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NATION United 2026 et le Juda démasqué M aintenant que la messe est dite et que les masques sont tombés, le Royaume gagnerait à être plus réaliste, plus opérationnel et plus efficient. Le rêve n’est pas interdit. Nous avons caressé et nourri un rêve collectif pendant des mois. Nous avons rêvé grand et nous y avons cru. Mais au fond de nous, Nous savions très bien que c’était chimé- rique. Ce n’est pas avec des ma- quettes et des promesses de budgets qu’on s’imposera. S.M. Lire en pages 8 & 9 HISTOIRE D’UNE VILLE Safi, la ville à l’histoire mythique Lire en page 31 UN LIVRE, UN AUTEUR Quand Réda Dalil nous met face à ce Maroc que l’on refuse de voir Lire en pages 32 & 33 15 DH - 1,5 € - MENSUEL - 36 pages www.maroc-diplomatique.net N° 27 - JUIN 2018 Dossier réalisé par Souad Mekkaoui I ls ont la foi, ils sont pieux et croyants, Ra- madan est pour eux synonyme de piété, de solidarité et de spiritualité. Aujourd’hui, nos vieux le vivent avec ce goût d’amertume que seule la frustration peut donner. En effet, les vieilles générations, attachées aux valeurs ancestrales, regrettent les temps passés où le mois sacré avait tout son sens, où le devoir religieux se faisait dans la chaleur et l’harmonie d’une tradition séculaire et familiale, où les soirées ramadanesques étaient la meilleure occasion pour souder les liens familiaux et amicaux au rythme des effluves suaves inou- bliables. « Ramadan n’est plus ce qu’il était !» se désolent-elles. Lire en pages 22, 23, 24, 25, 26 & 27 «Si la situation est grave, elle n’est pas désespérée » ! Tel adage, émis par un sage décrirait volontiers le contexte dans lequel nous sommes placés depuis mercredi 13 juin 2018. Il s’agit bien évidemment des retombées de la décision de la FIFA d’octroyer l’organisation de la Coupe du monde 2026 au trio américain et d’en priver cruellement le Maroc. On peut gloser à loisir – d’aucuns s’en sont même donné avec une remarquable shaden- freude qui leur est coutu- mière – sur les raisons de cette grave déception pour le Ma- roc, sur les tenants et aboutissants qui en ressortent voire sur ce que les contempteurs de l’intérieur appellent « l’incapacité et l’incompétence » des responsables ayant conduit et défendu notre dossier. Y allant de leur couplet, comme à l’accoutumée, ils sont les premiers à tirer sur nous, et le plus paradoxal c’est qu’ils attendent toujours de le faire après coup, et jamais avant, avec cette insolence de moralisateur et des Cassandre ! Le dossier du Royaume du Maroc, sauf mauvaise foi, était non seulement convaincant, solide mais incarnait une candidature légitime, justifiée à bien des égards. Autre- ment dit, il donnait à espérer que cette Coupe du monde, patrimoine des pays « riches », pourrait une fois n’est pas coutume revenir à un Etat émergent. On n’invoque guère ici le cas de l’Afrique du sud dont on comprend – a posteriori d’ailleurs – la dimension exceptionnelle, car il s’agissait entre autres raisons de rendre hommage à un homme exemplaire pour son combat et les souffrances endurées en prison, que fut Nelson Mandela. Il est toujours facile après coup, di- sions-nous, d’exulter et de tailler des croupières à son pays qui, pourtant, n’a pas démérité de jouer les parangons de la critique sans concession, les pour- fendeurs à l’effet de style défaitiste et…jubilatoire ! Enferrés dans le piège de la quête à la Différence, croyant mettre mieux que les autres le « doigt sur la plaie », d’aucuns en sont venus, en viennent encore à vouloir nous re- prendre à l’amphigouri. Or, l’analyse correcte du processus qui a caractérisé la gestion de notre dossier pour le Mun- dial 2026, ne procède d’aucun mystère. Car le mystère est qu’il n’y a pas de mystère justement ! Dès le départ, il y avait anguille sous roche, simple- ment parce que le jeu était pipé et les dès jetés. Un cer- tain Gianni Infantino, ita- lo-suisse trempé dans la ma- gouille, président de la FIFA, élu en 2016 dans les marigots sombres de la concussion , pointé par le FBI , avait d’ores et déjà annoncé la cou- leur quand le jeu compétitif s’est proclamé entre le Maroc et les trois pays que sont les Etats-Unis, le Canada et le Mexique. Le cher « Gianni » est décrit par « Le Monde » comme « un opportuniste, un calculateur obsédé par le pouvoir et le fric… ». Paradoxale et étrange coïn- cidence, il incarne l’alter égo d’un Donald Trump, tout à sa perfidie et sa folie ontologique pour la puissance et l’argent. L’un et l’autre complètent l’obscur tableau d’une gigue obses- sionnelle à dénaturer et subvertir la Fédération internationale de football et, en même temps, à la corrompre. Le principe que l’argent appelle l’argent ne déroge pas à sa vérité pro- fonde, dans le cas qui nous préoccupe il souille le sport, il est à ce dernier ce que les combines de casino sont à l’appétit des gros bonnets mafieux… Hassan Alaoui Suite en page 2 NATION Pour l’honneur de Hassan II Lire en pages 6 & 7 INTERNATIONAL Libye : retour sur les ressorts d’une crise qui s’enlise Lire en page 20 Football : Qatar s’engage à soutenir notre candidature en 2030 DOSSIER DU MOIS Ramadan et spiritualité, où en sommes-nous ? L’INFORMATION QUI DÉFIE LE TEMPS Sa Majesté le Roi et l’Emir Tamim Ben Hamad Al Thani. Ryad dans le rôle de suppôt de Trump

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NATIONUnited 2026

et le Juda démasqué

Maintenant que la messe est dite et que les masques sont

tombés, le Royaume gagnerait à être plus réaliste, plus opérationnel et plus efficient.

Le rêve n’est pas interdit. Nous avons caressé et nourri un rêve collectif pendant des mois. Nous avons rêvé grand et nous y avons cru. Mais au fond de nous, Nous savions très bien que c’était chimé-rique. Ce n’est pas avec des ma-quettes et des promesses de budgets qu’on s’imposera.

S.M.Lire en pages 8 & 9

HISTOIRE D’UNE VILLESafi, la ville à l’histoire mythique

Lire en page 31

UN LIVRE, UN AUTEUR

Quand Réda Dalil nous met face à ce Maroc que l’on refuse

de voirLire en pages 32 & 33

15 DH - 1,5 € - MENSUEL - 36 pages www.maroc-diplomatique.net N° 27 - JUIN 2018

Dossier réalisé par Souad Mekkaoui

Ils ont la foi, ils sont pieux et croyants, Ra-madan est pour eux synonyme de piété, de solidarité et de spiritualité. Aujourd’hui, nos

vieux le vivent avec ce goût d’amertume que seule la frustration peut donner. En effet, les vieilles générations, attachées aux valeurs ancestrales, regrettent les temps passés où le mois sacré avait tout son sens, où le devoir religieux se faisait dans la chaleur et l’harmonie d’une tradition séculaire et familiale, où les soirées ramadanesques étaient la meilleure occasion pour souder les liens familiaux et amicaux au rythme des effluves suaves inou-bliables. « Ramadan n’est plus ce qu’il était !» se désolent-elles. Lire en pages 22, 23, 24, 25, 26 & 27

«Si la situation est grave, elle n’est pas

désespérée » ! Tel adage, émis par un sage décrirait volontiers le contexte dans lequel nous sommes placés depuis mercredi 13 juin 2018. Il s’agit bien évidemment des retombées de la décision de la FIFA d’octroyer l’organisation de la Coupe du monde 2026 au trio américain et d’en priver cruellement le Maroc. On peut gloser à loisir – d’aucuns s’en sont même donné avec une remarquable shaden-freude qui leur est coutu-mière – sur les raisons de cette grave déception pour le Ma-roc, sur les tenants et aboutissants qui en ressortent voire sur ce que les contempteurs de l’intérieur appellent « l’incapacité et l’incompétence » des responsables ayant conduit et défendu notre dossier.

Y allant de leur couplet, comme à l’accoutumée, ils sont les premiers à tirer sur nous, et le plus paradoxal c’est qu’ils attendent toujours de le faire après coup, et jamais avant, avec cette insolence de moralisateur et des Cassandre ! Le dossier du Royaume du Maroc, sauf mauvaise foi, était non

seulement convaincant, solide mais incarnait une candidature légitime, justifiée à bien des égards. Autre-ment dit, il donnait à espérer que cette Coupe du monde, patrimoine des pays « riches », pourrait une fois n’est pas coutume revenir à un Etat émergent. On n’invoque guère ici le cas de l’Afrique du sud dont on comprend – a posteriori d’ailleurs – la dimension exceptionnelle, car il s’agissait entre autres raisons de rendre hommage à un homme exemplaire pour son combat et les souffrances endurées en prison, que fut Nelson Mandela.

Il est toujours facile après coup, di-

sions-nous, d’exulter et de tailler des croupières à son pays qui, pourtant, n’a pas démérité de jouer les parangons de la critique sans concession, les pour-fendeurs à l’effet de style défaitiste et…jubilatoire ! Enferrés dans le piège de la quête à la Différence, croyant mettre mieux que les autres le « doigt sur la plaie », d’aucuns en sont venus, en viennent encore à vouloir nous re-prendre à l’amphigouri. Or, l’analyse correcte du processus qui a caractérisé la gestion de notre dossier pour le Mun-dial 2026, ne procède d’aucun mystère.

Car le mystère est qu’il n’y a pas de mystère justement !

Dès le départ, il y avait anguille sous roche, simple-ment parce que le jeu était pipé et les dès jetés. Un cer-tain Gianni Infantino, ita-lo-suisse trempé dans la ma-gouille, président de la FIFA, élu en 2016 dans les marigots sombres de la concussion , pointé par le FBI , avait d’ores et déjà annoncé la cou-leur quand le jeu compétitif s’est proclamé entre le Maroc et les trois pays que sont les Etats-Unis, le Canada et le Mexique. Le cher « Gianni » est décrit par « Le Monde » comme « un opportuniste, un calculateur obsédé par le pouvoir et le fric… ». Paradoxale et étrange coïn-

cidence, il incarne l’alter égo d’un Donald Trump, tout à sa perfidie et sa folie ontologique pour la puissance et l’argent. L’un et l’autre complètent l’obscur tableau d’une gigue obses-sionnelle à dénaturer et subvertir la Fédération internationale de football et, en même temps, à la corrompre. Le principe que l’argent appelle l’argent ne déroge pas à sa vérité pro-fonde, dans le cas qui nous préoccupe il souille le sport, il est à ce dernier ce que les combines de casino sont à l’appétit des gros bonnets mafieux…

Hassan AlaouiSuite en page 2

NATIONPour

l’honneur de Hassan II

Lire en pages 6 & 7

INTERNATIONALLibye : retour

sur les ressortsd’une crise qui

s’enliseLire en page 20

Football : Qatar s’engage à soutenir notre candidature en 2030

DOSSIER DU MOISRamadan et spiritualité,

où en sommes-nous ?

L ’ I N F O R M A T I O N Q U I D É F I E L E T E M P S

Sa Majesté le Roi et l’Emir Tamim Ben Hamad Al Thani.

Ryad dans le rôle de suppôt de Trump

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Football : Qatar s’engage à soutenir notre candidature en 2030

Ryad dans le rôle de suppôt de Trump(Suite de la page 1)

Donc, il n’y a pas seulement un trio – les Etats-Unis, le Mexique et le Canada – contre lequel le Maroc a été confron-té pour arracher la Coupe du Monde de 2026 ; mais deux en réalité. Le deuxième est com-posé, à notre corps défendant, de Trump, Gianni Infantino et un ectoplasme dénommé al-Cheikh Turki , personnage falot d’une médiocrité ram-pante. Ce trio infernal avait mission de casser notre pays avec une irrépressible volon-té de privilégier non pas le Canada et le Mexique, qui ne sont que les acolytes de l’at-telage américain, mais essen-tiellement Donald Trump qui sévit impunément , comme un intempestif sauvage lâché et arme au poing, ne réglant ses comptes que sous la menace, terrorisant les uns et les autres, intervenant directement avec ses tweets et palinodies , ap-pelant même les organisa-teurs et tous ceux qui osaient un tant soit peu exprimer une opinion différente ou annon-cer un autre choix que celui de l’Amérique.

Manifestement, nous reve-nons à cette époque de l’Amé-rique impériale si bien décrite par Raymond Aron qui ne se lassait pas de tout ravir, au nom de la doctrine Monroe, bran-dissant sur son fronton l’éten-dard de l’America first, bous-culant les règles élémentaires de la diplomatie, arrogante à n’en plus finir, puissante de-vant les faibles, impérialiste tout simplement. Aujourd’hui, le président Donald Trump n’en démord pas de mettre le monde à ses genoux, il est l’amateur obsédé de la force, il pratique la « diplomatie de la canonnière ». De la manière de traiter sa concurrente Hillary Clinton pendant les élections

présidentielles, on retiendra davantage sa perversion plutôt qu’une intelligence ou une rigueur ; celle de congédier de manière si cavalière ses conseillers ou ses employés, sa défaillance psychologique ; de celle encore de traiter les dossiers internationaux un quasi dévergondage confinant à l’indécence ; enfin de déchirer devant les télévisions du monde les textes successifs des accords, une manière de vulgarité.

La Political correctness, si vantée autrefois jusque chez les Européens, est désormais un souvenir, une glauque espé-rance renvoyée dans la trappe d’un Donald Trump impera-tor, le front soufflé , aguicheur patenté du clan de Salmane qui viennent de prendre le pou-voir dans cette Arabie Saou-dite si secouée par des vents contradictoires, géant aux pieds d’argile au milieu d’un Moyen Orient transformé en œil du cyclone. Trump a exhi-bé les chèques de la colossale somme d’argent amassée lors de son périple folklorique en Arabie, autrement dit il a fait payer rubis sur l’ongle le pou-voir saoudien en contrepartie d’un sourire grimacé et grivois et d’une promesse que l’Amé-rique respectera son Pacte de soutien militaire signé le 14 février 1945 à bord du cuirassé Quincy entre Roose-velt, président des Etats-Unis et le Roi Ibn Saoud, fondateur de l’Arabie saoudite. Le 20 mai 2017, Donald Trump, ex-cipant sa bienfaisante protec-tion, a signé lui aussi à Ryad avec les dirigeants saoudiens, une série d’accords d’une bagatelle de pas moins de 380 Millions de dollars, sonnantes et trébuchantes. Si le premier président américain avait re-niflé le pactole pétrolier saou-dien, le second – Trump – s’est

inscrit dans la continuité bille en tête, très peu ou nullement porté sur les formes pour vas-saliser publiquement les diri-geants de Ryad.

Le Pacte américano-saou-dien, soutenu par le Koweit, les Emirats Arabes Unis, le Bahrein, la Jordanie, l’Iraq , le Liban, tous pays arabes entre autres ayant exprimé leur allé-geance à Donald Trump der-rière le chef de file saoudien, creuse à présent un fossé ir-rémédiablement profond. La manne pétrolière aidant, Was-hington les tient «en laisse», à bout de bras pour certains. Cette nouvelle donne change évidemment le paradigme classique de la géopolitique régionale, désormais dominée par une série de conflits latents ou déclarés, aux lisières de l’Arabie saoudite, en Syrie dé-vastée, en Palestine, au Liban, là dans cet arc-en-ciel moins coloré, gris et sombre même.

Ce qu’il faut retenir comme leçon de cette coupe du monde 2026, c’est le diabo-lique mariage entre la poli-tique, l’argent et l’immorali-té mafieuse de Trump, Turki al-Cheikh et du président de la FIFA Gianni Infantino. C’est aussi le dévoiement ostensible du sport, du football notamment. C’est enfin la trahison – il n’est pas d’autre mot – de certains Etats, africains et arabes, qui ont fléchi devant la tentation de l’argent , vendu leur âme ou simplement obtempéré aux ordres du président des Etats-Unis. Le Maroc n’a pas perdu, au contraire, il pré-serve sa dignité et renforce sa conviction d’un peuple, d’un Etat mobilisé derrière le Roi Mohammed VI. n

Hassan Alaoui

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Directrice de la Rédaction :Souad Mekkaoui

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2 JUIN 2018

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4 JUIN 2018 HUMEUR

Souad Mekkaoui

Quiconque suit ce qui se passe, aujourd’hui, sur la scène politique ma-rocaine perdra le nord en raison de l’improvi-sation qui bat son plein.

Les meilleurs observateurs et analystes s’emmêlent les pinceaux tellement cacophonie et anarchie sont les mots d’ordre dans un pays où les politiques ne gèrent pas les crises mais les créent. Si bien que face à un gouvernement fragile et incapable de résoudre les pro-blèmes, la population est déterminée à arracher ses droits en faisant des réseaux sociaux la tribune redoutable des sans voix. A-t-on besoin de rappeler que de-puis quelque temps, la toile est en ébul-lition donnant même naissance à une gauche « virtuelle » animée tantôt par un malaise général qui rampe tendant ses tentacules venimeuses, tantôt par une main invisible qui tire les ficelles tissées par des règlements de compte politiques se servant de la colère de la population pour semer le trouble voire le désordre?

La nature a horreur du vide

Quand un ministre - et pas des moindres- conteste son propre gou-vernement et manifeste aux côtés d’employés d’une multinationale cela traduit, d’emblée, l’incapacité de l’Exé-cutif à trouver des solutions au sein de conseils tenus dans ce sens et présidés par un chef de gouvernement du même parti politique dudit ministre.

En soutenant les salariés de Centrale Danone, filiale marocaine du géant français de l’alimentaire, Lahcen Daou-di s’est attiré les foudres des internautes et plus encore celles de son parti.

Sous d’autres cieux, il est normal qu’un ministre présente sa démission suite à un problème quelconque. D’ail-leurs, lundi 4 juin, le gouvernement jor-danien, conduit par le Premier ministre Hani Mulqi a défrayé la chronique en présentant une démission collective au Roi Abdellah II. Pour cause les protes-tations que connaissent la capitale Am-man et plusieurs villes et gouvernorats notamment contre le projet d’impôt sur le revenu. Mais chez nous, cela relèverait de l’utopique qu’un ministre demande à être dispensé de ses devoirs tellement le pouvoir grise les esprits. Aussi, Lahcen Daoudi marque-t-il le point avec sa demande de quitter le navire après sa participation déplacée au sit-in auprès des citoyens exaspérés par l’incompétence et la passivité d’un gouvernement absent. Rappelons que depuis le 20 avril, le boycott de pro-duits locaux, une première au Maroc, continue à dévoiler encore une fois les failles d’un Exécutif puéril et mou. En

effet, la campagne de boycott à l’en-contre de Centrale Danone, des Eaux Sidi Ali et Afriquia a créé une tension qui a montré que la communication et le dialogue ne constituent pas le fort de nos politiques. Au contraire, c’est à croire qu’ils rivalisent dans la provocation du peuple qu’ils insultent et dénigrent.

Que ceux qui prétendent que le gou-vernement El Othmani subit un achar-nement quelconque de la part des ci-toyens se détrompent. L’Exécutif a bel et bien montré ses limites. Saad Eddine El Othmani, quant à lui, est plus pré-occupé par son statut au sein du parti – ayant été déstabilisé au moment même de son élection par son prédécesseur et ses acolytes- que par sa mission de chef de gouvernement.

Un chef de gouvernement effacé et des ministres

« gauches »Depuis le Hirak d’Al Hoceima

jusqu’au boycott en passant par la crise de Jerada, la crédibilité des ministres s’effrite et leur légitimité d’étiole face à une classe moyenne qui, plongée de plus en plus dans le rouge voit rouge.

Si l’Exécutif est désigné pour décider du bien des citoyens, on a l’impression que les membres du gouvernement font abstraction de l’intérêt général. D’ail-leurs, qui est responsable des inégalités sociales ? De la dégradation du niveau de vie des Marocains ? Du coût de la vie de plus en plus inaccessible et des prix excessifs sous l’emprise de mafias de lobbying de la surenchère? Qui pro-tège les lobbies ? Qui est derrière les ta-rifs insurmontables des factures d’eau, d’électricité et d’impôts qui écrasent le peuple? Tant de questions qui taraudent les esprits endoloris par la frustration face à des prix à la consommation qui ne cessent de flamber, des salaires gelés et un taux de chômage qui grimpe.

Et dans le tumulte, nos ministres font montre du degré zéro de gouvernance. Aziz Rebbah ravive le feu en déclarant avec « arrogance » que 70 % des Ma-rocains paient 100dhs/le mois en eau et électricité ! Mohamed Yatim, quant à lui, oublie de tourner sa langue sept fois dans sa bouche avant de mettre les pieds dans le plat et de dire grossièrement : « Je suis ministre et non un citoyen » ! Et bien sûr Daoudi s’ajoute à la liste avec ses menaces à propos de Centrale Danone qui allait arrêter son activité au Maroc –alors que ce n’était pas le cas-. Le pire des propos sort de la bouche du ministre des Finances qui qualifie les boycotteurs de « mdaouikhs » : « étourdis ». Quelle réaction attendre alors d’un peuple que ses gouvernants traitent du haut de leur tour d’ivoire ? Le mot d’ordre apparu, le 20 avril,

sur facebook est « le boycott » comme ultime moyen pour se faire entendre. En multipliant les faux pas et les dissonances, ceux qui nous représentent ont fait naître, par leur populisme mor-bide, un ras-le-bol social d’un pays qui s’est endetté jusqu’au cou, d’une classe moyenne écra-sée par les charges de la vie quo-tidienne au moment où une élite minoritaire s’enrichit chaque jour encore plus.

L’adhésion en masse à ce mouvement mystérieux qui s’est répandu comme une traînée de poudre - mais dont les meneurs ne sont pas connus- révèle une chose sûre : la société maro-caine n’est plus ce qu’elle était. Les élus, administrateurs, et gouvernement qui affichent leur déni et ne se sentent pas concernés, soucieux juste de garder leurs fauteuils douillets, sont désor-mais dans le viseur d’une population qui n’hésite plus à donner un coup de cloche. En effet, la gauche naissante sur les réseaux sociaux est décidée à mettre les membres du gouvernement au double discours devant leur schizo-phrénie déclarée et présentée sous toute sa splendeur, grandeur nature, vidéos et photos à l’appui.

Seul l’arbitrage royal peut calmer les esprits

Aujourd’hui, on a l’impression que le pays est pris en otage par une élite politique qui passe son temps à s’ex-pliquer et à se justifier perdant toute crédibilité et légitimité face à un raz de marée facebookien. Il est évident que certains surfent sur la vague des hiraks et du boycott mais il faut avouer qu’ils ont mis à nu une infrastructure poli-tique défaillante et un gouvernement dans l’impasse, discrédité aux yeux de l’opinion publique. Cette grogne générale nous rappelle à l’ordre par un boycott qui s’est progressivement « politilisé », que le gouvernement au-rait pu gérer autrement s’il n’avait pas minimisé puis diabolisé -sans prendre au sérieux- la colère sociale causant ainsi d’énormes dégâts. Par ailleurs, résoudre les problèmes du pays ce n’est pas seulement créer des commissions et les charger d’examiner sans vraiment qu’elles ne soient efficientes.

Or des solutions urgentes s’imposent pour arrêter cette crise inédite. Seule-ment, avec un gouvernement qui brille par son incompétence, rien ne peut ab-sorber cette ébullition sauf un séisme qui se profile à l’horizon.

Si la gestion jusqu’ici catastrophique n’a fait que provoquer des secousses sociales, un remue-ménage et une mise à niveau politiques sont nécessaires pour mettre fin à un mouvement spon-

tané, dévastateur qui ne s’arrêtera qu’en cas de séisme qui doit secouer la terre sous les pieds de ceux qui inondent le peuple de leurs coups de bec.

Faut-il rappeler que SM le Roi, dans son discours à l’occasion de la fête du trône du 30 juillet 2015, avait souligné que « Tout ce que vous vivez m’inté-resse  :  ce  qui  vous  atteint  m’affecte aussi, ce qui vous réjouit me réjouit également, ce qui vous tracasse figure toujours en tête de mes préoccupa-tions » ?

Le Roi Mohammed VI qui a, plu-sieurs fois, sonné les cloches aux po-litiques, lui qui a dit ne plus avoir confiance en eux, lui qui a tiré la son-nette d’alarme, à plusieurs reprises, ne peut ne pas réagir pour la dignité de son peuple. Lui qui a fait du « séisme politique » l’élément phare de l’année, ne peut pas ne pas frapper fort. Alors, le discours de la fête du trône appor-tera-t-il le mot de la fin pour réparer le tort de ceux qui ont fait de ce boycott un mouvement de « citoyens contre l’Etat » et non de « consommateurs contre des entreprises » ?

En tout cas, on a besoin d’une équipe de choc et de renfort pour sauver ce qui reste à sauver. On a besoin de techno-crates qui puissent sortir le pays de l’or-nière en séparant politique et religion et pouvoir et politique.

Pour cela, un remaniement profond s’avère urgent et seul le Roi peut déci-der de la manière de « mettre au coin » ceux qui vouent le peuple aux gémonies affichant grossièrement une suffisance qui n’a d’égale que leur impéritie.

Serait-ce alors un remaniement par-tiel ou des élections anticipées avec tout ce que cela implique sur le plan poli-tique et financier ? Le problème dans ce cas de figure c’est que les résultats resteront les mêmes. Serait-ce donc un changement radical dans la composi-tion d’une majorité gouvernementale qui a toujours manqué de cohésion dès le premier jour ? n

Achever la révolutionCE QUE JE PENSE

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NATION6 JUIN 2018

Ceux qui ont reproduit sa déclaration ont vite fait d’établir un lien – nous dirions de cause à effet – entre le Sommet de Casablanca et le rapt, le 29 octobre suivant de Mehdi Ben Barka par des barbouzes, avenue de Saint Germain, chez Lipp.

Le Sommet islamique de 1969, organisé par Hassan II en riposte à l’incendie de la Mosquée al-Aqsa, 3e lieu saint de l’Islam, illustrait déjà plus qu’un engagement éclatant du Roi du Maroc.

