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1141 - avril 2013 SOMMAIRE : PRIX en FRANCE 2,20 ISSN : 2117-5047 commission paritaire N°0413 I 83051 ACTUALITÉ page 2 page 2 Au fil des jours Au fil des jours J EAN-PIERRE MON constate, une fois de plus, que la “flexibilité” n’est pas la panacée, l’Allemagne et l’Irlande en sont la preuve, tandis qu’un nouveau type de crise menace les États-Unis. page 3 page 3 Quel avenir ? Quel avenir ? J ACQUES HAMON dresse objectivement le tableau de l’avenir tel qu’il s’annonce, il décrit les mesures qui sont à prendre d’urgence… et incompatibles avec la logique capitaliste. RÉFLEXION page 6 page 6 De la coopération De la coopération F RANÇOIS C HATEL constate que les recherches scientifiques (en sociologie, en anthropologie, en neurosciences, en psychologie, etc.) confirment, à tout point de vue, la supériorité de la coopération sur la compétition : l’être humain est donc prêt, génétiquement et par son évolution, pour une économie distributive page 1 page 11 Le rôle des structur Le rôle des structur es familiales es familiales NICOLAS KACZMAREK expose la relation qu’Emmanuel Todd voit entre la conception de la famille dans les sociétés paysannes traditionnelles et la façon de penser en politique TRIBUNE DES LECTEURS page 14 page 14 Critique d’un lecteur et réponse de GUY EVRARD. La Grande Relève FONDÉ EN 1935 MENSUEL DE RÉFLEXION SOCIO-ÉCONOMIQUE VERS LA DÉMOCRATIE D’UNE ÉCONOMIE DISTRIBUTIVE «Vous voulez les pauvres secourus, moi je veux la misère supprimée» V. Hugo.

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N° 1141 - avril 2013 SOMMAIRE :

P R I X e n F R A N C E 2 , 2 0 € I S S N : 2 1 1 7 - 5 0 4 7 commission paritaire N°0413 I 83051

• ACTUALITÉ

p a g e 2p a g e 2 Au fi l des joursAu fi l des jours

JEAN-PIERRE MON constate, une fois de plus, que la “flexibilité” n’est pas la panacée,

l’Allemagne et l’Irlande en sont la preuve, tandis qu’un nouveau type de crise menace les

États-Unis.

p a g e 3p a g e 3 Quel avenir ? Quel avenir ?

JACQUES HAMON dresse objectivement le tableau de l’avenir tel qu’il s’annonce,

il décrit les mesures qui sont à prendre d’urgence… et incompatibles avec la logique capitaliste.

• RÉFLEXION

p a g e 6p a g e 6 De la coopération De la coopération

FR A N Ç O I S CH AT E L constate que les recherches scientifiques (en sociologie, en

anthropologie, en neurosciences, en psychologie, etc.) confirment, à tout point de vue,

la supériorité de la coopération sur la compétition : l’être humain est donc prêt, génétiquement

et par son évolution, pour une économie distributive

p a g e 1p a g e 1 11 Le rôle des structurLe rôle des structur es familialeses familiales

NICOLAS KACZMAREK expose la relation qu’Emmanuel Todd voit entre la conception

de la famille dans les sociétés paysannes traditionnelles et la façon de penser en politique

• TRIBUNE DES LECTEURS

p a g e 1 4p a g e 1 4 Critique d’un lecteur et réponse de GUY EVRARD.

La Grande RelèveF O N D É E N 1 9 3 5

M E N S U E L D E R É F L E X I O N S O C I O - É C O N O M I Q U E

V E R S L A D É M O C R A T I E D ’ U N E É C O N O M I E D I S T R I B U T I V E

«Vous voulez les pauvres secourus, moi je veux la misère supprimée» V. Hugo.

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2 L A G R A N D E R E L E V E - N° 1141 avril 2013

C H R O N I Q U EEN C O R E U N T I T R E S T U P I D E…

…Celui de l’éditorial le Monde du 12 mars :Sauver l’emploi : Hollande le veut, Schröder l’a fait.Et nous voici repartis dans la légende : «Le 14mars 2003, Gerhard Schröder donnait le coupd’envoi de l’Agenda 2010. Dérégulation dudroit du travail, diminution des indemnités dechômage, sanctions contre les chômeurs refu-sant un emploi et relèvement de trois points de

la TVA». Mesures bien connues, reprises enchœur par tous les eurocrates et que nous avionsdéjà dénoncées à l’époque dans la GR1. Et l’édito-rialiste en ajoute une couche : «Dix ans après, M.Schröder, écarté par les électeurs dès 2005, pavoise». Ilparaît que «ses compatriotes voient en lui le prototy-pe du gouvernant capable de sacrifier sa carrière poli-tique pour servir les intérêts du pays». Pas gonflél’éditorialiste qui affirme «que le nombre de chô-meurs a chuté de 5 à 3 millions et que le nombre d’em-plois est au plus haut depuis la réunification» tout enreconnaissant que les inégalités se sont accrues,que la précarité et le travail partiel ont progresséet que plusieurs millions de salariés sont très malpayés. C’est ça la victoire sur le chômage ? C’est cet exemple que Hollande devrait suivrepour redresser l’emploi «coûte que coûte» ? Non, merci !

R É C O N F O R TOn trouve quand même quelques journalistes(mais peu nombreux) qui osent sortir de l’aveu-glement europhile à tout prix. C’est notamment lecas de Guillaume Duval, rédacteur en chefd’Alternatives économiques, qui vient de publier unouvrage intitulé Made in Germany2, dans lequel ildémontre qu’il est ridicule d’évoquer continuelle-ment le “modèle allemand” ou de qualifierSchröder de “réformateur clairvoyant”. Commel’écrit J.C. Guillebaud : «Au bout du compte, c’està la bêtise dominante, la nôtre, que nous ren-voient ces analyses. Comment le discours domi-nant peut-il, mois après mois, ensorceler le débatdémocratique au point que se trouvent colpor-tées, pieusement commentées des âneries aussimanifestes ? […] Pourquoi voit-on si souvent àla télévision – chez Calvi ou ailleurs– d’infati-gables “spécialistes” qui pontifient sur le modèleallemand ? Et presque toujours avec le soucid’admonester le téléspectateur français ?»3. En conclusion de sa chronique, Guillebaud écrit :«Le vieux cantique sur le “modèle” est d’autantplus exaspérant qu’il est toujours idéologique-ment orienté : pousser sans cesse les Françaisvers le “moins social”. C’est à la fois très bête ettrès simple».

FL E X I B I L I T ÉOn se rappelle qu’entre 2007 et 2010, le PIB del’Irlande avait chuté de 15% et qu’après force réfé-rendums, les Irlandais avaient été contraints par

leur gouvernement à recourir aux plans de “sau-vetage” de l’Union Européenne et du FMI.Aujourd’hui, après huit budgets d’austérité, ilparaît que l’économie irlandaise s’est améliorée :sa croissance en 2012 a été voisine de 1% et lesoptimistes pensent qu’elle pourrait peut-êtreatteindre 1,8% en 2013. Du coup l’Irlande estconsidérée par les eurocrates comme un modèleque les pays de l’Europe du Sud devraient suivre.Les divers plans d’austérité ont en effet permisaux entreprises de réduire d’un quart le coût uni-taire du travail depuis le début de la crise, degeler les salaires et de devenir ainsi flexibles et“compétitives”. Mais s’il est vrai que les exporta-tions des grandes multinationales ont progressé,cela ne suffit pas. Le taux de chômage dépasse14% et de nombreux Irlandais croulent sous lepoids des dettes contractées pour acheter, avant lacrise, des biens immobiliers. Du coup, la deman-de intérieure a chuté de 26%. Ce qui n’empêchepas de nombreuses entreprises multinationales decontinuer à s’installer en Irlande parce que l’im-mobilier s’est effondré avec pour effet de rendreles bureaux beaucoup moins chers, parce que lesprestations sociales ont été réduites et que lesimpôts sur les sociétés ne sont que de 12,5% etmême moins en faisant de “l’optimisation fisca-le”. Et, cerise sur le gâteau, la flexibilité de la maind’œuvre irlandaise ne s‘est pratiquement pasaccompagnée de révolte sociale. Que voulez-vous de plus ?

ÉTAT S-UN I S• Le 31 mars vient d’entrer en vigueur aux États-Unis l’obligation pour les entreprises pharmaceu-tiques de communiquer annuellement au gouver-nement les paiements effectués à des profession-nels de santé. En France, on n’en est pas encore là ! Des scan-dales comme celui du Médiator sont donc tou-jours possibles.• Selon un rapport de la Banque Centrale améri-caine (la Fed), le montant des prêts aux étudiantsa triplé entre 2004 et 2012 et il atteint aujourd’hui966 milliards de dollars. Durant la même période,le nombre d’étudiants ayant dû emprunter pourfinancer leurs études est passé de 21 à 39 millions.Ainsi depuis 2010, les études sont devenues ladeuxième source d’endettement, derrière l’em-prunt immobilier, mais devant le prêt automobileou tout simplement les prêts à la consommation.Dans le même laps de temps, le montant moyendes emprunts des étudiants est passé de 15.000 à25.000 dollars. Qui plus est, les emprunteurs ontde plus en plus de mal à respecter leurs échéances(20% des emprunteurs avaient en 2012 plus de 90jours de retard). Selon le Financial Times, celarisque de saper la croissance économique du payscar la consommation intérieure représente envi-ron 70% du produit intérieur brut.

J e a n - P i e r r e M O N

Lire Ce modèle n’estpas le bon, dans GR 1138,(décembre2012).

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Made inGermany, éd. Seuil,2013.

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Pourquoisommes-noussi bêtes,Le NouvelObservateur,7-13/2/2013.

