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FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Executive Master
Promotion 2007 - 2009
Direction :
Jean-Louis LAVILLE, Directeur du Laboratoire du Changement des Institutions (LSCI) CNRS-Paris
DOSSIER DE SOUTENANCE PUBLIQUE
Prénom : Jean NOM : LAVOUÉ
Date de la soutenance :
Titre du mémoire :
«Conduite du changement en matière de gouvernance et de dirigeance associative au sein de la Sauvegarde 56 »
Nom du tuteur : Fabrice Traversaz, Enseignant-chercheur LISE-CNRS
SciencesPo EXECUTIVE MASTER FONCTIONNEMENTS ASSOCIATIFS Du diagnostic à la conduite du changement
Jean Lavoué Promo 2007-2008
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TERRAIN D’ENQUÊTE :
Maison Pour Tous d’Argenteuil (95)
NOTE DE LECTURE:
Jacques Généreux, La Dissociété, Ed. du Seuil, Paris, 2006
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Sommaire
INTRODUCTION GÉNÉRALE 11
CERTIFICAT I – NOTE DE LECTURE 21
LA DISSOCIÉTÉ, OUVRAGE DE JACQUES GÉNÉREUX 21
ASSOCIATIONS D’ACTION SOCIALE ET DISSOCIÉTÉ 23 SYNTHÈSE DE L’OUVRAGE DE JACQUES GÉNÉREUX : LA DISSOCIÉTÉ 24 L’état du monde : de la guerre économique à la guer re incivile… 25 Problématique de la dissociété 27 Les dix piliers fondateurs de l’édifice néolibéral 30 LE MODÈLE NÉO-LIBÉRAL : LES FRAGILES RAISONS D ’UN SUCCÈS ! 32 Pour un sursaut des consciences ! 36 DISSOCIÉTÉ ET TRAVAIL SOCIAL 37 PAR-DELÀ LA DISSOCIÉTÉ , LA PERSISTANCE DU DON … 41 POUR CONTRIBUER À LA RÉFLEXION SUR LA GOUVERNANCE ASSOCIATIVE … 44 Pouvoirs publics et gouvernance 47 L’innovation associative en matière de gouvernance 48 La dimension politique et citoyenne de la gouvernan ce associative 48 Enjeux intersubjectifs de la gouvernance associativ e 49 EN CONCLUSION… 50
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CERTIFICAT II – DIAGNOSTIC D’UNE ASSOCIATION 53
DIAGNOSTIC DE LA MAISON POUR TOUS D’ARGENTEUIL : 53
L’ANALYSE IDENTITAIRE ET CULTURELLE 53
INTRODUCTION 55
DES GROUPES D’ACTEURS AUX IDENTITÉS DIFFÉRENTES 56
LA DIRECTION 57 LES SALARIÉS 59 LES MEMBRES DU C.A. 61 LES USAGERS DES ACTIVITÉS CULTURELLES ET LES BÉNÉFICIAIRES DE L ’ACTION SOCIALE 63
LÉGITIMATION DES ACTEURS DU FAIT DE LEUR « IDENTITÉ ENGAGÉE » 65
LES ACTEURS SE STRUCTURENT AUTOUR DE LA LÉGITIMITÉ DE L ’ENGAGEMENT 65 ENGAGEMENT : ÉLÉMENT DE COHÉSION – ÉLÉMENT MOBILISATEUR DU LIEN SOCIAL À LONG TERME 67
LES INGRÉDIENTS DU LIEN SOCIAL 67
DES TRAITS COMMUNS 67 IDENTITÉ FÉMININE DANS TOUS LES GROUPES D’ACTEURS 67 « PARCOURS DE VIE », RÉPARATION, REFUGE, DÉRACINEMENT, DEUIL 68 IDENTITÉ TERRITORIALE (LA DALLE) ET SOCIALE (IMMIGRATION ) ET HISTORIQUE (BIDONVILLE ) 70 BRASSAGE DES STATUTS : ON PASSE DU BÉNÉVOLE AU STATUT DE SALARIÉ, DE BÉNÉVOLE À
USAGER… TOUT EST POSSIBLE 71 DIMENSION FAMILIALE DE LA MPT : 71 ON RETROUVE DES RACINES, ON APPARTIENT TOUS À QUELQUE CHOSE DE COMMUN 71 RECOURS À UNE MÉMOIRE COLLECTIVE 72 VALORISATION DES HISTOIRES DE VIE INDIVIDUELLES 73
LES VALEURS 73
VALORISATION DES PERSONNES ET DES COMPÉTENCES 74 VALORISER UN TERRITOIRE PAR LES COMPÉTENCES DÉGAGÉES PAR LE TERRITOIRE : « REGARDEZ TOUT CE QU’ON SAIT FAIRE ET ON LE FAIT ENSEMBLE ». 74
LES PRINCIPES D’ACTION 75
PAR RAPPORT AUX HABITANTS : 75
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NÉCESSITÉ DE FAIRE PARTIR LES CHOSES « D’EN BAS » 75 A DESTINATION DE TOUS 75 PAR RAPPORT AU TERRITOIRE : 76 VOLONTÉ DE METTRE EN PRÉSENCE DES ACTEURS TRAVAILLANT DANS LES MÊMES CRÉNEAUX
76
LE PROJET ASSOCIATIF 78
EVOLUTION 79 DES STATUTS AU PROJET SOCIAL 79 QUID DU PROJET ASSOCIATIF, TOUT LE MONDE EN PARLE MAIS PERSONNE NE L’A, ILS ONT JUSTE
LE PROJET SOCIAL (CAF), LE PROJET ASSOCIATIF AGIT DANS L’ INCONSCIENT ET EST INCARNÉ, INTÉRIORISÉ PAR DES PERSONNES ; 79
CONCLUSION 82
CERTIFICAT III– SCENARIO DE CHANGEMENT 85
SCENARIO DE CHANGEMENT DE CRÉATIVITÉ 85
MAISON POUR TOUS D’ARGENTEUIL 85
INTRODUCTION 87 OBJECTIFS 87 ACTIONS À CONDUIRE DANS LE DOMAINE DE L ’HYBRIDATION DES RESSOURCES DE LA MPT 88 Améliorer les ressources marchandes 88 Actions dans le domaine non marchand 90 Les ressources non monétaires 90 FORMES DE PARTICIPATION 911 En matière de vie associative et de référence à l’i nstance politique de la Maison Pour Tous 91 L’A SSOCIATION DANS L ’ESPACE PUBLIC 94 VERS UNE PRATIQUE PERMANENTE DE L ’EVALUATION 95
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CERTIFICAT IV– RETOUR SUR L’EXPERIENCE 97
INTRODUCTION 99
I - ANALYSE INSTITUTIONNELLE DE L’ASSOCIATION SAUVE GARDE 56 103
I – 1935- 1951 LA PRÉHISTOIRE : UNE LOGIQUE D’AIDE ÉMERGENTE DANS LE SILLAGE D’UNE LOGIQUE PUBLIQUE 105
I – 1 LES ÉVÉNEMENTS MARQUANTS DE LA PHASE D’ÉMERGENCE : 1935-1951 105 Aux origines de l’association : le moment fondateur 105 Première ébauche d’une réponse professionnelle 111 Création du premier établissement : le centre de Ke rforn 112 I-2 L’ANALYSE INSTITUTIONNELLE DE LA PHASE D’ÉMERGENCE 1935 – 1951 114 Les éléments de l’analyse institutionnelle 114 Une logique d’aide 115 Enjeux de dirigeance et de gouvernance 118
II - 1952 – 1975 CRÉATION DE LA SAUVEGARDE : VERS U NE PROFESSIONNALISATION DE L’ACTION SOCIALE 121
II - 1 L’ÉMERGENCE D’UNE LOGIQUE PUBLIQUE SUBSÉQUENTE 121 De la société de protection à l’association de Sauv egarde 121 L’invention des métiers du social : début de constr uction du modèle professionnel et mouvement de qualification 122 Création des premiers établissements et unification départementale de l’association 123 Un nouveau style de dirigeants 125 Vers une organisation départementale 128 Une présidence politique 131 II – 2 L’ÉVOLUTION INSTITUTIONNELLE DE LA SAUVEGARDE : UNE LOGIQUE D’ADAPTATION AUX EXIGENCES PUBLIQUES 134
III-1975 – 2002 RATIONALISATION ORGANISATIONNELLE E T GESTIONNAIRE ET RÉSISTANCE DU MODÈLE CORPORATISTE DE DÉVELOPPEMENT 137
III – 1 UNE NOUVELLE LOGIQUE SUBSÉQUENTE DE TYPE « ENTREPRENEURIAL » 137 Création de la direction Générale 137 Le déplacement de la Sauvegarde vers le champ de l’ insertion des adultes 140 L’approfondissement clinique et les logiques corpor atistes dans le champ de la protection de l’enfance 144 Donner du sens à l’association 148 III – 2 ANALYSE INSTITUTIONNELLE DE LA NOUVELLE PHASE D’ADAPTATION 150 Une logique subséquente de développement entreprene urial 150 Les tentatives de déplacements de l’encastrement po litique : d’une régulation tutélaire à une régulation d’insertion de plus en p lus concurrentielle 154
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IV – 2002-2009 L’ADMINISTRATION TERRITORIALISÉE D E L’ACTION SOCIALE ET LES NOUVEAUX ENJEUX DE LA GOUVERNANCE ASSOCIATIV E 159
IV-1 CRISE DU MODÈLE CORPORATISTE ENTREPRENEURIAL 159 La Sauvegarde 56 face au renforcement des contraint es publiques locales 159 Crise de la logique d’action dans le champ de l’ins ertion. 163 Crise des modèles pédagogiques de l’internat 165 IV – 2 UN PROJET ASSOCIATIF POUR ÉLABORER UN NOUVEAU CADRE D’ORGANISATION ET D’ACTION 168 D’une organisation segmentée à une organisation en réseau 168 L’évolution de l’organigramme associatif 171
II 175
CRISE DU MODÈLE HISTORIQUE : 175
L’HEURE DU CHOIX POUR LES ASSOCIATIONS D’ACTION SOC IALE 175
INTRODUCTION 177
I - LA REDÉFINITION DE L’ENCASTREMENT POLITIQUE DES ASSOCIATIONS D’ACTION SOCIALE ET LES NOUVEAUX ENJEUX DE LA GOUVE RNANCE ASSOCIATIVE 181
LES POUVOIRS PUBLICS À LA RECHERCHE DE NOUVEAUX MODES DE RÉGULATI ON ENTRE GESTION TECHNOCRATIQUE ET PILOTAGE TERRITORIAL 181 LES NOUVEAUX ENJEUX DE GOUVERNANCE ASSOCIATIVE PROMUS PAR LA TRANSFORMATION DES POLITIQUES PUBLIQUES 185 L’AMBIVALENCE FONDAMENTALE DU CONCEPT DE GOUVERNANCE 187
II - POLITIQUES PUBLIQUES ET ASSOCIATIONS : LES TER MES D’UN NOUVEAU PACTE SOCIAL 191
ORGANISATION COOPÉRATIVE ET DÉMOCRATIE ASSOCIATIVE 191 UNE ORGANISATION COOPÉRATIVE ARTICULÉE AUX POLITIQUES PUBLIQUES A U SERVICE DES USAGERS 193 L’ENJEU DE LA CO -CONSTRUCTION D’UNE RÉGULATION CONVENTIONNÉE ENTRE POLITIQUES PUBLIQUES ET ASSOCIATIONS 195 VERS UN VÉRITABLE PROJET DE GOUVERNANCE ASSOCIATIVE POUR LA SAUVEGARDE 56 MOBILISANT TOUTES LES PARTIES PRENANTES DE L ’ASSOCIATION 199
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III - UN NOUVEAU PARADIGME POUR L’INSTITUTION EN AC TION SOCIALE 205
LES ASSOCIATIONS D ’ACTION SOCIALE AU DÉFI D ’ENTREPRENDRE ! 205 UN NOUVEAU PARADIGME IMPLIQUANT UNE NOUVELLE STRATÉGIE DE PILO TAGE INSTITUTIONNEL 207 LES MUTATIONS DU TRAVAIL SOCIAL 209 LA GOUVERNANCE DE L ’ACTION SOCIALE 212 DE NOUVELLES RÈGLES INSTITUTIONNELLES 218 QUELQUES REPÈRES ÉTHIQUES POUR ORIENTER L ’ACTION 224 ADMINISTRATIONS PUBLIQUES ET ASSOCIATIONS D ’ACTION SOCIALE FACE AU DÉFI TECHNOCRATIQUE 227
CONCLUSION GÉNÉRALE : POUR UNE REFONDATION DES INST ITUTIONS INTERMÉDIAIRES EN ACTION SOCIALE 235
LA RESSOURCE DES ASSOCIATIONS D ’ACTION SOCIALE EST ENTRE LEURS MAINS ! 235
ANNEXES 249
ANNEXE 1 251 EXTRAITS DU RAPPORT MORAL PRÉSENTÉ À L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE 2009 251 Vers une nouvelle gouvernance associative 251 ANNEXE 2 255 EXTRAITS DU RAPPORT D’ACTIVITÉ PRÉSENTÉ À L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE 2009 255 La Sauvegarde 56, une organisation coopérative au service de la gouvernance associative 255 ANNEXE 3 263 ORGANIGRAMMES ÉVOLUTIFS DE LA SAUVEGARDE 56 1993-2009 263
TABLE DES SIGLES 279
BIBLIOGRAPHIE 281
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Introduction générale
Ce mémoire réalisé dans le cadre de l’Exécutive Master de Sciences Po Paris sur les
changements associatifs s’inscrit dans le prolongement d’un parcours de formation
précédent qui m’avait conduit à occuper, à partir d’octobre 2002, la fonction de
directeur général de l’association Sauvegarde 56. Cette formation s’était déroulée dans
le cadre de l’Association pour la Recherche et l’Intervention Psychosociologique à
Paris (ARIP). Il s’agissait, là aussi, d’une formation portant sur le changement des
organisations mais cependant davantage centrée sur les dynamiques psychosociales à
mobiliser en vue d’un tel changement. J’avais ainsi réalisé, dans le cadre de cette
formation, un travail sur la structure charismatique de l’association où j’exerçais alors
les fonctions de directeur d’un service d’action éducative en milieu ouvert. Cette
analyse du changement d’une structure de type charismatique, le terme étant alors à
entendre sur le plan psychosociologique d’une organisation caractérisée par une
centration forte de toutes les relations et des logiques d’acteurs sur la personnalité du
dirigeant1, avait été sous-tendue notamment par la conduite d’une action concrète en
vue du changement de la structure qui se trouvait alors marquée par un contexte de
crise des internats éducatifs, par une interrogation forte et préoccupante sur les
ressources, notamment du fait de déficits répétés sur des actions innovantes
d’insertion, et par la perspective du départ prochain du dirigeant à la retraite. Ce
mémoire réalisé en 2000, « Structure charismatique et changement, l’exemple de la
Sauvegarde du Morbihan »2, m’avait alors permis de poser les bases d’une conduite
du changement de l’intérieur même d’une organisation. Il laissait entièrement ouverte
la question de ma place en tant que membre de l’équipe dirigeante de cette
association et celle d’y poursuivre, comme directeur de service, parmi les autres
acteurs, les changements amorcés. Nommé cependant en 2002 directeur général de
l’association, après une longue période de recrutement révélatrice de la phase
délicate que connaissait la structure à l’occasion du départ de son dirigeant en poste
1 Eugène Enriquez, « Structures d’organisation et contrôle social », Connexions N° 41, Toulouse, Erès et L’organisation en analyse, Paris, PUF, 1992. 2 Jean Lavoué, Structure charismatique et changement, l’exemple de la Sauvegarde du Morbihan, Mémoire de fin de cycle de psychosociologie clinique à l’ARIP, Paris, 2000.
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depuis près de trente ans, j’ai été conduit à approfondir, dans une autre fonction et
donc à partir d’une autre place, le travail de changement engagé comme membre de
l’équipe de direction de la Sauvegarde 56 sur la base de la formation à l’intervention
psychosociologique de l’ARIP.
La formation au cycle sociologique de Sciences Po sur les changements associatifs
m’a permis de confronter les éléments de cette analyse à une nouvelle grille de lecture,
davantage sociologique et économique, me permettant à la fois d’élargir les points de
vue et de reprendre certains aspects trop rapidement abordés au cours des travaux
antérieurs. Elle m’a permis notamment de donner beaucoup plus d’épaisseur à la
dimension institutionnelle de l’association, comme organisation professionnelle mais
aussi comme espace politique et public, et de prendre en compte plus largement
l’ensemble de ses parties-prenantes mobilisées dans les processus de changement.
Cette formation complète donc, ce qui était mon souhait, l’approche impliquée du
changement développée dans le cadre du cycle psychosociologique de l’ARIP,
essentiellement centrée sur la dimension inconsciente des structures
organisationnelles et, en ce qui concerne la Sauvegarde du Morbihan, sur l’émergence
de la figure de son dirigeant. Les approches théoriques, portant notamment sur
l’économie sociale et solidaire, mais aussi le diagnostic collectif conduit sur le centre
social d’Argenteuil, ont considérablement enrichi et élargi la vision du changement
notamment autour des multiples stratégies d’acteurs et des dimensions identitaires et
culturelles que l’analyse de Renaud Sainsaulieu3 présentée dans le cycle de Sciences
Po permettait cette fois d’aborder, et surtout des enjeux de gouvernance associative
auxquels la présente analyse est cette fois-ci consacrée.
J’ajouterai que l’ensemble de mon parcours professionnel a été scandé par des temps
forts de formation continue centrés sur cette question du changement. En 1986, mon
mémoire de Diplôme Supérieur en Travail Social et de maîtrise en sciences sociales
appliquées au travail, effectué dans le cadre d’un parcours de formation continue à
l’université de Caen, avait pour titre : « Les travailleurs sociaux, acteurs du
changement social ? »4. C’est sur la base de cette formation que j’ai quitté le service
public de l’Education Surveillée pour venir diriger, en 1989, le service éducatif en milieu
3 Françoise Piotet, Renaud Sainsaulieu, Méthodes pour une sociologie de l’entreprise, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, ANACT, Paris, 1994. 4 Jean Lavoué, Les travailleurs sociaux, acteurs du changement social ?, Mémoire de Diplôme Supérieur en Travail Social, Université de Caen, 1986.
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ouvert de la Sauvegarde 56. L’objet de recherche s’est donc déplacé au gré de mon
parcours professionnel : des travailleurs sociaux acteurs du changement, je suis
passé, avec le mémoire de l’ARIP en 2000, à la question de la transformation
structurelle d’une organisation professionnelle et de ses modalités de dirigeance.
L’enjeu du changement était, en résumé, de faire évoluer l’organisation d’une structure
charismatique à une structure coopérative. La conception de l’association se réduisait
alors pour l’essentiel dans ce travail à une organisation de services techniques. Cette
conception se trouvait largement en phase avec les représentations des acteurs de ces
associations sociales et médico-sociales lors de cette période de professionnalisation
qui a précédé le cycle actuel de redéfinition par l’Etat des règles du jeu en matière de
gestion des organisations sociales. Dans le cadre de la formation à Sciences Po sur
les changements associatifs, sans négliger les composantes du changement traitées
antérieurement, c’est avant tout l’inscription sociopolitique de l’association qui est
devenue, à mes yeux, l’enjeu essentiel du changement à un moment où les politiques
publiques affirment une maîtrise totalement renouvelée des normes d’encadrement.
C’est de cette inscription que traite essentiellement l’analyse institutionnelle qui va
suivre. En écrivant ces pages, j’ai eu ainsi un peu le sentiment de relire l’ensemble
d’un parcours professionnel, dans un contexte social qui s’est lui-même, en trente ans
beaucoup déplacé. Je constate que les questions sur l’identité du travailleur social
comme acteur de changement qui étaient les miennes au début des années 80, alors
que j’exerçais dans un service public, sont devenues au cours des années 90, avec
mon changement d’environnement professionnel et de fonction, des questions sur
l’exercice partagé de l’autorité comme vecteur de transformation des organisations,
avant d’évoluer, au cours de ces années 2000, vers l’association comme espace
institutionnel et politique d’intermédiation et de changement social. Une même question
donc, celle du changement social, de ses conditions de réalisation, et de ses liens avec
l’action sociale, déclinée à travers des angles de vue différents en fonction des
cultures, des fonctions et des périodes considérées. Ainsi les questions que nous
portons nous permettent-elles d’avancer, tandis qu’autour de nous nos environnements
eux-mêmes ne cessent par leur propre mouvement de renouveler la portée de nos
interrogations. Faire « mémoire », c’est donner un peu de perspective et de champ au
parcours dans lequel nous sommes engagés en se donnant la chance d’une plus
grande intelligibilité des processus avec lesquels nous interagissons.
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Ce mémoire reprend les travaux de l’ensemble du cycle de formation à Sciences Po. Il
relate également les étapes de mon parcours dans cette formation et des prises de
conscience qu’elle m’a permis de faire. L’enseignement théorique du premier
semestre, essentiellement consacré à une approche de l’économie sociale et solidaire,
constituait une prise de conscience par rapport à un parcours professionnel
essentiellement effectué sous le signe d’une approche technique en protection de
l’enfance, d’abord dans le cadre de l’administration publique de l’Education Surveillée
(aujourd’hui Protection Judiciaire de la Jeunesse) puis dans celui d’une association de
Sauvegarde dont on verra dans l’analyse institutionnelle qui va suivre combien, en
dépit de certains paradoxes, elle fait partie de ce type d’associations, les
« Sauvegardes », elles-mêmes profondément caractérisées par une régulation de type
« publique ». Ce décalage constamment ressenti entre formation théorique et terrain
m’a fait mesurer l’écart entre les enjeux auxquels je me trouvais confronté dans la
conduite d’une organisation professionnelle qu’il s’agissait alors pour moi, avec
l’ensemble des acteurs, de mieux gérer, coordonner et recentrer, et ceux dont la
formation nous faisait l’éloge et nous présentait l’enjeu en termes de développements
associatifs, d’initiatives et de solidarité. Il se trouve que l’association avait connu dans
la phase qui avait précédé ma prise de fonction à la direction une période de fort
développement dans les domaines de l’insertion qui rejoignaient les champs de
l’économie sociale présentés dans le cadre de la formation ; mais elle y avait subi
aussi de fortes turbulences, du fait de contraintes salariales trop lourdes et d’une
organisation mal préparée pour aborder les changements que supposaient ces
nouveaux secteurs d’activité. En outre la dynamique associative, malgré la création de
plusieurs associations filiales, n’avait pas véritablement accompagné ce
développement d’initiatives dans le champ de l’insertion. Les mêmes administrateurs
se retrouvaient dans les différentes filiales qui n’avaient pratiquement pas élargi le
cercle des adhérents de la Sauvegarde. Ils s’y usaient parfois au lieu d’y trouver le
vivier espéré pour renouveler la dynamique associative. L’initiative relevait par ailleurs
presqu’exclusivement de la sphère professionnelle et en particulier de quelques
acteurs de direction, avec un faible arrimage au reste de l’organisation. Celui-ci, du
coup, était laissé à son propre mouvement de renouvellement technicien peu
mobilisateur d’innovation sur toute cette période. Dans la phase de dirigeance que
j’entreprenais, la faiblesse des approches gestionnaires, organisationnelles et même
politiques dans la mesure où la dynamique associative s’était trouvée davantage
dispersée que renforcée par le dispositif en étoile élaboré, l’économie sociale et
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solidaire apparaissait comme un contresens ou tout au plus comme une belle utopie
réservée à de micro-initiatives sociales dont une organisation de la taille de la
Sauvegarde 56, avec les contraintes qui étaient les siennes, ne pouvait plus guère
s’offrir le luxe. Pourtant ce développement dans le champ de l’insertion, s’il fut quelque
peu désordonné, n’était pas sans lien avec les fondements historiques et culturels de
l’association. Il préparait aussi sans doute d’autres étapes au cours desquelles celle-ci
viendrait refonder son dispositif en lien avec certaines intuitions de l’économie sociale
et solidaire. Ce mémoire cherchera à le montrer : au-delà du fait qu’il représenta une
sorte d’eldorado pour un entrepreneuriat professionnel bien décidé à résister aux
premières tentatives de régulation, de rationalisation et d’instrumentalisation des
associations d’action sociale par l’Etat, le champ expérimental de l’insertion fut aussi
un terrain d’essai pour des formes nouvelles de contractualisation entre les
administrations publiques et les associations. La trop grande liberté avec laquelle
l’association de Sauvegarde du Morbihan comprit et interpréta certaines règles du jeu
et essaya d’en jouer, mais aussi la manière dont les pouvoirs publics fixèrent
approximativement dans un premier temps ces dernières, tout en faisant régulièrement
appel à l’association sans prendre en considération ses caractéristiques et ses
contraintes, entraînèrent une rupture de l’équilibre alors recherché. Le décalage
ressenti lors de ce premier semestre de formation à Sciences Po, début 2007, entre ce
qui, d’une part, était enseigné et valorisé, à savoir les fondamentaux de l’économie
solidaire, et ce qui, d’autre part, devait constituer désormais l’essentiel de la conduite
du changement dans mon organisation, à savoir la réussite d’une transformation
organisationnelle susceptible de se traduire par des indicateurs de cohérence, de
rigueur budgétaire, et d’évaluation de la qualité largement négligés lors de la phase de
forte implication dans le champ de l’insertion, est devenu lors de la rédaction de ce
mémoire un axe de lecture privilégié de l’identité même de cette association dans son
interrelation avec les pouvoirs publics.
Les cours centrés sur l’anthropologie économique d’Alain Caillé5 et de Jacques
Généreux m’ont permis, les premiers, de faire le lien avec les enjeux de la conduite du
changement auxquels je me trouvais confronté. Elles interrogeaient une conception
dominante et instrumentale de l’action sociale dont la rationalisation et l’hyper-
normalisation constituaient plus que jamais les fondamentaux. La note de lecture sur
5 Alain Caillé, Anthropologie du don, Desclée de Brouwer, Paris, 2000.
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l’ouvrage de Jacques Généreux, « La Dissociété »6, a été pour moi l’occasion
d’aborder les fondements anthropologiques de l’économie traditionnelle reposant sur
une représentation essentiellement utilitaire et intéressée de l’individu. Or c’est bien
cette logique utilitariste que l’on voit essentiellement à l’œuvre en matière d’action
sociale, que ce soit en direction des usagers ou des professionnels. Tous les outils
développés par les politiques publiques ne visent-ils pas à promouvoir, par un système
toujours plus subtil de reconnaissance et de contraintes, des logiques d’action
utilitaires et intéressées pour les individus, susceptibles ainsi de les amener à rejoindre
le « bien commun » ? Mais qu’en est-il, au-delà de cet intérêt pour soi, de l’intérêt pour
l’autre, qu’en est-il des finalités de l’action humaine si seul l’intérêt pour soi devient le
vecteur d’un intérêt tout relatif pour l’ensemble ? C’est une visée du bien commun bien
réductrice et très peu ambitieuse que celle qui ne considère ce dernier que comme la
résultante des actions mobilisées en vue de la défense par chaque individu de son
intérêt bien compris ! Où est la solidarité, où est l’engagement volontaire, où prend
place le bénévolat, quelle est la part de l’économie non monétaire sur la base d’un tel
postulat ? Nul ne peut nier que nous sommes bien engagés, y compris en matière
d’action sociale, dans cette voie-là qui privilégie l’intéressement de chacun « pour soi »
davantage que son engagement « pour l’autre » ! La mise à la question des
associations d’action sociale de manière tout à fait ouverte, que l’on songe aux
rapports Langlais ou Morange (2008)7, dans leur capacité de gérer efficacement les
missions qui leur sont déléguées s’inscrit, avec quelle convergence aujourd’hui, dans
cette logique là ! A partir du moment où la logique du don, fondatrice du mouvement
associatif, non seulement se trouve relativisée mais, voire même, se trouve carrément
écartée dans la conception anthropologique qui sous-tend l’agir humain que ce soit
dans le champ économique et politique, mais désormais également dans celui des
services, et particulièrement concernant l’action sociale, il n’est pas surprenant de voir
totalement relativisés les valeurs, les cadres d’action, et notamment tout ce qui a trait à
la circulation du don entre personnes propres au monde associatif8. Comment
continuer à donner du poids et de l’importance au phénomène associatif avec ses
adhérents, ses bénévoles, ses administrateurs, ses usagers, ses partenaires citoyens
dans un domaine d’action sociale où, a priori, contrairement à ce qu’on peut observer
dans les associations de parents, nul n’a a priori d’intérêt particulier ni immédiat à
6 Jacques Généreux, La Dissociété, Ed. du Seuil, Paris, 2006. 7 Rapport Langlais, Pour un partenariat renouvelé entre l’Etat et les associations, juin 2010 ; Rapport Morange, Rapport sur la gouvernance et le financement des structures associatives, 1er octobre 2008. 8 Jacques T. Godbout, Ce qui circule entre nous, Donner, recevoir, rendre, Seuil, Paris, 2007.
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s’engager et à consacrer du temps aux autres ? Entre temps, la crise du militantisme et
la disparition des cadres sociaux, syndicaux, religieux, politiques, où se formaient
autrefois les militants de l’économie sociale et solidaire et en particulier des
associations œuvrant dans le champ social, est venue un peu donner raison à tous
ceux qui pensaient que, seule, la logique utilitaire mise en œuvre dans des cadres
normatifs, contractuels et financiers devait être désormais actionnée pour rendre plus
efficiente et rationnelle l’action sociale9. La note de lecture réalisée à partir de l’ouvrage
de Jacques Généreux, La Dissociété, rend compte, au-delà de la synthèse réalisée,
d’un premier état de mes réflexions en matière de gouvernance associative que le
présent mémoire vient reprendre, enrichir et développer. Finalement, au-delà d’un
certain hiatus d’abord observé entre l’initiation à l’économie solidaire et la gestion
quotidienne d’une organisation comme la Sauvegarde 56, ce sont bien les enjeux de
gouvernance associative, de fondements politiques de l’action, qui sont ressortis au
terme de ce parcours comme les véritables défis auxquels se trouvaient confrontées
aujourd’hui les associations d’action sociale face aux risques de plus en plus visibles
d’instrumentalisation au profit de la seule rationalisation utilitariste et administrative de
l’organisation professionnelle. C’est pourquoi ce mémoire vise, au contraire, à rouvrir
l’espace démocratique et citoyen en tant que creuset même de l’économie sociale et
solidaire, déplaçant l’intérêt des associations comme des pouvoirs publics de la logique
purement instrumentale vers celle de l’utilité sociale au sens large qui n’exclut pas la
logique du don, mais au contraire la suppose. C’est donc toute une réflexion sur le lien
social, et notamment sur l’alternative entre utilitarisme ou au contraire refondation d’un
lien interhumain et solidaire, qui se trouve là mobilisée dans l’analyse institutionnelle et
historique de cette association particulière qu’est la Sauvegarde 56.
Le diagnostic conduit dans le cadre d’un travail collectif sur le dispositif de la Maison
Pour Tous de la dalle d’Argenteuil m’a quant à lui permis de prendre la mesure à la fois
de l’unité mais aussi de la diversité des vecteurs mobilisés pour réaliser l’analyse
sociologique des organisations. Là où ma formation précédente en psychosociologie
de l’intervention m’avait surtout amené à mettre l’accent sur la culture et l’identité des
acteurs, à travers les grands systèmes d’organisation qui structuraient leurs logiques
inconscientes (bureaucratique, technocratique, charismatique, coopératif…), je
mesurais l’intérêt d’une approche multifactorielle, l’analyse institutionnelle, l’analyse
9 Intervention de Sandrine Nicourt sur la crise du militantisme et la question du bénévolat dans le cadre du cycle de formation de Sciences Po.
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des ressources, l’analyse stratégique, l’analyse de l’organisation venant, au fond,
ensemble permettre le vrai déploiement de l’analyse identitaire et culturelle. C’est
toutefois cette dernière partie du travail collectif, avec laquelle je suis plus
spontanément accordé, que je serai amené à rédiger dans le cadre du diagnostic, tout,
en sachant que la construction de la méthode et son application ont fait que chaque
membre du groupe a vraiment participé à l’ensemble de l’analyse. Il s’est trouvé que
cette structure de la Maison pour Tous d’Argenteuil présentait beaucoup de similitudes,
en dépit d’organisations très différentes, avec la culture charismatique de la
Sauvegarde du Morbihan au regard de laquelle j’avais entrepris ce travail de
changement. L’enjeu était, là aussi, de passer d’une organisation fortement identifiée à
des personnes, la directrice, l’ancienne présidente, avec des effets de transmission
sans transformation venant fragiliser l’ensemble de la structure et finalement faire
crise, à une organisation en réseau, davantage consciente de l’axe du changement à
mobiliser, avec de vraies délégations de responsabilité et des dispositifs de travail
réellement coopératifs. L’occasion, non seulement de vérifier une fois encore la
pertinence des éléments psychosociologique dans l’analyse des organisations, mais
encore de les mettre à l’épreuve d’une analyse beaucoup plus large à travers laquelle
l’histoire, les valeurs, les ressources, les stratégies d’acteurs, les cadres
organisationnels viennent donner à la recherche toute sa densité. En ce qui concerne
le scénario développé à l’issue de ce diagnostic, qui privilégie l’option d’un
« changement de créativité », il articule lui-même les enjeux de la participation des
parties-prenantes et la recherche de leur cohésion, enjeux que l’on retrouvera dans la
suite du travail comme l’une des clés d’un partenariat renouvelé entre associations et
politiques publiques.
Dans le cadre de l’analyse appliquée à la Sauvegarde 56, il ne m’était pas demandé en
référence aux consignes de rédaction du mémoire de reprendre l’ensemble des
champs développés lors du diagnostic sociologique réalisé pour la Maison Pour Tous
d’Argenteuil. C’est donc avant tout un travail d’analyse institutionnelle qui sera
présenté, faisant ressortir les grandes étapes du développement de cette association,
notamment autour de la problématique d’une gouvernance caractérisée, comme c’est
le cas pour l’ensemble des Sauvegardes, par une interrelation étroite avec les
politiques publiques. Toutefois, tout au long du développement, et notamment dans la
deuxième partie d’analyse et de synthèse, des points d’éclairage issus des différents
registres de l’analyse sociologique des organisations, viendront ponctuer la
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présentation, permettant de faire ressortir en quoi les singularités de cette association,
notamment sur les plans identitaires et culturels, peuvent continuer à constituer pour
l’avenir ses meilleurs atouts, y compris dans sa relation avec les pouvoirs publics, et
permettre ainsi de refonder une certaine ambition associative.
L’ensemble du parcours effectué dans le cadre de l’Exécutive Master de Sciences Po
sur les changements associatifs, me ramène donc bien, au final, à l’analyse du
changement au sein de l’association que je dirige. L’hypothèse sur laquelle je
m’appuierai pour structurer l’analyse institutionnelle que je présente est que la
Sauvegarde 56, comme la plupart des associations de ce type, se trouve placée
aujourd’hui à un carrefour, mais les pouvoirs publics aussi avec elle. Ou bien elle
parvient à refonder, sur la base d’une conception citoyenne et démocratique de son
rôle, son projet associatif en l’ancrant dans la société civile, sur les territoires, dans une
relation renouvelée à l’usager, et les pouvoirs publics reconnaissent en elle cette utilité
sociale promue au-delà de la seule prestation de service, ce que nous appellerons plus
loin une régulation conventionnée entre politiques publiques et associations ; ou bien
elle n’effectue pas cette refondation, et elle devra s’inscrire durablement dans le cadre
d’une régulation de type tutélaire que les différentes tentatives de développement et
d’initiatives solidaires dans le champ de l’insertion ne lui auront, en fin de compte, pas
permis de quitter vraiment, faute sans doute d’avoir suffisamment considéré l’enjeu de
la composante politique propre au champ associatif. A cet égard, s’il fallait que cette
seconde alternative soit retenue, on pourrait considérer que le cadre associatif mérite
vraiment, en tant que tel, d’être interrogé en matière d’action sociale et médico-sociale
comme beaucoup sont tentés de le faire en ce moment, y compris parmi les acteurs
associatifs eux-mêmes. Mais, considérant qu’une part d’utopie est nécessaire pour
atteindre ce qui ne paraissait pas, d’emblée, aisément possible, ce n’est pas
l’hypothèse que nous privilégierons.
Les différents certificats qui composent ce mémoire, s’ils constituent des séquences
bien différenciées du processus de formation, s’articulent cependant avec une forte
logique dans la présentation qui suit. En effet la note de lecture consacrée à l’ouvrage
de Jacques Généreux, La Dissociété10, qui constitue le Certificat I, irrigue l’ensemble
de la recherche qui portera, on le verra, en particulier sur l’identité de l’acteur et sur sa
capacité d’engagement pour faire « société », « lien social » avec d’autres. Cette
10 Jacques Généreux, La Dissociété, Ed. du Seuil, Paris, 2006.
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approche sera déjà très lisible dans le diagnostic collectif réalisé dans le cadre de la
Maison pour Tous du val d’Argent à Argenteuil (95) : nous avons, pour notre part,
rédigé l’analyse identitaire et culturelle qui correspond au Certificat II du cycle de
formation. Le Certificat III est consacré à l’élaboration d’un scénario de changement de
créativité pour la Maison Pour Tous d’Argenteuil, co-rédigé avec Marion le Paul. Enfin,
la partie la plus importante de ce mémoire, constituant le Certificat IV, est consacrée à
l’analyse institutionnelle de l’association que je dirige, la Sauvegarde 56. Les réflexions
sur la « conduite du changement en matière de gouvernance et de dirigeance
associative au sein de la Sauvegarde 56 » débouchent sur une analyse du contexte
sociétal dans lequel s’opèrent ces mutations : celle-ci s’efforce de proposer, sur la
base du constat de « Dissociété » et d’enferment de l’acteur dans la seule logique de
son intérêt posé par Jacques Généreux, les conditions d’une refondation de
l’association comme « institution intermédiaire »11 promotrice de démocratie, de
solidarité et de lien social.
11 Renaud Sainsaulieu, Des sociétés en mouvement, La ressource des institutions intermédiaires, Ed. Desclée de Brouwer, Paris, 2001.
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CERTIFICAT I – NOTE DE LECTURE
La Dissociété, ouvrage de Jacques Généreux
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Associations d’action sociale et dissociété
C’est dans la mesure où il me semblait poser une problématique à la fois large et
centrale par rapport à l’ensemble des apports de ce premier semestre de l’exécutive
master sur les changements associatifs que j’ai souhaité aborder la synthèse de
l’ouvrage de Jacques Généreux La Dissociété12. L’approche de la discipline
économique m’était, en effet, peu familière, et m’efforcer de résumer un ouvrage
proposant une analyse anthropologique et philosophique de la pensée moderne
dominante en matière d’économie, et notamment de mettre au jour « les piliers
fondateurs de l’édifice néolibéral » me semblait un exercice stimulant. D’autant que
Jacques Généreux lors de son intervention à l’un des séminaires de Sciences Po avait
d’emblée annoncé la couleur : le discours dominant qui s’impose à tous aujourd’hui est
faux : touchant au cœur des racines de l’humain, il constitue une erreur de la pensée
sur l’humain.
Voilà qui, d’emblée, donnait à réfléchir et faisait le lien avec ma principale motivation à
entreprendre ce parcours de formation à Sciences Po : comment rendre compte
aujourd’hui de l’évolution du travail social et des associations d’action sociale ? A la
question Pourquoi le travail social ?13, que posait voici déjà plus de trente ans déjà le
fameux numéro de la revue Esprit, s’était progressivement substituée la question : « où
va la société ? ». Mais cette interrogation désormais généralisée à l’ensemble du social
n’avait pas émoussé pour autant l’acuité de la question sur le sens de l’action sociale,
et en particulier sur le type d’organisation ou de méthodologie le mieux à même de la
faire vivre et de la porter.
C’est au fond à partir de l’enjeu primordial à mes yeux de la coopération et de
l’engagement subjectif des acteurs, orientant toute la stratégie du changement engagé
12 Jacques Généreux, La Dissociété, Ed. du Seuil, Paris, 2006 13 Pourquoi le travail social, numéro spécial de la revue Esprit, mai 1972
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au sein de la Sauvegarde du Morbihan14, que j’ai souhaité mieux comprendre en quoi
la problématique de la dissociété invalidait ou au contraire confirmait ce choix
méthodologique, et en quoi, d’une manière plus générale les associations se
présentaient-elles ou non comme des leviers efficaces face à ce que Jacques
Généreux nommait « une maladie sociale dégénérative altérant les consciences ».15
En quelques pages, je résumerai donc tout d’abord ce que je retire de plus essentiel du
livre de Jacques Généreux, avant de le confronter à d’autres points de vue, notamment
celui d’Alain Caillé, également intervenu au cours de ce premier semestre, tout en
revenant sur la problématique qui m’intéresse directement : les associations, le travail
social, les fonctions éducatives en particulier sont-ils, eux-mêmes, largement
interrogés voire remis en cause par le diagnostic sévère posé par Jacques Généreux
sur notre société ? En quoi les acteurs associatifs et les professionnels du social ont-ils
à se déplacer pour continuer à conduire en conscience et sur des convictions étayées
leurs missions ?
Synthèse de l’ouvrage de Jacques Généreux : La dissociété
L’ouvrage de Jacques Généreux se présente comme un chantier ouvert, en cours
d’exploration, première pierre d’un édifice ambitieux qui ne vise à rien de moins qu’à
une refondation anthropologique de notre culture « moderne ». Mais heureusement, il
est aussi un ouvrage didactique, le professeur d’économie à Sciences Po ayant tenu à
assortir sa démonstration de résumés et de bilans d’enquêtes en fin de chapitres,
particulièrement efficaces pour guider en seconde lecture un lecteur peu familier avec
la science économique.
J’essaie donc de reprendre à mon tour, de manière aussi ordonnée que possible,
l’enchaînement des idées exposées. Voici tout d’abord le plan de l’ouvrage :
- Dans les trois premiers chapitres, l’auteur présente une sorte d’état du monde,
passé en très peu de temps, à l’occasion d’une crise sociale et politique
majeure, d’un pacte social relativement stable à une guerre économique et de
la guerre économique à une guerre « incivile ».
- Dans le chapitre 4, il présente sa problématique, centrée sur l’aspiration
ontogénétique de tout être humain « à être soi et pour soi, tout en étant avec et
14 Jean Lavoué, Structure coopérative et changement, l’exemple de la Sauvegarde du Morbihan, Mémoire de psychosociologie, ARIP, 2001 15 Jacques Généreux, La Dissociété, op. cit. p. 29
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pour les autres »16 Cette aspiration, foncièrement déniée par l’approche
néolibérale, valorisant exclusivement l’invididu atomisé poursuivant son seul
intérêt, l’amène à mettre en évidence trois types de choix sociétaux : la
dissociété, l’hypersociété et la société de progrès humain.
- C’est sur la base de cette problématique que dans un troisième temps, du
chapitre 5 au chapitre huit, l’auteur part à la recherche des dix piliers fondateurs
de l’édifice néolibéral, mettant au jour dans ce cœur de l’ouvrage ce qu’il
appelle l’erreur anthropologique de l’ensemble de ce discours issu de la pensée
moderne.
- Les chapitres huit à dix constituent un quatrième temps où l’auteur revient à la
fois sur la fragilité du modèle néolibéral et sur les raisons de son succès, dans
la mesure où, à ses yeux, l’ensemble des grands courants de pensée politique
qui ont traversé l’époque moderne, en dépit de leurs apparents antagonismes
sont issus de la même philosophie erronée mettant au centre l’individu et la
logique de son seul intérêt. L’auteur, à la recherche d’une refondation
anthropologique du discours politique et économique, souligne alors le choix
largement assumé de la servitude volontaire qui est celui de l’homme dissocié.
- Dans le onzième et dernier chapitre, l’auteur se refuse à conclure, son propos
étant moins de proposer un scénario alternatif que de faire œuvre de
conscience politique en alertant chacun sur la grave inconséquence des choix
qu’ensemble nous posons, cela dans l’ignorance la plus totale des fondements
erronés de la philosophie sur laquelle nous prétendons nous appuyer.
J’insisterai davantage dans cette synthèse sur le cœur de la problématique de Jacques
Généreux dans la mesure où c’est cette dernière que je souhaite éclairer d’autres
approches, notamment celles d’Alain Caillé et de Jacques Godbout dont elle me
semble proche sans y faire explicitement référence.
L’état du monde : de la guerre économique à la guer re incivile…
Dans une large enquête sur l’état du monde, Jacques Généreux commence dans le
premier temps de sa démonstration par tirer tous les fils de ce que l’on pourrait appeler
16 Ibid. p. 137
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une dissolution du pacte social et une grave crise du politique : du désengagement des
citoyens aux horreurs de l’histoire dans le dernier quart du vingtième siècle, en
passant par le discours de la faillite morale des hommes politiques - « tous pourris »17 -
et par la victoire de l’insécurité et de la peur, l’auteur met au jour les symptômes
sociaux qui se sont emparés de notre monde alors que, paradoxalement, les progrès
technologiques et le niveau de vie moyen ne cessait de continuer à se développer.
Tout est, au fond, assez comparable aux fléaux sociaux qui accompagnèrent dans les
années trente la sortie de la première grande période de mondialisation 18, dépression
économique en moins. C’est que la crise est d’une autre ampleur. C’est une crise de
conviction qui se traduit en impuissance des peuples à vouloir le plus désirable pour
eux-mêmes. La compétition généralisée tourne en une guerre incivile qui « dissocie les
êtres humains les uns des autres et détruit le sentiment d’appartenance à une
société »19. Ceux-ci finissent par se comporter en « guerriers » et non plus en
« citoyens ». C’est une culture autoréalisatrice qui finit par se développer et s’amplifier
d’elle-même. Pour les puissants, ceux qui disposent des ressources économiques, elle
s’impose comme inéluctable. Or, pour Jacques Généreux, « le tournant néolibéral
opéré dans le monde dans le dernier quart du siècle dernier n’est pas la conséquence
naturelle d’une évolution technologique ou économique inéluctable. Il résulte d’un choix
délibéré et adopté par des gouvernements souverains qui disposaient d’autres
options. »20 Dès lors la question est de savoir pourquoi s’impose-t-il avec une telle
facilité et sans résistance ? Outre le levier puissant de la précarisation sociale et de la
peur du chômage qui accompagne la libéralisation financière et la montée en
puissance du capital, Jacques Généreux fait l’hypothèse que la compétition
généralisée qui s’est emparée du social lamine « la cohésion qui constitue les
membres d’une société en communauté politique capable de réagir politiquement. »21
L’auteur n’hésite pas à parler dès lors d’une nouvelle guerre mondiale : « la guerre
économique générale »22 détruisant tous les liens de solidarités, responsabilisant à
outrance l’individu, réduisant les logiques d’entraide et d’assistance, décuplant les
17 Ibid. p. 15 18 Karl Polanyi, La Grande Transformation, Gallimard, 1983. Ouvrage important permettant de comprendre l’émergence récente, au XXIème siècle, du marché généralisé et la grande transformation que constitua au sortir des totalitarismes et des guerres mondiales l’entrée dans une phase keynésienne jetant les bases des états sociaux modernes. L’actualité du livre tient à sa compréhension des grands mouvements politiques et économiques traversant notre époque, alors que nous sommes entrés depuis le début des années 80 dans une deuxième phase, dite néo-libérale, de généralisation du marché. 19 Jacques Généreux, op. cit. p 28 20 Ibid. p 42 21 Ibid. p 79 22 Ibid. p 81
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approches répressives, incitant les individus à travailler, épargner, consommer, investir
et produire plus… l’Etat est réduit à une mission de super gendarme. Le marché fait le
reste !
Cependant pour Jacques Généreux, la question demeure : alors que chacun est
persuadé pour sa vie privée que la coopération et l’entraide valent mille fois mieux que
la compétition généralisée, pourquoi cette dernière s’impose-t-elle avec une telle
évidence croissante à l’ensemble des sociétés développées ? Est-ce le cynisme de
quelques acteurs possédant l’essentiel des ressources économiques ? Est-ce
l’acceptation passive de tous les autres ? A ce stade de son raisonnement, Jacques
Généreux pose l’hypothèse centrale de son livre qu’il va développer dans la partie
problématique suivante : « les sociétés de marché contemporaines sont restructurées
en « dissociétés », réseaux d’individus atomisés, où les sentiments de solitude,
d’incertitude et d’urgence permanente se conjuguent pour annihiler non seulement la
possibilité, mais surtout le désir de s’insurger. »23 Ils en viennent à se conformer au
modèle qui les écrase.
Problématique de la dissociété
Jacques Généreux ne se résout pas à l’espèce de fatalisme qui semble laisser penser
que cette logique d’ultra-compétition ouvrant la marche d’une dissociété des individus
relèverait d’une sorte d’essence même de la nature des êtres humains, ce que tendent
à défendre les promoteurs de cette culture néolibérale. C’est la raison pour laquelle il
souhaite expliciter sa propre conception de la nature humaine et des sociétés
humaines.
Dans le chapitre central où il présente sa problématique (chapitre 5), Jacques
Généreux articule plusieurs définitions qui lui permettent de revenir sur l’analyse qu’il
fait de l’idéologie des politiques néolibérales.
Partant du constat que c’est la qualité des liens qui fait le bonheur et non la quantité
des biens, l’auteur énonce ce qu’il appelle les « deux aspirations ontogénétiques de
l’être humain : « être soi et pour soi », mais aussi et en même temps « être avec et
pour les autres ».24 L’histoire personnelle de chaque être humain mais aussi le
23 Ibid. p 132 24 Ibid. p 142
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contexte sociétal dans lequel il vit favorise ou pas la synergie entre ces deux
aspirations fondamentales qui le constituent.
Sur un versant positif, Jacques Généreux énonce ses deux premières définitions
concernant la vie humaine et la société de progrès humain.
Sur un versant négatif il caractérise la société de régression inhumaine selon deux
axes qu’il différencie : l’hypersociété et la dissociété.
Nous allons reprendre ces définitions de Jacques Généreux dans la mesure où elles
sont incontournables pour bien saisir le déroulement de sa pensée :
- « Une vie pleinement humaine consiste dans la réalisation d’un équilibre
personnel entre les deux faces inextricables de notre désir d’être : l’aspiration à
« être soi » et l’aspiration à « être avec. » 25
- « Une société de progrès humain tend vers une situation où chaque personne
dispose d’une égale capacité à mener une vie pleinement humaine, c'est-à-dire
à concilier librement ses deux aspirations ontogénétiques. »26
- « une société de régression inhumaine entrave la quête de l’équilibre personnel
par un processus politique délibéré visant à hypertrophier l’une des aspirations
ontogénétiques et à réprimer l’autre ou, pis, à réprimer les deux. »27
- « L’ « hypersociété » est une société qui hypertrophie l’ « être avec » (la
dimension sociale de l’existence et les liens collectifs), au point de réprimer ou
de mutiler l’ « être soi » (l’aspiration à l’épanouissement personnel et à
l’autonomie). »28
- « La « dissociété » est une société qui réprime ou mutile le désir d’ « être
avec » pour imposer la domination du désir d’ « être soi ». »29
Jacques Généreux précise que le totalitarisme tend à abolir simultanément l’individu et
la société.
Pour ce qui concerne l’idéologie et les politiques néolibérales, elles tendent quant à
elles à dissocier les deux aspirations de l’être humain, valorisant l’ « être soi et pour
soi » et étouffant l’ « être avec et pour les autres » entraînant une « dissociation
personnelle. »30 La dissociété est à la fois la cause et la conséquence de cette
dissociation personnelle : processus d’organisation au sein de la société, elle délie,
25 Ibid. p 148 26 Ibid. p 149 27 Ibid. p 152 28 Ibid. p 153 29 Idem 30 Ibid. p 155
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isole et oppose les communautés et catégories sociales entre elles, et exacerbent les
rivalités entre les individus qui les composent.31 « La dissociété apparaît ainsi comme
une force centrifuge qui isole et décompose en éléments toujours plus restreints ce qui
constituait le tout indissociable d’une société humaine. »32 Cette atomisation en
cascade joue au sein des communautés, entre les communautés, comme entre les
personnes, et au cœur des personnes entraînant une «dislocation intime de l’individu
rendu incapable de concilier ses aspirations fondamentales. »33
Sur la base de ces éléments de problématique, Jacques Généreux présente alors son
approche méthodologique qu’il nomme « le socialisme méthodologique »34 : ni holiste,
ni individualiste, il se veut avant tout interactionniste, l’individu et la société se
déterminant réciproquement en permanence l’un l’autre. Ce qui lui permet d’affirmer
l’essence sociale de l’être humain. Pour le socialisme méthodologique, les deux
aspirations fondamentales et constitutives de l’être humain (« être soi, par et pour
soi », « être avec, par et pour autrui ») sont indissociables. Cette lecture
méthodologique des sociétés humaines est pour Jacques Généreux une méthode
d’analyse. Elle ne relève pas d’abord d’une éthique. Au-delà de l’égoïsme ou de
l’altruisme, du bien ou du mal, elle cherche avant tout à distinguer le vrai du faux à
partir de ce constat simple : personne n’existe en dehors des relations aux autres et
hors de la société constituée par l’interaction de tous. La lecture de Jacques Généreux
est systémique et circulaire en ce qui concerne l’enchaînement des causes entraînant
la dissociété. L’individualisme et l’éclatement social se répondent en spirale négative et
destructrice. Pour lui « la société est le processus vivant d’interaction entre les
individus et le système qu’ils constituent tous ensemble ».35 Une société de progrès
humain enclenche une dynamique de solidarité croissante ; une société de régression
inhumaine, une dissociation croissante des groupes humains comme des individus
préparant le terrain soit de la dissociété, soit de l’hypersociété, le totalitarisme se
nourrissant de ce double terreau.
31 Ibid. p 156 32 Ibid. p 159 33 Ibid. p 160 34 Idem 35 Ibid. p 171
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Les dix piliers fondateurs de l’édifice néolibéral
Fort de cette analyse et de l’erreur fondamentale qui lui semble être celle sur laquelle
se trouvent engagées les sociétés néolibérales, Jacques Généreux s’interrogent sur le
pourquoi d’une telle réussite. Pourquoi le rejet de ce qui fonde vraiment une société
humaine comme étant un pur angélisme, et cette réduction au contraire de l’être
humain à cette bête de compétition ne se préoccupant d’autrui que par intérêt
personnel et ne s’associant à d’autres qu’en vue de satisfaire plus efficacement ses
besoins ? Le débat avec les tenants de l’approche néolibérale lui semble quasi
impossible tellement leur dogme autoréalisateur leur paraît devoir s’imposer de
manière universelle : comment contester ce qui évidemment marche ? Comment nier
une telle efficacité ? Aussi veut-il s’attaquer à la question de la vérité ou de la fausseté
de ce dogme. La troisième partie de son livre s’efforce d’explorer les soubassements
philosophiques et politiques de cette orientation « marchéiste » et utilitaire
apparemment inéluctable de la pensée moderne. C’est pour lui le fruit d’une longue
histoire peuplée d’erreurs où les lectures apparemment antinomiques du monde,
comme le marxisme et le néolibéralisme par exemple, se rejoignent pour l’essentiel :
ce qu’il dégage à travers ce qu’il nomme les dix piliers fondateurs de l’édifice
néolibéral. Cette lecture anthropologique portant sur la conception de l’être humain à
travers trois siècles de culture moderne vise à dégager « la série de propositions qu’il
est nécessaire d’enchaîner pour aboutir à la prescription fondamentale du
néolibéralisme : l’extension maximale de la libre concurrence. »36
L’édifice néolibéral, pour Jacques Généreux, s’ordonne autour de quatre axes
répondant à autant de questions : qu’est-ce qu’un être humain ? Quelle est sa relation
naturelle à autrui ? Pourquoi et comment les individus égoïstes et prédateurs
constituent-ils une société ? En quoi consiste le progrès d’une société humaine ? Les
dix piliers sont les réponses de l’anthropologie moderne à ces questions. Nous n’allons
pas reprendre l’ensemble du raisonnement de Jacques Généreux pour chacun des
« piliers », mais plutôt synthétiser une nouvelle fois son approche autour des grandes
thématiques qu’il dégage : nature humaine ; relation naturelle d’un être humain à
autrui ; définition de la société ; finalité de la société.
36 Ibid. p 195
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31
La conception nouvelle de l’être humain repose avant tout sur le socle fondateur de la
modernité : l’ « individu autonome ». De là découle une définition de l’être humain
niant tout rôle au lien social dans sa constitution : il ne vient pas des autres et ne doit
rien aux autres. L’individu existe avant toute relation à autrui. Il préexiste à toute
communauté humaine. Il est à noter que cette négation de toute existence sociale
quant à la naissance de l’individu ménage au contraire une conception indifféremment
religieuse ou athée, ambivalence parfaitement souhaitable pour l’approche néolibérale.
Dieu peut intervenir ou l’individu seul, pourvu que ce ne soit pas autrui ! Cet individu
autoconstitué est aussi autodéterminé : il fixe seul ses règles de vie. Il décide seul de
ses actes. Il est donc seul responsable de sa situation. Il en résulte une conception de
l’inégalité naturelle : les inégalités sociales n’existent pas, la société n’étant en rien
responsable de la situation d’un individu. En corrolaire, point n’est besoin d’aider les
individus en difficulté, mais il est nécessaire de les inciter à s’en sortir eux-mêmes !
En matière de relation à autrui , l’individu est strictement égoïste et rationnel. Il ne
recherche que son propre bien. En toute rationalité il choisit toujours ce qui maximise
sa satisfaction. La situation et le bien-être d’autrui ne l’affectent en rien. S’il se montre
bienveillant c’est toujours dans la recherche de son propre bien être et de son intérêt.
Des comportements bienveillants ne sont naturellement plausibles qu’à l’intérieur de
cercles de proches : familles, amis…
Il en résulte une logique de rivalité permanente avec tous les autres pour la possession
des biens. L’individu est naturellement agressif et prédateur sauf s’il en est empêché
par la force. Comment sur une telle base faire société ?
La société est un contrat d’association utilitaire. Celui-ci se présente comme un outil
destiné à produire et à protéger plus efficacement le bien-être des individus. De plus,
vivre en société permet d’éviter l’état de guerre toujours latent. Cette conception
utilitaire de la société, fondée sur le simple contrat entre individus qui lui préexistent, a
comme conséquence pour Jacques Généreux de rendre caduque, et non nécessaire,
l’idée même de société ; surtout, il n’y a pas d’autre issue pour dépasser l’atomisation
sur laquelle elle est fondée que l’hypersociété annihilant toute autonomie personnelle.
Assise sur le culte de la responsabilité individuelle, la société quant à elle n’est
responsable de rien mais rend à chacun la contrepartie de ce qu’il offre. La
culpabilisation des individus en situation d’échec devient la règle. La loi est là pour
restreindre la marge de manœuvre d’individus égoïstes et prédateurs afin d’éviter le
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conflit permanent. Toutefois, en tant que mal nécessaire limitant la liberté, elle doit
s’exercer dans un cadre strictement restreint en favorisant l’auto-surveillance privée
des individus. Mieux qu’ « un Etat policier coûteux et menaçant pour les libertés
individuelles », il y a le « conditionnement social des esprits, aussi efficace qu’un
lavage de cerveau.»37
Au détour de cette enquête sur l’état de société sans véritable « société », Jacques
Généreux passe en revue les grandes convergences de fond entre démocratie libérale,
alternative socialiste, synthèse marxiste, quête néolibérale, voire utopie libertaire :
aucune de ces lectures, affirme-t-il, ne peut dépasser l’alternative
dissociété/hypersociété faute d’être en capacité d’interroger les fondements
anthropologiques eux-mêmes faisant de l’atome indivis qu’est l’individu le noyau même
de leur philosophie politique.
Recherchant enfin la finalité d’une telle société , Jacques Généreux met au jour les
derniers piliers de la synthèse néolibérale : C’est d’abord l’abondance procurant la
satiété à tout individu, faisant ainsi disparaître toute rivalité ; l’utopie d’une société
maintenue en paix sans le secours de la loi ! Le progrès c’est donc la marche vers
l’abondance matérielle. Marxisme et néolibéralisme sont là-dessus d’accord.
Enfin, sommet de la vision néolibérale : la généralisation de la libre concurrence
maximise le bien-être. C’est là le principe d’organisation qui assure le mieux
l’avènement de l’abondance. Il doit être étendu à toutes les sphères de l’activité
humaine. Ainsi, « la compétition brute des intérêts égoïstes réalise-t-elle un ordre
naturel conforme à l’intérêt général.»38 En conclusion de sa démonstration, Jacques
Généreux montre toutefois que sur le plan de l’analyse économique elle-même ces
assertions sont fausses et relèvent plus de la « parabole métaphysique » que de la
science.
Le modèle néo-libéral : les fragiles raisons d’un s uccès !
Après cette synthèse de la pensée néolibérale et de ses fondements anthropologiques,
contraires aux aspirations fondamentales et à l’intuition que chaque être humain porte
37 Ibid. p 302 38 Ibid. p 318
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sur la nature d’une vie humaine vraiment digne de ce nom, l’auteur revient sur les
raisons son succès et sur l’impuissance du socialisme « moderne » à la contester.
Ce succès ne saurait reposer sur la solidité théorique du modèle. Sous beaucoup
d’aspects d’ailleurs, les néolibéraux adoptent des comportements antilibéraux,
notamment les contraintes comportementales fortes sur l’individu, révélant les
incohérences de leurs vues. La première pierre de l’édifice, prétendant que l’individu
préexiste à la société, suffit d’ailleurs, à elle seule, à l’effondrement du système.
Ce n’est donc pas sa vérité théorique, mais au contraire la dissimulation de ses
fondements qui permet à la structure de tenir. C’est un modèle qui se veut
pragmatique, décrivant la réalité, et ne redoutant rien de plus que les discours
théoriques qu’il stigmatise. Sa conception autoréalisatrice de la société sur la base des
présupposés qu’il masque ne fait rien d’autre au fond que de traduire les rapports de
force politiques à l’œuvre dans le monde.