Pour l’honneur de Hassan IIHassan Alaoui

Sur certains sites circule depuis 2015, une « information » dont le moins que l’on puisse

dire, outre d’être étrange, est d’être fausse voire scandaleuse, parce que non vérifiée ni « recoupée » comme on dit dans notre métier. Quelques-uns des facebookeurs n’hésitent pas à la reprendre aujourd’hui encore, persistant et signant, cautionnant en somme une forfaiture. Elle prétend que feu le Roi Hassan II aurait livré des informations – les amateurs de polards diraient facilement des se-crets – sur les pays arabes à l’Etat d’Israël.

Fake-news, désinformation, cam-pagne de dénigrement programmée, volonté de nuire à la mémoire du défunt Roi, opération pour salir son honneur…Tout y est ! Toutefois plusieurs remarques s’imposent et nous inclinent à un devoir de mé-moire. Il s’agit d’une déclaration d’un ancien « patron » du Mossad israélien, général de son état, à la retraite, Shlomo Gazit pour ne pas le citer qui aurait affirmé : « Hassan II a aidé Israël à gagner la guerre des Six jours (Juin 1967) contre les pays arabes ».

Voila donc un propos délibéré, tombé comme un couperet un certain 17 octobre 2016, mais tombant sous le sens que cer-tains confrères, et non des moindres, se sont empressés de reprendre en chœur et de republier sans prendre la moindre pré-caution pour vérifier ses tenants et abou-tissants, sur la seule foi d’un général âgé de 94 ans. Voilà donc la seule phrase qui a été retenue dans ce florilège de « lanceurs d’alerte » de cet entretien accordé par un vieux soudard de sous-préfecture au journal populaire Yedioth Ahronoth.

L’ancien dirigeant du Mossad parle d’un Sommet arabe tenu en … septembre 1965 à l’hôtel Casablanca ? Ceux qui ont reproduit sa déclaration ont vite fait d’éta-blir un lien – nous dirions de cause à ef-fet – entre le Sommet de Casablanca et le rapt, le 29 octobre suivant de Mehdi Ben Barka par des barbouzes, avenue de Saint Germain, chez Lipp. Comme si l’enlève-ment du leader de l’opposition à feu Has-san II pouvait se préparer et se concocter en moins de 6 semaines après le Sommet, à moins qu’il ne fût programmé des mois voire des années avant ! Comme si, par ail-leurs, les barbouzes mis en cause dans cet enlèvement spectaculaire, dont l’énigme reste entière, avaient acquis la totale cer-titude que Mehdi Ben Barka, connu pour être à raison méfiant et suspicieux, avait crié haut et fort sa décision de se rendre ce jour-là au déjeuner chez Lipp. L’im-prudence – à moins que ce fût de l’ama-teurisme accablant – a poussé certains à écrire que, dans l’affaire de l’enlèvement devant chez Lipp, le général de Gaulle aurait acquiescé pour ne pas dire accordé son aval pour une filature de Mehdi Ben

Barka, ce qui laisserait entendre qu’il était complice…Sauf que l’ancien président de la République française, furibard, a déca-pité le SDECE ( Services secrets) et rom-pu avec le Roi Hassan II.

Rien n’est moins sûr que ce lien vicieux et moribond entre la conférence arabe de Casablanca et le rapt de Ben Barka ! Le général israélien dont je dirais plutôt qu’il sacrifiait à la fabulation, eût pu aisément nous fournir des enregistrements ou des documents authentifiés, déclassés comme on dit du Mossad ou autres Shaback et Aman, attestant de la « trahison » de feu Hassan II. Sauf à vouloir invoquer la prescription 51 ans après les faits, 17 ans après la disparition du Roi en juillet 1999. Il aurait pu donc nous livrer la preuve matérielle de ses fantasmagories.

L’année 1965 fut, à bien des égards, celle où le Maroc et le pouvoir étaient confrontés à d’autres problématiques, dont au plan intérieur une série de grèves dans les milieux estudiantins. Et le Som-met de Casablanca, du 13 et 14 septembre, ce fut aussi seulement dix-huit mois après la création au Caire – le 28 mai 1964 exactement – de l’OLP, l’Organisation de libération de la Palestine par un certain Ahmed Choukairy dont on a célébré, non sans amertume, le fâcheux propos qu’il tenait : « Chasser les Juifs et les jeter à la mer » !

Le Sommet arabe de septembre 1965, faut-il le rappeler, avait pour objet es-sentiellement la signature d’un Pacte de solidarité, dénommé le « pacte de Ca-sablanca » avec le peuple palestinien. Il n’était question ni de préparer la guerre contre l’Etat hébreu, ni de prendre un autre engagement officiel, les Etats de la Ligue arabe affiliés n’étant à l’époque

qu’une poignée, représentés entre autres par Nasser d’Egypte, Abdelkhalek Has-souna secrétaire général de la Ligue arabe, al-Azhari du Soudan, les dirigeants frais émoulus du Golfe, d’Arabie saoudite…la Syrie de Amine al-Hafez venait de rompre le pacte d’unité avec l’Egypte de Nasser, appelée la RAU ( République arabe unie), tandis que l’Irak, paquebot fragile hanté par les coups d’Etat militaires, était diri-gé de main de maître par le général Aref, assisté d’un illustrissime personnage, mi-litaire et bâassiste du nom de…Saddam Hussein.

Le paradoxe est ahurissant : comment un Sommet organisé à Casablanca avec un agenda clairement affiché, qui est le soutien à la nouvelle organisation pales-tinienne, l’OLP avons-nous dit, peut-il rétrospectivement être interprété par un vieux briscard du Mossad comme la « tra-hison » d’un Roi qui a passé le plus clair de son existence à soutenir la cause pales-tinienne, à la promouvoir avec force et ar-guments, à organiser au moins une dizaine de sommets au Maroc, à créer Beit al-Mal al-Qods, à le financer, à prendre les desti-nées du Comité al-Qods, traçant le sillon de ce que sera la politique étrangère arabe du Maroc ?

Le Sommet islamique de 1969, organisé par Hassan II en riposte à l’incendie de la Mosquée al-Aqsa, 3e lieu saint de l’Islam, illustrait déjà plus qu’un engagement écla-tant du Roi du Maroc. De la même ma-nière, c’est à Rabat, sous Hassan II, que s’est tenu le 26 octobre 1974, le 7e Sommet des Etats de la Ligue arabe qui a consacré, solennellement, l’OLP comme « unique et légitime représentant du peuple palesti-nien et affirmé son droit d’établir un Etat national sur tout territoire libéré » !

Feu Hassan II sur l’une de ses dernières photos en 1999.

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NATION JUIN 2018 7

Pour l’honneur de Hassan II (Suite)

Par la même oc-casion, feu Has-san II n’a eu de cesse de déployer d’intenses efforts pour réconcilier Yasser Aarafat et le Roi Hussein de Jordanie à cou-teaux tirés, après les événements de Septembre 1971, qui ont donné naissance au groupe palesti-nien « Septembre noir », suivis de l’expulsion des Palestiniens de Jordanie.Cette réconciliation spectaculaire pa-lestino-jordanienne n’avait abouti que grâce à l’intervention et à l’entregent d’un missi dominici que fut Hassan II. En octobre 1973, lorsqu’a éclaté ce qu’on appelle en Occident la « guerre du kippour », feu Hassan II , par esprit de solidarité avec la Syrie et l’Egypte, avait envoyé deux corps expédition-naires au Golan et dans le Sinaï apporter leur précieux concours aux armées des deux pays. Tout au long des décennies qui suivirent ces événements tragiques, le Roi du Ma-roc mettra son poids personnel, consen-tira d’énormes efforts pour la reconnais-sance et la défense des droits du peuple palestinien, y compris la diplomatie secrète ou parallèle. Le prestigieux pré-sident du Congrès mondial juif, Nahum Goldmann, Moshe Dayan, ministre de la défense israélien, Ytzhaq Rabin, Premier ministre et Shimon Peres, son ministre des Affaires étrangères, à Skhi-rat et à Ifrane, et autres lobbyistes in-fluents firent le « voyage du Maroc » pour rencontrer le Souverain, qualifié de visionnaire dont la sagesse politique était reconnue et louée. Le Roi procla-mait sa foi en la paix, et disait fréquem-ment : « Nous sommes pour la paix, mais pas pour n’importe quelle paix ! »En 1993, après les Accords d’Oslo , Ytzhaq Rabin déclarait tout simple-ment : «La nation arabe, Israël et le monde entier doivent avoir de la recon-naissance pour Sa Majesté le Roi Has-san II pour ses efforts et pour l’oeuvre qu’il a menée durant des années et qui a permis d’atteindre le résultat actuel ». Mais Ytzhaq Rabin sera assassiné par un extrémiste israélien hostile à la paix, et le rêve d’une réconciliation dessinée à Oslo et à Washington sous Bill Clinton sera enterré, ouvrant la voie à l’occu-pation de la Cisjordanie, à la colonisa-tion des terres palestiniennes, à la mise sous tutelle de Jérusalem-Est (al-Qods), abandonnant aux Palestiniens un déri-soire réduit de territoire à Gaza, appa-renté à une peau de léopard…En moins de deux décennies, le Roi Has-

san II avait organisé, au Maroc, entre 10 et 12 Sommets arabes ou islamiques, ce qu’aucun autre chef d’Etat arabe n’avait entrepris. Comparaison n’étant jamais raison, il aura été l’infatigable militant de la cause palestinienne, reconnu par la communauté internationale et par les Palestiniens eux-mêmes. C’est peu dire que le général Shlomo Gazit, tout à sa volonté de retrouver sa vieille mémoire, 51 ans après le Som-met de Casablanca, aura somme toute sacrifié à l’attentisme velléitaire avant de nous livrer sa vérité, suivi en cela par un carrousel de commentateurs hostiles patentés. Comment peut-on imaginer que le Roi Hassan II ait pu paraître aus-si falot ou apocryphe envers ses pairs arabes, sans que ceux-ci le soupçonnent un tant soit peu ? Pourquoi la belle vé-rité des contempteurs que sont Shlomo Gazit, Meit Amir, Rafi Eitan, et autres Isser Harel et le ci-devant premier mi-nistre Lévi Eshkol, n’a éclaté que seize ans après le décès du monarque ?Toute cette belle galerie de noms et d’acteurs nous laisse pantois, figures du spectre noir qui ressurgissent comme des ombres chinoises, talonnés par une certaine presse hâtée de sacrifier au sen-sationnalisme, quand ce n’est pas au fantasme, quitte à reprendre les mon-tages douteux inspirés de témoignages fallacieux. Il est effrayant de relever le suivisme automatique d’une certaine presse, tenue pourtant à la déontologie de recoupement, de vérification extrême ou tout simplement à l’exercice de rigueur comme dans ce cas, qui se contente de relayer d’anciens barbouzes, écartés ou partis à la retraite, fossilisés qui sont en quête de refaire l’histoire.Ce que feu Hassan II aurait livré aux services israéliens consiste-il en quoi, au juste ? Des copies de cassettes en-registrées, des documents écrits, des témoignages oraux, des codes secrets ? Il est inconcevable que la presse, pro-clamée rigoureuse, ne nous renseigne pas sur l’endroit précis du Sommet de la Ligue arabe, hormis cette vague no-tion de « ville de Casablanca » sans autre précision. Il est ahurissant de lire,

dans la foulée, cette rocambolesque description selon laquelle le Souverain aurait même installé une escouade d’es-pions du Mossad au dernier étage, leur aurait donné l’accès aux couloirs atte-nants aux salles de la Conférence, avant de se raviser in-extremis, de crainte que les chefs d’Etat arabes ne s’en aper-çoivent…Comme si, faussant l’impres-sionnante vigilance policière qui en-toure ces derniers, nos héros tirés d’un roman de John Le Carré, accéderaient sans encombres à la salle des travaux, se trouveraient nez-à-nez avec les élé-ments de la sécurité.Du Pinocchio quoi ! Dans l’amalgame délibéré, confus et mensonger, que cer-tains ont cru instrumentaliser pour nous livrer une démonstration tirée par les cheveux, relayée par Yedioth Ahronoth, ensuite par certains journaux étrangers et nationaux en mal de scoop, il n’y a que des paroles recueillies à des fins de publication par une camarilla hos-tile au Maroc. On ne peut mener tout un combat sur le terrain, politique, di-plomatique, militaire voire financier – c’est la cas notamment du Fonds de soutien au Comité al-Qods – au nom et en faveur de la Palestine et « tra-hir » sa cause en même temps. Qu’il ait reçu des responsables israéliens, et pas n’importe lesquels, devisé avec beaucoup d’hommes politiques et intellectuels juifs, dans le but d’avancer sur le chemin de la difficile paix au Moyen-Orient, ne prouve en rien qu’il ait trahi ses frères arabes. Certains d’entre ceux-ci ne s’étaient pas gênés d’ailleurs pour le dénigrer, le combattre voire – c’est le cas de Kadhafi – attenter sans scrupules à sa vie. L’honneur de feu Hassan ne saurait être jeté dans le marigot des relais du ren-seignement désuet, sa mémoire ne peut être bafouée, ni traînée dans la boue, par une soldatesque d’espions. Non plus par tous ceux, ici même chez nous qui, en conçoivent de l’aigreur au seul fait qu’il incarnait le génie. n

Comment peut-on imaginer que le Roi Hassan II ait pu paraître aussi falot ou apocryphe envers ses pairs arabes, sans que ceux-ci le soupçonnent un tant soit peu ?

En octobre 1973, lorsqu’a éclaté ce qu’on appelle en Occident la « guerre du kippour », feu Hassan II , par esprit de solidarité avec la Syrie et l’Egypte, avait envoyé deux corps expéditionnaires au Golan et dans le Sinaï apporter leur précieux concours aux armées des deux pays.

Feu Hassan II reçu par le couple De Gaulle à l’Elysée en juin 1963, à gauche le Prince Moulay Abdallah.Getty images

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MONDIAL 20268 JUIN? 2018

United 2026 et le Juda démasqué

Par Souad Mekkaoui

Rappelez-vous, le 9 avril dernier, le premier ministre libanais Saad Hariri avait partagé sur son

compte Twitter une photo qui n’était pas passée inaperçue et qui avait fait le buzz sur les réseaux sociaux. Il s’agit d’un selfie inédit le montrant avec le Roi Mo-hammed VI et le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salmane, tous souriants, à Paris, dans une posture décontractée et conviviale. Tous les détails dénotaient des relations amicales sauf que Juda était de la fête et allait se démasquer, quelques mois plus tard. En effet, le vote pour l’organi-sation de la coupe du monde 2026 a mis à nu les dessous des relations internatio-nales permettant ainsi au Maroc, bouché à l’émeri, de revoir ses prétendues amitiés et relations.

David contre GoliathCe mercredi, 13 juin, l’organisation

de la Coupe du monde 2026 de football a été attribuée, à Moscou, à la candida-ture du trio Etats-Unis-Canada-Mexique. « United-2026 » s’est imposé donc en vote final, lors du 68è Congrès de la FIFA, par 134 voix, sur les 203 associations habili-tées à voter devant « Maroc-2026 », qui a été soutenu par 65 fédérations tandis que trois se sont abstenues (Cuba, Slovénie, Espagne) et qu’une (l’Iran) a rejeté les deux prétendants. Ainsi, la politique du Moloch et la loi du plus fort auront dit leur mot. Un vote qui est tout sauf sportif où menaces de sanction et lobbying ont tenu la laisse.

D’entrée de jeu, la situation s’annon-çait compliquée puisque la compétition 2026 sera la première à accueillir 48 sélections, soit le plus grand Mondial jamais organisé. Ce qui change carré-ment les paradigmes de tout ce qui a précédé et dresse d’énormes haies de-

vant un pays émergent qui plus est veut organiser seul le Mondial, désormais taillé pour des associations de plusieurs fédérations. Cela dit, les atouts sur lesquels le Maroc a tablé n’auront pas suffi à séduire la FIFA qui ne parle que chiffres. Evidemment qu’animée par des enjeux financiers qui supplantent toute éthique, elle pencherait pour le trio « de choc » qui lui ferait gagner le double de ce que le Royaume avait promis. S’il est vrai que cette fois-ci, le Maroc, qui ambi-tionnait d’être le deuxième pays africain à accueillir le Mondial, s’est présenté avec un dossier plus ou moins solide, de sérieux atouts à savoir sa situation géo-graphique, stratégique qui font de lui un candidat « euro-africain », en plus de la carte de l’homogénéité, de la cohésion et de la commodité, il ne faut tout de même pas se leurrer. Un dossier qui repose sur les promesses d’investissement et les bonnes intentions ne pouvait peser contre « United 2026 », encore moins quand la politique se mêle au sport en termes de sélection. Tout de même, quelque part cela fait « plaisir » de voir une grande puissance en arriver aux menaces sur les pays et leur mettre une pression politi-co-économique pour avoir la victoire.

L’offre américaine remporte l’orga-nisation de la très convoitée coupe du monde face au Maroc, mais doit-on vraiment être déçus ou étonnés ? D’un côté, le Royaume qui a enregistré un retard flagrant sur tous les plans s’est lancé dans une bataille perdue d’avance face à un Moloch horridus imbattable. C’est à se demander si les responsables de la Fédération qui ont –il ne faut pas le nier- fait un travail salutaire, mobilisé des gens et dépensé de l’argent ne nous ont pas vendu un rêve gratuit et chimérique. D’un autre côté, le champ était, d’emblée miné, par une FIFA au cahier des charges des plus exigeants. D’autant plus que la passivité et la partialité de l’instance su-prême du football mondial qui a fait la

sourde oreille aux menaces de sanction et à la manipulation dont a usé le président américain Donald Trump pour intimider la communauté internationale restent inexplicables.

« Ce serait dommage que les pays que nous avons toujours soutenus fassent campagne contre la candidature nord-américaine. Pourquoi soutien-drions-nous ces pays quand ils ne nous soutiennent pas? ». De facto, le tweet du président américain encrasse sa victoire « arrachée ».

Un rêve partagéMaintenant que la messe est dite et que

les masques sont tombés, le Royaume gagnerait à être plus réaliste, plus opéra-tionnel et plus efficient.

Le rêve n’est pas interdit. Nous avons caressé et nourri un rêve collectif pen-dant des mois. Nous avons rêvé grand et nous y avons cru. Mais au fond de nous, on savait très bien que c’était chimérique. Ce n’est pas avec des maquettes et des promesses de budgets qu’on s’imposera. Ce n’est pas avec des projets toujours re-mis à une date indéterminée qu’on exau-cera un rêve qui date de trois décennies. Faut-il rappeler que c’est le cinquième échec et la énième frustration qu’on fait vivre à tout un pays qui lorgne encore et toujours l’organisation de la plus pres-tigieuse compétition de football dans le monde ? Le Maroc a déjà essuyé la défaite après avoir tenté sa chance, en vain, pour les compétitions de 1994, 1998, 2006 et 2010. Mais depuis que le Royaume a pré-senté sa première candidature, combien de stades ont été construits ? Combien d’écoles et d’universités ont vu le jour ? Combien de CHU ont été bâtis ? Com-bien de kilomètres de routes et d’asphalte neuf compte-t-on ? Quelle évolution l’in-dice de développement a-t-il marquée ?

Le rêve n’est pas interdit. Nous avons caressé et nourri un rêve collectif pendant des mois. Nous avons rêvé grand et nous y avons cru. Mais au fond de nous, on savait très bien que c’était chimérique.

La politique du Moloch et la loi du plus fort auront dit leur mot. Un vote qui est tout sauf sportif où menaces de sanction et lobbying ont tenu la laisse.

Mondial 2026 : un vote au goût de la trahison.

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MONDIAL 2026 JUIN 2018 9

United 2026 et le Juda démasqué (Suite)

A-t-on les mêmes armes et les mêmes munitions dans cette « guerre » ? Tout le se-cret est là. Le pays a besoin d’opter pour une vraie stratégie de développement à tous les niveaux. Si, même fort de l’équipe qui a por-té le dossier pendant des mois d’efforts co-lossaux, le Maroc est toujours l’élève recalé, c’est qu’il n’est pas encore prêt à accueillir un événement de cette envergure. D’autant plus qu’aujourd’hui, les enjeux de la FIFA sont autres et les intentions ne sont plus les mêmes. Il y a quelques années encore, le Mondial constituait une opportunité et un accélérateur d’émergence économique et de transition politique, aujourd’hui, d’autres facteurs, notamment la géopolitique du foot-ball, régissent et guident les décisions. Donc c’était plié d’avance. Et le fait que le Maroc soit arrivé au niveau du vote est déjà salu-taire.

Mais soyons réalistes, ayons un vrai projet de société et focalisons-nous sur nos priori-tés et nos urgences à savoir l’éducation, la santé, la justice, l’emploi, la gouvernance, la relance de l’économie, la réforme des impôts et des taxes pour atténuer l’écart des inégalités sociales avec une meilleure répartition des ressources. Injectons le bud-get supposé être consacré à l’organisation de la coupe du monde 2026 aux chantiers prio-ritaires pour un Maroc meilleur. Ce sont nos vraies coupes nationales à organiser et notre fer de lance pour permettre à notre pays de relever les défis.

MBS, l’autre face cachéeIl a fallu juste 203 clics pour que les faces

cachées soient dévoilées laissant voir la fragilité des amitiés de pays qui font fi de relations humaines pour peu qu’il y ait un in-térêt quelconque. Aussi ce vote « politique » avant et après tout est-il plein d’enseigne-ments que le Maroc, qui a toujours joué les pompiers de service, doit retenir. Bien évi-demment quand on est candidat, on n’est jamais sûr de gagner et donc on se prépare à tous les scénarios. Mais dans ce vote, ce qui a le plus choqué les Marocains c’est

les masques qui sont tombés d’un coup. Ce qui leur a fait le plus mal, au-delà de la coupe ratée, est l’image perdue de « pays frères » qui s’avèrent n’avoir jamais été si sincères. Le lobbying et les tractations des coulisses ont fini par démasquer le Ganelon des temps modernes. Si l’odieux person-nage, compagnon de Charlemagne, s’est acoquiné avec Marsile, roi des Sarrasins pour prendre au piège, le pur héros Roland dont il était pourtant le proche parent, notre traître, à nous, cachant derrière son sourire machiavélique sa rage, a tenu à faire payer au Maroc sa neutralité quant au dossier du Qatar et à lui assener un joli coup de bélier. L’Arabie saoudite - puisque c’est d’elle qu’il s’agit- a vu couler sur ses terres le sang de nos soldats morts pour une cause qui n’est pas la nôtre et nous a remerciés largement, non seulement en votant contre nous mais en menant une campagne acharnée par son homme de peine, Turki al-Cheikh, en faveur de « United 2026 ». Une nouvelle leçon dans les relations internationales au goût du sport nous a donc été donnée par celui qui a toujours été en cheville avec les USA dans la destruction du Moyen-Orient. Pourtant, le Maroc leur a apporté son soutien dans leur intervention au Yémen. Il est clair que les Saoudiens savent rendre la parade.

C’est à croire que désormais une nouvelle carte géopolitique, répondant aux rapports de force, est née. Nous avons été lâchés par nos voisins espagnols et sept pays arabes qu’on a toujours considérés comme alliés nous ont filé des coups en douce et ont voté pour le dossier américain (le Liban, l’Arabie saoudite, Les Emirats arabes unis, le Ko-weït, le Bahreïn, la Jordanie et l’Irak). La Guinée Conakry pour laquelle on a construit hôpital et mosquées a voté aussi contre nous. C’est dire que ces coups de Jarnac méritent réflexion ! Nous nous trompons sûrement d’ennemis et le Maroc a besoin de donner un coup de torchon dans ses amitiés.

L’Arabie saoudite et l’Afrique du sud en se rangeant derrière le concurrent nord-amé-ricain et en entraînant bien d’autres fédéra-tions dans leurs sillages nous ont mis face à

notre « crédulité ». D’autres pays africains, comme le Bénin et le Cap-Vert n’ont pas respecté la consigne du président de la CAF, Ahmad Ahmad et nous l’ont fait sentir pas-ser. Et coup de théâtre, le Nigeria, qui avait été directement mis sous pression par Do-nald Trump, a finalement voté pour Maroc 2026 ! Là encore, bien des surprises étaient au rendez-vous. Le Yémen et l’Algérie qui ont mis de côté tous différends, ont soutenu le dossier marocain.

Ce vote est donc un désappointement criard pour le Maroc mais il faut savoir re-commencer de façon intelligente. Fort de ses racines africaines, le Maroc a pu comp-ter sur 42 pays africains qui ont tenu tête au président américain. Ceux-ci méritent toute notre estime et notre soutien. D’ailleurs, un avenir commun est à partager. Il est temps que le Maroc après ces coups de Trafalgar reçus, revoie ses comptes et ses relations internationales dont le miroir n’a pas été reluisant. Ce vote a été assurément politique mais n’oublions pas que les enjeux écono-miques régissent le monde. N’est-il pas en-core temps pour que le Maghreb arabe sur-monte ses conflits afin qu’il puisse affronter les forces de la division ?

Faisons en sorte que cet événement raté soit rattrapé autrement. Beaucoup ont repro-ché au Maroc un budget prévisionnel bien trop élevé pour un pays émergent. Continuer sa trajectoire en réalisant les projets présen-tés dans son dossier –comme a été indiqué par le comité- ne pourrait qu’être bénéfique pour le Royaume. Dès lors, il ne faut pas trop s’attarder sur l’échec et son amertume mais plutôt faire son bilan et se rapprocher de ceux qui ont osé dire « Non » à Trump. Un geste à marquer d’un caillou blanc à un moment où nos amitiés se réduisent comme une peau de chagrin.

Il est incontestable qu’on a besoin de rêve pour avancer. Rêvons donc d’un Maroc nou-veau, sorti du cirage. Rêvons d’un Maroc meilleur non seulement pour l’organisation d’un événement grandiose mais pour ses ci-toyens. Et ce sera Byzance ! n

Si, même fort de l’équipe qui a porté le dossier pendant des mois d’efforts colossaux, le Maroc est toujours l’élève recalé, c’est qu’il n’est pas encore prêt à accueillir un événement de cette envergure.