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L A G R A N D E R E L E V E - N° 1141 avril 2013 3

L es résidents de la France et ceux de laCommunauté Économique Européenneont-ils encore un avenir ? La présente

situation socio-économique y laisse beaucoup àdésirer. La responsabilité de ce regrettable étatdes lieux est largement partagée entre de nom-breux décideurs ayant généralement voulu bienfaire, sans y réussir, au cours des trois ou quatredécennies passées. En France, le chômage, toutes catégories confon-dues, a atteint un niveau anormalement élevé,insupportable : il frappe tout particulièrement lesjeunes et, dans les départements d’outre-mer,leur taux de chômage frôle les 50% ; le taux depauvreté s’accroît comme il ne l‘avait jamais fait.Notre balance commerciale est d’autant plusdurablement déséquilibrée que son montant cor-respond presque exactement aux importationsd’énergies fossiles carbonées paraissant essen-tielles à notre économie. Notre budget, toutescatégories confondues, est en déficit croissant etc’est inquiétant. Ceci n’est pas dû au train de viescandaleux des résidents français, dont une pro-portion croissante vit misérablement, pas plusqu’à une grande efficacité de notre lutte contreles émissions abusives de gaz à effet de serre. Seloger dans des locaux décents proches des lieuxde travail, et ne constituant pas une passoireénergétique, reste difficile, d’où une périurbani-sation entraînant des déplacements motoriséscoûteux et de grandes pertes de temps, tandisque la généralisation des véhicules à moteur die-sel cause de graves nuisances environnementaleset sanitaires. La diminution apparente de nosémissions de gaz à effet de serre est un artefact sil’on tient compte des émissions associées à nosimportations. La situation française n’est pas exceptionnelle.C’est celle subie, avec des variantes nationales,par la majorité des résidents de la CEE. On doitmême admettre que celle de la France est plusfavorisée que la moyenne. Il existe, depuis des décennies, une tendance trèsmarquée à l’uniformisation de la pensée écono-mique, tant mondiale que nationale, sous l’in-

fluence de groupes d’analyse et de conseils (les“think tanks”) très influents, longtemps appuyéssur la Banque mondiale et le Fonds MonétaireInternational. Cette tendance, en France, est ren-forcée par le fait que de nombreux cadres poli-tiques sortent du moule de l’École Nationaled’Administration, et que le pantouflage entre sec-teur public et secteur privé est très répandu. La construction de la CEE puis, en son sein, cellede l’Eurogroupe, avec pour finalité ultime unefédération, ont été faites pour limiter les contro-verses et accélérer les évolutions, en négligeantdélibérément quelques conditions essentielles àla bonne gestion, voire la survie, de ces entitésqui sont :• une harmonisation progressive, mais impérati-ve, des fiscalités et lois sociales et environnemen-tales, sans lesquelles la “concurrence libre et nonfaussée ” au sein de la Communauté relève d’unemauvaise plaisanterie ; • l’établissement d’un budget communautaireconséquent facilitant les harmonisations préci-tées, associé aux fiscalités nationales requisespour maintenir des services publics d’un excel-lent niveau dans tous les domaines ; • des accords-cadres avec les autres pays dumonde et un contrôle associé des échanges com-merciaux pour limiter les tentatives externes dedumping ; • une lutte efficace contre les paradis fiscaux; • l’uniformisation progressive de l’enseignementgénéral et professionnel, et des modalités de ges-tion des ressources humaines au sein des entre-prises et des services sociaux nationaux, pourque la mobilité des travailleurs au sein de laCommunauté puisse se généraliser — ce quipourrait impliquer l’enseignement prioritaired’une langue de travail commune ; • une gestion politique de la Banque CentraleEuropéenne, visant à favoriser l’emploi, et passeulement la lutte contre l’inflation (il est curieuxde noter que la BCE prête à taux très réduit auxgrandes banques, alors que ces dernières prêtentaux États à des taux plus élevés, parfois beau-coup plus élevés) ;

Quel avenir ?par Jacques HA M O N

SS’’aappppuuyyaanntt ssuurr ssoonn eexxppéérriieennccee,, JJaaccqquueess HHAAMMOONN ddrreessssee oobbjjeeccttii--vveemmeenntt llee ttaabblleeaauu ddee ll’’aavveenniirr qquuii ss’’aannnnoonnccee eett ddééccrriitt lleessmmeessuurreess qquuii ssoonntt àà pprreennddrree dd’’uurrggeennccee.. LLaa ccoonncclluussiioonn qquuii ss’’iimmppoossee aappppaarraaîîtt ccllaaiirreemmeenntt :: cceess mmeessuurreessssoonntt iinnccoommppaattiibblleess aavveecc llaa llooggiiqquuee ccaappiittaalliissttee……

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SOUSCRIPTION PERMANENTE POUR QUE VIVE LA GRANDE RELÈVER. Labesse 37 – J. Touraine 7 - L. Verdelhan 7 – Mme Lechevrel 14 – Mme Chappond 47 —F. Albouy 2 – J. Llas 7 – . Total 121 euros. Merci à tous !

MERCI AUX ABONNÉS QUI, POUR NOUS ÉVITER DES FRAIS DE RAPPEL, OBSERVENT LA DATE D’ÉCHÉANCE DE LEUR ABONNEMENT :

NOUS PRENONS SOIN DE L’INDIQUER SUR L’ÉTIQUETTEDE L’ENVELOPPE SOUS LAQUELLE ILS REÇOIVENT LEUR JOURNAL.

• l’établissement rapide de dispositifs démocra-tiques de gestion de la CEE, et en son sein del’Eurogroupe, tenant compte de la diversitédémographique et politique des pays membres. En attendant une harmonisation fiscale et socia-le, bien des pays de la Communauté, et mêmede l’Eurogroupe, font du dumping. Et les évadésfiscaux français, anciens comme nouveaux, fontles manchettes des quotidiens. On se demande,en lisant ces textes, pourquoi la France, et biend’autres pays, ne font pas comme les États-Unisqui exigent que tous leurs citoyens déclarentleurs revenus et payent leurs impôts correspon-dants aux États-Unis. Il ne s’agit pas là d’unefigure de rhétorique : le délit en la matière peutatteindre pour les résidents une peine de prisonà perpétuité, et pour les non-résidents, la pertede la nationalité. Si des institutions étrangèresfacilitent de telles fraudes, elles risquent dedevoir payer des transactions de milliards dedollars pour éviter d’être définitivement excluesdes marchés américains.

*La crise économique mondiale, qui affecte toutparticulièrement les pays industrialisés depuis2001, a plusieurs causes, dont le coût croissantde l’accès à des matières premières essentielleset une distorsion du partage des bénéfices de lacroissance entre le travail et le capital, qui accroitles inégalités sociales et pénalise les budgetsnationaux. Les personnes ne pouvant pas faireface à leurs besoins essentiels (ou supposésl’être) ont été encouragées à faire appel au crédit- sans limites. Lutter contre les gaspillages de toutes naturesest essentiel, mais mener une politique d’austé-rité déraisonnée ne peut conduire qu’à uneaggravation de la situation. On doit noter aussique les gigantesques mouvements internatio-naux de capitaux, presque instantanés grâce àl’informatique, n’ont que dans 2 à 3% des casdes objectifs de production de biens ou de ser-vices, et dans 97 à 98%, des objectifs spéculatifs,cela ne paraît pas justifié. Certaines recommandations des grandes institu-tions paraissent caricaturales. La Grèce a étéincitée à sabrer dans toutes ses dépenses civiles,au point qu’une maladie disparue, comme lepaludisme, fait sa réapparition. Mais ces institu-tions n’ont pas obligé la Grèce à imposer lesdeux catégories les plus riches du pays : l’église

orthodoxe, grand propriétaire terrien, et lesarmateurs. Par ailleurs ce pays paraît avoir ungrand potentiel gazier et pétrolier dans la MerÉgée, mais, en le ruinant maintenant, il va pri-vatiser d’autant plus facilement ces ressourcesénergétiques à bas prix… Obtenir de façon durable de meilleurs taux decroissance économique au sein de la CEE poseproblème si cela nécessite une plus grandeconsommation de matières premières essen-tielles, non renouvelables, alors que le présentpartage de ces matières entre États est lourde-ment faussé au bénéfice des plus riches d’entreeux. Une telle situation est tant moralement inaccep-table que politiquement dangereuse. Par ailleurs, la disponibilité de certains métauxet métalloïdes essentiels est trop limitée pourpermettre aux pays les plus dynamiques de l’exTiers Monde d’accéder à notre niveau de vie, etaux plus pauvres d’entre eux d’obtenir lesconditions d’existence de la France du XIXesiècle. Il semble que, mondialement, le tauxmoyen de croissance soit corrélé à celui de l’uti-lisation des énergies fossiles carbonées ; la dis-ponibilité de ces dernières ne pouvant quedécroître au fil des décennies, nous devons nouspréparer à une décroissance qui sera d’autantplus marquée que les ressources essentiellesseront moins mal partagées entre les États - etentre les individus. Que cela nous plaise ou non, il faut nous prépa-rer à un mode de vie plus frugal au sein de notrepays et de la Communauté, pour permettre àdes centaines de millions d’autres êtres humainsde, tout simplement, pouvoir vivre.

