FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Executive … · association et celle d’y poursuivre, comme directeur...

285
FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Executive Master Promotion 2007 - 2009 Direction : Jean-Louis LAVILLE, Directeur du Laboratoire du Changement des Institutions (LSCI) CNRS-Paris DOSSIER DE SOUTENANCE PUBLIQUE Prénom : Jean NOM : LAVOUÉ Date de la soutenance : Titre du mémoire : «Conduite du changement en matière de gouvernance et de dirigeance associative au sein de la Sauvegarde 56 » Nom du tuteur : Fabrice Traversaz, Enseignant-chercheur LISE-CNRS

Transcript of FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Executive … · association et celle d’y poursuivre, comme directeur...

FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Executive Master

Promotion 2007 - 2009

Direction :

Jean-Louis LAVILLE, Directeur du Laboratoire du Changement des Institutions (LSCI) CNRS-Paris

DOSSIER DE SOUTENANCE PUBLIQUE

Prénom : Jean NOM : LAVOUÉ

Date de la soutenance :

Titre du mémoire :

«Conduite du changement en matière de gouvernance et de dirigeance associative au sein de la Sauvegarde 56 »

Nom du tuteur : Fabrice Traversaz, Enseignant-chercheur LISE-CNRS

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

2

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

3

TERRAIN D’ENQUÊTE :

Maison Pour Tous d’Argenteuil (95)

NOTE DE LECTURE:

Jacques Généreux, La Dissociété, Ed. du Seuil, Paris, 2006

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

4

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

5

Sommaire

INTRODUCTION GÉNÉRALE 11

CERTIFICAT I – NOTE DE LECTURE 21

LA DISSOCIÉTÉ, OUVRAGE DE JACQUES GÉNÉREUX 21

ASSOCIATIONS D’ACTION SOCIALE ET DISSOCIÉTÉ 23 SYNTHÈSE DE L’OUVRAGE DE JACQUES GÉNÉREUX : LA DISSOCIÉTÉ 24 L’état du monde : de la guerre économique à la guer re incivile… 25 Problématique de la dissociété 27 Les dix piliers fondateurs de l’édifice néolibéral 30 LE MODÈLE NÉO-LIBÉRAL : LES FRAGILES RAISONS D ’UN SUCCÈS ! 32 Pour un sursaut des consciences ! 36 DISSOCIÉTÉ ET TRAVAIL SOCIAL 37 PAR-DELÀ LA DISSOCIÉTÉ , LA PERSISTANCE DU DON … 41 POUR CONTRIBUER À LA RÉFLEXION SUR LA GOUVERNANCE ASSOCIATIVE … 44 Pouvoirs publics et gouvernance 47 L’innovation associative en matière de gouvernance 48 La dimension politique et citoyenne de la gouvernan ce associative 48 Enjeux intersubjectifs de la gouvernance associativ e 49 EN CONCLUSION… 50

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

6

CERTIFICAT II – DIAGNOSTIC D’UNE ASSOCIATION 53

DIAGNOSTIC DE LA MAISON POUR TOUS D’ARGENTEUIL : 53

L’ANALYSE IDENTITAIRE ET CULTURELLE 53

INTRODUCTION 55

DES GROUPES D’ACTEURS AUX IDENTITÉS DIFFÉRENTES 56

LA DIRECTION 57 LES SALARIÉS 59 LES MEMBRES DU C.A. 61 LES USAGERS DES ACTIVITÉS CULTURELLES ET LES BÉNÉFICIAIRES DE L ’ACTION SOCIALE 63

LÉGITIMATION DES ACTEURS DU FAIT DE LEUR « IDENTITÉ ENGAGÉE » 65

LES ACTEURS SE STRUCTURENT AUTOUR DE LA LÉGITIMITÉ DE L ’ENGAGEMENT 65 ENGAGEMENT : ÉLÉMENT DE COHÉSION – ÉLÉMENT MOBILISATEUR DU LIEN SOCIAL À LONG TERME 67

LES INGRÉDIENTS DU LIEN SOCIAL 67

DES TRAITS COMMUNS 67 IDENTITÉ FÉMININE DANS TOUS LES GROUPES D’ACTEURS 67 « PARCOURS DE VIE », RÉPARATION, REFUGE, DÉRACINEMENT, DEUIL 68 IDENTITÉ TERRITORIALE (LA DALLE) ET SOCIALE (IMMIGRATION ) ET HISTORIQUE (BIDONVILLE ) 70 BRASSAGE DES STATUTS : ON PASSE DU BÉNÉVOLE AU STATUT DE SALARIÉ, DE BÉNÉVOLE À

USAGER… TOUT EST POSSIBLE 71 DIMENSION FAMILIALE DE LA MPT : 71 ON RETROUVE DES RACINES, ON APPARTIENT TOUS À QUELQUE CHOSE DE COMMUN 71 RECOURS À UNE MÉMOIRE COLLECTIVE 72 VALORISATION DES HISTOIRES DE VIE INDIVIDUELLES 73

LES VALEURS 73

VALORISATION DES PERSONNES ET DES COMPÉTENCES 74 VALORISER UN TERRITOIRE PAR LES COMPÉTENCES DÉGAGÉES PAR LE TERRITOIRE : « REGARDEZ TOUT CE QU’ON SAIT FAIRE ET ON LE FAIT ENSEMBLE ». 74

LES PRINCIPES D’ACTION 75

PAR RAPPORT AUX HABITANTS : 75

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

7

NÉCESSITÉ DE FAIRE PARTIR LES CHOSES « D’EN BAS » 75 A DESTINATION DE TOUS 75 PAR RAPPORT AU TERRITOIRE : 76 VOLONTÉ DE METTRE EN PRÉSENCE DES ACTEURS TRAVAILLANT DANS LES MÊMES CRÉNEAUX

76

LE PROJET ASSOCIATIF 78

EVOLUTION 79 DES STATUTS AU PROJET SOCIAL 79 QUID DU PROJET ASSOCIATIF, TOUT LE MONDE EN PARLE MAIS PERSONNE NE L’A, ILS ONT JUSTE

LE PROJET SOCIAL (CAF), LE PROJET ASSOCIATIF AGIT DANS L’ INCONSCIENT ET EST INCARNÉ, INTÉRIORISÉ PAR DES PERSONNES ; 79

CONCLUSION 82

CERTIFICAT III– SCENARIO DE CHANGEMENT 85

SCENARIO DE CHANGEMENT DE CRÉATIVITÉ 85

MAISON POUR TOUS D’ARGENTEUIL 85

INTRODUCTION 87 OBJECTIFS 87 ACTIONS À CONDUIRE DANS LE DOMAINE DE L ’HYBRIDATION DES RESSOURCES DE LA MPT 88 Améliorer les ressources marchandes 88 Actions dans le domaine non marchand 90 Les ressources non monétaires 90 FORMES DE PARTICIPATION 911 En matière de vie associative et de référence à l’i nstance politique de la Maison Pour Tous 91 L’A SSOCIATION DANS L ’ESPACE PUBLIC 94 VERS UNE PRATIQUE PERMANENTE DE L ’EVALUATION 95

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

8

CERTIFICAT IV– RETOUR SUR L’EXPERIENCE 97

INTRODUCTION 99

I - ANALYSE INSTITUTIONNELLE DE L’ASSOCIATION SAUVE GARDE 56 103

I – 1935- 1951 LA PRÉHISTOIRE : UNE LOGIQUE D’AIDE ÉMERGENTE DANS LE SILLAGE D’UNE LOGIQUE PUBLIQUE 105

I – 1 LES ÉVÉNEMENTS MARQUANTS DE LA PHASE D’ÉMERGENCE : 1935-1951 105 Aux origines de l’association : le moment fondateur 105 Première ébauche d’une réponse professionnelle 111 Création du premier établissement : le centre de Ke rforn 112 I-2 L’ANALYSE INSTITUTIONNELLE DE LA PHASE D’ÉMERGENCE 1935 – 1951 114 Les éléments de l’analyse institutionnelle 114 Une logique d’aide 115 Enjeux de dirigeance et de gouvernance 118

II - 1952 – 1975 CRÉATION DE LA SAUVEGARDE : VERS U NE PROFESSIONNALISATION DE L’ACTION SOCIALE 121

II - 1 L’ÉMERGENCE D’UNE LOGIQUE PUBLIQUE SUBSÉQUENTE 121 De la société de protection à l’association de Sauv egarde 121 L’invention des métiers du social : début de constr uction du modèle professionnel et mouvement de qualification 122 Création des premiers établissements et unification départementale de l’association 123 Un nouveau style de dirigeants 125 Vers une organisation départementale 128 Une présidence politique 131 II – 2 L’ÉVOLUTION INSTITUTIONNELLE DE LA SAUVEGARDE : UNE LOGIQUE D’ADAPTATION AUX EXIGENCES PUBLIQUES 134

III-1975 – 2002 RATIONALISATION ORGANISATIONNELLE E T GESTIONNAIRE ET RÉSISTANCE DU MODÈLE CORPORATISTE DE DÉVELOPPEMENT 137

III – 1 UNE NOUVELLE LOGIQUE SUBSÉQUENTE DE TYPE « ENTREPRENEURIAL » 137 Création de la direction Générale 137 Le déplacement de la Sauvegarde vers le champ de l’ insertion des adultes 140 L’approfondissement clinique et les logiques corpor atistes dans le champ de la protection de l’enfance 144 Donner du sens à l’association 148 III – 2 ANALYSE INSTITUTIONNELLE DE LA NOUVELLE PHASE D’ADAPTATION 150 Une logique subséquente de développement entreprene urial 150 Les tentatives de déplacements de l’encastrement po litique : d’une régulation tutélaire à une régulation d’insertion de plus en p lus concurrentielle 154

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

9

IV – 2002-2009 L’ADMINISTRATION TERRITORIALISÉE D E L’ACTION SOCIALE ET LES NOUVEAUX ENJEUX DE LA GOUVERNANCE ASSOCIATIV E 159

IV-1 CRISE DU MODÈLE CORPORATISTE ENTREPRENEURIAL 159 La Sauvegarde 56 face au renforcement des contraint es publiques locales 159 Crise de la logique d’action dans le champ de l’ins ertion. 163 Crise des modèles pédagogiques de l’internat 165 IV – 2 UN PROJET ASSOCIATIF POUR ÉLABORER UN NOUVEAU CADRE D’ORGANISATION ET D’ACTION 168 D’une organisation segmentée à une organisation en réseau 168 L’évolution de l’organigramme associatif 171

II 175

CRISE DU MODÈLE HISTORIQUE : 175

L’HEURE DU CHOIX POUR LES ASSOCIATIONS D’ACTION SOC IALE 175

INTRODUCTION 177

I - LA REDÉFINITION DE L’ENCASTREMENT POLITIQUE DES ASSOCIATIONS D’ACTION SOCIALE ET LES NOUVEAUX ENJEUX DE LA GOUVE RNANCE ASSOCIATIVE 181

LES POUVOIRS PUBLICS À LA RECHERCHE DE NOUVEAUX MODES DE RÉGULATI ON ENTRE GESTION TECHNOCRATIQUE ET PILOTAGE TERRITORIAL 181 LES NOUVEAUX ENJEUX DE GOUVERNANCE ASSOCIATIVE PROMUS PAR LA TRANSFORMATION DES POLITIQUES PUBLIQUES 185 L’AMBIVALENCE FONDAMENTALE DU CONCEPT DE GOUVERNANCE 187

II - POLITIQUES PUBLIQUES ET ASSOCIATIONS : LES TER MES D’UN NOUVEAU PACTE SOCIAL 191

ORGANISATION COOPÉRATIVE ET DÉMOCRATIE ASSOCIATIVE 191 UNE ORGANISATION COOPÉRATIVE ARTICULÉE AUX POLITIQUES PUBLIQUES A U SERVICE DES USAGERS 193 L’ENJEU DE LA CO -CONSTRUCTION D’UNE RÉGULATION CONVENTIONNÉE ENTRE POLITIQUES PUBLIQUES ET ASSOCIATIONS 195 VERS UN VÉRITABLE PROJET DE GOUVERNANCE ASSOCIATIVE POUR LA SAUVEGARDE 56 MOBILISANT TOUTES LES PARTIES PRENANTES DE L ’ASSOCIATION 199

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

10

III - UN NOUVEAU PARADIGME POUR L’INSTITUTION EN AC TION SOCIALE 205

LES ASSOCIATIONS D ’ACTION SOCIALE AU DÉFI D ’ENTREPRENDRE ! 205 UN NOUVEAU PARADIGME IMPLIQUANT UNE NOUVELLE STRATÉGIE DE PILO TAGE INSTITUTIONNEL 207 LES MUTATIONS DU TRAVAIL SOCIAL 209 LA GOUVERNANCE DE L ’ACTION SOCIALE 212 DE NOUVELLES RÈGLES INSTITUTIONNELLES 218 QUELQUES REPÈRES ÉTHIQUES POUR ORIENTER L ’ACTION 224 ADMINISTRATIONS PUBLIQUES ET ASSOCIATIONS D ’ACTION SOCIALE FACE AU DÉFI TECHNOCRATIQUE 227

CONCLUSION GÉNÉRALE : POUR UNE REFONDATION DES INST ITUTIONS INTERMÉDIAIRES EN ACTION SOCIALE 235

LA RESSOURCE DES ASSOCIATIONS D ’ACTION SOCIALE EST ENTRE LEURS MAINS ! 235

ANNEXES 249

ANNEXE 1 251 EXTRAITS DU RAPPORT MORAL PRÉSENTÉ À L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE 2009 251 Vers une nouvelle gouvernance associative 251 ANNEXE 2 255 EXTRAITS DU RAPPORT D’ACTIVITÉ PRÉSENTÉ À L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE 2009 255 La Sauvegarde 56, une organisation coopérative au service de la gouvernance associative 255 ANNEXE 3 263 ORGANIGRAMMES ÉVOLUTIFS DE LA SAUVEGARDE 56 1993-2009 263

TABLE DES SIGLES 279

BIBLIOGRAPHIE 281

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

11

Introduction générale

Ce mémoire réalisé dans le cadre de l’Exécutive Master de Sciences Po Paris sur les

changements associatifs s’inscrit dans le prolongement d’un parcours de formation

précédent qui m’avait conduit à occuper, à partir d’octobre 2002, la fonction de

directeur général de l’association Sauvegarde 56. Cette formation s’était déroulée dans

le cadre de l’Association pour la Recherche et l’Intervention Psychosociologique à

Paris (ARIP). Il s’agissait, là aussi, d’une formation portant sur le changement des

organisations mais cependant davantage centrée sur les dynamiques psychosociales à

mobiliser en vue d’un tel changement. J’avais ainsi réalisé, dans le cadre de cette

formation, un travail sur la structure charismatique de l’association où j’exerçais alors

les fonctions de directeur d’un service d’action éducative en milieu ouvert. Cette

analyse du changement d’une structure de type charismatique, le terme étant alors à

entendre sur le plan psychosociologique d’une organisation caractérisée par une

centration forte de toutes les relations et des logiques d’acteurs sur la personnalité du

dirigeant1, avait été sous-tendue notamment par la conduite d’une action concrète en

vue du changement de la structure qui se trouvait alors marquée par un contexte de

crise des internats éducatifs, par une interrogation forte et préoccupante sur les

ressources, notamment du fait de déficits répétés sur des actions innovantes

d’insertion, et par la perspective du départ prochain du dirigeant à la retraite. Ce

mémoire réalisé en 2000, « Structure charismatique et changement, l’exemple de la

Sauvegarde du Morbihan »2, m’avait alors permis de poser les bases d’une conduite

du changement de l’intérieur même d’une organisation. Il laissait entièrement ouverte

la question de ma place en tant que membre de l’équipe dirigeante de cette

association et celle d’y poursuivre, comme directeur de service, parmi les autres

acteurs, les changements amorcés. Nommé cependant en 2002 directeur général de

l’association, après une longue période de recrutement révélatrice de la phase

délicate que connaissait la structure à l’occasion du départ de son dirigeant en poste

1 Eugène Enriquez, « Structures d’organisation et contrôle social », Connexions N° 41, Toulouse, Erès et L’organisation en analyse, Paris, PUF, 1992. 2 Jean Lavoué, Structure charismatique et changement, l’exemple de la Sauvegarde du Morbihan, Mémoire de fin de cycle de psychosociologie clinique à l’ARIP, Paris, 2000.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

12

depuis près de trente ans, j’ai été conduit à approfondir, dans une autre fonction et

donc à partir d’une autre place, le travail de changement engagé comme membre de

l’équipe de direction de la Sauvegarde 56 sur la base de la formation à l’intervention

psychosociologique de l’ARIP.

La formation au cycle sociologique de Sciences Po sur les changements associatifs

m’a permis de confronter les éléments de cette analyse à une nouvelle grille de lecture,

davantage sociologique et économique, me permettant à la fois d’élargir les points de

vue et de reprendre certains aspects trop rapidement abordés au cours des travaux

antérieurs. Elle m’a permis notamment de donner beaucoup plus d’épaisseur à la

dimension institutionnelle de l’association, comme organisation professionnelle mais

aussi comme espace politique et public, et de prendre en compte plus largement

l’ensemble de ses parties-prenantes mobilisées dans les processus de changement.

Cette formation complète donc, ce qui était mon souhait, l’approche impliquée du

changement développée dans le cadre du cycle psychosociologique de l’ARIP,

essentiellement centrée sur la dimension inconsciente des structures

organisationnelles et, en ce qui concerne la Sauvegarde du Morbihan, sur l’émergence

de la figure de son dirigeant. Les approches théoriques, portant notamment sur

l’économie sociale et solidaire, mais aussi le diagnostic collectif conduit sur le centre

social d’Argenteuil, ont considérablement enrichi et élargi la vision du changement

notamment autour des multiples stratégies d’acteurs et des dimensions identitaires et

culturelles que l’analyse de Renaud Sainsaulieu3 présentée dans le cycle de Sciences

Po permettait cette fois d’aborder, et surtout des enjeux de gouvernance associative

auxquels la présente analyse est cette fois-ci consacrée.

J’ajouterai que l’ensemble de mon parcours professionnel a été scandé par des temps

forts de formation continue centrés sur cette question du changement. En 1986, mon

mémoire de Diplôme Supérieur en Travail Social et de maîtrise en sciences sociales

appliquées au travail, effectué dans le cadre d’un parcours de formation continue à

l’université de Caen, avait pour titre : « Les travailleurs sociaux, acteurs du

changement social ? »4. C’est sur la base de cette formation que j’ai quitté le service

public de l’Education Surveillée pour venir diriger, en 1989, le service éducatif en milieu

3 Françoise Piotet, Renaud Sainsaulieu, Méthodes pour une sociologie de l’entreprise, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, ANACT, Paris, 1994. 4 Jean Lavoué, Les travailleurs sociaux, acteurs du changement social ?, Mémoire de Diplôme Supérieur en Travail Social, Université de Caen, 1986.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

13

ouvert de la Sauvegarde 56. L’objet de recherche s’est donc déplacé au gré de mon

parcours professionnel : des travailleurs sociaux acteurs du changement, je suis

passé, avec le mémoire de l’ARIP en 2000, à la question de la transformation

structurelle d’une organisation professionnelle et de ses modalités de dirigeance.

L’enjeu du changement était, en résumé, de faire évoluer l’organisation d’une structure

charismatique à une structure coopérative. La conception de l’association se réduisait

alors pour l’essentiel dans ce travail à une organisation de services techniques. Cette

conception se trouvait largement en phase avec les représentations des acteurs de ces

associations sociales et médico-sociales lors de cette période de professionnalisation

qui a précédé le cycle actuel de redéfinition par l’Etat des règles du jeu en matière de

gestion des organisations sociales. Dans le cadre de la formation à Sciences Po sur

les changements associatifs, sans négliger les composantes du changement traitées

antérieurement, c’est avant tout l’inscription sociopolitique de l’association qui est

devenue, à mes yeux, l’enjeu essentiel du changement à un moment où les politiques

publiques affirment une maîtrise totalement renouvelée des normes d’encadrement.

C’est de cette inscription que traite essentiellement l’analyse institutionnelle qui va

suivre. En écrivant ces pages, j’ai eu ainsi un peu le sentiment de relire l’ensemble

d’un parcours professionnel, dans un contexte social qui s’est lui-même, en trente ans

beaucoup déplacé. Je constate que les questions sur l’identité du travailleur social

comme acteur de changement qui étaient les miennes au début des années 80, alors

que j’exerçais dans un service public, sont devenues au cours des années 90, avec

mon changement d’environnement professionnel et de fonction, des questions sur

l’exercice partagé de l’autorité comme vecteur de transformation des organisations,

avant d’évoluer, au cours de ces années 2000, vers l’association comme espace

institutionnel et politique d’intermédiation et de changement social. Une même question

donc, celle du changement social, de ses conditions de réalisation, et de ses liens avec

l’action sociale, déclinée à travers des angles de vue différents en fonction des

cultures, des fonctions et des périodes considérées. Ainsi les questions que nous

portons nous permettent-elles d’avancer, tandis qu’autour de nous nos environnements

eux-mêmes ne cessent par leur propre mouvement de renouveler la portée de nos

interrogations. Faire « mémoire », c’est donner un peu de perspective et de champ au

parcours dans lequel nous sommes engagés en se donnant la chance d’une plus

grande intelligibilité des processus avec lesquels nous interagissons.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

14

Ce mémoire reprend les travaux de l’ensemble du cycle de formation à Sciences Po. Il

relate également les étapes de mon parcours dans cette formation et des prises de

conscience qu’elle m’a permis de faire. L’enseignement théorique du premier

semestre, essentiellement consacré à une approche de l’économie sociale et solidaire,

constituait une prise de conscience par rapport à un parcours professionnel

essentiellement effectué sous le signe d’une approche technique en protection de

l’enfance, d’abord dans le cadre de l’administration publique de l’Education Surveillée

(aujourd’hui Protection Judiciaire de la Jeunesse) puis dans celui d’une association de

Sauvegarde dont on verra dans l’analyse institutionnelle qui va suivre combien, en

dépit de certains paradoxes, elle fait partie de ce type d’associations, les

« Sauvegardes », elles-mêmes profondément caractérisées par une régulation de type

« publique ». Ce décalage constamment ressenti entre formation théorique et terrain

m’a fait mesurer l’écart entre les enjeux auxquels je me trouvais confronté dans la

conduite d’une organisation professionnelle qu’il s’agissait alors pour moi, avec

l’ensemble des acteurs, de mieux gérer, coordonner et recentrer, et ceux dont la

formation nous faisait l’éloge et nous présentait l’enjeu en termes de développements

associatifs, d’initiatives et de solidarité. Il se trouve que l’association avait connu dans

la phase qui avait précédé ma prise de fonction à la direction une période de fort

développement dans les domaines de l’insertion qui rejoignaient les champs de

l’économie sociale présentés dans le cadre de la formation ; mais elle y avait subi

aussi de fortes turbulences, du fait de contraintes salariales trop lourdes et d’une

organisation mal préparée pour aborder les changements que supposaient ces

nouveaux secteurs d’activité. En outre la dynamique associative, malgré la création de

plusieurs associations filiales, n’avait pas véritablement accompagné ce

développement d’initiatives dans le champ de l’insertion. Les mêmes administrateurs

se retrouvaient dans les différentes filiales qui n’avaient pratiquement pas élargi le

cercle des adhérents de la Sauvegarde. Ils s’y usaient parfois au lieu d’y trouver le

vivier espéré pour renouveler la dynamique associative. L’initiative relevait par ailleurs

presqu’exclusivement de la sphère professionnelle et en particulier de quelques

acteurs de direction, avec un faible arrimage au reste de l’organisation. Celui-ci, du

coup, était laissé à son propre mouvement de renouvellement technicien peu

mobilisateur d’innovation sur toute cette période. Dans la phase de dirigeance que

j’entreprenais, la faiblesse des approches gestionnaires, organisationnelles et même

politiques dans la mesure où la dynamique associative s’était trouvée davantage

dispersée que renforcée par le dispositif en étoile élaboré, l’économie sociale et

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

15

solidaire apparaissait comme un contresens ou tout au plus comme une belle utopie

réservée à de micro-initiatives sociales dont une organisation de la taille de la

Sauvegarde 56, avec les contraintes qui étaient les siennes, ne pouvait plus guère

s’offrir le luxe. Pourtant ce développement dans le champ de l’insertion, s’il fut quelque

peu désordonné, n’était pas sans lien avec les fondements historiques et culturels de

l’association. Il préparait aussi sans doute d’autres étapes au cours desquelles celle-ci

viendrait refonder son dispositif en lien avec certaines intuitions de l’économie sociale

et solidaire. Ce mémoire cherchera à le montrer : au-delà du fait qu’il représenta une

sorte d’eldorado pour un entrepreneuriat professionnel bien décidé à résister aux

premières tentatives de régulation, de rationalisation et d’instrumentalisation des

associations d’action sociale par l’Etat, le champ expérimental de l’insertion fut aussi

un terrain d’essai pour des formes nouvelles de contractualisation entre les

administrations publiques et les associations. La trop grande liberté avec laquelle

l’association de Sauvegarde du Morbihan comprit et interpréta certaines règles du jeu

et essaya d’en jouer, mais aussi la manière dont les pouvoirs publics fixèrent

approximativement dans un premier temps ces dernières, tout en faisant régulièrement

appel à l’association sans prendre en considération ses caractéristiques et ses

contraintes, entraînèrent une rupture de l’équilibre alors recherché. Le décalage

ressenti lors de ce premier semestre de formation à Sciences Po, début 2007, entre ce

qui, d’une part, était enseigné et valorisé, à savoir les fondamentaux de l’économie

solidaire, et ce qui, d’autre part, devait constituer désormais l’essentiel de la conduite

du changement dans mon organisation, à savoir la réussite d’une transformation

organisationnelle susceptible de se traduire par des indicateurs de cohérence, de

rigueur budgétaire, et d’évaluation de la qualité largement négligés lors de la phase de

forte implication dans le champ de l’insertion, est devenu lors de la rédaction de ce

mémoire un axe de lecture privilégié de l’identité même de cette association dans son

interrelation avec les pouvoirs publics.

Les cours centrés sur l’anthropologie économique d’Alain Caillé5 et de Jacques

Généreux m’ont permis, les premiers, de faire le lien avec les enjeux de la conduite du

changement auxquels je me trouvais confronté. Elles interrogeaient une conception

dominante et instrumentale de l’action sociale dont la rationalisation et l’hyper-

normalisation constituaient plus que jamais les fondamentaux. La note de lecture sur

5 Alain Caillé, Anthropologie du don, Desclée de Brouwer, Paris, 2000.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

16

l’ouvrage de Jacques Généreux, « La Dissociété »6, a été pour moi l’occasion

d’aborder les fondements anthropologiques de l’économie traditionnelle reposant sur

une représentation essentiellement utilitaire et intéressée de l’individu. Or c’est bien

cette logique utilitariste que l’on voit essentiellement à l’œuvre en matière d’action

sociale, que ce soit en direction des usagers ou des professionnels. Tous les outils

développés par les politiques publiques ne visent-ils pas à promouvoir, par un système

toujours plus subtil de reconnaissance et de contraintes, des logiques d’action

utilitaires et intéressées pour les individus, susceptibles ainsi de les amener à rejoindre

le « bien commun » ? Mais qu’en est-il, au-delà de cet intérêt pour soi, de l’intérêt pour

l’autre, qu’en est-il des finalités de l’action humaine si seul l’intérêt pour soi devient le

vecteur d’un intérêt tout relatif pour l’ensemble ? C’est une visée du bien commun bien

réductrice et très peu ambitieuse que celle qui ne considère ce dernier que comme la

résultante des actions mobilisées en vue de la défense par chaque individu de son

intérêt bien compris ! Où est la solidarité, où est l’engagement volontaire, où prend

place le bénévolat, quelle est la part de l’économie non monétaire sur la base d’un tel

postulat ? Nul ne peut nier que nous sommes bien engagés, y compris en matière

d’action sociale, dans cette voie-là qui privilégie l’intéressement de chacun « pour soi »

davantage que son engagement « pour l’autre » ! La mise à la question des

associations d’action sociale de manière tout à fait ouverte, que l’on songe aux

rapports Langlais ou Morange (2008)7, dans leur capacité de gérer efficacement les

missions qui leur sont déléguées s’inscrit, avec quelle convergence aujourd’hui, dans

cette logique là ! A partir du moment où la logique du don, fondatrice du mouvement

associatif, non seulement se trouve relativisée mais, voire même, se trouve carrément

écartée dans la conception anthropologique qui sous-tend l’agir humain que ce soit

dans le champ économique et politique, mais désormais également dans celui des

services, et particulièrement concernant l’action sociale, il n’est pas surprenant de voir

totalement relativisés les valeurs, les cadres d’action, et notamment tout ce qui a trait à

la circulation du don entre personnes propres au monde associatif8. Comment

continuer à donner du poids et de l’importance au phénomène associatif avec ses

adhérents, ses bénévoles, ses administrateurs, ses usagers, ses partenaires citoyens

dans un domaine d’action sociale où, a priori, contrairement à ce qu’on peut observer

dans les associations de parents, nul n’a a priori d’intérêt particulier ni immédiat à

6 Jacques Généreux, La Dissociété, Ed. du Seuil, Paris, 2006. 7 Rapport Langlais, Pour un partenariat renouvelé entre l’Etat et les associations, juin 2010 ; Rapport Morange, Rapport sur la gouvernance et le financement des structures associatives, 1er octobre 2008. 8 Jacques T. Godbout, Ce qui circule entre nous, Donner, recevoir, rendre, Seuil, Paris, 2007.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

17

s’engager et à consacrer du temps aux autres ? Entre temps, la crise du militantisme et

la disparition des cadres sociaux, syndicaux, religieux, politiques, où se formaient

autrefois les militants de l’économie sociale et solidaire et en particulier des

associations œuvrant dans le champ social, est venue un peu donner raison à tous

ceux qui pensaient que, seule, la logique utilitaire mise en œuvre dans des cadres

normatifs, contractuels et financiers devait être désormais actionnée pour rendre plus

efficiente et rationnelle l’action sociale9. La note de lecture réalisée à partir de l’ouvrage

de Jacques Généreux, La Dissociété, rend compte, au-delà de la synthèse réalisée,

d’un premier état de mes réflexions en matière de gouvernance associative que le

présent mémoire vient reprendre, enrichir et développer. Finalement, au-delà d’un

certain hiatus d’abord observé entre l’initiation à l’économie solidaire et la gestion

quotidienne d’une organisation comme la Sauvegarde 56, ce sont bien les enjeux de

gouvernance associative, de fondements politiques de l’action, qui sont ressortis au

terme de ce parcours comme les véritables défis auxquels se trouvaient confrontées

aujourd’hui les associations d’action sociale face aux risques de plus en plus visibles

d’instrumentalisation au profit de la seule rationalisation utilitariste et administrative de

l’organisation professionnelle. C’est pourquoi ce mémoire vise, au contraire, à rouvrir

l’espace démocratique et citoyen en tant que creuset même de l’économie sociale et

solidaire, déplaçant l’intérêt des associations comme des pouvoirs publics de la logique

purement instrumentale vers celle de l’utilité sociale au sens large qui n’exclut pas la

logique du don, mais au contraire la suppose. C’est donc toute une réflexion sur le lien

social, et notamment sur l’alternative entre utilitarisme ou au contraire refondation d’un

lien interhumain et solidaire, qui se trouve là mobilisée dans l’analyse institutionnelle et

historique de cette association particulière qu’est la Sauvegarde 56.

Le diagnostic conduit dans le cadre d’un travail collectif sur le dispositif de la Maison

Pour Tous de la dalle d’Argenteuil m’a quant à lui permis de prendre la mesure à la fois

de l’unité mais aussi de la diversité des vecteurs mobilisés pour réaliser l’analyse

sociologique des organisations. Là où ma formation précédente en psychosociologie

de l’intervention m’avait surtout amené à mettre l’accent sur la culture et l’identité des

acteurs, à travers les grands systèmes d’organisation qui structuraient leurs logiques

inconscientes (bureaucratique, technocratique, charismatique, coopératif…), je

mesurais l’intérêt d’une approche multifactorielle, l’analyse institutionnelle, l’analyse

9 Intervention de Sandrine Nicourt sur la crise du militantisme et la question du bénévolat dans le cadre du cycle de formation de Sciences Po.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

18

des ressources, l’analyse stratégique, l’analyse de l’organisation venant, au fond,

ensemble permettre le vrai déploiement de l’analyse identitaire et culturelle. C’est

toutefois cette dernière partie du travail collectif, avec laquelle je suis plus

spontanément accordé, que je serai amené à rédiger dans le cadre du diagnostic, tout,

en sachant que la construction de la méthode et son application ont fait que chaque

membre du groupe a vraiment participé à l’ensemble de l’analyse. Il s’est trouvé que

cette structure de la Maison pour Tous d’Argenteuil présentait beaucoup de similitudes,

en dépit d’organisations très différentes, avec la culture charismatique de la

Sauvegarde du Morbihan au regard de laquelle j’avais entrepris ce travail de

changement. L’enjeu était, là aussi, de passer d’une organisation fortement identifiée à

des personnes, la directrice, l’ancienne présidente, avec des effets de transmission

sans transformation venant fragiliser l’ensemble de la structure et finalement faire

crise, à une organisation en réseau, davantage consciente de l’axe du changement à

mobiliser, avec de vraies délégations de responsabilité et des dispositifs de travail

réellement coopératifs. L’occasion, non seulement de vérifier une fois encore la

pertinence des éléments psychosociologique dans l’analyse des organisations, mais

encore de les mettre à l’épreuve d’une analyse beaucoup plus large à travers laquelle

l’histoire, les valeurs, les ressources, les stratégies d’acteurs, les cadres

organisationnels viennent donner à la recherche toute sa densité. En ce qui concerne

le scénario développé à l’issue de ce diagnostic, qui privilégie l’option d’un

« changement de créativité », il articule lui-même les enjeux de la participation des

parties-prenantes et la recherche de leur cohésion, enjeux que l’on retrouvera dans la

suite du travail comme l’une des clés d’un partenariat renouvelé entre associations et

politiques publiques.

Dans le cadre de l’analyse appliquée à la Sauvegarde 56, il ne m’était pas demandé en

référence aux consignes de rédaction du mémoire de reprendre l’ensemble des

champs développés lors du diagnostic sociologique réalisé pour la Maison Pour Tous

d’Argenteuil. C’est donc avant tout un travail d’analyse institutionnelle qui sera

présenté, faisant ressortir les grandes étapes du développement de cette association,

notamment autour de la problématique d’une gouvernance caractérisée, comme c’est

le cas pour l’ensemble des Sauvegardes, par une interrelation étroite avec les

politiques publiques. Toutefois, tout au long du développement, et notamment dans la

deuxième partie d’analyse et de synthèse, des points d’éclairage issus des différents

registres de l’analyse sociologique des organisations, viendront ponctuer la

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

19

présentation, permettant de faire ressortir en quoi les singularités de cette association,

notamment sur les plans identitaires et culturels, peuvent continuer à constituer pour

l’avenir ses meilleurs atouts, y compris dans sa relation avec les pouvoirs publics, et

permettre ainsi de refonder une certaine ambition associative.

L’ensemble du parcours effectué dans le cadre de l’Exécutive Master de Sciences Po

sur les changements associatifs, me ramène donc bien, au final, à l’analyse du

changement au sein de l’association que je dirige. L’hypothèse sur laquelle je

m’appuierai pour structurer l’analyse institutionnelle que je présente est que la

Sauvegarde 56, comme la plupart des associations de ce type, se trouve placée

aujourd’hui à un carrefour, mais les pouvoirs publics aussi avec elle. Ou bien elle

parvient à refonder, sur la base d’une conception citoyenne et démocratique de son

rôle, son projet associatif en l’ancrant dans la société civile, sur les territoires, dans une

relation renouvelée à l’usager, et les pouvoirs publics reconnaissent en elle cette utilité

sociale promue au-delà de la seule prestation de service, ce que nous appellerons plus

loin une régulation conventionnée entre politiques publiques et associations ; ou bien

elle n’effectue pas cette refondation, et elle devra s’inscrire durablement dans le cadre

d’une régulation de type tutélaire que les différentes tentatives de développement et

d’initiatives solidaires dans le champ de l’insertion ne lui auront, en fin de compte, pas

permis de quitter vraiment, faute sans doute d’avoir suffisamment considéré l’enjeu de

la composante politique propre au champ associatif. A cet égard, s’il fallait que cette

seconde alternative soit retenue, on pourrait considérer que le cadre associatif mérite

vraiment, en tant que tel, d’être interrogé en matière d’action sociale et médico-sociale

comme beaucoup sont tentés de le faire en ce moment, y compris parmi les acteurs

associatifs eux-mêmes. Mais, considérant qu’une part d’utopie est nécessaire pour

atteindre ce qui ne paraissait pas, d’emblée, aisément possible, ce n’est pas

l’hypothèse que nous privilégierons.

Les différents certificats qui composent ce mémoire, s’ils constituent des séquences

bien différenciées du processus de formation, s’articulent cependant avec une forte

logique dans la présentation qui suit. En effet la note de lecture consacrée à l’ouvrage

de Jacques Généreux, La Dissociété10, qui constitue le Certificat I, irrigue l’ensemble

de la recherche qui portera, on le verra, en particulier sur l’identité de l’acteur et sur sa

capacité d’engagement pour faire « société », « lien social » avec d’autres. Cette

10 Jacques Généreux, La Dissociété, Ed. du Seuil, Paris, 2006.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

20

approche sera déjà très lisible dans le diagnostic collectif réalisé dans le cadre de la

Maison pour Tous du val d’Argent à Argenteuil (95) : nous avons, pour notre part,

rédigé l’analyse identitaire et culturelle qui correspond au Certificat II du cycle de

formation. Le Certificat III est consacré à l’élaboration d’un scénario de changement de

créativité pour la Maison Pour Tous d’Argenteuil, co-rédigé avec Marion le Paul. Enfin,

la partie la plus importante de ce mémoire, constituant le Certificat IV, est consacrée à

l’analyse institutionnelle de l’association que je dirige, la Sauvegarde 56. Les réflexions

sur la « conduite du changement en matière de gouvernance et de dirigeance

associative au sein de la Sauvegarde 56 » débouchent sur une analyse du contexte

sociétal dans lequel s’opèrent ces mutations : celle-ci s’efforce de proposer, sur la

base du constat de « Dissociété » et d’enferment de l’acteur dans la seule logique de

son intérêt posé par Jacques Généreux, les conditions d’une refondation de

l’association comme « institution intermédiaire »11 promotrice de démocratie, de

solidarité et de lien social.

11 Renaud Sainsaulieu, Des sociétés en mouvement, La ressource des institutions intermédiaires, Ed. Desclée de Brouwer, Paris, 2001.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

21

CERTIFICAT I – NOTE DE LECTURE

La Dissociété, ouvrage de Jacques Généreux

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

22

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

23

Associations d’action sociale et dissociété

C’est dans la mesure où il me semblait poser une problématique à la fois large et

centrale par rapport à l’ensemble des apports de ce premier semestre de l’exécutive

master sur les changements associatifs que j’ai souhaité aborder la synthèse de

l’ouvrage de Jacques Généreux La Dissociété12. L’approche de la discipline

économique m’était, en effet, peu familière, et m’efforcer de résumer un ouvrage

proposant une analyse anthropologique et philosophique de la pensée moderne

dominante en matière d’économie, et notamment de mettre au jour « les piliers

fondateurs de l’édifice néolibéral » me semblait un exercice stimulant. D’autant que

Jacques Généreux lors de son intervention à l’un des séminaires de Sciences Po avait

d’emblée annoncé la couleur : le discours dominant qui s’impose à tous aujourd’hui est

faux : touchant au cœur des racines de l’humain, il constitue une erreur de la pensée

sur l’humain.

Voilà qui, d’emblée, donnait à réfléchir et faisait le lien avec ma principale motivation à

entreprendre ce parcours de formation à Sciences Po : comment rendre compte

aujourd’hui de l’évolution du travail social et des associations d’action sociale ? A la

question Pourquoi le travail social ?13, que posait voici déjà plus de trente ans déjà le

fameux numéro de la revue Esprit, s’était progressivement substituée la question : « où

va la société ? ». Mais cette interrogation désormais généralisée à l’ensemble du social

n’avait pas émoussé pour autant l’acuité de la question sur le sens de l’action sociale,

et en particulier sur le type d’organisation ou de méthodologie le mieux à même de la

faire vivre et de la porter.

C’est au fond à partir de l’enjeu primordial à mes yeux de la coopération et de

l’engagement subjectif des acteurs, orientant toute la stratégie du changement engagé

12 Jacques Généreux, La Dissociété, Ed. du Seuil, Paris, 2006 13 Pourquoi le travail social, numéro spécial de la revue Esprit, mai 1972

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

24

au sein de la Sauvegarde du Morbihan14, que j’ai souhaité mieux comprendre en quoi

la problématique de la dissociété invalidait ou au contraire confirmait ce choix

méthodologique, et en quoi, d’une manière plus générale les associations se

présentaient-elles ou non comme des leviers efficaces face à ce que Jacques

Généreux nommait « une maladie sociale dégénérative altérant les consciences ».15

En quelques pages, je résumerai donc tout d’abord ce que je retire de plus essentiel du

livre de Jacques Généreux, avant de le confronter à d’autres points de vue, notamment

celui d’Alain Caillé, également intervenu au cours de ce premier semestre, tout en

revenant sur la problématique qui m’intéresse directement : les associations, le travail

social, les fonctions éducatives en particulier sont-ils, eux-mêmes, largement

interrogés voire remis en cause par le diagnostic sévère posé par Jacques Généreux

sur notre société ? En quoi les acteurs associatifs et les professionnels du social ont-ils

à se déplacer pour continuer à conduire en conscience et sur des convictions étayées

leurs missions ?

Synthèse de l’ouvrage de Jacques Généreux : La dissociété

L’ouvrage de Jacques Généreux se présente comme un chantier ouvert, en cours

d’exploration, première pierre d’un édifice ambitieux qui ne vise à rien de moins qu’à

une refondation anthropologique de notre culture « moderne ». Mais heureusement, il

est aussi un ouvrage didactique, le professeur d’économie à Sciences Po ayant tenu à

assortir sa démonstration de résumés et de bilans d’enquêtes en fin de chapitres,

particulièrement efficaces pour guider en seconde lecture un lecteur peu familier avec

la science économique.

J’essaie donc de reprendre à mon tour, de manière aussi ordonnée que possible,

l’enchaînement des idées exposées. Voici tout d’abord le plan de l’ouvrage :

- Dans les trois premiers chapitres, l’auteur présente une sorte d’état du monde,

passé en très peu de temps, à l’occasion d’une crise sociale et politique

majeure, d’un pacte social relativement stable à une guerre économique et de

la guerre économique à une guerre « incivile ».

- Dans le chapitre 4, il présente sa problématique, centrée sur l’aspiration

ontogénétique de tout être humain « à être soi et pour soi, tout en étant avec et

14 Jean Lavoué, Structure coopérative et changement, l’exemple de la Sauvegarde du Morbihan, Mémoire de psychosociologie, ARIP, 2001 15 Jacques Généreux, La Dissociété, op. cit. p. 29

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

25

pour les autres »16 Cette aspiration, foncièrement déniée par l’approche

néolibérale, valorisant exclusivement l’invididu atomisé poursuivant son seul

intérêt, l’amène à mettre en évidence trois types de choix sociétaux : la

dissociété, l’hypersociété et la société de progrès humain.

- C’est sur la base de cette problématique que dans un troisième temps, du

chapitre 5 au chapitre huit, l’auteur part à la recherche des dix piliers fondateurs

de l’édifice néolibéral, mettant au jour dans ce cœur de l’ouvrage ce qu’il

appelle l’erreur anthropologique de l’ensemble de ce discours issu de la pensée

moderne.

- Les chapitres huit à dix constituent un quatrième temps où l’auteur revient à la

fois sur la fragilité du modèle néolibéral et sur les raisons de son succès, dans

la mesure où, à ses yeux, l’ensemble des grands courants de pensée politique

qui ont traversé l’époque moderne, en dépit de leurs apparents antagonismes

sont issus de la même philosophie erronée mettant au centre l’individu et la

logique de son seul intérêt. L’auteur, à la recherche d’une refondation

anthropologique du discours politique et économique, souligne alors le choix

largement assumé de la servitude volontaire qui est celui de l’homme dissocié.

- Dans le onzième et dernier chapitre, l’auteur se refuse à conclure, son propos

étant moins de proposer un scénario alternatif que de faire œuvre de

conscience politique en alertant chacun sur la grave inconséquence des choix

qu’ensemble nous posons, cela dans l’ignorance la plus totale des fondements

erronés de la philosophie sur laquelle nous prétendons nous appuyer.

J’insisterai davantage dans cette synthèse sur le cœur de la problématique de Jacques

Généreux dans la mesure où c’est cette dernière que je souhaite éclairer d’autres

approches, notamment celles d’Alain Caillé et de Jacques Godbout dont elle me

semble proche sans y faire explicitement référence.

L’état du monde : de la guerre économique à la guer re incivile…

Dans une large enquête sur l’état du monde, Jacques Généreux commence dans le

premier temps de sa démonstration par tirer tous les fils de ce que l’on pourrait appeler

16 Ibid. p. 137

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

26

une dissolution du pacte social et une grave crise du politique : du désengagement des

citoyens aux horreurs de l’histoire dans le dernier quart du vingtième siècle, en

passant par le discours de la faillite morale des hommes politiques - « tous pourris »17 -

et par la victoire de l’insécurité et de la peur, l’auteur met au jour les symptômes

sociaux qui se sont emparés de notre monde alors que, paradoxalement, les progrès

technologiques et le niveau de vie moyen ne cessait de continuer à se développer.

Tout est, au fond, assez comparable aux fléaux sociaux qui accompagnèrent dans les

années trente la sortie de la première grande période de mondialisation 18, dépression

économique en moins. C’est que la crise est d’une autre ampleur. C’est une crise de

conviction qui se traduit en impuissance des peuples à vouloir le plus désirable pour

eux-mêmes. La compétition généralisée tourne en une guerre incivile qui « dissocie les

êtres humains les uns des autres et détruit le sentiment d’appartenance à une

société »19. Ceux-ci finissent par se comporter en « guerriers » et non plus en

« citoyens ». C’est une culture autoréalisatrice qui finit par se développer et s’amplifier

d’elle-même. Pour les puissants, ceux qui disposent des ressources économiques, elle

s’impose comme inéluctable. Or, pour Jacques Généreux, « le tournant néolibéral

opéré dans le monde dans le dernier quart du siècle dernier n’est pas la conséquence

naturelle d’une évolution technologique ou économique inéluctable. Il résulte d’un choix

délibéré et adopté par des gouvernements souverains qui disposaient d’autres

options. »20 Dès lors la question est de savoir pourquoi s’impose-t-il avec une telle

facilité et sans résistance ? Outre le levier puissant de la précarisation sociale et de la

peur du chômage qui accompagne la libéralisation financière et la montée en

puissance du capital, Jacques Généreux fait l’hypothèse que la compétition

généralisée qui s’est emparée du social lamine « la cohésion qui constitue les

membres d’une société en communauté politique capable de réagir politiquement. »21

L’auteur n’hésite pas à parler dès lors d’une nouvelle guerre mondiale : « la guerre

économique générale »22 détruisant tous les liens de solidarités, responsabilisant à

outrance l’individu, réduisant les logiques d’entraide et d’assistance, décuplant les

17 Ibid. p. 15 18 Karl Polanyi, La Grande Transformation, Gallimard, 1983. Ouvrage important permettant de comprendre l’émergence récente, au XXIème siècle, du marché généralisé et la grande transformation que constitua au sortir des totalitarismes et des guerres mondiales l’entrée dans une phase keynésienne jetant les bases des états sociaux modernes. L’actualité du livre tient à sa compréhension des grands mouvements politiques et économiques traversant notre époque, alors que nous sommes entrés depuis le début des années 80 dans une deuxième phase, dite néo-libérale, de généralisation du marché. 19 Jacques Généreux, op. cit. p 28 20 Ibid. p 42 21 Ibid. p 79 22 Ibid. p 81

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

27

approches répressives, incitant les individus à travailler, épargner, consommer, investir

et produire plus… l’Etat est réduit à une mission de super gendarme. Le marché fait le

reste !

Cependant pour Jacques Généreux, la question demeure : alors que chacun est

persuadé pour sa vie privée que la coopération et l’entraide valent mille fois mieux que

la compétition généralisée, pourquoi cette dernière s’impose-t-elle avec une telle

évidence croissante à l’ensemble des sociétés développées ? Est-ce le cynisme de

quelques acteurs possédant l’essentiel des ressources économiques ? Est-ce

l’acceptation passive de tous les autres ? A ce stade de son raisonnement, Jacques

Généreux pose l’hypothèse centrale de son livre qu’il va développer dans la partie

problématique suivante : « les sociétés de marché contemporaines sont restructurées

en « dissociétés », réseaux d’individus atomisés, où les sentiments de solitude,

d’incertitude et d’urgence permanente se conjuguent pour annihiler non seulement la

possibilité, mais surtout le désir de s’insurger. »23 Ils en viennent à se conformer au

modèle qui les écrase.

Problématique de la dissociété

Jacques Généreux ne se résout pas à l’espèce de fatalisme qui semble laisser penser

que cette logique d’ultra-compétition ouvrant la marche d’une dissociété des individus

relèverait d’une sorte d’essence même de la nature des êtres humains, ce que tendent

à défendre les promoteurs de cette culture néolibérale. C’est la raison pour laquelle il

souhaite expliciter sa propre conception de la nature humaine et des sociétés

humaines.

Dans le chapitre central où il présente sa problématique (chapitre 5), Jacques

Généreux articule plusieurs définitions qui lui permettent de revenir sur l’analyse qu’il

fait de l’idéologie des politiques néolibérales.

Partant du constat que c’est la qualité des liens qui fait le bonheur et non la quantité

des biens, l’auteur énonce ce qu’il appelle les « deux aspirations ontogénétiques de

l’être humain : « être soi et pour soi », mais aussi et en même temps « être avec et

pour les autres ».24 L’histoire personnelle de chaque être humain mais aussi le

23 Ibid. p 132 24 Ibid. p 142

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

28

contexte sociétal dans lequel il vit favorise ou pas la synergie entre ces deux

aspirations fondamentales qui le constituent.

Sur un versant positif, Jacques Généreux énonce ses deux premières définitions

concernant la vie humaine et la société de progrès humain.

Sur un versant négatif il caractérise la société de régression inhumaine selon deux

axes qu’il différencie : l’hypersociété et la dissociété.

Nous allons reprendre ces définitions de Jacques Généreux dans la mesure où elles

sont incontournables pour bien saisir le déroulement de sa pensée :

- « Une vie pleinement humaine consiste dans la réalisation d’un équilibre

personnel entre les deux faces inextricables de notre désir d’être : l’aspiration à

« être soi » et l’aspiration à « être avec. » 25

- « Une société de progrès humain tend vers une situation où chaque personne

dispose d’une égale capacité à mener une vie pleinement humaine, c'est-à-dire

à concilier librement ses deux aspirations ontogénétiques. »26

- « une société de régression inhumaine entrave la quête de l’équilibre personnel

par un processus politique délibéré visant à hypertrophier l’une des aspirations

ontogénétiques et à réprimer l’autre ou, pis, à réprimer les deux. »27

- « L’ « hypersociété » est une société qui hypertrophie l’ « être avec » (la

dimension sociale de l’existence et les liens collectifs), au point de réprimer ou

de mutiler l’ « être soi » (l’aspiration à l’épanouissement personnel et à

l’autonomie). »28

- « La « dissociété » est une société qui réprime ou mutile le désir d’ « être

avec » pour imposer la domination du désir d’ « être soi ». »29

Jacques Généreux précise que le totalitarisme tend à abolir simultanément l’individu et

la société.

Pour ce qui concerne l’idéologie et les politiques néolibérales, elles tendent quant à

elles à dissocier les deux aspirations de l’être humain, valorisant l’ « être soi et pour

soi » et étouffant l’ « être avec et pour les autres » entraînant une « dissociation

personnelle. »30 La dissociété est à la fois la cause et la conséquence de cette

dissociation personnelle : processus d’organisation au sein de la société, elle délie,

25 Ibid. p 148 26 Ibid. p 149 27 Ibid. p 152 28 Ibid. p 153 29 Idem 30 Ibid. p 155

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

29

isole et oppose les communautés et catégories sociales entre elles, et exacerbent les

rivalités entre les individus qui les composent.31 « La dissociété apparaît ainsi comme

une force centrifuge qui isole et décompose en éléments toujours plus restreints ce qui

constituait le tout indissociable d’une société humaine. »32 Cette atomisation en

cascade joue au sein des communautés, entre les communautés, comme entre les

personnes, et au cœur des personnes entraînant une «dislocation intime de l’individu

rendu incapable de concilier ses aspirations fondamentales. »33

Sur la base de ces éléments de problématique, Jacques Généreux présente alors son

approche méthodologique qu’il nomme « le socialisme méthodologique »34 : ni holiste,

ni individualiste, il se veut avant tout interactionniste, l’individu et la société se

déterminant réciproquement en permanence l’un l’autre. Ce qui lui permet d’affirmer

l’essence sociale de l’être humain. Pour le socialisme méthodologique, les deux

aspirations fondamentales et constitutives de l’être humain (« être soi, par et pour

soi », « être avec, par et pour autrui ») sont indissociables. Cette lecture

méthodologique des sociétés humaines est pour Jacques Généreux une méthode

d’analyse. Elle ne relève pas d’abord d’une éthique. Au-delà de l’égoïsme ou de

l’altruisme, du bien ou du mal, elle cherche avant tout à distinguer le vrai du faux à

partir de ce constat simple : personne n’existe en dehors des relations aux autres et

hors de la société constituée par l’interaction de tous. La lecture de Jacques Généreux

est systémique et circulaire en ce qui concerne l’enchaînement des causes entraînant

la dissociété. L’individualisme et l’éclatement social se répondent en spirale négative et

destructrice. Pour lui « la société est le processus vivant d’interaction entre les

individus et le système qu’ils constituent tous ensemble ».35 Une société de progrès

humain enclenche une dynamique de solidarité croissante ; une société de régression

inhumaine, une dissociation croissante des groupes humains comme des individus

préparant le terrain soit de la dissociété, soit de l’hypersociété, le totalitarisme se

nourrissant de ce double terreau.

31 Ibid. p 156 32 Ibid. p 159 33 Ibid. p 160 34 Idem 35 Ibid. p 171

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

30

Les dix piliers fondateurs de l’édifice néolibéral

Fort de cette analyse et de l’erreur fondamentale qui lui semble être celle sur laquelle

se trouvent engagées les sociétés néolibérales, Jacques Généreux s’interrogent sur le

pourquoi d’une telle réussite. Pourquoi le rejet de ce qui fonde vraiment une société

humaine comme étant un pur angélisme, et cette réduction au contraire de l’être

humain à cette bête de compétition ne se préoccupant d’autrui que par intérêt

personnel et ne s’associant à d’autres qu’en vue de satisfaire plus efficacement ses

besoins ? Le débat avec les tenants de l’approche néolibérale lui semble quasi

impossible tellement leur dogme autoréalisateur leur paraît devoir s’imposer de

manière universelle : comment contester ce qui évidemment marche ? Comment nier

une telle efficacité ? Aussi veut-il s’attaquer à la question de la vérité ou de la fausseté

de ce dogme. La troisième partie de son livre s’efforce d’explorer les soubassements

philosophiques et politiques de cette orientation « marchéiste » et utilitaire

apparemment inéluctable de la pensée moderne. C’est pour lui le fruit d’une longue

histoire peuplée d’erreurs où les lectures apparemment antinomiques du monde,

comme le marxisme et le néolibéralisme par exemple, se rejoignent pour l’essentiel :

ce qu’il dégage à travers ce qu’il nomme les dix piliers fondateurs de l’édifice

néolibéral. Cette lecture anthropologique portant sur la conception de l’être humain à

travers trois siècles de culture moderne vise à dégager « la série de propositions qu’il

est nécessaire d’enchaîner pour aboutir à la prescription fondamentale du

néolibéralisme : l’extension maximale de la libre concurrence. »36

L’édifice néolibéral, pour Jacques Généreux, s’ordonne autour de quatre axes

répondant à autant de questions : qu’est-ce qu’un être humain ? Quelle est sa relation

naturelle à autrui ? Pourquoi et comment les individus égoïstes et prédateurs

constituent-ils une société ? En quoi consiste le progrès d’une société humaine ? Les

dix piliers sont les réponses de l’anthropologie moderne à ces questions. Nous n’allons

pas reprendre l’ensemble du raisonnement de Jacques Généreux pour chacun des

« piliers », mais plutôt synthétiser une nouvelle fois son approche autour des grandes

thématiques qu’il dégage : nature humaine ; relation naturelle d’un être humain à

autrui ; définition de la société ; finalité de la société.

36 Ibid. p 195

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

31

La conception nouvelle de l’être humain repose avant tout sur le socle fondateur de la

modernité : l’ « individu autonome ». De là découle une définition de l’être humain

niant tout rôle au lien social dans sa constitution : il ne vient pas des autres et ne doit

rien aux autres. L’individu existe avant toute relation à autrui. Il préexiste à toute

communauté humaine. Il est à noter que cette négation de toute existence sociale

quant à la naissance de l’individu ménage au contraire une conception indifféremment

religieuse ou athée, ambivalence parfaitement souhaitable pour l’approche néolibérale.

Dieu peut intervenir ou l’individu seul, pourvu que ce ne soit pas autrui ! Cet individu

autoconstitué est aussi autodéterminé : il fixe seul ses règles de vie. Il décide seul de

ses actes. Il est donc seul responsable de sa situation. Il en résulte une conception de

l’inégalité naturelle : les inégalités sociales n’existent pas, la société n’étant en rien

responsable de la situation d’un individu. En corrolaire, point n’est besoin d’aider les

individus en difficulté, mais il est nécessaire de les inciter à s’en sortir eux-mêmes !

En matière de relation à autrui , l’individu est strictement égoïste et rationnel. Il ne

recherche que son propre bien. En toute rationalité il choisit toujours ce qui maximise

sa satisfaction. La situation et le bien-être d’autrui ne l’affectent en rien. S’il se montre

bienveillant c’est toujours dans la recherche de son propre bien être et de son intérêt.

Des comportements bienveillants ne sont naturellement plausibles qu’à l’intérieur de

cercles de proches : familles, amis…

Il en résulte une logique de rivalité permanente avec tous les autres pour la possession

des biens. L’individu est naturellement agressif et prédateur sauf s’il en est empêché

par la force. Comment sur une telle base faire société ?

La société est un contrat d’association utilitaire. Celui-ci se présente comme un outil

destiné à produire et à protéger plus efficacement le bien-être des individus. De plus,

vivre en société permet d’éviter l’état de guerre toujours latent. Cette conception

utilitaire de la société, fondée sur le simple contrat entre individus qui lui préexistent, a

comme conséquence pour Jacques Généreux de rendre caduque, et non nécessaire,

l’idée même de société ; surtout, il n’y a pas d’autre issue pour dépasser l’atomisation

sur laquelle elle est fondée que l’hypersociété annihilant toute autonomie personnelle.

Assise sur le culte de la responsabilité individuelle, la société quant à elle n’est

responsable de rien mais rend à chacun la contrepartie de ce qu’il offre. La

culpabilisation des individus en situation d’échec devient la règle. La loi est là pour

restreindre la marge de manœuvre d’individus égoïstes et prédateurs afin d’éviter le

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

32

conflit permanent. Toutefois, en tant que mal nécessaire limitant la liberté, elle doit

s’exercer dans un cadre strictement restreint en favorisant l’auto-surveillance privée

des individus. Mieux qu’ « un Etat policier coûteux et menaçant pour les libertés

individuelles », il y a le « conditionnement social des esprits, aussi efficace qu’un

lavage de cerveau.»37

Au détour de cette enquête sur l’état de société sans véritable « société », Jacques

Généreux passe en revue les grandes convergences de fond entre démocratie libérale,

alternative socialiste, synthèse marxiste, quête néolibérale, voire utopie libertaire :

aucune de ces lectures, affirme-t-il, ne peut dépasser l’alternative

dissociété/hypersociété faute d’être en capacité d’interroger les fondements

anthropologiques eux-mêmes faisant de l’atome indivis qu’est l’individu le noyau même

de leur philosophie politique.

Recherchant enfin la finalité d’une telle société , Jacques Généreux met au jour les

derniers piliers de la synthèse néolibérale : C’est d’abord l’abondance procurant la

satiété à tout individu, faisant ainsi disparaître toute rivalité ; l’utopie d’une société

maintenue en paix sans le secours de la loi ! Le progrès c’est donc la marche vers

l’abondance matérielle. Marxisme et néolibéralisme sont là-dessus d’accord.

Enfin, sommet de la vision néolibérale : la généralisation de la libre concurrence

maximise le bien-être. C’est là le principe d’organisation qui assure le mieux

l’avènement de l’abondance. Il doit être étendu à toutes les sphères de l’activité

humaine. Ainsi, « la compétition brute des intérêts égoïstes réalise-t-elle un ordre

naturel conforme à l’intérêt général.»38 En conclusion de sa démonstration, Jacques

Généreux montre toutefois que sur le plan de l’analyse économique elle-même ces

assertions sont fausses et relèvent plus de la « parabole métaphysique » que de la

science.

Le modèle néo-libéral : les fragiles raisons d’un s uccès !

Après cette synthèse de la pensée néolibérale et de ses fondements anthropologiques,

contraires aux aspirations fondamentales et à l’intuition que chaque être humain porte

37 Ibid. p 302 38 Ibid. p 318

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

33

sur la nature d’une vie humaine vraiment digne de ce nom, l’auteur revient sur les

raisons son succès et sur l’impuissance du socialisme « moderne » à la contester.

Ce succès ne saurait reposer sur la solidité théorique du modèle. Sous beaucoup

d’aspects d’ailleurs, les néolibéraux adoptent des comportements antilibéraux,

notamment les contraintes comportementales fortes sur l’individu, révélant les

incohérences de leurs vues. La première pierre de l’édifice, prétendant que l’individu

préexiste à la société, suffit d’ailleurs, à elle seule, à l’effondrement du système.

Ce n’est donc pas sa vérité théorique, mais au contraire la dissimulation de ses

fondements qui permet à la structure de tenir. C’est un modèle qui se veut

pragmatique, décrivant la réalité, et ne redoutant rien de plus que les discours

théoriques qu’il stigmatise. Sa conception autoréalisatrice de la société sur la base des

présupposés qu’il masque ne fait rien d’autre au fond que de traduire les rapports de

force politiques à l’œuvre dans le monde.

S’il s’est imposé si aisément et avec si peu de contestation à la suite du libéralisme, du

socialisme et du marxisme c’est qu’au fond, le néolibéralisme a beaucoup

d’accointances avec ces courants. Il est l’enfant naturel de la pensée moderne. Tous

ces courants traduisent la même utopie : « une société d’abondance où sont abolies

les sources de conflit entre les hommes. »39 « Le XXème siècle s’achève par un

consensus des modernes sur la finalité de l’aventure humaine : la jouissance maximale

des biens. »40 L’idéal de la sieste repue ! On est donc loin du socialisme

méthodologique auquel se réfère Jacques Généreux dans la filiation aux pionniers du

socialisme. La faiblesse de la contestation au néolibéralisme résulte avant tout de ces

conceptions néolibérales largement partagées et qui irriguaient déjà largement, avant

l’heure, la pensée libérale, socialiste ou marxiste.

Jacques Généreux dénonce alors la dérive néolibérale ancienne de la gauche

européenne. Elle vise les mêmes objectifs que la droite néolibérale, avec simplement

des ajustements de méthodes : avec l’individu conçu comme un atome dissocié, jouet

de forces qui le dépassent, comme dans la conception marxiste de l’Histoire et de la

société, la question de l’humanité a été évacuée.

Cette erreur anthropologique fondatrice de la pensée moderne, faisant de l’être humain

un atome et niant l’interdépendance entre les êtres, relève pour Jacques Généreux

d’un compromis pathologique et inconscient plutôt que d’une véritable erreur de

raisonnement : le mythe d’un individu atomisé parfaitement délié ne devait-il pas, en

39 Ibid. p 334 40 Ibid. p 337

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

34

particulier, rester compatible avec la sécurité psychique que l’ordre ancien garantissait.

C’est tout le pari de la pensée moderne athée de conserver néanmoins l’économie du

salut entièrement revisitée et inversée de la théologie traditionnelle.

Toute cette analyse conduit Jacques Généreux à affirmer qu’il est grand temps de

dépasser le simplisme de cette pensée moderne même si elle a pu contribuer au

« progrès » humain. Elle a accompagné, en effet, le développement des idées

nouvelles d’individu, de liberté, d’émancipation. Toutefois, par ses excès, elle est

devenue nuisible à l’idée même de société comme au bien être psychique des

individus. Il est grand temps de la questionner radicalement en envisageant une

refondation anthropologique du discours politique et économique.

Jacques Généreux présente alors une vaste synthèse à la fois anthropologique et

psychosociologique dans laquelle il complète et regroupe l’essentiel de son

argumentaire. Même s’il se refuse à conclure, lui-même reconnaît l’ambition très large

qui est la sienne, dépassant de loin l’objet de ce seul livre, tout comme il mesure à quel

point il prend le risque alors de s’avancer sur le terrain de disciplines qui ne sont pas

les siennes. Le concept de résilience en particulier, récemment mis en vogue en

France par Boris Cyrulnik dans le domaine de la traumatologie relationnelle, devient

pour lui une source d’explication macrosociale de l’incapacité pour les individus de

résister au développement de la dissociété qui les broie. On est loin à vrai dire de cette

capacité positive pour un être humain de se reconstruire et de retisser des liens par-

delà les pertes les plus radicales, tel que l’on entend habituellement le concept de

résilience41. Le champ balayé est large, le raisonnement toutefois s’impose, même si

les arguments se font parfois plus abrupts et militants. L’auteur résume les

conséquences anthropologiques, sociales et politiques de la dissociété, et notamment

ses répercussions sur l’affaiblissement historique de la gauche en Europe. C’est de

convictions dès lors qu’il s’agit, Jacques Génereux ne plaidant pas pour autre chose

que pour le retour de l’engagement et du discours politique dans ce qu’ils peuvent

avoir de plus nobles, de plus essentiels, de plus radicalement humains.

En ayant d’abord recours aux sciences de l’homme et de la nature, Jacques Généreux

s’emploie, une nouvelle fois, à démontrer le caractère foncièrement interdépendant et

solidaire de l’être humain et donc la conception erronée d’un individu parfaitement

égoïste et prédateur sur laquelle repose le discours néolibéral. Se référant à l’Essai sur

41 Serge Tisseron, La résilience, PUF, Que sais-je ? Paris, 2007

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

35

le don de Marcel Mauss, il rappelle l’universalité dans les relations sociales de ce

mécanisme du don autour de la triple obligation de donner, de recevoir et de rendre.

Ces principes d’engagement réciproque ont régi et inspiré l’ensemble des relations

économiques et des conventions sociales et de droit jusqu’à l’imposition récente

comme l’a démontré Karl Polanyi de la loi généralisé du marché. C’est cette dernière

qui a livré les êtres humains à la rareté et au manque. Or « il n’est en rien le mode

naturel de relation économique entre les hommes, même dans une économie de

production. »42. C’est un épiphénomène culturel contraire à la nature relationnelle et

sociale de l’homme. Pour dépasser la souffrance psychique résultant de ce système

économique enjoignant aux êtres humains de se dissocier les uns des autres, il leur

reste à inventer la nouvelle culture qui les libérerait de la « maladie néolibérale ».43

C’est alors que Jacques Généreux fait appel à une sorte de psychanalyse de l’homme

néolibéral malade, faisant l’hypothèse qu’il peut être tenté de résister à la guérison trop

onéreuse pour lui, ou parce que ses mécanismes d’adaptation, sa résilience, lui permet

de tenir dans un contexte qui lui est pourtant radicalement hostile. C’est ce qu’il appelle

la servitude volontaire de l’homme dissocié.

Mais auparavant l’auteur rappelle le danger mortel que fait courir la dissociété à l’être

humain. C’est sa nature même, son désir d’être qui se trouvent atteints par cette

dissociation entre ses deux aspirations fondamentales d’être par soi et pour soi tout

autant que pour l’autre et avec les autres. Cette violence ontogénétique qui s’exerce

par réduction de l’individu à son seul intérêt, Jacques Généreux en perçoit l’enjeu

politique : réduire chez les êtres humains toute velléité de résistance collective, tout

autant qu’économique, rien n’étant plus contraire au marché qu’une personne apaisée

par la qualité de ses liens aux autres. Le choix entre les aspirations fondamentales de

liens, et les impératifs économiques et sociaux de rivalité deviennent vite impossible. Il

résulte pour l’être une souffrance psychique intense, un « écartèlement de la

personne », une « barbarie douce ».44 Les liens sont faussement compensés par le

gavage des biens. C’est le règne de l’ « abrutissement et de la manipulation

psychologique »45, celui de la coopération de l’individu à sa propre aliénation, de la

« servitude volontaire ».

42 Jacques Généreux, op. cit. p 375 43 Ibid. p 376 44 Ibid. p 381 45 Ibid. p 383

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

36

Pourquoi pas davantage de résistance se demande Jacques Généreux ? Parce que

l’individu parfois s’effondre totalement : plus de ressources, plus de pensée, plus

d’envie de résister. Mais le plus souvent parce qu’il s’adapte, résiste, compose : voilà

pourquoi il ne tombe pas plus gravement malade ! L’auteur nomme résilience cette

capacité d’adaptation à un contexte impossible, là où les psychologues perçoivent

avant tout cette dernière comme une capacité de reconstruction au sortir d’une

épreuve traumatique. Quoiqu’il en soit, c’est sur cette conception que Jacques

Généreux appuiera sa compréhension de la sorte d’homéostasie qui s’emble s’être

installée entre les êtres humains et leurs contextes sociaux destructeurs et inhumains.