S’il s’est imposé si aisément et avec si peu de contestation à la suite du libéralisme, du
socialisme et du marxisme c’est qu’au fond, le néolibéralisme a beaucoup
d’accointances avec ces courants. Il est l’enfant naturel de la pensée moderne. Tous
ces courants traduisent la même utopie : « une société d’abondance où sont abolies
les sources de conflit entre les hommes. »39 « Le XXème siècle s’achève par un
consensus des modernes sur la finalité de l’aventure humaine : la jouissance maximale
des biens. »40 L’idéal de la sieste repue ! On est donc loin du socialisme
méthodologique auquel se réfère Jacques Généreux dans la filiation aux pionniers du
socialisme. La faiblesse de la contestation au néolibéralisme résulte avant tout de ces
conceptions néolibérales largement partagées et qui irriguaient déjà largement, avant
l’heure, la pensée libérale, socialiste ou marxiste.
Jacques Généreux dénonce alors la dérive néolibérale ancienne de la gauche
européenne. Elle vise les mêmes objectifs que la droite néolibérale, avec simplement
des ajustements de méthodes : avec l’individu conçu comme un atome dissocié, jouet
de forces qui le dépassent, comme dans la conception marxiste de l’Histoire et de la
société, la question de l’humanité a été évacuée.
Cette erreur anthropologique fondatrice de la pensée moderne, faisant de l’être humain
un atome et niant l’interdépendance entre les êtres, relève pour Jacques Généreux
d’un compromis pathologique et inconscient plutôt que d’une véritable erreur de
raisonnement : le mythe d’un individu atomisé parfaitement délié ne devait-il pas, en
39 Ibid. p 334 40 Ibid. p 337
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particulier, rester compatible avec la sécurité psychique que l’ordre ancien garantissait.
C’est tout le pari de la pensée moderne athée de conserver néanmoins l’économie du
salut entièrement revisitée et inversée de la théologie traditionnelle.
Toute cette analyse conduit Jacques Généreux à affirmer qu’il est grand temps de
dépasser le simplisme de cette pensée moderne même si elle a pu contribuer au
« progrès » humain. Elle a accompagné, en effet, le développement des idées
nouvelles d’individu, de liberté, d’émancipation. Toutefois, par ses excès, elle est
devenue nuisible à l’idée même de société comme au bien être psychique des
individus. Il est grand temps de la questionner radicalement en envisageant une
refondation anthropologique du discours politique et économique.
Jacques Généreux présente alors une vaste synthèse à la fois anthropologique et
psychosociologique dans laquelle il complète et regroupe l’essentiel de son
argumentaire. Même s’il se refuse à conclure, lui-même reconnaît l’ambition très large
qui est la sienne, dépassant de loin l’objet de ce seul livre, tout comme il mesure à quel
point il prend le risque alors de s’avancer sur le terrain de disciplines qui ne sont pas
les siennes. Le concept de résilience en particulier, récemment mis en vogue en
France par Boris Cyrulnik dans le domaine de la traumatologie relationnelle, devient
pour lui une source d’explication macrosociale de l’incapacité pour les individus de
résister au développement de la dissociété qui les broie. On est loin à vrai dire de cette
capacité positive pour un être humain de se reconstruire et de retisser des liens par-
delà les pertes les plus radicales, tel que l’on entend habituellement le concept de
résilience41. Le champ balayé est large, le raisonnement toutefois s’impose, même si
les arguments se font parfois plus abrupts et militants. L’auteur résume les
conséquences anthropologiques, sociales et politiques de la dissociété, et notamment
ses répercussions sur l’affaiblissement historique de la gauche en Europe. C’est de
convictions dès lors qu’il s’agit, Jacques Génereux ne plaidant pas pour autre chose
que pour le retour de l’engagement et du discours politique dans ce qu’ils peuvent
avoir de plus nobles, de plus essentiels, de plus radicalement humains.
En ayant d’abord recours aux sciences de l’homme et de la nature, Jacques Généreux
s’emploie, une nouvelle fois, à démontrer le caractère foncièrement interdépendant et
solidaire de l’être humain et donc la conception erronée d’un individu parfaitement
égoïste et prédateur sur laquelle repose le discours néolibéral. Se référant à l’Essai sur
41 Serge Tisseron, La résilience, PUF, Que sais-je ? Paris, 2007
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le don de Marcel Mauss, il rappelle l’universalité dans les relations sociales de ce
mécanisme du don autour de la triple obligation de donner, de recevoir et de rendre.
Ces principes d’engagement réciproque ont régi et inspiré l’ensemble des relations
économiques et des conventions sociales et de droit jusqu’à l’imposition récente
comme l’a démontré Karl Polanyi de la loi généralisé du marché. C’est cette dernière
qui a livré les êtres humains à la rareté et au manque. Or « il n’est en rien le mode
naturel de relation économique entre les hommes, même dans une économie de
production. »42. C’est un épiphénomène culturel contraire à la nature relationnelle et
sociale de l’homme. Pour dépasser la souffrance psychique résultant de ce système
économique enjoignant aux êtres humains de se dissocier les uns des autres, il leur
reste à inventer la nouvelle culture qui les libérerait de la « maladie néolibérale ».43
C’est alors que Jacques Généreux fait appel à une sorte de psychanalyse de l’homme
néolibéral malade, faisant l’hypothèse qu’il peut être tenté de résister à la guérison trop
onéreuse pour lui, ou parce que ses mécanismes d’adaptation, sa résilience, lui permet
de tenir dans un contexte qui lui est pourtant radicalement hostile. C’est ce qu’il appelle
la servitude volontaire de l’homme dissocié.
Mais auparavant l’auteur rappelle le danger mortel que fait courir la dissociété à l’être
humain. C’est sa nature même, son désir d’être qui se trouvent atteints par cette
dissociation entre ses deux aspirations fondamentales d’être par soi et pour soi tout
autant que pour l’autre et avec les autres. Cette violence ontogénétique qui s’exerce
par réduction de l’individu à son seul intérêt, Jacques Généreux en perçoit l’enjeu
politique : réduire chez les êtres humains toute velléité de résistance collective, tout
autant qu’économique, rien n’étant plus contraire au marché qu’une personne apaisée
par la qualité de ses liens aux autres. Le choix entre les aspirations fondamentales de
liens, et les impératifs économiques et sociaux de rivalité deviennent vite impossible. Il
résulte pour l’être une souffrance psychique intense, un « écartèlement de la
personne », une « barbarie douce ».44 Les liens sont faussement compensés par le
gavage des biens. C’est le règne de l’ « abrutissement et de la manipulation
psychologique »45, celui de la coopération de l’individu à sa propre aliénation, de la
« servitude volontaire ».
42 Jacques Généreux, op. cit. p 375 43 Ibid. p 376 44 Ibid. p 381 45 Ibid. p 383
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Pourquoi pas davantage de résistance se demande Jacques Généreux ? Parce que
l’individu parfois s’effondre totalement : plus de ressources, plus de pensée, plus
d’envie de résister. Mais le plus souvent parce qu’il s’adapte, résiste, compose : voilà
pourquoi il ne tombe pas plus gravement malade ! L’auteur nomme résilience cette
capacité d’adaptation à un contexte impossible, là où les psychologues perçoivent
avant tout cette dernière comme une capacité de reconstruction au sortir d’une
épreuve traumatique. Quoiqu’il en soit, c’est sur cette conception que Jacques
Généreux appuiera sa compréhension de la sorte d’homéostasie qui s’emble s’être
installée entre les êtres humains et leurs contextes sociaux destructeurs et inhumains.
Par ce mécanisme d’adaptation et de résistance passive ils en viennent à supporter
l’impossible !
Fort des expériences psychosociales de Milgram et Terestchenko Jacques Généreux
tente alors de rendre compte du développement de comportements manifestant une
inhumanité croissante. L’anomie, la solitude, l’absence de référence aux autres privent
l’être humain de sa capacité même de résister à ce qui est contraire à sa nature. Il
devient guerrier dénué de sentiment pour son semblable ou bien clone d’une
communauté repliée sur elle-même et dissociée de toutes les autres ; dans cette
seconde hypothèse, privé d’altérité, il s’expose aux « tyrannies de l’intimité » décrites
par Richard Sennett dans les années 70. C’est sur ce terreau que s’engagent la
chasse aux déviances, aux différences tout comme l’inflation des exigences
compensatoires qui viennent peser sur le cercle familial restreint et éclater en violence.
Rien n’arrête le processus d’atomisation et de dissociation où l’individu au final se
retrouve seul ! Enfermés dans ce cercle vicieux les individus sont privés des liens et de
la coopération qui leur permettraient de réagir dans le sens de leurs véritables intérêts
communs qui seraient de faire alors vraiment société.
Pour un sursaut des consciences !
En provisoire conclusion, Jacques Généreux veut montrer pourquoi la politique telle
qu’elle fonctionne dans nos démocraties ne constitue pas une véritable solution pour
les individus livrés ou soumis volontairement à la dissociété. Il faudrait pour cela une
nouvelle méthode politique. Le vote prétendument démocratique n’y suffit pas : « les
électeurs n’ont pas le pouvoir effectif de déterminer l’orientation des politiques
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publiques. »46 La démocratie est une illusion. Les citoyens n’ont pas véritablement
prise sur le politique. La gauche elle-même ne se situe pas en projet alternatif mais a
adopté aux Etats-Unis ou en Europe une position centriste conforme au modèle néo-
libéral soi-disant imposé par la guerre économique.
La perte de confiance des citoyens dans la capacité des partis politiques à faire
évoluer le système ne plaide pas pour leur transformation. Là encore la résilience telle
que la conçoit Jacques Généreux ouvre la voie de la passivité, du repli et de la
soumission. C’est pourquoi il en appelle, avec une pointe de doute – comment cela
est-il possible au sein de partis divisés où règne aussi la dissociété ?- et comme ultime
chance du progrès humain à un sursaut des citoyens et à une révolution
démocratique : une mise en œuvre du politique sous le contrôle effectif des citoyens et
une révolution du discours et donc du débat et de la participation politique, voilà ce qui
pour Jacques Généreux permettrait seulement d’inventer une alternative crédible de
gauche à l’impasse néolibérale déshumanisante. Les résilients rejoindront-ils les
militants lucides et autonomes qui ont tenu bon ? Jacques Généreux voudrait y croire
mais après un tel diagnostic sur notre société, sur la politique, et j’ajouterai sur les
courants de gauche auxquels il se réfère, cela est-il encore possible ? Oui conclut-il, si
le discours est fort, convainquant : la maison brûle ! Les leaders politiques ont une
immense responsabilité. A eux de réveiller, de bousculer, de susciter des
engagements solidaires nouveaux, de déconditionner des citoyens devenus des
consommateurs dépendants, et surtout de rendre au peuple sa souveraineté : la
démocratie effective ! C’est un enjeu de culture, de parole, de conviction… « au sens
vrai du terme, de conversation politique »47 !
Dissociété et travail social
Après cette synthèse de l’ouvrage de Jacques Généreux nous souhaitons reprendre à
la lumière de ses analyses les questions que nous posions en introduction : où va le
travail social, qu’est-ce que l’éducation, qu’est-ce que l’association dans le monde qu’il
décrit. Que peuvent être leur fonction ? Ont-ils encore leur chance ou leur raison
d’être ?
46 Ibid. p 429 47 Ibid. p 446
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Nous allons esquisser une petite discussion avec l’ouvrage de Jacques Généreux
autour de ces questions, tout en faisant appel à quelques ouvrages qui nous
paraissent pouvoir compléter et parfois questionner sa réflexion.
Jacques Généreux en appelle à une refondation anthropologique, face à l’attaque
radicale que subit la nature de l’être humain sous les assauts de trois siècles de
pensée moderne dont le point d’orgue est la vague de néolibéralisme qui depuis le
début des années 80 déferle sur le monde. L’être humain est foncièrement pour soi et
pour l’autre. Il ne peut être réduit à la conception ni à la manipulation utilitaire et
intéressée dont il est l’objet, soumis sans protection et sans retour à la loi du marché,
de la consommation et de la concurrence.
C’est tout au long de la période keynésienne des trente glorieuses et comme son
aboutissement que le travail social a pris la figure que l’on connaît, organisée,
professionnalisée, institutionnalisée. A la fin des années 70, l’essentiel des structures
de l’éducation spécialisée, de l’aide sociale à l’enfance et de la protection sociale sont
quasiment posées dans un pays comme la France.
Si l’on en croit la lecture de Jacques Généreux tout ce bel ordonnancement de la
solidarité devrait commencer sérieusement à se fissurer sous les assauts répétés de
l’individualisme et du marché.
Or le travail social existe toujours. Les structures pour l’essentiel restent en place. Où
se fait donc la répercussion de l’analyse de Généreux sur le monde du social ? Le
travail social garde-t-il un rôle de médiation privilégiée entre des individus toujours plus
atomisés et la société ? Fait-il toujours œuvre de société ?
Les voix ne sont pas rares qui s’élèvent, de l’intérieur même des institutions
pédagogiques pour souligner l’impuissance des professionnels de l’éducation
spécialisée ou de l’école à endiguer l’évolution continue et massive de comportements
de jeunes devenus passifs, agressifs, irrespectueux, sans limites, ou à relancer les
ressources éducatives de parents singulièrement démunis : c’est précisément ce
monde « sans limite » que décrit notamment Jean Pierre Lebrun48 dans ses ouvrages,
parlant à la suite de Charles Melman49 d’une nouvelle économie psychique fondée sur
l’absence de référence au tiers et sur une recherche de la jouissance immédiate avec
une perte de symbolisation. Autres références théoriques, mais mêmes constats que
Jacques Généreux. Pour Lebrun la science a remplacé le religieux ; pour Jacques
48 Jean-Pierre Lebrun, Un monde sans limite, essai pour une clinique psychanalytique du lien social, Erès, 1997 La perversion ordinaire, Vivre ensemble sans autrui, Denoël, 2007 49 Charles Melman, L’homme sans gravité, Jouir à tout prix, Denoël, 2002
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Généreux c’est le marché. Mais au final, pour l’un, psychanalyste, et pour l’autre,
économiste, c’est l’homme qui y a perdu, l’être humain dans sa capacité d’assumer sa
nature d’être de relation fait pour le lien social.
Cette simple référence suffit à illustrer la multiplicité des approches que l’on pourrait
faire converger vers cette critique unanime d’une raison instrumentale et marchande
ayant amputé la personne humaine de certaines de ses capacités et ressources
essentielles. Ivan Illich, par exemple, dans un dernier ouvrage posthume50 confirme le
diagnostic qu’il posait déjà plus de trente ans auparavant dans ses premiers ouvrages :
l’être humain, entré au début des années 80 dans l’ère des systèmes en quittant alors
huit siècles de raison instrumentale, ne dispose plus guère que de rares interstices que
lui laissent la philia, l’amitié, la gratuité, la spontanéité, les micro-résistances à un
quotidien totalement aliénant, pour laisser s’exprimer l’essence de son être. Le travail
social, lui-même, n’a-t-il pas contribué à la réduction de tout cela, est-on en droit de se
demander, prolongeant la critique radicale conduite en son temps par Illich à propos
des institutions de service ?
Or ce qui paraissait difficile à entendre, voici trente ou quarante ans, n’est-il pas
devenu parfaitement lisible au plus grand nombre aujourd’hui, y compris pour ces
professionnels exerçant ces métiers de l’aide, du soin, de l’éducation ? Non seulement
au sein même du travail social, le temps de la relation s’estompe. Celui du décompte
du temps de travail est arrivé comme celui de la procédure et de l’auto-évaluation
suspendue à celle des pouvoirs publics. Mais encore, au niveau sociétal, le doute s’est
emparé sur l’utilité sociale de ces fonctionnaires sociaux incapables de faire face à une
dégradation chaque jour plus accrue des détresses et des souffrances.
Dès lors, mieux que ces fonctionnaires, beaucoup plus efficace, est venu semble-t-il le
temps de la responsabilité de tous et de chacun pour faire front à ce monde devenu
impossible si chacun n’y met pas enfin du sien ! Chacun saura ce qu’il en coûte de
refuser un emploi, de commettre des délits, de mal s’occuper de ses enfants, de
vouloir venir en France sans métier ni sans connaître le français… et pour son bien !
Ainsi sera-t-il incité par la loi à trouver sa juste place dans le concert d’efforts
supportant la croissance et le marché, et sans le secours de toute une armada de
conseillers sociaux. Les lois elles-mêmes seront ses conseillères. L’Etat et son bras
policier renforcé sera intransigeant pour ceux qui n’auront pas compris, feront preuve
de mauvaise volonté ou se rebelleront !
50 Ivan Illich et David Cayley, La corruption du meilleur engendre le pire, Actes Sud, 2007
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Les individus auront davantage de droit, celle du droit opposable au logement, celle du
droit opposable d’inscrire son enfant handicapé dans l’école de la république. Les
institutions sociales se verront ainsi suppléées par le tribunal.
Et le lien social direz-vous tel que Jacques Généreux en diagnostique la
déliquescence ? Et bien il reste quand même le travail social pour cela et surtout ses
bénévoles ! S’il faut compter sur le « travailler plus » pour l’intérêt de l’individu et du
marché convergents, il faut aussi pouvoir compter mieux sur l’engagement bénévole
de chaque citoyen. Mais ce discours du social est ténu : dans cette conception
néolibérale, telle qu’on en voit clairement se dessiner l’énoncé au cours de ces mois
récents en France, la question du lien social c’est d’abord celle du lien de chaque
citoyen à la culture du marché ; c’est celle de son mérite personnel.
Tout l’enjeu politique est d’amener les citoyens à collaborer volontairement à la culture
du marché en percevant qu’il y va également de son propre intérêt, le prix à payer en
cas de refus étant prohibitif. La logique est de parvenir à faire coïncider l’intérêt bien
compris de chaque individu avec celui de la société et donc du marché.
Quid du travail social et des associations dans un tel contexte? A échanger avec les
professionnels, on ressent bien leurs interrogations face à la réduction de leurs marges
de manœuvres. Ils s’avancent désormais sur une ligne de crête étroite où l’usager,
d’une part, fort de ses nouveaux droits peut toujours contester telle ou telle de leurs
initiatives, mais où, d’autre part, il risque de plus en plus d’être lui-même jugé et rejeté
par toute une société gagnée par le mirage de la responsabilité personnelle et du
mérite. A quoi bon dès lors poursuivre cette politique d’aide sociale, coûteuse en
investissements ?
Pris en tenailles par des pouvoirs publics soupçonneux, procéduriers et évaluateurs,
une opinion publique comprenant de moins en moins leur mission et disqualifiant leurs
usagers, et des usagers avant tout conscients de leurs droits opposables, comment
pourraient-ils continuer à faire valoir leurs métiers qui sont avant tout métiers de parole
et de confiance, de coopération et de reconnaissance ?
C’est une crise encore larvée, implicite, mais qui s’empare progressivement de tout le
champ social et de l’ensemble de ses acteurs.
Elle est parfaitement en phase avec la description faite par Jacques Généreux. Et
cependant nous ne souhaitons pas en rester à ce seul diagnostic. Parce que nous ne
souhaitons pas en rester non plus au seul concept de dissociété développé par
Jacques Généreux.
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Par-delà la dissociété, la persistance du don…
Dans son ouvrage, Jacques Généreux ne fait qu’une seule mention à Alain Caillé51 et
au MAUSS (mouvement anti utilitariste dans les sciences sociales) alors que sa
problématique anthropologique semble naturellement accordée à cette pensée (Cf.
l’ensemble des publications du MAUSS) qui, s’inspirant de l’ouvrage de Marcel Mauss
sur le don52, élargit considérablement le regard sur les sociétés humaines. Elle rejoint
le projet de Jacques Généreux de dépasser une conception exclusivement utilitariste
et « marchéiste » de l’être humain. A cet égard, l’approche d’Alain Caillé nous permet,
me semble-t-il, mieux qu’une simple invocation à rénover le discours politique et la
conviction des leaders, d’envisager une alternative au tout marché : elle repose en
effet sur une véritable anthropologie sociale et politique.
Pour ce dernier c’est un économisme lui-même sans limite qui nous a fait perdre de
vue que plus fondamental que l’intérêt et l’échange marchand il y avait comme principe
universel de constitution des sociétés humaines le fait de donner, de recevoir et de
rendre. C’est sur la base de ce principe mis au jour par Marcel Mauss qu’Alain Caillé
souhaite revisiter l’ensemble des conceptions réductionnistes qui nous font penser que
seul l’intérêt et l’utilité dominent, alors qu’en réalité les mécanismes du don restent bien
à l’œuvre, y compris dans une société comme celle où nous vivons en ce début du
XXIème siècle C’est à mettre au jour cette permanence du don qu’il s’emploie ainsi
qu’avec tous ceux qui collaborent avec lui depuis vingt ans à cette aventure du Mauss.
Signalons en particulier Jacques Godbout qui au Canada développe une pensée
sociologique très en phase avec celle d’Alain Caillé53.
Sans reprendre dans cette note de synthèse l’ensemble de la démarche d’Alain Caillé,
soulignons qu’elle nous permet d’emblée de donner sens à des réalités persistantes
comme la vie associative qui ne sauraient se restreindre à la logique du marché. Alain
Caillé voit dans le geste premier de l’alliance, dans le fait de se confier à l’autre, aux
autres, dans un moment d’inconditionnalité absolu, le moment précaire, fragile, sans
raison, sans motif qui constitue le geste politique premier, fondateur de toute société.
C’est d’abord par l’alliance que l’on forme société et c’est là le registre du don. Avant
même de se demander comment on fait économie, droit, se pose la question :
comment fait-on société ? Eh ! bien l’alliance est première : c’est le primat du politique
sur les contraintes économiques ! Et cette logique de l’alliance s’instaure sur un mode
51 Jacques Généreux, ibid. p 170 52 Marcel Mauss, L’essai sur le don, sociologie et anthropologie, Paris, Puf, 9ème édition, 2001 53 Jacques T. Godbout, Ce qui circule entre nous, Donner, recevoir, rendre, Paris, Seuil, 2007
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symbolique. « Ce que les symboles représentent, c’est l’univers du don, le passage de
la guerre à la paix, de la mort à la vie… »54
Marcel Mauss met au jour la théorie tétra-dimensionnelle des mobiles de l’action
humain : quatre mobiles irréductibles organisés en deux oppositions. Le don se tient
entre les mobiles de l’intérêt pour autrui et de l’intérêt pour soi, où l’on retrouve les
deux aspirations ontogénétiques de l’être humains selon Jacques Généreux ; et entre
les mobiles de l’obligation sociale et de la liberté.
Or ces mobiles ne se déduisent pas les uns des autres. La grande erreur de toutes les
théories économiques est de chercher à tout expliquer à partir du seul intérêt pour soi.
Ce réductionnisme généralisé s’oppose à l’irréductibilité de chacun des mobiles mis au
jour par Marcel Mauss. Le don est un hybride entre l’obligation et la liberté, entre
l’intérêt pour soi et l’intérêt pour autrui. Ce modèle de Marcel Mauss permet de
dépasser les deux oppositions polaires en impasse des sciences sociales, notamment
entre l’individualisme méthodologique et le holisme sur lesquels Jacques Généreux
revient très fréquemment dans son ouvrage.
La pensée du don est une pensée du milieu, fondée sur l’interdépendance généralisée,
à la fois individualiste et holiste, reposant sur la liberté des individus et l’obligation
sociale.
Alain Caillé voit dans le travail des grandes religions un travail d’universalisation, de
radicalisation et d’intériorisation de l’obligation de donner qui sera relayée par les
grandes idéologies politiques expurgées du don.
Alain Caillé introduit alors les concepts de socialité primaire et de socialité secondaire
qui viennent enrichir la problématique du don, l’éclairer : dans le domaine de la
socialité secondaire les fonctions accomplies par les personnes importent plus que les
personnes. C’est le monde de l’entreprise, du droit, de l’administration, de
l’impersonnalité du marché, de l’efficacité impersonnelle. Mais nous vivons aussi dans
l’univers de la socialité primaire où la personnalité des personnes importent plus que
leur efficacité fonctionnelle : c’est le domaine de la famille, des voisins, des amis où
continue à régner la règle du don : donner, recevoir, rendre. C’est par le don que nous
personnalisons nos relations.
Or, il s’avère que l’entreprise elle-même ne se réduit pas au marché : c’est aussi un
gigantesque tissu de relations de don et de contre-don où règnent les mécanismes de
loyauté.
54 Alain Caillé, citation extraite de l’intervention à Sciences Po, mai 2007. Les réflexions qui suivent sont pour l’essentiel issues de cette intervention.
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Le don n’est pas une relation parmi d’autres. Il est équivalent au politique. C’est le
politique ! Il ne s’agit donc pas d’une simple modalité de la relation parmi d’autres. Pour
Alain Caillé, à la suite de Marcel Mauss, au cœur du politique se trouve la question du
don généralisé : qui décide qui va donner à qui ? Qui reçoit de qui ?
Contrairement à ce que pourrait laisser penser la seule loi du marché, au cœur du
social la dette circule sans arrêt, une dette jamais soldée : la relation de don, c’est une
relation de dette alternée. Or au-delà de l’obligation de payer la dette, il y a le moment
de grâce du don où les choses se renversent. C’est le moment de créativité du don :
un don vivant, fait aujourd’hui, dans l’instant, avec tous les dons passés !
Cette problématique du don nous permet de revenir aux enjeux de la vie associative où
le moment premier de l’engagement bénévole est fondateur. C’est plus lisible dans les
petites associations ressortissant du domaine de la primarité. Par contre dans les
grandes associations ce moment fondateur, et avec lui la question du don, ont
tendance à être recouverts. Pourtant il reste de la primarité au sein de la société
secondaire et la problématique du don y circule. Les professionnels des grandes
associations sont aussi pour une part dans la socialité primaire, tout comme les
bénévoles. La question du don n’est pas réservée aux seuls administrateurs ! L’éthique
de la responsabilité (professionnels) et celle de la conviction (bénévoles)
s’entrecroisent sans cesse. Où sont les lieux de reconnaissance permettant à chacun,
professionnels et bénévoles, de ressourcer leur engagement ? Pour l’ensemble des
acteurs d’une association, adhérents, usagers, bénévoles, administrateurs,
professionnels, la question fondamentale tourne autour de cette question de la
reconnaissance et du don.
Il y a un enjeu fort de redéfinition des formes associatives autour de cette question de
la reconnaissance couplée avec la question du don : il est important pour chacun de
recevoir de la gratitude. Une société forte est une société qui permet à chacun d’être
reconnu, d’être valorisé.
Les associations ne peuvent être de simples prestataires de service avec un clivage
entre les commanditaires (la commande publique) et ceux qui exécutent la commande.
Entre les prestataires de service et ceux qui en sont les bénéficiaires. Et parmi les
prestataires d’autres clivages se manifestent encore entre les administrateurs et les
professionnels, comme entre les administrateurs et les bénéficiaires qui souvent ne se
rencontrent jamais. Où est le don qui circule entre tous ces acteurs ? Où est la
reconnaissance ? Comment retrouver ces mécanismes fondamentaux et les valoriser.
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Au-delà des travaux d’Alain Caillé et Jacques Godbout dans le champ sociologique, un
auteur comme Paul Fustier55, psychosociologue, a lui aussi entrepris une lecture du
travail social autour de cette question du don. Par-delà la problématique purement
utilitariste et procédurale, par-delà la logique du droit où chacun ne reçoit que ce à quoi
il a droit, s’emparant chaque jour un peu plus du travail social, c’est cette
problématique du don et de la reconnaissance dont j’aimerais entreprendre également,
pour ma part, de souligner l’enjeu au cours de cette formation sur les changements
associatifs dans le cadre de Sciences Po. Pour prolonger cette synthèse je joins ce
petit texte de réflexion autour des enjeux de gouvernance associative écrit dans le
prolongement de l’enseignement d’Alain Caillé ?
Pour contribuer à la réflexion sur la gouvernance a ssociative…
L’un des enjeux forts de la problématique de la gouvernance associative est, me
semble-t-il, de faire circuler autrement la relation entre tous les acteurs impliqués par la
vie associative. Nous avançons par prises de conscience successives. Dans le type
d’organisation où nous exerçons, la plupart d’entre nous, la sphère professionnelle
s’est pendant très longtemps suffi à elle-même. Elle s’arrangeait bien d’une
représentation politique de l’association « notabilisant » son développement, sans
toutefois peser directement sur ses choix ni ses orientations.
Toutefois, face à la revendication croissante des conseils d’administrations d’être
reconnus dans leur fonction, à la prise de conscience des risques d’instrumentalisation
du secteur associatif par une approche toujours plus technocratique des pouvoirs
publics, face au modèle également de plus en plus prégnant de l’entreprise, la question
de la gouvernance associative s’est progressivement substitué à celui de la dirigeance
(concept de dirigeance d’ailleurs, soit dit en passant, bien malmené aussi par le décret
budgétaire ramenant au statut de siège social toutes les directions générales !). Or
sans doute n’avons-nous pas pris encore toute la mesure de cette évolution en faveur
de la gouvernance.
Nos premières réflexions sur la gouvernance restent essentiellement centrées sur le
couple président-directeur général, largement compatible avec la prégnance préservée
de la sphère professionnelle sur l’espace associatif. C’est une première étape sans
doute nécessaire dans la transformation de nos modes d’organisation. Mais au-delà
55 Paul Fustier, Le lien d’accompagnement, Entre don et contrat salarial, Dunod, Paris, 2000
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d’une représentation un peu statique des modèles à l’œuvre, centrés sur l’analyse du
fonctionnement de ce couple président-directeur, ne conviendrait-il pas de substituer
une analyse prospective des dynamiques de transformation engagées, prenant en
compte non seulement les méthodes mobilisées pour conduire le changement dans les
organisations, mais encore la manière d’y associer tous les acteurs.
A ce sujet, nul doute que le modèle coopératif réserve des surprises d’évolution en ce
qui concerne la compréhension de la gouvernance dont nous n’avons pas encore
mesuré toutes les potentialités. Car privilégier la coopération des acteurs au sein de
nos organisations nous entraîne inéluctablement à nous dégager d’une conception trop
personnalisée de la dirigeance et à mettre l’accent sur tous les dispositifs collectifs de
mobilisation de la parole, de la pensée, de l’analyse impliquant tous les acteurs.
Ainsi, élaborer un règlement général précisant les modalités d’échange et de travail
entre le directeur général et le président ne nous dispense pas, bien au contraire, de
porter également le regard sur le type de coopération recherchée entre les membres
du conseil d’administration tout autant qu’entre les membres de l’organisation
professionnelle et notamment les cadres dirigeants. Cela permet dans le même temps
d’élargir le regard sur la coopération entre les administrateurs, les professionnels, les
bénévoles… De nouveaux dispositifs, tels les comités exécutifs voient le jour.
Mais une fois que ce travail, largement amorcé, commence à faire projet, il me semble
que nous commençons alors seulement à prendre conscience du grand absent de
toute cette métamorphose de la gouvernance associative : l’usager.
Si les pouvoirs publics, et la loi du 2 janvier 2002 en particulier, ont placé ce dernier au
cœur de l’acte professionnel. Ce n’était pas leur rôle de postuler que c’est au cœur de
la vie associative qu’il pourrait tout aussi bien se situer! Le raccourci technocratique de
la loi à l’usager, instrumentalisant largement le professionnel même si c’est pour en
améliorer globalement les compétences, n’a que faire en effet de la dimension
instituante fondant l’acte associatif. Or il s’agit pour ce dernier d’un acte avant tout
socio-politique qui sans doute jamais, du fait de l’extrême dépendance de nos
systèmes aux finances publiques comme de la prévalence dès le départ du champ de
l’expertise professionnelle, n’a pu prendre en France son véritable essor. Il me semble
que c’est là que se place avant tout aujourd’hui la question de la gouvernance
associative.
Nos conseils d’administrations sont garants de la bonne gestion des finances
publiques destinés au fonctionnement de la réponse sociale mise en œuvre par les
établissements et services et les professionnels qu’ils emploient. Impliqués parfois
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désormais dans les démarche qualité et d’évaluation, les voici à présent également
garants de la compétence mobilisée par leurs salariés. Mais que ne le sont-ils pas
d’abord du lien ou de la perte de lien entre les usagers et la société qu’ils
représentent ? Que ne s’autorisent-ils pas à associer largement ces derniers à la vie
même de l’association, où ils trouveraient peut-être, au-delà de l’acte professionnel qui
les concerne une raison de travailler avec d’autres au dépassement de leurs difficultés
qui ne sont pas qu’individuelles, mais aussi collectives et sociétales.
Dès lors la gouvernance associative ne pourrait-elle pas prendre sa vraie dimension,
l’acte professionnel retrouvant sa juste place au service d’une vision de l’homme et de
la société ? L’association jouerait pleinement son rôle de contrepoids essentiel à la
marchandisation croissante des rapports humains et sociaux. La question du lien social
ne serait plus seulement abordée de l’extérieur ou à travers le seul acte professionnel
la renvoyant le plus souvent au colloque singulier : d’où sans doute, d’ailleurs, cette
perte croissante unanimement constatée de la parole sociale et politique des
travailleurs sociaux. Mais elle serait expérimentée par l’ensemble des acteurs
associatifs dont la parole retrouverait toute sa force tout simplement parce que l’usager
y aurait trouvé son espace légitime et sa contribution décisive. C’est le chaînon
manquant de nos associations, la raison pour laquelle « ce qui circule entre nous »
tourne bien souvent au ralenti.
Certes, beaucoup d’associations ont déjà placé les parents d’usagers dans un rôle de
premier plan notamment dans le secteur du handicap. Ce n’est pas toujours sans
dérives, ni sans tensions avec les professionnels. Mais en dépit de l’investissement
affectif qui pèse, il y a déjà là un enjeu de représentativité qui modifie la donne tant à
l’interne qu’à l’externe de ces associations. Dans le secteur social où la notion de
handicap est mobile, fluctuante, circule aisément de l’un à l’autre à l’intérieur du corps
social, on sent bien l’espace tout autre, de nature socio-politique, que serait capable de
mobiliser un tel investissement : une force peut-être trop redoutable pour que les
autres acteurs du jeu associatif, administrateurs et professionnels, aient eu jusqu’à
présent l’idée de la mobiliser.
Sans doute le temps est-il venu ! Dans l’évolution politique que nous connaissons,
c’est peut-être un enjeu non seulement pour nos associations, mais encore pour toute
la société française. C’est notre devoir et notre responsabilité de faire vivre des
espaces intermédiaires non seulement de contre-pouvoir, face à une conception trop
affirmée du pouvoir, mais encore, et surtout, des espaces de résistance mobilisant la
capacité de chacun de s’associer avec d’autres pour promouvoir le lien de solidarité,
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pour rendre gratuitement ce qui a été reçu et pour le reconnaître, face à une évolution
toujours plus décomplexée de nos sociétés avancées ou seul l’individu, son intérêt, ses
mérites, ses droits, ses devoirs restent pris en compte et considérés, et si peu la dette
qu’il a contracté à l’égard de tous les autres en accédant au don de la parole qui le fait
humain.
Pouvoirs publics et gouvernance
La gouvernance associative ne saurait se penser indépendamment de la
transformation globale des systèmes complexes dans lesquels elle se trouve inscrite et
dont elle se trouve forcément informée. La plus-value de toute action publique
aujourd’hui ne réside-t-elle pas dans sa capacité d’organiser des logiques d’acteurs
toujours plus convergentes et coopératives, bien plus que dans l’affirmation de
pouvoirs sectoriels irréductibles et s’excluant les uns les autres. Même s’il y a encore
loin de la théorie à la pratique, on peut dire toutefois que le mouvement est enclenché,
de manière irréversible. Appelées à coordonner de manière toujours plus étroite de
multiples réseaux d’acteurs, en interne comme en externe, sans doute manquait-il
jusqu’alors aux administrations les méthodes rendant lisibles tant leur opérationnalité
(évaluation des politiques publiques) que leur coût (LOLF) et surtout l’identification de
leurs modes de pilotage aux différents échelons des territoires (schémas nationaux,
régionaux, départementaux et intercommunaux). Le renforcement du rôle et des
prérogatives des élus locaux, départements et communes (cf., par exemple, dans le
cadre de la Réforme de la Protection de l’Enfance et de la Loi de Prévention de la
délinquance) devrait à terme affiner cette définition et cette intégration des méthodes
de pilotage et dégager des modes de gouvernance territoriales indispensables pour
que les associations elles-mêmes renouvellent en profondeur, et dans des cadres
sécurisés, leurs organisations et leur mode de gouvernance.
Toutefois on peut dire, inversement, que les associations ont d’ores et déjà anticipé
cette réforme globale de la gouvernance à l’échelon des territoires, en se regroupant,
en s’associant elles-mêmes en réseaux d’acteurs capables de susciter des
dynamiques, ou en tous les cas d’interpeller les élus locaux, en vue de l’instauration
d’un niveau plus global et mieux intégré de pilotage. Le relatif échec des premiers
schémas territoriaux d’action sociale ou de protection de l’enfance, la difficile
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articulation des départements et de l’Etat, dénotent à cet égard cette faiblesse
structurelle jusqu’alors en France en matière de pilotage global de l’action publique et
donc de gouvernance.
L’innovation associative en matière de gouvernance
On peut dire que les associations innovent à cet égard, même si elles ne sont pas
seules à le faire. De par la multitude des acteurs qui les composent, peut-être
perçoivent-elles de manière anticipée certains enjeux des changements qui se
dessinent. Par ailleurs, leurs modalités d’organisation, plus souples, leur permettent
également d’expérimenter et d’inventer des formes nouvelles de regroupements
d’acteurs capables d’influer en profondeur sur les systèmes organisationnels globaux
où elles s’inscrivent.
C’est en cela que les modes de gouvernance associative sont actuellement en pleine
évolution même s’ils sont loin d’avoir trouvé une nouvelle forme stabilisée et
pleinement satisfaisante au regard de multiples enjeux plus ou moins clairement
perçus. Ce qui a fortement évolué au cours des dernières années, c’est d’abord
l’aptitude des associations à rassembler leurs acteurs bénévoles et professionnels
autour de projets associatifs capables de fédérer de manière plus coordonnées les
différents services, établissements ou instances politiques de l’organisation. C’est
ensuite leur capacité à se relier entre elles, autour d’enjeux opérationnels et
stratégiques mieux repérés au niveau local : cela à la mesure de l’émergence
progressive d’une nouvelle dynamique de pilotage territorial de la part des pouvoirs
publics et surtout de nouvelles compétences qui leur sont dévolues. Mais il reste sans
doute encore à réformer en profondeur le lien entre politique associative et service à la
personne, dans la mesure où l’utilité sociale des associations ne saurait se résumer à
la somme des compétences techniques et professionnelles qu’elles réunissent et
mettent en œuvre, aussi bien orchestrées et administrées soient-elles dans le cadre
d’une coopération plus étroite entre instances dirigeantes, bénévoles et
professionnelles.
La dimension politique et citoyenne de la gouvernan ce associative
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La gouvernance associative suppose de revenir aux fondements mêmes de la force
instituant le fait associatif. Or, dans le domaine de l’action sociale, celle-ci renvoie à la
rencontre de personnes se mettant bénévolement au service d’autres personnes et
mobilisant, le plus souvent, des moyens et des techniques professionnels pour
atteindre leurs fins. Il y a là un enjeu de valeurs partagées autour d’une conception de
la personne humaine et d’une volonté de placer la promotion de l’humain au cœur
même de l’acte associatif. Si un enjeu fondamental de la gouvernance consiste
aujourd’hui à engager davantage chaque acteur dans une dynamique de co-
construction et d’élever ainsi le niveau de responsabilité de chacun au regard d’un
projet partagé, aucun d’entre eux, bien sûr, ne saurait être tenu à l’écart de ce
processus. L’usager doit lui-même être considéré comme une ressource fondamentale
de la gouvernance associative, plutôt qu’uniquement comme pièce centrale autour de
laquelle s’organiserait toute une architecture techno-sociale que les pouvoirs publics se
seraient donnés pour mission de coordonner, de contrôler et d’évaluer.
La visée même du processus de renouvellement de la gouvernance engagé dans nos
associations ne peut qu’interroger au final la dimension citoyenne et politique des
personnes bénéficiaires des actions que nous déployons. La montée en force des
acteurs politiques locaux, ne saurait qu’aller de pair avec la montée en force des
politiques associatives. Si nos instances dirigeantes ces dernières années ont été
particulièrement attentives à renforcer la dimension politique de nos associations par
de meilleures convergences internes et externes, notamment entre administrateurs et
cadres dirigeants, ne doivent-elles pas encore se centrer à présent sur la question
même du lien social et sur le fait qu’elles peuvent aussi constituer pour leurs usagers
de réels espaces intermédiaires, d’autant plus incontournables à un moment où risque
de se renforcer de manière démesurée le poids des responsabilités individuelles…. au-
delà d’une réflexion plus formelle sur la gouvernance, l’enjeu fort serait pour l’associatif
de mettre au travail la dimension politique du lien social, ce qui ne saurait se faire sans
impliquer fortement dans le fait associatif lui-même la dimension citoyenne et politique
de l’usager. Il en va là sans doute de la condition même de restauration d’une plus
forte capacité de représentativité politique de nos associations.
Enjeux intersubjectifs de la gouvernance associativ e
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Enfin, un autre enjeu consiste à faire le lien entre l’évolution des pratiques
professionnelles et la gouvernance associative. La place que les dynamiques de
supervision, de consultation, d’échange et d’analyse des pratiques, de coaching, de
formation ont prise notamment à différents niveaux de nos organisations serait aussi à
lire dans cet enjeu global de la gouvernance. Au fond, cela vient dire que l’on ne
gouverne plus aujourd’hui sans l’implication subjective de tous les acteurs concernés
par l’existence même d’un principe de gouvernance. C’est pourquoi ce niveau de
réflexivité permanente entre acteurs sur le sens des pratiques doit concerner aussi au
premier chef les instances dirigeantes de nos associations. La gouvernance implique
cette mise en œuvre, en scène, en discussion, de manière constante, de toute la
complexité intersubjective engagée. Elle suppose l’élaboration de dispositifs nouveaux
et adaptés. L’enjeu majeur est d’accompagner le changement des logiques d’acteurs
vers des visées coopératives accrues en interrogeant la posture relativement
objectivée d’un encadrement peu informé ni concerné par les dynamiques subjectives
à l’œuvre. Il s’agirait alors de quitter le seul niveau de la formalisation gestionnaire,
pour celui d’un changement structurel touchant le niveau des représentations des
acteurs et supposant la prise en compte de leur adhésion subjective… C’est ici
également qu’il conviendrait de faire porter l’axe central de la question de l’évaluation
en matière d’action sociale. Autre enjeu de la gouvernance donc : travailler à tous les
niveaux pour l’instauration d’espaces de subjectivation des acteurs (Blaise Ollivier,
l’acteur et le sujet56), capables d’élaborer des liens intersubjectifs entre eux et avec
tous les autres, et d’en rendre compte.
En conclusion…
La pensée développée par Alain Caillé et par les sociologues et économistes
contribuant au mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales à la suite des
travaux de Marcel Mauss, me paraît prendre en compte la complexité de la réalité
associative et de ses mécanismes fondamentaux notamment autour des enjeux du don
56 Blaise Ollivier, L’acteur et le sujet, Vers un nouvel acteur économique, Pairs, Desclée de Brouwer, 1995
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et de la reconnaissance. Des liens me restent à faire, prolongeant la sensibilisation
qu’a constituée pour moi la lecture du livre de Jacques Généreux. Aussi, j’aimerais
prolonger dans cette direction ma réflexion sur les changements associatifs et sur les
transformations engagées dans l’association que je dirige.
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CERTIFICAT II – DIAGNOSTIC D’UNE ASSOCIATION
Diagnostic de la Maison Pour Tous d’Argenteuil : L’analyse identitaire et culturelle
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ANALYSE IDENTITAIRE ET CULTURELLE
Introduction
La Maison pour Tous d’Argenteuil est une structure complexe aux identités
diversifiées. Cela est lié au fait qu’elle place la question identitaire et culturelle au cœur
même de son organisation et de ses stratégies. On ne saurait donc se passer pour
cette association d’une analyse identitaire et culturelle. C’est là un élément de mise en
perspective indispensable.
On constate d’emblée qu’à la Maison Pour Tous, c’est l’identité qui fait lien entre les
acteurs. C’est une identité de type engagé qui donne seule une légitimité au sein de la
structure. La légitimation des acteurs renvoie, en effet, de fait à leur identité,
notamment sur ce mode de l’engagement. Plus on se rapproche du modèle de la
personne engagée, plus on est légitime dans la structure. L’engagement est une façon
de mobiliser le lien social entre les acteurs. On peut même parler d’une modalité
contagieuse du lien social : « Je ne pense pas qu’il y ait eu à la MPT quelqu’un qui soit
passé sans vraiment s’investir et s’investir sur le temps… La Maison pour Tous je crois
que c’est quand même quelque chose qui roule et qui fait boule de neige… Que ce soit
les bénévoles, les salariés, tout le monde s’investit. »
Nous allons montrer, en développant cette analyse identitaire et culturelle de la Maison
Pour Tous d’Argenteuil, que la dimension de l’investissement et de l’engagement qui
structure son projet, fondé sur une véritable vision de l’émancipation collective du
quartier, ne vaut que par la forte implication personnelle de chaque acteur, et repose
sur une modalité de transmission foncièrement intersubjective et interpersonnelle.
C’est la richesse de la Maison Pour Tous. C’est sur cela que repose la force de son
dynamisme. Mais c’est aussi toute sa fragilité, la dynamique collective ne s’étant
jamais véritablement émancipée d’une relation essentielle au charisme des fondateurs.
La structuration progressive de l’institution et sa professionnalisation soulignent chaque
jour un peu plus l’écart entre les logiques et les nécessités gestionnaires qui
s’imposent, segmentant de plus en plus les domaines d’action, et la force des valeurs
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incarnées par les acteurs fortement référées à des personnalités dont on n’ose
envisager le possible départ.
Des groupes d’acteurs aux identités différentes
Malgré cette forte convergence de vues qui, au premier abord, caractérise la Maison
Pour Tous, semblant dégager une tonalité très homogène autour de la logique de
l’acteur engagé, il est important de chercher à repérer les identités différentes à
l’œuvre. En effet, au même titre qu’une entreprise, l’association mobilise des enjeux et
des stratégies d’acteurs, la question de l’identité et de la culture venant les imprégner
fortement. Même si la principale légitimation de l’identité tourne donc autour de la
notion d’engagement, on a cependant à faire, dans cette Maison pour Tous, à des
acteurs aux identités différentes.
Nous inspirant des travaux de Renaud Sainsaulieu dans le champ de l’entreprise57,
nous nous proposons de dégager les dynamiques identitaires à l’œuvre au sein de la
Maison Pour Tous d’Argenteuil. La capacité d’agir dépend, en effet, des identités en
présence et de leurs possibles articulations en systèmes de représentations, de
symboles et valeurs aptes à fonder l’action sur une dynamique collective. Ce qui paraît
au premier abord s’imposer à la Maison Pour Tous, c'est-à-dire la force cohésive de
l’implication et de l’engagement, relève en fait d’une alchimie subtile entre des identités
d’acteurs différentes. Avant de mettre en évidence leurs articulations, que nous
approfondirons notamment en développant l’analyse culturelle, nous allons nous
arrêter sur chacune d’entre elles pour mettre en évidence cette différenciation
identitaire.
A la recherche des identités collectives, et s’inspirant notamment des travaux de
Claude Dubar, Renaud Sainsaulieu identifie quatre grands faisceaux d’indices
permettant de repérer les principales formes d’identité produites par les situations de
travail : le pouvoir exercé ou la position organisationnelle, la mobilité parcourue,
57 Françoise PIOTET, Renaud SAINSAULIEU, Méthodes pour une sociologie de l’entreprise, Presses de la Fondation Nationale Des Sciences Politiques et ANACT, Paris, 1994.
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57
l’innovation pratiquée et les types d’implication dans et hors travail58. Pour chacune de
ces entrées quelques traits principaux caractérisent l’identité de chaque catégorie
d’acteurs. Sans développer ici l’ensemble de ces items, nous nous inspirons des grilles
élaborées par Renaud Sainsaulieu pour proposer l’analyse identitaire des principaux
acteurs de la Maison pour Tous.
La direction
En termes de position dans l’organisation, la Directrice assume naturellement le
modèle d’acteur de négociation. C’est un leader démocratique qui fait de la circulation
de la parole entre tous la clé de la réussite de la Maison Pour Tous. Elle assure la
cohésion générale et veille à la bonne relation de l’ensemble. Dans ce but, elle est « en
mesure de se différencier et de communiquer de façon contradictoire, accomplissant
une tâche individuelle mais où les échanges et les alliances avec d’autres représentent
des atouts considérables»59
Bien que recrutée à l’extérieur, elle est passée d’abord par une fonction de directrice-
adjointe avant d’accéder à la place de directrice. Ce qui a permis une sorte de
cooptation de l’intérieur. Il paraît, en effet, essentiel dans ce modèle que le leader sorte
en quelque sorte du groupe « qui attend de lui qu’il s’impose par ses capacités
personnelles de médiateur »60.
Elle conçoit son autorité sur un mode libéral, participatif, ordonné au primat de la
relation humaine.
En ce qui concerne son parcours de mobilité, paradoxalement, et contrairement à tous
les autres acteurs de la Maison Pour Tous, la Directrice se trouve aujourd’hui, pour
reprendre la terminologie de Sainsaulieu, dans une identité bloquée. Elle a atteint le
plus haut niveau dans l’organisation, et cela depuis près d’une vingtaine d’années. La
seule mobilité qui lui est permise est de quitter la structure. Toutefois, elle sait que ce
n’est pas sans risque, ni pour elle, ni pour l’association. Comment reconstruire une
telle cohésion entre une fonction, une personnalité, une organisation ? On peut dire
que cette question est à la fois celle de la Directrice comme celle de chacun des
acteurs engagés dans le Maison Pour Tous. C’est une question existentielle qui
traverse aujourd’hui toute l’association. Nous verrons plus loin comment il s’agit là
58 Ibid. p. 204. 59 Ibid. p. 206 60 Idem
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58
d’une question liée au projet même de la structure et qui déborde donc la personnalité
même de la Directrice actuellement en poste.
Ainsi la question de la transmission est-elle centrale pour envisager un « déblocage »,
tant du parcours professionnel de la Directrice que du projet et de la capacité
d’envisager sereinement l’avenir de la Maison Pour Tous.
En ce qui concerne les pratiques innovatrices, tout comme l’ensemble des acteurs, la
Directrice de l’association se situe naturellement dans la catégorie des pionniers,
fortement attirés par « l’innovation et le changement dans les habitudes de relations et
de vie collective. »61 Peu enfermée dans la règle, même si elle doit en garantir pour
l’essentiel le respect, elle privilégie l’aventure, la découverte, les contacts, la
nouveauté. Elle tient à distance la bureaucratie et l’administration même si elle a su
inscrire la Maison pour Tous de plus en plus dans leurs logiques. Sa capacité
d’innovation, voire de retournement, l’a conduite le plus souvent à mettre
l’administration au service de la structure. On ne compte plus les personnalités qui
viennent souligner, voire s’associer, à l’instar de la sous-préfète, au succès de la
Maison Pour Tous en matière de lien social sur le quartier.
Ses principaux atouts sont les réseaux et une grande complexité de jeux d’alliance
permettant d’inscrire toute mesure nouvelle dans un dispositif relationnel déjà à
l’œuvre sur le quartier.
La professionnalisation nécessaire qu’elle poursuit des acteurs de l’association se
trouve ainsi mise au service d’une logique de lien social, d’engagement et d’innovation
qu’elle ne lâche pas.
Enfin, en matière d’implication dans et hors travail, c’est la figure de l’identité citoyenne
qui s’impose concernant la Directrice de la Maison Pour Tous, caractéristique qu’elle
partage là encore avec la plupart des autres acteurs. On sent une grande cohérence
entre la personnalité qui dirige l’association et son engagement de citoyen, de parent,
en dehors. Il n’y a pas de frontière rigide entre les niveaux d’engagement. C’est
d’ailleurs par l’intermédiaire de l’école de ses enfants, et dans sa fonction de parent
d’élèves, qu’elle établira le lien avec une formatrice du cycle de Sciences Po sur les
changements associatifs, rencontre qui conduira au diagnostic présent.
61 Ibid. p. 211
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59
On perçoit bien à travers cette première approche le caractère essentiel de l’analyse
identitaire pour comprendre, dans leurs différences, les dynamiques d’acteurs
impliquées dans la création d’une véritable culture d’entreprise.
Les salariés
Le groupe des salariés est composite : entre les salariés à temps plein et les
vacataires, les responsables de projets, ceux qui tiennent une permanence à la Maison
Pour Tous tout en étant employé par un autre organisme, certaines particularités se
dégagent. Toutefois, en termes de dynamiques identitaires nous avons choisi une
approche homogène mettant en évidence les convergences fortes.
Quant à leur position dans l’organisation les salariés se situent plutôt dans un registre
d’affinités. La partition de la Maison Pour Tous en grands domaines d’activité favorise
certainement cette coopération renforcée en petits groupes d’«élus » se trouvant
engagés dans les mêmes missions. L’entraide est intense au sein de ces groupes, on
y cultive une certaine différence tout en restant fortement référé au projet d’ensemble,
au conseil de maison et à la direction. La relation personnalisée de chaque
responsable de secteur à la directrice est à cet égard essentielle. Toutefois une forte
marge de manœuvre reste revendiquée. Tout comme la directrice, ils ne sont donc pas
exempts d’une certaine dynamique de négociation.
Sur le registre de la mobilité, ils se situent dans une dynamique de promotion. La
proximité avec la direction n’en est que plus essentielle, d’autant que la plupart
tiennent le poste et la responsabilité qu’ils occupent de son discernement et de sa
décision. Certains parcours à cet égard sont étonnants, de bénéficiaire des actions de
la Maison Pour Tous à responsable de projet en son sein. Cette ascension sociale et
professionnelle est le fruit d’une pédagogie de l’accompagnement qui marque
profondément la structure, tant en direction des publics visés que des professionnels.
Des parcours de formation sont proposés dans le choix desquels la Directrice joue un
rôle déterminant. Le cœur des formations gravite autour des enjeux relationnels et de
communication avec une référence privilégiée à l’analyse transactionnelle et à la
programmation neuro-linguistique. C’est bien sur cette compétence avant tout humaine
et relationnelle que vont se définir les stratégies promotionnelles au sein de
l’association. L’ensemble des salariés mesure que la réussite de la Maison Pour tous
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repose sur leur capacité d’implication et d’engagement relationnel. Toutefois cette
« sélection » relativement subjective et hautement personnalisée risque d’entraîner à la
marge des conflits de reconnaissance entre professionnels de même niveau ou de
niveaux différents de qualification, le diplôme n’étant pas le premier ni le seul critère de
considération.
On peut parler d’une véritable dynamique promotionnelle au sein de la Maison Pour
Tous, avec un risque toutefois de blocage également pour certaines personnes
parvenues à la responsabilité d’un secteur d’activité.
En matière de pratiques d’innovations, les professionnels se montrent très impliqués, à
l’instar de tous les autres acteurs de l’association, et révèlent donc une dynamique de
pionniers notamment sur le plan des méthodes. Toutefois, ils peuvent se montrer
également légalistes à l’égard d’un militantisme pionnier caractérisant la structure et
qu’ils peuvent juger parfois excessif. Ils mettent ainsi en avant des règles de sécurité
pas toujours respectées dans la conduite d’actions sur le quartier. Ils peuvent ainsi,
dans leurs propos, avoir tendance à banaliser d’une certaine manière l’innovation,
cherchant à la contrebalancer par la recherche d’un « ordre rationnel acceptable »62
ainsi que de formes légales qui soient compatibles avec les missions de la Maison
pour Tous tout en luttant contre un certain désordre déstabilisant.
Enfin sur le plan de la double implication identitaire, au travail et hors travail, ils se
rapportent eux aussi à la figure de l’identité citoyenne. La frontière est ténue entre leur
engagement à la Maison Pour Tous et leur engagement dans la cité, les savoir-faire
sociaux, créatifs, humains se transférant aisément d’un domaine à l’autre.
Il faut souligner, concernant les salariés, la forte dimension d’engagement qui semble
différencier le projet de la MPT et affirmer sa singularité à l’égard de toute autre
structure, y compris de même type. « Je fais 8 heures par semaine et pourtant cela me
prend beaucoup plus… personne ne se plaint, cela ne me perturbe pas, comme si
c’était un engagement personnel. Cela touche à la vie personnelle, à la personnalité,
au sens que l’on met à son existence et cela c’est très important… Ca va au-delà du
travail salarié.»
Même écho de la part d’une salariée de la CAF assurant des permanences à la Maison
Pour Tous : « Quand on discute avec des collègues qui travaillent sur des structures
62 Ibid. p. 212
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différentes, qui n’ont pas la même histoire, on sent que notre implication, notre
fonctionnement est différent, et c’est vrai que la Maison Pour Tous, au niveau de la
CAF, est reconnue comme une structure importante sur le quartier… Il y a un esprit,
une implication, de l’engagement… Les personnes qui s’engagent se sentent
reconnues, valorisées… Il y a un dynamisme important et un bon partenariat. »
Ainsi, on ne perçoit pas de grande différence entre les bénévoles et les salariés en
matière d’implication et d’engagement. Au-delà du temps professionnellement
possible, ils s’engagent eux aussi sur un mode bénévole. Pas plus que les bénévoles,
ils n’ont un rapport neutre à la structure.
« Il y a un gros investissement de tous ici, y compris des professionnels qui
s’impliquent même le dimanche. C’est une grosse différence avec ce que j’ai connu
dans la banque. »
Les membres du C.A.
Sans développer autant les dynamiques identitaires caractérisant les autres acteurs,
bénévoles, membres du CA et engagés dans les activités, usagers des activités
culturelles et bénéficiaires des actions sociales, nous allons toutefois dégager
quelques traits qui seront essentiels pour conduire la suite de notre analyse identitaire
et culturelle.
Ainsi sur le plan de leur place dans l’organisation, les membres du CA paraissent-ils
impliqués sur le modèle de la fusion à l’égard de la figure dominante de la Directrice.
On observe peu de différenciation de places. Ils sont omniprésents, à l’instar du
Président, mais dans l’ombre de la direction. L’absence de prise de parole du
Président de l’association dans le cadre de ce diagnostic initié par la Directrice est à
cet égard, si l’on peut dire, parlant. Les relations entre membres du CA et direction, les
participations aux mêmes réunions, ainsi de la réunion hebdomadaire de direction avec
les responsables d’activités, sont nombreuses, fréquentes, mais on ne sent pas
qu’elles permettent l’expression de points de vue différenciés. Ces relations sont
fortement affectives. On partage en permanence le même espace, on s’estime, on se
respecte. On pourrait presque parler d’une sorte de démultiplication de la direction par
cette présence envahissante et silencieuse des membres du CA, sur un mode
fortement consensuel, tacite et fusionnel. Toute logique de conflit, tout ce qui pourrait
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menacer l’homogénéité du rapport direction-CA est repoussé ou, à tout le moins,
inexprimé.
C’est la parole de la Directrice couplée avec le silence du président qui semblent
assurer sa stabilité et sa cohésion à l’ensemble organisationnel de la Maison Pour
Tous aujourd’hui, « évitant que ne se posent des problèmes risquant de fêler
l’unanimité. »63
Les membres du CA ne sont pas vraiment concernés par la dynamique des parcours
de mobilité. A ce titre, dans la terminologie de Sainsaulieu, ils relèvent sur ce point
d’une identité d’exclu. Ils sont à leur place d’administrateur. La question de leur
formation comme membres bénévoles se pose, ce qu’a perçu la directrice qui leur a
fait bénéficier récemment d’une formation sans que leur identité en ait été foncièrement
transformée et dynamisée. On peut parler, au contraire, d’une certaine fragilité dans
l’identité, et d’une grande dépendance, les administrateurs actuels ayant peu de
ressources pour modifier la dynamique de la structure et leur place en son sein.
Comme tous les autres acteurs, les administrateurs mobilisent par ailleurs une identité
de pionnier dans le cadre de pratiques d’innovation auxquelles ils contribuent
largement. Ils s’impliquent dans les activités proposées sur le quartier par la Maison
Pour Tous mais plutôt dans le registre culturel, et semblent mal à l’aise dans le
domaine de l’action sociale qui s’est imposé au fil des années comme le champ
d’intervention privilégié de la MPT largement contrôlé par la direction et les
professionnels de la structure : « Je trouve qu’il n’y a pas adéquation entre le C.A. et la
nature du centre social… Les membres du CA ne sont pas de plain pied dans le centre
social. Ils sont axés sur une consommation d’activités. Ils n’ont pas l’esprit centre
social. » .
Sur le plan de la double implication identitaire, ils relèvent plutôt d’une logique
domestique, dans un registre de performance en déclin. Leur hyper-investissement à la
Maison Pour Tous se révèle unique pour plusieurs d’entre eux et laisse interrogatif sur
d’autres champs d’implication, venant souligner là encore une certaine fragilité
identitaire.
63 Ibid. p. 206
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On peut dire que le conseil d’administration se révèle être aujourd’hui, en dépit d’une
hyper-présence, un maillon faible dans la dynamique identitaire de la Maison Pour
Tous. En dépit d’une formation récente proposée par la direction, on perçoit mal leur
place dans l’organisation, comme s’ils souffraient collectivement d’un déficit de
légitimité. Comme s’ils se tenaient « à côté » de la vocation première du centre social :
« Y’a encore des gens du CA qui ne savent pas ce qu’on fait au centre social… Ils sont
centrés sur la fonction club uniquement. On a l’impression face à eux que la fonction
centre social n’existe pas. En fait les salariés et les vacataires sont plutôt centre social,
et les bénévoles centre culture et de loisirs… Tout ce qui est club, c’est ça l’association
en vérité. »
Nous reviendrons ultérieurement sur des hypothèses permettant d’éclairer cette
fragilité identitaire du groupe des administrateurs.
Les bénévoles engagés dans les activités ne se distinguent pas fondamentalement
de la dynamique identitaire des salariés. Certains d’entres eux ont d’ailleurs la
responsabilité d’encadrer l’activité de certains salariés. Ils sont permanents au sein de
la structure, impliqués dans la durée, et sont susceptibles d’en accompagner
l’ensemble des réalisations. Il s’agit d’acteurs engagés dans la dynamique de
négociation de la MPT. Ils participent à l’ensemble des instances, notamment au
conseil de maison. Ils sont susceptibles de promotion, certains usagers bénéficiaires
des actions étant devenus bénévoles avant d’accéder à une fonction de salarié. Ils
sont volontiers pionniers et innovants dans les pratiques de la Maison Pour Tous.