*La présente crise économique a fait passer ausecond plan les problèmes environnementaux,et en particulier la lutte contre les émissionsexcessives de gaz à effet de serre. On parle beau-coup de la croissance durable, une croissancequi laisserait aux générations à venir des condi-tions similaires à celles que notre génération atrouvées. Il s’agit là d’un mythe, toute croissan-ce consommant des biens irremplaçables et pro-duisant des polluants persistants. Il va donc fal-loir nous accoutumer à vivre non seulement enéquilibre avec notre environnement, mais encompensant, là où c’est possible, nos abus pas-sés, et cela en quelques décennies dans unmonde allant vers 9 à 10 milliards d’habitants

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d’ici 2050. On parle d’éviter que la tempéra-ture moyenne terrestre augmente de plus de2°C d’ici 2100, alors que les émissions de gazà effet de serre sont trois fois plus élevées quecelles que la Terre peut spontanément recy-cler, ce qui pourrait nous valoir dans le cou-rant du siècle une augmentation de la tem-pérature moyenne de 6°C et une montée duniveau de la mer de plus d’un mètre, peut-être plus, à la vitesse à laquelle les inlandsisglissent vers la mer, et y fondent. Cette élé-vation du niveau de la mer continuera pen-dant des siècles. Nourrir décemment 9 à 10 milliards d’êtreshumains dans un monde plus chaud, et plussec là où l’aridité menace, ne sera pas facile.Une série d’études montrent la possibilité dece faire, sous réserve de modifications dras-tiques des présentes approches. Une généra-lisation de la culture biologique, au sensstrict de ce terme, conduirait à la famine,mais il va falloir mieux lutter contre préda-teurs et pathogènes des cultures avec moinsd’intrants chimiques (tout en les introduisantdans des agricultures du Tiers Monde quin’en utilisent pas), et maintenir la fertilité dessols sans abuser d’apports d’engrais deve-nant rares. En un mot, redécouvrir l’agricul-ture de nos anciens et en généraliser la miseen œuvre optimisée à travers le monde. Lamécanisation devra le plus souvent être rem-placée par un emploi massif de maind’œuvre qualifiée; cela pourrait être relative-ment facile dans les pays les moins dévelop-pés, mais posera problème dans les pays lesplus industrialisés, dont la France. Dans le cas particulier de notre pays, amélio-rer l’habitat, réduire massivement la con-sommation d’énergies fossiles carbonées,protéger ce qui reste de notre biodiversité, etassurer à chacun une bonne alimentationaussi peu carnée que raisonnable, paraitpour l’instant possible, sous réserve derevoir complètement nos priorités, tant per-sonnelles que nationales. Il faudra des tra-vailleurs bien formés et convenablementrémunérés, et des objectifs à court, moyen etlong terme clairs, réalistes, et définis en com-mun. Il faudra aussi des ressources financières, etc’est peut-être ce dernier facteur le moinsdéfavorable. Une analyse rapide de nom-breux documents récents, souvent officiels,montre l’existence d’abondantes ressourcescorrespondant aux fraudes fiscales etsociales, aux niches fiscales sans réel intérêtsocio-économique, à des dépenses militairesde prestige, au remboursement par la sécuri-té sociale de médicaments inefficaces, etc. Letotal de ces avoirs éventuels atteint 200 mil-liards d’euros par an. Tous ne sont pas récu-

pérables, mais les ressources disponiblesdevraient largement excéder 100 milliardspar an, sous réserve évidemment de disposerdes fonctionnaires spécialisés dans lesdomaines concernés… ce qui, pour lemoment, ne parait plus être le cas. Dans le cadre des économies énergétiques,beaucoup peut être attendu de la rénovationde l’habitat, avec l’énorme avantage quepresque toutes les activités concernées pren-dront place en France, employant des rési-dents français. De grandes économies sont aussi réalisablesen réduisant les vitesses maximales autori-sées et en remplaçant progressivement lesvéhicules en service par des modèles bienplus modestes voués à la circulation urbaineet périurbaine, équipés seulement de l’éclai-rage et du lave-glace, avec une consomma-tion inférieure à 2 litres aux 100 (ou équiva-lent s’ils sont électriques), comme certainsmodèles mis en service au Japon. Il faudrait revoir aussi les péages autorou-tiers : une étude sur l’usure des voies de rou-lement a suggéré que, pour couvrir les fraisd’entretien, les camions lourds devraientpayer une taxe/km au moins dix fois plusélevée que les présents péages, ce qui pour-rait relocaliser beaucoup de productionsagricoles. Il faut noter aussi qu’à puissanceégale, le diesel est très sous-taxé par rapportà l’essence, et que les exonérations fiscalesconcernant les carburants des avions et desbateaux n’ont aucune justification. Nous vivons dans une société à la recherchedu toujours plus, plus loin, plus vite, maisdiverses analyses montrent que le taux desatisfaction des êtres humains atteint uneasymptote bien avant la satisfaction du tou-jours plus, qui n’est d’ailleurs jamais attein-te. On peut donc, avec moins de ressources,vivre aussi bien qu’avec plusieurs fois plus.Les gaspillages de toute nature, dont alimen-taire, sont consternants. De très nombreuxmatériels et équipements ont une durée devie infiniment plus brève que ce qui pourraitêtre produit pour le même prix, et beaucoupne sont pas réparables, ou le coût proposépour réparer est prohibitif. Non seulementtout ceci doit changer, mais la conceptionmême des produits doit en faciliter ladéconstruction et le recyclage des compo-sants.Tout ceci peut conduire à des sociétés bienplus frugales, mais peut-être aussi plusconviviales. Mais, à moyen et long terme, laseule alternative sera un chaos meurtrier.

Ces réflexions s’appuient sur 69références disponibles sur le site :

www.economiedistributive.fr

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6 L A G R A N D E R E L E V E - N° 1141 avril 2013

De la coopérationpar François CHATEL

Instaurer une alternative à un capitalismemoribond, c’est comme vouloir sauver uneépave qui dérive dangereusement : il faut

s’assurer de l’existence et de la fiabilité des condi-tions nécessaires. Comment connaître aujourd’huile niveau d’engagement altruiste dont est capablel’être humain ? Quelle est sa propension à partici-per activement à l’œuvre sociale ? Quel compor-tement coopératif peut-il offrir qui puisse aider àla mise en place et au développement d’une alter-native au capitalisme telle l’économie distributi-ve? Les choix individualistes sont aujourd’hui encou-ragés et gratifiés par le libéralisme, par ceux quitrouvent intérêt à maintenir les différences declasses qui sont garantes de leur domination. Untel conditionnement ne forme t-il qu’une couchesuperficielle dont il est aisé de se débarrasser ? Oubien constitue t-il désormais la nature de l’hommemoderne ? Le capitalisme, et sa dérive extrême qu’est le néo-libéralisme, ont tellement harcelé les cerveaux depropagandes pour justifier leur authenticité etleur crédit, qu’il semble judicieux de faire le point.Essayons de “débroussailler” le chemin qui mèneà la prise de confiance envers cette nouvelle voie.Cupidité, égoïsme et besoin de domination ont étéprésentés comme utiles à notre espèce, commefacultés d’adaptation créatrices de l’équilibre deséchanges et de la circulation des richesses. Qu’enest-il vraiment de ces soi-disant vices innés del’être humain ? Ne s’agit-il pas d’un subtil et ingé-nieux stratagème qui, soumis à l’épreuve dutemps, s’est révélé totalement caduc ? C’est ceque soutient par exemple Karl Polanyi1 : «unmarché s’ajustant lui-même était purement utopique.Une telle institution ne pouvait exister de façon suiviesans anéantir la substance humaine et naturelle de lasociété, sans détruire l’homme et sans transformer sonmilieu en désert». Si le résultat s’avère désastreux etdétermine l’abandon d’un tel système écono-mique, l’argumentation qui tend à le justifier n’endemeure pas moins intacte dans les esprits. Dansla conversation courante, on voit combien la natu-re humaine a toujours mauvaise réputation : lespires accusations sont sans cesse proférées à sonencontre2. L’idée judéo-chrétienne selon laquellechacun de nous hérite du péché originel a la peaudure. Elle affaiblit, elle étouffe toute révolte contrece système inhumain : quel esprit sacrilège ose-rait remettre en question une punition divine… ?Que se passerait-il si après un printemps arabesurvenait celui du monde occidental ?

Selon les philosophes et économistes libéraux des18e et 19e siècles, qui servent encore de référence,c’est l’individualisme qui prévaudrait et une nou-velle société de classes verrait le jour, dominée parles plus aptes à s’adapter. Il suffirait donc de lais-ser faire, de laisser passer, pour qu’un nouvel“équilibre” s’instaure, proche de l’actuel. Mais des anthropologues et des penseurs contem-porains s’interrogent à propos du communismeprimitif que les groupes humains ont connu pen-dant des dizaines de milliers d’années. Et ils y voient l’avènement possible d’un mondeconvivial. Si dans les temps reculés, l’humain possédait lacapacité à donner avant de recevoir, en est-il enco-re capable aujourd’hui ? — Oui, parce que la supé-riorité de la coopération sur la compétition résidedans l’existence d’un élément économique essen-tiel qu’on peut appeler “abondance”. Au sein d’unrégime de rareté, la compétition s’avère probableet nécessiter une autorité suprême. Quand l’abon-dance est possible, le capitalisme mène au pro-ductivisme, donc au pillage des ressources, il estincapable de réaliser un partage équitable del’abondance. C’est la coopération, basée sur laréciprocité, qui permet alors une juste répartitiond’une production raisonnée. L’abondance est la garantie, c’est la condition éco-nomique nécessaire à la mise en œuvre et à la fia-bilité d’une telle nouvelle organisation sociale.C’est cette condition qui a manqué, par exemple, àl’instauration d’un véritable socialisme sovié-tique.La réponse à la question «l’humain est-il naturel-lement individualiste ou bien altruiste ?»dépend donc des conditions politiques et écono-miques dans lesquelles sa faculté d’adaptation estappelée à s’exercer. L’homme est façonné par sonmilieu. La coopération, la solidarité, la conviviali-té dépendent de la culture. Des conditions poli-tiques et économiques sont nécessaires pour quel’individu se sente suffisamment en confiance,suffisamment autonome et reconnu par le groupedans lequel il vit. De la cohésion de celui-ci, doncde l’investissement de chacun, dépendent sa liber-té et sa sécurité. Dans les sociétés évoluées, la division des tâchesest indispensable pour produire biens et services.Personne, malgré l’encouragement à l’individua-lisme, ne peut vivre seul ; personne ne peut sub-venir à ses besoins essentiels sans l’apport desautres. Alors comment concilier ceci avec la séparationentre revenu et travail, comme l’implique l’écono-

La grande transformation, Karl Polanyiéd.Tel, Gallimard, 1985.