Par ce mécanisme d’adaptation et de résistance passive ils en viennent à supporter

l’impossible !

Fort des expériences psychosociales de Milgram et Terestchenko Jacques Généreux

tente alors de rendre compte du développement de comportements manifestant une

inhumanité croissante. L’anomie, la solitude, l’absence de référence aux autres privent

l’être humain de sa capacité même de résister à ce qui est contraire à sa nature. Il

devient guerrier dénué de sentiment pour son semblable ou bien clone d’une

communauté repliée sur elle-même et dissociée de toutes les autres ; dans cette

seconde hypothèse, privé d’altérité, il s’expose aux « tyrannies de l’intimité » décrites

par Richard Sennett dans les années 70. C’est sur ce terreau que s’engagent la

chasse aux déviances, aux différences tout comme l’inflation des exigences

compensatoires qui viennent peser sur le cercle familial restreint et éclater en violence.

Rien n’arrête le processus d’atomisation et de dissociation où l’individu au final se

retrouve seul ! Enfermés dans ce cercle vicieux les individus sont privés des liens et de

la coopération qui leur permettraient de réagir dans le sens de leurs véritables intérêts

communs qui seraient de faire alors vraiment société.

Pour un sursaut des consciences !

En provisoire conclusion, Jacques Généreux veut montrer pourquoi la politique telle

qu’elle fonctionne dans nos démocraties ne constitue pas une véritable solution pour

les individus livrés ou soumis volontairement à la dissociété. Il faudrait pour cela une

nouvelle méthode politique. Le vote prétendument démocratique n’y suffit pas : « les

électeurs n’ont pas le pouvoir effectif de déterminer l’orientation des politiques

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

37

publiques. »46 La démocratie est une illusion. Les citoyens n’ont pas véritablement

prise sur le politique. La gauche elle-même ne se situe pas en projet alternatif mais a

adopté aux Etats-Unis ou en Europe une position centriste conforme au modèle néo-

libéral soi-disant imposé par la guerre économique.

La perte de confiance des citoyens dans la capacité des partis politiques à faire

évoluer le système ne plaide pas pour leur transformation. Là encore la résilience telle

que la conçoit Jacques Généreux ouvre la voie de la passivité, du repli et de la

soumission. C’est pourquoi il en appelle, avec une pointe de doute – comment cela

est-il possible au sein de partis divisés où règne aussi la dissociété ?- et comme ultime

chance du progrès humain à un sursaut des citoyens et à une révolution

démocratique : une mise en œuvre du politique sous le contrôle effectif des citoyens et

une révolution du discours et donc du débat et de la participation politique, voilà ce qui

pour Jacques Généreux permettrait seulement d’inventer une alternative crédible de

gauche à l’impasse néolibérale déshumanisante. Les résilients rejoindront-ils les

militants lucides et autonomes qui ont tenu bon ? Jacques Généreux voudrait y croire

mais après un tel diagnostic sur notre société, sur la politique, et j’ajouterai sur les

courants de gauche auxquels il se réfère, cela est-il encore possible ? Oui conclut-il, si

le discours est fort, convainquant : la maison brûle ! Les leaders politiques ont une

immense responsabilité. A eux de réveiller, de bousculer, de susciter des

engagements solidaires nouveaux, de déconditionner des citoyens devenus des

consommateurs dépendants, et surtout de rendre au peuple sa souveraineté : la

démocratie effective ! C’est un enjeu de culture, de parole, de conviction… « au sens

vrai du terme, de conversation politique »47 !

Dissociété et travail social

Après cette synthèse de l’ouvrage de Jacques Généreux nous souhaitons reprendre à

la lumière de ses analyses les questions que nous posions en introduction : où va le

travail social, qu’est-ce que l’éducation, qu’est-ce que l’association dans le monde qu’il

décrit. Que peuvent être leur fonction ? Ont-ils encore leur chance ou leur raison

d’être ?

46 Ibid. p 429 47 Ibid. p 446

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

38

Nous allons esquisser une petite discussion avec l’ouvrage de Jacques Généreux

autour de ces questions, tout en faisant appel à quelques ouvrages qui nous

paraissent pouvoir compléter et parfois questionner sa réflexion.

Jacques Généreux en appelle à une refondation anthropologique, face à l’attaque

radicale que subit la nature de l’être humain sous les assauts de trois siècles de

pensée moderne dont le point d’orgue est la vague de néolibéralisme qui depuis le

début des années 80 déferle sur le monde. L’être humain est foncièrement pour soi et

pour l’autre. Il ne peut être réduit à la conception ni à la manipulation utilitaire et

intéressée dont il est l’objet, soumis sans protection et sans retour à la loi du marché,

de la consommation et de la concurrence.

C’est tout au long de la période keynésienne des trente glorieuses et comme son

aboutissement que le travail social a pris la figure que l’on connaît, organisée,

professionnalisée, institutionnalisée. A la fin des années 70, l’essentiel des structures

de l’éducation spécialisée, de l’aide sociale à l’enfance et de la protection sociale sont

quasiment posées dans un pays comme la France.

Si l’on en croit la lecture de Jacques Généreux tout ce bel ordonnancement de la

solidarité devrait commencer sérieusement à se fissurer sous les assauts répétés de

l’individualisme et du marché.

Or le travail social existe toujours. Les structures pour l’essentiel restent en place. Où

se fait donc la répercussion de l’analyse de Généreux sur le monde du social ? Le

travail social garde-t-il un rôle de médiation privilégiée entre des individus toujours plus

atomisés et la société ? Fait-il toujours œuvre de société ?

Les voix ne sont pas rares qui s’élèvent, de l’intérieur même des institutions

pédagogiques pour souligner l’impuissance des professionnels de l’éducation

spécialisée ou de l’école à endiguer l’évolution continue et massive de comportements

de jeunes devenus passifs, agressifs, irrespectueux, sans limites, ou à relancer les

ressources éducatives de parents singulièrement démunis : c’est précisément ce

monde « sans limite » que décrit notamment Jean Pierre Lebrun48 dans ses ouvrages,

parlant à la suite de Charles Melman49 d’une nouvelle économie psychique fondée sur

l’absence de référence au tiers et sur une recherche de la jouissance immédiate avec

une perte de symbolisation. Autres références théoriques, mais mêmes constats que

Jacques Généreux. Pour Lebrun la science a remplacé le religieux ; pour Jacques

48 Jean-Pierre Lebrun, Un monde sans limite, essai pour une clinique psychanalytique du lien social, Erès, 1997 La perversion ordinaire, Vivre ensemble sans autrui, Denoël, 2007 49 Charles Melman, L’homme sans gravité, Jouir à tout prix, Denoël, 2002

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

39

Généreux c’est le marché. Mais au final, pour l’un, psychanalyste, et pour l’autre,

économiste, c’est l’homme qui y a perdu, l’être humain dans sa capacité d’assumer sa

nature d’être de relation fait pour le lien social.

Cette simple référence suffit à illustrer la multiplicité des approches que l’on pourrait

faire converger vers cette critique unanime d’une raison instrumentale et marchande

ayant amputé la personne humaine de certaines de ses capacités et ressources

essentielles. Ivan Illich, par exemple, dans un dernier ouvrage posthume50 confirme le

diagnostic qu’il posait déjà plus de trente ans auparavant dans ses premiers ouvrages :

l’être humain, entré au début des années 80 dans l’ère des systèmes en quittant alors

huit siècles de raison instrumentale, ne dispose plus guère que de rares interstices que

lui laissent la philia, l’amitié, la gratuité, la spontanéité, les micro-résistances à un

quotidien totalement aliénant, pour laisser s’exprimer l’essence de son être. Le travail

social, lui-même, n’a-t-il pas contribué à la réduction de tout cela, est-on en droit de se

demander, prolongeant la critique radicale conduite en son temps par Illich à propos

des institutions de service ?

Or ce qui paraissait difficile à entendre, voici trente ou quarante ans, n’est-il pas

devenu parfaitement lisible au plus grand nombre aujourd’hui, y compris pour ces

professionnels exerçant ces métiers de l’aide, du soin, de l’éducation ? Non seulement

au sein même du travail social, le temps de la relation s’estompe. Celui du décompte

du temps de travail est arrivé comme celui de la procédure et de l’auto-évaluation

suspendue à celle des pouvoirs publics. Mais encore, au niveau sociétal, le doute s’est

emparé sur l’utilité sociale de ces fonctionnaires sociaux incapables de faire face à une

dégradation chaque jour plus accrue des détresses et des souffrances.

Dès lors, mieux que ces fonctionnaires, beaucoup plus efficace, est venu semble-t-il le

temps de la responsabilité de tous et de chacun pour faire front à ce monde devenu

impossible si chacun n’y met pas enfin du sien ! Chacun saura ce qu’il en coûte de

refuser un emploi, de commettre des délits, de mal s’occuper de ses enfants, de

vouloir venir en France sans métier ni sans connaître le français… et pour son bien !

Ainsi sera-t-il incité par la loi à trouver sa juste place dans le concert d’efforts

supportant la croissance et le marché, et sans le secours de toute une armada de

conseillers sociaux. Les lois elles-mêmes seront ses conseillères. L’Etat et son bras

policier renforcé sera intransigeant pour ceux qui n’auront pas compris, feront preuve

de mauvaise volonté ou se rebelleront !

50 Ivan Illich et David Cayley, La corruption du meilleur engendre le pire, Actes Sud, 2007

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

40

Les individus auront davantage de droit, celle du droit opposable au logement, celle du

droit opposable d’inscrire son enfant handicapé dans l’école de la république. Les

institutions sociales se verront ainsi suppléées par le tribunal.

Et le lien social direz-vous tel que Jacques Généreux en diagnostique la

déliquescence ? Et bien il reste quand même le travail social pour cela et surtout ses

bénévoles ! S’il faut compter sur le « travailler plus » pour l’intérêt de l’individu et du

marché convergents, il faut aussi pouvoir compter mieux sur l’engagement bénévole

de chaque citoyen. Mais ce discours du social est ténu : dans cette conception

néolibérale, telle qu’on en voit clairement se dessiner l’énoncé au cours de ces mois

récents en France, la question du lien social c’est d’abord celle du lien de chaque

citoyen à la culture du marché ; c’est celle de son mérite personnel.

Tout l’enjeu politique est d’amener les citoyens à collaborer volontairement à la culture

du marché en percevant qu’il y va également de son propre intérêt, le prix à payer en

cas de refus étant prohibitif. La logique est de parvenir à faire coïncider l’intérêt bien

compris de chaque individu avec celui de la société et donc du marché.

Quid du travail social et des associations dans un tel contexte? A échanger avec les

professionnels, on ressent bien leurs interrogations face à la réduction de leurs marges

de manœuvres. Ils s’avancent désormais sur une ligne de crête étroite où l’usager,

d’une part, fort de ses nouveaux droits peut toujours contester telle ou telle de leurs

initiatives, mais où, d’autre part, il risque de plus en plus d’être lui-même jugé et rejeté

par toute une société gagnée par le mirage de la responsabilité personnelle et du

mérite. A quoi bon dès lors poursuivre cette politique d’aide sociale, coûteuse en

investissements ?

Pris en tenailles par des pouvoirs publics soupçonneux, procéduriers et évaluateurs,

une opinion publique comprenant de moins en moins leur mission et disqualifiant leurs

usagers, et des usagers avant tout conscients de leurs droits opposables, comment

pourraient-ils continuer à faire valoir leurs métiers qui sont avant tout métiers de parole

et de confiance, de coopération et de reconnaissance ?

C’est une crise encore larvée, implicite, mais qui s’empare progressivement de tout le

champ social et de l’ensemble de ses acteurs.

Elle est parfaitement en phase avec la description faite par Jacques Généreux. Et

cependant nous ne souhaitons pas en rester à ce seul diagnostic. Parce que nous ne

souhaitons pas en rester non plus au seul concept de dissociété développé par

Jacques Généreux.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

41

Par-delà la dissociété, la persistance du don…

Dans son ouvrage, Jacques Généreux ne fait qu’une seule mention à Alain Caillé51 et

au MAUSS (mouvement anti utilitariste dans les sciences sociales) alors que sa

problématique anthropologique semble naturellement accordée à cette pensée (Cf.

l’ensemble des publications du MAUSS) qui, s’inspirant de l’ouvrage de Marcel Mauss

sur le don52, élargit considérablement le regard sur les sociétés humaines. Elle rejoint

le projet de Jacques Généreux de dépasser une conception exclusivement utilitariste

et « marchéiste » de l’être humain. A cet égard, l’approche d’Alain Caillé nous permet,

me semble-t-il, mieux qu’une simple invocation à rénover le discours politique et la

conviction des leaders, d’envisager une alternative au tout marché : elle repose en

effet sur une véritable anthropologie sociale et politique.

Pour ce dernier c’est un économisme lui-même sans limite qui nous a fait perdre de

vue que plus fondamental que l’intérêt et l’échange marchand il y avait comme principe

universel de constitution des sociétés humaines le fait de donner, de recevoir et de

rendre. C’est sur la base de ce principe mis au jour par Marcel Mauss qu’Alain Caillé

souhaite revisiter l’ensemble des conceptions réductionnistes qui nous font penser que

seul l’intérêt et l’utilité dominent, alors qu’en réalité les mécanismes du don restent bien

à l’œuvre, y compris dans une société comme celle où nous vivons en ce début du

XXIème siècle C’est à mettre au jour cette permanence du don qu’il s’emploie ainsi

qu’avec tous ceux qui collaborent avec lui depuis vingt ans à cette aventure du Mauss.

Signalons en particulier Jacques Godbout qui au Canada développe une pensée

sociologique très en phase avec celle d’Alain Caillé53.

Sans reprendre dans cette note de synthèse l’ensemble de la démarche d’Alain Caillé,

soulignons qu’elle nous permet d’emblée de donner sens à des réalités persistantes

comme la vie associative qui ne sauraient se restreindre à la logique du marché. Alain

Caillé voit dans le geste premier de l’alliance, dans le fait de se confier à l’autre, aux

autres, dans un moment d’inconditionnalité absolu, le moment précaire, fragile, sans

raison, sans motif qui constitue le geste politique premier, fondateur de toute société.

C’est d’abord par l’alliance que l’on forme société et c’est là le registre du don. Avant

même de se demander comment on fait économie, droit, se pose la question :

comment fait-on société ? Eh ! bien l’alliance est première : c’est le primat du politique

sur les contraintes économiques ! Et cette logique de l’alliance s’instaure sur un mode

51 Jacques Généreux, ibid. p 170 52 Marcel Mauss, L’essai sur le don, sociologie et anthropologie, Paris, Puf, 9ème édition, 2001 53 Jacques T. Godbout, Ce qui circule entre nous, Donner, recevoir, rendre, Paris, Seuil, 2007

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

42

symbolique. « Ce que les symboles représentent, c’est l’univers du don, le passage de

la guerre à la paix, de la mort à la vie… »54

Marcel Mauss met au jour la théorie tétra-dimensionnelle des mobiles de l’action

humain : quatre mobiles irréductibles organisés en deux oppositions. Le don se tient

entre les mobiles de l’intérêt pour autrui et de l’intérêt pour soi, où l’on retrouve les

deux aspirations ontogénétiques de l’être humains selon Jacques Généreux ; et entre

les mobiles de l’obligation sociale et de la liberté.

Or ces mobiles ne se déduisent pas les uns des autres. La grande erreur de toutes les

théories économiques est de chercher à tout expliquer à partir du seul intérêt pour soi.

Ce réductionnisme généralisé s’oppose à l’irréductibilité de chacun des mobiles mis au

jour par Marcel Mauss. Le don est un hybride entre l’obligation et la liberté, entre

l’intérêt pour soi et l’intérêt pour autrui. Ce modèle de Marcel Mauss permet de

dépasser les deux oppositions polaires en impasse des sciences sociales, notamment

entre l’individualisme méthodologique et le holisme sur lesquels Jacques Généreux

revient très fréquemment dans son ouvrage.

La pensée du don est une pensée du milieu, fondée sur l’interdépendance généralisée,

à la fois individualiste et holiste, reposant sur la liberté des individus et l’obligation

sociale.

Alain Caillé voit dans le travail des grandes religions un travail d’universalisation, de

radicalisation et d’intériorisation de l’obligation de donner qui sera relayée par les

grandes idéologies politiques expurgées du don.

Alain Caillé introduit alors les concepts de socialité primaire et de socialité secondaire

qui viennent enrichir la problématique du don, l’éclairer : dans le domaine de la

socialité secondaire les fonctions accomplies par les personnes importent plus que les

personnes. C’est le monde de l’entreprise, du droit, de l’administration, de

l’impersonnalité du marché, de l’efficacité impersonnelle. Mais nous vivons aussi dans

l’univers de la socialité primaire où la personnalité des personnes importent plus que

leur efficacité fonctionnelle : c’est le domaine de la famille, des voisins, des amis où

continue à régner la règle du don : donner, recevoir, rendre. C’est par le don que nous

personnalisons nos relations.

Or, il s’avère que l’entreprise elle-même ne se réduit pas au marché : c’est aussi un

gigantesque tissu de relations de don et de contre-don où règnent les mécanismes de

loyauté.

54 Alain Caillé, citation extraite de l’intervention à Sciences Po, mai 2007. Les réflexions qui suivent sont pour l’essentiel issues de cette intervention.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

43

Le don n’est pas une relation parmi d’autres. Il est équivalent au politique. C’est le

politique ! Il ne s’agit donc pas d’une simple modalité de la relation parmi d’autres. Pour

Alain Caillé, à la suite de Marcel Mauss, au cœur du politique se trouve la question du

don généralisé : qui décide qui va donner à qui ? Qui reçoit de qui ?

Contrairement à ce que pourrait laisser penser la seule loi du marché, au cœur du

social la dette circule sans arrêt, une dette jamais soldée : la relation de don, c’est une

relation de dette alternée. Or au-delà de l’obligation de payer la dette, il y a le moment

de grâce du don où les choses se renversent. C’est le moment de créativité du don :

un don vivant, fait aujourd’hui, dans l’instant, avec tous les dons passés !

Cette problématique du don nous permet de revenir aux enjeux de la vie associative où

le moment premier de l’engagement bénévole est fondateur. C’est plus lisible dans les

petites associations ressortissant du domaine de la primarité. Par contre dans les

grandes associations ce moment fondateur, et avec lui la question du don, ont

tendance à être recouverts. Pourtant il reste de la primarité au sein de la société

secondaire et la problématique du don y circule. Les professionnels des grandes

associations sont aussi pour une part dans la socialité primaire, tout comme les

bénévoles. La question du don n’est pas réservée aux seuls administrateurs ! L’éthique

de la responsabilité (professionnels) et celle de la conviction (bénévoles)

s’entrecroisent sans cesse. Où sont les lieux de reconnaissance permettant à chacun,

professionnels et bénévoles, de ressourcer leur engagement ? Pour l’ensemble des

acteurs d’une association, adhérents, usagers, bénévoles, administrateurs,

professionnels, la question fondamentale tourne autour de cette question de la

reconnaissance et du don.

Il y a un enjeu fort de redéfinition des formes associatives autour de cette question de

la reconnaissance couplée avec la question du don : il est important pour chacun de

recevoir de la gratitude. Une société forte est une société qui permet à chacun d’être

reconnu, d’être valorisé.

Les associations ne peuvent être de simples prestataires de service avec un clivage

entre les commanditaires (la commande publique) et ceux qui exécutent la commande.

Entre les prestataires de service et ceux qui en sont les bénéficiaires. Et parmi les

prestataires d’autres clivages se manifestent encore entre les administrateurs et les

professionnels, comme entre les administrateurs et les bénéficiaires qui souvent ne se

rencontrent jamais. Où est le don qui circule entre tous ces acteurs ? Où est la

reconnaissance ? Comment retrouver ces mécanismes fondamentaux et les valoriser.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

44

Au-delà des travaux d’Alain Caillé et Jacques Godbout dans le champ sociologique, un

auteur comme Paul Fustier55, psychosociologue, a lui aussi entrepris une lecture du

travail social autour de cette question du don. Par-delà la problématique purement

utilitariste et procédurale, par-delà la logique du droit où chacun ne reçoit que ce à quoi

il a droit, s’emparant chaque jour un peu plus du travail social, c’est cette

problématique du don et de la reconnaissance dont j’aimerais entreprendre également,

pour ma part, de souligner l’enjeu au cours de cette formation sur les changements

associatifs dans le cadre de Sciences Po. Pour prolonger cette synthèse je joins ce

petit texte de réflexion autour des enjeux de gouvernance associative écrit dans le

prolongement de l’enseignement d’Alain Caillé ?

Pour contribuer à la réflexion sur la gouvernance a ssociative…

L’un des enjeux forts de la problématique de la gouvernance associative est, me

semble-t-il, de faire circuler autrement la relation entre tous les acteurs impliqués par la

vie associative. Nous avançons par prises de conscience successives. Dans le type

d’organisation où nous exerçons, la plupart d’entre nous, la sphère professionnelle

s’est pendant très longtemps suffi à elle-même. Elle s’arrangeait bien d’une

représentation politique de l’association « notabilisant » son développement, sans

toutefois peser directement sur ses choix ni ses orientations.

Toutefois, face à la revendication croissante des conseils d’administrations d’être

reconnus dans leur fonction, à la prise de conscience des risques d’instrumentalisation

du secteur associatif par une approche toujours plus technocratique des pouvoirs

publics, face au modèle également de plus en plus prégnant de l’entreprise, la question

de la gouvernance associative s’est progressivement substitué à celui de la dirigeance

(concept de dirigeance d’ailleurs, soit dit en passant, bien malmené aussi par le décret

budgétaire ramenant au statut de siège social toutes les directions générales !). Or

sans doute n’avons-nous pas pris encore toute la mesure de cette évolution en faveur

de la gouvernance.

Nos premières réflexions sur la gouvernance restent essentiellement centrées sur le

couple président-directeur général, largement compatible avec la prégnance préservée

de la sphère professionnelle sur l’espace associatif. C’est une première étape sans

doute nécessaire dans la transformation de nos modes d’organisation. Mais au-delà

55 Paul Fustier, Le lien d’accompagnement, Entre don et contrat salarial, Dunod, Paris, 2000

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

45

d’une représentation un peu statique des modèles à l’œuvre, centrés sur l’analyse du

fonctionnement de ce couple président-directeur, ne conviendrait-il pas de substituer

une analyse prospective des dynamiques de transformation engagées, prenant en

compte non seulement les méthodes mobilisées pour conduire le changement dans les

organisations, mais encore la manière d’y associer tous les acteurs.

A ce sujet, nul doute que le modèle coopératif réserve des surprises d’évolution en ce

qui concerne la compréhension de la gouvernance dont nous n’avons pas encore

mesuré toutes les potentialités. Car privilégier la coopération des acteurs au sein de

nos organisations nous entraîne inéluctablement à nous dégager d’une conception trop

personnalisée de la dirigeance et à mettre l’accent sur tous les dispositifs collectifs de

mobilisation de la parole, de la pensée, de l’analyse impliquant tous les acteurs.

Ainsi, élaborer un règlement général précisant les modalités d’échange et de travail

entre le directeur général et le président ne nous dispense pas, bien au contraire, de

porter également le regard sur le type de coopération recherchée entre les membres

du conseil d’administration tout autant qu’entre les membres de l’organisation

professionnelle et notamment les cadres dirigeants. Cela permet dans le même temps

d’élargir le regard sur la coopération entre les administrateurs, les professionnels, les

bénévoles… De nouveaux dispositifs, tels les comités exécutifs voient le jour.

Mais une fois que ce travail, largement amorcé, commence à faire projet, il me semble

que nous commençons alors seulement à prendre conscience du grand absent de

toute cette métamorphose de la gouvernance associative : l’usager.

Si les pouvoirs publics, et la loi du 2 janvier 2002 en particulier, ont placé ce dernier au

cœur de l’acte professionnel. Ce n’était pas leur rôle de postuler que c’est au cœur de

la vie associative qu’il pourrait tout aussi bien se situer! Le raccourci technocratique de

la loi à l’usager, instrumentalisant largement le professionnel même si c’est pour en

améliorer globalement les compétences, n’a que faire en effet de la dimension

instituante fondant l’acte associatif. Or il s’agit pour ce dernier d’un acte avant tout

socio-politique qui sans doute jamais, du fait de l’extrême dépendance de nos

systèmes aux finances publiques comme de la prévalence dès le départ du champ de

l’expertise professionnelle, n’a pu prendre en France son véritable essor. Il me semble

que c’est là que se place avant tout aujourd’hui la question de la gouvernance

associative.

Nos conseils d’administrations sont garants de la bonne gestion des finances

publiques destinés au fonctionnement de la réponse sociale mise en œuvre par les

établissements et services et les professionnels qu’ils emploient. Impliqués parfois

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

46

désormais dans les démarche qualité et d’évaluation, les voici à présent également

garants de la compétence mobilisée par leurs salariés. Mais que ne le sont-ils pas

d’abord du lien ou de la perte de lien entre les usagers et la société qu’ils

représentent ? Que ne s’autorisent-ils pas à associer largement ces derniers à la vie

même de l’association, où ils trouveraient peut-être, au-delà de l’acte professionnel qui

les concerne une raison de travailler avec d’autres au dépassement de leurs difficultés

qui ne sont pas qu’individuelles, mais aussi collectives et sociétales.

Dès lors la gouvernance associative ne pourrait-elle pas prendre sa vraie dimension,

l’acte professionnel retrouvant sa juste place au service d’une vision de l’homme et de

la société ? L’association jouerait pleinement son rôle de contrepoids essentiel à la

marchandisation croissante des rapports humains et sociaux. La question du lien social

ne serait plus seulement abordée de l’extérieur ou à travers le seul acte professionnel

la renvoyant le plus souvent au colloque singulier : d’où sans doute, d’ailleurs, cette

perte croissante unanimement constatée de la parole sociale et politique des

travailleurs sociaux. Mais elle serait expérimentée par l’ensemble des acteurs

associatifs dont la parole retrouverait toute sa force tout simplement parce que l’usager

y aurait trouvé son espace légitime et sa contribution décisive. C’est le chaînon

manquant de nos associations, la raison pour laquelle « ce qui circule entre nous »

tourne bien souvent au ralenti.

Certes, beaucoup d’associations ont déjà placé les parents d’usagers dans un rôle de

premier plan notamment dans le secteur du handicap. Ce n’est pas toujours sans

dérives, ni sans tensions avec les professionnels. Mais en dépit de l’investissement

affectif qui pèse, il y a déjà là un enjeu de représentativité qui modifie la donne tant à

l’interne qu’à l’externe de ces associations. Dans le secteur social où la notion de

handicap est mobile, fluctuante, circule aisément de l’un à l’autre à l’intérieur du corps

social, on sent bien l’espace tout autre, de nature socio-politique, que serait capable de

mobiliser un tel investissement : une force peut-être trop redoutable pour que les

autres acteurs du jeu associatif, administrateurs et professionnels, aient eu jusqu’à

présent l’idée de la mobiliser.

Sans doute le temps est-il venu ! Dans l’évolution politique que nous connaissons,

c’est peut-être un enjeu non seulement pour nos associations, mais encore pour toute

la société française. C’est notre devoir et notre responsabilité de faire vivre des

espaces intermédiaires non seulement de contre-pouvoir, face à une conception trop

affirmée du pouvoir, mais encore, et surtout, des espaces de résistance mobilisant la

capacité de chacun de s’associer avec d’autres pour promouvoir le lien de solidarité,

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

47

pour rendre gratuitement ce qui a été reçu et pour le reconnaître, face à une évolution

toujours plus décomplexée de nos sociétés avancées ou seul l’individu, son intérêt, ses

mérites, ses droits, ses devoirs restent pris en compte et considérés, et si peu la dette

qu’il a contracté à l’égard de tous les autres en accédant au don de la parole qui le fait

humain.

Pouvoirs publics et gouvernance

La gouvernance associative ne saurait se penser indépendamment de la

transformation globale des systèmes complexes dans lesquels elle se trouve inscrite et

dont elle se trouve forcément informée. La plus-value de toute action publique

aujourd’hui ne réside-t-elle pas dans sa capacité d’organiser des logiques d’acteurs

toujours plus convergentes et coopératives, bien plus que dans l’affirmation de

pouvoirs sectoriels irréductibles et s’excluant les uns les autres. Même s’il y a encore

loin de la théorie à la pratique, on peut dire toutefois que le mouvement est enclenché,

de manière irréversible. Appelées à coordonner de manière toujours plus étroite de

multiples réseaux d’acteurs, en interne comme en externe, sans doute manquait-il

jusqu’alors aux administrations les méthodes rendant lisibles tant leur opérationnalité

(évaluation des politiques publiques) que leur coût (LOLF) et surtout l’identification de

leurs modes de pilotage aux différents échelons des territoires (schémas nationaux,

régionaux, départementaux et intercommunaux). Le renforcement du rôle et des

prérogatives des élus locaux, départements et communes (cf., par exemple, dans le

cadre de la Réforme de la Protection de l’Enfance et de la Loi de Prévention de la

délinquance) devrait à terme affiner cette définition et cette intégration des méthodes

de pilotage et dégager des modes de gouvernance territoriales indispensables pour

que les associations elles-mêmes renouvellent en profondeur, et dans des cadres

sécurisés, leurs organisations et leur mode de gouvernance.

Toutefois on peut dire, inversement, que les associations ont d’ores et déjà anticipé

cette réforme globale de la gouvernance à l’échelon des territoires, en se regroupant,

en s’associant elles-mêmes en réseaux d’acteurs capables de susciter des

dynamiques, ou en tous les cas d’interpeller les élus locaux, en vue de l’instauration

d’un niveau plus global et mieux intégré de pilotage. Le relatif échec des premiers

schémas territoriaux d’action sociale ou de protection de l’enfance, la difficile

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

48

articulation des départements et de l’Etat, dénotent à cet égard cette faiblesse

structurelle jusqu’alors en France en matière de pilotage global de l’action publique et

donc de gouvernance.

L’innovation associative en matière de gouvernance

On peut dire que les associations innovent à cet égard, même si elles ne sont pas

seules à le faire. De par la multitude des acteurs qui les composent, peut-être

perçoivent-elles de manière anticipée certains enjeux des changements qui se

dessinent. Par ailleurs, leurs modalités d’organisation, plus souples, leur permettent

également d’expérimenter et d’inventer des formes nouvelles de regroupements

d’acteurs capables d’influer en profondeur sur les systèmes organisationnels globaux

où elles s’inscrivent.

C’est en cela que les modes de gouvernance associative sont actuellement en pleine

évolution même s’ils sont loin d’avoir trouvé une nouvelle forme stabilisée et

pleinement satisfaisante au regard de multiples enjeux plus ou moins clairement

perçus. Ce qui a fortement évolué au cours des dernières années, c’est d’abord

l’aptitude des associations à rassembler leurs acteurs bénévoles et professionnels

autour de projets associatifs capables de fédérer de manière plus coordonnées les

différents services, établissements ou instances politiques de l’organisation. C’est

ensuite leur capacité à se relier entre elles, autour d’enjeux opérationnels et

stratégiques mieux repérés au niveau local : cela à la mesure de l’émergence

progressive d’une nouvelle dynamique de pilotage territorial de la part des pouvoirs

publics et surtout de nouvelles compétences qui leur sont dévolues. Mais il reste sans

doute encore à réformer en profondeur le lien entre politique associative et service à la

personne, dans la mesure où l’utilité sociale des associations ne saurait se résumer à

la somme des compétences techniques et professionnelles qu’elles réunissent et

mettent en œuvre, aussi bien orchestrées et administrées soient-elles dans le cadre

d’une coopération plus étroite entre instances dirigeantes, bénévoles et

professionnelles.

La dimension politique et citoyenne de la gouvernan ce associative

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

49

La gouvernance associative suppose de revenir aux fondements mêmes de la force

instituant le fait associatif. Or, dans le domaine de l’action sociale, celle-ci renvoie à la

rencontre de personnes se mettant bénévolement au service d’autres personnes et

mobilisant, le plus souvent, des moyens et des techniques professionnels pour

atteindre leurs fins. Il y a là un enjeu de valeurs partagées autour d’une conception de

la personne humaine et d’une volonté de placer la promotion de l’humain au cœur

même de l’acte associatif. Si un enjeu fondamental de la gouvernance consiste

aujourd’hui à engager davantage chaque acteur dans une dynamique de co-

construction et d’élever ainsi le niveau de responsabilité de chacun au regard d’un

projet partagé, aucun d’entre eux, bien sûr, ne saurait être tenu à l’écart de ce

processus. L’usager doit lui-même être considéré comme une ressource fondamentale

de la gouvernance associative, plutôt qu’uniquement comme pièce centrale autour de

laquelle s’organiserait toute une architecture techno-sociale que les pouvoirs publics se

seraient donnés pour mission de coordonner, de contrôler et d’évaluer.

La visée même du processus de renouvellement de la gouvernance engagé dans nos

associations ne peut qu’interroger au final la dimension citoyenne et politique des

personnes bénéficiaires des actions que nous déployons. La montée en force des

acteurs politiques locaux, ne saurait qu’aller de pair avec la montée en force des

politiques associatives. Si nos instances dirigeantes ces dernières années ont été

particulièrement attentives à renforcer la dimension politique de nos associations par

de meilleures convergences internes et externes, notamment entre administrateurs et

cadres dirigeants, ne doivent-elles pas encore se centrer à présent sur la question

même du lien social et sur le fait qu’elles peuvent aussi constituer pour leurs usagers

de réels espaces intermédiaires, d’autant plus incontournables à un moment où risque

de se renforcer de manière démesurée le poids des responsabilités individuelles…. au-

delà d’une réflexion plus formelle sur la gouvernance, l’enjeu fort serait pour l’associatif

de mettre au travail la dimension politique du lien social, ce qui ne saurait se faire sans

impliquer fortement dans le fait associatif lui-même la dimension citoyenne et politique

de l’usager. Il en va là sans doute de la condition même de restauration d’une plus

forte capacité de représentativité politique de nos associations.

Enjeux intersubjectifs de la gouvernance associativ e

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

50

Enfin, un autre enjeu consiste à faire le lien entre l’évolution des pratiques

professionnelles et la gouvernance associative. La place que les dynamiques de

supervision, de consultation, d’échange et d’analyse des pratiques, de coaching, de

formation ont prise notamment à différents niveaux de nos organisations serait aussi à

lire dans cet enjeu global de la gouvernance. Au fond, cela vient dire que l’on ne

gouverne plus aujourd’hui sans l’implication subjective de tous les acteurs concernés

par l’existence même d’un principe de gouvernance. C’est pourquoi ce niveau de

réflexivité permanente entre acteurs sur le sens des pratiques doit concerner aussi au

premier chef les instances dirigeantes de nos associations. La gouvernance implique

cette mise en œuvre, en scène, en discussion, de manière constante, de toute la

complexité intersubjective engagée. Elle suppose l’élaboration de dispositifs nouveaux

et adaptés. L’enjeu majeur est d’accompagner le changement des logiques d’acteurs

vers des visées coopératives accrues en interrogeant la posture relativement

objectivée d’un encadrement peu informé ni concerné par les dynamiques subjectives

à l’œuvre. Il s’agirait alors de quitter le seul niveau de la formalisation gestionnaire,

pour celui d’un changement structurel touchant le niveau des représentations des

acteurs et supposant la prise en compte de leur adhésion subjective… C’est ici

également qu’il conviendrait de faire porter l’axe central de la question de l’évaluation

en matière d’action sociale. Autre enjeu de la gouvernance donc : travailler à tous les

niveaux pour l’instauration d’espaces de subjectivation des acteurs (Blaise Ollivier,

l’acteur et le sujet56), capables d’élaborer des liens intersubjectifs entre eux et avec

tous les autres, et d’en rendre compte.

En conclusion…

La pensée développée par Alain Caillé et par les sociologues et économistes

contribuant au mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales à la suite des

travaux de Marcel Mauss, me paraît prendre en compte la complexité de la réalité

associative et de ses mécanismes fondamentaux notamment autour des enjeux du don

56 Blaise Ollivier, L’acteur et le sujet, Vers un nouvel acteur économique, Pairs, Desclée de Brouwer, 1995

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

51

et de la reconnaissance. Des liens me restent à faire, prolongeant la sensibilisation

qu’a constituée pour moi la lecture du livre de Jacques Généreux. Aussi, j’aimerais

prolonger dans cette direction ma réflexion sur les changements associatifs et sur les

transformations engagées dans l’association que je dirige.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

52

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

53

CERTIFICAT II – DIAGNOSTIC D’UNE ASSOCIATION

Diagnostic de la Maison Pour Tous d’Argenteuil : L’analyse identitaire et culturelle

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

54

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

55

ANALYSE IDENTITAIRE ET CULTURELLE

Introduction

La Maison pour Tous d’Argenteuil est une structure complexe aux identités

diversifiées. Cela est lié au fait qu’elle place la question identitaire et culturelle au cœur

même de son organisation et de ses stratégies. On ne saurait donc se passer pour

cette association d’une analyse identitaire et culturelle. C’est là un élément de mise en

perspective indispensable.

On constate d’emblée qu’à la Maison Pour Tous, c’est l’identité qui fait lien entre les

acteurs. C’est une identité de type engagé qui donne seule une légitimité au sein de la

structure. La légitimation des acteurs renvoie, en effet, de fait à leur identité,

notamment sur ce mode de l’engagement. Plus on se rapproche du modèle de la

personne engagée, plus on est légitime dans la structure. L’engagement est une façon

de mobiliser le lien social entre les acteurs. On peut même parler d’une modalité

contagieuse du lien social : « Je ne pense pas qu’il y ait eu à la MPT quelqu’un qui soit

passé sans vraiment s’investir et s’investir sur le temps… La Maison pour Tous je crois

que c’est quand même quelque chose qui roule et qui fait boule de neige… Que ce soit

les bénévoles, les salariés, tout le monde s’investit. »

Nous allons montrer, en développant cette analyse identitaire et culturelle de la Maison

Pour Tous d’Argenteuil, que la dimension de l’investissement et de l’engagement qui

structure son projet, fondé sur une véritable vision de l’émancipation collective du

quartier, ne vaut que par la forte implication personnelle de chaque acteur, et repose

sur une modalité de transmission foncièrement intersubjective et interpersonnelle.

C’est la richesse de la Maison Pour Tous. C’est sur cela que repose la force de son

dynamisme. Mais c’est aussi toute sa fragilité, la dynamique collective ne s’étant

jamais véritablement émancipée d’une relation essentielle au charisme des fondateurs.

La structuration progressive de l’institution et sa professionnalisation soulignent chaque

jour un peu plus l’écart entre les logiques et les nécessités gestionnaires qui

s’imposent, segmentant de plus en plus les domaines d’action, et la force des valeurs

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

56

incarnées par les acteurs fortement référées à des personnalités dont on n’ose

envisager le possible départ.

Des groupes d’acteurs aux identités différentes

Malgré cette forte convergence de vues qui, au premier abord, caractérise la Maison

Pour Tous, semblant dégager une tonalité très homogène autour de la logique de

l’acteur engagé, il est important de chercher à repérer les identités différentes à

l’œuvre. En effet, au même titre qu’une entreprise, l’association mobilise des enjeux et

des stratégies d’acteurs, la question de l’identité et de la culture venant les imprégner

fortement. Même si la principale légitimation de l’identité tourne donc autour de la

notion d’engagement, on a cependant à faire, dans cette Maison pour Tous, à des

acteurs aux identités différentes.

Nous inspirant des travaux de Renaud Sainsaulieu dans le champ de l’entreprise57,

nous nous proposons de dégager les dynamiques identitaires à l’œuvre au sein de la

Maison Pour Tous d’Argenteuil. La capacité d’agir dépend, en effet, des identités en

présence et de leurs possibles articulations en systèmes de représentations, de

symboles et valeurs aptes à fonder l’action sur une dynamique collective. Ce qui paraît

au premier abord s’imposer à la Maison Pour Tous, c'est-à-dire la force cohésive de

l’implication et de l’engagement, relève en fait d’une alchimie subtile entre des identités

d’acteurs différentes. Avant de mettre en évidence leurs articulations, que nous

approfondirons notamment en développant l’analyse culturelle, nous allons nous

arrêter sur chacune d’entre elles pour mettre en évidence cette différenciation

identitaire.

A la recherche des identités collectives, et s’inspirant notamment des travaux de

Claude Dubar, Renaud Sainsaulieu identifie quatre grands faisceaux d’indices

permettant de repérer les principales formes d’identité produites par les situations de

travail : le pouvoir exercé ou la position organisationnelle, la mobilité parcourue,

57 Françoise PIOTET, Renaud SAINSAULIEU, Méthodes pour une sociologie de l’entreprise, Presses de la Fondation Nationale Des Sciences Politiques et ANACT, Paris, 1994.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

57

l’innovation pratiquée et les types d’implication dans et hors travail58. Pour chacune de

ces entrées quelques traits principaux caractérisent l’identité de chaque catégorie

d’acteurs. Sans développer ici l’ensemble de ces items, nous nous inspirons des grilles

élaborées par Renaud Sainsaulieu pour proposer l’analyse identitaire des principaux

acteurs de la Maison pour Tous.

La direction

En termes de position dans l’organisation, la Directrice assume naturellement le

modèle d’acteur de négociation. C’est un leader démocratique qui fait de la circulation

de la parole entre tous la clé de la réussite de la Maison Pour Tous. Elle assure la

cohésion générale et veille à la bonne relation de l’ensemble. Dans ce but, elle est « en

mesure de se différencier et de communiquer de façon contradictoire, accomplissant

une tâche individuelle mais où les échanges et les alliances avec d’autres représentent

des atouts considérables»59

Bien que recrutée à l’extérieur, elle est passée d’abord par une fonction de directrice-

adjointe avant d’accéder à la place de directrice. Ce qui a permis une sorte de

cooptation de l’intérieur. Il paraît, en effet, essentiel dans ce modèle que le leader sorte

en quelque sorte du groupe « qui attend de lui qu’il s’impose par ses capacités

personnelles de médiateur »60.

Elle conçoit son autorité sur un mode libéral, participatif, ordonné au primat de la

relation humaine.

En ce qui concerne son parcours de mobilité, paradoxalement, et contrairement à tous

les autres acteurs de la Maison Pour Tous, la Directrice se trouve aujourd’hui, pour

reprendre la terminologie de Sainsaulieu, dans une identité bloquée. Elle a atteint le

plus haut niveau dans l’organisation, et cela depuis près d’une vingtaine d’années. La

seule mobilité qui lui est permise est de quitter la structure. Toutefois, elle sait que ce

n’est pas sans risque, ni pour elle, ni pour l’association. Comment reconstruire une

telle cohésion entre une fonction, une personnalité, une organisation ? On peut dire

que cette question est à la fois celle de la Directrice comme celle de chacun des

acteurs engagés dans le Maison Pour Tous. C’est une question existentielle qui

traverse aujourd’hui toute l’association. Nous verrons plus loin comment il s’agit là

58 Ibid. p. 204. 59 Ibid. p. 206 60 Idem

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

58

d’une question liée au projet même de la structure et qui déborde donc la personnalité

même de la Directrice actuellement en poste.

Ainsi la question de la transmission est-elle centrale pour envisager un « déblocage »,

tant du parcours professionnel de la Directrice que du projet et de la capacité

d’envisager sereinement l’avenir de la Maison Pour Tous.

En ce qui concerne les pratiques innovatrices, tout comme l’ensemble des acteurs, la

Directrice de l’association se situe naturellement dans la catégorie des pionniers,

fortement attirés par « l’innovation et le changement dans les habitudes de relations et

de vie collective. »61 Peu enfermée dans la règle, même si elle doit en garantir pour

l’essentiel le respect, elle privilégie l’aventure, la découverte, les contacts, la

nouveauté. Elle tient à distance la bureaucratie et l’administration même si elle a su

inscrire la Maison pour Tous de plus en plus dans leurs logiques. Sa capacité

d’innovation, voire de retournement, l’a conduite le plus souvent à mettre

l’administration au service de la structure. On ne compte plus les personnalités qui

viennent souligner, voire s’associer, à l’instar de la sous-préfète, au succès de la

Maison Pour Tous en matière de lien social sur le quartier.

Ses principaux atouts sont les réseaux et une grande complexité de jeux d’alliance

permettant d’inscrire toute mesure nouvelle dans un dispositif relationnel déjà à

l’œuvre sur le quartier.

La professionnalisation nécessaire qu’elle poursuit des acteurs de l’association se

trouve ainsi mise au service d’une logique de lien social, d’engagement et d’innovation

qu’elle ne lâche pas.

Enfin, en matière d’implication dans et hors travail, c’est la figure de l’identité citoyenne

qui s’impose concernant la Directrice de la Maison Pour Tous, caractéristique qu’elle

partage là encore avec la plupart des autres acteurs. On sent une grande cohérence

entre la personnalité qui dirige l’association et son engagement de citoyen, de parent,

en dehors. Il n’y a pas de frontière rigide entre les niveaux d’engagement. C’est

d’ailleurs par l’intermédiaire de l’école de ses enfants, et dans sa fonction de parent

d’élèves, qu’elle établira le lien avec une formatrice du cycle de Sciences Po sur les

changements associatifs, rencontre qui conduira au diagnostic présent.

61 Ibid. p. 211

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

59

On perçoit bien à travers cette première approche le caractère essentiel de l’analyse

identitaire pour comprendre, dans leurs différences, les dynamiques d’acteurs

impliquées dans la création d’une véritable culture d’entreprise.

Les salariés

Le groupe des salariés est composite : entre les salariés à temps plein et les

vacataires, les responsables de projets, ceux qui tiennent une permanence à la Maison

Pour Tous tout en étant employé par un autre organisme, certaines particularités se

dégagent. Toutefois, en termes de dynamiques identitaires nous avons choisi une

approche homogène mettant en évidence les convergences fortes.

Quant à leur position dans l’organisation les salariés se situent plutôt dans un registre

d’affinités. La partition de la Maison Pour Tous en grands domaines d’activité favorise

certainement cette coopération renforcée en petits groupes d’«élus » se trouvant

engagés dans les mêmes missions. L’entraide est intense au sein de ces groupes, on

y cultive une certaine différence tout en restant fortement référé au projet d’ensemble,

au conseil de maison et à la direction. La relation personnalisée de chaque

responsable de secteur à la directrice est à cet égard essentielle. Toutefois une forte

marge de manœuvre reste revendiquée. Tout comme la directrice, ils ne sont donc pas

exempts d’une certaine dynamique de négociation.

Sur le registre de la mobilité, ils se situent dans une dynamique de promotion. La

proximité avec la direction n’en est que plus essentielle, d’autant que la plupart

tiennent le poste et la responsabilité qu’ils occupent de son discernement et de sa

décision. Certains parcours à cet égard sont étonnants, de bénéficiaire des actions de

la Maison Pour Tous à responsable de projet en son sein. Cette ascension sociale et

professionnelle est le fruit d’une pédagogie de l’accompagnement qui marque

profondément la structure, tant en direction des publics visés que des professionnels.

Des parcours de formation sont proposés dans le choix desquels la Directrice joue un

rôle déterminant. Le cœur des formations gravite autour des enjeux relationnels et de

communication avec une référence privilégiée à l’analyse transactionnelle et à la

programmation neuro-linguistique. C’est bien sur cette compétence avant tout humaine

et relationnelle que vont se définir les stratégies promotionnelles au sein de

l’association. L’ensemble des salariés mesure que la réussite de la Maison Pour tous

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

60

repose sur leur capacité d’implication et d’engagement relationnel. Toutefois cette

« sélection » relativement subjective et hautement personnalisée risque d’entraîner à la

marge des conflits de reconnaissance entre professionnels de même niveau ou de

niveaux différents de qualification, le diplôme n’étant pas le premier ni le seul critère de

considération.

On peut parler d’une véritable dynamique promotionnelle au sein de la Maison Pour

Tous, avec un risque toutefois de blocage également pour certaines personnes

parvenues à la responsabilité d’un secteur d’activité.

En matière de pratiques d’innovations, les professionnels se montrent très impliqués, à

l’instar de tous les autres acteurs de l’association, et révèlent donc une dynamique de

pionniers notamment sur le plan des méthodes. Toutefois, ils peuvent se montrer

également légalistes à l’égard d’un militantisme pionnier caractérisant la structure et

qu’ils peuvent juger parfois excessif. Ils mettent ainsi en avant des règles de sécurité

pas toujours respectées dans la conduite d’actions sur le quartier. Ils peuvent ainsi,

dans leurs propos, avoir tendance à banaliser d’une certaine manière l’innovation,

cherchant à la contrebalancer par la recherche d’un « ordre rationnel acceptable »62

ainsi que de formes légales qui soient compatibles avec les missions de la Maison

pour Tous tout en luttant contre un certain désordre déstabilisant.

Enfin sur le plan de la double implication identitaire, au travail et hors travail, ils se

rapportent eux aussi à la figure de l’identité citoyenne. La frontière est ténue entre leur

engagement à la Maison Pour Tous et leur engagement dans la cité, les savoir-faire

sociaux, créatifs, humains se transférant aisément d’un domaine à l’autre.

Il faut souligner, concernant les salariés, la forte dimension d’engagement qui semble

différencier le projet de la MPT et affirmer sa singularité à l’égard de toute autre

structure, y compris de même type. « Je fais 8 heures par semaine et pourtant cela me

prend beaucoup plus… personne ne se plaint, cela ne me perturbe pas, comme si

c’était un engagement personnel. Cela touche à la vie personnelle, à la personnalité,

au sens que l’on met à son existence et cela c’est très important… Ca va au-delà du

travail salarié.»

Même écho de la part d’une salariée de la CAF assurant des permanences à la Maison

Pour Tous : « Quand on discute avec des collègues qui travaillent sur des structures

62 Ibid. p. 212

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

61

différentes, qui n’ont pas la même histoire, on sent que notre implication, notre

fonctionnement est différent, et c’est vrai que la Maison Pour Tous, au niveau de la

CAF, est reconnue comme une structure importante sur le quartier… Il y a un esprit,

une implication, de l’engagement… Les personnes qui s’engagent se sentent

reconnues, valorisées… Il y a un dynamisme important et un bon partenariat. »

Ainsi, on ne perçoit pas de grande différence entre les bénévoles et les salariés en

matière d’implication et d’engagement. Au-delà du temps professionnellement

possible, ils s’engagent eux aussi sur un mode bénévole. Pas plus que les bénévoles,

ils n’ont un rapport neutre à la structure.

« Il y a un gros investissement de tous ici, y compris des professionnels qui

s’impliquent même le dimanche. C’est une grosse différence avec ce que j’ai connu

dans la banque. »

Les membres du C.A.

Sans développer autant les dynamiques identitaires caractérisant les autres acteurs,

bénévoles, membres du CA et engagés dans les activités, usagers des activités

culturelles et bénéficiaires des actions sociales, nous allons toutefois dégager

quelques traits qui seront essentiels pour conduire la suite de notre analyse identitaire

et culturelle.

Ainsi sur le plan de leur place dans l’organisation, les membres du CA paraissent-ils

impliqués sur le modèle de la fusion à l’égard de la figure dominante de la Directrice.

On observe peu de différenciation de places. Ils sont omniprésents, à l’instar du

Président, mais dans l’ombre de la direction. L’absence de prise de parole du

Président de l’association dans le cadre de ce diagnostic initié par la Directrice est à

cet égard, si l’on peut dire, parlant. Les relations entre membres du CA et direction, les

participations aux mêmes réunions, ainsi de la réunion hebdomadaire de direction avec

les responsables d’activités, sont nombreuses, fréquentes, mais on ne sent pas

qu’elles permettent l’expression de points de vue différenciés. Ces relations sont

fortement affectives. On partage en permanence le même espace, on s’estime, on se

respecte. On pourrait presque parler d’une sorte de démultiplication de la direction par

cette présence envahissante et silencieuse des membres du CA, sur un mode

fortement consensuel, tacite et fusionnel. Toute logique de conflit, tout ce qui pourrait

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

62

menacer l’homogénéité du rapport direction-CA est repoussé ou, à tout le moins,

inexprimé.

C’est la parole de la Directrice couplée avec le silence du président qui semblent

assurer sa stabilité et sa cohésion à l’ensemble organisationnel de la Maison Pour

Tous aujourd’hui, « évitant que ne se posent des problèmes risquant de fêler

l’unanimité. »63

Les membres du CA ne sont pas vraiment concernés par la dynamique des parcours

de mobilité. A ce titre, dans la terminologie de Sainsaulieu, ils relèvent sur ce point

d’une identité d’exclu. Ils sont à leur place d’administrateur. La question de leur

formation comme membres bénévoles se pose, ce qu’a perçu la directrice qui leur a

fait bénéficier récemment d’une formation sans que leur identité en ait été foncièrement

transformée et dynamisée. On peut parler, au contraire, d’une certaine fragilité dans

l’identité, et d’une grande dépendance, les administrateurs actuels ayant peu de

ressources pour modifier la dynamique de la structure et leur place en son sein.

Comme tous les autres acteurs, les administrateurs mobilisent par ailleurs une identité

de pionnier dans le cadre de pratiques d’innovation auxquelles ils contribuent

largement. Ils s’impliquent dans les activités proposées sur le quartier par la Maison

Pour Tous mais plutôt dans le registre culturel, et semblent mal à l’aise dans le

domaine de l’action sociale qui s’est imposé au fil des années comme le champ

d’intervention privilégié de la MPT largement contrôlé par la direction et les

professionnels de la structure : « Je trouve qu’il n’y a pas adéquation entre le C.A. et la

nature du centre social… Les membres du CA ne sont pas de plain pied dans le centre

social. Ils sont axés sur une consommation d’activités. Ils n’ont pas l’esprit centre

social. » .

Sur le plan de la double implication identitaire, ils relèvent plutôt d’une logique

domestique, dans un registre de performance en déclin. Leur hyper-investissement à la

Maison Pour Tous se révèle unique pour plusieurs d’entre eux et laisse interrogatif sur

d’autres champs d’implication, venant souligner là encore une certaine fragilité

identitaire.

63 Ibid. p. 206

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

63

On peut dire que le conseil d’administration se révèle être aujourd’hui, en dépit d’une

hyper-présence, un maillon faible dans la dynamique identitaire de la Maison Pour

Tous. En dépit d’une formation récente proposée par la direction, on perçoit mal leur

place dans l’organisation, comme s’ils souffraient collectivement d’un déficit de

légitimité. Comme s’ils se tenaient « à côté » de la vocation première du centre social :

« Y’a encore des gens du CA qui ne savent pas ce qu’on fait au centre social… Ils sont

centrés sur la fonction club uniquement. On a l’impression face à eux que la fonction

centre social n’existe pas. En fait les salariés et les vacataires sont plutôt centre social,

et les bénévoles centre culture et de loisirs… Tout ce qui est club, c’est ça l’association

en vérité. »

Nous reviendrons ultérieurement sur des hypothèses permettant d’éclairer cette

fragilité identitaire du groupe des administrateurs.

Les bénévoles engagés dans les activités ne se distinguent pas fondamentalement

de la dynamique identitaire des salariés. Certains d’entres eux ont d’ailleurs la

responsabilité d’encadrer l’activité de certains salariés. Ils sont permanents au sein de

la structure, impliqués dans la durée, et sont susceptibles d’en accompagner

l’ensemble des réalisations. Il s’agit d’acteurs engagés dans la dynamique de

négociation de la MPT. Ils participent à l’ensemble des instances, notamment au

conseil de maison. Ils sont susceptibles de promotion, certains usagers bénéficiaires

des actions étant devenus bénévoles avant d’accéder à une fonction de salarié. Ils

sont volontiers pionniers et innovants dans les pratiques de la Maison Pour Tous.

Fortement impliqués dans d’autres registres de la vie sociale, ils vivent cette double

implication, au sein de la MPT et en dehors, sur une logique d’identité citoyenne.

Les usagers des activités culturelles et les bénéfi ciaires de l’action sociale

En ce qui concerne les usagers des activités culturelles et les bénéficiaires de l’action

sociale, il convient de souligner avant tout le clivage entre deux catégories sociales qui

ne se rencontrent pas vraiment, ce que chacun s’accorde à déplorer :

« Il y a en fait deux Maisons Pour Tous. Je le sens comme ça avec même une

incompréhension entre les deux…. Deux classes se côtoient : les classes se

reconnaissent entre elles. »

Les usagers des activités culturelles semblent bénéficier d’un statut privilégié lié à

l’histoire. Plusieurs anciens administrateurs issus de la période où le CA jouait un rôle

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

64

de premier plan, en particulier l’ancienne Présidente, ont investi ce domaine des

activités culturelles et en préservent le caractère essentiel. Acteurs rodés à la

négociation, on peut dire qu’ils jouent un rôle implicite de leader démocratique qui vient

compléter celui de la direction avec laquelle ils ont d’étroites connivences. Tout l’enjeu

de la transmission du pouvoir et de la légitimité semble s’être joué dans ce

changement de place entre dynamique identitaire du CA et influence aujourd’hui des

activités culturelles. Il s’agit d’acteurs de réseau, également fortement impliqué dans

d’autres groupes, d’autres activités, d’autres associations de la ville d’Argenteuil et au-

delà. Cette double implication très marquée en fait des acteurs qui ont gardé un rôle

d’influence citoyenne de premier plan, au sein de la structure et en dehors.

Leur légitimité renvoie aussi à cette identité très ancrée dans les pratiques

d’innovation. C’est un champ de créativité permanente dans lequel ces usagers sont

aussi co-créateurs des projets. Ce sont des pionniers, qu’on accompagne même dans

cette inscription identitaire. Il s’agit là d’un axe de développement : quelque chose qui

est en devenir.

Les bénéficiaires de l’action sociale conduite au sein de la MPT paraissent quant à eux

beaucoup plus en retrait au sein de l’organisation. Ils se cantonnent au sein de certains

groupes, tel le groupe femmes, d’où il est difficile de les faire évoluer vers d’autres

domaines d’intervention de la Maison Pour Tous. Dans ce cadre, toutefois, eux aussi

peuvent être dans une dynamique identitaire de pionniers, inventant avec les

permanents des activitésnouvelles, tissant le lien social, favorisant la rencontre des

cultures. Cependant, certains bénéficiaires sont tout simplement absents, manquants,

les hommes en particulier dont plusieurs personnes interviewées déplorent le fait qu’ils

se tiennent à l’écart de l’association tout comme le public des grands jeunes.

Au terme de cette enquête, nous disposons donc d’une palette contrastée des

dynamiques identitaires à l’œuvre au sein de la MPT. Dans l’analyse qui suit nous

allons chercher à en tirer les principaux enseignements, les lignes de convergence, le

sens toutefois de cette commune identité d’acteurs engagés.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

65

Légitimation des acteurs du fait de leur « identité

engagée »

Les acteurs se structurent autour de la légitimité de l’engagement

L’engagement semble bien constituer la toile de fond de la dynamique identitaire de la

Maison Pour Tous. Il en constitue l’horizon incontournable. La structure n’existerait pas

sans lui, de même que sans lui son avenir paraîtrait aux différents acteurs des plus

compromis. C’est un postulat qu’on ne questionne pas. Il est à la base même de

l’identité « maison ».

Mais l’engagement a une visée : c’est celle des usagers, habitants du quartier,

bénéficiaires des actions, et en particulier des actions à caractère social. C’est au nom

de cet usager que se développe le modèle idéal de l’acteur engagé, même si l’usager

visé n’est pas toujours au-rendez-vous et qu’une autre catégorie de bénéficiaire, ceux

des activités culturelles, occupent dans les représentations de beaucoup le devant de

la scène. Mais il se trouve que beaucoup de ces bénéficiaires aujourd’hui, en tant

qu’anciens habitants du quartier très engagés dans l’aventure de la Maison Pour Tous,

y ont gagné en quelque sorte une légitimité historique qu’il n’est plus nécessaire de

ressourcer dans une implication renouvelée auprès des nouveaux habitants.

L’accélération des mutations sociologiques et culturelles, la politique actuelle de

relogement, l’augmentation des loyers, ne peuvent qu’encourager cette sorte de

découplage entre les phases historiques de l’engagement et donc entre les acteurs.

On sent très présente cette tension qui traverse la Maison Pour Tous, tant dans le

cadre des entretiens avec les personnes engagées, professionnellement ou

bénévolement, qu’avec des personnes extérieures à la structure, qu’elles soient de la

mairie ou d’autres associations.

Quoiqu’il en soit de ces tensions, c’est au nom de l’engagement en faveur des

bénéficiaires en général que l’ensemble des acteurs est accompagné vers cette forte

implication. Et cela au nom d’un idéal démocratique et participatif qui place l’usager au

centre, notamment au cœur de l’instance associative par excellence qu’est le Conseil

d’Administration : « Faut dire aussi que ce n’est pas comme toutes les autres

institutions, parce que ici dans le CA, on a des gens du quartier, des adhérents de la

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

66

Maison Pour Tous, qui ont donc leur voix : s’il y a quelque chose qui ne leur plait pas,

ils le disent… Ils ont des voix, donc on les entend ; elle est là la dynamique, c’est la

participation de tout un chacun, c’est tout un chacun qui participe. »

C’est le rôle notamment de la Directrice de susciter en permanence, par sa parole et

son implication, cet engagement, mais aussi implicitement celui du CA dont

l’omniprésence de certains de ses membres dans les locaux ne peut que venir

rappeler cette exigence essentielle. D’ailleurs, « Les membres du CA qui sont là

bénévolement en tant que militants n’ont pas trop conscience que les salariés sont là

parce que c’est un travail. » Ainsi les bénévoles sont-ils soutenus, encouragés, tandis

que les professionnels peuvent se voire reprocher indirectement de n’être justement

pas aussi engagés que les bénévoles. Ce sont ces derniers qui constituent en quelque

sorte l’idéal de l’acteur engagé de la Maison Pour Tous, et la Directrice ne se cache

pas de faire parfois usage auprès des professionnels de la comparaison avec ce

modèle, sous forme de chantage affectif. Certains d’entre eux se plaignent d’ailleurs de

ne pas avoir toujours de retour à la hauteur de leur implication : « Il n’y a pas de

reconnaissance envers le salarié de son investissement »

Derrière ce modèle se profile la figure de l’ancienne Présidente de la Maison Pour

Tous, Claire Brard, souvent citée dans les entretiens comme une sorte d’évidence

fondatrice : « La différence avec Claire Brard, c’est la disponibilité qu’elle a pour les

autres, l’investissement qu’elle avait pour le quartier et l’importance qu’elle donne à

tout un chacun… Mais je crois que c’est surtout qu’elle s’investit : quand elle s’investit,

elle est vraiment entière ; et puis, depuis toute sa jeunesse, c’était une militante, c’est

quelqu’un qui ose, et qui pousse et qui fait ; elle n’est pas en retrait ; elle est très

investie dans tout ce qui peut être sur le quartier et dans d’autres activités aussi qui

font sa vie… »

Stratégiquement, les enjeux de la structure tournent donc bien autour de cette notion

d’engagement. Mais on le voit, il s’agit d’un engagement porté par des figures

identificatoires fortes auxquelles chacun peut se référer. Sakhina, la Directrice actuelle

de la Maison Pour Tous, se revendique d’ailleurs explicitement d’une filiation à l’égard

de Claire Brard. C’est elle qui l’a formée et lui a transmis en quelque sorte l’essentiel.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

67

Engagement : élément de cohésion – élément mobilisa teur du lien social à long

terme

C’est donc l’engagement qui qualifie le registre identitaire, le mobilise principalement et

c’est sur ce mode que se trouve mise en œuvre la question du lien social à l’intérieur

de la structure. Mais il est, cet engagement, référé à un certain modèle. Il est centré

sur un enjeu citoyen essentiel qu’incarne particulièrement l’ancienne Présidente dans

l’ensemble des descriptions et évocations qui nous en ont été faites. Ce n’est pas

uniquement dans un espace professionnel que l’on fait société mais dans une

dimension citoyenne qui le prolonge. Et la Maison pour Tous est porteuse de cette

double implication dans son essence, ce que l’on a bien vu en parcourant les profils

identitaires de chacun des acteurs. Etre citoyen, que l’on soit bénévole, salarié ou

usager, voilà ce qui structure le projet de la MPT et constitue un élément fort de

mobilisation du lien social sur le quartier dans une dynamique de long terme !

Les ingrédients du lien social

Cette identité engagée des acteurs de la MPT, au-delà des figures identificatoires que

nous avons soulignées, trouve en fait sa source dans un ensemble de traits communs

qui constituent en fait une sorte de trame culturelle partagée par l’ensemble des

acteurs. C’est cette cohérence identitaire et culturelle que nous allons à présent nous

attacher à mettre en évidence. C’est sur elle que repose le lien social si particulier qui

relie entre eux les acteurs de la Maison Pour Tous ainsi que celle-ci au quartier.

Des traits communs

Identité féminine dans tous les groupes d’acteurs

Beaucoup des personnes engagées à la MPT sont des femmes. Ces femmes ont des

parcours de vie atypiques, reviennent de loin. Vivre sur la Dalle redonne un sentiment

d’appartenance. Avec la Maison pour tous, on retrouve des racines, on appartient à

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

68

quelque chose de commun. On éprouve des vraies valeurs qui fondent la raison d’être

ensemble.

Le groupe « femmes » constitue à cet égard une sorte d’emblème de la MPT sur lequel

convergent toutes les attentions. La Directrice s’y montre particulièrement attentive et

présente. Les femmes, en partageant leurs cultures, leurs traditions, leurs parcours de

vie souvent douloureux, retrouvent dans cet espace un nouvel en-commun avec

d’autres femmes leur permettant de réunifier une identité féminine bien souvent

malmenée. Proches de la culture de leur pays d’origine, elles ont à effectuer un

important travail d’intégration dans le nouvel espace culturel où elles se trouvent à

présent, et celui-ci semble ne pouvoir se faire véritablement qu’entre femmes. On

retrouve ici un lien direct avec l’engagement de Claire Brard au sein de l’Union des

Femmes Françaises : elle a beaucoup milité, en effet, pour permettre aux femmes de

culture maghrébine de se rencontrer et de rencontrer des femmes d’autres cultures et

notamment de culture française.

Cet engagement des femmes va de pair avec l’absence d’implication des hommes.

Mais il suppose néanmoins leur accord. C’est cette autorisation, au moins implicite,

que la Maison Pour Tous semble continuer à susciter de la part des hommes, faute de

savoir les mobiliser eux-mêmes, et cela à la suite du militantisme de Claire Brard à

l’Union des Femmes Françaises.

On peut même se demander, si après le départ de cette Présidente charismatique, qui

reste par ailleurs très présente dans le cadre des différentes activités culturelles,

l’association n’a pas adopté une certaine homologie avec ce trait culturel dominant,

notamment dans le monde maghrébin : avec, d’une part, un espace domestique

totalement ouvert aux femmes, et on peut même dire sous sa totale autorité

aujourd’hui incarnée par la Directrice, et, d’autre part, l’autorisation cependant implicite

des hommes personnifiée par l’omniprésence silencieuse du Président.

« Parcours de vie », réparation, refuge, déracineme nt, deuil

Autre trait caractérisant nombre d’acteurs de la MPT, et donc en particulier de femmes,

et cela que l’on soit bénévoles, salariés, usagers, c’est d’avoir eu des parcours de vie

particulièrement difficiles, traversés de traumatismes souvent graves, de pertes de

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

69

conjoints jeunes, d’enfants, d’arrachements du pays d’origine dans des conditions

souvent brutales, et de s’en « être sorti ». « Il y a des tragédies, il y a des histoires très

difficiles, et des histoires très belles, ce qui fait la diversité de la vie… Il y a toujours à

la base, pour beaucoup de personnes, le déracinement, c’est quelque chose de très

dur… » Et la Maison Pour Tous d’Argenteuil a souvent joué un rôle décisif dans cette

résilience. C’est en devenant capable de donner à d’autres qu’on se répare soi-même.