Fortement impliqués dans d’autres registres de la vie sociale, ils vivent cette double
implication, au sein de la MPT et en dehors, sur une logique d’identité citoyenne.
Les usagers des activités culturelles et les bénéfi ciaires de l’action sociale
En ce qui concerne les usagers des activités culturelles et les bénéficiaires de l’action
sociale, il convient de souligner avant tout le clivage entre deux catégories sociales qui
ne se rencontrent pas vraiment, ce que chacun s’accorde à déplorer :
« Il y a en fait deux Maisons Pour Tous. Je le sens comme ça avec même une
incompréhension entre les deux…. Deux classes se côtoient : les classes se
reconnaissent entre elles. »
Les usagers des activités culturelles semblent bénéficier d’un statut privilégié lié à
l’histoire. Plusieurs anciens administrateurs issus de la période où le CA jouait un rôle
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de premier plan, en particulier l’ancienne Présidente, ont investi ce domaine des
activités culturelles et en préservent le caractère essentiel. Acteurs rodés à la
négociation, on peut dire qu’ils jouent un rôle implicite de leader démocratique qui vient
compléter celui de la direction avec laquelle ils ont d’étroites connivences. Tout l’enjeu
de la transmission du pouvoir et de la légitimité semble s’être joué dans ce
changement de place entre dynamique identitaire du CA et influence aujourd’hui des
activités culturelles. Il s’agit d’acteurs de réseau, également fortement impliqué dans
d’autres groupes, d’autres activités, d’autres associations de la ville d’Argenteuil et au-
delà. Cette double implication très marquée en fait des acteurs qui ont gardé un rôle
d’influence citoyenne de premier plan, au sein de la structure et en dehors.
Leur légitimité renvoie aussi à cette identité très ancrée dans les pratiques
d’innovation. C’est un champ de créativité permanente dans lequel ces usagers sont
aussi co-créateurs des projets. Ce sont des pionniers, qu’on accompagne même dans
cette inscription identitaire. Il s’agit là d’un axe de développement : quelque chose qui
est en devenir.
Les bénéficiaires de l’action sociale conduite au sein de la MPT paraissent quant à eux
beaucoup plus en retrait au sein de l’organisation. Ils se cantonnent au sein de certains
groupes, tel le groupe femmes, d’où il est difficile de les faire évoluer vers d’autres
domaines d’intervention de la Maison Pour Tous. Dans ce cadre, toutefois, eux aussi
peuvent être dans une dynamique identitaire de pionniers, inventant avec les
permanents des activitésnouvelles, tissant le lien social, favorisant la rencontre des
cultures. Cependant, certains bénéficiaires sont tout simplement absents, manquants,
les hommes en particulier dont plusieurs personnes interviewées déplorent le fait qu’ils
se tiennent à l’écart de l’association tout comme le public des grands jeunes.
Au terme de cette enquête, nous disposons donc d’une palette contrastée des
dynamiques identitaires à l’œuvre au sein de la MPT. Dans l’analyse qui suit nous
allons chercher à en tirer les principaux enseignements, les lignes de convergence, le
sens toutefois de cette commune identité d’acteurs engagés.
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Légitimation des acteurs du fait de leur « identité
engagée »
Les acteurs se structurent autour de la légitimité de l’engagement
L’engagement semble bien constituer la toile de fond de la dynamique identitaire de la
Maison Pour Tous. Il en constitue l’horizon incontournable. La structure n’existerait pas
sans lui, de même que sans lui son avenir paraîtrait aux différents acteurs des plus
compromis. C’est un postulat qu’on ne questionne pas. Il est à la base même de
l’identité « maison ».
Mais l’engagement a une visée : c’est celle des usagers, habitants du quartier,
bénéficiaires des actions, et en particulier des actions à caractère social. C’est au nom
de cet usager que se développe le modèle idéal de l’acteur engagé, même si l’usager
visé n’est pas toujours au-rendez-vous et qu’une autre catégorie de bénéficiaire, ceux
des activités culturelles, occupent dans les représentations de beaucoup le devant de
la scène. Mais il se trouve que beaucoup de ces bénéficiaires aujourd’hui, en tant
qu’anciens habitants du quartier très engagés dans l’aventure de la Maison Pour Tous,
y ont gagné en quelque sorte une légitimité historique qu’il n’est plus nécessaire de
ressourcer dans une implication renouvelée auprès des nouveaux habitants.
L’accélération des mutations sociologiques et culturelles, la politique actuelle de
relogement, l’augmentation des loyers, ne peuvent qu’encourager cette sorte de
découplage entre les phases historiques de l’engagement et donc entre les acteurs.
On sent très présente cette tension qui traverse la Maison Pour Tous, tant dans le
cadre des entretiens avec les personnes engagées, professionnellement ou
bénévolement, qu’avec des personnes extérieures à la structure, qu’elles soient de la
mairie ou d’autres associations.
Quoiqu’il en soit de ces tensions, c’est au nom de l’engagement en faveur des
bénéficiaires en général que l’ensemble des acteurs est accompagné vers cette forte
implication. Et cela au nom d’un idéal démocratique et participatif qui place l’usager au
centre, notamment au cœur de l’instance associative par excellence qu’est le Conseil
d’Administration : « Faut dire aussi que ce n’est pas comme toutes les autres
institutions, parce que ici dans le CA, on a des gens du quartier, des adhérents de la
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Maison Pour Tous, qui ont donc leur voix : s’il y a quelque chose qui ne leur plait pas,
ils le disent… Ils ont des voix, donc on les entend ; elle est là la dynamique, c’est la
participation de tout un chacun, c’est tout un chacun qui participe. »
C’est le rôle notamment de la Directrice de susciter en permanence, par sa parole et
son implication, cet engagement, mais aussi implicitement celui du CA dont
l’omniprésence de certains de ses membres dans les locaux ne peut que venir
rappeler cette exigence essentielle. D’ailleurs, « Les membres du CA qui sont là
bénévolement en tant que militants n’ont pas trop conscience que les salariés sont là
parce que c’est un travail. » Ainsi les bénévoles sont-ils soutenus, encouragés, tandis
que les professionnels peuvent se voire reprocher indirectement de n’être justement
pas aussi engagés que les bénévoles. Ce sont ces derniers qui constituent en quelque
sorte l’idéal de l’acteur engagé de la Maison Pour Tous, et la Directrice ne se cache
pas de faire parfois usage auprès des professionnels de la comparaison avec ce
modèle, sous forme de chantage affectif. Certains d’entre eux se plaignent d’ailleurs de
ne pas avoir toujours de retour à la hauteur de leur implication : « Il n’y a pas de
reconnaissance envers le salarié de son investissement »
Derrière ce modèle se profile la figure de l’ancienne Présidente de la Maison Pour
Tous, Claire Brard, souvent citée dans les entretiens comme une sorte d’évidence
fondatrice : « La différence avec Claire Brard, c’est la disponibilité qu’elle a pour les
autres, l’investissement qu’elle avait pour le quartier et l’importance qu’elle donne à
tout un chacun… Mais je crois que c’est surtout qu’elle s’investit : quand elle s’investit,
elle est vraiment entière ; et puis, depuis toute sa jeunesse, c’était une militante, c’est
quelqu’un qui ose, et qui pousse et qui fait ; elle n’est pas en retrait ; elle est très
investie dans tout ce qui peut être sur le quartier et dans d’autres activités aussi qui
font sa vie… »
Stratégiquement, les enjeux de la structure tournent donc bien autour de cette notion
d’engagement. Mais on le voit, il s’agit d’un engagement porté par des figures
identificatoires fortes auxquelles chacun peut se référer. Sakhina, la Directrice actuelle
de la Maison Pour Tous, se revendique d’ailleurs explicitement d’une filiation à l’égard
de Claire Brard. C’est elle qui l’a formée et lui a transmis en quelque sorte l’essentiel.
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Engagement : élément de cohésion – élément mobilisa teur du lien social à long
terme
C’est donc l’engagement qui qualifie le registre identitaire, le mobilise principalement et
c’est sur ce mode que se trouve mise en œuvre la question du lien social à l’intérieur
de la structure. Mais il est, cet engagement, référé à un certain modèle. Il est centré
sur un enjeu citoyen essentiel qu’incarne particulièrement l’ancienne Présidente dans
l’ensemble des descriptions et évocations qui nous en ont été faites. Ce n’est pas
uniquement dans un espace professionnel que l’on fait société mais dans une
dimension citoyenne qui le prolonge. Et la Maison pour Tous est porteuse de cette
double implication dans son essence, ce que l’on a bien vu en parcourant les profils
identitaires de chacun des acteurs. Etre citoyen, que l’on soit bénévole, salarié ou
usager, voilà ce qui structure le projet de la MPT et constitue un élément fort de
mobilisation du lien social sur le quartier dans une dynamique de long terme !
Les ingrédients du lien social
Cette identité engagée des acteurs de la MPT, au-delà des figures identificatoires que
nous avons soulignées, trouve en fait sa source dans un ensemble de traits communs
qui constituent en fait une sorte de trame culturelle partagée par l’ensemble des
acteurs. C’est cette cohérence identitaire et culturelle que nous allons à présent nous
attacher à mettre en évidence. C’est sur elle que repose le lien social si particulier qui
relie entre eux les acteurs de la Maison Pour Tous ainsi que celle-ci au quartier.
Des traits communs
Identité féminine dans tous les groupes d’acteurs
Beaucoup des personnes engagées à la MPT sont des femmes. Ces femmes ont des
parcours de vie atypiques, reviennent de loin. Vivre sur la Dalle redonne un sentiment
d’appartenance. Avec la Maison pour tous, on retrouve des racines, on appartient à
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quelque chose de commun. On éprouve des vraies valeurs qui fondent la raison d’être
ensemble.
Le groupe « femmes » constitue à cet égard une sorte d’emblème de la MPT sur lequel
convergent toutes les attentions. La Directrice s’y montre particulièrement attentive et
présente. Les femmes, en partageant leurs cultures, leurs traditions, leurs parcours de
vie souvent douloureux, retrouvent dans cet espace un nouvel en-commun avec
d’autres femmes leur permettant de réunifier une identité féminine bien souvent
malmenée. Proches de la culture de leur pays d’origine, elles ont à effectuer un
important travail d’intégration dans le nouvel espace culturel où elles se trouvent à
présent, et celui-ci semble ne pouvoir se faire véritablement qu’entre femmes. On
retrouve ici un lien direct avec l’engagement de Claire Brard au sein de l’Union des
Femmes Françaises : elle a beaucoup milité, en effet, pour permettre aux femmes de
culture maghrébine de se rencontrer et de rencontrer des femmes d’autres cultures et
notamment de culture française.
Cet engagement des femmes va de pair avec l’absence d’implication des hommes.
Mais il suppose néanmoins leur accord. C’est cette autorisation, au moins implicite,
que la Maison Pour Tous semble continuer à susciter de la part des hommes, faute de
savoir les mobiliser eux-mêmes, et cela à la suite du militantisme de Claire Brard à
l’Union des Femmes Françaises.
On peut même se demander, si après le départ de cette Présidente charismatique, qui
reste par ailleurs très présente dans le cadre des différentes activités culturelles,
l’association n’a pas adopté une certaine homologie avec ce trait culturel dominant,
notamment dans le monde maghrébin : avec, d’une part, un espace domestique
totalement ouvert aux femmes, et on peut même dire sous sa totale autorité
aujourd’hui incarnée par la Directrice, et, d’autre part, l’autorisation cependant implicite
des hommes personnifiée par l’omniprésence silencieuse du Président.
« Parcours de vie », réparation, refuge, déracineme nt, deuil
Autre trait caractérisant nombre d’acteurs de la MPT, et donc en particulier de femmes,
et cela que l’on soit bénévoles, salariés, usagers, c’est d’avoir eu des parcours de vie
particulièrement difficiles, traversés de traumatismes souvent graves, de pertes de
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conjoints jeunes, d’enfants, d’arrachements du pays d’origine dans des conditions
souvent brutales, et de s’en « être sorti ». « Il y a des tragédies, il y a des histoires très
difficiles, et des histoires très belles, ce qui fait la diversité de la vie… Il y a toujours à
la base, pour beaucoup de personnes, le déracinement, c’est quelque chose de très
dur… » Et la Maison Pour Tous d’Argenteuil a souvent joué un rôle décisif dans cette
résilience. C’est en devenant capable de donner à d’autres qu’on se répare soi-même.
Ainsi, avoir soi-même traversé des épreuves, et s’être montré capable de les
surmonter en aidant les autres est un vecteur fort d’appartenance identitaire à la
structure. Les témoignages sont là nombreux. Nous, en donnons juste quelques-uns
car il s’agit d’un trait culturel fort des acteurs de la MPT sur lequel se greffe une bonne
part du dynamisme de l’engagement et du don qui marque si profondément la
structure :« Quand j’étais bénévole, j’étais une personne qui avait beaucoup de
problèmes moralement, à cause du décès de mon mari, cela m’a aidé énormément
pour me détendre, me faire plaisir, me changer les idées : si j’apporte quelque chose à
quelqu’un ça me relaxe, je suis contente, j’ai donné quelque chose, ça a servi à
quelqu’un, ça a aidé, c’était très bien, c’était vraiment du plaisir. »
Cette autre personne évoque aussi dans l’entretien les grandes épreuves de sa vie
surtout pour souligner en quoi le travail dans un cadre associatif lui a permis de les
dépasser : « Finalement, quand on travaille, on rencontre d’autres personnes, les gens
sont les mêmes avec les mêmes problèmes, les mêmes souffrances, les mêmes
pénibilités de la vie…Il faut gagner son pain, mais je crois que la meilleure chose qui
pouvait m’arriver dans ma façon d’être et de faire, c’est ce parcours qui m’a tant
apporté… On donne, mais je crois que c’est ça le milieu associatif finalement ; c’est
une goutte d’eau qui en apporte 10 000 autres ! »
Ou encore cette responsable du groupe « femmes » qui dit en quoi son histoire de vie
est aujourd’hui une ressource dans la conduite de son action : « Je suis partie de
Kabylie quasiment aveugle, avec toute l’immigration, j’ai vécu dans un taudis, rue de la
goutte d’or. On est arrivés sur la banlieue nord de Parie, j’ai eu froid, j’ai eu faim, avec
8 frères et sœurs à m’occuper. J’avais tous les repas à faire… Mon origine Kabyle est
un atout pour le groupe femmes et la référence famille. Mais ce sont surtout mes
origines culturelles qui comptent, le fait d’avoir vécu beaucoup d’expériences est
important, par rapport à ma situation qui était désastreuse à la naissance… »
On peut souligner enfin que la logique de la réciprocité est très ancrée chez tous les
acteurs de la Maison pour Tous qu’ils soient bénévoles ou salariés. C’est sur cette
circulation du don que repose encore une fois l’essentiel de la force de l’engagement.
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C’est elle qui en est en quelque sorte le moteur : « Avant tout, j’ai envie d’aider les
jeunes ; moi, j’ai réussi entre guillemets, je continue mes études… Cette connaissance
des gens me l’ont donnée, pourquoi j’en donnerais pas autant aux autres ? Moi j’ai eu
des profs qui m’ont aidé à comprendre donc moi je me dois de rendre ; ma manière de
les remercier, c’est de faire la même chose, donc de donner aux jeunes… »
Identité territoriale (La Dalle) et sociale (immigr ation) et historique (bidonville)
Autre trait d’identification fort, c’est le quartier, la Dalle, avec sa culture, son histoire, sa
période idyllique, aussitôt après la construction à laquelle les habitants d’alors se
réfèrent encore aujourd’hui avec nostalgie. Cette période initiale d’installation des
habitants sur le quartier fut aussi celle du transfert vers des logements confortables de
toute une population qui partageait déjà des valeurs de socialité forte dans les
nombreux bidonvilles qui occupaient alors les environs d’Argenteuil. Des solidarités
essentielles semblent s’être retrouvées dans ce nouvel espace de la Dalle qui était
celui de la promotion sociale. D’où l’attachement de tous les acteurs de l’époque et de
ceux qui leur ont succédé à ce nom de « la Dalle » que la municipalité en place
jusqu’aux dernières élections souhaitait supprimer. Ce nom est aussi, en effet, un trait
culturel à part entière. Il y eut beaucoup de fierté à habiter cet espace original, unique,
primé dans un concours d’architecture, mais il y eut aussi beaucoup de dépit à le voir
traîné dans la boue, disqualifié, insulté, lors d’épisodes violents, notamment en pleine
crise des banlieues, à travers ses habitants.
La sociologie de la Dalle a, en effet, beaucoup évolué depuis sa création. Très vite les
rapatriés d’Algérie ont été, dès les années 73, les premiers touchés par le chômage et
la crise économique. Des générations d’enfants de jeunes n’ont connu que l’inactivité
de leurs parents. La dégradation sociale a été rapide. Et c’est la mobilisation et la
socialisation des femmes, par les activités de la Maison Pour Tous en particulier, qui
semble avoir constitué un terrain de résistance à cette désaffiliation et désocialisation
rapides. Ce sont elles qui ont entretenu pour l’essentiel le lien social sur la Dalle, tout
comme au moment de sa création où, tandis que pratiquement tous les hommes
travaillaient, ce sont elles aussi qui assuraient, autour des écoles, des commerces, des
associations, l’essentiel de la vie relationnelle et sociale de la Dalle. Comme l’une
d’entre elle le dit encore : « Dans la rue on se reconnaît. »
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Brassage des statuts : on passe du bénévole au stat ut de salarié, de bénévole à
usager… tout est possible
Une force de la Maison Pour Tous, c’est aussi l’incroyable offre de trajectoires qu’elle
offre à ceux, et particulièrement celles qui se reconnaissent dans son projet. De
bénéficiaire, on peut aisément, si le courant passe et avec lui la reconnaissance,
devenir bénévole au service des actions, voire professionnel et même exercer des
responsabilités au sein de la structure. La cooptation semble la règle pour devenir
acteur à la MPT. Mais pas n’importe quelle cooptation : d’une part, c’est la Directrice
qui semble en détenir le code, et, d’autre part, les clés en sont le discernement chez
les personnes de ces traits distinctifs où la culture d’origine, les détresses traversées,
l’aptitude à se réparer soi-même en donnant, la vie sur la Dalle, constituent autant de
signes de reconnaissance. « Sakhina voulait connaître mon histoire. Elle trouvait ça
très intéressant. C’est comme ça qu’elle m’a présentée au groupe « plurielles ».
« Tout est possible » pourrait ainsi constituer un slogan de la Maison Pour Tous, une
croyance fondamentale dans les ressources de toutes personnes ; sous-entendu, tous
les parcours y sont possibles en son sein. « La porte est toujours ouverte pour tous. »
Le grand brassage des statuts qui en résulte laisse une zone de flou très importante
dans la définition identitaire : quelqu’un qui a eu plusieurs statuts, plusieurs rôles au
sein de la structure, on ne sait pas très bien au fond qui il est. C’est le cas de
beaucoup d’acteurs et entre autres de l’ancienne Présidente… Il est cet acteur un peu
tout à la fois, mais il est surtout, puisque c’est d’abord sur cette reconnaissance qu’il a
pu bouger, un acteur engagé dans sa propre trajectoire de vie qu’il met au service des
autres : voilà ce qui résume et synthétise au fond le mouvement identitaire de la MPT !
Dimension familiale de la MPT :
On retrouve des racines, on appartient tous à quelq ue chose de commun
Un autre ensemble de traits caractérisant ce que l’on a appelé les ingrédients du lien
social à la Maison Pour Tous touche à sa dimension avant tout familiale. « Moi je
côtoie les gens ici comme si c’était ma famille en fait, c’est ma deuxième famille ; je
rentre ici comme si je rentrais chez moi… Les portes me sont ouvertes dès que la
maison ouvre. » Il s’agit d’un véritable refuge : lieu de réparation, là encore, et de
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dépassement par rapport à des histoires de vie difficiles ; mais aussi espace de mise à
distance et de protection, pour certains, de relations familiales actuelles douloureuses.
On utilise facilement des vocables qui traduisent des relations de grande proximité de
type familial ou communautaire : « Moi qui rencontre les enfants tout le temps, ça
devient fraternel… s’ils ne se sentent pas bien chez eux ou si ça ne va pas à l’école, ils
peuvent venir nous en parler. »
La Maison Pour Tous porte bien son nom, et celui-ci renvoie naturellement à la
dimension familiale : « La Maison Pour Tous, comme son nom l’indique, c’est une
maison pour tous et c’est une famille en fait et la famille elle regroupe ceux qui
travaillent et les adhérents. »
On sent parfois l’enthousiasme d’avoir retrouvé ici une vraie culture, une vraie maison,
de vraies racines qui n’ont rien à envier à celles d’origine : « Comme je dis, c’est une
famille ; moi je compare ça à la famille africaine, les grosses familles où tout le monde
s’entraide… Ici c’est un grand cœur où tout le monde donne plus qu’il n’en faut, s’il
fallait faire vingt heures sup en plus pour aider les gens, ils aideraient… » C’est
pourquoi on s’y installe si aisément : « J’ai trouvé la maison bonne, j’y suis restée. »
Tisser toutes les différences pour faire la maison commune, en invitant chacun à
cesser de se focaliser sur ses propres souffrances et, au contraire, à s’attacher à la
richesse de chaque autrui, voilà l’idéal altruiste et quasi-communautariste qui est celui
de la Maison Pour Tous : sans aucune exclusive qu’elle soit idéologique, religieuse ou
culturelle. C’est donc d’un communautarisme utopique qu’il s’agit, ouvert à la
différence, à toutes différences, reposant sur la capacité de chaque personne à
transformer, en s’attachant d’abord à soulager celui des autres, son propre destin.
Recours à une mémoire collective
La mémoire collective, les récits et les histoires de vie semblent constituer aujourd’hui
un axe fort de mobilisation des ressources de la Maison pour Tous. « Je sais que
Claire Brard, aussi, elle fait une enquête sur Argenteuil et qu’elle a recueilli plein de
témoignages et je sais qu’elle est intéressée par ça… » Est-ce parce que l’avenir se
restreint ou pour le refonder, est-ce parce que le temps de l’action est passé, qu’une
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telle importance est accordée par des acteurs fondateurs de la Maison Pour Tous à de
tels récits ? Ils participent certainement eux aussi de la transformation d’identités
individuelles souffrantes en appartenance collective et en lien social renouvelés. A cet
égard, cette culture de la mémoire collective s’inscrit en parfaite congruence avec
l’idéal altruiste de la MPT. Ainsi, toutes les identités différentes mises ensemble à
contribution coexistent-elles pour un bien commun et partagé !
Valorisation des histoires de vie individuelles
Grâce à la M.P.T, ce qui paraît enfin possible à beaucoup c’est tout simplement de
revenir à la normalité. Dans beaucoup de parcours de vie, elle est apparue comme une
étape, un sas obligés. C’est souvent cette rencontre avec la Maison Pour Tous qui a
révélé, aux yeux mêmes de la personne, les richesses dont sa vie était porteuse et que
la focalisation sur ses souffrances ne permettait plus de voir : « L’homme, la femme,
est rempli de richesses et il faut piocher pour trouver… Et souvent on a besoin d’aide…
ça ne vient pas tout seul quand ça sommeille… Quelqu’un qui déclenche les choses…
Et c’est incroyable ce qu’on peut déclencher, ce qu’on peut mettre en route… L’homme
est riche… »
C’est sur cette valeur fondamentale d’écoute et de considération de toute personne en
demande - « dès que vous avez besoin de quelque chose, vous avez une écoute
attentive ici » - que chacun se trouve valorisé et souvent, en quelque sorte, de
nouveau humanisé à ses propres yeux.
Les valeurs
Les valeurs affichées à la Maison Pour Tous viennent conforter ces traits
caractérisant l’ensemble des acteurs qui gravitent ou qui œuvrent en son sein. La
valeur plébiscitée parmi toutes est bien sûr l’acceptation de la différence : « quand on
n’est pas du même monde, il faut être ouvert. C’est notre travail ici. » Les diverses
manifestations culturelles, le choix même des activités, sont au service de cette
recherche de mise en lien des différences : « Les activités artistiques, ça permet de
faire vivre le quartier avec toutes ses différences… les personnes ici œuvrent à ce que
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chacun vive bien, avec ses différences et sa culture. » C’est donc sur cette valeur
phare de l’intégration de toutes les différences, qui était aussi celle des premiers
militants du quartier et des pionniers de la MPT, que s’orientent toutes autres valeurs
et attitudes que l’on observe dans l’association.
Valorisation des personnes et des compétences
Valoriser un territoire par les compétences dégagée s par le territoire : « regardez
tout ce qu’on sait faire et on le fait ensemble ».
Les principales ressources du projet mais aussi celles du territoire, ce sont les
personnes elles-mêmes qui les détiennent : « Les valeurs, ça transpire, c’est clair… le
partage, l’échange, la contribution de chacun, voir que chacun est utile… c’est ce que
je ressens… » Il s’agit donc d’aller chercher cette ressource, de la mobiliser, par des
attitudes d’invitation, d’accueil, des valeurs de partage, de solidarité et de
reconnaissance de la richesse de l’autre : « C’est très fort ici, toutes cultures
confondues : les personnes se retrouvent dans les autres centres, l’environnement est
comparable ; mais il n’y a pas cette chaleur, quand on pousse la porte, de se sentir
libre, de parler tranquillement… »
L’accueil, la chaleur du lieu, c’est quelque chose de palpable ; cela passe par des
gestes, des attitudes, le sourire… On ne trouve pas ça ailleurs ! « Moi, je trouve tout
bien ici, les gens ils sont bien, ils accueillent bien, ils sont tous bien, avec le sourire, ils
parlent poliment, ça donne envie de rester avec eux, de parler avec eux, de faire des
choses avec eux, on se sent à l’aise. »
Tout ce dont sont fiers les acteurs de la MPT c’est de ce climat chaleureux, de cette
construction collective, dans laquelle, très vite, chacun peut se reconnaître,
s’appropriant pour une part la clef de ce succès : « Quand on entend parler de la
Maison pour Tous, les gens de l’extérieur se disent que sur la Dalle il se fait des
choses biens, c’est agréable, je suis plutôt fière, j’avoue, de dire que je travaille là…
On nous transmet très rapidement, on se sent vraiment entraînés avec des gens qui
sont motivés pour faire de grandes choses… on sent une grande ambition ici… »
Cette énergie collective donne une force. Il existe une circularité entre l’investissement
de chacun et le ressourcement individuel et collectif qui en résulte. Cela permet de
franchir pas mal d’obstacles : « Un point fort de la M.P.T. c’est la solidarité : on est
tous ensemble et on essaie de tirer vers le haut et de ne pas se laisser avoir, ne pas se
laisser enliser… »
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C’est d’abord cette énergie que l’on est capable de se donner les uns aux autres, tous
acteurs confondus, qui constitue le cœur véritable de la Maison Pour Tous. Les
personnes sont aimées, respectées, pour ce qu’elles peuvent devenir et donner à leur
tour. Dans cette dynamique relationnelle du don et du contre-don se tient sans doute le
véritable secret et la vraie richesse humaine de cette association.
Les principes d’action
Ces valeurs de solidarité, de partage, d’accueil des différences, de valorisation des
ressources de chaque personne, trouvent à s’exprimer selon quelques grands
principes d’action qui structurent l’engagement des différents acteurs.
Par rapport aux habitants :
Nécessité de faire partir les choses « d’en bas »
Aucun projet n’est légitime, aucun mode d’intervention, s’ils ne mobilisent pas d’abord
la parole, l’expression, les souhaits des habitants. « La Maison pour Tous, elle prend
les habitants et dit c’est vous qui vivez et donc c’est vous qui connaissez mieux votre
vie que nous, donnez-nous des idées et nous on est là pour vous aider. »
Il y a ainsi une double relation toujours à l’œuvre au sein de la Maison pour Tous : c’est
à la fois le lieu où tout le monde peut s’exprimer, mais aussi l’espace où la parole vient
d’en-bas. Il s’agit avant tout de « répondre à la demande des habitants » : « La valeur
du centre c’est d’être à l’écoute des habitants du quartier et de faire pour et avec les
habitants. »
Premier principe d’action donc de la Maison Pour Tous : se mettre à l’écoute de la
base !
A destination de tous
Deuxième principe qui lui est somme toute complémentaire : chercher à rassembler le
plus grand nombre autour de projets communs. Il s’agit de faire en sorte que la
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dynamique de réseau prenne. Qu’il y ait une force d’entraînement qui évite de replier
sur soi-même et sur quelques bénéficiaires. La Maison Pour Tous, en tous les cas tels
que les principes d’action en sont énoncés, c’est donc aussi l’espace où l’on cherche à
mobiliser toutes les compétences, à rassembler tous les acteurs autour de projets.
« L’enjeu est l’ouverture vers l’extérieur et entre les secteurs : éviter que les groupes
se renferment entre eux. »
Les acteurs de la Maison pour tous sont à la fois attachés au territoire et à la possibilité
pour tous de s’insérer. L’enjeu est de valoriser le territoire par les compétences
dégagées sur ce territoire. Il s’agit de transformer l’imaginaire négatif en imaginaire
positif. C’est là un principe d’action fort dans un souci de valorisation des personnes et
des compétences : on fait partir les ressources d’en bas et on les met en réseau. Il
faut être là pour être acteur : pas d’acteur légitime venant de l’extérieur ! « C’est
l’échange et le partage qui caractérise la MPT. Dans toutes les activités. C’est pour ça
qu’elle existe, permettre une communication au sein du quartier et beaucoup
d’échanges… »
Par rapport au territoire :
Volonté de mettre en présence des acteurs travailla nt dans les mêmes créneaux
Les locaux de la Maison pour Tous sont bien placés. Ils ont été nettement améliorés
par la récupération récente (2006) de surfaces précédemment occupées par la mairie.
Leur emplacement les situe de manière idéale au cœur de l’endroit où vivent les
usagers ; ceux-ci ne peuvent pas ne pas passer devant. Toutes les manifestations
conviviales sont organisées sur la Dalle et la Maison pour Tous occupe donc à cet
égard une place stratégique de choix. C’est en quelque sorte la vitrine de la Dalle. Fête
des femmes, des cultures, printemps des poètes, Noël, Epiphanie, toutes les
occasions sont bonnes pour provoquer la rencontre, développer la convivialité sur le
quartier. « Samedi dernier, il y a eu la galette des rois, c’était rempli de monde, il y
avait le maire, des élus, des gens qui allaient se présenter aux municipales… C’est ça
une maison pour tous ! »
Les partenaires (Valdocco, Conjugue…) sont aussi installés sur la Dalle. « Je crois que
la MPT elle est bien ancrée dans le quartier, et comme on fonctionne aussi avec les
autres et qu’on demande aux autres de participer, on ne travaille pas en vase clos, on
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est très ouverts, et ça, ça amène la participation des autres, des habitants, des
associations… » Quand la Préfète se déplace, ou le Président de la République, ils
viennent aussi sur la Dalle. C’est là que les choses peuvent déraper rapidement. Le
bien peut advenir, comme le pire en termes d’images disqualifiantes. Mais quoiqu’il en
soit, « le rôle de la MPT c’est un lien en fait, c’est comme un pont entre des
associations, l’administration et les familles. »
Dans un imaginaire positif de la Dalle, qui ne corr espond pas à l’image des
médias
La culture est d’abord une affaire de territoire. La Dalle a une histoire, une singularité. Il
s’agit d’un projet architectural qui a obtenu reconnaissance en son temps. Celle-ci
reposait sur une vision du vivre ensemble, en dehors des nuisances de la circulation,
des voitures. C’est un projet de convivialité et de lien social qui a ainsi structuré
l’habitat de la Dalle. Le concept architectural de la Dalle, primé, idéalisé, a laissé la
trace d’un lieu idyllique, convivial, associé au nom de la Dalle que l’équipe municipale
2002-2008 a cherché à changé tout en entreprenant une profonde restructuration de
l’habitat sur le quartier. Mais la socialité très riche de la Dalle a résisté jusqu’à présent :
« Dans une communauté comme sur la Dalle tout le monde se connaît… C’est ça le
moteur ! Ca ne serait jamais arrivé si la Dalle était un endroit comme un vulgaire
quartier de Paris où les gens ne se parlent pas ; c’est ça la force… La vie sur la Dalle
est très conviviale. La Maison Pour Tous est un prolongement et dans les deux sens…
s’il n’y avait pas de dialogue dehors et de dialogue à l’intérieur ça ne marcherait pas du
tout… c’est ça Argenteuil, c’est la Dalle en fait, ici ce coin, ce qui est magique en fait,
tout le monde veut s’entraider. Tu as un problème, je vais t’aider… » C’est dans ce
sens qu’on peut donc parler d’un véritable communautarisme de la Dalle. Il puise loin
dans l’histoire du quartier, mais il est réalimenté en permanence par l’action de la
Maison Pour Tous. Toutefois, celle-ci renvoie à un imaginaire positif de la Dalle qui ne
correspond sans doute plus tout à fait à la réalité sociologique actuelle. Mais en dépit
de tendances lourdes et générales dans la société actuelle à l’individualisme et au repli
communautariste, le credo reste fondamentalement celui de la richesse de chaque
personne et de sa capacité de donner. Et il semble que cette croyance continue à
produire, contre vents et marées, les effets escomptés : « chaque personne a une
importance, chaque personne peut apporter et le fait de le savoir, le fait de pouvoir être
dans un quartier comme la Dalle qui n’est pas aussi monstrueux qu’on l’a décrit, il y a
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une richesse incroyable, il y a des gens dignes, des gens de tout bord, et ça c’est
important… »
Cet imaginaire profondément ancré dans la structure conviviale originaire du quartier
s’écarte aussi des représentations négatives portées notamment par un certain
nombre d’acteurs politiques sur le quartier. « On dit Argenteuil c’est une zone sensible,
mais moi j’y vis à Argenteuil, je ne me suis jamais fait braquer dans la rue à Argenteuil,
on laisse des trucs dans la rue on les retrouve. Mais qui a décrété que c’était une zone
sensible ? »
C’est donc au cœur de ce quartier valorisé par ses habitants que la Maison Pour Tous
trouve l’essentiel de sa légitimité et puise une grande part de sa reconnaissance : « La
MPT est reconnue et respectée dans le quartier. C’est une plaque tournante. Vous ne
pouvez pas habiter ici et ne pas aller sur la Dalle. Vous demandez à n’importe quelle
personne du quartier : tout le monde connaît la Maison Pour Tous.»
Le projet associatif
L’ensemble des valeurs et des principes d’action se retrouvent dans l’expression du
projet associatif. C’est lui qui fédère l’ensemble des énergies. Les acteurs sont
mobilisés au nom du projet qui est l’expression de cette culture partagée entre tous. La
référence au projet est très prégnante dans chaque entretien. Chacun semble en avoir
une vision assez claire : pour l’ensemble des acteurs, il s’agit fondamentalement d’être
au service des habitants et des partenaires, de mettre en cohérence des actions et des
acteurs qui visent les mêmes objectifs, de faire venir la parole d’en-bas. « Le projet est
défini, oui, pour moi c’est d’aller trouver les habitants du quartier, répondre aux
demandes ou orienter vers des organismes ou des associations qui peuvent répondre
à une demande et mobiliser les habitants pour faire vivre le quartier. »
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Evolution
Au cours de l’histoire, adaptation des valeurs au c ontexte (environnement,
usagers), on est passé des statuts au projet social (de la logique émergente à
l’intégration de la logique publique)
Dans l’histoire de la Maison pour Tous, on est passé d’une logique d’entraide à une
autre phase qui se situe davantage dans le registre de l’action sociale, même si les
valeurs sont restées fondamentalement les mêmes : de l’amicale de locataires
(citoyens) à l’aide professionnalisée.
Il y a donc eu une adaptation des valeurs, des projets au contexte (environnement et
usagers) : on est passé des statuts au projet social, de la logique émergente à
l’intégration de la logique publique.
On peut se demander pourquoi il n’y a pas eu davantage de ruptures entre les valeurs
initiales du projet, fondées sur les ressources de la personne et du territoire, et les
logiques d’action sociale actuelle qui privilégient la segmentation des publics, voire
l’individualisation des prestations et des actions.
C’est que la particularité du projet de la Maison Pour Tous est de n’avoir jamais
vraiment été formalisé, mais au contraire d’avoir toujours été porté et incarné par des
personnes qui à la fois le faisaient vivre et le représentaient. C’est à cette condition
qu’il a été possible pour la Directrice actuelle de garder l’ancrage fort dans la culture et
le projet initial d’émancipation collective, tout en assumant l’inévitable évolution des
logiques d’action et leur segmentation.
Toutefois, on peut se demander si ce n’est pas précisément à ce seuil que se trouve
aujourd’hui convoqué l’association, de devoir rendre davantage lisible et transmissible
son projet, en quelque sorte plus autonome des personnes qui le portent et le
représentent, assumant d’un seul tenant les valeurs collectives qui le fondent et les
logiques d’action sociale aujourd’hui qui le structurent et le contraignent.
Des statuts au projet social
Quid du projet associatif, tout le monde en parle m ais personne ne l’a, ils ont
juste le projet social (CAF), le projet associatif agit dans l’inconscient et est
incarné, intériorisé par des personnes ;
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Le projet est dans les têtes, incarné par des personnes, transmis dans les rencontres,
partagé et intériorisé par tous. Mais on ne peut pas véritablement parler de projet
associatif : les personnes ont le projet dans la tête : c’est leur culture structurante. Il
agit dans l’informel, l’inconscient. « On ne m’a jamais transmis par écrit les valeurs
portées par la MPT, mais on les sent au travers des projets, les activités et les
manifestations qui sont en cours ici. »
Il faut ici revenir à la véritable fondatrice du projet de la Maison Pour Tous : l’ancienne
Présidente, Claire Brard, qui après avoir été militante et habitante de la première heure
sur le quartier, se trouve toujours impliquée comme utilisatrice mais sans doute aussi
inspiratrice de certaines activités culturelles. Son rayonnement, d’ailleurs, en partie lié
à sa légitimité historique, mais aussi à son charisme, déborde de très loin l’apparente
modestie de son statut actuel : c’est elle qui, dans l’esprit de beaucoup, y compris
d’ailleurs de la Directrice, incarne toujours aujourd’hui le mieux le projet vivant de la
MPT et ses valeurs. Le projet ! A quoi bon l’écrire ? « Claire Brard, pour moi, c’est une
montagne », dit d’elle aujourd’hui la Vice-Présidente de l’association : « Claire Brard,
c’est quelqu’un… Je n’ai pas d’autre mot, c’est une femme qui est… Cette femme, elle
a un charisme, elle a quelque chose de très fort… Elle impose quelque chose, elle est
pour moi… C’est une force, c’est une femme de bon conseil, c’est une femme au grand
cœur. »
Parce que Claire Brard a beaucoup donné, beaucoup se sentent en dette à son égard,
et du coup donnent à leur tour. On retrouve dans la dynamique relationnelle qu’elle a
suscité autour d’elle l’essence des valeurs qui animent les acteurs de la Maison Pour
Tous : « Je lui dois trop, je crois, je lui dois trop en reconnaissance, en respect… Et
puis elle est là, si j’ai besoin d’elle, elle est là. Elle ne va pas très bien, on se voit, on se
parle ; c’est une amie ; c’est plus que cela : c’est une femme de qualité. J’en parle moi
de cette façon, mais il y a des tas de personnes qui vous parleront de Claire, de cette
présence qu’elle a… »
On le sent la force du charisme initial n’a rien perdu de sa vigueur et le fait pour une
personnalité de cette envergure, qualifiée « d’exceptionnelle », d’être restée, même à
une place qu’elle souhaite mineure, dans la structure, n’a rien en soi d’anodin. Ainsi,
derrière ce que peut avoir d’angoissant pour beaucoup le potentiel départ de la
Directrice, n’est-ce pas un autre départ qui se profile et qui n’a pas pu jusqu’alors
s’envisager vraiment. Même si les déplacements de Claire Brard au sein de
l’association ont été source de mobilisation et d’engagements pour d’autres. Quoiqu’il
en soit, cette présence, aujourd’hui encore si fortement honorée, ce dont plusieurs
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entretiens ont témoigné, qualifie fortement la dimension charismatique de la structure.
On peut dire qu’une certaine transformation s’est amorcée sous l’impulsion de Claire
Brard elle-même, relayée par Sakhina, la Directrice, mais que cette transformation
butte aujourd’hui sur un obstacle interne, inhérent à la structure elle-même : des
personnalités aussi charismatiques que l’ancienne Présidente ou que la Directrice
actuelle, très liées entre elles par une sorte d’accord tacite et une transmission de
témoin, ne peuvent pas, avec la meilleure volonté du monde, permettre à la Maison
Pour Tous et à ses nombreux acteurs de basculer franchement dans un autre type de
structure où, par exemple, la coopération entre les acteurs serait la nouvelle référence
en termes de projet. C’est pourtant bien une orientation de ce type qui est visée. Mais
Sakhina échoue à la faire advenir véritablement dans la mesure où elle est non
seulement porteuse, mais encore représentante, à l’instar de Claire Brard, de la
dimension avant tout charismatique de la structure.
La question pourrait être de se demander comment transformer le charisme, pour faire
en sorte qu’il repose moins sur des personnalités de références, des figures
identificatoires incontournables, comme Claire Brard et Sakhina, et comment faire en
sorte que chacun se sente porteur de ce qui circule comme valeurs d’engagements au
sein de la MPT ? N’est-ce pas ce à quoi la Présidente et la Directrice sont après tout
au fond parvenues ? Tous les acteurs ne se sentent-ils pas fortement impliqués,
porteurs des valeurs de la MPT, se reconnaissant dans une sorte de fierté d’appartenir
à cette dynamique commune ?
On peut dire que c’est vrai, mais sans doute trop encore par identification et somme
toute idéalisation, et pas suffisamment, par réelle coopération reposant sur des
analyses partagées, des diagnostics précis, des points de vue différents assumés,
voire des conflictualités risquées au grand jour.
La culture très, trop consensuelle, de la Maison Pour Tous, masque en fait des
tensions qui ne s’expriment pas véritablement au grand jour. Elle est la marque de
cette forte dimension charismatique qui n’a pas encore véritablement trouvé les
méthodes de sa transformation.
L’écriture d’un projet mobilisant tous les acteurs dans la réflexion, l’analyse, le débat
sur les orientations, la référence à un écrit faisant tiers, plutôt qu’à des personnalités
incarnant le projet comme des modèles, l’appropriation des logiques d’action sociale
par tous, voilà sans doute ce qui garantirait aujourd’hui l’émergence d’une véritable
instance de pilotage associatif, renouvelant le rôle politique du Conseil
d’Administration.
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Conclusion
Au terme de ce parcours dans l’analyse identitaire et culturelle de la Maison Pour Tous
d’Argenteuil, nous aimerions souligner autour de quels enjeux se profile la dynamique
de changement pour cette organisation. Et à cet égard, la composante identitaire et
culturelle paraît bien une des clefs essentielles !
Tout d’abord, nous l’avons souligné, le quartier bouge : les habitants historiques se font
âgés, plus rares. Beaucoup ont quitté le quartier même si certains restent attachés à la
MPT. La nouvelle urbanisation renouvelle en accéléré la composition sociologique du
quartier, amenant notamment de nouvelles classes moyennes cherchant avant tout la
proximité de Paris. Il est peu certain que cette population récente soit naturellement
grande utilisatrice d’un dispositif comme celui de la Maison Pour Tous. D’autant que sa
priorité, contrairement aux habitants de la première urbanisation, n’est pas d’abord
d’intégrer le quartier dans sa diversité mais plutôt de bénéficier de toute la richesse de
la culture urbaine, de ses facilités, de ses déplacements, de ses transversalités.
Un deuxième défi tient à l’évitement du centre social de la part de populations qui
devraient en être logiquement des publics cibles. Nous avons déjà mentionné les
hommes et les jeunes. L’absence des hommes est un constat partagé mais sur lequel
personne ne semble avoir prise. Ce qui pourrait traduire aussi une sorte d’épuisement
d’un modèle d’intervention dont la composante trop familiale, domestique, en dépit du
fort militantisme qu’il suscite, n’a pas su suffisamment réussi à toucher la sphère
économique et sociale de la cité. L’affirmation du noyau culturel originaire comme
source préservée de l’engagement, avec les figure identificatoires fortes qui le
caractérisent toujours, fait à cet égard symptôme par rapport à une réelle difficulté que
soit pleinement valorisée et reconnue l’action sociale de la Maison Pour Tous. Seule
l’interculturalité en direction des femmes semble avoir profondément marqué l’image
sociale de l’association et contribué à sa réussite.
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Sur la base de ces constats et de ceux que nous faisions précédemment concernant
l’absence de formalisation, de lisibilité et d’appropriation collective d’un projet faisant
référence pour tous, et concernant autant le plan de l’expertise que celui des valeurs
militantes, il paraîtrait aujourd’hui essentiel d’engager un travail de fond sur la
dynamique du projet associatif : redéfinir les contextes, repréciser les enjeux d’une
structure de ce type notamment en référence au rôle toujours plus affirmé d’un Etat
animateur et évaluateur des politiques sociales ; mobiliser sur cette base tous les
acteurs internes et externes et notamment les nouveaux habitants du quartier. En
2008, le changement de municipalité n’est pas, une nouvelle fois, sans influence forte
sur la conception même d’un tel outil au service d’un quartier comme la Dalle
d’Argenteuil.
Le militantisme et l’engagement de tous les acteurs de la Maison Pour Tous que nous
avons retrouvé tout au long de cette analyse identitaire et culturelle doit sans doute
être refondé dans une véritable vision associative qui permette de relativiser et
d’inscrire dans l’histoire les figures charismatiques fortes qui ont donné à cette
structure sa vigueur et son caractère si singulier. Elles ne lui permettent pas
suffisamment aujourd’hui de mobiliser dans le cadre d’une appropriation collective par
les acteurs et les habitants eux-mêmes les clés du changement et d’en évaluer les
avancées. Une véritable pratique de l’auto-évaluation fondée sur un projet défini et
élaboré par tous permettrait de dépasser les zones d’incertitude actuelles. La Maison
Pour Tous ne peut devenir seulement un lieu de mémoire, si riche que fut la vie de ce
quartier dont elle semble avoir été l’âme. C’est aussi un projet qui exige que soient
sans cesse réinventés les formes et les contenus de son énonciation.
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CERTIFICAT III– SCENARIO DE CHANGEMENT
Scenario de changement de créativité
Maison Pour Tous d’Argenteuil
Marion Le Paul et Jean Lavoue
Executive Master Fonctionnements Associatifs – 2007/2009
Sciences PO – Formation continue
Scenario sous le tutorat d’Elisabetta Bucolo et sous la direction de Jean-Louis Laville
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Introduction
La Maison Pour Tous d’Argenteuil est une association foncièrement innovante. Son
adaptabilité permanente à la mouvance du contexte, et notamment sa capacité à tirer
paradoxalement parti d’un renforcement croissant des logiques publiques, ont bien
montré la capacité créative des acteurs et en particulier de la direction. Dans
l’élaboration de ce troisième scénario dit « de créativité », il ne s’agit donc pas
d’inventer à partir de rien ou d’une situation qui aurait été diagnostiquée comme
bloquée, mais plutôt de renforcer des tendances déjà existantes et toujours en
résurgence tout au long de l’histoire de cette institution « pionnière ». Il s’agit aussi
d’indiquer les risques qu’il y aurait à ne pas s’efforcer de faire bouger la tendance
dominante à la personnalisation du charisme dans cette structure. En même temps,
des dynamiques de changement peuvent être activées, s’articulant sur deux axes
principaux :
- d’une part, la dimension de l’hybridation des ressources
- d’autre part, la dimension de la participation, en interne mais également en
externe caractérisant la Maisons Pour Tous comme acteur de l’espace
public.
Pour réussir la mise en œuvre de ce scénario plusieurs objectifs sont à atteindre :
Objectifs
Les objectifs principaux de ce scénario de changement consistent :
- à dépasser une certaine centralisation de l’autorité et du pouvoir par une
diffusion au contraire de l’initiative et un relais de celle-ci par l’ensemble des
acteurs.
- à atténuer la polarisation entre les deux grands secteurs d’activité, les
actions sociales et les actions culturelles, dans la mesure où subsistent de
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fortes tensions latentes entre les acteurs qu’elles regroupent, leurs
bénéficiaires étant, par ailleurs, très peu reliés entre eux. Il s’agit là en
particulier d’optimiser les ressources et de développer, par exemple, le
secteur marchand, ce qui sera notamment l’objet de la première partie du
scénario portant sur la dynamique des ressources.
- à inscrire une modalité d’intégration et de transmission collective des
valeurs fondatrices de l’organisation au-delà de leur appropriation très
personnalisée par quelques figures charismatiques historiques. Ce sera
notamment l’objet de la deuxième partie autour des formes de participation
à promouvoir et de l’écriture du projet associatif.
- à faire valoir enfin, et cela dans une perspective externe, ces valeurs du
projet dans la relation avec les pouvoirs publics et ceci en partenariat avec
d’autres acteurs territoriaux.
Actions à conduire dans le domaine de l’hybridation des ressources de la MPT
Améliorer les ressources marchandes
Comme nous l’avons constaté précédemment, la MPT tend naturellement vers l’idéal
type de l’économie solidaire par l’hybridation déjà existante de ses ressources et par
son rôle d’acteur, partenaire des pouvoirs publics, sur le territoire de la Dalle
d’Argenteuil. Il s’agirait dans le cadre de ce scénario de changement de rechercher des
marges de manœuvre économique complémentaires en s’appuyant sur les éléments
décrits dans le diagnostic sociologique de la MPT.
En effet, en ce qui concerne les ressources, la MPT mobilise des ressources
monétaires marchandes (10%), des ressources monétaires non marchandes (57%) et
des ressources non monétaires (33%). De ce fait, le centre social, de par la répartition
de ses ressources est dépendant des politiques économiques et sociales de ses
partenaires. Actuellement l’association évolue dans un environnement où les pouvoirs
publics attribuent des financements plutôt sur le mode d’appel à projets pour des
publics en insertion alors que la MPT, de par son projet associatif, essaye de maintenir
une mixité de public qui n’est pas encouragée par les modes d’affectation des
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ressources publiques. De plus, dans cet environnement la tendance est à la raréfaction
des financements. Dans ce contexte quelles actions peut-on imaginer pour élargir les
registres d’action économique de la MPT pour favoriser son adaptation aux
changements ?
En s’appuyant sur le constat que les ressources émanant du secteur privé s’élèvent à
10%64, un des axes pourraient être de développer, à travers une série d’actions, ce
type de ressources pour augmenter sa part à 15% afin de dégager des marges de
manœuvres pour l’association et faire ainsi en sorte qu’elle soit un peu moins
dépendante des pouvoirs publics. Il est aussi possible de travailler sur l’augmentation
des ressources privées et sur la diminution des coûts. Actuellement les activités de
loisirs sont couvertes à 80% par les cotisations des participants. La MPT pourrait donc
essayer de passer à 90% voire à 100% en augmentant le prix des cotisations des
activités, en maintenant les activités rentables et en revisitant les activités déficitaires
sous l’angle de la rentabilité. Cette étude permettrait de voir si les activités déficitaires
le sont parce qu’il n’y a pas assez de participants, ce qui pose la question de
l’adéquation de l’activité avec les besoins réels des habitants, ou parce que l’activité
coûte trop cher. Dans ce dernier cas une des pistes pourrait être de repenser l’activité,
avec les salariés, les adhérents et l’apport bénévole, pour qu’elle devienne rentable ou
de trouver des financements complémentaires auprès du secteur privé. La notion de la
rentabilité est ici à penser en termes d’économie mais aussi d’utilité sociale. Une
activité peut être déficitaire, puisque seulement deux personnes y participent, mais
cette activité peut être d’une grande utilité pour ces deux personnes. Dans ce cas, pour
maintenir les activités moins rentables, on peut se poser la question de savoir s’il ne
faut pas davantage mobiliser le bénévolat sur les activités moins équilibrées
financièrement mais qui répondent à un véritable besoin. Parallèlement, il est aussi
possible d’encourager le développement des actions comme les ventes de services sur
la Dalle qui permettent de créer du lien mais aussi de vendre des services.
64 Plus de 43 000€ en 2006 dont 41 000€ pour la vente de services et 2 700€ de cotisations et adhésions
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Actions dans le domaine non marchand
Le deuxième axe concerne les ressources non marchandes qui représentent la
principale source de financement65. 70% des subventions annuelles sont versées dans
le cadre de la participation de l’association à des projets initiés par les pouvoirs publics.
Ces sommes sont destinées à une utilisation précise et doivent faire par la suite l’objet
d’une évaluation détaillée, elles permettent à la MPT de faire vivre son projet à travers
des actions ponctuelles mais elles ne sont pas pérennes, de ce fait avec ce type de
financement la MPT ne peut pas penser des projets sur le long terme. Parmi les
ressources non marchandes, on remarque que seul le financement de la CAF est
pluriannuel et affecté à l’animation globale. Il est donc souhaitable d’encourager le
centre social à renforcer ce type de ressources pour stabiliser dans le temps son
action. Cependant, la tendance générale étant un développement des financements
par projets, la MPT a des marges de manœuvres limitées. Il serait intéressant d’utiliser
les ressources en interne comme un outil pour faire évoluer le travail et les relations
entre les acteurs : par exemple, la directrice, qui possède un véritable savoir-faire pour
gérer la multitude de ressources en fonction du projet associatif, pourrait diffuser ses
compétences auprès des autres acteurs de l’organisation. Parallèlement, la formation
de son équipe afin d’optimiser le temps passé à écrire les réponses aux projets est une
autre clé du changement pour associer pleinement les salariés au projet associatif.
Une matrice contenant les informations à faire figurer dans l’ensemble des réponses
pourrait être crée pour répondre rapidement et efficacement aux appels d’offres.
Les ressources non monétaires
Le troisième axe concerne la gestion des ressources non monétaires qui se
décompose en trois parties : la valorisation des bénévoles d’une part, des mises à
disposition d’autre part et, enfin, des permanences. On note que ces ressources66 sont
importantes et permettent à la MPT d’exister et de faire exister son projet associatif en
permettant la mixité des publics à travers les activités de loisirs et les actions sociales.
On peut recommander que ces ressources non monétaires restent stables, et
encourager, par ailleurs, la pérennité des permanences des partenaires qui permettent
65 Plus de 242 000€ en 2006 66 A hauteur de 142 000€ dont plus de 85 000€ concernant la valorisation du travail des bénévoles, plus de 47 000€ pour la mise à disposition de locaux et de personnels et près de 6 000€ pour la valorisation des permanences effectuées par les partenaires à la MPT
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de développer des liens formels et informels et ainsi de faire reconnaître la valeur du
travail de la MPT sur le territoire. La question essentielle de la coexistence des
bénévoles et des professionnels et de leur gestion relève des dispositifs de
participation traités dans la partie suivante. Dans tous les cas, la valorisation
systématique de ces ressources est essentielle pour mettre en valeur le poids de
l’association sur le territoire.
Formes de participation
D’un point de vue politique, on remarque que la MPT est un acteur reconnu par les
habitants de la Dalle mais aussi par les pouvoirs publics qui la consultent lors de mise
en place d’actions spécifiques sur le quartier (CUCS, émeutes…). Nous pensons que
la MPT doit continuer à se mobiliser pour faire entendre les besoins des habitants.
Dans cette perspective, il est nécessaire de définir les formes de participations
permettant une meilleure représentativité.
Du côté de l’évolution des formes de participation, on peut distinguer trois grands
registres sur lesquels peut agir le scénario de créativité.
En matière de vie associative et de référence à l’i nstance politique de la Maison
Pour Tous
La participation de l’ensemble des parties-prenante s
- Le développement de l’adhésion gratuite qui est une hypothèse déjà
envisagée au sein de la structure permettrait non seulement un
élargissement de la base militante de l’association mais surtout la possibilité
d’y intégrer un public actuellement exclu pour des raisons économiques : les
bénéficiaires des actions sociales. La mise en œuvre de cette mesure
permettrait de répondre directement à l’objectif de dépassement de la
polarisation entre les champs d’activités et les groupes d’acteurs. De plus,
l’usager auquel les pouvoirs publics prêtent le plus d’attention, le
bénéficiaire des actions sociales, aurait de cette manière accès au cœur de
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la vie associative : il pourrait y être représenté, ce qui aurait pour
conséquence de renforcer de fait la légitimité politique de l’association.
- Il conviendrait ensuite d’aller plus loin que ce simple fait de favoriser
l’adhésion de l’usager. Pourquoi ne pas envisager sa représentativité au
cœur même de l’instance politique de l’association, c'est-à-dire le Conseil
d’administration ? Cela s’inscrirait dans un mouvement visant à faire
réellement participer à la vie de l’association l’ensemble des partie-
prenantes qui y contribuent.
D’ailleurs, à cet égard, plutôt que l’étonnante position statutaire de la
directrice, membre de droit au sein du CA, ne faudrait-il pas plutôt lui
redonner une place d’invitée permanente à titre consultatif, ceci en
référence à son contrat de travail, tout en permettant par ailleurs une
représentativité des salariés dans le cadre d’un collège élu. Ces
dispositions contribueraient à dépersonnaliser la place de la direction
comme principale animatrice de la vie associative, en redonnant à toute les
partie-prenantes une véritable responsabilité dans la dynamique de
l’association. Moins approprié par quelques-uns, le charisme reposant sur
les valeurs fondatrices et transmis de personne à personne, pourrait à
nouveau circuler comme un bien commun, une ressource de relations
essentielles entre des personnes actrices et impliquées, dans le respect des
différences de places de chacun.
L’équilibre dans les places respectives des différe ntes parties-prenantes
- Cette différenciation des fonctions pourrait aussi se trouver engagée par
une clarification du rôle des principaux groupes d’acteurs repérés comme
étant en tension au sein de la structure : les bénévoles, intervenant dans les
actions, et les salariés. L’établissement de chartes élaborées avec les
acteurs pourrait venir préciser ce que l’on attend d’un bénévole d’un côté et
ce que l’on attend d’un salarié de l’autre, et permettre ainsi de dépasser le
registre de chantage affectif qui prévaut actuellement, tendant toujours à
donner une prime à l’acteur bénévole mais ne permettant pas de définir une
limite à son rôle et à son action par rapport à ceux des professionnels. D’où
les inévitables tensions qui en résultent. Il est essentiel que ce travail
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d’élaboration de chartes se fasse sur un mode participatif amenant tous les
acteurs à participer par ce travail collectif de définition à la transformation
des représentations.
- Toujours dans ce registre de la différenciation, le marquage des lieux et des
temps, la définition des instances et des territoires au sein de la Maison
Pour Tous, permettrait de dépasser bien des confusions repérées dont la
plus lisible est l’omniprésence de certains membres du CA dans tous les
lieux et à tous les moments de la vie de l’association, envahissement ne
permettant plus aux professionnels et aux bénévoles intervenant dans les
actions d’avoir un véritable espace pour eux. De même la fin de la
participation du Président à la réunion hebdomadaire des responsables
permettrait de clairement référer cette instance à la sphère professionnelle
tout en renvoyant de son côté à sa responsabilité politique et aux espaces
qu’il doit mettre en œuvre celui qui préside au devenir de la Maison Pour
Tous.
- Enfin, sur le plan organisationnel, il importe avant tout de favoriser et de
clarifier la délégation de chaque acteur de la Maison Pour Tous, notamment
des responsables de secteurs d’activités, afin qu’ils puissent représenter
pleinement la Maison Pour Tous également en externe. Cela contribuerait
également à la transformation d’un charisme avant tout personnel en un
portage collectif de la responsabilité qui en deviendrait également beaucoup
plus lisible à l’extérieur.
La mise en place d’une instance représentative du personnel constituerait
également une étape indispensable de la démocratisation de la structure
permettant d’instaurer là une véritable régulation du pouvoir au sein de
l’association.
Modalités de cohésion entre les parties-prenantes
- Au-delà du diagnostic réalisé par le groupe d’étudiants de Sciences Po, il
conviendrait de s’engager dans une démarche-projet délibérément large et
partenariale. L’appui d’un professionnel extérieur consultant serait
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nécessaire pour permettre à chacun de reprendre une place et une parole
en rapport avec son statut et son rôle au sein de la structure mais aussi à
l’extérieur.
- Le travail de redéfinition de la place et du rôle de chaque instance,
Assemblée Générale, Conseil d’Administration, Conseil de Maison,
permettrait de sortir de la confusion régnant actuellement. Chacune de ces
instances joue, en effet, le rôle essentiellement de caisse de résonance du
pilotage très personnel de la direction, le conseil de maison rassemblant le
plus d’acteurs apparaissant, au final, comme l’instance décisive.
- Enfin la création d’événements susceptibles de concerner tous les acteurs
et notamment l’ensemble des bénéficiaires, que ce soit des activités
sociales ou culturelles, pourrait contribuer également au dépassement de la
polarisation qui constitue la butée essentielle à la transformation et comme
le symptôme majeur de certains dysfonctionnements de la Maison Pour
Tous.
L’Association dans l’espace public
- Le projet associatif de la Maison pour Tous et né du quartier. Il doit y revenir
pour y être transformé et réapproprié par l’ensemble des acteurs de la
Dalle. Une telle initiative relégitimerait la maison pour tous au sein du
quartier tout autant que ses acteurs. Elle lui redonnerait une identité
collective forte, ce qui lui fait relativement défaut actuellement. Au-delà des
entretiens individuels conduits dans la phase de diagnostic, il conviendrait
de privilégier dans la phase d’élaboration du projet des tables rondes et des
débats, en interne comme en externe, ce que semblent d’ailleurs attendre
les acteurs, ce qui était très perceptible lors des réunions de restitution du
diagnostic.
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- Pa railleurs une logique de travail en réseau plus affirmée et structurée, et
moins réduite à des opérations ponctuelles, permettrait là encore de
renforcer le positionnement politique de la Maison Pour Tous auprès des
pouvoirs publics. Les logiques publiques elles-mêmes en appellent
aujourd’hui à des groupements de coopération, mais les associations ne
doivent pas se contenter d’attendre l’imposition de tels dispositifs qui
pourraient tendre à renforcer leur instrumentalisation. Elles doivent prendre
elles-mêmes l’initiative de tels rapprochements non pas tant sur le seul
registre instrumental du partage d’outils mais surtout sur les logiques
d’analyse contextuelle et de développement de stratégies communes.