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Voir François Chatel,Nature humaine et agressivité»GR 1118

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mie distributive ? Libéré de l’obligation devendre son temps de vie contre l’accès à laconsommation, qui voudra participer, qui offriravolontairement son temps à la communauté pourproduire biens et services ? — Quand l’abondan-ce est possible, la séparation entre sécurité maté-rielle et exercice d’une activité professionnelle ledevient aussi. Avec l’abolition du salariat, l’activi-té n’est plus motivée par le besoin d’assurer sasécurité matérielle, mais elle l’est par le besoin,pour chacun, d’y trouver son développement per-sonnel, un enrichissement intellectuel, une gratifi-cation, etc… Or toutes ces motivations sont indis-pensables à son équilibre psychique, et c’est parcette recherche d’épanouissement personnel dansune activité choisie que l’abondance se trouvegarantie. La société, c’est-à-dire le groupe humain danslequel vit tout individu, lui offre d’abord éduca-tion, formation et santé. Puis les moyens de vivrelibre, et d’acquérir, par son activité personnelle, lesavoir faire, la reconnaissance, le prestige, voire larenommée. Bref, de parvenir à la réalisation de sapersonne, de son autonomie intellectuelle, degrandir dans son humanité et de réaliser l’être

social qu’il est par naissance. En d’autres termesd’être reconnu, d’exister dans son individualitépropre. Réciproquement, par son activité, l’individu offreune partie de son temps et de ses compétences àla société, ce qui permet à celle-ci de vivre pourapporter cette même abondance à ses membres, etde progresser pour les générations futures. Dans cet échange, dans ces dons réciproques, nonquantifiables, non “marchands”, l’individu dé-couvre l’estime de soi, indispensable pour décou-vrir l’estime des autres. Car la singularité de cha-cun ne s’exprime ni ne se reconnaît en vivant“chacun pour soi”, mais par l’expérience de la vieparmi ses semblables.Cette réciprocité mettant en jeu la psychologie desrapports sociaux et des sentiments humains,génère ainsi de la force de cohésion et du cimentsocial. Savoir donner, recevoir et rendre, voilà unart qui donne toute sa valeur aux relationshumaines, même si la base reste l’intérêt.Afin d'appréhender la propension de l'êtrehumain à coopérer, R.Axelrod et W.Hamilton3 onteu recours au "dilemme du prisonnier", présentéà Princeton en 1950 par A.W. Tucker :

dansThe Evolutionof CooperationScience,211, 1981.

3

Cette stratégiela plus efficacea été découverteen 1974 par lephilosophe etpsychologueAnatolRapaport.

4

LE DILEMME DU PRISONNIERAvec un complice, vous avez fait un cambriolage et vous êtes tous deux interrogés par la police. Faute de preuve, le procureur ne peut vous condamner que s’il obtient des aveux.On vous isole de façon à ce que vous ne puissiez pas communiquer.Et le marché suivant vous est proposé : • Si seul l’un de vous deux avoue et dénonce son complice, il sera libéré, l’autre condamné à 5 ans;• Si vous avouez tous les deux, vous serez tous les deux condamnés à 3 ans; • Si aucun n’avoue, vous serez tous les deux condamnés à un an.Dans l'ignorance de ce que décide votre complice, votre intérêt, rationnellement, est de le trahir enavouant. Et comme vous êtes tous les deux rationnels, le procureur obtient ainsi les aveux, il a gagné.

*Chacun des deux acteurs a donc à choisir entre sa rationalité individuelle, qui lui dicte de dénon-cer son complice, et la rationalité collective qui lui dicte de se taire. `Ce dilemme présente la situation la plus fréquente dans les interactions sociales : le conflit entre l’in-térêt individuel et l’intérêt collectif. Il a fait l’objet d’un grand nombre d’investigations scientifiques.Il est utilisé dans la théorie économique, en politique, en sociologie, en anthropologie. Par exemple,deux entreprises leaders sur un marché ont souvent tendance à se livrer une concurrence sans merci(en termes de prix, de publicité, etc.) alors qu’une entente permettrait de limiter les coûts pour cha-cune d’entre elles.L'intérêt immédiat pousse chacun à trahir, c'est-à-dire adopter un comportement individualiste. Mais, que se passe t-il si cette situation se répète plusieurs fois entre deux protagonistes, ce qui seproduit souvent dans la vie courante ?— Les travaux de Robert Axelrod, dans les années 1980, ont montré la supériorité, sur toutes lesautres stratégies, de la stratégie dite de coopération conditionnelle particulière4. Souvent qualifiée destratégie “donnant-donnant” (ou tit-for-tat), elle consiste à jouer la coopération lorsque l’autre joueura lui-même coopéré, mais à ne plus coopérer dès que l’autre cesse de le faire. • Si les adversaires ont peu de chances de se retrouver face-à-face, la trahison systématique est lameilleure stratégie.• Si les adversaires vont jouer ensemble encore et encore, trahir systématiquement n’est pas du toutefficace, pas plus que collaborer systématiquement. La meilleure stratégie consiste à opérer de la façon suivante : si, au cours d’une partie, un joueur tra-hit, son adversaire trahira lors de la partie suivante. Et ainsi de suite. De sorte que si un joueur coopè-re, son adversaire coopère lors de la partie suivante. Si deux joueurs appliquant cette stratégie se ren-contrent, ils vont longtemps collaborer.

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8 L A G R A N D E R E L E V E - N° 1141 avril 2013

…On vit en société, on ne disparaît donc pasaprès ses mauvais coups. Il faut rejouer, etrejouer encore. La situation est alors touteautre, et Axelrod écrit : «La coopération baséesur la réciprocité [tit for tat] peut démarrerdans un monde majoritairement non coopéra-tif, elle peut se développer dans un environne-ment complexe et elle peut se défendre elle-même une fois qu’elle s’est répandue.» Ildémontre qu’une fois installée, la stratégie "titfor tat" ne peut pas être battue : être méchantpeut d’abord sembler prometteur, mais, sur ladurée, cette stratégie détruit l’environnementqui lui permet de réussir.Nash en déduit que le dilemme fournit uncontre-exemple incontournable au mythe de la“main invisible” du marché.Le dilemme du prisonnier est souvent donnécomme exemple pour montrer que la libreconcurrence ne conduit pas forcément aurésultat optimal. Elle ne maximise même pas la somme desgains de tous les joueurs !Dans les villages isolés, la grande proximitédes individus favorise la coopération.Dans les sociétés plus vastes, l’étranger pour-rait survenir, trahir (c'est-à-dire profiter) etpartir, mais les moyens actuels de communica-tions rendent les étrangers moins étrangers. À l'avenir, ils favoriseront la coopération à uneéchelle que l’humanité n’a jamais connue.Cette étude montre combien, plongé dans unmilieu où les relations sont suivies, l'êtrehumain est porté à coopérer. Même en suppo-sant que l'individu soit mu par son intérêt per-sonnel, il n’empêche que s’il cherche à optimi-ser son projet, la coopération s'avère la straté-gie la plus favorable. «Ainsi, la société humai-ne devrait, par les seules forces de la rationa-lité individuelle de ses membres, tendre versla coopération ! On pourra finalement faireremarquer que les recherches récentes en neu-rosciences tendent à confirmer l’idée quel’homme a été programmé génétiquement, aucours de l’évolution de l’espèce, pour coopéreravec ses congénères5». Donc si le salariat était aboli, chacun auraitintérêt à entretenir de bonnes relations, à s'as-surer une bonne réputation pour que les autrescoopèrent avec lui. En économie distributive,la promotion de la coopération spontanée estdonc primordiale, elle permet à l'individud’avoir un environnement relationnel favo-rable qui lui apporte accueil, savoir, sécurité,liberté, reconnaissance, estime et, pourquoipas, renommée.Selon Peter Singer et Henri Laborit, toutesociété augmente ses chances d'atteindre sesobjectifs sociaux et économiques quand elleintégre une vision scientifique de la naturehumaine. Pour cela, il faut considérer que la

“coopération“ est, elle aussi, un fait naturel,que la théorie darwinienne de l'évolution necontredit pas. Contrairement aux darwinistessociaux qui n'admettaient que la concurrencecomme processus naturel. C'est surtout Patrick Tort6, qui soutient l'idéeque «par le biais des instincts sociaux et del'accroissement des capacités rationnelles, lasélection naturelle sélectionne la civilisationqui s'oppose à la sélection naturelle». Dans une chronique publiée en 2008, MichelOnfray se réfère à La descendance de l’hommeet la sélection naturelle, un livre de Darwindans lequel, au contraire de L’origine desespèces, il est question de l’homme en tantqu'être moral, naturellement et génétique-ment. En effet, seul parmi les mammifères, ildispose d’un sens moral inné par lequel il jugeses actes, puis les condamne ou les approuveen fonction de leur utilité pour la vie et la sur-vie de l’espèce. «La coopération humaine doitpourtant pouvoir s’expliquer dans le cadre de lathéorie de l’évolution puisque cette aptitude faitpartie de notre héritage phylogénétique. En effet,cette coopération a des bases neuronales (King-Casas et al. 2008) et hormonales (Bos et al. 2010)»et «Il y a donc incontestablement chez Homosapiens… une aptitude exceptionnelle à la coopéra-tion, bien au-delà de la parenté et du groupe d’ap-partenance… S'il devait y avoir un seul principedominant représentant la nature humaine danscette argumentation, ce devrait être le plus certai-nement la coopération7». Pour cette raison, ilexiste donc chez l’homme des tendances ins-tinctives à la sympathie et à l’entraide quivisent le perfectionnement de l’espèce. MichelOnfray conclut : «enseignons donc le Darwinqui célèbre l’humanité du mammifère suscep-tible de solidarité, naturellement doué pourl’entraide, capable d’éducation mutuelle, por-teur d’un sens inné de la république (au sensétymologique : de la chose publique)8».La religion chrétienne a instauré l'individualis-me par la notion du péché, de la responsabili-té individuelle. L'Église, seule intermédiairedéclarée entre l'individu et Dieu, a remplacé lacommunauté dans la recherche de la recon-naissance. Peu à peu, c'est l'État qui a hérité dupouvoir de reconnaissance et de punition,pouvoir qu'il partage aujourd'hui avec l'entre-prise privée. Ainsi chacun recherche la recon-naissance du pouvoir ou du système. C'est unemanière de perdre un lien avec les autres, alorsqu'en réalité nous leur devons tout… Ne pas chercher la reconnaissance des autres,c'est détruire les rapports sociaux.L'exemple "du dilemme du prisonnier" montrequ'à l'aide de la stratégie “CRP“ (= coopération- réciprocité - pardon) un équilibre optimal esttrouvé entre les intérêts individuels et les inté-rêts collectifs. Un système qui privilégie les

