur le plan des écosystèmes, que desbesoins sociaux ou économiquesexprimés, toutes concourent à recréerles conditions d'une gestion multifonc-tionnelle des territoires et des res-sources naturelles. J'en citeraibrièvement trois exemples selon ungradient altitudinal :

1° : la gestion de grandes coupuresdans le mésoméditerranéen concerneenviron 80 sites et 35 000 hectares(dont 15 000 hectares en forêts sou-mises). S'appuyant sur l'ex-article 19puis le règlement européen n° 2078-92dit « agri-environnemental », les itiné-raires techniques pastoraux combinentfinalités de protection, abaissementdes coûts de production (transhumancehivernale) et compléments de revenusà l'éleveur en fonction de la réductiondu phytovolume. Cela concerne essen-tiellement les trois départements duVaucluse (Luberon), des Bouches-du-Rhône (Alpilles) et du Var (massifsdes Maures et de l'Estérel).

Photo 5 : Transhumance hivernale dans le massif des Maures (Var)Photo SIVOM du Pays des Maures

toute agglomération ». Cette évolutions'est largement prolongée tout au longdu XXe siècle, avec l'apparition denouveaux dangers résultant d'un fortdéveloppement de l'urbanisation anar-chique dans une large bande littorale.Cet interface urbs-sylva explique lesnombreux départs de feux et les nou-veaux enjeux de protection qui mono-polisent les moyens de lutte en cas desinistre.

Si la dernière décennie du XXe

siècle exhibe une série statistiquerégionale réconfortante, 3 200 hectarespar an en moyenne, malgré quelquesgrands feux tels Grambois en 1991,l'Étoile en 1997 et les Alpilles en1999, il n'en fut pas de même pendantla décennie précédente. Les annéesnoires furent : 1979, 1989, 1990 oùplus de 30 000 hectares partirent enfumées (près de 40 000 hectares en1990). L'intensité de l'activité régle-mentaire peut, là aussi, indiquer l'im-portance des enjeux. Si l'interdictiond'introduire du feu en forêt est

ancienne (Ordonnance de 1669), ellefut réactualisée lors du code Forestierde 1827, mais surtout en 1924 par unevraie loi D.F.C.I. Elle fonde d'ailleursle dispositif aquitain et, en 1966, ledispositif des massifs méditerranéens.Depuis, la forte accélération de cephénomène législatif auquel la loid'orientation forestière annoncée nedevrait pas déroger témoigne de l'im-pact qu’a ce risque naturel sur lasociété urbaine moderne. Il est à noterla loi de 1995 qui homogénéise l'affi-chage réglementaire du risque enmatière d'urbanisme en instituant lesplans de prévention des risques natu-rels prévisibles. Ainsi, la sous-exploi-tation de l'espace rural est devenue lasource de nouvelles menaces sur lasociété entraînant l'émergence de stra-tégies de prévention, fondées sur lesnotions de grandes coupures et d'en-tretien d'interfaces entre bâti etespaces naturels, réintroduisant pasto-ralisme et cultures en tant que solu-tions techniques performantes.

II – Les tendances actuelles : quels scénarios pour le futur ?

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2° : Aménagements sylvopastorauxd'anciens parcours dans l'étage monta-gnard (exemple de la vallée duVerdon). Dépassant les vieux antago-nismes forestiers-bergers et en s'ap-puyant sur des communes intéresséespar la remise en valeur d'un paysageattractif et le maintien d'un éleveur,l’O.N.F. a récupéré d'anciens parcourscommunaux reboisés pour partie natu-rellement en y développant des plansde gestion multifonctionnels pasto-raux, forestiers et touristiques.

3° : Le sylvopastoralisme bovindans les mélézeins du Queyras faitl'objet d'une étude et de la mise enplace d'un réseau de sites expérimen-taux pour analyser les diverses pra-tiques et leurs résultats. Les objectifssont paysagers et économiques avec lapréservation du mélézein qui a colo-nisé les pâturages érodés du XIXe

siècle, mais aussi l'apport intéressantdu pâturage sous couvert, ainsi que laprotection des sols et la diversité spé-cifique, cas notamment des habitatsfavorables à la bartavelle et au tétras.