Vers une pratique permanente de l’Evaluation
Au-delà même du projet associatif qui est l’urgence pour l’association, la
définition d’une politique stratégique avec l’élaboration de plans d’action
pluriannuels inscrirait véritablement la Maison pour Tous dans un processus
d’évaluation permanente sur la base duquel les axes du changement
deviendraient lisibles et mesurables par tous.
Cette démarche d’auto-évaluation et d’amélioration continue de la qualité
consisterait, en effet, à mettre en œuvre de manière effective le projet de
l’association, reliant les valeurs fondatrices aux transformations
organisationnelles nécessaires, traduisant les dynamiques d’acteurs en
référence aux attentes publiques et territoriales, inscrivant la Maison Pour Tous
dans une vision rénovée de sa mission et de son utilité sociale.
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CERTIFICAT IV– RETOUR SUR L’EXPERIENCE
«Conduite du changement en matière de gouvernance et de dirigeance associative au sein de
la Sauvegarde 56 »
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Introduction
Le travail d’analyse qui suit s’efforce de suivre, au plus près, l’histoire d’une association
d’action sociale. Il prend appui, pour partie, sur le « travail de mémoire » qu’un
administrateur de l’association, ancien directeur du service de Milieu Ouvert, avait
entrepris pour la chronique régulière qu’il tenait dans le journal de l’association au
cours des années 9067. Nous-mêmes n’avons pas un rapport neutre avec l’objet de
notre récit et de notre analyse puisqu’il se trouve que la responsabilité de diriger cette
association nous a été confiée en septembre 2002. Tout en s’appuyant, aussi
étroitement que possible sur les différents concepts de l’analyse des organisations
développés dans le cycle de formation de Sciences Po sur les changements
associatifs, et notamment sur la sociologie de l’entreprise et de l’association élaborée
par Renaud Sainsaulieu et Jean-Louis Laville68, ce mémoire est aussi une prise de
parole personnelle sur l’institution qui n’est pas sans lien avec les analyses
développées dans un précédent travail concluant un certificat de psychosociologie
clinique délivré par l’Association pour la Recherche en Psycho-sociologie (ARIP)69.
C’est pourquoi on retrouvera, à l’issue de l’analyse institutionnelle proprement dite, et
de ses conséquences en termes de transformation des formes de dirigeance et de
gouvernance, un élargissement de la problématique centrée sur les différentes formes
de régulation. Il s’agira pour nous de resituer la question du sujet et du lien social au
cœur de la réflexion, dans le prolongement notamment de l’analyse anthropologique
de Jacques Généreux et d’Alain Caillé70, avec une incursion dans le champ de travaux
connexes du psychanalyste Jean-Pierre Lebrun71 consacrés à la clinique de l’institution
et au lien social.
67 Pierre Cueff, « Il était une fois la Sauvegarde… », Articles du Tourmentin, in Journal de la Sauvegarde du Morbihan, 1994 -1999. 68 Sous la direction de Jean-Louis Laville et Renaud Sainsaulieu, Sociologie de l’association, Des orgnanisations à l’épreuve du changement social, Desclée de Brouwer, Paris, 1997. 69 Jean Lavoué, Structure charismatique et changement, l’exemple de la Sauvegarde du Morbihan, op. cit. 70 Cf. Introduction Générale, supra. 71 Jean-Pierre Lebrun, Clinique de l’institution, Ce que peut la psychanalyse pour la vie collective, Ed. Erès, Toulouse, 2008.
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En ce qui concerne le « bien commun », qui fonde l’aventure institutionnelle de
l’association, nous verrons, à travers l’histoire de la Sauvegarde 56, comment un
fondement historique ancré dans le bénévolat et le militantisme, inscrivant
véritablement cette association dans le champ de l’économie sociale et solidaire, s’il ne
fut jamais tout à fait perdu, s’est trouvé cependant, peu à peu, relativisé au gré de
certains développement des politiques publiques, puis a resurgi, notamment incarné
par des acteurs professionnels militants, sans toutefois réussir à mobiliser durablement
toutes les parties prenantes de l’association et ses partenaires autour de cet enjeu.
Nous nous efforcerons, en fin de parcours, de dire à quelles conditions ce défi d’une
redéfinition de l’utilité sociale d’une association comme la Sauvegarde 56, dans un
contexte où les pouvoirs publics semblent dorénavant vouloir fixer toutes les règles du
jeu, peut être relevé, tant par l’association elle-même et ses différentes parties-
prenantes que par les acteurs publics qui financent ses missions. A cet égard nous
consacrerons une analyse particulière au système organisationnel et à ses mutations
dans la mesure où il représente, à nos yeux, l’une des clés de la régulation
conventionnée permettant de dépasser l’historique hantise de la régulation tutélaire :
aujourd’hui, c’est bien dans cette logique de l’enfermement dans la prestation de
service que les associations du secteur, dont la quasi intégralité des actions reposent
sur les finances publiques, se sentent aujourd’hui, avec raison, captées. Segmentées,
sans un intense travail de renouvellement de leur organisation dans une perspective
plus intégrée, elles ne peuvent pas, en effet, développer une vision globale de leurs
dispositifs ni mobiliser l’ensemble de leurs parties-prenantes autour d’une conception
large, innovante et renouvelée de leur utilité sociale.
Précisons tout de suite que si nous articulons volontiers les termes de dirigeance et de
gouvernance dans notre approche, c’est qu’ils recouvrent bien les deux leviers d’action
que doivent mobiliser les associations d’action sociale aujourd’hui : d’une part, celui
d’un renouvellement des conceptions de l’exercice de l’autorité et du pilotage de
l’organisation professionnelle, que ce soit en termes de dispositifs de coopération
interne, ou dans les modes de relations partenariales ou de mutualisation avec les
autres acteurs associatifs, ou bien encore de recherche de conventionnement avec les
politiques publiques. Bien sûr, c’est en étroite corrélation avec une conception élargie
de la gouvernance associative, impliquant, quant à elle, toutes les composantes de
l’association et en particulier celle d’acteur politique « au sein de la cité », que ce
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renouvellement de la dirigeance peut se concevoir. Il n’y aura pas, à nos yeux, de
véritable originalité d’un pilotage associatif concourant à une co-construction des
politiques publiques s’il n’y a pas, dans le même temps, refondation de la politique
associative dans ses propres ressources démocratiques, citoyennes et solidaires.
Ce certificat IV, consacré donc à une étude portant sur la conduite du changement en
matière de gouvernance et de dirigeance associatives, se divise en deux parties. La
première partie qui constitue l’analyse institutionnelle de la Sauvegarde 56 proprement
dite est structurée autour de quatre grandes phases de l’histoire associative : la phase
de « préhistoire », 1935 - 1951 où nous décrirons l’émergence d’une « logique d’aide »
dans le sillage d’une « logique publique » ; la phase de création de la Sauvegarde
proprement dite, 1952 – 1975, qui inscrit l’association dans la dynamique de
professionnalisation de l’action sociale ; la phase que l’on peut qualifier de
rationalisation organisationnelle et gestionnaire, 1975 – 2002, où se met en place la
résistance d’un modèle entrepreneurial et corporatiste de développement ; enfin la
phase actuelle, 2002-2009, caractérisée par l’administration territorialisée de l’action
sociale, le développement des outils technocratiques et managériaux, et les nouveaux
enjeux de la gouvernance associative.
Nous introduirons, au début de la seconde partie, les deux axes qui nous paraissent
représenter les enjeux incontournables de la dirigeance et de la gouvernance
associatives aujourd’hui : d’une part, celui de l’invention d’une régulation
conventionnée avec les politiques publiques, reposant sur un pilotage interne par projet
et par pôle, mais supposant aussi une véritable métamorphose de la gouvernance
publique ; d’autre part, et ce sera là quasiment une position militante pour le fait
associatif, dans un contexte que nous qualifierons globalement de défavorable du fait
précisément de l’évolution technocratique de la gestion des administrations, l’enjeu
d’un véritable sursaut démocratique de la part des institutions intermédiaires que sont
les associations pour concourir à une transformation du lien social et tenter de pallier à
son atomisation.
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I - Analyse institutionnelle de l’Association
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I – 1935- 1951 La préhistoire : une logique d’aide
émergente dans le sillage d’une logique publique
I – 1 Les événements marquants de la phase d’émergence :
1935-1951
Aux origines de l’association : le moment fondateur
Dès sa création en 1935, « La société vannetaise de protection de l’enfance en danger
moral et des condamnés libérés », précurseur de l’association de Sauvegarde du
Morbihan, est placée sous l’égide des pouvoirs publics : C’est le samedi 22 juin 1935,
au Tribunal Civil de Vannes et sous la Présidence de Monsieur Guillon, Juge
d’Instruction, Magistrat spécialisé aux enfants qu’elle est créée. Il apparaît, en effet,
que ce sont les magistrats qui se sont mobilisés pour constituer « la Société », en
particulier les magistrats au contact des situations d’enfants en danger.
Toutefois, pas de professionnels intervenants au départ : seul le concours de bonnes
volontés constitue ce qui sera la base durable de l’engagement militant de
l’association. Si l’on constate donc, au moment de la création, dans ce qu’on peut
appeler la préhistoire de l’association, la mobilisation d’une logique d’aide pour
prolonger, sur la base du bénévolat, l’action des juges professionnels, c’est cependant
d’emblée dans le cadre d’une logique publique fondatrice, avec une prise en main par
ces mêmes magistrats professionnels, notamment par l’exercice de la fonction de
Présidence, que s’inscrit la création de la Société qui deviendra plus tard l’association
de Sauvegarde de l’Enfance et de l’Adolescence du Morbihan, aujourd’hui Sauvegarde
56. A cet égard, la Sauvegarde 56 ne diffère pas beaucoup de toutes les autres
associations de Sauvegarde créées à la même époque pour l’essentiel sur la base
d’une telle initiative publique.
Cependant il nous paraît important de souligner l’histoire singulière de l’association
dans cette phase où elle n’est pas encore instituée Sauvegarde (ce ne sera pour le
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Morbihan qu’en 51) mais où elle est fondée comme « société vannetaise de protection
de l’enfance en danger moral et des condamnés libérés ». C’est le moment fondateur
où, sur la base d’un vide, d’une absence de réponse à un problème social repéré, d’un
besoin identifié, en l’occurrence celui de l’enfance en danger, mais également celui des
détenus libérés, donc, on peut le supposer, également de jeunes adultes, des acteurs
bénévoles s’engagent aux côtés d’acteurs publics, des magistrats et des
professionnels de la justice, pour élaborer un accord autour de représentations
partagées d’un certain bien commun à atteindre, à faire vivre et à préserver, et mettre
en œuvre des modalités organisationnelles pour réaliser un certain nombre d’activités
répondant aux fins visées. Ce moment fondateur qui débouche sur cet accord fonde
véritablement la dynamique institutionnelle de l’association. Malheureusement, en ce
qui concerne la société vannetaise de protection de l’enfance, nous ne disposons pas
de beaucoup de documents susceptibles de nous renseigner sur les valeurs
mobilisées : pas de projet, pas de charte ; mais le procès-verbal de « l’assemblée
générale instituante » et des premiers conseils d’administration nous donne cependant
quelques pistes pour éclairer le processus délibératif mobilisé en vue de cet accord
fondant la vie associative.
Lors de ce moment fondateur, nous pouvons donc parler d’une sorte de cohabitation
entre une logique publique appelante, d’une part, et une véritable logique d’aide
fondatrice, d’autre part, l’action bénévole venant, au cours des premières années
(1935-1941), suppléer aux carences des financements publics pour supporter des
modalités d’aide sociale jugées pourtant nécessaires. La première page du premier
registre des procès-verbaux de conseils d’administration ne mentionne-t-il pas, en titre,
en date du 4 juillet 1935 : Association Charitable dite « Société Vannetaise de
protection de l’enfance en danger moral et des condamnés libérés ». On est donc
clairement dans le champ de ce qu’on appellerait aujourd’hui une association
caritative. Dans la longue liste des participants à cette assemblée fondatrice, on relève
entre autres le nom du chanoine Guillo, directeur des œuvres diocésaines,
représentant Mgr Tréhiou, évêque de Vannes, président d’honneur. Parmi les autres
présidents d’honneur : le préfet, le maire de Vannes, le commandant d’armes de la
place de Vannes, le président du tribunal civil, le procureur de la République. Voilà une
association charitable bien entourée pour ses premiers pas ! A noter d’ailleurs que si le
Préfet est Président d’honneur, sa femme est vice-présidente, et sa fille membre du
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Comité… Cette référence aux autorités publiques et religieuses restera jusqu’à une
période toute récente gravée dans le socle identitaire et culturel de l’association.
Si le registre caritatif est donc bien inscrit, il n’en reste pas moins que la future société,
ainsi que l’indique son premier président en 1935, « répond aux vœux du législateur et
des circulaires ministérielles ». Les statuts sont établis d’après un projet-type élaboré
par « l’Union des Sociétés des Patronages de France. » Lors de cette assemblée, le
Préfet « demande que l’association soit en liaison particulièrement étroite avec
l’administration de la colonie pénitentiaire de Belle-Ile… Dans le but d’assurer cette
liaison, il est décidé que M. le directeur de la colonie pénitentiaire de Belle-Ile serait de
droit membre correspondant de l’association. »
Durant cette période initiale de l’avant-guerre, l’association ne salarie donc aucun
professionnel. Les membres actifs de l’association, administrateurs ou adhérents, sont
en relation directe avec les jeunes ou les familles qu’ils prennent en charge. Ils paient
de leur personne, allant parfois jusqu’à héberger à leur domicile des détenus libérés.
De manière bénévole, ils préfigurent en fait ce que seront quelques années plus tard,
avec la création en 1945 de l’Education Surveillée, les délégués professionnels à la
liberté surveillée, fonctionnaires d’Etat qui interviendront à la demande des Juges des
Enfants auprès des adolescents faisant l’objet d’une condamnation pénale. On le voit
déjà là, l’action associative, et dans ce cas bénévole, préfigurait l’action de l’Etat.
Aujourd’hui, plus de soixante années après, cette mission de la Liberté Surveillée,
reprise après guerre par l’administration, est toujours exclusivement réservée aux
fonctionnaires de la Protection judiciaire de la Jeunesse.
Nous n’avons pas cependant, là non plus, beaucoup de description concernant les
actions concrètes réalisées par ces bénévoles dans le cadre de cette préhistoire de la
Liberté Surveillée. Très vite cependant on peut dire que leur travail s’organise autour
des trois finalités mentionnées lors de la création de la Société : le « relèvement » des
mineurs délinquants par l’action de délégués à la liberté surveillée : les statuts parlent
du redressement des enfants et des adolescents traduits en justice ; la commission
des enfants maltraités ou en danger qui visite les familles, signale elle-même des cas,
procède à des placements : les statuts évoquent la protection des mineurs maltraités,
délaissés ou en danger moral ; l’accompagnement des détenus libérés à leur sortie de
prison dans la recherche de travail, de logement, de vêtements : il s’agit dans les
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statuts de la mission de « relèvement des libérés des deux sexes… » Dans les procès
verbaux des premiers conseils d’administration, il est souvent fait état des situations
des mineurs suivis, ce qui traduit bien le fait qu’à l’époque il n’y a aucune différence
entre l’instance associative et l’action menée, aucune interface professionnelle n’ayant
encore été instituée. Des adhérents, comme des administrateurs se voient confier
directement des missions auprès des jeunes et de leurs familles.
Parallèlement des sociétés de même nature sont signalées dans les comptes-rendus
de conseil d’administration de l’époque à Lorient et Pontivy, mais aucun lien n’est établi
entre elles. Les membres du Conseil d’Administration sont, nous l’avons vu, des
notables ayant une grande proximité avec les pouvoirs publics : le directeur de
l’hôpital psychiatrique de St-Ave s’avère en particulier très présent. Mais au-delà, le
lien est beaucoup plus structurel qu’il n’y paraît avec les pouvoirs publics, et cela à plus
d’un titre. Tout d’abord parce qu’il est précisé à l’article 1 des statuts que l’Association
Charitable poursuit ses missions auprès des personnes « des deux sexes, sans
distinction d’âge, de culte ou de nationalité, et ce en liaison avec les autorités locales et
les œuvres déjà existantes. » Première expression implicite, notons-le, de « laïcité » en
dépit de l’appellation d’association « charitable ». Son siège est à Vannes au Palais de
Justice et son Président est un magistrat. Il est précisé à l’article 2 qu’elle « collabore
étroitement avec les organismes publics et privés ». A l’article 3 « que non seulement
elle forme ses membres à l’action sociale mais aussi qu’elle assure le recrutement des
rapporteurs et délégués près des tribunaux pour enfants et adolescents ; qu’elle sert
d’auxiliaire aux dits tribunaux en faisant sur les mineurs traduits en justice des
enquêtes sociales de nature à éclairer la Justice, s’assurant à cet effet, dans la mesure
de ses moyens, le concours de praticiens chargés de procéder aux examens médicaux
ou neuropsychiatriques ; qu’elle prête son assistance aux mineurs de 18 ans qui font
l’objet de poursuites ; qu’elle assure, soit directement, soit par l’intermédiaire d’œuvres
spéciales, le placement et la surveillance des mineurs de 18 ans qui lui sont remis par
l’autorité judiciaire, confiés en liberté surveillée, ou de tous ceux qui lui seront confiés
par les familles ou par l’Assistance publique ; qu’elle patronne les jeunes détenus à
leur sortie des maisons d’éducation surveillée de l’administration pénitentiaire. » De
plus, lors de cette assemblée générale du 22 juin 1935, l’intervention du Préfet
rapportée juste avant l’approbation des statuts est pour « demander que l’association
soit en liaison particulièrement étroite avec l’administration de la colonie pénitentiaire
de Belle-Île, qui se trouve être un champ d’application merveilleux (sic) à proximité de
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l’association, dont le dévouement des membres peut faire œuvre très utile, notamment
pour le placement des mineurs, à leur départ de la colonie. Dans le but d’assurer cette
liaison, il est décidé que Monsieur le Directeur de la colonie pénitentiaire de Belle-Île
sera de droit membre correspondant de l’association. »
A travers l’ensemble de cet énoncé, on mesure l’immédiat prolongement de l’action
publique confié à l’association charitable nouvellement créée et au « dévouement de
ses membres ». Et on mesure, pour les administrations de l’époque, ce que pouvait
représenter de plus-value cette action entièrement bénévole venant apporter des
réponses quasi-professionnelles aux problèmes sociaux repérés par leurs personnels.
Lors de la création de l’association, l’essentiel des ressources est constitué par les
cotisations des membres. Les statuts évoquent l’ensemble des autres ressources sur
lesquelles l’association peut être en mesure de compter, « dons manuels en argent ou
en nature », legs, quêtes, fêtes de bienfaisance, ventes, conférences, participation des
familles pour les enfants directement confiés, subventions ou encore allocations et frais
d’entretien pour les enfants confiés par le tribunal. Les cotisations sont de 5 Francs
pour les membres actifs, 25 Francs pour les bienfaiteurs ; 70 personnes sont présentes
à l’assemblée générale constitutive – Lors du conseil d’administration du 19 mars
1936, il est fait état d’un don de mille francs « offert à l’œuvre de protection de
l’enfance. » Ce don de mille francs accompagne ainsi le lancement de l’association. Il
s’agit du don d’un particulier, nommé dans le procès-verbal du conseil d’administration,
ayant été mis en contact avec l’ « œuvre » par l’un de ses membres. Il fera
apparemment l’objet d’un placement qui se révélera fructueux et fort utile à la vie de
l’association. On retrouvera ainsi à d’autres périodes de la vie de l’association
quelques dons significatifs qui, sous des formes diverses, permettront également de
surmonter certaines phases critiques. Ce don qui représente, au bas mot, trois années
de cotisation des adhérents se trouve, en tous les cas, inscrit dans les toutes
premières pages des actes de la vie associative comme une pierre fondatrice. On
pourrait dire aujourd’hui qu’il constitue un acte citoyen, une sorte de don de la société à
elle-même, qui crée les conditions de l’émergence du fait associatif, symbolise toutes
les autres formes non monétaires du don en particulier en matière de temps,
d’intelligence et d’énergie des personnes bénévoles, et inscrit durablement dans les
racines mêmes de l’association cette source instituante du don. Dans la note
consacrée à l’ouvrage de Jacques Généreux, La Dissociété, nous avons repris de
manière synthétique quelques éléments de l’analyse d’Alain Caillé sur le don inspirée
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des travaux de Marcel Mauss72. Pour Alain Caillé, le don n’est pas une relation parmi
d’autres. Il est équivalent au politique. C’est le politique par excellence ! C’est le geste
social fondateur qui permet de passer de l’isolement à la société, de la guerre à la paix.
C’est un acte d’alliance qui fait advenir le lien social. Avant même la logique du droit,
de l’économie, c’est le don qui, dans ce moment précaire, fragile, quasiment gratuit où
se fonde l’alliance, est l’acte politique qui littéralement fait société. Ainsi, aussi réduite
soit-elle au fil du temps, la cotisation des adhérents d’une association, mais encore tout
le temps consacré par les bénévoles, sont-ils le rappel de l’acte fondateur qui fait
exister l’association : et on le voit, dans cette phase originelle, pas de manière
seulement symbolique ! Puisque pendant toutes les premières années, cotisations et
dons associés au temps gratuit des bénévoles suffisent à faire vivre les « œuvres »
accueillant les enfants accueillis.
C’est donc bien autour d’un accord articulant de manière très étroite et complémentaire
logique d’aide bénévole et logique publique que s’élabore dès le départ pour « la
société vannetaise de protection de l’enfance en danger moral et des condamnés
libérés » la représentation partagée d’un « bien commun » : il s’agit pour les pouvoirs
publics, comme pour des personnes de bonne volonté souhaitant apporter leur
contribution à l’intérêt général, pour des raisons, on le devine à la constitution de la
première assemblée, à la fois philanthropiques et caritatives et religieuses, d’apporter
aux enfants et adolescents traduits en justice, maltraités, délaissés ou en danger ainsi
qu’aux détenus libérés l’aide éducative dont ils ont besoin. On traduit encore à
l’époque cette notion d’Education qui ne sera véritablement labellisée qu’après guerre,
notamment par la création de « l’Education Surveillée », par les termes de
« redressement » ou encore « relèvement », ce dernier terme semblant plutôt
s’appliquer aux jeunes détenus libérés : on le voit les conflits sémantiques ne sont pas
d’aujourd’hui ! La question est désormais de se demander si la notion d’éducation
gardera, dans le cadre de la énième réforme de l’Ordonnance de 1945 en cours, la
primauté qu’elle a eue pendant soixante ans !
72 Cf. Supra
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Première ébauche d’une réponse professionnelle
Après deux années d’interruption lors de la déclaration de guerre, en 1941 puis 1942,
deux événements importants vont venir préparer la phase de création proprement dite
de la Sauvegarde : C’est en 1941 la création du premier poste salarié : une assistante
sociale. La mission de cette professionnelle est de rechercher et de visiter les familles
nombreuses dont les conditions ne présentent pas les garanties suffisantes pour
l’éducation des enfants. Pour la première fois, afin de financer ce poste, la Société se
voit dans l’obligation de se lancer dans la recherche de fonds publics : elle fera appel
au secours national, à la préfecture, à la mairie et à la Caisse d’Epargne pour obtenir
des subventions. L’assistante sociale est mise à la disposition du tribunal, Juge
d’instruction et Parquet.
Deuxième événement, l’année suivante, rendant tout aussi incontournable la référence
aux pouvoirs publics, c’est l’obligation faite par circulaire du procureur Général de
Rennes, le 23 janvier 1942, de n’avoir qu’une seule Société de Protection de l’Enfance
par département. Cette contrainte est source d’une perturbation importante pour les
deux Sociétés qui se sont créées à Vannes et à Lorient. Laquelle devra disparaître au
profit de l’autre, et sur la base de quels critères ? On constate donc, dès le départ, une
volonté des pouvoirs publics de venir administrer l’initiative privée : s’ils encouragent
celle-ci d’une part, ils cherchent dans le même temps, immédiatement, à la réguler afin
de l’inscrire dans des cadres administratifs repérés et dirigés. C’est le résultat d’une
ambivalence consubstantielle de la part des pouvoirs publics à l’égard de l’initiative
privée et le début d’un long processus qui verra tour à tour prédominer la dimension
de la gestion publique ou celle de la créativité associative, sans que jamais pour autant
cette dernière ne parvienne à s’émanciper de la tutelle de la première. C’est le fameux
débat sur la conception par les services de l’Etat d’associations considérées comme
auxiliaires des services publics, voire sous-traitantes, alors que dans le même temps
leur souplesse, leur capacité d’innovation et l’engagement de leurs acteurs sont
considérés comme une véritable alternative à la gestion publique. La pression est forte
et il faut trouver un compromis : le siège de l’unique Société sera finalement à Lorient ;
la Société de Lorient accepte de changer d’appellation et se nommera désormais
« Société Morbihannaise de l’enfance délaissée et délinquante » ; la Société
vannetaise devient une section de la Société départementale ; Président et Trésorier
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seront alternativement, chaque année, basés à Lorient et à Vannes : la source d’une
tension durable entre les deux Sociétés désormais fondues en une seule !
Ce fonctionnement perdurera jusqu’en 1952. On se trouve alors vraiment dans les
prémisses d’une organisation professionnelle, avec des modalités difficiles à imaginer
un demi-siècle plus tard : ainsi, en 1947, le Président sera-t-il amené à remercier
officiellement lors d’un conseil d’administration les deux professionnelles assistantes
sociales, la titulaire ayant été rejointe entre temps par une auxiliaire, « pour être
restées plusieurs mois sans être payées et avoir abandonné l’avancement auquel elles
avaient légitimement droit ! » On le voit donc à l’époque, même les professionnels
pouvaient consentir à une forme de don pour aider l’association à passer un cap
difficile ! Entre temps, devant cette situation délicate de pauvreté endémique de la
Société, des idées plus ou moins heureuses sont mobilisées, une sorte de kermesse,
mais aussi la commande de 2000 encycliques du Pape ! On perçoit bien là, à nouveau,
l’ancrage culturel de la Société dans l’humanisme chrétien. Nous sommes en terres
bretonnes, et devant la carence des financements publics on n’hésite pas à faire appel
aux ressources identitaires toujours fortes à cette époque.
Création du premier établissement : le centre de Ke rforn
C’est en 1948 qu’est créé le premier établissement de la Société départementale qui
n’est pas encore devenue à l’époque une « Sauvegarde de l’enfance ». C’est toujours
l’initiative d’un magistrat qui prévaut alors, en l’occurrence celle du Procureur de la
République de Lorient, Monsieur Bellon. Il souhaite que les adolescents délinquants ne
cohabitent plus avec les majeurs en maison d’arrêt. C’est pourquoi il se débrouille pour
trouver une « baraque » pour les accueillir et demande à la Société d’en faire un centre
d’accueil. Le premier établissement, le centre de Kerforn, est né. Il recevra son
habilitation en juillet 1948.
Tout cela se déroule dans une grande précarité. Le directeur recruté pour la conduite
de ce centre, Monsieur Le Gonidec, exprime ainsi en 1950 les difficultés : « le
personnel a perdu l’agréable habitude de percevoir un salaire chaque mois ; pour cela
d’ailleurs, nous l’avons réduit au minimum : deux salariés ! » La mission quant à elle
n’est pas mince puisqu’il s’agit d’accueillir 15 à 20 adolescents délinquants dans une
seule et même grande pièce unique où la matinée est consacrée au travail scolaire,
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l’après-midi à des activités de type professionnel et le soir aux loisirs. On voit émerger
là la figure historique des véritables fondateurs de l’éducation spécialisée, l’ère des
pionniers en matière de direction et d’encadrement.
A Vannes, dans le même temps, l’assistante sociale quitte la Société : comment garder
un personnel qualifié quand les salaires sont imprévisibles ? La Société, qui deviendra
bientôt la Sauvegarde, commence à être reconnue. Un deuxième lieu d’accueil est
créé à Vannes. Il s’agit là d’un « Patronage » qui est en quelque sorte l’ancêtre du futur
service de Placement Familial. Le nombre des jeunes confiés ne cesse d’augmenter.
Mais l’association est menacée d’asphyxie malgré la conviction et la générosité des
salariés et des donateurs.
En 1950, Le Président Raingeard alerte les ministères de la Justice et de la
Population : il menace de dissoudre la Société face à la pénurie des moyens ;
demander aux professionnels de rester régulièrement des quasi bénévoles par
l’amputation de leurs salaires n’est plus tenable : moment critique d’interpellation des
pouvoirs publics et de renvoi de chacun à sa responsabilité. C’est cette prise de
position qui décidera de l’avenir.
Cet engagement militant des premiers professionnels pionniers, consentant à ne pas
être régulièrement payés, marquera durablement, nous semble-t-il, le rapport des
associations employeurs à leurs salariés, inscrivant culturellement et quasi
contractuellement ceux-ci dans une logique souvent implicite, et quelquefois très
explicite, d’implication très forte, non seulement à l’égard de l’objet de la mission mais
encore à l’égard de l’entreprise associative commune. Sans nul doute, les accords de
2000 sur la réduction du temps de travail viendront-ils modifier, par la régulation
publique légale, un long accord tacite qui faisait du lien du salarié à son association
davantage qu’un simple contrat de travail. Ils ne sont pas venus cependant, pensons-
nous, l’interrompre même s’il est important, et nous y reviendrons, de se poser
aujourd’hui la question de la contribution des professionnels à la dynamique de
l’association ? Celle-ci ne semble pas toujours de nature à dépasser la seule
implication technique encadrée par le contrat de travail. Mais cette contribution
technique et la manière, nous y reviendrons, dont elle est organisée peuvent continuer
à être fortement imprégnées des valeurs d’engagement solidaire et militant de
l’association.
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I-2 L’analyse institutionnelle de la phase d’émergence 1935 – 1951
Les éléments de l’analyse institutionnelle
Les éléments recueillis sur la phase de création de l’association nous permettent de
proposer les bases de l’analyse institutionnelle de la Sauvegarde 56. Nous
reprendrons ainsi, pour chacune des périodes suivantes, après avoir relaté les
événements principaux, les éléments d’analyse qui caractérisent le mieux chacune des
phases. L’objectif est de dégager ce qui, à chaque étape, « fait institution ». Or il est
important de poser d’emblée, et la phase d’émergence de l’association permet d’autant
mieux de le souligner, que l’institution est davantage qu’une organisation au sens où
elle est non seulement un « groupement comportant des règlements établis
rationnellement » mais qu’elle implique de plus « des formes particulières de
socialisation »73. Au sens politique, souligne François Dubet74, « les institutions sont un
ensemble d’appareils et de procédures de négociations visant la production de règles
et de décisions légitimes… Conçue de cette façon, l’institutionnalisation est
indissociable du développement de l’espace démocratique. » C’est bien là tout ce qu’il
s’agira pour nous de démontrer à travers le développement historique de l’association
de Sauvegarde du Morbihan : que celle-ci n’est pas seulement une organisation de
services, mais qu’elle conserve bien un caractère d’institution impliquée dans le
développement du processus démocratique.
C’est bien autour de cette tension Institution/Organisation que se déploie l’histoire
d’associations telles que la Sauvegarde 56 : entre l’internalisation des questions
sociétales et l’élaboration de règles à travers l’invention de nouvelles formes
d’expression et de confrontation collective entre les parties prenantes, d’une part,
marquant tout l’enjeu démocratique mobilisé par la composante institutionnelle ; et la
rationalisation par la professionnalisation et la division du travail ainsi que par
l’interaction des acteurs dans les jeux de pouvoirs, d’autre part, qui caractérise la
dimension organisationnelle d’une association qui en est venue, au fil des années, à
gérer, pour l’essentiel de son activité, des établissements et services. Or la période de
création est intéressante à cet égard car il n’y a ni établissement, ni service à gérer,
73 Max Weber, Economie et Société, Citation Diaporama/Cours Sc. Po sur les fonctionnements associatifs, Session juillet 2007 74 François Dubet, Le déclin de l’institution , Citation Diaporama/Cours Sc. Po sur les fonctionnements associatifs, Session juillet 2007
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mais essentiellement cette mobilisation institutionnelle au nom de principes de justice
sociale, « cette coordination entre individus, indissociable d’un processus de
construction d’une représentation collective de l’action »75. C’est cette représentation
partagée, érigée en « bien commun », qui légitime l’action et la stabilisera peu à peu à
travers l’élaboration de dispositifs successifs. Une sorte de norme implicite et collective
se dessine autour de « ce qu’il convient de faire » afin de faire progresser dans les
situations particulières identifiées de manque, de vide, ou de besoin, les principes de
justice sociale auxquels on se réfère.
Nous ne développerons pas l’analyse organisationnelle dans le présent travail telle que
nous l’avons menée dans le cadre du diagnostic réalisé à la Maison Pour Tous
d’Argenteuil même si certains paramètres pourront être utiles pour notre propos. Nous
nous centrerons donc essentiellement sur la logique institutionnelle, son adaptation à
la logique publique, l’encastrement politique de l’association afin d’aborder les types de
régulation avec le cadre institutionnel sur lequel reposera en fin de compte notre
analyse de la gouvernance et de la dirigeance associatives. Faire ressortir la logique
institutionnelle, c’est faire apparaître « un principe d’intelligibilité de l’action »,
« identifier une rationalité à l’œuvre, sans que son origine puisse être précisément
désignée », caractériser le moment fondateur où elle prend sens et devient un principe
de légitimité pour les acteurs, et devient institutionnelle par le passage d’un « monde
privé » à un « espace public », d’une expérience individuelle à une expérience
collective. Ce passage à l’institution représente « un coût puisque celle-ci ossifie la vie
sociale, mais aussi une ressource puisqu’elle crée des structures permettant à l’acteur
de mieux agir ».76
Une logique d’aide
La société vannetaise de protection de l’enfance s’inscrit clairement, dès sa création,
dans une logique d’aide. C’est là la logique émergente qui la différencie nettement
d’une logique institutionnelle domestique, centrée sur les réseaux primaires
d’appartenance, d’une logique d’entraide, fondée sur la réciprocité, ou encore d’une
logique de mouvement, centrée sur l’action revendicative et l’exercice démocratique
75 Citation Diaporama/Cours Sc. Po sur les fonctionnements associatifs, Session juillet 2007 76 M. Lallement, Citation Diaporama/Cours Sc. Po sur les fonctionnements associatifs, Session juillet 2007
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afin d’infléchir l’action publique en vue d’un changement institutionnel élargi. Nous
allons décliner, pour la Société Vannetaise de Protection de l’Enfance, les principaux
éléments du cadre institutionnel qui font des conceptions partagées par ses acteurs, un
monde et un « bien » communs.
Tout d’abord en ce qui concerne la conception de la solidarité , la logique d’aide
développée par l’association relève d’une approche philanthropique, d’inspiration
judéo-chrétienne, fondée sur un sentiment de responsabilité à l’égard des plus
démunis, en l’occurrence des enfants et des adolescents en danger ou délinquants,
sans exclure les jeunes adultes libérés après une phase de détention.
L’action collective est, elle, mobilisée dans une logique d’engagement auprès de
publics déterminés dans des catégories abstraites : l’enfance en danger moral ; les
détenus libérés. C’est le champ de l’institution judiciaire qui permet de poser le cadre
de ces catégories générales guidant l’action.
En ce qui concerne le rapport entre espace public et production , l’association
donne d’emblée la priorité à l’activité au service des enfants et des adolescents plutôt
qu’à l’espace public caractérisé par la mobilisation démocratique des différentes
parties-prenantes de l’association. C’est, très vite, ce qui permettra à cette dimension
de l’activité et des services de s’émanciper assez largement de l’espace de la vie
associative proprement dit, entraînant, nous le verrons, un certain clivage entre les
deux.
Les formes et les dispositifs de régulation sont, eux aussi, bien caractéristiques de la
logique d’aide : les rapports sociaux entre promoteurs des activités et
bénéficiaires sont marqués par la distinction et l’inégalité sociale entre les uns et les
autres. On peut même parler de positions diamétralement opposées entre des
membres de l’association, particulièrement bien intégrés socialement et entourés de
tous les pouvoirs civils et religieux, et les destinataires des actions marqués, quant à
eux, par des signes d’exclusion morale et sociale.
D’ailleurs, en ce qui concerne la place statutaire des destinataires de l’action , ceux-
ci ne peuvent pas être membres, ce qui caractérise, là encore, la logique d’aide. Cette
dissymétrie entre promoteurs et bénéficiaires qui entretient la distinction des rapports
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sociaux peut d’ailleurs être considérée, aujourd’hui, comme l’une des raisons de la
forme d’épuisement des logiques d’aide que l’on constate dans ce type d’action avec
une certaine atrophie de l’espace public. La question de la place des usagers dans les
associations vient, nous le verrons, entièrement renouveler cette problématique.
Le mode de recrutement des acteurs s’effectue quant à lui sur le mode de la
cooptation entre promoteurs au titre d’une certaine « qualification sociale ». C’est la
raison pour laquelle très vite la question de l’adhésion à un mouvement fédératif
national ainsi que celle de la formation des administrateurs se pose, ce qui constituera
une transition naturelle vers la professionnalisation.
Les modalités d’arbitrage en cas de désaccord renvoient à la recherche de
compromis autour des valeurs communes. D’où, en dépit du pluralisme annoncé, une
grande homogénéité le plus souvent dans les domaines identitaires et culturels
susceptibles de dégager aisément des accords implicites. On l’a vu, la composante de
la culture religieuse chrétienne, inscrite dans les fondements de l’ « Association
Charitable », jouera durablement un rôle de liant identitaire fort et durable entre les
membres, et cela indépendamment de l’histoire et de l’affirmation croissante de la
laïcité comme valeur, en particulier dans la sphère professionnelle volontiers
positionnée en différenciation marquée, si ce n’est en « contre », à l’égard de la culture
d’origine.
« Le principe dominant pour la mobilisation des res sources » repose sur le don et
sur l’accent mis sur l’action morale et libre du donateur. Nous avons insisté sur cette
dimension du don au fondement de la Société Vannetaise de Protection de l’Enfance.
Elle aussi vient bien caractériser le fait qu’on se trouve, dès le départ, dans une logique
d’aide, et non pas dans une logique domestique qui reposerait sur une mise en
commun d’un patrimoine apporté par les membres, ou encore d’une logique de
mouvement qui activerait des pressions afin de mobiliser la redistribution publique.
« L’espace institutionnel » de l’association est donc bien caractérisé par une logique
d’action centrée sur « l’aide » qui émerge de la pluralité des acteurs et unifie le sens de
leur engagement. Il en découle une dynamique de reconnaissance facteur de
socialisation pour les individus et de légitimation au nom d’un bien commun : apporter
son concours aux causes nécessiteuses que représentent tous les enfants et les
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jeunes, voire les adultes en danger moral. La Sauvegarde 56 dans ses fondements ne
déroge donc pas à la règle de nombreuses associations d’action sociale en France qui
voient l’institutionnalisation de leur espace « public » avant tout caractérisé par une
logique émergente qui est une logique d’aide.
Enjeux de dirigeance et de gouvernance
Dans cette première phase de son histoire, la prégnance de la logique publique est
faible dans la mesure où l’essentiel de l’action et des ressources sont bénévoles. Et
cependant, elle est première, dans la mesure où c’est elle qui identifie les besoins. On
constate un immense encouragement de l’Etat traduit notamment, pour l’association
vannetaise, par la présidence d’un magistrat, par l’engagement de l’ensemble de la
famille du Préfet, et aussi par la présence de tous les corps constitués lors de
l’assemblée constitutive. Mais on ne peut pas encore parler vraiment d’une régulation
marquée, de type tutélaire par exemple, ni d’encastrement caractérisé dans les
politiques publiques. Les conditions sont réunies pour une telle évolution, la définition
des publics cibles par la Justice, l’exigence de réponses sociales ajustées aux besoins,
mais ce n’est que dans la phase suivante, où s’affirmera l’enjeu de la
professionnalisation, que nous pourrons véritablement parler d’une logique
d’adaptation subséquente qui à la logique « d’aide » articulera une logique
« publique ».
Peu d’éléments pour préciser les enjeux de la gouvernance et de la dirigeance au
cours de cette période fondatrice. Là encore, on observe la prévalence, en matière de
décision, de la puissance publique puisque le premier centre créé, le centre de Kerforn,
l’est à la demande du procureur de la République qui souhaite séparer les mineurs
détenus des majeurs. Ce n’est pas encore le concept de centre fermé, mais la logique
est déjà la même. Le conseil d’administration répond à la demande, même s’il ne
semble pas disposer de tous les moyens pour rémunérer correctement les salariés. On
retrouvera constamment au cours de l’histoire de la Sauvegarde cette initiative des
pouvoirs publics avec une mesure et une prise en compte tout à fait relatives des
coûts. Cependant la Sauvegarde répond, estimant que les moyens suivront, quitte à
mettre à contribution, à l’origine, les premiers salariés eux-mêmes. A mesure que
s’affirmera le droit du travail, ce sera bien sûr de moins en moins possible, mais la
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conviction que, si l’Etat le demande les moyens viendront, aura la vie dure jusqu’à une
période toute récente où, à l’évidence, dans un contexte beaucoup plus concurrentiel,
la sollicitation publique ne se traduira plus forcément par un soutien inconditionnel
dans la durée. Quoiqu’il en soit, le schéma de départ, en termes de logique de
décision, est déjà celui de la commande publique, essentiellement portée par un
acteur, d’une part, de la réponse généralement favorable de l’association, d’autre part,
et de l’adaptation enfin des premiers salariés à des ressources insuffisantes.
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II - 1952 – 1975 Création de la Sauvegarde : vers
une professionnalisation de l’action sociale
II - 1 L’émergence d’une logique publique subséquente
De la société de protection à l’association de Sauv egarde
Lors de cette période fondatrice où la logique publique cohabite encore avec une
logique d’aide importante, on se trouve dans un contexte de mobilisation croissante du
modèle républicain autour de la question de l’intérêt général. La grande crise
économique de 1929, coup d’alerte sévère venant questionner la croissance mondiale
et la première grande mondialisation de l’économie qui s’est développée sur la
deuxième partie du XIXème siècle et le début du XXème, suivie de crises politiques,
sociales et syndicales fortes, le Front Populaire par exemple en France en 1936,
amène dès avant-guerre les pouvoirs publics à promouvoir des politiques sociales plus
offensives. Elles sont encore largement teintées d’approches familialistes. Michel
Chauvière, dans son ouvrage sur l’enfance inadaptée et l’héritage de Vichy77, montrera
en quoi la France de Vichy viendra finalement s’inscrire dans un mouvement qui
constituera les prémisses, en matière d’enfance en danger et délinquante, de toute la
politique volontariste et républicaine d’après-guerre. Les Associations Régionales de
Sauvegarde de l’Enfance et de l’Adolescence, les fameuses ARSEA qui deviendront
plus tard les CREAI78, sont d’ailleurs créées sous Vichy. Les associations
départementales de Sauvegarde seront, elles, créées par décret en 1945.
La recherche d’alternative à l’enfermement carcéral constitue le point de ralliement de
tous les humanistes qui se mobilisent alors pour apporter une réponse globale à la
question de l’enfance et de l’adolescence en détresse. C’est sur ce terreau que se
définira la politique pénale en matière d’enfance en danger et délinquante en 1945
avec la création des tribunaux pour enfants et l’ordonnance de 1945 faisant prévaloir,
pour les mineurs délinquants, l’éducation sur la répression. Les associations de
77 Michel Chauvière, Enfance inadaptée, l’héritage de Vichy, Ed. de l’Atelier, 1989. 78 Alain Vilbrod, Mathias Gardet, L'éducation spécialisée en Bretagne, 1944-1984 : Les coordinations bretonnes pour l'enfance et l'adolescence inadaptées, Presses Universitaires de Rennes, 2008.
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Sauvegarde, préparées, comme c’est le cas dans le Morbihan, par une phase de
développement où l’initiative privée vient suppléer aux carences de moyens des
politiques publiques, vont également naître et être renforcées dans ce contexte.
C’est au Conseil d’administration du 26 janvier 1952 que la « Société Morbihannaise
pour la Protection de l’Enfance Délaissée et Délinquante » devient officiellement la
« Sauvegarde de l’Enfance et de l’Adolescence du Morbihan ». L’appel de détresse du
Président de la Société a été entendu : peu à peu l’association va sortir d’un système
de financement à base de subventions et de dons aléatoires. Ainsi, en 1953, le service
de prévention perçoit une indemnité journalière de « surveillance » par enfant suivi ; la
même année, le centre de Kerforn reçoit un prix de journée, juste suffisant pour
financer deux salaires : le directeur et un éducateur. La mobilisation pédagogique et
l’engagement personnel de ces personnels très peu nombreux, mais également la
construction progressive de l’Etat social, à travers ce que l’on appellera « les trente
glorieuses », vont progressivement permettre de professionnaliser et de transformer
en profondeur les institutions sociales.
L’invention des métiers du social : début de constr uction du modèle
professionnel et mouvement de qualification
Les années 50 sont des années de prise de conscience intuitive et globale de tous les
enjeux et de toutes les contraintes de la professionnalité. Ainsi les assistantes sociales
de l’association qui œuvrent auprès de l’enfance « délaissée » découvrent-elles l’enjeu
de maintenir autant que faire se peut l’enfant dans sa famille. Les placements
menacent fréquemment les liens parents-enfants. Il est, de toute façon, nécessaire de
ménager des périodes fréquentes de retour en famille. Par ailleurs, la distinction entre
mineurs délinquants et enfants « délaissés » ne paraît pas toujours des plus
pertinentes : les situations de vie familiale des uns et des autres sont très comparables
et la nature des délits souvent mineure. Ainsi les intuitions qui conduiront à
l’ordonnance de 1958 et à la création des mesures de milieu ouvert pour l’enfance en
danger seront-elles d’abord le fruit de l’observation quotidienne de professionnels
engagés dans une pratique de terrain.
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Par ailleurs, dans le cadre du Patronage où une partie des enfants est confiée à des
nourrices, ce qui sera plus tard systématisé à travers le service de placement familial,
même si le constat est fait de certaines carences sur le plan éducatif de la part de ces
nourrices, il apparaît dans le même temps évident que cette réponse est bien
préférable aux logiques d’orphelinat qui aboutissaient le plus souvent à une rupture
des liens entre parents et enfants. On se préoccupe essentiellement de la santé, de la
scolarité, de l’orientation professionnelle des enfants et des jeunes accueillis, mais
aussi de l’accompagnement des parents de ces jeunes pour favoriser là encore le
maintien des liens voire le retour dès que possible des enfants à leur domicile.
Création des premiers établissements et unification départementale de
l’association
La création du centre du Guermeur constitue une étape importante dans le
développement de l’association : il sera construit entre 1954 et 1960 et recevra son
habilitation en 1961. C’est alors un établissement historique de la Sauvegarde qui voit
le jour. C’est à partir de lui, et des moyens logistiques dont il dispose, que
l’association, à l’instar des dynamiques alors à l’œuvre en France, commencera
progressivement son travail de différenciation des approches éducatives et des
métiers. C’est grâce à l’efficience de Monsieur Crespin, alors Juge des Enfants au
Tribunal de Lorient, et par ailleurs secrétaire de l’association, que tous les obstacles
seront peu à peu surmontés : acquisition des terrains, réalisation des plans, obtention
des subventions, construction… On le voit, les magistrats continuent à jouer un rôle
majeur dans le développement de l’association comme ce sera le cas pour la plupart
des Sauvegardes. Au-delà même de l’impulsion qu’ils donneront à la création
d’établissements et de services, ils soutiendront continument les associations par une
forte reconnaissance de leurs contributions techniques, tout au moins jusqu’à la
Réforme récente de la Protection de l’Enfance qui modifie structurellement leur rôle, le
relativisant au profit de celui des Départements.
Côté association, cette création lorientaise n’est pas sans susciter de fortes tensions
avec la section de Vannes. Les besoins sont estimés être de même nature dans les
deux secteurs clés du département. Or les investissements sont alors exclusivement
mobilisés sur Lorient. De plus la présidence est alors vannetaise, ce qui ne satisfait
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pas les élus lorientais, estimant qu’au regard des enjeux et des réalisations en cours,
elle devrait plutôt être lorientaise. Au fil des années, cette tension sera persistante
entre Vannes et Lorient, constituant le terreau d’autres évolutions. Ainsi relève-t-on, au
fil de la lecture des comptes-rendus de CA cette mention le 15 juin 1955 : « il y a trop
de dévouement dans l’œuvre. Une seule personne à se dévouer suffit. C’est
regrettable qu’il y en ait une deuxième. » Sous-entendu, un seul président suffit ! Il
était alors, en effet, question de l’ambition difficile à réguler entre président vannetais
en poste et présidentiable lorientais légitimé par le contexte de création. Une figure
apparaît, le 23 octobre 1954 au conseil d’administration qui se tient à Lorient : c’est
Madame Court, alors Présidente de la Croix-Rouge, future Vice-présidente du Conseil
Général du Morbihan chargée de la première commission des affaires sociales, et
future Présidente de l’association.
En 1955, suite aux instructions du Ministère de la Justice, le service social auprès des
tribunaux ne doit plus faire partie de la même association que celle qui gère le
Guermeur (alors encore basé sur le site de Kerforn) et le Patronage (l’ancêtre du
Placement Familial à Vannes). Une nouvelle association est donc créée en 1956 pour
se conformer à cette exigence : « Le Service social du Morbihan pour la Protection et
la Sauvegarde de l’Enfance et de l’Adolescence. » Ce service qui exerce alors des
enquêtes sociales, soit au titre de mandat du tribunal, soit au titre de la prévention
administrative, intervient en fait déjà sur le terrain de ce qui deviendra bientôt l’action
éducative en milieu ouvert. Lorsque la Sauvegarde voudra elle-même créer son propre
service de Milieu Ouvert, une quinzaine d’années plus tard, cette mission d’enquêtes
sociales, entre temps reprise par les services du Département, constituera une pomme
de discorde entre les professionnels de la DASS et l’association. Là encore, ce sera
l’intervention d’un Juge des enfants de Lorient, qui permettra à la Sauvegarde
d’avancer.
Du côté du Patronage de Vannes, les choses vont aussi bouger au cours de ces
années. Il s’agit pour les pouvoirs publics d’une œuvre privée renvoyant à une logique
de charité, inscrite dès la création de la Société de protection de l’enfance en 1935.
Elle vit de quelques subventions et de dons. Régulièrement des quêtes sont faites
dans les cinémas de Vannes, Ploërmel, Languidic, la Roche-Bernard pour rassembler
des fonds. Si le Ministère veut bien aider de telles œuvres privées, il considère qu’elles
doivent cependant trouve des ressource suffisantes pour « justifier » leur existence.
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Des baraques servent de base arrière au service qui accueille en fin de semaine, dans
une ambiance familiale, les enfants pensionnaires en institution, « pour que ceux qui
ne sont pas en famille d’accueil aient quand même un chez eux ». La mission n’est pas
légère puisque 95 enfants sont alors confiés au service, dont 85 suite à des mesures
de déchéance paternelle et donc de retrait autoritaire. L’annonce de la suppression des
baraquements militaires va obliger la section vannetaise à mobiliser fortement
l’association pour qu’une solution soit rapidement trouvée. C’est à l’assemblée
générale extraordinaire du 24 mai 1962 que la Sauvegarde annonce qu’elle a acquis
un terrain à Vannes en vue d’y construire un foyer qui serait en même temps le siège
de l’association. Une nouvelle directrice, issue de la CAF, est nommée en 1961. Dans
l’attente de la création du foyer, et du fait de l’expropriation des baraquements, elle se
propose d’héberger dans son appartement des enfants confiés. Entre la bonne volonté,
l’exigence de répondre aux besoins d’ « une jeunesse inadaptée qui a plus que jamais
besoin de nous », et l’ambition de développer une action vraiment professionnelle, il
existe encore bien des contradictions, sources quelquefois de confusion : menacée
d’expulsion par sa propriétaire la directrice reçoit un vigoureux soutien du Conseil
d’administration ! C’est en 1966 que les enfants du « Patronage » prendront enfin
possession de leur foyer à Kercado.
En 1965, l’association devient départementale avec sa nouvelle présidente, Madame
Court, et ses deux vice-présidents, l’un lorientais, et l’autre vannetais. C’est le Foyer de
Kercado qui abritera désormais le Siège Social de la Sauvegarde, Square Bon Accueil,
à Vannes.
Un nouveau style de dirigeants
A la fin des années 60, une crise importante au centre éducatif du Guermeur va
entraîner l’émergence d’une nouvelle génération de dirigeants sur laquelle va pouvoir
se fonder une approche plus rationnelle et professionnelle de la conduite des services
et des établissements. La Présidente souhaite que soit mis un terme au contrat de
travail du directeur, le premier à avoir été recruté par la Sauvegarde ; un ensemble de
difficultés financières, relationnelles, ne lui permettaient plus d’exercer sa mission. Lors
du CA du 30 novembre 1968, en arrêt maladie depuis plusieurs mois, il est présenté
comme démissionnaire. Aucune trace des procès-verbaux de conseils d’administration
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au cours des deux ans et-demi qui précèdent ! C’est au Palais de Justice de Lorient
qu’a lieu ce conseil d’administration, comme un nouvel acte fondateur à partir duquel
va effectivement s’initier une dynamique fondée sur l’expérience professionnelle, la
qualification. C’est à la fois l’émergence de la figure du professionnel militant mais
aussi l’affirmation, sur cette base, d’un véritable renouveau du fait associatif. La
Sauvegarde redevient une association reconnue rassemblant près de 120 adhérents.
Lors du précédent travail79, en cycle de psychosociologie, j’ai particulièrement analysé
cet événement comme une crise fondatrice qui laissera durablement des traces en ce
qui concerne la sécurisation des fonctions dirigeantes dans l’association.
C’est un éducateur de l’Education Surveillée qui, en 1969, est recruté comme directeur
du Guermeur. Fort de la culture publique de l’administration dont il est issu, il suggère
de transformer le centre du Guermeur en centre d’observation, et d’introduire pour ce
faire toutes les disciplines en rapport avec de nouvelles exigences techniques, avec les
normes d’encadrement prévues à cet effet. Il sera nécessaire de recruter une équipe
diversifiée : un psychologue à temps plein, un psychiatre à la vacation, une infirmière,
une secrétaire sténodactylo, sans compter un encadrement éducatif par groupe de 14
jeunes. Il faut aussi envisager la construction d’ateliers, le projet pédagogique
prévoyant qu’ils soient construits par les jeunes eux-mêmes sous la conduite de leurs
moniteurs. Le Conseil d’administration est séduit par ce projet de création d’un outil
performant : sur les 28 places envisagées, trois ou quatre seront réservées à l’accueil
d’urgence.
De Kerforn au Guermeur, puis du Guermeur première version à ce nouveau projet, il
s’agit d’une profonde mutation. Direction et éducateurs spécialisés concourent
désormais à la définition d’une véritable conception technique du métier d’éducateur
spécialisé. Et le lieu de cette définition est pour le moment l’internat. Son outil
privilégié, l’observation. Désormais, il s’agit de se donner les moyens de mieux
comprendre le handicap ou le trouble, de distinguer entre préventif et curatif, de faire
appel aux sciences humaines. La bonne volonté ne suffit plus. On parle « d’équipe
pluridisciplinaire». Vivre avec ces jeunes, délinquants ou pas, leur dégager un avenir,
c’est un véritable métier. Le nouveau directeur parle volontiers de « techniques » à
développer pour donner au centre d’observation du Guermeur un caractère « plus
scientifique ».
79 Jean Lavoué, Structure charismatique et changement, l’exemple de la Sauvegarde du Morbihan, Op. cit
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C’est donc le temps de l’invention d’un nouveau « métier ». Le Diplôme d’Etat
d’éducateur spécialisé date de la fin des années 60. Les nouveaux professionnels
s’engageront fortement dans la politique de formation, seront des acteurs clés de la
création des écoles d’éducateurs. Ils participent d’une ambition de créer une véritable
science du travail social. L’Etat accompagnera ce mouvement de la socialisation
professionnelle, encourageant la création de ces instituts de formation. A la suite du
rapport Lenoir sur les Exclus, la loi du 30 juin 1975 sur les institutions sociales et
médico-sociales viendra consacrer ce mouvement de professionnalisation du social. La
base technique des organisations se renforce d’une alliance avec les politiques
publiques. La militance professionnelle se réfère volontiers à la clinique et à la
technique, tandis que les dirigeants se font les entrepreneurs du social, « délégués »
de la puissance publique.
Dans le même temps cependant, les associations de Sauvegarde en particulier
articulent ce militantisme professionnel à une conception renouvelée du fait associatif.
A la Sauvegarde du Morbihan, non seulement les services, mais encore l’ensemble
des catégories professionnels sont ainsi représentés autour de la table de certains
Conseils d’administration. Ainsi, dans cette instance clé de la démocratie associative,
les techniciens relevant de cette nouvelle militance professionnelle peuvent-ils avoir
voix au chapitre, de la Présidente à l’éducateur ou à l’assistante sociale, en passant
par le directeur ou le psychologue. Sans parler de véritable expérience d’autogestion
comme elle a pu poindre ça ou là dans certaines Sauvegarde – ainsi à Nice, le
directeur est-il élu par ses salariés – du moins observe-t-on dans cette phase un
rapprochement étroit entre les professionnels et les administrateurs. Ceux-ci ont
besoin de ces acteurs reconnus, de ces défricheurs du social qui repèrent les besoins
et portent les innovations. Sur la base d’une forte confiance reconnue, les travailleurs
sociaux vont se trouver placés par leurs organisations au cœur du développement de
l’action sociale. Ils le seront aussi par les pouvoirs publics qui encouragent cette
initiative. Le centre de gravité des associations bascule du côté de son organisation
professionnelle au sujet de laquelle on a pu parler de l’instauration d’un véritable
« micro-corporatisme entrepreneurial ». Contrairement aux associations de parents où
le renforcement de la technicité se crée dans un climat de relative tension avec les
parents militants, les Sauvegardes, fortement inscrites dans une culture d’initiative
publique souvent d’ailleurs relayée au sein même de leurs conseils d’administration,
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accompagneront beaucoup plus aisément ce mouvement d’émancipation de la sphère
technique au cœur de leur organisation.
A la Sauvegarde du Morbihan, c’est à partir d’une profonde crise de la dirigeance sur
l’établissement du Guermeur, à la fin des années 60, et à l’occasion de l’arrivée d’un
nouveau directeur issu de la culture publique et porteur d’une forte ambition
professionnelle, que ce virage s’effectuera. La tâche de François Thomas à La
Sauvegarde sera brève puisqu’il décède en juillet 72, à l’âge de 32 ans, juste trois ans
après son arrivée. Mais sa marque sur l’association sera profonde. C’est un autre
dirigeant, Adrien Le Formal, recruté en tant qu’éducateur quelque temps avant
François Thomas, qui prendra alors le relais et sera appelé à conduire les
transformations initiées par son prédécesseur.
Vers une organisation départementale
La diversification des réponses est l’étape qui va conduire, après le recrutement des
dirigeants militants, porteurs d’innovation et de projets, à l’organisation départementale
des services de l’association.
C’est tout d’abord la création du foyer de semi-liberté Louis Roche, également
envisagé par François Thomas, comme une réponse située pour les jeunes au plus
près de leurs employeurs. Il s’agit d’un dispositif complémentaire du Centre
d’Observation du Guermeur. A cette époque, la question du travail ne se pose pas :
avec l’appui très important des employeurs de la région de Lorient, la quasi-totalité des
garçons du Foyer sont, en effet, au travail et acquièrent une formation professionnelle.
Pour les accompagner au-delà de leur sortie du Foyer, François Thomas crée la
Section d’Adaptation Progressive leur proposant une aide éducative. Pour des raisons
de marché immobilier, Le Foyer ne pourra s’établir définitivement rue Louis Roche, en
plein centre de Lorient. Le Conseil d’administration fera donc assez vite l’acquisition
d’un terrain en zone industrielle de Kerpont sur lequel sera construit le nouveau Foyer.
Dans l’attente de ce nouveau Foyer qui sera livré en 1975, les jeunes occuperont
pendant une année une maison, rue de Brest, elle aussi vouée à la démolition.
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Du point de vue même des magistrats, et en particulier du Juge des Enfants de Lorient,
Monsieur Séné, les mesures de placement ne suffisent pas : il faudrait fournir une aide
éducative à la famille ou au jeune lui-même. Cela, les assistantes sociales ou le petit
nombre des éducateurs des Affaires Sanitaires et Sociales, submergés par la tâche, ne
peuvent l’assurer comme il faudrait. Il encourage donc les projets du directeur du
Guermeur. Mais ce n’est qu’après son décès que le Service de Milieu Ouvert verra le
jour en 1973.
Dès sa nomination, en tant que Directeur des Services Lorientais de la Sauvegarde,
Adrien Le Formal propose une organisation capable de mobiliser une unité
d’inspiration, d’animation et de gestion pour les services concernés. Pour bien marquer
son rôle de responsable d’un ensemble, il propose au Conseil d’administration de
nommer deux chefs de service, l’un pour le Centre d’Observation, l’autre pour le Foyer
de semi-liberté. Ce premier schéma d’organisation est important. C’est sur lui que
s’appuiera la construction de la Sauvegarde pour les années à venir : un responsable
général, des unités différenciées avec chacune un responsable.
Aussitôt, poursuivant également le travail engagé par son prédécesseur avec le Juge
des Enfants de Lorient, il obtient du Conseil d’Administration le feu vert pour la création
du service d’assistance éducative en milieu ouvert. Cependant, comme nous l’avons
déjà souligné, on voit bien que, dès cette période d’intense création, l’initiative s’est
fortement ancrée du côté de l’entreprise sociale autour de l’émergence d’une forte
revendication de technicité. Le procès-verbal du Conseil d’administration du mois
d’octobre 1972 donne mission au directeur nouvellement nommé de demander
l’habilitation tout en précisant que le projet serait « à étudier en coordination avec les
autres services sociaux. »
De fait, la création de ce service ne se fait pas sans difficulté. Le Juge des Enfants
soutient le projet de la Sauvegarde. Le Directeur de la DASS défend l’intérêt de ses
personnels qui, jusqu’à présent, ont fait le travail et acceptent mal qu’on fasse appel à
des professionnels de statut différent. Pour ceux-ci, la protection de l’enfance en
danger relève d’abord de l’administration publique ; pour le Juge et l’association, le
secteur associatif peut également l’assurer, à condition d’être habilité. A quarante
années de distance, on voit ainsi qu’une ligne de tension était déjà en place avec les
services du Département dès la mise en place d’un secteur associatif professionnalisé.