Ainsi, avoir soi-même traversé des épreuves, et s’être montré capable de les

surmonter en aidant les autres est un vecteur fort d’appartenance identitaire à la

structure. Les témoignages sont là nombreux. Nous, en donnons juste quelques-uns

car il s’agit d’un trait culturel fort des acteurs de la MPT sur lequel se greffe une bonne

part du dynamisme de l’engagement et du don qui marque si profondément la

structure :« Quand j’étais bénévole, j’étais une personne qui avait beaucoup de

problèmes moralement, à cause du décès de mon mari, cela m’a aidé énormément

pour me détendre, me faire plaisir, me changer les idées : si j’apporte quelque chose à

quelqu’un ça me relaxe, je suis contente, j’ai donné quelque chose, ça a servi à

quelqu’un, ça a aidé, c’était très bien, c’était vraiment du plaisir. »

Cette autre personne évoque aussi dans l’entretien les grandes épreuves de sa vie

surtout pour souligner en quoi le travail dans un cadre associatif lui a permis de les

dépasser : « Finalement, quand on travaille, on rencontre d’autres personnes, les gens

sont les mêmes avec les mêmes problèmes, les mêmes souffrances, les mêmes

pénibilités de la vie…Il faut gagner son pain, mais je crois que la meilleure chose qui

pouvait m’arriver dans ma façon d’être et de faire, c’est ce parcours qui m’a tant

apporté… On donne, mais je crois que c’est ça le milieu associatif finalement ; c’est

une goutte d’eau qui en apporte 10 000 autres ! »

Ou encore cette responsable du groupe « femmes » qui dit en quoi son histoire de vie

est aujourd’hui une ressource dans la conduite de son action : « Je suis partie de

Kabylie quasiment aveugle, avec toute l’immigration, j’ai vécu dans un taudis, rue de la

goutte d’or. On est arrivés sur la banlieue nord de Parie, j’ai eu froid, j’ai eu faim, avec

8 frères et sœurs à m’occuper. J’avais tous les repas à faire… Mon origine Kabyle est

un atout pour le groupe femmes et la référence famille. Mais ce sont surtout mes

origines culturelles qui comptent, le fait d’avoir vécu beaucoup d’expériences est

important, par rapport à ma situation qui était désastreuse à la naissance… »

On peut souligner enfin que la logique de la réciprocité est très ancrée chez tous les

acteurs de la Maison pour Tous qu’ils soient bénévoles ou salariés. C’est sur cette

circulation du don que repose encore une fois l’essentiel de la force de l’engagement.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

70

C’est elle qui en est en quelque sorte le moteur : « Avant tout, j’ai envie d’aider les

jeunes ; moi, j’ai réussi entre guillemets, je continue mes études… Cette connaissance

des gens me l’ont donnée, pourquoi j’en donnerais pas autant aux autres ? Moi j’ai eu

des profs qui m’ont aidé à comprendre donc moi je me dois de rendre ; ma manière de

les remercier, c’est de faire la même chose, donc de donner aux jeunes… »

Identité territoriale (La Dalle) et sociale (immigr ation) et historique (bidonville)

Autre trait d’identification fort, c’est le quartier, la Dalle, avec sa culture, son histoire, sa

période idyllique, aussitôt après la construction à laquelle les habitants d’alors se

réfèrent encore aujourd’hui avec nostalgie. Cette période initiale d’installation des

habitants sur le quartier fut aussi celle du transfert vers des logements confortables de

toute une population qui partageait déjà des valeurs de socialité forte dans les

nombreux bidonvilles qui occupaient alors les environs d’Argenteuil. Des solidarités

essentielles semblent s’être retrouvées dans ce nouvel espace de la Dalle qui était

celui de la promotion sociale. D’où l’attachement de tous les acteurs de l’époque et de

ceux qui leur ont succédé à ce nom de « la Dalle » que la municipalité en place

jusqu’aux dernières élections souhaitait supprimer. Ce nom est aussi, en effet, un trait

culturel à part entière. Il y eut beaucoup de fierté à habiter cet espace original, unique,

primé dans un concours d’architecture, mais il y eut aussi beaucoup de dépit à le voir

traîné dans la boue, disqualifié, insulté, lors d’épisodes violents, notamment en pleine

crise des banlieues, à travers ses habitants.

La sociologie de la Dalle a, en effet, beaucoup évolué depuis sa création. Très vite les

rapatriés d’Algérie ont été, dès les années 73, les premiers touchés par le chômage et

la crise économique. Des générations d’enfants de jeunes n’ont connu que l’inactivité

de leurs parents. La dégradation sociale a été rapide. Et c’est la mobilisation et la

socialisation des femmes, par les activités de la Maison Pour Tous en particulier, qui

semble avoir constitué un terrain de résistance à cette désaffiliation et désocialisation

rapides. Ce sont elles qui ont entretenu pour l’essentiel le lien social sur la Dalle, tout

comme au moment de sa création où, tandis que pratiquement tous les hommes

travaillaient, ce sont elles aussi qui assuraient, autour des écoles, des commerces, des

associations, l’essentiel de la vie relationnelle et sociale de la Dalle. Comme l’une

d’entre elle le dit encore : « Dans la rue on se reconnaît. »

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

71

Brassage des statuts : on passe du bénévole au stat ut de salarié, de bénévole à

usager… tout est possible

Une force de la Maison Pour Tous, c’est aussi l’incroyable offre de trajectoires qu’elle

offre à ceux, et particulièrement celles qui se reconnaissent dans son projet. De

bénéficiaire, on peut aisément, si le courant passe et avec lui la reconnaissance,

devenir bénévole au service des actions, voire professionnel et même exercer des

responsabilités au sein de la structure. La cooptation semble la règle pour devenir

acteur à la MPT. Mais pas n’importe quelle cooptation : d’une part, c’est la Directrice

qui semble en détenir le code, et, d’autre part, les clés en sont le discernement chez

les personnes de ces traits distinctifs où la culture d’origine, les détresses traversées,

l’aptitude à se réparer soi-même en donnant, la vie sur la Dalle, constituent autant de

signes de reconnaissance. « Sakhina voulait connaître mon histoire. Elle trouvait ça

très intéressant. C’est comme ça qu’elle m’a présentée au groupe « plurielles ».

« Tout est possible » pourrait ainsi constituer un slogan de la Maison Pour Tous, une

croyance fondamentale dans les ressources de toutes personnes ; sous-entendu, tous

les parcours y sont possibles en son sein. « La porte est toujours ouverte pour tous. »

Le grand brassage des statuts qui en résulte laisse une zone de flou très importante

dans la définition identitaire : quelqu’un qui a eu plusieurs statuts, plusieurs rôles au

sein de la structure, on ne sait pas très bien au fond qui il est. C’est le cas de

beaucoup d’acteurs et entre autres de l’ancienne Présidente… Il est cet acteur un peu

tout à la fois, mais il est surtout, puisque c’est d’abord sur cette reconnaissance qu’il a

pu bouger, un acteur engagé dans sa propre trajectoire de vie qu’il met au service des

autres : voilà ce qui résume et synthétise au fond le mouvement identitaire de la MPT !

Dimension familiale de la MPT :

On retrouve des racines, on appartient tous à quelq ue chose de commun

Un autre ensemble de traits caractérisant ce que l’on a appelé les ingrédients du lien

social à la Maison Pour Tous touche à sa dimension avant tout familiale. « Moi je

côtoie les gens ici comme si c’était ma famille en fait, c’est ma deuxième famille ; je

rentre ici comme si je rentrais chez moi… Les portes me sont ouvertes dès que la

maison ouvre. » Il s’agit d’un véritable refuge : lieu de réparation, là encore, et de

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

72

dépassement par rapport à des histoires de vie difficiles ; mais aussi espace de mise à

distance et de protection, pour certains, de relations familiales actuelles douloureuses.

On utilise facilement des vocables qui traduisent des relations de grande proximité de

type familial ou communautaire : « Moi qui rencontre les enfants tout le temps, ça

devient fraternel… s’ils ne se sentent pas bien chez eux ou si ça ne va pas à l’école, ils

peuvent venir nous en parler. »

La Maison Pour Tous porte bien son nom, et celui-ci renvoie naturellement à la

dimension familiale : « La Maison Pour Tous, comme son nom l’indique, c’est une

maison pour tous et c’est une famille en fait et la famille elle regroupe ceux qui

travaillent et les adhérents. »

On sent parfois l’enthousiasme d’avoir retrouvé ici une vraie culture, une vraie maison,

de vraies racines qui n’ont rien à envier à celles d’origine : « Comme je dis, c’est une

famille ; moi je compare ça à la famille africaine, les grosses familles où tout le monde

s’entraide… Ici c’est un grand cœur où tout le monde donne plus qu’il n’en faut, s’il

fallait faire vingt heures sup en plus pour aider les gens, ils aideraient… » C’est

pourquoi on s’y installe si aisément : « J’ai trouvé la maison bonne, j’y suis restée. »

Tisser toutes les différences pour faire la maison commune, en invitant chacun à

cesser de se focaliser sur ses propres souffrances et, au contraire, à s’attacher à la

richesse de chaque autrui, voilà l’idéal altruiste et quasi-communautariste qui est celui

de la Maison Pour Tous : sans aucune exclusive qu’elle soit idéologique, religieuse ou

culturelle. C’est donc d’un communautarisme utopique qu’il s’agit, ouvert à la

différence, à toutes différences, reposant sur la capacité de chaque personne à

transformer, en s’attachant d’abord à soulager celui des autres, son propre destin.

Recours à une mémoire collective

La mémoire collective, les récits et les histoires de vie semblent constituer aujourd’hui

un axe fort de mobilisation des ressources de la Maison pour Tous. « Je sais que

Claire Brard, aussi, elle fait une enquête sur Argenteuil et qu’elle a recueilli plein de

témoignages et je sais qu’elle est intéressée par ça… » Est-ce parce que l’avenir se

restreint ou pour le refonder, est-ce parce que le temps de l’action est passé, qu’une

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

73

telle importance est accordée par des acteurs fondateurs de la Maison Pour Tous à de

tels récits ? Ils participent certainement eux aussi de la transformation d’identités

individuelles souffrantes en appartenance collective et en lien social renouvelés. A cet

égard, cette culture de la mémoire collective s’inscrit en parfaite congruence avec

l’idéal altruiste de la MPT. Ainsi, toutes les identités différentes mises ensemble à

contribution coexistent-elles pour un bien commun et partagé !

Valorisation des histoires de vie individuelles

Grâce à la M.P.T, ce qui paraît enfin possible à beaucoup c’est tout simplement de

revenir à la normalité. Dans beaucoup de parcours de vie, elle est apparue comme une

étape, un sas obligés. C’est souvent cette rencontre avec la Maison Pour Tous qui a

révélé, aux yeux mêmes de la personne, les richesses dont sa vie était porteuse et que

la focalisation sur ses souffrances ne permettait plus de voir : « L’homme, la femme,

est rempli de richesses et il faut piocher pour trouver… Et souvent on a besoin d’aide…

ça ne vient pas tout seul quand ça sommeille… Quelqu’un qui déclenche les choses…

Et c’est incroyable ce qu’on peut déclencher, ce qu’on peut mettre en route… L’homme

est riche… »

C’est sur cette valeur fondamentale d’écoute et de considération de toute personne en

demande - « dès que vous avez besoin de quelque chose, vous avez une écoute

attentive ici » - que chacun se trouve valorisé et souvent, en quelque sorte, de

nouveau humanisé à ses propres yeux.

Les valeurs

Les valeurs affichées à la Maison Pour Tous viennent conforter ces traits

caractérisant l’ensemble des acteurs qui gravitent ou qui œuvrent en son sein. La

valeur plébiscitée parmi toutes est bien sûr l’acceptation de la différence : « quand on

n’est pas du même monde, il faut être ouvert. C’est notre travail ici. » Les diverses

manifestations culturelles, le choix même des activités, sont au service de cette

recherche de mise en lien des différences : « Les activités artistiques, ça permet de

faire vivre le quartier avec toutes ses différences… les personnes ici œuvrent à ce que

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

74

chacun vive bien, avec ses différences et sa culture. » C’est donc sur cette valeur

phare de l’intégration de toutes les différences, qui était aussi celle des premiers

militants du quartier et des pionniers de la MPT, que s’orientent toutes autres valeurs

et attitudes que l’on observe dans l’association.

Valorisation des personnes et des compétences

Valoriser un territoire par les compétences dégagée s par le territoire : « regardez

tout ce qu’on sait faire et on le fait ensemble ».

Les principales ressources du projet mais aussi celles du territoire, ce sont les

personnes elles-mêmes qui les détiennent : « Les valeurs, ça transpire, c’est clair… le

partage, l’échange, la contribution de chacun, voir que chacun est utile… c’est ce que

je ressens… » Il s’agit donc d’aller chercher cette ressource, de la mobiliser, par des

attitudes d’invitation, d’accueil, des valeurs de partage, de solidarité et de

reconnaissance de la richesse de l’autre : « C’est très fort ici, toutes cultures

confondues : les personnes se retrouvent dans les autres centres, l’environnement est

comparable ; mais il n’y a pas cette chaleur, quand on pousse la porte, de se sentir

libre, de parler tranquillement… »

L’accueil, la chaleur du lieu, c’est quelque chose de palpable ; cela passe par des

gestes, des attitudes, le sourire… On ne trouve pas ça ailleurs ! « Moi, je trouve tout

bien ici, les gens ils sont bien, ils accueillent bien, ils sont tous bien, avec le sourire, ils

parlent poliment, ça donne envie de rester avec eux, de parler avec eux, de faire des

choses avec eux, on se sent à l’aise. »

Tout ce dont sont fiers les acteurs de la MPT c’est de ce climat chaleureux, de cette

construction collective, dans laquelle, très vite, chacun peut se reconnaître,

s’appropriant pour une part la clef de ce succès : « Quand on entend parler de la

Maison pour Tous, les gens de l’extérieur se disent que sur la Dalle il se fait des

choses biens, c’est agréable, je suis plutôt fière, j’avoue, de dire que je travaille là…

On nous transmet très rapidement, on se sent vraiment entraînés avec des gens qui

sont motivés pour faire de grandes choses… on sent une grande ambition ici… »

Cette énergie collective donne une force. Il existe une circularité entre l’investissement

de chacun et le ressourcement individuel et collectif qui en résulte. Cela permet de

franchir pas mal d’obstacles : « Un point fort de la M.P.T. c’est la solidarité : on est

tous ensemble et on essaie de tirer vers le haut et de ne pas se laisser avoir, ne pas se

laisser enliser… »

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

75

C’est d’abord cette énergie que l’on est capable de se donner les uns aux autres, tous

acteurs confondus, qui constitue le cœur véritable de la Maison Pour Tous. Les

personnes sont aimées, respectées, pour ce qu’elles peuvent devenir et donner à leur

tour. Dans cette dynamique relationnelle du don et du contre-don se tient sans doute le

véritable secret et la vraie richesse humaine de cette association.

Les principes d’action

Ces valeurs de solidarité, de partage, d’accueil des différences, de valorisation des

ressources de chaque personne, trouvent à s’exprimer selon quelques grands

principes d’action qui structurent l’engagement des différents acteurs.

Par rapport aux habitants :

Nécessité de faire partir les choses « d’en bas »

Aucun projet n’est légitime, aucun mode d’intervention, s’ils ne mobilisent pas d’abord

la parole, l’expression, les souhaits des habitants. « La Maison pour Tous, elle prend

les habitants et dit c’est vous qui vivez et donc c’est vous qui connaissez mieux votre

vie que nous, donnez-nous des idées et nous on est là pour vous aider. »

Il y a ainsi une double relation toujours à l’œuvre au sein de la Maison pour Tous : c’est

à la fois le lieu où tout le monde peut s’exprimer, mais aussi l’espace où la parole vient

d’en-bas. Il s’agit avant tout de « répondre à la demande des habitants » : « La valeur

du centre c’est d’être à l’écoute des habitants du quartier et de faire pour et avec les

habitants. »

Premier principe d’action donc de la Maison Pour Tous : se mettre à l’écoute de la

base !

A destination de tous

Deuxième principe qui lui est somme toute complémentaire : chercher à rassembler le

plus grand nombre autour de projets communs. Il s’agit de faire en sorte que la

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

76

dynamique de réseau prenne. Qu’il y ait une force d’entraînement qui évite de replier

sur soi-même et sur quelques bénéficiaires. La Maison Pour Tous, en tous les cas tels

que les principes d’action en sont énoncés, c’est donc aussi l’espace où l’on cherche à

mobiliser toutes les compétences, à rassembler tous les acteurs autour de projets.

« L’enjeu est l’ouverture vers l’extérieur et entre les secteurs : éviter que les groupes

se renferment entre eux. »

Les acteurs de la Maison pour tous sont à la fois attachés au territoire et à la possibilité

pour tous de s’insérer. L’enjeu est de valoriser le territoire par les compétences

dégagées sur ce territoire. Il s’agit de transformer l’imaginaire négatif en imaginaire

positif. C’est là un principe d’action fort dans un souci de valorisation des personnes et

des compétences : on fait partir les ressources d’en bas et on les met en réseau. Il

faut être là pour être acteur : pas d’acteur légitime venant de l’extérieur ! « C’est

l’échange et le partage qui caractérise la MPT. Dans toutes les activités. C’est pour ça

qu’elle existe, permettre une communication au sein du quartier et beaucoup

d’échanges… »

Par rapport au territoire :

Volonté de mettre en présence des acteurs travailla nt dans les mêmes créneaux

Les locaux de la Maison pour Tous sont bien placés. Ils ont été nettement améliorés

par la récupération récente (2006) de surfaces précédemment occupées par la mairie.

Leur emplacement les situe de manière idéale au cœur de l’endroit où vivent les

usagers ; ceux-ci ne peuvent pas ne pas passer devant. Toutes les manifestations

conviviales sont organisées sur la Dalle et la Maison pour Tous occupe donc à cet

égard une place stratégique de choix. C’est en quelque sorte la vitrine de la Dalle. Fête

des femmes, des cultures, printemps des poètes, Noël, Epiphanie, toutes les

occasions sont bonnes pour provoquer la rencontre, développer la convivialité sur le

quartier. « Samedi dernier, il y a eu la galette des rois, c’était rempli de monde, il y

avait le maire, des élus, des gens qui allaient se présenter aux municipales… C’est ça

une maison pour tous ! »

Les partenaires (Valdocco, Conjugue…) sont aussi installés sur la Dalle. « Je crois que

la MPT elle est bien ancrée dans le quartier, et comme on fonctionne aussi avec les

autres et qu’on demande aux autres de participer, on ne travaille pas en vase clos, on

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

77

est très ouverts, et ça, ça amène la participation des autres, des habitants, des

associations… » Quand la Préfète se déplace, ou le Président de la République, ils

viennent aussi sur la Dalle. C’est là que les choses peuvent déraper rapidement. Le

bien peut advenir, comme le pire en termes d’images disqualifiantes. Mais quoiqu’il en

soit, « le rôle de la MPT c’est un lien en fait, c’est comme un pont entre des

associations, l’administration et les familles. »

Dans un imaginaire positif de la Dalle, qui ne corr espond pas à l’image des

médias

La culture est d’abord une affaire de territoire. La Dalle a une histoire, une singularité. Il

s’agit d’un projet architectural qui a obtenu reconnaissance en son temps. Celle-ci

reposait sur une vision du vivre ensemble, en dehors des nuisances de la circulation,

des voitures. C’est un projet de convivialité et de lien social qui a ainsi structuré

l’habitat de la Dalle. Le concept architectural de la Dalle, primé, idéalisé, a laissé la

trace d’un lieu idyllique, convivial, associé au nom de la Dalle que l’équipe municipale

2002-2008 a cherché à changé tout en entreprenant une profonde restructuration de

l’habitat sur le quartier. Mais la socialité très riche de la Dalle a résisté jusqu’à présent :

« Dans une communauté comme sur la Dalle tout le monde se connaît… C’est ça le

moteur ! Ca ne serait jamais arrivé si la Dalle était un endroit comme un vulgaire

quartier de Paris où les gens ne se parlent pas ; c’est ça la force… La vie sur la Dalle

est très conviviale. La Maison Pour Tous est un prolongement et dans les deux sens…

s’il n’y avait pas de dialogue dehors et de dialogue à l’intérieur ça ne marcherait pas du

tout… c’est ça Argenteuil, c’est la Dalle en fait, ici ce coin, ce qui est magique en fait,

tout le monde veut s’entraider. Tu as un problème, je vais t’aider… » C’est dans ce

sens qu’on peut donc parler d’un véritable communautarisme de la Dalle. Il puise loin

dans l’histoire du quartier, mais il est réalimenté en permanence par l’action de la

Maison Pour Tous. Toutefois, celle-ci renvoie à un imaginaire positif de la Dalle qui ne

correspond sans doute plus tout à fait à la réalité sociologique actuelle. Mais en dépit

de tendances lourdes et générales dans la société actuelle à l’individualisme et au repli

communautariste, le credo reste fondamentalement celui de la richesse de chaque

personne et de sa capacité de donner. Et il semble que cette croyance continue à

produire, contre vents et marées, les effets escomptés : « chaque personne a une

importance, chaque personne peut apporter et le fait de le savoir, le fait de pouvoir être

dans un quartier comme la Dalle qui n’est pas aussi monstrueux qu’on l’a décrit, il y a

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

78

une richesse incroyable, il y a des gens dignes, des gens de tout bord, et ça c’est

important… »

Cet imaginaire profondément ancré dans la structure conviviale originaire du quartier

s’écarte aussi des représentations négatives portées notamment par un certain

nombre d’acteurs politiques sur le quartier. « On dit Argenteuil c’est une zone sensible,

mais moi j’y vis à Argenteuil, je ne me suis jamais fait braquer dans la rue à Argenteuil,

on laisse des trucs dans la rue on les retrouve. Mais qui a décrété que c’était une zone

sensible ? »

C’est donc au cœur de ce quartier valorisé par ses habitants que la Maison Pour Tous

trouve l’essentiel de sa légitimité et puise une grande part de sa reconnaissance : « La

MPT est reconnue et respectée dans le quartier. C’est une plaque tournante. Vous ne

pouvez pas habiter ici et ne pas aller sur la Dalle. Vous demandez à n’importe quelle

personne du quartier : tout le monde connaît la Maison Pour Tous.»

Le projet associatif

L’ensemble des valeurs et des principes d’action se retrouvent dans l’expression du

projet associatif. C’est lui qui fédère l’ensemble des énergies. Les acteurs sont

mobilisés au nom du projet qui est l’expression de cette culture partagée entre tous. La

référence au projet est très prégnante dans chaque entretien. Chacun semble en avoir

une vision assez claire : pour l’ensemble des acteurs, il s’agit fondamentalement d’être

au service des habitants et des partenaires, de mettre en cohérence des actions et des

acteurs qui visent les mêmes objectifs, de faire venir la parole d’en-bas. « Le projet est

défini, oui, pour moi c’est d’aller trouver les habitants du quartier, répondre aux

demandes ou orienter vers des organismes ou des associations qui peuvent répondre

à une demande et mobiliser les habitants pour faire vivre le quartier. »

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

79

Evolution

Au cours de l’histoire, adaptation des valeurs au c ontexte (environnement,

usagers), on est passé des statuts au projet social (de la logique émergente à

l’intégration de la logique publique)

Dans l’histoire de la Maison pour Tous, on est passé d’une logique d’entraide à une

autre phase qui se situe davantage dans le registre de l’action sociale, même si les

valeurs sont restées fondamentalement les mêmes : de l’amicale de locataires

(citoyens) à l’aide professionnalisée.

Il y a donc eu une adaptation des valeurs, des projets au contexte (environnement et

usagers) : on est passé des statuts au projet social, de la logique émergente à

l’intégration de la logique publique.

On peut se demander pourquoi il n’y a pas eu davantage de ruptures entre les valeurs

initiales du projet, fondées sur les ressources de la personne et du territoire, et les

logiques d’action sociale actuelle qui privilégient la segmentation des publics, voire

l’individualisation des prestations et des actions.

C’est que la particularité du projet de la Maison Pour Tous est de n’avoir jamais

vraiment été formalisé, mais au contraire d’avoir toujours été porté et incarné par des

personnes qui à la fois le faisaient vivre et le représentaient. C’est à cette condition

qu’il a été possible pour la Directrice actuelle de garder l’ancrage fort dans la culture et

le projet initial d’émancipation collective, tout en assumant l’inévitable évolution des

logiques d’action et leur segmentation.

Toutefois, on peut se demander si ce n’est pas précisément à ce seuil que se trouve

aujourd’hui convoqué l’association, de devoir rendre davantage lisible et transmissible

son projet, en quelque sorte plus autonome des personnes qui le portent et le

représentent, assumant d’un seul tenant les valeurs collectives qui le fondent et les

logiques d’action sociale aujourd’hui qui le structurent et le contraignent.

Des statuts au projet social

Quid du projet associatif, tout le monde en parle m ais personne ne l’a, ils ont

juste le projet social (CAF), le projet associatif agit dans l’inconscient et est

incarné, intériorisé par des personnes ;

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

80

Le projet est dans les têtes, incarné par des personnes, transmis dans les rencontres,

partagé et intériorisé par tous. Mais on ne peut pas véritablement parler de projet

associatif : les personnes ont le projet dans la tête : c’est leur culture structurante. Il

agit dans l’informel, l’inconscient. « On ne m’a jamais transmis par écrit les valeurs

portées par la MPT, mais on les sent au travers des projets, les activités et les

manifestations qui sont en cours ici. »

Il faut ici revenir à la véritable fondatrice du projet de la Maison Pour Tous : l’ancienne

Présidente, Claire Brard, qui après avoir été militante et habitante de la première heure

sur le quartier, se trouve toujours impliquée comme utilisatrice mais sans doute aussi

inspiratrice de certaines activités culturelles. Son rayonnement, d’ailleurs, en partie lié

à sa légitimité historique, mais aussi à son charisme, déborde de très loin l’apparente

modestie de son statut actuel : c’est elle qui, dans l’esprit de beaucoup, y compris

d’ailleurs de la Directrice, incarne toujours aujourd’hui le mieux le projet vivant de la

MPT et ses valeurs. Le projet ! A quoi bon l’écrire ? « Claire Brard, pour moi, c’est une

montagne », dit d’elle aujourd’hui la Vice-Présidente de l’association : « Claire Brard,

c’est quelqu’un… Je n’ai pas d’autre mot, c’est une femme qui est… Cette femme, elle

a un charisme, elle a quelque chose de très fort… Elle impose quelque chose, elle est

pour moi… C’est une force, c’est une femme de bon conseil, c’est une femme au grand

cœur. »

Parce que Claire Brard a beaucoup donné, beaucoup se sentent en dette à son égard,

et du coup donnent à leur tour. On retrouve dans la dynamique relationnelle qu’elle a

suscité autour d’elle l’essence des valeurs qui animent les acteurs de la Maison Pour

Tous : « Je lui dois trop, je crois, je lui dois trop en reconnaissance, en respect… Et

puis elle est là, si j’ai besoin d’elle, elle est là. Elle ne va pas très bien, on se voit, on se

parle ; c’est une amie ; c’est plus que cela : c’est une femme de qualité. J’en parle moi

de cette façon, mais il y a des tas de personnes qui vous parleront de Claire, de cette

présence qu’elle a… »

On le sent la force du charisme initial n’a rien perdu de sa vigueur et le fait pour une

personnalité de cette envergure, qualifiée « d’exceptionnelle », d’être restée, même à

une place qu’elle souhaite mineure, dans la structure, n’a rien en soi d’anodin. Ainsi,

derrière ce que peut avoir d’angoissant pour beaucoup le potentiel départ de la

Directrice, n’est-ce pas un autre départ qui se profile et qui n’a pas pu jusqu’alors

s’envisager vraiment. Même si les déplacements de Claire Brard au sein de

l’association ont été source de mobilisation et d’engagements pour d’autres. Quoiqu’il

en soit, cette présence, aujourd’hui encore si fortement honorée, ce dont plusieurs

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

81

entretiens ont témoigné, qualifie fortement la dimension charismatique de la structure.

On peut dire qu’une certaine transformation s’est amorcée sous l’impulsion de Claire

Brard elle-même, relayée par Sakhina, la Directrice, mais que cette transformation

butte aujourd’hui sur un obstacle interne, inhérent à la structure elle-même : des

personnalités aussi charismatiques que l’ancienne Présidente ou que la Directrice

actuelle, très liées entre elles par une sorte d’accord tacite et une transmission de

témoin, ne peuvent pas, avec la meilleure volonté du monde, permettre à la Maison

Pour Tous et à ses nombreux acteurs de basculer franchement dans un autre type de

structure où, par exemple, la coopération entre les acteurs serait la nouvelle référence

en termes de projet. C’est pourtant bien une orientation de ce type qui est visée. Mais

Sakhina échoue à la faire advenir véritablement dans la mesure où elle est non

seulement porteuse, mais encore représentante, à l’instar de Claire Brard, de la

dimension avant tout charismatique de la structure.

La question pourrait être de se demander comment transformer le charisme, pour faire

en sorte qu’il repose moins sur des personnalités de références, des figures

identificatoires incontournables, comme Claire Brard et Sakhina, et comment faire en

sorte que chacun se sente porteur de ce qui circule comme valeurs d’engagements au

sein de la MPT ? N’est-ce pas ce à quoi la Présidente et la Directrice sont après tout

au fond parvenues ? Tous les acteurs ne se sentent-ils pas fortement impliqués,

porteurs des valeurs de la MPT, se reconnaissant dans une sorte de fierté d’appartenir

à cette dynamique commune ?

On peut dire que c’est vrai, mais sans doute trop encore par identification et somme

toute idéalisation, et pas suffisamment, par réelle coopération reposant sur des

analyses partagées, des diagnostics précis, des points de vue différents assumés,

voire des conflictualités risquées au grand jour.

La culture très, trop consensuelle, de la Maison Pour Tous, masque en fait des

tensions qui ne s’expriment pas véritablement au grand jour. Elle est la marque de

cette forte dimension charismatique qui n’a pas encore véritablement trouvé les

méthodes de sa transformation.

L’écriture d’un projet mobilisant tous les acteurs dans la réflexion, l’analyse, le débat

sur les orientations, la référence à un écrit faisant tiers, plutôt qu’à des personnalités

incarnant le projet comme des modèles, l’appropriation des logiques d’action sociale

par tous, voilà sans doute ce qui garantirait aujourd’hui l’émergence d’une véritable

instance de pilotage associatif, renouvelant le rôle politique du Conseil

d’Administration.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

82

Conclusion

Au terme de ce parcours dans l’analyse identitaire et culturelle de la Maison Pour Tous

d’Argenteuil, nous aimerions souligner autour de quels enjeux se profile la dynamique

de changement pour cette organisation. Et à cet égard, la composante identitaire et

culturelle paraît bien une des clefs essentielles !

Tout d’abord, nous l’avons souligné, le quartier bouge : les habitants historiques se font

âgés, plus rares. Beaucoup ont quitté le quartier même si certains restent attachés à la

MPT. La nouvelle urbanisation renouvelle en accéléré la composition sociologique du

quartier, amenant notamment de nouvelles classes moyennes cherchant avant tout la

proximité de Paris. Il est peu certain que cette population récente soit naturellement

grande utilisatrice d’un dispositif comme celui de la Maison Pour Tous. D’autant que sa

priorité, contrairement aux habitants de la première urbanisation, n’est pas d’abord

d’intégrer le quartier dans sa diversité mais plutôt de bénéficier de toute la richesse de

la culture urbaine, de ses facilités, de ses déplacements, de ses transversalités.

Un deuxième défi tient à l’évitement du centre social de la part de populations qui

devraient en être logiquement des publics cibles. Nous avons déjà mentionné les

hommes et les jeunes. L’absence des hommes est un constat partagé mais sur lequel

personne ne semble avoir prise. Ce qui pourrait traduire aussi une sorte d’épuisement

d’un modèle d’intervention dont la composante trop familiale, domestique, en dépit du

fort militantisme qu’il suscite, n’a pas su suffisamment réussi à toucher la sphère

économique et sociale de la cité. L’affirmation du noyau culturel originaire comme

source préservée de l’engagement, avec les figure identificatoires fortes qui le

caractérisent toujours, fait à cet égard symptôme par rapport à une réelle difficulté que

soit pleinement valorisée et reconnue l’action sociale de la Maison Pour Tous. Seule

l’interculturalité en direction des femmes semble avoir profondément marqué l’image

sociale de l’association et contribué à sa réussite.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

83

Sur la base de ces constats et de ceux que nous faisions précédemment concernant

l’absence de formalisation, de lisibilité et d’appropriation collective d’un projet faisant

référence pour tous, et concernant autant le plan de l’expertise que celui des valeurs

militantes, il paraîtrait aujourd’hui essentiel d’engager un travail de fond sur la

dynamique du projet associatif : redéfinir les contextes, repréciser les enjeux d’une

structure de ce type notamment en référence au rôle toujours plus affirmé d’un Etat

animateur et évaluateur des politiques sociales ; mobiliser sur cette base tous les

acteurs internes et externes et notamment les nouveaux habitants du quartier. En

2008, le changement de municipalité n’est pas, une nouvelle fois, sans influence forte

sur la conception même d’un tel outil au service d’un quartier comme la Dalle

d’Argenteuil.

Le militantisme et l’engagement de tous les acteurs de la Maison Pour Tous que nous

avons retrouvé tout au long de cette analyse identitaire et culturelle doit sans doute

être refondé dans une véritable vision associative qui permette de relativiser et

d’inscrire dans l’histoire les figures charismatiques fortes qui ont donné à cette

structure sa vigueur et son caractère si singulier. Elles ne lui permettent pas

suffisamment aujourd’hui de mobiliser dans le cadre d’une appropriation collective par

les acteurs et les habitants eux-mêmes les clés du changement et d’en évaluer les

avancées. Une véritable pratique de l’auto-évaluation fondée sur un projet défini et

élaboré par tous permettrait de dépasser les zones d’incertitude actuelles. La Maison

Pour Tous ne peut devenir seulement un lieu de mémoire, si riche que fut la vie de ce

quartier dont elle semble avoir été l’âme. C’est aussi un projet qui exige que soient

sans cesse réinventés les formes et les contenus de son énonciation.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

84

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

85

CERTIFICAT III– SCENARIO DE CHANGEMENT

Scenario de changement de créativité

Maison Pour Tous d’Argenteuil

Marion Le Paul et Jean Lavoue

Executive Master Fonctionnements Associatifs – 2007/2009

Sciences PO – Formation continue

Scenario sous le tutorat d’Elisabetta Bucolo et sous la direction de Jean-Louis Laville

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

86

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

87

Introduction

La Maison Pour Tous d’Argenteuil est une association foncièrement innovante. Son

adaptabilité permanente à la mouvance du contexte, et notamment sa capacité à tirer

paradoxalement parti d’un renforcement croissant des logiques publiques, ont bien

montré la capacité créative des acteurs et en particulier de la direction. Dans

l’élaboration de ce troisième scénario dit « de créativité », il ne s’agit donc pas

d’inventer à partir de rien ou d’une situation qui aurait été diagnostiquée comme

bloquée, mais plutôt de renforcer des tendances déjà existantes et toujours en

résurgence tout au long de l’histoire de cette institution « pionnière ». Il s’agit aussi

d’indiquer les risques qu’il y aurait à ne pas s’efforcer de faire bouger la tendance

dominante à la personnalisation du charisme dans cette structure. En même temps,

des dynamiques de changement peuvent être activées, s’articulant sur deux axes

principaux :

- d’une part, la dimension de l’hybridation des ressources

- d’autre part, la dimension de la participation, en interne mais également en

externe caractérisant la Maisons Pour Tous comme acteur de l’espace

public.

Pour réussir la mise en œuvre de ce scénario plusieurs objectifs sont à atteindre :

Objectifs

Les objectifs principaux de ce scénario de changement consistent :

- à dépasser une certaine centralisation de l’autorité et du pouvoir par une

diffusion au contraire de l’initiative et un relais de celle-ci par l’ensemble des

acteurs.

- à atténuer la polarisation entre les deux grands secteurs d’activité, les

actions sociales et les actions culturelles, dans la mesure où subsistent de

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

88

fortes tensions latentes entre les acteurs qu’elles regroupent, leurs

bénéficiaires étant, par ailleurs, très peu reliés entre eux. Il s’agit là en

particulier d’optimiser les ressources et de développer, par exemple, le

secteur marchand, ce qui sera notamment l’objet de la première partie du

scénario portant sur la dynamique des ressources.

- à inscrire une modalité d’intégration et de transmission collective des

valeurs fondatrices de l’organisation au-delà de leur appropriation très

personnalisée par quelques figures charismatiques historiques. Ce sera

notamment l’objet de la deuxième partie autour des formes de participation

à promouvoir et de l’écriture du projet associatif.

- à faire valoir enfin, et cela dans une perspective externe, ces valeurs du

projet dans la relation avec les pouvoirs publics et ceci en partenariat avec

d’autres acteurs territoriaux.

Actions à conduire dans le domaine de l’hybridation des ressources de la MPT

Améliorer les ressources marchandes

Comme nous l’avons constaté précédemment, la MPT tend naturellement vers l’idéal

type de l’économie solidaire par l’hybridation déjà existante de ses ressources et par

son rôle d’acteur, partenaire des pouvoirs publics, sur le territoire de la Dalle

d’Argenteuil. Il s’agirait dans le cadre de ce scénario de changement de rechercher des

marges de manœuvre économique complémentaires en s’appuyant sur les éléments

décrits dans le diagnostic sociologique de la MPT.

En effet, en ce qui concerne les ressources, la MPT mobilise des ressources

monétaires marchandes (10%), des ressources monétaires non marchandes (57%) et

des ressources non monétaires (33%). De ce fait, le centre social, de par la répartition

de ses ressources est dépendant des politiques économiques et sociales de ses

partenaires. Actuellement l’association évolue dans un environnement où les pouvoirs

publics attribuent des financements plutôt sur le mode d’appel à projets pour des

publics en insertion alors que la MPT, de par son projet associatif, essaye de maintenir

une mixité de public qui n’est pas encouragée par les modes d’affectation des

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

89

ressources publiques. De plus, dans cet environnement la tendance est à la raréfaction

des financements. Dans ce contexte quelles actions peut-on imaginer pour élargir les

registres d’action économique de la MPT pour favoriser son adaptation aux

changements ?

En s’appuyant sur le constat que les ressources émanant du secteur privé s’élèvent à

10%64, un des axes pourraient être de développer, à travers une série d’actions, ce

type de ressources pour augmenter sa part à 15% afin de dégager des marges de

manœuvres pour l’association et faire ainsi en sorte qu’elle soit un peu moins

dépendante des pouvoirs publics. Il est aussi possible de travailler sur l’augmentation

des ressources privées et sur la diminution des coûts. Actuellement les activités de

loisirs sont couvertes à 80% par les cotisations des participants. La MPT pourrait donc

essayer de passer à 90% voire à 100% en augmentant le prix des cotisations des

activités, en maintenant les activités rentables et en revisitant les activités déficitaires

sous l’angle de la rentabilité. Cette étude permettrait de voir si les activités déficitaires

le sont parce qu’il n’y a pas assez de participants, ce qui pose la question de

l’adéquation de l’activité avec les besoins réels des habitants, ou parce que l’activité

coûte trop cher. Dans ce dernier cas une des pistes pourrait être de repenser l’activité,

avec les salariés, les adhérents et l’apport bénévole, pour qu’elle devienne rentable ou

de trouver des financements complémentaires auprès du secteur privé. La notion de la

rentabilité est ici à penser en termes d’économie mais aussi d’utilité sociale. Une

activité peut être déficitaire, puisque seulement deux personnes y participent, mais

cette activité peut être d’une grande utilité pour ces deux personnes. Dans ce cas, pour

maintenir les activités moins rentables, on peut se poser la question de savoir s’il ne

faut pas davantage mobiliser le bénévolat sur les activités moins équilibrées

financièrement mais qui répondent à un véritable besoin. Parallèlement, il est aussi

possible d’encourager le développement des actions comme les ventes de services sur

la Dalle qui permettent de créer du lien mais aussi de vendre des services.

64 Plus de 43 000€ en 2006 dont 41 000€ pour la vente de services et 2 700€ de cotisations et adhésions

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

90

Actions dans le domaine non marchand

Le deuxième axe concerne les ressources non marchandes qui représentent la

principale source de financement65. 70% des subventions annuelles sont versées dans

le cadre de la participation de l’association à des projets initiés par les pouvoirs publics.

Ces sommes sont destinées à une utilisation précise et doivent faire par la suite l’objet

d’une évaluation détaillée, elles permettent à la MPT de faire vivre son projet à travers

des actions ponctuelles mais elles ne sont pas pérennes, de ce fait avec ce type de

financement la MPT ne peut pas penser des projets sur le long terme. Parmi les

ressources non marchandes, on remarque que seul le financement de la CAF est

pluriannuel et affecté à l’animation globale. Il est donc souhaitable d’encourager le

centre social à renforcer ce type de ressources pour stabiliser dans le temps son

action. Cependant, la tendance générale étant un développement des financements

par projets, la MPT a des marges de manœuvres limitées. Il serait intéressant d’utiliser

les ressources en interne comme un outil pour faire évoluer le travail et les relations

entre les acteurs : par exemple, la directrice, qui possède un véritable savoir-faire pour

gérer la multitude de ressources en fonction du projet associatif, pourrait diffuser ses

compétences auprès des autres acteurs de l’organisation. Parallèlement, la formation

de son équipe afin d’optimiser le temps passé à écrire les réponses aux projets est une

autre clé du changement pour associer pleinement les salariés au projet associatif.

Une matrice contenant les informations à faire figurer dans l’ensemble des réponses

pourrait être crée pour répondre rapidement et efficacement aux appels d’offres.

Les ressources non monétaires

Le troisième axe concerne la gestion des ressources non monétaires qui se

décompose en trois parties : la valorisation des bénévoles d’une part, des mises à

disposition d’autre part et, enfin, des permanences. On note que ces ressources66 sont

importantes et permettent à la MPT d’exister et de faire exister son projet associatif en

permettant la mixité des publics à travers les activités de loisirs et les actions sociales.

On peut recommander que ces ressources non monétaires restent stables, et

encourager, par ailleurs, la pérennité des permanences des partenaires qui permettent

65 Plus de 242 000€ en 2006 66 A hauteur de 142 000€ dont plus de 85 000€ concernant la valorisation du travail des bénévoles, plus de 47 000€ pour la mise à disposition de locaux et de personnels et près de 6 000€ pour la valorisation des permanences effectuées par les partenaires à la MPT

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

91

de développer des liens formels et informels et ainsi de faire reconnaître la valeur du

travail de la MPT sur le territoire. La question essentielle de la coexistence des

bénévoles et des professionnels et de leur gestion relève des dispositifs de

participation traités dans la partie suivante. Dans tous les cas, la valorisation

systématique de ces ressources est essentielle pour mettre en valeur le poids de

l’association sur le territoire.

Formes de participation

D’un point de vue politique, on remarque que la MPT est un acteur reconnu par les

habitants de la Dalle mais aussi par les pouvoirs publics qui la consultent lors de mise

en place d’actions spécifiques sur le quartier (CUCS, émeutes…). Nous pensons que

la MPT doit continuer à se mobiliser pour faire entendre les besoins des habitants.

Dans cette perspective, il est nécessaire de définir les formes de participations

permettant une meilleure représentativité.

Du côté de l’évolution des formes de participation, on peut distinguer trois grands

registres sur lesquels peut agir le scénario de créativité.

En matière de vie associative et de référence à l’i nstance politique de la Maison

Pour Tous

La participation de l’ensemble des parties-prenante s

- Le développement de l’adhésion gratuite qui est une hypothèse déjà

envisagée au sein de la structure permettrait non seulement un

élargissement de la base militante de l’association mais surtout la possibilité

d’y intégrer un public actuellement exclu pour des raisons économiques : les

bénéficiaires des actions sociales. La mise en œuvre de cette mesure

permettrait de répondre directement à l’objectif de dépassement de la

polarisation entre les champs d’activités et les groupes d’acteurs. De plus,

l’usager auquel les pouvoirs publics prêtent le plus d’attention, le

bénéficiaire des actions sociales, aurait de cette manière accès au cœur de

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

92

la vie associative : il pourrait y être représenté, ce qui aurait pour

conséquence de renforcer de fait la légitimité politique de l’association.

- Il conviendrait ensuite d’aller plus loin que ce simple fait de favoriser

l’adhésion de l’usager. Pourquoi ne pas envisager sa représentativité au

cœur même de l’instance politique de l’association, c'est-à-dire le Conseil

d’administration ? Cela s’inscrirait dans un mouvement visant à faire

réellement participer à la vie de l’association l’ensemble des partie-

prenantes qui y contribuent.

D’ailleurs, à cet égard, plutôt que l’étonnante position statutaire de la

directrice, membre de droit au sein du CA, ne faudrait-il pas plutôt lui

redonner une place d’invitée permanente à titre consultatif, ceci en

référence à son contrat de travail, tout en permettant par ailleurs une

représentativité des salariés dans le cadre d’un collège élu. Ces

dispositions contribueraient à dépersonnaliser la place de la direction

comme principale animatrice de la vie associative, en redonnant à toute les

partie-prenantes une véritable responsabilité dans la dynamique de

l’association. Moins approprié par quelques-uns, le charisme reposant sur

les valeurs fondatrices et transmis de personne à personne, pourrait à

nouveau circuler comme un bien commun, une ressource de relations

essentielles entre des personnes actrices et impliquées, dans le respect des

différences de places de chacun.

L’équilibre dans les places respectives des différe ntes parties-prenantes

- Cette différenciation des fonctions pourrait aussi se trouver engagée par

une clarification du rôle des principaux groupes d’acteurs repérés comme

étant en tension au sein de la structure : les bénévoles, intervenant dans les

actions, et les salariés. L’établissement de chartes élaborées avec les

acteurs pourrait venir préciser ce que l’on attend d’un bénévole d’un côté et

ce que l’on attend d’un salarié de l’autre, et permettre ainsi de dépasser le

registre de chantage affectif qui prévaut actuellement, tendant toujours à

donner une prime à l’acteur bénévole mais ne permettant pas de définir une

limite à son rôle et à son action par rapport à ceux des professionnels. D’où

les inévitables tensions qui en résultent. Il est essentiel que ce travail

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

93

d’élaboration de chartes se fasse sur un mode participatif amenant tous les

acteurs à participer par ce travail collectif de définition à la transformation

des représentations.

- Toujours dans ce registre de la différenciation, le marquage des lieux et des

temps, la définition des instances et des territoires au sein de la Maison

Pour Tous, permettrait de dépasser bien des confusions repérées dont la

plus lisible est l’omniprésence de certains membres du CA dans tous les

lieux et à tous les moments de la vie de l’association, envahissement ne

permettant plus aux professionnels et aux bénévoles intervenant dans les

actions d’avoir un véritable espace pour eux. De même la fin de la

participation du Président à la réunion hebdomadaire des responsables

permettrait de clairement référer cette instance à la sphère professionnelle

tout en renvoyant de son côté à sa responsabilité politique et aux espaces

qu’il doit mettre en œuvre celui qui préside au devenir de la Maison Pour

Tous.

- Enfin, sur le plan organisationnel, il importe avant tout de favoriser et de

clarifier la délégation de chaque acteur de la Maison Pour Tous, notamment

des responsables de secteurs d’activités, afin qu’ils puissent représenter

pleinement la Maison Pour Tous également en externe. Cela contribuerait

également à la transformation d’un charisme avant tout personnel en un

portage collectif de la responsabilité qui en deviendrait également beaucoup

plus lisible à l’extérieur.

La mise en place d’une instance représentative du personnel constituerait

également une étape indispensable de la démocratisation de la structure

permettant d’instaurer là une véritable régulation du pouvoir au sein de

l’association.

Modalités de cohésion entre les parties-prenantes

- Au-delà du diagnostic réalisé par le groupe d’étudiants de Sciences Po, il

conviendrait de s’engager dans une démarche-projet délibérément large et

partenariale. L’appui d’un professionnel extérieur consultant serait

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

94

nécessaire pour permettre à chacun de reprendre une place et une parole

en rapport avec son statut et son rôle au sein de la structure mais aussi à

l’extérieur.

- Le travail de redéfinition de la place et du rôle de chaque instance,

Assemblée Générale, Conseil d’Administration, Conseil de Maison,

permettrait de sortir de la confusion régnant actuellement. Chacune de ces

instances joue, en effet, le rôle essentiellement de caisse de résonance du

pilotage très personnel de la direction, le conseil de maison rassemblant le

plus d’acteurs apparaissant, au final, comme l’instance décisive.

- Enfin la création d’événements susceptibles de concerner tous les acteurs

et notamment l’ensemble des bénéficiaires, que ce soit des activités

sociales ou culturelles, pourrait contribuer également au dépassement de la

polarisation qui constitue la butée essentielle à la transformation et comme

le symptôme majeur de certains dysfonctionnements de la Maison Pour

Tous.

L’Association dans l’espace public

- Le projet associatif de la Maison pour Tous et né du quartier. Il doit y revenir

pour y être transformé et réapproprié par l’ensemble des acteurs de la

Dalle. Une telle initiative relégitimerait la maison pour tous au sein du

quartier tout autant que ses acteurs. Elle lui redonnerait une identité

collective forte, ce qui lui fait relativement défaut actuellement. Au-delà des

entretiens individuels conduits dans la phase de diagnostic, il conviendrait

de privilégier dans la phase d’élaboration du projet des tables rondes et des

débats, en interne comme en externe, ce que semblent d’ailleurs attendre

les acteurs, ce qui était très perceptible lors des réunions de restitution du

diagnostic.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

95

- Pa railleurs une logique de travail en réseau plus affirmée et structurée, et

moins réduite à des opérations ponctuelles, permettrait là encore de

renforcer le positionnement politique de la Maison Pour Tous auprès des

pouvoirs publics. Les logiques publiques elles-mêmes en appellent

aujourd’hui à des groupements de coopération, mais les associations ne

doivent pas se contenter d’attendre l’imposition de tels dispositifs qui

pourraient tendre à renforcer leur instrumentalisation. Elles doivent prendre

elles-mêmes l’initiative de tels rapprochements non pas tant sur le seul

registre instrumental du partage d’outils mais surtout sur les logiques

d’analyse contextuelle et de développement de stratégies communes.

Vers une pratique permanente de l’Evaluation

Au-delà même du projet associatif qui est l’urgence pour l’association, la

définition d’une politique stratégique avec l’élaboration de plans d’action

pluriannuels inscrirait véritablement la Maison pour Tous dans un processus

d’évaluation permanente sur la base duquel les axes du changement

deviendraient lisibles et mesurables par tous.

Cette démarche d’auto-évaluation et d’amélioration continue de la qualité

consisterait, en effet, à mettre en œuvre de manière effective le projet de

l’association, reliant les valeurs fondatrices aux transformations

organisationnelles nécessaires, traduisant les dynamiques d’acteurs en

référence aux attentes publiques et territoriales, inscrivant la Maison Pour Tous

dans une vision rénovée de sa mission et de son utilité sociale.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

96

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

97

CERTIFICAT IV– RETOUR SUR L’EXPERIENCE

«Conduite du changement en matière de gouvernance et de dirigeance associative au sein de

la Sauvegarde 56 »

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

98

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

99

Introduction

Le travail d’analyse qui suit s’efforce de suivre, au plus près, l’histoire d’une association

d’action sociale. Il prend appui, pour partie, sur le « travail de mémoire » qu’un

administrateur de l’association, ancien directeur du service de Milieu Ouvert, avait

entrepris pour la chronique régulière qu’il tenait dans le journal de l’association au

cours des années 9067. Nous-mêmes n’avons pas un rapport neutre avec l’objet de

notre récit et de notre analyse puisqu’il se trouve que la responsabilité de diriger cette

association nous a été confiée en septembre 2002. Tout en s’appuyant, aussi

étroitement que possible sur les différents concepts de l’analyse des organisations

développés dans le cycle de formation de Sciences Po sur les changements

associatifs, et notamment sur la sociologie de l’entreprise et de l’association élaborée

par Renaud Sainsaulieu et Jean-Louis Laville68, ce mémoire est aussi une prise de

parole personnelle sur l’institution qui n’est pas sans lien avec les analyses

développées dans un précédent travail concluant un certificat de psychosociologie

clinique délivré par l’Association pour la Recherche en Psycho-sociologie (ARIP)69.

C’est pourquoi on retrouvera, à l’issue de l’analyse institutionnelle proprement dite, et

de ses conséquences en termes de transformation des formes de dirigeance et de

gouvernance, un élargissement de la problématique centrée sur les différentes formes

de régulation. Il s’agira pour nous de resituer la question du sujet et du lien social au

cœur de la réflexion, dans le prolongement notamment de l’analyse anthropologique

de Jacques Généreux et d’Alain Caillé70, avec une incursion dans le champ de travaux

connexes du psychanalyste Jean-Pierre Lebrun71 consacrés à la clinique de l’institution

et au lien social.

67 Pierre Cueff, « Il était une fois la Sauvegarde… », Articles du Tourmentin, in Journal de la Sauvegarde du Morbihan, 1994 -1999. 68 Sous la direction de Jean-Louis Laville et Renaud Sainsaulieu, Sociologie de l’association, Des orgnanisations à l’épreuve du changement social, Desclée de Brouwer, Paris, 1997. 69 Jean Lavoué, Structure charismatique et changement, l’exemple de la Sauvegarde du Morbihan, op. cit. 70 Cf. Introduction Générale, supra. 71 Jean-Pierre Lebrun, Clinique de l’institution, Ce que peut la psychanalyse pour la vie collective, Ed. Erès, Toulouse, 2008.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

100

En ce qui concerne le « bien commun », qui fonde l’aventure institutionnelle de

l’association, nous verrons, à travers l’histoire de la Sauvegarde 56, comment un

fondement historique ancré dans le bénévolat et le militantisme, inscrivant

véritablement cette association dans le champ de l’économie sociale et solidaire, s’il ne

fut jamais tout à fait perdu, s’est trouvé cependant, peu à peu, relativisé au gré de

certains développement des politiques publiques, puis a resurgi, notamment incarné

par des acteurs professionnels militants, sans toutefois réussir à mobiliser durablement

toutes les parties prenantes de l’association et ses partenaires autour de cet enjeu.

Nous nous efforcerons, en fin de parcours, de dire à quelles conditions ce défi d’une

redéfinition de l’utilité sociale d’une association comme la Sauvegarde 56, dans un

contexte où les pouvoirs publics semblent dorénavant vouloir fixer toutes les règles du

jeu, peut être relevé, tant par l’association elle-même et ses différentes parties-

prenantes que par les acteurs publics qui financent ses missions. A cet égard nous

consacrerons une analyse particulière au système organisationnel et à ses mutations

dans la mesure où il représente, à nos yeux, l’une des clés de la régulation

conventionnée permettant de dépasser l’historique hantise de la régulation tutélaire :

aujourd’hui, c’est bien dans cette logique de l’enfermement dans la prestation de

service que les associations du secteur, dont la quasi intégralité des actions reposent

sur les finances publiques, se sentent aujourd’hui, avec raison, captées. Segmentées,

sans un intense travail de renouvellement de leur organisation dans une perspective

plus intégrée, elles ne peuvent pas, en effet, développer une vision globale de leurs

dispositifs ni mobiliser l’ensemble de leurs parties-prenantes autour d’une conception

large, innovante et renouvelée de leur utilité sociale.

Précisons tout de suite que si nous articulons volontiers les termes de dirigeance et de

gouvernance dans notre approche, c’est qu’ils recouvrent bien les deux leviers d’action

que doivent mobiliser les associations d’action sociale aujourd’hui : d’une part, celui

d’un renouvellement des conceptions de l’exercice de l’autorité et du pilotage de

l’organisation professionnelle, que ce soit en termes de dispositifs de coopération

interne, ou dans les modes de relations partenariales ou de mutualisation avec les

autres acteurs associatifs, ou bien encore de recherche de conventionnement avec les

politiques publiques. Bien sûr, c’est en étroite corrélation avec une conception élargie

de la gouvernance associative, impliquant, quant à elle, toutes les composantes de

l’association et en particulier celle d’acteur politique « au sein de la cité », que ce

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

101

renouvellement de la dirigeance peut se concevoir. Il n’y aura pas, à nos yeux, de

véritable originalité d’un pilotage associatif concourant à une co-construction des

politiques publiques s’il n’y a pas, dans le même temps, refondation de la politique

associative dans ses propres ressources démocratiques, citoyennes et solidaires.

Ce certificat IV, consacré donc à une étude portant sur la conduite du changement en

matière de gouvernance et de dirigeance associatives, se divise en deux parties. La

première partie qui constitue l’analyse institutionnelle de la Sauvegarde 56 proprement

dite est structurée autour de quatre grandes phases de l’histoire associative : la phase

de « préhistoire », 1935 - 1951 où nous décrirons l’émergence d’une « logique d’aide »

dans le sillage d’une « logique publique » ; la phase de création de la Sauvegarde

proprement dite, 1952 – 1975, qui inscrit l’association dans la dynamique de

professionnalisation de l’action sociale ; la phase que l’on peut qualifier de

rationalisation organisationnelle et gestionnaire, 1975 – 2002, où se met en place la

résistance d’un modèle entrepreneurial et corporatiste de développement ; enfin la

phase actuelle, 2002-2009, caractérisée par l’administration territorialisée de l’action

sociale, le développement des outils technocratiques et managériaux, et les nouveaux

enjeux de la gouvernance associative.

Nous introduirons, au début de la seconde partie, les deux axes qui nous paraissent

représenter les enjeux incontournables de la dirigeance et de la gouvernance

associatives aujourd’hui : d’une part, celui de l’invention d’une régulation

conventionnée avec les politiques publiques, reposant sur un pilotage interne par projet

et par pôle, mais supposant aussi une véritable métamorphose de la gouvernance

publique ; d’autre part, et ce sera là quasiment une position militante pour le fait

associatif, dans un contexte que nous qualifierons globalement de défavorable du fait

précisément de l’évolution technocratique de la gestion des administrations, l’enjeu

d’un véritable sursaut démocratique de la part des institutions intermédiaires que sont

les associations pour concourir à une transformation du lien social et tenter de pallier à

son atomisation.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

102

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

103

I - Analyse institutionnelle de l’Association

Sauvegarde 56

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

104

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

105

I – 1935- 1951 La préhistoire : une logique d’aide

émergente dans le sillage d’une logique publique

I – 1 Les événements marquants de la phase d’émergence :

1935-1951

Aux origines de l’association : le moment fondateur

Dès sa création en 1935, « La société vannetaise de protection de l’enfance en danger

moral et des condamnés libérés », précurseur de l’association de Sauvegarde du

Morbihan, est placée sous l’égide des pouvoirs publics : C’est le samedi 22 juin 1935,

au Tribunal Civil de Vannes et sous la Présidence de Monsieur Guillon, Juge

d’Instruction, Magistrat spécialisé aux enfants qu’elle est créée. Il apparaît, en effet,

que ce sont les magistrats qui se sont mobilisés pour constituer « la Société », en

particulier les magistrats au contact des situations d’enfants en danger.

Toutefois, pas de professionnels intervenants au départ : seul le concours de bonnes

volontés constitue ce qui sera la base durable de l’engagement militant de

l’association. Si l’on constate donc, au moment de la création, dans ce qu’on peut

appeler la préhistoire de l’association, la mobilisation d’une logique d’aide pour

prolonger, sur la base du bénévolat, l’action des juges professionnels, c’est cependant

d’emblée dans le cadre d’une logique publique fondatrice, avec une prise en main par

ces mêmes magistrats professionnels, notamment par l’exercice de la fonction de

Présidence, que s’inscrit la création de la Société qui deviendra plus tard l’association

de Sauvegarde de l’Enfance et de l’Adolescence du Morbihan, aujourd’hui Sauvegarde

56. A cet égard, la Sauvegarde 56 ne diffère pas beaucoup de toutes les autres

associations de Sauvegarde créées à la même époque pour l’essentiel sur la base

d’une telle initiative publique.

Cependant il nous paraît important de souligner l’histoire singulière de l’association

dans cette phase où elle n’est pas encore instituée Sauvegarde (ce ne sera pour le

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

106

Morbihan qu’en 51) mais où elle est fondée comme « société vannetaise de protection

de l’enfance en danger moral et des condamnés libérés ». C’est le moment fondateur

où, sur la base d’un vide, d’une absence de réponse à un problème social repéré, d’un

besoin identifié, en l’occurrence celui de l’enfance en danger, mais également celui des

détenus libérés, donc, on peut le supposer, également de jeunes adultes, des acteurs

bénévoles s’engagent aux côtés d’acteurs publics, des magistrats et des

professionnels de la justice, pour élaborer un accord autour de représentations

partagées d’un certain bien commun à atteindre, à faire vivre et à préserver, et mettre

en œuvre des modalités organisationnelles pour réaliser un certain nombre d’activités

répondant aux fins visées. Ce moment fondateur qui débouche sur cet accord fonde

véritablement la dynamique institutionnelle de l’association. Malheureusement, en ce

qui concerne la société vannetaise de protection de l’enfance, nous ne disposons pas

de beaucoup de documents susceptibles de nous renseigner sur les valeurs

mobilisées : pas de projet, pas de charte ; mais le procès-verbal de « l’assemblée

générale instituante » et des premiers conseils d’administration nous donne cependant

quelques pistes pour éclairer le processus délibératif mobilisé en vue de cet accord

fondant la vie associative.

Lors de ce moment fondateur, nous pouvons donc parler d’une sorte de cohabitation

entre une logique publique appelante, d’une part, et une véritable logique d’aide

fondatrice, d’autre part, l’action bénévole venant, au cours des premières années

(1935-1941), suppléer aux carences des financements publics pour supporter des

modalités d’aide sociale jugées pourtant nécessaires. La première page du premier

registre des procès-verbaux de conseils d’administration ne mentionne-t-il pas, en titre,

en date du 4 juillet 1935 : Association Charitable dite « Société Vannetaise de

protection de l’enfance en danger moral et des condamnés libérés ». On est donc

clairement dans le champ de ce qu’on appellerait aujourd’hui une association

caritative. Dans la longue liste des participants à cette assemblée fondatrice, on relève

entre autres le nom du chanoine Guillo, directeur des œuvres diocésaines,

représentant Mgr Tréhiou, évêque de Vannes, président d’honneur. Parmi les autres

présidents d’honneur : le préfet, le maire de Vannes, le commandant d’armes de la

place de Vannes, le président du tribunal civil, le procureur de la République. Voilà une

association charitable bien entourée pour ses premiers pas ! A noter d’ailleurs que si le

Préfet est Président d’honneur, sa femme est vice-présidente, et sa fille membre du

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

107

Comité… Cette référence aux autorités publiques et religieuses restera jusqu’à une

période toute récente gravée dans le socle identitaire et culturel de l’association.

Si le registre caritatif est donc bien inscrit, il n’en reste pas moins que la future société,

ainsi que l’indique son premier président en 1935, « répond aux vœux du législateur et

des circulaires ministérielles ». Les statuts sont établis d’après un projet-type élaboré

par « l’Union des Sociétés des Patronages de France. » Lors de cette assemblée, le

Préfet « demande que l’association soit en liaison particulièrement étroite avec

l’administration de la colonie pénitentiaire de Belle-Ile… Dans le but d’assurer cette

liaison, il est décidé que M. le directeur de la colonie pénitentiaire de Belle-Ile serait de

droit membre correspondant de l’association. »

Durant cette période initiale de l’avant-guerre, l’association ne salarie donc aucun

professionnel. Les membres actifs de l’association, administrateurs ou adhérents, sont

en relation directe avec les jeunes ou les familles qu’ils prennent en charge. Ils paient

de leur personne, allant parfois jusqu’à héberger à leur domicile des détenus libérés.

De manière bénévole, ils préfigurent en fait ce que seront quelques années plus tard,

avec la création en 1945 de l’Education Surveillée, les délégués professionnels à la

liberté surveillée, fonctionnaires d’Etat qui interviendront à la demande des Juges des

Enfants auprès des adolescents faisant l’objet d’une condamnation pénale. On le voit

déjà là, l’action associative, et dans ce cas bénévole, préfigurait l’action de l’Etat.

Aujourd’hui, plus de soixante années après, cette mission de la Liberté Surveillée,

reprise après guerre par l’administration, est toujours exclusivement réservée aux

fonctionnaires de la Protection judiciaire de la Jeunesse.

Nous n’avons pas cependant, là non plus, beaucoup de description concernant les

actions concrètes réalisées par ces bénévoles dans le cadre de cette préhistoire de la

Liberté Surveillée. Très vite cependant on peut dire que leur travail s’organise autour

des trois finalités mentionnées lors de la création de la Société : le « relèvement » des

mineurs délinquants par l’action de délégués à la liberté surveillée : les statuts parlent

du redressement des enfants et des adolescents traduits en justice ; la commission

des enfants maltraités ou en danger qui visite les familles, signale elle-même des cas,

procède à des placements : les statuts évoquent la protection des mineurs maltraités,

délaissés ou en danger moral ; l’accompagnement des détenus libérés à leur sortie de

prison dans la recherche de travail, de logement, de vêtements : il s’agit dans les

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

108

statuts de la mission de « relèvement des libérés des deux sexes… » Dans les procès

verbaux des premiers conseils d’administration, il est souvent fait état des situations

des mineurs suivis, ce qui traduit bien le fait qu’à l’époque il n’y a aucune différence

entre l’instance associative et l’action menée, aucune interface professionnelle n’ayant

encore été instituée. Des adhérents, comme des administrateurs se voient confier

directement des missions auprès des jeunes et de leurs familles.

Parallèlement des sociétés de même nature sont signalées dans les comptes-rendus

de conseil d’administration de l’époque à Lorient et Pontivy, mais aucun lien n’est établi

entre elles. Les membres du Conseil d’Administration sont, nous l’avons vu, des

notables ayant une grande proximité avec les pouvoirs publics : le directeur de

l’hôpital psychiatrique de St-Ave s’avère en particulier très présent. Mais au-delà, le

lien est beaucoup plus structurel qu’il n’y paraît avec les pouvoirs publics, et cela à plus

d’un titre. Tout d’abord parce qu’il est précisé à l’article 1 des statuts que l’Association

Charitable poursuit ses missions auprès des personnes « des deux sexes, sans

distinction d’âge, de culte ou de nationalité, et ce en liaison avec les autorités locales et

les œuvres déjà existantes. » Première expression implicite, notons-le, de « laïcité » en

dépit de l’appellation d’association « charitable ». Son siège est à Vannes au Palais de

Justice et son Président est un magistrat. Il est précisé à l’article 2 qu’elle « collabore

étroitement avec les organismes publics et privés ». A l’article 3 « que non seulement

elle forme ses membres à l’action sociale mais aussi qu’elle assure le recrutement des

rapporteurs et délégués près des tribunaux pour enfants et adolescents ; qu’elle sert

d’auxiliaire aux dits tribunaux en faisant sur les mineurs traduits en justice des

enquêtes sociales de nature à éclairer la Justice, s’assurant à cet effet, dans la mesure

de ses moyens, le concours de praticiens chargés de procéder aux examens médicaux

ou neuropsychiatriques ; qu’elle prête son assistance aux mineurs de 18 ans qui font

l’objet de poursuites ; qu’elle assure, soit directement, soit par l’intermédiaire d’œuvres

spéciales, le placement et la surveillance des mineurs de 18 ans qui lui sont remis par

l’autorité judiciaire, confiés en liberté surveillée, ou de tous ceux qui lui seront confiés

par les familles ou par l’Assistance publique ; qu’elle patronne les jeunes détenus à

leur sortie des maisons d’éducation surveillée de l’administration pénitentiaire. » De

plus, lors de cette assemblée générale du 22 juin 1935, l’intervention du Préfet

rapportée juste avant l’approbation des statuts est pour « demander que l’association

soit en liaison particulièrement étroite avec l’administration de la colonie pénitentiaire

de Belle-Île, qui se trouve être un champ d’application merveilleux (sic) à proximité de

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

109

l’association, dont le dévouement des membres peut faire œuvre très utile, notamment

pour le placement des mineurs, à leur départ de la colonie. Dans le but d’assurer cette

liaison, il est décidé que Monsieur le Directeur de la colonie pénitentiaire de Belle-Île

sera de droit membre correspondant de l’association. »

A travers l’ensemble de cet énoncé, on mesure l’immédiat prolongement de l’action

publique confié à l’association charitable nouvellement créée et au « dévouement de

ses membres ». Et on mesure, pour les administrations de l’époque, ce que pouvait

représenter de plus-value cette action entièrement bénévole venant apporter des

réponses quasi-professionnelles aux problèmes sociaux repérés par leurs personnels.

Lors de la création de l’association, l’essentiel des ressources est constitué par les

cotisations des membres. Les statuts évoquent l’ensemble des autres ressources sur

lesquelles l’association peut être en mesure de compter, « dons manuels en argent ou

en nature », legs, quêtes, fêtes de bienfaisance, ventes, conférences, participation des

familles pour les enfants directement confiés, subventions ou encore allocations et frais

d’entretien pour les enfants confiés par le tribunal. Les cotisations sont de 5 Francs

pour les membres actifs, 25 Francs pour les bienfaiteurs ; 70 personnes sont présentes

à l’assemblée générale constitutive – Lors du conseil d’administration du 19 mars

1936, il est fait état d’un don de mille francs « offert à l’œuvre de protection de

l’enfance. » Ce don de mille francs accompagne ainsi le lancement de l’association. Il

s’agit du don d’un particulier, nommé dans le procès-verbal du conseil d’administration,

ayant été mis en contact avec l’ « œuvre » par l’un de ses membres. Il fera

apparemment l’objet d’un placement qui se révélera fructueux et fort utile à la vie de

l’association. On retrouvera ainsi à d’autres périodes de la vie de l’association

quelques dons significatifs qui, sous des formes diverses, permettront également de

surmonter certaines phases critiques. Ce don qui représente, au bas mot, trois années

de cotisation des adhérents se trouve, en tous les cas, inscrit dans les toutes

premières pages des actes de la vie associative comme une pierre fondatrice. On

pourrait dire aujourd’hui qu’il constitue un acte citoyen, une sorte de don de la société à

elle-même, qui crée les conditions de l’émergence du fait associatif, symbolise toutes

les autres formes non monétaires du don en particulier en matière de temps,

d’intelligence et d’énergie des personnes bénévoles, et inscrit durablement dans les

racines mêmes de l’association cette source instituante du don. Dans la note

consacrée à l’ouvrage de Jacques Généreux, La Dissociété, nous avons repris de

manière synthétique quelques éléments de l’analyse d’Alain Caillé sur le don inspirée

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

110

des travaux de Marcel Mauss72. Pour Alain Caillé, le don n’est pas une relation parmi

d’autres. Il est équivalent au politique. C’est le politique par excellence ! C’est le geste

social fondateur qui permet de passer de l’isolement à la société, de la guerre à la paix.

C’est un acte d’alliance qui fait advenir le lien social. Avant même la logique du droit,

de l’économie, c’est le don qui, dans ce moment précaire, fragile, quasiment gratuit où

se fonde l’alliance, est l’acte politique qui littéralement fait société. Ainsi, aussi réduite

soit-elle au fil du temps, la cotisation des adhérents d’une association, mais encore tout

le temps consacré par les bénévoles, sont-ils le rappel de l’acte fondateur qui fait

exister l’association : et on le voit, dans cette phase originelle, pas de manière

seulement symbolique ! Puisque pendant toutes les premières années, cotisations et

dons associés au temps gratuit des bénévoles suffisent à faire vivre les « œuvres »

accueillant les enfants accueillis.