L’Arabie saoudite - puisque c’est d’elle qu’il s’agit- a vu cou-ler sur ses terres le sang de nos soldats morts pour une cause qui n’est pas la nôtre et nous a remerciés largement, non seulement en votant contre nous mais en menant une campagne acharnée par son homme de peine, Turki al-Cheikh, en faveur de « United 2026 ».

Turki al-Sheikh n’a pas caché son soutien à United 2026 allant jusqu’à mener une campagne contre le Maroc.

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DOSSIER SAHARA10 JUIN 2018

Aujourd’hui, la viabilité et la sécurité de beaucoup d’Etats en Afrique sont remises en cause de par la porosité des frontières, les tensions communautaires ou confessionnelles, l’ancrage du Jihadisme dans l’arc allant de la So-malie jusqu’à la Mauritanie.

L’AUTONOMIE DES TERRITOIRES : DÉTERMINANTS, DÉCLINAISONS ET EXCLUSIONS

Quelle transposabilitépour le Sahara marocain ?

Dr.Youssef Chiheb

L’autonomie des territoires est aujourd’hui une revendica-tion plus au moins partagée,

entre les Etats et leurs composantes identitaires endogènes. Impulsée par la décentralisation ou dictée par les impératifs de gouvernance et de paix civile, l’autonomie des territoires varie d’un contexte géopolitique à l’autre. Elle évolue, globalement, autour de trois scénarii dont il est difficile de ne pas se référer.

Le premier s’inscrit dans une volon-té de démocratisation politique, d’effi-cacité socioéconomique et de prise de conscience des limites de l’Etat pro-videntiel. Ce premier choix se décline par la décentralisation ou le transfert de compétences moyennant la péréquation budgétaire et dans une organisation égalitaire des territoires. Introduite en France par Gaston Deferre en 1983, au profit des collectivités territoriales dont les prorogatives ont été définies par l’Etat. L’objectif étant l’atténuation du jacobinisme prévalant après la seconde guerre mondiale et la contenance de la diversité territerio-culturelle dans l’Eu-rope des régions (Allemagne, Espagne) où ce processus est très avancé.

Le deuxième scénario répond à une volonté de la strate locale de s’affran-chir, sur fond de distorsions politiques, de l’Etat nation ou de l’Etat central, par un mode de gouvernance à géométrie variable et d’instances exécutives dif-férenciées. L’égalité des territoires, est alors remise en cause par l’introduction du principe de la dérogation négociée sous souveraineté de l’Etat central. La Polynésie, Mayotte, la Nouvelle Calé-donie incarnent ce compromis, appelé

autonomie élargie dans la souveraineté.Le troisième scénario, sur fond de

rupture, est celui de la cession unila-térale tendant explicitement, à l’indé-pendance. Il se met en œuvre, soit par des accords à l’amiable de cession pro-gressive (Îles des Comores), soit par référendum (Île de Mayotte), soit par la ratification d’un accord, mettant un terme aux cycles de violences (Île de la Nouvelle Calédonie), débouchant sur un compromis politique (Accords de Matignon), et, à terme, prévoyant l’autodétermination par référendum en 2018.

Recevabilité d’autonomieLes Etats, ayant donné une suite

favorable aux formes différenciées d’autonomisme, et ayant fait le choix de tel ou tel scénario ont retenu l’op-tion la plus réaliste, acceptable par les protagonistes et garantissant, à la fois, la viabilité et la sécurité des entités territoriales autonomes émergentes, et celle de l’Etat central. Trois grilles de lecture conditionnent la recevabilité de l’autonomisme (les déterminants, les déclinaisons, les exclusions).

Pour les déterminants, les Etats prennent en compte la recevabilité et la légitimité de l’autonomie des ter-ritoires basées sur leurs spécificités prononcées et l’incapacité du droit commun à les contenir. La géographie et le contexte géopolitique sont les principaux critères de cette différen-ciation. L’éloignement, l’excentricité, l’insularité, la continentalité sont les balises structurelles de la marche vers l’autonomie. La relation de la France métropolitaine aux départements et territoires d’outre mer illustre ce cas de figure. Perdu au fin fond du Paci-fique, dans l’océan Indien ou dans les Caraïbes, les Îles se tournent, par ré-flexe, vers leur environnement géogra-phique, géopolitique et culturel proche. « L’indépendance dans l’inter dépen-dance » dixit Edgar Faure s’impose par ce déterminisme géographique qui a fini, paradoxalement, il y a plus de cinquante ans, par altérer et désintégrer l’empire colonial. Ensuite, vient l’His-toire comme marqueur et/ou catalyseur de cette différenciation. Les territoires, fruit des découvertes géographiques, des changements de souveraineté entre les empires coloniaux, des conquêtes religieuses et des évolutions sociétales dichotomiques et séparées entres les autochtones et les colons (apartheid de fait et non de droit). Enfin, la compo-

sante ethnique, linguistique et culturelle en porte le coup de grâce. L’ensemble de ces dé-terminants, conjugués aux dis-parités socioéconomiques et du clivage entre l’Etat central et les territoires tentés par l’autono-mie en matière du développe-ment humain, finit par stimuler les revendications et discréditer l’hypothèse de la cohabitation ou de la juxtaposition d’entités profondément distinctes, voire antagonistes, en un seul Etat compacte.

Pour les déclinaisons, les Etats proposent ou négocient des schémas d’évolution du proces-sus d’autonomie des territoires, par paliers, afin d’éviter la rup-ture brutale, synonyme du chao ou de menaces sécuritaires. Au niveau juridique, la dérogation en est la locomotive. Progressivement, les territoires cible se détachent du droit commun en matière de gouvernance (Education, Droit de la famille, Fisca-lité, Assemblé territoriale, Gestion des ressources…) cependant, l’Etat conti-nue d’exercer sa souveraineté avec le principe de la non réciprocité. Le cas de la Polynésie est représentatif. L’archipel dispose de sa propre assemblée exécu-tive, de sa monnaie, indexée sur l’euro. A Mayotte, les principes de la laïcité ne s’y appliquent que peu où 98% de la population est musulmane. Le droit cou-tumier déroge au code civil. Le passage du statut de territoire au département d’outre mer s’est effectué par référen-dum local et non par ordonnance.

Pour ce qui est des exclusions, les Etats définissent des lignes rouges, au principe d’autonomie des territoires, à ne pas franchir et qui ne peuvent faire l’objet de négociations. La sécu-rité nationale, le drapeau, les affaires étrangères, la monnaie, et la défense constituent les domaines réservés des Etats. En Europe, en Amérique, en Asie et en Afrique, des modèles d’au-tonomie divers et variés ont été oc-troyés aux minorités ou aux territoires spécifiques, sans pour autant toucher aux éléments matriciels relevant de la souveraineté. Le modèle français en matière d’autonomie des territoires est riche en expériences, efficace par ses modes de gouvernance et réaliste par la viabilité des formes d’autonomie. Tant au niveau de la métropole (Concor-dat à Strasbourg, statut du territoire de Belfort, Assemblée Territoriale en

Corses) que de l’Outre Mer (Polynésie, Mayotte, Nouvelle Calédonie), toutes ces entités territoriales, dont la légiti-mité et l’éligibilité à l’autonomie sont avérées, jouissent de statuts de terri-toires autonomes à géométrie variable. Cependant, l’Etat central n’est pas prêt à faire de ces dérogations concédées une évolution linéaire vers l’indépen-dance. Beaucoup de départements et territoires d’Outre Mer ont privilégié l’autonomie élargie sous souveraineté française, plutôt qu’une aventure auto-nomiste pouvant conduire au désastre économique et à la dislocation du cor-don sécuritaire et géostratégique.

Aujourd’hui, la viabilité et la sécuri-té de beaucoup d’Etats en Afrique sont remises en cause de par la porosité des frontières, les tensions communautaires ou confessionnelles, l’ancrage du Jiha-disme dans l’arc allant de la Somalie jusqu’à la Mauritanie. Les menaces de sécurité régionale (terrorisme, trafic d’armes, traite humaine) s’imposent aujourd’hui, à la fois, comme détermi-nants, déclinaisons et exclusions aux projets d’autonomie négociés entre les Etats et les territoires qui y sous-crivent en Afrique. L’autonomie élar-gie, dans la souveraineté, est un gage de l’exercice durable, viable et géopoliti-quement acceptable pour les pays dans les zones crisogènes, en particulier dans le no man’s land du Sahara et du Sahel.

Le Maroc peut explorer ces pistes en vue de trouver une solution politique acceptable, durable et viable pour se soustraire de l’enlisement politico-di-plomatique relatif à la question du Sahara Marocain. n

Dr.Youssef Chiheb, Professeur des Universités. Université Paris XIII- Sorbonne

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AFRIQUE12 JUIN 2018

Force G5- Sahel : Quelle efficacité pour faire face à la nébuleuse terroriste ?

Par Othmane Semlali

Alors que la Force G5- Sahel est entrée dans la phase des der-niers réglages pour entrer en

action sur le terrain, la situation dans la région du Sahel ne cesse de se détério-rer au fil du temps, avec des opérations terroristes à large spectre et d’ampleurs différentes en fonction de la partie ci-blée (CF : derniers attentats terroristes de Ouagadougou). Des actes barbares pour le moins qu’on puisse qualifier de «sanglants» et «meurtriers».Cette situation, doit-on le rappeler, s’est détériorée depuis plus de 5 ans, après l’intervention des forces spé-ciales françaises au Mali, aggravée par plusieurs facteurs liés à la pro-lifération de la pensée obscurantiste extrémiste et radicale, la pauvreté et la précarité (manque criard des in-frastructures et autres équipements de proximité), l’absence de l’Etat dans des territoires vastes laissant le dernier mot à l’anarchie et au «non- droit », le creusement des inégalités sociales, la corruption et surtout, l’émergence d’une élite de gouvernants qui s’est largement enrichie au détriment des larges masses sociétales, entre autres.La tentative de cinq pays de la région à savoir : la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad (G5 Sahel) de coordonner, enfin, leurs politiques et stratégies sécuritaires pour faire face aux groupes terroristes qui sévissent dans la zone est, certes, louable, mais a-t-elle atteint en matu-rité pour pouvoir apporter toutes les réponses qui s’imposent ?La question est d’autant plus légitime et complexe, si on doit rappeler que plusieurs initiatives sécuritaires régio-nales ont été prises par le passé, dont certaines sont restées «lettres mortes» dans les tiroirs des Etats Majors sans résultats palpables à évoquer.

La persistance du conflit autour du Sahara

marocain et l’implication de l’Algérie : facteurs

d’instabilité et d’insécurité :

En réalité, si toutes les initiatives sé-curitaires régionales adoptées ou encore à venir restent le plus souvent vouées à un échec quasi-certain, cela tient es-sentiellement à la persistance du conflit autour du Sahara marocain et à l’atti-tude archaïque et aux magouilles du ré-gime algérien, qui sème la discorde et la fracture dans une zone déjà fragilisée par tous ces facteurs et bien d’autres, tels que la chute du régime Kadhafi en Libye, avec tout ce que cela a engendré comme fuite et prolifération du trafic

illicite d’armes dans la région.Pour nombre d’observateurs, les

liens établis entre les milices et merce-naires séparatistes du pseudo polisario avec des groupes terroristes, tels que cités dans des rapports onusiens, et la connivence établie tout récemment avec le Hezbollah, avec la complicité avouée d’Alger et de Téhéran, laissent confirmer ce qui précède ; et conclure que tant que ce différend, des plus vieux sur le Continent, n’a pas trouvé une issue dans le cadre de l’initiative du Royaume pour l’autonomie des provinces du Sud sous souveraineté marocaine, les facteurs d’instabilité et d’insécurité continueront de peser de tout leur poids sur toute la région, et mettront en péril, à long terme, la sé-curité et la stabilité non seulement du Continent mais de l’Europe également.

Les provocations en série auxquelles se livrent, désespérément, les sépara-tistes, avec la bénédiction des généraux et services de renseignements algériens, «dans une démonstration des biceps du Moyen-Âge», dans la violation la plus flagrante des textes onusiens et des mises en garde à répétition du Conseil de Sécurité, ne pourront, en aucun cas, intimider le Maroc qui souverainement et légitimement, se réserve le droit de répondre à ces actes lâches de la ma-nière qui lui semble la plus appropriée.

Si le Maroc a toujours choisi la voie du pragmatisme et de la sagesse en saisissant, à maintes reprises, l’insti-tution onusienne et la communauté in-ternationale en les mettant devant leur responsabilité, cela ne doit nullement être considéré comme une fuite en avant ou une incapacité quelconque de riposte, mais c’est parce que le Maroc, Etat fier de plus de 14 siècles d’exis-

tence, n’a jamais épousé la démarche d’un «Etat-voyou», et a toujours dé-fendu les valeurs de bon voisinage, de non-ingérence dans les affaires internes des autres Etats, et du respect de la sou-veraineté des Etats.

Aussi, si l’Algérie demeure vivement obsédée par cette recherche effrénée d’un leadership en matière de lutte contre le terrorisme, il serait judicieux de soulever la question de savoir com-ment un Etat qui alimente le terrorisme, qui abrite des terroristes sur son sol et qui soutient les mouvements sépara-tistes, peut prétendre avoir une exper-tise et être disposé à apporter son appui aux efforts de lutte contre ce fléau à l’échelle régionale voire même inter-nationale, si ce n’est de l’aberration et un art hautement maîtrisé de ce qui est communément appelé de l’hypocrisie.

Partant de toutes ces réalités véri-fiées, si le projet G5- Sahel peut paraître fiable, notamment, face à des groupes terroristes qui ont acquis toute l’exper-tise nécessaire, qui maîtrisent parfaite-ment le terrain, qui contrôlent de vastes zones de non-droit et qui se livrent à tout genre de trafics pourvoyeurs de de-vises et de richesses, il serait légitime de se poser la question de savoir quelle coordination cette force sous-régionale peut-elle instaurer dans le cadre de sa mission, avec d’autres structures de paix et de sécurité dans la région ?

Pour rappel, le Mali, le Niger et la Mauritanie sont déjà signataires du Plan de Tamanrasset de 2009 qui a permis de créer le Comité d’Etat- Major opérationnel conjoint (CEMOC) ainsi que la cellule d’intelligence conjointe de l’unité de fusion et de liaison (UFL), parfaits exemples de coopération sahélo-saharienne, bien que depuis sa

création, le CEMOC n’a jamais trouvé l’angle idéal d’action.

La Force G5- Sahel n’est pas «la solution unique» face à la complexité de

la situation dans la zone :Toutefois, force est de dire que le G5-

Sahel ne peut être «la solution unique» aux crises qui rongent la zone. Pour l’expert Antonin Tisseron du Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP), il est important de souligner que «dans son format ac-tuel, la logique horizontale (est-ouest) du G5 Sahel ignore de facto les dyna-miques nord-sud et interrégionales, alors même que la contagion des crises, aujourd’hui, se fait suivant des dyna-miques verticales, que cela soit au Sud avec par exemple Boko Haram, ou au Nord avec les groupes terroristes pré-sents en Libye».

Si, militairement, le G5- Sahel se montre comme la suite logique de l’opération «Serval» déclenchée en janvier 2013, et celle «Barkhane»de-puis août 2014, dans le but bien affi-ché, initialement, de hisser une bar-rière devant l’avancée des terroristes vers Bamako, stratégiquement, et géo-économiquement, l’intérêt inter-national de plus en plus porté par la communauté internationale et à sa tête la France, à cette force serait justifié par les grandes réserves de pétrole, et les gisements de mines parmi les plus convoités notamment l’uranium et l’or, outre des métaux précieux in-dispensables dans les industries tech-nologiques de la pointe.

Renforcer la force armée pour sécuriser la zone frontalière est une urgence.

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AFRIQUE

La résolution du conflit autour du Sahara marocain demeure la condition sine qua non pour toute stabilité durable dans la région.

Les liens confirmésentre le polisarioet des groupusculesterroristeset la connivenceentre ces séparatisteset le mouvementHezbollah sont autantde facteurs d’instabilité mais aussi d’insécurité dans la région

JUIN 2018 13

Force G5- Sahel : Quelle efficacité pour faire face à la nébuleuse terroriste ? (Suite)

Cela signifie logiquement que toute présence militaire dans la région, per-mettra aussi de mieux contrôler ces richesses dans une zone où la porosi-té des frontières et la nature tribale et ethnique des populations (des ethnies ayant des extensions parfois au-delà des frontières d’un seul Etat) viennent compliquer davantage la donne et rendre difficile tout contrôle.

En plus, en termes de coûts, il est connu de tout un chacun que la pré-sence militaire française dans la ré-gion pèse lourdement sur le trésor de l’Hexagone. C’est pour cela que, dans sa démarche, la France a toujours cher-ché dans le cadre de ce qu’elle appelle «une réorganisation intelligente», la formule la plus adéquate pour réduire ses effectifs tout en consolidant sa pré-sence dans la région.

Pour ce faire, si le poste de comman-dement opérationnel du G5- Sahel est au Mali, la relation hiérarchique réelle de l’État français sur le G5- Sahel passe par une cellule de coordination et de liaison accolée au poste de com-mandement de l’Opération Barkhane.

Encore mieux, pour conférer à sa présence militaire au Sahel toute «la légitimité internationale» requise, la France veille en permanence à béné-ficier d’un appui inconditionnel de ses alliés traditionnels, notamment, européens.

Un rôle décisif de

la France, épaulée par son allié traditionnel

l’UE Ceci dit, l’Union européenne,

qui est militairement présente dans le cadre de la «Politique commune de sécurité et de Défense (PCSD)», coopère pleinement avec les pays du G5- Sahel pour le traitement de moult dossiers épineux notamment, celui de la migration, le contre-terrorisme et le développement de manière générale.

A ce niveau, on peut citer les exemples de l’«Eucap Sahel Niger» ou encore «l’Eucap Sahel Mali» qui soutiennent respectivement les institu-tions et les forces de sécurité du Niger et du Mali dans la lutte contre le terro-risme et le crime organisé, et assurent le transfert de l’expertise nécessaire en matière de conseil stratégique et de formation aux différentes forces de sécurité et aux ministères concernés.

L’axe Paris-Bruxelles, animé par d’importants intérêts à la fois diplo-matiques et stratégiques, tente de faire du G5 Sahel une zone «contrôlée et balisée», notamment devant les capa-cités limitées des pays de la zone, et leur incapacité à prendre leur destin en main. Ce qui permet, à ce stade d’ana-lyse, d’affirmer déjà que «la tutelle» se trouve bien assurée.

En outre, si la lutte contre les groupes djihadistes et terroristes semble être le motif affiché derrière l’adhésion des pays du G5-Sahel à ce projet milita-ro-sécuritaire, la question qui se pose est celle de savoir quelles sont les mo-tivations réelles de ces Etats, sachant que depuis plus d’une décennie, ils ne sont jamais parvenus à coordonner leurs actions au niveau régional.

De nombreux observateurs justifient une telle attitude par les fonds - éven-tuellement partiellement détournés - des bailleurs étrangers qui expliquent la création de cette force militaire sous-régionale. On peut pousser en-core le raisonnement très loin jusqu’à affirmer que ces pays, de tout temps,

dépourvus de capacités et de moyens et sans volonté manifeste de combattre le terrorisme et le crime transfronta-lier, ne cherchent in fine qu’à tirer profit de cet acharnement des forces françaises pour cette zone.

Donc, face à des motivations pu-rement financières des pays du G5- Sahel, ce sont des desseins inavoués des pays européens qui sont suscep-tibles d’être évoqués.

Cette réalité permet, à ce stade d’analyse, de soulever une autre ques-tion très pertinente et cruciale, à savoir celle du financement nécessaire pour un fonctionnement optimal du G5- Sahel. Sur les 441 millions d’euros de promesse de dons, près du quart de ce

montant émane de l’Arabie saoudite.Partant de ce qui précède, la ques-

tion de la stabilité de la région est une priorité internationale. Il y va à long terme de la stabilité de tout le Conti-nent africain. La floraison de mouve-ments terroristes dans cette région, notamment, après le retour de com-battants djihadistes suite à la défaite de l’Etat Islamique (EI) en Syrie et en Irak, les liens confirmés entre le poli-sario et des groupuscules terroristes et la connivence entre ces séparatistes et le mouvement Hezbollah sont autant de facteurs d’instabilité mais aussi d’insécurité dans la région rendant indispensable une articulation des initiatives des structures régionales.

Aussi, l’élection du Maroc au Conseil Paix et Sécurité (CPS) de l’Union africaine (UA), et l’expertise accumulée par le Royaume en matière de lutte contre le terrorisme et le crime organisé et transfrontalier, ne sont-ils pas à négliger, surtout que le Maroc demeure sensible et mobilisé à contri-buer aux efforts de développement et de stabilité du continent.

Le ministre nigérien de la Défense, Kalla Moutari, au sortir d’une audience que lui a accordée, tout récemment, le Président du Burkina Faso, Roch Marc Christian Kaboré, a relevé que la force antidjihadiste G5- Sahel est «prête» à entrer en action. «Nous sommes prêts à lancer les opérations dans la mesure où toutes les forces composantes du G5 Sahel sont sur place», a-t-il dit,

Cette déclaration faisait suite à une réunion à Ouagadougou des ministres de la Défense des cinq pays membres du G5- Sahel pour valider «la mise en place de la Force du G5 Sahel, la montée en puissance de cette force et un certain nombre de textes cadres».

En chiffres, il est question de 5000

hommes d’ici la mi-2018, la force qui a déjà effectué une première opéra-tion en novembre dernier, a un quartier général à Sévaré au Mali, menant en coordination avec la force française «Barkhane» deux opérations dans la zone des trois frontières entre Mali, Niger et Burkina Faso.

L’entrée en fonction de cette force doit normalement se faire sans attendre

les 400 millions d’euros promis par les pays occidentaux. Du côté de l’Union européenne (UE), on an-nonce que la Mission de Formation militaire au Mali (EUTM), lancée en 2013 pour former des unités capables de combattre les groupes terroristes armés, allait être proro-gée d’au moins deux années supplé-mentaires afin d’appuyer les efforts des pays de la région en termes de lutte contre le terrorisme.

Avec un budget de 59,7 millions d’euros, la mission d’entraînement militaire soutenue par l’UE a for-mé près de 11.000 soldats maliens, dont certains contingents seront dé-ployés sur le terrain dans le cadre de la force G5- Sahel.

Ceci dit, la tendance actuellement est une régionalisation des actions des missions tant civiles que mili-taires de la politique de sécurité et

de défense commune (PSDC) dans la région du Sahel.

In fine, la résolution du conflit au-tour du Sahara marocain demeure la condition sine qua non pour toute stabilité durable dans la région. L’im-plication de l’Algérie dans ce dessein macabre de déstabilisation de la ré-gion n’est autre pour le voisin de l’Est qu’une fuite en avant contre une crise profonde que ce pays vit de l’inté-rieur (chômage des jeunes, crise de gouvernance, corruption, absence de démocratie….) une liste de maux non exhaustive qui augurent d’un chaos certain que le régime algérien serait tenu d’insérer dans ses prévisions. n

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AFRIQUE14 JUIN 2018

A terme, ces travaux d’un coût global de 400 milliards FCFA, conduits par l’entreprise chinoise China Communications Construction Company, permettront au pays d’avoir le plus grand port d’Afrique de l’Ouest, doté d’infrastructures modernes conformes aux normes internationales.

Port de pêche en Afrique : entre anarchie et insalubrité

Désiré Beiblo

Depuis quelques années, de nom-breux pays africains ont entamé des projets de modernisation de

leurs infrastructures portuaires à travers des rénovations et des constructions, dans le but d’accroître leur capacité et de profiter pleinement du potentiel de ce secteur. Toute-fois, malgré les efforts déployés, l’état de ces ports de pêche contraste fortement avec les ambitions affichées. Qu’il s’agisse du port de pêche de Bonfi ou de Boulbinet en Guinée Conakry, de celui de Lomé au Togo, ou en-core du port de pêche de Yoro à Brazzaville au Congo, l’insalubrité est la caractéristique la mieux partagée dans le domaine portuaire sur le continent.

Incursion au Port autonome d’Abidjan

Au Port autonome d’Abidjan, le constat n’est pas des plus reluisants. Non loin des gros entrepôts et leurs conteneurs frigori-fiques, où sont soigneusement stockés les poissons à congeler, les déchets, les eaux usées et le ballet incessant des mouches côtoient les petits étals de poissons frais. Nous sommes au cœur du plus grand mar-ché de poisson du pays. Comme il est de coutume, dès les premières lueurs du jour, les commerçants entassent les poissons sur leurs petites tables. Chacun fait en sorte d’attirer la clientèle. Les vendeurs les plus âgés sont assis sur des nattes. Les plus jeunes se chargent de mettre les

poissons, fraîchement sortis des bateaux, dans des frigos ou des glacières. Certains sont occupés à découper les poissons des clients. Peu à peu, le marché se remplit de monde. Cependant, accéder à ce lieu n’est pas une promenade de santé, bien au contraire, c’est tout un parcours de com-battant. Et pour cause, une odeur pestilen-tielle erre dans l’air. Les personnes venues faire des achats sont tenues de se boucher les narines, de temps à autre, pour résister à l’odeur de poisson pourri omniprésente. Les commerçants, eux, ne s’en émeuvent plus, ils semblent habitués. Pis, ils pa-raissent à leur aise dans ces conditions de travail bien particulières. A quelques pas de nous, certaines personnes sont mêmes étendues sous des tentes de fortune.