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Les Juges des Enfants, très impliqués dans l’histoire des Sauvegardes et
particulièrement, on l’a vu, dans celle du Morbihan, penchaient clairement en faveur du
secteur associatif. Il faudra attendre la Réforme de la Protection de l’Enfance en 2007
pour qu’une régulation historique basée sur cette alliance magistrats-associations, soit,
comme nous l’avons déjà signalé, interrogée, le Président du Conseil Général et ses
services devenant désormais « chef de file » et pilotes des projets. Un an après la
création du service de Milieu Ouvert à Lorient, une antenne est créée à Vannes. La
création de cette antenne coïncide avec celle d’un poste de Juge des Enfants à
Vannes. Manière encore de souligner l’étroite articulation des projets de la Sauvegarde
avec la politique des tribunaux.
Créations de services et d’établissements, constructions de locaux (Le Guermeur,
Kerpont, avec une seconde phase de travaux d’agrandissement de Kercado au cours
de ces mêmes années), on peut dire qu’administrateurs et dirigeants posent au cours
de ces années 1969-1975, sur la base de l’impulsion donnée par François Thomas et
relayée par Adrien Le Formal, en lien étroit avec le Juge des Enfants de Lorient, les
fondations de l’association telle qu’on la verra se déployer au cours des trente années
suivantes. D’autant qu’un autre projet se dessine en 1974 : en raison de difficultés de
recrutement, les religieuses de la congrégation Notre Dame de Charité de Rennes,
gérant notamment le gros établissement pour jeunes filles St-Cyr, souhaitent se retirer
des Foyers qu’elles ont récemment construits dans le Morbihan, Le Pratel et Kervénic,
et en confier la charge à la Sauvegarde ainsi que les bâtiments qui accueillent les
enfants. L’enjeu pour l’association est de compléter par l’accueil des filles dans le pays
vannetais ce qu’elle a déjà réalisé en matière d’accueil des garçons sur Lorient.
Toutefois cette reprise s’effectuera dans un contexte où déjà la question de l’internat
comme modèle de réponse éducative se pose et où certains magistrats deviennent
réticents à placer, privilégiant la réponse en milieu ouvert alors en plein essor. La
reprise des deux établissements de la congrégation se fera d’abord dans le cadre d’un
essai d’une année après une décision du conseil d’administration le 29 novembre
1975.
C’est sur la base de ces importantes transformations que la nécessité se fait alors jour
de créer dans un proche avenir une structure destinée à coordonner l’ensemble des
activités sur le département. Le projet de la Direction Générale est lancé dès le Conseil
d’administration de juin 1974. C’est autour d’elle que se déploiera la longue période
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1975-2002 qui, pour accompagner la croissance des établissements et des services
sera, pour les Sauvegardes, le temps de la rationalisation organisationnelle et
gestionnaire. Toutefois, la Sauvegarde du Morbihan intégrera sans doute plus
fortement que d’autres la logique du « corporatisme entrepreneurial » qui a marqué ses
débuts : sans doute, en partie, en référence aux particularités de la transmission entre
ses deux premiers dirigeants. La mémoire de François Thomas, même s’il exerça
brièvement ses fonctions de direction, restera, en effet, profondément ancrée dans la
vie de l’association et son successeur déploiera une énergie en matière de projets et
de développement à la hauteur de la dette que l’association estimera avoir contracté à
son égard.
Une présidence politique
Il est nécessaire également d’évoquer, en lien avec toutes ces évolutions touchant à
l’organisation technique, la fonction politique clé de la nouvelle Présidente, par ailleurs
Présidente de la Croix-Rouge et Conseillère Générale du Morbihan, Denise Court.
Dans un petit ouvrage autobiographique publié en 200780, elle-même revient sur cette
période fondatrice de l’association au cours de laquelle son rôle aura été décisif : « En
1965, la situation financière de la Sauvegarde est des plus délicate. Les travaux du
centre du Guermeur et ceux de Kercado à Vannes sont arrêtés. L’architecte a fait don
de ses honoraires mais les créanciers sont mécontents. Il est d’autant plus difficile de
faire le point de la situation que le registre des délibérations de l’association est muet
sur la période allant du 7 juillet 1962 au 19 juin 1965. Le Juge des enfants, monsieur
Bellec, appelle à l’aide Denise Court pour sortir de l’impasse une association en péril…
Le 19 juin 1965, poursuit-elle, l’assemblée générale a élu un nouveau conseil
d’administration qui m’a portée à la présidence. Nous devions achever la maison du
directeur au Guermeur et les locaux du square Bon Accueil à Kercado… Je me suis
donc employée à chercher et à trouver les financements notamment auprès du Conseil
Général. Il ne faut pas croire que c’était une affaire facile. L’ampleur budgétaire que
prenait peu à peu la commission des affaires sociales (créée et présidée par Madame
Court) n’était pas du goût de la commission des finances qui s’inquiétait d’une possible
dérive aux dépens d’autres actions considérées comme électoralement plus
payantes. »
80 Denise Court, La Dame du Morbihan, autoédition, 2007
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Après l’action fondatrice de l’Etat, en la personne en particulier des magistrats, on voit
ainsi se profiler l’action politique du Département dont le rôle ira croissant au cours des
décennies suivantes. C’est d’ailleurs un magistrat qui a l’intuition de faire appel à cette
personnalité qui connaît déjà bien, par ailleurs, plusieurs acteurs de la Sauvegarde,
dont l’ancien directeur du Guermeur, et le nouveau qu’elle recrutera. L’oncle de ce
nouveau directeur recruté, le docteur Ferdinand Thomas, est d’ailleurs un notable, élu
très connu du pays de Lorient, héros de la résistance, maire d’Hennebont de 1945 à
1959, conseiller général à partir de 1954, puis Vice-Président du Conseil Général de
1964 à 1976, avant de devenir conseiller régional de 1976 à 1979. Denise Court et lui
se connaissent donc très bien. Pour la petite histoire, c’est d’ailleurs, dans les locaux
où il résidait et avait exercé sa fonction de médecin que s’installera à partir de 1983 la
direction générale de l’association, 5 place du Général de Gaulle à Hennebont,
toujours à la même adresse en 2009. Denise Court et Ferdinand Thomas, deux figures
de la vie politique locale, eurent l’un et l’autre dans le cadre de leurs mandats électifs
et de leurs divers engagements le souci de panser les plaies de la guerre dont la zone
de Lorient fut particulièrement affectée ; ils s’efforcèrent de mettre en œuvre un
programme social de grande ampleur. Ferdinand Thomas suscita en particulier la
création de l’hôpital psychiatrique Charcot à Caudan. Il en fut le premier Président du
Conseil d’Administration, de 1971 à 1975, à l’époque où Denise Court présidait quant à
elle la Croix-Rouge et la Sauvegarde de l’Enfance. Le rôle de François Thomas dont
nous avons souligné toute l’importance pour la refondation de la Sauvegarde à la fin
des années 60 s’inscrit donc dans cette forte filiation. Soulignons encore que le père
de Ferdinand Thomas, le grand-père de François Thomas, fut gardien pénitentiaire,
affecté au bagne de l’île de Nou, l’administration ancêtre donc de l’Education Surveillée
eu sein de laquelle celui-ci commença sa carrière d’éducateur !
Cette période constitue un virage important pour l’association. Par cette présidence
politique et par les choix qui en résultent, y compris en matière de recrutement de ses
cadres dirigeants, elle s’inscrit désormais dans le paysage institutionnel et social du
département. A la tête de son équipe au Conseil Général, Denise Court peut compter
sur le soutien du premier directeur de l’action sociale du département, Monsieur David.
« Elle sait qu’il lui apportera son soutien dans ce qu’elle entreprendra pour la
Sauvegarde de l’Enfance. L’association devient un partenaire important avec un
budget de 144 millions de Francs, soit plus de deux millions d’euros. »
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C’est sur la base d’un équilibre financier retrouvé, grâce aux subventions obtenues par
l’intervention efficace de sa présidente que va pouvoir s’engager la phase de
construction organisationnelle de l’association : « Nous nous devions de donner à
l’association des structures efficaces et définitives, écrit encore Denise Court dans son
ouvrage autobiographique. Il a fallu une dizaine d’années pour que la réforme se mette
en place et qu’il soit mis fin à ce subtil dosage d’apothicaire entre les deux pôles,
Vannes et Lorient, qui n’avait d’autre but que de ne pas froisser des susceptibilités
politiques. Une dizaine d’années pour faire admettre que l’association était
départementale et qu’elle concernait tous les enfants du Morbihan !... 1976 constituera
à cet égard une année marquante pour la Sauvegarde. La modification des statuts tant
attendue entre en vigueur. Désormais il n’y a plus 12 vannetais et 12 lorientais, mais
24 personnes physiques du département. Il est ainsi mis fin à ce dosage qui constituait
une entrave au fonctionnement de l’association. »81
Denise Court possède une véritable vision de la gouvernance associative qu’elle
considérait déjà comme étant à l’œuvre dès cette époque : « J’ai toujours apprécié les
valeurs réelles de la forme associative en ce domaine avec une grande capacité
d’innovation, écrit-elle encore, la coopération des militants et la disponibilité des
techniciens. Il existait une participation effective de toutes les parties prenantes, une
ambiance d’échange et d’amitié extraordinaire entre le conseil d’administration, la
direction et les équipes. Une confiance absolue était établie. Sans tout cela nous
n’aurions jamais pu fonctionner et réaliser tout ce qui a été fait. Ces vertus,
précisément, – mais là elle jette en 2007 un regard a postériori d’élue politique sur
l’histoire passée et présente – la décentralisation permet aux associations de les
prouver en les vivifiant. »82
81 Denise Court, op. cit. 82 Idem
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II – 2 L’évolution institutionnelle de la Sauvegarde : une logique
d’adaptation aux exigences publiques
La période 1952-1975 que nous venons de parcourir à grands pas est, on le voit, une
période extrêmement riche pour la Sauvegarde du Morbihan. C’est celle de la création
de l’organisation professionnelle, le premier dirigeant recruté n’ayant pas réussi
toutefois à transformer la première ébauche militante en structure techniquement
aboutie. Ce sera le rôle de ses successeurs, et en particulier, nous l’avons vu, d’un
jeune directeur issu de la fonction publique qui lui-même passera très rapidement la
main à un autre jeune cadre qui exercera toute sa carrière, d’éducateur, de chef de
service et de directeur au sein de la Sauvegarde. Nous allons reprendre certains
éléments de l’analyse institutionnelle concernant cette phase clé pour l’association.
Le moment critique de basculement de la logique émergente d’aide à la logique
subséquente d’adaptation publique est caractérisé par cette crise de la fonction
dirigeante dont nous avions déjà analysé les conséquences sous-jacentes durables
dans notre précédent travail83 : notamment en terme de traumatisme institutionnel dont
les résonances avaient affecté dans la longue durée les représentations inconscientes
de l’autorité dans l’association ; traumatisme sur la base duquel avait pu émerger la
double figure du « héros » à la fois sacrificiel et conquérant portée par les successeurs
et sur laquelle reposait les fondements de la structure charismatique de l’association.
Dans le cadre du présent travail, il est intéressant de repérer le rôle également
déterminant de l’événement mais selon une ligne d’analyse sociologique différente. La
mise en cause du dirigeant, à la fois sur le registre des valeurs et de la technicité, en
rapport avec la mission originelle de protection de l’enfance en danger moral, va
constituer, en effet, pour l’association une véritable épreuve de vérité. C’est sans doute
la raison pour laquelle elle se tait littéralement pendant deux ans, suspendant la
rédaction des actes de ses conseils d’administration et peut-être même la tenue de ces
instances. C’est par un Juge, et au Palais de Justice, que sera trouvé un dénouement
à la crise, grâce à la nomination d’une Présidente très politique qui, elle-même
recrutera un dirigeant issu du Ministère de la Justice et d’une famille hautement
honorable du département. Renouvellement donc total de la gouvernance associative
à cette époque : d’une présidence longtemps confondue avec la logique judiciaire, on
83 Jean Lavoué, Structure charismatique et changement, Op. Cit
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135
passe à une présidence vraiment politique et sociale tandis qu’on va chercher la
compétence du dirigeant du côté d’une référence technique à l’administration judiciaire.
Séparation donc des rôles et clarification.
Nul doute que la logique initiale du recrutement du premier dirigeant, quasi bénévole
on l’a vu à certains égards, ne serait-ce que sous l’angle de la rémunération, n’ont pas
permis à l’association de modéliser d’emblée la structure professionnelle devenue
pourtant incontournable à la fin des années 60. C’est donc également « la
confrontation à des évolutions et à des mutations de l’environnement qui a contraint à
des processus d’ajustements et à des changements structurels intégrant de nouvelles
logiques consolidées dans de nouveaux compromis et de nouveaux accords. »84 Le
moment critique est donc celui où émerge, dans le cadre d’une contrainte publique
grandissante au regard des missions, la nécessité d’une configuration irréprochable
articulant professionnalisme des salariés et notabilisation des membres de
l’association et en particulier de la présidence.
Il en résulte une logique d’adaptation « publique », subséquente à la logique
émergente « d’aide » restée, lors de la phase précédente, compatible avec un registre
professionnel relativement peu affirmé et une gouvernance associative mélangeant
aisément les places, les rôles et les lieux de traitement des décisions : on l’a vue, les
conseils d’administration pourront longtemps traiter de la prise en charge, et les
professionnels y participer indépendamment de leur fonction. Dans le cadre de la
logique « publique » d’adaptation, initiée à la Sauvegarde du Morbihan par un moment
critique de mise en doute du professionnalisme, les magistrats, créant les conditions
pour que celui-ci advienne, se dégagent en quelque sorte des premiers rôles pour
exiger que les cadres de l’action attendus soient en quelque sorte tenus de l’intérieur,
par les acteurs tant politiques que techniques de l’association eux-mêmes. C’est ainsi
que se décline, s’appliquant strictement à la Sauvegarde du Morbihan, l’ensemble des
critères caractérisant le nouveau cadre institutionnel autour d’une logique d’adaptation
publique :
La professionnalisation repose désormais sur des critères de recrutement objectifs
renvoyant à une qualification appropriée aux tâches et conforme aux règles
administratives. Le recours au droit en termes de résolution des conflits est désormais
84 SciencesPo, « Les fonctionnements associatifs », session juillet 2007, Diaporama
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la règle et le recrutement d’un dirigeant issu du ministère de la Justice une garantie de
reconnaissance par les pouvoirs publics.
L’inscription dans l’action publique locale se fait plus clairement en référence aux
normes et aux évaluations fixées par les pouvoirs publics. On peut d’ores et déjà parler
d’une régulation tutélaire, l’environnement institutionnel devenant déterminant et ayant
pesé de tout son poids pour dépasser la crise de légitimité traversée par l’association.
La représentation des destinataires de l’action reste, comme c’est le cas depuis
l’origine, déterminée par les politiques publiques autour de la notion d’ayants-droits. La
catégorisation des publics-cibles s’est affinée notamment du fait des ordonnances
judiciaires de 1945 et de 1958.
La mobilisation des ressources s’affirme définitivement du côté d’une prédominance
du financement public dans le cadre d’une hybridation de l’économie extrêmement
limitée : à part les cotisations, les quêtes, quelques dons, le temps de travail non
rétribué et le temps bénévole, l’ensemble des activités repose sur les deniers publics.
Même les acquisitions patrimoniales se feront sur la base de subventions publiques et
de dotations aux amortissements. Ce n’est qu’à une période récente que quelques
ressources privées consacrées au patrimoine viendront quelque peu enrichir une
certaine hybridation de l’économie.
La régulation politique/technique repose désormais clairement sur une répartition
entre les fonctions de président et de directeur. Mais au cours de cette seconde phase
qui est celle de l’évolution institutionnelle, le développement des activités entraîne
logiquement une certaine prévalence de l’espace de production des services
(organisation professionnelle) sur l’espace institutionnel (composante politique). La
gouvernance se jouera désormais pour l’essentiel autour de la confiance instituée
entre président et directeur sachant que ce dernier est appelé à toujours mieux
répondre à la complexité croissante des exigences environnementales.
Nous insisterons lors de l’étape suivante de l’analyse institutionnelle sur la dimension
croissante de l’encastrement politique de l’association dans les politiques publiques,
avec une diversification des missions qui entraînera des ambigüités voire des
paradoxes sur les formes de régulation du cadre institutionnel.
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III-1975 – 2002 Rationalisation organisationnelle et
gestionnaire et résistance du modèle corporatiste de
développement
III – 1 une nouvelle logique subséquente de type « entrepreneurial »
Création de la direction Générale
La Loi de 1975 vient marquer un incontournable point de référence pour l’action
sociale. Elle constitue le premier mouvement d’encadrement réglementaire et aussi de
différenciation des champs d’activité, des missions, des fonctions. Elle ouvre une
nouvelle période de rationalisation administrative de l’action sociale. La Sauvegarde du
Morbihan n’échappe pas à cette ambition de rationalisation organisationnelle. L’heure
est déjà au regroupement des moyens.
Décidée fin 1975, l’intégration progressive des deux établissements du Pratel et de
Kervénic va accélérer l’effort important d’organisation de la Sauvegarde. C’est au tout
début de l’année 1977 que le Ministère de la Santé donne un avis favorable à la
création d’une Direction Départementale, et prévoit « que le siège administratif
percevra de chaque service des fonds pour ses besoins propres ». Deux ans plus tard,
le rapport d’activités de l’assemblée générale du 21 avril 1979 définit les fonctions du
Directeur de l’association : « Par délégation du Conseil d’administration, il anime et
coordonne la politique de l’association sous tous ses aspects et notamment sur les
plans technique, administratif et de la gestion… Les 170 salariés répartis sur les sept
établissements et services, précise ce rapport, nécessitent une organisation rationnelle
au niveau de l’association, et au niveau des institutions du travail.» On le voit, soit dit
en passant, le développement de l’association est déjà important à cette époque. Nous
sommes déjà loin de la création du premier poste salarié en 1942. Mais c’est surtout la
décennie qui vient de s’écouler, avec l’intense souci de développement et de créativité
dont ont fait preuve François Thomas puis son successeur, Adrien Le Formal, qui ont
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ainsi fait croître la taille de l’organisation. Ce n’est pas fini, puisqu’elle doublera de
volume au cours des vingt années suivantes.
En tous les cas, à la lecture de ce texte définissant les fonctions du Directeur de
l’association on se dit que l’esprit de la Loi de 1975 est bien passé par là. Et cette Loi,
même si elle vise déjà à rationaliser les choix budgétaires, favorise plutôt des créations
de structures complémentaires du côté du secteur associatif. Celui-ci saura s’en saisir.
A la Sauvegarde du Morbihan, le projet de la Direction de l’association est clairement
affiché : elle est là pour faire d’établissements diversifiés, « autonomes » (la culture
originelle de l’autogestion liée aux fondements de l’éducation spécialisée n’est pas
loin !), complémentaires entre eux, un ensemble homogène, un organisme vivant, bien
« calé » sur sa finalité éducative.
En fait, dès avant la mise en place de la Direction Générale, le directeur du secteur
lorientais a imprimé une logique de coordination entre les services vannetais et
lorientais. Déjà le service d’AEMO a créé une antenne à Vannes en 1974, et le service
de Placement Familial de Kercado a mis en place une équipe à Lorient. Les échanges
sont de plus en plus denses entre responsables et professionnels des deux
agglomérations. Chacun reconnaît et s’appuie sur le rôle central assumé par le
directeur du service lorientais. L’émergence de la Direction Générale se fera donc sans
crise.
La logique est alors de renforcer à la fois l’unité du corps associatif et l’adéquation de
chaque établissement à sa mission propre. On ne se trouve donc pas dans une logique
de regroupement administratif ou bureaucratique. L’autonomie de chaque structure,
d’une part, et l’unité organique de l’ensemble, d’autre part, sont de mise ! Ainsi, si la
section d’investissement est commune, par contre, les deux règlements intérieurs
restent distincts sur Vannes et Lorient, ainsi que ceux qui concernent chaque
établissement. Pas de souci de transversalité excessif alors ! Ces règlements intérieurs
cohabitent avec celui qui est mis en place pour l’association. Ressort avant tout le rôle
déterminant de la direction générale pour tout ce qui concerne la gestion. Pour le reste,
commence à se dessiner ce qui sera le fondement de la cohésion de l’organisation
associative sur l’ensemble de cette période 1975-2002 : « l’unité du corps associatif »
fondée sur la personnalité du directeur général, sur les liens étroits qu’il établit avec la
présidence, d’une part, et sur les liens personnels qu’il développe avec l’ensemble des
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acteurs, d’autre part, et en particulier avec ceux-là qu’il pressent pour des fonctions
d’encadrement étroitement référées à ses intuitions et à son propre jugement.
Le Conseil de Direction, instance phare de la Sauvegarde qui, pendant vingt ans,
constituera d’ailleurs le principal espace mensuel d’information et d’échange entre
cadres, se dotant d’un nom mythique, « le combat des chefs », est mis en place lors de
l’assemblée générale du 21 avril 1979, en même temps donc que la création de la
Direction Générale. En fait cette réunion entre responsables préexistait à cette
appellation officielle du Conseil de Direction ; ce nom aura d’ailleurs bien du mal à
supplanter, dans les références des salariés, celui autrement glorieux dont se sont
affublés les « chefs » ! C’est une instance ouverte aux Directeurs et aux Chefs de
service qui mêle informations, débats, convivialité. Ce n’est pas véritablement un lieu
de prise de décision, sauf sur des éléments fonctionnels et régulateurs. Par contre, en
matière de grandes décisions stratégiques, les choses se jouent essentiellement entre
directeur général et directeur ou chef de service concerné, l’autonomie importante des
structures maintenant ce lien de référence privilégié. Durablement d’ailleurs, les
acteurs extérieurs à la Sauvegarde auront une représentation assez centralisée de son
fonctionnement, les directeurs de service ou d’établissements étant perçus comme les
chefs de service du directeur général. En fait, il n’en est rien, car la délégation
technique est importante et l’autonomie réelle. Il n’empêche que cette vision n’est pas
non plus fausse, dans la mesure où cette autonomie des structures s’accomodera très
bien de ce mode de direction charismatique. Celui-ci aura été favorisé, on l’a vu, outre
les qualités intrinsèques du dirigeant, par les événements traumatiques pour
l’institution que nous avons mentionnés, à travers le licenciement du premier directeur
puis le décès prématuré du second, impliquant rupture des modèles antérieurs et
émergence progressive de la figure de « héros » venus sauver l’association de
différentes situations périlleuses. Cependant la plupart des associations, dans cette
période fondatrice de leur histoire, sans avoir connu forcément de tels événements, ont
reposé sur un tel modèle favorisant la cohésion identitaire et l’action, tout en
s’encombrant le moins possible de modalités administratives, organisationnelles ou
gestionnaires considérées comme des freins à l’action. C’est sur cette matrice que
s’est durablement installé et amplifié le modèle « corporatiste entrepreneurial »
particulièrement exemplaire en ce qui concerne la Sauvegarde de l’enfance et de
l’adolescence du Morbihan.
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Le déplacement de la Sauvegarde vers le champ de l’ insertion des adultes
Très rapidement, ce premier effort de rationalisation gestionnaire, limité, on l’a vu, au
regard de la forte prégnance d’un modèle identitaire de type charismatique, va se
trouver confronté à la nouvelle question sociale émergeant au milieu des années 80.
Le modèle du travail social s’effondre, confronté à une démultiplication des difficultés
d’ordre social dans un contexte de désaffiliation accentuée où les problématiques de
l’emploi se cumulent avec celles de la famille ou de la santé85. L’Etat répond par un
effort accru de rationalisation organisationnelle et gestionnaire dans un souci d’adapter
les visées aux moyens. Face à la généralisation des problématiques de chômage,
l’Etat va surtout initier un autre type de régulation qui restera durablement précaire face
aux grandes problématiques de la désaffiliation : c’est la mise en œuvre des politiques
d’insertion qui seront parfois qualifiées de politiques de traitement social du chômage ;
elles s’inscrivent notamment dans le cadre des politiques de la ville mises en place par
le gouvernement d’union de la gauche dans lesquelles les associations de Sauvegarde
s’engageront diversement. Celle du Morbihan, à l’instar de celle du Nord86 avec
laquelle il y aura d’ailleurs des contacts importants, mais dans une moindre mesure
cependant, en fera un axe fort de sa politique de développement.
Dans un contexte de généralisation de la crise économique et d’effort de rationalisation
gestionnaire de la part des pouvoirs publics, c’est essentiellement dans ce champ de
l’insertion que va se cristalliser le développement du modèle entrepreneurial de
l’association. Au cours des vingt années qui suivent, l’essentiel des établissements de
la protection de l’enfance se trouve posé. Quelques aménagements interviendront,
mais tout l’effort de l’association va surtout porter sur le développement d’un nouveau
champ d’intervention. A l’assemblée Générale de 1982, le nouveau Président, Charles
Tortuyaux, ancien directeur de CAF, qui a succédé à Madame Court, affirme que dans
un monde où les difficultés s’affichent à ce point, une association de travail social
comme la Sauvegarde ne peut se contenter de gérer consciencieusement ses
établissements. Elle doit être capable de percevoir et d’évaluer les besoins nouveaux,
85 Cf. en particulier à cet égard les travaux de Robert Castel. 86 Le Directeur Général de La Sauvegarde du Nord, Pierre de Saintignon, sera l’une figure de référence en la matière pour toutes les Sauvegardes de cette époque, à travers notamment le Groupement National des Directeurs d’Association. Articulant des fonctions sociales et politiques, il développera largement le secteur de l’insertion à partir de l’association qu’il dirigeait alors. L’une de ses chargées de mission viendra d’ailleurs accompagner des missions d’insertion de la Sauvegarde du Morbihan au cours des années 90.
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d’expérimenter et de promouvoir des interventions plus adaptées. Cette réflexion
donne le tempo de toute l’orientation stratégique de la Sauvegarde au cours des vingt
années suivantes : à part quelques ajustements, et de rares initiatives, le secteur de la
protection de l’enfance connaîtra peu d’évolutions structurelles. On le verra, ce secteur
sera laissé à l’initiative technique des équipes et peu investi par l’association et sa
direction. Avec d’ailleurs, paradoxalement, l’entretien par celle-ci d’une forme de
résistance à l’évolution des pratiques dans ce champ, en matière d’internat
notamment, qui sera l’un des paramètres de la crise de la dirigeance au cours des
années 1998-2002. Par contre, le champ de l’insertion des adultes sera celui où
l’essentiel de l’énergie et de l’intelligence associative sera mobilisé.
La première création d’établissement dans le champ de l’accueil et de la prise en
charge d’adultes sera celle d’un Foyer d’Hébergement, d’Accueil et de Coordination
pour des femmes en difficultés à Vannes, le 18 janvier 1982. C’est le Foyer Keranne
issu de la Congrégation qui a cédé ses établissements précédemment consacrés à
l’accueil des jeunes filles. A cette occasion, la Sauvegarde devra modifier ses statuts
car elle intervient désormais officiellement auprès d’adultes. Bientôt un dispositif
d’entraide composé de bénévoles viendra renforcer les professionnels du foyer dans
l’accompagnement de ce public adulte. On le voit, d’emblée, en s’ouvrant sur ce
champ de l’insertion des adultes, la Sauvegarde renoue spontanément avec les
intuitions de l’économie sociale et solidaire qui ont prévalu à sa création. Après des
années de professionnalisation intense, le bénévolat retrouve droit de cité, sans
aucune remis en cause d’ailleurs des logiques professionnelles. On parle d’un
dispositif « d’entraide », mais dans la mesure où ce n’est pas l’aide réciproque des
usagers qui est promue mais plutôt l’intervention de bénévoles porteurs des valeurs
humanistes et caritatives de l’association à son origine, c’est bien plutôt d’une
réactivation de la logique « d’aide » émergente dont il est alors question.
L’idée d’une crêperie au Pratel en 1985, qui assurerait la formation professionnelle de
jeunes adultes, en même temps qu’elle fonctionnerait comme une entreprise va
véritablement lancer la politique de l’association dans le champ de l’insertion.
Précédemment, à partir du jeune service des Réseaux d’accueil, des expériences
d’activité économique liées à l’insertion dans le domaine, par exemple, de la
récupération des vieux journaux, avaient déjà été lancées. Mais c’est à partir de cette
initiative du Pratel que la politique d’insertion par la formation et l’économique sera
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véritablement promue dans l’association. Les nouveaux partenaires se nomment
direction du Travail et direction de l’ANPE. Ce sont d’ailleurs des contacts
personnalisés avec tel directeur ou avec le directeur général, dont le réseau d’influence
devient dés lors déterminant, qui vont permettre à l’association de s’engager et de se
déployer largement sur ce champ.
Dès lors de nombreuses autres initiatives verront le jour dans le domaine de
l’insertion : chantiers de détenus à Belle-île, ateliers d’insertion, services
d’accompagnement social des demandeurs d’emplois et des bénéficiaires du RMI…
Les pouvoirs publics solliciteront également l’association pour reprendre la mission
départementale d’accompagnement social des Gens du Voyage à la suite d’une
association « trop militante », ayant, du fait d’une trop grande proximité avec les
usagers, rencontré des difficultés dans l’exercice de cette mission. On le voit, la
référence professionnelle de la Sauvegarde reste une garantie et un recours pour les
administrations.
Afin de bien distinguer les missions qu’elle initie dans le champ de l’insertion, et de
souligner en particulier les particularités de la dimension économique de l’entreprise, la
Sauvegarde se lance dans la création d’associations filiales participant avec elle d’un
même projet global d’utilité sociale. Elle en comptera quatre au début des années
2000 : la crêperie Projet du Pratel, la Cafétéria Bleu Citron à Ploemeur, la scierie
l’Olivier à Guidel, et enfin le Corbeau des Mers gérant un vieux gréement propriété du
musée de la résistance de St-Marcel. C’est le souci juridique qui a prévalu ainsi que la
volonté d’étendre le réseau de l’association, ces filiales devant constituer pour elle un
« vivier » d’administrateurs potentiels. En fait, on le verra, ce réseau d’associations
finira par user les meilleures volontés, pèsera aussi dans les difficultés économiques à
venir de l’association et la protégera mal des revendications de la part de salariés mis
en difficulté lorsque certaines ruptures s’avéreront nécessaires.
En 1992, une association gérant le CHRS « SOS Accueil » créé à Lorient en 1971 par
l’association d’origine caritative St-François, pour héberger des femmes en difficulté,
demande à être intégrée par la Sauvegarde. Cette association a connu une
transformation relativement récente de sa culture d’origine. Les bénévoles ont cédé la
place à des professionnels. Un directeur laïc vient de remplacer la religieuse qui était à
la tête de l’établissement. Les administrateurs ont du mal à se renouveler et le
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président préconise le rapprochement avec une autre association. La Sauvegarde qui
gère déjà un autre CHRS à Vannes paraît présenter les meilleures garanties pour
prendre le relais. La reprise du foyer par la Sauvegarde prendra la forme d’une
dissolution de l’association « A l’écoute » et d’une intégration pleine et entière. Cet
établissement et le directeur qui en est à la tête jouera un rôle important dans la phase
ultérieure, lors de la constitution d’un pôle Adultes-Familles de l’association. Toutefois,
faute d’un travail d’acculturation entre les deux associations lors de leur fusion-
absorption, c’est essentiellement sur un mode de gestion technique que se fera
l’arrimage de ce nouvel outil du travail social venant compléter sur Lorient le dispositif
de la Sauvegarde en direction du public adulte. Le maintien de la composante politique
de l’association « A l’écoute » sera très ténu. Un seul administrateur s’engagera
fortement une douzaine d’année, devenant même président de l’une des filiales. Le
Président quant à lui, ancien président national de la FNARS, et haute figure donc de
l’action sociale engagée, démissionnera au bout de quelques mois du conseil
d’administration de la Sauvegarde, estimant sans doute qu’à travers la passation de
pouvoir politique et la préservation du potentiel technique, l’essentiel avait été
accompli. Le directeur de l’établissement, Patrick Gaudin, s’inscrira aisément et
durablement dans le pacte associatif Sauvegarde garantissant, en échange d’une
loyauté à la personnalité du directeur général, une grande autonomie de gestion dans
la conduite et le développement des dispositifs placés sous sa responsabilité.
En fait, c’est malgré tout par le secteur de la protection de l’enfance que s’était initiée
cette politique d’innovation à la Sauvegarde, d’abord en direction des jeunes, et bientôt
des adultes. Mais le service des Réseaux d’Accueil, créé en 1978 pour favoriser, dans
le cadre de familles volontaires, l’accueil des grands adolescents ne relevant ni de
l’internat ni des familles d’accueil traditionnelles, évoluera lui-même pleinement par la
suite dans ce champ de l’insertion des adultes que nous venons d’évoquer. L’activité
originale et novatrice d’accueil des adolescents développée initialement sera alors
réintégrée dans un établissement de la protection de l’enfance, en l’occurrence le foyer
de Kerpont. Ce regroupement donnera lieu à la création du SAAMOA (Service
d’Accueil d’Adolescents et de Milieu Ouvert Adapté). Il est important de souligner le
rôle de ce directeur pionnier, Jo Daniel, qui après avoir innové dans le champ déjà
relativement normé de la protection de l’enfance va ensuite déployer sa créativité et
son énergie dans celui de l’insertion. Il sera une véritable locomotive de l’association
sur ce champ, inscrit lui-même fortement dans la culture charismatique, mobilisant une
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logique d’acteur capable de se saisir de tous les espaces d’incertitude ouverts par la
nouvelle forme de régulation publique qui se cherchait alors dans ce domaine de
l’insertion. Il est certain qu’aujourd’hui beaucoup de ces marges de manœuvre ont été
réduites par l’Etat et ses administrations ; c’est sans doute faute d’avoir perçu à temps
les nouvelles contraintes qui se dessinaient et de s’y être conformée que l’association
a pu se retrouver, un temps, engagée dans certaines impasses et connaître ainsi des
difficultés économiques majeures. Quoiqu’il en soit, sur le plan de l’analyse stratégique
qui n’est pas véritablement l’objet de ce travail, on pourrait qualifier ce directeur
emblématique d’acteur marginal séquent pour reprendre la terminologie de Crozier87,
capable de mobiliser toute l’énergie d’une organisation autour d’une incertitude
majeure qui serait le type de modèle à promouvoir pour les associations d’action
sociale dans cette période où explose la problématique de l’insertion et de la
désaffiliation sociale. Entre régulation tutélaire dont il s’agit de s’émanciper et
régulation d’insertion se cherche une voie qui permettrait de renouer avec les idéaux
fondateurs de l’association. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il sera largement
suivi, par la direction générale comme par l’association et son président, les uns et les
autres cherchant à l’époque à réancrer la dynamique de l’association dans les
nouvelles problématiques sociales émergentes : meilleure manière de résister, par
ailleurs, à la tutelle croissante de l’administration sur les services et établissements
habilités et conventionnés.
L’approfondissement clinique et les logiques corpor atistes dans le champ de la
protection de l’enfance
Les transformations dans le champ de la protection de l’enfance au cours de ces
années se joueront très peu en référence aux axes de la politique associative
davantage mobilisée sur le champ de l’insertion. Par contre la formation
professionnelle centrée sur des techniques d’intervention familiale, notamment
systémiques, constituera un véritable levier de transformation des cultures
professionnelles. Celles-ci restent très fortement autocentrées sur le modèle de
l’équipe. La revendication identitaire des équipes est telle que quelques années après
la création du service de milieu ouvert de Lorient, l’équipe de Vannes conduite par un
chef de service référé à la direction de Lorient demande son autonomie et l’obtient de
87 Michel Crozier, L’acteur et le système, Les contraintes de l’action collective, Ed. du Seuil, Paris, 1981.
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la direction générale. Le directeur général devient alors le référent d’un cadre de
direction supplémentaire directement rattaché à son autorité. On peut d’ailleurs se
demander si le modèle d’organisation ne repose pas, tout au long de cette période, sur
une recherche d’augmentation du nombre des branches de l’étoile rattachées à
l’autorité charismatique du dirigeant. Les statuts du Groupement National des
Directeurs d’Association reposent d’ailleurs eux-mêmes sur la définition d’un nombre
minimum de directeurs placés sous l’autorité du directeur général comme critère
d’adhésion de ce dernier. Mais comme nous l’avons vu, c’est essentiellement dans le
champ de l’insertion que ces développements et ces créations de postes auront lieu.
Dans le domaine de la protection de l’enfance, on assiste au renforcement des
logiques corporatistes par métier, par différenciation successive avec la matrice
originelle de l’internat. Celui-ci et ses professionnels se voient d’ailleurs
progressivement discrédités au profit de l’émergence des nouveaux métiers de la
protection de l’enfance qui tous se dotent d’un mouvement professionnel national,
contrairement à l’internat : c’est ainsi que le Carrefour National d’action éducative en
milieu ouvert (CNAEMO), l’Association Nationale des services de Placements
Familiaux (ANPF), la Fédération Nationale des services d’investigation (FN3S), le
Comité de Liaison des services de prévention spécialisée (CNLAPS) et d’autres
mouvements professionnels structurent des champs de compétence dans le domaine
de la protection de l’enfance qui ne seront pas sans effet sur un renforcement des
cloisonnements entre établissements et services au sein de chaque organisation. Les
Directeurs Généraux d’association, par ailleurs, fondent le GNDA (Groupement
National des Directeurs d’Associations), au sein duquel, Adrien Le Formal, Directeur
général de la Sauvegarde 56 jouera un rôle très actif et dont il sera président au cours
des années 80. Ces mouvements professionnels de type corporatistes, à l’exception
du GNDA dont c’est en quelque sorte le champ d’intervention, se préoccupent peu de
la logique d’organisation transversale au sein des associations, et pas davantage de la
composante politique. C’est une période où les logiques sont segmentées et où les
associations sont relativement isolées les unes par rapport aux autres. Les Présidents
et les administrateurs des diverses associations se rencontrent rarement. Par contre
les corporations professionnelles par métiers créent des réseaux extrêmement forts
dont les effets se font sentir au sein de chaque organisation.
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Du côté des politiques publiques, dans le cadre de la décentralisation qui confie aux
Départements la mission de protection de l’enfance, les coordinations territoriales
commencent à s’organiser. Les circonscriptions d’action sociale se mettent en place
mais on peut difficilement encore parler d’un véritable pilotage de la protection de
l’enfance à l’échelon territorial. Cela laisse donc beaucoup de latitudes aux équipes
professionnelles des différentes associations pour construire, en lien toujours étroits
avec les magistrats, leurs propres méthodologies d’intervention qui ne se trouvent
reliées ni à une dimension globale de projet de l’association, ni à une logique
d’intervention publique clairement définie. Par contre, un nouveau champ d’intervention
est apparu : celui de la famille en difficulté ; les politiques publiques ne cesseront de
chercher à en dessiner plus finement les contours. L’évolution de la législation aboutira
à la Réforme de la Protection de l’Enfance en 2007 cherchant à faire concourir
l’ensemble des acteurs y compris les parents eux-mêmes à l’intérêt de l’enfant.
Une réalisation de l’année 1986 répond à la demande des magistrats de Vannes et de
Lorient – leur influence ne s’est toujours pas démentie -, c’est le service d’enquêtes
sociales dans le cadre des situations de divorce dont l’ouverture est signalée au
conseil d’administration du 27 septembre 1986 et géré directement à partir de la
direction générale. C’est une autre particularité des organigrammes de l’époque : le
directeur général, c’est le cas à la Sauvegarde du Morbihan, exerce la gestion directe
d’un ou plusieurs services. Occasion de ne pas perdre la main sur la logique de terrain
dont presque tous les directeurs généraux à cette période sont issus. Mais façon aussi
de renforcer la logique d’organisation en étoile très visible dans les organigrammes de
ces années 1990-2000.88
L’amorce des premiers schémas territoriaux, notamment de la protection judiciaire de
la jeunesse, se traduisent par des mouvements de réaction corporatistes très forts de
la part des acteurs associatifs qui se regroupent alors en réseaux défensifs. Le
directeur général de la Sauvegarde du Morbihan jouera un rôle de première ligne dans
cette résistance sur le territoire breton et sera de tous les combats dès lors qu’il s’agira
d’opposer l’identité associative à la logique administrative et bureaucratique cherchant
à instrumentaliser le secteur associatif en le réduisant au seul rôle de prestataire de
services. Le directeur départemental de la protection judiciaire du Morbihan en fera les
frais lors d’une séance solennelle de présentation des travaux du schéma de protection
88 Cf. Annexe, Organigrammes.
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judiciaire de la jeunesse en présence du Préfet au début des années 90, étant renvoyé
par ce dernier à ses études préalables à un vrai schéma, suite à une interpellation
vigoureuse du réseau associatif solidaire pour l’occasion. Issu moi-même de cette
administration de l’Education Surveillée, devenue entre temps, la Protection Judiciaire
de la Jeunesse, j’avais été chargé par le directeur général, en accord avec les autres
directeurs d’association, de la rédaction et de la lecture lors de la séance publique de
cette analyse critique de la méthodologie extrêmement tutélaire mise en œuvre par
l’administration pour ce premier schéma d’action territorialisée, réduisant à la part
congrue la contribution associative. Il y a de l’écho, on le voit, dans les logiques
d’affiliation au sein de cette association ! L’action privilégiée à cette époque par
l’association, notamment en matière de protection de l’enfance, est, en effet, avant tout
politique, sur un fond corporatiste et défensif, persuadée que le meilleur sur le plan
technique est produit par ses équipes. Elle n’est cependant pas du tout prospective et
coopérative et c’est la raison pour laquelle elle reste profondément segmentée. Ce
sont notamment les initiatives des pouvoirs publics et de nouvelles législations qui
permettront à l’aube des années 2000 une transformation en profondeur des réponses
techniques du secteur.
Un lieu d’écoute, Jalons, répondant en particulier aux vœux d’un administrateur de voir
créer un lieu où l’on puisse se parler entre parents et adolescents à l’occasion de
difficultés passagères, observées dans de nombreuses familles inconnues du travail
social, voit également le jour. Il sera lui aussi géré directement par le directeur général
qui mobilise une psychologue du service de milieu ouvert, et surtout son réseau de
relation pour trouver des financements que le département lui refuse. Il s’agit là d’un
lieu exemplaire de l’affirmation du modèle entrepreneurial de l’association. L’action
proposée repose sur l’expertise d’une professionnelle psychologue développée au fil
des années au sein d’une équipe qui s’est elle-même située comme experte de
l’approche systémique en direction des familles. Sans aucun financement du Conseil
Général en charge de la population visée, mais sur l’appui d’un réseau de partenaires
amis de l’association, la direction générale tente de maintenir à bout de bras cette
activité. Voilà comment le journal du Tourmentin89, sous la plume de Pierre Cueff,
rapportait à la fin des années 90 la dynamique qui sous-tendait cette aventure : « les
activités « non-habilitées » (depuis nommées « en gestion propre »), expriment à leur
89 Le Tourmentin, nom du journal de l’association créé au début des années 90, en référence à la petite voile que l’on hisse par gros temps ! En 2007, le Tourmentin deviendra « Le journal de l’association ».
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façon la personnalité associative, la signification profonde de son existence : les
associés exercent leur citoyenneté en repérant les besoins et en apportant des
éléments de réponse. Là où les financements par la collectivité ne suivent pas, c’est
aux associés de les trouver. Mais la générosité des donateurs n’aboutit pas
nécessairement à l’équilibre financier… le service « Jalons » représente bien cette
initiative d’utilité sociale portée par l’association… » L’association prendra donc des
risques, avec ce service comme avec d’autres, pour affirmer sa vocation sociale qui ne
saurait se réduire à la pure et simple gestion d’établissements sociaux. Elle se fait
aussi un devoir de répondre aux nouveaux besoins sociaux émergents.
Au cours de ces années, l’association développera également, justement à partir de
cette équipe de milieu ouvert de Vannes, une action bénévole, en soutien scolaire pour
prolonger l’action des professionnels intervenant auprès des familles. Ce dispositif
comptera régulièrement une vingtaine de bénévoles. Une articulation de grande qualité
y sera développée entre les acteurs professionnels et bénévoles, notamment basée
sur un dispositif d’évaluation et de formation continue des seconds par les premiers. A
l’instar du réseau de bénévole mis en place autour du CHRS de Vannes, les bénévoles
de l’AEMO, tout comme les donateurs qui contribuent à l’expérience de Jalons
contribuent donc à une tentative de refondation de la logique « d’aide » émergente et
cherchent à élargir la dimension « d’utilité sociale » de l’association. Si ces tentatives
restent limitées - le réseau des bénévoles du CHRS disparaîtra au départ du directeur
du CHRS mais l’un des bénévoles s’engagera durablement dans l’une des filiales puis
dans le bureau de l’association ; et le service Jalons, en dépit de la qualité des
services rendus et des aides apportées ne parviendra pas, faute d’aide du
Département, à pérenniser son action – elles préfigurent néanmoins la nécessité d’une
réaffirmation de la dimension solidaire de l’association qui reste toujours pour elle, plus
que jamais, en 2009 un axe politique fort.
Donner du sens à l’association
Dans le souci de mobiliser les bénévoles, les adhérents, les administrateurs à
l’information, à la réflexion et au débat avec les salariés sur les causes, l’étendue, les
effets de l’inadaptation sociale, la Sauvegarde organise des conférences-débats
ouvertes aux salariés, aux administrateurs et au public. En 1981, le thème proposé est
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par exemple : Assistance et Responsabilité… Dès cette époque l’ambition est de faire
en sorte que l’association constitue une sorte de relais pour les professionnels de
l’action sociale en direction de la société. La question de l’identité des associations
gestionnaires d’établissements et services est posée. Jusqu’à ce jour la réponse
associative est de ne pas vouloir se laisser enfermer dans la seule logique gestionnaire
ou de prestation de service. Chacune d’entre elles peinent cependant à trouver ses
marques. C’est cependant dans la période ultérieure, au cours de laquelle les pouvoirs
publics affirmeront toute leur ambition d’administrer et de gérer de manière plus
rationnelle tout ce grand champ de l’action sociale, que la question de l’identité
associative émergera de manière tout à fait cruciale.
En 1994, l’association diffuse sa charte associative : une philosophie pour l’action. Il
ne s’agit pas encore d’un projet associatif. Il faudra attendre une dizaine d’années
encore pour l’écriture du premier projet associatif. Mais le besoin exprimé est de
rechercher l’essentiel et d’expliciter ce qui fonde l’action poursuivie par l’association
depuis de nombreuses années déjà : « Au moment où le chômage, la précarité et la
pauvreté s’étendent tandis que s’essouffle « l’Etat-providence » dans ses efforts pour
maintenir la cohésion sociale, la Sauvegarde éprouve le besoin de se recentrer sur ses
valeurs fondatrices. »90
La plupart des projets développés, notamment en matière d’insertion, au cours de cette
période sont porté par des groupes de travail, ou des commissions, regroupant des
administrateurs ou des salariés. Leur réalisation suppose des contacts et des
connaissances de toutes sortes, qui dépassent le plus souvent les possibilités d’une
seule personne et requièrent un travail en équipe. Ces commissions sont l’expression
d’une vie associative réelle, et la condition de l’efficacité dans la réalisation. « Pas un
seul conseil d’administration des deux années 85/86, écrit dans un document interne -
Il était une fois la Sauvegarde91- Pierre Cueff, secrétaire de l’association et ancien
directeur du service de milieu ouvert, qui n’entende les rapports de ces commissions.
Ce que projette la Sauvegarde prend-il le pas, dans ces assemblées, sur ce qu’elle fait
quotidiennement ? Il y a sûrement un équilibre à respecter, et tout le monde en a
90 Charte de l’association, Une philosophie pour l’action, 1994. 91 Pierre Cueff, « Il était une fois la Sauvegarde… », recueil de notes historiques sur l’association parues dans le journal Le Tourmentin. Nous avons puisé nombre d’informations pour ce mémoire dans ce travail réalisé par Pierre Cueff alors qu’il était administrateur de la Sauvegarde. L’occasion pour moi de rendre hommage au directeur auquel j’ai succédé à la responsabilité du service de milieu ouvert, fidèle aux valeurs et à l’histoire, et confiant dans la force instituante d’une association comme la Sauvegarde.
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conscience. » La question est mesurée. Il n’empêche, la volonté d’entreprendre est si
forte dans l’association qu’elle ne cessera de faire entendre sa voix au cours des
quinze années suivantes : les signaux d’alerte dans le domaine de la gestion, la
résistance de l’environnement et en particulier du Conseil Général, ni même les
interpellations émanant de l’intérieur même du Conseil de Direction de la part de
domaines éducatifs se sentant moins pris en compte, ne suffiront pas à infléchir
l’orientation donnée. Seuls les impératifs de la réalité économique au début des
années 2000, la Loi du 2 janvier 2002 remettant l’accent sur les établissements
traditionnels de la Sauvegarde, le changement de direction réinscriront
progressivement l’insertion à sa juste place comme mode d’action complémentaire par
rapport à l’ensemble des équipements de l’association. Le temps était venu d’une
vision d’ensemble du dispositif. L’heure du projet associatif avait sonné.
III – 2 Analyse institutionnelle de la nouvelle phase d’adaptation
Une logique subséquente de développement entreprene urial
Nous l’avons vu, au cours de cette période 1975-2002, la Sauvegarde de l’enfance et
de l’adolescence du Morbihan, à la fois ancrée dans un modèle professionnel de plus
en plus encadré par des normes publiques d’habilitation et de gestion, déplace son
centre de gravité au regard des nouvelles problématiques sociétales qui se dessinent.
Une manière de manifester la résistance du modèle associatif à une pure et simple
instrumentalisation de son action, sa capacité à se déplacer, à anticiper, à mobiliser
ses acteurs lui laissant, même dans un contexte plus contraint, d’assez larges marges
de manœuvre pour continuer à affirmer l’originalité de son utilité sociale. Toujours est-il
qu’au cours de cette période l’association a fortement exprimé son souhait de ne pas
se voir réduite à un simple isomorphisme du modèle administratif qui édictait alors des
règles et des normes de plus en plus précises. Elle y a partiellement réussi, mais
essentiellement sur le mode d’une action portée, en particulier, par quelques
professionnels militants, et pas véritablement par une rénovation en profondeur de
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l’espace public associatif. Le conseil d’administration est toujours composé à la fois de
membres de droit représentant les différentes autorités administratives et judiciaires, et
cela n’a pas changé depuis la création de l’association, et de membres adhérents
généralement cooptés pour leur compétence au regard de l’objet de l’association -
avocat, notaire, architecte, assureur, entrepreneur en bâtiment – ou pour, à la fois, leur
compétence et leur notabilité : directeur de CAF en ce qui concerne le Président. La
relance d’une action bénévole est un indicateur malgré tout intéressant à cette époque,
révélant une capacité de certains, y compris parmi les salariés, d’avoir une vision qui
porte au-delà du seul modèle professionnel dont la prégnance est toutefois fortement
impactée par la taille même de l’organisation qui compte, à la fin des années 2000, 350
salariés.
S’il faut parler de gouvernance, elle penche donc tout particulièrement du côté de
l’organisation professionnelle, les instances associatives avalisant le plus souvent les
initiatives de l’encadrement militant, persuadé qu’il y a dans le domaine de l’insertion
un champ nouveau dans lequel « l’association ne peut pas ne pas se trouver
engagée ». Plusieurs directeurs, en plus de la mission principale sur le budget de
laquelle leur salaire est payé, développeront ainsi une action « bénévole » dans le
champ de l’insertion dont le caractère même masquera un certain temps la fragilité
économique grandissante sur laquelle repose le modèle de développement de
l’association.
Cette logique subséquente que nous qualifions d’ « entrepreneuriale », par
différenciation avec la logique « publique » caractérisant la période antérieure et qui
continue d’ailleurs à structurer en profondeur jusqu’à ce jour le cadre institutionnel de
l’association, nous nous proposons de la définir en reprenant les mêmes éléments du
cadre institutionnel que précédemment. Disons tout de suite, d’ailleurs, qu’elle
s’approche par certains aspects de la logique «privée » qui est clairement quant à elle
celle de l’entreprise fondée sur la libre concurrence, la satisfaction de la clientèle, la
performance, le rendement et l’économie marchande. Toute une part du
développement de la Sauvegarde s’est trouvée inscrite de fait dans cette logique
« privée ». Mais l’état d’esprit et les références, la convention collective par exemple,
les qualifications et les compétences mobilisées continuaient à relever pour l’essentiel
de la logique « publique » régissant les associations d’action sociale. C’est donc une
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logique intermédiaire qui a été bricolée au cours de ces années dessinant toutefois les
prémisses de la régulation d’insertion dont il sera question un peu plus loin.
En ce qui concerne la professionnalisation dans cette logique « entrepreneuriale »,
on observe un mixe entre la référence aux compétences et aux qualifications
classiques du travail social et la recherche de profils moins qualifiés susceptibles, dans
le cadre de la convention collective qui s’applique pour tous, d’entraîner moins de
charges. C’est aussi l’occasion d’une sorte de gestion implicite de l’usure
professionnelle dans les autres secteurs de l’association. On voit ainsi cohabiter dans
ces actions, de manière tout à fait paradoxale sur le plan budgétaire, des éducateurs
spécialisés avec beaucoup d’ancienneté, et des nouveaux venus sans diplômes
professionnels mais recrutés pour une compétence repérée dans un domaine proche
de l’action visée et pour leur motivation. Les règles administratives sont beaucoup
moins précises, il est vrai, en matière de recrutement que pour le secteur de la
protection de l’enfance, par exemple. Ce qui est visé, c’est malgré tout une certaine
performance, une capacité d’efficacité et de rendement dans un secteur où
l’accompagnement technique sera moins fort et où l’exigence quantitative de suivis,
liée aux financements, sera, elle, élevée.
L’inscription dans l’action publique locale repose, elle, sur des normes qualitatives
relativement peu définies au départ - elles le seront de plus en plus par la suite avec la
mise en œuvre de la politique d’évaluation - et davantage sur la fixation d’objectifs
quantitatifs. Les publics doivent relever d’une prise en charge dans les dispositifs de
droit commun ou parfois dans ceux plus spécifiques de l’administration pénitentiaire.
Les destinataires restent donc des ayant-droits déterminés par les politiques
publiques. A cette période où les appels d’offre ne sont pas généralisés, c’est souvent
l’administration qui sollicite, sur la base de financements très peu en rapports avec les
contraintes objectives de l’association, mais en laissant toutefois une large marge de
manœuvre quant au contenu des actions conduites : ainsi un professionnel seul, non
diplômé, accueillera-t-il pendant plusieurs années des groupes de détenus pour des
chantiers nature à Belle-Île.
La régulation avec l’environnement institutionnel est donc très bonne en ce qui
concerne les administrations mobilisées par la politique de l’emploi qui ont peu à voir
avec la structure économique globale de l’association, et se dégrade, au contraire, de
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plus en plus avec le principal financeur des actions habilitées, le Département, qui
interpelle de plus en plus vigoureusement l’association sur son modèle de
développement. Des facilités budgétaires sont progressivement remises en cause ;
des dépenses ne sont plus acceptées, ce qui obligera l’association au cours de la
phase ultérieure à renégocier entièrement la structure de son financement.
L’hybridation de l’économie se réalise partiellement avec la plus grande vigilance du
bureau et, en particulier, du Président juriste de l’association sur cette période, Claude
Pierre, avocat au barreau de Vannes : les filiales sont créées pour tout ce qui concerne
la logique « privée » d’entreprise où s’articulent financements marchands et publics
quasi-marchands. Nous sommes dans le cadre d’une « gestion propre » où tout
excédent serait gardé par l’association ou par ses filiales, et où tout déficit doit être
supporté par elles. Partout, c’est le déficit qui s’imposera, avec pour conséquence la
fermeture des quatre associations filiales par dépôt de bilan, et la renégociation avec le
Département pour la Sauvegarde des conditions de sa remise à flot : la vente du
patrimoine constitué lors de la période de développement des actions éducatives sera
alors une clef décisive.
La régulation politique/économique repose forcément, une fois encore, pour toute
cette phase de développement de la logique « entrepreneuriale », sur l’accord
déterminant entre le président et le directeur général. Cet accord sera longtemps de
mise. Il sera remis en cause notamment lors de la nomination d’un nouveau Président,
justement chef d’entreprise, Guy le Huidoux, architecte à Vannes qui aura la tâche à la
fois de redresser l’entreprise sociale, de nommer un nouveau directeur général et
d’amorcer l’adaptation du patrimoine au regard des nouvelles contraintes contextuelles
de la Sauvegarde. Il faut noter que tout au long de cette période, la dimension
stratégique opérationnelle, au regard du champ singulier en pleine création, a
largement pris le pas sur l’association, renforçant la primauté de l’organisation
professionnelle sur l’espace public associatif. Il n’a pas été simple pour le conseil
d’administration de contenir l’initiative de professionnels entrepreneurs encouragés par
leurs regroupements corporatistes nationaux et séduits par leur nouvelle faveur auprès
des partenaires publics et des élus locaux. L’association en a également retiré une
certaine plus-value en termes d’image d’association dynamique et en mouvement mais
dont les bases économiques, mais aussi la solidité en termes de politique associative,
s’avéraient précaires.
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Les tentatives de déplacements de l’encastrement po litique : d’une régulation
tutélaire à une régulation d’insertion de plus en p lus concurrentielle
Au cours de la dernière partie de ce mémoire, la question de l’encastrement politique
de l’association va devenir la question cruciale déjà esquissée à travers la période que
nous abordons. Nous l’avons déjà approchée en filigrane tout au long de ce travail.
Mais tout se passe comme si elle allait devenir progressivement la question centrale
autour de laquelle se joue l’identité, l’avenir, voire la survie d’associations comme la
Sauvegarde 56.
Quelques mots tout d’abord sur la notion d’encastrement : elle repose sur l’analyse de
la contingence qui établit une interaction étroite, bien que non mécanique, entre la
dynamique des structures organisationnelles et les évolutions de l’environnement
socio-économique et politique. Ainsi, on a pu observer les déplacements de la
structure de la Sauvegarde en lien avec la crise économique et le développement de
nouvelles formes de précarisation sociale. Le marché, l’emploi, les institutions, les
politiques publiques, mais aussi le développement des technologies sont autant de
composantes environnementales s’imposant aux organisations et constituant autant de
« champs fractionnés qui apportent des exigences contradictoires auxquelles
l’organisation doit s’adapter. »92 Or la particularité de ces conditions environnementales
pour les associations font que celles-ci, à la fois « cristallisent des besoins et des
attentes individuels en les transformant en projet d’action collective, et entretiennent
des relations avec les politiques publiques qui lient l’action collective qu’elles déploient
à l’action publique. »93 Cette forte prégnance des politiques publiques, mais aussi des
institutions de contrôle et de tutelle, des réseaux locaux, régionaux et nationaux, de la
politique de l’emploi et des enjeux territoriaux de partenariat ou de concurrence, va à la
fois peser sur les modes d’intervention de l’association mais aussi conduire l’analyse à
forcément prendre en compte l’interaction permanente entre la régulation publique et
les initiatives associatives. Ainsi, à l’égard des contingences externes observe-t-on
« une volonté des associations de promouvoir un débat sur les combinaisons
pertinentes entre autonomie et hétéronomie pour le développement de leurs
actions. »94 D’où cette définition de l’encastrement politique : il s’agit de « l’ensemble
92 SciencesPo, « Les fonctionnements associatifs », session juillet 2007. 93 Idem 94 Idem
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des interactions entre pouvoirs publics et initiatives se traduisant par des effets mutuels
dont l’intensité et les modalités varient considérablement dans le temps. »95
Cette analyse de l’encastrement politique sur laquelle portera désormais notre étude
visera, d’une part, à identifier les modalités de reconnaissance, de sélection et de
normalisation des initiatives de la Sauvegarde 56 par la puissance publique mais aussi,
d’autre part, à identifier l’influence des initiatives de l’association sur les formes de la
régulation publique. C’est au regard de cette analyse que pourront être posés en
particulier les nouveaux enjeux de la gouvernance associative.
Au cours de cette période 1975-2002 plusieurs formes de régulation publique sont à
l’œuvre dans l’association, et l’on pourrait même dire à l’épreuve, comme s’il s’agissait
pour les pouvoirs publics comme pour la Sauvegarde 56 de définir entre eux une forme
stable de relation qui n’aurait pas encore été trouvée. En effet, en dépit, comme on la
vu, d’une origine antérieure, depuis la création des Sauvegardes par les pouvoirs
publics, depuis les ordonnances de 1945 et 1958 qui encadrent plus précisément les
actions conduites sous main de justice, à plus forte raison depuis la rénovation de
l’action sociale en 1975, une tendance lourde est à l’œuvre concernant les
associations du type de celle de la Sauvegarde 56. C’est la tendance à une forme de
régulation de type tutélaire qui résulte de l’élaboration de cadres réglementaires et
financiers toujours plus précis, notamment par les mécanismes d’autorisation et
d’habilitation, par l’exercice de contrôles budgétaires, par l’obligation de qualification et
de technicité, par une certaine modélisation enfin des associations selon des champs
définis par les politiques publiques. Il s’agit d’une régulation de sous-traitance où les
associations sont confinées au rôle de suppléantes de l’Etat et des services publics en
tant que prestataires de service.
C’est contre cette tendance que se mobilisent la créativité et la stratégie associatives
selon deux axes : d’une part celui de l’ajustement des degrés d’encastrement politique,
et, d’autre part, celui du déplacement vers une nouvelle forme de régulation dite
« d’insertion ». L’association cherche à être visible et présente dans l’espace de
l’action sociale territoriale mais elle peine à renouveler du côté du Département, avec
l’arrivée d’une nouvelle direction au début des années 90, les espaces plus ou moins
informels de consultation et parfois de décision auxquels elle avait pu participer au
95 Idem
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cours de la période précédente. Le Département lui-même était peu structuré, mais
faisait vivre malgré tout, par exemple, un comité de liaison et de coordination des
travailleurs sociaux. La Sauvegarde y avait pleinement sa place et participa même de
manière active, avant le changement de direction à la DDISS, à l’élaboration d’une
sorte de diagnostic départemental. L’arrivée du nouveau directeur interrompt ces
pratiques et fait entrer l’association dans un espace beaucoup plus serré de
négociations. S’il n’a jamais été question de parler d’une forme de régulation
conventionnée, co-construite entre acteurs associatifs et responsables du
département, il a malgré tout existé un type de régulation informelle laissant une large
place aux relations interpersonnelles et politiques (rappelons que la présidente de
l’association fut longtemps vice-présidente du Conseil Général) et atténuant les effets
de la régulation tutélaire. A partir du début des années 90, ces espaces informels
disparaissent, et l’association se trouve directement confrontée à cette régulation de
type tutélaire qui la contraindra largement à s’adapter.