C’est donc bien autour d’un accord articulant de manière très étroite et complémentaire

logique d’aide bénévole et logique publique que s’élabore dès le départ pour « la

société vannetaise de protection de l’enfance en danger moral et des condamnés

libérés » la représentation partagée d’un « bien commun » : il s’agit pour les pouvoirs

publics, comme pour des personnes de bonne volonté souhaitant apporter leur

contribution à l’intérêt général, pour des raisons, on le devine à la constitution de la

première assemblée, à la fois philanthropiques et caritatives et religieuses, d’apporter

aux enfants et adolescents traduits en justice, maltraités, délaissés ou en danger ainsi

qu’aux détenus libérés l’aide éducative dont ils ont besoin. On traduit encore à

l’époque cette notion d’Education qui ne sera véritablement labellisée qu’après guerre,

notamment par la création de « l’Education Surveillée », par les termes de

« redressement » ou encore « relèvement », ce dernier terme semblant plutôt

s’appliquer aux jeunes détenus libérés : on le voit les conflits sémantiques ne sont pas

d’aujourd’hui ! La question est désormais de se demander si la notion d’éducation

gardera, dans le cadre de la énième réforme de l’Ordonnance de 1945 en cours, la

primauté qu’elle a eue pendant soixante ans !

72 Cf. Supra

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

111

Première ébauche d’une réponse professionnelle

Après deux années d’interruption lors de la déclaration de guerre, en 1941 puis 1942,

deux événements importants vont venir préparer la phase de création proprement dite

de la Sauvegarde : C’est en 1941 la création du premier poste salarié : une assistante

sociale. La mission de cette professionnelle est de rechercher et de visiter les familles

nombreuses dont les conditions ne présentent pas les garanties suffisantes pour

l’éducation des enfants. Pour la première fois, afin de financer ce poste, la Société se

voit dans l’obligation de se lancer dans la recherche de fonds publics : elle fera appel

au secours national, à la préfecture, à la mairie et à la Caisse d’Epargne pour obtenir

des subventions. L’assistante sociale est mise à la disposition du tribunal, Juge

d’instruction et Parquet.

Deuxième événement, l’année suivante, rendant tout aussi incontournable la référence

aux pouvoirs publics, c’est l’obligation faite par circulaire du procureur Général de

Rennes, le 23 janvier 1942, de n’avoir qu’une seule Société de Protection de l’Enfance

par département. Cette contrainte est source d’une perturbation importante pour les

deux Sociétés qui se sont créées à Vannes et à Lorient. Laquelle devra disparaître au

profit de l’autre, et sur la base de quels critères ? On constate donc, dès le départ, une

volonté des pouvoirs publics de venir administrer l’initiative privée : s’ils encouragent

celle-ci d’une part, ils cherchent dans le même temps, immédiatement, à la réguler afin

de l’inscrire dans des cadres administratifs repérés et dirigés. C’est le résultat d’une

ambivalence consubstantielle de la part des pouvoirs publics à l’égard de l’initiative

privée et le début d’un long processus qui verra tour à tour prédominer la dimension

de la gestion publique ou celle de la créativité associative, sans que jamais pour autant

cette dernière ne parvienne à s’émanciper de la tutelle de la première. C’est le fameux

débat sur la conception par les services de l’Etat d’associations considérées comme

auxiliaires des services publics, voire sous-traitantes, alors que dans le même temps

leur souplesse, leur capacité d’innovation et l’engagement de leurs acteurs sont

considérés comme une véritable alternative à la gestion publique. La pression est forte

et il faut trouver un compromis : le siège de l’unique Société sera finalement à Lorient ;

la Société de Lorient accepte de changer d’appellation et se nommera désormais

« Société Morbihannaise de l’enfance délaissée et délinquante » ; la Société

vannetaise devient une section de la Société départementale ; Président et Trésorier

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

112

seront alternativement, chaque année, basés à Lorient et à Vannes : la source d’une

tension durable entre les deux Sociétés désormais fondues en une seule !

Ce fonctionnement perdurera jusqu’en 1952. On se trouve alors vraiment dans les

prémisses d’une organisation professionnelle, avec des modalités difficiles à imaginer

un demi-siècle plus tard : ainsi, en 1947, le Président sera-t-il amené à remercier

officiellement lors d’un conseil d’administration les deux professionnelles assistantes

sociales, la titulaire ayant été rejointe entre temps par une auxiliaire, « pour être

restées plusieurs mois sans être payées et avoir abandonné l’avancement auquel elles

avaient légitimement droit ! » On le voit donc à l’époque, même les professionnels

pouvaient consentir à une forme de don pour aider l’association à passer un cap

difficile ! Entre temps, devant cette situation délicate de pauvreté endémique de la

Société, des idées plus ou moins heureuses sont mobilisées, une sorte de kermesse,

mais aussi la commande de 2000 encycliques du Pape ! On perçoit bien là, à nouveau,

l’ancrage culturel de la Société dans l’humanisme chrétien. Nous sommes en terres

bretonnes, et devant la carence des financements publics on n’hésite pas à faire appel

aux ressources identitaires toujours fortes à cette époque.

Création du premier établissement : le centre de Ke rforn

C’est en 1948 qu’est créé le premier établissement de la Société départementale qui

n’est pas encore devenue à l’époque une « Sauvegarde de l’enfance ». C’est toujours

l’initiative d’un magistrat qui prévaut alors, en l’occurrence celle du Procureur de la

République de Lorient, Monsieur Bellon. Il souhaite que les adolescents délinquants ne

cohabitent plus avec les majeurs en maison d’arrêt. C’est pourquoi il se débrouille pour

trouver une « baraque » pour les accueillir et demande à la Société d’en faire un centre

d’accueil. Le premier établissement, le centre de Kerforn, est né. Il recevra son

habilitation en juillet 1948.

Tout cela se déroule dans une grande précarité. Le directeur recruté pour la conduite

de ce centre, Monsieur Le Gonidec, exprime ainsi en 1950 les difficultés : « le

personnel a perdu l’agréable habitude de percevoir un salaire chaque mois ; pour cela

d’ailleurs, nous l’avons réduit au minimum : deux salariés ! » La mission quant à elle

n’est pas mince puisqu’il s’agit d’accueillir 15 à 20 adolescents délinquants dans une

seule et même grande pièce unique où la matinée est consacrée au travail scolaire,

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

113

l’après-midi à des activités de type professionnel et le soir aux loisirs. On voit émerger

là la figure historique des véritables fondateurs de l’éducation spécialisée, l’ère des

pionniers en matière de direction et d’encadrement.

A Vannes, dans le même temps, l’assistante sociale quitte la Société : comment garder

un personnel qualifié quand les salaires sont imprévisibles ? La Société, qui deviendra

bientôt la Sauvegarde, commence à être reconnue. Un deuxième lieu d’accueil est

créé à Vannes. Il s’agit là d’un « Patronage » qui est en quelque sorte l’ancêtre du futur

service de Placement Familial. Le nombre des jeunes confiés ne cesse d’augmenter.

Mais l’association est menacée d’asphyxie malgré la conviction et la générosité des

salariés et des donateurs.

En 1950, Le Président Raingeard alerte les ministères de la Justice et de la

Population : il menace de dissoudre la Société face à la pénurie des moyens ;

demander aux professionnels de rester régulièrement des quasi bénévoles par

l’amputation de leurs salaires n’est plus tenable : moment critique d’interpellation des

pouvoirs publics et de renvoi de chacun à sa responsabilité. C’est cette prise de

position qui décidera de l’avenir.

Cet engagement militant des premiers professionnels pionniers, consentant à ne pas

être régulièrement payés, marquera durablement, nous semble-t-il, le rapport des

associations employeurs à leurs salariés, inscrivant culturellement et quasi

contractuellement ceux-ci dans une logique souvent implicite, et quelquefois très

explicite, d’implication très forte, non seulement à l’égard de l’objet de la mission mais

encore à l’égard de l’entreprise associative commune. Sans nul doute, les accords de

2000 sur la réduction du temps de travail viendront-ils modifier, par la régulation

publique légale, un long accord tacite qui faisait du lien du salarié à son association

davantage qu’un simple contrat de travail. Ils ne sont pas venus cependant, pensons-

nous, l’interrompre même s’il est important, et nous y reviendrons, de se poser

aujourd’hui la question de la contribution des professionnels à la dynamique de

l’association ? Celle-ci ne semble pas toujours de nature à dépasser la seule

implication technique encadrée par le contrat de travail. Mais cette contribution

technique et la manière, nous y reviendrons, dont elle est organisée peuvent continuer

à être fortement imprégnées des valeurs d’engagement solidaire et militant de

l’association.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

114

I-2 L’analyse institutionnelle de la phase d’émergence 1935 – 1951

Les éléments de l’analyse institutionnelle

Les éléments recueillis sur la phase de création de l’association nous permettent de

proposer les bases de l’analyse institutionnelle de la Sauvegarde 56. Nous

reprendrons ainsi, pour chacune des périodes suivantes, après avoir relaté les

événements principaux, les éléments d’analyse qui caractérisent le mieux chacune des

phases. L’objectif est de dégager ce qui, à chaque étape, « fait institution ». Or il est

important de poser d’emblée, et la phase d’émergence de l’association permet d’autant

mieux de le souligner, que l’institution est davantage qu’une organisation au sens où

elle est non seulement un « groupement comportant des règlements établis

rationnellement » mais qu’elle implique de plus « des formes particulières de

socialisation »73. Au sens politique, souligne François Dubet74, « les institutions sont un

ensemble d’appareils et de procédures de négociations visant la production de règles

et de décisions légitimes… Conçue de cette façon, l’institutionnalisation est

indissociable du développement de l’espace démocratique. » C’est bien là tout ce qu’il

s’agira pour nous de démontrer à travers le développement historique de l’association

de Sauvegarde du Morbihan : que celle-ci n’est pas seulement une organisation de

services, mais qu’elle conserve bien un caractère d’institution impliquée dans le

développement du processus démocratique.

C’est bien autour de cette tension Institution/Organisation que se déploie l’histoire

d’associations telles que la Sauvegarde 56 : entre l’internalisation des questions

sociétales et l’élaboration de règles à travers l’invention de nouvelles formes

d’expression et de confrontation collective entre les parties prenantes, d’une part,

marquant tout l’enjeu démocratique mobilisé par la composante institutionnelle ; et la

rationalisation par la professionnalisation et la division du travail ainsi que par

l’interaction des acteurs dans les jeux de pouvoirs, d’autre part, qui caractérise la

dimension organisationnelle d’une association qui en est venue, au fil des années, à

gérer, pour l’essentiel de son activité, des établissements et services. Or la période de

création est intéressante à cet égard car il n’y a ni établissement, ni service à gérer,

73 Max Weber, Economie et Société, Citation Diaporama/Cours Sc. Po sur les fonctionnements associatifs, Session juillet 2007 74 François Dubet, Le déclin de l’institution , Citation Diaporama/Cours Sc. Po sur les fonctionnements associatifs, Session juillet 2007

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

115

mais essentiellement cette mobilisation institutionnelle au nom de principes de justice

sociale, « cette coordination entre individus, indissociable d’un processus de

construction d’une représentation collective de l’action »75. C’est cette représentation

partagée, érigée en « bien commun », qui légitime l’action et la stabilisera peu à peu à

travers l’élaboration de dispositifs successifs. Une sorte de norme implicite et collective

se dessine autour de « ce qu’il convient de faire » afin de faire progresser dans les

situations particulières identifiées de manque, de vide, ou de besoin, les principes de

justice sociale auxquels on se réfère.

Nous ne développerons pas l’analyse organisationnelle dans le présent travail telle que

nous l’avons menée dans le cadre du diagnostic réalisé à la Maison Pour Tous

d’Argenteuil même si certains paramètres pourront être utiles pour notre propos. Nous

nous centrerons donc essentiellement sur la logique institutionnelle, son adaptation à

la logique publique, l’encastrement politique de l’association afin d’aborder les types de

régulation avec le cadre institutionnel sur lequel reposera en fin de compte notre

analyse de la gouvernance et de la dirigeance associatives. Faire ressortir la logique

institutionnelle, c’est faire apparaître « un principe d’intelligibilité de l’action »,

« identifier une rationalité à l’œuvre, sans que son origine puisse être précisément

désignée », caractériser le moment fondateur où elle prend sens et devient un principe

de légitimité pour les acteurs, et devient institutionnelle par le passage d’un « monde

privé » à un « espace public », d’une expérience individuelle à une expérience

collective. Ce passage à l’institution représente « un coût puisque celle-ci ossifie la vie

sociale, mais aussi une ressource puisqu’elle crée des structures permettant à l’acteur

de mieux agir ».76

Une logique d’aide

La société vannetaise de protection de l’enfance s’inscrit clairement, dès sa création,

dans une logique d’aide. C’est là la logique émergente qui la différencie nettement

d’une logique institutionnelle domestique, centrée sur les réseaux primaires

d’appartenance, d’une logique d’entraide, fondée sur la réciprocité, ou encore d’une

logique de mouvement, centrée sur l’action revendicative et l’exercice démocratique

75 Citation Diaporama/Cours Sc. Po sur les fonctionnements associatifs, Session juillet 2007 76 M. Lallement, Citation Diaporama/Cours Sc. Po sur les fonctionnements associatifs, Session juillet 2007

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

116

afin d’infléchir l’action publique en vue d’un changement institutionnel élargi. Nous

allons décliner, pour la Société Vannetaise de Protection de l’Enfance, les principaux

éléments du cadre institutionnel qui font des conceptions partagées par ses acteurs, un

monde et un « bien » communs.

Tout d’abord en ce qui concerne la conception de la solidarité , la logique d’aide

développée par l’association relève d’une approche philanthropique, d’inspiration

judéo-chrétienne, fondée sur un sentiment de responsabilité à l’égard des plus

démunis, en l’occurrence des enfants et des adolescents en danger ou délinquants,

sans exclure les jeunes adultes libérés après une phase de détention.

L’action collective est, elle, mobilisée dans une logique d’engagement auprès de

publics déterminés dans des catégories abstraites : l’enfance en danger moral ; les

détenus libérés. C’est le champ de l’institution judiciaire qui permet de poser le cadre

de ces catégories générales guidant l’action.

En ce qui concerne le rapport entre espace public et production , l’association

donne d’emblée la priorité à l’activité au service des enfants et des adolescents plutôt

qu’à l’espace public caractérisé par la mobilisation démocratique des différentes

parties-prenantes de l’association. C’est, très vite, ce qui permettra à cette dimension

de l’activité et des services de s’émanciper assez largement de l’espace de la vie

associative proprement dit, entraînant, nous le verrons, un certain clivage entre les

deux.

Les formes et les dispositifs de régulation sont, eux aussi, bien caractéristiques de la

logique d’aide : les rapports sociaux entre promoteurs des activités et

bénéficiaires sont marqués par la distinction et l’inégalité sociale entre les uns et les

autres. On peut même parler de positions diamétralement opposées entre des

membres de l’association, particulièrement bien intégrés socialement et entourés de

tous les pouvoirs civils et religieux, et les destinataires des actions marqués, quant à

eux, par des signes d’exclusion morale et sociale.

D’ailleurs, en ce qui concerne la place statutaire des destinataires de l’action , ceux-

ci ne peuvent pas être membres, ce qui caractérise, là encore, la logique d’aide. Cette

dissymétrie entre promoteurs et bénéficiaires qui entretient la distinction des rapports

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

117

sociaux peut d’ailleurs être considérée, aujourd’hui, comme l’une des raisons de la

forme d’épuisement des logiques d’aide que l’on constate dans ce type d’action avec

une certaine atrophie de l’espace public. La question de la place des usagers dans les

associations vient, nous le verrons, entièrement renouveler cette problématique.

Le mode de recrutement des acteurs s’effectue quant à lui sur le mode de la

cooptation entre promoteurs au titre d’une certaine « qualification sociale ». C’est la

raison pour laquelle très vite la question de l’adhésion à un mouvement fédératif

national ainsi que celle de la formation des administrateurs se pose, ce qui constituera

une transition naturelle vers la professionnalisation.

Les modalités d’arbitrage en cas de désaccord renvoient à la recherche de

compromis autour des valeurs communes. D’où, en dépit du pluralisme annoncé, une

grande homogénéité le plus souvent dans les domaines identitaires et culturels

susceptibles de dégager aisément des accords implicites. On l’a vu, la composante de

la culture religieuse chrétienne, inscrite dans les fondements de l’ « Association

Charitable », jouera durablement un rôle de liant identitaire fort et durable entre les

membres, et cela indépendamment de l’histoire et de l’affirmation croissante de la

laïcité comme valeur, en particulier dans la sphère professionnelle volontiers

positionnée en différenciation marquée, si ce n’est en « contre », à l’égard de la culture

d’origine.

« Le principe dominant pour la mobilisation des res sources » repose sur le don et

sur l’accent mis sur l’action morale et libre du donateur. Nous avons insisté sur cette

dimension du don au fondement de la Société Vannetaise de Protection de l’Enfance.

Elle aussi vient bien caractériser le fait qu’on se trouve, dès le départ, dans une logique

d’aide, et non pas dans une logique domestique qui reposerait sur une mise en

commun d’un patrimoine apporté par les membres, ou encore d’une logique de

mouvement qui activerait des pressions afin de mobiliser la redistribution publique.

« L’espace institutionnel » de l’association est donc bien caractérisé par une logique

d’action centrée sur « l’aide » qui émerge de la pluralité des acteurs et unifie le sens de

leur engagement. Il en découle une dynamique de reconnaissance facteur de

socialisation pour les individus et de légitimation au nom d’un bien commun : apporter

son concours aux causes nécessiteuses que représentent tous les enfants et les

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

118

jeunes, voire les adultes en danger moral. La Sauvegarde 56 dans ses fondements ne

déroge donc pas à la règle de nombreuses associations d’action sociale en France qui

voient l’institutionnalisation de leur espace « public » avant tout caractérisé par une

logique émergente qui est une logique d’aide.

Enjeux de dirigeance et de gouvernance

Dans cette première phase de son histoire, la prégnance de la logique publique est

faible dans la mesure où l’essentiel de l’action et des ressources sont bénévoles. Et

cependant, elle est première, dans la mesure où c’est elle qui identifie les besoins. On

constate un immense encouragement de l’Etat traduit notamment, pour l’association

vannetaise, par la présidence d’un magistrat, par l’engagement de l’ensemble de la

famille du Préfet, et aussi par la présence de tous les corps constitués lors de

l’assemblée constitutive. Mais on ne peut pas encore parler vraiment d’une régulation

marquée, de type tutélaire par exemple, ni d’encastrement caractérisé dans les

politiques publiques. Les conditions sont réunies pour une telle évolution, la définition

des publics cibles par la Justice, l’exigence de réponses sociales ajustées aux besoins,

mais ce n’est que dans la phase suivante, où s’affirmera l’enjeu de la

professionnalisation, que nous pourrons véritablement parler d’une logique

d’adaptation subséquente qui à la logique « d’aide » articulera une logique

« publique ».

Peu d’éléments pour préciser les enjeux de la gouvernance et de la dirigeance au

cours de cette période fondatrice. Là encore, on observe la prévalence, en matière de

décision, de la puissance publique puisque le premier centre créé, le centre de Kerforn,

l’est à la demande du procureur de la République qui souhaite séparer les mineurs

détenus des majeurs. Ce n’est pas encore le concept de centre fermé, mais la logique

est déjà la même. Le conseil d’administration répond à la demande, même s’il ne

semble pas disposer de tous les moyens pour rémunérer correctement les salariés. On

retrouvera constamment au cours de l’histoire de la Sauvegarde cette initiative des

pouvoirs publics avec une mesure et une prise en compte tout à fait relatives des

coûts. Cependant la Sauvegarde répond, estimant que les moyens suivront, quitte à

mettre à contribution, à l’origine, les premiers salariés eux-mêmes. A mesure que

s’affirmera le droit du travail, ce sera bien sûr de moins en moins possible, mais la

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

119

conviction que, si l’Etat le demande les moyens viendront, aura la vie dure jusqu’à une

période toute récente où, à l’évidence, dans un contexte beaucoup plus concurrentiel,

la sollicitation publique ne se traduira plus forcément par un soutien inconditionnel

dans la durée. Quoiqu’il en soit, le schéma de départ, en termes de logique de

décision, est déjà celui de la commande publique, essentiellement portée par un

acteur, d’une part, de la réponse généralement favorable de l’association, d’autre part,

et de l’adaptation enfin des premiers salariés à des ressources insuffisantes.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

120

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

121

II - 1952 – 1975 Création de la Sauvegarde : vers

une professionnalisation de l’action sociale

II - 1 L’émergence d’une logique publique subséquente

De la société de protection à l’association de Sauv egarde

Lors de cette période fondatrice où la logique publique cohabite encore avec une

logique d’aide importante, on se trouve dans un contexte de mobilisation croissante du

modèle républicain autour de la question de l’intérêt général. La grande crise

économique de 1929, coup d’alerte sévère venant questionner la croissance mondiale

et la première grande mondialisation de l’économie qui s’est développée sur la

deuxième partie du XIXème siècle et le début du XXème, suivie de crises politiques,

sociales et syndicales fortes, le Front Populaire par exemple en France en 1936,

amène dès avant-guerre les pouvoirs publics à promouvoir des politiques sociales plus

offensives. Elles sont encore largement teintées d’approches familialistes. Michel

Chauvière, dans son ouvrage sur l’enfance inadaptée et l’héritage de Vichy77, montrera

en quoi la France de Vichy viendra finalement s’inscrire dans un mouvement qui

constituera les prémisses, en matière d’enfance en danger et délinquante, de toute la

politique volontariste et républicaine d’après-guerre. Les Associations Régionales de

Sauvegarde de l’Enfance et de l’Adolescence, les fameuses ARSEA qui deviendront

plus tard les CREAI78, sont d’ailleurs créées sous Vichy. Les associations

départementales de Sauvegarde seront, elles, créées par décret en 1945.

La recherche d’alternative à l’enfermement carcéral constitue le point de ralliement de

tous les humanistes qui se mobilisent alors pour apporter une réponse globale à la

question de l’enfance et de l’adolescence en détresse. C’est sur ce terreau que se

définira la politique pénale en matière d’enfance en danger et délinquante en 1945

avec la création des tribunaux pour enfants et l’ordonnance de 1945 faisant prévaloir,

pour les mineurs délinquants, l’éducation sur la répression. Les associations de

77 Michel Chauvière, Enfance inadaptée, l’héritage de Vichy, Ed. de l’Atelier, 1989. 78 Alain Vilbrod, Mathias Gardet, L'éducation spécialisée en Bretagne, 1944-1984 : Les coordinations bretonnes pour l'enfance et l'adolescence inadaptées, Presses Universitaires de Rennes, 2008.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

122

Sauvegarde, préparées, comme c’est le cas dans le Morbihan, par une phase de

développement où l’initiative privée vient suppléer aux carences de moyens des

politiques publiques, vont également naître et être renforcées dans ce contexte.

C’est au Conseil d’administration du 26 janvier 1952 que la « Société Morbihannaise

pour la Protection de l’Enfance Délaissée et Délinquante » devient officiellement la

« Sauvegarde de l’Enfance et de l’Adolescence du Morbihan ». L’appel de détresse du

Président de la Société a été entendu : peu à peu l’association va sortir d’un système

de financement à base de subventions et de dons aléatoires. Ainsi, en 1953, le service

de prévention perçoit une indemnité journalière de « surveillance » par enfant suivi ; la

même année, le centre de Kerforn reçoit un prix de journée, juste suffisant pour

financer deux salaires : le directeur et un éducateur. La mobilisation pédagogique et

l’engagement personnel de ces personnels très peu nombreux, mais également la

construction progressive de l’Etat social, à travers ce que l’on appellera « les trente

glorieuses », vont progressivement permettre de professionnaliser et de transformer

en profondeur les institutions sociales.

L’invention des métiers du social : début de constr uction du modèle

professionnel et mouvement de qualification

Les années 50 sont des années de prise de conscience intuitive et globale de tous les

enjeux et de toutes les contraintes de la professionnalité. Ainsi les assistantes sociales

de l’association qui œuvrent auprès de l’enfance « délaissée » découvrent-elles l’enjeu

de maintenir autant que faire se peut l’enfant dans sa famille. Les placements

menacent fréquemment les liens parents-enfants. Il est, de toute façon, nécessaire de

ménager des périodes fréquentes de retour en famille. Par ailleurs, la distinction entre

mineurs délinquants et enfants « délaissés » ne paraît pas toujours des plus

pertinentes : les situations de vie familiale des uns et des autres sont très comparables

et la nature des délits souvent mineure. Ainsi les intuitions qui conduiront à

l’ordonnance de 1958 et à la création des mesures de milieu ouvert pour l’enfance en

danger seront-elles d’abord le fruit de l’observation quotidienne de professionnels

engagés dans une pratique de terrain.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

123

Par ailleurs, dans le cadre du Patronage où une partie des enfants est confiée à des

nourrices, ce qui sera plus tard systématisé à travers le service de placement familial,

même si le constat est fait de certaines carences sur le plan éducatif de la part de ces

nourrices, il apparaît dans le même temps évident que cette réponse est bien

préférable aux logiques d’orphelinat qui aboutissaient le plus souvent à une rupture

des liens entre parents et enfants. On se préoccupe essentiellement de la santé, de la

scolarité, de l’orientation professionnelle des enfants et des jeunes accueillis, mais

aussi de l’accompagnement des parents de ces jeunes pour favoriser là encore le

maintien des liens voire le retour dès que possible des enfants à leur domicile.

Création des premiers établissements et unification départementale de

l’association

La création du centre du Guermeur constitue une étape importante dans le

développement de l’association : il sera construit entre 1954 et 1960 et recevra son

habilitation en 1961. C’est alors un établissement historique de la Sauvegarde qui voit

le jour. C’est à partir de lui, et des moyens logistiques dont il dispose, que

l’association, à l’instar des dynamiques alors à l’œuvre en France, commencera

progressivement son travail de différenciation des approches éducatives et des

métiers. C’est grâce à l’efficience de Monsieur Crespin, alors Juge des Enfants au

Tribunal de Lorient, et par ailleurs secrétaire de l’association, que tous les obstacles

seront peu à peu surmontés : acquisition des terrains, réalisation des plans, obtention

des subventions, construction… On le voit, les magistrats continuent à jouer un rôle

majeur dans le développement de l’association comme ce sera le cas pour la plupart

des Sauvegardes. Au-delà même de l’impulsion qu’ils donneront à la création

d’établissements et de services, ils soutiendront continument les associations par une

forte reconnaissance de leurs contributions techniques, tout au moins jusqu’à la

Réforme récente de la Protection de l’Enfance qui modifie structurellement leur rôle, le

relativisant au profit de celui des Départements.

Côté association, cette création lorientaise n’est pas sans susciter de fortes tensions

avec la section de Vannes. Les besoins sont estimés être de même nature dans les

deux secteurs clés du département. Or les investissements sont alors exclusivement

mobilisés sur Lorient. De plus la présidence est alors vannetaise, ce qui ne satisfait

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

124

pas les élus lorientais, estimant qu’au regard des enjeux et des réalisations en cours,

elle devrait plutôt être lorientaise. Au fil des années, cette tension sera persistante

entre Vannes et Lorient, constituant le terreau d’autres évolutions. Ainsi relève-t-on, au

fil de la lecture des comptes-rendus de CA cette mention le 15 juin 1955 : « il y a trop

de dévouement dans l’œuvre. Une seule personne à se dévouer suffit. C’est

regrettable qu’il y en ait une deuxième. » Sous-entendu, un seul président suffit ! Il

était alors, en effet, question de l’ambition difficile à réguler entre président vannetais

en poste et présidentiable lorientais légitimé par le contexte de création. Une figure

apparaît, le 23 octobre 1954 au conseil d’administration qui se tient à Lorient : c’est

Madame Court, alors Présidente de la Croix-Rouge, future Vice-présidente du Conseil

Général du Morbihan chargée de la première commission des affaires sociales, et

future Présidente de l’association.

En 1955, suite aux instructions du Ministère de la Justice, le service social auprès des

tribunaux ne doit plus faire partie de la même association que celle qui gère le

Guermeur (alors encore basé sur le site de Kerforn) et le Patronage (l’ancêtre du

Placement Familial à Vannes). Une nouvelle association est donc créée en 1956 pour

se conformer à cette exigence : « Le Service social du Morbihan pour la Protection et

la Sauvegarde de l’Enfance et de l’Adolescence. » Ce service qui exerce alors des

enquêtes sociales, soit au titre de mandat du tribunal, soit au titre de la prévention

administrative, intervient en fait déjà sur le terrain de ce qui deviendra bientôt l’action

éducative en milieu ouvert. Lorsque la Sauvegarde voudra elle-même créer son propre

service de Milieu Ouvert, une quinzaine d’années plus tard, cette mission d’enquêtes

sociales, entre temps reprise par les services du Département, constituera une pomme

de discorde entre les professionnels de la DASS et l’association. Là encore, ce sera

l’intervention d’un Juge des enfants de Lorient, qui permettra à la Sauvegarde

d’avancer.

Du côté du Patronage de Vannes, les choses vont aussi bouger au cours de ces

années. Il s’agit pour les pouvoirs publics d’une œuvre privée renvoyant à une logique

de charité, inscrite dès la création de la Société de protection de l’enfance en 1935.

Elle vit de quelques subventions et de dons. Régulièrement des quêtes sont faites

dans les cinémas de Vannes, Ploërmel, Languidic, la Roche-Bernard pour rassembler

des fonds. Si le Ministère veut bien aider de telles œuvres privées, il considère qu’elles

doivent cependant trouve des ressource suffisantes pour « justifier » leur existence.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

125

Des baraques servent de base arrière au service qui accueille en fin de semaine, dans

une ambiance familiale, les enfants pensionnaires en institution, « pour que ceux qui

ne sont pas en famille d’accueil aient quand même un chez eux ». La mission n’est pas

légère puisque 95 enfants sont alors confiés au service, dont 85 suite à des mesures

de déchéance paternelle et donc de retrait autoritaire. L’annonce de la suppression des

baraquements militaires va obliger la section vannetaise à mobiliser fortement

l’association pour qu’une solution soit rapidement trouvée. C’est à l’assemblée

générale extraordinaire du 24 mai 1962 que la Sauvegarde annonce qu’elle a acquis

un terrain à Vannes en vue d’y construire un foyer qui serait en même temps le siège

de l’association. Une nouvelle directrice, issue de la CAF, est nommée en 1961. Dans

l’attente de la création du foyer, et du fait de l’expropriation des baraquements, elle se

propose d’héberger dans son appartement des enfants confiés. Entre la bonne volonté,

l’exigence de répondre aux besoins d’ « une jeunesse inadaptée qui a plus que jamais

besoin de nous », et l’ambition de développer une action vraiment professionnelle, il

existe encore bien des contradictions, sources quelquefois de confusion : menacée

d’expulsion par sa propriétaire la directrice reçoit un vigoureux soutien du Conseil

d’administration ! C’est en 1966 que les enfants du « Patronage » prendront enfin

possession de leur foyer à Kercado.

En 1965, l’association devient départementale avec sa nouvelle présidente, Madame

Court, et ses deux vice-présidents, l’un lorientais, et l’autre vannetais. C’est le Foyer de

Kercado qui abritera désormais le Siège Social de la Sauvegarde, Square Bon Accueil,

à Vannes.

Un nouveau style de dirigeants

A la fin des années 60, une crise importante au centre éducatif du Guermeur va

entraîner l’émergence d’une nouvelle génération de dirigeants sur laquelle va pouvoir

se fonder une approche plus rationnelle et professionnelle de la conduite des services

et des établissements. La Présidente souhaite que soit mis un terme au contrat de

travail du directeur, le premier à avoir été recruté par la Sauvegarde ; un ensemble de

difficultés financières, relationnelles, ne lui permettaient plus d’exercer sa mission. Lors

du CA du 30 novembre 1968, en arrêt maladie depuis plusieurs mois, il est présenté

comme démissionnaire. Aucune trace des procès-verbaux de conseils d’administration

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

126

au cours des deux ans et-demi qui précèdent ! C’est au Palais de Justice de Lorient

qu’a lieu ce conseil d’administration, comme un nouvel acte fondateur à partir duquel

va effectivement s’initier une dynamique fondée sur l’expérience professionnelle, la

qualification. C’est à la fois l’émergence de la figure du professionnel militant mais

aussi l’affirmation, sur cette base, d’un véritable renouveau du fait associatif. La

Sauvegarde redevient une association reconnue rassemblant près de 120 adhérents.

Lors du précédent travail79, en cycle de psychosociologie, j’ai particulièrement analysé

cet événement comme une crise fondatrice qui laissera durablement des traces en ce

qui concerne la sécurisation des fonctions dirigeantes dans l’association.

C’est un éducateur de l’Education Surveillée qui, en 1969, est recruté comme directeur

du Guermeur. Fort de la culture publique de l’administration dont il est issu, il suggère

de transformer le centre du Guermeur en centre d’observation, et d’introduire pour ce

faire toutes les disciplines en rapport avec de nouvelles exigences techniques, avec les

normes d’encadrement prévues à cet effet. Il sera nécessaire de recruter une équipe

diversifiée : un psychologue à temps plein, un psychiatre à la vacation, une infirmière,

une secrétaire sténodactylo, sans compter un encadrement éducatif par groupe de 14

jeunes. Il faut aussi envisager la construction d’ateliers, le projet pédagogique

prévoyant qu’ils soient construits par les jeunes eux-mêmes sous la conduite de leurs

moniteurs. Le Conseil d’administration est séduit par ce projet de création d’un outil

performant : sur les 28 places envisagées, trois ou quatre seront réservées à l’accueil

d’urgence.

De Kerforn au Guermeur, puis du Guermeur première version à ce nouveau projet, il

s’agit d’une profonde mutation. Direction et éducateurs spécialisés concourent

désormais à la définition d’une véritable conception technique du métier d’éducateur

spécialisé. Et le lieu de cette définition est pour le moment l’internat. Son outil

privilégié, l’observation. Désormais, il s’agit de se donner les moyens de mieux

comprendre le handicap ou le trouble, de distinguer entre préventif et curatif, de faire

appel aux sciences humaines. La bonne volonté ne suffit plus. On parle « d’équipe

pluridisciplinaire». Vivre avec ces jeunes, délinquants ou pas, leur dégager un avenir,

c’est un véritable métier. Le nouveau directeur parle volontiers de « techniques » à

développer pour donner au centre d’observation du Guermeur un caractère « plus

scientifique ».

79 Jean Lavoué, Structure charismatique et changement, l’exemple de la Sauvegarde du Morbihan, Op. cit

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

127

C’est donc le temps de l’invention d’un nouveau « métier ». Le Diplôme d’Etat

d’éducateur spécialisé date de la fin des années 60. Les nouveaux professionnels

s’engageront fortement dans la politique de formation, seront des acteurs clés de la

création des écoles d’éducateurs. Ils participent d’une ambition de créer une véritable

science du travail social. L’Etat accompagnera ce mouvement de la socialisation

professionnelle, encourageant la création de ces instituts de formation. A la suite du

rapport Lenoir sur les Exclus, la loi du 30 juin 1975 sur les institutions sociales et

médico-sociales viendra consacrer ce mouvement de professionnalisation du social. La

base technique des organisations se renforce d’une alliance avec les politiques

publiques. La militance professionnelle se réfère volontiers à la clinique et à la

technique, tandis que les dirigeants se font les entrepreneurs du social, « délégués »

de la puissance publique.

Dans le même temps cependant, les associations de Sauvegarde en particulier

articulent ce militantisme professionnel à une conception renouvelée du fait associatif.

A la Sauvegarde du Morbihan, non seulement les services, mais encore l’ensemble

des catégories professionnels sont ainsi représentés autour de la table de certains

Conseils d’administration. Ainsi, dans cette instance clé de la démocratie associative,

les techniciens relevant de cette nouvelle militance professionnelle peuvent-ils avoir

voix au chapitre, de la Présidente à l’éducateur ou à l’assistante sociale, en passant

par le directeur ou le psychologue. Sans parler de véritable expérience d’autogestion

comme elle a pu poindre ça ou là dans certaines Sauvegarde – ainsi à Nice, le

directeur est-il élu par ses salariés – du moins observe-t-on dans cette phase un

rapprochement étroit entre les professionnels et les administrateurs. Ceux-ci ont

besoin de ces acteurs reconnus, de ces défricheurs du social qui repèrent les besoins

et portent les innovations. Sur la base d’une forte confiance reconnue, les travailleurs

sociaux vont se trouver placés par leurs organisations au cœur du développement de

l’action sociale. Ils le seront aussi par les pouvoirs publics qui encouragent cette

initiative. Le centre de gravité des associations bascule du côté de son organisation

professionnelle au sujet de laquelle on a pu parler de l’instauration d’un véritable

« micro-corporatisme entrepreneurial ». Contrairement aux associations de parents où

le renforcement de la technicité se crée dans un climat de relative tension avec les

parents militants, les Sauvegardes, fortement inscrites dans une culture d’initiative

publique souvent d’ailleurs relayée au sein même de leurs conseils d’administration,

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

128

accompagneront beaucoup plus aisément ce mouvement d’émancipation de la sphère

technique au cœur de leur organisation.

A la Sauvegarde du Morbihan, c’est à partir d’une profonde crise de la dirigeance sur

l’établissement du Guermeur, à la fin des années 60, et à l’occasion de l’arrivée d’un

nouveau directeur issu de la culture publique et porteur d’une forte ambition

professionnelle, que ce virage s’effectuera. La tâche de François Thomas à La

Sauvegarde sera brève puisqu’il décède en juillet 72, à l’âge de 32 ans, juste trois ans

après son arrivée. Mais sa marque sur l’association sera profonde. C’est un autre

dirigeant, Adrien Le Formal, recruté en tant qu’éducateur quelque temps avant

François Thomas, qui prendra alors le relais et sera appelé à conduire les

transformations initiées par son prédécesseur.

Vers une organisation départementale

La diversification des réponses est l’étape qui va conduire, après le recrutement des

dirigeants militants, porteurs d’innovation et de projets, à l’organisation départementale

des services de l’association.

C’est tout d’abord la création du foyer de semi-liberté Louis Roche, également

envisagé par François Thomas, comme une réponse située pour les jeunes au plus

près de leurs employeurs. Il s’agit d’un dispositif complémentaire du Centre

d’Observation du Guermeur. A cette époque, la question du travail ne se pose pas :

avec l’appui très important des employeurs de la région de Lorient, la quasi-totalité des

garçons du Foyer sont, en effet, au travail et acquièrent une formation professionnelle.

Pour les accompagner au-delà de leur sortie du Foyer, François Thomas crée la

Section d’Adaptation Progressive leur proposant une aide éducative. Pour des raisons

de marché immobilier, Le Foyer ne pourra s’établir définitivement rue Louis Roche, en

plein centre de Lorient. Le Conseil d’administration fera donc assez vite l’acquisition

d’un terrain en zone industrielle de Kerpont sur lequel sera construit le nouveau Foyer.

Dans l’attente de ce nouveau Foyer qui sera livré en 1975, les jeunes occuperont

pendant une année une maison, rue de Brest, elle aussi vouée à la démolition.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

129

Du point de vue même des magistrats, et en particulier du Juge des Enfants de Lorient,

Monsieur Séné, les mesures de placement ne suffisent pas : il faudrait fournir une aide

éducative à la famille ou au jeune lui-même. Cela, les assistantes sociales ou le petit

nombre des éducateurs des Affaires Sanitaires et Sociales, submergés par la tâche, ne

peuvent l’assurer comme il faudrait. Il encourage donc les projets du directeur du

Guermeur. Mais ce n’est qu’après son décès que le Service de Milieu Ouvert verra le

jour en 1973.

Dès sa nomination, en tant que Directeur des Services Lorientais de la Sauvegarde,

Adrien Le Formal propose une organisation capable de mobiliser une unité

d’inspiration, d’animation et de gestion pour les services concernés. Pour bien marquer

son rôle de responsable d’un ensemble, il propose au Conseil d’administration de

nommer deux chefs de service, l’un pour le Centre d’Observation, l’autre pour le Foyer

de semi-liberté. Ce premier schéma d’organisation est important. C’est sur lui que

s’appuiera la construction de la Sauvegarde pour les années à venir : un responsable

général, des unités différenciées avec chacune un responsable.

Aussitôt, poursuivant également le travail engagé par son prédécesseur avec le Juge

des Enfants de Lorient, il obtient du Conseil d’Administration le feu vert pour la création

du service d’assistance éducative en milieu ouvert. Cependant, comme nous l’avons

déjà souligné, on voit bien que, dès cette période d’intense création, l’initiative s’est

fortement ancrée du côté de l’entreprise sociale autour de l’émergence d’une forte

revendication de technicité. Le procès-verbal du Conseil d’administration du mois

d’octobre 1972 donne mission au directeur nouvellement nommé de demander

l’habilitation tout en précisant que le projet serait « à étudier en coordination avec les

autres services sociaux. »

De fait, la création de ce service ne se fait pas sans difficulté. Le Juge des Enfants

soutient le projet de la Sauvegarde. Le Directeur de la DASS défend l’intérêt de ses

personnels qui, jusqu’à présent, ont fait le travail et acceptent mal qu’on fasse appel à

des professionnels de statut différent. Pour ceux-ci, la protection de l’enfance en

danger relève d’abord de l’administration publique ; pour le Juge et l’association, le

secteur associatif peut également l’assurer, à condition d’être habilité. A quarante

années de distance, on voit ainsi qu’une ligne de tension était déjà en place avec les

services du Département dès la mise en place d’un secteur associatif professionnalisé.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

130

Les Juges des Enfants, très impliqués dans l’histoire des Sauvegardes et

particulièrement, on l’a vu, dans celle du Morbihan, penchaient clairement en faveur du

secteur associatif. Il faudra attendre la Réforme de la Protection de l’Enfance en 2007

pour qu’une régulation historique basée sur cette alliance magistrats-associations, soit,

comme nous l’avons déjà signalé, interrogée, le Président du Conseil Général et ses

services devenant désormais « chef de file » et pilotes des projets. Un an après la

création du service de Milieu Ouvert à Lorient, une antenne est créée à Vannes. La

création de cette antenne coïncide avec celle d’un poste de Juge des Enfants à

Vannes. Manière encore de souligner l’étroite articulation des projets de la Sauvegarde

avec la politique des tribunaux.

Créations de services et d’établissements, constructions de locaux (Le Guermeur,

Kerpont, avec une seconde phase de travaux d’agrandissement de Kercado au cours

de ces mêmes années), on peut dire qu’administrateurs et dirigeants posent au cours

de ces années 1969-1975, sur la base de l’impulsion donnée par François Thomas et

relayée par Adrien Le Formal, en lien étroit avec le Juge des Enfants de Lorient, les

fondations de l’association telle qu’on la verra se déployer au cours des trente années

suivantes. D’autant qu’un autre projet se dessine en 1974 : en raison de difficultés de

recrutement, les religieuses de la congrégation Notre Dame de Charité de Rennes,

gérant notamment le gros établissement pour jeunes filles St-Cyr, souhaitent se retirer

des Foyers qu’elles ont récemment construits dans le Morbihan, Le Pratel et Kervénic,

et en confier la charge à la Sauvegarde ainsi que les bâtiments qui accueillent les

enfants. L’enjeu pour l’association est de compléter par l’accueil des filles dans le pays

vannetais ce qu’elle a déjà réalisé en matière d’accueil des garçons sur Lorient.

Toutefois cette reprise s’effectuera dans un contexte où déjà la question de l’internat

comme modèle de réponse éducative se pose et où certains magistrats deviennent

réticents à placer, privilégiant la réponse en milieu ouvert alors en plein essor. La

reprise des deux établissements de la congrégation se fera d’abord dans le cadre d’un

essai d’une année après une décision du conseil d’administration le 29 novembre

1975.

C’est sur la base de ces importantes transformations que la nécessité se fait alors jour

de créer dans un proche avenir une structure destinée à coordonner l’ensemble des

activités sur le département. Le projet de la Direction Générale est lancé dès le Conseil

d’administration de juin 1974. C’est autour d’elle que se déploiera la longue période

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

131

1975-2002 qui, pour accompagner la croissance des établissements et des services

sera, pour les Sauvegardes, le temps de la rationalisation organisationnelle et

gestionnaire. Toutefois, la Sauvegarde du Morbihan intégrera sans doute plus

fortement que d’autres la logique du « corporatisme entrepreneurial » qui a marqué ses

débuts : sans doute, en partie, en référence aux particularités de la transmission entre

ses deux premiers dirigeants. La mémoire de François Thomas, même s’il exerça

brièvement ses fonctions de direction, restera, en effet, profondément ancrée dans la

vie de l’association et son successeur déploiera une énergie en matière de projets et

de développement à la hauteur de la dette que l’association estimera avoir contracté à

son égard.

Une présidence politique

Il est nécessaire également d’évoquer, en lien avec toutes ces évolutions touchant à

l’organisation technique, la fonction politique clé de la nouvelle Présidente, par ailleurs

Présidente de la Croix-Rouge et Conseillère Générale du Morbihan, Denise Court.

Dans un petit ouvrage autobiographique publié en 200780, elle-même revient sur cette

période fondatrice de l’association au cours de laquelle son rôle aura été décisif : « En

1965, la situation financière de la Sauvegarde est des plus délicate. Les travaux du

centre du Guermeur et ceux de Kercado à Vannes sont arrêtés. L’architecte a fait don

de ses honoraires mais les créanciers sont mécontents. Il est d’autant plus difficile de

faire le point de la situation que le registre des délibérations de l’association est muet

sur la période allant du 7 juillet 1962 au 19 juin 1965. Le Juge des enfants, monsieur

Bellec, appelle à l’aide Denise Court pour sortir de l’impasse une association en péril…

Le 19 juin 1965, poursuit-elle, l’assemblée générale a élu un nouveau conseil

d’administration qui m’a portée à la présidence. Nous devions achever la maison du

directeur au Guermeur et les locaux du square Bon Accueil à Kercado… Je me suis

donc employée à chercher et à trouver les financements notamment auprès du Conseil

Général. Il ne faut pas croire que c’était une affaire facile. L’ampleur budgétaire que

prenait peu à peu la commission des affaires sociales (créée et présidée par Madame

Court) n’était pas du goût de la commission des finances qui s’inquiétait d’une possible

dérive aux dépens d’autres actions considérées comme électoralement plus

payantes. »

80 Denise Court, La Dame du Morbihan, autoédition, 2007

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

132

Après l’action fondatrice de l’Etat, en la personne en particulier des magistrats, on voit

ainsi se profiler l’action politique du Département dont le rôle ira croissant au cours des

décennies suivantes. C’est d’ailleurs un magistrat qui a l’intuition de faire appel à cette

personnalité qui connaît déjà bien, par ailleurs, plusieurs acteurs de la Sauvegarde,

dont l’ancien directeur du Guermeur, et le nouveau qu’elle recrutera. L’oncle de ce

nouveau directeur recruté, le docteur Ferdinand Thomas, est d’ailleurs un notable, élu

très connu du pays de Lorient, héros de la résistance, maire d’Hennebont de 1945 à

1959, conseiller général à partir de 1954, puis Vice-Président du Conseil Général de

1964 à 1976, avant de devenir conseiller régional de 1976 à 1979. Denise Court et lui

se connaissent donc très bien. Pour la petite histoire, c’est d’ailleurs, dans les locaux

où il résidait et avait exercé sa fonction de médecin que s’installera à partir de 1983 la

direction générale de l’association, 5 place du Général de Gaulle à Hennebont,

toujours à la même adresse en 2009. Denise Court et Ferdinand Thomas, deux figures

de la vie politique locale, eurent l’un et l’autre dans le cadre de leurs mandats électifs

et de leurs divers engagements le souci de panser les plaies de la guerre dont la zone

de Lorient fut particulièrement affectée ; ils s’efforcèrent de mettre en œuvre un

programme social de grande ampleur. Ferdinand Thomas suscita en particulier la

création de l’hôpital psychiatrique Charcot à Caudan. Il en fut le premier Président du

Conseil d’Administration, de 1971 à 1975, à l’époque où Denise Court présidait quant à

elle la Croix-Rouge et la Sauvegarde de l’Enfance. Le rôle de François Thomas dont

nous avons souligné toute l’importance pour la refondation de la Sauvegarde à la fin

des années 60 s’inscrit donc dans cette forte filiation. Soulignons encore que le père

de Ferdinand Thomas, le grand-père de François Thomas, fut gardien pénitentiaire,

affecté au bagne de l’île de Nou, l’administration ancêtre donc de l’Education Surveillée

eu sein de laquelle celui-ci commença sa carrière d’éducateur !

Cette période constitue un virage important pour l’association. Par cette présidence

politique et par les choix qui en résultent, y compris en matière de recrutement de ses

cadres dirigeants, elle s’inscrit désormais dans le paysage institutionnel et social du

département. A la tête de son équipe au Conseil Général, Denise Court peut compter

sur le soutien du premier directeur de l’action sociale du département, Monsieur David.

« Elle sait qu’il lui apportera son soutien dans ce qu’elle entreprendra pour la

Sauvegarde de l’Enfance. L’association devient un partenaire important avec un

budget de 144 millions de Francs, soit plus de deux millions d’euros. »

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

133

C’est sur la base d’un équilibre financier retrouvé, grâce aux subventions obtenues par

l’intervention efficace de sa présidente que va pouvoir s’engager la phase de

construction organisationnelle de l’association : « Nous nous devions de donner à

l’association des structures efficaces et définitives, écrit encore Denise Court dans son

ouvrage autobiographique. Il a fallu une dizaine d’années pour que la réforme se mette

en place et qu’il soit mis fin à ce subtil dosage d’apothicaire entre les deux pôles,

Vannes et Lorient, qui n’avait d’autre but que de ne pas froisser des susceptibilités

politiques. Une dizaine d’années pour faire admettre que l’association était

départementale et qu’elle concernait tous les enfants du Morbihan !... 1976 constituera

à cet égard une année marquante pour la Sauvegarde. La modification des statuts tant

attendue entre en vigueur. Désormais il n’y a plus 12 vannetais et 12 lorientais, mais

24 personnes physiques du département. Il est ainsi mis fin à ce dosage qui constituait

une entrave au fonctionnement de l’association. »81

Denise Court possède une véritable vision de la gouvernance associative qu’elle

considérait déjà comme étant à l’œuvre dès cette époque : « J’ai toujours apprécié les

valeurs réelles de la forme associative en ce domaine avec une grande capacité

d’innovation, écrit-elle encore, la coopération des militants et la disponibilité des

techniciens. Il existait une participation effective de toutes les parties prenantes, une

ambiance d’échange et d’amitié extraordinaire entre le conseil d’administration, la

direction et les équipes. Une confiance absolue était établie. Sans tout cela nous

n’aurions jamais pu fonctionner et réaliser tout ce qui a été fait. Ces vertus,

précisément, – mais là elle jette en 2007 un regard a postériori d’élue politique sur

l’histoire passée et présente – la décentralisation permet aux associations de les

prouver en les vivifiant. »82

81 Denise Court, op. cit. 82 Idem

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

134

II – 2 L’évolution institutionnelle de la Sauvegarde : une logique

d’adaptation aux exigences publiques

La période 1952-1975 que nous venons de parcourir à grands pas est, on le voit, une

période extrêmement riche pour la Sauvegarde du Morbihan. C’est celle de la création

de l’organisation professionnelle, le premier dirigeant recruté n’ayant pas réussi

toutefois à transformer la première ébauche militante en structure techniquement

aboutie. Ce sera le rôle de ses successeurs, et en particulier, nous l’avons vu, d’un

jeune directeur issu de la fonction publique qui lui-même passera très rapidement la

main à un autre jeune cadre qui exercera toute sa carrière, d’éducateur, de chef de

service et de directeur au sein de la Sauvegarde. Nous allons reprendre certains

éléments de l’analyse institutionnelle concernant cette phase clé pour l’association.

Le moment critique de basculement de la logique émergente d’aide à la logique

subséquente d’adaptation publique est caractérisé par cette crise de la fonction

dirigeante dont nous avions déjà analysé les conséquences sous-jacentes durables

dans notre précédent travail83 : notamment en terme de traumatisme institutionnel dont

les résonances avaient affecté dans la longue durée les représentations inconscientes

de l’autorité dans l’association ; traumatisme sur la base duquel avait pu émerger la

double figure du « héros » à la fois sacrificiel et conquérant portée par les successeurs

et sur laquelle reposait les fondements de la structure charismatique de l’association.

Dans le cadre du présent travail, il est intéressant de repérer le rôle également

déterminant de l’événement mais selon une ligne d’analyse sociologique différente. La

mise en cause du dirigeant, à la fois sur le registre des valeurs et de la technicité, en

rapport avec la mission originelle de protection de l’enfance en danger moral, va

constituer, en effet, pour l’association une véritable épreuve de vérité. C’est sans doute

la raison pour laquelle elle se tait littéralement pendant deux ans, suspendant la

rédaction des actes de ses conseils d’administration et peut-être même la tenue de ces

instances. C’est par un Juge, et au Palais de Justice, que sera trouvé un dénouement

à la crise, grâce à la nomination d’une Présidente très politique qui, elle-même

recrutera un dirigeant issu du Ministère de la Justice et d’une famille hautement

honorable du département. Renouvellement donc total de la gouvernance associative

à cette époque : d’une présidence longtemps confondue avec la logique judiciaire, on

83 Jean Lavoué, Structure charismatique et changement, Op. Cit

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

135

passe à une présidence vraiment politique et sociale tandis qu’on va chercher la

compétence du dirigeant du côté d’une référence technique à l’administration judiciaire.

Séparation donc des rôles et clarification.

Nul doute que la logique initiale du recrutement du premier dirigeant, quasi bénévole

on l’a vu à certains égards, ne serait-ce que sous l’angle de la rémunération, n’ont pas

permis à l’association de modéliser d’emblée la structure professionnelle devenue

pourtant incontournable à la fin des années 60. C’est donc également « la

confrontation à des évolutions et à des mutations de l’environnement qui a contraint à

des processus d’ajustements et à des changements structurels intégrant de nouvelles

logiques consolidées dans de nouveaux compromis et de nouveaux accords. »84 Le

moment critique est donc celui où émerge, dans le cadre d’une contrainte publique

grandissante au regard des missions, la nécessité d’une configuration irréprochable

articulant professionnalisme des salariés et notabilisation des membres de

l’association et en particulier de la présidence.

Il en résulte une logique d’adaptation « publique », subséquente à la logique

émergente « d’aide » restée, lors de la phase précédente, compatible avec un registre

professionnel relativement peu affirmé et une gouvernance associative mélangeant

aisément les places, les rôles et les lieux de traitement des décisions : on l’a vue, les

conseils d’administration pourront longtemps traiter de la prise en charge, et les

professionnels y participer indépendamment de leur fonction. Dans le cadre de la

logique « publique » d’adaptation, initiée à la Sauvegarde du Morbihan par un moment

critique de mise en doute du professionnalisme, les magistrats, créant les conditions

pour que celui-ci advienne, se dégagent en quelque sorte des premiers rôles pour

exiger que les cadres de l’action attendus soient en quelque sorte tenus de l’intérieur,

par les acteurs tant politiques que techniques de l’association eux-mêmes. C’est ainsi

que se décline, s’appliquant strictement à la Sauvegarde du Morbihan, l’ensemble des

critères caractérisant le nouveau cadre institutionnel autour d’une logique d’adaptation

publique :

La professionnalisation repose désormais sur des critères de recrutement objectifs

renvoyant à une qualification appropriée aux tâches et conforme aux règles

administratives. Le recours au droit en termes de résolution des conflits est désormais

84 SciencesPo, « Les fonctionnements associatifs », session juillet 2007, Diaporama

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

136

la règle et le recrutement d’un dirigeant issu du ministère de la Justice une garantie de

reconnaissance par les pouvoirs publics.

L’inscription dans l’action publique locale se fait plus clairement en référence aux

normes et aux évaluations fixées par les pouvoirs publics. On peut d’ores et déjà parler

d’une régulation tutélaire, l’environnement institutionnel devenant déterminant et ayant

pesé de tout son poids pour dépasser la crise de légitimité traversée par l’association.

La représentation des destinataires de l’action reste, comme c’est le cas depuis

l’origine, déterminée par les politiques publiques autour de la notion d’ayants-droits. La

catégorisation des publics-cibles s’est affinée notamment du fait des ordonnances

judiciaires de 1945 et de 1958.

La mobilisation des ressources s’affirme définitivement du côté d’une prédominance

du financement public dans le cadre d’une hybridation de l’économie extrêmement

limitée : à part les cotisations, les quêtes, quelques dons, le temps de travail non

rétribué et le temps bénévole, l’ensemble des activités repose sur les deniers publics.

Même les acquisitions patrimoniales se feront sur la base de subventions publiques et

de dotations aux amortissements. Ce n’est qu’à une période récente que quelques

ressources privées consacrées au patrimoine viendront quelque peu enrichir une

certaine hybridation de l’économie.

La régulation politique/technique repose désormais clairement sur une répartition

entre les fonctions de président et de directeur. Mais au cours de cette seconde phase

qui est celle de l’évolution institutionnelle, le développement des activités entraîne

logiquement une certaine prévalence de l’espace de production des services

(organisation professionnelle) sur l’espace institutionnel (composante politique). La

gouvernance se jouera désormais pour l’essentiel autour de la confiance instituée

entre président et directeur sachant que ce dernier est appelé à toujours mieux

répondre à la complexité croissante des exigences environnementales.

Nous insisterons lors de l’étape suivante de l’analyse institutionnelle sur la dimension

croissante de l’encastrement politique de l’association dans les politiques publiques,

avec une diversification des missions qui entraînera des ambigüités voire des

paradoxes sur les formes de régulation du cadre institutionnel.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

137

III-1975 – 2002 Rationalisation organisationnelle et

gestionnaire et résistance du modèle corporatiste de

développement

III – 1 une nouvelle logique subséquente de type « entrepreneurial »

Création de la direction Générale

La Loi de 1975 vient marquer un incontournable point de référence pour l’action

sociale. Elle constitue le premier mouvement d’encadrement réglementaire et aussi de

différenciation des champs d’activité, des missions, des fonctions. Elle ouvre une

nouvelle période de rationalisation administrative de l’action sociale. La Sauvegarde du

Morbihan n’échappe pas à cette ambition de rationalisation organisationnelle. L’heure

est déjà au regroupement des moyens.

Décidée fin 1975, l’intégration progressive des deux établissements du Pratel et de

Kervénic va accélérer l’effort important d’organisation de la Sauvegarde. C’est au tout

début de l’année 1977 que le Ministère de la Santé donne un avis favorable à la

création d’une Direction Départementale, et prévoit « que le siège administratif

percevra de chaque service des fonds pour ses besoins propres ». Deux ans plus tard,

le rapport d’activités de l’assemblée générale du 21 avril 1979 définit les fonctions du

Directeur de l’association : « Par délégation du Conseil d’administration, il anime et

coordonne la politique de l’association sous tous ses aspects et notamment sur les

plans technique, administratif et de la gestion… Les 170 salariés répartis sur les sept

établissements et services, précise ce rapport, nécessitent une organisation rationnelle

au niveau de l’association, et au niveau des institutions du travail.» On le voit, soit dit

en passant, le développement de l’association est déjà important à cette époque. Nous

sommes déjà loin de la création du premier poste salarié en 1942. Mais c’est surtout la

décennie qui vient de s’écouler, avec l’intense souci de développement et de créativité

dont ont fait preuve François Thomas puis son successeur, Adrien Le Formal, qui ont

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

138

ainsi fait croître la taille de l’organisation. Ce n’est pas fini, puisqu’elle doublera de

volume au cours des vingt années suivantes.

En tous les cas, à la lecture de ce texte définissant les fonctions du Directeur de

l’association on se dit que l’esprit de la Loi de 1975 est bien passé par là. Et cette Loi,

même si elle vise déjà à rationaliser les choix budgétaires, favorise plutôt des créations

de structures complémentaires du côté du secteur associatif. Celui-ci saura s’en saisir.

A la Sauvegarde du Morbihan, le projet de la Direction de l’association est clairement

affiché : elle est là pour faire d’établissements diversifiés, « autonomes » (la culture

originelle de l’autogestion liée aux fondements de l’éducation spécialisée n’est pas

loin !), complémentaires entre eux, un ensemble homogène, un organisme vivant, bien

« calé » sur sa finalité éducative.

En fait, dès avant la mise en place de la Direction Générale, le directeur du secteur

lorientais a imprimé une logique de coordination entre les services vannetais et

lorientais. Déjà le service d’AEMO a créé une antenne à Vannes en 1974, et le service

de Placement Familial de Kercado a mis en place une équipe à Lorient. Les échanges

sont de plus en plus denses entre responsables et professionnels des deux

agglomérations. Chacun reconnaît et s’appuie sur le rôle central assumé par le

directeur du service lorientais. L’émergence de la Direction Générale se fera donc sans

crise.

La logique est alors de renforcer à la fois l’unité du corps associatif et l’adéquation de

chaque établissement à sa mission propre. On ne se trouve donc pas dans une logique

de regroupement administratif ou bureaucratique. L’autonomie de chaque structure,

d’une part, et l’unité organique de l’ensemble, d’autre part, sont de mise ! Ainsi, si la

section d’investissement est commune, par contre, les deux règlements intérieurs

restent distincts sur Vannes et Lorient, ainsi que ceux qui concernent chaque

établissement. Pas de souci de transversalité excessif alors ! Ces règlements intérieurs

cohabitent avec celui qui est mis en place pour l’association. Ressort avant tout le rôle

déterminant de la direction générale pour tout ce qui concerne la gestion. Pour le reste,

commence à se dessiner ce qui sera le fondement de la cohésion de l’organisation

associative sur l’ensemble de cette période 1975-2002 : « l’unité du corps associatif »

fondée sur la personnalité du directeur général, sur les liens étroits qu’il établit avec la

présidence, d’une part, et sur les liens personnels qu’il développe avec l’ensemble des

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

139

acteurs, d’autre part, et en particulier avec ceux-là qu’il pressent pour des fonctions

d’encadrement étroitement référées à ses intuitions et à son propre jugement.

Le Conseil de Direction, instance phare de la Sauvegarde qui, pendant vingt ans,

constituera d’ailleurs le principal espace mensuel d’information et d’échange entre

cadres, se dotant d’un nom mythique, « le combat des chefs », est mis en place lors de

l’assemblée générale du 21 avril 1979, en même temps donc que la création de la

Direction Générale. En fait cette réunion entre responsables préexistait à cette

appellation officielle du Conseil de Direction ; ce nom aura d’ailleurs bien du mal à

supplanter, dans les références des salariés, celui autrement glorieux dont se sont

affublés les « chefs » ! C’est une instance ouverte aux Directeurs et aux Chefs de

service qui mêle informations, débats, convivialité. Ce n’est pas véritablement un lieu

de prise de décision, sauf sur des éléments fonctionnels et régulateurs. Par contre, en

matière de grandes décisions stratégiques, les choses se jouent essentiellement entre

directeur général et directeur ou chef de service concerné, l’autonomie importante des

structures maintenant ce lien de référence privilégié. Durablement d’ailleurs, les

acteurs extérieurs à la Sauvegarde auront une représentation assez centralisée de son

fonctionnement, les directeurs de service ou d’établissements étant perçus comme les

chefs de service du directeur général. En fait, il n’en est rien, car la délégation

technique est importante et l’autonomie réelle. Il n’empêche que cette vision n’est pas

non plus fausse, dans la mesure où cette autonomie des structures s’accomodera très

bien de ce mode de direction charismatique. Celui-ci aura été favorisé, on l’a vu, outre

les qualités intrinsèques du dirigeant, par les événements traumatiques pour

l’institution que nous avons mentionnés, à travers le licenciement du premier directeur

puis le décès prématuré du second, impliquant rupture des modèles antérieurs et

émergence progressive de la figure de « héros » venus sauver l’association de

différentes situations périlleuses. Cependant la plupart des associations, dans cette

période fondatrice de leur histoire, sans avoir connu forcément de tels événements, ont

reposé sur un tel modèle favorisant la cohésion identitaire et l’action, tout en

s’encombrant le moins possible de modalités administratives, organisationnelles ou

gestionnaires considérées comme des freins à l’action. C’est sur cette matrice que

s’est durablement installé et amplifié le modèle « corporatiste entrepreneurial »

particulièrement exemplaire en ce qui concerne la Sauvegarde de l’enfance et de

l’adolescence du Morbihan.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

140

Le déplacement de la Sauvegarde vers le champ de l’ insertion des adultes

Très rapidement, ce premier effort de rationalisation gestionnaire, limité, on l’a vu, au

regard de la forte prégnance d’un modèle identitaire de type charismatique, va se

trouver confronté à la nouvelle question sociale émergeant au milieu des années 80.

Le modèle du travail social s’effondre, confronté à une démultiplication des difficultés

d’ordre social dans un contexte de désaffiliation accentuée où les problématiques de

l’emploi se cumulent avec celles de la famille ou de la santé85. L’Etat répond par un

effort accru de rationalisation organisationnelle et gestionnaire dans un souci d’adapter

les visées aux moyens. Face à la généralisation des problématiques de chômage,

l’Etat va surtout initier un autre type de régulation qui restera durablement précaire face

aux grandes problématiques de la désaffiliation : c’est la mise en œuvre des politiques

d’insertion qui seront parfois qualifiées de politiques de traitement social du chômage ;

elles s’inscrivent notamment dans le cadre des politiques de la ville mises en place par

le gouvernement d’union de la gauche dans lesquelles les associations de Sauvegarde

s’engageront diversement. Celle du Morbihan, à l’instar de celle du Nord86 avec

laquelle il y aura d’ailleurs des contacts importants, mais dans une moindre mesure

cependant, en fera un axe fort de sa politique de développement.

Dans un contexte de généralisation de la crise économique et d’effort de rationalisation

gestionnaire de la part des pouvoirs publics, c’est essentiellement dans ce champ de

l’insertion que va se cristalliser le développement du modèle entrepreneurial de

l’association. Au cours des vingt années qui suivent, l’essentiel des établissements de

la protection de l’enfance se trouve posé. Quelques aménagements interviendront,

mais tout l’effort de l’association va surtout porter sur le développement d’un nouveau

champ d’intervention. A l’assemblée Générale de 1982, le nouveau Président, Charles

Tortuyaux, ancien directeur de CAF, qui a succédé à Madame Court, affirme que dans

un monde où les difficultés s’affichent à ce point, une association de travail social

comme la Sauvegarde ne peut se contenter de gérer consciencieusement ses

établissements. Elle doit être capable de percevoir et d’évaluer les besoins nouveaux,

85 Cf. en particulier à cet égard les travaux de Robert Castel. 86 Le Directeur Général de La Sauvegarde du Nord, Pierre de Saintignon, sera l’une figure de référence en la matière pour toutes les Sauvegardes de cette époque, à travers notamment le Groupement National des Directeurs d’Association. Articulant des fonctions sociales et politiques, il développera largement le secteur de l’insertion à partir de l’association qu’il dirigeait alors. L’une de ses chargées de mission viendra d’ailleurs accompagner des missions d’insertion de la Sauvegarde du Morbihan au cours des années 90.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

141

d’expérimenter et de promouvoir des interventions plus adaptées. Cette réflexion

donne le tempo de toute l’orientation stratégique de la Sauvegarde au cours des vingt

années suivantes : à part quelques ajustements, et de rares initiatives, le secteur de la

protection de l’enfance connaîtra peu d’évolutions structurelles. On le verra, ce secteur

sera laissé à l’initiative technique des équipes et peu investi par l’association et sa

direction. Avec d’ailleurs, paradoxalement, l’entretien par celle-ci d’une forme de

résistance à l’évolution des pratiques dans ce champ, en matière d’internat

notamment, qui sera l’un des paramètres de la crise de la dirigeance au cours des

années 1998-2002. Par contre, le champ de l’insertion des adultes sera celui où

l’essentiel de l’énergie et de l’intelligence associative sera mobilisé.

La première création d’établissement dans le champ de l’accueil et de la prise en

charge d’adultes sera celle d’un Foyer d’Hébergement, d’Accueil et de Coordination

pour des femmes en difficultés à Vannes, le 18 janvier 1982. C’est le Foyer Keranne

issu de la Congrégation qui a cédé ses établissements précédemment consacrés à

l’accueil des jeunes filles. A cette occasion, la Sauvegarde devra modifier ses statuts

car elle intervient désormais officiellement auprès d’adultes. Bientôt un dispositif

d’entraide composé de bénévoles viendra renforcer les professionnels du foyer dans

l’accompagnement de ce public adulte. On le voit, d’emblée, en s’ouvrant sur ce

champ de l’insertion des adultes, la Sauvegarde renoue spontanément avec les

intuitions de l’économie sociale et solidaire qui ont prévalu à sa création. Après des

années de professionnalisation intense, le bénévolat retrouve droit de cité, sans

aucune remis en cause d’ailleurs des logiques professionnelles. On parle d’un

dispositif « d’entraide », mais dans la mesure où ce n’est pas l’aide réciproque des

usagers qui est promue mais plutôt l’intervention de bénévoles porteurs des valeurs

humanistes et caritatives de l’association à son origine, c’est bien plutôt d’une

réactivation de la logique « d’aide » émergente dont il est alors question.

L’idée d’une crêperie au Pratel en 1985, qui assurerait la formation professionnelle de

jeunes adultes, en même temps qu’elle fonctionnerait comme une entreprise va

véritablement lancer la politique de l’association dans le champ de l’insertion.

Précédemment, à partir du jeune service des Réseaux d’accueil, des expériences

d’activité économique liées à l’insertion dans le domaine, par exemple, de la

récupération des vieux journaux, avaient déjà été lancées. Mais c’est à partir de cette

initiative du Pratel que la politique d’insertion par la formation et l’économique sera

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

142

véritablement promue dans l’association. Les nouveaux partenaires se nomment

direction du Travail et direction de l’ANPE. Ce sont d’ailleurs des contacts

personnalisés avec tel directeur ou avec le directeur général, dont le réseau d’influence

devient dés lors déterminant, qui vont permettre à l’association de s’engager et de se

déployer largement sur ce champ.