Ces trois exemples permettent dedéterminer les caractéristiques de cequ'il convient d'appeler une gestionraisonnée et multifonctionnelle desespaces et ressources naturels :

– nécessaire pluridisciplinarité tech-nique : forestiers, zootechniciens(CERPAM — Centre d’études et deréalisations pastorales AlpesMéditerranée— ou SIME —Serviceinter chambres d’agriculture montagneélevage du Languedoc-Roussillon),éventuellement biologistes et bien sûrbergers,

– partenariats actifs entre adminis-trations, propriétaires (dont com-munes), gestionnaires forestiers etéleveurs, éventuellement autres orga-nismes (parcs et autres collectivitésterritoriales),

– diagnostic préalable approfondi(potentialités et besoins),

– mise au point de cahiers descharges précis (relatifs à la conduitedes troupeaux) et suivi contradictoirerégulier permettant les adaptationsindispensables éventuelles.

Dans ces conditions, le dispositifdes C.T.E. (Contrats territoriaux

d’exploitation) venant prendre le relaisfinancier des dispositifs anciens, ilsemble possible de tabler sur un « scé-nario de la raison » qui envisageraitune amplification des résultats actuels(736 000 hectares de pâturage) avec, àla fois, des progrès dans la conduite del'existant et une extension des surfacesconcernées à hauteur d'environ 50 000hectares, principalement dans leszones boisées.

Le scénario de la « fracture » des territoires

Pourtant quelques inquiétudes vien-nent obscurcir ce tableau idyllique, quipourraient faire basculer l'évolutiondans un sens bien moins favorable. Enpremier lieu, la perte totale d'influencedu tissu humain rural sur les grandschoix politiques, désormais échus auxpopulations urbaines. Or celles-ci ontune perception des espaces naturelsqui repose sur des exigences para-doxales, découlant généralement decatégories sociales différentes :

– d'une part des besoins d'espacestrès artificialisés et surfréquentés, àproximité des agglomérations,

– d'autre part une attente de natura-lité, l'intervention humaine devant seborner, à la rigueur, à accélérer ouaccroître cette naturalité convenue.

Aussi des budgets de plus en plusimpressionnants sont-ils consacrés parles collectivités territoriales à quelquesespaces de type parcs périurbains ougrands sites touristiques, à partirnotamment de la Taxe départementalepour les espaces naturels sensibles(T.D.E.N.S.) avec des coûts de gestionde l'ordre de 2 000 à 5 000 francs parhectare et par an, voire au-delà. Il enest de même que pour la protection decertaines infrastructures (routes, voiesferrées) ou équipements urbains (sta-tions de ski) contre les risques naturels(chutes de pierres, avalanches, cruestorrentielles...).

L’Europe et l’État consentent,d’autre part, des efforts croissants enfaveur d’actions correspondant à desobjectifs de conservation ou de déve-loppement de la biodiversité, générale-

ment ciblés sur des espaces précismaîtrisés par les services del'Environnement, car faisant l'objet destatuts de protection ou de gestion spé-cifiques (Parcs nationaux ou naturelsrégionaux, réserves naturelles, sitesclassés, futur réseau Natura 2000).

À l’inverse, sur les deux tiers rési-duels du territoire, les moyens budgé-taires publics cumulés hors agricultureconsacrés à la gestion de l'espace natu-rel « banal » (car non répertorié) dimi-nuent comme peau de chagrin : cesterritoires interstitiels sont donc endanger de déshérence progressived'abord agricole, ensuite pastorale,enfin forestière. La recolonisation desAlpes du Sud par des loups en prove-nance d'Italie, est l'indicateur évidentdu retrait de l'homme. Si le forestieréprouve à l'égard de ce prédateur uneneutralité bienveillante, celui-ci pou-vant avoir des effets bénéfiques sur larégulation de certaines espèces sau-vages en excédent, il n'en est pas demême pour l'éleveur dont l'équilibreéconomique précaire pourrait êtreremis en cause. Ainsi pourrait-on voirse profiler la perspective d'une diffé-renciation croissante des territoiresentre ceux qui constituent des enjeuxpour les urbains, objets de toutes lessollicitudes mais également en dangerde monofonctionnalité, et le reste avecla perspective d'autres dangers. Quelest donc le scénario raisonnable ? Lesrisques liés aux aléas que sont les cata-clysmes météorologiques et le feu,s'ils ne peuvent être gommés, peuventêtre sensiblement aggravés en raisond'une gestion non durable des res-sources naturelles, soit par sur-exploi-tation, soit par sous-gestion.L’expérience acquise démontre qu'unsylvopastoralisme raisonné constituedans nos régions alpines et méditerra-néennes une solution intéressante,mais fragile. Car, aujourd'hui commehier, ces pratiques sont bien au cœurdes enjeux de la Cité. Il découle del'application la plus élémentaire duprincipe de précaution, l'obligation dese prémunir des risques graves quel'incurie ferait peser sur l'avenir denotre région.

J.D.

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