Mais c’est aussi la période, et c’est l’autre axe déployé par la Sauvegarde 56 pour
échapper à la régulation de sous-traitance du Département et de l’Etat l’enfermant
dans un rôle de prestataire de service, où elle s’engage encore plus fortement dans la
voie de l’accompagnement social des adultes qui la renvoie, cette fois-ci, à une
régulation « d’insertion ». Il s’agit là d’un type de régulation très segmenté tant en ce
qui concerne les financements, les durées d’action, les publics, que les donneurs
d’ordre. L’objectif global pour les politiques publiques est de réguler, par des
interventions actives et ciblées, l’emploi et la main d’œuvre. On parle de traitement
social du chômage. La régulation passe d’une logique de projet à une logique de
programme où il s’agit de définir des publics cibles susceptibles de relever de telle ou
telle action d’insertion ou de formation professionnelle et de désigner les lieux d’accueil
agréés. La Sauvegarde se lance donc, avec dynamisme, et en multipliant les
initiatives, dans cette nouvelle logique d’action sociale. Elle en retire d’abord, en
termes d’encastrement politique, une visibilité plus grande sur l’espace départemental
d’action sociale. Elle est identifiée non seulement comme acteur de référence dans le
domaine historique de la protection de l’enfance, mais aussi dans ce nouveau champ
émergent. Il en résulte une légitimité plus large à contribuer à l’intérêt général et une
plus grande reconnaissance. Les interactions sont plus nombreuses avec les pouvoirs
publics, préfectures et sous-préfectures, administrations d’Etat notamment, et avec les
élus. Elle est de plus en plus souvent directement sollicitée pour développer telle ou
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telle action. C’est une régulation extrêmement gratifiante pour les « entrepreneurs »
sociaux qui ont pris les commandes au sein de l’association. L’espace public de
l’association ne s’en trouve pas pour autant accru : le nombre des adhérents reste
toujours aussi faible ; il a d’ailleurs fondu au cours des vingt-cinq dernières années,
passant de 120, sous la présidence de Madame Court, à une trentaine à la fin des
années 90.
Mais cette régulation d’insertion a aussi un revers : ses champs se recouvrent de plus
en plus avec une forme de régulation davantage concurrentielle. Les administrations
découvrent les vertus du code des marchés public pour réguler l’offre disponible et
l’améliorer par une mise en concurrence des acteurs au niveau local. L’association
participe donc de plus en plus fréquemment à des marchés publics de manière
concurrentielle avec d’autres prestataires. Or elle mal intégré dans sa structuration,
dans sa politique de recrutement, cette nouvelle logique gestionnaire. La complexité
technique croissante des dossiers n’a pas été suivie de la professionnalisation exigée
en matière de gestion des services. Sur certaines actions, comme l’accompagnement
à la création de micro-entreprises pour les voyageurs, la participation économique
directe des usagers ne suffit pas à équilibrer les comptes. L’association, face au
glissement de la régulation d’insertion où l’accord avec les pouvoirs publics était
encore négociable, vers une régulation de plus en plus concurrentielle devra choisir, au
moins temporairement de se recentrer, avant d’avoir retrouvé l’assise gestionnaire qui
lui fait défaut, sur ses missions de base davantage référées à une régulation de type
tutélaire. Elle semblera y perdre pour un temps certaines marges de manœuvre, mais
elle y retrouvera aussi le sens collectif du projet qui lui faisait défaut.
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IV – 2002-2009 L’administration territorialisée de
l’action sociale et les nouveaux enjeux de la
gouvernance associative
IV-1 Crise du modèle corporatiste entrepreneurial
La Sauvegarde 56 face au renforcement des contraint es publiques locales
Depuis 2002, la Sauvegarde 56 n’a pas échappé à une nécessaire transformation de
son mode d’organisation, à la fois pour des raisons internes mais aussi du fait d’une
forte évolution contextuelle des modes de régulation publique. L’ensemble de l’action
sociale est alors véritablement entrée dans une deuxième phase de rationalisation
budgétaire et gestionnaire, que nous qualifierons plus loin de technocratie
managériale, après celle initiée en 1975 par la loi rénovant l’action sociale et médico-
sociale : loi 2002-2, décret budgétaire 2003, nouvelle architecture budgétaire, Sièges
sociaux et services gérés en commun, Contrats Pluriannuels d’Objectifs et de Moyens,
Groupements de Coopération Sociale et Médico-sociale…
La loi de 1975 avait surtout eu des effets de structuration dans le champ sanitaire et
médico-social ; le champ social reste lui en pleine création : la possibilité de prendre
des initiatives risquées selon une véritable logique d’entrepreneuriat social demeure ;
les marges de manœuvre sont restées importantes. La normalisation technique n’est
pas encore vraiment en marche comme elle l’est dans le secteur médico-social. La
Sauvegarde du Morbihan, refusant de se laisser enfermer dans la simple prestation de
service et dans la seule gestion de ses équipements habilités existants, saura se saisir
des opportunités qui lui sont laissées, promouvant notamment le développement
d’actions de formation et d’insertion, le plus souvent sur la base de budgets risqués.
Cette forme de résistance entrepreneuriale observée en particulier dans le champ des
Sauvegardes peut être considérée, avons-nous dit, comme une logique subséquente
de la logique publique qui a toujours prévalu en ce qui concerne ces associations,
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parfois entrecroisée au départ, on l’a vu pour la Sauvegarde du Morbihan, avec une
logique d’aide. C’est, en effet, à la fois en réaction à un renforcement de la logique
publique sur le champ des activités habilitées, mais aussi dans une perspective
d’exploration de nouveaux secteurs d’action sociale, rendus notamment nécessaires
par la dérégulation du marché du travail, que s’instaure cet effort entrepreneurial dans
les champs de l’insertion et de la formation : cet engagement aura aussi pour visée de
donner à ces associations un regain d’autonomie face à la pression croissante
qu’exercent les opérateurs publics historiques. Paradoxalement, c’est d’ailleurs du côté
de l’Etat, et de ses financements pourtant aléatoires, et en tout état de cause
insuffisants, que les Sauvegardes vont s’efforcer de chercher une source nouvelle
d’indépendance eu égard au renforcement du rôle des départements qui réduisent
progressivement leurs marges de manœuvre depuis les lois de décentralisation. Tout
se passe comme si s’exprimait une sorte de nostalgie du temps où l’Etat gérait le
social, tellement à distance, que les associations pouvaient très aisément garder
l’initiative. On perçoit dans cette recherche de nouvelles alliances comme la tentative
de reviviscence d’un âge d’or du travail social, où les associations, pourvu qu’elles
soient dotées localement de bons relais politiques, pouvaient sans difficulté, sur le seul
fondement de leurs valeurs et de leur militantisme reconnu, se développer sans
rencontrer beaucoup d’obstacles. C’est sur cette dynamique que s’était étendue la
Sauvegarde du Morbihan, le charisme des acteurs de l’association, on l’a vu, croisant
alors de manière très étroite celui des acteurs politiques locaux, relais de l’intervention
de l’Etat.
Toutefois les clés changent fondamentalement au cours de la décennie 90. Les
travaux préparatoires à une grande réforme de l’action sociale et qui vont déboucher
sur la loi du 2 janvier 2002 démarrent dès l’année 1995. La question de l’évaluation, si
elle n’est pas encore formalisée, s’impose avec une nécessité toujours plus impérative.
Elle a déjà été introduite dans le secteur sanitaire. Dans le Morbihan, ce sont les
années au cours desquelles la dynamique politique de la Sauvegarde va être stoppée
par des acteurs territoriaux, issus de la fonction publique d’Etat, mais mettant tout leur
savoir faire au service des nouvelles logiques de contrôle du département. Ainsi, avec
la décentralisation, comme le souligne Robert Lafore96, la norme s’est-elle rapprochée
des terrains d’action. Elle est descendue au plus près des logiques d’acteurs dans un
mouvement qui ne cessera de s’accentuer. La prégnance du contrôle départemental,
96 Intervention lors des journées nationales du GNDA les 11 et 12 mars à Paris.
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relayant le rôle de la puissance publique d’Etat, aura pour conséquence un
démantèlement des soubassements mêmes de la dynamique entrepreneuriale de la
Sauvegarde. Les financements d’Etat dans le secteur de l’insertion étant insuffisants
au regard, notamment, des contraintes de la Convention Collective 66 encadrant le
secteur - on a vu ainsi des coûts d’action de formation rester inchangés pendant dix
années consécutives et plus -, il avait bien fallu avoir recours à des subterfuges pour
mettre en place une stratégie de développement. Ainsi, des directeurs payés par le
département sur la base des budgets d’établissements de la protection de l’enfance
consacraient-ils une part non négligeable de leur temps au développement d’activités
de formation et d’insertion : restaurant et hôtel d’application du Pratel, atelier
d’insertion, filiales de la crêperie Projet et de la cafétéria Bleu Citron… Des postes
comptables dédiés à l’insertion étaient eux aussi rémunérés sur les budgets des
activités en gestion contrôlée. Les déficits engendrés par ces activités chaque année
étaient artificiellement couverts dans le cadre du compte annuel de résultats par les
excédents réalisés au titre des établissements de protection de l’enfance, le service de
milieu ouvert en particulier étant toujours excédentaire sur cette période… Au sein de
l’association, ces mécanismes, pourtant irréguliers, avaient la force de l’évidence
tellement il paraissait légitime de développer l’action sociale en direction des adultes
dans le contexte de la crise durable de l’emploi. Mais ce qui paraissait naturel au-
dedans était perçu de plus en plus comme inacceptable au dehors, en particulier du
côté des financeurs départementaux. Aussi l’association ne pouvait-elle durablement
poursuivre sur une telle logique : dès 1997, les déficits de la direction générale, dont
une part significative résulte des déficits des activités en gestion propre, ne sont plus
repris par le département. L’inéluctable mécanisme du cumul des déficits de la
Sauvegarde sur ses fonds propres va se mettre en place. La recherche d’équilibre de
bilan, sur la base d’un déséquilibre des comptes entre gestion propre (concernant à
l’époque le secteur dit « d’activités en développement » !) et gestion contrôlée, ne sera
plus possible. Les postes de direction, de secrétariat et de comptabilité vont être
recadrés dans leurs champs d’activité. Le départ des deux directeurs exerçant la
double mission de protection de l’enfance habilitée et d’insertion non habilitée, l’un de
son propre choix, l’autre licencié dans le contexte de gestion difficile de crise de
l’internat du Guermeur, sont, me semble-t-il, plutôt à lire comme une nécessité de
remettre de l’ordre dans les fonctions de direction à la Sauvegarde imposée par le
département. Seul un directeur, celui des Réseaux d’Accueil, restera en poste dans ce
secteur, cumulant à la fois toutes les logiques de développement et tous les risques.
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Son départ en préretraite en 2007 permettra à l’association de véritablement tourner la
page de cette période fondée sur une logique de développement entrepreneurial, et
aussi, d’une certaine manière, de résistance militante, mais qui, mal positionnée sur le
plan gestionnaire, aura fini par lui coûter d’importants déficits en gestion propre non
compensés, ni par l’Etat, ni par le Département. Seule, nous l’avons vu, la réalisation
des ventes patrimoniales d’immeubles consacrés aux internats de la protection de
l’enfance redonneront, avec l’accord du Département, la marge de manœuvre
indispensable à l’association en matière de trésorerie pour continuer à exercer ses
missions avant tout dans les établissements et services pour lesquels elle était
habilitée, mais aussi de manière plus ciblée, et cette fois-ci très encadrée par
l’association, dans le cadre de conventions lui permettant de conserver une présence
dans le champ de l’insertion.
La loi du 2 janvier 2002 a donc fait basculer l’action sociale dans une nouvelle ère. Si
elle met l’accent sur la dimension participative de l’usager au projet qui le concerne,
elle est aussi accompagnée de tout un ensemble de textes juridiques, en particulier le
décret de 2003 sur la tarification, qui vont renforcer l’administration du secteur et, en
particulier, celle des associations d’action sociale constituant encore au début du
XXIème siècle un ensemble très composite. La régulation tutélaire s’impose
désormais à grande échelle !
L’association de Sauvegarde du Morbihan n’aborde donc pas cette étape de
recomposition de l’action sociale par les politiques publiques dans un contexte très
serein. Depuis plusieurs années déjà, son financeur principal, le Conseil Général du
Morbihan a souligné l’inadéquation des bases de l’engagement de l’association dans le
domaine de l’insertion, le Département ne voulant plus supporter une part importante
de dépenses masquées : que ce soit, on l’a vu, par le déplacement de l’activité de
certains directeurs d’établissements de la protection de l’enfance dans le domaine de
l’insertion ; que ce soit par la part d’excédents de l’activité des services relevant du
Conseil Général destinée à couvrir en trésorerie les déficits des interventions dans le
domaine de l’accompagnement social des adultes. Dans ce contexte de nouvelle
répartition des compétences territoriales, où l’Etat ne joue pas toujours un jeu très clair
entre délégation de missions et attributions de moyens, le Département sera de plus
en plus vigilant, au fil des années, à renvoyer les charges qui ne le concernent pas
vers les opérateurs publics auxquels elles reviennent.
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Mais par ailleurs, les établissements accueillant des adolescents entrent alors eux-
mêmes dans une crise profonde de leurs modes de réponse. L’établissement du Pratel
a été déplacé sur Vannes à la suite de fortes violences qui ont souligné l’inadaptation
du projet et de la localisation même de l’accueil des mineurs en milieu rural. Les
mêmes phénomènes se renouvellent au Guermeur, bien que moins excentré.
L’association se trouve ainsi gravement fragilisée sur le plan technique et pédagogique
dans le champ d’activité qui a constitué son ancrage historique, mais également, sur le
plan économique et structurel, dans le domaine plus récent de son engagement en
faveur de l’insertion. C’est ainsi, sur la base de cette double contrainte, que la
Sauvegarde du Morbihan va vivre en quelque sorte sa propre crise du modèle
corporatiste entrepreneurial sur lequel elle s’était développée et à partir duquel elle
avait cherché à s’adapter aux formes toujours plus prégnantes de la régulation
publique. Nous allons brièvement reprendre les éléments de la crise concernant
l’insertion puis développer la nouvelle problématique qui s’est développée dans le
secteur historique de l’éducation sur lequel l’association avait alors beaucoup moins
mobilisé ses stratégies d’adaptation.
Crise de la logique d’action dans le champ de l’ins ertion.
Le domaine de l’insertion a représenté, nous l’avons déjà évoqué, pour l’association de
Sauvegarde du Morbihan, comme pour de nombreuses autres associations de
Sauvegarde en France, une sorte de mode d’affirmation de l’autonomie associative par
rapport à la première grande phase de rationalisation du social promue par la loi de 75.
Plusieurs raisons ont conduit ces associations à cette recherche d’invention d’une
nouvelle forme d’encastrement politique débouchant elle-même sur un nouveau type
de régulation propre à l’insertion que n’ont pas expérimentée, par exemple, de la
même manière des associations de parents œuvrant dans le champ médico-social.
D’une part, la structuration de l’action sociale en matière d’offre de services est loin
d’être finalisée au cours de la période 1980 – 2000. Des besoins nouveaux se font
toujours sentir, d’autant plus que ce sont les années au cours desquelles le chômage
va croître considérablement entraînant une dégradation importante des contextes de
vie sociale et l’expression de besoins nouveaux. Les associations de Sauvegarde
principalement mobilisées dans le domaine de l’enfance, même si, on l’a vu, la
Sauvegarde du Morbihan avait été initiée, dès 1935, autour de la prise en charge d’un
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public à la fois enfant, adolescent, et sans doute déjà adulte, vont être confrontées à la
détérioration des conditions de vie des parents des enfants confiés. Elles vont
naturellement se préoccuper des réponses à leur apporter en termes d’emploi et de
logement. C’est ce contexte social qui va leur permettre aussi d’imposer à leurs
administrations de contrôle et à leurs financeurs ce refus de se laisser soumettre à la
seule logique de prestation de service et de gestion d’établissements dans laquelle la
loi de 75 visait à les enfermer.
C’est sur cette base que la Sauvegarde va chercher à sortir de la seule gestion sous
contrainte des budgets d’établissements et services habilités, que ce soit dans le
domaine « enfance » ou dans le domaine « adultes », en développant tout un nouveau
secteur d’activité, principalement dans le domaine de l’insertion des adultes. Ce
nouveau secteur est déterminé par un caractère non pérenne des financements, par la
nécessité de mobiliser plusieurs financeurs en même temps autour d’une même action,
par une logique également de multiplication d’actions expérimentales, les pouvoirs
publics, dans un contexte de dégradation de l’emploi et de développement de la crise,
cherchant avant tout à adapter des réponses pertinentes par l’invention permanente de
dispositifs nouveaux. Cette évolution va conduire la Sauvegarde du Morbihan à
développer une action politique multiforme en direction des administrations et des élus
en charge de ces programmes afin de renforcer sa présence sur ce champ
d’intervention.
C’est donc tout ce domaine d’activité constitué par la création de plusieurs services qui
entre en crise à partir des années 2000. Les éléments de cette crise sont également
multifactoriels et systémiques : ils tiennent tout d’abord, comme nous l’avons vu, à la
volonté du financeur principal de clarifier les dépenses qui le concernent en
contraignant l’association à mettre elle-même de l’ordre dans l’utilisation des fonds qui
lui sont attribués pour ses missions en faveur de l’enfance. Mais ils tiennent également
à l’insuffisance structurelle des financements dans le champ de l’insertion, ce nouveau
domaine d’action en croissance continue n’ayant jamais été constitué sur les bases qui
ont prévalu à la constitution des secteurs d’intervention de l’enfance inadaptée ou du
handicap. Or c’est en référence aux financements de ces secteurs que la Convention
Collective 66 qui régit les rémunérations des professionnels des associations
gestionnaires du secteur, et de la Sauvegarde du Morbihan en particulier, a été
élaborée. Celle-ci ne correspond pas, ou mal, aux contraintes propres aux actions
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conduites dans le secteur de l’insertion. Ce contrôle accru des financeurs lié aux
charges trop lourdes pesant sur les comptes en gestion propre de l’association vont
contraindre cette dernière à y réduire son engagement.
Successivement, chacune des associations filiales créées au cours de la période
précédente connaîtra un dépôt de bilan. Leurs bases économiques trop restreintes ne
leur permettront pas de résister aussi longtemps que les activités en gestion propre,
pourtant elles aussi déficitaires, directement gérées par l’association. Aussi les
conséquences seront-elles moins lourdes, même si plusieurs contentieux prud’homaux
conduiront les anciens salariés à rechercher la responsabilité de l’association dans
leurs licenciements. Les déficits générés par la Sauvegarde elle-même dans ses
différents champs d’activité en gestion propre s’élèveront en 2006 à la somme de 2
millions d’euros. Seule la crise en parallèle des internats éducatifs, et l’abandon des
sites historiques dont les ventes pourront être réalisées, permettront alors à
l’association de surmonter la grave détérioration économique dans laquelle son
engagement militant, et, on peut dire, son refus de se laisser enfermer dans une forme
de rationalisation administrative de l’action sociale l’avaient plongée.
Crise des modèles pédagogiques de l’internat
Le deuxième domaine dans lequel l’association entre en crise est celui de la gestion de
ses internats. On peut donc parler d’une crise globale, correspondant à l’épuisement
d’une phase de structuration. D’autant qu’à quelques années d’intervalle, plusieurs
associations de Sauvegarde ayant connu des développements analogues dans le
champ de l’insertion, vont, elles aussi, traverser les mêmes turbulences.
Sans développer l’ensemble des constituants de cette crise, on peut au moins repérer
qu’elle touche à la matrice même du métier d’éducateur sur laquelle s’est fondée toute
la phase de professionnalisation de l’association, de la fin des années 60 au début des
années 2000. On peut dire que c’est cela même qui faisait structure et culture qui se
trouve alors violemment mis en cause par le comportement même des usagers
auxquels ces réponses étaient destinées. Cette culture éducative, fortement
intériorisée, forgée par les fondateurs et les pionniers de l’éducation spécialisée en
France, dont d’importantes figures avaient d’ailleurs émergé dans l’Ouest ainsi que le
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rapporte Alain Vilbrod dans son histoire de l’éducation spécialisée en Bretagne97, se
trouvait, en particulier, toujours incarnée par les éducateurs de l’internat dont le
directeur général de l’association était issu. Fin des années 90, les deux internats
historiques de l’association, le Pratel et le Guermeur, sont confrontés à des
événements violents, déstabilisant voire déstructurant des équipes d’éducateurs
pourtant chevronnées. Plus que d’autres, la Sauvegarde du Morbihan cherchera
néanmoins à résister, là encore, par son modèle éducatif associé à une valorisation du
rôle de l’éducateur qui doit, par sa personnalité et son charisme, être en mesure de
faire face à toutes situations et entraîner ainsi chacun des jeunes dans une dynamique
pédagogique vertueuse. Or il se trouve que la dynamique est alors en panne et que le
dirigeant de l’époque, du fait de la forte matrice éducative qui est la sienne, pour en
avoir été lui-même l’un des piliers98, ne peut pas culturellement se déplacer et
considérer le trouble qui affecte alors les établissements de l’association comme autre
chose que la conséquence de la crise des acteurs et de leurs capacités personnelles à
soutenir le modèle fondateur.
En fait, tout au long de la période précédente, les compétences de ce secteur ont
largement été laissées à l’initiative des professionnels eux-mêmes et des équipes.
L’association, mobilisée qu’elle était par sa principale préoccupation de développer le
domaine de l’insertion, a peu investi en matière de réflexion voire d’innovation dans le
domaine du renouvellement de la prise en charge des jeunes : seule exception, le
service des réseaux d’accueil, dont le directeur deviendra rapidement l’acteur majeur
du développement de l’insertion, le service innovant de prise en charge des jeunes en
réseau qu’il avait développé étant alors absorbé par les autres établissements. Mais
c’est surtout la personnalisation extrême du modèle de l’éducateur garant par ses
ressources charismatiques de la qualité de la réponse éducative qui va empêcher la
direction de l’association d’interroger ce paradigme et de se déplacer plus aisément.
C’est la résistance même du modèle qui va faire crise et obliger les acteurs à imaginer
un « pas de côté »…
Dans le cadre de la formation à l’intervention psychosociologique précédemment
mentionnée, j’ai été ainsi conduit à proposer un changement de méthode pour
dépasser la crise de l’internat du Guermeur, établissement d’autant plus fondateur pour
97 Alain Vilbrod, op. cit. 98 Idem
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l’association qu’il était celui d’où était issu le directeur général qui y avait réalisé sa
carrière éclair, de stagiaire éducateur à directeur, avant de prendre les rênes de
l’association. En fait, plutôt que de se focaliser sur la seule recherche de l’ « homme
providentiel » pour dépasser la crise, j’ai simplement proposé que les directeurs aient
un espace de travail collectif et coopératif, avec un tiers extérieur validé par le directeur
général, pour imaginer les scénarios de sortie de crise. La créativité s’est rapidement
trouvée au rendez-vous. L’imagination pour envisager d’autres formes et d’autres lieux
de prise en charge pour les jeunes aussi99. Et c’est ainsi que la directrice du placement
familial, récemment recrutée, s’est portée candidate pour conduire le projet de prise en
charge des jeunes en réseau (dispositif SAFHIR) qui était né de ces travaux. En fait ce
travail coopératif des directeurs permettait, par son dispositif même, d’aborder
autrement la problématique des jeunes confiés à l’internat, confrontés dans leurs
histoires personnelles et familiales à des déstructurations croissantes des contenants
institutionnels et familiaux, des modèles et des cultures éducatifs et des valeurs. Leur
renvoyer précisément des modes de réponse qui relevaient de modèles et d’idéaux
éducatifs non questionnés ne pouvait que susciter leur refus et leur violence. Le
déplacement des adultes vers un registre d’analyse et de compréhension, ainsi que
vers un cadre institutionnel sécurisant la parole, ses lieux de partage et ses modes de
circulation, suffisait par lui-même à ouvrir des espaces de travail inédits dans lesquels
les parcours des jeunes pourraient se déployer avec plus de fluidité, d’acceptation du
cadre et moins de négativité.
Nous nous sommes un peu attardés sur cette méthodologie de transformation de la
crise des internats traditionnels de l’association dans la mesure où elle constitue la
trame à partir de laquelle vont s’enclencher tous les changements subséquents. Elle va
99 Abdelaâli Laoukili, l’un des formateurs du cycle de psychosociologie de l’ARIP résume, dans le contexte différent d’une collectivité locale, une approche du changement un peu de même nature : « C’est une collectivité de petite taille sur le modèle charismatique, avec peu de règles et de procédures formelles de travail (un maire qui décide de tout avec une confusion des rôles entre les élus et les cadres). Le directeur général des services, jeune cadre nouvellement recruté, se plaint de la difficulté à situer son rôle et sa place. Le maire s’adresse individuellement à tous les cadres et aux agents pour faire avancer les dossiers. Les autres élus l’imitent et il n’y a pas d’espace formel de travail ni entre les élus et les cadres ni entre les cadres eux-mêmes et le directeur général des services. L’intervention a consisté d’abord à créer un espace de travail en groupe entre les cadres et le directeur avec une double centration, sur le contenu opératoire et sur la dynamique du groupe… Ce groupe s’est installé comme un observatoire et un agent du changement dans l’organisation. Le travail ainsi réalisé a été restitué et partagé avec le maire qui a pu mesurer l’utilité et la pertinence du dispositif mis en place. Il a pris conscience à cette occasion des dysfonctionnements de sa collectivité, des possibilités concrètes d’amélioration et a exprimé lui-même une demande d’élargir ce dispositif au groupe des élus, en constatant qu’ils ne travaillaient pas vraiment en groupe, et ce malgré les commissions, les sous-commissions, bureau municipal, etc…
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aussi permettre à l’association d’aborder la nouvelle phase de rationalisation
organisationnelle et gestionnaire dans le nouveau contexte d’administration
territorialisée de l’action sociale. Il faut souligner que c’est également en quittant ses
internats traditionnels et en créant ainsi les conditions de leur vente, que l’association
va trouver les ressources négociées avec le département lui permettant d’aborder plus
sereinement la mise en œuvre de son projet associatif ainsi qu’un travail en profondeur
sur son organisation.
IV – 2 Un projet associatif pour élaborer un nouveau cadre
d’organisation et d’action
D’une organisation segmentée à une organisation en réseau
La création de pôles d’activité a traduit, d’emblée, la recherche de nouveaux espaces
coopératifs pour conduire le changement au sein de la structure associative. En effet,
jusqu’alors, chaque directeur était relativement autonome dans le pilotage de son
service ou de son établissement. Il était fortement référé au directeur général en
matière de décision ou de stratégie, mais tout à fait indépendant de ses collègues en
ce qui concerne la manière de gérer son dispositif.
Cette identification de domaines d’action signifiants pour les acteurs de direction et
permettant de les regrouper et de les mettre au travail par grands champs
d’activité, insertion, hébergement social, protection de l’enfance, s’est trouvée
naturellement en phase avec le lancement des politiques territoriales de l’action sociale
et leurs schémas d’intervention par grand secteur d’activité : petite enfance, enfance,
handicap, hébergement et insertion…
En ce qui concerne la Sauvegarde du Morbihan, trois grands domaines d’activité sont
identifiés, la protection de l’enfance, l’insertion et l’hébergement social, qui seront
ensuite, dans le cadre du projet associatif ramenés à deux pôles : protection de
l’enfance et insertion des adultes et des familles.
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C’est en fait le projet associatif, au cours de ces années 2002-2009, qui va donner à
l’association l’assise qui lui faisait défaut pour déployer son action, à la fois en tenant
compte de l’évolution des dispositifs des politiques publiques, mais aussi en refondant
sa légitimité sur autre chose que sur sa seule gestion d’équipements professionnels.
Toutefois, l’essentiel de ce premier projet associatif restera encore d’ordre
organisationnel. La dimension réellement politique du projet, si elle n’est pas absente,
n’est cependant pas première. C’est au cours des années qui suivent l’élaboration de
ce projet que commenceront à se formuler, comme nous le verrons, les intuitions qui
viseront à projeter à nouveau la Sauvegarde 56 dans une véritable prospective de
politique associative ancrée dans le champ de l’économie sociale et solidaire. En 1993,
la Sauvegarde du Morbihan avait élaboré une charte des valeurs mais celle-ci ne
s’était pas déclinée en outils concrets de transformation de la dynamique associative.
Cette fois-ci, le projet associatif, centré sur les cadres concrets de l’action et élaboré
avec l’ensemble des acteurs de l’association en 2004-2005, sera suivi d’une démarche
d’auto-évaluation visant l’amélioration continue de la qualité par l’élaboration de plans
d’action. Cette démarche concrète, tout en visant à inscrire les acteurs dans la
dynamique de l’association, va permettre de transformer en profondeur l’organisation
en la structurant autour d’une démarche davantage coopérative. Il faut souligner qu’elle
est aussi en phase avec les nouvelles règles managériales dont s’est emparée la
puissance publique, la logique de l’ « auto-évaluation », inscrite dans la Loi 2002/2,
risquant cependant sans cesse d’être battue en brèche par la mécanique
administrative de moins en moins implicite du « contrôle généralisé », par ailleurs en
marche !
Dans cette phase de transformation de l’organisation associative, on peut dire que
l’affirmation d’une conduite de changement centrée sur la coopération des acteurs va
se heurter à certaines résistances des directions d’établissement. En effet, toute la
phase antérieure de l’organisation, dans cette association comme dans la plupart des
autres, s’est structurée autour de l’autonomie de la fonction de direction. La plupart des
directeurs d’associations sont eux-mêmes issus du rang des directeurs
d’établissements ou de services. On peut donc faire l’hypothèse qu’un certain pacte
implicite s’établit entre les uns et les autres pour maintenir un statu quo quant à
l’indépendance de chaque dispositif en matière de direction. Quoiqu’il en soit, on
constate que trois des directeurs arrivés dans l’association à la fin des années 90, et
recrutés pour la première fois sur ce statut de directeur d’établissement ou de service
par le précédent directeur général, quitteront l’association au début des années 2000
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pour aller exercer une nouvelle fonction de direction dans une autre région. Ces
départs ne seront d’ailleurs pas sans lien avec une nouvelle conception de
l’organisation issue des travaux sur le projet associatif. Deux autres directeurs plus
anciens dans l’association, dont celui qui avait exercé toute sa carrière d’innovateur et
de pionnier en matière d’éducation et d’insertion à la Sauvegarde, prendront leur
retraite au cours de cette période. Ce départ en nombre de directeurs, puisque ce sont
cinq des huit directeurs de l’association qui quittent alors leur fonction, peut-être
analysé comme, à la fois, la conséquence mais aussi l’occasion d’une transformation
en profondeur de l’organisation. En effet, seul parmi eux le directeur du service de
prévention sera remplacé. Deux directeurs du pôle adultes-familles non remplacés sur
leur fonction de direction permettront de créer une direction de ce pôle confiée au seul
directeur restant en exercice sur ce champ. Le départ de deux directeurs du pôle
protection de l’enfance permettra d’amorcer également la structuration de ce pôle
autour d’une direction de pôle, le cheminement se faisant cependant par étapes, avec
création successive de postes de directeurs adjoints.
Finalement, l’option retenue en matière d’organisation repose sur l’analyse de
l’expérience des premières années où la coopération entre directions avait été choisie
comme cadre privilégié de la conduite du changement dans l’association. Or, il s’est
avéré que c’est en fait à l’occasion de regroupements d’établissements qu’une
véritable logique de coopération a pu se développer entre équipes de direction et avec
les professionnels concernés, sous la responsabilité d’un pilotage identifié. L’approche
de la coopération entre directeurs est restée très en-deçà des objectifs visés. Par leurs
choix de départ, le plus souvent justifiés par la mise en avant de logiques personnelles
qui traduisaient aussi, d’une certaine manière, la fin du système d’allégeance à une
organisation et à son dirigeant, les départs volontaires de cadres ayant été rarissimes
dans la phase précédente, les directeurs qui ont quitté l’association ont également
permis, dans le cadre de la dynamique de réflexion sur le projet associatif engagée,
que se réalisent les transformations recherchées notamment en termes de coopération
renforcée des acteurs.
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171
L’évolution de l’organigramme associatif
Au cours de cette période 2002-2009 l’organigramme associatif va subir de profondes
mutations. Celles-ci ne seront pas imposées ni décrétées a priori, mais seront le fruit
de tous les dispositifs de parole et de coopération mis en place à partir de 2002 :
regroupement des directeurs par pôles, projet associatif, instance de gestion
transversale pilotée par le comité de direction (équipes des directeurs) mais également
travail avec les instances associatives, notamment par pôles…
C’est, en effet, ce rapprochement entre l’instance associative (Conseil
d’Administration) et l’organisation qui va favoriser et accélérer les mutations de
l’organigramme : les administrateurs se sentent éloignés de l’action ; ils ont du mal à
suivre les évolutions et à prendre leurs décisions en CA en connaissance de cause.
Seul le Président est bien au fait de la vie de l’organisation par ses liens très étroits
avec le directeur général. A partir de 2002, des espaces plus fréquents de travail entre
administrateurs et salariés sont recherchés, en dehors des traditionnelles commissions
associatives (patrimoine, vie associative, communication). Il s’agit de renforcer la
communication entre l’organisation professionnelle et l’instance politique tout en
sécurisant institutionnellement ces rencontres par la qualité et l’ouverture de l’analyse
conduite dans l’instance présidence/direction générale. Des rencontres ont lieu, par
pôles, entre directeurs et administrateurs. Les thèmes des CA se centrent
progressivement sur des thèmes plus approfondis concernant la vie des
établissements et services. De même que pour les instances de direction, il s’agit de
passer de réunions surtout informatives à de véritables instances de travail permettant
aux acteurs de mieux s’approprier les enjeux des changements à promouvoir. La
Présidente, suite aux travaux du projet associatif, s’entoure de Vice-présidents et crée
avec eux une instance qui va donner une allure plus collégiale au pilotage de
l’association. De même, elle propose des rencontres de bureau élargi visant à
permettre à tous les administrateurs de mieux s’approprier non seulement la vie de
l’association mais également celle des établissements et services et de s’inscrire ainsi
plus fortement dans les dynamiques en cours.
Le constat que l’organigramme, malgré ses premières évolutions, restait insatisfaisant
et n’était pas encore abouti est donc à la fois le fait de la direction générale et des
instances politiques de l’association. En dépit des dispositifs de coopération mis en
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172
place, tout se passe, en effet, comme si l’entité de direction d’établissement restait très
autonome, peu contrôlée et mal référée à la direction associative, la transmission des
véritables problématiques aux instances associatives restant, par ailleurs, limitée.
C’est, en particulier, la grave crise financière que connaît l’association, du fait du cumul
de décisions risquées dans le champ de l’insertion, qui la conduit à souhaiter une
réforme de son mode d’organisation qui soit pour elle plus sécurisante. Du côté de la
direction générale, c’est la difficulté de passer d’une culture charismatique, à forte
autonomie des directions, à une véritable culture coopérative référée au projet
associatif, qui pousse également à une transformation en profondeur de
l’organigramme.
Ces changements auront lieu à l’occasion des départs successifs de directeurs.
Rappelons que certains de ces départs ont, eux-mêmes, été précédés de réflexions
associatives : notamment dans le cadre de la démarche du projet associatif où s’est
trouvée interrogée le principe du maintien de certains niveaux de direction par rapport
à l’enjeu de constituer des directions de service départementales, bien différenciées et
complémentaires les unes des autres. Il y a donc eu synergie entre réflexions
associatives sur l’organigramme et initiatives de certains directeurs d’activer des
logiques personnelles pour prendre d’autres responsabilités en dehors de l’association.
La logique qui s’est affirmée à travers les choix successifs de ne pas remplacer les
directeurs partis, mais plutôt de regrouper les dispositifs existants, s’est d’abord
traduite par l’unification du pôle insertion adultes-familles, d’une part, et l’affirmation de
missions départementales différenciées et complémentaires pour le secteur enfance,
d’autre part : Placement familial, Milieu Ouvert, Accueil des adolescents et Prévention
Spécialisée. Les résultats s’en sont trouvés foncièrement différents pour l’un et l’autre
pôle : d’un côté, en ce qui concerne le secteur adultes, une concentration des
fonctions de direction, le directeur en poste recouvrant les prérogatives de direction et
les responsabilités de ses deux collègues partis et conservant, par ailleurs, une assez
large autonomie liée à son histoire singulière dans l’association qu’il avait rejointe avec
l’association qu’il dirigeait alors. Les différentes responsabilités qui lui seront
progressivement confiées par la Sauvegarde viendront, au fond, renforcer une
structure de direction et une conception du management et de la stratégie, à la fois
efficientes et indépendantes, apportant beaucoup de sécurité à l’association sur le plan
de l’initiative et de la gestion, mais adossée à la Sauvegarde davantage sur le modèle
de la fédération, congruente avec l’ancien mode de structuration de l’association, que
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sur celui de la collégialité et de la coopération. En ce qui concerne le pôle enfance,
l’affirmation des missions départementales, si elle a donné une ossature au pôle, n’a
pas permis de développer autant qu’il était souhaitable la dynamique d’une unité
centrée autour d’un projet commun. C’est l’affirmation du niveau de directeur qui
continue à prévaloir. Par contre les dynamiques d’équipes de direction regroupées ont
vraiment porté leurs fruits en termes de coopérations, des dispositifs de plus en plus
transversaux et impliquant les professionnels voyant progressivement le jour au sein
de chacune des grandes missions du pôle : Placement Familial, Milieu Ouvert, Service
d’Accueil des Ados notamment, le service de Prévention restant, quant à lui, structuré
autour d’un seul poste de direction. Du point de vue de la direction générale, la
dysharmonie d’organisation entre les deux pôles ne permettait pas alors de dégager
encore clairement les dispositifs de pilotage adéquats. Fallait-il envisager une sorte de
copilotage fondé sur le modèle de la coopération ? Mais une expérience précédente de
co-animation d’un dispositif de réflexion pour l’équipe de cadres de ce pôle ne s’était
guère montrée concluante. Fallait-il désigner un directeur dans une fonction
d’animation du pôle, ou bien, à l’instar du pôle Adultes, nommer un directeur de pôle
Protection de l’Enfance ?
C’est finalement l’échec d’un recrutement sur le service de placement familial, à
l’occasion du départ de la directrice qui va permettre, en 2008, de franchir une étape
décisive en termes d’organisation. En effet, le directeur recruté, issu d’un gros
établissement public du Nord, très segmenté, s’inscrit d’emblée dans une posture qui
révèle sa grande ambivalence, notamment à l’égard de la fonction de direction
générale et du projet associatif. La période d’essai est rapidement interrompue et un
nouvel organigramme se dessine venant fortement questionner le niveau de direction
d’établissement non explicitement référé à un pilotage de pôle. C’est donc le choix de
positionner des directeurs-adjoints référés à un directeur de pôle lui-même référé à la
direction générale qui est retenu par les instances associatives. Toutefois
l’organigramme cible, s’il se dégage100, n’est pas encore en place : en effet, du côté du
pôle enfance, trois directeurs sont en poste et deux directeurs adjoints. Si la structure
se dessine, elle doit encore évoluer ; de même qu’en ce qui concerne le pôle adultes
où un directeur et quatre chefs de service sont en place sans qu’un projet de pôle
vienne clairement structurer les espaces de responsabilité des uns et des autres.
100 Pour toute cette partie, nous renvoyons aux différents organigrammes de l’association placés en annexe.
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En plus de la création de ces deux pôles de compétence correspondant aux champs
de compétence et aux missions de l’association, la direction générale et l’association
décident également de créer un pôle Ressources dont on mesure toute l’importance
sur les aspects budgétaires, administratifs, logistiques et en matière de gestion des
compétence au regard, notamment, de l’évolution de plus en plus pointue des
politiques publiques en ces domaines. En effet, la fonction de direction administrative
et financière, si elle est transversale à l’association n’a pas jusqu’alors été posée
comme une entité institutionnelle forte. En dépit d’une animation pourtant établie de
tout ce qui touche à la gestion administrative, financière et aux ressources humaines,
notamment par l’intermédiaire de l’instance de pilotage qu’est le comité de direction,
les délégations ne sont pas suffisamment bien établies entre le directeur général et
cette fonction ; par ailleurs, les directeurs d’établissements et de service font appel à
cette direction administrative et financière de manière tout à fait disparate : ce n’est pas
la fonction qui fait la structure ; c’est plutôt l’usage que chacun en fait qui fait la
fonction.
C’est donc sur la base de cette structuration autour de trois pôles que l’association, en
2009, se projette pour les années à venir. Nous allons voir que cette recherche
d’opérationnalité plus grande du côté de l’organisation n’est pas sans lien avec, une
nouvelle fois, l’évolution de la régulation publique et de l’encastrement politique des
associations d’action sociale. L’analyse de cette évolution va nous introduire aux
nouveaux enjeux de la gouvernance associative pour la Sauvegarde 56 mais plus
largement pour l’ensemble du champ des associations d’action sociale.
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II
Crise du modèle historique :
L’heure du choix pour les associations
d’action sociale
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177
Introduction
Dans cette deuxième partie, nous allons situer plus précisément les enjeux des
transformations engagées, dans un premier temps pour la Sauvegarde 56, mais plus
largement aussi, dans un second temps, pour l’ensemble des associations d’action
sociale. En prenant une certaine distance, parfois volontiers critique par rapport aux
évolutions du secteur et des environnements, nous aimerions dégager quelles sont les
marges de manœuvre dont dispose aujourd’hui une association pour à la fois assumer
son histoire et ses valeurs, sa culture et son identité, et la réengager, à nouveaux frais
en quelque sorte, dans un contexte devenu soudain étranger, sinon hostile. Faute, en
effet, le plus souvent d’avoir cultivé elles-mêmes les ressources propres à la
démocratie associative et à son éthique, les associations d’action sociale se trouvent
aujourd’hui submergées par un ensemble de nouvelles logiques régulatrices peu
enclines à considérer la part qu’elles pourraient apporter à la mutation du lien social,
voire sociétal tellement ce sont tous les grands référents sur lequel celui-ci reposait
jusqu’alors qui se trouvent tout à coup bousculés. Aussi les associations sont-elles
aujourd’hui le plus souvent à l’épreuve, face à des vents contraires qui tendent à
relativiser toute capacité d’initiative citoyenne et à les réduire à une simple logique de
prestation de service encadrée par des règles dont les définitions leur échappent.
Comment donc plaider la coopération, la mutualisation, la recherche gratuite de
contribution au lien social et à l’élaboration d’un engagement citoyen dans un contexte
où s’impose de plus en plus la loi du marché, de la mise en concurrence et en rivalité
et l’encadrement des projets dans une logique d’appel d’offre qui semble banaliser
toute capacité des acteurs locaux de s’organiser eux-mêmes pour contribuer à
l’élaboration de réponses innovantes, territorialement adaptées et donc singulières. Il
est vrai que, peu à peu, les associations du secteur social se sont laissé enfermer dans
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une forme de dépendance exclusive à l’égard des financements publics. Il est loin le
temps de l’engagement bénévole et militant sur lequel a reposé la création du secteur.
La tentative de la Sauvegarde 56, à travers ses filiales, de réinitier, dans le champ de
la production, de l’insertion et de l’économie sociale, une démarche autonome et
militante s’est soldée par un échec dans la mesure où le statut associatif, lui-même,
méritait peut-être d’être interrogé comme le suggérait déjà Renaud Sainsaulieu101,
préconisant plutôt pour ce secteur productif l’invention de structures au statut nouveau,
de type coopératives, capables de mobiliser autrement l’ensemble des parties
prenantes dans l’effort à la fois de production et de mise en concurrence. La dimension
relativement protégée de la culture et de l’ « habitus » associatifs, par l’exclusivité des
financements publics à laquelle elle était accoutumée, ne lui a pas permis, en tous les
cas dans cet exemple, de joindre à l’effort militant l’ « excellence » gestionnaire
réclamée pour réussir ce genre de défi. Il n’empêche que, même dégagée de ce
challenge cherchant à associer gestion entrepreneuriale et militantisme associatif,
dans un contexte où la réflexion sur la démocratie associative elle-même et la
coopération n’avait pas été menée à son terme, l’association de Sauvegarde 56,
comme toutes les autres associations aujourd’hui, se trouve confrontée à des défis
inédits qui en viennent à interroger son essence même et sa raison d’être.
On pourrait résumer la problématique simplement : tels que s’organisent aujourd’hui
les nouveaux modes de régulation publique, y a-t-il encore aujourd’hui un intérêt
quelconque à mobiliser le fait associatif lui-même ? Que l’on s’en réfère à des
organismes de droit privé, qui à l’instar des entreprises, ont souvent fait la preuve de la
qualité de leur gestion au regard de la régie administrative directe, est une chose dont
les politiques publiques ne manquent pas de se servir amplement par les temps qui
courent ; mais en appeler à « la ressource des institutions intermédiaires »102 que
peuvent être les associations dans ces temps de crise et d’interrogation radicale sur ce
qui fait encore lien social est une autre affaire ! Le moins que l’on puisse dire est que
cet enjeu de l’institution, et de la démocratie qu’elle fonde pour des sujets citoyens,
n’est guère à l’ordre du jour dans les nouvelles règles à la fois étroitement
gestionnaires, instrumentales et procédurales qui s’imposent à tous les acteurs sociaux
et aux associations en particulier. Se dégagerait plutôt la logique utilitariste de l’acteur
seulement considéré sous l’angle de son intérêt, qu’il s’agisse de l’usager, du
101 Renaud Sainsaulieu, Des sociétés en mouvement, La ressource des institutions intermédiaires, Desclée de Brouwer, Paris, 2001, p. 163. 102 Renaud Sainsaulieu, op. cit.
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professionnel, voire du bénévole, celui-ci ayant bien assez, au regard de l’idéologie
ambiante, de sa bonne conscience pour s’engager. Mais pas du tout celle qui
considèrerait l’acteur comme un sujet, capable de coopération et d’engagement, sur le
fondement d’un débat démocratique toujours à réinstituer ! Bref ! Un acteur non
seulement centré sur son intérêt « pour soi », mais encore sur une capacité de « don »
et d’engagement « pour l’autre »103, intégrant donc une véritable fonction « politique »
de la parole, au sens où cet autre ne serait pas pour lui un individu isolé, une monade
uniquement guidée par son propre intérêt, mais un membre à part entière de la
communauté humaine qui a besoin pour vivre d’espaces intermédiaires, d’espaces
citoyens, d’institutions humanisantes et subjectivantes où se fonde son identité.
Toutefois, l’association, si elle dépend, on l’a vu, étroitement de la régulation publique,
possède également, par elle-même, une identité propre : dans quelle mesure et à
quelle condition est-elle capable de la mobiliser dans un contexte, il faut le redire,
largement défavorable ? C’est la question dont nous aimerions traiter dans cette
seconde partie et dans la conclusion de ce mémoire. Nous nous efforcerons d’abord
de définir cette nouvelle donne qui s’impose aux associations d’action sociale
aujourd’hui. Nous consacrerons alors un nouveau développement aux conséquences
qui en résultent pour la Sauvegarde 56 en explorant notamment la voie encore
balbutiante d’une régulation de type conventionnée permettant aux acteurs associatifs
de véritablement concourir à la co-construction des politiques publiques. Mais si cette
visée doit bien guider l’action pragmatique des associations, l’idéal n’étant, nous le
savons, pas de mise, nous ouvrirons les réflexions que nous inspirent cette analyse
institutionnelle d’une association d’action sociale singulière vers une nouvelle analyse
du contexte sociétal dans lesquelles s’opèrent les mutations en cours. Sans lâcher la
recherche concrète d’hybridation et d’adaptation entre les logiques publiques et
l’organisation professionnelle associative, nous poserons alors l’hypothèse à la fois
d’un nouveau paradigme pour l’action sociale mais aussi d’un nouveau fondement pour
l’institution en régime démocratique, dégagée de l’accaparement traditionnel de la
« place d’ex-ception » qui la fonde. Cette réflexion sur la notion de référence à ce qui
peut encore faire « lien social » dans la société postmoderne nous amènera à conclure
l’ensemble de notre recherche par un plaidoyer pour une remobilisation militante,
consciente et responsable des associations autour de l’éthique démocratique dont
elles sont issues : plus que jamais on peut affirmer aujourd’hui, en effet, que la
103 Cf. supra le commentaire de l’ouvrage de Jacques Généreux, La Dissociété, op. cit.
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ressource démocratique des associations d’action sociale se trouve entre leurs
mains… c'est-à-dire dans leur capacité de réinventer les bases mutualistes,
coopératives et solidaires de leur raison d’être. Autrement dit, encore, dans leur
capacité de se ressourcer au vaste mouvement de l’économie sociale et solidaire dont
elles se sont, depuis trop longtemps, coupées.
C’est à mieux définir les contours de cette refondation associative que nous proposons
d’apporter notre contribution en ce qui concerne la Sauvegarde 56. Il s’agit de définir
les préalables pour faire en sorte que le destin des associations d’action sociale, loin
d’être joué d’avance dans la seule logique de l’isomorphisme administratif et
gestionnaire, conserve toute sa force de rebond et de résurgence et surtout son rôle de
médiateur, essentiel dans la transformation des souffrances sociales générées
aujourd’hui par les approches économistes utilitaristes. Ce travail veut rendre compte
de la persistance d’une ambition associative à l’œuvre aujourd’hui et contribuer à son
élargissement.
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I - La redéfinition de l’encastrement politique des
associations d’action sociale et les nouveaux enjeux
de la gouvernance associative
Les pouvoirs publics à la recherche de nouveaux mod es de régulation entre
gestion technocratique et pilotage territorial
Depuis 2002, nous le disions, la gestion s’est progressivement imposée à tous ceux
qui opèrent dans le champ de l’action sociale, et cela de manière multiforme. Quelques
grands principes guident l’évolution des politiques publiques :
- S’inscrire dans les évolutions légales relatives à l’organisation des services, au Code
du Travail et à la représentativité des syndicats : référence au cadre européen.
- Tenir compte de la situation économique et sociale à l’origine de la rigueur budgétaire
et des restrictions de financements.
- Engager la réforme des politiques publiques et la décentralisation administrative.
- Inciter à la concentration du secteur (la DGAS affirme la volonté de voir, non pas les
acteurs associatifs, mais les « unités gestionnaires » du social passer de plus de trente
mille à cinq mille dans les dix ans qui viennent : slogan ou réalité déjà en marche !?)
- Ouvrir des espaces au développement d’un secteur privé lucratif (personnes âgées et
petite enfance).
Des outils sont développés par l’administration dans le cadre de législations
successives :
- Création des sièges associatifs et des services gérés en commun, puis des
groupements de coopération visant au regroupement des gestions associatives
(GCSMS)
- Les appels d’offre (ARS, ANPE, Départements…) et la mise en concurrence
systématique des acteurs sur certains champs (insertion, emploi, formation…).
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- La logique de réduction des coûts et la généralisation des indicateurs moyens dits de
convergence tarifaire.
- Les dotations globales dans le cadre des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens
renvoyant les acteurs associatifs à une logique d’arbitrages internes.
- A terme, la fin de l’opposabilité des conventions collectives…
Il y a au fond, on le voit, avant tout un enjeu d’économie au regard duquel la logique du
marché, avec laquelle manœuvrent déjà quotidiennement les entreprises semble, de
plus en plus ouvertement, une voie tentante pour les pouvoirs publics, y compris dans
le domaine social. Dès lors de multiples questions se posent aux associations :
comment rester en capacité de se situer comme un prestataire de service reconnu
dans un contexte de mise en concurrence généralisée ? Par ailleurs, le contexte de
crise économique a des effets forts sur la précarisation des publics : comment adapter
globalement l’intervention du secteur à ce contexte ? On peut dire ainsi qu’un des
grands enjeux serait de permettre à l’action sociale, et aux associations en particulier,
à la fois de répondre aux effets de la crise, avec l’amplification des problématiques
sociales, d’inventer les compétences en rapport avec des besoins qui se massifient,
d’intégrer la prise en compte d’éléments financiers, déterminants dans le contexte
nouveau. Ainsi la réforme de la Convention Collective 66 qui encadre une grande
partie du secteur social et médico-social, engagée en 2008 et particulièrement
d’actualité à partir du début de l’année 2009, se pose-t-elle également dans ce cadre :
elle a été fondée sur une conception relativement objectivée de l’inadaptation et des
métiers. Désormais, la complexification des problématiques sociales oblige à inventer
de nouvelles réponses, de nouvelles compétences, de nouvelles mobilisations
d’acteurs collectifs. Se pose aussi la question de l’avenir des associations dans ce
secteur : va-t-on vers une fonctionnarisation ou une réaffirmation du caractère
associatif : à quelles conditions cette seconde voie ? Avec quelle place des usagers ?
Les associations préserveront-elles une capacité d’initiative ? Comment redéfinir les
bases de leur reconnaissance en matière d’intérêt général ? Quelles sont les
conditions de leur plus value : statut parapublic, ou bien capacité rénovée d’implication
et d’innovation ?
Il existe une véritable indétermination quant à la réponse à toutes ces questions. Le
maintien d’un statut parapublic à parité avec le secteur public semble, pour une part,
remis en cause. C’est sur ce principe qu’avait été bâtie la Convention (Cf. les
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similitudes par exemple en termes de congés trimestriels avec le statut des
fonctionnaires de la PJJ). Tout se passe aujourd’hui comme si les financeurs publics
avaient décidé d’encadrer beaucoup plus la part des missions qu’ils confient à des
organismes de droit privé : en la concentrant pour mieux l’administrer et en limitant ses
moyens par des enveloppes fermées, obligeant ainsi ces prestataires de service à
arbitrer eux-mêmes notamment dans le domaine de la GRH et des salaires. Le risque,
dans le cadre des négociations engagées sur la rénovation de la Convention Collective
66, est bien, les salariés ne s’y trompent pas, celui d’un décrochage du secteur
associatif par rapport au statut de la fonction publique. Une évolution trop rapide de la
convention, simple reflet des nouvelles contraintes administratives, et dans le cadre
des logiques d’appels d’offre se renforçant, risque d’exposer en fait totalement le
secteur associatif, et cela en ordre dispersé, financeur par financeur, et département
par département, à ce décrochage. D’un autre côté, une affirmation renouvelée du
secteur associatif supposerait une capacité de peser autrement dans les négociations
avec les pouvoirs publics que sur la base de l’émiettement qui le caractérise. Le travail
à peine engagé de regroupement des fédérations et de renforcement des
représentations reste largement à entreprendre.
On le voit, après avoir tenté de résister vaille que vaille au statut de prestataire de
service et à l’enfermement pur et simple dans une logique de régulation de type
tutélaire, le secteur associatif impliqué dans la gestion d’équipements sociaux et
médico-sociaux est largement en voie de passer à un statut de sujétion, soumis qu’il
est aux normes administratives et gestionnaires et à la mise en concurrence. C’est
bien par une approche rationalisatrice et gestionnaire, relayée cette fois par tous les
acteurs publics, ce qui n’avait pas été le cas dans la phase précédente, la
décentralisation étant venue, moins d’une dizaine d’années après la loi de 75,
déstabiliser quelque peu l’effort public visant à mieux administrer le secteur de l’action
sociale. Mais trente ans plus tard, la logique de l’administration publique est cette fois
au point : les textes législatifs s’enchaînent les uns aux autres avec une rigueur
imparable. L’heure a bien sonné d’une reprise en main par la puissance publique d’un
champ d’action sociale et médico-sociale qui, s’il avait déjà largement été suscité par
cette dernière et par ses financements, n’avait pas cependant jusqu’à présent été
administré et géré avec l’exigence que nécessite aujourd’hui le nouveau contexte de
contraintes économiques, ni avec l’efficacité que permettent les nouveaux outils
techniques, gestionnaires et informatiques notamment.
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Si la visée de la régulation tutélaire reste la même, on peut dire que l’intégration
d’éléments de plus en plus divers dans les outils de gestion publique, référés à
d’autres formes de régulation, d’insertion ou concurrentielle, et touchant
progressivement l’ensemble des acteurs du champ, nous fait basculer progressivement
dans une nouvelle forme de régulation « managériale » que nous qualifierions de
technocratique. C’est, en effet, la technique, et l’outil informatique en particulier, qui
permettent à l’administration aujourd’hui d’articuler toutes ces formes de régulation
dans une visée tutélaire cette fois médiatisée par un montage impressionnant d’outils
juridiques et gestionnaires.
Nous ne pouvons pas penser cependant qu’il s’agit là du dernier mot sur l’organisation
et le pilotage de l’action sociale. L’ensemble des textes d’orientation, que ce soit en
matière de handicap, de protection de l’enfance ou encore de prévention de la
délinquance, promeuvent, en effet, une forme de pilotage politique de l’action sociale
reposant sur une conception conventionnée de la régulation publique. Toutefois, il y a
loin entre l’énoncé des modalités de pilotage posées par les textes et leur mise en
œuvre effective. L’approche technocratique et gestionnaire prend d’autant plus le pas
sur l’approche en terme de gouvernance et de pilotage participatif et coopératif sur les
territoires que les acteurs publics en charge de la mise en œuvre de ces textes se
voient souvent, eux-mêmes, enfermés dans une double contrainte entre animation
territoriale, pour laquelle ils sont souvent très mal préparés, et impératif de gestion,
pour lequel ils se voient, au contraire, dotés d’outils toujours mieux ajustés. C’est donc
face à une administration, elle-même en difficulté sur ses modes de gouvernance, et
donc tentée de mobiliser avant tout un savoir-faire de type technocratique, le plus
souvent contreproductif par rapport aux visées attendues, que le secteur associatif doit
mobiliser aujourd’hui ses propres réflexions en matière de gouvernance et de
dirigeance.
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Les nouveaux enjeux de gouvernance associative prom us par la transformation
des politiques publiques
C’est donc dans ce contexte de rationalisation de l’action sociale et de ses logiques
d’action qu’émerge depuis les années 2000 une forte remobilisation des associations
d’action sociale du côté de leur légitimité associative. Presque toutes se sont lancées
dans une démarche de projet associatif. Cela a aussi été le cas, nous l’avons vu, à la
Sauvegarde du Morbihan en 2005-2006. Ces associations sont ainsi amenées à
s’interroger sur l’implication de l’ensemble des parties-prenantes à leur projet
associatif : administrateurs, bénévoles, adhérents, professionnels et usagers. Elles se
demandent comment accroître leur audience locale et territoriale, comment recruter de
nouveaux adhérents, comment rendre leurs conseils d’administration plus engagés du
côté de l’action des professionnels et capables de les relayer par leur parole auprès
des élus. Ainsi l’isomorphisme institutionnel des associations ne serait-il peut-être pas
inéluctable, contrairement à ce que prévoyait Albert Meister104 qui estimait que la loi
d’airain des associations gestionnaires résidait dans le fait qu’elles finissaient
forcément par s’identifier aux fonctionnements bureaucratiques des administrations sur
lesquelles elles étaient adossées
La réflexion sur l’organisation de la Sauvegarde 56 et sa dirigeance intègre cette vision
d’un renouvellement nécessaire de la gouvernance associative, avec notamment une
meilleure circulation entre l’instance politique et l’organisation professionnelle, mais
aussi une plus grande mobilisation des acteurs au fait associatif, les professionnels en
particulier, mais également les usagers.
Finalement la question de l’organigramme de l’association et de la nouvelle
configuration mieux articulée des dirigeants vise notamment à renforcer elle aussi la
capacité associative à exercer un véritable rôle politique face au renforcement
généralisé du cadre gestionnaire ignorant largement, comme la plupart des récents
textes administratifs le prouvent, le fait associatif. Ainsi n’y a-t-il pas nécessairement de
hiatus entre une organisation plus cohérente, développant son professionnalisme sur
la base d’outils de qualité et d’évaluation, et répondant ainsi mieux aux exigences de
l’administration, et la volonté de donner plus de poids à la dimension associative. C’est
aussi la transformation du cadre sociopolitique de l’action sociale qui convoque ainsi
104 Albert Meister, Vers une sociologie des associations, Paris, Editions Ouvrières, 1972.
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les associations à une redéfinition de leur propre rôle politique. En effet, tout en
renvoyant de manière continue et croissante depuis les lois de décentralisation des
pans entiers de l’action sociale aux départements, le législateur a également instauré
une nouvelle gouvernance politique de l’action sociale en faisant du Président du
Conseil Général le chef de file de l’ensemble des grandes politiques sociales :
protection sociale, handicap, personnes âgées, lutte contre les exclusions… Ainsi
n’est-ce pas seulement l’administration et la gestion qui est descendue au niveau des
départements, mais également la politique d’action sociale nécessitant une
remobilisation de la légitimité des acteurs, élus territoriaux bien sûr au premier chef,
mais également élus associatifs jusqu’alors essentiellement recrutés sur la base de
leur bonne volonté ou de certaines compétences techniques pour gérer au mieux les
intérêts et le patrimoine de l’association (notaire, architecte, avocat, par exemple,
comme c’était le cas des principaux membres du conseil d’administration de la
Sauvegarde lors de la période récente 1995-2004). La phase récente oriente plutôt
l’association vers la cooptation d’administrateurs sensibilisés à l’action sociale, anciens
professionnels pour beaucoup. Il reste difficile pour elle de mobiliser directement des
citoyens simplement intéressés à la cause sociale par leur ancrage local dans la vie de
la cité. C’est pourtant l’un des enjeux du renouvellement de la légitimité politique
associative qui passera sans doute par une autre implication des destinataires de
l’action eux-mêmes, dans le projet même de l’association.