Dès lors de nombreuses autres initiatives verront le jour dans le domaine de

l’insertion : chantiers de détenus à Belle-île, ateliers d’insertion, services

d’accompagnement social des demandeurs d’emplois et des bénéficiaires du RMI…

Les pouvoirs publics solliciteront également l’association pour reprendre la mission

départementale d’accompagnement social des Gens du Voyage à la suite d’une

association « trop militante », ayant, du fait d’une trop grande proximité avec les

usagers, rencontré des difficultés dans l’exercice de cette mission. On le voit, la

référence professionnelle de la Sauvegarde reste une garantie et un recours pour les

administrations.

Afin de bien distinguer les missions qu’elle initie dans le champ de l’insertion, et de

souligner en particulier les particularités de la dimension économique de l’entreprise, la

Sauvegarde se lance dans la création d’associations filiales participant avec elle d’un

même projet global d’utilité sociale. Elle en comptera quatre au début des années

2000 : la crêperie Projet du Pratel, la Cafétéria Bleu Citron à Ploemeur, la scierie

l’Olivier à Guidel, et enfin le Corbeau des Mers gérant un vieux gréement propriété du

musée de la résistance de St-Marcel. C’est le souci juridique qui a prévalu ainsi que la

volonté d’étendre le réseau de l’association, ces filiales devant constituer pour elle un

« vivier » d’administrateurs potentiels. En fait, on le verra, ce réseau d’associations

finira par user les meilleures volontés, pèsera aussi dans les difficultés économiques à

venir de l’association et la protégera mal des revendications de la part de salariés mis

en difficulté lorsque certaines ruptures s’avéreront nécessaires.

En 1992, une association gérant le CHRS « SOS Accueil » créé à Lorient en 1971 par

l’association d’origine caritative St-François, pour héberger des femmes en difficulté,

demande à être intégrée par la Sauvegarde. Cette association a connu une

transformation relativement récente de sa culture d’origine. Les bénévoles ont cédé la

place à des professionnels. Un directeur laïc vient de remplacer la religieuse qui était à

la tête de l’établissement. Les administrateurs ont du mal à se renouveler et le

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

143

président préconise le rapprochement avec une autre association. La Sauvegarde qui

gère déjà un autre CHRS à Vannes paraît présenter les meilleures garanties pour

prendre le relais. La reprise du foyer par la Sauvegarde prendra la forme d’une

dissolution de l’association « A l’écoute » et d’une intégration pleine et entière. Cet

établissement et le directeur qui en est à la tête jouera un rôle important dans la phase

ultérieure, lors de la constitution d’un pôle Adultes-Familles de l’association. Toutefois,

faute d’un travail d’acculturation entre les deux associations lors de leur fusion-

absorption, c’est essentiellement sur un mode de gestion technique que se fera

l’arrimage de ce nouvel outil du travail social venant compléter sur Lorient le dispositif

de la Sauvegarde en direction du public adulte. Le maintien de la composante politique

de l’association « A l’écoute » sera très ténu. Un seul administrateur s’engagera

fortement une douzaine d’année, devenant même président de l’une des filiales. Le

Président quant à lui, ancien président national de la FNARS, et haute figure donc de

l’action sociale engagée, démissionnera au bout de quelques mois du conseil

d’administration de la Sauvegarde, estimant sans doute qu’à travers la passation de

pouvoir politique et la préservation du potentiel technique, l’essentiel avait été

accompli. Le directeur de l’établissement, Patrick Gaudin, s’inscrira aisément et

durablement dans le pacte associatif Sauvegarde garantissant, en échange d’une

loyauté à la personnalité du directeur général, une grande autonomie de gestion dans

la conduite et le développement des dispositifs placés sous sa responsabilité.

En fait, c’est malgré tout par le secteur de la protection de l’enfance que s’était initiée

cette politique d’innovation à la Sauvegarde, d’abord en direction des jeunes, et bientôt

des adultes. Mais le service des Réseaux d’Accueil, créé en 1978 pour favoriser, dans

le cadre de familles volontaires, l’accueil des grands adolescents ne relevant ni de

l’internat ni des familles d’accueil traditionnelles, évoluera lui-même pleinement par la

suite dans ce champ de l’insertion des adultes que nous venons d’évoquer. L’activité

originale et novatrice d’accueil des adolescents développée initialement sera alors

réintégrée dans un établissement de la protection de l’enfance, en l’occurrence le foyer

de Kerpont. Ce regroupement donnera lieu à la création du SAAMOA (Service

d’Accueil d’Adolescents et de Milieu Ouvert Adapté). Il est important de souligner le

rôle de ce directeur pionnier, Jo Daniel, qui après avoir innové dans le champ déjà

relativement normé de la protection de l’enfance va ensuite déployer sa créativité et

son énergie dans celui de l’insertion. Il sera une véritable locomotive de l’association

sur ce champ, inscrit lui-même fortement dans la culture charismatique, mobilisant une

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

144

logique d’acteur capable de se saisir de tous les espaces d’incertitude ouverts par la

nouvelle forme de régulation publique qui se cherchait alors dans ce domaine de

l’insertion. Il est certain qu’aujourd’hui beaucoup de ces marges de manœuvre ont été

réduites par l’Etat et ses administrations ; c’est sans doute faute d’avoir perçu à temps

les nouvelles contraintes qui se dessinaient et de s’y être conformée que l’association

a pu se retrouver, un temps, engagée dans certaines impasses et connaître ainsi des

difficultés économiques majeures. Quoiqu’il en soit, sur le plan de l’analyse stratégique

qui n’est pas véritablement l’objet de ce travail, on pourrait qualifier ce directeur

emblématique d’acteur marginal séquent pour reprendre la terminologie de Crozier87,

capable de mobiliser toute l’énergie d’une organisation autour d’une incertitude

majeure qui serait le type de modèle à promouvoir pour les associations d’action

sociale dans cette période où explose la problématique de l’insertion et de la

désaffiliation sociale. Entre régulation tutélaire dont il s’agit de s’émanciper et

régulation d’insertion se cherche une voie qui permettrait de renouer avec les idéaux

fondateurs de l’association. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il sera largement

suivi, par la direction générale comme par l’association et son président, les uns et les

autres cherchant à l’époque à réancrer la dynamique de l’association dans les

nouvelles problématiques sociales émergentes : meilleure manière de résister, par

ailleurs, à la tutelle croissante de l’administration sur les services et établissements

habilités et conventionnés.

L’approfondissement clinique et les logiques corpor atistes dans le champ de la

protection de l’enfance

Les transformations dans le champ de la protection de l’enfance au cours de ces

années se joueront très peu en référence aux axes de la politique associative

davantage mobilisée sur le champ de l’insertion. Par contre la formation

professionnelle centrée sur des techniques d’intervention familiale, notamment

systémiques, constituera un véritable levier de transformation des cultures

professionnelles. Celles-ci restent très fortement autocentrées sur le modèle de

l’équipe. La revendication identitaire des équipes est telle que quelques années après

la création du service de milieu ouvert de Lorient, l’équipe de Vannes conduite par un

chef de service référé à la direction de Lorient demande son autonomie et l’obtient de

87 Michel Crozier, L’acteur et le système, Les contraintes de l’action collective, Ed. du Seuil, Paris, 1981.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

145

la direction générale. Le directeur général devient alors le référent d’un cadre de

direction supplémentaire directement rattaché à son autorité. On peut d’ailleurs se

demander si le modèle d’organisation ne repose pas, tout au long de cette période, sur

une recherche d’augmentation du nombre des branches de l’étoile rattachées à

l’autorité charismatique du dirigeant. Les statuts du Groupement National des

Directeurs d’Association reposent d’ailleurs eux-mêmes sur la définition d’un nombre

minimum de directeurs placés sous l’autorité du directeur général comme critère

d’adhésion de ce dernier. Mais comme nous l’avons vu, c’est essentiellement dans le

champ de l’insertion que ces développements et ces créations de postes auront lieu.

Dans le domaine de la protection de l’enfance, on assiste au renforcement des

logiques corporatistes par métier, par différenciation successive avec la matrice

originelle de l’internat. Celui-ci et ses professionnels se voient d’ailleurs

progressivement discrédités au profit de l’émergence des nouveaux métiers de la

protection de l’enfance qui tous se dotent d’un mouvement professionnel national,

contrairement à l’internat : c’est ainsi que le Carrefour National d’action éducative en

milieu ouvert (CNAEMO), l’Association Nationale des services de Placements

Familiaux (ANPF), la Fédération Nationale des services d’investigation (FN3S), le

Comité de Liaison des services de prévention spécialisée (CNLAPS) et d’autres

mouvements professionnels structurent des champs de compétence dans le domaine

de la protection de l’enfance qui ne seront pas sans effet sur un renforcement des

cloisonnements entre établissements et services au sein de chaque organisation. Les

Directeurs Généraux d’association, par ailleurs, fondent le GNDA (Groupement

National des Directeurs d’Associations), au sein duquel, Adrien Le Formal, Directeur

général de la Sauvegarde 56 jouera un rôle très actif et dont il sera président au cours

des années 80. Ces mouvements professionnels de type corporatistes, à l’exception

du GNDA dont c’est en quelque sorte le champ d’intervention, se préoccupent peu de

la logique d’organisation transversale au sein des associations, et pas davantage de la

composante politique. C’est une période où les logiques sont segmentées et où les

associations sont relativement isolées les unes par rapport aux autres. Les Présidents

et les administrateurs des diverses associations se rencontrent rarement. Par contre

les corporations professionnelles par métiers créent des réseaux extrêmement forts

dont les effets se font sentir au sein de chaque organisation.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

146

Du côté des politiques publiques, dans le cadre de la décentralisation qui confie aux

Départements la mission de protection de l’enfance, les coordinations territoriales

commencent à s’organiser. Les circonscriptions d’action sociale se mettent en place

mais on peut difficilement encore parler d’un véritable pilotage de la protection de

l’enfance à l’échelon territorial. Cela laisse donc beaucoup de latitudes aux équipes

professionnelles des différentes associations pour construire, en lien toujours étroits

avec les magistrats, leurs propres méthodologies d’intervention qui ne se trouvent

reliées ni à une dimension globale de projet de l’association, ni à une logique

d’intervention publique clairement définie. Par contre, un nouveau champ d’intervention

est apparu : celui de la famille en difficulté ; les politiques publiques ne cesseront de

chercher à en dessiner plus finement les contours. L’évolution de la législation aboutira

à la Réforme de la Protection de l’Enfance en 2007 cherchant à faire concourir

l’ensemble des acteurs y compris les parents eux-mêmes à l’intérêt de l’enfant.

Une réalisation de l’année 1986 répond à la demande des magistrats de Vannes et de

Lorient – leur influence ne s’est toujours pas démentie -, c’est le service d’enquêtes

sociales dans le cadre des situations de divorce dont l’ouverture est signalée au

conseil d’administration du 27 septembre 1986 et géré directement à partir de la

direction générale. C’est une autre particularité des organigrammes de l’époque : le

directeur général, c’est le cas à la Sauvegarde du Morbihan, exerce la gestion directe

d’un ou plusieurs services. Occasion de ne pas perdre la main sur la logique de terrain

dont presque tous les directeurs généraux à cette période sont issus. Mais façon aussi

de renforcer la logique d’organisation en étoile très visible dans les organigrammes de

ces années 1990-2000.88

L’amorce des premiers schémas territoriaux, notamment de la protection judiciaire de

la jeunesse, se traduisent par des mouvements de réaction corporatistes très forts de

la part des acteurs associatifs qui se regroupent alors en réseaux défensifs. Le

directeur général de la Sauvegarde du Morbihan jouera un rôle de première ligne dans

cette résistance sur le territoire breton et sera de tous les combats dès lors qu’il s’agira

d’opposer l’identité associative à la logique administrative et bureaucratique cherchant

à instrumentaliser le secteur associatif en le réduisant au seul rôle de prestataire de

services. Le directeur départemental de la protection judiciaire du Morbihan en fera les

frais lors d’une séance solennelle de présentation des travaux du schéma de protection

88 Cf. Annexe, Organigrammes.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

147

judiciaire de la jeunesse en présence du Préfet au début des années 90, étant renvoyé

par ce dernier à ses études préalables à un vrai schéma, suite à une interpellation

vigoureuse du réseau associatif solidaire pour l’occasion. Issu moi-même de cette

administration de l’Education Surveillée, devenue entre temps, la Protection Judiciaire

de la Jeunesse, j’avais été chargé par le directeur général, en accord avec les autres

directeurs d’association, de la rédaction et de la lecture lors de la séance publique de

cette analyse critique de la méthodologie extrêmement tutélaire mise en œuvre par

l’administration pour ce premier schéma d’action territorialisée, réduisant à la part

congrue la contribution associative. Il y a de l’écho, on le voit, dans les logiques

d’affiliation au sein de cette association ! L’action privilégiée à cette époque par

l’association, notamment en matière de protection de l’enfance, est, en effet, avant tout

politique, sur un fond corporatiste et défensif, persuadée que le meilleur sur le plan

technique est produit par ses équipes. Elle n’est cependant pas du tout prospective et

coopérative et c’est la raison pour laquelle elle reste profondément segmentée. Ce

sont notamment les initiatives des pouvoirs publics et de nouvelles législations qui

permettront à l’aube des années 2000 une transformation en profondeur des réponses

techniques du secteur.

Un lieu d’écoute, Jalons, répondant en particulier aux vœux d’un administrateur de voir

créer un lieu où l’on puisse se parler entre parents et adolescents à l’occasion de

difficultés passagères, observées dans de nombreuses familles inconnues du travail

social, voit également le jour. Il sera lui aussi géré directement par le directeur général

qui mobilise une psychologue du service de milieu ouvert, et surtout son réseau de

relation pour trouver des financements que le département lui refuse. Il s’agit là d’un

lieu exemplaire de l’affirmation du modèle entrepreneurial de l’association. L’action

proposée repose sur l’expertise d’une professionnelle psychologue développée au fil

des années au sein d’une équipe qui s’est elle-même située comme experte de

l’approche systémique en direction des familles. Sans aucun financement du Conseil

Général en charge de la population visée, mais sur l’appui d’un réseau de partenaires

amis de l’association, la direction générale tente de maintenir à bout de bras cette

activité. Voilà comment le journal du Tourmentin89, sous la plume de Pierre Cueff,

rapportait à la fin des années 90 la dynamique qui sous-tendait cette aventure : « les

activités « non-habilitées » (depuis nommées « en gestion propre »), expriment à leur

89 Le Tourmentin, nom du journal de l’association créé au début des années 90, en référence à la petite voile que l’on hisse par gros temps ! En 2007, le Tourmentin deviendra « Le journal de l’association ».

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

148

façon la personnalité associative, la signification profonde de son existence : les

associés exercent leur citoyenneté en repérant les besoins et en apportant des

éléments de réponse. Là où les financements par la collectivité ne suivent pas, c’est

aux associés de les trouver. Mais la générosité des donateurs n’aboutit pas

nécessairement à l’équilibre financier… le service « Jalons » représente bien cette

initiative d’utilité sociale portée par l’association… » L’association prendra donc des

risques, avec ce service comme avec d’autres, pour affirmer sa vocation sociale qui ne

saurait se réduire à la pure et simple gestion d’établissements sociaux. Elle se fait

aussi un devoir de répondre aux nouveaux besoins sociaux émergents.

Au cours de ces années, l’association développera également, justement à partir de

cette équipe de milieu ouvert de Vannes, une action bénévole, en soutien scolaire pour

prolonger l’action des professionnels intervenant auprès des familles. Ce dispositif

comptera régulièrement une vingtaine de bénévoles. Une articulation de grande qualité

y sera développée entre les acteurs professionnels et bénévoles, notamment basée

sur un dispositif d’évaluation et de formation continue des seconds par les premiers. A

l’instar du réseau de bénévole mis en place autour du CHRS de Vannes, les bénévoles

de l’AEMO, tout comme les donateurs qui contribuent à l’expérience de Jalons

contribuent donc à une tentative de refondation de la logique « d’aide » émergente et

cherchent à élargir la dimension « d’utilité sociale » de l’association. Si ces tentatives

restent limitées - le réseau des bénévoles du CHRS disparaîtra au départ du directeur

du CHRS mais l’un des bénévoles s’engagera durablement dans l’une des filiales puis

dans le bureau de l’association ; et le service Jalons, en dépit de la qualité des

services rendus et des aides apportées ne parviendra pas, faute d’aide du

Département, à pérenniser son action – elles préfigurent néanmoins la nécessité d’une

réaffirmation de la dimension solidaire de l’association qui reste toujours pour elle, plus

que jamais, en 2009 un axe politique fort.

Donner du sens à l’association

Dans le souci de mobiliser les bénévoles, les adhérents, les administrateurs à

l’information, à la réflexion et au débat avec les salariés sur les causes, l’étendue, les

effets de l’inadaptation sociale, la Sauvegarde organise des conférences-débats

ouvertes aux salariés, aux administrateurs et au public. En 1981, le thème proposé est

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

149

par exemple : Assistance et Responsabilité… Dès cette époque l’ambition est de faire

en sorte que l’association constitue une sorte de relais pour les professionnels de

l’action sociale en direction de la société. La question de l’identité des associations

gestionnaires d’établissements et services est posée. Jusqu’à ce jour la réponse

associative est de ne pas vouloir se laisser enfermer dans la seule logique gestionnaire

ou de prestation de service. Chacune d’entre elles peinent cependant à trouver ses

marques. C’est cependant dans la période ultérieure, au cours de laquelle les pouvoirs

publics affirmeront toute leur ambition d’administrer et de gérer de manière plus

rationnelle tout ce grand champ de l’action sociale, que la question de l’identité

associative émergera de manière tout à fait cruciale.

En 1994, l’association diffuse sa charte associative : une philosophie pour l’action. Il

ne s’agit pas encore d’un projet associatif. Il faudra attendre une dizaine d’années

encore pour l’écriture du premier projet associatif. Mais le besoin exprimé est de

rechercher l’essentiel et d’expliciter ce qui fonde l’action poursuivie par l’association

depuis de nombreuses années déjà : « Au moment où le chômage, la précarité et la

pauvreté s’étendent tandis que s’essouffle « l’Etat-providence » dans ses efforts pour

maintenir la cohésion sociale, la Sauvegarde éprouve le besoin de se recentrer sur ses

valeurs fondatrices. »90

La plupart des projets développés, notamment en matière d’insertion, au cours de cette

période sont porté par des groupes de travail, ou des commissions, regroupant des

administrateurs ou des salariés. Leur réalisation suppose des contacts et des

connaissances de toutes sortes, qui dépassent le plus souvent les possibilités d’une

seule personne et requièrent un travail en équipe. Ces commissions sont l’expression

d’une vie associative réelle, et la condition de l’efficacité dans la réalisation. « Pas un

seul conseil d’administration des deux années 85/86, écrit dans un document interne -

Il était une fois la Sauvegarde91- Pierre Cueff, secrétaire de l’association et ancien

directeur du service de milieu ouvert, qui n’entende les rapports de ces commissions.

Ce que projette la Sauvegarde prend-il le pas, dans ces assemblées, sur ce qu’elle fait

quotidiennement ? Il y a sûrement un équilibre à respecter, et tout le monde en a

90 Charte de l’association, Une philosophie pour l’action, 1994. 91 Pierre Cueff, « Il était une fois la Sauvegarde… », recueil de notes historiques sur l’association parues dans le journal Le Tourmentin. Nous avons puisé nombre d’informations pour ce mémoire dans ce travail réalisé par Pierre Cueff alors qu’il était administrateur de la Sauvegarde. L’occasion pour moi de rendre hommage au directeur auquel j’ai succédé à la responsabilité du service de milieu ouvert, fidèle aux valeurs et à l’histoire, et confiant dans la force instituante d’une association comme la Sauvegarde.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

150

conscience. » La question est mesurée. Il n’empêche, la volonté d’entreprendre est si

forte dans l’association qu’elle ne cessera de faire entendre sa voix au cours des

quinze années suivantes : les signaux d’alerte dans le domaine de la gestion, la

résistance de l’environnement et en particulier du Conseil Général, ni même les

interpellations émanant de l’intérieur même du Conseil de Direction de la part de

domaines éducatifs se sentant moins pris en compte, ne suffiront pas à infléchir

l’orientation donnée. Seuls les impératifs de la réalité économique au début des

années 2000, la Loi du 2 janvier 2002 remettant l’accent sur les établissements

traditionnels de la Sauvegarde, le changement de direction réinscriront

progressivement l’insertion à sa juste place comme mode d’action complémentaire par

rapport à l’ensemble des équipements de l’association. Le temps était venu d’une

vision d’ensemble du dispositif. L’heure du projet associatif avait sonné.

III – 2 Analyse institutionnelle de la nouvelle phase d’adaptation

Une logique subséquente de développement entreprene urial

Nous l’avons vu, au cours de cette période 1975-2002, la Sauvegarde de l’enfance et

de l’adolescence du Morbihan, à la fois ancrée dans un modèle professionnel de plus

en plus encadré par des normes publiques d’habilitation et de gestion, déplace son

centre de gravité au regard des nouvelles problématiques sociétales qui se dessinent.

Une manière de manifester la résistance du modèle associatif à une pure et simple

instrumentalisation de son action, sa capacité à se déplacer, à anticiper, à mobiliser

ses acteurs lui laissant, même dans un contexte plus contraint, d’assez larges marges

de manœuvre pour continuer à affirmer l’originalité de son utilité sociale. Toujours est-il

qu’au cours de cette période l’association a fortement exprimé son souhait de ne pas

se voir réduite à un simple isomorphisme du modèle administratif qui édictait alors des

règles et des normes de plus en plus précises. Elle y a partiellement réussi, mais

essentiellement sur le mode d’une action portée, en particulier, par quelques

professionnels militants, et pas véritablement par une rénovation en profondeur de

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

151

l’espace public associatif. Le conseil d’administration est toujours composé à la fois de

membres de droit représentant les différentes autorités administratives et judiciaires, et

cela n’a pas changé depuis la création de l’association, et de membres adhérents

généralement cooptés pour leur compétence au regard de l’objet de l’association -

avocat, notaire, architecte, assureur, entrepreneur en bâtiment – ou pour, à la fois, leur

compétence et leur notabilité : directeur de CAF en ce qui concerne le Président. La

relance d’une action bénévole est un indicateur malgré tout intéressant à cette époque,

révélant une capacité de certains, y compris parmi les salariés, d’avoir une vision qui

porte au-delà du seul modèle professionnel dont la prégnance est toutefois fortement

impactée par la taille même de l’organisation qui compte, à la fin des années 2000, 350

salariés.

S’il faut parler de gouvernance, elle penche donc tout particulièrement du côté de

l’organisation professionnelle, les instances associatives avalisant le plus souvent les

initiatives de l’encadrement militant, persuadé qu’il y a dans le domaine de l’insertion

un champ nouveau dans lequel « l’association ne peut pas ne pas se trouver

engagée ». Plusieurs directeurs, en plus de la mission principale sur le budget de

laquelle leur salaire est payé, développeront ainsi une action « bénévole » dans le

champ de l’insertion dont le caractère même masquera un certain temps la fragilité

économique grandissante sur laquelle repose le modèle de développement de

l’association.

Cette logique subséquente que nous qualifions d’ « entrepreneuriale », par

différenciation avec la logique « publique » caractérisant la période antérieure et qui

continue d’ailleurs à structurer en profondeur jusqu’à ce jour le cadre institutionnel de

l’association, nous nous proposons de la définir en reprenant les mêmes éléments du

cadre institutionnel que précédemment. Disons tout de suite, d’ailleurs, qu’elle

s’approche par certains aspects de la logique «privée » qui est clairement quant à elle

celle de l’entreprise fondée sur la libre concurrence, la satisfaction de la clientèle, la

performance, le rendement et l’économie marchande. Toute une part du

développement de la Sauvegarde s’est trouvée inscrite de fait dans cette logique

« privée ». Mais l’état d’esprit et les références, la convention collective par exemple,

les qualifications et les compétences mobilisées continuaient à relever pour l’essentiel

de la logique « publique » régissant les associations d’action sociale. C’est donc une

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

152

logique intermédiaire qui a été bricolée au cours de ces années dessinant toutefois les

prémisses de la régulation d’insertion dont il sera question un peu plus loin.

En ce qui concerne la professionnalisation dans cette logique « entrepreneuriale »,

on observe un mixe entre la référence aux compétences et aux qualifications

classiques du travail social et la recherche de profils moins qualifiés susceptibles, dans

le cadre de la convention collective qui s’applique pour tous, d’entraîner moins de

charges. C’est aussi l’occasion d’une sorte de gestion implicite de l’usure

professionnelle dans les autres secteurs de l’association. On voit ainsi cohabiter dans

ces actions, de manière tout à fait paradoxale sur le plan budgétaire, des éducateurs

spécialisés avec beaucoup d’ancienneté, et des nouveaux venus sans diplômes

professionnels mais recrutés pour une compétence repérée dans un domaine proche

de l’action visée et pour leur motivation. Les règles administratives sont beaucoup

moins précises, il est vrai, en matière de recrutement que pour le secteur de la

protection de l’enfance, par exemple. Ce qui est visé, c’est malgré tout une certaine

performance, une capacité d’efficacité et de rendement dans un secteur où

l’accompagnement technique sera moins fort et où l’exigence quantitative de suivis,

liée aux financements, sera, elle, élevée.

L’inscription dans l’action publique locale repose, elle, sur des normes qualitatives

relativement peu définies au départ - elles le seront de plus en plus par la suite avec la

mise en œuvre de la politique d’évaluation - et davantage sur la fixation d’objectifs

quantitatifs. Les publics doivent relever d’une prise en charge dans les dispositifs de

droit commun ou parfois dans ceux plus spécifiques de l’administration pénitentiaire.

Les destinataires restent donc des ayant-droits déterminés par les politiques

publiques. A cette période où les appels d’offre ne sont pas généralisés, c’est souvent

l’administration qui sollicite, sur la base de financements très peu en rapports avec les

contraintes objectives de l’association, mais en laissant toutefois une large marge de

manœuvre quant au contenu des actions conduites : ainsi un professionnel seul, non

diplômé, accueillera-t-il pendant plusieurs années des groupes de détenus pour des

chantiers nature à Belle-Île.

La régulation avec l’environnement institutionnel est donc très bonne en ce qui

concerne les administrations mobilisées par la politique de l’emploi qui ont peu à voir

avec la structure économique globale de l’association, et se dégrade, au contraire, de

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

153

plus en plus avec le principal financeur des actions habilitées, le Département, qui

interpelle de plus en plus vigoureusement l’association sur son modèle de

développement. Des facilités budgétaires sont progressivement remises en cause ;

des dépenses ne sont plus acceptées, ce qui obligera l’association au cours de la

phase ultérieure à renégocier entièrement la structure de son financement.

L’hybridation de l’économie se réalise partiellement avec la plus grande vigilance du

bureau et, en particulier, du Président juriste de l’association sur cette période, Claude

Pierre, avocat au barreau de Vannes : les filiales sont créées pour tout ce qui concerne

la logique « privée » d’entreprise où s’articulent financements marchands et publics

quasi-marchands. Nous sommes dans le cadre d’une « gestion propre » où tout

excédent serait gardé par l’association ou par ses filiales, et où tout déficit doit être

supporté par elles. Partout, c’est le déficit qui s’imposera, avec pour conséquence la

fermeture des quatre associations filiales par dépôt de bilan, et la renégociation avec le

Département pour la Sauvegarde des conditions de sa remise à flot : la vente du

patrimoine constitué lors de la période de développement des actions éducatives sera

alors une clef décisive.

La régulation politique/économique repose forcément, une fois encore, pour toute

cette phase de développement de la logique « entrepreneuriale », sur l’accord

déterminant entre le président et le directeur général. Cet accord sera longtemps de

mise. Il sera remis en cause notamment lors de la nomination d’un nouveau Président,

justement chef d’entreprise, Guy le Huidoux, architecte à Vannes qui aura la tâche à la

fois de redresser l’entreprise sociale, de nommer un nouveau directeur général et

d’amorcer l’adaptation du patrimoine au regard des nouvelles contraintes contextuelles

de la Sauvegarde. Il faut noter que tout au long de cette période, la dimension

stratégique opérationnelle, au regard du champ singulier en pleine création, a

largement pris le pas sur l’association, renforçant la primauté de l’organisation

professionnelle sur l’espace public associatif. Il n’a pas été simple pour le conseil

d’administration de contenir l’initiative de professionnels entrepreneurs encouragés par

leurs regroupements corporatistes nationaux et séduits par leur nouvelle faveur auprès

des partenaires publics et des élus locaux. L’association en a également retiré une

certaine plus-value en termes d’image d’association dynamique et en mouvement mais

dont les bases économiques, mais aussi la solidité en termes de politique associative,

s’avéraient précaires.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

154

Les tentatives de déplacements de l’encastrement po litique : d’une régulation

tutélaire à une régulation d’insertion de plus en p lus concurrentielle

Au cours de la dernière partie de ce mémoire, la question de l’encastrement politique

de l’association va devenir la question cruciale déjà esquissée à travers la période que

nous abordons. Nous l’avons déjà approchée en filigrane tout au long de ce travail.

Mais tout se passe comme si elle allait devenir progressivement la question centrale

autour de laquelle se joue l’identité, l’avenir, voire la survie d’associations comme la

Sauvegarde 56.

Quelques mots tout d’abord sur la notion d’encastrement : elle repose sur l’analyse de

la contingence qui établit une interaction étroite, bien que non mécanique, entre la

dynamique des structures organisationnelles et les évolutions de l’environnement

socio-économique et politique. Ainsi, on a pu observer les déplacements de la

structure de la Sauvegarde en lien avec la crise économique et le développement de

nouvelles formes de précarisation sociale. Le marché, l’emploi, les institutions, les

politiques publiques, mais aussi le développement des technologies sont autant de

composantes environnementales s’imposant aux organisations et constituant autant de

« champs fractionnés qui apportent des exigences contradictoires auxquelles

l’organisation doit s’adapter. »92 Or la particularité de ces conditions environnementales

pour les associations font que celles-ci, à la fois « cristallisent des besoins et des

attentes individuels en les transformant en projet d’action collective, et entretiennent

des relations avec les politiques publiques qui lient l’action collective qu’elles déploient

à l’action publique. »93 Cette forte prégnance des politiques publiques, mais aussi des

institutions de contrôle et de tutelle, des réseaux locaux, régionaux et nationaux, de la

politique de l’emploi et des enjeux territoriaux de partenariat ou de concurrence, va à la

fois peser sur les modes d’intervention de l’association mais aussi conduire l’analyse à

forcément prendre en compte l’interaction permanente entre la régulation publique et

les initiatives associatives. Ainsi, à l’égard des contingences externes observe-t-on

« une volonté des associations de promouvoir un débat sur les combinaisons

pertinentes entre autonomie et hétéronomie pour le développement de leurs

actions. »94 D’où cette définition de l’encastrement politique : il s’agit de « l’ensemble

92 SciencesPo, « Les fonctionnements associatifs », session juillet 2007. 93 Idem 94 Idem

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

155

des interactions entre pouvoirs publics et initiatives se traduisant par des effets mutuels

dont l’intensité et les modalités varient considérablement dans le temps. »95

Cette analyse de l’encastrement politique sur laquelle portera désormais notre étude

visera, d’une part, à identifier les modalités de reconnaissance, de sélection et de

normalisation des initiatives de la Sauvegarde 56 par la puissance publique mais aussi,

d’autre part, à identifier l’influence des initiatives de l’association sur les formes de la

régulation publique. C’est au regard de cette analyse que pourront être posés en

particulier les nouveaux enjeux de la gouvernance associative.

Au cours de cette période 1975-2002 plusieurs formes de régulation publique sont à

l’œuvre dans l’association, et l’on pourrait même dire à l’épreuve, comme s’il s’agissait

pour les pouvoirs publics comme pour la Sauvegarde 56 de définir entre eux une forme

stable de relation qui n’aurait pas encore été trouvée. En effet, en dépit, comme on la

vu, d’une origine antérieure, depuis la création des Sauvegardes par les pouvoirs

publics, depuis les ordonnances de 1945 et 1958 qui encadrent plus précisément les

actions conduites sous main de justice, à plus forte raison depuis la rénovation de

l’action sociale en 1975, une tendance lourde est à l’œuvre concernant les

associations du type de celle de la Sauvegarde 56. C’est la tendance à une forme de

régulation de type tutélaire qui résulte de l’élaboration de cadres réglementaires et

financiers toujours plus précis, notamment par les mécanismes d’autorisation et

d’habilitation, par l’exercice de contrôles budgétaires, par l’obligation de qualification et

de technicité, par une certaine modélisation enfin des associations selon des champs

définis par les politiques publiques. Il s’agit d’une régulation de sous-traitance où les

associations sont confinées au rôle de suppléantes de l’Etat et des services publics en

tant que prestataires de service.

C’est contre cette tendance que se mobilisent la créativité et la stratégie associatives

selon deux axes : d’une part celui de l’ajustement des degrés d’encastrement politique,

et, d’autre part, celui du déplacement vers une nouvelle forme de régulation dite

« d’insertion ». L’association cherche à être visible et présente dans l’espace de

l’action sociale territoriale mais elle peine à renouveler du côté du Département, avec

l’arrivée d’une nouvelle direction au début des années 90, les espaces plus ou moins

informels de consultation et parfois de décision auxquels elle avait pu participer au

95 Idem

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

156

cours de la période précédente. Le Département lui-même était peu structuré, mais

faisait vivre malgré tout, par exemple, un comité de liaison et de coordination des

travailleurs sociaux. La Sauvegarde y avait pleinement sa place et participa même de

manière active, avant le changement de direction à la DDISS, à l’élaboration d’une

sorte de diagnostic départemental. L’arrivée du nouveau directeur interrompt ces

pratiques et fait entrer l’association dans un espace beaucoup plus serré de

négociations. S’il n’a jamais été question de parler d’une forme de régulation

conventionnée, co-construite entre acteurs associatifs et responsables du

département, il a malgré tout existé un type de régulation informelle laissant une large

place aux relations interpersonnelles et politiques (rappelons que la présidente de

l’association fut longtemps vice-présidente du Conseil Général) et atténuant les effets

de la régulation tutélaire. A partir du début des années 90, ces espaces informels

disparaissent, et l’association se trouve directement confrontée à cette régulation de

type tutélaire qui la contraindra largement à s’adapter.

Mais c’est aussi la période, et c’est l’autre axe déployé par la Sauvegarde 56 pour

échapper à la régulation de sous-traitance du Département et de l’Etat l’enfermant

dans un rôle de prestataire de service, où elle s’engage encore plus fortement dans la

voie de l’accompagnement social des adultes qui la renvoie, cette fois-ci, à une

régulation « d’insertion ». Il s’agit là d’un type de régulation très segmenté tant en ce

qui concerne les financements, les durées d’action, les publics, que les donneurs

d’ordre. L’objectif global pour les politiques publiques est de réguler, par des

interventions actives et ciblées, l’emploi et la main d’œuvre. On parle de traitement

social du chômage. La régulation passe d’une logique de projet à une logique de

programme où il s’agit de définir des publics cibles susceptibles de relever de telle ou

telle action d’insertion ou de formation professionnelle et de désigner les lieux d’accueil

agréés. La Sauvegarde se lance donc, avec dynamisme, et en multipliant les

initiatives, dans cette nouvelle logique d’action sociale. Elle en retire d’abord, en

termes d’encastrement politique, une visibilité plus grande sur l’espace départemental

d’action sociale. Elle est identifiée non seulement comme acteur de référence dans le

domaine historique de la protection de l’enfance, mais aussi dans ce nouveau champ

émergent. Il en résulte une légitimité plus large à contribuer à l’intérêt général et une

plus grande reconnaissance. Les interactions sont plus nombreuses avec les pouvoirs

publics, préfectures et sous-préfectures, administrations d’Etat notamment, et avec les

élus. Elle est de plus en plus souvent directement sollicitée pour développer telle ou

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

157

telle action. C’est une régulation extrêmement gratifiante pour les « entrepreneurs »

sociaux qui ont pris les commandes au sein de l’association. L’espace public de

l’association ne s’en trouve pas pour autant accru : le nombre des adhérents reste

toujours aussi faible ; il a d’ailleurs fondu au cours des vingt-cinq dernières années,

passant de 120, sous la présidence de Madame Court, à une trentaine à la fin des

années 90.

Mais cette régulation d’insertion a aussi un revers : ses champs se recouvrent de plus

en plus avec une forme de régulation davantage concurrentielle. Les administrations

découvrent les vertus du code des marchés public pour réguler l’offre disponible et

l’améliorer par une mise en concurrence des acteurs au niveau local. L’association

participe donc de plus en plus fréquemment à des marchés publics de manière

concurrentielle avec d’autres prestataires. Or elle mal intégré dans sa structuration,

dans sa politique de recrutement, cette nouvelle logique gestionnaire. La complexité

technique croissante des dossiers n’a pas été suivie de la professionnalisation exigée

en matière de gestion des services. Sur certaines actions, comme l’accompagnement

à la création de micro-entreprises pour les voyageurs, la participation économique

directe des usagers ne suffit pas à équilibrer les comptes. L’association, face au

glissement de la régulation d’insertion où l’accord avec les pouvoirs publics était

encore négociable, vers une régulation de plus en plus concurrentielle devra choisir, au

moins temporairement de se recentrer, avant d’avoir retrouvé l’assise gestionnaire qui

lui fait défaut, sur ses missions de base davantage référées à une régulation de type

tutélaire. Elle semblera y perdre pour un temps certaines marges de manœuvre, mais

elle y retrouvera aussi le sens collectif du projet qui lui faisait défaut.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

158

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

159

IV – 2002-2009 L’administration territorialisée de

l’action sociale et les nouveaux enjeux de la

gouvernance associative

IV-1 Crise du modèle corporatiste entrepreneurial

La Sauvegarde 56 face au renforcement des contraint es publiques locales

Depuis 2002, la Sauvegarde 56 n’a pas échappé à une nécessaire transformation de

son mode d’organisation, à la fois pour des raisons internes mais aussi du fait d’une

forte évolution contextuelle des modes de régulation publique. L’ensemble de l’action

sociale est alors véritablement entrée dans une deuxième phase de rationalisation

budgétaire et gestionnaire, que nous qualifierons plus loin de technocratie

managériale, après celle initiée en 1975 par la loi rénovant l’action sociale et médico-

sociale : loi 2002-2, décret budgétaire 2003, nouvelle architecture budgétaire, Sièges

sociaux et services gérés en commun, Contrats Pluriannuels d’Objectifs et de Moyens,

Groupements de Coopération Sociale et Médico-sociale…

La loi de 1975 avait surtout eu des effets de structuration dans le champ sanitaire et

médico-social ; le champ social reste lui en pleine création : la possibilité de prendre

des initiatives risquées selon une véritable logique d’entrepreneuriat social demeure ;

les marges de manœuvre sont restées importantes. La normalisation technique n’est

pas encore vraiment en marche comme elle l’est dans le secteur médico-social. La

Sauvegarde du Morbihan, refusant de se laisser enfermer dans la simple prestation de

service et dans la seule gestion de ses équipements habilités existants, saura se saisir

des opportunités qui lui sont laissées, promouvant notamment le développement

d’actions de formation et d’insertion, le plus souvent sur la base de budgets risqués.

Cette forme de résistance entrepreneuriale observée en particulier dans le champ des

Sauvegardes peut être considérée, avons-nous dit, comme une logique subséquente

de la logique publique qui a toujours prévalu en ce qui concerne ces associations,

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

160

parfois entrecroisée au départ, on l’a vu pour la Sauvegarde du Morbihan, avec une

logique d’aide. C’est, en effet, à la fois en réaction à un renforcement de la logique

publique sur le champ des activités habilitées, mais aussi dans une perspective

d’exploration de nouveaux secteurs d’action sociale, rendus notamment nécessaires

par la dérégulation du marché du travail, que s’instaure cet effort entrepreneurial dans

les champs de l’insertion et de la formation : cet engagement aura aussi pour visée de

donner à ces associations un regain d’autonomie face à la pression croissante

qu’exercent les opérateurs publics historiques. Paradoxalement, c’est d’ailleurs du côté

de l’Etat, et de ses financements pourtant aléatoires, et en tout état de cause

insuffisants, que les Sauvegardes vont s’efforcer de chercher une source nouvelle

d’indépendance eu égard au renforcement du rôle des départements qui réduisent

progressivement leurs marges de manœuvre depuis les lois de décentralisation. Tout

se passe comme si s’exprimait une sorte de nostalgie du temps où l’Etat gérait le

social, tellement à distance, que les associations pouvaient très aisément garder

l’initiative. On perçoit dans cette recherche de nouvelles alliances comme la tentative

de reviviscence d’un âge d’or du travail social, où les associations, pourvu qu’elles

soient dotées localement de bons relais politiques, pouvaient sans difficulté, sur le seul

fondement de leurs valeurs et de leur militantisme reconnu, se développer sans

rencontrer beaucoup d’obstacles. C’est sur cette dynamique que s’était étendue la

Sauvegarde du Morbihan, le charisme des acteurs de l’association, on l’a vu, croisant

alors de manière très étroite celui des acteurs politiques locaux, relais de l’intervention

de l’Etat.

Toutefois les clés changent fondamentalement au cours de la décennie 90. Les

travaux préparatoires à une grande réforme de l’action sociale et qui vont déboucher

sur la loi du 2 janvier 2002 démarrent dès l’année 1995. La question de l’évaluation, si

elle n’est pas encore formalisée, s’impose avec une nécessité toujours plus impérative.

Elle a déjà été introduite dans le secteur sanitaire. Dans le Morbihan, ce sont les

années au cours desquelles la dynamique politique de la Sauvegarde va être stoppée

par des acteurs territoriaux, issus de la fonction publique d’Etat, mais mettant tout leur

savoir faire au service des nouvelles logiques de contrôle du département. Ainsi, avec

la décentralisation, comme le souligne Robert Lafore96, la norme s’est-elle rapprochée

des terrains d’action. Elle est descendue au plus près des logiques d’acteurs dans un

mouvement qui ne cessera de s’accentuer. La prégnance du contrôle départemental,

96 Intervention lors des journées nationales du GNDA les 11 et 12 mars à Paris.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

161

relayant le rôle de la puissance publique d’Etat, aura pour conséquence un

démantèlement des soubassements mêmes de la dynamique entrepreneuriale de la

Sauvegarde. Les financements d’Etat dans le secteur de l’insertion étant insuffisants

au regard, notamment, des contraintes de la Convention Collective 66 encadrant le

secteur - on a vu ainsi des coûts d’action de formation rester inchangés pendant dix

années consécutives et plus -, il avait bien fallu avoir recours à des subterfuges pour

mettre en place une stratégie de développement. Ainsi, des directeurs payés par le

département sur la base des budgets d’établissements de la protection de l’enfance

consacraient-ils une part non négligeable de leur temps au développement d’activités

de formation et d’insertion : restaurant et hôtel d’application du Pratel, atelier

d’insertion, filiales de la crêperie Projet et de la cafétéria Bleu Citron… Des postes

comptables dédiés à l’insertion étaient eux aussi rémunérés sur les budgets des

activités en gestion contrôlée. Les déficits engendrés par ces activités chaque année

étaient artificiellement couverts dans le cadre du compte annuel de résultats par les

excédents réalisés au titre des établissements de protection de l’enfance, le service de

milieu ouvert en particulier étant toujours excédentaire sur cette période… Au sein de

l’association, ces mécanismes, pourtant irréguliers, avaient la force de l’évidence

tellement il paraissait légitime de développer l’action sociale en direction des adultes

dans le contexte de la crise durable de l’emploi. Mais ce qui paraissait naturel au-

dedans était perçu de plus en plus comme inacceptable au dehors, en particulier du

côté des financeurs départementaux. Aussi l’association ne pouvait-elle durablement

poursuivre sur une telle logique : dès 1997, les déficits de la direction générale, dont

une part significative résulte des déficits des activités en gestion propre, ne sont plus

repris par le département. L’inéluctable mécanisme du cumul des déficits de la

Sauvegarde sur ses fonds propres va se mettre en place. La recherche d’équilibre de

bilan, sur la base d’un déséquilibre des comptes entre gestion propre (concernant à

l’époque le secteur dit « d’activités en développement » !) et gestion contrôlée, ne sera

plus possible. Les postes de direction, de secrétariat et de comptabilité vont être

recadrés dans leurs champs d’activité. Le départ des deux directeurs exerçant la

double mission de protection de l’enfance habilitée et d’insertion non habilitée, l’un de

son propre choix, l’autre licencié dans le contexte de gestion difficile de crise de

l’internat du Guermeur, sont, me semble-t-il, plutôt à lire comme une nécessité de

remettre de l’ordre dans les fonctions de direction à la Sauvegarde imposée par le

département. Seul un directeur, celui des Réseaux d’Accueil, restera en poste dans ce

secteur, cumulant à la fois toutes les logiques de développement et tous les risques.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

162

Son départ en préretraite en 2007 permettra à l’association de véritablement tourner la

page de cette période fondée sur une logique de développement entrepreneurial, et

aussi, d’une certaine manière, de résistance militante, mais qui, mal positionnée sur le

plan gestionnaire, aura fini par lui coûter d’importants déficits en gestion propre non

compensés, ni par l’Etat, ni par le Département. Seule, nous l’avons vu, la réalisation

des ventes patrimoniales d’immeubles consacrés aux internats de la protection de

l’enfance redonneront, avec l’accord du Département, la marge de manœuvre

indispensable à l’association en matière de trésorerie pour continuer à exercer ses

missions avant tout dans les établissements et services pour lesquels elle était

habilitée, mais aussi de manière plus ciblée, et cette fois-ci très encadrée par

l’association, dans le cadre de conventions lui permettant de conserver une présence

dans le champ de l’insertion.

La loi du 2 janvier 2002 a donc fait basculer l’action sociale dans une nouvelle ère. Si

elle met l’accent sur la dimension participative de l’usager au projet qui le concerne,

elle est aussi accompagnée de tout un ensemble de textes juridiques, en particulier le

décret de 2003 sur la tarification, qui vont renforcer l’administration du secteur et, en

particulier, celle des associations d’action sociale constituant encore au début du

XXIème siècle un ensemble très composite. La régulation tutélaire s’impose

désormais à grande échelle !

L’association de Sauvegarde du Morbihan n’aborde donc pas cette étape de

recomposition de l’action sociale par les politiques publiques dans un contexte très

serein. Depuis plusieurs années déjà, son financeur principal, le Conseil Général du

Morbihan a souligné l’inadéquation des bases de l’engagement de l’association dans le

domaine de l’insertion, le Département ne voulant plus supporter une part importante

de dépenses masquées : que ce soit, on l’a vu, par le déplacement de l’activité de

certains directeurs d’établissements de la protection de l’enfance dans le domaine de

l’insertion ; que ce soit par la part d’excédents de l’activité des services relevant du

Conseil Général destinée à couvrir en trésorerie les déficits des interventions dans le

domaine de l’accompagnement social des adultes. Dans ce contexte de nouvelle

répartition des compétences territoriales, où l’Etat ne joue pas toujours un jeu très clair

entre délégation de missions et attributions de moyens, le Département sera de plus

en plus vigilant, au fil des années, à renvoyer les charges qui ne le concernent pas

vers les opérateurs publics auxquels elles reviennent.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

163

Mais par ailleurs, les établissements accueillant des adolescents entrent alors eux-

mêmes dans une crise profonde de leurs modes de réponse. L’établissement du Pratel

a été déplacé sur Vannes à la suite de fortes violences qui ont souligné l’inadaptation

du projet et de la localisation même de l’accueil des mineurs en milieu rural. Les

mêmes phénomènes se renouvellent au Guermeur, bien que moins excentré.

L’association se trouve ainsi gravement fragilisée sur le plan technique et pédagogique

dans le champ d’activité qui a constitué son ancrage historique, mais également, sur le

plan économique et structurel, dans le domaine plus récent de son engagement en

faveur de l’insertion. C’est ainsi, sur la base de cette double contrainte, que la

Sauvegarde du Morbihan va vivre en quelque sorte sa propre crise du modèle

corporatiste entrepreneurial sur lequel elle s’était développée et à partir duquel elle

avait cherché à s’adapter aux formes toujours plus prégnantes de la régulation

publique. Nous allons brièvement reprendre les éléments de la crise concernant

l’insertion puis développer la nouvelle problématique qui s’est développée dans le

secteur historique de l’éducation sur lequel l’association avait alors beaucoup moins

mobilisé ses stratégies d’adaptation.

Crise de la logique d’action dans le champ de l’ins ertion.

Le domaine de l’insertion a représenté, nous l’avons déjà évoqué, pour l’association de

Sauvegarde du Morbihan, comme pour de nombreuses autres associations de

Sauvegarde en France, une sorte de mode d’affirmation de l’autonomie associative par

rapport à la première grande phase de rationalisation du social promue par la loi de 75.

Plusieurs raisons ont conduit ces associations à cette recherche d’invention d’une

nouvelle forme d’encastrement politique débouchant elle-même sur un nouveau type

de régulation propre à l’insertion que n’ont pas expérimentée, par exemple, de la

même manière des associations de parents œuvrant dans le champ médico-social.

D’une part, la structuration de l’action sociale en matière d’offre de services est loin

d’être finalisée au cours de la période 1980 – 2000. Des besoins nouveaux se font

toujours sentir, d’autant plus que ce sont les années au cours desquelles le chômage

va croître considérablement entraînant une dégradation importante des contextes de

vie sociale et l’expression de besoins nouveaux. Les associations de Sauvegarde

principalement mobilisées dans le domaine de l’enfance, même si, on l’a vu, la

Sauvegarde du Morbihan avait été initiée, dès 1935, autour de la prise en charge d’un

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

164

public à la fois enfant, adolescent, et sans doute déjà adulte, vont être confrontées à la

détérioration des conditions de vie des parents des enfants confiés. Elles vont

naturellement se préoccuper des réponses à leur apporter en termes d’emploi et de

logement. C’est ce contexte social qui va leur permettre aussi d’imposer à leurs

administrations de contrôle et à leurs financeurs ce refus de se laisser soumettre à la

seule logique de prestation de service et de gestion d’établissements dans laquelle la

loi de 75 visait à les enfermer.

C’est sur cette base que la Sauvegarde va chercher à sortir de la seule gestion sous

contrainte des budgets d’établissements et services habilités, que ce soit dans le

domaine « enfance » ou dans le domaine « adultes », en développant tout un nouveau

secteur d’activité, principalement dans le domaine de l’insertion des adultes. Ce

nouveau secteur est déterminé par un caractère non pérenne des financements, par la

nécessité de mobiliser plusieurs financeurs en même temps autour d’une même action,

par une logique également de multiplication d’actions expérimentales, les pouvoirs

publics, dans un contexte de dégradation de l’emploi et de développement de la crise,

cherchant avant tout à adapter des réponses pertinentes par l’invention permanente de

dispositifs nouveaux. Cette évolution va conduire la Sauvegarde du Morbihan à

développer une action politique multiforme en direction des administrations et des élus

en charge de ces programmes afin de renforcer sa présence sur ce champ

d’intervention.

C’est donc tout ce domaine d’activité constitué par la création de plusieurs services qui

entre en crise à partir des années 2000. Les éléments de cette crise sont également

multifactoriels et systémiques : ils tiennent tout d’abord, comme nous l’avons vu, à la

volonté du financeur principal de clarifier les dépenses qui le concernent en

contraignant l’association à mettre elle-même de l’ordre dans l’utilisation des fonds qui

lui sont attribués pour ses missions en faveur de l’enfance. Mais ils tiennent également

à l’insuffisance structurelle des financements dans le champ de l’insertion, ce nouveau

domaine d’action en croissance continue n’ayant jamais été constitué sur les bases qui

ont prévalu à la constitution des secteurs d’intervention de l’enfance inadaptée ou du

handicap. Or c’est en référence aux financements de ces secteurs que la Convention

Collective 66 qui régit les rémunérations des professionnels des associations

gestionnaires du secteur, et de la Sauvegarde du Morbihan en particulier, a été

élaborée. Celle-ci ne correspond pas, ou mal, aux contraintes propres aux actions

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

165

conduites dans le secteur de l’insertion. Ce contrôle accru des financeurs lié aux

charges trop lourdes pesant sur les comptes en gestion propre de l’association vont

contraindre cette dernière à y réduire son engagement.

Successivement, chacune des associations filiales créées au cours de la période

précédente connaîtra un dépôt de bilan. Leurs bases économiques trop restreintes ne

leur permettront pas de résister aussi longtemps que les activités en gestion propre,

pourtant elles aussi déficitaires, directement gérées par l’association. Aussi les

conséquences seront-elles moins lourdes, même si plusieurs contentieux prud’homaux

conduiront les anciens salariés à rechercher la responsabilité de l’association dans

leurs licenciements. Les déficits générés par la Sauvegarde elle-même dans ses

différents champs d’activité en gestion propre s’élèveront en 2006 à la somme de 2

millions d’euros. Seule la crise en parallèle des internats éducatifs, et l’abandon des

sites historiques dont les ventes pourront être réalisées, permettront alors à

l’association de surmonter la grave détérioration économique dans laquelle son

engagement militant, et, on peut dire, son refus de se laisser enfermer dans une forme

de rationalisation administrative de l’action sociale l’avaient plongée.

Crise des modèles pédagogiques de l’internat

Le deuxième domaine dans lequel l’association entre en crise est celui de la gestion de

ses internats. On peut donc parler d’une crise globale, correspondant à l’épuisement

d’une phase de structuration. D’autant qu’à quelques années d’intervalle, plusieurs

associations de Sauvegarde ayant connu des développements analogues dans le

champ de l’insertion, vont, elles aussi, traverser les mêmes turbulences.

Sans développer l’ensemble des constituants de cette crise, on peut au moins repérer

qu’elle touche à la matrice même du métier d’éducateur sur laquelle s’est fondée toute

la phase de professionnalisation de l’association, de la fin des années 60 au début des

années 2000. On peut dire que c’est cela même qui faisait structure et culture qui se

trouve alors violemment mis en cause par le comportement même des usagers

auxquels ces réponses étaient destinées. Cette culture éducative, fortement

intériorisée, forgée par les fondateurs et les pionniers de l’éducation spécialisée en

France, dont d’importantes figures avaient d’ailleurs émergé dans l’Ouest ainsi que le

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

166

rapporte Alain Vilbrod dans son histoire de l’éducation spécialisée en Bretagne97, se

trouvait, en particulier, toujours incarnée par les éducateurs de l’internat dont le

directeur général de l’association était issu. Fin des années 90, les deux internats

historiques de l’association, le Pratel et le Guermeur, sont confrontés à des

événements violents, déstabilisant voire déstructurant des équipes d’éducateurs

pourtant chevronnées. Plus que d’autres, la Sauvegarde du Morbihan cherchera

néanmoins à résister, là encore, par son modèle éducatif associé à une valorisation du

rôle de l’éducateur qui doit, par sa personnalité et son charisme, être en mesure de

faire face à toutes situations et entraîner ainsi chacun des jeunes dans une dynamique

pédagogique vertueuse. Or il se trouve que la dynamique est alors en panne et que le

dirigeant de l’époque, du fait de la forte matrice éducative qui est la sienne, pour en

avoir été lui-même l’un des piliers98, ne peut pas culturellement se déplacer et

considérer le trouble qui affecte alors les établissements de l’association comme autre

chose que la conséquence de la crise des acteurs et de leurs capacités personnelles à

soutenir le modèle fondateur.

En fait, tout au long de la période précédente, les compétences de ce secteur ont

largement été laissées à l’initiative des professionnels eux-mêmes et des équipes.

L’association, mobilisée qu’elle était par sa principale préoccupation de développer le

domaine de l’insertion, a peu investi en matière de réflexion voire d’innovation dans le

domaine du renouvellement de la prise en charge des jeunes : seule exception, le

service des réseaux d’accueil, dont le directeur deviendra rapidement l’acteur majeur

du développement de l’insertion, le service innovant de prise en charge des jeunes en

réseau qu’il avait développé étant alors absorbé par les autres établissements. Mais

c’est surtout la personnalisation extrême du modèle de l’éducateur garant par ses

ressources charismatiques de la qualité de la réponse éducative qui va empêcher la

direction de l’association d’interroger ce paradigme et de se déplacer plus aisément.

C’est la résistance même du modèle qui va faire crise et obliger les acteurs à imaginer

un « pas de côté »…

Dans le cadre de la formation à l’intervention psychosociologique précédemment

mentionnée, j’ai été ainsi conduit à proposer un changement de méthode pour

dépasser la crise de l’internat du Guermeur, établissement d’autant plus fondateur pour

97 Alain Vilbrod, op. cit. 98 Idem

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

167

l’association qu’il était celui d’où était issu le directeur général qui y avait réalisé sa

carrière éclair, de stagiaire éducateur à directeur, avant de prendre les rênes de

l’association. En fait, plutôt que de se focaliser sur la seule recherche de l’ « homme

providentiel » pour dépasser la crise, j’ai simplement proposé que les directeurs aient

un espace de travail collectif et coopératif, avec un tiers extérieur validé par le directeur

général, pour imaginer les scénarios de sortie de crise. La créativité s’est rapidement

trouvée au rendez-vous. L’imagination pour envisager d’autres formes et d’autres lieux

de prise en charge pour les jeunes aussi99. Et c’est ainsi que la directrice du placement

familial, récemment recrutée, s’est portée candidate pour conduire le projet de prise en

charge des jeunes en réseau (dispositif SAFHIR) qui était né de ces travaux. En fait ce

travail coopératif des directeurs permettait, par son dispositif même, d’aborder

autrement la problématique des jeunes confiés à l’internat, confrontés dans leurs

histoires personnelles et familiales à des déstructurations croissantes des contenants

institutionnels et familiaux, des modèles et des cultures éducatifs et des valeurs. Leur

renvoyer précisément des modes de réponse qui relevaient de modèles et d’idéaux

éducatifs non questionnés ne pouvait que susciter leur refus et leur violence. Le

déplacement des adultes vers un registre d’analyse et de compréhension, ainsi que

vers un cadre institutionnel sécurisant la parole, ses lieux de partage et ses modes de

circulation, suffisait par lui-même à ouvrir des espaces de travail inédits dans lesquels

les parcours des jeunes pourraient se déployer avec plus de fluidité, d’acceptation du

cadre et moins de négativité.

Nous nous sommes un peu attardés sur cette méthodologie de transformation de la

crise des internats traditionnels de l’association dans la mesure où elle constitue la

trame à partir de laquelle vont s’enclencher tous les changements subséquents. Elle va

99 Abdelaâli Laoukili, l’un des formateurs du cycle de psychosociologie de l’ARIP résume, dans le contexte différent d’une collectivité locale, une approche du changement un peu de même nature : « C’est une collectivité de petite taille sur le modèle charismatique, avec peu de règles et de procédures formelles de travail (un maire qui décide de tout avec une confusion des rôles entre les élus et les cadres). Le directeur général des services, jeune cadre nouvellement recruté, se plaint de la difficulté à situer son rôle et sa place. Le maire s’adresse individuellement à tous les cadres et aux agents pour faire avancer les dossiers. Les autres élus l’imitent et il n’y a pas d’espace formel de travail ni entre les élus et les cadres ni entre les cadres eux-mêmes et le directeur général des services. L’intervention a consisté d’abord à créer un espace de travail en groupe entre les cadres et le directeur avec une double centration, sur le contenu opératoire et sur la dynamique du groupe… Ce groupe s’est installé comme un observatoire et un agent du changement dans l’organisation. Le travail ainsi réalisé a été restitué et partagé avec le maire qui a pu mesurer l’utilité et la pertinence du dispositif mis en place. Il a pris conscience à cette occasion des dysfonctionnements de sa collectivité, des possibilités concrètes d’amélioration et a exprimé lui-même une demande d’élargir ce dispositif au groupe des élus, en constatant qu’ils ne travaillaient pas vraiment en groupe, et ce malgré les commissions, les sous-commissions, bureau municipal, etc…

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

168

aussi permettre à l’association d’aborder la nouvelle phase de rationalisation

organisationnelle et gestionnaire dans le nouveau contexte d’administration

territorialisée de l’action sociale. Il faut souligner que c’est également en quittant ses

internats traditionnels et en créant ainsi les conditions de leur vente, que l’association

va trouver les ressources négociées avec le département lui permettant d’aborder plus

sereinement la mise en œuvre de son projet associatif ainsi qu’un travail en profondeur

sur son organisation.

IV – 2 Un projet associatif pour élaborer un nouveau cadre

d’organisation et d’action

D’une organisation segmentée à une organisation en réseau

La création de pôles d’activité a traduit, d’emblée, la recherche de nouveaux espaces

coopératifs pour conduire le changement au sein de la structure associative. En effet,

jusqu’alors, chaque directeur était relativement autonome dans le pilotage de son

service ou de son établissement. Il était fortement référé au directeur général en

matière de décision ou de stratégie, mais tout à fait indépendant de ses collègues en

ce qui concerne la manière de gérer son dispositif.

Cette identification de domaines d’action signifiants pour les acteurs de direction et

permettant de les regrouper et de les mettre au travail par grands champs

d’activité, insertion, hébergement social, protection de l’enfance, s’est trouvée

naturellement en phase avec le lancement des politiques territoriales de l’action sociale

et leurs schémas d’intervention par grand secteur d’activité : petite enfance, enfance,

handicap, hébergement et insertion…

En ce qui concerne la Sauvegarde du Morbihan, trois grands domaines d’activité sont

identifiés, la protection de l’enfance, l’insertion et l’hébergement social, qui seront

ensuite, dans le cadre du projet associatif ramenés à deux pôles : protection de

l’enfance et insertion des adultes et des familles.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

169

C’est en fait le projet associatif, au cours de ces années 2002-2009, qui va donner à

l’association l’assise qui lui faisait défaut pour déployer son action, à la fois en tenant

compte de l’évolution des dispositifs des politiques publiques, mais aussi en refondant

sa légitimité sur autre chose que sur sa seule gestion d’équipements professionnels.

Toutefois, l’essentiel de ce premier projet associatif restera encore d’ordre

organisationnel. La dimension réellement politique du projet, si elle n’est pas absente,

n’est cependant pas première. C’est au cours des années qui suivent l’élaboration de

ce projet que commenceront à se formuler, comme nous le verrons, les intuitions qui

viseront à projeter à nouveau la Sauvegarde 56 dans une véritable prospective de

politique associative ancrée dans le champ de l’économie sociale et solidaire. En 1993,

la Sauvegarde du Morbihan avait élaboré une charte des valeurs mais celle-ci ne

s’était pas déclinée en outils concrets de transformation de la dynamique associative.

Cette fois-ci, le projet associatif, centré sur les cadres concrets de l’action et élaboré

avec l’ensemble des acteurs de l’association en 2004-2005, sera suivi d’une démarche

d’auto-évaluation visant l’amélioration continue de la qualité par l’élaboration de plans

d’action. Cette démarche concrète, tout en visant à inscrire les acteurs dans la

dynamique de l’association, va permettre de transformer en profondeur l’organisation

en la structurant autour d’une démarche davantage coopérative. Il faut souligner qu’elle

est aussi en phase avec les nouvelles règles managériales dont s’est emparée la

puissance publique, la logique de l’ « auto-évaluation », inscrite dans la Loi 2002/2,

risquant cependant sans cesse d’être battue en brèche par la mécanique

administrative de moins en moins implicite du « contrôle généralisé », par ailleurs en

marche !

Dans cette phase de transformation de l’organisation associative, on peut dire que

l’affirmation d’une conduite de changement centrée sur la coopération des acteurs va

se heurter à certaines résistances des directions d’établissement. En effet, toute la

phase antérieure de l’organisation, dans cette association comme dans la plupart des

autres, s’est structurée autour de l’autonomie de la fonction de direction. La plupart des

directeurs d’associations sont eux-mêmes issus du rang des directeurs

d’établissements ou de services. On peut donc faire l’hypothèse qu’un certain pacte

implicite s’établit entre les uns et les autres pour maintenir un statu quo quant à

l’indépendance de chaque dispositif en matière de direction. Quoiqu’il en soit, on

constate que trois des directeurs arrivés dans l’association à la fin des années 90, et

recrutés pour la première fois sur ce statut de directeur d’établissement ou de service

par le précédent directeur général, quitteront l’association au début des années 2000

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

170

pour aller exercer une nouvelle fonction de direction dans une autre région. Ces

départs ne seront d’ailleurs pas sans lien avec une nouvelle conception de

l’organisation issue des travaux sur le projet associatif. Deux autres directeurs plus

anciens dans l’association, dont celui qui avait exercé toute sa carrière d’innovateur et

de pionnier en matière d’éducation et d’insertion à la Sauvegarde, prendront leur

retraite au cours de cette période. Ce départ en nombre de directeurs, puisque ce sont

cinq des huit directeurs de l’association qui quittent alors leur fonction, peut-être

analysé comme, à la fois, la conséquence mais aussi l’occasion d’une transformation

en profondeur de l’organisation. En effet, seul parmi eux le directeur du service de

prévention sera remplacé. Deux directeurs du pôle adultes-familles non remplacés sur

leur fonction de direction permettront de créer une direction de ce pôle confiée au seul

directeur restant en exercice sur ce champ. Le départ de deux directeurs du pôle

protection de l’enfance permettra d’amorcer également la structuration de ce pôle

autour d’une direction de pôle, le cheminement se faisant cependant par étapes, avec

création successive de postes de directeurs adjoints.

Finalement, l’option retenue en matière d’organisation repose sur l’analyse de

l’expérience des premières années où la coopération entre directions avait été choisie

comme cadre privilégié de la conduite du changement dans l’association. Or, il s’est

avéré que c’est en fait à l’occasion de regroupements d’établissements qu’une

véritable logique de coopération a pu se développer entre équipes de direction et avec

les professionnels concernés, sous la responsabilité d’un pilotage identifié. L’approche

de la coopération entre directeurs est restée très en-deçà des objectifs visés. Par leurs

choix de départ, le plus souvent justifiés par la mise en avant de logiques personnelles

qui traduisaient aussi, d’une certaine manière, la fin du système d’allégeance à une

organisation et à son dirigeant, les départs volontaires de cadres ayant été rarissimes

dans la phase précédente, les directeurs qui ont quitté l’association ont également

permis, dans le cadre de la dynamique de réflexion sur le projet associatif engagée,

que se réalisent les transformations recherchées notamment en termes de coopération

renforcée des acteurs.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

171

L’évolution de l’organigramme associatif

Au cours de cette période 2002-2009 l’organigramme associatif va subir de profondes

mutations. Celles-ci ne seront pas imposées ni décrétées a priori, mais seront le fruit

de tous les dispositifs de parole et de coopération mis en place à partir de 2002 :

regroupement des directeurs par pôles, projet associatif, instance de gestion

transversale pilotée par le comité de direction (équipes des directeurs) mais également

travail avec les instances associatives, notamment par pôles…

C’est, en effet, ce rapprochement entre l’instance associative (Conseil

d’Administration) et l’organisation qui va favoriser et accélérer les mutations de

l’organigramme : les administrateurs se sentent éloignés de l’action ; ils ont du mal à

suivre les évolutions et à prendre leurs décisions en CA en connaissance de cause.

Seul le Président est bien au fait de la vie de l’organisation par ses liens très étroits

avec le directeur général. A partir de 2002, des espaces plus fréquents de travail entre

administrateurs et salariés sont recherchés, en dehors des traditionnelles commissions

associatives (patrimoine, vie associative, communication). Il s’agit de renforcer la

communication entre l’organisation professionnelle et l’instance politique tout en

sécurisant institutionnellement ces rencontres par la qualité et l’ouverture de l’analyse

conduite dans l’instance présidence/direction générale. Des rencontres ont lieu, par

pôles, entre directeurs et administrateurs. Les thèmes des CA se centrent

progressivement sur des thèmes plus approfondis concernant la vie des

établissements et services. De même que pour les instances de direction, il s’agit de

passer de réunions surtout informatives à de véritables instances de travail permettant

aux acteurs de mieux s’approprier les enjeux des changements à promouvoir. La

Présidente, suite aux travaux du projet associatif, s’entoure de Vice-présidents et crée

avec eux une instance qui va donner une allure plus collégiale au pilotage de

l’association. De même, elle propose des rencontres de bureau élargi visant à

permettre à tous les administrateurs de mieux s’approprier non seulement la vie de

l’association mais également celle des établissements et services et de s’inscrire ainsi

plus fortement dans les dynamiques en cours.

Le constat que l’organigramme, malgré ses premières évolutions, restait insatisfaisant

et n’était pas encore abouti est donc à la fois le fait de la direction générale et des

instances politiques de l’association. En dépit des dispositifs de coopération mis en

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

172

place, tout se passe, en effet, comme si l’entité de direction d’établissement restait très

autonome, peu contrôlée et mal référée à la direction associative, la transmission des

véritables problématiques aux instances associatives restant, par ailleurs, limitée.

C’est, en particulier, la grave crise financière que connaît l’association, du fait du cumul

de décisions risquées dans le champ de l’insertion, qui la conduit à souhaiter une

réforme de son mode d’organisation qui soit pour elle plus sécurisante. Du côté de la

direction générale, c’est la difficulté de passer d’une culture charismatique, à forte

autonomie des directions, à une véritable culture coopérative référée au projet

associatif, qui pousse également à une transformation en profondeur de

l’organigramme.

Ces changements auront lieu à l’occasion des départs successifs de directeurs.

Rappelons que certains de ces départs ont, eux-mêmes, été précédés de réflexions

associatives : notamment dans le cadre de la démarche du projet associatif où s’est

trouvée interrogée le principe du maintien de certains niveaux de direction par rapport

à l’enjeu de constituer des directions de service départementales, bien différenciées et

complémentaires les unes des autres. Il y a donc eu synergie entre réflexions

associatives sur l’organigramme et initiatives de certains directeurs d’activer des

logiques personnelles pour prendre d’autres responsabilités en dehors de l’association.