A Neural Basis forSocial Cooperation,Rilling J., Gutman D.,Zeh T., Pagnoni G.,

Berns G. et Kilts C. ,Neuron, 35, 395-405,[2002]

5

Pourquoi coopérer,Joël Candau,Université de NiceSophia Antipolis,Laboratoire d’anthropologie etde sociologie,“Mémoire, Identité etCognition sociale”(Lasmic)

7

Pour une gauche darwinienne, La chronique mensuelle deMichel Onfray N° 34 -mars 2008.

8

spécialiste del'œuvre de Darwin,notamment à travers deuxouvrages, le premier :La Pensée

hiérarchique et l'Évolutionpublié en 1983et le second, L'Effet Darwin,publié en 2008.

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échanges par le don/contre-don (et sur lequel leshumains ont pendant très longtemps fonctionné)est à même de transformer le travail en servicerendu au groupe social. Chacun donne de sontemps et de sa personne pour une activité choisie,et, en contre-partie, la société lui assure tout unprocessus lié à la gratification et à la reconnais-sance. L'activité professionnelle est ainsi inclusedans un système de réciprocité, basé sur la per-sonne, et déconnecté de toute recherche de sécu-rité matérielle puisqu'en économie distributivecelle-ci est assurée par le revenu garanti.Vouloir toutes les chances de réussite à une nou-

velle société, s'assurer de la coopération de tous,c'est donc avant tout donner ce pouvoir d'estime,de reconnaissance, de renommée, ni à l'État9, ni àl'entreprise privée, mais à l'environnement rela-tionnel de chacun, au groupe social auquel l'indi-vidu aura choisi d'appartenir pour mener à bienun projet. Dans un excellent article sur la coopération10,Michel Cornu présente son expérience sur lesujet. Il y énumère les risques de déviations, faitles recommandations et présente les règles deréussite. En voici quelques extraits :

Voir L'État est-ilindispensable?",

GR1136.

9

extraits deLa coopération, par MichelCornu,Nouvellesapproches,Version 1.2 24 /12/2004.

10

«Chacun sera poussé non parcontrainte ou par altruisme, maisparce que, par exemple, l'environ-nement fait que son intérêt proprerejoint l'intérêt du groupe.» Il s'agit ici de l'application auxrelations sociales du dilemmedu prisonnier réitéré à l'infini,par lequel même le plus indivi-dualiste mesure son intérêt àcoopérer afin de se trouverparmi les gagnants.«La réconciliation de l'intérêtindividuel et collectif est favo-risée par :• Un environnement d'abondancequi permet une économie du donet provoque des mécanismes decontrepartie collectifs. • La mise en place d'une commu-nauté qui multiplie les interac-tions entre ses membres et quis'instaure pour durer.• Une nouvelle façon d'évaluer lesrésultats a posteriori qui impliquel'ensemble de la communauté.Lorsque monnayer un bien n'aplus de sens car il est abondant etfacile à trouver, et lorsqu'on asatisfait ses besoins minimaux desurvie, la seule chose qu'on puisseencore rechercher est l'estime de lacommunauté. Le fait que lacontrepartie du don passe parl'ensemble des autres personnesaide à faire converger les intérêtsindividuels et collectifs.

L’un des éléments clés qui favorisele basculement d’une économied’échange vers une économie dudon est le passage de la pénurie àl’abondance. L’abondance signifieque les acteurs ont résolu leursbesoins de sécurité et qu’ils recher-chent autre chose, par exemple lareconnaissance.»«Le sentiment d'appartenance etl'existence de particularités spéci-fiques au groupe sont indispen-sables pour qu'une communautéexiste. Mais elle ne peut s'enrichirqu'en restant ouverte sur l'exté-rieur.Il existe deux critères qui favori-sent l'ouverture du groupe versl'extérieur :• Chaque participant doit pouvoiren sortir à tout moment.• L'appartenance à d'autresgroupes doit être autorisée etmême encouragée pour enrichir legroupe au travers de ces liaisonsinformelles.Il existe des règles du don qui, sielles ne sont pas respectées,conduisent à des déviations :•1. L'abondance doit être préser-vée et bien répartie pour éviter leretour à une économie de laconsommation.•2. L'évaluation doit être globaleet décentralisée pour ne pas qu'undon particulier serve à écraserl'autre.

•3. Donner à chacun une vision àlong terme pour permettre le déve-loppement de comportements dutype CRP (coopération - réciproci-té - pardon)•4. Développer un historique pourpréserver l'héritage commun pouréviter les "retours à zéro"•5. Permettre à tous de sortir àtout moment et encourager l'ap-partenance à d'autres groupespour éviter la sectarisation d'ungroupe fermé.

L'abandon total du pouvoir coer-citif donné par le titre hiérar-chique ou le contrat d'engagementest remplacé par l'incitation àcoopérer par les résultats et l'esti-me obtenus.Notre image du fainéant est celled'une personne qui ne fait rien.Notre image d'une personne effi-cace est celle de quelqu'un qui faitde nombreuses choses. Le langagecommun est assez pauvre pourdécrire quelqu'un qui fait le mini-mum de choses ayant le maximumd'impact et sait conserver dutemps pour de nouvelles opportu-nités. …il vaut mieux autant quepossible que chacun puisse choi-sir son rôle, cherchant alors às'investir dans les fonctions nonou mal remplies pour "trouversa place", plutôt que d'affecterdes rôles à l'avance».

Le milieu éducatif, l'environnement social, la sol-licitation des pairs, l'encouragement et l'appren-tissage du succès, la relation de confiance réci-proque, participent à la réussite du projet. Si la société démocratique se pose comme unereprésentation de la volonté du peuple, la parti-cipation et le rôle de chacun ne peuvent corres-pondre qu'à un choix individuel libre. Une coopération entre société et individu per-mettra d'accompagner chacun à trouver son rôle

gratifiant. Le temps consacré au travail choisi,considéré désormais comme un moyen d'épa-nouissement et de réalisation de son être, relèvede la liberté de chacun, puisque ce travail estdevenu une activité gratifiante. En retour, c'est à la société de protéger ce librechoix et d'assurer cette gratification. Ainsi chacun se trouve récompensé, rémunérépar l'exercice de sa liberté, par le bénéfice d'uneformation appropriée et par l'exercice d'une pro-

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10 L A G R A N D E R E L E V E - N° 1141 avril 2013

… fession gratifiante, favorable à sa réalisationpersonnelle.L'engagement à exercer une profession tient àla fois de la réalisation personnelle, d'unemarque de reconnaissance envers l'environne-ment social et éducatif auquel chacun doittout, et de la qualité de l'accueil accordé à cha-cun par ce groupe social. D'un côté, l'individu autonome a conscience deson intérêt et de ses besoins envers la sociétépour maintenir et même améliorer son Être,alors que la société connaît son intérêt et ses

besoins envers l'individu pour maintenir sasituation et même l'améliorer. La réciprocité s'exerce en toute égalité et sanscontrainte. Cet échange fructueux permet aux individusd'acquérir la liberté et l'autonomie, et au grou-pe d’y gagner cohésion et équilibre en se pro-tégeant de tout pouvoir coercitif. Selon F. Lordon : «Être autant que possibleutile aux autres pour l’unique et bonne raisond’être le plus utile à soi, telle est la perspecti-ve éthique de la philosophie spinoziste».

extraits deLa coopération, par MichelCornu,Nouvellesapproches,Version 1.2 24 /12/2004.