C’est sur le fond de ce nouvel enjeu de gouvernance associative que s’engagent donc
les transformations importantes de la dirigeance dans une approche que l’on pourrait
qualifier de systémique. La mutation de la figure du cadre que l’on observe, n’est pas
étrangère, en effet, à la mutation de la figure de l’administrateur. Les logiques d’action
plus collectives recherchées au sein du conseil de direction ne sont pas sans écho du
côté de celles visées par le pilotage du conseil d’administration. Au modèle de leader
charismatique de l’acteur se substitue la capacité pour celui-ci d’ajuster l’institution à
une problématique permanente et globale du changement relevant d’une
transformation systémique et affectant l’ensemble de la structure, ses modes
coopération, de communication et de référence, sa culture…
Finalement, en se saisissant des aspects procéduraux contenus dans les nouveaux
textes de cadrage du secteur social, les associations parviennent, par une relative
aisance et souplesse liée à leur statut à réagir aux contextes de changement, à
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redessiner peu à peu, par leur manière propre de remplir les cadres prescrits, les
conditions d’une certaine autonomie. Mais elles s’engagent aussi pleinement dans une
nouvelle approche de leur gouvernance susceptible de dépasser le clivage historique
entre organisation professionnelle, d’une part, qui a mobilisé l’essentiel de l’initiative au
cours de la période 1975-2002 dans les associations d’action sociale de type
Sauvegarde, et instance associative, d’autre part, réduite le plus souvent à entériner la
dynamique de l’organisation professionnelle. Il s’agit désormais de concevoir une
meilleure répartition des pouvoirs et contre-pouvoirs entre une multiplicité d’acteurs
partie prenante au projet associatif et de les associer au processus de la décision
politique autour de la définition de ce qui relève du bien commun partagé.
L’ambivalence fondamentale du concept de gouvernanc e
Il ne faut pas négliger toutefois l’ambivalence fondamentale du concept de
gouvernance à l’œuvre au sein des associations d’action sociale aujourd’hui. Cela est
d’ailleurs vrai, tout autant, pour les principaux acteurs territoriaux que sont devenus les
départements. Au regard du renforcement des réglementations dont ils se trouvent
chargés de la mise en œuvre, mais aussi au regard de l’interrogation sur leur éventuel
rattachement à l’échelon déconcentré de la Région, dont on mesurera à partir de 2010
avec l’entrée en action des Agences Régionales de Santé (ARS) combien ce niveau
territorial se trouve renforcé, on peut, en effet, se demander si le nouveau concept de
gouvernance territoriale relève vraiment d’une démarche politique décentralisée,
participative et citoyenne impliquant la société civile, ou s’il ne s’agit pas plutôt d’une
retour déguisé de l’Etat venant instrumentaliser tous les échelons et acteurs
intermédiaires par le jeu d’une législation et d’un contrôle inflationnistes. Participation
des acteurs certes, mais retour en force de la norme qui légitime toutes les questions
qui se posent aujourd’hui sur le concept de gouvernance.
Bien sûr le rôle et la stratégie des associations sera bien différent selon qu’on
considère les nouveaux enjeux de la gouvernance comme des enjeux avant tout
normatifs ou, au contraire, avant tout participatifs. Or ils relèvent certainement des
deux approches ; mais les conséquences se trouvent singulièrement différentes pour
les associations, selon qu’on accentue l’approche en termes de contrôle renforcé ou
bien celle en termes d’implication renouvelée des acteurs. Effectivement, différentes
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stratégies associative se dessinent au regard de ces enjeux. Certaines associations,
avant tout centrées sur la compréhension des enjeux normatifs et gestionnaires qui
s’imposent désormais au champ de l’action sociale, déploient des stratégies
d’anticipation afin de leur permettre de se situer au mieux dans le nouveau marché de
l’action sociale défini par les nouvelles réglementations publiques. Ce sont des
associations qui accélèrent les logiques de regroupement, d’allègement des
contraintes conventionnelles, de positionnement dans le cadre des logiques d’appels
d’offre, estimant que ce sont avant tout ces dynamiques parallèles au champ de
l’entreprise et propres à la régulation concurrentielle qui permettront d’adapter le
monde associatif au réalités du contexte dans lequel nous sommes entrés. D’autres
associations, au contraire, sans négliger les outils de qualité, d’évaluation,
d’organisation plus cohérente et de mutualisation avec d’autres acteurs associatifs
privilégient cependant avant tout le maintien d’un ethos associatif où les enjeux de
valeurs, d’adhésion, d’implication de l’ensemble des acteurs et des parties prenantes,
de travail en réseau, priment sur ceux de l’adaptation à tout prix aux logiques
technocratiques et gestionnaires. Se redessinent ainsi les frontières d’une nouvelle
forme de positionnement associatif face à la normalisation du champ social et médico-
social par l’action publique, qui passe par un renouvellement des enjeux de
gouvernance associative sur la base d’approches avant tout démocratique,
participative et citoyenne.
Nous ne sommes qu’à l’approche de ce mouvement, mais les formes s’en dessinent
déjà assez nettement, le plus souvent d’ailleurs en écho aux anciennes logiques de
résistance qui avaient fait prévaloir au sein de certaines Sauvegardes en particulier,
mais également d’associations dont les dirigeants étaient membres du Groupement
National des Directeurs d’Associations, cette approche « corporatiste
entrepreneuriale » dont nous avons parlé pour les années 1980-2000. Des logiques
identitaires et culturelles profondes se trouvent donc mobilisés autour de ces nouveaux
enjeux de la gouvernance associative. La Sauvegarde du Morbihan, pour ce qui la
concerne, même si elle n’a pas encore pu déployer tous ces enjeux de démocratie
associative, s’y emploie. Elle a résolu au cours des années 2002-2007 les crises
économique, dans le champ de l’insertion, et pédagogique, dans le champ de
l’éducation, qui résultaient pour une part, on l’a vu, du refus de se laisser
instrumentaliser comme prestataire de service lors de la première grande période de
rationalisation de l’action sociale (1975-2002). Elle entreprend, depuis l’élaboration de
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son premier projet associatif (2005-2006), un travail global de renouvellement de sa
gouvernance dont les enjeux et les ressorts restent encore une volonté d’échapper à
l’instrumentalisation et à la pure et simple administration gestionnaire par les pouvoirs
publics, afin d’affirmer au contraire les marges d’initiative et de créativité propre au
monde associatif et garantes d’une véritable dynamique de progrès en matière d’action
sociale. Dans le même temps, la mise en œuvre des outils de la loi du 2 janvier 2002,
la démarche d’évaluation centrée sur l’amélioration continue de la qualité, la
transformation de l’organigramme associatif dans une visée d’efficience renforcée,
mais également le travail de réseau actif avec les autres partenaires associatifs visent
à utiliser toutes les ressources techniques et les contraintes fixées par la loi comme
autant de supports et de leviers pour dynamiser une conception de l’association et de
sa légitimité fondée sur une dimension coopérative, mutualiste et démocratique
susceptible de refonder le fait associatif.
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II - Politiques publiques et associations : les termes
d’un nouveau pacte social
Organisation coopérative et démocratie associative
C’est sur le plan de l’organisation concrète de la Sauvegarde 56 que nous souhaitons
traduire à présent la problématique qui précède concernant les enjeux de la
gouvernance associative aujourd’hui. Bien sûr, plusieurs objets de recherche et
plusieurs approches seraient mobilisables à cet égard : l’approche culturelle et
identitaire, par exemple, renvoyant les choix de gouvernance aux grandes typologies
de l’associatif qui ont structuré en France le champ de l’action sociale. L’accent
pourrait également être mis, avant tout, sur mobilisation démocratique et participative
de toutes les partie-prenantes au projet associatif. La question du dialogue social au
sein de l’organisation, la façon d’aborder, par exemple, les enjeux de conflictualisation
autour de la rénovation de la Convention Collective 66 pourraient également constituer
une autre porte d’entrée pour aborder cette problématisation de la gouvernance
associative. Le positionnement encore de l’association dans le cadre d’une nouvelle
configuration des territoires de l’action sociale, avec la participation aux schémas
territoriaux avec les logiques d’acteurs collectifs et en réseau que cela suppose
traduirait quant à elle la conception sous-jacente de la gouvernance à l’œuvre au sein
de l’association aujourd’hui et sa recherche d’articulation avec une régulation publique
conventionnée. Un travail approfondi sur chacune de ces problématiques secondaires
serait sans doute de nature à traduire une philosophie de l’action convergente en ce
qui concerne l’association. Nous avons choisi, dans le cadre de ce travail, et au regard
de la phase de transformation en cours de nous intéresser à la question de
l’organisation dans la mesure où elle présente l’avantage de faire le lien entre la
logique de l’intervention, avec la clinique qu’elle sous-tend, et celle de la dimension
politique de l’association à laquelle sont convoqués les acteurs de la nouvelle politique
territoriale de l’action sociale. C’est ainsi, au cœur de l’utilité sociale de l’association,
que nous souhaitons vérifier les enjeux d’une gouvernance, reposant sur une
organisation professionnelle traduite elle-même par des modalités d’action structurées,
qui soit susceptible de contrecarrer les effets déstructurants d’une conception
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purement utilitaire et instrumentale de l’individu et de l’usager tels que nous avions pu
les percevoir dans le cadre de l’analyse de l’ouvrage de Jacques Généreux, la
Dissociété105, ou dans l’enseignement d’Alain Caillé106.
C’est autour d’une nouvelle conception de l’autorité, horizontale, ouverte, coopérative,
et en réseau, se démarquant à la fois de la structure floue, en étoile autour d’une
personnalité garante des clés essentielles par la maîtrise du système relationnel,
caractérisant le fonctionnement charismatique, mais tout autant de la structure
bureaucratique, verticale et imposée de l’autorité, fondée sur la norme et la règle, que
nous allons nous efforcer de vérifier concrètement les fondements de la gouvernance à
l’œuvre dans l’association. Ce faisant, il s’agira également de définir la manière
singulière dont l’organisation se saisit de l’ensemble des contraintes mais aussi des
ressources technocratiques et gestionnaires structurant de manière toujours plus
précise le secteur de l’action sociale. Cette culture technocratique s’impose en effet de
manière de plus en plus manifeste et incontournable comme la structure de fond de
toutes les organisations professionnelles, qu’elles relèvent du monde de
l’entreprise, de l’administration ou de l’association. Toutefois, chaque organisation est
amenée à composer de manière originale et particulière avec cette structure de fond
où la technique et la gestion jouent le rôle majeur. Nous allons voir, en ce qui concerne
la Sauvegarde 56, comment les approches administratives et technocratiques qui
s’imposent désormais à l’ensemble du champ social peuvent être mises à contribution
d’une dynamique coopérative et foncièrement associative, là où la structure
charismatique antérieure, sur laquelle avait été fondée, et dans le cadre de laquelle
s’était développée l’association, s’était trouvée, elle, confrontée à une crise majeure et
avait été tenue en échec. Le passage du charisme à la coopération est ainsi une
manière de remobiliser fortement les ressources des acteurs, non plus dans le sens
d’un assujettissement et d’une dépendance aux figures tutélaires de l’autorité qui ont
fondé la culture du secteur, mais dans celui d’une circulation du sens entre tous les
« auteurs » que sont tous les acteurs et toutes les parties prenantes de l’association.
105 Cf. note de lecture. 106 Cf supra, Introduction.
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Une organisation coopérative articulée aux politiqu es publiques au service des
usagers
C’est la mise en œuvre d’une démarche coopérative au sein de la Sauvegarde 56 qui a
conduit à la transformation de l’organisation professionnelle. Le projet associatif, lui-
même, a permis la transmission de cette démarche, jouant à la fois le rôle de
traducteur pour les professionnels et d’accélérateur des réformes. Mais il est important
de rappeler que cette démarche coopérative, elle-même, résultait d’un travail conduit à
partir de l’impasse dans laquelle les comportements des jeunes violents avaient placé
les équipes éducatives des internats à la fin des années 90. C’est donc par la prise en
compte de la parole, même implicite et souvent symptomatique, des usagers
qu’étaient, en l’occurrence, les jeunes des internats éducatifs historiques de la
Sauvegarde que le système d’ensemble a pu commencer à bouger. L’enjeu consista
alors à quitter le modèle traditionnel de réponse d’ « encadrement », reposant sur des
postures éducatives et un système d’autorité et de valeurs vertical et relativement clos
sur lui-même, et à inventer des dispositifs beaucoup plus ouverts et reliés entre eux
permettant aux jeunes d’inventer leur parcours en référence à un système d’autorité
dès lors beaucoup plus circulaire et signifiant, mis en œuvre par les adultes. Cette
réforme du système d’autorité est fondamentale pour comprendre la nature des
changements apportés à l’organisation professionnelle, que ce soit sur le plan de la
structure ou de la culture. Il est essentiel de souligner qu’elle résulte, avant tout, d’une
modification de la conception même de l’usager, et pas seulement de sa place comme
y enjoint la Loi du 2 janvier 2002 ! D’un adolescent et de sa famille, qu’il s’agissait
avant tout d’ « encadrer », et donc en quelque sorte de « ré-éduquer », on est passé,
en effet, à une prise en compte globale et systémique de l’adolescent, de sa famille et
de l’institution, dans la mobilisation d’une nouvelle conception du rôle de cette dernière,
en particulier, comme devant véritablement « engendrer » les jeunes au sens de leur
parcours de vie, soit en quelque sorte faire avec une certaine non-maîtrise, une certain
manque, de structure, du côté de l’origine : ce qui revient à les considérer comme des
sujets naissants, et non plus seulement à se contenter de les « encadrer » ou de les
« ré-éduquer », fut-ce par des idéaux ou des valeurs éducatives normatives.
Cette modification du regard et de la posture éducatives a été rendue possible par la
modification de l’organisation de l’association tout autant qu’elle a rendu possible cette
dernière. Nous ne rendrons pas compte dans ce travail de l’analyse stratégique et des
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jeux d’acteurs, facilitateurs ou freins dans cette transformation, et ce de manière
quelquefois tout à fait paradoxale, l’intelligence systémique d’un niveau d’action et les
jeux de pouvoir qui pouvaient s’y développer pouvant constituer une résistance pour un
changement institutionnel plus global. On avait vu ainsi ce mécanisme à l’œuvre très
tôt dans l’association avec l’autonomisation de l’équipe d’AEMO de Vannes107 qui, sur
la base du développement d’une forte compétence systémique entretiendra longtemps
une tension dialectique mais fructueuse avec l’institution Sauvegarde. C’est
notamment par généralisation et ouverture de cette culture systémique, en
commençant par les internats éducatifs en crise, et en l’articulant avec une conception
renouvelée de l’institution, fondée sur la notion de cadres et de dispositifs articulés de
travail, en référence notamment à l’analyse psychosociologique des institutions
développée par l’ARIP108, que s’est engagé de l’intérieur la transformation
organisationnelle de la Sauvegarde 56.
Or cette transformation n’est pas sans écho par rapport à la nouvelle conception de
l’autorité qui fonde la notion de « gouvernance » reposant sur une approche
horizontale et ouverte, s’opposant à la notion de « gouvernement » vertical. « Le
gouvernance, en son acceptation la plus neutre, renvoie aux modes de répartition des
pouvoirs entre une multiplicité d’acteurs et aux processus de décision politique qui,
dans la société, permettent d’élaborer et de mettre en œuvre ce qui est considéré de
manière légitime comme des biens publics. »109 Se met en place une sorte de
synergie entre un nouveau modèle pédagogique, une forme d’organisation moins
segmentée et reliant l’ensemble des acteurs d’un champ autour d’un projet unifié, la
gouvernance associative au sens large d’une forme de relation réinventée de toutes
les parties prenantes autour du bien commun et du projet, et la gouvernance publique
enfin, comme capacité pour les pouvoirs publics de piloter tout un ensemble d’acteurs
dans la mise en œuvre de logiques d’action au service de l’intérêt général. Au modèle
vertical et bureaucratique, reposant sur l’imposition et sur la règle, succède dans tous
ces champs un modèle beaucoup plus horizontal, en réseau, reposant sur la
négociation, l’ajustement permanent, et la participation. Cependant, un certain hiatus
peut survenir entre la transformation d’une organisation comme la Sauvegarde 56 et
celle des modes de pilotage des pouvoirs publics. Comme nous l’avons vu, il est
107 Cf. Supra 108 Cf. Introduction 109 Fabrice Traversaz, « Gouvernance et changement des associations gestionnaires », SciencePo formation, 20 juin 2008.
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tentant pour les pouvoirs publics de passer de la logique de régulation tutélaire,
verticale et bureaucratique, à une logique de régulation technocratique qui, en dépit de
textes d’orientation préconisant des pilotages participatifs et des modes d’élaboration
reposant sur la co-construction avec les partenaires, s’impose en fait comme une
véritable mise au pas normative des associations.
La dialectique de l’articulation entre une démarche coopérative de changement et
l’approche gestionnaire d’un Conseil Général a été illustrée, par exemple, pour la
Sauvegarde 56 en 2007 par la signature d’un protocole d’accord visant à une
réorganisation des services de la protection de l’enfance et faisant suite au projet
associatif. Celui-ci a fait l’objet de travaux d’approche extrêmement laborieux, la
sollicitation explicite d’une aide adressée par l’association au Conseil Général afin que
celui-ci l’aide à accomplir les transformations engagées sur la base des différentes
logiques énoncées ci-dessus, se traduisant, au contraire, par la multiplication
d’obstacles divers à cette visée de changement. Il est vrai que l’association sortait tout
juste d’une profonde crise économique d’une quinzaine d’années et qu’elle dépendait
alors totalement de la bonne volonté du Département pour réussir cette sortie : elle
devait encore faire ses preuves ! Mais la structure elle-même du Conseil Général se
présentait alors, en matière de protection de l’enfance, comme une organisation
extrêmement clivée peu en mesure de prendre en compte sinon d’accompagner les
dynamiques de changement à l’œuvre dans l’association. C’est pourquoi l’invention
d’une nouvelle forme de régulation entre pouvoirs publics et associations, prenant en
compte l’ensemble des changements mis en œuvre et se refusant à une simple
prescription administrative extérieure constituera, pensons-nous, à l’avenir, l’une des
clés de la réussite des politiques publiques, en matière d’action sociale.
L’enjeu de la co-construction d’une régulation conv entionnée entre politiques
publiques et associations
Le risque majeur que fait courir aux politiques d’action sociale l’ensemble des outils
gestionnaires promus aujourd’hui par les administrations pour réguler les modes de
dirigeance associatifs est celui d’une instrumentalisation qui ne tiendrait pas
suffisamment compte de la complexité de l’héritage institutionnel des associations à
transformer de l’intérieur, ni de la capacité de changement des pilotages publics eux-
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mêmes. Or, c’est à cet interface que se joue pourtant tout l’enjeu à la fois d’une
meilleure dirigeance de l’action sociale intégrant l’ensemble des ressources des
acteurs publics et privés et également d’une meilleure gouvernance garante d’une
contribution de l’ensemble des « biens communs » portés par les acteurs collectifs que
sont les associations dans l’espace politique.
L’instrumentalisation, ou encore l’accentuation de la logique de régulation tutélaire par
déplacement technocratique des administrations sans transformation de leur mode de
dirigeance verticale, peut simplement consister en une sorte de court-circuit entre une
conception individualiste et utilitariste de l’usager-client et le développement d’une
rationalisation de l’action fondée sur la mise en concurrence, l’appel d’offre au service
de ce bénéficiaire potentiel. C’est, bien sûr, écraser considérablement la conception
de l’individu développée dans les associations, avec leurs systèmes de valeurs, leurs
professionnels, et leurs méthodes d’intervention. La conception de l’usager-client, si
elle est conforme à l’anthropologie sous-jacente à l’économie libérale110 s’éloigne, en
effet, considérablement des conceptions de la personne et du sujet qui fondent l’action
sociale. Or ces conceptions sont tout sauf instrumentales. Qu’il s’agisse de la
« personne », dans ce qu’elle a « d’inappropriable pour elle-même ou par des
tiers »111, et dont l’intégrité n’est pas sans lien avec le sujet clinique des
professionnels, qu’il s’agisse du sujet de droit constitué comme acteur social par la
collectivité par un tout un ensemble de prérogatives d’actions et d’obligations qui
fondent sa capacité juridique, qu’il s’agisse enfin du citoyen fondé également en droit à
participer à la sphère politique, on est loin, en effet, de ce réductionnisme qui semble
guider le plus souvent aujourd’hui les logiques d’action sociale.
Sans la mobilisation de la ressource d’institutions intermédiaires112 supposant aussi les
marges de manœuvre suffisantes pour qu’elles inventent de nouvelles formes de
légitimité, comment pourrait se développer une régulation vraiment démocratique de
l’action sociale par les politiques publiques ? Le développement d’une régulation
conventionnée suppose un véritable processus de co-construction du champ d’activité
entre acteurs associatifs et responsables publics. Autant qu’il implique de la part de
ces derniers de surmonter la tentation de la seule logique gestionnaire pour ouvrir au
110 Cf. note de lecture consacrée à l’ouvrage de Jacques Généreux, La Dissociété, Op. cit. 111 Robert Lafore, Intervention aux journées de Paris du GNDA, mars 2009 112 Renaud Sainsaulieu, Des sociétés en mouvement, La ressource des institutions intermédiaires, Desclée de Brouwer, Paris 2001
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contraire des espaces de concertation, d’élaboration et de décision susceptibles de
prendre en compte la multiplicité des paramètres mais aussi des acteurs impliqués.
Ainsi l’attribution des financements repose-t-elle alors sur des règles définies dans le
cadre d’un débat ouvert avec l’ensemble des parties prenantes : le prix n’est dès lors
pas le seul critère discriminant mais la dimension d’utilité sociale est également prise
en compte, ainsi que la valorisation des réseaux d’acteurs ou encore du projet
associatif ou inter-associatif113.
La transformation conduite au sein de la Sauvegarde 56 n’aurait pas pu être le fruit
d’une seule approche gestionnaire, technocratique ou tutélaire de la part des pouvoirs
publics. L’application stricte de celle-ci aurait d’ailleurs conduit l’association à une
sérieuse mise en difficulté économique et, dans le pire des cas, à un dépôt de bilan
comme ce fut le cas pour plusieurs des associations filiales. Ce n’est pas ce qui s’est
passé. Les efforts de la Sauvegarde pour s’impliquer dans le champ de l’insertion,
même si les bases gestionnaires n’étaient pas consolidées, ont été pris en compte et
considérés, le Département se sentant de plus en plus concerné lui-même par ce
secteur d’action touchant à la précarité sociale. Un compromis a donc été trouvé sur le
plan financier, la réalisation d’éléments du patrimoine de la Protection de l’Enfance
venant, avec l’accord du Conseil Général, sécuriser la trésorerie de l’association.
La reconnaissance de la Direction Générale de l’association en 2004 sur la base du
récent décret de tarification a, elle aussi, fait l’objet de négociations serrées. Mais, au
final, les outils ont été donnés à la Sauvegarde 56 pour conduire son changement et
poser les bases d’une modernisation conduisant au projet associatif, à la mise en place
d’une évaluation interne et d’une démarche d’amélioration de la qualité, au
développement d’une politique de gestion prévisionnelle des emplois et des
compétences… C’est désormais le pôle Ressources de l’association qui sera
principalement en charge de ces logiques d’action. Mais nous l’avons vu, c’est surtout
sur la base de son organisation interne que l’association s’est déplacée sans d’ailleurs,
jusqu’alors, trouver l’écho des changements qu’elle promouvait du côté des dispositifs
publics qu’il s’agisse de l’Etat, à travers la DDASS et la Protection Judiciaire de la
Jeunesse, ou à travers le Département.
113 Elisabetta Buccolo, « L’encastrement politique des associations », in La démocratie, un enjeu pour les associations d’action sociale, Desclée de Brouwer, Paris, 2008, pp. 193-208
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Cette transformation de l’association par pôle a eu davantage d’effets, dans un premier
temps, en matière de partenariat avec les autres acteurs associatifs sur les deux
principaux champs d’action : la protection de l’enfance et la lutte contre les exclusions.
Elle a conduit notamment l’association à développer un partenariat étroit dans le cadre
d’un collectif associatif, CAPE 56114, avec plusieurs autres associations de protection
de l’enfance. Ce processus est appelé à se renforcer et à peser sûrement demain dans
le recherche d’une logique conventionnée et collective entre les associations de
protection de l’enfance du département et le Conseil Général. En ce qui concerne le
secteur adultes, l’organisation en pôle de compétence a, de son côté, permis
d’envisager une coopération plus étroite, notamment avec une autre association
lorientaise œuvrant dans le champ de la lutte contre les exclusions et ainsi de
reconfigurer les dispositifs d’intervention sur le département.
L’ensemble de ces transformations demande encore à être reconnu pour que
l’association s’inscrive véritablement dans une régulation publique de type
conventionnée. Actuellement, en particulier du côté du Département, comme c’est le
cas sur l’ensemble du territoire français avec la mise en œuvre de la Réforme de la
Protection de l’Enfance de mars 2007, l’attitude des responsables publics est plutôt
d’affirmer le rôle de chef de file du Président du Conseil Général qu’ils représentent
dans le pilotage de cette réforme. La régulation tutélaire est plus présente que la
régulation conventionnée. D’autant qu’il y a au cours de ce premier semestre 2009 une
vacance de poste à la direction de la DDISS115 et qu’il n’y a donc pas de pilote pour la
mise en œuvre d’instances consultatives ou de décisions. La perspective d’un nouveau
schéma départemental de protection de l’enfance, comme celle de la mise en œuvre
de contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens, que ce soit avec la DDASS pour le
secteur de lutte contre les exclusions, ou avec le département pour la Protection de
l’Enfance, devraient ouvrir à terme des espaces nouveaux de reconnaissance
mutuelle, de collaboration et de participation. La Sauvegarde a travaillé de son côté
avec ses partenaires associatifs afin que cette participation à la définition des
politiques publiques soit conduite sur un mode collectif, articulé et relié, et non pas
concurrentiel et segmenté comme ce fut le cas par le passé.
114 Conférence des Associations de Protection de l’Enfance du Morbihan. 115 Direction Départementale des Interventions Sanitaires et Sociales.
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199
Vers un véritable projet de gouvernance associative pour la Sauvegarde 56
mobilisant toutes les parties prenantes de l’associ ation
Nous l’avons vu tout au long de ce travail, les logiques institutionnelles de l’association
ont beaucoup évolué notamment au regard de ce que Fabrice Traversaz nomme les
« polarisations de la régulation associative »116 : Celui-ci identifie trois phases
principales de la régulation interne à l’association que nous avons retrouvées dans le
déroulement de notre étude. La phase de la « régulation politique » correspond à la
phase inaugurale fondée exclusivement sur le bénévolat : c’est « le temps du
mouvement, de l’association militante »117. L’espace public associatif recouvre alors et
englobe celui de l’activité éducative et sociale. La phase que Fabrice Traversaz
nomme ensuite le « conflit de la régulation » correspond à un moment de la
trajectoire institutionnelle où l’association est l’objet d’une processus de différenciation
entre espace public associatif, les instances, et organisation professionnelle qu’il
dénomme alors « organisation missionnaire » en référence à la fois aux pionniers de
l’éducation et du social et également au sursaut entrepreneurial que nous avons décrit
dans un second temps en ce qui concerne la Sauvegarde du Morbihan. Vient ensuite
la phase de la « régulation professionnelle » caractérisée par l’envahissement
gestionnaire qui est le fait du contexte, de l’environnement, des exigences
administratives mais qui se traduit aussi de l’intérieur de l’organisation par de nouvelles
exigences fondées sur des compétences elles-mêmes informées par les cadres
réglementaires. C’est le temps écrit Fabrice Traversaz de « l’isomorphisme
institutionnel » où l’organisation finit par se confondre avec les administrations sur
lesquelles elle est adossée, n’est plus qu’un « faux nez associatif » qui masque en fait
une « bureaucratie professionnelle ». Si dans la phase précédente l’espace public
associatif et l’organisation professionnelle restent bien distinctes et plutôt clivées, dans
cette phase de l’isomorphisme institutionnel, marquée par la prégnance de la
régulation professionnelle, l’espace public associatif est pratiquement entièrement
recouvert par l’excroissance de l’organisation professionnelle, elle-même envahie par
une logique gestionnaire.
Nous avons pu observer ces différentes phases au cours de notre étude qui débouche,
nous l’avons vu, sur une véritable « crise associative ». En ce qui concerne la
116 Fabrice Traversaz, « Gouvernance et changement des associations gestionnaires », Diaporama Op. Cit. 117 Idem
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Sauvegarde du Morbihan, la conséquence de cette crise est tout simplement la mise
sous tutelle financière de l’association par le Département, ce qui correspond, en
interne, à une sérieuse interrogation sur le mode de dirigeance de l’association. Mais
Fabrice Traversaz, là encore, va plus loin pour caractériser cette crise globale,
systémique, du modèle associatif lorsqu’arrive ce temps de l’isomorphisme
institutionnel. Il constate une crise du bénévolat et du militantisme, très observable à
La Sauvegarde 56 où, on l’a dit, le nombre des adhérents passe de 120 au début des
années 70 à une trentaine en 2000. Cette crise de l’engagement se traduit encore par
une très faible participation des parties prenantes à la vie de l’association. Les
professionnels eux-mêmes se sentent de plus en plus professionnels et sont de moins
en moins impliqués par le fait associatif. Il constate également une absence de projet
politique ou sinon, « le rabattement de celui-ci sur le registre technique et
gestionnaire ». Le premier projet associatif de la Sauvegarde 56 est, on l’a vu, avant
tout un projet d’organisation qui touche encore relativement peu à l’espace public
associatif et à la mobilisation des parties prenantes. Lors de la période de
développement entrepreneurial, on a pu observer également « le problème de la
transparence entre les espaces et les groupes d’acteurs de la décision » : régnait en
fait la plus grande « ambivalence » quant aux formes d’autorité légitime, le lieu réel du
pilotage étant, en fait, celui de la dirigeance associative. C’est sur le fondement de ce
« contre-pouvoir professionnel », ancré dans des stratégies de reproduction que
Fabrice Traversaz peut parler d’un « gouvernement sans gouvernance » et, par
ailleurs, d’une sorte de « désinstitutionalisation de l’association comme espace
intermédiaire entre l’Etat et la société civile ».
En fait, en ce qui concerne la Sauvegarde du Morbihan, la tentative d’ancrer
l’association dans la société civile par le choix de Présidents qui en étaient issus a bien
eu lieu. Mais cette tentative a été conduite sans mobilisation politique et collective
d’envergure, davantage en référence au modèle charismatique qui structurait
l’organisation professionnelle. C’est pourquoi l’association abordera affaiblie la période
de l’inéluctable rendez-vous avec les pouvoirs publics qui, depuis son origine, en ont
organisé en quelque sorte le déploiement. Depuis 2002, la question de la gouvernance
de la Sauvegarde 56 s’est posée avec toujours plus d’acuité. La nomination en 2004
d’une nouvelle Présidente, Andrée Cario, porteuse de fortes valeurs, à la fois en
matière d’action sociale, de solidarité, d’ambition associative, est venue donner un
nouvel élan à cette refondation associative.
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C’est sous la présidence d’Andrée Cario qu’a été conduit le premier projet associatif
constituant le premier point d’accord en matière de gouvernance et, en quelque sorte,
la pierre de touche de la régulation associative. On l’a vu, c’est de ce projet, que toute
une nouvelle vision de l’organisation associative découle. Deuxième point d’accord,
c’est la recherche d’un plus grand équilibre entre pouvoirs et contre-pouvoirs au sein
de l’association. En dépit de quelques résistances professionnelles, l’affirmation du rôle
plus grand des administrateurs et leur plus grande information concernant la vie des
pôles est favorablement accueillie par le plus grand nombre de professionnels. Cette
recherche d’équilibre débouche naturellement sur une formalisation des
responsabilités et des délégations : les statuts ont été revus dans ce sens ; le
règlement général de fonctionnement a été complété ; une formation des
administrateurs et des cadres sur les délégations a été instaurée et l’élaboration de
l’ensemble des documents de délégation sera effectuée au regard du nouvel
organigramme qui se met en place. Autre point d’accord dans l’association, même si là
encore quelques résistances ont pu être notées, c’est le lancement d’une démarche
d’évaluation interne globale à l’ensemble de l’organisation et impliquant l’espace public
de l’association lui-même. Sans doute la limite de cette démarche est qu’elle reste
large et ne descend pas suffisamment dans la précision de l’évaluation des actions
conduites auprès des usagers. Mais le grand avantage de sa dynamique d’ensemble
est qu’elle cherche avant tout à faire le lien, en termes de gouvernance, entre toutes
les parties prenantes de l’association : les administrateurs et les professionnels, certes,
mais également les usagers, les bénévoles, les adhérents, les partenaires, les citoyens
impliqués aux côté de l’association sur les territoires.
Cette approche globale, par l’évaluation et la qualité, est peut-être de nature à
permettre à l’association de dépasser les points de débat qui demeurent en matière de
gouvernance, notamment la question du lien entre usagers et associations. La Loi
2002-2 a placé l’usager au centre de l’action professionnelle et a prévu des outils à cet
effet ; mais elle n’a rien dit du lien de l’association aux usagers. Or c’est bien autour de
cette question que peut se jouer une « réinstitutionnalisation » de l’Association comme
espace intermédiaire entre les pouvoirs publics et la société civile. Si les élus que sont
le Président du Conseil Général ou le Maire sont nommés chefs de file de l’action
sociale pour les missions qui leur sont confiées, n’est-ce pas dans l’interaction avec
des espaces intermédiaires eux aussi en lien, non seulement par des prestations
techniques mais également par de véritables espaces politiques de rencontres avec
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les citoyens, qu’ils pourront atteindre leurs objectifs ? En 2008 l’association organisait
une journée associative sur cette question du lien, par-delà la loi du 2 janvier 2002,
entre association et usagers. En 2009, une première journée événement est créée afin
de favoriser la rencontre entre les différentes parties prenantes de l’association et
particulièrement avec des usagers autour d’un événement sportif et convivial. Dans les
plans d’action qui font suite à la démarche associative d’auto-évaluation des
perspectives sont également posées à cet égard notamment autour de la création d’un
Conseil de la Vie Associative impliquant des représentants d’usagers, des
administrateurs, des adhérents, des professionnels…
Dans la même visée d’une refondation de la gouvernance associative, une charte des
bénévoles au sein de la Sauvegarde 56 a été élaborée dans le but d’arrimer plus
fortement ces acteurs, qui étaient jusqu’à présent davantage attachés à une équipe, à
la dynamique associative. Là encore ce fut une initiative portée par l’association et sa
présidente de créer volontairement ce lien afin de relier certains particularismes de
l’organisation professionnelle et si possible de les étendre en les faisant davantage
participer au « bien commun » de l’association.
Ce processus, en cours à la Sauvegarde 56, de transformation des relations entre le
politique et le technique peut-être perçu, ainsi que le propose Fabrice Traversaz,
comme une véritable stratégie associative d’adaptation dans le contexte
d’isomorphisme institutionnel que nous avons décrit. Il constituera certainement la
trame du prochain projet associatif de l’association qui, à échéance 2011-2012 devrait
être en mesure de poser les bases beaucoup plus politiques que celles du premier
projet en vue de la refondation de la gouvernance associative et de la mobilisation de
toutes ses parties-prenantes. Quoiqu’il en soit, l’étape qui a consisté en une refonte de
l’organisation autour de la création de pôles de compétence et d’une équipe de
direction générale, dans une visée de coopération généralisée, interne et externe, et
en particulier d’une meilleure formalisation de la coopération entre le politique et le
technique, aura constitué une phase nécessaire pour faire passer l’association d’une
logique avant tout centrée sur la personnalité de l’acteur à une logique collective,
participative et « politique » impliquant la ressource de tous les acteurs dans une
dynamique commune de changement. Du positionnement des politiques publiques à
l’égard du fait associatif et des marges de manœuvres qu’elles voudront bien laisser
aux associations, de l’avenir des territoires, mais aussi de la réussite de cette
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dynamique interne et partenariale de changement, dépendra la refondation ou non de
la gouvernance associative pour les associations comme la Sauvegarde 56.
Ajoutons que la conduite du changement au sein de l’organisation professionnelle, si
elle dépendra pour une part de l’unification stratégique de l’équipe de direction
générale, intégrant les directeurs de pôle, reposera aussi pour une grande part, à
l’intérieur des pôles, sur une mobilisation du rôle décisif des acteurs de l’encadrement
intermédiaire que sont les chefs de service et les directeurs adjoints. Comme celle qui
a procédé au changement global de l’association, c’est une démarche expérimentale et
évaluative qu’il s’agit avec eux de déployer. La transformation progressive laisse le
temps de l’élaboration du projet en ménageant des étapes transitoires dans la
perspective d’un modèle-cible d’organisation. Le temps de l’expérimentation est en
particulier décisif. Il s’agit d’être en mesure de s’accorder sur ce qui marche ou ne
marche pas : c’est une démarche évaluative qui cherche à mettre en évidence ce qui
fonctionne de manière expérimentale. La référence à des intervenants tiers est aussi
une clé essentielle pour accompagner ce registre processuel de changement sur la
base de la formation continue des cadres intermédiaires qui sont ceux qui le mettent
vraiment en œuvre avec tous les professionnels de l’association.
En ce qui concerne les dynamiques bénévoles, Fabrice Traversaz118 identifie plusieurs
tendances : les logiques de l’aide « gestionnaire » ou de l’aide « notabilaire » en
particulier. Si la Sauvegarde du Morbihan a mobilisé par le passé cette seconde
logique notabilaire, avec la figure en particulier de Madame Court qui l’a redressée, on
l’a vu, lors d’une période critique, on peut dire que celle de l’aide gestionnaire n’a, par
contre, jamais été vraiment mobilisée du côté de l’instance associative. Cette
dimension a toujours été renvoyée au cadre de l’organisation professionnelle. Avec le
recrutement d’une directrice administrative et financière en 2000, l’association a
clairement institué cette fonction de gestion et de contrôle financier du côté de
l’organisation socio-technique. Aussi est-ce une autre figure qui émerge désormais du
côté des instances associatives : celle de la « militance institutionnelle »,
particulièrement incarnée par la présidente. C’est tout le sens de la période actuelle,
située entre deux projets associatifs, l’un à vocation plus organisationnelle, l’autre à
visée davantage politique, au cours de laquelle l’objectif posé est d’accroître le nombre
d’adhérents, de mobiliser davantage les parties prenantes, de créer par des
118 Fabrice Traversaz, op. cit.
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événements appropriés davantage de circulation de la parole entre elles et de
construire des réseaux inter-associatifs référés au champ de l’économie sociale et
solidaire119.
Ainsi l’association après avoir connu une forme de régulation, entre espace politique et
technique, plutôt imposée par l’autonomie professionnelle est-elle en voie de mettre en
œuvre une forme cette fois négociée de régulation conjointe, reposant sur une vision
de la militance partagée. C’est cette référence commune à une nouvelle vision de
l’associatif, fondée sur les valeurs démocratiques de l’économie sociale, donnant du
poids à l’hybridation des ressources, y compris non monétaires, et de la solidarité qui
peut lui permettre de transformer, sinon de dépasser, la tension structurelle qui la
traverse en termes de gouvernance entre composante politique et composante
technique. Cet équilibre reste fragile. Fabrice Traversaz situe « la dyarchie » comme
problème structurel de la gouvernance des associations gestionnaires. Certains
pensent même qu’il est temps de mettre un terme à l’ambigüité en situant plus
clairement ces organisations dans le cadre d’un statut gestionnaire para-public de droit
privé. Nous pensons quant à nous que c’est à tenter vraiment de mobiliser la ressource
solidaire et démocratique de telles associations qu’elles pourront le mieux jouer leur
rôle dans les mutations de l’action sociale aujourd’hui.
119 Cf Annexe Rapport moral de la Présidente communiqué lors de l’Assemblée Générale de juin 2009
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III - Un nouveau paradigme pour l’institution en
action sociale
Les associations d’action sociale au défi d’entrepr endre !
A quelles conditions les associations d’action sociale peuvent-elles représenter une
alternative institutionnelle et politique crédible par rapport à l’affirmation d’une
gouvernance publique renforçant très fortement sur elles son emprise administrative et
réglementaire ? Y-a-t-il une approche politique de la gouvernance dont l’association
pourrait soutenir la visée et qu’elle pourrait incarner ou bien doit-on se résoudre à la
seule logique utilitaire, gestionnaire et instrumentale dont la contrainte même se fait de
plus en plus lisible et pressante à travers les concentrations recherchées, les
regroupements et toujours la rationalisation des moyens ? Cela indépendamment de
toute considération de l’histoire même des associations, des mobilisations humaines
qui les ont construites et des valeurs qui les ont animées !
Depuis une dizaine d’année deux mouvements parallèles semblent mobiliser l’énergie
de ces organisations associatives. L’un s’attache avant tout à la mise en conformité
des dispositifs professionnels par rapport à une production de réglementation sans
précédent qu’illustre notamment la loi du 2 janvier 2002 mais également tout un
ensemble de textes législatifs venant préciser le cadre gestionnaire des associations et
leur sujétion à l’appareil public. Dans le même temps, les associations se sont
fortement mobilisées dans la conception et l’écriture de leurs projets, comme s’il
s’agissait de faire contrepoids à une attention portée par les pouvoirs publics presque
exclusivement sur l’encadrement de la prestation de service qu’elles mettaient en
œuvre. Non pas que les projets étaient auparavant inexistants, mais il n’avait pas
semblé nécessaire de les formaliser, le développement des services dans une période
de forte sollicitation suffisant généralement à structurer l’identité associative.
Généralement les projets associatifs ont redonné une assise collective à des
dynamiques d’acteurs professionnels et bénévoles exerçant leurs rôles dans des
sphères bien souvent étanches les unes par rapport aux autres. Les administrateurs
étaient garants auprès des pouvoirs publics d’un développement de l’organisation
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professionnelle qui s’opérait le plus souvent sans eux. Mais ces projets ont-ils pour
autant réinventé les conditions d’une véritable démocratie associative susceptible, face
au tout bureaucratique et au tout consumériste, d’offrir une véritable vision renouvelée
de la politique sociale de notre pays ?
La grande difficulté à rassembler les réseaux associatifs, à unir les fédérations, à
inventer une véritable force citoyenne susceptible de peser sur des orientations
technocratiques, sources croissantes de morcellements et d’individualisations sans fin,
trahit la faiblesse actuelle et l’absence d’une véritable vision susceptible de relever le
défi de l’ambition associative. La faible résistance des cultures associatives face aux
logiques d’instrumentalisation, pourtant largement repérées, qui s’imposent à elles
manifeste, elle aussi, l’absence d’une base et d’une force démocratiques construites et
affirmées ainsi que la trop grande personnalisation des figures historiques sur
lesquelles a reposé le déploiement professionnel du secteur.
Toutefois des options semblent peu à peu se dégager aujourd’hui clarifiant les choix
stratégiques et idéologiques opérés par les différents acteurs du champ associatif. Au
risque de paraître volontairement simplificateur, nous dirons que certains acteurs
anticipent d’ores et déjà le modèle abouti d’une administration publique du secteur
associatif, estimant que la seule logique est à terme celle de l’isomorphisme,
l’association d’action sociale, adossée depuis si longtemps à l’administration, ne
pouvant finir que par s’identifier à elle et donc lui ressembler. Dès lors, pensent-ils,
autant opter pour une accélération du processus en cherchant à simplifier
l’organisation administrative du secteur et en optant pour le regroupement des acteurs
dans une optique avant tout technique et gestionnaire susceptible d’adapter au mieux
le dispositif à la commande et à l’administration publiques. Les stratégies sont
clairement de l’ordre d’un rapprochement avec les opérateurs publics dans un souci de
participer à une plus grande fluidité de l’action administrative. La dimension associative
est peu valorisée quant elle n’est pas purement et simplement niée dans sa capacité
de refonder une alternative face à l’inéluctable gestion bureaucratique du social qu’il
s’agit d’accompagner et au besoin de devancer. A l’horizon de ce modèle on voit se
profiler de grosses structures départementales, régionales, voire nationales, jouant au
sein du secteur associatif le rôle de traducteurs de la commande publique et ayant
réduit au minimum leur propre dimension de politique associative.
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Même si elles paraissent moins visibles d’autres approches s’affirment par ailleurs,
notamment en référence au champ de l’économie sociale et solidaire, considérant que
tout n’a pas été fait pour replacer l’association sur ses bases et chercher en quelque
sorte à nouveaux frais, dans un contexte inédit, les conditions d’une nouvelle vitalité
associative et d’une affirmation de son caractère spécifique non réductible à la logique
de l’entreprise ni à celle des services publics.
Plusieurs traits caractérisent ces associations : elles cherchent d’abord à refonder une
dimension politique en élargissant leur base d’acteurs et en cherchant à impliquer
toutes les partie-prenantes, bénévoles, salariés, usagers, à la conduite du projet. Elles
privilégient la construction de réseaux en respectant les identités, les valeurs et les
histoires d’acteurs collectifs plutôt que la concentration gestionnaire. Elles considèrent
leur rôle au sein de la cité comme débordant très largement la prestation de service qui
leur est déléguée. Elles envisagent enfin l’exercice de leur mission comme devant être
mieux garanti, y compris dans sa dimension technique et clinique, par un dispositif
associatif où l’ensemble des acteurs concourent à l’élaboration d’un cadre
d’intervention intégrant non seulement la dimension psychosociale mais aussi politique
de l’usager et de sa demande.
Un nouveau paradigme impliquant une nouvelle straté gie de pilotage
institutionnel
La conduite du changement dans les associations d’action sociale repose désormais
sur un véritable changement du paradigme sur lequel elles ont été fondées. Ce
changement présente des risques. Michel Chauvière y voit par exemple celui de la
« chalandisation », c'est-à-dire d’une sorte de marchandisation généralisée des
services aux personnes120. C’est par l’abandon de la dimension instituante des
pouvoirs publics et par la déstructuration des champs de qualification des acteurs au
profit d’une seule logique instrumentale, rationnelle, gestionnaire et finalement
marchande qu’il perçoit avant tout la dégradation de l’action sociale et l’abandon de
ses dynamiques solidaires. Sans nous laisser enfermer dans cette hypercritique, nous
120 Michel Chauvière, « Qu’est-ce que la « chalandisation » ? », Informations sociales 2009/2, p. 128-134
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en percevons pourtant bien les fondements, constatant notamment avec lui que
certaines associations, « cédant à ce tropisme et incertaines dans leur statut de
« faisant fonction », ont trouvé intérêt à se redéfinir moins comme des institutions
fondatrices de la société que comme des organisations productives de certaines
prestations. »121 Or, nous faisons le pari que ce n’est pas là la seule issue pour les
associations d’action sociale et nous nous efforçons d’expérimenter, comme cette
analyse institutionnelle le montre, avec d’autres responsables du secteur associatif
qu’une autre voie est possible ainsi qu’une autre compréhension des enjeux du
changement. Car nous pensons qu’il y a un autre point de vue sur les changements en
cours, et que la marchandisation n’est pas le dernier mot de l’action sociale. C’est
pourquoi il nous importe, en concluant, de développer cet autre point de vue sur le
nouveau paradigme de l’action sociale. Et nous faisons l’hypothèse que c’est en
favorisant à tous les niveaux, et par tous les acteurs, l’intériorisation de ce nouveau
paradigme et de ses conséquences que nous nous donnerons le maximum de
chances pour une refondation du « bien commun » associatif, tout en créant les
conditions pour que toutes les parties prenantes y participent pleinement. Cela passe
nécessairement par une transformation de la gouvernance qui, elle-même, implique
une reconfiguration de l’organisation et de l’espace d’action de la dirigeance
associative. C’est ce que nous avons tenté d’exposer tout au long de ce mémoire, mais
nous voudrions dans cette conclusion éclairer d’un nouveau point de vue, au regard de
ce changement de paradigme de l’action sociale, les phases de transformation de la
Sauvegarde 56 et tenter de dessiner quelques-unes des perspectives qui s’offrent à
elle aujourd’hui.
Nous emprunterons à Robert Lafore les éléments de l’analyse de ce changement de
paradigme du travail social. Dans un bref article publié en 2009122, il pose l’hypothèse
d’une transformation substantielle qui, par touches successives et par législations
accélérées, mais aussi, à partir des années 80, par un changement radical du contexte
et de la manière dont se posait la question sociale, affecte en profondeur en particulier
les métiers du social, la pratique des professionnels mais également les modes de
gestion et le cadre des organisations qui les emploient. C’est en tenant compte de
cette nouvelle donne que les associations d’action sociale doivent repenser les termes
de leur fonction symbolique, politique et technique. Si certains constats sont les
121 Ibid. p. 131 122 Robert Lafore, « Le travail social à l’épreuve d’un environnement institutionnel en recomposition », Informations sociales 2009/2, N° 152, p. 14-22.
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mêmes que ceux posés par Michel Chauvière dans ce même numéro de la revue
Informations sociales consacré aux dynamiques du travail social, par contre l’analyse
institutionnelle des enjeux est radicalement différente. Nous en conserverons l’idée
générale que la conduite du changement dans les associations d’action sociale doit
aujourd’hui envisager tous les paramètres, et cela de manière systémique et globale,
et non pas se contenter d’une seule ligne de lecture critique ou bien d’une seule
logique d’intervention, sur la sphère professionnelle, par exemple, ou bien sur celle des
instances associatives et de leur dynamique d’adhésion. C’est bien aussi en tenant
compte de l’ensemble de ces paramètres que Fabrice Traversaz analyse la
reconfiguration de l’espace d’action de la dirigeance associative123 : les logiques de
rationalisation et de décentralisation mises en œuvre par les pouvoirs publics ;
l’exigence de qualité de service et de participation de l’usager/client/sujet ; les
dynamiques sociales d’élaboration stratégiques et politiques des projets pour
transformer un espace public associatif en crise ; les dynamiques sociales de
transformation des organisations et des métiers : le tout au service d’une conduite de
changement selon une logique de négociation avec les financeurs, de participation aux
réseaux, de pilotage favorisant les transversalités techniques et politiques, d’animation
managériale à l’appropriation du changement…
Les mutations du travail social
Après avoir rappelé l’ensemble impressionnant des dispositions législatives qui, depuis
la fin des années 90 déferlent sur l’action sociale, et le processus est toujours en
cours, Robert Lafore se pose la question de la conséquence de ces réformes sur les
pratiques des professionnels du travail social. Il constate tout d’abord que « c’est
l’ensemble du cadre institutionnel qui se trouve ainsi modifié », que ce soit par le texte
très transversal de la Loi de 2002 qui entend rénover l’action sociale, que ce soit par
des dispositions affectant des populations spécifiques (enfance, handicap,
délinquance…) ou encore par la redistribution des compétences entre les niveaux de
l’administration publique. Et il pose l’hypothèse que cette modification du cadre
« conduit à une transformation, certes souterraine et rampante, de la substance même
des activités. »
123 Fabrice Traversaz, « Gouvernance et changement des associations gestionnaires », op. cit.
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Cette modification progressive du cadre de l’action sociale nous permet de relire
l’ensemble de l’histoire de la Sauvegarde 56. Lors de sa création, en 1935, comme
association charitable sous la présidence d’un magistrat et en présence du Préfet du
Morbihan, elle se trouve totalement en phase avec « le modèle assistanciel français,
ancré, à l’origine dans une vision familialiste et tutélaire des problèmes sociaux ». La
puissance publique trouve alors le relais d’associations charitables pour répondre à
« l’indigence » et fournir aux impécunieux une prise en charge avant tout matérielle,
même si, on l’a vu, dans le cas de la Société Vannetaise, la substitution aux parents
défaillants dans l’éducation de leurs enfants était aussi déjà de mise.
A partir de 1945, c’est une nouvelle vision des problèmes sociaux qui se dessine,
créant peu à peu, à partir du champ de l’enfance, « un ensemble institutionnel qui sera
consacré comme un « secteur » à part entière par la loi du 30 juin 1975 ». C’est un
ensemble cohérent, structuré par un cadre réglementaire et s’appuyant sur les
sciences médico-psychologiques qui vise à « identifier des personnes « inadaptées »,
à les insérer dans un statut protecteur, leur assurant prise en charge matérielle et
prestations éducatives et à réparer l’écart constaté avec les normes sociales. » Ce
modèle institutionnel crée des identités d’ « inadaptés » selon une logique catégorielle,
précisée par les administrations centrales sur un mode avant tout vertical, et
débouchant sur le développement de secteurs spécifiques d’activité et bientôt de
professions sociales différenciées. La Sauvegarde du Morbihan, depuis sa création en
1952, jusqu’à la loi de 1975, et au-delà, a bien fait reposer le développement de sa
professionnalisation sur ce modèle institutionnel et dans le cadre de cette régulation
publique. Les professions sociales, avec la figure centrale de l’éducateur spécialisé, y
ont construit, « à l’intersection entre un cadre juridico-institutionnel et des personnes
considérées comme inadaptées », une identité spécifique reposant sur la relation
d’aide et revendiquée comme relativement autonome par rapport à l’organisation qui
les employait. Comme pour toutes les associations à cette époque, l’écart entre
l’espace public associatif et la sphère professionnelle s’est creusé.
A partir de 1980, le « cadre institutionnel de l’action sociale qui a secrété ces
professions sociales est à nouveau entré en mutation particulièrement en ce qui
concerne la conception des personnes à prendre en charge et donc des rapports à
engager avec elles ». C’est l’idée d’ « insertion » qui va présider désormais aux
nouvelles logiques de l’action sociale. Plutôt que d’ « inadaptation » on parlera
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d’ « exclusion ». On a vu, pour la Sauvegarde du Morbihan, ce que ce changement de
représentations avait impliqué en termes de logiques d’action mais également de
régulation publique. Et cependant, il ne semble pas que toutes les conséquences en
aient été d’emblée tirées en ce qui concerne les modes de prise en charge dans le
champ de l’enfance et particulièrement des internats éducatifs. Un certain clivage
restait de mise d’ailleurs, et n’est pas encore à ce jour partout dépassé, entre les prises
en charge traditionnelles de l’internat et les nouvelles formes nobles
d’accompagnement en milieu ouvert. C’est à cette période que l’association s’est
« lancée » dans l’insertion sur un mode hyper-entreprenant, sans pour autant prendre
la mesure de ce que ce nouveau paradigme impliquait, y compris pour les actions
conduites auprès des publics traditionnels dans les internats éducatifs ou dans le
service de Placement Familial, par exemple. La crise économique qui a affecté
l’association sur le mode de gestion de ses activités d’insertion s’est alors doublée
d’une crise consistant en un défaut de prise en compte de ce nouveau paradigme de
l’insertion dans le champ de la protection de l’enfance. Le modèle restait vertical et
sectoriel, fondé par ailleurs sur une sorte de morale de l’adaptation et d’idéal de
l’intervention éducative. Il n’appréhendait pas suffisamment la logique de parcours
individuel vers lequel la dynamique de l’insertion déplaçait l’intervention, ni la
nécessaire adaptation des espaces et des lieux physiques de production de l’acte
éducatif et surtout des logiques coopératives et intersubjectives à mobiliser.
Cette nouvelle conception de l’insertion révolutionne donc l’action sociale. On y voit se
dessiner déjà la notion de parcours individualisé des personnes. « Plutôt que
d’arraisonner leur situation en les dotant d’un statut protecteur et en les confiant à des
organisations spécialisées, l’idée qui s’impose progressivement est de les engager
dans une dynamique leur permettant de rejoindre les normes et les capacités requises
par le fonctionnement social. » Les lieux institutionnels sont forcément interrogés. La
crise des internats éducatifs retirés à la campagne et les violences qui sont alors la
forme d’expression subjective des adolescents en souffrance avec leurs familles sont à
lire dans ce contexte. Rejoindre le « droit commun » devient la norme. Toute la
question du droit des usagers est aussi à lire à l’éclairage de ce nouveau paradigme de
l’insertion qui structure désormais le nouveau cadre institutionnel de l’action sociale.
L’ensemble des interventions sont « au service des parcours que doivent suivre les
personnes, soit pour se maintenir dans la norme, soit pour la rejoindre ».
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Cette mutation remet en cause la dissymétrie entre professionnels de l’action sociale et
« usagers ». Elle impose une logique de transparence dans un cadre toujours plus
contractuel et égalitaire. Les enjeux psychopédagogiques qui ont fondé la
professionnalité se déplacent vers « une économie d’obligations et de droits qui
manipule des aspects concrets et matériels tout autant que cognitifs » et débouche sur
une logique de résultat. L’accent mis sur l’importance de l’évaluation résulte également
de ce déplacement du cadre institutionnel de l’action sociale. Enfin, les travailleurs
sociaux se trouvent plus fortement référés à leurs organismes employeurs dans la
mesure où « le monopole dont bénéficiaient les travailleurs sociaux dans la gestion de
l’interface institution-individu disparaît car, dans l’insertion, c’est l’ensemble des
organisations concernées qui s’engagent. »
Il nous paraissait important, en conclusion de ce travail, d’insister sur ce paramètre du
déplacement de la posture des professions sociales dans la mesure où nous ne
l’avons évoqué que par incidence dans notre étude, à propos par exemple de la
réforme de la Convention Collective, alors qu’il s’agit en fait d’un phénomène structurel
qui détermine une part essentielle des enjeux de la mutation en cours de l’action
sociale. La transformation de l’organisation professionnelle de la Sauvegarde 56 sur
laquelle nous avons insisté s’inscrit dans l’accompagnement de ce changement des
postures des professions sociales qu’il s’agit de relier désormais dans des dispositifs
signifiants au regard des parcours des personnes, et donc d’amener à quitter les
approches segmentées, sectorielles et verticales sur lesquelles elles avaient été
fondées.
La gouvernance de l’action sociale
Ce passage de la logique de prise en charge de personnes inadaptées à la logique de
l’insertion va aussi entraîner des mutations profondes dans les formes de gestion des
organisations et entraîner là encore un changement de paradigme. C’est ici qu’émerge
la notion de « gouvernance » empruntée au « new management public ». En fait, on
peut dire que face à la crainte d’un renforcement de l’administration de l’action sociale
perceptible aujourd’hui dans l’ensemble des professions sociales et chez leurs
responsables, c’est le dispositif antérieur, issu de la Loi de 1975, vertical et sectoriel
comme nous l’avons dit, enfermant établissements et logiques professionnels dans des
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normes étroitement contrôlées par l’administration centrale, qui était, il faut le
souligner, quant à lui totalement administré. Certes, il n’était pas aussi outillé que celui
qui se dessine aujourd’hui : il laissait des marges de manœuvre, nous l’avons vu pour
la Sauvegarde du Morbihan, et il reposait, comme le souligne Michel Chauvière124, sur
une forte capacité instituante des politiques publiques à l’époque. Mais cependant on
peut dire que la régulation tutélaire a pleinement joué son rôle tout au long de ces
années de constitution de l’action sociale, de ses établissements et services, de ses
professions, et de l’identification de ses publics. Le passage à la dynamique plus
globale de l’insertion oblige à inventer des dispositifs larges qui vont se trouver
naturellement en phase avec une régulation moins administrée et donc moins tutélaire
mais davantage conventionnée de l’action sociale. Nous avons toutefois, au cours de
nos développements, insisté sur le risque de l’inflation technocratique qui pouvait
affecter les administrations, sans transformation de leur modèle tutélaire et
compromettre ainsi leur passage à une culture de la régulation conventionnée. Nous y
reviendrons. Ainsi la substitution, tentée actuellement, de la culture de la performance
à celle de l’auto-évaluation pourtant promue par l’ANESM125 viendrait bien marquer
l’échec de l’invention d’une véritable régulation conventionnée. Autre risque, celui du
passage pur et simple à la régulation concurrentielle, calquée sur la logique
marchande qui impacte par ailleurs également les politiques publiques pour une part
importante de leur activité. La marchandisation des services en Europe en est le
principal enjeu. C’est le risque de « chalandisation » décrit par Michel Chauvière. On le
voit, le devenir des associations sociales n’est pas écrit, et ce devenir dépendra, pour
une grande part, de leur capacité à percevoir elles-mêmes les enjeux de la mutation de
l’action sociale en cours et à en tirer les conséquences à l’intérieur même de leur
organisation et dans leurs dynamiques de gouvernance et de réseaux.
Désormais la cohérence institutionnelle n’est plus donnée par des normes, des
réglementations, des habilitations spécifiques, des qualifications établies une fois pour
toutes. Elle est à construire en permanence par des processus de mise en débat
autour de la question du sens des pratiques sociales centrée sur le devenir et
l’accompagnement du parcours des personnes. Aucune forme d’action sociale ne peut
plus se dire définitivement instituée par la logique qui l’a fondée. Au contraire, le sens
de chaque action est à refonder à nouveaux frais, dans une mise en tension entre tous
124 Michel Chauvière, Op. cit. 125 Agence Nationale de l’Evaluation Sociale et Médico-sociale.
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les acteurs qui y concourent, et en particulier, au premier chef, en tenant compte des
personnes qui en sont les bénéficiaires. En termes d’organisation, la logique qui
prévaut n’est donc plus celle de l’établissement ou du service, mais bien plutôt celle de
l’ensemble des logiques d’actions qui concourent à un même dispositif, le pôle de
protection de l’enfance, par exemple, ou le pôle d’insertion des adultes pour ce qui
concerne la Sauvegarde 56 ; ces dispositifs doivent être eux-mêmes appréhendés en
référence au projet associatif et à ses différentes parties prenantes, mais également
aux autres dispositifs associatifs qui concourent, sur un même territoire, à un schéma
d’orientation globale de l’action sociale. Ainsi, le Président du Conseil Général, en tant
que chef de file des politiques de protection de l’enfance, de la vieillesse, du handicap,
et désormais de l’insertion, doit-il veiller à ce que l’ensemble des dispositifs intervenant
sur son territoire le font en bonne intelligence et dans le sens, en particulier, du
parcours d’insertion des bénéficiaires. Les Contrats Pluriannuels d’Objectifs et de
Moyens, avec tous les risques de réduction gestionnaire qu’ils comportent, sont les
outils privilégiés de cette forme nouvelle de pilotage fondée sur la recherche d’une
sorte d’engrènement vertueux des différentes dynamiques de gouvernance mises en
œuvre, à l’échelle d’une association, au niveau inter-associatif, et au niveau enfin du
pilotage public. Bien sûr, il s’agit là d’une manière assez idéale d’envisager les
mutations de l’action sociale et ses conséquences sur le plan des organisations et des
formes de régulation. Rien ne se passe aussi simplement, notamment parce qu’on l’a
vu plusieurs formes de régulation restent à l’œuvre du côté des pouvoirs publics,
tutélaire, technocratique, concurrentielle, et plusieurs modes de gouvernance du côté
des acteurs associatif, para-public, gestionnaire, segmenté et rivalitaire… Il n’empêche
qu’il nous semble que c’est dans cette direction de la recherche d’une dynamique
coopérative tant en interne avec toutes les parties prenantes, qu’en externe avec les
autres partenaires associatifs et les pouvoirs publics que le secteur associatif pourra
continuer à jouer pleinement son rôle de contributeur à l’invention d’une action sociale
pertinente et solidaire.