La logique qui s’est affirmée à travers les choix successifs de ne pas remplacer les

directeurs partis, mais plutôt de regrouper les dispositifs existants, s’est d’abord

traduite par l’unification du pôle insertion adultes-familles, d’une part, et l’affirmation de

missions départementales différenciées et complémentaires pour le secteur enfance,

d’autre part : Placement familial, Milieu Ouvert, Accueil des adolescents et Prévention

Spécialisée. Les résultats s’en sont trouvés foncièrement différents pour l’un et l’autre

pôle : d’un côté, en ce qui concerne le secteur adultes, une concentration des

fonctions de direction, le directeur en poste recouvrant les prérogatives de direction et

les responsabilités de ses deux collègues partis et conservant, par ailleurs, une assez

large autonomie liée à son histoire singulière dans l’association qu’il avait rejointe avec

l’association qu’il dirigeait alors. Les différentes responsabilités qui lui seront

progressivement confiées par la Sauvegarde viendront, au fond, renforcer une

structure de direction et une conception du management et de la stratégie, à la fois

efficientes et indépendantes, apportant beaucoup de sécurité à l’association sur le plan

de l’initiative et de la gestion, mais adossée à la Sauvegarde davantage sur le modèle

de la fédération, congruente avec l’ancien mode de structuration de l’association, que

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

173

sur celui de la collégialité et de la coopération. En ce qui concerne le pôle enfance,

l’affirmation des missions départementales, si elle a donné une ossature au pôle, n’a

pas permis de développer autant qu’il était souhaitable la dynamique d’une unité

centrée autour d’un projet commun. C’est l’affirmation du niveau de directeur qui

continue à prévaloir. Par contre les dynamiques d’équipes de direction regroupées ont

vraiment porté leurs fruits en termes de coopérations, des dispositifs de plus en plus

transversaux et impliquant les professionnels voyant progressivement le jour au sein

de chacune des grandes missions du pôle : Placement Familial, Milieu Ouvert, Service

d’Accueil des Ados notamment, le service de Prévention restant, quant à lui, structuré

autour d’un seul poste de direction. Du point de vue de la direction générale, la

dysharmonie d’organisation entre les deux pôles ne permettait pas alors de dégager

encore clairement les dispositifs de pilotage adéquats. Fallait-il envisager une sorte de

copilotage fondé sur le modèle de la coopération ? Mais une expérience précédente de

co-animation d’un dispositif de réflexion pour l’équipe de cadres de ce pôle ne s’était

guère montrée concluante. Fallait-il désigner un directeur dans une fonction

d’animation du pôle, ou bien, à l’instar du pôle Adultes, nommer un directeur de pôle

Protection de l’Enfance ?

C’est finalement l’échec d’un recrutement sur le service de placement familial, à

l’occasion du départ de la directrice qui va permettre, en 2008, de franchir une étape

décisive en termes d’organisation. En effet, le directeur recruté, issu d’un gros

établissement public du Nord, très segmenté, s’inscrit d’emblée dans une posture qui

révèle sa grande ambivalence, notamment à l’égard de la fonction de direction

générale et du projet associatif. La période d’essai est rapidement interrompue et un

nouvel organigramme se dessine venant fortement questionner le niveau de direction

d’établissement non explicitement référé à un pilotage de pôle. C’est donc le choix de

positionner des directeurs-adjoints référés à un directeur de pôle lui-même référé à la

direction générale qui est retenu par les instances associatives. Toutefois

l’organigramme cible, s’il se dégage100, n’est pas encore en place : en effet, du côté du

pôle enfance, trois directeurs sont en poste et deux directeurs adjoints. Si la structure

se dessine, elle doit encore évoluer ; de même qu’en ce qui concerne le pôle adultes

où un directeur et quatre chefs de service sont en place sans qu’un projet de pôle

vienne clairement structurer les espaces de responsabilité des uns et des autres.

100 Pour toute cette partie, nous renvoyons aux différents organigrammes de l’association placés en annexe.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

174

En plus de la création de ces deux pôles de compétence correspondant aux champs

de compétence et aux missions de l’association, la direction générale et l’association

décident également de créer un pôle Ressources dont on mesure toute l’importance

sur les aspects budgétaires, administratifs, logistiques et en matière de gestion des

compétence au regard, notamment, de l’évolution de plus en plus pointue des

politiques publiques en ces domaines. En effet, la fonction de direction administrative

et financière, si elle est transversale à l’association n’a pas jusqu’alors été posée

comme une entité institutionnelle forte. En dépit d’une animation pourtant établie de

tout ce qui touche à la gestion administrative, financière et aux ressources humaines,

notamment par l’intermédiaire de l’instance de pilotage qu’est le comité de direction,

les délégations ne sont pas suffisamment bien établies entre le directeur général et

cette fonction ; par ailleurs, les directeurs d’établissements et de service font appel à

cette direction administrative et financière de manière tout à fait disparate : ce n’est pas

la fonction qui fait la structure ; c’est plutôt l’usage que chacun en fait qui fait la

fonction.

C’est donc sur la base de cette structuration autour de trois pôles que l’association, en

2009, se projette pour les années à venir. Nous allons voir que cette recherche

d’opérationnalité plus grande du côté de l’organisation n’est pas sans lien avec, une

nouvelle fois, l’évolution de la régulation publique et de l’encastrement politique des

associations d’action sociale. L’analyse de cette évolution va nous introduire aux

nouveaux enjeux de la gouvernance associative pour la Sauvegarde 56 mais plus

largement pour l’ensemble du champ des associations d’action sociale.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

175

II

Crise du modèle historique :

L’heure du choix pour les associations

d’action sociale

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

176

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

177

Introduction

Dans cette deuxième partie, nous allons situer plus précisément les enjeux des

transformations engagées, dans un premier temps pour la Sauvegarde 56, mais plus

largement aussi, dans un second temps, pour l’ensemble des associations d’action

sociale. En prenant une certaine distance, parfois volontiers critique par rapport aux

évolutions du secteur et des environnements, nous aimerions dégager quelles sont les

marges de manœuvre dont dispose aujourd’hui une association pour à la fois assumer

son histoire et ses valeurs, sa culture et son identité, et la réengager, à nouveaux frais

en quelque sorte, dans un contexte devenu soudain étranger, sinon hostile. Faute, en

effet, le plus souvent d’avoir cultivé elles-mêmes les ressources propres à la

démocratie associative et à son éthique, les associations d’action sociale se trouvent

aujourd’hui submergées par un ensemble de nouvelles logiques régulatrices peu

enclines à considérer la part qu’elles pourraient apporter à la mutation du lien social,

voire sociétal tellement ce sont tous les grands référents sur lequel celui-ci reposait

jusqu’alors qui se trouvent tout à coup bousculés. Aussi les associations sont-elles

aujourd’hui le plus souvent à l’épreuve, face à des vents contraires qui tendent à

relativiser toute capacité d’initiative citoyenne et à les réduire à une simple logique de

prestation de service encadrée par des règles dont les définitions leur échappent.

Comment donc plaider la coopération, la mutualisation, la recherche gratuite de

contribution au lien social et à l’élaboration d’un engagement citoyen dans un contexte

où s’impose de plus en plus la loi du marché, de la mise en concurrence et en rivalité

et l’encadrement des projets dans une logique d’appel d’offre qui semble banaliser

toute capacité des acteurs locaux de s’organiser eux-mêmes pour contribuer à

l’élaboration de réponses innovantes, territorialement adaptées et donc singulières. Il

est vrai que, peu à peu, les associations du secteur social se sont laissé enfermer dans

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

178

une forme de dépendance exclusive à l’égard des financements publics. Il est loin le

temps de l’engagement bénévole et militant sur lequel a reposé la création du secteur.

La tentative de la Sauvegarde 56, à travers ses filiales, de réinitier, dans le champ de

la production, de l’insertion et de l’économie sociale, une démarche autonome et

militante s’est soldée par un échec dans la mesure où le statut associatif, lui-même,

méritait peut-être d’être interrogé comme le suggérait déjà Renaud Sainsaulieu101,

préconisant plutôt pour ce secteur productif l’invention de structures au statut nouveau,

de type coopératives, capables de mobiliser autrement l’ensemble des parties

prenantes dans l’effort à la fois de production et de mise en concurrence. La dimension

relativement protégée de la culture et de l’ « habitus » associatifs, par l’exclusivité des

financements publics à laquelle elle était accoutumée, ne lui a pas permis, en tous les

cas dans cet exemple, de joindre à l’effort militant l’ « excellence » gestionnaire

réclamée pour réussir ce genre de défi. Il n’empêche que, même dégagée de ce

challenge cherchant à associer gestion entrepreneuriale et militantisme associatif,

dans un contexte où la réflexion sur la démocratie associative elle-même et la

coopération n’avait pas été menée à son terme, l’association de Sauvegarde 56,

comme toutes les autres associations aujourd’hui, se trouve confrontée à des défis

inédits qui en viennent à interroger son essence même et sa raison d’être.

On pourrait résumer la problématique simplement : tels que s’organisent aujourd’hui

les nouveaux modes de régulation publique, y a-t-il encore aujourd’hui un intérêt

quelconque à mobiliser le fait associatif lui-même ? Que l’on s’en réfère à des

organismes de droit privé, qui à l’instar des entreprises, ont souvent fait la preuve de la

qualité de leur gestion au regard de la régie administrative directe, est une chose dont

les politiques publiques ne manquent pas de se servir amplement par les temps qui

courent ; mais en appeler à « la ressource des institutions intermédiaires »102 que

peuvent être les associations dans ces temps de crise et d’interrogation radicale sur ce

qui fait encore lien social est une autre affaire ! Le moins que l’on puisse dire est que

cet enjeu de l’institution, et de la démocratie qu’elle fonde pour des sujets citoyens,

n’est guère à l’ordre du jour dans les nouvelles règles à la fois étroitement

gestionnaires, instrumentales et procédurales qui s’imposent à tous les acteurs sociaux

et aux associations en particulier. Se dégagerait plutôt la logique utilitariste de l’acteur

seulement considéré sous l’angle de son intérêt, qu’il s’agisse de l’usager, du

101 Renaud Sainsaulieu, Des sociétés en mouvement, La ressource des institutions intermédiaires, Desclée de Brouwer, Paris, 2001, p. 163. 102 Renaud Sainsaulieu, op. cit.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

179

professionnel, voire du bénévole, celui-ci ayant bien assez, au regard de l’idéologie

ambiante, de sa bonne conscience pour s’engager. Mais pas du tout celle qui

considèrerait l’acteur comme un sujet, capable de coopération et d’engagement, sur le

fondement d’un débat démocratique toujours à réinstituer ! Bref ! Un acteur non

seulement centré sur son intérêt « pour soi », mais encore sur une capacité de « don »

et d’engagement « pour l’autre »103, intégrant donc une véritable fonction « politique »

de la parole, au sens où cet autre ne serait pas pour lui un individu isolé, une monade

uniquement guidée par son propre intérêt, mais un membre à part entière de la

communauté humaine qui a besoin pour vivre d’espaces intermédiaires, d’espaces

citoyens, d’institutions humanisantes et subjectivantes où se fonde son identité.

Toutefois, l’association, si elle dépend, on l’a vu, étroitement de la régulation publique,

possède également, par elle-même, une identité propre : dans quelle mesure et à

quelle condition est-elle capable de la mobiliser dans un contexte, il faut le redire,

largement défavorable ? C’est la question dont nous aimerions traiter dans cette

seconde partie et dans la conclusion de ce mémoire. Nous nous efforcerons d’abord

de définir cette nouvelle donne qui s’impose aux associations d’action sociale

aujourd’hui. Nous consacrerons alors un nouveau développement aux conséquences

qui en résultent pour la Sauvegarde 56 en explorant notamment la voie encore

balbutiante d’une régulation de type conventionnée permettant aux acteurs associatifs

de véritablement concourir à la co-construction des politiques publiques. Mais si cette

visée doit bien guider l’action pragmatique des associations, l’idéal n’étant, nous le

savons, pas de mise, nous ouvrirons les réflexions que nous inspirent cette analyse

institutionnelle d’une association d’action sociale singulière vers une nouvelle analyse

du contexte sociétal dans lesquelles s’opèrent les mutations en cours. Sans lâcher la

recherche concrète d’hybridation et d’adaptation entre les logiques publiques et

l’organisation professionnelle associative, nous poserons alors l’hypothèse à la fois

d’un nouveau paradigme pour l’action sociale mais aussi d’un nouveau fondement pour

l’institution en régime démocratique, dégagée de l’accaparement traditionnel de la

« place d’ex-ception » qui la fonde. Cette réflexion sur la notion de référence à ce qui

peut encore faire « lien social » dans la société postmoderne nous amènera à conclure

l’ensemble de notre recherche par un plaidoyer pour une remobilisation militante,

consciente et responsable des associations autour de l’éthique démocratique dont

elles sont issues : plus que jamais on peut affirmer aujourd’hui, en effet, que la

103 Cf. supra le commentaire de l’ouvrage de Jacques Généreux, La Dissociété, op. cit.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

180

ressource démocratique des associations d’action sociale se trouve entre leurs

mains… c'est-à-dire dans leur capacité de réinventer les bases mutualistes,

coopératives et solidaires de leur raison d’être. Autrement dit, encore, dans leur

capacité de se ressourcer au vaste mouvement de l’économie sociale et solidaire dont

elles se sont, depuis trop longtemps, coupées.

C’est à mieux définir les contours de cette refondation associative que nous proposons

d’apporter notre contribution en ce qui concerne la Sauvegarde 56. Il s’agit de définir

les préalables pour faire en sorte que le destin des associations d’action sociale, loin

d’être joué d’avance dans la seule logique de l’isomorphisme administratif et

gestionnaire, conserve toute sa force de rebond et de résurgence et surtout son rôle de

médiateur, essentiel dans la transformation des souffrances sociales générées

aujourd’hui par les approches économistes utilitaristes. Ce travail veut rendre compte

de la persistance d’une ambition associative à l’œuvre aujourd’hui et contribuer à son

élargissement.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

181

I - La redéfinition de l’encastrement politique des

associations d’action sociale et les nouveaux enjeux

de la gouvernance associative

Les pouvoirs publics à la recherche de nouveaux mod es de régulation entre

gestion technocratique et pilotage territorial

Depuis 2002, nous le disions, la gestion s’est progressivement imposée à tous ceux

qui opèrent dans le champ de l’action sociale, et cela de manière multiforme. Quelques

grands principes guident l’évolution des politiques publiques :

- S’inscrire dans les évolutions légales relatives à l’organisation des services, au Code

du Travail et à la représentativité des syndicats : référence au cadre européen.

- Tenir compte de la situation économique et sociale à l’origine de la rigueur budgétaire

et des restrictions de financements.

- Engager la réforme des politiques publiques et la décentralisation administrative.

- Inciter à la concentration du secteur (la DGAS affirme la volonté de voir, non pas les

acteurs associatifs, mais les « unités gestionnaires » du social passer de plus de trente

mille à cinq mille dans les dix ans qui viennent : slogan ou réalité déjà en marche !?)

- Ouvrir des espaces au développement d’un secteur privé lucratif (personnes âgées et

petite enfance).

Des outils sont développés par l’administration dans le cadre de législations

successives :

- Création des sièges associatifs et des services gérés en commun, puis des

groupements de coopération visant au regroupement des gestions associatives

(GCSMS)

- Les appels d’offre (ARS, ANPE, Départements…) et la mise en concurrence

systématique des acteurs sur certains champs (insertion, emploi, formation…).

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

182

- La logique de réduction des coûts et la généralisation des indicateurs moyens dits de

convergence tarifaire.

- Les dotations globales dans le cadre des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens

renvoyant les acteurs associatifs à une logique d’arbitrages internes.

- A terme, la fin de l’opposabilité des conventions collectives…

Il y a au fond, on le voit, avant tout un enjeu d’économie au regard duquel la logique du

marché, avec laquelle manœuvrent déjà quotidiennement les entreprises semble, de

plus en plus ouvertement, une voie tentante pour les pouvoirs publics, y compris dans

le domaine social. Dès lors de multiples questions se posent aux associations :

comment rester en capacité de se situer comme un prestataire de service reconnu

dans un contexte de mise en concurrence généralisée ? Par ailleurs, le contexte de

crise économique a des effets forts sur la précarisation des publics : comment adapter

globalement l’intervention du secteur à ce contexte ? On peut dire ainsi qu’un des

grands enjeux serait de permettre à l’action sociale, et aux associations en particulier,

à la fois de répondre aux effets de la crise, avec l’amplification des problématiques

sociales, d’inventer les compétences en rapport avec des besoins qui se massifient,

d’intégrer la prise en compte d’éléments financiers, déterminants dans le contexte

nouveau. Ainsi la réforme de la Convention Collective 66 qui encadre une grande

partie du secteur social et médico-social, engagée en 2008 et particulièrement

d’actualité à partir du début de l’année 2009, se pose-t-elle également dans ce cadre :

elle a été fondée sur une conception relativement objectivée de l’inadaptation et des

métiers. Désormais, la complexification des problématiques sociales oblige à inventer

de nouvelles réponses, de nouvelles compétences, de nouvelles mobilisations

d’acteurs collectifs. Se pose aussi la question de l’avenir des associations dans ce

secteur : va-t-on vers une fonctionnarisation ou une réaffirmation du caractère

associatif : à quelles conditions cette seconde voie ? Avec quelle place des usagers ?

Les associations préserveront-elles une capacité d’initiative ? Comment redéfinir les

bases de leur reconnaissance en matière d’intérêt général ? Quelles sont les

conditions de leur plus value : statut parapublic, ou bien capacité rénovée d’implication

et d’innovation ?

Il existe une véritable indétermination quant à la réponse à toutes ces questions. Le

maintien d’un statut parapublic à parité avec le secteur public semble, pour une part,

remis en cause. C’est sur ce principe qu’avait été bâtie la Convention (Cf. les

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

183

similitudes par exemple en termes de congés trimestriels avec le statut des

fonctionnaires de la PJJ). Tout se passe aujourd’hui comme si les financeurs publics

avaient décidé d’encadrer beaucoup plus la part des missions qu’ils confient à des

organismes de droit privé : en la concentrant pour mieux l’administrer et en limitant ses

moyens par des enveloppes fermées, obligeant ainsi ces prestataires de service à

arbitrer eux-mêmes notamment dans le domaine de la GRH et des salaires. Le risque,

dans le cadre des négociations engagées sur la rénovation de la Convention Collective

66, est bien, les salariés ne s’y trompent pas, celui d’un décrochage du secteur

associatif par rapport au statut de la fonction publique. Une évolution trop rapide de la

convention, simple reflet des nouvelles contraintes administratives, et dans le cadre

des logiques d’appels d’offre se renforçant, risque d’exposer en fait totalement le

secteur associatif, et cela en ordre dispersé, financeur par financeur, et département

par département, à ce décrochage. D’un autre côté, une affirmation renouvelée du

secteur associatif supposerait une capacité de peser autrement dans les négociations

avec les pouvoirs publics que sur la base de l’émiettement qui le caractérise. Le travail

à peine engagé de regroupement des fédérations et de renforcement des

représentations reste largement à entreprendre.

On le voit, après avoir tenté de résister vaille que vaille au statut de prestataire de

service et à l’enfermement pur et simple dans une logique de régulation de type

tutélaire, le secteur associatif impliqué dans la gestion d’équipements sociaux et

médico-sociaux est largement en voie de passer à un statut de sujétion, soumis qu’il

est aux normes administratives et gestionnaires et à la mise en concurrence. C’est

bien par une approche rationalisatrice et gestionnaire, relayée cette fois par tous les

acteurs publics, ce qui n’avait pas été le cas dans la phase précédente, la

décentralisation étant venue, moins d’une dizaine d’années après la loi de 75,

déstabiliser quelque peu l’effort public visant à mieux administrer le secteur de l’action

sociale. Mais trente ans plus tard, la logique de l’administration publique est cette fois

au point : les textes législatifs s’enchaînent les uns aux autres avec une rigueur

imparable. L’heure a bien sonné d’une reprise en main par la puissance publique d’un

champ d’action sociale et médico-sociale qui, s’il avait déjà largement été suscité par

cette dernière et par ses financements, n’avait pas cependant jusqu’à présent été

administré et géré avec l’exigence que nécessite aujourd’hui le nouveau contexte de

contraintes économiques, ni avec l’efficacité que permettent les nouveaux outils

techniques, gestionnaires et informatiques notamment.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

184

Si la visée de la régulation tutélaire reste la même, on peut dire que l’intégration

d’éléments de plus en plus divers dans les outils de gestion publique, référés à

d’autres formes de régulation, d’insertion ou concurrentielle, et touchant

progressivement l’ensemble des acteurs du champ, nous fait basculer progressivement

dans une nouvelle forme de régulation « managériale » que nous qualifierions de

technocratique. C’est, en effet, la technique, et l’outil informatique en particulier, qui

permettent à l’administration aujourd’hui d’articuler toutes ces formes de régulation

dans une visée tutélaire cette fois médiatisée par un montage impressionnant d’outils

juridiques et gestionnaires.

Nous ne pouvons pas penser cependant qu’il s’agit là du dernier mot sur l’organisation

et le pilotage de l’action sociale. L’ensemble des textes d’orientation, que ce soit en

matière de handicap, de protection de l’enfance ou encore de prévention de la

délinquance, promeuvent, en effet, une forme de pilotage politique de l’action sociale

reposant sur une conception conventionnée de la régulation publique. Toutefois, il y a

loin entre l’énoncé des modalités de pilotage posées par les textes et leur mise en

œuvre effective. L’approche technocratique et gestionnaire prend d’autant plus le pas

sur l’approche en terme de gouvernance et de pilotage participatif et coopératif sur les

territoires que les acteurs publics en charge de la mise en œuvre de ces textes se

voient souvent, eux-mêmes, enfermés dans une double contrainte entre animation

territoriale, pour laquelle ils sont souvent très mal préparés, et impératif de gestion,

pour lequel ils se voient, au contraire, dotés d’outils toujours mieux ajustés. C’est donc

face à une administration, elle-même en difficulté sur ses modes de gouvernance, et

donc tentée de mobiliser avant tout un savoir-faire de type technocratique, le plus

souvent contreproductif par rapport aux visées attendues, que le secteur associatif doit

mobiliser aujourd’hui ses propres réflexions en matière de gouvernance et de

dirigeance.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

185

Les nouveaux enjeux de gouvernance associative prom us par la transformation

des politiques publiques

C’est donc dans ce contexte de rationalisation de l’action sociale et de ses logiques

d’action qu’émerge depuis les années 2000 une forte remobilisation des associations

d’action sociale du côté de leur légitimité associative. Presque toutes se sont lancées

dans une démarche de projet associatif. Cela a aussi été le cas, nous l’avons vu, à la

Sauvegarde du Morbihan en 2005-2006. Ces associations sont ainsi amenées à

s’interroger sur l’implication de l’ensemble des parties-prenantes à leur projet

associatif : administrateurs, bénévoles, adhérents, professionnels et usagers. Elles se

demandent comment accroître leur audience locale et territoriale, comment recruter de

nouveaux adhérents, comment rendre leurs conseils d’administration plus engagés du

côté de l’action des professionnels et capables de les relayer par leur parole auprès

des élus. Ainsi l’isomorphisme institutionnel des associations ne serait-il peut-être pas

inéluctable, contrairement à ce que prévoyait Albert Meister104 qui estimait que la loi

d’airain des associations gestionnaires résidait dans le fait qu’elles finissaient

forcément par s’identifier aux fonctionnements bureaucratiques des administrations sur

lesquelles elles étaient adossées

La réflexion sur l’organisation de la Sauvegarde 56 et sa dirigeance intègre cette vision

d’un renouvellement nécessaire de la gouvernance associative, avec notamment une

meilleure circulation entre l’instance politique et l’organisation professionnelle, mais

aussi une plus grande mobilisation des acteurs au fait associatif, les professionnels en

particulier, mais également les usagers.

Finalement la question de l’organigramme de l’association et de la nouvelle

configuration mieux articulée des dirigeants vise notamment à renforcer elle aussi la

capacité associative à exercer un véritable rôle politique face au renforcement

généralisé du cadre gestionnaire ignorant largement, comme la plupart des récents

textes administratifs le prouvent, le fait associatif. Ainsi n’y a-t-il pas nécessairement de

hiatus entre une organisation plus cohérente, développant son professionnalisme sur

la base d’outils de qualité et d’évaluation, et répondant ainsi mieux aux exigences de

l’administration, et la volonté de donner plus de poids à la dimension associative. C’est

aussi la transformation du cadre sociopolitique de l’action sociale qui convoque ainsi

104 Albert Meister, Vers une sociologie des associations, Paris, Editions Ouvrières, 1972.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

186

les associations à une redéfinition de leur propre rôle politique. En effet, tout en

renvoyant de manière continue et croissante depuis les lois de décentralisation des

pans entiers de l’action sociale aux départements, le législateur a également instauré

une nouvelle gouvernance politique de l’action sociale en faisant du Président du

Conseil Général le chef de file de l’ensemble des grandes politiques sociales :

protection sociale, handicap, personnes âgées, lutte contre les exclusions… Ainsi

n’est-ce pas seulement l’administration et la gestion qui est descendue au niveau des

départements, mais également la politique d’action sociale nécessitant une

remobilisation de la légitimité des acteurs, élus territoriaux bien sûr au premier chef,

mais également élus associatifs jusqu’alors essentiellement recrutés sur la base de

leur bonne volonté ou de certaines compétences techniques pour gérer au mieux les

intérêts et le patrimoine de l’association (notaire, architecte, avocat, par exemple,

comme c’était le cas des principaux membres du conseil d’administration de la

Sauvegarde lors de la période récente 1995-2004). La phase récente oriente plutôt

l’association vers la cooptation d’administrateurs sensibilisés à l’action sociale, anciens

professionnels pour beaucoup. Il reste difficile pour elle de mobiliser directement des

citoyens simplement intéressés à la cause sociale par leur ancrage local dans la vie de

la cité. C’est pourtant l’un des enjeux du renouvellement de la légitimité politique

associative qui passera sans doute par une autre implication des destinataires de

l’action eux-mêmes, dans le projet même de l’association.

C’est sur le fond de ce nouvel enjeu de gouvernance associative que s’engagent donc

les transformations importantes de la dirigeance dans une approche que l’on pourrait

qualifier de systémique. La mutation de la figure du cadre que l’on observe, n’est pas

étrangère, en effet, à la mutation de la figure de l’administrateur. Les logiques d’action

plus collectives recherchées au sein du conseil de direction ne sont pas sans écho du

côté de celles visées par le pilotage du conseil d’administration. Au modèle de leader

charismatique de l’acteur se substitue la capacité pour celui-ci d’ajuster l’institution à

une problématique permanente et globale du changement relevant d’une

transformation systémique et affectant l’ensemble de la structure, ses modes

coopération, de communication et de référence, sa culture…

Finalement, en se saisissant des aspects procéduraux contenus dans les nouveaux

textes de cadrage du secteur social, les associations parviennent, par une relative

aisance et souplesse liée à leur statut à réagir aux contextes de changement, à

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

187

redessiner peu à peu, par leur manière propre de remplir les cadres prescrits, les

conditions d’une certaine autonomie. Mais elles s’engagent aussi pleinement dans une

nouvelle approche de leur gouvernance susceptible de dépasser le clivage historique

entre organisation professionnelle, d’une part, qui a mobilisé l’essentiel de l’initiative au

cours de la période 1975-2002 dans les associations d’action sociale de type

Sauvegarde, et instance associative, d’autre part, réduite le plus souvent à entériner la

dynamique de l’organisation professionnelle. Il s’agit désormais de concevoir une

meilleure répartition des pouvoirs et contre-pouvoirs entre une multiplicité d’acteurs

partie prenante au projet associatif et de les associer au processus de la décision

politique autour de la définition de ce qui relève du bien commun partagé.

L’ambivalence fondamentale du concept de gouvernanc e

Il ne faut pas négliger toutefois l’ambivalence fondamentale du concept de

gouvernance à l’œuvre au sein des associations d’action sociale aujourd’hui. Cela est

d’ailleurs vrai, tout autant, pour les principaux acteurs territoriaux que sont devenus les

départements. Au regard du renforcement des réglementations dont ils se trouvent

chargés de la mise en œuvre, mais aussi au regard de l’interrogation sur leur éventuel

rattachement à l’échelon déconcentré de la Région, dont on mesurera à partir de 2010

avec l’entrée en action des Agences Régionales de Santé (ARS) combien ce niveau

territorial se trouve renforcé, on peut, en effet, se demander si le nouveau concept de

gouvernance territoriale relève vraiment d’une démarche politique décentralisée,

participative et citoyenne impliquant la société civile, ou s’il ne s’agit pas plutôt d’une

retour déguisé de l’Etat venant instrumentaliser tous les échelons et acteurs

intermédiaires par le jeu d’une législation et d’un contrôle inflationnistes. Participation

des acteurs certes, mais retour en force de la norme qui légitime toutes les questions

qui se posent aujourd’hui sur le concept de gouvernance.

Bien sûr le rôle et la stratégie des associations sera bien différent selon qu’on

considère les nouveaux enjeux de la gouvernance comme des enjeux avant tout

normatifs ou, au contraire, avant tout participatifs. Or ils relèvent certainement des

deux approches ; mais les conséquences se trouvent singulièrement différentes pour

les associations, selon qu’on accentue l’approche en termes de contrôle renforcé ou

bien celle en termes d’implication renouvelée des acteurs. Effectivement, différentes

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

188

stratégies associative se dessinent au regard de ces enjeux. Certaines associations,

avant tout centrées sur la compréhension des enjeux normatifs et gestionnaires qui

s’imposent désormais au champ de l’action sociale, déploient des stratégies

d’anticipation afin de leur permettre de se situer au mieux dans le nouveau marché de

l’action sociale défini par les nouvelles réglementations publiques. Ce sont des

associations qui accélèrent les logiques de regroupement, d’allègement des

contraintes conventionnelles, de positionnement dans le cadre des logiques d’appels

d’offre, estimant que ce sont avant tout ces dynamiques parallèles au champ de

l’entreprise et propres à la régulation concurrentielle qui permettront d’adapter le

monde associatif au réalités du contexte dans lequel nous sommes entrés. D’autres

associations, au contraire, sans négliger les outils de qualité, d’évaluation,

d’organisation plus cohérente et de mutualisation avec d’autres acteurs associatifs

privilégient cependant avant tout le maintien d’un ethos associatif où les enjeux de

valeurs, d’adhésion, d’implication de l’ensemble des acteurs et des parties prenantes,

de travail en réseau, priment sur ceux de l’adaptation à tout prix aux logiques

technocratiques et gestionnaires. Se redessinent ainsi les frontières d’une nouvelle

forme de positionnement associatif face à la normalisation du champ social et médico-

social par l’action publique, qui passe par un renouvellement des enjeux de

gouvernance associative sur la base d’approches avant tout démocratique,

participative et citoyenne.

Nous ne sommes qu’à l’approche de ce mouvement, mais les formes s’en dessinent

déjà assez nettement, le plus souvent d’ailleurs en écho aux anciennes logiques de

résistance qui avaient fait prévaloir au sein de certaines Sauvegardes en particulier,

mais également d’associations dont les dirigeants étaient membres du Groupement

National des Directeurs d’Associations, cette approche « corporatiste

entrepreneuriale » dont nous avons parlé pour les années 1980-2000. Des logiques

identitaires et culturelles profondes se trouvent donc mobilisés autour de ces nouveaux

enjeux de la gouvernance associative. La Sauvegarde du Morbihan, pour ce qui la

concerne, même si elle n’a pas encore pu déployer tous ces enjeux de démocratie

associative, s’y emploie. Elle a résolu au cours des années 2002-2007 les crises

économique, dans le champ de l’insertion, et pédagogique, dans le champ de

l’éducation, qui résultaient pour une part, on l’a vu, du refus de se laisser

instrumentaliser comme prestataire de service lors de la première grande période de

rationalisation de l’action sociale (1975-2002). Elle entreprend, depuis l’élaboration de

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

189

son premier projet associatif (2005-2006), un travail global de renouvellement de sa

gouvernance dont les enjeux et les ressorts restent encore une volonté d’échapper à

l’instrumentalisation et à la pure et simple administration gestionnaire par les pouvoirs

publics, afin d’affirmer au contraire les marges d’initiative et de créativité propre au

monde associatif et garantes d’une véritable dynamique de progrès en matière d’action

sociale. Dans le même temps, la mise en œuvre des outils de la loi du 2 janvier 2002,

la démarche d’évaluation centrée sur l’amélioration continue de la qualité, la

transformation de l’organigramme associatif dans une visée d’efficience renforcée,

mais également le travail de réseau actif avec les autres partenaires associatifs visent

à utiliser toutes les ressources techniques et les contraintes fixées par la loi comme

autant de supports et de leviers pour dynamiser une conception de l’association et de

sa légitimité fondée sur une dimension coopérative, mutualiste et démocratique

susceptible de refonder le fait associatif.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

190

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

191

II - Politiques publiques et associations : les termes

d’un nouveau pacte social

Organisation coopérative et démocratie associative

C’est sur le plan de l’organisation concrète de la Sauvegarde 56 que nous souhaitons

traduire à présent la problématique qui précède concernant les enjeux de la

gouvernance associative aujourd’hui. Bien sûr, plusieurs objets de recherche et

plusieurs approches seraient mobilisables à cet égard : l’approche culturelle et

identitaire, par exemple, renvoyant les choix de gouvernance aux grandes typologies

de l’associatif qui ont structuré en France le champ de l’action sociale. L’accent

pourrait également être mis, avant tout, sur mobilisation démocratique et participative

de toutes les partie-prenantes au projet associatif. La question du dialogue social au

sein de l’organisation, la façon d’aborder, par exemple, les enjeux de conflictualisation

autour de la rénovation de la Convention Collective 66 pourraient également constituer

une autre porte d’entrée pour aborder cette problématisation de la gouvernance

associative. Le positionnement encore de l’association dans le cadre d’une nouvelle

configuration des territoires de l’action sociale, avec la participation aux schémas

territoriaux avec les logiques d’acteurs collectifs et en réseau que cela suppose

traduirait quant à elle la conception sous-jacente de la gouvernance à l’œuvre au sein

de l’association aujourd’hui et sa recherche d’articulation avec une régulation publique

conventionnée. Un travail approfondi sur chacune de ces problématiques secondaires

serait sans doute de nature à traduire une philosophie de l’action convergente en ce

qui concerne l’association. Nous avons choisi, dans le cadre de ce travail, et au regard

de la phase de transformation en cours de nous intéresser à la question de

l’organisation dans la mesure où elle présente l’avantage de faire le lien entre la

logique de l’intervention, avec la clinique qu’elle sous-tend, et celle de la dimension

politique de l’association à laquelle sont convoqués les acteurs de la nouvelle politique

territoriale de l’action sociale. C’est ainsi, au cœur de l’utilité sociale de l’association,

que nous souhaitons vérifier les enjeux d’une gouvernance, reposant sur une

organisation professionnelle traduite elle-même par des modalités d’action structurées,

qui soit susceptible de contrecarrer les effets déstructurants d’une conception

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

192

purement utilitaire et instrumentale de l’individu et de l’usager tels que nous avions pu

les percevoir dans le cadre de l’analyse de l’ouvrage de Jacques Généreux, la

Dissociété105, ou dans l’enseignement d’Alain Caillé106.

C’est autour d’une nouvelle conception de l’autorité, horizontale, ouverte, coopérative,

et en réseau, se démarquant à la fois de la structure floue, en étoile autour d’une

personnalité garante des clés essentielles par la maîtrise du système relationnel,

caractérisant le fonctionnement charismatique, mais tout autant de la structure

bureaucratique, verticale et imposée de l’autorité, fondée sur la norme et la règle, que

nous allons nous efforcer de vérifier concrètement les fondements de la gouvernance à

l’œuvre dans l’association. Ce faisant, il s’agira également de définir la manière

singulière dont l’organisation se saisit de l’ensemble des contraintes mais aussi des

ressources technocratiques et gestionnaires structurant de manière toujours plus

précise le secteur de l’action sociale. Cette culture technocratique s’impose en effet de

manière de plus en plus manifeste et incontournable comme la structure de fond de

toutes les organisations professionnelles, qu’elles relèvent du monde de

l’entreprise, de l’administration ou de l’association. Toutefois, chaque organisation est

amenée à composer de manière originale et particulière avec cette structure de fond

où la technique et la gestion jouent le rôle majeur. Nous allons voir, en ce qui concerne

la Sauvegarde 56, comment les approches administratives et technocratiques qui

s’imposent désormais à l’ensemble du champ social peuvent être mises à contribution

d’une dynamique coopérative et foncièrement associative, là où la structure

charismatique antérieure, sur laquelle avait été fondée, et dans le cadre de laquelle

s’était développée l’association, s’était trouvée, elle, confrontée à une crise majeure et

avait été tenue en échec. Le passage du charisme à la coopération est ainsi une

manière de remobiliser fortement les ressources des acteurs, non plus dans le sens

d’un assujettissement et d’une dépendance aux figures tutélaires de l’autorité qui ont

fondé la culture du secteur, mais dans celui d’une circulation du sens entre tous les

« auteurs » que sont tous les acteurs et toutes les parties prenantes de l’association.

105 Cf. note de lecture. 106 Cf supra, Introduction.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

193

Une organisation coopérative articulée aux politiqu es publiques au service des

usagers

C’est la mise en œuvre d’une démarche coopérative au sein de la Sauvegarde 56 qui a

conduit à la transformation de l’organisation professionnelle. Le projet associatif, lui-

même, a permis la transmission de cette démarche, jouant à la fois le rôle de

traducteur pour les professionnels et d’accélérateur des réformes. Mais il est important

de rappeler que cette démarche coopérative, elle-même, résultait d’un travail conduit à

partir de l’impasse dans laquelle les comportements des jeunes violents avaient placé

les équipes éducatives des internats à la fin des années 90. C’est donc par la prise en

compte de la parole, même implicite et souvent symptomatique, des usagers

qu’étaient, en l’occurrence, les jeunes des internats éducatifs historiques de la

Sauvegarde que le système d’ensemble a pu commencer à bouger. L’enjeu consista

alors à quitter le modèle traditionnel de réponse d’ « encadrement », reposant sur des

postures éducatives et un système d’autorité et de valeurs vertical et relativement clos

sur lui-même, et à inventer des dispositifs beaucoup plus ouverts et reliés entre eux

permettant aux jeunes d’inventer leur parcours en référence à un système d’autorité

dès lors beaucoup plus circulaire et signifiant, mis en œuvre par les adultes. Cette

réforme du système d’autorité est fondamentale pour comprendre la nature des

changements apportés à l’organisation professionnelle, que ce soit sur le plan de la

structure ou de la culture. Il est essentiel de souligner qu’elle résulte, avant tout, d’une

modification de la conception même de l’usager, et pas seulement de sa place comme

y enjoint la Loi du 2 janvier 2002 ! D’un adolescent et de sa famille, qu’il s’agissait

avant tout d’ « encadrer », et donc en quelque sorte de « ré-éduquer », on est passé,

en effet, à une prise en compte globale et systémique de l’adolescent, de sa famille et

de l’institution, dans la mobilisation d’une nouvelle conception du rôle de cette dernière,

en particulier, comme devant véritablement « engendrer » les jeunes au sens de leur

parcours de vie, soit en quelque sorte faire avec une certaine non-maîtrise, une certain

manque, de structure, du côté de l’origine : ce qui revient à les considérer comme des

sujets naissants, et non plus seulement à se contenter de les « encadrer » ou de les

« ré-éduquer », fut-ce par des idéaux ou des valeurs éducatives normatives.

Cette modification du regard et de la posture éducatives a été rendue possible par la

modification de l’organisation de l’association tout autant qu’elle a rendu possible cette

dernière. Nous ne rendrons pas compte dans ce travail de l’analyse stratégique et des

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

194

jeux d’acteurs, facilitateurs ou freins dans cette transformation, et ce de manière

quelquefois tout à fait paradoxale, l’intelligence systémique d’un niveau d’action et les

jeux de pouvoir qui pouvaient s’y développer pouvant constituer une résistance pour un

changement institutionnel plus global. On avait vu ainsi ce mécanisme à l’œuvre très

tôt dans l’association avec l’autonomisation de l’équipe d’AEMO de Vannes107 qui, sur

la base du développement d’une forte compétence systémique entretiendra longtemps

une tension dialectique mais fructueuse avec l’institution Sauvegarde. C’est

notamment par généralisation et ouverture de cette culture systémique, en

commençant par les internats éducatifs en crise, et en l’articulant avec une conception

renouvelée de l’institution, fondée sur la notion de cadres et de dispositifs articulés de

travail, en référence notamment à l’analyse psychosociologique des institutions

développée par l’ARIP108, que s’est engagé de l’intérieur la transformation

organisationnelle de la Sauvegarde 56.

Or cette transformation n’est pas sans écho par rapport à la nouvelle conception de

l’autorité qui fonde la notion de « gouvernance » reposant sur une approche

horizontale et ouverte, s’opposant à la notion de « gouvernement » vertical. « Le

gouvernance, en son acceptation la plus neutre, renvoie aux modes de répartition des

pouvoirs entre une multiplicité d’acteurs et aux processus de décision politique qui,

dans la société, permettent d’élaborer et de mettre en œuvre ce qui est considéré de

manière légitime comme des biens publics. »109 Se met en place une sorte de

synergie entre un nouveau modèle pédagogique, une forme d’organisation moins

segmentée et reliant l’ensemble des acteurs d’un champ autour d’un projet unifié, la

gouvernance associative au sens large d’une forme de relation réinventée de toutes

les parties prenantes autour du bien commun et du projet, et la gouvernance publique

enfin, comme capacité pour les pouvoirs publics de piloter tout un ensemble d’acteurs

dans la mise en œuvre de logiques d’action au service de l’intérêt général. Au modèle

vertical et bureaucratique, reposant sur l’imposition et sur la règle, succède dans tous

ces champs un modèle beaucoup plus horizontal, en réseau, reposant sur la

négociation, l’ajustement permanent, et la participation. Cependant, un certain hiatus

peut survenir entre la transformation d’une organisation comme la Sauvegarde 56 et

celle des modes de pilotage des pouvoirs publics. Comme nous l’avons vu, il est

107 Cf. Supra 108 Cf. Introduction 109 Fabrice Traversaz, « Gouvernance et changement des associations gestionnaires », SciencePo formation, 20 juin 2008.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

195

tentant pour les pouvoirs publics de passer de la logique de régulation tutélaire,

verticale et bureaucratique, à une logique de régulation technocratique qui, en dépit de

textes d’orientation préconisant des pilotages participatifs et des modes d’élaboration

reposant sur la co-construction avec les partenaires, s’impose en fait comme une

véritable mise au pas normative des associations.

La dialectique de l’articulation entre une démarche coopérative de changement et

l’approche gestionnaire d’un Conseil Général a été illustrée, par exemple, pour la

Sauvegarde 56 en 2007 par la signature d’un protocole d’accord visant à une

réorganisation des services de la protection de l’enfance et faisant suite au projet

associatif. Celui-ci a fait l’objet de travaux d’approche extrêmement laborieux, la

sollicitation explicite d’une aide adressée par l’association au Conseil Général afin que

celui-ci l’aide à accomplir les transformations engagées sur la base des différentes

logiques énoncées ci-dessus, se traduisant, au contraire, par la multiplication

d’obstacles divers à cette visée de changement. Il est vrai que l’association sortait tout

juste d’une profonde crise économique d’une quinzaine d’années et qu’elle dépendait

alors totalement de la bonne volonté du Département pour réussir cette sortie : elle

devait encore faire ses preuves ! Mais la structure elle-même du Conseil Général se

présentait alors, en matière de protection de l’enfance, comme une organisation

extrêmement clivée peu en mesure de prendre en compte sinon d’accompagner les

dynamiques de changement à l’œuvre dans l’association. C’est pourquoi l’invention

d’une nouvelle forme de régulation entre pouvoirs publics et associations, prenant en

compte l’ensemble des changements mis en œuvre et se refusant à une simple

prescription administrative extérieure constituera, pensons-nous, à l’avenir, l’une des

clés de la réussite des politiques publiques, en matière d’action sociale.

L’enjeu de la co-construction d’une régulation conv entionnée entre politiques

publiques et associations

Le risque majeur que fait courir aux politiques d’action sociale l’ensemble des outils

gestionnaires promus aujourd’hui par les administrations pour réguler les modes de

dirigeance associatifs est celui d’une instrumentalisation qui ne tiendrait pas

suffisamment compte de la complexité de l’héritage institutionnel des associations à

transformer de l’intérieur, ni de la capacité de changement des pilotages publics eux-

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

196

mêmes. Or, c’est à cet interface que se joue pourtant tout l’enjeu à la fois d’une

meilleure dirigeance de l’action sociale intégrant l’ensemble des ressources des

acteurs publics et privés et également d’une meilleure gouvernance garante d’une

contribution de l’ensemble des « biens communs » portés par les acteurs collectifs que

sont les associations dans l’espace politique.

L’instrumentalisation, ou encore l’accentuation de la logique de régulation tutélaire par

déplacement technocratique des administrations sans transformation de leur mode de

dirigeance verticale, peut simplement consister en une sorte de court-circuit entre une

conception individualiste et utilitariste de l’usager-client et le développement d’une

rationalisation de l’action fondée sur la mise en concurrence, l’appel d’offre au service

de ce bénéficiaire potentiel. C’est, bien sûr, écraser considérablement la conception

de l’individu développée dans les associations, avec leurs systèmes de valeurs, leurs

professionnels, et leurs méthodes d’intervention. La conception de l’usager-client, si

elle est conforme à l’anthropologie sous-jacente à l’économie libérale110 s’éloigne, en

effet, considérablement des conceptions de la personne et du sujet qui fondent l’action

sociale. Or ces conceptions sont tout sauf instrumentales. Qu’il s’agisse de la

« personne », dans ce qu’elle a « d’inappropriable pour elle-même ou par des

tiers »111, et dont l’intégrité n’est pas sans lien avec le sujet clinique des

professionnels, qu’il s’agisse du sujet de droit constitué comme acteur social par la

collectivité par un tout un ensemble de prérogatives d’actions et d’obligations qui

fondent sa capacité juridique, qu’il s’agisse enfin du citoyen fondé également en droit à

participer à la sphère politique, on est loin, en effet, de ce réductionnisme qui semble

guider le plus souvent aujourd’hui les logiques d’action sociale.

Sans la mobilisation de la ressource d’institutions intermédiaires112 supposant aussi les

marges de manœuvre suffisantes pour qu’elles inventent de nouvelles formes de

légitimité, comment pourrait se développer une régulation vraiment démocratique de

l’action sociale par les politiques publiques ? Le développement d’une régulation

conventionnée suppose un véritable processus de co-construction du champ d’activité

entre acteurs associatifs et responsables publics. Autant qu’il implique de la part de

ces derniers de surmonter la tentation de la seule logique gestionnaire pour ouvrir au

110 Cf. note de lecture consacrée à l’ouvrage de Jacques Généreux, La Dissociété, Op. cit. 111 Robert Lafore, Intervention aux journées de Paris du GNDA, mars 2009 112 Renaud Sainsaulieu, Des sociétés en mouvement, La ressource des institutions intermédiaires, Desclée de Brouwer, Paris 2001

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

197

contraire des espaces de concertation, d’élaboration et de décision susceptibles de

prendre en compte la multiplicité des paramètres mais aussi des acteurs impliqués.

Ainsi l’attribution des financements repose-t-elle alors sur des règles définies dans le

cadre d’un débat ouvert avec l’ensemble des parties prenantes : le prix n’est dès lors

pas le seul critère discriminant mais la dimension d’utilité sociale est également prise

en compte, ainsi que la valorisation des réseaux d’acteurs ou encore du projet

associatif ou inter-associatif113.

La transformation conduite au sein de la Sauvegarde 56 n’aurait pas pu être le fruit

d’une seule approche gestionnaire, technocratique ou tutélaire de la part des pouvoirs

publics. L’application stricte de celle-ci aurait d’ailleurs conduit l’association à une

sérieuse mise en difficulté économique et, dans le pire des cas, à un dépôt de bilan

comme ce fut le cas pour plusieurs des associations filiales. Ce n’est pas ce qui s’est

passé. Les efforts de la Sauvegarde pour s’impliquer dans le champ de l’insertion,

même si les bases gestionnaires n’étaient pas consolidées, ont été pris en compte et

considérés, le Département se sentant de plus en plus concerné lui-même par ce

secteur d’action touchant à la précarité sociale. Un compromis a donc été trouvé sur le

plan financier, la réalisation d’éléments du patrimoine de la Protection de l’Enfance

venant, avec l’accord du Conseil Général, sécuriser la trésorerie de l’association.

La reconnaissance de la Direction Générale de l’association en 2004 sur la base du

récent décret de tarification a, elle aussi, fait l’objet de négociations serrées. Mais, au

final, les outils ont été donnés à la Sauvegarde 56 pour conduire son changement et

poser les bases d’une modernisation conduisant au projet associatif, à la mise en place

d’une évaluation interne et d’une démarche d’amélioration de la qualité, au

développement d’une politique de gestion prévisionnelle des emplois et des

compétences… C’est désormais le pôle Ressources de l’association qui sera

principalement en charge de ces logiques d’action. Mais nous l’avons vu, c’est surtout

sur la base de son organisation interne que l’association s’est déplacée sans d’ailleurs,

jusqu’alors, trouver l’écho des changements qu’elle promouvait du côté des dispositifs

publics qu’il s’agisse de l’Etat, à travers la DDASS et la Protection Judiciaire de la

Jeunesse, ou à travers le Département.

113 Elisabetta Buccolo, « L’encastrement politique des associations », in La démocratie, un enjeu pour les associations d’action sociale, Desclée de Brouwer, Paris, 2008, pp. 193-208

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

198

Cette transformation de l’association par pôle a eu davantage d’effets, dans un premier

temps, en matière de partenariat avec les autres acteurs associatifs sur les deux

principaux champs d’action : la protection de l’enfance et la lutte contre les exclusions.

Elle a conduit notamment l’association à développer un partenariat étroit dans le cadre

d’un collectif associatif, CAPE 56114, avec plusieurs autres associations de protection

de l’enfance. Ce processus est appelé à se renforcer et à peser sûrement demain dans

le recherche d’une logique conventionnée et collective entre les associations de

protection de l’enfance du département et le Conseil Général. En ce qui concerne le

secteur adultes, l’organisation en pôle de compétence a, de son côté, permis

d’envisager une coopération plus étroite, notamment avec une autre association

lorientaise œuvrant dans le champ de la lutte contre les exclusions et ainsi de

reconfigurer les dispositifs d’intervention sur le département.

L’ensemble de ces transformations demande encore à être reconnu pour que

l’association s’inscrive véritablement dans une régulation publique de type

conventionnée. Actuellement, en particulier du côté du Département, comme c’est le

cas sur l’ensemble du territoire français avec la mise en œuvre de la Réforme de la

Protection de l’Enfance de mars 2007, l’attitude des responsables publics est plutôt

d’affirmer le rôle de chef de file du Président du Conseil Général qu’ils représentent

dans le pilotage de cette réforme. La régulation tutélaire est plus présente que la

régulation conventionnée. D’autant qu’il y a au cours de ce premier semestre 2009 une

vacance de poste à la direction de la DDISS115 et qu’il n’y a donc pas de pilote pour la

mise en œuvre d’instances consultatives ou de décisions. La perspective d’un nouveau

schéma départemental de protection de l’enfance, comme celle de la mise en œuvre

de contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens, que ce soit avec la DDASS pour le

secteur de lutte contre les exclusions, ou avec le département pour la Protection de

l’Enfance, devraient ouvrir à terme des espaces nouveaux de reconnaissance

mutuelle, de collaboration et de participation. La Sauvegarde a travaillé de son côté

avec ses partenaires associatifs afin que cette participation à la définition des

politiques publiques soit conduite sur un mode collectif, articulé et relié, et non pas

concurrentiel et segmenté comme ce fut le cas par le passé.

114 Conférence des Associations de Protection de l’Enfance du Morbihan. 115 Direction Départementale des Interventions Sanitaires et Sociales.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

199

Vers un véritable projet de gouvernance associative pour la Sauvegarde 56

mobilisant toutes les parties prenantes de l’associ ation

Nous l’avons vu tout au long de ce travail, les logiques institutionnelles de l’association

ont beaucoup évolué notamment au regard de ce que Fabrice Traversaz nomme les

« polarisations de la régulation associative »116 : Celui-ci identifie trois phases

principales de la régulation interne à l’association que nous avons retrouvées dans le

déroulement de notre étude. La phase de la « régulation politique » correspond à la

phase inaugurale fondée exclusivement sur le bénévolat : c’est « le temps du

mouvement, de l’association militante »117. L’espace public associatif recouvre alors et

englobe celui de l’activité éducative et sociale. La phase que Fabrice Traversaz

nomme ensuite le « conflit de la régulation » correspond à un moment de la

trajectoire institutionnelle où l’association est l’objet d’une processus de différenciation

entre espace public associatif, les instances, et organisation professionnelle qu’il

dénomme alors « organisation missionnaire » en référence à la fois aux pionniers de

l’éducation et du social et également au sursaut entrepreneurial que nous avons décrit

dans un second temps en ce qui concerne la Sauvegarde du Morbihan. Vient ensuite

la phase de la « régulation professionnelle » caractérisée par l’envahissement

gestionnaire qui est le fait du contexte, de l’environnement, des exigences

administratives mais qui se traduit aussi de l’intérieur de l’organisation par de nouvelles

exigences fondées sur des compétences elles-mêmes informées par les cadres

réglementaires. C’est le temps écrit Fabrice Traversaz de « l’isomorphisme

institutionnel » où l’organisation finit par se confondre avec les administrations sur

lesquelles elle est adossée, n’est plus qu’un « faux nez associatif » qui masque en fait

une « bureaucratie professionnelle ». Si dans la phase précédente l’espace public

associatif et l’organisation professionnelle restent bien distinctes et plutôt clivées, dans

cette phase de l’isomorphisme institutionnel, marquée par la prégnance de la

régulation professionnelle, l’espace public associatif est pratiquement entièrement

recouvert par l’excroissance de l’organisation professionnelle, elle-même envahie par

une logique gestionnaire.

Nous avons pu observer ces différentes phases au cours de notre étude qui débouche,

nous l’avons vu, sur une véritable « crise associative ». En ce qui concerne la

116 Fabrice Traversaz, « Gouvernance et changement des associations gestionnaires », Diaporama Op. Cit. 117 Idem

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

200

Sauvegarde du Morbihan, la conséquence de cette crise est tout simplement la mise

sous tutelle financière de l’association par le Département, ce qui correspond, en

interne, à une sérieuse interrogation sur le mode de dirigeance de l’association. Mais

Fabrice Traversaz, là encore, va plus loin pour caractériser cette crise globale,

systémique, du modèle associatif lorsqu’arrive ce temps de l’isomorphisme

institutionnel. Il constate une crise du bénévolat et du militantisme, très observable à

La Sauvegarde 56 où, on l’a dit, le nombre des adhérents passe de 120 au début des

années 70 à une trentaine en 2000. Cette crise de l’engagement se traduit encore par

une très faible participation des parties prenantes à la vie de l’association. Les

professionnels eux-mêmes se sentent de plus en plus professionnels et sont de moins

en moins impliqués par le fait associatif. Il constate également une absence de projet

politique ou sinon, « le rabattement de celui-ci sur le registre technique et

gestionnaire ». Le premier projet associatif de la Sauvegarde 56 est, on l’a vu, avant

tout un projet d’organisation qui touche encore relativement peu à l’espace public

associatif et à la mobilisation des parties prenantes. Lors de la période de

développement entrepreneurial, on a pu observer également « le problème de la

transparence entre les espaces et les groupes d’acteurs de la décision » : régnait en

fait la plus grande « ambivalence » quant aux formes d’autorité légitime, le lieu réel du

pilotage étant, en fait, celui de la dirigeance associative. C’est sur le fondement de ce

« contre-pouvoir professionnel », ancré dans des stratégies de reproduction que

Fabrice Traversaz peut parler d’un « gouvernement sans gouvernance » et, par

ailleurs, d’une sorte de « désinstitutionalisation de l’association comme espace

intermédiaire entre l’Etat et la société civile ».

En fait, en ce qui concerne la Sauvegarde du Morbihan, la tentative d’ancrer

l’association dans la société civile par le choix de Présidents qui en étaient issus a bien

eu lieu. Mais cette tentative a été conduite sans mobilisation politique et collective

d’envergure, davantage en référence au modèle charismatique qui structurait

l’organisation professionnelle. C’est pourquoi l’association abordera affaiblie la période

de l’inéluctable rendez-vous avec les pouvoirs publics qui, depuis son origine, en ont

organisé en quelque sorte le déploiement. Depuis 2002, la question de la gouvernance

de la Sauvegarde 56 s’est posée avec toujours plus d’acuité. La nomination en 2004

d’une nouvelle Présidente, Andrée Cario, porteuse de fortes valeurs, à la fois en

matière d’action sociale, de solidarité, d’ambition associative, est venue donner un

nouvel élan à cette refondation associative.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

201

C’est sous la présidence d’Andrée Cario qu’a été conduit le premier projet associatif

constituant le premier point d’accord en matière de gouvernance et, en quelque sorte,

la pierre de touche de la régulation associative. On l’a vu, c’est de ce projet, que toute

une nouvelle vision de l’organisation associative découle. Deuxième point d’accord,

c’est la recherche d’un plus grand équilibre entre pouvoirs et contre-pouvoirs au sein

de l’association. En dépit de quelques résistances professionnelles, l’affirmation du rôle

plus grand des administrateurs et leur plus grande information concernant la vie des

pôles est favorablement accueillie par le plus grand nombre de professionnels. Cette

recherche d’équilibre débouche naturellement sur une formalisation des

responsabilités et des délégations : les statuts ont été revus dans ce sens ; le

règlement général de fonctionnement a été complété ; une formation des

administrateurs et des cadres sur les délégations a été instaurée et l’élaboration de

l’ensemble des documents de délégation sera effectuée au regard du nouvel

organigramme qui se met en place. Autre point d’accord dans l’association, même si là

encore quelques résistances ont pu être notées, c’est le lancement d’une démarche

d’évaluation interne globale à l’ensemble de l’organisation et impliquant l’espace public

de l’association lui-même. Sans doute la limite de cette démarche est qu’elle reste

large et ne descend pas suffisamment dans la précision de l’évaluation des actions

conduites auprès des usagers. Mais le grand avantage de sa dynamique d’ensemble

est qu’elle cherche avant tout à faire le lien, en termes de gouvernance, entre toutes

les parties prenantes de l’association : les administrateurs et les professionnels, certes,

mais également les usagers, les bénévoles, les adhérents, les partenaires, les citoyens

impliqués aux côté de l’association sur les territoires.

Cette approche globale, par l’évaluation et la qualité, est peut-être de nature à

permettre à l’association de dépasser les points de débat qui demeurent en matière de

gouvernance, notamment la question du lien entre usagers et associations. La Loi

2002-2 a placé l’usager au centre de l’action professionnelle et a prévu des outils à cet

effet ; mais elle n’a rien dit du lien de l’association aux usagers. Or c’est bien autour de

cette question que peut se jouer une « réinstitutionnalisation » de l’Association comme

espace intermédiaire entre les pouvoirs publics et la société civile. Si les élus que sont

le Président du Conseil Général ou le Maire sont nommés chefs de file de l’action

sociale pour les missions qui leur sont confiées, n’est-ce pas dans l’interaction avec

des espaces intermédiaires eux aussi en lien, non seulement par des prestations

techniques mais également par de véritables espaces politiques de rencontres avec

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

202

les citoyens, qu’ils pourront atteindre leurs objectifs ? En 2008 l’association organisait

une journée associative sur cette question du lien, par-delà la loi du 2 janvier 2002,

entre association et usagers. En 2009, une première journée événement est créée afin

de favoriser la rencontre entre les différentes parties prenantes de l’association et

particulièrement avec des usagers autour d’un événement sportif et convivial. Dans les

plans d’action qui font suite à la démarche associative d’auto-évaluation des

perspectives sont également posées à cet égard notamment autour de la création d’un

Conseil de la Vie Associative impliquant des représentants d’usagers, des

administrateurs, des adhérents, des professionnels…

Dans la même visée d’une refondation de la gouvernance associative, une charte des

bénévoles au sein de la Sauvegarde 56 a été élaborée dans le but d’arrimer plus

fortement ces acteurs, qui étaient jusqu’à présent davantage attachés à une équipe, à

la dynamique associative. Là encore ce fut une initiative portée par l’association et sa

présidente de créer volontairement ce lien afin de relier certains particularismes de

l’organisation professionnelle et si possible de les étendre en les faisant davantage

participer au « bien commun » de l’association.

Ce processus, en cours à la Sauvegarde 56, de transformation des relations entre le

politique et le technique peut-être perçu, ainsi que le propose Fabrice Traversaz,

comme une véritable stratégie associative d’adaptation dans le contexte

d’isomorphisme institutionnel que nous avons décrit. Il constituera certainement la

trame du prochain projet associatif de l’association qui, à échéance 2011-2012 devrait

être en mesure de poser les bases beaucoup plus politiques que celles du premier

projet en vue de la refondation de la gouvernance associative et de la mobilisation de

toutes ses parties-prenantes. Quoiqu’il en soit, l’étape qui a consisté en une refonte de

l’organisation autour de la création de pôles de compétence et d’une équipe de

direction générale, dans une visée de coopération généralisée, interne et externe, et

en particulier d’une meilleure formalisation de la coopération entre le politique et le

technique, aura constitué une phase nécessaire pour faire passer l’association d’une

logique avant tout centrée sur la personnalité de l’acteur à une logique collective,

participative et « politique » impliquant la ressource de tous les acteurs dans une

dynamique commune de changement. Du positionnement des politiques publiques à

l’égard du fait associatif et des marges de manœuvres qu’elles voudront bien laisser

aux associations, de l’avenir des territoires, mais aussi de la réussite de cette

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

203

dynamique interne et partenariale de changement, dépendra la refondation ou non de

la gouvernance associative pour les associations comme la Sauvegarde 56.

Ajoutons que la conduite du changement au sein de l’organisation professionnelle, si

elle dépendra pour une part de l’unification stratégique de l’équipe de direction

générale, intégrant les directeurs de pôle, reposera aussi pour une grande part, à

l’intérieur des pôles, sur une mobilisation du rôle décisif des acteurs de l’encadrement

intermédiaire que sont les chefs de service et les directeurs adjoints. Comme celle qui

a procédé au changement global de l’association, c’est une démarche expérimentale et

évaluative qu’il s’agit avec eux de déployer. La transformation progressive laisse le

temps de l’élaboration du projet en ménageant des étapes transitoires dans la

perspective d’un modèle-cible d’organisation. Le temps de l’expérimentation est en

particulier décisif. Il s’agit d’être en mesure de s’accorder sur ce qui marche ou ne

marche pas : c’est une démarche évaluative qui cherche à mettre en évidence ce qui

fonctionne de manière expérimentale. La référence à des intervenants tiers est aussi

une clé essentielle pour accompagner ce registre processuel de changement sur la

base de la formation continue des cadres intermédiaires qui sont ceux qui le mettent

vraiment en œuvre avec tous les professionnels de l’association.

En ce qui concerne les dynamiques bénévoles, Fabrice Traversaz118 identifie plusieurs

tendances : les logiques de l’aide « gestionnaire » ou de l’aide « notabilaire » en

particulier. Si la Sauvegarde du Morbihan a mobilisé par le passé cette seconde

logique notabilaire, avec la figure en particulier de Madame Court qui l’a redressée, on

l’a vu, lors d’une période critique, on peut dire que celle de l’aide gestionnaire n’a, par

contre, jamais été vraiment mobilisée du côté de l’instance associative. Cette

dimension a toujours été renvoyée au cadre de l’organisation professionnelle. Avec le

recrutement d’une directrice administrative et financière en 2000, l’association a

clairement institué cette fonction de gestion et de contrôle financier du côté de

l’organisation socio-technique. Aussi est-ce une autre figure qui émerge désormais du

côté des instances associatives : celle de la « militance institutionnelle »,

particulièrement incarnée par la présidente. C’est tout le sens de la période actuelle,

située entre deux projets associatifs, l’un à vocation plus organisationnelle, l’autre à

visée davantage politique, au cours de laquelle l’objectif posé est d’accroître le nombre

d’adhérents, de mobiliser davantage les parties prenantes, de créer par des

118 Fabrice Traversaz, op. cit.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

204

événements appropriés davantage de circulation de la parole entre elles et de

construire des réseaux inter-associatifs référés au champ de l’économie sociale et

solidaire119.

Ainsi l’association après avoir connu une forme de régulation, entre espace politique et

technique, plutôt imposée par l’autonomie professionnelle est-elle en voie de mettre en

œuvre une forme cette fois négociée de régulation conjointe, reposant sur une vision

de la militance partagée. C’est cette référence commune à une nouvelle vision de

l’associatif, fondée sur les valeurs démocratiques de l’économie sociale, donnant du

poids à l’hybridation des ressources, y compris non monétaires, et de la solidarité qui

peut lui permettre de transformer, sinon de dépasser, la tension structurelle qui la

traverse en termes de gouvernance entre composante politique et composante

technique. Cet équilibre reste fragile. Fabrice Traversaz situe « la dyarchie » comme

problème structurel de la gouvernance des associations gestionnaires. Certains

pensent même qu’il est temps de mettre un terme à l’ambigüité en situant plus

clairement ces organisations dans le cadre d’un statut gestionnaire para-public de droit

privé. Nous pensons quant à nous que c’est à tenter vraiment de mobiliser la ressource

solidaire et démocratique de telles associations qu’elles pourront le mieux jouer leur

rôle dans les mutations de l’action sociale aujourd’hui.

119 Cf Annexe Rapport moral de la Présidente communiqué lors de l’Assemblée Générale de juin 2009

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

205

III - Un nouveau paradigme pour l’institution en

action sociale

Les associations d’action sociale au défi d’entrepr endre !

A quelles conditions les associations d’action sociale peuvent-elles représenter une

alternative institutionnelle et politique crédible par rapport à l’affirmation d’une

gouvernance publique renforçant très fortement sur elles son emprise administrative et

réglementaire ? Y-a-t-il une approche politique de la gouvernance dont l’association

pourrait soutenir la visée et qu’elle pourrait incarner ou bien doit-on se résoudre à la

seule logique utilitaire, gestionnaire et instrumentale dont la contrainte même se fait de

plus en plus lisible et pressante à travers les concentrations recherchées, les

regroupements et toujours la rationalisation des moyens ? Cela indépendamment de

toute considération de l’histoire même des associations, des mobilisations humaines

qui les ont construites et des valeurs qui les ont animées !

Depuis une dizaine d’année deux mouvements parallèles semblent mobiliser l’énergie

de ces organisations associatives. L’un s’attache avant tout à la mise en conformité

des dispositifs professionnels par rapport à une production de réglementation sans

précédent qu’illustre notamment la loi du 2 janvier 2002 mais également tout un

ensemble de textes législatifs venant préciser le cadre gestionnaire des associations et

leur sujétion à l’appareil public. Dans le même temps, les associations se sont

fortement mobilisées dans la conception et l’écriture de leurs projets, comme s’il

s’agissait de faire contrepoids à une attention portée par les pouvoirs publics presque

exclusivement sur l’encadrement de la prestation de service qu’elles mettaient en

œuvre. Non pas que les projets étaient auparavant inexistants, mais il n’avait pas

semblé nécessaire de les formaliser, le développement des services dans une période

de forte sollicitation suffisant généralement à structurer l’identité associative.

Généralement les projets associatifs ont redonné une assise collective à des

dynamiques d’acteurs professionnels et bénévoles exerçant leurs rôles dans des

sphères bien souvent étanches les unes par rapport aux autres. Les administrateurs

étaient garants auprès des pouvoirs publics d’un développement de l’organisation

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

206

professionnelle qui s’opérait le plus souvent sans eux. Mais ces projets ont-ils pour

autant réinventé les conditions d’une véritable démocratie associative susceptible, face

au tout bureaucratique et au tout consumériste, d’offrir une véritable vision renouvelée

de la politique sociale de notre pays ?

La grande difficulté à rassembler les réseaux associatifs, à unir les fédérations, à

inventer une véritable force citoyenne susceptible de peser sur des orientations

technocratiques, sources croissantes de morcellements et d’individualisations sans fin,

trahit la faiblesse actuelle et l’absence d’une véritable vision susceptible de relever le

défi de l’ambition associative. La faible résistance des cultures associatives face aux

logiques d’instrumentalisation, pourtant largement repérées, qui s’imposent à elles

manifeste, elle aussi, l’absence d’une base et d’une force démocratiques construites et

affirmées ainsi que la trop grande personnalisation des figures historiques sur

lesquelles a reposé le déploiement professionnel du secteur.

Toutefois des options semblent peu à peu se dégager aujourd’hui clarifiant les choix

stratégiques et idéologiques opérés par les différents acteurs du champ associatif. Au

risque de paraître volontairement simplificateur, nous dirons que certains acteurs

anticipent d’ores et déjà le modèle abouti d’une administration publique du secteur

associatif, estimant que la seule logique est à terme celle de l’isomorphisme,

l’association d’action sociale, adossée depuis si longtemps à l’administration, ne

pouvant finir que par s’identifier à elle et donc lui ressembler. Dès lors, pensent-ils,

autant opter pour une accélération du processus en cherchant à simplifier

l’organisation administrative du secteur et en optant pour le regroupement des acteurs

dans une optique avant tout technique et gestionnaire susceptible d’adapter au mieux

le dispositif à la commande et à l’administration publiques. Les stratégies sont

clairement de l’ordre d’un rapprochement avec les opérateurs publics dans un souci de

participer à une plus grande fluidité de l’action administrative. La dimension associative

est peu valorisée quant elle n’est pas purement et simplement niée dans sa capacité

de refonder une alternative face à l’inéluctable gestion bureaucratique du social qu’il

s’agit d’accompagner et au besoin de devancer. A l’horizon de ce modèle on voit se

profiler de grosses structures départementales, régionales, voire nationales, jouant au

sein du secteur associatif le rôle de traducteurs de la commande publique et ayant

réduit au minimum leur propre dimension de politique associative.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

207

Même si elles paraissent moins visibles d’autres approches s’affirment par ailleurs,

notamment en référence au champ de l’économie sociale et solidaire, considérant que

tout n’a pas été fait pour replacer l’association sur ses bases et chercher en quelque

sorte à nouveaux frais, dans un contexte inédit, les conditions d’une nouvelle vitalité

associative et d’une affirmation de son caractère spécifique non réductible à la logique

de l’entreprise ni à celle des services publics.