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«La décision de passage à l’actepour coopérer à un projet se faitde façon brutale, tel un bascule-ment. Elle se réalise lorsque lasomme de toutes les incitationsdépasse un certain seuil (le neu-rone dans le cerveau humainfonctionne d’ailleurs de cettefaçon). La transformation d’unmembre passif en contributeuractif dépend donc à la fois desdifférentes incitations et de lahauteur du seuil, de la motiva-tion par la reconnaissance, leplaisir et l'acquisition de savoir-faire.Les personnes passent à l'actegrâce à l'estimation des gainsqu'elles peuvent attendre du donde leur temps et de leur person-ne. Ils sont de trois ordres :1• Le savoir-faire : toute partici-pation à un projet doit permettred’acquérir des savoir-faire dansles domaines opérationnels oùnous nous impliquons.2• Le plaisir : dans les projetscoopératifs, le plaisir n’est plusapporté indirectement grâce auxgains en argent, mais directe-

ment par le projet lui-même, parl'exercice d'une passion, d'unevocation. Il agit comme un mo-teur pour susciter l’implicationqui est une des clés de la réussitede tout projet.3• La reconnaissance : elle ap-porte par ricochet plusieursavantages :- Un moyen très efficace pour

attirer la coopération des autresdans les projets proposés.- La satisfaction du besoin de

reconnaissance que nous avonstous.- L’acquisition possible de l’es-

time et de la renommée qui vontpermettre de susciter des engage-ments et des vocations à l'origi-ne d'élargissement et d'évolu-tion des projets.Les six règles de la contrepartieau sein d'une communauté fonc-tionnelle s'énoncent ainsi :1. L'estime, qui est une des prin-cipales contreparties, doit êtreapportée de façon globale parl'ensemble de la communauté etnon par la décision d'une per-sonne;

2. La contrepartie doit êtreobtenue a posteriori (parexemple l'estime acquise parles résultats obtenus) et nona priori (telle que la nomina-tion à un titre);3. L'amélioration ou la dimi-nution de l'estime doit être unprocessus continu. Chacunrécolte l'estime qu'il mérite.Faire circuler l'informationsur les réalisations de chacun,conserver un historique des réa-lisations, sont des moyens effi-caces de faciliter l'autorégula-tion par l'estime;4. L'évaluation ne doit pas sefaire uniquement en fonction decritères objectifs mesurables, elledoit prendre en compte les res-sentis subjectifs de chacun;5. Le rôle du manager n'est pasde reconnaître seul le travail dechacun mais de favoriser lesmécanismes de contrepartie col-lectifs (estime, plaisir, acquisi-tion de savoir-faire);6. Il faut être attentif à ce que lacontrepartie ne soit pas deman-dée, mais reçue»11.

L'absence de crainte à propos de l'engagementde chacun à coopérer va permettre de séparerdéfinitivement d’une part l'œuvre humaine etde l’autre la sécurité matérielle, la consomma-tion. Le revenu universel garanti est totale-ment détaché des relations humaines, del'exercice réciproque du don/contre-don envigueur au sein du groupe social. La seule différence avec les sociétés ancestralesvient du fait que l'abondance venait d’unenature providentielle, alors qu’elle serademain la conséquence de la réussite de l'orga-nisation sociale. Mieux la coopération sera assurée, meilleursseront les résultats productifs, et ils seront bienmieux adaptés à ce que peut fournir un systè-me prônant l'individualisme et la compétition.

Les études sociologiques et économiques legarantissent. La substitution d’une monnaie non “fructi-fiable” à la monnaie capitaliste empêche la for-mation des inégalités qui sont responsables dela prise de pouvoir et de la confiscation deslibertés. Afin d'empêcher ce processus déstabi-lisateur de l'équilibre du groupe, certainessociétés primitives avaient recours à la fêtepour qu’y soient dépensés les surplus créa-teurs de différences sociales. Chaque membredu groupe apportait ses réserves et la fête sepoursuivait jusqu'à leur épuisement. La caducité de la monnaie, après un certaindélai fixé par la société, est un procédé similai-re qui permettrait, si besoin, de remettre lespendules à zéro.

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UNE VARIABLE MÉCONNUEDE L’HISTOIRE DE L’HUMANITÉ

Dans ses travaux d’anthropologie, l’historienEmmanuel Todd a décrit la répartition géo-graphique des structures familiales, c’est-à-dire les agencements des rapports hommes-femmes et parents-enfants. Il cherche à endéduire le rôle fondamental qu’elles jouentdans l’histoire de l’humanité.

Pour lui, à chaque structure familiale corres-pond une prédisposition à l’alphabétisation,qui détermine les décalages de développe-ment humain, et un attachement particulieraux valeurs d’autorité ou de liberté d’uncôté, et d’égalité ou d’inégalité de l’autre, cequi pourrait expliquer la diversité politiqueet idéologique du monde depuis le XVIIIesiècle.

LA STRUCTURE FAMILIALEEmmanuel Todd a passé sa thèse de doctoratd’histoire, en 1976, sur les communautéspaysannes françaises, italiennes et suédoisesdans l’Europe pré-industrielle. Ce qui l’amené à s’intéresser à l’organisation familialede ces communautés. Et à y constater unegrande diversité. Cette organisation qu’onappelle la structure familiale va se révéler unélément essentiel pour comprendre le destinde ces communautés et plus largement celuides sociétés industrielles qui naissent auXIXe siècle.On peut classer les structures familiales dessociétés paysannes traditionnelles en troiscatégories2 :

• les sociétés de famille nucléaire, qui compor-tent majoritairement en leur sein des foyersregroupant un père, une mère et leursenfants. Quand ils se marient les enfantsquittent le foyer parental pour former unnouveau foyer ;• les sociétés de famille souche ou de familleverticale, où majoritairement les foyersregroupent un père, une mère, le fils aînéavec sa femme et ses enfants (trois généra-tions cohabitent donc sous le même toit), tan-dis que les cadets, filles ou garçons, sontexclus du foyer à l’âge adulte ;• les sociétés de famille communautaire, oufamille élargie, où cette fois tous les enfantsadultes mariés restent vivre sous le toit deleurs parents avec leurs propres enfants.Dans L’Enfance du monde3, Emmanuel Toddexpose que la structure familiale est unevariable importante dans le déclenchement,depuis le XVIe siècle, d’une vague d’alpha-bétisation en Europe. Ce sont dans les paysde famille souche (Suède, Allemagne, Écosse,Norvège...) que l’alphabétisation est la plusprécoce. Todd l’explique par la forte autoritéparentale et le relativement bon statut desfemmes qui caractérisent la famille souche etqui favoriseraient la transmission culturelle,donc l’alphabétisation. Parce que cette alpha-bétisation est le point de départ d’un cerclevertueux de “modernisation”, qui se compo-se d’une chute de la pratique religieuse, puisd’une chute de la mortalité, puis de la natali-té, et enfin d’un essor économique, on peutexpliquer les écarts actuels de développe-ment humain par les inégalités de potentieléducatif des différentes structures familiales.

SOCIÉTÉ MODERNISÉE, SOCIÉTÉ DÉBOUSSOLÉE

Mais il est à noter que, pour EmmanuelTodd, la diversité des structures familialesimplique une diversité de niveau de déve-loppement humain aujourd’hui, mais quecette diversité n’est qu’un décalage dans letemps, car il avance que toutes les civilisa-tions marchent dans le même sens, celui decette “modernisation”. Il a développé cetteidée dans Le rendez-vous des civilisations4,

L A G R A N D E R E L E V E - N° 1141 avril 2013 11

Une version longue de cetexposé peut être écoutée surle site de l'Université populaire du 78 d'attac 78 :http://www.up78.org/?p=33

1

L'Enfance du monde.Structures familiales et développement 1984, in La Diversité du monde,Seuil, 1999.

3

Le rendez-vous des civilisations,in La République des idées,Seuil, 2007.

4

Pour une liste affinée desstructures familiales, voir :

L'origine des systèmes familiaux.Tome I. L'Eurasie, éd. Gallimard, 2011

2

SSee ppoouurrrraaiitt--iill qquu’’iill yy aaiitt uunnee rreellaattiioonn eennttrree llaa ccoonncceeppttiioonn ddeellaa ffaammiillllee ddaannss lleess ssoocciiééttééss ppaayyssaannnneess ttrraaddiittiioonnnneelllleess eett llaaffaaççoonn ddee ppeennsseerr eenn ppoolliittiiqquuee ?? QQuuee,, ppaarr eexxeemmppllee,, ddaannss uunn ppaayyssooùù lleess eennffaannttss mmaarriiééss rreesstteenntt vviivvrree ssoouuss llee ttooiitt ffaammiilliiaall,, uunneeddiiccttaattuurree aa bbiieenn pplluuss ddee cchhaanncceess qquu’’aaiilllleeuurrss ddee ss’’ééttaabblliirr ??

CC’’eesstt eenn ssuubbssttaannccee llaa tthhèèssee ssoouutteennuuee ppaarr EEmmmmaannuueell TToodddd,, eettqquuee NNIICCOOLLAASS KKAACCZZMMAARREEKK nnoouuss pprréésseennttee 11::

Emmanuel Todd, historien, anthropologue, démographe,sociologue et essayiste…

Le rôle des structures familiales

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rédigé en 2007 avec Youssef Courbage, ouvragequi se veut une réfutation de la thèse de l’améri-cain Samuel Huntington sur le choc des civilisa-tions. Pour les auteurs, toutes les sociétés finis-sent par connaître les mêmes mutations socialesdécrites ci-dessus, elles finissent toutes, ou fini-ront toutes, par connaître un bouleversementpolitique c’est-à-dire une “révolution”. En effet,ces mutations sociales sont le signe d’une révo-lution mentale et culturelle qui produit unesociété déboussolée. Le passage à une alphabéti-sation de masse (en 1730 dans le bassin parisien,en 1900 en Russie, dans les années 1960 enTunisie et en Égypte) représente une remise encause du principe d’autorité, les fils sachant liremais pas leurs pères. La chute de la fécondité, quant à elle, a pourpréalable une baisse de l’influence de la religionsur la vie des humains, ce qui permet une mon-tée en puissance, comme substitut, de l’idéolo-gie politique. Cette chute de la fécondité traduitégalement une maîtrise, par les femmes, de leurfécondité, et donc une modification du rapporthomme-femme dans le couple. Enfin cette chutetraduit également le fait que de nombreusesfamilles renoncent à avoir un garçon, en dessousde 3 enfants par femme, la proportion de famil-le sans garçon devenant importante.Cette société est d’autant plus déboussolée quele processus d’industrialisation, qui pour E.Todd découle de ces mutations sociales, faitexploser ces structures familiales traditionnelleset jettent les humains dans l’individualisme dela vie urbaine.