Les commerçants se plaisent-ils dans

ces conditions exécrables ?Moussa, commerçant de poisson dans

cet établissement, se confie : « Mon père travaillait ici au port. Il a perdu la vie suite à des complications pulmonaires. C’est sûr que toutes les odeurs qu’il y a ici n’ont pas facilité les choses. J’ai pris la relève parce que je ne connais que cette activi-té. Nous travaillons dans des conditions assez difficiles comme vous le constatez. Nous avons assez dénoncé aux autorités compétentes mais rien n’est fait. Donc nous sommes obligés de faire avec, faute de mieux ». Selon Moussa, les commer-çants ont longtemps espéré des actions de la mairie de Treichville, la commune dans laquelle se trouve le port de pêche et à la-quelle ils payent des taxes hebdomadaires. « Nous avons mis notre confiance en la mairie de Treichville. Puisque ce sont les agents de cette mairie qui prélèvent ici chaque semaine, la somme de 3.000 francs Cfa (5 euros). Nous estimons que c’est de l’abus. La mairie intervient dans cet éta-blissement très rarement. Les caniveaux et voies de canalisation sont bouchés et nous sommes obligés de nous cotiser pour payer le ramassage de nos ordures », confie-t-il. Les commerçants en colère tiennent pour seul responsable la mairie de la com-mune. Traoré Ibrahim, président de l’as-sociation des commerçants de poisson du marché que nous avons rencontré, affiche son mécontentement pour le traitement dont ils sont victimes dans l’exercice de leur métier. « Vous constatez vous-même l’état dans lequel nous sommes ici. C’est un lieu de vente de poisson à consommer, mais regardez comment c’est insalubre. Il suffit de connaître le port de pêche pour perdre l’envie de consommer du poisson. Malheureusement, nos plaintes pour de meilleures conditions n’ont eu aucun écho favorable », a-t-il fustigé.

Toutefois, selon Traoré Ibrahim, la di-rection du Port Autonome d’Abidjan aurait confié la gestion de la décharge du site à une entreprise privée, inscrite aux abon-

nés absents. « La décharge, qui n’a jamais été vidée, a été confiée à une entreprise qui ne vient pratiquement pas. Résultat : les ordures attirent les rongeurs et autres insectes qui n’ont rien à faire sur un marché de poissons», a-t-il affirmé.

Réaction des autoritésIndexée par les commerçants pour ses

manquements dans le maintien de l’hy-giène au marché de poisson du port, la mairie de Treichville, à travers son sous-di-recteur technique, Assi Aman Louis, réfute ces accusations. « Ce marché doit être détruit. Nous menons toujours des actions pour assainir les conditions de travail des commerçants. Nous avons demandé aux commerçants de nous laisser détruire ce marché pour reconstruire un marché moderne qui respecte les normes interna-tionales. Mais chaque fois que nous avons pris l’initiative, ils se sont farouchement opposés. Ils nous disent que c’est avec cela qu’ils nourrissent leur famille. La mairie a toujours eu du mal à faire comprendre aux commerçants que ce lieu doit être déguerpi puis rénové », a-t-il révélé.

« Les commerçants ont eux-mêmes pris l’engagement de reconstruire le mar-ché. Et la mairie prélève des taxes parce que c’est un domaine de l’institution. Nous demandons aux commerçants de prendre soin de leur milieu de vie parce que c’est là qu’ils passent le plus clair de leur temps. Qu’ils prennent aussi leur responsabilité », poursuit-il. Le sous-directeur technique ne dédouane pas pour autant la mairie qui se-lon lui, a sa part de responsabilité. « Dans cette affaire, les responsabilités sont parta-gées. Je souligne, par ailleurs, que le port autonome d’Abidjan et les commerçants ont leur rôle à jouer. »

Des projets d’aménagement d’envergure

A l’instar d’autres pays africains, la Côte d’Ivoire a entamé des travaux d’exten-sion et de modernisation de son port. A terme, ces travaux d’un coût global de 400 milliards FCFA, conduits par l’en-treprise chinoise China Communications Construction Company, permettront au pays d’avoir le plus grand port d’Afrique de l’Ouest, doté d’infrastructures modernes conformes aux normes internationales. Il en est de même pour le port de pêche de Yoro au Congo, qui devrait arborer un nou-veau visage grâce au soutien du Maroc. En effet, le Royaume a apporté deux milliards de francs CFA (30 millions de dirhams) pour soutenir son projet de rénovation. Si tous les aménagements annoncés sont scru-puleusement mis en œuvre, les ports de pêche africains devraient se départir de leur précarité et faire peau neuve dans quelques années. Pour l’heure, commerçants et ad-ministration se renvoient la responsabilité de l’anarchie et de l’insalubrité qui règnent dans ces marchés de poisson « frais ». nPort autonome d’Abidjan : des conditions exétrables.

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INTERNATIONAL

Les indicateurs économiques de la Jordanie ne sont pas au beau fixe : avec un taux de chômage de 18,5%, ainsi que 20% de Jordaniens se trouvantà la limite du seuil de pauvreté, le ras-le-bol se fait entendre, et il est synonyme d’un mal-être économique aigu.

Ces manifestations, est la cristallisation d’une crise de confiance avérée vis-à-vis de la classe politique dont on ne supporte plus les travers : corruption politique, façade démocratique bien plus que démocratie effective…

JUIN 2018 15

Jordanie : un « printemps arabe »qui renaît de ses cendres ?

Par Zoubida Debbagh

Le spectre du « printemps arabe » de 2011 ne semble pas résolu-ment éloigné … Tel est l’ensei-

gnement que l’on peut tirer de la crise que traverse la Jordanie actuellement. Une vague de manifestations secoue le pays depuis l’annonce, à la fin du mois de mai dernier, d’un projet de loi concer-nant l’impôt sur le revenu. Ce projet ré-sulte de la pression opérée par le FMI sur la Jordanie en échange d’une bouée de sauvetage financière – une ligne de crédit de 723 millions de dollars – dans le but d’apporter du soutien à cette éco-nomie plus que vacillante. Ainsi, la Jor-danie se voit contrainte à entreprendre des réformes structurelles radicales afin de réduire sa dette publique. Cette loi a provoqué l’ire de la population, car son but est d’élargir le nombre de personnes concernées par l’impôt sur le revenu ain-si que de rehausser le taux de taxation pour certaines entreprises.

Grogne sociale et économie vacillante

Celle qui avait été d’une certaine manière épargnée par la vague des «printemps arabes», se trouve aujourd’hui, bel et bien, au cœur de mouvements de protestation de grande ampleur. Et cette grogne populaire ne s’explique pas seulement par cet impôt sur le revenu… En réalité, ce projet de loi n’est que la goutte d’eau qui a fait déborder le vase d’un malaise socio-économique bien plus profond. En

effet, les indicateurs économiques de la Jordanie ne sont pas au beau fixe : avec un taux de chômage de 18,5%, ainsi que 20% de Jordaniens se trouvant à la limite du seuil de pauvreté, le ras-le-bol se fait entendre, et il est synonyme d’un mal-être économique aigu. A cela s’ajoute des hausses de prix fulgurantes et répétées, notamment sur les produits de première nécessité. Exemple probant : le pain. Ce dernier a subi une hausse de… 100% ! Il en est de même pour l’électricité ainsi que le carburant, qui ont tous deux également subi des hausses colossales. La raison de ces augmentations est grandement liée à la fin des subventions publiques, sous la pression des réformes structurelles incitées par le FMI dans le but de redresser l’économie jordanienne. Mais pourquoi l’économie du pays est-elle aussi vacillante ? Le royaume étant dépourvu de ressources naturelles, son économie s’appuie majoritairement sur les aides qu’il reçoit de la part de ses alliés, comme certains pays du Golfe ou encore les Etats-Unis. Elle est pour ainsi dire comme otage des aides internationales, ce qui fait d’elle une économie bien fragile car dépendante du bon vouloir de ses « bienfaiteurs ». Par ailleurs, la Jordanie étant l’un des pays accueillant le plus de réfugiés Syriens, ceci pèse indéniablement sur les caisses de l’Etat.

Un effet générationnel remarqué

Une tendance bien remarquée, à l’oc-casion de ces manifestations, est la proportion de jeunes y ayant pris part. Cet effet générationnel, au sens du so-

ciologue Karl Mannheim, s’explique par le fait que ces jeunes, pour la plu-part issus, de la classe moyenne, ont été socialisés dans un même contexte politique, et partagent ainsi une même conscience. Ils sont sensibles aux mêmes enjeux, et leur ras-le-bol se ma-nifeste en synergie… Ainsi, ces mani-festations, est la cristallisation d’une crise de confiance avérée vis-à-vis de la classe politique dont on ne supporte plus les travers : corruption politique, façade démocratique bien plus que dé-mocratie effective…

Face à ces contestations, le premier ministre Hani Al Mulqi a déposé sa dé-mission le 4 juin dernier. Mais cette dé-cision politique n’a pas suffi à acheter la paix sociale. Ainsi, du fait de la per-sistance de la grogne populaire, le roi Abdallah a pris le dossier en main, en appelant à une révision de la réforme fiscale tant controversée. Ceci a ame-né le gouvernement jordanien à faire un pas en arrière le 7 juin dernier, an-nonçant le retrait total du projet de loi. Une décision saluée par les syndicats, fiers de cette issue après une semaine de manifestations menées à travers tout le pays.

Nouvel épisode en date de la saga jor-danienne : des aides venant de certains pays du Golfe – l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Koweït – ont afflué ce lundi 11 juin en direction de la Jordanie. Il semblerait que, comme pris de panique par ce vent de révoltes qui souffle en Jordanie, les pays du Golfe veuillent, à tout prix, prévenir un éven-tuel effet domino qui déstabiliserait as-surément toute la région. n

La population ne décolère pas face à la hausse des prix et des impôts.

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INTERNATIONAL16 JUIN 2018

Habile et bon communicant, Modi s’engage à lutter contre la corruption et ouvre le pays aux investisseurs étrangers. En 2015, les flux d’investissements directs étrangers (IDE) atteignent 44 milliards de dollars contre 35 en 2014.

Avec près de 140 milliards de dollars d’échanges avec les pays arabes, en 2017, l’Inde s’impose désormais comme le troisième acteur incontournable après l’UE et la Chine.

L’Inde à l’assaut des marchés arabeset méditerranéensPr. Bichara Khader

Depuis leur indépendance, les pays arabes se sont focalisés sur l’Europe en signant des

accords commerciaux avec la Commu-nauté économique européenne (CEE), puis des accords de coopération, de par-tenariat ou de voisinage avec l’UE. En 2017, l’UE accaparait près de 50% des échanges de l’ensemble des pays arabes et presque 60 % des échanges des pays du Maghreb ; et le total de ces échanges a oscillé, depuis 2015, autour de 300 à 325 milliards de dollars, faisant de l’Eu-rope le premier partenaire commercial de l’ensemble des pays arabes. Jusqu’à 2017, les pays arabes constituaient un marché captif, presque un « domaine réservé » où l’UE réalisait un excédent commercial estimé, bon an mal an, à 60 milliards de dollars.

Cette situation privilégiée de l’UE est en train d’être menacée sérieusement par de nouveaux venus sur les mar-chés arabes : la Chine et l’Inde. En ef-fet, depuis le début des années 1990, les Chinois ont fait une percée remarquable dans les marchés arabes faisant grimper leurs échanges d’à peine 10 milliards de dollars, en 1990, à 250 milliards en 2017, et ils espèrent dépasser la barre des 300 milliards avant 2025.

Mais alors que les médias arabes bra-quent les projecteurs sur les nouvelles relations économiques entre la Chine et les pays arabes, un autre pays asiatique est en train de grignoter des parts de plus en plus importantes des marchés arabes et méditerranéens : c’est l’Inde. Avec près de 140 milliards de dollars d’échanges avec les pays arabes, en 2017, l’Inde s’impose désormais comme le troisième acteur incontournable après l’UE et la Chine. Le présent article vise à analyser cette inexorable ascension de l’Inde et sa récente pénétration des marchés arabes et méditerranéens.

Bref rappel de l’histoire politique de l’Inde

L’indépendance de l’Inde s’est faite dans la douleur. Les 14 et 15 août 1947, l’Empire britannique des Indes se disloque, donnant naissance à deux Etats : l’Union indienne et le Pakistan. Un mouvement massif de transfert de populations a lieu des deux côtés, ac-compagné de grandes violences qui ne cessent qu’en septembre 1947. Mais le partage du Cachemire donne lieu à deux guerres en 1947 et 1949 et de-meure, jusqu’à ce jour, une pomme de discorde entre les deux frères ennemis. Le Pakistan lui-même est créé, le 14 août 1947, sous forme de deux entités géographiques séparées de 1600 kilo-

mètres de territoire in-dien. La partie orientale finit par arracher son indépendance, sous le nom de Bengladesh, le 26 mars 1971.

A peine indépendante, l’Inde affirme son atta-chement à la neutralité et Nehru, Premier ministre de 1950 à 1964, se fait le champion du non-ali-gnement. Il est succé-dé par Indira Gandhi (1966-1977), auréolée du prestige de son père. C’est sous son mandat que le Bengladesh se sépare du Pakistan, que l’Inde teste sa première bombe nucléaire et ac-cède au club restreint des pays nucléaires. Mais Indira Gand-hi est battue lors des élections de 1977. L’opposition nationaliste hindoue, re-présentée par le Bharatiya Janata Party, arrive au pouvoir. Moraji Desai devient Premier ministre (1977-1980). Rapide-ment, des dissensions internes minent son parti. Une aubaine saisie par le parti du Congrès qui gagne les élections et remet Indira Gandhi aux commandes. Mais elle doit faire face à une rébel-lion des Sikhs au Bengale qu’elle mate violemment. En 1984, un de ses garde-corps Sikhs l’assassine. Son fils Rajib Gandhi lui succède. Son aura n’em-pêche pas la défaite du Parti du Congrès en 1989 et c’est V.P. Singh qui devient Premier ministre d’un gouvernement de coalition. Cependant, l’attribution de quotas aux « basses castes » fait chuter son gouvernement. Lors des élections de 1991, Rajib Gandhi connaît le même sort que sa mère : il est assassiné par les Tigres tamoules.

P.V. Narasimha Rao devient Pre-mier ministre et engage la libéralisa-tion économique du pays. Mais celle-ci s’accompagne de l’émergence d’une mouvance nationaliste hindoue qui joue la carte identitaire et qui met à mal la cohabitation interne entre les Hindous et la minorité musulmane. En 1992, les na-tionalistes hindous démolissent la mos-quée d’Ayodhiya suscitant une grande émotion parmi la minorité musulmane d’Inde (180 millions) et dans les pays arabes et musulmans. Cela n’affaiblit guère le Bharatiya Janata Party (Parti du Peuple indien) qui reste, malgré tout, assez influent jusqu’à 2004, en dépit du fait que ce soit le Parti du Congrès qui revient au pouvoir avec Manmohan Singh comme Premier ministre d’un gouvernement de coalition. En 2014, les nationalistes hindous gagnent les élections et Narendra Modi accède au

poste de Premier ministre.Habile et bon communicant, Modi

s’engage à lutter contre la corruption et ouvre le pays aux investisseurs étrangers. En 2015, les flux d’inves-tissements directs étrangers (IDE) at-teignent 44 milliards de dollars contre 35 en 2014. L’économie indienne se revigore, aidée, il faut le reconnaître, par une bonne conjoncture internatio-nale marquée par l’effondrement des prix pétroliers.

Pour l’heure, tout va bien pour le gou-vernement Modi. L’économie indienne connaît une croissance moyenne de 6 à 7 % depuis 2015. Des millions d’emplois sont créés. Les entreprises indiennes pri-vées investissent tous azimuts en Inde et à l’étranger, notamment dans les pays arabes. Mais le nationalisme hindou du parti Bharatiya Janata Party, en jouant la carte identitaire, pourrait aggraver la situation des « basses castes » (dont certains ont été lynchés par des natio-nalistes hindous en 2018), renforcer la logique sécuritaire face au soulèvement de la jeunesse cachemirie, susciter une fronde de la minorité musulmane, et tendre davantage les relations avec le Pakistan voisin.

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INTERNATIONAL JUIN 2018 17

L’Inde à l’assaut des marchés arabes et méditerranéens (Suite)

L’Inde et les pays arabesDès sa naissance, les relations de l’Inde

avec les pays arabes ont été entachées par le soutien des pays arabes musulmans au Pakistan, dans ses deux guerres de 1947 et 1949. Non seulement les pays arabes ont soutenu l’indépendance du Pakistan, mais ils se sont rangés derrière lui sur la question du Cachemire. Cela n’empêche pas l’Inde de participer à la Conférence de Bandung (18-24 avril 1955) aux côtés de nombreux pays arabes, de condamner l’agression tripartite (franco-anglo-israé-lienne) sur l’Egypte en 1956, de créer, le 1er septembre 1961, avec l’Egypte de Nasser et la Yougoslavie de Tito, le Mou-vement des Pays non-alignés, de soutenir farouchement la question palestinienne, et d’établir des relations diplomatiques avec les pays arabes indépendants, tout en refusant d’établir des relations avec Israël jusqu’à 1992.

Pendant toute la période qui s’étale entre 1947 et 2002, les relations de l’Inde avec les pays arabes sont restées modestes et limitées à l’importation de pétrole, à l’immigration des travailleurs indiens dans les pays arabes, particuliè-rement ceux du Golfe, et à une timide incursion des entreprises indiennes dans les marchés arabes.

Assez curieusement, le premier contact officiel avec la Ligue des Etats arabes, en mars 2002, est entrepris par un gou-vernement nationaliste hindou, dirigé par Atal Bihan Vajpayee. Depuis ce moment, tout s’accélère : un Forum de coopération arabo-indien est mis en place, des consul-tations politiques sont tenues régulière-ment, des forums sur l’investissement sont organisés (le premier en 2008), des accords sont signés tandis que les visites, de part et d’autre, se multiplient.

Le retour du Parti du Congrès au pou-voir, en 2004, donne un coup de fouet aux relations économiques entre l’Inde et les pays arabes, d’autant que les be-soins énergétiques de l’Inde deviennent, de plus en plus, importants. Entre 2004 et 2014, les échanges entre l’Inde et les pays arabes ont connu un bond spectaculaire dépassant la barre des 100 milliards de dollars.

Le retour des Nationalistes hindous au pouvoir, avec Narendra Modi, en 2014, ne freine guère les relations. Au contraire, Modi parvient, avec un talent d’équili-briste remarquable, non seulement à ren-forcer les liens avec les pays arabes mais aussi à entretenir d’excellentes relations avec l’Iran, rival géopolitique de l’Arabie saoudite, et surtout à porter les relations entre l’Inde et Israël à un niveau inégalé, sans se soucier des réactions des pays arabes.

Partisane indéfectible de la cause pa-lestinienne, l’Inde a attendu la fin de la guerre froide pour établir des relations diplomatiques avec Israël en 1992. Mais jusqu’en 2004, les relations sont restées timorées. L’élection de Narendra Modi

leur donne une impulsion nouvelle, at-testée par la première visite en Israël du Président indien, Pranab Mukherjee, le 13 octobre 2015, et surtout la visite de Modi, lui-même, en juillet 2017 et celle de Benyamin Netanyahou, en Inde, en janvier 2018.

Mais si le Président indien a fait le déplacement à Ramallah en 2015, Modi s’est rendu en Israël - en 2017 - sans se donner la peine de rendre visite à l’Au-torité palestinienne. Pour beaucoup de pays arabes et musulmans, ainsi que pour beaucoup d’Indiens, cela a été per-çu comme un « camouflet », et a susci-té une levée de boucliers. Est-ce pour faire amende honorable que Modi s’est déplacé à Ramallah, le 10 février 2018, pour y rencontrer le Président Mahmoud Abbas ? Il faut attendre pour connaître les dessous de l’affaire. Toujours est-il que durant sa visite à l’Autorité pales-tinienne, Modi a promis une aide de 41 millions de dollars à des projets de san-té et d’éducation en Palestine occupée, et s’est montré très sensible aux droits palestiniens, citant même une phrase de Mahatma Gandhi de 1938 : «La Pales-tine appartient aux Palestiniens comme l’Angleterre appartient aux Anglais et la France appartient aux Français ».

Ce jeu d’équilibrisme ne va pas sans in-cohérence puisque l’Inde s’est abstenue, en 2015, lors d’un vote de la Commis-sion des droits de l’Homme des Nations unies concernant la violation des droits de l’Homme, par Israël, en Palestine oc-cupée, mais a voté, en 2017, contre la dé-cision américaine de reconnaître Al-Qods comme capitale d’Israël, sans se soucier de la réaction de leur allié américain.

Clairement, les Indiens ne souhaitent plus que la Palestine reste une épine les empêchant de consolider leurs relations avec les pays arabes, mais aussi avec Is-raël. En revanche, ils ne sont pas dupes : si les échanges économiques avec Israël ( 5 milliards de dollars) représentent à peine 1 % du total de leurs échanges ( 560 milliards), ceux avec les pays arabes ( 140 milliards) représentent plus de 20% , en 2017. Et comme on le sait, les Indiens sont connus pour leur goût pour les ma-thématiques !

C’est donc vers les pays arabes que se portent les regards de l’Inde. C’est de ces pays que proviennent l’essentiel de leurs importations pétrolières et gazières. Ce sont ces pays qui accueillent une dias-pora indienne de plus de 7 millions qui transfèrent dans leur pays entre 20 et 30 milliards de dollars, chaque année. Et c’est au Moyen-Orient et au Maghreb que les entreprises indiennes trouvent des opportunités considérables d’investisse-ment. La politique d’ouverture de l’Inde à l’Asie de l’Ouest (Go west policy de Modi) crée entre l’Inde et les pays arabes des liens indissolubles que les aléas des questions palestinienne, iranienne, ou ca-chemirie ne réussiront plus à distendre. D’autant que les pays arabes eux-mêmes, surtout ceux du Golfe, voient leurs inté-

rêts basculer vers l’Asie dans une sorte de «Go east policy». Quant aux pays du Ma-ghreb, ils demeurent focalisés sur l’Union européenne. Mais, sans prétendre rivali-ser avec les entreprises européennes, les entreprises indiennes publiques, et sur-tout privées, commencent sérieusement à s’y intéresser.

ConclusionLa montée en puissance de l’Inde,

après celle de la Chine, est sans conteste un des faits les plus saillants du XXIe siècle. Non seulement l’Inde est deve-nue le 3e consommateur d’énergie mais elle est devenue également le 3e plus gros importateur. L’Inde partage avec la Chine une même ambition : s’ouvrir au monde arabe dans son ensemble non seulement en tant que source d’énergie, mais aus-si en tant que gisement de financement, d’opportunités d’investissements et sur-tout de marchés insatiables. Les échanges économiques le démontrent clairement : 250 milliards de dollars d’échanges chinois avec les pays arabes et près de 140 milliards d’échanges indiens.

Mais dans ses rapports avec les pays arabes, l’Inde se distingue de la Chine par l’implication de ses entreprises pri-vées qui sont, aujourd’hui, les principaux agents de sa stratégie commerciale, et qui agissent soit par acquisition des entre-prises locales pour accéder aux marchés locaux (Egypte ou Algérie), soit par la création de « joint-ventures » avec des sociétés locales (Maroc) ou simplement par l’implantation de nouvelles activités (Jordanie, Egypte ou Tunisie et pays du Golfe).

L’Inde se distingue de la Chine éga-lement par l’importance de sa diaspora installée dans les pays arabes : plus de 7 millions d’Indiens sont installés surtout dans les pays du Golfe.

Toutefois, même si elle connaît un taux de croissance remarquable depuis quelques années, l’Inde est encore loin de rivaliser avec les ambitions chinoises, no-tamment les nouvelles Routes de la Soie, appelées « Road and Belt Initiative », pro-jet auquel l’Inde n’adhère pas.n

Si les échanges économiques avec Israël (5 milliards de dollars) repré-sentent à peine 1 % du total de leurs échanges (560 milliards), ceux avec les pays arabes ( 140 milliards) représentent plus de 20% , en 2017. Et comme on le sait, les Indiens sont connus pour leur goût pour les mathématiques !

L’Inde partage avec la Chine une même ambition : s’ouvrir au monde arabe dans son ensemble non seulement en tant que source d’énergie, mais aussi en tant que gisement de financement, d’opportunités d’investissements et surtout de marchés insatiables.

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INTERNATIONAL18 JUIN 2018

Atout majeur, son ouverture à la mer concourt à favoriser les échanges commerciaux internationaux, à fortiori essentiellement maritimes, et à ce titre, il est utile de signaler que neuf des dix plus grandes plateformes portuaires de conteneurs dansle monde se trouvent en Asie

UNE ASIE PRÉPONDÉRANTE ET MODÈLE POUR L’HUMANITÉ

Regards tournés vers l’Est, ou quand mercantilisme rime avec pacifisme

(première partie)Hong-Kong – Jamal Chafra

Peu importe qui nous sommes et/ou que nous soyons, il est inévitable qu’à un moment de notre existence, l’Asie ait

obligatoirement eu une exotique imprégnation sur nos modes de vie, au point que le dernier des snobismes chez beaucoup, consiste à re-vendiquer son enchantement hédoniste, voire son engouement épicurien pour un bout de cet univers, franchement entré dans nos moeurs actuelles.

Cela se manifeste aujourd’hui par les voyages, les retraites méditatives et de detox, le ginseng, les resorts paradisiaques, les spa, le yoga, le shiatsu, l’incarnation des sagesses asiatiques (Ghandi, Lao Tseu…), la gastro-nomie, les architectures et les designs d’inté-rieurs ou paysagers, les meubles, la boisierie, l’agarwood, le bonsai, les domestiques, les

nounous, quand autrefois cela passait par le thé, les épices, la soie, le brocard, la porcelaine et les films d’art mar-tiaux. Tout ce qui semblait tellement loin est soudain si près. Transcendant la distance géographique, abolissant les frontières culturelles, chacun de nous, succombant au charme scintil-lant de ce monde fécond a priori, s’en est allé, à sa manière, à sa rencontre, vu que c’est dans l’air du temps…..

Voilà pour cette entrée en matière qui nous paraît nécessaire.

Cependant, cerner cet objet qu’est l’Asie est loin d’être évident. Qu’il suffise ainsi de se pencher, en particu-lier, sur le planisphère ou d’étaler une carte de la région d’Asie du Sud-Est, pour localiser de visu cette aire, et dès lors, ce qui saute à l’esprit, c’est, en premier lieu, la vue d’un espace frag-menté, atomisé, asymétrique, formé par les quelques dix nations vibrantes qui apparaissent en bonne place dans

sa composition.