Plusieurs traits caractérisent ces associations : elles cherchent d’abord à refonder une

dimension politique en élargissant leur base d’acteurs et en cherchant à impliquer

toutes les partie-prenantes, bénévoles, salariés, usagers, à la conduite du projet. Elles

privilégient la construction de réseaux en respectant les identités, les valeurs et les

histoires d’acteurs collectifs plutôt que la concentration gestionnaire. Elles considèrent

leur rôle au sein de la cité comme débordant très largement la prestation de service qui

leur est déléguée. Elles envisagent enfin l’exercice de leur mission comme devant être

mieux garanti, y compris dans sa dimension technique et clinique, par un dispositif

associatif où l’ensemble des acteurs concourent à l’élaboration d’un cadre

d’intervention intégrant non seulement la dimension psychosociale mais aussi politique

de l’usager et de sa demande.

Un nouveau paradigme impliquant une nouvelle straté gie de pilotage

institutionnel

La conduite du changement dans les associations d’action sociale repose désormais

sur un véritable changement du paradigme sur lequel elles ont été fondées. Ce

changement présente des risques. Michel Chauvière y voit par exemple celui de la

« chalandisation », c'est-à-dire d’une sorte de marchandisation généralisée des

services aux personnes120. C’est par l’abandon de la dimension instituante des

pouvoirs publics et par la déstructuration des champs de qualification des acteurs au

profit d’une seule logique instrumentale, rationnelle, gestionnaire et finalement

marchande qu’il perçoit avant tout la dégradation de l’action sociale et l’abandon de

ses dynamiques solidaires. Sans nous laisser enfermer dans cette hypercritique, nous

120 Michel Chauvière, « Qu’est-ce que la « chalandisation » ? », Informations sociales 2009/2, p. 128-134

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

208

en percevons pourtant bien les fondements, constatant notamment avec lui que

certaines associations, « cédant à ce tropisme et incertaines dans leur statut de

« faisant fonction », ont trouvé intérêt à se redéfinir moins comme des institutions

fondatrices de la société que comme des organisations productives de certaines

prestations. »121 Or, nous faisons le pari que ce n’est pas là la seule issue pour les

associations d’action sociale et nous nous efforçons d’expérimenter, comme cette

analyse institutionnelle le montre, avec d’autres responsables du secteur associatif

qu’une autre voie est possible ainsi qu’une autre compréhension des enjeux du

changement. Car nous pensons qu’il y a un autre point de vue sur les changements en

cours, et que la marchandisation n’est pas le dernier mot de l’action sociale. C’est

pourquoi il nous importe, en concluant, de développer cet autre point de vue sur le

nouveau paradigme de l’action sociale. Et nous faisons l’hypothèse que c’est en

favorisant à tous les niveaux, et par tous les acteurs, l’intériorisation de ce nouveau

paradigme et de ses conséquences que nous nous donnerons le maximum de

chances pour une refondation du « bien commun » associatif, tout en créant les

conditions pour que toutes les parties prenantes y participent pleinement. Cela passe

nécessairement par une transformation de la gouvernance qui, elle-même, implique

une reconfiguration de l’organisation et de l’espace d’action de la dirigeance

associative. C’est ce que nous avons tenté d’exposer tout au long de ce mémoire, mais

nous voudrions dans cette conclusion éclairer d’un nouveau point de vue, au regard de

ce changement de paradigme de l’action sociale, les phases de transformation de la

Sauvegarde 56 et tenter de dessiner quelques-unes des perspectives qui s’offrent à

elle aujourd’hui.

Nous emprunterons à Robert Lafore les éléments de l’analyse de ce changement de

paradigme du travail social. Dans un bref article publié en 2009122, il pose l’hypothèse

d’une transformation substantielle qui, par touches successives et par législations

accélérées, mais aussi, à partir des années 80, par un changement radical du contexte

et de la manière dont se posait la question sociale, affecte en profondeur en particulier

les métiers du social, la pratique des professionnels mais également les modes de

gestion et le cadre des organisations qui les emploient. C’est en tenant compte de

cette nouvelle donne que les associations d’action sociale doivent repenser les termes

de leur fonction symbolique, politique et technique. Si certains constats sont les

121 Ibid. p. 131 122 Robert Lafore, « Le travail social à l’épreuve d’un environnement institutionnel en recomposition », Informations sociales 2009/2, N° 152, p. 14-22.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

209

mêmes que ceux posés par Michel Chauvière dans ce même numéro de la revue

Informations sociales consacré aux dynamiques du travail social, par contre l’analyse

institutionnelle des enjeux est radicalement différente. Nous en conserverons l’idée

générale que la conduite du changement dans les associations d’action sociale doit

aujourd’hui envisager tous les paramètres, et cela de manière systémique et globale,

et non pas se contenter d’une seule ligne de lecture critique ou bien d’une seule

logique d’intervention, sur la sphère professionnelle, par exemple, ou bien sur celle des

instances associatives et de leur dynamique d’adhésion. C’est bien aussi en tenant

compte de l’ensemble de ces paramètres que Fabrice Traversaz analyse la

reconfiguration de l’espace d’action de la dirigeance associative123 : les logiques de

rationalisation et de décentralisation mises en œuvre par les pouvoirs publics ;

l’exigence de qualité de service et de participation de l’usager/client/sujet ; les

dynamiques sociales d’élaboration stratégiques et politiques des projets pour

transformer un espace public associatif en crise ; les dynamiques sociales de

transformation des organisations et des métiers : le tout au service d’une conduite de

changement selon une logique de négociation avec les financeurs, de participation aux

réseaux, de pilotage favorisant les transversalités techniques et politiques, d’animation

managériale à l’appropriation du changement…

Les mutations du travail social

Après avoir rappelé l’ensemble impressionnant des dispositions législatives qui, depuis

la fin des années 90 déferlent sur l’action sociale, et le processus est toujours en

cours, Robert Lafore se pose la question de la conséquence de ces réformes sur les

pratiques des professionnels du travail social. Il constate tout d’abord que « c’est

l’ensemble du cadre institutionnel qui se trouve ainsi modifié », que ce soit par le texte

très transversal de la Loi de 2002 qui entend rénover l’action sociale, que ce soit par

des dispositions affectant des populations spécifiques (enfance, handicap,

délinquance…) ou encore par la redistribution des compétences entre les niveaux de

l’administration publique. Et il pose l’hypothèse que cette modification du cadre

« conduit à une transformation, certes souterraine et rampante, de la substance même

des activités. »

123 Fabrice Traversaz, « Gouvernance et changement des associations gestionnaires », op. cit.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

210

Cette modification progressive du cadre de l’action sociale nous permet de relire

l’ensemble de l’histoire de la Sauvegarde 56. Lors de sa création, en 1935, comme

association charitable sous la présidence d’un magistrat et en présence du Préfet du

Morbihan, elle se trouve totalement en phase avec « le modèle assistanciel français,

ancré, à l’origine dans une vision familialiste et tutélaire des problèmes sociaux ». La

puissance publique trouve alors le relais d’associations charitables pour répondre à

« l’indigence » et fournir aux impécunieux une prise en charge avant tout matérielle,

même si, on l’a vu, dans le cas de la Société Vannetaise, la substitution aux parents

défaillants dans l’éducation de leurs enfants était aussi déjà de mise.

A partir de 1945, c’est une nouvelle vision des problèmes sociaux qui se dessine,

créant peu à peu, à partir du champ de l’enfance, « un ensemble institutionnel qui sera

consacré comme un « secteur » à part entière par la loi du 30 juin 1975 ». C’est un

ensemble cohérent, structuré par un cadre réglementaire et s’appuyant sur les

sciences médico-psychologiques qui vise à « identifier des personnes « inadaptées »,

à les insérer dans un statut protecteur, leur assurant prise en charge matérielle et

prestations éducatives et à réparer l’écart constaté avec les normes sociales. » Ce

modèle institutionnel crée des identités d’ « inadaptés » selon une logique catégorielle,

précisée par les administrations centrales sur un mode avant tout vertical, et

débouchant sur le développement de secteurs spécifiques d’activité et bientôt de

professions sociales différenciées. La Sauvegarde du Morbihan, depuis sa création en

1952, jusqu’à la loi de 1975, et au-delà, a bien fait reposer le développement de sa

professionnalisation sur ce modèle institutionnel et dans le cadre de cette régulation

publique. Les professions sociales, avec la figure centrale de l’éducateur spécialisé, y

ont construit, « à l’intersection entre un cadre juridico-institutionnel et des personnes

considérées comme inadaptées », une identité spécifique reposant sur la relation

d’aide et revendiquée comme relativement autonome par rapport à l’organisation qui

les employait. Comme pour toutes les associations à cette époque, l’écart entre

l’espace public associatif et la sphère professionnelle s’est creusé.

A partir de 1980, le « cadre institutionnel de l’action sociale qui a secrété ces

professions sociales est à nouveau entré en mutation particulièrement en ce qui

concerne la conception des personnes à prendre en charge et donc des rapports à

engager avec elles ». C’est l’idée d’ « insertion » qui va présider désormais aux

nouvelles logiques de l’action sociale. Plutôt que d’ « inadaptation » on parlera

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

211

d’ « exclusion ». On a vu, pour la Sauvegarde du Morbihan, ce que ce changement de

représentations avait impliqué en termes de logiques d’action mais également de

régulation publique. Et cependant, il ne semble pas que toutes les conséquences en

aient été d’emblée tirées en ce qui concerne les modes de prise en charge dans le

champ de l’enfance et particulièrement des internats éducatifs. Un certain clivage

restait de mise d’ailleurs, et n’est pas encore à ce jour partout dépassé, entre les prises

en charge traditionnelles de l’internat et les nouvelles formes nobles

d’accompagnement en milieu ouvert. C’est à cette période que l’association s’est

« lancée » dans l’insertion sur un mode hyper-entreprenant, sans pour autant prendre

la mesure de ce que ce nouveau paradigme impliquait, y compris pour les actions

conduites auprès des publics traditionnels dans les internats éducatifs ou dans le

service de Placement Familial, par exemple. La crise économique qui a affecté

l’association sur le mode de gestion de ses activités d’insertion s’est alors doublée

d’une crise consistant en un défaut de prise en compte de ce nouveau paradigme de

l’insertion dans le champ de la protection de l’enfance. Le modèle restait vertical et

sectoriel, fondé par ailleurs sur une sorte de morale de l’adaptation et d’idéal de

l’intervention éducative. Il n’appréhendait pas suffisamment la logique de parcours

individuel vers lequel la dynamique de l’insertion déplaçait l’intervention, ni la

nécessaire adaptation des espaces et des lieux physiques de production de l’acte

éducatif et surtout des logiques coopératives et intersubjectives à mobiliser.

Cette nouvelle conception de l’insertion révolutionne donc l’action sociale. On y voit se

dessiner déjà la notion de parcours individualisé des personnes. « Plutôt que

d’arraisonner leur situation en les dotant d’un statut protecteur et en les confiant à des

organisations spécialisées, l’idée qui s’impose progressivement est de les engager

dans une dynamique leur permettant de rejoindre les normes et les capacités requises

par le fonctionnement social. » Les lieux institutionnels sont forcément interrogés. La

crise des internats éducatifs retirés à la campagne et les violences qui sont alors la

forme d’expression subjective des adolescents en souffrance avec leurs familles sont à

lire dans ce contexte. Rejoindre le « droit commun » devient la norme. Toute la

question du droit des usagers est aussi à lire à l’éclairage de ce nouveau paradigme de

l’insertion qui structure désormais le nouveau cadre institutionnel de l’action sociale.

L’ensemble des interventions sont « au service des parcours que doivent suivre les

personnes, soit pour se maintenir dans la norme, soit pour la rejoindre ».

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

212

Cette mutation remet en cause la dissymétrie entre professionnels de l’action sociale et

« usagers ». Elle impose une logique de transparence dans un cadre toujours plus

contractuel et égalitaire. Les enjeux psychopédagogiques qui ont fondé la

professionnalité se déplacent vers « une économie d’obligations et de droits qui

manipule des aspects concrets et matériels tout autant que cognitifs » et débouche sur

une logique de résultat. L’accent mis sur l’importance de l’évaluation résulte également

de ce déplacement du cadre institutionnel de l’action sociale. Enfin, les travailleurs

sociaux se trouvent plus fortement référés à leurs organismes employeurs dans la

mesure où « le monopole dont bénéficiaient les travailleurs sociaux dans la gestion de

l’interface institution-individu disparaît car, dans l’insertion, c’est l’ensemble des

organisations concernées qui s’engagent. »

Il nous paraissait important, en conclusion de ce travail, d’insister sur ce paramètre du

déplacement de la posture des professions sociales dans la mesure où nous ne

l’avons évoqué que par incidence dans notre étude, à propos par exemple de la

réforme de la Convention Collective, alors qu’il s’agit en fait d’un phénomène structurel

qui détermine une part essentielle des enjeux de la mutation en cours de l’action

sociale. La transformation de l’organisation professionnelle de la Sauvegarde 56 sur

laquelle nous avons insisté s’inscrit dans l’accompagnement de ce changement des

postures des professions sociales qu’il s’agit de relier désormais dans des dispositifs

signifiants au regard des parcours des personnes, et donc d’amener à quitter les

approches segmentées, sectorielles et verticales sur lesquelles elles avaient été

fondées.

La gouvernance de l’action sociale

Ce passage de la logique de prise en charge de personnes inadaptées à la logique de

l’insertion va aussi entraîner des mutations profondes dans les formes de gestion des

organisations et entraîner là encore un changement de paradigme. C’est ici qu’émerge

la notion de « gouvernance » empruntée au « new management public ». En fait, on

peut dire que face à la crainte d’un renforcement de l’administration de l’action sociale

perceptible aujourd’hui dans l’ensemble des professions sociales et chez leurs

responsables, c’est le dispositif antérieur, issu de la Loi de 1975, vertical et sectoriel

comme nous l’avons dit, enfermant établissements et logiques professionnels dans des

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

213

normes étroitement contrôlées par l’administration centrale, qui était, il faut le

souligner, quant à lui totalement administré. Certes, il n’était pas aussi outillé que celui

qui se dessine aujourd’hui : il laissait des marges de manœuvre, nous l’avons vu pour

la Sauvegarde du Morbihan, et il reposait, comme le souligne Michel Chauvière124, sur

une forte capacité instituante des politiques publiques à l’époque. Mais cependant on

peut dire que la régulation tutélaire a pleinement joué son rôle tout au long de ces

années de constitution de l’action sociale, de ses établissements et services, de ses

professions, et de l’identification de ses publics. Le passage à la dynamique plus

globale de l’insertion oblige à inventer des dispositifs larges qui vont se trouver

naturellement en phase avec une régulation moins administrée et donc moins tutélaire

mais davantage conventionnée de l’action sociale. Nous avons toutefois, au cours de

nos développements, insisté sur le risque de l’inflation technocratique qui pouvait

affecter les administrations, sans transformation de leur modèle tutélaire et

compromettre ainsi leur passage à une culture de la régulation conventionnée. Nous y

reviendrons. Ainsi la substitution, tentée actuellement, de la culture de la performance

à celle de l’auto-évaluation pourtant promue par l’ANESM125 viendrait bien marquer

l’échec de l’invention d’une véritable régulation conventionnée. Autre risque, celui du

passage pur et simple à la régulation concurrentielle, calquée sur la logique

marchande qui impacte par ailleurs également les politiques publiques pour une part

importante de leur activité. La marchandisation des services en Europe en est le

principal enjeu. C’est le risque de « chalandisation » décrit par Michel Chauvière. On le

voit, le devenir des associations sociales n’est pas écrit, et ce devenir dépendra, pour

une grande part, de leur capacité à percevoir elles-mêmes les enjeux de la mutation de

l’action sociale en cours et à en tirer les conséquences à l’intérieur même de leur

organisation et dans leurs dynamiques de gouvernance et de réseaux.

Désormais la cohérence institutionnelle n’est plus donnée par des normes, des

réglementations, des habilitations spécifiques, des qualifications établies une fois pour

toutes. Elle est à construire en permanence par des processus de mise en débat

autour de la question du sens des pratiques sociales centrée sur le devenir et

l’accompagnement du parcours des personnes. Aucune forme d’action sociale ne peut

plus se dire définitivement instituée par la logique qui l’a fondée. Au contraire, le sens

de chaque action est à refonder à nouveaux frais, dans une mise en tension entre tous

124 Michel Chauvière, Op. cit. 125 Agence Nationale de l’Evaluation Sociale et Médico-sociale.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

214

les acteurs qui y concourent, et en particulier, au premier chef, en tenant compte des

personnes qui en sont les bénéficiaires. En termes d’organisation, la logique qui

prévaut n’est donc plus celle de l’établissement ou du service, mais bien plutôt celle de

l’ensemble des logiques d’actions qui concourent à un même dispositif, le pôle de

protection de l’enfance, par exemple, ou le pôle d’insertion des adultes pour ce qui

concerne la Sauvegarde 56 ; ces dispositifs doivent être eux-mêmes appréhendés en

référence au projet associatif et à ses différentes parties prenantes, mais également

aux autres dispositifs associatifs qui concourent, sur un même territoire, à un schéma

d’orientation globale de l’action sociale. Ainsi, le Président du Conseil Général, en tant

que chef de file des politiques de protection de l’enfance, de la vieillesse, du handicap,

et désormais de l’insertion, doit-il veiller à ce que l’ensemble des dispositifs intervenant

sur son territoire le font en bonne intelligence et dans le sens, en particulier, du

parcours d’insertion des bénéficiaires. Les Contrats Pluriannuels d’Objectifs et de

Moyens, avec tous les risques de réduction gestionnaire qu’ils comportent, sont les

outils privilégiés de cette forme nouvelle de pilotage fondée sur la recherche d’une

sorte d’engrènement vertueux des différentes dynamiques de gouvernance mises en

œuvre, à l’échelle d’une association, au niveau inter-associatif, et au niveau enfin du

pilotage public. Bien sûr, il s’agit là d’une manière assez idéale d’envisager les

mutations de l’action sociale et ses conséquences sur le plan des organisations et des

formes de régulation. Rien ne se passe aussi simplement, notamment parce qu’on l’a

vu plusieurs formes de régulation restent à l’œuvre du côté des pouvoirs publics,

tutélaire, technocratique, concurrentielle, et plusieurs modes de gouvernance du côté

des acteurs associatif, para-public, gestionnaire, segmenté et rivalitaire… Il n’empêche

qu’il nous semble que c’est dans cette direction de la recherche d’une dynamique

coopérative tant en interne avec toutes les parties prenantes, qu’en externe avec les

autres partenaires associatifs et les pouvoirs publics que le secteur associatif pourra

continuer à jouer pleinement son rôle de contributeur à l’invention d’une action sociale

pertinente et solidaire.

Depuis plusieurs années, la Sauvegarde 56 est engagée dans cette voie de l’invention

d’une nouvelle forme de gouvernance et de dirigeance. Elle a placé au cœur de sa

transformation la recherche d’un modèle d’organisation coopérative126 et celui-ci a un

impact fort sur ses environnements. En ce qui concerne le pôle protection de l’enfance,

126 Voir en annexe les extraits du rapport d’activité communiqué lors de l’Assemblée Générale en juin 2009.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

215

c’est tout le développement d’un travail de réseau construit en étroite collaboration

avec les autres associations de protection de l’enfance qu’il a permis. En ce qui

concerne le pôle d’insertion des adultes, c’est la demande de coopération étroite d’une

association lorientaise œuvrant, elle aussi, dans le champ de la lutte contre les

exclusions, mais c’est aussi la recherche de partenariat avec une autre association

importante du département sur ce champ, et l’ouverture également d’une dynamique

coopérative avec les associations caritatives et humanitaires intervenant également

auprès des personnes en situation d’exclusion. Ainsi, la visée du changement proposé

en 2002 qui consistait avant tout à permettre à une association en crise sur les plans

gestionnaires et éducatifs de transformer des modes de fonctionnement qui ne

permettaient plus de faire face avec efficience aux nouveaux enjeux de l’action sociale,

a-t-elle une portée qui va bien au-delà d’une seule perspective adaptative. En fait, elle

répond, elle aussi, au changement de paradigme exigé par les nouvelles logiques de

l’action sociale. Elle est en interaction permanente avec les transformations du

contexte. D’une certaine manière elle les précède dans la mesure où elle met en

œuvre un projet et une vision du changement social et non pas d’abord des directives.

En ce sens, elle est préparée à une culture de la régulation conventionnée et guette les

signaux forts de son adoption par les responsables publics.

Ce sont les professionnels qui sont sans doute les plus exposés à ce changement de

paradigme touchant à la fois à leur mode d’intervention et à leur relation instituée avec

leurs bénéficiaires ainsi qu’aux modes nouveaux d’organisation et de gouvernance

dans lesquels ils interviennent. C’est la raison pour laquelle l’organisation par pôles de

compétence au sein des organisations ne doit en aucun cas revêtir un caractère avant

tout normatif qui relaierait des règles tutélaires, mais être tout entier ordonné à

l’accompagnement de la mutation des postures professionnelles attendues par ce

nouveau contexte. Celles-ci doivent sortir de la logique de l’auto-référencement, et de

l’autonomie revendiquée sur une base de compétences à priori non partageables. Ces

nouveaux cadres organisationnels doivent aussi inventer leurs nouveaux modes de

dirigeance et de management qui soient au service d’une réinvention des modes

d’intervention auprès des bénéficiaires. Le déplacement des modèles éducatifs en

direction des jeunes pris en charge dans les internats, et dont les comportements ont

de plus en plus violemment interpellé l’institution, ont ainsi servi de trame en quelque

sorte à une transformation progressive de l’ensemble de l’institution, toujours reliée à

une réflexion et à une analyse de la clinique de l’intervention. Actions recherches en

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

216

interne et en partenariat se sont succédées, notamment dans le cadre d’une action

transversale avec l’UNASEA Bretagne impliquant professionnels et administrateurs de

plusieurs associations de la région sur la question des adolescents difficiles. L’appel à

des tiers, en position de formateur ou de superviseur, a toujours également été la clef

de l’accompagnement du changement des formes de dirigeance, les formations type

ARIP-Transition ou SciencePo constituant, elles aussi, des éléments clés dans ce

déplacement des modèles.

La nouvelle question de la gouvernance conduira les associations à réinventer leur lien

avec les bénéficiaires des actions conduites par les professionnels. Il y a une sorte

d’enjeu de « désappropriation » des usagers par les seuls professionnels qui est sous-

tendu par le déplacement du paradigme de l’action sociale que nous avons évoqué.

Nous l’avons dit, cette question sera certainement au centre du nouveau projet

associatif de la Sauvegarde 56. C’est ce qui en fera aussi un projet davantage

politique. Des expérimentations sont d’ores et déjà tentées pour décloisonner ou

« déstratifier » les parties prenantes du projet associatif qui, pour certaines d’entre

elles ne se rencontrent jamais, et ouvrir, au contraire, entre elles des formes de

circulation inédites. Mais il sera nécessaire d’aller plus loin et de faire en sorte que les

professionnels acceptent que le sens de l’action sociale ne saurait plus se laisser

désormais enfermer dans les seules références techniques déployées lorsqu’ils

pouvaient encore revendiquer une certaine autonomie de leur action et de leur

spécificité dans le cadre du colloque singulier avec l’usager. Désormais l’action sociale

relève avant tout d’un enjeu politique, environnemental, global. Nul ne peut penser la

conduire à l’abri des regards. Il est au contraire nécessaire d’inventer les dispositifs et

les lieux ouverts de débat et de parole sur lesquels sa légitimité doit être fondée.

Commission éthique, conseil de la vie associative, plaçant les usagers au cœur de

l’association renouvèleront le sens de l’engagement de tous au service du projet.

Ce parcours d’analyse institutionnelle d’une association d’action sociale, la

Sauvegarde 56, nous fait bien entrevoir qu’elle ne saurait se réduire à la seule sphère

de l’organisation sociotechnique dans laquelle pourtant nombre de professionnels

situent encore aujourd’hui essentiellement leur action. C’est au titre de leur

engagement professionnel dans une association qui, elle-même, est engagée dans un

processus de dialogue et de débat avec d’autres instances associatives ou publiques,

qu’ils doivent désormais être en mesure de répondre de leur action auprès des

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

217

usagers d’un territoire ou d’un département. Cette responsabilité, ils ne peuvent en

rendre compte d’eux-mêmes, mais en référence au « bien commun » qui constitue le

patrimoine de l’association qui les emploie, ce dernier relevant lui-même du bien public

et des politiques de solidarité auxquelles il contribue et avec lesquelles il est

constitutivement lié. C’est en référence à ce patrimoine commun que l’on peut parler

de la véritable force d’une association comme la Sauvegarde 56 qui en fait une

institution qui dure et dont les formes instituées sont sans cesse réinterrogées par le

mouvement de la vie sociale qui est tout simplement celui des échanges interhumains.

Il y aurait beaucoup à dire ici à nouveau sur l’analyse d’Alain Caillé et sur la dynamique

du don pour tenter un dépassement de l’impasse de la Dissociété si bien décrite par

Jacques Généreux et sur laquelle nous avons ouvert ce mémoire. Mais il suffit ici de se

sentir reliés à tout cet ensemble d’acteurs professionnels et bénévoles qui ont mis leur

compétence et leur temps, parfois leurs moyens, au service des « autres » pour

mesurer ce que peut être ce bien commun, accumulé tel un patrimoine, dans la durée

d’une histoire. « Un patrimoine, écrit Bernard Perret127, peut être caractérisé par le fait

que sa valeur pour un individu ou une collectivité n’est entièrement réductible ni à sa

valeur monétaire, ni aux valeurs d’usage dont il permet la production. Un patrimoine

est conservé, éventuellement enrichi, pour être transmis sans perte ni dégradation aux

générations suivantes… La notion de patrimoine peut être rapprochée de celles de

corps et de monde. Ce qu’ont en commun les corps et les mondes (au sens physique,

social ou métaphorique) c’est que nous leur sommes liés de manière constitutive, c'est-

à-dire avec une intensité et dans une durée que nous ne maîtrisons pas. Dit d’une

autre manière, nous ne pouvons ou ne voulons pas en disposer à des fins sans rapport

avec leur nature propre. » Retrouver le sens du « bien commun » « pour les autres »

est sans aucun doute le rendez-vous politique majeur auquel nos démocraties

modernes sont aujourd’hui convoquées et avec elles, chaque organisation et chaque

association héritière de tout un patrimoine d’action sociale et solidaire.

127 Bernard Perret, « De la valeur des structures sociales, capital ou patrimoine », in Bevort A. et Lallement M. (dir.) Le Capital social, performance, équité, et réciprocité, Paris, La découverte-MAUSS, 2006

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

218

De nouvelles règles institutionnelles

Les travaux de Jean-Pierre Lebrun, en particulier son dernier ouvrage sur la clinique

institutionnelle128, auxquels nous nous sommes déjà référés dans le cadre de la note

de lecture consacrée à l’ouvrage de Jacques Généreux129 caractérisent

particulièrement bien à nos yeux les enjeux de la gouvernance et de la dirigeance pour

les associations d’action sociale aujourd’hui. Ancrés dans un modèle anthropologique

psychanalytique d’inspiration lacanienne, ils renouvellent la lecture du basculement

des sociétés dans la modernité et la postmodernité, tels que nous venons de les

évoquer quant à nous sur la base d’une lecture sociologique, en soulignant le risque

d’un fonctionnement « sans limites »130, sans différence des places et des générations,

fondé sur le refus en particulier de « la place d’ex-ception » garante symbolique de la

loi du langage qui nous structure en tant qu’être humain, « parlêtre » disait Jacques

Lacan. Il est important d’entendre d’emblée cette notion « d’ex-ception » fondant la

différence des places comme la nécessité logique pour qu’un ensemble humain, une

institution, soient constitués, structurés, qu’une place soit exceptée de l’ensemble

considéré, ne fasse pas nombre mais différence, « ex-ception ». Or cette nécessité

logique, dit Jean-Pierre Lebrun, à la suite de Jacques Lacan, est de plus en plus

difficile à tenir et à assumer, dans une conception moderne du lien social où c’est

l’ensemble des individus non plus totalisables entre eux qui font structure d’un monde

devenu « sans limites ». Ainsi, pour faire court, le réseau succède-t-il à la pyramide, ou

encore la procédure sans cesse renégociée, redébattue et toujours susceptible

d’ajustements, à la loi le plus souvent non écrite et incarnée par un seul ; mais avec le

risque cependant de passer de cette place d’exception substantielle, avec toutes ses

dérives, devenues à vrai dire inconciliables avec la revendication d’autonomie de

l’acteur propre à la modernité, à son éviction pure et simple, avec, cette fois-ci, les

risques de confusion et de chaos qui en résultent, « la perversion ordinaire »131 que

décrit Jean-Pierre Lebrun dans un précédent ouvrage. Sans bien sûr pouvoir déployer

ici toutes les conséquences de cette analyse, disons qu’elle permet de situer très

exactement le carrefour logique devant lequel, comme beaucoup d’institutions, se

trouvent aujourd’hui situées les associations d’action sociale et l’ensemble de leurs

128 Jean-Pierre Lebrun, Clinique de l’institution, Ce que peut la psychanalyse pour la vie collective, Toulouse, Erès, 2008. 129 Cf. Supra 130 Jean-Pierre Lebrun, Un monde sans limite. Essai pour une clinique psychanalytique du social, Toulouse, Erès, 1997. 131 Jean-Pierre Lebrun, La perversion ordinaire, vivre ensemble sans autrui, Paris, Denoël, 2007.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

219

acteurs. C’est à essayer de dépasser cette impasse logique entre une place

d’exception substantielle, mais dont les fondements non démocratiques sont devenus

insupportables, et une différence des places annulée par la logique du tout individuel et

du tout négociable, n’offrant plus jamais de consistance à la décision, à l’autorité et à la

structure, que Jean-Pierre Lebrun va développer son analyse de la clinique

institutionnelle. Or il nous semble que, même s’il récuse la notion de gouvernance qu’il

assimile à la gestion de ce monde sans limites ayant d’ores et déjà fait le deuil de la

place « d’exception » dont la nécessité est pourtant de structure pour les êtres parlants

que nous sommes, réservant ses développements à la notion de dirigeance, toutefois

trop conçue à nos yeux en référence à la conception de l’institution-établissement,

sans suffisamment faire sa place aux environnements dans lesquels évoluent ces

institutions aujourd’hui, nous pouvons tirer des éléments théoriques de son analyse,

qui se réfère également aux travaux de Marcel Gauchet sur la démocratie, et des

points de vue éclairants sur le renouvellement des conceptions de gouvernance et de

dirigeance pour nos associations.

La « place d’exception », telle qu’elle était incarnée jusqu’à présent au point où l’unité

de l’institution pouvait se confondre avec la personne qui occupait cette place, n’est

plus tenable. Cela ne veut pas dire pour autant que tous les liens transférentiels soient

rompus. Des restes de nostalgie demeurent. Mais la crise que nous avons rapportée

pour la Sauvegarde 56 touche, pour une bonne part, à la manière dont cette place était

occupée et qui s’est révélée, à partir d’un certain moment, notamment du fait du

changement de culture administrative, littéralement impossible à tenir : par exemple, le

fait de continuer à taire indéfiniment la gravité des conséquences financières de

certains choix stratégiques de l’association, la principale fonction de cette attitude,

nous l’avons vu, pouvant être alors analysée comme la recherche d’une alternative,

précisément face à l’affirmation des contraintes administratives et gestionnaires, tout

en contribuant, pour partie, à soutenir l’occupation singulière de la place d’exception ;

impossible également de ne pas infléchir les modes de réponses éducatives des

internats vers des dispositifs donnant plus de latitudes aux parcours individuels des

jeunes, ce qui suppose la prise en compte de l’analyse des équipes éducatives et de

leur demande d’infléchir les projets tout en cessant de ne mesurer l’échec qu’à l’aune

de leur prétendue incapacité substantielle à tenir leur place, en référence bien sûr à la

conception de l’autorité incarnée par la personne occupant dans l’association la place

« d’ exception ». Or celle-ci, précisément, ne saurait plus prétendre incarner à elle

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

220

seule les grandes orientations stratégiques de l’organisation. Elle doit composer avec

les réalités gestionnaires rappelées par les instances de tutelles, avec la réalité des

usagers qui viennent bousculer des modes d’autorité qui leur font violence, avec la

réalité des acteurs de l’organisation qui perçoivent plus ou moins clairement qu’une

transformation de la manière d’occuper la place d’exception est devenue nécessaire

pour inscrire l’association dans les nouvelles définitions du lien social.

C’est en quelque sorte le dénouement décrit par Blaise Ollivier132, au sortir d’un travail

personnel ou institutionnel d’analyse, que rendrait aujourd’hui socialement possible et

nécessaire la revendication d’autonomie des sujets : « Si, à travers des

comportements, des représentations, des gestes capables de constituer une nouvelle

expérience, le sujet, ainsi éveillé, rencontre la symbolisation d’un Autre, originaire, qui

au lieu d’imposer son monopole d’antériorité, de légitimité et de pouvoir, montre son

plaisir à perdre ce monopole pour le partager, en faveur de celui qui dépendait de lui,

en sorte de lui faire sa place dans celle jusqu’ici réservée à qui peut décider de l’action

et dire le sens et la valeur, ce sujet devient le témoin, puis l’acteur d’une réinvention de

l’autre. »133 Or tout laisse penser que si les conditions de cet accès pourraient sans

doute être réunies aujourd’hui, en ce qui concerne la conscience et la culture de

l’acteur et au regard de l’effondrement des grands référents, notamment religieux, qui

posaient l’exigence de l’Autre en dehors du sujet, ce n’est pas du tout à la rencontre et

à la symbolisation d’un Autre originaire auxquelles se trouvent conviés les individus

confrontés aux règles et aux procédures qui fondent le nouveau cadre technocratique

dans lequel ils évoluent, reconstituant, en quelque sorte, les nœuds qui attachaient

étroitement dans l’exercice traditionnel et substantiel de la place d’exception « l’idéal

constitutif du moi, au surmoi dur, méprisant, arbitraire, tyrannique134. » Ce que

Jacqueline Légaut pour sa part reformule dans un petit ouvrage didactique, « La

psychanalyse l’air de rien »135 : « la normalisation quadrille les diverses possibilités

qu’offre une situation professionnelle donnée en fonction d’une réalité comptable qui

n’envisage la réalité que sous l’angle quantitatif et non qualitatif. Cette tyrannie de la

norme fait des ravages partout où elle rencontre des acteurs disposés à la mettre en

œuvre sans discuter pour avoir la paix… Mais je ne connais pas une seule personne

132 Blaise Ollivier, L’acteur et le sujet, Vers un nouvel acteur économique, Paris, Desclée de Brouwer, 1995. 133 Ibid. p. 279. 134 Idem. 135 Jacqueline Légaut, La psychanalyse l’air de rien, Toulouse, Erès, 2007.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

221

qui ne soit à un moment ou à un autre tentée de renoncer à ce qui lui est essentiel, que

ce soit par lassitude ou pour ne surtout pas mécontenter autrui, c'est-à-dire en

définitive cet Autre. »136 Autrement dit, c’est un boulevard subjectif qui s’ouvre à toute

la logique de pseudo subjectivation et d’implication des acteurs initiée par les politiques

publiques, sur fond d’impasse totale de la question de la parole et de l’institution du

sujet, et donc des dispositifs institutionnels qui la mettent en œuvre, et de

généralisation de normes abstraites imposées comme nouvelles figures de l’Autre qui

fait sa loi.

Face aux deux risques qui consistent, l’un à rendre impossible toute nouvelle

occupation de la « place d’exception », l’autre à tenter une vaine restauration, Jean-

Pierre Lebrun plaide pour la recherche d’une troisième voie : celle qui consiste à faire

vivre, contre vents et marées cette place, parce qu’elle est structurelle pour l’humain,

toujours précédé par le langage qui le fonde, mais sur un mode en quelque sorte

précaire, à réinventer sans cesse à nouveaux frais, toujours à faire advenir dans une

sorte de recherche d’accord des parties prenantes auxquelles pourtant elle ne se

résout pas. Place donc toujours impossible, comme celle de gouverner et de diriger,

ainsi que l’avait déjà posé Freud, mais cependant dont la responsabilité reste entière et

nécessaire si l’on ne veut pas plonger dans la perversion ordinaire d’un monde sans

limites géré par la seule procédure et la seule règle technocratique : celles d’un

gouvernement sans auteur. Ressusciter la « place d’exception » dans un monde qui

s’acharne à la détruire en y substituant des mécanismes scientifiques, juridiques et

techniques, sans auteur et sans parole, voilà au fond les nouveaux enjeux de la

dirigeance et de la gouvernance - même si, une fois encore, l’auteur assimile ce

dernier terme à la recherche des formes post-modernes et néo-libérales de pilotage qui

cherchent fondamentalement à faire l’économie de la « place d’exception » - que

dessine Jean-Pierre Lebrun en excluant, bien entendu, le fait d’y retourner sur le mode

d’une appropriation singulière de l’Un. C’est donc par la mobilisation de la pluralité des

paroles et des acteurs qu’il convient de rendre possible l’exercice de la place

d’exception, le projet collectif devant être en quelque sorte l’assise autorisant et

légitimant la possibilité toujours relative et sujette à débat de l’occupation de cette

place et de l’exercice de la fonction qui en découle. C’est en la faisant malgré tout

exister et tenir, par des dispositifs garants de la circulation de la parole de tous et des

règles du langage qui supposent précisément cette différence des places, que l’on peut

136 Ibid. p. 37 et 40.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

222

se revendiquer d’un monde qui reste structuré par l’humain et que l’on se préserve de

basculer dans un monde sans « auteur » où seule la règle technocratique et la

procédure prévalent. « Ces lois de la parole, écrit encore Jacqueline Légaut, consistent

en l’ensemble des interdits qui permettent de prendre en compte l’existence d’autrui

comme ayant droit de cité au même titre que moi, ce qui comme chacun le sait ne va

pas de soi. Seule cette prise en compte rend la parole possible. »137 C’est à ce saut du

quantitatif au qualitatif, ou encore de la norme abstraite à la parole humaine qui fait Loi,

que sont convoquées les démocraties modernes et toutes les institutions

intermédiaires qui y concourent, sans l’appui des grands référents extérieurs qui en

avaient pendant des siècles, et encore jusqu’à une période récente, constitué le socle.

On mesure, à cet égard, tout le rôle original que les associations d’action sociale

peuvent avoir à jouer par rapport au basculement du lien social que nous avons

évoqué. Là où les pouvoirs publics ne peuvent plus, eux-mêmes, se revendiquer d’une

place d’exception fondée sur une autorité extérieure allant de soi, mais doivent eux

aussi entrer dans le débat public pour y négocier en quelque sorte leur légitimité, faute

d’une culture de projet collectif et hantés qu’ils sont, au contraire, par celle de la règle

écrite, on comprend qu’ils soient tentés de basculer dans un mode de fonctionnement

faisant de la procédure technocratique la nouvelle butée qui s’impose à tous, là même

où, le plus souvent, l’énoncé des lois, la Réforme de la Protection de l’Enfance, par

exemple, visent pourtant l’organisation du débat et de la participation de tous les

citoyens. C’est qu’il y a décalage entre la norme visée et la règle promue. Les

associations d’action sociale, pour le domaine qui les concerne, ne peuvent-elles pas

être ces institutions intermédiaires138 permettant, au fond, aux administrations et aux

politiques publiques d’atteindre les visées normatives qu’elles promeuvent dans la

recherche de projets politiques susceptibles de mobiliser l’adhésion de l’ensemble des

citoyens. Par leur capacité de mettre elles-mêmes en avant leur projet collectif, à

condition qu’elles s’en donnent bien sûr les moyens, mobilisant aussi bien leurs

bénévoles élus, leurs professionnels que leurs usagers, elles rappellent combien les

protocoles et les cadres concrets de l’action doivent être au service du projet politique

et des personnes, et non pas le projet au service de la procédure et de la gestion.

137 Jacqueline Légaut, op. cit. p. 7. 138 Renaud Sainsaulieu, Des sociétés en mouvement, La ressource des institutions intermédiaires, Paris, Desclée de Brouwer, 2001.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

223

L’évolution de l’organisation associative que nous avons présentée tout au long de

cette analyse institutionnelle accompagne au fond ce changement de paradigme du

lien social et des règles institutionnelles qui le rendent encore possible. Le modèle

coopératif que nous avons proposé tente, en lien avec les travaux de l’ARIP139 et ceux

de Jean-Pierre Lebrun, et en cohérence avec les analyses sur la gouvernance

associative de Jean-Louis Laville140, de refonder, à partir du projet collectif associatif,

une possibilité légitime d’occuper « la place d’exception » qui ne soit ni assujettie

purement et simplement au règne la procédure technocratique, ni tentée de restaurer,

pour son compte, ou son imaginaire, ou son intuition, aussi juste soit-elle, l’occupation

de cette place. Nous allons voir d’ailleurs, qu’à nos yeux, occuper cette place

aujourd’hui, quel qu’elle soit, c’est accepter de se laisser traverser par la nécessité

logique qui la caractérise, et donc par le manque, l’inachèvement, l’imperfection de

structure, dans la référence à l’Autre, plutôt que prétendre se l’approprier de quelque

manière que ce soit. Et c’est là que Jean-Pierre Lebrun ne tire pas, selon nous, toutes

les conséquences de son analyse clinique pour les nouvelles figures de l’institution en

pleine recomposition dans le monde des organisations aujourd’hui et plus

particulièrement des associations d’action sociale. Tellement centré sur la nécessité

logique de la place d’exception pour une institution donnée, avec le modèle disions-

nous omniprésent du service ou de l’établissement, il ne donne aucune place dans son

analyse à l’évolution des articulations des institutions entre elles, comme des places

d’exception entre elles. Or c’est là, nous semble-t-il que se joue l’essentiel de la

recherche nouvelle et incertaine d’une complémentarité entre l’Un et l’Autre, là où hier

seul l’Un prévalait et où l’Autre était dénié, et où, aujourd’hui, seul l’Autre, d’une

certaine manière, triomphe tandis que le règne de l’Un a pris fin. Or il est vital pour les

êtres humains qui veulent tirer toutes les conséquences de leur dimension de sujet

d’articuler l’Un et l’Autre. Et cela ne peut se faire, à nos yeux, que par l’articulation

entre elles des « places d’exception », leur relativisation en quelque sorte, au sens de

leur « mise en relation », ou encore leur « altérisation » par le fait qu’elles sont

soumises à la reconnaissance de tous les autres qui se réfèrent à elles mais encore à

la butée pour elles-mêmes des autres places d’exception qui permettent, par leur

dialogue, de reconstituer non pas un monde continu et sans limites sur lequel régnerait

seul « l’ordre de fer » de la procédure uniformisante, mais un monde discontinu et

139 Jean-Claude Rouchy Monique Soula Desroches, Institution et changement, Op. cit. 140 Cf. notamment le dernier ouvrage de Jean-Louis Laville, La gouvernance des associations, Economie, sociologie, gestion, sous la direction de Christian Hoarau et Jean-Louis Laville, Toulouse, Erès, 2008.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

224

cependant consistant car référé à l’échange interhumain et à l’énonciation d’une parole

faisant structure et loi.

Quelques repères éthiques pour orienter l’action

Disons, pour conclure que quelques critères clés nous ont paru devoir guider cette

évolution : tout d’abord la nécessité de dire, d’énoncer, à temps et à contre-temps, le

possible et l’impossible, les limites du réel : Jean-Pierre Lebrun fait ici référence à la

belle figure éthique de Pierre Mendès-France qui, « dès la fin de la Seconde Guerre

mondiale, estime à l’encontre du Général de Gaulle qu’il faut dire la vérité sur l’état de

l’économie du pays, position qui l’amène à lui adresser le 18 janvier 1945 sa lettre de

démission en lui assénant cette vérité incontournable que « distribuer de l’argent à

tout le monde sans en reprendre à personne , c’est entretenir un mirage » 141.

C’est ensuite instaurer des dispositifs collectifs de travail auxquels l’exercice de

l’autorité, qu’il s’agisse de gestion des ressources humaines, de choix et d’orientations

stratégiques, sera en permanence référé à l’autre sans y être toutefois, bien entendu,

réduit ou enfermé. L’arbitrage reste toujours possible et nécessaire mais devra en

permanence se montrer en capacité de rendre compte de ses arguments en faveur de

la recherche d’équité, de justice et de vérité. Ces dispositifs supposent qu’ils ne soient

pas contournés. Les décisions ne sauraient plus se jouer en dehors. Elles y délivrent

au contraire leurs cheminements en même temps que leurs méthodes. Dès lors, il y a

des transactions illégitimes qui doivent être dévoilées si elles contournent les espaces

légitimes de parole identifiés. L’autorité de l’un ne peut plus se prévaloir d’une relation

équivalente avec tous les sujets qui lui seraient individuellement soumis, mais doit

instaurer les dispositifs de délégation dont elle ne saurait se montrer garante tout en

tentant de les subvertir ou de les contourner. La place d’exception suppose de

reconnaître toutes les autres places d’exception qui lui sont référées et doit se montrer

tout aussi soumise qu’elles à la Loi (C'est-à-dire aux Lois de la parole). Ces dispositifs

délégués sont les fondements de l’organisation coopérative que nous avons décrite où

les cercles de coopérations de l’encadrement, direction générale, pôles de

compétences, garantissent une mobilisation de tous les acteurs dans l’élaboration et la

conduite du projet.

141 Jean-Pierre Lebrun, Op. cit. pp. 244-245.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

225

Cet enjeu de l’organisation par pôles de compétence, référés à une mission et

ordonnés à une logique de coopération entre tous les acteurs, en interne, et avec tous

les partenaires, en externe repose, au final, sur une conception globale de la

« clinique » institutionnelle. C'est-à-dire qu’elle fait véritablement de l’ensemble de

l’institution associative et de toutes ses composantes, politique, professionnelle,

citoyenne, un ensemble de dispositifs complexes, reliés, référés et coopératifs au

service de la clinique du sujet et de la personne, que le jargon socio-administratif a

décidé, une bonne fois pour toutes, de qualifier d’ « usager ». C’est donc, si l’on veut,

une « clinique de l’usager » que sert avant tout la structuration collégiale et

démocratique de l’organisation associative. Celle-ci n’est pas autoréférée, ni enfermée

dans une relation seulement technicienne à l’ « usager », mais se trouve largement

ouverte sur la composante sociale et politique de l’association, via notamment

l’instance collégiale de la direction générale142. C’est là finalement ce qui donne tout

son sens à la refondation de l’association sur une base coopérative. L’enjeu de la

dirigeance coopérative se trouve référé à un projet associatif mobilisant toutes les

parties prenantes. Mais encore est-il nécessaire d’instituer les dispositifs intermédiaires

pour rendre viables ces articulations ! Bien sûr, la référence aux politiques publiques,

dans une logique de régulation conventionnée qui reste largement à promouvoir143,

nous y avons suffisamment insisté tout au long de ce mémoire, reste également une

visée essentielle de la structure coopérative de l’institution intermédiaire qu’est

l’association d’action sociale.

Mais cette logique de la référence interne doit également être à l’œuvre à l’extérieur de

l’organisation. C’est ici que nous retrouvons deux postures foncièrement distinctes des

associations d’action sociale. Les unes, s’en remettant à « l’ordre de fer » d’une

logique administrative, technocratique et gestionnaire « sans auteur », dénient la

dimension instituante du réseau et au contraire assument, voire précipitent, sur un

mode rivalitaire et concurrentiel son atomisation et son morcellement : quitte à ce que

ce soit par mitage des réseaux que se constituent alors de vastes ensembles

gestionnaires administrés. D’autres associations, conscientes de l’enjeu interne de la

relativisation et de l’altérisation de la place d’exception, mais aussi de sa persistance,

142 Cf. Supra et « organigramme-cible », en annexe 143 Matthieu Hély, « De la tutelle au partenariat : entreprises associatives et régulation conventionnée », Iresco, Toulouse, 16-17 septembre 2004, document Internet. Hélène Trouvé, « Les structures associatives : des acteurs intermédiaires dans l’action sociale ? », Matisse CNRS-UMR 8595, Paris I, document Internet.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

226

privilégient l’émergence d’ensembles interinstitutionnels signifiants, tant pour

l’ensemble des leurs acteurs professionnels et bénévoles que pour les politiques

publiques territoriales dont il nous faut toutefois distinguer deux tendances à l’oeuvre

actuellement. D’une part la tendance, dirions-nous, néo-Etatique, sans Etat, c'est-à-

dire diluée sous l’ordre de la procédure technocratique sans auteur et qui semble

devoir s’imposer à tous ; et d’autre part la tendance, encore ambiguë, à favoriser

l’émergence de véritables pilotages locaux des politiques publiques et désignant des

chefs de file de l’action territoriale, quitte à les mettre d’emblée en concurrence comme

c’est le cas entre les maires et les présidents des Conseils généraux pour les lois de

prévention de la délinquance et de protection de l’enfance, votées le même jour, le 5

mars 2007. Bien sûr, ces deux logiques, parfois portées par des acteurs administratifs

différents, mais parfois par les mêmes, entrent différemment en phase avec les grands

types de postures associatives que nous venons d’évoquer. Il y a interaction entre les

modèles, des modes de gestion publique faisant le jeu de formes de gouvernance

associative et réciproquement. Nous soulignerons, en conclusion, que c’est dans le

discernement de ces jeux entre gestions et gouvernances publiques et associatives

que se joue l’avenir des politiques sociales de notre pays et qu’aucun acteur ne peut

se dire dénué de responsabilité à cet égard.

Insistons également sur la prégnance de l’instance Président-Directeur où se noue la

gouvernance associative : celle-ci ne disparaît pas mais change de fonction. Elle

devient, elle-même, un espace de coopération au service de la régulation de toutes les

autres instances, associatives, professionnelles ou transversales. Elle est garante de

l’application des mêmes règles que celles qui prévalent pour l’organisation

professionnelle. Elle fait de l’exercice de la place d’exception un exercice d’analyse

soumis lui-même au respect des Lois de la parole et de la différence des places. Elle

est surtout garante de l’engagement de toutes les parties prenantes à la mise en

œuvre du projet, étant particulièrement vigilante à ce qu’aucune transaction ne soit

exclusive des autres, en particulier celle qui a longtemps situé le professionnel en

position de surplomb par rapport à l’usager, sans autre tiers que le tiers du collectif

professionnel.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

227

Administrations publiques et associations d’action sociale face au défi

technocratique

L’articulation des questions de la science et de la technique, de l’autorité et de

l’institution avec celle du lien social introduite par Jean-Pierre Lebrun, en particulier

dans son premier ouvrage important, un monde sans limites144, nous paraissent être

une clé décisive pour comprendre ce qui s’est emparé du travail social depuis vingt

ans. Finalement, ici comme ailleurs, une sorte de mutation que Charles Melman

qualifie d’anthropologique145, se déploie où, y compris dans ces domaines que l’on

pouvait croire les plus préservés de la relation humaine, la rationalité technique impose

de plus en plus sa référence exclusive, au point de devenir la norme ultime des

organisations. Elle en vient, au bout du compte, à occuper la seule place d’exception

qui vaille encore et qui s’impose à tous, sur un mode où elle a de moins en moins de

compte à rendre aux Lois de la parole et donc aux sujets qui ploient sous son joug.

Ainsi aux grands référents transcendantaux sur lesquels s’adossaient les formes

traditionnelles de l’autorité, avec leurs dérives toujours possibles en termes d’abus de

pouvoir, se serait substituée, de manière toujours plus efficiente, une mécanique

autonome, purement instrumentale, émancipée de la question des fins et de la

délibération humaine. Un monde sans limite, où la parole finirait par se réduire, en fin

de compte, à un enchaînement logique de signes, de codes, de procédures, et aux

outils qui le véhiculent, dans un ordre prescrit ne s’ouvrant jamais sur l’inconnu et sur

l’insu de la rencontre interhumaine autour de laquelle bat pourtant le cœur de l’action

sociale. « Nous voyons bien, écrit Jean-Pierre Lebrun, comment le discours de la

science est venu discréditer la réponse séculaire qui prétendait que l’autorité se tenait

de Dieu ; à partir de l’irruption des Lumières, c’est d’abord une place vide qui a été

substituée à celle que Dieu occupait, et c’est ensuite le savoir qui a occupé les lieux ;

désormais l’autorité tient de ce savoir, de ceux que l’on appelle les experts… Tout se

passe dès lors comme si l’ordre social marqué par le développement de la science et

amplifié par ses succès se présentait comme une configuration artefactuelle qui

prendrait la place de l’ordre qui nous définit comme êtres de parole ; il y aurait

désormais comme une constellation en trompe-l’œil – comme un tableau de décor de

144.Jean-Pierre Lebrun, Un monde sans limite, Essai pour une clinique psychanalytique du social, Erès, Toulouse, 2004 145 Charles Melman, L’Homme sans gravité, Editions Denoël, Paris, 2002

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

228

théâtre – qui serait venu se glisser entre le sujet contemporain et l’arrière-plan de

l’ordre symbolique qui le spécifie comme parlant. »146

Nous voudrions conclure ce chapitre en insistant sur ce point : la transformation des

institutions publiques avec leurs administrations en organisations vouées à la seule

gestion instrumentale et à la « performance » technique, fut-ce dans les champs

dédiés aux services à la personne, n’est pas neutre pour les humains que nous

sommes, soumis à ses règles. Si les institutions publiques, elles-mêmes, dont les

modèles fondés sur le souci de l’équité et de l’égalité de traitement pour tous,

gardiennes de valeurs essentielles pour la démocratie, se transforment en pur et

simples instruments techniques et gestionnaires rivalisant dans l’effort de normalisation

des comportements et des initiatives, cherchant à réduire, y compris, avec les

meilleurs intentions, le monde vécu des acteurs à une conformité aux codes, aux

conduites et aux pratiques prescrites, quand ce n’est pas à la seule logique de la

convergence tarifaire, il y a fort à craindre que les associations, dont le modèle

institutionnel se trouvait déjà largement informé par l’ordre constitutionnel public147, en

viennent à perdre, elles-mêmes, leur capacité de transformation, d’initiative et de

changement qui avait toujours, jusqu’à présent, été perçue et utilisée comme une

ressource pour l’adaptation même et le renouvellement des politiques publiques. Dès

lors qu’une ligne à haute tension technocratique a pris le relais de toutes les petites

unités autrefois transformatrices d’énergie selon les modalités les plus originales et les

plus inventives, on ne peut plus guère s’attendre, en effet, qu’à la mise en œuvre d’un

processus de modélisation uniformisante et répétitive. N’est-ce pas déjà ce que

constate Jean-Louis Laville, lorsqu’il observe que « nombre de dirigeants associatifs

participent d’un mouvement plus général dans la société que l’on peut désigner comme

managérialisme, qui consiste à étendre le management à de nouveaux domaines de la

vie sociale. Le managérialisme, poursuit Laville, constitue un « système de description,

d’explication et d’interprétation du monde à partir des catégories de la gestion »

(Chanlat 1998) et peut se caractériser par la place accordée à la notion de

performance, par l’importance de la rationalité instrumentale et par la mise en avant

des concepts d’auditabilité et de responsabilité selon P. Avare et S. Sponem

(2008) »148

146 Jean-Pierre Lebrun, Un monde sans limite, Op. cit. p. 109 et 114. 147 Michel Adam, L’association, Image de la société, L’Harmattan, Paris, 2005. 148 Jean-Louis Laville, Management et régulation dans les associations, in Connexions N°91, Management et contrôle social, Erès, 2009, p. 154.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

229

Le piège risque donc de se refermer tant sur les acteurs publics que sur les acteurs

associatifs. C’est pourquoi, et l’ensemble de ce travail s’y emploie, il nous paraît

essentiel de continuer à militer pour une approche avant tout sociale, c'est-à-dire

humaine, et non managériale au sens où la définit Laville, c'est-à-dire instrumentale,

de la gestion qui s’impose comme un « effet de la rationalisation du monde

contemporain ». Car le « managérialisme » impose à celle-ci une place centrale telle

qu’il la délie finalement de sa référence à la compréhension interhumaine. Il

l’autonomise en quelque sorte. Au risque, dans le domaine qui nous intéresse, de

mettre l’action sociale au service de la gestion et non l’inverse. Or, souligne Jean-Louis

Laville, « la légitimité des associations déborde la rationalité instrumentale. La

rationalité axiologique est mobilisée à travers des biens communs qui ne sont pas

uniquement des intérêts communs. »149 Et ce ne sont pas des valeurs incantatoires qui

peuvent traduire la réalité et la légitimité de ces « biens communs », mais bien plutôt

des pratiques concrètes de coopération, de débat démocratique, au service d’une

action inventive et créatrice, de formation dialogique des intelligences par la circulation

et le partage de la pensée et des formes d’engagement. Bref ! Une mise en commun

des ressources subjectives des acteurs. « On doit à J. Habermas150, écrit encore Jean-

Louis Laville, d’avoir insisté sur la légitimité résultant de ce processus de formation

des volontés par la délibération et sur le rôle que peuvent jouer à cet égard les

pratiques associatives porteuses d’engagements publics, ce qui rompt avec une

conception « atomiste » du social où les individus sont censés être détenteurs de

valeurs et d’intérêts ; il a souligné avec d’autres que ces valeurs et intérêts ne peuvent

se délimiter que dans l’échange intersubjectif non borné par des considérations

stratégiques mais ouvert à l’intercompréhension. Cet apport est décisif pour la

conceptualisation de la dimension publique des associations. Grâce à cet éclairage, il

apparaît nettement que le managérialisme entretient une dérive associative qu’une

démarche scientifique peut étudier mais non cautionner. »151

La tentation est pourtant grande pour un certain nombre d’acteurs associatifs de se

vivre avant tout sur le modèle de l’entreprise, d’y trouver en quelque sorte leur dernier

espace de légitimité. Or cette tentation ne peut que les conduire à accélérer le

processus d’isomorphisme les assimilant peu à peu aux administrations publiques sur

lesquelles elles sont adossées. Ces dernières, d’ailleurs, endossent elles-mêmes le

149 Ibid. p. 158 150 J. Habermas, L’espace public, Paris, Payot, traduction française, 1993, p. I-XXXI 151 Jean-Louis Laville, Ibid. p. 158.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

230

plus souvent, par dessus l’uniforme bureaucratique sur lequel elles s’étaient

construites dans la recherche de réponses homogènes, et donc équitables, et sans

même prendre le soin de s’en débarrasser, le costume managérial qu’elles cherchent

désormais à imposer comme la référence incontournable en matière de

« gouvernance » publique. Or se rendent-elles compte, à moins qu’il ne s’agisse d’une

stratégie de désubjectivation délibérée, que cette superposition masque en fait une

profonde rupture de sens tant pour les agents que pour les « usagers » destinataires ?

C’est le moment, plus que jamais, pour les associations, et c’est bien là l’une de leurs

ressources propres, sur laquelle même elles sont fondées, de mobiliser toute leur

créativité en matière d’implication des parties prenantes dans la mesure où « la

mobilisation des groupes d’acteurs différenciés est un garde-fou par rapport aux

injonctions technocratiques. »152

Abdelaâli Laoukili, psychosociologue formateur à l’ARIP153, insiste lui aussi, tant en ce

qui concerne les collectivités territoriales que les associations, sur la nécessité de

mobiliser des espaces de coopérations réels de nature à réintroduire l’élaboration

partagée des buts et des finalités dans une logique délibérative.154 C’est à partir de

différentes interventions psychosociologiques conduites notamment dans des

administrations publiques et des collectivités locales qu’il dresse le tableau

préoccupant des logiques à l’œuvre dans ces organisations imposant aux acteurs un

modèle managérial technocratique sans tenir compte le moins du monde des réalités

essentielles de leurs structures sous-jacentes155 le plus souvent de type

charismatiques ou bureaucratiques. Or cette structure est constituée de l’ensemble des

valeurs et des modes de fonctionnement intériorisés par les individus qui composent

cette organisation. On ne change pas de structure en changeant simplement

d’organigramme ou de procédures. On se contente alors de soumettre les acteurs à de

très fortes tensions où c’est tout simplement le sens, non seulement de leur

investissement, mais encore de leur action, qui finit par se brouiller totalement. Or,

« l’une des caractéristiques du management dans sa vision technocratique est de faire

comme si les problèmes étaient seulement en extériorité ou que l’on pourrait tout 152 Ibid. p. 160. 153 Cf. Introduction générale : Abdelaâli Laoukili fut l’un de nos formateurs dans le cadre du cycle de formation à la psychosociologie clinique de l’ARIP. 154 Abdelaâli Laoukili, « Les collectivités territoriales à l’épreuve du management », in Connexions N°91, Management et contrôle social, Erès, 2009 155 Jean-Claude Rouchy, » Un conception psychanalytique des structures et de leur évolution », in Institution et changement, Op. cit. pp. 15-45 ; Eugène Enriquez, « Structures d’organisation et contrôle social », Connexions N° 41, Toulouse, Erès.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

231

« objectiver » et tout rationaliser et qu’il suffirait aux acteurs d’appliquer la bonne

méthode pour y arriver »156. Or précisément, les problèmes de l’action sociale ne se

posent surtout pas en extériorité mais bien, d’emblée, pour chaque situation concrète

donnée, dans cette incertitude des buts que l’on va poursuivre et du chemin que l’on va

emprunter pour y arriver. Cette incertitude, ou cette indécidabilité disait Barel, des buts

en action sociale n’a fait que s’amplifier au cours des dernières décennies. N’est-ce

pas ainsi à vouloir continuer à imposer un modèle pédagogique à des jeunes dont les

souffrances venaient interroger le prétendu savoir des équipes éducatives que

beaucoup d’entre elles se sont cassées les dents au cours des années 80 et 90 ?157 Il

a fallu inventer, se déplacer, quitter souvent les murs de l’internat pour des parcours

plus incertains, où seule la parole échangée entre adultes et jeunes, dans le cadre

d’une délibération toujours relancée sur le sens de la souffrance manifestée faisait

point d’arrimage à un social, devenu, sans ce travail, radicalement étrange et

angoissant. C’est cette option qui est foncièrement mise à mal par le « technocrate »

(celui qui a une vision technique du problème) « dans sa volonté de maîtrise et de

contrôle du réel dont la vision ne s’accommode pas facilement avec les nécessités

d’engager une délibération avec les autres acteurs, foncièrement incertaine et

« consommatrice » de temps. Le contrôle de l’incertitude et le contrôle des coûts se

trouvent ainsi, et de manière inconsciente, comme des impératifs majeurs aux yeux de

notre technocrate, pas toujours si libre ni si innovant pour concevoir des dispositifs

d’élaboration et de mise en œuvre des décisions adaptés aux enjeux et aux contraintes

de la situation.»158

C’est ensemble que les pouvoirs publics, les collectivités locales, les associations ont,

à des places différentes, à assumer une lourde responsabilité en ce qui concerne le

sens de l’action sociale aujourd’hui. Règne en effet un double message, une injonction

paradoxale dont il faudra bien sortir un jour, et sans doute pas par l’issue que nous

indique le nouvel idéal de maîtrise technocratique. D’une part, nous l’avons vu avec les

analyses de Robert Lafore, il y a basculement du côté des modalités de construction

de la réponse et de l’intervention, d’une logique de catégorisation des publics et des

équipements à une logique de parcours individualisé et d’accompagnement qui

156 Ibid. p. 111 157 Cf. Supra. C’est sur la base de cette expérience qu’une action de formation recherche en lien avec l’ARIP et Transition est en cours avec les associations de l’UNASEA Bretagne sur cette question précisément de se laisser travailler par le non savoir au cœur de toute rencontre authentique, et donc de la rencontre éducative comme de l’action sociale en général. 158 Abdelaâli Laoukili, Ibid. p 108.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

232

pourrait laisser supposer l’émergence d’un véritable nouveau paradigme de l’insertion

en matière d’action sociale. Et d’un autre côté, on assiste à la prégnance croissante de

normes, dites de performance, qui viennent occulter toutes les zones d’incertitudes, de

non savoir, d’insu sur lesquelles se fondent, par la parole échangée et l’effort

d’intercompréhension des sujets en présence, la qualité même de toute intervention

éducative ou sociale. C’est encore Jürgen Habermas qui plaide pour une

communication d’intercompréhension qui ne soit pas purement et simplement

supplantée par une communication de type stratégique dans le cadre de laquelle la

logique des systèmes recouvrirait celle du monde vécu. Pour ce dernier, « le

dépassement de cette ambivalence ne peut se faire qu’au travers d’un accord commun

sur deux choses : l’importance du problème à traiter, c'est-à-dire les valeurs et buts

poursuivis, et la visée démocratique (le mode de participation de tous les acteurs). »159

Nul ne peut méconnaître la plainte, et parfois la souffrance, d’un grand nombre de

travailleurs sociaux aujourd’hui confrontés à cette injonction paradoxale

d’ « accompagner », avec tout ce que cette notion suppose de « co-production » ou

encore de « co-construction » entre la personne aidée et l’aidant, sur le fond encore

une fois d’un non-savoir essentiel, dans un contexte où la prestation de service est,

quant à elle, de plus en plus souvent prescrite et définie en amont, dans le cadre de

cahiers des charges faisant l’objet d’approches avant tout techniques et gestionnaires,

et évaluée en aval selon des logiques quantitatives et normatives. « Les travailleurs

sociaux, écrit Jean-Pierre Lebrun, sont désormais obligés de supporter, en fait, ce sur

quoi notre modalité de lien social fait l’impasse. Qui pourtant mieux qu’eux – au-delà

du concret de leurs interventions – pourrait prendre la mesure de ce qu’un problème

social ne peut prétendre trouver une solution qu’en étant d’abord reconnu comme étant

l’affaire d’un sujet ? »160 Mais le sujet semble de moins en moins à l’ordre du jour !

Comment alors prétendre à l’efficience en matière d’action sociale sans arrimer

étroitement les institutions à ces espaces de délibération par nature incertains, « non

tracés et non-traçables »161, où s’affronte le négatif, le contradictoire et l’irréductible de

toute situation humaine en souffrance ? C’est bien cette question de l’efficacité même

de l’approche managériale et procédurale en matière d’action sociale qui doit

159 Ibid. p. 109 160 Jean-Pierre Lebrun, La perversion ordinaire, Vivre ensemble sans autrui, Editions Denoël, Paris, 2007, p. 177. 161 Jean-Michel Abry, « Le social et le médico-social à l’épreuve de sa déshumanisation », Connexions N° 91, Management et contrôle social, p. 172.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

233

finalement être posée et qui devra, tôt ou tard, se trouver, comme le souligne Abdelaâli

Laoukili « au centre des réflexions sur l’évaluation des politiques publiques. »162

162 Ibid. p. 115.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

234

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

235

Conclusion Générale : Pour une refondation des

institutions intermédiaires en action sociale

La ressource des associations d’action sociale est entre leurs mains !

Les associations d’action sociale se trouvent aujourd’hui à la croisée des chemins. La

montée en force des processus de rationalisation gestionnaire et de marchandisation,

leur mise en concurrence, les convoquent à aller plus loin qu’une simple remise en

cause des modèles d’organisation et d’autorité traditionnelles sur lesquels elles étaient

fondées. Elles doivent contribuer à l’invention d’une autre modalité du lien social où la

technique et l’économie ne viennent pas, purement et simplement, supplanter un mode

dépassé de structuration devenu irrecevable par l’ensemble des acteurs. Encore faut-il

considérer quels sont les vrais besoins de ces acteurs afin qu’ils continuent à

s’engager pleinement au sein des organisations. A cet égard, les questions qui se

posent aux associations ne sont pas différentes de celles qui se posent aux entreprises

ou aux services publics. Mais encore faut-il que les ressources spécifiques dont celles-

ci disposent pour y répondre soient mises au jour.

Jean-Louis Laville, dans l’ouvrage récent codirigé avec Christian Hoarau sur la

gouvernance des associations163 souligne les limites d’un pur et simple alignement de

l’association sur la logique de l’entreprise. Mais il insiste également sur les déficits de

démocratie au sein des instances associatives susceptibles de compromettre

gravement et durablement la relance de leur initiative en matière de gouvernance. Il

pointe là, comme il le reprend d’ailleurs dans un article plus récent164, certaines dérives

ou fonctionnements autarciques dans lesquels des associations ont pu se laisser

enfermer : « les cas de « cliques » qui ont privatisé de fait des espaces collectifs en

tirant leur pouvoir du faible nombre de participants impliqués dans la vie associative

163 Christian Hoarau, Jean-Louis Laville, La gouvernance des associations, Economie, sociologie, gestion, Erès, Toulouse, 2008.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

236

sont trop fréquents pour être ignorés. »165 Mais le risque principal qui se profile

aujourd’hui est celui de l’assimilation à « un service public à moindre frais dans un

contexte de sous-dotation endémique » avec un personnel qui « moins protégé

statutairement que dans le service public, constitue la seule variable d’ajustement

lorsque les conventions globales signées avec les tutelles ne permettent pas de couvrir

l’intégralité des charges. »166 Il est certain que la mobilisation des salariés de la

Convention Collective 66 tout au long de l’année 2009, dans le cadre des organisations

syndicales ou non, constitue à la fois une prise de conscience de ce risque majeur par

les intéressés eux-mêmes, mais aussi une alerte pour l’ensemble des responsables

publics ou associatifs sur le fait qu’on ne transforme des logiques d’action dans un

dynamique porteuse de sens et de progrès sans prendre en considération les acteurs

eux-mêmes qui s’y engagent quotidiennement.