LA CRISTALLISATION IDÉOLOGIQUEDES VALEURS FAMILIALES

Dans cette phase de bouleversement, les indivi-dus vont reproduire les rapports humains fami-liaux qui viennent de disparaître dans les rap-ports sociaux. On est là au cœur de l’originalitédes travaux d’E.Todd qui, prolongeant les tra-vaux de Frédéric Le Play5, veut démontrer queles “révolutions” sont des moments chaotiquesoù les sociétés vivent une crise de transition versla modernité, et que le contenu de ces révolu-tions est directement influencé par les valeursportées par les structures familiales paysannesqui sont en voie de disparition.Autrement dit, lors de crises politiques, quisont le résultat de la disparition d’unmonde traditionnel analphabète, très pieux,à fortes mortalité et natalité, le systèmefamilial est transposé en idéologie, c’est-à-dire en une conception des rapportssociaux, les rapports entre humains qui nese connaissent pas. Cette idéologie est trans-posée dans une version extrême lors d’unephase de transition, avant de s’exprimer demanière plus édulcorée dans une phase destabilisation (voir le schéma contre).

Dans La Troisième Planète6, E.Todd présente unpanorama mondial de la répartition des struc-tures familiales traditionnelles au moment deleur disparition7. Disparition qui commence auXVIIIe siècle en France et dans la plupart despays riches actuels, qui s’achève aujourd’huidans le monde arabe, et qui commence juste enAfrique. Ceci permet de représenter une carte du mondedes structures familiales et d’expliquer la com-munauté de destin politique qui touche despeuples aussi éloignés géographiquement quel’Allemagne et le Japon d’un côté, ou Cuba et laRussie de l’autre, que tout rapproche en réalitéanthropologiquement.

TYPOLOGIE FAMILIALEET POLITIQUE

Todd démontre que la famille communautaireexogame (=qui interdit le mariage entre cousins)est porteuse de valeurs d’autorité parentale etd’égalité entre frères (mais d’infériorité dessœurs, donc des femmes). Ces valeurs les pré-disposent à connaître une révolution communis-te dont l’idéologie est justement porteuse detelles valeurs d’autorité (du parti, de l’État) etd’égalité (des travailleurs). On retrouve en effetcette forme familiale en Russie, Chine, Vietnam,Cuba et dans des régions où le vote communis-te a été longtemps fort : Italie centrale, sud duPortugal, nord du Massif central en France. La famille communautaire endogame, caractéris-tique du monde arabe (surnommée pour cela“famille arabe” par les anthropologues) connaîtau contraire un fort pourcentage d’endogamie(c’est-à-dire de mariages entre cousins), ce quiproduit un univers familial refermé sur lui-même. Conséquence idéologique : la difficultéd’édification d’un État : l’État est rendu inutileparce que la solidarité familiale se charge d’as-surer la protection des personnes. Ce serait en vertu de ce phénomène que cettestructure familiale a produit en son sein une reli-gion sans clergé : l’islam8. La famille souche se caractérise par ses valeursd’autorité parentale et d’inégalité entre frères etsœurs (seul l’aîné hérite des parents). Dans lacrise de transition politique, ces valeurs vont

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Le sociologueFrédéric Le Play(1806-1882), a étudiéles racines de laRévolution française(dont il réprouvaitles idéaux) à partir de l'étude desstructures familialespaysannes de laFrance du XIXe siècle.

5

La Troisième Planète.Structures familiales et systèmes idéologiques,1983, in La Diversitédu monde, Seuil, 1999.

6

Pour une explicationsur l'origine, la diffusion et larépartition de ladiversité des structures familialesdepuis le néolithiqueenEurasie, voirL'Origine des systèmesfamiliaux, op. cit.

7

Mais c'est justement lachute récente de cetaux d'endogamiedans certains paysarabes qui, pourTodd,expliquent le déclenchement des“révolutions arabes”,voir Allah n'y est pourrien ! : Sur les révolu-tions arabes et quelquesautres,arrêtsurimages.net,2011.

8

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produire une idéologie qui met en avant la hié-rarchie et la stratification sociale et racialeselon le principe : «si les frères ne sont pas égaux,les humains ne le sont pas et les peuples non plus».Quand la famille souche est implantée dans depetites régions au sein de plus vastes États-nations, elle favorise le particularisme : lesBasques, les Catalans, les Flamands, lesAlsaciens... Mais quand cette famille soucheest majoritaire à l’échelle d’un pays entier, elleprovoque un idéal du “peuple supérieur”.Todd y voit une explication du nazisme alle-mand ou du militarisme japonais des années1930, expressions paroxystiques des valeursd’autorité et d’inégalité de la famille souche. Ces valeurs s’incarnent ensuite sous une ver-sion apaisée dans des formes politiquescomme la social-démocratie allemande qui secaractérise par une acceptation des inégalités,vues comme naturelles, et recherchant plutôtun consensus typique du principe de cogestionallemande.La famille nucléaire absolue est une forme defamille nucléaire où les règles d’héritage sontaléatoires et où se pratique l’usage du testa-ment. On la trouve surtout dans le mondeanglo-saxon. Elle se caractérise par un principede non-égalité entre enfants, l’héritage se faitselon le bon vouloir des parents qui considè-rent leurs enfants comme différents les uns desautres. Ce principe mène à considérer lesautres peuples comme différents, et à promou-voir à l’extérieur, par exemple lors de la colo-nisation, une politique d’apartheid (vis-à-visdes noirs, des indiens...) et à l’intérieur, àaccepter le multiculturalisme comme organisa-tion de communautés cohabitant les unes àcôtés des autres, sans fusionner. Le deuxièmeprincipe très prégnant dans le monde anglo-saxon est celui de “liberté” qui débouche surun individualisme très enraciné et quiimplique une culture anti-État, ce dernier étantvu comme une menace pour les droits de l’in-dividu.

LA DIVERSITÉ DE LA FRANCEEnfin, la famille nucléaire égalitaire quiimplique un héritage strictement égal entre lesenfants, est la forme familiale qui conduit àune modernisation politique au nom desvaleurs de liberté et d’égalité. Cette forme étaitprésente dans le bassin parisien quand il fut lefoyer de la Révolution française, épisode histo-rique qui, pour E. Todd, n’est autre que la crisede transition de la France. Cette Révolutionporte le principe d’universalisme des droits del’Homme car elle considère tous les peuplescomme égaux, tout comme la famille nucléaireégalitaire considérait les enfants commeégaux. Cet universalisme a agi aussi aumoment de la colonisation française, qui a été

réalisée au nom d’une “mission civilisatrice”qui proclamait, pourrait-on dire avec ironie,que si tous les peuples sont égaux, tous méri-tent de devenir français. Nous avons là également l’origine de l’attache-ment français au principe “d’égalité deschances” : les citoyens doivent tous partirdans la vie avec les mêmes armes, comme lesfrères et sœurs partaient tous avec la mêmepart de l’héritage parental, chacun ensuite évo-luant selon son mérite personnel. Mais ce qui caractérise la France, c’est la diver-sité régionale de ses structures familiales : lapériphérie française est marquée par desformes de famille souche dans le sud-ouest, lenord et l’est, de famille nucléaire absolue dansl’ouest, et de famille communautaire dans lesud-est et le nord du Massif central. C’est cettediversité qui peut expliquer l’instabilité poli-tique française au XIXe siècle. Elle finira pars’apaiser au cours de la IIIème République, enréalisant une synthèse entre individualismeégalitaire et discipline, où l’État et la languefrançaise agiront comme éléments d’unifica-tion de cette France diverse9. Allant plus loin, E. Todd émet l’hypothèse quec’est parce que la France n’a pas d’unitéanthropologique qu’elle peut intégrer n’im-porte qui. Dans Le destin des immigrés10, consa-cré à l’étude de l’intégration des immigrésdans les pays occidentaux, il démontre la capa-cité française d’assimilation, soulignant no-tamment le fort taux de mariage mixte (entreimmigrés et natifs français) qui caractérise laFrance, surtout en comparaison de payscomme les États-Unis, le Royaume-Uni oul’Allemagne.

*À l’heure du bouleversement de la famille etde la globalisation, on pourrait croire que cettegrille d’analyse perd de sa pertinence.Pourtant, dans ses ouvrages ou prises de posi-tion récents, Emmanuel Todd démontre quedemeure une diversité d’appréhension del’économie et de la politique selon les peuplesqui peut s’expliquer pas des restes de cesstructures de pensée héritées des structuresfamiliales traditionnelles. Citons commeexemple la dichotomie au sein de l’UE entreune Europe du nord, attachée à la disciplinebudgétaire (discipline héritière du principed’autorité de la famille souche), et une Europedu sud, plus attachée à la consommation et lacréation de profit à court terme avec pourrésultat une balance commerciale négative,découlant des valeurs de la famille nucléairequi favorisent la satisfaction à court terme del’individu.Autant de pistes d’analyse utiles pour penserle monde d’aujourd’hui.

Nicolas KACZMAREK

L A G R A N D E R E L E V E - N° 1141 avril 2013 13

Pour une étude del’impact de cettediversité ancienne surla France d’aujour-d’hui, voir Le mystère français, le dernier ouvraged’Emmanuel Toddavec Hervé Le Bras,éd Seuil, La République des idées,mars 2013.

9

Le destin des immigrés,Seuil, 1994.

10

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Voilà que la GR se fourvoie, à l’instar du gouver-nement dans un sujet délicat. On se demande, àla lecture de ces réflexions si ce gouvernement etson président les avaient assimilées avant de selancer tête baissée comme ils l’ont fait.En tous cas le sujet avait-il sa place (et sur 7pages !) dans la GR ? Je n’en suis pas sûr.On remarque que les auteurs en profitent pourglisser subrepticement quelques unes de leurs«vérités» :Guy Evrard :page 8 : «le couple homme-femme, plus tard rigi-difié par le lien du mariage sous la pression reli-gieuse»...page10 : «refuser l’Alliance civile que la droiteproposait» (alors qu’il n’y a pas qu’elle)...Je me demande aussi s’il ne fallait pas éviter dereprendre des formules comme celle de F. Héritierpage 10 : «l’instauration de la nécessité exoga-mique et de la valence différentielle des sexes»...Ce genre de vocabulaire n’a rien de lumineuxpour éclairer le débat.