L’Asie, une puissanceincontournable

De même qu’un regard lucide et continu - sur les remous de son histoire secouée par moult épisodes, longtemps marquée par la posture archi-dominante de l’impérial Occident qui prend ses sources au 17e siècle, sa géographie par endroits ingrate et largement tributaire des aléas climatiques, puis surtout ses structures sociales et son substrat ethico-spirituel -, érige la région en une zone d’attention majeure qui cristallise l’intérêt de l’observateur comme du penseur, autant que celle de l’analyste, du po-litiste et de l’économiste, auxquels je m’inclus. Dès lors, il n’est pas inutile de mettre ces élé-ments dont on ne doute plus de la pertinence, en contexte, dans le souci, encore une fois, de bien cerner notre objet, et de lui conférer un

peu de profondeur de champ.A ce stade, chacun, par sainte curiosité,

aura à coeur de vouloir en savoir davantage sur l’énigme derrière la puissance indéniable de cette région, où subsiste un continuum dans le temps et dans l’espace, entre le passé et le présent, (comprenez entre les traditions et la modernité), où les gratte-ciel, symboles des nouvelles mégapoles futuristes, cohabitent avec les vieilles huttes en bambou sur pilotis, conservatoires vivant de formes locales d’intel-ligences collectives multi-séculaires.

En ce qui a trait à la géographie, elle occupe un territoire – membra disjecta - entre «terre, mer et ciel» parsemé d’une chaîne discrète d’îles, de péninsules, d’isthmes, et d’archipels, large d’environ 4 millions de km2, offrant une barrière naturelle dans une des zones géoma-ritimes les plus fréquentées du monde, où la navigation commerciale peut se révéler labo-rieuse pour ne pas dire périlleuse dans ces eaux archipélagiques. Ce qui porte à conséquence.

Dans cet espace pour le moins complexe, les Philippines et l’Indonésie se dressent à l’opposé d’un littoral continental de l’Asie fortement urbanisé, bordé par l’océan Indien et le Golfe du Bengale à l’Ouest, l’océan Pacifique et la mer de Chine à l’Est, délimités au Nord par l’Equateur et au Sud par le tropique du Can-cer, l’ensemble, pris en tenaille entre la Chine, l’Inde et l’Océanie.

Autre réalité et nondes moindres

La région présente un caractère et une configuration très maritimes, faisant d’elle la première façade maritime de la planète et une interface qui la projette dans l’espace mondial. Atout majeur, son ouverture à la mer concourt à favoriser les échanges commerciaux internatio-naux, à fortiori essentiellement maritimes, et à ce titre, il est utile de signaler que neuf des dix plus grandes plateformes portuaires de conte-neurs dans le monde se trouvent en Asie, ce qui les rend effectivement, pleinement intégrées à la mondialisation.

Cette maritimisation présente, à maints égards, un enjeu géopolitique majeur, en-gendrant des phénomènes de concentration et d’éclatement des voies maritimes dans un espace fondamental parmi le plus dense au monde, auquel nous nous référons ici, lui-même baigné, tenez-vous bien, par la Mer du Japon, la Mer de Chine orientale, la Mer de Chine méridionale, la Mer de Corail, les Mers de l’archipel indonésien que sont la Mer d’Arafura, Mer de Banda, Mer de Bali, la Mer de Célèbes, la Mer d’Halmahera, la Mer de Florès, la Mer de Java, la Mer des Moluques, la Mer de Savu, la Mer de Séram, la Mer de Sulu, la Mer de Timor, la Mer de Corail, le Golfe de Tomini, Golfe de Bone, le Détroit de Makassar. Rien que ca…On s’y noie presque.

On serait presque tenté de parler d’exemple moderne de thalassocraties en devenir. Et ce n’est point une utopie. Ces espaces marins où transitent, au bas mot, plus de 70.000 navires par an posent naturellement des problèmes im-manents aux zones de souveraineté, aux zones économiques exclusives (ZEE), aux zones internationales, qui au-delà du fait qu’elles confèrent nécéssairement aux pays riverains un potentiel maritime inestimable, ne manquent pas d’exacerber, cependant, les tensions in-ter-étatiques, qui sous-tendent notamment des disputes liées à la territorialisation des espaces maritimes, de l’extension sur mer des conflits à terre, aux côtés de moult problèmes, eux-mêmes liés à l’extension du plateau continental, aux droits de passage à des points stratégiques, à la libre circulation des navires en bute aux actes récurrents de piraterie, ainsi qu’à l’insta-bilité politique tout court. Pas toujours de mers calmes donc, souvent des mers montantes au gré des aléas géopolitiques ambiants et où on n’y trouve pas toujours les vents ni les cou-rants qu’on veut.

Aussi, convient-il de préciser que ce flux ma-ritime de marchandises transite par des voies de dessertes qui sont autant de goulots d’étrangle-ment, (étroites de deux kilomètres de large par endroits), à la hauteur du détroit de Malacca, du détroit de la Sonde, comme du détroit de Lombok ou de Makassar, tout aussi considérés du point de vue militaire comme stratégiques pour les convois des armadas de guerre qui sillonnent les eaux du Golfe Persique à la Mer de Chine, en transitant par l’océan Indien.

Une zone en perpétuelle mutation

Géopolitiquement parlant, c’est dans cet en-trelacs de voies maritimes que se téléscopent les principaux corridors de navigation, ou lignes de communications maritimes (LCM ou SLOC pour les initiés), reliant l’Afrique et le Moyen-Orient à l’Asie, pour aller rejoindre dans leurs sillages l’océan Indien puis l’océan Pacifique avant de mettre le cap sur l’Australie, la Nou-velle-Zélande et l’Océanie.

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INTERNATIONAL JUIN 2018 19

Une Asie prépondérante et modèle pour l’humanité (Suite)

Autant d’axes nodaux d’activisme écono-mique qui sont subordonnés à la libre circu-lation des approvisionnements en ressources énergetiques tels le pétrole et le gaz en pro-venance du Moyen-Orient, ou les matières premieres, mines, bois, phosphates en pro-venance d’Afrique, en échange des produits manufactures.

Et dans ce contexte, faut-il le reconnaître, nous avons affaire de facto à un monde singu-lièrement inégal, volatile, vulnérable et asy-métrique, que circonscrit une zone en perpé-tuelle mutation, se mouvant à grande vitesse sur le plan des échanges commerciaux, boule-versant profondément les équilibres régionaux et mondiaux qui sont tout sauf rassurants. Au bout du compte, ce monde projette une image de lui-même qui échappe fondamentalement aux schémas conventionnels réducteurs qui font autorité, et qui requiert une toute autre grille d’analyse et suppose une différente clé de lecture.

Mais par delà ce constat, sa singularité ré-side dans le fait que ce monde reste par en-droit comme par coutume crispé et renfermé sur lui-même, à la limite de l’ethnocentrisme culturel, prisonnier d’une surestimation de soi solidement ancrée dans le psyché local, flirtant au passage avec un nationalisme autochtone frileux.

L’Asie et la modernisation

Il a su, en outre, faire table rase d’un passif «impérial» dont l’historicité est acquise, peu glorieux au demeurant, (rappelons que l’Asie étant le cadre par excellence où les puissances coloniales embourbées naguère dans des conflits autant inexpiables qu’interminables, ont concédé les douloureuses débacles qu’on leur connaît, dans les champs de riz qui fai-saient office d’aires de combats atroces).

Sans nier toutefois le fait majeur qu’il ait développé assurément un leadership et une confiance en soi, manifestes, traits quoique d’apparition trop tardive, caractérisant l’af-firmation de l’Asie dans son rapport à la mondialité.

Il en va de même pour son unité et son uni-

formité relatives, qui à défaut d’être d’ordre politique et idéologique, résident principale-ment dans les liens économiques inter-éta-tiques qui intègrent les pays de la zone dans un périmètre territorial régional institutionalisé, édictant des politiques structurelles, conjonc-turelles et des législations communes incita-tives, nonobstant leurs disparités de niveaux de développement respectifs, (car il est vrai que d’importants écarts sociaux subsistent, persistent et déconcertent tout à la fois).

Politiquement parlant, l’Asie du Sud-Est se meut dans un non-alignement hors des blocs, qui plus est, ne cultive aucune prétention idéo-logique, hégémonique ni méssianique sur la scène internationale, encore moins n’aspire pas, à revendiquer, à titre collectif, une quel-conque obsession de leadership régional, ni d’être porteuse d’un quelconque message uni-versel ou de conscience à délivrer au reste du monde si ce n’est celui de commercer pour avancer.

A bien des égards, ici, ce sont les affaires qui priment, et rien que les affaires pour renforcer leurs synergies. Mais pour faire des affaires, il faut d’abord être «frères», c’est comme ça que cela s’entend ici. Aussi, on gravite dans un ordre où il n’y a bien souvent guère d’ho-mologie entre l’économique, le politique et l’idéologique.

En effet, tels sont le cadre et la base doctri-

nale où se précise pour nous la puissance de cette région dans ses dynamiques transfron-talières en devenir. De même qu’il est im-possible de se précipiter sur la géopolitique de la puissance asiatique si on n’a pas en tête le substrat culturel qui en fut le moteur dans une certaine mesure.

Les valeurs culturelles comme paramètre explicatif

du succès.A l’entame de notre propos, -passez-nous

cet accès de faiblesse pour l’interprétation culturaliste -, et sans pour autant prétendre bousculer les postulats classiques, on peut commencer par ne pas séparer «l’esprit et l’âme profondes» des «lieux», convoquer quelques valeurs collectives et toutes aussi multi-séculaires qui constituent le socle sur lequel repose le dynamisme économique des pays asiatiques, pour nous imprégner du génie qui anime cet univers, qui lui-même charie un caractère pluriel et polyvalent, afin d’enrichir un tant soit peu notre savoir.

Pour autant, il est acquis chez les esprits les plus avertis qui scrutent la région que l’éthos asiatique a joué et continue de jouer un rôle

prééminent dans les dynamiques de déve-loppement économique. Pour celles et ceux qui s’efforcent d’appréhender le succès ou le miracle de ces pays émergents, qu’ils gardent simplement à l’esprit cette donnée matricielle, qui est à notre sens, l’invariant légitimant leurs modèles d’expansion collectifs.

Ainsi, force est de reconnaître que la puis-sance incomparable de son activisme mer-cantile a été soutenue par un ensemble de pratiques immatérielles, pétries de culture d’entreprise, d’éthique, d’éthos, de travail en synergie, au moins autant que la vigueur de son mode d’organisation familiale et de co-hésion sociale, autant de structures mentales imprégnées de conservatisme ayant influencé leur ordre économique et social, dont les rôles furent pleinement reconnus.

Tant il est aussi vrai que ces sociétés, par essence holistes et communautaires, dans les-quels dominent les réseaux familiaux (autre pivot à la fois économique et social), laissent nécessairement une large place aux libertés économiques créatrices de richesse, d’emplois et de synergies et a fortiori de prospérité.

Sur place, au gré des contingences, ce contexte est une simple mue d’un système où les économies étaient planifiées, régulées et soumises à un interventionnisme très stricte, vers un autre où dominent des économies de marché favorables à la libération des initia-tives ainsi qu’à l’éclosion d’activités créatrices de projets, d’idées, de réseaux d’échanges et de bien-être, cela allant naturellement de soit.

Observons, par ailleurs, que les valeurs in-dividuelles et collectives concourant à cette dynamique, diffèrent toutefois d’une nation à l’autre, selon le secteur concerné et le degré de dévelopement humain atteint.

Précisons, en outre, qu’au sein de ces dif-férents contextes spatio-temporels coexistent des pratiques économiques diverses : rues commercantes à étalages nocturnes, secteurs contrôlés par l’Etat, pan d’une économie mo-derne et structurée, ouverte aux opérateurs privés, autochtones et allogènes, avec pré-pondérance par endroits d’activités souter-raines contrôlées par des circuits parallèles aux ordres des sociétés secrètes.

En somme, ce qui est supposé être à l’ori-gine de l’expanssion de l’Asie a, dans une large mesure, à voir avec l’éthique confu-céenne dans laquelle elle puise l’essentiel de son potentiel. Mais pas seulement, enten-dons-nous.

Car nul doute que l’acharnement à l’exé-cution des tâches, les qualités intrinsèques de rigueur des hommes et des femmes au travail, elles-mêmes immanentes à une discipline inscrite dans l’ADN, la forte propension à l’épargne, et puis, sans conteste, l’energie et l’esprit entrepreunariaux ont clairement joué pour beaucoup au niveau de l’émergence de la puissance asiatique, pour lui avoir conféré un réel souffle, faut-il le préciser.

Pour nous autres, sachons donc, sans nous égarer dans le sentimentalisme, qu’il faut compter avec les génies des lieux, ceux-là mêmes qui donnent à l’Asie son âme et sans doute, son arme majeure.

(Une deuxième partie sera publiée dans notre prochain numéro)

Hong-Kong, La ville debout.

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INTERNATIONAL20 JUIN 2018

Bien qu’effectif de-puis mars 2016, ce gouvernement n’a jamais obtenu la confiance du Parlement. Ceci empêche le gouvernement al Sarraj de jouir d’une légitimité suffisante

Kadhafi dirigeait son pays à travers un système ultra-patrimonial, son objectif n’ayant nullement été de bâtir une nation forte de ses institutions.

Libye : retour sur les ressortsd’une crise qui s’enlise

Par Zoubida DEBBAGH

«Non, le statu quo n’est pas une option ! Les déchirements fratricides qui traversent la

Libyene sont pas une fatalité ! », tels sont les mots prononcés par Nasser Bourita, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, lors du som-met organisé à Paris, au sujet du chaos régnant en Libye. La conférence, tenue le 29 mai dernier, avait pour objectif de trouver une issue à une crise qui ne fait que s’enliser depuis de nombreuses an-nées. Emmanuel Macron, en permettant aux multiples protagonistes du désordre libyen de s’asseoir à la table des négo-ciations, se place en médiateur central dans cette crise. Le sommet s’est soldé par une apparente entente entre les quatre grands acteurs de la crise, qui parais-saient, de prime abord, irréconciliables : Fayez al-Sarraj, Premier ministre ; Kha-lifa Haftar, maréchal tenant les rênes de l’Est du pays ; Aguila Salah Issa, pré-sident de la Chambre des représentants ainsi que Khaled Al-Mishri, président du Haut Conseil d’État. Ces derniers se sont solennellement engagés à la tenue d’élections législatives et présidentielles, la date ayant été fixée au 10 décembre prochain. De plus, l’accord de Paris in-siste sur la mise en place d’une « base constitutionnelle » pour le pays, en proie à un vide juridique affolant, et ce depuis la chute de Kadhafi en 2011. Au vu de l’état de morcellement des forces du pays, cet accord semble bien ambitieux, et son avenir plus que jamais incertain. Il n’en reste pas moins que ce sommet est l’occasion pour nous de revenir sur cet imbroglio diplomatique qu’est la crise libyenne, pour tenter d’en démêler les tenants et aboutissants.

Un gouvernement sans légitimité ?

Au jour d’aujourd’hui, soit sept ans après la chute de Kadhafi, le pays est toujours en proie à de profondes di-visions. Les logiques sous-tendant cet émiettement socio-politique sont mul-tiples : locales, régionales, tribales… sans oublier les nombreuses ingérences étrangères. Autant de facteurs qui contribuent à rendre la crise encore plus indéchiffrable !

Si l’on souhaite dresser un tableau de la situation actuelle, voici ce qui en res-sort.

Nombreux sont les acteurs qui se dis-putent la légitimité du pouvoir. Tout d’abord, à l’issue des accords de Skhirat, signés le 17 décembre 2015, un gouver-nement d’union nationale a été institué. Dirigé par Fayez al Sarraj et basé à Tri-poli, il s’agit de l’instance bénéficiant de la reconnaissance internationale.

Toutefois, cette légitimité internationale ne lui assure pas l’unanimité auprès de la population. Ainsi, bien qu’effectif depuis mars 2016, ce gouvernement n’a jamais obtenu la confiance du Par-lement. Ceci empêche le gouvernement al Sarraj de jouir d’une légitimité suf-fisante pour consolider son autorité à l’échelle de tout le pays étant rivalisé à l’Est par le maréchal Khalifa Haftar. Chef auto-proclamé de « l’armée natio-nale libyenne », ce dernier jouit d’une popularité certaine, fort de l’appui qui lui est conféré par le Parlement ainsi que le gouvernement parallèle basé à Beida. Mais la crise libyenne ne peut se résumer à un affrontement bipartite. En effet, à ce méli-mélo politique s’ajoute des logiques locales ; la ville de Misrata en est un exemple éclairant. Dans cette ville charnière de l’Ouest libyen, les milices et hommes politiques se disent opposés au maréchal Haftar. Toutefois, ils ne sont pas tous unanimes quant au gouvernement d’union nationale. Sans oublier les logiques tribales, jouant elles aussi un rôle structurant dans la crise que traverse le pays. Les antagonismes naissant du tribalisme ne font que rendre l’horizon d’une réconciliation nationale d’autant plus incertain.

La Libye, entre faillite et nostalgie

Toutes ces autorités se disputent ain-si le pouvoir depuis la chute de Kadha-fi en 2011, menant à la déliquescence totale du système. En ce sens, la Libye s’apparente à un état failli, dans le ré-férentiel du politiste américain William Zartman. En effet, il n’y a pas de gou-vernement central prenant les décisions pour l’ensemble du territoire, et le gou-vernement internationalement recon-nu manque cruellement de légitimité et n’arrive pas à assurer la sécurité sur l’ensemble du territoire. La formulation

«état failli» pour désigner la réalité en Libye semble ainsi particulièrement pertinente. Toutefois, elle implique qu’une structure étatique préexistait à cette période de déliquescence, ce qui n’est pas forcément évident. En effet, Kadhafi dirigeait son pays à travers un système ultra-patrimonial, son objectif n’ayant nullement été de bâtir une nation forte de ses institutions. Il n’empêche que la faillite institutionnelle de la Libye est certaine, et que cette dernière a contribué à l’ouverture de nombreuses brèches que les organisations terroristes et autres forces de terreur n’ont pas hésité à pénétrer. En sus de cette ruine institutionnelle, la Libye se caractérise également par un vide juridique notoire et inquiétant car il est la porte ouverte à de nombreuses dérives certaines. De facto, depuis 2011, le pays est régi par une «déclaration constitutionnelle pro-visoire ». En raison de la guerre civile qui secoue le pays depuis 2014, il n’y a encore jamais eu de consensus autour d’un texte fédérateur qui poserait les jalons d’un nouvel état libyen réunifié. Par ailleurs, du point de vue sécuritaire, l’absence d’une armée centralisée ren-force le chaos sécuritaire dans lequel la Libye se voit embourbée. Enfin, d’un point de vue sociétal, l’on peut affirmer que le contrat social en Libye est assu-rément rompu, car, du fait de l’absence d’un projet de société fédérateur, la so-ciété civile s’en voit profondément cli-vée et fragilisée.

Ainsi, il s’agit là d’autant de facteurs qui apparentent la situation libyenne à un écheveau bien difficile à démêler. Le chaos dans le pays est tel que de nom-breux Libyens sont pris d’une nostalgie rampante… de l’ère Kadhafi ! n

Le Premier ministre libyen, Fayez Al Sarraj et Emmanuel Macron lors d’une conférence de presse.

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DOSSIER DU MOIS22 JUIN 2018

De l’ascétisme et de la transcendance prônés, on plonge, pieds joints, dans l’idéologie consumériste, la surconsommation et le gaspillage

Dossier réalisé par Souad Mekkaoui

Ils ont la foi, ils sont pieux et croyants, Ramadan est pour eux synonyme de piété, de solidarité et

de spiritualité. Aujourd’hui, nos vieux le vivent avec ce goût d’amertume que seule la frustration peut donner. En ef-fet, les vieilles générations, attachées aux valeurs ancestrales, regrettent les temps passés où le mois sacré avait tout son sens, où le devoir religieux se faisait dans la chaleur et l’harmonie d’une tradition séculaire et familiale, où les soirées ramadanesques étaient la meilleure occasion pour souder les liens familiaux et amicaux au rythme des effluves suaves inoubliables. « Ramadan n’est plus ce qu’il était ! » se désolent-elles. Effectivement, aujourd’hui, les grandes enseignes commerciales en font un rendez-vous majeur dans le calendrier des plans marketing. Des annonces conçues spécialement pour ce mois semblent avoir plus d’impact sur la population qu’autre chose.

Un mois pour plusieurs enseignements

C’est au cours de ce mois que le Co-ran a été révélé au prophète. Le Rama-dan fait partie des 5 piliers de l’Islam ; les quatre autres étant la croyance en un Dieu unique, l’aumône, l’accom-plissement des 5 prières rituelles et le pèlerinage à la Mecque. Le jeûne, acte

de dévotion et de dépassement par rap-port à nos instincts, est une pratique spirituelle qui vise la foi et l’adoration chez le fidèle et consiste à se priver de nourriture afin de prendre le contrôle sur soi, maîtriser ses envies, ses pul-sions et ses instincts. Il se traduit par le fait de s’acquitter des obligations et d’éviter les interdits. L’enseignement premier est que l’Homme ne doit être esclave que de Dieu, en dépassant l’emprise du corps et en s’imprégnant d’une nourriture spirituelle rythmée par des journées de restriction et des nuits de dévotion. Aussi cet acte doit-il participer à nous former à l’en-durance, la patience, l’altruisme, la compassion, l’humilité et à discipliner nos sens et notre consommation : ces qualités étant indispensables pour at-teindre la chasteté, véritable finalité du jeûne. Affamer son corps c’est prendre conscience que les besoins les plus es-sentiels sont spirituels et donc l’éveil de la conscience est le but ultime de

ce mois sacré. Par ailleurs, au-delà de la dimension spirituelle du jeûne qui initie le jeûneur à la tempérance et à la modération dans ses désirs, celui-ci doit adopter une conduite exemplaire en purifiant ainsi, d’un côté, son corps, en favorisant l’élimination des toxines et des surcharges de graisse, en assai-nissant les organes digestifs ; et de l’autre, son esprit, en s’éloignant des médisances, du mensonge, des tenta-tions et des conflits. En cette période de communion, d’intense généro-sité, l’empathie est au rendez-vous. Aumône et dons aux nécessiteux de-viennent rituels. Ramadan restitue à l’âme son bien-être intérieur égaré dans le tintamarre du quotidien et li-bère l’être de son animalité pour ga-gner en humanité.

Toutefois, on a, de plus en plus, l’impression que Ramadan perd de sa symbolique et de son sens profond chez une grande majorité de la popu-lation qui dépense en moyenne deux fois plus que d’habitude.

Consumérisme et voyeurisme

Ce mois, censé être un moment de partage, est devenu une occasion de goinfrage et la rupture du jeûne se transforme en une fête commerciale. De l’épicerie à la poissonnerie en pas-sant par la pâtisserie puis la boucherie, les étals se vident au passage d’une marée humaine dont la propension à l’achat est dopée par la privation et la

faim à tel point qu’elle ne pense qu’à la table du ftour. Et cela sans essayer d’équilibrer les nutriments consom-més ; ce qui n’est pas sans consé-quences sur leur santé. Pour les tout petits, la surcharge pondérale est aux aguets.

Il est clair qu’on a perdu le sens de ce mois et qu’on a pris de mauvaises habitudes sur le plan de l’alimenta-tion et de la consommation si bien qu’on en a fait une période d’excès et de « malbouffe ». Et au lieu d’un rapport de spiritualité et d’abstinence on est passés à une consommation à outrance, une orgie de « bouffe » et d’envies spectaculaire. De l’ascétisme et de la transcendance prônés, on plonge, pieds joints, dans l’idéologie consumériste, la surconsommation et le gaspillage puisque les ¾ de la nour-riture achetée en grande quantité et les repas préparés mais non consommés finissent dans la poubelle, le lende-main. Le gaspillage décuple pendant le mois sacré et atteint des pics inquié-tants.

« Le gaspillage alimentaire connaît un pic important pendant le Ramadan, pouvant atteindre les 84,8% », selon une étude menée par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), notant que ce comportement irresponsable est lié aux habitudes d’achats des ménages, souvent beaucoup plus importants que leurs besoins.

Mosquée Hassan II lors de la prière des tarawihs.

Ramadan et spiritualité, où en sommes-nous ?

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DOSSIER DU MOIS JUIN 2018 23

Ramadan et spiritualité, où en sommes-nous ? (Suite)

Or y a-t-il lieu de rappeler que la dilapidation et la gabegie sont for-mellement proscrites par le coran ? Le paradoxe est saisissant surtout durant le mois de piété et du par-tage et de surcroît dans un pays où la pauvreté est au pic! Normal puisque toute occasion est bonne pour mieux vendre et inciter à plus de consom-mation dans la conception néo-libé-rale d’une société où les banques et organismes de crédit n’hésitent pas à tendre un panneau aux fonctionnaires dont les bourses sont plus affectées en ce mois. Les ménages ont donc tendance à s’endetter plus pour se faire plaisir ou tout simplement faire comme tout le monde en se procu-rant des denrées alimentaires dont les consommateurs, affamés le jour et voraces le soir, n’ont vraiment pas besoin. Dès lors, ce mois qui devrait être celui de la privation, de la modération et de la solidarité, n’est plus que consommation et gaspillages exagérés.

Une nouvelle tendance des temps modernes fait des soirées de ramadan des moments festifs et de divertisse-ment renforçant ainsi la perception de ce mois comme une parenthèse récréative. Une toute autre catégorie de personnes se découvre un attache-ment saisonnier pour les mosquées, à travers « tarawihs », et n’hésitent pas à partager leurs photos sur la toile comme pour prendre à témoins les internautes.

Sans parler du voyeurisme qui gagne du terrain sur le fil d’actualité de Facebook ou d’instagram où des photos de tables bien garnies et bien servies font baver ceux que la vie dé-nigre. Et pour couronner le tout, on a droit à un défilé de tenues tradition-nelles qui rivalisent de beauté et de coût. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le Ramadan devient le mois de tous les excès par excellence.