Au-delà de ce risque d’un « sous-service public » toujours plus accordé à la

pénétration des logiques du management d’entreprise, Jean-Louis Laville met l’accent

sur les capacités d’innovation du secteur associatif, à la fois selon la logique

conventionnée de négociation avec les tutelles mais également selon celle beaucoup

plus proche de l’entreprise de l’exploration de nouveaux marchés. Toutefois c’est dans

son aptitude à devenir « entrepreneur institutionnel et à introduire des questions

inédites au sein de l’espace public »167 que l’association garde la plus grande marge de

manœuvre et de renouvellement : « quand l’association théorise et construit des

coalitions en combinant activités économiques et politiques, il existe une innovation

institutionnelle qui s’inscrit dans le cadre démocratique. »168 L’association d’action

sociale, comme nous l’avons vu pour l’exemple de la Sauvegarde 56, vit dans une

interdépendance étroite avec les pouvoirs publics. Il s’agit là d’un fait à assumer

pleinement. Mais il ne prive pas l’association d’une capacité d’action, d’innovation ni

même d’une capacité de contribution au « renouvellement de l’action publique par une

interdépendance assumée entre action associative et régulation publique. »169 C’est

vers ce mode de régulation négociée et conventionnée que s’orientait, on l’a vu, la

Sauvegarde 56. Mais il ne suffit pas de définir ce cap pour l’atteindre à coup sûr. Car

les pièges sont nombreux sur la route. Ils tiennent à la difficulté des pouvoirs publics

165 Jean-Louis Laville, « Management et régulation dans les associations », in Connexions, Management et contrôle social, N°91, Erès, juillet 2009, p. 160 166 Ibid. p. 266 167 Ibid. p. 267 168 Idem. 169 Idem.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

237

eux-mêmes d’initier de véritable modes de pilotages coopératifs et démocratiques sur

les territoires, associant l’ensemble des acteurs, se contentant le plus souvent de

reconduire des réflexes et habitudes bureaucratiques aujourd’hui renforcés par les

nouveaux outils de contrôles informatiques. Mais ils tiennent aussi à la difficulté d’un

certain nombre d’associations de soutenir elles-mêmes une exigence de réinvention

démocratique au sein même de leur organisation comme dans les relations qu’elles

établissent avec leurs partenaires. La contamination de la logique concurrentielle et

marchande pointe à l’horizon de ce déficit de conception du lien social dont les

associations d’action sociale, plus que toutes autres organisations professionnelles,

devraient pourtant, eu égard à leur mission, être les précurseurs. C’est à la continuité

entre projet social et conduites démocratiques au sein des organisations associatives

que nous consacrerons les dernières pages de ce travail. C’est au prix de cet effort

réflexif concernant la mobilisation de toutes leurs ressources internes mais aussi la

qualité des réseaux dans lesquels elles s’engagent qu’elles pourront peut-être éviter

les risques de la « banalisation brouillant les séparations avec l’entreprise privée ou le

service public et attester d’une réactivité par rapport aux changements sociaux qui lui

assure une pertinence durable. »170

Grâce aux travaux de Jean-Pierre Lebrun, nous avons déjà insisté sur l’enjeu d’un

renouvellement de l’approche institutionnelle des organisations. Cela vaut d’ailleurs,

nous l’avons souligné, dans un contexte sociétal de relativisation de la différence des

places pour l’ensemble des institutions, qu’elles soient politiques, familiales, sociales

ou professionnelles. Nous avons montré que cette relativisation peut devenir une

chance et correspondre à une progression de l’idéal démocratique à condition qu’elle

n’équivaille pas à une dissolution pure et simple de cette différence au profit, par

exemple, d’une soumission généralisée à la seule logique gestionnaire et procédurale.

L’institution garde cet avantage sur l’organisation, qui, elle, peut se réduire à un pur

mécanisme technocratique, qu’elle vise avant tout à faire vivre et œuvrer ensemble

des sujets humains référés aux lois de la parole. Au-delà des travaux de l’ARIP dont

nous avons souligné l’importance dans notre parcours professionnel lors de

l’introduction171, nous aimerions reprendre en conclusion, pour ce qui concerne

l’association, l’enjeu permanent de l’articulation entre institutionnalisation et

subjectivation, tels que Renaud Sainsaulieu et Blaise Ollivier l’ont mis en valeur dans

170 Ibid. p. 268 171 Jean-Claude Rouchy, Monique Soula Desroches, Institution et changement, Processus psychique et organisation, Ed. Erès, Coll. Transition, Ramonville Saint-Agne, 2004.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

238

leurs travaux communs172. Si Renaud Sainsaulieu est le fondateur de ce cycle de

formation sur les changements associatifs à Sciences Po, nous avons surtout eu

l’occasion de rencontrer, avant son décès en septembre 2007, Blaise Ollivier avec

lequel il a étroitement collaboré. Nous avons fait sa connaissance en 2003, suite à

l’annulation d’une conférence au GNDA du fait de sa maladie, et sommes intervenus

en 2005, à sa demande, dans le cadre d’un séminaire de l’association

Confrontations173 qu’il présidait alors sur les changements que nous avions déjà

introduits à l’époque dans la conduite de la Sauvegarde 56. L’un et l’autre, de manière

anticipée par rapport aux réflexions aiguisées de Jean-Pierre Lebrun sur la clinique de

l’institution, ont cherché à mettre en évidence, en articulant les ressources de la

sociologie, de la psychosociologie et de la psychanalyse, les conditions à la fois d’une

démocratisation du monde de l’entreprise mais aussi d’une contribution à un

renouvellement du lien social. Les questions qui se posent pour l’entreprise sont

d’autant plus pertinentes lorsqu’il s’agit de l’association dont c’est l’objet même de

travailler en permanence à réinventer, dans des contextes toujours évolutifs, le lien

social.

La question de la démocratie est en effet centrale pour les associations d’action sociale

aujourd’hui : qu’il s’agisse d’inventer des modes de mobilisations davantage

démocratiques de tous les acteurs parties prenantes dans le cadre du projet associatif,

ou bien qu’il s’agisse de nouer d’authentiques liens de partenariats avec d’autres

acteurs associatifs dans le cadre d’un effort de rééquilibrage de la régulation publique,

ouvrant davantage d’espace à la co-construction des logiques d’action. Mais cette

question de la démocratie est aussi centrale au regard de la conception même du

social et des interventions à promouvoir pour réarrimer des sujets en souffrance174 à

leur pleine dimension de citoyen. C’est toute la conception de l’action sociale, mais

aussi au sens large de l’éducation, qui doit être réorientée dans une perspective où le

contenant de l’action compte autant que le contenu, c'est-à-dire où l’institution vivante

est garante de la réinscription de sujets désocialisés et désaffiliés dans des processus

172 Blaise Ollivier… 173 Jean Lavoué, « Face aux demandes d’évaluation du travail social, comment garantir la place de l’humain ? L’évaluation qualitative au service du projet associatif et du changement, » Colloque Penser l’humain aujourd’hui, Confrontations, Paris, 14-15 janvier 2005. 174 Sous la direction de Jean Lavoué, Souffrances familiales, souffrances sociales, Nouveaux contextes de la relation d’aide : quelles pratiques, quelles méthodes ? Actes du colloque organisé à Lorient par l’UNASEA Bretagne le 19 novembre 2002.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

239

qui visent à recomposer les liens entre appartenances primaires et secondaires175 voire

à les élaborer là où elles ont totalement fait défaut. L’enjeu démocratique est

aujourd’hui de réinventer, par-delà des modèles d’autorité dépassés, des formes de

légitimité où les acteurs reconnus dans leurs capacités et leurs subjectivités acceptent

de s’inscrire dans des processus collectifs garantis par des règles et par une

symbolisation acceptable de la différence des places structurant le social et notamment

l’éducation qui y donne accès176. Cela suppose de la part des professionnels et des

organisations la mise en œuvre de compétences nouvelles, articulant implication

subjective, dispositifs garantissant la parole de tous, espaces de débat, lisibilité par la

transcription des éléments constitutifs du bien commun… Cela suppose aussi une

certaine relativisation de toutes les places, de toutes les identités parfois fortement

ancrées dans une logique de surplomb ou d’exception au nom d’un savoir, d’un

pouvoir réel ou supposé, pour entrer dans un processus de mise en relation autour de

logiques de projets plus larges, autour de missions ou de territoires, remettant en

question les cloisonnements identitaires ou disciplinaires ainsi que les crispations

corporatistes.

Dans l’ouvrage collectif co-dirigé par Christian Hoarau et Jean-Louis Laville177, Joseph

Haeringer et Samuel Sponem ouvrent eux aussi des perspectives à ce travail de

démocratisation des associations qui suppose notamment de dépasser les logiques

de contrôle rationnel et coercitif pour engager un contrôle de type culturel où « les

organisations sont vues comme des lieux de valeurs partagées et d’implication morale

dans lesquels la cohésion et la loyauté prennent une importance majeure. »178 La

coopération, on l’a vu, était peu compatible avec des conceptions de l’autorité fondées

sur le charisme et l’ « exception », sans souci de lisibilité partagée. Mais elle ne l’est

pas davantage avec celles qui les supplantent sans transformation et qui vont

privilégier les moyens plus que la fin, la visée gestionnaire plus que la dynamique

identitaire et culturelle. Pour échapper à cette alternative, l’objectif premier reste

d’inscrire la responsabilité au cœur de l’engagement personnel et collectif, dans une

démarche d’appropriation des valeurs par le débat. Ces valeurs qui prévalent en

175 Jean-Claude Rouchy, Le groupe, espace analytique. Clinique et théorie, Toulouse, érès, Collection « Transition », 1998. 176 Jean-Pierre Lebrun, La perversion ordinaire, op. cit. 177 La gouvernace des associations, op. cit. 178 Joseph Haeringer, Samuel Sponem, « Régulation dirigeante et gouvernance associative », in la gouvernance des associations, Economie, sociologie, gestion, sous la direction de Christian Hoarau et Jean-Louis Laville, Erés, Toulouse, 2008, p. 233.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

240

termes de loyauté, de cohésion et d’engagement collectif, ce sont précisément celles

qui vont être au fondement de la recomposition démocratique des dynamiques

interassociatives. On peut d’ailleurs faire l’hypothèse qu’il y aura une corrélation très

étroite entre les logiques de solidarité externes et de mutualisation dans le cadre des

réseaux et la manière dont à l’interne sont élaborés sur un mode coopératif les

cohésions et les projets démocratiques. C’est sans doute là l’une des principales

pierres d’achoppement pour une influence renouvelée des associations dans les

processus démocratiques sur les territoires, en région et même au niveau national. La

dispersion des forces et surtout l’acceptation des logiques concurrentielles dans une

visée purement marchande et gestionnaire mettent à mal les fondements mêmes et les

valeurs de la cohésion du fait associatif. Réinventer la solidarité dans le contexte d’une

régulation publique tendant à privilégier les contrôles coercitifs voire à les utiliser pour

affaiblir ou fragiliser certaines organisations associatives ou certaines alliances ne va

pas de soi. C’est pourquoi, là encore, la responsabilité de l’action publique est

première pour accompagner le mouvement de démocratisation des associations et leur

recomposition dans une dynamique qui serve l’intérêt commun au sens large et non le

seul encadrement des charges et des coûts. Mais ce n’est pas là la voie privilégiée

aujourd’hui. Le temps est à l’épreuve de l’organisation associative.

Tout l’enjeu de la dirigeance dans les associations d’action sociale est d’articuler des

logiques a priori contradictoires, celle de l’adhésion au projet associatif et celle de la

contrainte gestionnaire normative. Entre injonction des tutelles et dynamique

d’adhésion des acteurs, la tension est forte. Des choix de management purement

gestionnaires peuvent donner la primauté à une forme renouvelée de régulation

tutélaire où la logique administrative et bureaucratique prescrit en définitive, de la

manière la pus étroite possible, les règles et les critères du management. Ce n’est pas

là bien sûr, pour les associations, l’espace où elles peuvent jouer la chance de devenir

un nouvel acteur institutionnel travaillant, dans une interaction permanente avec les

pouvoirs publics, à une réinvention des cadres démocratiques et à une implication

citoyennes de toutes les parties prenantes, y compris des usagers. Dans cette tension

entre tutelle gestionnaire et logique de sens et de projet, Joseph Haeringer et Samuel

Sponem privilégient un modèle politique de l’autorité du dirigeant fondé sur « sa

capacité à traduire la pluralité des positions en un accord issu d’un processus

participatif et constitutif d’un bien commun »179. C’est bien sur cette conception

179 Ibid. p. 239.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

241

citoyenne de la solidarité que doit se fonder l’accord entre toutes les parties prenantes

de l’association comme entre les acteurs associatifs engagés dans des pratiques de

réseaux. Il est nécessaire, et je dirai même vital, que les associations manifestent

aujourd’hui un certain écart, une certaine affirmation de leur potentiel démocratique

afin d’enrichir le processus qui convoque les politiques publiques à redéfinir voire à

réinventer le cadre des actions de solidarités pour des citoyens toujours plus désaffiliés

et isolés. S’il est un déficit dont les associations d’action sociale peuvent par-dessus

tout s’emparer aujourd’hui pour orienter leurs projets et leurs actions, c’est bien celui

du lien social et de la solidarité que les économies marchandes détruisent

méthodiquement en faisant de l’individu un consommateur seulement guidé par la

logique de son intérêt180. Tout leur effort doit être d’inventer des cadres d’action, à

l’interne comme à l’externe, qui donnent du poids à ce projet politique qui doit aussi

trouver forme dans une organisation et un mode de fonctionnement donnant leur place

à tous les acteurs et les mettant en relation intersubjective les uns avec les autres,

même si c’est au prix de certaines dynamiques conflictuelles. L’autorité dirigeante doit

trouver là le terrain privilégié de son engagement, l’autorité politique de l’association

étant elle garante, au nom du projet, du bien commun élaboré à partir de la pluralité

des engagements. « La bonne gouvernance, soulignent Joseph Haeringer et Samuel

Sponem, impliquerait que les associations se constituent en espaces de débats,

définissent des procédures de décisions dans des temps et des lieux appropriés pour

soutenir l’engagement des parties prenantes dans leurs différences respectives. »181

Finalement la gouvernance et la dirigeance associatives reposent, on l’a vu tout au

long de ce mémoire, sur une tension entre deux logiques irréductibles l’une à l’autre et

qui ont à trouver entre elles les meilleures synergies, les pouvoirs publics ayant eu, de

tout temps, tendance à privilégier la logique professionnelle sur la logique associative

et citoyenne. C’est bien par la porte de la professionnalisation qu’ils sont parvenus en

effet à exercer cette mainmise croissante sur des organisations qui initialement

s’étaient construites sur la carence de l’action publique. Robert Lafore, dans une

contribution à un ouvrage où il retrace l’évolution de cette régulation publique du

secteur associatif voit lui aussi, au-delà « des derniers avatars de la régulation de

l’action sociale que sont les instruments du new management appliqués au services

publics et à la production d’utilités collectives », de larges capacités de réappropriation

180 Cf. Introduction 181 Joseph Haeringer, Samuel Sponem, op. cit. p. 243.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

242

et de marges de manœuvre laissées au secteur associatif pour « produire lui-même le

sens et les modèles légitimes de son action »182. A lui donc de s’en saisir, et de ne pas

se laisser purement et simplement instrumentaliser par des logiques administratives

auxquelles il manque le plus souvent la capacité d’entraînement citoyen, promotrice du

fait démocratique. Les associations, doivent retrouver aujourd’hui cette tension

structurante entre initiative citoyenne, fondatrice de l’association, et pertinence des

interventions professionnelles. « Si hier, concluent Joseph Haeringer et Samuel

Sponem, l’innovation comme capacité d’explorer de nouvelles réponses aux besoins,

était l’un des enjeux majeurs pour les associations, il y a aujourd’hui un déplacement

sur l’exploration de formes de démocratie… La question associative, celle d’inscrire les

formes de coopération dans un registre démocratique, constitue un enjeu majeur

puisqu’il s’agit de traduire dans des dispositifs pertinents les principes et les valeurs de

liberté et d’égalité. Celui-ci relève aussi d’une compréhension plus institutionnelle de

ces fonctionnements que ne le laissent entendre certaines approches

organisationnelles. »183

Finalement, l’enjeu principal face auquel se trouvent aujourd’hui convoquées les

associations d’action sociale est un enjeu de valeurs, mais de valeurs vécues, traduites

dans des cadres communs d’action et des règles reconnues et partagées. C’est tout

l’intérêt de l’ouvrage collectif rédigé sous la direction de Blaise Ollivier et de Renaud

Sainsaulieu, reprenant dix années de débat ouvert sur l’entreprise dans la société

démocratique184, de nous faire toucher du doigt les conditions pour qu’une entreprise

s’engage véritablement dans un processus démocratique et contribue ainsi à

l’élaboration d’un lien social davantage citoyen. Impossible bien sûr, de résumer ici la

richesse de cet ouvrage qui s’appuie pour partie sur les derniers ouvrages, également

très éclairants pour notre sujet, de chacun des auteurs185. Mais nous pouvons

reprendre cependant quelques axes qui tiennent autant à notre pratique et à nos

convictions personnelles qu’aux intuitions centrales de ces chercheurs qui ont arpenté

pendant des décennies le monde des organisations et de leurs acteurs et y ont

182 Robert Lafore, « Entre pouvoirs publics, associations et marché : l’ingénierie juridique dans l’action sociale », in Qui gouverne le social? Sous la direction de Michel Borgetto et Michel Chauvière, Ed. Dalloz, Paris, 2008, p. 44. 183 Joseph Haeringer, Samuel Sponem, op. cit. p. 244. 184 Sous la direction de Blaise Ollivier et Renaud Sainsaulieu, L’entreprise en débat dans la société démocratique, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, Paris, 2001. 185 Blaise Ollivier, L’acteur et le sujet, Vers un nouvel acteur économique, Ed. Desclée de Brouwer, Paris, 1995. Renaud Sainsaulieu, Des sociétés en mouvement, La ressource des institutions intermédiaires, Ed. Desclée de Brouwer, Paris, 2001.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

243

confronté de manière incessante l’élaboration toujours en chantier de leurs

conceptions théoriques. C’est finalement sur une conception anthropologique de l’être

humain, foncièrement différente de celle décrite par Jacques Généreux au fondement

de l’économisme186, que repose leur vision du rôle de contribution au processus

démocratique des organisations professionnelles. L’un, Renaud Sainsaulieu, privilégie

une conception sociologique de l’acteur qui va cependant chercher dans la philosophie

personnaliste d’Emmanuel Mounier187 la dimension inépuisable de la ressource de la

personne bien éloignée de la conception utilitariste qui prévaut aujourd’hui. L’autre,

psychanalyste et sociologue, privilégie quant à lui la notion de sujet divisé, toujours

manquant du fait même qu’il est un être de langage, mais toujours aussi capable d’une

parole nouvelle et créatrice capable de contribuer de manière décisive à l’œuvre

commune, à condition précisément d’assumer ce manque. Or c’est précisément tout

sentiment de dette à l’égard d’une perte originaire que cherche à masquer et camoufler

la logique postmoderne de consommation de l’objet, d’une part, et d’hyper-

rationalisation de la relation interhumaine, d’autre part. Ce serait, au contraire, à

mobiliser la ressource irréductible des acteurs, considérés comme sujets de leur

parole, et donc capable de créer du neuf sur la base d’une identité d’emblée constituée

sur le fondement de la relation à l’autre, que la société postmoderne pourrait envisager

un dépassement de ses dérives et du relatif chaos dans lequel elle plonge bon nombre

de nos contemporains. C’est aussi à la conclusion qu’arrive Alain Caillé, à la suite des

travaux de Marcel Mauss, sur laquelle repose le mouvement anti-utilitariste en science

sociales (MAUSS) qu’il a fondé. Ce n’est pas à réduire de manière utilitariste les

individus à la seule logique de leur intérêt, en référant leur reconnaissance ou leur

sanction à la seule sphère de la consommation, qu’on peut se donner, en effet,

collectivement la chance de transformer les impasses toujours plus criantes auxquelles

nous sommes confrontés. Les associations d’action sociales emploient des travailleurs

sociaux dont la mission tient toujours plus de l’impossible dans un tel contexte où seule

la conception utilitariste de l’individu semble publiquement prescrite tandis qu’il leur

faut tenter de relier à une société qui les exclut toujours davantage des personnes en

souffrance, en errance, en désaffiliation et en déliaison188. Et cela ne concerne pas que

les enfants et les adolescents mais l’ensemble du public adulte s’adressant également

aujourd’hui aux services sociaux. L’enjeu est donc fondamental de faire des

associations d’action sociale, mais dirions-nous aussi dans l’idéal des services publics

186 Jacques Généreux, La Dissociété, op. cit. 187 Renaud Sainsaulieu, L’entreprise en débat, op. cit, p. 205. 188 Jean-Pierre Lebrun, La perversion ordinaire, op. cit. p. 177.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

244

chargés de la restauration des liens solidaires interhumains, des organisations qui

mettent au cœur de leur projet et de leurs modes d’action la question du sujet et de

l’engagement dans sa parole de chaque acteur, qu’il soit professionnel, bénévole,

usager… Faire vivre la démocratie suppose l’invention d’institutions éducatrices,

apprenantes et responsabilisantes, à la hauteur des défis que nous avons à relever. Il

ne doit pas y avoir d’écart entre la visée sociale de nos organisations et l’invention

permanente de cadres d’actions répondant aux exigences d’humanisation que nous

avons à honorer, par delà les dérives réductrices de l’humain que nous connaissons.

Penser l’acteur à la fois comme personne riche de son potentiel d’engagement et de

don189 et comme sujet fondé dans sa parole qui à la fois le différencie et le fait

appartenir et agir dans la communauté humaine, constitue une référence

anthropologique, un pilier, capable de résister aux pires errements, en tous les cas de

discerner, chaque fois qu’elle est mise en péril, la conception fondamentale de l’être

humain sur laquelle se fonde le lien social et solidaire et finalement la société

démocratique.

Renaud Sainsaulieu discerne un enjeu essentiel de « reliance » pour les associations

rattrapées par les logiques de marché et de gestion où elles risquent de « perdre leur

âme »190. Et il définit précisément deux axes d’ouverture pour ce secteur qui « a

toujours constitué le révélateur efficace des insuffisances récurrentes d’une conception

technique et rationnelle de la modernité »191. C’est d’ailleurs d’un engagement

personnel dont parle Renaud Sainsaulieu quand il souligne que « s’engager dans

l’activité associative, c’est, d’une certaine façon, adopter une position d’alternative

critique, de réflexivité, par rapport à l’état des structures officielles et d’encadrement

des citoyens. »192 Voilà bien défini le programme d’orientation de l’association : il ne

s’agit pas pour elle de se soumettre au modèle dominant au point de finir par lui

ressembler mais bien de mobiliser ses propres ressources pour venir critiquer et

subvertir au besoin les modèles d’encadrement réduisant les capacités démocratiques.

C’est bien à ce carrefour que se trouvent les associations d’action sociale aujourd’hui :

se soumettre et disparaître en tant qu’organisations capables de promouvoir de

l’innovation sociale, se contentant de reproduire des logiques d’action étroitement

encadrées par les lois du marché et de la gestion publique. Ou bien, refonder leur idéal

189 Alain Caillé, Op. cit. 190 Renaud Sainsaulieu, op. cit p. 158. 191 Ibid. p. 160. 192 Ibid. p. 161

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

245

démocratique de manière originale et convaincante pour leurs acteurs, pour leurs

citoyens mais aussi pour la société qui les missionne et les pouvoirs publics qui en

sont les relais. C’est pourquoi, sur l’axe culturel, mobilisant toutes les ressources

démocratiques de l’associatif, Renaud Sainsaulieu prédit, un intense renforcement des

logiques communicationnelles et participatives au sein des organisation, une

représentativité de toutes les parties prenantes dans les instances associatives, un

renouvellement de l’activité réflexive et du débat mobilisant de manière interactive tous

les acteurs : « Avec une telle organisation démocratique, conclut-il, l’association se

distingue nettement des structures juridiques et commerciales d’organisation

classiques, elle rend compte publiquement de ses orientations, résultats et

responsables ; elle est admise pour son effet d’innovation sociale, démocratique et

solidaire. L’association trouve précisément ici sa légitimité dans l’expérience créative,

responsable et partagée de ses fonctionnements collectifs. »193 Le second axe

d’ouverture et de renouvellement des associations d’action sociale consiste pour

Renaud Sainsaulieu à inventer, dans le champ de l’économie solidaire, « prenant appui

sur les trois ressources de l’économie solidaire définie par Jean-Louis Laville, les

subventions, le service marchand, le bénévolat, un nouveau statut pour l’entreprise

sociale, à but non lucratif et à responsabilité spécifique »194. On voit, en effet, dans

l’exemple de la Sauvegarde 56 combien le mélange des genres a pu être préjudiciable

à une claire vision des enjeux à la fois de démocratie associative et de réalisme

économique. C’est pourquoi l’idée d’inventer, sur un mode expérimental, et selon le

modèle des coopératives, un nouveau cadre d’action démocratique pour des

entreprises sociales clairement situées dans le champ de l’économie solidaire et se

différenciant des associations dont le cœur de l’action reste avant tout le travail du lien

social et non celui de la production, nous paraît être une piste de réflexion à méditer à

laquelle l’histoire récente de notre association tendrait à donner raison. Ainsi, au cœur

des sociétés en mouvement, l’association est-elle en mesure d’apporter sa ressource,

en tant qu’institution intermédiaire « à condition de renouveler la qualité démocratique

de ses fonctionnements collectifs et ainsi de manifester publiquement la valeur

institutionnelle et opératoire de son engagement. »195

L’analyse critique des nouveaux modes de gouvernance publiques fondés sur

l’encadrement procédural et gestionnaire, la normalisation et la désubjectivation

193 Ibid. p. 163. 194 Idem. 195 Ibid. p. 164.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

246

commence à être de plus en plus étayée. Les souffrances au travail en sont

certainement le symptôme le plus lisible. Outre les travaux de Jean-Pierre Lebrun, la

récente contribution de la revue de psychosociologie Connexions, Management et

contrôle social196, vient établir un bilan opportun de cette dégradation généralisée des

relations au travail et des logiques institutionnelles d’action. Tout se passe comme si la

pseudo-mobilisation subjective des acteurs, visant à les faire adhérer de manière

active aux processus encadrant de manière toujours plus étroite et contraintes leur

action, se retournait en fait contre une véritable dynamique de subjectivation. Les

souffrances au travail, les démobilisations, les plaintes récurrentes sont là pour en

attester. C’est la raison pour laquelle, sans bien sûr pouvoir faire l’impasse sur les

logiques marchandes et instrumentales qui pénètrent de manière toujours plus

agressives leur champ, les associations d’action sociale ont à repenser leur visée

humanisante et subjectivante dont la ressource ne saurait être que dans le fait politique

lui-même. C’est en tant que parties prenantes d’un projet de nature politique, qui vient

interroger les dérives de l’économisme ambiant, que les associations peuvent

redevenir les interlocutrices des pouvoirs publics qu’elles ont été : non plus

essentiellement en multipliant la création de nouvelles structures et de nouveaux

services dont les administrations viennent d’ailleurs, estimant sans doute que

l’essentiel a été fait à cet égard, de fixer, sous leur pilotage, les nouvelles règles de

création et d’attribution, non pas en se contentant de gérer et de concentrer les

moyens, dans une logique de prestataire de service public, mais en repensant

radicalement leur utilité sociale sur un mode avant tout politique de contribution à

l’effort de repenser la démocratie et la responsabilité de chacun dans l’élaboration du

lien social. C’est un enjeu politique, mais aussi avant tout éducatif et culturel auquel se

trouvent convoquées les associations d’actions sociale. Elles ont à le relever, d’abord

pour leur propre compte, en inventant des modalités de coopérations entre toutes les

parties prenantes à leur projet. Mais aussi en inventant des formes de mutualisation

qui les aident à repenser ensemble les conditions de leur renouvellement politique et

démocratique. Cela suppose sans doute de dépasser les cadres traditionnels

d’appartenance et de fédération inter-associatives, qui n’ont pas toujours pu éviter les

logiques corporatistes de confrontation et de division du champ, pour inventer des

dynamiques de réflexion et d’action militantes, transcendant en quelque sorte toute

une acculturation du secteur aux seules règles de la nouvelle gouvernance publique

196 Op. cit.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

247

issues directement de la Corporate Governance197. Par une dynamique active de

recherche-action articulée aux lieux de la recherche universitaire ou clinique, l’urgence

est de rassembler des praticiens, qu’elle que soient leurs fonctions dans les

associations, qui auront à conscientiser d’autres acteurs qui auront eux-mêmes à

refonder, au-delà de la seule logique de l’intérêt de l’association pour elle-même et

pour ceux qui la dirigent ou la gouvernent, l’essence même de l’éthos associatif qui est

dynamique de création collective par l’autre et pour l’autre.

197 Dany-Robert Dufour, « La gouvernance comme nouvelle forme de contrôle social », in Connexions N° 91, op.cit, p. 42.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

248

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

249

ANNEXES

1 – Extraits du rapport moral présenté à l’Assemblée Générale 2009

Vers une nouvelle gouvernance associative

2 – Extraits du rapport d’activité présenté à l’Assemblée Générale

2009

La Sauvegarde 56, une organisation coopérative au service de

la gouvernance associative

3 – Organigrammes évolutifs de la Sauvegarde 56 1993-2009

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

250

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

251

ANNEXE 1

Extraits du rapport moral présenté à l’Assemblée Générale 2009

Vers une nouvelle gouvernance associative

C’est avec la satisfaction de mettre en œuvre un projet associatif bien vivant, donnant

pleinement ses effets et avec l’assurance que cette dynamique nous engage déjà dans la

préparation du prochain projet que j’entreprends le bilan de cette année 2008, la quatrième

année de mon mandat de Présidente de la Sauvegarde 56. Le projet associatif a été élaboré au

cours des années 2004-2005 et présenté à l’Assemblée Générale 2006. S’il a été pour nous

l’occasion d’un rappel de nos fondements et de nos valeurs, et en particulier de notre

philosophie pour l’action élaborée dix ans auparavant, il s’est aussi surtout voulu un projet

d’organisation, de mise en ordre de marche de notre association afin de lui permettre d’affronter

les grands enjeux qui sont les nôtres aujourd’hui. L’action sociale se prépare en effet à une

mutation sans précédent, et cette mutation, déjà amorcée, tient pour une grande part à des

enjeux organisationnels : elle résulte notamment de la volonté des pouvoirs publics, déjà à

l’œuvre depuis plusieurs années, de mettre en cohérence les acteurs et leurs dispositifs afin

que chacun, donnant le meilleur de lui-même, enrichisse les dynamiques globales d’actions

territoriales au service des personnes en difficulté. Mais elle est aussi le fruit d’une réflexion

entreprise par les associations elles-mêmes sur leurs projets et leurs propres organisations.

Aucune réforme, aucune transformation en profondeur, aussi évidente et nécessaire fut-elle, ne

saurait, en effet, s’imposer sans un engagement fort, une participation et la reconnaissance de

tous les acteurs.

Pour participer à cette mutation d’ensemble, il fallait donc que la Sauvegarde, sur la base de

son histoire, de ses compétences et de ses valeurs, entreprenne elle-même sa propre mutation.

C’est ce que son projet associatif lui a permis d’ores et déjà largement d’accomplir : affirmation

de ses missions autour de ses grands pôles de compétence et de ses offres de service

départementales. Le mouvement est à présent bien enclenché. La vision s’est clarifiée. Et à cet

égard l’année 2008 aura constitué une année charnière en termes de définition du dispositif

global et de précision de l’organigramme cible que je laisserai tout à l’heure au directeur

général le soin de présenter et de commenter.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

252

Mais tout en accomplissant cette nécessaire mutation de son organisation lui permettant de

mieux s’inscrire tant dans les nouveaux cadres d’action définis par les politiques publiques que

dans les réseaux de partenariat qui lui tiennent particulièrement à cœur, l’association n’a pas

perdu pour autant de vue sa visée première ni sa raison d’être et c’est ce sur quoi j’aimerais

insister dans ce rapport moral de l’année écoulée.

Dans le cadre de ces transformations inéluctables qui concernent, et vont concerner de plus en

plus, l’ensemble des dispositifs d’action sociale en France, j’aimerais, en effet, souligner un

risque que peuvent courir les associations dans un contexte de rationalisation accrue,

d’efficacité et de concentration des moyens : ce serait celui de l’affaiblissement de l’ambition

associative au profit de la seule gestion, administration et organisation du social. Or le travail

social en France a d’abord été le fruit, à la suite de l’œuvre des congrégations et de nombreux

mouvements philanthropiques, de l’action de dizaines de milliers d’associations, de centaines

de milliers de bénévoles qui ont su écouter les besoins de la société, témoigner des souffrances

de personnes, anticiper et innover sur des logiques d’action, créer enfin des dispositifs

extrêmement variés, complexes, riches au sein desquels professionnels, bénévoles,

administrateurs, adhérents et personnes aidées ont appris peu à peu à jouer ensemble leur

partition. Avant d’être une association employant plusieurs centaines de salariés, la

Sauvegarde 56 a, elle aussi, été une association de bénévoles mettant au service de

personnes en difficultés, notamment de détenus récemment libérés, leur temps et leur désir

d’aider. Cette fibre ne s’est jamais perdue. Il y a donc là aujourd’hui, dans cette articulation

entre action bénévole et action professionnelle, toute une fondation, tout un savoir-faire dont

nous n’avons pas toujours su nous-mêmes voir, entretenir et valoriser la richesse. Or cette

richesse est notre bien commun ; c’est aussi celui de l’ensemble des citoyens d’un pays comme

la France. Nul doute que les associations ont été jusqu’à ce jour un lieu privilégié d’exercice

d’une forme de démocratie de proximité, compensant bien souvent en matière de solidarité et

de lien social l’éloignement des centres de décision et de pouvoir. Confronté aujourd’hui à la

mutation de son environnement, ce modèle associatif peut paraître à beaucoup en crise,

devenu en partie inefficient car trop morcelé et cloisonné, ayant du mal à renouveler ses

militants et ses adhérents. Dans le cadre de la décentralisation, l’action publique a, quant à elle,

transformé ses modes d’action dans le sens d’une affirmation de la démocratie territoriale et

locale. Peu à peu, elle construit et rend de plus en plus efficients ses modes de pilotage. Mais

action publique et force associative ne sauraient être exclusives l’une de l’autre et encore moins

antagonistes l’une par rapport à l’autre. Qui, mieux que l’association peut mobiliser aujourd’hui

encore un nombre important de bénévoles au service de leurs concitoyens ? Nous disons quant

à nous, à la Sauvegarde 56, que ce modèle associatif a besoin de se rénover, de se ressourcer

et, en quelque sorte, d’être refondé. C’était déjà l’ambition de notre premier projet associatif, et

c’est la raison pour laquelle, cette année encore, une grande part de notre réflexion a porté sur

l’enjeu de cette refondation. Aussi, je souhaite vous faire part d’un certain nombre d’initiatives

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

253

que nous avons déjà prises dans ce sens, persuadée qu’à travers ces pistes de réflexion et

d’action que nous mettons en œuvre, c’est déjà l’élaboration de notre prochain projet associatif

2011-2012 qui se trouve, d’une certaine façon, engagée.

La grande question qui se pose à notre association, comme à beaucoup d’autres aujourd’hui,

gérant comme nous des équipements sociaux, est d’abord celle de son rayonnement en termes

d’adhérents. Et croyez-bien que ce n’est pas avant tout l’enjeu financier de la cotisation qui

nous intéresse, mais bien plutôt le signe concret que celle-ci manifeste qu’un nombre croissant

de femmes et d’hommes de notre département se mobilisent à nos côtés pour soutenir notre

action et pour s’engager eux-mêmes à en être les relais, là où ils vivent. C’est la raison pour

laquelle nous avons entrepris un travail de communication spécialement destiné à ces

adhérents potentiels que nous souhaitons mobiliser et fédérer autour de nos valeurs et de nos

actions. Dans le dossier qui vous a été remis à l’entrée de cette assemblée générale se trouve

la plaquette à partir de laquelle nous souhaitons largement communiquer. C’est le fruit du travail

de la commission communication. Celle-ci s’est donnée comme but de rendre plus lisible le

sens de l’action de la Sauvegarde 56 et les raisons de nous rejoindre. En effet, une association

comme la nôtre ne peut jouer pleinement son rôle d’interlocutrice des pouvoirs publics et des

élus qu’en développant son engagement citoyen qui est à la base même de son projet et de sa

vision du lien social. Ces plaquettes de communication sont à votre disposition pour faire

connaître notre action et notre volonté de sensibiliser un nombre croissant de personnes aux

enjeux de l’action sociale et de la solidarité.

Nous avons voulu également continuer à donner de bonnes raisons à ces adhérents de nous

rejoindre. Nous avons ainsi poursuivi nos soirées rencontres débats auxquelles tous les acteurs

de l’association sont invités : si elles n’ont pas eu le succès attendu en nombre de participants,

elles ont néanmoins permis à ceux qui y ont participé de mieux comprendre les questions qui

traversent notre association et l’action sociale aujourd’hui. La commission vie associative et le

petit groupe chargé de la préparation de ces soirées ont décidé d’ouvrir désormais, à partir de

septembre prochain, ces espaces de rencontres et de débat non seulement aux personnes déjà

impliquées dans l’association mais encore aux partenaires ainsi qu’aux personnes et aux

habitants tout simplement désireux de nous rejoindre.

Une journée annuelle des adhérents a également été décidée afin de les associer davantage à

la vie et au devenir de l’association. Nous organiserons ainsi avec eux des échanges et débats

sur l’actualité de l’association à travers des rencontres qui leur seront spécialement dédiées.

Bien sûr, le journal de la vie associative constitue également, par ailleurs, un lien naturel que

nous continuerons à privilégier avec eux.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

254

Au-delà de cette plus grande proximité avec nos adhérents, nous souhaitons également

renforcer le lien entre l’association et ses usagers. L’an dernier, nous avions accueilli lors de

notre assemblée générale 200 enfants du quartier de Kervénanec à Lorient avec leur famille

autour d’un concert de chansons qu’ils avaient eux-mêmes écrites concernant le devenir de leur

quartier. Cette assemblée générale symbolisait notre volonté d’aller à la rencontre des habitants

de notre département, au-delà même des missions d’action sociale que nous exerçons. Cette

volonté demeure fortement ancrée car c’est aussi par ce que ce sont tout simplement des

habitants et des citoyens de notre département que notre association souhaite continuer à

rencontrer les usagers de ses services et engager le dialogue avec eux.

Ainsi, notre journée associative du 28 novembre 2008 portait-elle sur cette question de l’usager,

non seulement au cœur de l’action professionnelle, mais aussi au cœur de la vie associative :

les administrateurs présents ont pu entendre les professionnels des différents dispositifs dire en

quoi, 7 ans après la loi du 2 janvier 2002, leurs pratiques continuaient à se transformer dans le

sens d’une plus grande attention à la parole et à la vie des usagers. Mais les professionnels ont

pu aussi écouter les administrateurs leur dire leur volonté de nourrir leur responsabilité par des

liens plus étroits avec les personnes accueillies ou accompagnées dans l’association. S’ils

tenaient à redire toute leur confiance aux professionnels pour l’action qu’ils mènent, en tant que

premiers médiateurs de l’action associative en direction des usagers, ils souhaitaient aussi

poser des jalons en vue d’une implication plus directe des usagers au cœur même de la vie

associative. Ainsi la perspective de la création d’un conseil de la vie associative au sein duquel

les usagers pourraient jouer pleinement leur rôle est-il l’un des axes qui a pu être réaffirmé ce

jour là et sera sûrement mis en œuvre dans la perspective de notre projet à venir.

Le projet de créer des événements sportifs et culturels initié par la commission créée à cet effet

viendra, lui aussi, renforcer le lien associatif. La première manifestation de ce type aura lieu le

26 septembre prochain au stade du Moustoir à Lorient, en présence de footballers

professionnels du FCL. A la partie sportive qui associera professionnels, usagers,

professionnels, bénévoles, adhérents, et habitants s’ajoutera la dimension festive et culturelle

qui clôturera la journée.

Cette année aura été aussi pour nous l’occasion pour nous de définir notre plan d’action

associatif, suite à la démarche d’auto-évaluation que nous avons conduite dans une

perspective d’amélioration continue de la qualité. Tous les points que je viens d’évoquer font

l’objet, bien sûr, d’une attention toute particulière dans ce plan d’action : politique d’adhésion,

mobilisation de toutes les partie-prenantes de l’association, rapprochement entre

administrateurs et salariés, organisation d’événements et de rencontres entre l’association et

les usagers seront des indicateurs forts lors de nos prochaines étapes d’auto-évaluation. …/…

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

255

ANNEXE 2

Extraits du rapport d’activité présenté à l’Assemblée Générale 2009

La Sauvegarde 56, une organisation coopérative au service de la

gouvernance associative

Une gouvernance associative fondée sur la coopérati on

Ainsi que l’affirmait Andrée Cario dans son rapport moral, la Sauvegarde 56, avec beaucoup

d’autres associations aujourd’hui, cherche avant tout à affirmer une ambition associative. Son

projet présenté il y a trois ans a mis en évidence les liens étroits entre son offre de service, son

organisation et les finalités qu’elle poursuit. Il ressort de ces années d’élaboration, de réflexion

et d’expérimentation que cette volonté de mobiliser plus fortement un nombre élargi d’acteurs

qui la constituent. On s’est accoutumé ces dernières années à parler à ce propos de

gouvernance : la gouvernance, voilà un mot qui nous est tout droit venu du monde de

l’entreprise avec ses dérives avec la valorisation systématique et excessive, par exemple, du

rôle des actionnaires au détriment d’autres composantes de l’entreprise, direction ou salariés, le

client restant, quoiqu’il en soit l’arbitre suprême. En ce qui concerne la vie associative où l’on en

est venu aussi à parler de gouvernance, l’ambition consiste bien, là encore, à mobiliser tous les

acteurs, toutes les parties prenantes, en dehors toutefois de toute logique d’intérêt et de gain :

certains bénévoles, d’autres salariés, d’autres encore destinataires d’accueils et

d’hébergement, d’aides, de conseils, d’accompagnements, tout cela dans le cadre de politiques

publiques orientées uniquement par le souci de la plus grande équité et solidarité entre les

habitants d’un département, d’une région, du pays.

Dès lors la gouvernance, pour ce qui concerne une association comme la Sauvegarde 56

consiste à relier tout un ensemble d’acteurs, à faire jouer le mieux possible à chacun son rôle

en lien avec celui de tous les autres. Par nature, les associations, les mutuelles, les

coopérations cherchent, en dehors de toute logique d’intérêt particulier, à conduire un

ensemble de personnes à concourir au bien commun. Dès lors, y-a-t-il un domaine plus

intéressant que le domaine associatif pour permettre au concept de gouvernance, entendu au

sens d’une mise en coopération de tous les acteurs concernés, de tenir toutes ses promesses :

à savoir cet art de réussir ensemble un projet, dans un domaine parfaitement utile, nécessaire

et désintéressé qui est celui de l’action sociale ?

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

256

C’est dans le cadre d’une articulation toujours plus étroite entre pouvoirs publics et prestation

professionnelle au service des usagers, notamment symbolisée par la loi du 2 janvier 2002, que

l’association et ses administrateurs, ses bénévoles, ses adhérents cherchent ainsi à jouer au

mieux leur partition. La présidente a fait part dans son rapport moral de tout ce qui était mis à

l’œuvre pour développer ce lien citoyen avec les différentes parties prenantes de l’association.

Mais il existe aussi un lien de l’intérieur qui est de nature à renforcer l’ambition et la

gouvernance associatives : c’est le lien de l’association avec son organisation professionnelle

elle-même. C’est sur ce point que j’aimerais insister dans le cadre de ce rapport d’activité. Notre

association, comme beaucoup d’autres, a connu, ces trente dernières années une croissance

importante et rapide de son organisation professionnelle, à tel point qu’elle a fini parfois par se

confondre, aux yeux de certains, avec cette organisation professionnelle. Les textes de lois

régissant l’action sociale qui se succèdent nous laissent parfois cette fâcheuse impression qu’il

n’y aurait plus en matière d’associations sociales et médico-sociales que des organismes

gestionnaires d’équipements professionnels encadrés par l’administration. La Sauvegarde 56

quant à elle peut être fière de ces années de développement qui en ont fait une institution forte

et incontournable du département en matière d’action sociale. Toutefois, au cours de ces

années de développement on ne peut pas dire, et en cela elle n’était pas très différente des

autres associations connaissant la même croissance, que la gouvernance associative ait été

privilégiée au sens d’une forte dynamique d’adhésion aux fins de développer le pôle politique

de l’association, ou d’un lien très étroit entre les instances associatives, les professionnels et

leurs usagers, ou bien encore d’une forte articulation des missions entre elles afin d’asseoir

avec les pouvoirs publics une contractualisation fiable, sécurisée et durables des logiques

d’action. Cette faiblesse de la gouvernance, ou dirions-nous de la coopération, s’est traduite par

des fragilités dont nous avons fait part au cours d’Assemblées générales récentes, notamment

2003-2006.

Depuis, un certain nombre de choix politiques et organisationnels, notamment en lien avec le

projet associatif élaboré au cours de ces années, nous ont permis de franchir des étapes qui

convergent vers un renforcement de la gouvernance et de la coopération associatives et

dessinent le chemin sur lequel nous souhaitons continuer à progresser au cours des prochaines

années.

La Présidente de l’association a insisté sur la composante politique de la gouvernance : une

volonté de faire adhérer et coopérer un nombre croissant de citoyens du département à notre

projet. Je souhaiterais pour ma part vous présenter quelques enjeux de sa composante

organisationnelle, sachant, bien entendu, que l’une et l’autre concourent à une affirmation

globale de notre ambition associative au service du projet.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

257

Une organisation coopérative

Ainsi, l’année 2008 a-t-elle constitué, à cet égard, une étape importante d’affirmation du projet

associatif. Celui-ci, comme la Présidente le rappelait dans son rapport moral, visait précisément

cette volonté de mieux intégrer les forces à l’œuvre au sein de l’association et les dynamiques

d’acteurs, à mieux asseoir la structure organisationnelle et à mieux intégrer l’offre de service

dans le cadre des grandes missions départementales et des pôles de compétence. Si l’ambition

coopérative n’a cessé d’être affirmée, il lui fallait trouver ses cadres d’action concrets pour

s’exprimer pleinement. A cet égard, 2008 a tracé une voie qui permettra sans nul doute à

l’association de constituer cette structure coopérative stable à laquelle elle oeuvre déjà depuis

plusieurs années. Le plan d’action associatif élaboré cette année à la suite de la démarche

d’auto-évaluation donne une vision très concrète et évaluable du chemin à parcourir pour

permettre à chaque acteur, et notamment à chaque professionnel, d’habiter pleinement cette

structure associative fondée sur la coopération.

Afin de visualiser les étapes franchies, je vous propose un petit retour en arrière sur notre

organisation récente qui vous permettra de mieux saisir la visée qui est la notre aujourd’hui.

Ces quelques organigrammes sont des indicateurs sur le chemin.

Tout d’abord 1993. L’organigramme manifeste l’expansion de la Sauvegarde au cours des

années précédentes : la fusion avec l’association SOS à l’Ecoute, la création des premières

filiales dans le champ de l’insertion, Bleu Citron et Projet, les services Jalons et enquêtes

sociales, directement rattachés à la direction générale, enfin les sites de Kéraudrénic et du

Pratel dédiés à l’insertion et à la formation. Une dizaine de directeurs exercent alors leurs

responsabilités sous l’autorité du directeur général. De multiples délégations leur permettent

d’élargir le rayonnement de l’association. Il n’existe alors que deux postes et demi de cadres

intermédiaires : un directeur adjoint et un poste et demi de chef de service. Une seule équipe

de direction : celle des directeurs réunis autour du directeur général ; mais une relative

indépendance entre chaque structure et de fortes différences en matière de cultures de

direction et de cultures professionnelles au sein pourtant d’une même organisation. Aux yeux

de certains, si l’on met l’accent sur la relative autonomie des établissements et services,

l’association peut apparaître comme une sorte de fédération ; cependant l’ensemble du

développement de la structure est initié à partir de la direction générale.

L’organigramme de 2000 s’est encore enrichi de deux nouvelles filiales tandis que le

regroupement des services s’est légèrement amorcé : les deux services de milieu ouvert ont été

regroupés en 1994 ainsi que les établissements du Pratel et de Kervénic. Le nombre de

directeurs est à présent de 8. Le nombre de cadres intermédiaires s’est lui un peu accru, se

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

258

répartissant à parité entre Directeurs-Adjoints et Chefs de service sans différenciation évidente

des fonctions entre les uns et les autres.

En 2002, les pôles Protection de l’Enfance et Insertion Adultes familles se dessinent. Les filiales

sont toujours au nombre de quatre. Le service Jalons cesse en 2003 son activité et le service

d’enquêtes sociales est intégré au service d’IOE en 2002. Les cadres intermédiaires sont tous

chefs de service. Ils sont au nombre de dix.

En 2007, dans la mouvance du projet associatif visant à définir des missions départementales

complémentaires et bien différenciées les unes des autres, les trois directeurs qui ont quitté

l’association, deux sur le pôle adultes et un sur le pôle enfance, ont été remplacés par des

cadres intermédiaires placés sous l’autorité d’un directeur de pôle, pour le pôle adultes, ou d’un

directeur ayant mission départementale, pour le pôle protection de l’enfance. Quatre équipes de

direction sont alors constituées composées de deux, trois ou quatre chefs de service chacune

et d’un directeur-adjoint pour le service d’accueil d’adolescents. C’est essentiellement à partir

de ces équipes que la culture de coopération se développe au sein de l’organisation. Entre eux

ces dispositifs restent encore relativement cloisonnés.

Au cours de l’année 2008, le départ de Claire Turbiaux, directrice du Service d’Accueil Familial,

ouvre une phase de réflexion. Le choix est d’abord fait de remplacer ce poste de direction : le

SAF est un service important qui représente pratiquement le tiers des emplois de l’association.

Le mode d’organisation du pôle protection de l’enfance diffère alors profondément de celui du

pôle insertion adultes/familles puisque quatre directeurs sont appelés à coopérer ensemble

pour le pilotage du premier tandis que le second est piloté par un seul directeur. Toutefois, la

non confirmation de l’embauche du directeur du SAF au cours de sa période d’essai conduit

l’association à affirmer alors clairement le choix d’une direction de pôle également pour la

protection de l’enfance, rendant ainsi plus homogène à terme la structuration des deux pôles de

l’association.

Avec la décision de créer ces deux directions de pôles de compétences, l’association a

souhaité également donner une délégation plus large à la direction administrative et financière

en en faisant une direction de pôle à part entière. Les enjeux de gestion, de mise en cohérence,

de relation avec les pouvoirs publics, de logistiques sont tels aujourd’hui que la création d’un

pôle ressources aux délégations bien définies et transversales à toute l’organisation ne peut

que venir sécuriser et stabiliser l’organigramme associatif.

Nous sommes actuellement, en 2009, dans une période transitoire. Un deuxième poste de

directeur adjoint, responsable du service d’accueil familial a été créé. Ce poste a été confié à

Bruno Martin, précédemment chef de service au SAF. Comme Jean-Louis Cartron, directeur-

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

259

adjoint du Service d’Accueil d’Adolescents, il se trouve placé sous la responsabilité de Jean-

Guy Hémono, appelé lui-même à prendre à terme la direction du pôle protection de l’enfance.

Le pôle adultes connaîtra, lui aussi, des évolutions au cours des mois et des années à venir

puisque, comme l’indiquait Andrée Cario, Patrick Gaudin qui le dirige depuis trois ans a

souhaité faire valoir ses droits à la retraite pour le tout début de l’année 2010.

L’organisation transitoire actuelle nous permet donc de nous projeter vers un organigramme

cible présenté au conseil d’administration au cours de l’année.

La logique de cet organigramme, pour revenir sur la notion de gouvernance, est une logique

coopérative qui se dessine à tous les niveaux de l’organisation. Elle permet notamment

d’envisager à terme la création d’une équipe de direction générale constituée des trois

directeurs de pôles et du directeur général. Cette équipe sera naturellement appelée à coopérer

étroitement avec les instances associatives et notamment avec le conseil d’administration.

Par ailleurs, chaque directeur de pôle est appelé à développer un projet de pôle entraînant

également tous les professionnels concernés dans une dynamique coopérative. Chaque équipe

de direction de service placée sous la responsabilité d’un directeur adjoint référé au directeur

de pôle conduit lui aussi le service dans le cadre d’une coopération étroite avec les chefs de

service placés sous sa responsabilité. La visée de la direction de pôle n’est pas d’abord une

visée administrative ou gestionnaire, mais bien la conduite d’un dispositif global ordonné à une

mission départementale, la protection de l’enfance ou l’insertion des adultes, dans le but

d’orchestrer l’ensemble des réponses éducatives et sociales destinées aux usagers.

La transformation de l’organisation telle que nous venons de la parcourir suppose un important

déplacement des cultures de direction. Après une première étape de formation au management

pour l’ensemble des cadres du conseil de direction conduite par Techne Conseil il y a six ans,

une deuxième étape est en cours accompagnée par Jean-René Loubat. Elle permettra

notamment de formaliser l’ensemble des tâches, des fonctions, des délégations de

l’encadrement en lien avec cette importante modification de l’organisation.

Cette transformation importante, nous l’avons souligné, est au service de la coopération entre

tous les acteurs professionnels et de la complémentarité des missions. Chaque fois, au cours

des années précédentes, nous l’avons constaté, que nous avons procédé à un regroupement

de services avec un pilotage unifié, nous avons vu se développer une logique renforcée de

coopération entre des établissements précédemment cloisonnés et développant parfois des

cultures professionnelles assez éloignées les unes des autres au sein pourtant de la même

association et sur des missions identiques. Nous faisons ainsi le pari que l’organigramme

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

260

intégré que nous souhaitons atteindre prochainement, non seulement permettra un véritable

pilotage coopératif de toute l’organisation professionnelle, favorisant notamment la

contractualisation de nos actions avec les pouvoirs publics et notre travail de réseau, mais

encore qu’il favorisera la gouvernance associative c'est-à-dire sa dynamique politique

d’ensemble au service des usagers.

Une politique de réseau

Cette transformation interne n’est pas sans lien avec la forte mobilisation externe et le travail de

réseau dont a également parlé la Présidente dans son rapport moral. En effet, la coopération,

ou les enjeux de gouvernance associative, ne se dessinent pas seulement en interne de nos

organisations mais également dans leur capacité de nouer des liens forts entre elles. Mais là

encore, ne peut-on pas voir se dessiner deux grandes visions de la gouvernance appliquées

aux associations du secteur social ou médico-social. Il y a tout d’abord celle qui fait prévaloir le

lien entre financement public et prestations de services professionnels fournies par des

opérateurs de droit privé ; cela va sans dire, cette conception néglige assez largement la

composante politique et citoyenne des associations. C’est, pour faire court, la vision de la

gouvernance que privilégient depuis plusieurs années les pouvoirs publics et la direction

générale de l’action sociale qui cherchent à administrer de manière la plus efficace possible un

secteur associatif devenu à leurs yeux trop multiforme : il s’agit donc de le remodeler, de le

concentrer, de le contraindre à des cadres administratifs et gestionnaires rigoureux, mais aussi

de l’inscrire comme un outil plus efficient des politiques territoriales. L’ambition de cette vision

de la gouvernance : d’abord l’efficacité gestionnaire et la normalisation ; son risque :

l’instrumentalisation et la perte d’initiative et de créativité des acteurs professionnels et la

démobilisation des centaines de milliers de concitoyens bénévoles qui, en France, depuis

cinquante ans ont contribué largement à l’émergence d’un dispositif associatif d’action sociale

certes éclaté et parcellisé, mais riche d’engagement, de proximité et de solidarité.

Inutile de préciser que ce n’est pas la vision de la gouvernance associative que privilégie la

Sauvegarde 56 dans son travail de réseau départemental, régional et national. Certes, le

secteur associatif se trouve aujourd’hui en quelques sortes à la croisée des chemins. Mais nous

ne pensons pas, justement, qu’il n’y ait pour lui qu’un seul chemin : celui qui semble s’imposer

et qui consisterait nécessairement à la concentration du secteur au sein d’organismes

gestionnaires régionaux, voire nationaux, de plusieurs milliers de salariés administrés selon un

modèle parapublic. Nous ne pensons même pas que la visée de réforme de la gouvernance

des politiques publiques, cherchant elle aussi à faire concourir tous les acteurs de manière forte

et responsable, puisse être correctement atteinte de cette manière là. Que gagnerait l’Etat, en

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

261

effet, si à la place des quelques dizaines de milliers d’associations et des plusieurs centaines

de milliers de bénévoles qui concourent à la mise en œuvre de ses politiques sociales, il ne se

retrouvait plus qu’avec quelques milliers de centres de gestion, employant chacun des

centaines ou des milliers de salariés, après avoir fait passer au second plan toute ambition et

toute initiative associatives ?

C’est la raison pour laquelle, dans son travail de réseau, la Sauvegarde 56 privilégie avant tout

ce renforcement de la dynamique inter-associative, politique et professionnelle. Si nous

cherchons certes, pour une part, à répondre de manière concertée aux logiques de la

commande publique, nous sommes également persuadés que celle-ci ne peut que sortir

enrichie de la mise en commun de nos savoir-faire mais également de notre volonté affirmée de

préserver le tissu fort de la vie associative dans notre pays. Car réformer la gouvernance des

institutions en France suppose ne sûrement pas de supprimer les acteurs ou de les

instrumentaliser, ce qui revient au même, mais nécessite au contraire de leur donner les

chances et le temps de se transformer.

Aussi, toutes les initiatives départementales, régionales ou nationales que prend la Sauvegarde

56 au sein de ses réseaux visent d’abord à développer l’alliance technique et politique entre

associations, l’une ne pouvant aller sans l’autre. Par ailleurs, nous nous efforçons d’œuvrer au

sein des réseaux et des fédérations existants afin de contribuer, à notre place, à leur

transformation. Que ce soit dans le cadre du réseau régional et national UNASEA, dont vous

trouverez dans ce rapport d’activité le bilan de la mandature que nous avons conduite pour

l’année 2008, que ce soit dans le cadre de la création d’un réseau inter-fédéral régional

URIOPSS-UNASEA, que ce soit dans le cadre de la relance d’une délégation départementale

FNARS, ou bien encore de la dynamique de CAPE 56, nous ne visons qu’à renforcer la force

de représentativité et d’action du secteur associatif. Elle seule peut permettre, en effet, de

conduire des politiques de contractualisation efficaces avec les pouvoirs publics.

Quelques aspects du travail en réseau

Dans le domaine de la protection de l’enfance, CAPE 56 nous a permis de franchir cette année

une étape importante, puisqu’au-delà de la journée départementale du 10 octobre 2008

construite avec les services du département, l’ensemble des cadres des cinq associations

constitutives de CAPE 56 ont croisé leurs regards et leurs analyses tout au long de l’année

dans le cadre de trois groupes de travail. Sur la base de ce travail, nous envisageons la

réalisation d’une journée qui pourrait réunir administrateurs et salariés de nos associations.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

262

En matière de gouvernance associative, l’UNASEA, sur la base de l’initiative de plusieurs

associations, va proposer en novembre à tous les acteurs de la vie associative intéressés en

Bretagne de rejoindre la délégation pour une journée d’étude afin d’enrichir cette vision d’une

gouvernance centrée sur la coopération citoyenne et non sur la seule vision administrative et

gestionnaire. Encore une fois, c’est au service des citoyens et des usagers, et dans le but d’une

amélioration de la réponse publique que les associations doivent rester aujourd’hui pleinement

mobilisées autour de leurs valeurs et de leurs projets au service de l’humain.

Pour la deuxième année, nous poursuivons la recherche-action conduite avec cinq associations

de la région Bretagne sur la prise en charge des adolescents difficiles. Cette action-recherche

menée en lien avec l’organisme de formation Transition nous permettra de communiquer nos

éléments d’analyse au cours des mois à venir, nous l’espérons dans le cadre d’une journée

régionale où là encore nous inviterons largement professionnels et administrateurs de nos

associations, mais également les partenaires qui concourent avec nous à la mission de

protection de l’enfance.

Madame Cario a évoqué les réflexions engagées avec l’Association Espoir Morbihan pour

renforcer la coopération entre nos dispositifs d’intervention. Dans le prolongement de ce que

nous venons d’évoquer, et quelque soit la forme que pourra prendre demain cette coopération,

nous serons attentifs au fait qu’elle soit bien au service du renforcement de l’ambition

associative, dans l’intérêt des usagers du département. …/…

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

263

ANNEXE 3

Organigrammes évolutifs de la Sauvegarde 56 1993-2009

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

264

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

265

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

266

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

267

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

268

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

269

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

270

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

271

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

272

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

273

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

274

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

275

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

276

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

277

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

278

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

279

Table des sigles

ANESM Agence Nationale de l’Evaluation Sociale et Medico-Sociale

ANPE Agence Nationale pour l’Emploi

ANPF Association Nationale des Placements Familiaux

ARS Agence Régionale de Santé

CADA Centre d’Accueil des Demandeurs d’Asile

CAF Caisse d’Allocations Familiales

CAPE 56 Conférence des Associations de Protection de l’Enfance du Morbihan

CHRS Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale

CNAEMO Carrefour National de l’Action Educative en Milieu Ouvert

CNLAPS Comité National de Liaison des Associations de Prévention Spécialisée

CPOM Contrat Pluriannuel d’Objectifs et de Moyens

DDASS Direction Départementale de l’Action Sanitaire et Sociale

DDISS Direction Départementale des Interventions Sanitaires et Sociales

FNARS Fédér. Nationale des Associations d’Accueil et de Réinsertion sociale

FN3S Fédér. Nat. des Services Sociaux Spécialisés de Protect. de l’Enfance

GCSMS Groupement de Coopération Social et Médico-Social

GNDA Groupement National des Directeurs d’Association

PJJ Protection Judiciaire de la Jeunesse

SAFHIR Service d’Accueil Familial d’Hébergement et d’Intervention en Réseau

UNASEA Union Nat. des Assoc. de Sauvegarde de l’Enfance et de l’Adolescence

URIOPSS Union Régionale Interféd. des Organismes Privés Sanitaires et Sociaux

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

280

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

281

BIBLIOGRAPHIE

Jean-Michel Abry, « Le social et le médico-social à l’épreuve de sa déshumanisation »,

Connexions N° 91, Management et contrôle social.

Michel Adam, L’association, Image de la société, L’Harmattan, Paris, 2005.

Elisabetta Buccolo, « L’encastrement politique des associations », in La démocratie, un

enjeu pour les associations d’action sociale, Desclée de Brouwer, Paris, 2008.

Alain Caillé, Anthropologie du don, Desclée de Brouwer, Paris, 2000.

Michel Chauvière, Enfance inadaptée, l’héritage de Vichy, Ed. de l’Atelier, 1989.

Michel Chauvière, « Qu’est-ce que la « chalandisation » ? », Informations sociales

2009/2, p. 128-134

Denise Court, La Dame du Morbihan, autoédition, 2007.

Michel Crozier, L’acteur et le système, Les contraintes de l’action collective, Ed. du

Seuil, Paris, 1981.

Pierre Cueff, « Il était une fois la Sauvegarde… », Articles du Tourmentin, in Journal de

la Sauvegarde du Morbihan, 1994 -1999.

François Dubet, Le déclin de l’institution, Paris, Seuil, 2002.

Dany-Robert Dufour, « La gouvernance comme nouvelle forme de contrôle social », in

Connexions N° 91.

Eugène Enriquez, L’organisation en analyse, Paris, PUF, 1992.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

282

Eugène Enriquez, « Structures d’organisation et contrôle social », Connexions N° 41,

Toulouse, Erès.

Paul Fustier, Le lien d’accompagnement, Entre don et contrat salarial, Dunod, Paris,

2000

Jacques Généreux, La Dissociété, Ed. du Seuil, Paris, 2006.

Jacques T. Godbout, Ce qui circule entre nous, Donner, recevoir, rendre, Seuil, Paris,

2007.

J. Habermas, L’espace public, Paris, Payot, traduction française, 1993.

Joseph Haeringer, Samuel Sponem, « Régulation dirigeante et gouvernance

associative », in la gouvernance des associations, Economie, sociologie, gestion, sous

la direction de Christian Hoarau et Jean-Louis Laville, Erés, Toulouse, 2008.

Matthieu Hély, « De la tutelle au partenariat : entreprises associatives et régulation

conventionnée », Iresco, Toulouse, 16-17 septembre 2004, document Internet.

Ivan Illich et David Cayley, La corruption du meilleur engendre le pire, Actes Sud, 2007

Robert Lafore, « Entre pouvoirs publics, associations et marché : l’ingénierie juridique

dans l’action sociale », in Qui gouverne le social? Sous la direction de Michel Borgetto

et Michel Chauvière, Ed. Dalloz, Paris, 2008.

Robert Lafore, « Le travail social à l’épreuve d’un environnement institutionnel en

recomposition », Informations sociales 2009/2, N° 152.

Rapport Langlais, Pour un partenariat renouvelé entre l’Etat et les associations, juin

2010.

Abdelaâli Laoukili, « Les collectivités territoriales à l’épreuve du management », in

Connexions N°91, Management et contrôle social, Erè s, 2009

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

283

Jean-Louis Laville, La gouvernance des associations, Economie, sociologie, gestion,

sous la direction de Christian Hoarau et Jean-Louis Laville, Toulouse, Erès, 2008.

Jean-Louis Laville, « Management et régulation dans les associations », in

Connexions, Management et contrôle social, N°91, Er ès, juillet 2009.

Sous la direction de Jean-Louis Laville et Renaud Sainsaulieu, Sociologie de

l’association, Des organisations à l’épreuve du changement social, Desclée de

Brouwer, Paris, 1997.

Jean Lavoué, Les travailleurs sociaux, acteurs du changement social ?, Mémoire de

Diplôme Supérieur en Travail Social, Université de Caen, 1986.

Jean Lavoué, Structure charismatique et changement, l’exemple de la Sauvegarde du

Morbihan, Mémoire de fin de cycle de psychosociologie clinique à l’ARIP, Paris, 2000.

Sous la direction de Jean Lavoué, Souffrances familiales, souffrances sociales,

Nouveaux contextes de la relation d’aide : quelles pratiques, quelles méthodes ? Actes

du colloque organisé à Lorient par l’UNASEA Bretagne le 19 novembre 2002.

Jean Lavoué, « Face aux demandes d’évaluation du travail social, comment garantir la

place de l’humain ? L’évaluation qualitative au service du projet associatif et du

changement, » Colloque Penser l’humain aujourd’hui, Confrontations, Paris, 14-15

janvier 2005.

Jean-Pierre Lebrun, Un monde sans limite, Essai pour une clinique psychanalytique du

social, Erès, Toulouse, 2004

Jean-Pierre Lebrun, La perversion ordinaire, vivre ensemble sans autrui, Paris, Denoël,

2007.

Jean-Pierre Lebrun, Clinique de l’institution, Ce que peut la psychanalyse pour la vie

collective, Ed. Erès, Toulouse, 2008.

Jacqueline Légaut, La psychanalyse l’air de rien, Toulouse, Erès, 2007.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

284

Marcel Mauss, L’essai sur le don, sociologie et anthropologie, Paris, Puf, 9ème édition,

2001.

Albert Meister, Vers une sociologie des associations, Paris, Editions Ouvrières, 1972.

Charles Melman, L’homme sans gravité, Jouir à tout prix, Denoël, 2002

Rapport Morange, Rapport sur la gouvernance et le financement des structures

associatives, 1er octobre 2008.

Blaise Ollivier, L’acteur et le sujet, Vers un nouvel acteur économique, Pairs, Desclée

de Brouwer, 1995.

Sous la direction de Blaise Ollivier et Renaud Sainsaulieu, L’entreprise en débat dans

la société démocratique, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques,

Paris, 2001.

Bernard Perret, « De la valeur des structures sociales, capital ou patrimoine », in

Bevort A. et Lallement M. (dir.) Le Capital social, performance, équité, et réciprocité,

Paris, La découverte-MAUSS, 2006

Karl Polanyi, La Grande Transformation, Gallimard, 1983.

Françoise Piotet, Renaud Sainsaulieu, Méthodes pour une sociologie de l’entreprise,

Presses de la fondation nationale des sciences politiques, ANACT, Paris, 1994.

Jean-Claude Rouchy, Monique Soula Desroches, Institution et changement, Processus

psychique et organisation, Ed. Erès, Coll. Transition, Ramonville Saint-Agne, 2004.

Jean-Claude Rouchy, Le groupe, espace analytique. Clinique et théorie, Toulouse,

érès, Collection « Transition », 1998.

Jean-Claude Rouchy, » Un conception psychanalytique des structures et de leur

évolution », in Institution et changement.

SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement

Jean Lavoué Promo 2007-2008

285

Renaud Sainsaulieu, Des sociétés en mouvement, La ressource des institutions

intermédiaires, Ed. Desclée de Brouwer, Paris, 2001.

Serge Tisseron, La résilience, PUF, Que sais-je ? Paris, 2007.

Fabrice Traversaz, « Gouvernance et changement des associations gestionnaires »,

Diaporama, SciencePo formation.

Hélène Trouvé, « Les structures associatives : des acteurs intermédiaires dans l’action

sociale ? », Matisse CNRS-UMR 8595, Paris I, document Internet.

Alain Vilbrod, Mathias Gardet, L'éducation spécialisée en Bretagne, 1944-1984 : Les

coordinations bretonnes pour l'enfance et l'adolescence inadaptées, Presses

Universitaires de Rennes, 2008.

Pourquoi le travail social, numéro spécial de la revue Esprit, mai 1972.