Je pense que le fond de la question se trouve sim-plement dans l’attitude d’une humanité quiprétend ou non pouvoir s’affranchir de seslimites (ici face à la différence sexuelle)... unpeu comme elle le fait dans d’autres domainescomme face aux limites environnementales, aveu-glée par la «liberté d’entreprendre». Puisqu’on y est, ci-joint quelques autresréflexions...qu’il ne me serait pas venu à l’espritd’envoyer autrement.Je renouvelle quand même mon abonnement...avec un peu de réticence.

G.G., La TroncheLes pièces jointes par notre lecteur à son courrielétaient : • “Mariage homosexuel, homoparentalité et adoption :ce qu’on oublie de dire” par le Grand Rabbin deFrance, • une liste de citations de «personnalités de gaucheopposées au mariage pour tous», • “Le mariage gay ou la dictature de la confusion” parBertrand Vergely.

L A G R A N D E R E L E V E - N° 1141 avril 2013

T R I B U N E D E S L E C T E U R S

NN’’eessttiimmaanntt ppaass ““nnoouuss ffoouurrvvooyyeerr””,, nnoouuss aavvoonnss ddeemmaannddéé àà ll’’aauutteeuurr ddeell’’aarrttiiccllee ddee rrééppoonnddrree,, ssuurr llee ffoonndd,, àà ccee lleecctteeuurr…… VVooiiccii ssaa rrééppoonnssee ::

Nous adressant la critique suivante, un fidèle lecteur définissait ainsil’objet de son courriel : ««MMaarriiaaggee ppoouurr ttoouuss»» ((oouu ««ddeess eennffaannttss ppoouurrlleess hhoommooss»»)). Il réagissait à l’article de GUY EVRARD dans la GR 1140 demars, qui, en réalité, était intitulé : AApppprrooffoonnddiirr ll’’ééggaalliittéé ::

Mon article s’intitulait Approfondir l’égalité etnon «Mariage pour tous (ou des enfants pour leshomos)» comme vous le désignez sans beaucoupd’élégance. Il s’agissait donc, dans mon esprit,d’un travail de réflexion sur un sujet qui me sem-blait pouvoir s’inscrire dans le champ de l’éman-cipation humaine, même s’il est, pour l’heure,objet de controverse. À ce titre, il trouvait toute saplace dans La Grande Relève qui est, rappelons-le, un «mensuel de réflexion socio-économique ...».L’implication sociale est évidente. L’implication économique est un risque lié notam-ment à une extension sans limite de la procréationmédicalement assistée (PMA), tant le néolibéralis-me, en crise ou non, est à l’affût de toutes lesopportunités d’élargir le domaine marchand. LaGR s’est donc d’autant moins fourvoyée que le

parti avait été pris de chercher des bases deréflexion, car le sujet est difficile et effectivementinhabituel dans notre journal, plutôt que de déli-vrer une position sans nuance. La GR ne se faitévidemment pas le porte-voix des mouvementsLGBT, qui n’ont pas besoin de notre journal pourexposer leurs positions. Ils pourraient biend’ailleurs nous reprocher de ne pas défendre lalégitimité de leurs revendications. Reconnaissezque je ne me suis pas placé sur ce terrain.Sur le fond, c’est bien dans le cadre de la luttepour cette émancipation humaine, à laquelle laGR a la volonté de contribuer depuis sa création,que j’ai proposé d’inscrire la réflexion sur les dif-férentes dimensions du sujet (modes de procréa-tion, filiation, droits des conjoints, droits desenfants...). Justement pour que le lecteur puisse

La Grande Relève se fourvoie

Non, el le cherche à approfondirla réflexion sur la société humaine

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JE M’ABONNE À .. . . . . EXEMPLAIRE(S) DE LA GRANDE RELÈVE À PARTIR DU N° . . . . . . . . .VOICI COMMENT RÉDIGER MON ADRESSE, SELON LES NORMES IMPOSÉES PAR LA POSTE :

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France (régime intérieur pour la Poste. . . .23 euros.soutien :+ 14 euros par an par exemplaire en plus chaque mois)

DOM . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .25,45 euros.TOM . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .29 euros.

Extérieur, suivant les zones définies par la Poste. Zone 1 (Allemagne, Italie, Bénélux) . . . . . .27,80euros.Zone 2 (Espagne, Royaume-Uni, Suisse) . .27,15euros.Zone 3 (Canada, États-Unis) . . . . . . . . . . . .28 euros.Zone 4 (Autre Europe, Afrique, P-, M-Orient). 27,50euros.Zone 5 (Amérique du Sud) . . . . . . . . . . . . .29,90euros.

R È G L E M E N T S :

mesurer la légitimité de ces transformations enregard des autres attentes sociales de notre époque. En approuvant d’ailleurs le fait que les droits del’enfant doivent dominer en toute circonstance larevendication d’un droit à l ’enfant . Des droitsde l’enfant dont le périmètre évolue en mêmetemps que la société et qui demandent eux aussiune réflexion et une observation dans la durée.

Je reconnais en effet à l’anthropologie, mais pas àcette seule science, des compétences pour nouséclairer sur la frontière de plus en plus diffuse entrenature et culture, dans la mesure où les prises deposition ne sont pas celles d’experts auto procla-més ou désignés, mais résultent de travaux soumisau jugement des pairs de la discipline. J’ai ainsidécouvert que notre mode de filiation (dite cogna-tique) n’était pas majoritaire. On peut évidemmenty rester attaché et je n’ai pas vraiment aujourd’huide point de vue personnel sur cette question essen-tielle. Mais je récuse ici tout développement inspi-ré de convictions religieuses comme dans deuxréférences que vous citez.

J’ai lu avec attention l’article de Bertrand Vergely.Ce texte mériterait une analyse détaillée. Maisprendre prétexte des dangers de «la fiction promé-

théenne» de «fabriquer un homme nouveau grâceà la Science et au Droit» pour verrouiller touteévolution de la société, fait partie de ces excès depropos qui ont vocation à maintenir l’aliénationdes peuples. Il n’empêche que la science et le droitsont deux outils essentiels, à condition d’être mani-pulés avec le souci d’approfondir sans cesse ladémocratie.

Bien sûr, comme vous le dites, que «le fond de laquestion se trouve simplement dans l’attituded’une humanité qui prétend ou non pouvoir s’af-franchir de ses limites (...)», peut-être pas «sim-plement», mais c’est bien en s’interrogeant en per-manence sur ces limites, qui ne sont pas établiesune fois pour toutes, que l’homme trouve peu àpeu son chemin. Cependant, et je me répète, il mesemble que les bonnes réponses ne se trouvent quesi ces questions sont posées avec la volonté perma-nente d’émancipation, ce à quoi ne nous encouragegénéralement pas le système politique dominant,sauf peut-être lorsqu’une avancée bien contrôléeouvre la perspective d’un nouveau domaine mar-chand !

GUY EVRARD

L E C T E U R S

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L A G R A N D E R E L E V E - N° 1141 avril 201316

CE QUE NOUS PROPOSONS :

En résumé, il s’agit de rendrefinancièrement possible ce qui est utile,souhaitable, matériellement et écologi-quement réalisable.

Pour cela, il faut que la monnaieactuelle soit remplacée par une monnaiequi ne circule pas pour qu’on ne puissepas la “placer” pour “rapporter”.

Cette monnaie “distributive”,émise par une institution publique, estun pouvoir d’achat qui s’annule quandon l’utilise (comme un ticket de trans-port), et elle laisse au consommateur laliberté de ses choix. La masse monétaire est créée et détruiteau même rythme que la production, cesdeux flux permanents s’équilibrent.

C’est alors aux citoyens de déci-der, à l’échelle appropriée, de ce qui seraproduit et dans quelles conditions, et del’importance relative des trois parts à fairedans la masse monétaire :• pour financer la production, • pour assurer les services publics (carimpôts et taxes n’existent plus), • pour verser à chacun un revenu garan-ti qui leur permette de vivre libre.

Les décisions prises n’ayant ainsiplus de retombées financières person-nelles, l’intérêt général prime enfin surl’intérêt particulier, la démocratiedevient réalité.

SUGGESTIONS D E L E C T U R E S

• JACQUES DUBOINExtraits choisis dans son œuvre (1 euro).

• ET SI ON CHANGEAIT ?Bande dessinée par J.VIGNES-ELIE (3,8 euros).

• LES AFFRANCHIS D E L’A N 2000Un roman de M-L DUBOIN qui, à l’aide d’exemples, explique lesmécanismes de l’économie distributive et montre ce qu’elleapporte à la société (16,70 13 euros).

• MAIS OÙ VA L’ARGENT ?l’étude, par M-L Duboin, de lafaçon dont la monnaie est deve-nue cette monnaie de dette quiempêche toute véritable démo-cratie, suivie de propositionspour évoluer.(édition du Sextant, 240 pages, 14,90 13 euros).

• D’anciens numéros sont disponibles (1 euro)• Des textes , épuisés sur papier, sont té léchar-geables sur notre s i te internet . Par exemple :• UN SOCIALISME À VISAGE HUMAINle texte d'une conférence d’AN D R É PR I M E.

Tous les prix indiqués ic i sont franco de port .

La Grande RelèveFFoonnddéé eenn 11993355 ppaarr JJaaccqquuee ss DDUUBBOOIINN

DDiirreecc tt iioonn ee tt mmii ss ee eenn ppaaggee ss :: Marie-Louise DUBOIN

RRééddaacc tt iioonn : les abonnés qui le souhaitent, tous bénévoles.

Les manuscrits sont choisis par le comité de lecture

et ne sont pas retournés.GGrraapphhiissmmee : Anne-Laure WITSCHGER.

IImmpprriimméé à Toulouse par Imprimerie 34 Adresse postale : 88 Boulevard Carnot 7 8 11 0 L e V é s i n e t

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