Renouer avec le vrai sens du ramadan

Ainsi, ce mois sacré qui est sup-posé être un moment où l’on se rap-proche de Dieu, où on fait de son mieux pour se purifier, se surpasser

et renouer avec le Créateur et avec l’essentiel, rime plus avec hausse des dépenses, augmentation des prix, consommation effrénée, soi-rées divertissantes et tout ce qui va à l’encontre de l’essence même de ce mois sacré.

Au lieu de recentrer son attention sur les aspects spirituels et s’ins-crire dans une démarche citoyenne anti-gaspillage pour respecter ceux et celles qui sont dans le besoin et la précarité, on passe à côté. C’est dire que chez certaines gens qui de-viennent plus violents et plus intolé-rants, Ramadan ravive la colère et ir-rite les tensions. Et la société est alors traversée par des contradictions qui minent jusqu’à sa cohésion. La rue se transforme en scène de combat où l’agressivité l’emporte sur la raison et le bon sens et où les heurts violents et les invectives verbales sont légion. Le bigotisme et la paresse règnent en maître absolu de telle manière que le rythme de vie est bouleversé et les habitudes bousculées. A croire que pendant ce mois, l’appareil écono-mique tombe en panne.

En somme, Ramadan est bien plus qu’un mois de privation alimentaire ; c’est un cheminement religieux et un véritable détachement de tout ce qui est matériel pour pouvoir atteindre la plénitude spirituelle à la fin de ce mois. Un moment d’introspection et de méditation où le lien intime qui lie le croyant à son Créateur se solidifie plus encore. C’est un mois privilé-

gié pour parfaire son comportement et travailler sur ses points faibles, se détacher de la futilité, réaliser les bonnes actions, contrôler sa colère… Les efforts de tout un chacun doivent être orientés vers le bien pour s’éle-ver dans la foi. Cette foi qui est seule capable d’insuffler un nouveau souffle à une spiritualité consumée dans l’ombre des tourments d’un monde devenu superficiel, caco-phonique et incohérent. Ramadan doit être un voyage d’élévation où chacun va en profondeur dans son intériorité pour se réconcilier avec son être et établir son bilan. Ne faut-il pas, pour ainsi dire, profiter de ce moment béni de sa vie pour resserrer les liens familiaux afin que la cellule familiale retrouve son unité effritée par la course effrénée de l’année ?

Malheureusement et à vue d’œil, ne reste de Ramadan que le « de-voir » religieux pratiqué par héri-tage, mimétisme ou habitude voire par pratique « mécanique » chez la plupart des Marocains car les valeurs qu’il devrait, en principe, véhiculer ont bel et bien pratiquement disparu.

Et dire qu’on rapporte que le pro-phète Youssouf jeûnait fréquemment alors même qu’il contrôlait les ré-serves du pays et était le ministre du budget de l’Etat à l’époque. On l’a in-terrogé à ce propos et il a répondu en disant : « Je crains, si je suis rassa-sié, d’oublier la faim des pauvres ». Qu’en est-il aujourd’hui ?n

Malheureusement et à vue d’œil, ne restede Ramadan quele « devoir » religieux pratiqué par héritage, mimétisme ou habitude voire par pratique« mécanique » chez la plupart des Marocains car les valeurs qu’il devrait, en principe, véhiculer ont bel et bien pratiquement disparu.

Ramadan entre hier et aujourd’hui

Il est bien évident que Ramadan est le mois de la clémence, de la solidarité, de la générosité et des

belles traditions qui colorent notre vie depuis nos ancêtres. C’est le mois où famille et amis renouent les attaches et cimentent les liens autour de rencontres et de repas partagés dans la joie et la convivialité. C’est le mois que tous les musulmans attendent ardemment pour sa particularité, étant ponctué par des us, des couleurs et des rituels propres à l’atmosphère apaisante et solennelle régnante en cette période de piété et de sérénité. Or une question ne cesse de se poser d’elle-même : Ramadan est-il toujours ce qu’il a été dans le passé ?

De facto, la nostalgie s’installe et le regret des moments passés nous enva-hit devant le constat flagrant. Le froid gagne du terrain dans les relations so-ciales où la distance s’élargit de plus en plus alors qu’il y a quelque temps encore, les voisins se faisaient un plai-sir immense à s’échanger les mets

délicieux préparés avec soin. L’irasci-bilité des uns et des autres favorise la violence verbale et physique devenue monnaie courante pour un oui ou pour un non.

La simplicité était le maître mot et le consumérisme n’avait pas de place. Toutefois, on ne doit pas voir que le mauvais côté des choses. Aujourd’hui, la spiritualité –essence du mois de Ra-madan- prend le dessus. De plus en plus de gens s’appliquent à la prière et surtout Tarawihs, temps fort de ce mois. La vue des mosquées et des es-planades grouillant de fidèles, tous âges et classes sociales confondus, donne la chair de poule. On n’oublie pas l’image des mosquées presque vides, où seuls quelques hommes âgés priaient, il y a quelques années encore... Et il y a aussi celles et ceux qui laissent tout derrière eux pour aller passer ce mois de spiritualité et de recueillement en terre sainte pour s’en imprégner profondément. Un autre phénomène

des plus plaisants et des plus rassu-rants : le jeûne des six premiers jours de Chawwal (dixième mois du calen-drier musulman). En effet, il y a juste quelques années, il était vraiment rare de voir des personnes pratiquer ce jeûne supplémentaire. Aujourd’hui, l’exercice devient presque une ha-bitude chez une grande majorité. En plus, on ne doit pas parler de Ramadan sans saluer les actions humanitaires et l’élan de générosité qui se manifestent soit au sein des mosquées ou à travers des associa-tions qui s’affairent à la distribution des repas aux nécessiteux. Par ail-leurs, chaque année, des concours et compétitions de psalmodie du Coran sont organisés pour appro-fondir le climat mystique et serein de ce mois sacré. Ainsi, de jeunes et belles voix nous transportent dans les volûtes du livre saint et il-luminent nos soirées.

En somme, rien que pour cela, il

faut rester optimiste et se dire que Rama-dan continue à nous rassembler autour de notre religion au lieu de sombrer dans l’antienne : « On a perdu nos valeurs et notre humanité ». Gardons plutôt es-poir ! n

Nouhade Senhaji, Journaliste

et animatrice télé

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DOSSIER DU MOIS24 JUIN 2018

Ramadan, le mois de l’introspectionet de la spiritualité

Ramadan : une expérience intime

Ramadan est le mois de la piété, le mois de la solidarité et de la convivialité.

En effet, la finalité du jeûne du Rama-dan est la recherche de la piété et de la crainte révérencielle (Attaqwa) envers le Créateur. C’est une invitation à un travail d’introspection que chacun doit mener sur lui-même, une invitation à l’élévation de l’esprit, à la revivification du cœur, en dépassant les contraintes du corps pour un meilleur comportement envers soi-même et envers les autres.

Le jeûne permet de se mettre, tout au long de la journée, dans l’état de celui qui est dans la nécessité et dans le besoin. C’est donc une invitation à s’intéresser à son prochain, à son voisin pour une plus grande solidarité et une plus grande fraternité entre les Hommes.

D’ailleurs, au vu du contexte de précarité so-ciale actuelle et de détresse humanitaire à travers le monde, notamment avec la crise des réfugiés, c’est clairement une invitation à œuvrer inlassa-blement pour soulager la souffrance des autres.

Le mois du Ramadan est l’occasion éga-lement d’organiser des Iftars en famille ou entre amis.

Ceci donne une dimension festive et conviviale à cette période exceptionnelle de l’année.

Par ailleurs, depuis plusieurs années, de nom-breuses mosquées, à travers toute la France, or-ganisent des Iftars en invitant les représentants des pouvoirs publics et ceux de différentes re-ligions.

De telles initiatives contribuent au renforce-ment et à la consolidation du «vivre-ensemble » entre les différentes composantes de la com-munauté nationale.

Nous venons de rappeler le vrai sens du jeûne du mois du Ramadan.

Malheureusement, certains observent ce jeûne par respect de la tradition ambiante ou par mi-métisme de leur entourage et des membres de leurs familles.

Or, il faut revenir au vrai sens du jeûne du mois du Ramadan pour que l’intention (Anny’a) soit sincère et pour que le jeûne joue pleinement son rôle sur les plans physique, moral et spirituel.

Peut-être que certains considèrent que le jeûne du Ramadan, dans le passé, était plus « authen-tique » et plus « méritoire » qu’aujourd’hui.

La tradition de se regrouper en famille autour de l’Iftar était plus respectée. La tradition de s’inviter mutuellement entre familles était plus répandue.

Mais les temps ont bien changé ; et aujourd’hui, de plus en plus de gens réservent dans des restau-rants qui proposent des Iftars pour se retrouver entre amis ou entre collègues de travail.

Ceci s’accompagne, parfois, d’une perte de traditions culinaires. On a de plus en plus ten-dance à abandonner des mets raffinés qui étaient incontournables sur la table de l’Iftar. En effet, on n’a plus le temps de passer des heures à la cuisine pour les préparer !

Par ailleurs, il y avait moins de possibilité de faire des activités « passe-temps » comme ce qui se passe aujourd’hui avec l’explosion des smart-phones, des réseaux sociaux, des médias, etc.

Par ailleurs, tous les médecins et nutrition-nistes disent qu’il ne faut pas essayer de « se rattraper » après la rupture du jeûne en se goin-frant de sucreries et de plats trop riches.

Mais, malheureusement, il y a une ruée vers l’approvisionnement en nourritures diverses avant l’Iftar de peur d’en manquer après !

Ceci se traduit par une explosion de la consom-mation parfois en allant au-delà même de ses

propres moyens financiers.Là-dessus, il faut raison garder !L’Islam nous incite à rester raisonnable, à

manger et à boire dans des proportions raison-

nables qui permettent de maintenir l’équilibre.Le prophète (PSL) nous incite également à

rompre le jeûne le plus tôt possible et à prendre le « souhour » le plus tard possible, pour mieux étaler sa consommation et pour ne pas prolonger l’effort du jeûne inutilement. n

Dans la mémoire collective, le Ramadan demeure un mois sacré, exceptionnel,

partagé par un milliard et demi de musulmans à travers le monde. Un mois où règne, depuis bientôt deux millénaires, un effluve spirituel mêlé aux ambiances nocturnes chargées de milliers d’anecdotes. Et aux yeux

de l’enfant que j’étais, le Rama-dan demeure un mois festif où s ’ent remêlent , dans un désordre immémorial, le t e m p é r a m e n t flegmatique du matin à l’agita-tion plus rythmée du soir. Cepen-dant, le Ramadan est avant tout un mois de jeûne, de prière et de réflexions. Un mois où il est in-

diqué au musulman de s’abstenir de se restaurer certes, mais également d’éviter tout mal-agir. Une occasion pour lui de se débarrasser des « mau-vaises habitudes » et de faire sienne une attitude exemplaire forgée d’en-gagement moral, d’indulgence et de compassion.

Jeûner est loin d’être un exercice de privation volontaire. Il s’agit d’un travail sur soi qui aide à sonder les « abysses » de notre être, loin de tout artifice superficiel ou tentative de paraître. L’occasion de ressentir dans sa chair, le long de plusieurs semaines, la misère capable de rui-ner, inlassablement, le quotidien des personnes en détresse. Un rappel à notre devoir social envers nos sem-blables et qui entend nous rappeler, de façon implicite, combien nous sommes fragiles et que nul n’est à l’abri d’un basculement de situation. Une expérience intime qui tente de nous contraindre à faire preuve de solidarité en nous faisant partager, de façon plus clémente, la misère

de l’Autre et de nous faire prendre conscience de son existence. Or, loin d’aboutir à ces résultats méritoires, paradoxalement, c’est l’effet inverse qui se produit généralement. Le Ma-rocain se transforme en une machine de consommation dont la seule exi-gence se borne à la satisfaction de ses moindres désirs. Les mets raffinés, les menus à la carte et la table char-gée à ras bord deviennent alors son unique préoccupation. Convertissant cette occasion propice à la médita-tion en une occasion bornée à la seule consommation, il devient l’esclave de son estomac. Une attitude abusive qui finit par allonger la liste des pro-blèmes de santé physique certes, mais financiers et moraux également.

Mois de recueillement et d’intros-pection, le Ramadan a pour objet de renflouer notre capital spirituel et de nous réconcilier avec notre humani-té. Il est l’occasion de secouer notre conscience collective et de nous faire interroger sur le niveau d’intensité de notre flamme. n

Anouar Kbibech,Vice-Président du Conseil Français

du Culte Musulman (CFCM) Président du Rassemblement

des Musulmans de France (RMF)

Dr. Karim IFRAK, Islamologue, CNRS, Paris.

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DOSSIER DU MOIS JUIN 2018 25

« La mégère apprivoisée » par Yasmina Sbihi

Ramadan de mon enfance !

Je me souviens très bien de mon premier jour de jeûne. Notre père nous avait emme-

nés, mon frère et moi, au cinéma Triomphe de Casablanca pour voir avec lui «la mégère apprivoisée», souvenir indélébile, car je ne com-prenais rien mais j’attendais avec impatience la fin du film qui an-nonçait l’approche de la rupture du jeûne et surtout le passage chez Igloo pour un dessert glacé bien mérité. Plus tard, je me ren-dis compte que je n’étais pas très emballée à l’idée de me priver du petit-déjeuner, qui célèbre, chaque matin, ma renaissance. Et pourtant, tout l’environnement du mois de Ramadan me réjouissait. Les liens familiaux qui se renforcent autour

d’un bol de soupe, les petits plats dans les grands, les petits plats surtout, la prière en famille... Des soirées de recueillement dans la so-briété aux grands ftours mondains, Ramadan symbolise un moment de communion dont le point d’orgue est laylat al Qadr, et summum de la joie, le petit-déjeuner de Aid al Fitr. Un cheminement spirituel va donner du sens à cette «privation», qui devient renoncement au nom d’un élan encore plus puissant que le sentiment d’être en vie après le café du réveil : un chemin d’Eveil. Le jeûne, par l’état de non-être, nous met en situation de proximité suprême avec le Seigneur. Contrô-ler toutes nos pulsions c’est contrô-ler notre être physique pour exalter

notre Être spirituel. En fait, notre «Nafs», c’est la «mégère à appri-voiser». Prendre conscience que la privation nous conduit à l’éléva-tion, c’est transformer complète-ment notre disposition physique et mentale à accueillir ce mois sacré. Cette proximité est formulée en même temps que l’invitation au jeûne : «Et quand Mes serviteurs t’interrogent sur Moi, alors Je suis tout proche», tous ses serviteurs. Le jeûne est une bénédiction com-mune à toutes les religions : «On vous a prescrit aṣ-Ṣiyām comme on l’a prescrit à ceux d’avant vous». (El baqara : 183 à 186). Libre à chacun de donner du sens à ce qui semble être contraignant, car, « pas de contraintes en religion». n

Nous attendions le mois de Rama-dan avec beaucoup de joie. Nous savions que notre mode de vie

allait être complètement chamboulé, que nous allions veiller jusqu’à des heures tar-dives et donc jouer davantage. L’annonce du Ramadan se faisait le soir avec le Nef-far, au gabarit impressionnant, aux joues

gonflées, qui souf-flait dans son cor, sous le regard émer-veillé des badauds. Pour le shour, mon père nous arrachait, parfois doucement, parfois énergi-quement, de notre sommeil pour nous rappeler que la prière d’al Fajr est le moment le plus important de la jour-née. Notre repas du shour était composé de baghrir, de pain perdu, trempé dans un mélange de lait et d’oeufs, de lait caillé que ma mère préparait avec in-géniosité, et parfois de tajines légers. À la radio, Haj Abder-rahman Benmoussa psalmodiait des versets coraniques que le Professeur

Naciri, grand théologien, expliquait avec une voix rauque et sévère au fur et à me-sure de la lecture des sourates. A la fin de cette récitation, mon père nous racontait l’histoire de Cyrano, avec son gros nez, ou des Trois Mousquetaires, car il adorait Edmond Rostand et Alexandre Dumas.

Nous attendions la fin de l’appel à la prière d’al Fajr pour nous aligner selon un rituel impeccable. Je me tenais à droite de mon père. Ma mère et mes soeurs se mettaient derrière nous. Un instant ma-gique. Nous savions, mes soeurs et moi, qu’au cours de la prière, aucune plaisan-terie ne pouvait être tolérée et que tout écart allait être sévèrement répriman-dé. Un simple regard de nos parents était suffisant pour nous en dissuader. À l’école, le rythme scolaire ne subissait pas beaucoup de changement. Nous nous apercevions que les instituteurs étaient souvent somnolents et, pour les fumeurs, notoirement plus nerveux et intraitables. La cigarette avait des effets néfastes et dé-vastateurs sur leur humeur et sur les notes distribuées. La menace de falaka pesait sur nos têtes.

Les après-midi, nous jouions après l’école, au football ou à des jeux qui ont, hélas, complètement disparu, laissant le champ libre aux smartphones. Malla, les billes, la toupie étaient réservés aux garçons. Les filles jouaient à hula hup avec des cerceaux de plusieurs couleurs, à l’élastique ou à la marelle. Nous atten-dions la sirène - zouaga - qui annonçait la rupture du jeûne. Nous nous installions autour d’une table ronde, merveilleuse-ment garnie par ma mère. Nous sentions que nous étions une famille soudée et heu-reuse. Mon père répétait, les yeux fermés, ses supplications habituelles. Ma mère également.

Nous faisions notre prière du Maghreb au salon marocain puis j’accompagnais mon père à la mosquée pour la prière d’el Ichaa.

Le soir, nous allions rendre visite à nos grands parents qui accueillaient leurs pe-tits-enfants avec des étreintes, sans oublier les friandises ou les pois chiches grillés,

salés et croustillants. Mon père lisait avec intérêt, chaque soir, le Petit Marocain, re-baptisé aujourd’hui Le Matin du Sahara et aussi le Journal El Alam. Quand on a eu notre première télévision, en noir et blanc, nous avions fêté le premier jour du Ramadan , comme un événement majeur, presque un vrai baptême.

Ce jour-là le monde avait changé pour nous. Nous invitions nos amis, avec fier-té, à nos soirées, devenues forcément plus longues et tumultueuses. Le same-di soir, nous attendions avec délectation La Soirée du samedi, animée par Aziz Guessous, notre Jeann Pierre Foucault ou notre Ruquier. Nous connaissions déjà les grands artistes, les chanteurs, les chefs d’orchestre. Ahmed El Bidaoui, Abdes-salam Amir, Fouiteh, Bahija Idriss, Bou-chaib El Bidaoui, Hammadi Ammor et le maestro Abdelkader Rachdi. Les pièces de théâtre étaient merveilleusement inter-prétées par El Alj, Bachir Skirej, Seddiki et El Badaoui. Les enfants épuisés, dor-maient profondément sur les genoux de leurs parents, qui tenaient à rester chez nous jusqu’à la fin du générique et la transmission de l’hymne national. Une vie simple, avec une ambiance ramada-nesque, douce et agréable. La consomma-tion des familles était maîtrisée et régulée. Les excès étaient mal-vus. Les codes de respect et de solidarité avec les plus dému-nis s’imposaient à tous. Mon père répétait souvent que le mois de Ramadan signi-fiait, en plus de sa spiritualité particulière, l’amour, la paix de l’âme, la compassion et le renoncement aux égoïsmes. Ces co-des sont mis aujourd’hui à rude épreuve, face au populisme et au rejet de l’Autre. À nous d’éviter et de combattre l’intolé-rance, sous toutes ses formes, pour que la société marocaine reste fidèle à sa vraie identité... Celle de mon enfance. n

Yasmina Sbihi, Architecte, Chercheur en patrimoine spirituel,

Écrivain et Conférencière.

Es Said Boujida, Notaire.

Groupe Monassier. Paris

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DOSSIER DU MOIS

Nostalgie du Ramadan de mon enfance

Pourquoi faut-il jeûner ?

J e me rappelle bien d’une fête organisée chez nous, un soir d’été alors que je

n’étais âgé que de 5 ans.Ma sœur, mon aînée de 2

ans, habillée en caftan, une tiare sur la tête et ses mains embellies de motifs de hen-né, trônait au milieu du sa-lon. Vous avez certainement deviné que la soirée était en son honneur, et le vedetta-riat lui revenait de droit. Le gamin que j’étais ne com-prenait pas ce qui se passait mais brûlait de jalousie. J’es-sayai d’accéder au «trône» moi aussi mais on me l’inter-dit catégoriquement. Devant ma frustration, on me promit d’avoir le même traitement le jour de mon premier jeûne.

A cette occasion-là, je ve-nais de faire connaissance avec le mois sacré de Rama-dan.

Pour l’anecdote, ce pri-vilège, je ne l’ai pas connu pour mon premier jour de privation mais le jour de ma circoncision !!!

Et c’était feu mon grand-père qui m’a tout appris concernant ce mois sacré, son but, ce qu’il symbolise... Il m’a appris alors que le jeûneur se devait de domi-

ner ses pulsions et ses envies par une volonté soumise aux règles de la religion trans-mise par Dieu. J’ai su que se priver pendant ce mois était une expérience de partage afin de ressentir les priva-tions que vivent les démunis.

Chemin faisant, j’ai décou-vert, plus tard, que le jeûne a d’énormes bienfaits sur notre santé.

Aujourd’hui, je constate malheureusement, et avec amertume que Ramadan a perdu de son sens et de son essence. L’égo de l’homme a détourné sa finalité et de privation, on est passé à la gloutonnerie. Une jouissance dans l’excès.

Ce comportement me rend nostalgique du passé où tout n’était que simplicité et hu-milité. C’était le mois de par-tage et de consolidation des liens familiaux et amicaux. La rupture du jeûne se fai-sait, à tour de rôle, chez l’un ou l’autre. Le luxe n’était visible que dans nos accou-trements et ce n’était qu’une marque de respect pour nos hôtes.

De nos jours, hélas, cela est bien différent. C’est beaucoup plus un concours

L e Ramadan est un mois de jeûne qui fait partie des cinq

piliers de l’islam. Dans la religion musulmane, le jeûne religieux prescrit de s’abstenir de manger, de boire et d’avoir des relations sexuelles entre l’aube et le coucher de soleil, alors que le jeûne spirituel consiste, en plus, à lui donner un es-prit sain en protégeant ses sens et ses pensées de tout ce qui est illicite. Le jeûne religieux est donc limité par le temps alors que le jeûne spirituel est éternel. Pour-quoi donc cette précision dès le départ ? La tradition dit : «Ils sont nombreux ceux qui jeûnent et auxquels leurs efforts ne rapportent que la faim et la soif, et au-cun autre bénéfice.»

Le jeûne, fort de cet es-prit divin fait toute la diffé-rence en faveur de ceux qui gardent leurs sens et leurs pensées à l’abri du mal et évitent que leurs mains et leur langue ne blessent qui-conque. A ceux- là, Allah le Très Haut a promis «Jeû-ner est une action faite pour l’Amour de Moi, et c’est Moi qui en accorde la ré-compense.» Mieux encore que ces deux formes d’actes d’adoration, il y a le jeûne de vérité ! Pour empêcher son cœur d’adorer ou de vivre autre chose que la présence divine.

Bien qu’Allah a tout créé pour l’Homme, Il a créé ce-lui-ci uniquement pour Lui ! Et Il le dit bien dans une sagesse « L’homme est mon secret, et je suis son

secret ». Ceci étant claire-ment établi, chacun peut avoir sa propre approche du Ramadan et de l’esprit du Ramadan tout comme il l’aurait fait pour sa reli-gion. Cela ne l’empêchera pas de passer à côté de la beauté de la conformité de Sa loi immuable depuis toujours. Puisqu’Allah a créé un monde et lui a dicté sa loi. Une loi qui n’a pas encore fini de nous racon-ter cette si belle histoire d’amour entre le serviteur et Son créateur. « C’est uni-quement pour Moi que l’on jeûne, et c’est Moi qui en accorde la récompense». Une telle précision «c’est Moi qui en accorde la ré-compense » a laissé per-plexes, des siècles durant, bien des savants ! n

Hicham SolhiMarocain résident à l ’étranger.

Commerçant.

Nasrallah Belkhayat,Directeur de publication

gastronomique et un étalage de richesses matériels.

Un bol de harira, des dattes, de la chebakia, et des oeufs durs, le tout agrémenté d’un verre de lait ou de jus ... cette table me manque, au-jourd’hui, et je ne la retrouve plus lorsque je suis invité.

Devant certaines tables, je reste confus par tout ce qui y est présenté, à tel point que je me demande si ce n’est pas toute la nourriture du mois sacré qui y est étalée... Et dire que c’est un mois d’abs-tinence !

Je me demande où est la finalité si ce n’est dans la sa-tisfaction de son égo... «pa-raître afin de pouvoir être» alors que le but était «être sans paraître» dans l’effa-cement de son égo.

Est-ce le monde ou l’homme qui a changé ?

La spiritualité de ce mois sacré est désormais rempla-cée par le culte matérialiste.

Et dire qu’une journée «ra-madanesque» se doit d’être empreinte de compassion, d’humilité et de dépouille-ment total.

Mais bon, les temps changent et cela ne tient qu’à nous de choisir... n

26 JUIN 2018

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RAMADAN ET BIEN-ÊTRE

Le mois sacré de Ramadan est un mois de purification de notre corps spirituellement mais aussi physiquement. Il faut profiter de ce mois pour faire du bien à notre corps et à notre esprit et perde quelques kilos superflus.

JUIN 2018 27

Sofia Bensouda ou l’art de rallier beauté spirituelle et physique

Il est bien évident que le mois de Ramadan est avant tout un acte de foi, un temps qui doit

être consacré à l’introspection, à la réflexion et à la méditation. Mais au-delà de sa dimension spi-rituelle, ce mois représente pour certains, l’occasion de profiter du jeûne, pensant que c’est le meil-leur moment pour perdre les kilos en trop et en font ainsi un acte nutritionnel. Sauf qu’après plu-sieurs jours de privations, il est plutôt difficile de se retenir face à une table bien garnie. Peut-on donc maigrir pendant le Rama-dan ? Comment réadapter nos habitudes alimentaires en fonc-tion du jeûne ? Est-il possible de joindre la privation à l’agréable ? Sofia Bensouda, kinésithérapeute de renommée, répond aux ques-tions que se posent ceux qui al-lient le jeûne à la perte du poids.

l MAROC DIPLOMATIQUE : Il est vrai que la dimension du Ramadan est avant tout spirituelle. Toutefois, le jeûne a bien des effets sur le corps, à tel point que certains pensent qu’il est

le meilleur ennemi des rondeurs super-flues. Faire le ramadan peut-il aider à perdre des kilos ?

- On pourrait penser que le jeûne est le meilleur ennemi des rondeurs superflues et autres poignées d’amour dont on aime-rait bien se délester. Ne pas boire, ne pas manger toute la journée, est une épreuve physique qui ferait perdre du poids. Pas forcément ! Car une fois la nuit tombée, la rupture du jeûne compense largement le manque de la journée. En plus, le jeûne rend l’amaigrissement un peu difficile à mettre en place dans la pratique, car il faut, d’une part, contrôler son alimenta-tion face à la faim et d’autre part, adapter ses habitudes pour prendre un nombre de repas limité et à certaines heures fixes en plus de la gestion du sommeil qui rend encore plus difficile le contrôle de son alimentation.

En revanche, oui ; nous pouvons mai-

grir pendant le Ramadan comme pendant toute autre période de l’année à condition d’avoir une hygiène de vie et de contrôler son alimentation ! C’est même le mo-ment idéal pour perdre du poids puisque nous dépensons de l’énergie pendant la journée sans aucun apport calorique, le corps finit par puiser dans ses réserves de graisses, muscles…

l Le soir, c’est donc deux repas, riches en calories, pris en famille. On reste plus longtemps à table et on mange davantage. Quelles recomman-dations nous faites-vous ?

- Ramadan ou pas, comme je l’ai rap-pelé, il faut avoir une hygiène de vie et un régime alimentaire équilibré toute l’année.

C’est vrai, il est de nos coutumes de manger trop gras et trop sucré pendant le Ramadan, ce qui entraîne forcément une prise de poids. Nous remarquons également que nous ne mangeons pas assez de légumes d’où le risque de fa-tigue dû à un manque de minéraux et de vitamines. Les repas peuvent être pris en famille tout en étant peu caloriques sans être fades et sans goût. Le premier repas du ftour, après une rupture de jeûne avec de l’eau et des dattes, doit être composé de sucres lents, de protéines, de laitages et d’un liquide, de préférence une soupe, pas de jus. Dans la soirée, il est possible de prendre un jus nature de saison. Le dîner doit être pris 2 à 3 heures après. Il doit être surtout constitué de légumes cuits ou crus avec très peu de matières grasses, plus ou moins des protéines ; et dormir 1 heure après. Le shour est très important, il doit être surtout composé de liquides pour hydrater le corps et de sucres lents pour permettre une diffusion d’énergie tout au long de la journée. Et bien sûr, il ne faut pas oublier de prendre un grand verre d’eau pour finir.

l Le changement d’habitudes ali-mentaires peut-il entraîner une prise de poids ?

- Le corps s’adapte à toutes les situa-tions, en quelques jours (2 à 3 jours) et ce sont surtout les repas trop gras, copieux et sucrés qui seront une cause pour une prise de poids. Ne pas oublier que le sucre non absorbé rapidement se trans-forme en graisse. Il faut surtout adopter les bonnes habitudes dès le premier jour de Ramadan : prendre le temps de man-ger, bien mâcher, boire 1,5 litre d’eau et infusions sans sucre entre ftour et shour, éviter les jus de fruits, bien dormir et pra-tiquer une activité physique adéquate (30 à 45 minutes de marche ou de cardio tous les jours).

l Comment faire son Ramadan sans bouleverser son équilibre nutritionnel et espérer un amaigrissement réussi ?

Tout d’abord, il est nécessaire de pla-

nifier son jeûne et réfléchir aux aliments ou aux plats que l’on va cuisiner/préparer pour le re-pas du ftour et shour. Au mo-ment venu, on contrôlera da-vantage son alimentation et on mangera jusqu’à rassasiement sans avaler d’aliments trop gras, trop salés ou trop sucrés qui ont du mal à être digérés et dont les graisses sont vite stoc-kées par le corps, surtout avant d’aller se coucher.

La principale difficulté de l’amaigrissement pendant le Ramadan est le contrôle de son alimentation face à la faim. Actuellement, le Ramadan a lieu en fin de printemps et il s’agit donc d’un jeûne prolon-gé pendant plus de 15 heures. La période de jeûne prolongée durant toute la journée attise l’appétit et incite à faire des excès pendant le repas du soir lors de la rupture du jeûne.

Afin de profiter de ce mois pour mai-grir, il faut être organisé : préparer son régime alimentaire à l’avance, et de pré-férence, être suivi par un professionnel de la santé pour des séances d’amincis-sement, de remise en forme et de relaxa-tion.

l Pendant ce mois, l’activité des salles de sport est plutôt reboostée. Qu’en est-il des centres d’amincisse-ment et de bien-être ?

- Effectivement, nous constatons une ruée vers les salles de sport pendant ce mois. Il faut rappeler qu’il est décon-seillé de pratiquer du sport pendant les premières heures du jeûne. En effet, le meilleur moment c’est, soit juste avant la rupture du jeûne pour que le corps récu-père tout de suite les sels minéraux per-dus au cours de la séance, soit 2 heures après la rupture du jeûne.

Concernant les centres d’amincisse-ment et de bien-être, selon l’expérience personnelle, nous constatons, ces der-nières années, que les clients profitent effectivement de ce mois pour affiner leur silhouette, d’une part, et d’autre part, savourer des séances de relaxation et de bien-être pendant leur temps libre, après la sortie des bureaux, surtout que juste après le mois de Ramadan les vacances d’été seront là.

l Que proposez-vous comme soins et cures à vos clients pendant ce mois ?

- Les cures proposées sont sans efforts et c’est ce qui est bien recherché par la clientèle. Nous proposons des soins d’amincissement, anticellulite, contre le relâchement cutané, des soins de relaxa-tion, de détente et antistress ainsi que des soins de rajeunissement du visage et d’épilation définitive.

Les techniques actuelles sont de plus

en plus rapides et efficaces. Certains soins ne demandent qu’une seule séance comme la Cryolipolyse pour traiter les amas graisseux localisés, à renouveler après 6 semaines et la HIFU pour le raf-fermissement cutané et le rajeunissement du visage. Plusieurs clients cherchent à pratiquer une activité physique coachée et personnalisée.

Rallier beauté, bien-être et santé est l’objectif principal de mon établissement qui s’évertue, depuis sa création en 1996, à innover dans un constant effort de rigueur professionnelle.

Notre philosophie est fondée sur la prise en charge personnalisée et sur des programmes individualisés. Nous consi-dérons qu’une bonne santé est un facteur crucial de bien-être. Nous pensons que chaque personne est différente en termes de caractéristiques physiques, de mode de vie et bien sûr d’objectifs visés. Un bilan initial est nécessaire pour détermi-ner l’état pondéral de la personne, la ré-partition de la masse grasse, de la masse maigre et des liquides dans le corps. Le programme des soins proposés dépend du bilan morphologique, du test d’im-pédancemétrie, ainsi que de l’objectif escompté de la personne traitée. Notre centre est équipé de techniques High Tech dont les principales et les plus ré-centes sont la HIFU, la cryothérapie, la radiofréquence, le laser, l’alphalipolo-gie….

Enfin, le mois sacré de Ramadan est un mois de purification de notre corps spirituellement mais aussi physique-ment. Il faut profiter de ce mois pour faire du bien à notre corps et à notre es-prit et perde quelques kilos superflus.n

Souad Mekkaoui

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ÉVÉNEMENT28 JUIN 2018

Sur le plan sectoriel, le congrès s’adresse à tous les secteurs sans distinction. Nous recevons des sociétés et des participants venant de l’industrie, des high-tech, de l’administration publique, etc.

CONGRÈS INTERNATIONAL DES DIRIGEANTS DG & DAF

Rachid El Maataoui : « Pour rester compétitif, aujourd’hui, il faut batailler à armes égales »

L a 2e édition du Congrès inter-national des Dirigeants DG & DAF (CIDAF), une ren-

contre axée sur les préoccupations professionnelles et les aspirations des dirigeants, sera organisée les 29 et 30 juin, à Casablanca, sous le thème : « Le Dirigeant du Futur ». En prélude à cet événement inter-national qui regroupe les décideurs de plusieurs pays, l’organisateur de ce congrès M. Rachid EL Maataoui nous parle de l’organisation de cette plateforme d’échange et de ses ob-jectifs.

l MAROC DIPLOMATIQUE : Vous organisez les 29 et 30 juin, à Casablanca, la deuxième édition du Congrès International des Diri-geants DG & DAF (CIDAF). Pou-vez-vous nous dire ce qu’est le CI-DAF et quels sont ses objectifs ?

- Le CIDAF est un événement qui s’organise chaque année et s’adresse aux dirigeants et aux membres des équipes dirigeantes au sein des entre-prises et des organisations. C’est une opportunité de faire le point sur une thématique de grande actualité, mais aussi une occasion de rencontres, de networking et d’établissement de courant d’affaire, le tout dans une atmosphère conviviale favorisant les échanges et les mises en relation.

Nous voulons que les dirigeants prennent conscience de l’enjeu ma-jeur que représente pour eux cette ère numérique sur leur fonction et sur leur capacité à créer de la valeur. L’écono-mie marocaine est une économie qui fonctionne dans une orbite interna-tionale et il va de soi que pour rester compétitif, aujourd’hui, il faut batail-ler à armes égales dans les pays voi-sins. Les sociétés européennes sont en avance sur les aspects digitaux de façon générale. Au Maroc, nous pou-

vons parler de sociétés à deux, voire trois vitesses. Il y a des sociétés qui sont conscientes de l’enjeu, d’autres qui en entendent parler mais qui font la politique de l’autruche et celles d’une troisième catégorie qui sont aux abonnés absents. Ce congrès se veut, pour nous, deux grandes journées de vulgarisation et de sensibilisation, placées sous le trio «appréhender», «s’inspirer» et «agir». C’est la raison pour laquelle la programmation, que nous avons prévue, elle est divisée en trois grands moments. Un premier groupement de conférences à travers lesquelles nous essaierons de sensibi-liser et de montrer les enjeux du digital pour le dirigeant. Un deuxième mo-ment, soit la première grande matinée au cours de laquelle nous parlerons d’aspects plus pratiques comme l’im-pact de l’intelligence artificielle sur le business modèle, ou encore l’impact de l’innovation sur la compétitivité et la création de valeur. Et un troisième moment, soit la deuxième matinée, au cours de laquelle nous allons débattre de l’impact de ces bouleversements numériques sur les fonctions des di-rigeants.

Nous passerons au crible l’impact sur les fonctions de DRH et de direc-tion financière, l’impact sur le marke-ting, etc. Nous nous sommes fixé des objectifs extrêmement concrets. À la fin de ce CIDAF, nous voulons que les congressistes sortent avec les pré-mices d’une réflexion, d’une feuille de route leur permettant d’avancer dans leur travail en tenant compte des nouvelles donnes numériques.

l Pour l’édition 2018, le congrès se tiendra autour de la problématique principale «Le Dirigeant du Futur». Que renferme cette thématique ?

- Cette thématique porte sur l’im-pact de la nouvelle ère numérique sur la fonction de dirigeant et les enjeux de création de valeur qui ac-compagnent cette effervescence nu-mérique. En d’autres termes, l’action de diriger, aujourd’hui, est de plus en plus affectée par le digital et par des innovations telles que l’intelligence artificielle, l’émergence des objets connectés, la technologie disruptive, le développement du travail collabo-ratif, etc. C’est pour nous l’occasion de mettre le point sur tous ces aspects et regarder dans quelle mesure ils im-pactent la façon de diriger. C’est donc la raison pour laquelle nous réunis-sons près de 500 dirigeants, le 29 et 30 juin, pour faire le point sur cette grande thématique.l Qui est concerné par le CIDAF ?

- Le CIDAF se veut un événement ouvert aux fonctions de décision. C’est la raison pour laquelle il est, avant tout, un congrès de di-rigeants et de membres d’équipes dirigeantes. Nous recevons énor-mément de demandes de participation venant, bien évidemment, de di-recteurs généraux et de présidents de structures, mais aussi de respon-sables de départements. Nous sommes dans la direction générale de façon assez claire. Nous avons choisi ce position-nement pour la simple raison que nous voulons répondre, en priorité, aux attentes des dirigeants qui prennent les décisions, donc qui ont la première responsabilité. Nous voulons créer un environnement d’échanges propice à cette catégorie d’entreprises.

Sur le plan sectoriel, le congrès s’adresse à tous les secteurs sans dis-tinction. Nous recevons des sociétés et des participants venant de l’indus-trie, des high-tech, de l’administration publique, etc. Et pour que le congrès soit représentatif, nous faisons en sorte que les participants viennent de différents horizons. Cela favorise l’échange, la mixité, le networking et les relations d’affaires.

l Quels sont les critères de parti-cipation ?

- Il n’y a pas de critères extrême-ment fermes. Nous analysons les de-mandes de participation une à une et généralement, dès que l’on se rend compte que le profil pourrait avoir un intérêt à être présent au Congrès, nous confirmons bien évidemment la participation. Pour les personnes qui sont en début de carrière, ce n’est pas un congrès qui leur est destiné. Mais pour favoriser l’échange, durant le congrès, nous faisons en sorte d’avoir une petite partie d’étudiants et de doc-torants qui viennent pour s’en inspi-rer.

l Quelles sont les nouveautés cette année et à quoi devront s’attendre les participants ?

- Le Congrès est désormais un évé-nement inscrit dans le calendrier des dirigeants marocains, et même des pays voisins puisque nous accueil-lons un certain nombre de participants venant de l’Afrique subsaharienne

ou du Maghreb, sans parler des pays européens qui sont assez présents. Nous avons pris la décision d’orga-niser le Congrès une fois sur deux, dans la ville de Casablanca. Après la première édition qui s’est déroulée à Marrakech, c’est au tour de Casablan-ca de l’accueillir, sachant que l’année prochaine, il ira dans une autre ville. Nous sommes donc dans une dé-marche dans laquelle ce congrès fait aussi partie du marketing local des villes qui l’accueillent. Pour cette an-née, nous avons eu le plaisir et l’hon-neur d’organiser le CIDAF au sein du campus de l’Ecole Centrale qui est une institution de référence en ma-tière de sujet et de formation relatifs au digital, à la transformation, au lea-dership. C’est une grande nouveauté qui confirme le statut du Congrès et sa marche vers le succès. La deuxième grande nouveauté concernant cette édition, c’est qu’en plus des congres-sistes, le congrès est accompagné d’un salon qui sera ouvert au public. Donc le public de tout bord pourra s’y rendre, visiter et suivre sur un écran dédié, les travaux qui sont réservés aux dirigeants, en séances plénières et aux congressistes. Nous invitons, aujourd’hui, les dirigeants à vivre l’expérience du congrès. C’est une expérience qui comporte le côté scien-tifique, le côté networking qui est très important et très demandé, et le côté challenge-défis à travers l’open des dirigeants au tournoi de golf que nous organisons en parallèle. Ce tournoi va accueillir un certain nombre de pa-trons férus de golf, de sport et de dé-fis, le tout dans une bonne atmosphère de challenge et de dépassement. n

Interview réalisée par Désiré Beiblo

Rachid EL Maataoui, organisateur du CIDAF.

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CHRONIQUE30 JUIN 2018

Notre diplomatie doit cependant accroître sa vigilance vis-à-vis de ce gouvernement socialiste allié au parti Podemos, dont les thèses sur la question du Sahara ne nous sont pas favorables.

L’Espagne se place en tant que deuxième fournisseur de touristes et de transferts des résidents marocains à l’étranger qui sont plus de 700.000 en Espagne.

Mariano Rajoy s’est toujours opposé à toute mesure contraire aux intérêts du Maroc sur la question du Sahara.

LE NOUVEAU GOUVERNEMENT ESPAGNOL

Quelles perspectives pour le Maroc ?Par Jawad Kerdoudi

Le 1er juin 2018, le parti socialiste espa-gnol (PSO) a présenté

au Parlement une motion de censure vis-à-vis du gouver-nement conservateur dirigé par Mariano Rajoy. Cette motion a été présentée suite à la condamnation du parti populaire (PP) en tant que bénéficiaire d’un réseau de corruption. La motion a obte-nu un vote positif de 180 voix contre 169 et une abstention. Ont voté pour la motion, outre le parti socialiste, le parti de gauche radicale Podemos, le parti nationaliste basque (PNV) de centre droit, et les indépendantistes catalans de gauche et de droite.

Le Secrétaire général du PSO, Pedro Sanchez, a été chargé de former le nouveau gouvernement espagnol qui a prêté serment le 7 juin 2018 devant le Roi Felipe VI. Ce gouvernement quali-fié comme «le meilleur de la société espagnole» présente l’originalité qu’il est for-mé de plus de femmes que d’hommes, et qu’il a donc dé-passé la parité. Onze femmes ont été nommées à des dépar-tements importants. Outre la Vice-Présidente chargée également de l’égalité, ont été confiés à des femmes les ministères de l’Économie, de la Justice, de la Défense, de l’Éducation, du Travail, de la Santé, des Finances, de l’Ad-

ministration territoriale, de l’Environnement et de l’Énergie, ainsi que de l’Industrie et du Commerce. Seulement six ministères ont été pris en charge par des hommes, dont Joseph Borrel aux Affaires étrangères, ancien Pré-sident du Parlement eu-ropéen, et adversaire du mouvement d’indépen-dance de la Catalogne. A noter la nomination de l’astronaute espagnol Pedro Duque au minis-tère des Sciences, de l’innovation et des uni-versités. Outre le volet féminisme, le nouveau gouvernement espagnol se présente comme pro-euro-péen et un antidote au popu-lisme.

Le nouveau gouvernement espagnol aura à répondre à plusieurs défis politiques et économiques. Sur le plan po-

litique, le défi le plus impor-tant consiste à rétablir le dia-logue avec la Catalogne qui a connu, ces derniers mois, des événements graves mettant en cause l’unité de l’Espagne.

Sur le plan économique, ce nouveau gouvernement devra respecter les engagements européens en ramenant à 2,2 % le déficit public pour l’an-née 2018. Sortie de la crise en 2004, l’économie espagnole croît de 3% par an, mais la richesse n’est pas bien répar-tie. D’où la nécessité pour ce gouvernement socialiste de lutter pour l’égalité et contre la pauvreté. Un autre défi concerne le taux de chômage qui reste à 16,7% le plus éle-vé d’Europe après la Grèce, alors que 26,8% des emplois relèvent de contrats de travail temporaires. Pour relever ces défis, le nouveau gouverne-ment espagnol est minoritaire et ne dispose que de 84 dépu-tés sur 350. D’où une marge de manœuvre faible pour as-surer sa pérennité jusqu’aux élections législatives de 2020. En plus du parti po-pulaire, ce gouvernement subira l’opposition du parti Cuidadanos du centre droit qui a voté contre la motion de censure.

En ce qui concerne les re-lations Maroco-Espagnoles, elles étaient bonnes sous le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy. Ce dernier s’est toujours opposé à toute mesure contraire aux intérêts du Maroc sur la question du Sahara. Il a bâti avec les responsables marocains une coopération exemplaire en

matière de migration clandes-

tine, et de lutte contre l’extré-misme et le terrorisme. Sur le plan économique, l’Espagne s’est hissée au premier rang en tant que partenaire com-mercial du Maroc, et 800 en-treprises espagnoles exercent sur le territoire marocain, puisque un tiers des investis-sements espagnols en Afrique se fait au Maroc. L’Espagne se place également en tant que deuxième fournisseur de touristes et de transferts des résidents marocains à l’étran-ger qui sont plus de 700.000 en Espagne. La coopération entre les deux pays est mul-tidimensionnelle : politique, économique, sociale et cultu-relle. Les intérêts réciproques entre le Maroc et l’Espagne sont tellement importants qu’il est impensable à tout gouvernement de les mo-difier en profondeur. Notre diplomatie doit cependant ac-croître sa vigilance vis-à-vis de ce gouvernement socia-liste allié au parti Podemos, dont les thèses sur la question du Sahara ne nous sont pas favorables. n

Jawad Kerdoudi, président de l’Institut marocain des Relations internationales

Le nouveau gouvernement espagnol est une leçon de féminisme au populisme régnant.

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HISTOIRE D’UNE VILLE JUIN 2018 31

Safi, la ville à l’histoire mythiquePar Souad Mekkaoui

C’est la ville connue pour sa vague à la longueur et aux

ondulations convoitées par les férus du surf. Et ce n’est pas pour rien qu’Ibn Khaldoun l’a désignée par Hadirat al Mouhit (Cité de l’océan).

S’étalant sur le littoral atlan-tique, la belle cité, nichée au fond d’une ancre entourée de falaises, est la capitale de la région Douk-kala-Abda. Ville active, son port connu à l’international est le plus grand sardinier du pays. Abritant, depuis les années soixante, un important complexe industriel de transformation de phosphate, Safi, destination encore mécon-nue de la plupart des touristes, vaut le détour pour sa poterie, tradition attestée à la ville dès le XIIe siècle et connue dans le monde entier, sa médina chargée d’histoire et la forteresse construite par Vasco da Gama pour protéger la ville sous la domination portugaise, et bien d’autres merveilles patrimoniales propres aux Safiots.

Au cours de la Seconde Guerre mondiale, Safi était également l’un des sites d’atterris-sage pour l’Opération Torch.

La cité mythiqueAussi paradoxal que cela puisse pa-

raître, les historiens et archéologues n’ont trouvé aucun document attestant de la date exacte de la fondation de la ville, qui est pourtant l’une des villes les plus anciennes du Maroc. Aussi les versions sont-elles diverses quant à la ge-nèse de la cité qui était sous protectorat portugais de 1488 à 1541. Ainsi Berger estime que le nom de « Safi » signifierait « grand sanctuaire » du pays Canaan et que la ville porte le nom du plus grand saint du pays, Assafi et donc pencherait pour la création, au XIIe siècle avant J.C, d’un comptoir pour y installer les réfugiés cananéens fuyant les conqué-rants hébreux. La deuxième supputation confirmerait que la ville est d’origine phénicienne au moment où une autre supposition situerait le comptoir du-rant le règne carthaginois et pencherait sur le «périple de Hanun» fondateur de l’antique Accra au sud d’un autel dédié à Poséidon (Sidi Bouzid), au Cap Beddou-za (ex Cantin), lieu célébré par Hérodote comme le Promontrium Soleis. Dans son récit, le géographe médiéval Al Idris-si raconte comment une ville portant le nom de Accra, a été fondée à trois jours et trois nuits de navigation depuis les îles canaries. L’emplacement de la ville, d’après l’historien, célèbre navigateur et probablement fondateur de l’antique Accra, correspondrait à la ville de Safi. Il semblerait qu’il s’agirait de commer-çants andalous venus pour traiter avec des berbères juifs. Al Idrissi soutiendrait qu’après plusieurs jours de navigation, l’un d’eux se serait époumoné « Wa as-safi » (quel regret !) devant leur échec à

traverser l’Atlantique. Une anecdote fan-taisiste certainement qui n’a plus sa place à côté de l’explication donnée par Al Ba-kri qui relie le nom de Asfi au mot berbère Assif qui désigne un « cours d’eau ». Ce qui est plus plausible puisque la ville est traversée par l’Oued Chaaba. De Asfi, le nom de la ville est passé à Safi puis « Sa-fim » sous domination portugaise.

Une ville à plusieurshistoires

De son côté, Léon l’Africain n’hésite pas à attester que Safi, « ville purement berbère » serait l’œuvre des « anciens africains ». Par ailleurs, d’autres sources brandissent les conquêtes islamiques pendant lesquelles seul Okba Bnou Na-fii Al Fihri a pu arriver jusqu’à la côte de Safi, en provenance de l’Orient en 682. Après la conquête de l’Islam dans cette région d’Afrique du Nord, un grand nombre de combattants décident de s’y installer définitivement autour de leur chef militaire et spirituel Chiker. Ce der-nier est mort à Ahmar, après avoir bâti l’une des premières mosquées de l’Islam qui existe encore près de Chemaia.

Sidi Mohamed Saleh, né à Doukkala, en 1150 et mort à Safi en 1234, construi-ra une zaouia faisant office, pendant longtemps, de lieu de rencontre des pèlerins et des hommes religieux de la région. Ce qui allait donner à Safi une fonction religieuse de portée nationale puis internationale.

En tant que port de la capitale de l’em-pire almohade, Marrakech au XIIe siècle, Safi assurait des relations directes avec l’Andalousie. La cité était dotée d’im-portantes fortifications et d’une grande mosquée centrale à laquelle étaient ral-liées de nombreuses institutions.

Au XIVe siècle, Safi s’enrichit d’une medersa, édifiée par Abou El Hassan al Marini, d’un hôpital et de plusieurs autres institutions.

Safi connaîtra un essor urbanistique, commercial et maritime, au XVe siècle, sous les Portugais, jusqu’à la fin de la domination en 1541. La ville était alors la principale place portugaise fortifiée et jouera un rôle majeur comme l’un des plus sûrs et des plus grands ports mari-times du pays jusqu’à la construction de la ville de Mogador par le sultan Mo-

hammed Ben Abdellah. Celui-ci inter-dira le commerce extérieur dans tous les ports marocains favorisant sa nouvelle ville.

Faut-il rappeler que sous le règne de la dynastie saâdienne, Safi a connu son heure de gloire grâce à l’exportation du sucre de Marrakech vers l’Europe ? L’édification de la grande Mosquée de la Médina apporte sa pierre à l’édifice. Au XVIIe siècle, l’essor du port de Safi pousse plusieurs puissances européennes à conclure des conventions de coopéra-tion commerciale avec les sultans du Maroc. Mais à la deuxième moitié du siècle, la création d’Essaouira détournera les projecteurs de la cité. Toutefois, Safi demeurera le siège de consulats étrangers et contribuera à l’ouverture commerciale du Maroc sur les puissances étrangères au XIXe siècle.

Somme toute, en 1949, la flotille de Safi était sollicitée pour l’approvisionne-ment de toutes les conserveries du pays. Il n’y avait, en 1927, qu’une seule usine de conserve. En 1932, elles n’étaient en-core que 2. Mais en 1939, on en dénom-brait 15, 38 en 1947 et 80 en 1951.

Pluralité et toléranceLa ville de Safi, qui a vu naître le soufi

Abi Mohammed Saleh, au XIIe siècle, le rabbin du XVe siècle, Abraham Ben Zamirro, l’écrivain Edmond Amran El Maleh, l’acteur français Michel Galabru et l’ancien président de la Fédération royale marocaine de tennis Mohamed M’jid, est une mosaïque humaine com-prenant berbères et arabes. Ces derniers sont issus de deux grandes tribus à sa-voir Abda et Ahmar. En provenance de la Tunisie, la première était installée du temps des Almohades, au XIIe siècle. La deuxième, quant à elle, est d’origine yé-ménite connue sous le nom de Himyar, venue au Maroc de l’Algérie.

Par ailleurs, les tombes des sept saints juifs illustrent l’imbrication de la com-munauté juive dont plusieurs familles ont joué un rôle commercial notoire avant qu’elles n’émigrent vers Israël, le Cana-da ou la France. Cette communauté re-présentait plus de 20 % de la population. Aussi la coexistence de cultes mixtes judéo-musulmans, qui prévaut depuis plusieurs siècles entre les deux commu-

nautés, est l’une des qualités distinctives de la ville.

Safi, la capitale de la poterie

Célèbre pour la qualité de sa poterie qui représente l’activité artisanale la plus importante et constitue un patrimoine culturel et touris-tique de la ville, Safi est aussi réputée pour sa faïence aux tons bleutés, oeuvres des po-tiers originaires de Fès qui s’y sont installés au XIXe siècle.

Cette activité a connu un regain d’inten-sité au XIXe siècle, et une renaissance progressive, grâce à la création, vers 1920, d’une école de céramique et d’un atelier pilote qui ont permis de renou-veler et de perpétuer cette activité sur la Colline des potiers.En effet, c’est le fassi Mohamed Langas-si qui y crée le premier atelier de faïence donnant pour ainsi dire un nouveau vi-sage à la poterie safiote. Erigée en chef-lieu de la poterie marocaine dans toute son authenticité et sa diversité, la ville abrite la première école de céramique en Afrique. Les maîtres artisans potiers et céramistes ont élu domicile sur la colline des potiers, emblème de la pérennité de cette activité empreinte de la ville et nid du fleuron de l’artisanat local.

Un patrimoine luxuriantRiche de son patrimoine, la ville abrite

Dar Asultane, ancienne résidence des sultans alaouites qui servait aussi de protection pour la cité en raison de sa position de citadelle médiévale. Depuis 1990, elle est transformée en Musée na-tional de la céramique offrant une belle vue sur la mer et sur la médina et classée monument historique. La ville où trône le plus grand tagine du monde porte dans son enceinte Dar El Bahr ou le Château de mer, un fort portugais du XVIe siècle. Il a pour particularité d’être bâti prati-quement sur l’eau. Construite par les Portugais en 1419 et détruite sur l’ordre du Roi Emmanuel, la Cathédrale portu-gaise est le premier édifice gothique de l’Afrique. Un peu loin, le Minaret de la Grande mosquée, implantée dans l’an-cienne médina témoigne de l’architec-ture almohade.

Aujourd’hui, la cité de la côte atlan-tique est en train de devenir une destina-tion prisée des amateurs du surf dont elle fait le bonheur. En effet, depuis 1970, elle est le point de mire et de rencontre des férus de la glisse qui viennent flir-ter avec l’une des meilleures vagues du monde. n

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UN LIVRE, UN AUTEUR32 JUIN 2018

Quand Réda Dalil nous met faceà ce Maroc que l’on refuse de voir

l MAROC DIPLOMATIQUE : Après « Le Job » et « Best-seller », deux romans à succès, vous revenez cette fois-ci avec un nouveau, roman et un nouveau style. « Ce Maroc que l’on refuse de voir », paru aux éditions « Le Fennec » vous révèle à vos lecteurs avec une nouvelle plume plutôt aigui-sée pour dénoncer. Réda Dalil, quel est donc ce Maroc que l’on refuse de voir ?

- Ce livre est un recueil de chroniques écrites entre 2016 et 2018. Il s’agit de textes sincères, sans artifices, portant sur une déception longtemps latente, mais qui pointe désormais avec force, au sein de la classe moyenne dont je fais partie. Au Maroc, un souffle est né, il n’y a pas si longtemps de cela, qui a convaincu à la fois les franges populaires, mais aussi les catégories les plus éclairées, qu’un espoir était possible, que l’on pouvait tourner la page d’un passé sombre et espérer jouir d’une terre où la prospé-rité, l’égalité, la justice fleuriraient sans entraves. Or, une réalité alternative s’est substituée aux schémas mentaux que l’on s’était forgés de façon un peu naïve. Le réveil fut brutal et devant nos yeux ébahis, se dressait un pays bran-lant, mal dans sa peau, dans son identité, dans sa jeunesse, mal dans son école et ses hôpitaux, rongé par la violence et la bigoterie. Telle est cette réalité amère dont je tente d’explorer quelques facettes dans ce recueil.

l Dans vos deux premiers livres, le personnage central est presque toujours issu de la classe moyenne

marocaine. Peut-on dire que vous vous faites la voix des sans voix pour raconter leur quotidien, leurs contraintes, leurs soucis ?

- Tout à fait, ce personnage est un ersatz de mon propre être. N’étant pas un écrivain d’imagination, je me nour-ris de ce qui peuple mon quotidien, de mes peurs, de mes angoisses, de mes attentes, de mes espoirs. Etant moi-même un pur produit de la classe moyenne, rien ne m’a été épargné, rien ne m’était dû par un privilège de naissance ou de classe. Je mesure donc parfaitement l’étau dans lequel se débattent les « Moyens » de nos jours. Criblés de dettes, soumis à la double peine de l’impôt et du privé éducatif et médical, les dignes représentants du « milieu » sont des battants aux lèvres cousues, s’usant au travail tels des bêtes de somme, perdus, anonymes, égarés dans des jungles urbaines im-personnelles, monstres de bitumes sans espaces verts. Oui, sans complexes, je me revendique porte-parole de ces femmes et ces hommes qui, chaque jour, ouvrent les yeux aux aurores pour affronter un réel souvent sordide, tou-jours harassant.

l Loin des artifices de la fiction, vous puisez dans la réalité dure, des fois même amère, de citoyens qui combattent pour vivre, de fonction-naires écrasés sous le coût de la vie, de jeunes marginalisés qui ne voient l’avenir qu’ailleurs. C’est une véri-table fresque de la société marocaine

que vous nous offrez. Faites-vous un travail à la Zola avant de bâtir votre œuvre ?

- Non, contrairement à l’immense auteur des Rougon-Macquart, je n’adopte pas une approche d’anthro-pologue, d’observateur minutieux du genre humain, de pointilleux taxino-miste. Je m’en remets simplement à mon instinct, à mon vécu, dans une ap-proche très autoréflexive, sans a priori et surtout sans agenda prédéfini. Je ne défends aucune chapelle politique et toutes les idéologies me révulsent. Le bon sens me guide et je n’ai pas peur de l’erreur. Bien au contraire. D’ailleurs quel intérêt aurais-je à être écrivain si je ne porte aucune voix dans le débat public ? Pourquoi existerais-je si je m’interdis par peur, par désintérêt, par lassitude ou par intérêt bien compris, de descendre dans la cité pour parler, échanger, dialoguer, émettre des idées, des revendications, exprimer de saines colères ? Je n’ai aucune leçon à don-ner aux intellectuels et nombreux sont ceux qui en font le procès. Mais le mu-tisme qu’on leur prête peut s’expliquer par la chape de plomb dont ils ont été victimes pendant de nombreuses an-nées et qui, naturellement, a laissé des traces. Mais en ce qui me concerne, écrire, c’est écrire tous les jours, c’est s’engager. Les traces laissées dans la fabrique du temps ne sont pas celles d’une arabesque stylistique, mais d’une lutte assumée, collective, une lutte pour le bien-être général. Dans ce registre, au Maroc, les motifs d’en-

gagements sont multiples. Ce sont les lutteurs, hélas, qui font défaut.

l Quels sont vos écrivains préférés et vos maîtres à penser ?

- C’est drôle, mais les parrains lit-téraires vont et viennent selon les sai-sons. Bien entendu, certaines fidélités demeurent, elles sont enracinées, mais l’âge venant, la maturité réclamant ses droits, les coups de cœur de la jeu-nesse s’effacent devant de nouvelles passions. Aussi, mes penchants en-vers la littérature américaine, Bret Easton Ellis, Tom Wolfe, Hunter S. Thompson, John Dos Passos, John Fante et Bukowski, se sont quelque peu amenuisés. Aujourd’hui, je lorgne davantage du côté des plus anciens tels Rabelais, Voltaire, Dostoïevski, Gogol, Tourgueniev : en somme, des auteurs dont je ne supportais pas la lecture, il y a de cela quelques années. Fascinant !

Souad Mekkaoui

Economiste de formation, il a préféré quit-ter le monde des chiffres pour vivre au milieu des mots. Avec Réda Dalil, les choses ne sont pas forcément ce qu’elles ont l’air d’être. D’ail-leurs, s’il est une chose à laquelle on reconnaît un bon écrivain, c’est son aptitude à faire de la littérature avec des petits riens. Et c’est ce en quoi le jeune homme excelle puisque son premier roman, «Le Job», sorti en 2014 alors qu’il était Directeur de publication du magazine hebdomadaire Le Temps, en est l’illustration. Une description romancée du quotidien d’un personnage de la classe moyenne acculé à la résistance pour vivre lui vaut plusieurs Prix littéraires scellant pour ainsi dire la naissance d’un écrivain à succès. «Best Seller» suivra et confirmera le talent de l’auteur dont l’écriture s’impose aisément.

Ecrivain et journaliste, chacune de ses activités influence et nourrit l’autre, si bien que le métier de journaliste lui a appris à enquêter, à observer et à analyser. Il lui a fait aussi rencontrer beau-coup de gens dans différents milieux sociaux dont certains prêtent vie aux personnages de ses romans. D’un autre côté, la littérature, qui joue sur les émotions, donne une image aux bruits, aux odeurs et aux couleurs, l’amène à mettre plus de sensibilité dans ses articles. De facto, on

peut dire que Réda Dalil a donné un nouveau contour à l’écriture journalistique qui devient romancée sous sa plume.

En quelques années seulement, il impose son nom et se fait connaître par son travail appliqué, sa rigueur et ses romans largement plébiscités par la critique comme par les lecteurs.

Et comme son écriture a plusieurs facettes, le jeune homme nous plonge dans un troisième livre où on palpe la rencontre de l’art et de la vie dans Ce Maroc qu’on refuse de voir. Ce dernier-né ré-

pertorie les meilleurs éditoriaux et chroniques de l’auteur, publiés entre 2016 et 2018. Témoin de son temps, il soumet le quotidien à une minutieuse auscultation où on voit le journaliste, en patriote de la justice et de la vérité, agir en sociologue voire en véritable ethnographe qui travaille sur le terrain pour faire sauter les verrous, défon-cer des portes et rendre compte d’une grande fresque sociale dans toute sa complexité. La classe moyenne est sa muse incontestable, il lui prête sa voix pour crier son malaise. Et c’est ainsi qu’au bout de ses cris humanistes, ses dénonciations et ses indignations, il fait du journalisme une arme de combat qu’il manie avec brio, le temps étant à résister et à se battre.

Toujours à la recherche du mot juste, il ne cherche pas à faire « du style » puisque son écri-ture est fluide, sobre, ciselée mais lourde de sens. Ses romans, tout comme ses chroniques, sont bâ-tis symétriquement comme des symphonies qui réveillent un ouragan de sentiments et donnent à réfléchir.

Jeune, discret, posé et fort de son succès, Réda Dalil est riche de ces atouts, soigneusement culti-vés, auxquels s’ajoute ce quelque chose d’indéfi-nissable qui lui procure classe et panache.

A bâtons rompus avec le Rédacteur en chef du magazine Economie & Entreprises, nous invitons les lecteurs dans l’univers du journaliste-écri-vain.

écrire, c’est écrire tous les jours, c’est s’engager. Les traces laissées dans la fabrique du temps ne sont pas celles d’une arabesque stylistique, mais d’une lutte assumée, collective, une lutte pour le bien-être général.

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UN LIVRE, UN AUTEUR

Avec la prépondérance et la force de frappe d’Internet, il devient presque anachronique de se rappeler au bon souvenir du lecteur une fois tous les trois ans à l’occasion de la parution d’un roman. Je pense qu’un écrivain se doit d’être omniprésent.

« Chaque jour, le récit d’une arnaque, chaque jour, la litanie d’un abus, d’un mensonge, d’une violence symbolique. La triche nous coule-t-elle dans les veines »?

JUIN 2018 33

Quand Réda Dalil nous met face à ce Maroc que l’on refuse de voir (Suite)

l Il est évident qu’on remarque une certaine profusion de publica-tions et une effervescence d’auteurs. Peut-on parler d’une dynamique de la créativité littéraire au Maroc ? Quelle analyse faites-vous de la scène littéraire marocaine ?

- Le Maroc littéraire a de quoi s’enorgueillir de compter parmi ses rangs une belle brochette de prix Gon-court, dont le dernier en date, Leila Slimani, qui est une écrivaine bril-lante, accessible et éminemment en-gagée en faveur des libertés publiques dans notre pays. Elle mène, en outre, une mission d’une importance capitale auprès du Président de la République française en matière de promotion de la francophonie. Outre Leila, l’effer-vescence dont vous parlez est bien réelle. Des auteurs jeunes et moins jeunes se font forts de publier régu-lièrement des travaux de qualité, en dépit d’un climat structurellement dé-favorable à la lecture. J’en veux pour preuve des gens comme Mohamed Nedali, Mahi Binebine dont Le Fou du Roi est une perle, Mamoun Lahbabi, Mohamed Ouissaden, Bahaa Trabelsi, Yasmine Rhejjari, Maria Guessous, Jean Zaganiaris, Rachid Khaless, et j’en oublie des dizaines. Si je devais hasarder une infime critique à l’en-droit de mes confrères notamment les plus jeunes d’entre eux : ce serait de ne pas suffisamment investir les réseaux sociaux, de ne pas proposer un contenu, de la réflexion, une pers-pective, un point de vue, de ne pas apposer sa petite pierre à l’édifice d’un combat légitime pour un Maroc meilleur. Avec la prépondérance et la force de frappe d’Internet, il devient presque anachronique de se rappeler au bon souvenir du lecteur une fois tous les trois ans à l’occasion de la parution d’un roman. Je pense qu’un écrivain se doit d’être omniprésent. L’outil technologique actuel le per-met, pourquoi s’en priver ?

l Y a-t-il une critique littéraire au Maroc et à quels critères obéit-elle ?

- J’imagine qu’elle existe, sans doute est-elle plus organisée dans les milieux littéraires arabophones. Pour ma part, c’est là un métier qui m’est inconnu, dont les codes me sont étrangers. J’ai plaisir à lire les papiers de Kenza Se-

frioui dans Telquel, ceux de Jean Za-ganiaris dans libé. Il m’arrive parfois d’écouter Diwan sur Radio 2M, mais ça s’arrête là. N’étant pas investi corps et âme dans mon hémisphère littéraire du fait de mes engagements journalis-tiques, les champs gravitant autour de l’écriture au Maroc me sont demeurés hermétiques, imperméables. Peut-être est-ce mieux ainsi.

l Quel est votre état d’esprit face à notre époque ? Qu’y a-t-il lieu d’es-pérer ?

- Je vous renvoie à l’incipit d’une de mes chroniques : Au Royaume de la Malinocratie, que voici : « Chaque jour, le récit d’une arnaque, chaque jour, la litanie d’un abus, d’un men-songe, d’une violence symbolique. La triche nous coule-t-elle dans les veines? Le professeur mord sur ses heures de cours pour gruger ses élèves ; le client repousse le paiement du fournisseur ; le gros client refuse de régler sa nuée de sous-traitants affamés ; l’avocat ment, soutire des sous aux justiciables apeurés; l’archi-tecte recycle de vieux croquis à prix

d’or, l’ingénieur des travaux publics conçoit des plans bancals; le boucher abuse de bicarbonate de soude pour attendrir sa viande avariée, le poli-tique de promesses, le fonctionnaire de menaces, l’agent administratif de bakchichs, le chauffeur de taxi de dé-tours sinueux, l’adoul de pleurs fac-tices, le serviteur de l’Etat de mètres carrés, l’investisseur de délits d’ini-tiés, le chanteur pop de «coups» d’un soir, le banquier d’agios, le mari de Spéciales et de maîtresses, le gosse de riches de «constateurs» humiliés, l’assureur de franchises… ». Je n’ai rien à ajouter…

l Financier, homme de chiffres et de calculs, comment êtes-vous deve-nu écrivain puis journaliste ?

- Effectivement, j’ai été financier dans une vie antérieure. J’ai vécu l’univers de la multinationale de l’in-térieur, je l’ai ressenti dans ma chair, j’en porte encore les stigmates. Les heures impossibles, des journées de travail qui finissent aux premières lueurs de l’aube. C’était harassant. Je frôlais le burnout. Mais j’avais un

objectif hallucinant, grotesque, hu-mainement inatteignable. Il fallait que j’assure, j’avais un crédit, des traites. J’étais contraint de forcer ma nature. Cela a duré jusqu’au point de rupture, une friction avec la hiérarchie qui a enflé, enflé, et un jour il a fallu que l’abcès crève. J’en suis ressorti cassé, avec une estime de moi-même en peau de chagrin. Après cela, j’ai envisagé la vie autrement, non comme une course effrénée et interminable vers un tra-vail aliénant, des deadlines aiguisées comme des lames de couteau, mais comme une occasion de m’accomplir, de m’épanouir. J’avais, contrairement à beaucoup d’autres, hélas, une appé-tence pour l’écriture. J’en ai fait mon métier. De cette expérience est né «Le Job». On peut dire que l’écriture m’a secouru.

l Si vous n’étiez pas Réda Dalil, quel auteur auriez-vous aimé être ?

- Sans doute Paul McCartney des Beatles. Si je suis devenu auteur c’est faute de pouvoir être musicien. Le Rock est ma véritable passion et je voue un culte absolu aux quatre garçons dans Le vent de Liverpool. Hélas mes cordes vocales de bûcheron se sont érigées en obstacle infranchissable entre moi et mes rêves de gloire musicale. J’en ai pris mon parti. Yesterday… (rires)

l Des projets en vue ?- Un roman d’anticipation, une

sorte de dystopie dans laquelle je m’interroge sur le devenir du Maroc en 2050. Vers quoi nous mèneront les inégalités sociales ? Comment la technologie qui rendra l’humain de plus en plus obsolète affectera les équilibres économiques de demain ? L’influence du consensus de Was-hington sur les pays à revenus inter-médiaires s’atténuera-t-elle ? Quelle coexistence pour les classes sociales ? Bref, je pars de constats présents pour bâtir une fresque futuriste du Maroc d’(après)-demain, en espérant que le rendu final ne sera pas trop fantasma-gorique. n

CHRONIQUES

Ce Maroc que l’on refuse

de voirRéda DALIL

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JUIN 2018 35LIVRES

C e livre est un témoignage ex-ceptionnel. Chaque lundi pen-

dant un an, l’auteur, éditorialiste principal de La Tribune Afrique, a analysé, disséqué et commen-té les ruptures et permanences de l’Afrique, un continent traversé par des mouvements, parfois pa-radoxaux mais toujours fascinants, qui divisent la communauté des observateurs en afro-optimistes et afro-sceptiques. Si le débat autour du futur de

l’Afrique est ancien, l’approche d’Abdelmalek Alaoui, faite de ca-drages conceptuels forts et d’incur-sions dans des problèmes conjonc-turels et concrets, est rigoureuse, nuancée, stimulante. Elle permet de saisir les enjeux des compéti-tions commerciales, économiques et politiques qui se trament autour du berceau de l’humanité, devenu le lieu de cristallisation de nom-breux espoirs et d’ambitions mon-diales.

Dans le continent africain plus qu’ailleurs se mêlent intérêts géoéconomiques des anciennes puissances coloniales et des nouveaux émergents, volonté d’émancipation des opinions publiques et capacité de résis-tance des technostructures lo-cales. D’où l’importance de ce travail de décryptage clinique, parfois cynique mais toujours bienveillant, pour tous ceux qui souhaitent comprendre l’Afrique contemporaine. Spécialiste en stratégie et com-municant, Abdelmalek Alaoui est CEO du groupe Guepard (www.guepardgroup.com), actionnaire de La Tribune Afrique et du Huf-fington Post Maghreb.n

L’ écrivain Kamal Benkirane vient de faire paraître, au Maroc, un re-

cueil de nouvelles intitulé Les souliers mauves et autres nouvelles, publié par l’une des maisons d’édition les plus en vue : Marsam.Ce recueil de 15 nouvelles, qui aurait pu s’intituler aussi Un Marocain au Québec, interpelle les péripéties de la construction identitaire au sein du Qué-bec francophone, par le biais de passe-relles interculturelles.

Une femme dépressive interpelle la mémoire de la maternité à travers des petits souliers. Un cowboy des Amé-riques, rencontré suite à un avis d’ébul-lition, prévoit bizarrement sa mort. L’Halloween projette une petite fille imprévisible à inventer l’halloween orientale. Un étudiant montréalais tente de vivre sans argent en défiant le libé-ralisme économique. Une théière ma-rocaine crée une histoire d’amour sous les feux de la rampe d’une vente de ga-rage. Des immigrants tentent le renou-veau interculturel du Québec à travers la création d’un parti politique sous le nom de Dieu, etc. Et c’est ainsi qu’ils cheminent ensemble dans le désir de se départir d’une identité communautaire pour aboutir lentement vers une identité

collective.Ces nouvelles écrites dans une conti-

nuité linéaire et chronique, avec par mo-ments, la réapparition des mêmes per-sonnages, nous projettent ainsi vers des dimensions de médiation culturelle. La nécessité d’émettre ainsi des passerelles entre le Maroc et le Québec intervient dans cette option judicieuse d’interpeller les sensibilités et les voies communes de l’altérité.n

L’ Occident a bel et bien étudié l’islam et les Arabes. Dans

n’importe quelle bibliothèque euro-péenne ou librairie, on trouve des livres à profusion les concernant tandis que l’inverse n’existe dans aucune biblio-thèque d’un pays arabo-musulman. Comment peut-on expliquer ce phé-nomène? Pourquoi les Arabes et les musulmans n’ont jamais pensé prendre l’Occident, le christianisme ou le ju-daïsme comme objets d’étude? Com-ment peut-on expliquer l’absence d’un discours arabo-musulman sur l’Europe à l’instar de l’orientalisme? Pourquoi

l’Autre, le différent, le non musulman, n’a jamais été le centre d’une réflexion sérieuse au sein de la culture et du sa-voir arabo-musulmans? Comment la pensée arabo-musulmane conçoit-elle la différence? Pourquoi cette culture n’arrive-t-elle pas à produire une culture de second degré : critique et découvreuse?

Cette carence tient à la connais-sance arabe qui dérive d’une raison engluée, sclérosée, incapable de s’in-terroger sur elle-même, sur ses erreurs et sur son incapacité à franchir ses limites dogmatiques. L’institution-nalisation de l’ignorance à l’égard de l’Autre en est largement respon-sable. En terre d’Islam, la manière de concevoir l’Autre reflète l’intolé-rance, l’intransigeance et l’exclusion qui symbolisent la parole unique.

Pour que les Arabes et les musul-mans se réconcilient avec eux-mêmes et avec les Autres, ils doivent mettre un terme à cette manière de voir.

Moulay-Bachir Belqaïd est docteur en islamologie et es-sayiste. Il est l’auteur du «Voile démasqué» (2014), «L’Amour en islam, de l’enchantement à l’étouffement» (2015) et «Réflexions sur la laïcité arabe» (2017). n

Le temps du continentAbdelmalek Alaoui, Editions Descartes &Cie

Les Souliers mauves et autres nouvelles

Kamal Benkirane, Editions Marsam

Littérature maghrébine sépharade Voix migrantes au Québec Volume 2

Najib Redouane, Yvette Bénayoun-Szmidt

D epuis plusieurs années, des voix migrantes magrébines investissent

le champ littéraire francophone au Ca-nada. Des écrivains du Maghreb expri-ment leur sentiment d’exil, leur histoire et leurs confrontations avec la culture de l’Autre, celle de l’Amérique du Nord. Cet ouvrage s’intéresse aux écrivains pionniers qui ont œuvré pour le dévelop-pement d’un espace d’expression propre à leur communauté judéo-maghrébine. Chacune de leurs œuvres se distingue par la source vive de sa propre inspira-tion qui nourrit l’élan d’une littérature sépharade transformée et ouverte à de multiples manifestations.

L’examen d’une production qui os-cille entre prose et poésie, entre récit et introspection, indique clairement une nouveauté absolue et un changement to-tal de style et de rythme. Les œuvres des différents écrivains portent l’empreinte de ce patrimoine judéo-maghrébin. Canadien et Américain d’origine ma-rocaine, Najib Redouane vit depuis 1999 aux États-Unis où il enseigne les littératures de la francophonie du Sud. Auteur de plusieurs ouvrages critiques et de nombreux articles, il a aussi publié quatre romans et plusieurs recueils de poésie s’inscrivant dans un ensemble de récits poétiques inti-

tulé : « Fragment d’une vie en vers ». Yvette Bénayoun-Szmidt, professeur titulaire (Université York-Glendon) est l’auteur et co-auteur de plusieurs ouvrages critiques et articles portant, entre autres, sur l’écriture au fémi-nin dans la littérature francophone du Maghreb. Ses recherches actuelles se penchent sur les écrivains maghrébins migrants (ou en exil) au Canada.n

L’OccidentalismeRegards arabo-musulmans sur l’OccidentMoulay-Bachir Belqaïd, Editions Erick Bonnier