Depuis plusieurs années, la Sauvegarde 56 est engagée dans cette voie de l’invention
d’une nouvelle forme de gouvernance et de dirigeance. Elle a placé au cœur de sa
transformation la recherche d’un modèle d’organisation coopérative126 et celui-ci a un
impact fort sur ses environnements. En ce qui concerne le pôle protection de l’enfance,
126 Voir en annexe les extraits du rapport d’activité communiqué lors de l’Assemblée Générale en juin 2009.
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c’est tout le développement d’un travail de réseau construit en étroite collaboration
avec les autres associations de protection de l’enfance qu’il a permis. En ce qui
concerne le pôle d’insertion des adultes, c’est la demande de coopération étroite d’une
association lorientaise œuvrant, elle aussi, dans le champ de la lutte contre les
exclusions, mais c’est aussi la recherche de partenariat avec une autre association
importante du département sur ce champ, et l’ouverture également d’une dynamique
coopérative avec les associations caritatives et humanitaires intervenant également
auprès des personnes en situation d’exclusion. Ainsi, la visée du changement proposé
en 2002 qui consistait avant tout à permettre à une association en crise sur les plans
gestionnaires et éducatifs de transformer des modes de fonctionnement qui ne
permettaient plus de faire face avec efficience aux nouveaux enjeux de l’action sociale,
a-t-elle une portée qui va bien au-delà d’une seule perspective adaptative. En fait, elle
répond, elle aussi, au changement de paradigme exigé par les nouvelles logiques de
l’action sociale. Elle est en interaction permanente avec les transformations du
contexte. D’une certaine manière elle les précède dans la mesure où elle met en
œuvre un projet et une vision du changement social et non pas d’abord des directives.
En ce sens, elle est préparée à une culture de la régulation conventionnée et guette les
signaux forts de son adoption par les responsables publics.
Ce sont les professionnels qui sont sans doute les plus exposés à ce changement de
paradigme touchant à la fois à leur mode d’intervention et à leur relation instituée avec
leurs bénéficiaires ainsi qu’aux modes nouveaux d’organisation et de gouvernance
dans lesquels ils interviennent. C’est la raison pour laquelle l’organisation par pôles de
compétence au sein des organisations ne doit en aucun cas revêtir un caractère avant
tout normatif qui relaierait des règles tutélaires, mais être tout entier ordonné à
l’accompagnement de la mutation des postures professionnelles attendues par ce
nouveau contexte. Celles-ci doivent sortir de la logique de l’auto-référencement, et de
l’autonomie revendiquée sur une base de compétences à priori non partageables. Ces
nouveaux cadres organisationnels doivent aussi inventer leurs nouveaux modes de
dirigeance et de management qui soient au service d’une réinvention des modes
d’intervention auprès des bénéficiaires. Le déplacement des modèles éducatifs en
direction des jeunes pris en charge dans les internats, et dont les comportements ont
de plus en plus violemment interpellé l’institution, ont ainsi servi de trame en quelque
sorte à une transformation progressive de l’ensemble de l’institution, toujours reliée à
une réflexion et à une analyse de la clinique de l’intervention. Actions recherches en
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interne et en partenariat se sont succédées, notamment dans le cadre d’une action
transversale avec l’UNASEA Bretagne impliquant professionnels et administrateurs de
plusieurs associations de la région sur la question des adolescents difficiles. L’appel à
des tiers, en position de formateur ou de superviseur, a toujours également été la clef
de l’accompagnement du changement des formes de dirigeance, les formations type
ARIP-Transition ou SciencePo constituant, elles aussi, des éléments clés dans ce
déplacement des modèles.
La nouvelle question de la gouvernance conduira les associations à réinventer leur lien
avec les bénéficiaires des actions conduites par les professionnels. Il y a une sorte
d’enjeu de « désappropriation » des usagers par les seuls professionnels qui est sous-
tendu par le déplacement du paradigme de l’action sociale que nous avons évoqué.
Nous l’avons dit, cette question sera certainement au centre du nouveau projet
associatif de la Sauvegarde 56. C’est ce qui en fera aussi un projet davantage
politique. Des expérimentations sont d’ores et déjà tentées pour décloisonner ou
« déstratifier » les parties prenantes du projet associatif qui, pour certaines d’entre
elles ne se rencontrent jamais, et ouvrir, au contraire, entre elles des formes de
circulation inédites. Mais il sera nécessaire d’aller plus loin et de faire en sorte que les
professionnels acceptent que le sens de l’action sociale ne saurait plus se laisser
désormais enfermer dans les seules références techniques déployées lorsqu’ils
pouvaient encore revendiquer une certaine autonomie de leur action et de leur
spécificité dans le cadre du colloque singulier avec l’usager. Désormais l’action sociale
relève avant tout d’un enjeu politique, environnemental, global. Nul ne peut penser la
conduire à l’abri des regards. Il est au contraire nécessaire d’inventer les dispositifs et
les lieux ouverts de débat et de parole sur lesquels sa légitimité doit être fondée.
Commission éthique, conseil de la vie associative, plaçant les usagers au cœur de
l’association renouvèleront le sens de l’engagement de tous au service du projet.
Ce parcours d’analyse institutionnelle d’une association d’action sociale, la
Sauvegarde 56, nous fait bien entrevoir qu’elle ne saurait se réduire à la seule sphère
de l’organisation sociotechnique dans laquelle pourtant nombre de professionnels
situent encore aujourd’hui essentiellement leur action. C’est au titre de leur
engagement professionnel dans une association qui, elle-même, est engagée dans un
processus de dialogue et de débat avec d’autres instances associatives ou publiques,
qu’ils doivent désormais être en mesure de répondre de leur action auprès des
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usagers d’un territoire ou d’un département. Cette responsabilité, ils ne peuvent en
rendre compte d’eux-mêmes, mais en référence au « bien commun » qui constitue le
patrimoine de l’association qui les emploie, ce dernier relevant lui-même du bien public
et des politiques de solidarité auxquelles il contribue et avec lesquelles il est
constitutivement lié. C’est en référence à ce patrimoine commun que l’on peut parler
de la véritable force d’une association comme la Sauvegarde 56 qui en fait une
institution qui dure et dont les formes instituées sont sans cesse réinterrogées par le
mouvement de la vie sociale qui est tout simplement celui des échanges interhumains.
Il y aurait beaucoup à dire ici à nouveau sur l’analyse d’Alain Caillé et sur la dynamique
du don pour tenter un dépassement de l’impasse de la Dissociété si bien décrite par
Jacques Généreux et sur laquelle nous avons ouvert ce mémoire. Mais il suffit ici de se
sentir reliés à tout cet ensemble d’acteurs professionnels et bénévoles qui ont mis leur
compétence et leur temps, parfois leurs moyens, au service des « autres » pour
mesurer ce que peut être ce bien commun, accumulé tel un patrimoine, dans la durée
d’une histoire. « Un patrimoine, écrit Bernard Perret127, peut être caractérisé par le fait
que sa valeur pour un individu ou une collectivité n’est entièrement réductible ni à sa
valeur monétaire, ni aux valeurs d’usage dont il permet la production. Un patrimoine
est conservé, éventuellement enrichi, pour être transmis sans perte ni dégradation aux
générations suivantes… La notion de patrimoine peut être rapprochée de celles de
corps et de monde. Ce qu’ont en commun les corps et les mondes (au sens physique,
social ou métaphorique) c’est que nous leur sommes liés de manière constitutive, c'est-
à-dire avec une intensité et dans une durée que nous ne maîtrisons pas. Dit d’une
autre manière, nous ne pouvons ou ne voulons pas en disposer à des fins sans rapport
avec leur nature propre. » Retrouver le sens du « bien commun » « pour les autres »
est sans aucun doute le rendez-vous politique majeur auquel nos démocraties
modernes sont aujourd’hui convoquées et avec elles, chaque organisation et chaque
association héritière de tout un patrimoine d’action sociale et solidaire.
127 Bernard Perret, « De la valeur des structures sociales, capital ou patrimoine », in Bevort A. et Lallement M. (dir.) Le Capital social, performance, équité, et réciprocité, Paris, La découverte-MAUSS, 2006
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De nouvelles règles institutionnelles
Les travaux de Jean-Pierre Lebrun, en particulier son dernier ouvrage sur la clinique
institutionnelle128, auxquels nous nous sommes déjà référés dans le cadre de la note
de lecture consacrée à l’ouvrage de Jacques Généreux129 caractérisent
particulièrement bien à nos yeux les enjeux de la gouvernance et de la dirigeance pour
les associations d’action sociale aujourd’hui. Ancrés dans un modèle anthropologique
psychanalytique d’inspiration lacanienne, ils renouvellent la lecture du basculement
des sociétés dans la modernité et la postmodernité, tels que nous venons de les
évoquer quant à nous sur la base d’une lecture sociologique, en soulignant le risque
d’un fonctionnement « sans limites »130, sans différence des places et des générations,
fondé sur le refus en particulier de « la place d’ex-ception » garante symbolique de la
loi du langage qui nous structure en tant qu’être humain, « parlêtre » disait Jacques
Lacan. Il est important d’entendre d’emblée cette notion « d’ex-ception » fondant la
différence des places comme la nécessité logique pour qu’un ensemble humain, une
institution, soient constitués, structurés, qu’une place soit exceptée de l’ensemble
considéré, ne fasse pas nombre mais différence, « ex-ception ». Or cette nécessité
logique, dit Jean-Pierre Lebrun, à la suite de Jacques Lacan, est de plus en plus
difficile à tenir et à assumer, dans une conception moderne du lien social où c’est
l’ensemble des individus non plus totalisables entre eux qui font structure d’un monde
devenu « sans limites ». Ainsi, pour faire court, le réseau succède-t-il à la pyramide, ou
encore la procédure sans cesse renégociée, redébattue et toujours susceptible
d’ajustements, à la loi le plus souvent non écrite et incarnée par un seul ; mais avec le
risque cependant de passer de cette place d’exception substantielle, avec toutes ses
dérives, devenues à vrai dire inconciliables avec la revendication d’autonomie de
l’acteur propre à la modernité, à son éviction pure et simple, avec, cette fois-ci, les
risques de confusion et de chaos qui en résultent, « la perversion ordinaire »131 que
décrit Jean-Pierre Lebrun dans un précédent ouvrage. Sans bien sûr pouvoir déployer
ici toutes les conséquences de cette analyse, disons qu’elle permet de situer très
exactement le carrefour logique devant lequel, comme beaucoup d’institutions, se
trouvent aujourd’hui situées les associations d’action sociale et l’ensemble de leurs
128 Jean-Pierre Lebrun, Clinique de l’institution, Ce que peut la psychanalyse pour la vie collective, Toulouse, Erès, 2008. 129 Cf. Supra 130 Jean-Pierre Lebrun, Un monde sans limite. Essai pour une clinique psychanalytique du social, Toulouse, Erès, 1997. 131 Jean-Pierre Lebrun, La perversion ordinaire, vivre ensemble sans autrui, Paris, Denoël, 2007.
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acteurs. C’est à essayer de dépasser cette impasse logique entre une place
d’exception substantielle, mais dont les fondements non démocratiques sont devenus
insupportables, et une différence des places annulée par la logique du tout individuel et
du tout négociable, n’offrant plus jamais de consistance à la décision, à l’autorité et à la
structure, que Jean-Pierre Lebrun va développer son analyse de la clinique
institutionnelle. Or il nous semble que, même s’il récuse la notion de gouvernance qu’il
assimile à la gestion de ce monde sans limites ayant d’ores et déjà fait le deuil de la
place « d’exception » dont la nécessité est pourtant de structure pour les êtres parlants
que nous sommes, réservant ses développements à la notion de dirigeance, toutefois
trop conçue à nos yeux en référence à la conception de l’institution-établissement,
sans suffisamment faire sa place aux environnements dans lesquels évoluent ces
institutions aujourd’hui, nous pouvons tirer des éléments théoriques de son analyse,
qui se réfère également aux travaux de Marcel Gauchet sur la démocratie, et des
points de vue éclairants sur le renouvellement des conceptions de gouvernance et de
dirigeance pour nos associations.
La « place d’exception », telle qu’elle était incarnée jusqu’à présent au point où l’unité
de l’institution pouvait se confondre avec la personne qui occupait cette place, n’est
plus tenable. Cela ne veut pas dire pour autant que tous les liens transférentiels soient
rompus. Des restes de nostalgie demeurent. Mais la crise que nous avons rapportée
pour la Sauvegarde 56 touche, pour une bonne part, à la manière dont cette place était
occupée et qui s’est révélée, à partir d’un certain moment, notamment du fait du
changement de culture administrative, littéralement impossible à tenir : par exemple, le
fait de continuer à taire indéfiniment la gravité des conséquences financières de
certains choix stratégiques de l’association, la principale fonction de cette attitude,
nous l’avons vu, pouvant être alors analysée comme la recherche d’une alternative,
précisément face à l’affirmation des contraintes administratives et gestionnaires, tout
en contribuant, pour partie, à soutenir l’occupation singulière de la place d’exception ;
impossible également de ne pas infléchir les modes de réponses éducatives des
internats vers des dispositifs donnant plus de latitudes aux parcours individuels des
jeunes, ce qui suppose la prise en compte de l’analyse des équipes éducatives et de
leur demande d’infléchir les projets tout en cessant de ne mesurer l’échec qu’à l’aune
de leur prétendue incapacité substantielle à tenir leur place, en référence bien sûr à la
conception de l’autorité incarnée par la personne occupant dans l’association la place
« d’ exception ». Or celle-ci, précisément, ne saurait plus prétendre incarner à elle
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seule les grandes orientations stratégiques de l’organisation. Elle doit composer avec
les réalités gestionnaires rappelées par les instances de tutelles, avec la réalité des
usagers qui viennent bousculer des modes d’autorité qui leur font violence, avec la
réalité des acteurs de l’organisation qui perçoivent plus ou moins clairement qu’une
transformation de la manière d’occuper la place d’exception est devenue nécessaire
pour inscrire l’association dans les nouvelles définitions du lien social.
C’est en quelque sorte le dénouement décrit par Blaise Ollivier132, au sortir d’un travail
personnel ou institutionnel d’analyse, que rendrait aujourd’hui socialement possible et
nécessaire la revendication d’autonomie des sujets : « Si, à travers des
comportements, des représentations, des gestes capables de constituer une nouvelle
expérience, le sujet, ainsi éveillé, rencontre la symbolisation d’un Autre, originaire, qui
au lieu d’imposer son monopole d’antériorité, de légitimité et de pouvoir, montre son
plaisir à perdre ce monopole pour le partager, en faveur de celui qui dépendait de lui,
en sorte de lui faire sa place dans celle jusqu’ici réservée à qui peut décider de l’action
et dire le sens et la valeur, ce sujet devient le témoin, puis l’acteur d’une réinvention de
l’autre. »133 Or tout laisse penser que si les conditions de cet accès pourraient sans
doute être réunies aujourd’hui, en ce qui concerne la conscience et la culture de
l’acteur et au regard de l’effondrement des grands référents, notamment religieux, qui
posaient l’exigence de l’Autre en dehors du sujet, ce n’est pas du tout à la rencontre et
à la symbolisation d’un Autre originaire auxquelles se trouvent conviés les individus
confrontés aux règles et aux procédures qui fondent le nouveau cadre technocratique
dans lequel ils évoluent, reconstituant, en quelque sorte, les nœuds qui attachaient
étroitement dans l’exercice traditionnel et substantiel de la place d’exception « l’idéal
constitutif du moi, au surmoi dur, méprisant, arbitraire, tyrannique134. » Ce que
Jacqueline Légaut pour sa part reformule dans un petit ouvrage didactique, « La
psychanalyse l’air de rien »135 : « la normalisation quadrille les diverses possibilités
qu’offre une situation professionnelle donnée en fonction d’une réalité comptable qui
n’envisage la réalité que sous l’angle quantitatif et non qualitatif. Cette tyrannie de la
norme fait des ravages partout où elle rencontre des acteurs disposés à la mettre en
œuvre sans discuter pour avoir la paix… Mais je ne connais pas une seule personne
132 Blaise Ollivier, L’acteur et le sujet, Vers un nouvel acteur économique, Paris, Desclée de Brouwer, 1995. 133 Ibid. p. 279. 134 Idem. 135 Jacqueline Légaut, La psychanalyse l’air de rien, Toulouse, Erès, 2007.
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qui ne soit à un moment ou à un autre tentée de renoncer à ce qui lui est essentiel, que
ce soit par lassitude ou pour ne surtout pas mécontenter autrui, c'est-à-dire en
définitive cet Autre. »136 Autrement dit, c’est un boulevard subjectif qui s’ouvre à toute
la logique de pseudo subjectivation et d’implication des acteurs initiée par les politiques
publiques, sur fond d’impasse totale de la question de la parole et de l’institution du
sujet, et donc des dispositifs institutionnels qui la mettent en œuvre, et de
généralisation de normes abstraites imposées comme nouvelles figures de l’Autre qui
fait sa loi.
Face aux deux risques qui consistent, l’un à rendre impossible toute nouvelle
occupation de la « place d’exception », l’autre à tenter une vaine restauration, Jean-
Pierre Lebrun plaide pour la recherche d’une troisième voie : celle qui consiste à faire
vivre, contre vents et marées cette place, parce qu’elle est structurelle pour l’humain,
toujours précédé par le langage qui le fonde, mais sur un mode en quelque sorte
précaire, à réinventer sans cesse à nouveaux frais, toujours à faire advenir dans une
sorte de recherche d’accord des parties prenantes auxquelles pourtant elle ne se
résout pas. Place donc toujours impossible, comme celle de gouverner et de diriger,
ainsi que l’avait déjà posé Freud, mais cependant dont la responsabilité reste entière et
nécessaire si l’on ne veut pas plonger dans la perversion ordinaire d’un monde sans
limites géré par la seule procédure et la seule règle technocratique : celles d’un
gouvernement sans auteur. Ressusciter la « place d’exception » dans un monde qui
s’acharne à la détruire en y substituant des mécanismes scientifiques, juridiques et
techniques, sans auteur et sans parole, voilà au fond les nouveaux enjeux de la
dirigeance et de la gouvernance - même si, une fois encore, l’auteur assimile ce
dernier terme à la recherche des formes post-modernes et néo-libérales de pilotage qui
cherchent fondamentalement à faire l’économie de la « place d’exception » - que
dessine Jean-Pierre Lebrun en excluant, bien entendu, le fait d’y retourner sur le mode
d’une appropriation singulière de l’Un. C’est donc par la mobilisation de la pluralité des
paroles et des acteurs qu’il convient de rendre possible l’exercice de la place
d’exception, le projet collectif devant être en quelque sorte l’assise autorisant et
légitimant la possibilité toujours relative et sujette à débat de l’occupation de cette
place et de l’exercice de la fonction qui en découle. C’est en la faisant malgré tout
exister et tenir, par des dispositifs garants de la circulation de la parole de tous et des
règles du langage qui supposent précisément cette différence des places, que l’on peut
136 Ibid. p. 37 et 40.
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se revendiquer d’un monde qui reste structuré par l’humain et que l’on se préserve de
basculer dans un monde sans « auteur » où seule la règle technocratique et la
procédure prévalent. « Ces lois de la parole, écrit encore Jacqueline Légaut, consistent
en l’ensemble des interdits qui permettent de prendre en compte l’existence d’autrui
comme ayant droit de cité au même titre que moi, ce qui comme chacun le sait ne va
pas de soi. Seule cette prise en compte rend la parole possible. »137 C’est à ce saut du
quantitatif au qualitatif, ou encore de la norme abstraite à la parole humaine qui fait Loi,
que sont convoquées les démocraties modernes et toutes les institutions
intermédiaires qui y concourent, sans l’appui des grands référents extérieurs qui en
avaient pendant des siècles, et encore jusqu’à une période récente, constitué le socle.
On mesure, à cet égard, tout le rôle original que les associations d’action sociale
peuvent avoir à jouer par rapport au basculement du lien social que nous avons
évoqué. Là où les pouvoirs publics ne peuvent plus, eux-mêmes, se revendiquer d’une
place d’exception fondée sur une autorité extérieure allant de soi, mais doivent eux
aussi entrer dans le débat public pour y négocier en quelque sorte leur légitimité, faute
d’une culture de projet collectif et hantés qu’ils sont, au contraire, par celle de la règle
écrite, on comprend qu’ils soient tentés de basculer dans un mode de fonctionnement
faisant de la procédure technocratique la nouvelle butée qui s’impose à tous, là même
où, le plus souvent, l’énoncé des lois, la Réforme de la Protection de l’Enfance, par
exemple, visent pourtant l’organisation du débat et de la participation de tous les
citoyens. C’est qu’il y a décalage entre la norme visée et la règle promue. Les
associations d’action sociale, pour le domaine qui les concerne, ne peuvent-elles pas
être ces institutions intermédiaires138 permettant, au fond, aux administrations et aux
politiques publiques d’atteindre les visées normatives qu’elles promeuvent dans la
recherche de projets politiques susceptibles de mobiliser l’adhésion de l’ensemble des
citoyens. Par leur capacité de mettre elles-mêmes en avant leur projet collectif, à
condition qu’elles s’en donnent bien sûr les moyens, mobilisant aussi bien leurs
bénévoles élus, leurs professionnels que leurs usagers, elles rappellent combien les
protocoles et les cadres concrets de l’action doivent être au service du projet politique
et des personnes, et non pas le projet au service de la procédure et de la gestion.
137 Jacqueline Légaut, op. cit. p. 7. 138 Renaud Sainsaulieu, Des sociétés en mouvement, La ressource des institutions intermédiaires, Paris, Desclée de Brouwer, 2001.
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L’évolution de l’organisation associative que nous avons présentée tout au long de
cette analyse institutionnelle accompagne au fond ce changement de paradigme du
lien social et des règles institutionnelles qui le rendent encore possible. Le modèle
coopératif que nous avons proposé tente, en lien avec les travaux de l’ARIP139 et ceux
de Jean-Pierre Lebrun, et en cohérence avec les analyses sur la gouvernance
associative de Jean-Louis Laville140, de refonder, à partir du projet collectif associatif,
une possibilité légitime d’occuper « la place d’exception » qui ne soit ni assujettie
purement et simplement au règne la procédure technocratique, ni tentée de restaurer,
pour son compte, ou son imaginaire, ou son intuition, aussi juste soit-elle, l’occupation
de cette place. Nous allons voir d’ailleurs, qu’à nos yeux, occuper cette place
aujourd’hui, quel qu’elle soit, c’est accepter de se laisser traverser par la nécessité
logique qui la caractérise, et donc par le manque, l’inachèvement, l’imperfection de
structure, dans la référence à l’Autre, plutôt que prétendre se l’approprier de quelque
manière que ce soit. Et c’est là que Jean-Pierre Lebrun ne tire pas, selon nous, toutes
les conséquences de son analyse clinique pour les nouvelles figures de l’institution en
pleine recomposition dans le monde des organisations aujourd’hui et plus
particulièrement des associations d’action sociale. Tellement centré sur la nécessité
logique de la place d’exception pour une institution donnée, avec le modèle disions-
nous omniprésent du service ou de l’établissement, il ne donne aucune place dans son
analyse à l’évolution des articulations des institutions entre elles, comme des places
d’exception entre elles. Or c’est là, nous semble-t-il que se joue l’essentiel de la
recherche nouvelle et incertaine d’une complémentarité entre l’Un et l’Autre, là où hier
seul l’Un prévalait et où l’Autre était dénié, et où, aujourd’hui, seul l’Autre, d’une
certaine manière, triomphe tandis que le règne de l’Un a pris fin. Or il est vital pour les
êtres humains qui veulent tirer toutes les conséquences de leur dimension de sujet
d’articuler l’Un et l’Autre. Et cela ne peut se faire, à nos yeux, que par l’articulation
entre elles des « places d’exception », leur relativisation en quelque sorte, au sens de
leur « mise en relation », ou encore leur « altérisation » par le fait qu’elles sont
soumises à la reconnaissance de tous les autres qui se réfèrent à elles mais encore à
la butée pour elles-mêmes des autres places d’exception qui permettent, par leur
dialogue, de reconstituer non pas un monde continu et sans limites sur lequel régnerait
seul « l’ordre de fer » de la procédure uniformisante, mais un monde discontinu et
139 Jean-Claude Rouchy Monique Soula Desroches, Institution et changement, Op. cit. 140 Cf. notamment le dernier ouvrage de Jean-Louis Laville, La gouvernance des associations, Economie, sociologie, gestion, sous la direction de Christian Hoarau et Jean-Louis Laville, Toulouse, Erès, 2008.
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224
cependant consistant car référé à l’échange interhumain et à l’énonciation d’une parole
faisant structure et loi.
Quelques repères éthiques pour orienter l’action
Disons, pour conclure que quelques critères clés nous ont paru devoir guider cette
évolution : tout d’abord la nécessité de dire, d’énoncer, à temps et à contre-temps, le
possible et l’impossible, les limites du réel : Jean-Pierre Lebrun fait ici référence à la
belle figure éthique de Pierre Mendès-France qui, « dès la fin de la Seconde Guerre
mondiale, estime à l’encontre du Général de Gaulle qu’il faut dire la vérité sur l’état de
l’économie du pays, position qui l’amène à lui adresser le 18 janvier 1945 sa lettre de
démission en lui assénant cette vérité incontournable que « distribuer de l’argent à
tout le monde sans en reprendre à personne , c’est entretenir un mirage » 141.
C’est ensuite instaurer des dispositifs collectifs de travail auxquels l’exercice de
l’autorité, qu’il s’agisse de gestion des ressources humaines, de choix et d’orientations
stratégiques, sera en permanence référé à l’autre sans y être toutefois, bien entendu,
réduit ou enfermé. L’arbitrage reste toujours possible et nécessaire mais devra en
permanence se montrer en capacité de rendre compte de ses arguments en faveur de
la recherche d’équité, de justice et de vérité. Ces dispositifs supposent qu’ils ne soient
pas contournés. Les décisions ne sauraient plus se jouer en dehors. Elles y délivrent
au contraire leurs cheminements en même temps que leurs méthodes. Dès lors, il y a
des transactions illégitimes qui doivent être dévoilées si elles contournent les espaces
légitimes de parole identifiés. L’autorité de l’un ne peut plus se prévaloir d’une relation
équivalente avec tous les sujets qui lui seraient individuellement soumis, mais doit
instaurer les dispositifs de délégation dont elle ne saurait se montrer garante tout en
tentant de les subvertir ou de les contourner. La place d’exception suppose de
reconnaître toutes les autres places d’exception qui lui sont référées et doit se montrer
tout aussi soumise qu’elles à la Loi (C'est-à-dire aux Lois de la parole). Ces dispositifs
délégués sont les fondements de l’organisation coopérative que nous avons décrite où
les cercles de coopérations de l’encadrement, direction générale, pôles de
compétences, garantissent une mobilisation de tous les acteurs dans l’élaboration et la
conduite du projet.
141 Jean-Pierre Lebrun, Op. cit. pp. 244-245.
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Cet enjeu de l’organisation par pôles de compétence, référés à une mission et
ordonnés à une logique de coopération entre tous les acteurs, en interne, et avec tous
les partenaires, en externe repose, au final, sur une conception globale de la
« clinique » institutionnelle. C'est-à-dire qu’elle fait véritablement de l’ensemble de
l’institution associative et de toutes ses composantes, politique, professionnelle,
citoyenne, un ensemble de dispositifs complexes, reliés, référés et coopératifs au
service de la clinique du sujet et de la personne, que le jargon socio-administratif a
décidé, une bonne fois pour toutes, de qualifier d’ « usager ». C’est donc, si l’on veut,
une « clinique de l’usager » que sert avant tout la structuration collégiale et
démocratique de l’organisation associative. Celle-ci n’est pas autoréférée, ni enfermée
dans une relation seulement technicienne à l’ « usager », mais se trouve largement
ouverte sur la composante sociale et politique de l’association, via notamment
l’instance collégiale de la direction générale142. C’est là finalement ce qui donne tout
son sens à la refondation de l’association sur une base coopérative. L’enjeu de la
dirigeance coopérative se trouve référé à un projet associatif mobilisant toutes les
parties prenantes. Mais encore est-il nécessaire d’instituer les dispositifs intermédiaires
pour rendre viables ces articulations ! Bien sûr, la référence aux politiques publiques,
dans une logique de régulation conventionnée qui reste largement à promouvoir143,
nous y avons suffisamment insisté tout au long de ce mémoire, reste également une
visée essentielle de la structure coopérative de l’institution intermédiaire qu’est
l’association d’action sociale.
Mais cette logique de la référence interne doit également être à l’œuvre à l’extérieur de
l’organisation. C’est ici que nous retrouvons deux postures foncièrement distinctes des
associations d’action sociale. Les unes, s’en remettant à « l’ordre de fer » d’une
logique administrative, technocratique et gestionnaire « sans auteur », dénient la
dimension instituante du réseau et au contraire assument, voire précipitent, sur un
mode rivalitaire et concurrentiel son atomisation et son morcellement : quitte à ce que
ce soit par mitage des réseaux que se constituent alors de vastes ensembles
gestionnaires administrés. D’autres associations, conscientes de l’enjeu interne de la
relativisation et de l’altérisation de la place d’exception, mais aussi de sa persistance,
142 Cf. Supra et « organigramme-cible », en annexe 143 Matthieu Hély, « De la tutelle au partenariat : entreprises associatives et régulation conventionnée », Iresco, Toulouse, 16-17 septembre 2004, document Internet. Hélène Trouvé, « Les structures associatives : des acteurs intermédiaires dans l’action sociale ? », Matisse CNRS-UMR 8595, Paris I, document Internet.
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privilégient l’émergence d’ensembles interinstitutionnels signifiants, tant pour
l’ensemble des leurs acteurs professionnels et bénévoles que pour les politiques
publiques territoriales dont il nous faut toutefois distinguer deux tendances à l’oeuvre
actuellement. D’une part la tendance, dirions-nous, néo-Etatique, sans Etat, c'est-à-
dire diluée sous l’ordre de la procédure technocratique sans auteur et qui semble
devoir s’imposer à tous ; et d’autre part la tendance, encore ambiguë, à favoriser
l’émergence de véritables pilotages locaux des politiques publiques et désignant des
chefs de file de l’action territoriale, quitte à les mettre d’emblée en concurrence comme
c’est le cas entre les maires et les présidents des Conseils généraux pour les lois de
prévention de la délinquance et de protection de l’enfance, votées le même jour, le 5
mars 2007. Bien sûr, ces deux logiques, parfois portées par des acteurs administratifs
différents, mais parfois par les mêmes, entrent différemment en phase avec les grands
types de postures associatives que nous venons d’évoquer. Il y a interaction entre les
modèles, des modes de gestion publique faisant le jeu de formes de gouvernance
associative et réciproquement. Nous soulignerons, en conclusion, que c’est dans le
discernement de ces jeux entre gestions et gouvernances publiques et associatives
que se joue l’avenir des politiques sociales de notre pays et qu’aucun acteur ne peut
se dire dénué de responsabilité à cet égard.
Insistons également sur la prégnance de l’instance Président-Directeur où se noue la
gouvernance associative : celle-ci ne disparaît pas mais change de fonction. Elle
devient, elle-même, un espace de coopération au service de la régulation de toutes les
autres instances, associatives, professionnelles ou transversales. Elle est garante de
l’application des mêmes règles que celles qui prévalent pour l’organisation
professionnelle. Elle fait de l’exercice de la place d’exception un exercice d’analyse
soumis lui-même au respect des Lois de la parole et de la différence des places. Elle
est surtout garante de l’engagement de toutes les parties prenantes à la mise en
œuvre du projet, étant particulièrement vigilante à ce qu’aucune transaction ne soit
exclusive des autres, en particulier celle qui a longtemps situé le professionnel en
position de surplomb par rapport à l’usager, sans autre tiers que le tiers du collectif
professionnel.
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Administrations publiques et associations d’action sociale face au défi
technocratique
L’articulation des questions de la science et de la technique, de l’autorité et de
l’institution avec celle du lien social introduite par Jean-Pierre Lebrun, en particulier
dans son premier ouvrage important, un monde sans limites144, nous paraissent être
une clé décisive pour comprendre ce qui s’est emparé du travail social depuis vingt
ans. Finalement, ici comme ailleurs, une sorte de mutation que Charles Melman
qualifie d’anthropologique145, se déploie où, y compris dans ces domaines que l’on
pouvait croire les plus préservés de la relation humaine, la rationalité technique impose
de plus en plus sa référence exclusive, au point de devenir la norme ultime des
organisations. Elle en vient, au bout du compte, à occuper la seule place d’exception
qui vaille encore et qui s’impose à tous, sur un mode où elle a de moins en moins de
compte à rendre aux Lois de la parole et donc aux sujets qui ploient sous son joug.
Ainsi aux grands référents transcendantaux sur lesquels s’adossaient les formes
traditionnelles de l’autorité, avec leurs dérives toujours possibles en termes d’abus de
pouvoir, se serait substituée, de manière toujours plus efficiente, une mécanique
autonome, purement instrumentale, émancipée de la question des fins et de la
délibération humaine. Un monde sans limite, où la parole finirait par se réduire, en fin
de compte, à un enchaînement logique de signes, de codes, de procédures, et aux
outils qui le véhiculent, dans un ordre prescrit ne s’ouvrant jamais sur l’inconnu et sur
l’insu de la rencontre interhumaine autour de laquelle bat pourtant le cœur de l’action
sociale. « Nous voyons bien, écrit Jean-Pierre Lebrun, comment le discours de la
science est venu discréditer la réponse séculaire qui prétendait que l’autorité se tenait
de Dieu ; à partir de l’irruption des Lumières, c’est d’abord une place vide qui a été
substituée à celle que Dieu occupait, et c’est ensuite le savoir qui a occupé les lieux ;
désormais l’autorité tient de ce savoir, de ceux que l’on appelle les experts… Tout se
passe dès lors comme si l’ordre social marqué par le développement de la science et
amplifié par ses succès se présentait comme une configuration artefactuelle qui
prendrait la place de l’ordre qui nous définit comme êtres de parole ; il y aurait
désormais comme une constellation en trompe-l’œil – comme un tableau de décor de
144.Jean-Pierre Lebrun, Un monde sans limite, Essai pour une clinique psychanalytique du social, Erès, Toulouse, 2004 145 Charles Melman, L’Homme sans gravité, Editions Denoël, Paris, 2002
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théâtre – qui serait venu se glisser entre le sujet contemporain et l’arrière-plan de
l’ordre symbolique qui le spécifie comme parlant. »146
Nous voudrions conclure ce chapitre en insistant sur ce point : la transformation des
institutions publiques avec leurs administrations en organisations vouées à la seule
gestion instrumentale et à la « performance » technique, fut-ce dans les champs
dédiés aux services à la personne, n’est pas neutre pour les humains que nous
sommes, soumis à ses règles. Si les institutions publiques, elles-mêmes, dont les
modèles fondés sur le souci de l’équité et de l’égalité de traitement pour tous,
gardiennes de valeurs essentielles pour la démocratie, se transforment en pur et
simples instruments techniques et gestionnaires rivalisant dans l’effort de normalisation
des comportements et des initiatives, cherchant à réduire, y compris, avec les
meilleurs intentions, le monde vécu des acteurs à une conformité aux codes, aux
conduites et aux pratiques prescrites, quand ce n’est pas à la seule logique de la
convergence tarifaire, il y a fort à craindre que les associations, dont le modèle
institutionnel se trouvait déjà largement informé par l’ordre constitutionnel public147, en
viennent à perdre, elles-mêmes, leur capacité de transformation, d’initiative et de
changement qui avait toujours, jusqu’à présent, été perçue et utilisée comme une
ressource pour l’adaptation même et le renouvellement des politiques publiques. Dès
lors qu’une ligne à haute tension technocratique a pris le relais de toutes les petites
unités autrefois transformatrices d’énergie selon les modalités les plus originales et les
plus inventives, on ne peut plus guère s’attendre, en effet, qu’à la mise en œuvre d’un
processus de modélisation uniformisante et répétitive. N’est-ce pas déjà ce que
constate Jean-Louis Laville, lorsqu’il observe que « nombre de dirigeants associatifs
participent d’un mouvement plus général dans la société que l’on peut désigner comme
managérialisme, qui consiste à étendre le management à de nouveaux domaines de la
vie sociale. Le managérialisme, poursuit Laville, constitue un « système de description,
d’explication et d’interprétation du monde à partir des catégories de la gestion »
(Chanlat 1998) et peut se caractériser par la place accordée à la notion de
performance, par l’importance de la rationalité instrumentale et par la mise en avant
des concepts d’auditabilité et de responsabilité selon P. Avare et S. Sponem
(2008) »148
146 Jean-Pierre Lebrun, Un monde sans limite, Op. cit. p. 109 et 114. 147 Michel Adam, L’association, Image de la société, L’Harmattan, Paris, 2005. 148 Jean-Louis Laville, Management et régulation dans les associations, in Connexions N°91, Management et contrôle social, Erès, 2009, p. 154.
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Le piège risque donc de se refermer tant sur les acteurs publics que sur les acteurs
associatifs. C’est pourquoi, et l’ensemble de ce travail s’y emploie, il nous paraît
essentiel de continuer à militer pour une approche avant tout sociale, c'est-à-dire
humaine, et non managériale au sens où la définit Laville, c'est-à-dire instrumentale,
de la gestion qui s’impose comme un « effet de la rationalisation du monde
contemporain ». Car le « managérialisme » impose à celle-ci une place centrale telle
qu’il la délie finalement de sa référence à la compréhension interhumaine. Il
l’autonomise en quelque sorte. Au risque, dans le domaine qui nous intéresse, de
mettre l’action sociale au service de la gestion et non l’inverse. Or, souligne Jean-Louis
Laville, « la légitimité des associations déborde la rationalité instrumentale. La
rationalité axiologique est mobilisée à travers des biens communs qui ne sont pas
uniquement des intérêts communs. »149 Et ce ne sont pas des valeurs incantatoires qui
peuvent traduire la réalité et la légitimité de ces « biens communs », mais bien plutôt
des pratiques concrètes de coopération, de débat démocratique, au service d’une
action inventive et créatrice, de formation dialogique des intelligences par la circulation
et le partage de la pensée et des formes d’engagement. Bref ! Une mise en commun
des ressources subjectives des acteurs. « On doit à J. Habermas150, écrit encore Jean-
Louis Laville, d’avoir insisté sur la légitimité résultant de ce processus de formation
des volontés par la délibération et sur le rôle que peuvent jouer à cet égard les
pratiques associatives porteuses d’engagements publics, ce qui rompt avec une
conception « atomiste » du social où les individus sont censés être détenteurs de
valeurs et d’intérêts ; il a souligné avec d’autres que ces valeurs et intérêts ne peuvent
se délimiter que dans l’échange intersubjectif non borné par des considérations
stratégiques mais ouvert à l’intercompréhension. Cet apport est décisif pour la
conceptualisation de la dimension publique des associations. Grâce à cet éclairage, il
apparaît nettement que le managérialisme entretient une dérive associative qu’une
démarche scientifique peut étudier mais non cautionner. »151
La tentation est pourtant grande pour un certain nombre d’acteurs associatifs de se
vivre avant tout sur le modèle de l’entreprise, d’y trouver en quelque sorte leur dernier
espace de légitimité. Or cette tentation ne peut que les conduire à accélérer le
processus d’isomorphisme les assimilant peu à peu aux administrations publiques sur
lesquelles elles sont adossées. Ces dernières, d’ailleurs, endossent elles-mêmes le
149 Ibid. p. 158 150 J. Habermas, L’espace public, Paris, Payot, traduction française, 1993, p. I-XXXI 151 Jean-Louis Laville, Ibid. p. 158.
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plus souvent, par dessus l’uniforme bureaucratique sur lequel elles s’étaient
construites dans la recherche de réponses homogènes, et donc équitables, et sans
même prendre le soin de s’en débarrasser, le costume managérial qu’elles cherchent
désormais à imposer comme la référence incontournable en matière de
« gouvernance » publique. Or se rendent-elles compte, à moins qu’il ne s’agisse d’une
stratégie de désubjectivation délibérée, que cette superposition masque en fait une
profonde rupture de sens tant pour les agents que pour les « usagers » destinataires ?
C’est le moment, plus que jamais, pour les associations, et c’est bien là l’une de leurs
ressources propres, sur laquelle même elles sont fondées, de mobiliser toute leur
créativité en matière d’implication des parties prenantes dans la mesure où « la
mobilisation des groupes d’acteurs différenciés est un garde-fou par rapport aux
injonctions technocratiques. »152
Abdelaâli Laoukili, psychosociologue formateur à l’ARIP153, insiste lui aussi, tant en ce
qui concerne les collectivités territoriales que les associations, sur la nécessité de
mobiliser des espaces de coopérations réels de nature à réintroduire l’élaboration
partagée des buts et des finalités dans une logique délibérative.154 C’est à partir de
différentes interventions psychosociologiques conduites notamment dans des
administrations publiques et des collectivités locales qu’il dresse le tableau
préoccupant des logiques à l’œuvre dans ces organisations imposant aux acteurs un
modèle managérial technocratique sans tenir compte le moins du monde des réalités
essentielles de leurs structures sous-jacentes155 le plus souvent de type
charismatiques ou bureaucratiques. Or cette structure est constituée de l’ensemble des
valeurs et des modes de fonctionnement intériorisés par les individus qui composent
cette organisation. On ne change pas de structure en changeant simplement
d’organigramme ou de procédures. On se contente alors de soumettre les acteurs à de
très fortes tensions où c’est tout simplement le sens, non seulement de leur
investissement, mais encore de leur action, qui finit par se brouiller totalement. Or,
« l’une des caractéristiques du management dans sa vision technocratique est de faire
comme si les problèmes étaient seulement en extériorité ou que l’on pourrait tout 152 Ibid. p. 160. 153 Cf. Introduction générale : Abdelaâli Laoukili fut l’un de nos formateurs dans le cadre du cycle de formation à la psychosociologie clinique de l’ARIP. 154 Abdelaâli Laoukili, « Les collectivités territoriales à l’épreuve du management », in Connexions N°91, Management et contrôle social, Erès, 2009 155 Jean-Claude Rouchy, » Un conception psychanalytique des structures et de leur évolution », in Institution et changement, Op. cit. pp. 15-45 ; Eugène Enriquez, « Structures d’organisation et contrôle social », Connexions N° 41, Toulouse, Erès.
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« objectiver » et tout rationaliser et qu’il suffirait aux acteurs d’appliquer la bonne
méthode pour y arriver »156. Or précisément, les problèmes de l’action sociale ne se
posent surtout pas en extériorité mais bien, d’emblée, pour chaque situation concrète
donnée, dans cette incertitude des buts que l’on va poursuivre et du chemin que l’on va
emprunter pour y arriver. Cette incertitude, ou cette indécidabilité disait Barel, des buts
en action sociale n’a fait que s’amplifier au cours des dernières décennies. N’est-ce
pas ainsi à vouloir continuer à imposer un modèle pédagogique à des jeunes dont les
souffrances venaient interroger le prétendu savoir des équipes éducatives que
beaucoup d’entre elles se sont cassées les dents au cours des années 80 et 90 ?157 Il
a fallu inventer, se déplacer, quitter souvent les murs de l’internat pour des parcours
plus incertains, où seule la parole échangée entre adultes et jeunes, dans le cadre
d’une délibération toujours relancée sur le sens de la souffrance manifestée faisait
point d’arrimage à un social, devenu, sans ce travail, radicalement étrange et
angoissant. C’est cette option qui est foncièrement mise à mal par le « technocrate »
(celui qui a une vision technique du problème) « dans sa volonté de maîtrise et de
contrôle du réel dont la vision ne s’accommode pas facilement avec les nécessités
d’engager une délibération avec les autres acteurs, foncièrement incertaine et
« consommatrice » de temps. Le contrôle de l’incertitude et le contrôle des coûts se
trouvent ainsi, et de manière inconsciente, comme des impératifs majeurs aux yeux de
notre technocrate, pas toujours si libre ni si innovant pour concevoir des dispositifs
d’élaboration et de mise en œuvre des décisions adaptés aux enjeux et aux contraintes
de la situation.»158
C’est ensemble que les pouvoirs publics, les collectivités locales, les associations ont,
à des places différentes, à assumer une lourde responsabilité en ce qui concerne le
sens de l’action sociale aujourd’hui. Règne en effet un double message, une injonction
paradoxale dont il faudra bien sortir un jour, et sans doute pas par l’issue que nous
indique le nouvel idéal de maîtrise technocratique. D’une part, nous l’avons vu avec les
analyses de Robert Lafore, il y a basculement du côté des modalités de construction
de la réponse et de l’intervention, d’une logique de catégorisation des publics et des
équipements à une logique de parcours individualisé et d’accompagnement qui
156 Ibid. p. 111 157 Cf. Supra. C’est sur la base de cette expérience qu’une action de formation recherche en lien avec l’ARIP et Transition est en cours avec les associations de l’UNASEA Bretagne sur cette question précisément de se laisser travailler par le non savoir au cœur de toute rencontre authentique, et donc de la rencontre éducative comme de l’action sociale en général. 158 Abdelaâli Laoukili, Ibid. p 108.
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pourrait laisser supposer l’émergence d’un véritable nouveau paradigme de l’insertion
en matière d’action sociale. Et d’un autre côté, on assiste à la prégnance croissante de
normes, dites de performance, qui viennent occulter toutes les zones d’incertitudes, de
non savoir, d’insu sur lesquelles se fondent, par la parole échangée et l’effort
d’intercompréhension des sujets en présence, la qualité même de toute intervention
éducative ou sociale. C’est encore Jürgen Habermas qui plaide pour une
communication d’intercompréhension qui ne soit pas purement et simplement
supplantée par une communication de type stratégique dans le cadre de laquelle la
logique des systèmes recouvrirait celle du monde vécu. Pour ce dernier, « le
dépassement de cette ambivalence ne peut se faire qu’au travers d’un accord commun
sur deux choses : l’importance du problème à traiter, c'est-à-dire les valeurs et buts
poursuivis, et la visée démocratique (le mode de participation de tous les acteurs). »159
Nul ne peut méconnaître la plainte, et parfois la souffrance, d’un grand nombre de
travailleurs sociaux aujourd’hui confrontés à cette injonction paradoxale
d’ « accompagner », avec tout ce que cette notion suppose de « co-production » ou
encore de « co-construction » entre la personne aidée et l’aidant, sur le fond encore
une fois d’un non-savoir essentiel, dans un contexte où la prestation de service est,
quant à elle, de plus en plus souvent prescrite et définie en amont, dans le cadre de
cahiers des charges faisant l’objet d’approches avant tout techniques et gestionnaires,
et évaluée en aval selon des logiques quantitatives et normatives. « Les travailleurs
sociaux, écrit Jean-Pierre Lebrun, sont désormais obligés de supporter, en fait, ce sur
quoi notre modalité de lien social fait l’impasse. Qui pourtant mieux qu’eux – au-delà
du concret de leurs interventions – pourrait prendre la mesure de ce qu’un problème
social ne peut prétendre trouver une solution qu’en étant d’abord reconnu comme étant
l’affaire d’un sujet ? »160 Mais le sujet semble de moins en moins à l’ordre du jour !
Comment alors prétendre à l’efficience en matière d’action sociale sans arrimer
étroitement les institutions à ces espaces de délibération par nature incertains, « non
tracés et non-traçables »161, où s’affronte le négatif, le contradictoire et l’irréductible de
toute situation humaine en souffrance ? C’est bien cette question de l’efficacité même
de l’approche managériale et procédurale en matière d’action sociale qui doit
159 Ibid. p. 109 160 Jean-Pierre Lebrun, La perversion ordinaire, Vivre ensemble sans autrui, Editions Denoël, Paris, 2007, p. 177. 161 Jean-Michel Abry, « Le social et le médico-social à l’épreuve de sa déshumanisation », Connexions N° 91, Management et contrôle social, p. 172.
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finalement être posée et qui devra, tôt ou tard, se trouver, comme le souligne Abdelaâli
Laoukili « au centre des réflexions sur l’évaluation des politiques publiques. »162
162 Ibid. p. 115.
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Conclusion Générale : Pour une refondation des
institutions intermédiaires en action sociale
La ressource des associations d’action sociale est entre leurs mains !
Les associations d’action sociale se trouvent aujourd’hui à la croisée des chemins. La
montée en force des processus de rationalisation gestionnaire et de marchandisation,
leur mise en concurrence, les convoquent à aller plus loin qu’une simple remise en
cause des modèles d’organisation et d’autorité traditionnelles sur lesquels elles étaient
fondées. Elles doivent contribuer à l’invention d’une autre modalité du lien social où la
technique et l’économie ne viennent pas, purement et simplement, supplanter un mode
dépassé de structuration devenu irrecevable par l’ensemble des acteurs. Encore faut-il
considérer quels sont les vrais besoins de ces acteurs afin qu’ils continuent à
s’engager pleinement au sein des organisations. A cet égard, les questions qui se
posent aux associations ne sont pas différentes de celles qui se posent aux entreprises
ou aux services publics. Mais encore faut-il que les ressources spécifiques dont celles-
ci disposent pour y répondre soient mises au jour.
Jean-Louis Laville, dans l’ouvrage récent codirigé avec Christian Hoarau sur la
gouvernance des associations163 souligne les limites d’un pur et simple alignement de
l’association sur la logique de l’entreprise. Mais il insiste également sur les déficits de
démocratie au sein des instances associatives susceptibles de compromettre
gravement et durablement la relance de leur initiative en matière de gouvernance. Il
pointe là, comme il le reprend d’ailleurs dans un article plus récent164, certaines dérives
ou fonctionnements autarciques dans lesquels des associations ont pu se laisser
enfermer : « les cas de « cliques » qui ont privatisé de fait des espaces collectifs en
tirant leur pouvoir du faible nombre de participants impliqués dans la vie associative
163 Christian Hoarau, Jean-Louis Laville, La gouvernance des associations, Economie, sociologie, gestion, Erès, Toulouse, 2008.
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sont trop fréquents pour être ignorés. »165 Mais le risque principal qui se profile
aujourd’hui est celui de l’assimilation à « un service public à moindre frais dans un
contexte de sous-dotation endémique » avec un personnel qui « moins protégé
statutairement que dans le service public, constitue la seule variable d’ajustement
lorsque les conventions globales signées avec les tutelles ne permettent pas de couvrir
l’intégralité des charges. »166 Il est certain que la mobilisation des salariés de la
Convention Collective 66 tout au long de l’année 2009, dans le cadre des organisations
syndicales ou non, constitue à la fois une prise de conscience de ce risque majeur par
les intéressés eux-mêmes, mais aussi une alerte pour l’ensemble des responsables
publics ou associatifs sur le fait qu’on ne transforme des logiques d’action dans un
dynamique porteuse de sens et de progrès sans prendre en considération les acteurs
eux-mêmes qui s’y engagent quotidiennement.
Au-delà de ce risque d’un « sous-service public » toujours plus accordé à la
pénétration des logiques du management d’entreprise, Jean-Louis Laville met l’accent
sur les capacités d’innovation du secteur associatif, à la fois selon la logique
conventionnée de négociation avec les tutelles mais également selon celle beaucoup
plus proche de l’entreprise de l’exploration de nouveaux marchés. Toutefois c’est dans
son aptitude à devenir « entrepreneur institutionnel et à introduire des questions
inédites au sein de l’espace public »167 que l’association garde la plus grande marge de
manœuvre et de renouvellement : « quand l’association théorise et construit des
coalitions en combinant activités économiques et politiques, il existe une innovation
institutionnelle qui s’inscrit dans le cadre démocratique. »168 L’association d’action
sociale, comme nous l’avons vu pour l’exemple de la Sauvegarde 56, vit dans une
interdépendance étroite avec les pouvoirs publics. Il s’agit là d’un fait à assumer
pleinement. Mais il ne prive pas l’association d’une capacité d’action, d’innovation ni
même d’une capacité de contribution au « renouvellement de l’action publique par une
interdépendance assumée entre action associative et régulation publique. »169 C’est
vers ce mode de régulation négociée et conventionnée que s’orientait, on l’a vu, la
Sauvegarde 56. Mais il ne suffit pas de définir ce cap pour l’atteindre à coup sûr. Car
les pièges sont nombreux sur la route. Ils tiennent à la difficulté des pouvoirs publics
165 Jean-Louis Laville, « Management et régulation dans les associations », in Connexions, Management et contrôle social, N°91, Erès, juillet 2009, p. 160 166 Ibid. p. 266 167 Ibid. p. 267 168 Idem. 169 Idem.
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eux-mêmes d’initier de véritable modes de pilotages coopératifs et démocratiques sur
les territoires, associant l’ensemble des acteurs, se contentant le plus souvent de
reconduire des réflexes et habitudes bureaucratiques aujourd’hui renforcés par les
nouveaux outils de contrôles informatiques. Mais ils tiennent aussi à la difficulté d’un
certain nombre d’associations de soutenir elles-mêmes une exigence de réinvention
démocratique au sein même de leur organisation comme dans les relations qu’elles
établissent avec leurs partenaires. La contamination de la logique concurrentielle et
marchande pointe à l’horizon de ce déficit de conception du lien social dont les
associations d’action sociale, plus que toutes autres organisations professionnelles,
devraient pourtant, eu égard à leur mission, être les précurseurs. C’est à la continuité
entre projet social et conduites démocratiques au sein des organisations associatives
que nous consacrerons les dernières pages de ce travail. C’est au prix de cet effort
réflexif concernant la mobilisation de toutes leurs ressources internes mais aussi la
qualité des réseaux dans lesquels elles s’engagent qu’elles pourront peut-être éviter
les risques de la « banalisation brouillant les séparations avec l’entreprise privée ou le
service public et attester d’une réactivité par rapport aux changements sociaux qui lui
assure une pertinence durable. »170
Grâce aux travaux de Jean-Pierre Lebrun, nous avons déjà insisté sur l’enjeu d’un
renouvellement de l’approche institutionnelle des organisations. Cela vaut d’ailleurs,
nous l’avons souligné, dans un contexte sociétal de relativisation de la différence des
places pour l’ensemble des institutions, qu’elles soient politiques, familiales, sociales
ou professionnelles. Nous avons montré que cette relativisation peut devenir une
chance et correspondre à une progression de l’idéal démocratique à condition qu’elle
n’équivaille pas à une dissolution pure et simple de cette différence au profit, par
exemple, d’une soumission généralisée à la seule logique gestionnaire et procédurale.
L’institution garde cet avantage sur l’organisation, qui, elle, peut se réduire à un pur
mécanisme technocratique, qu’elle vise avant tout à faire vivre et œuvrer ensemble
des sujets humains référés aux lois de la parole. Au-delà des travaux de l’ARIP dont
nous avons souligné l’importance dans notre parcours professionnel lors de
l’introduction171, nous aimerions reprendre en conclusion, pour ce qui concerne
l’association, l’enjeu permanent de l’articulation entre institutionnalisation et
subjectivation, tels que Renaud Sainsaulieu et Blaise Ollivier l’ont mis en valeur dans
170 Ibid. p. 268 171 Jean-Claude Rouchy, Monique Soula Desroches, Institution et changement, Processus psychique et organisation, Ed. Erès, Coll. Transition, Ramonville Saint-Agne, 2004.
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leurs travaux communs172. Si Renaud Sainsaulieu est le fondateur de ce cycle de
formation sur les changements associatifs à Sciences Po, nous avons surtout eu
l’occasion de rencontrer, avant son décès en septembre 2007, Blaise Ollivier avec
lequel il a étroitement collaboré. Nous avons fait sa connaissance en 2003, suite à
l’annulation d’une conférence au GNDA du fait de sa maladie, et sommes intervenus
en 2005, à sa demande, dans le cadre d’un séminaire de l’association
Confrontations173 qu’il présidait alors sur les changements que nous avions déjà
introduits à l’époque dans la conduite de la Sauvegarde 56. L’un et l’autre, de manière
anticipée par rapport aux réflexions aiguisées de Jean-Pierre Lebrun sur la clinique de
l’institution, ont cherché à mettre en évidence, en articulant les ressources de la
sociologie, de la psychosociologie et de la psychanalyse, les conditions à la fois d’une
démocratisation du monde de l’entreprise mais aussi d’une contribution à un
renouvellement du lien social. Les questions qui se posent pour l’entreprise sont
d’autant plus pertinentes lorsqu’il s’agit de l’association dont c’est l’objet même de
travailler en permanence à réinventer, dans des contextes toujours évolutifs, le lien
social.
La question de la démocratie est en effet centrale pour les associations d’action sociale
aujourd’hui : qu’il s’agisse d’inventer des modes de mobilisations davantage
démocratiques de tous les acteurs parties prenantes dans le cadre du projet associatif,
ou bien qu’il s’agisse de nouer d’authentiques liens de partenariats avec d’autres
acteurs associatifs dans le cadre d’un effort de rééquilibrage de la régulation publique,
ouvrant davantage d’espace à la co-construction des logiques d’action. Mais cette
question de la démocratie est aussi centrale au regard de la conception même du
social et des interventions à promouvoir pour réarrimer des sujets en souffrance174 à
leur pleine dimension de citoyen. C’est toute la conception de l’action sociale, mais
aussi au sens large de l’éducation, qui doit être réorientée dans une perspective où le
contenant de l’action compte autant que le contenu, c'est-à-dire où l’institution vivante
est garante de la réinscription de sujets désocialisés et désaffiliés dans des processus
172 Blaise Ollivier… 173 Jean Lavoué, « Face aux demandes d’évaluation du travail social, comment garantir la place de l’humain ? L’évaluation qualitative au service du projet associatif et du changement, » Colloque Penser l’humain aujourd’hui, Confrontations, Paris, 14-15 janvier 2005. 174 Sous la direction de Jean Lavoué, Souffrances familiales, souffrances sociales, Nouveaux contextes de la relation d’aide : quelles pratiques, quelles méthodes ? Actes du colloque organisé à Lorient par l’UNASEA Bretagne le 19 novembre 2002.
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qui visent à recomposer les liens entre appartenances primaires et secondaires175 voire
à les élaborer là où elles ont totalement fait défaut. L’enjeu démocratique est
aujourd’hui de réinventer, par-delà des modèles d’autorité dépassés, des formes de
légitimité où les acteurs reconnus dans leurs capacités et leurs subjectivités acceptent
de s’inscrire dans des processus collectifs garantis par des règles et par une
symbolisation acceptable de la différence des places structurant le social et notamment
l’éducation qui y donne accès176. Cela suppose de la part des professionnels et des
organisations la mise en œuvre de compétences nouvelles, articulant implication
subjective, dispositifs garantissant la parole de tous, espaces de débat, lisibilité par la
transcription des éléments constitutifs du bien commun… Cela suppose aussi une
certaine relativisation de toutes les places, de toutes les identités parfois fortement
ancrées dans une logique de surplomb ou d’exception au nom d’un savoir, d’un
pouvoir réel ou supposé, pour entrer dans un processus de mise en relation autour de
logiques de projets plus larges, autour de missions ou de territoires, remettant en
question les cloisonnements identitaires ou disciplinaires ainsi que les crispations
corporatistes.
Dans l’ouvrage collectif co-dirigé par Christian Hoarau et Jean-Louis Laville177, Joseph
Haeringer et Samuel Sponem ouvrent eux aussi des perspectives à ce travail de
démocratisation des associations qui suppose notamment de dépasser les logiques
de contrôle rationnel et coercitif pour engager un contrôle de type culturel où « les
organisations sont vues comme des lieux de valeurs partagées et d’implication morale
dans lesquels la cohésion et la loyauté prennent une importance majeure. »178 La
coopération, on l’a vu, était peu compatible avec des conceptions de l’autorité fondées
sur le charisme et l’ « exception », sans souci de lisibilité partagée. Mais elle ne l’est
pas davantage avec celles qui les supplantent sans transformation et qui vont
privilégier les moyens plus que la fin, la visée gestionnaire plus que la dynamique
identitaire et culturelle. Pour échapper à cette alternative, l’objectif premier reste
d’inscrire la responsabilité au cœur de l’engagement personnel et collectif, dans une
démarche d’appropriation des valeurs par le débat. Ces valeurs qui prévalent en
175 Jean-Claude Rouchy, Le groupe, espace analytique. Clinique et théorie, Toulouse, érès, Collection « Transition », 1998. 176 Jean-Pierre Lebrun, La perversion ordinaire, op. cit. 177 La gouvernace des associations, op. cit. 178 Joseph Haeringer, Samuel Sponem, « Régulation dirigeante et gouvernance associative », in la gouvernance des associations, Economie, sociologie, gestion, sous la direction de Christian Hoarau et Jean-Louis Laville, Erés, Toulouse, 2008, p. 233.
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termes de loyauté, de cohésion et d’engagement collectif, ce sont précisément celles
qui vont être au fondement de la recomposition démocratique des dynamiques
interassociatives. On peut d’ailleurs faire l’hypothèse qu’il y aura une corrélation très
étroite entre les logiques de solidarité externes et de mutualisation dans le cadre des
réseaux et la manière dont à l’interne sont élaborés sur un mode coopératif les
cohésions et les projets démocratiques. C’est sans doute là l’une des principales
pierres d’achoppement pour une influence renouvelée des associations dans les
processus démocratiques sur les territoires, en région et même au niveau national. La
dispersion des forces et surtout l’acceptation des logiques concurrentielles dans une
visée purement marchande et gestionnaire mettent à mal les fondements mêmes et les
valeurs de la cohésion du fait associatif. Réinventer la solidarité dans le contexte d’une
régulation publique tendant à privilégier les contrôles coercitifs voire à les utiliser pour
affaiblir ou fragiliser certaines organisations associatives ou certaines alliances ne va
pas de soi. C’est pourquoi, là encore, la responsabilité de l’action publique est
première pour accompagner le mouvement de démocratisation des associations et leur
recomposition dans une dynamique qui serve l’intérêt commun au sens large et non le
seul encadrement des charges et des coûts. Mais ce n’est pas là la voie privilégiée
aujourd’hui. Le temps est à l’épreuve de l’organisation associative.
Tout l’enjeu de la dirigeance dans les associations d’action sociale est d’articuler des
logiques a priori contradictoires, celle de l’adhésion au projet associatif et celle de la
contrainte gestionnaire normative. Entre injonction des tutelles et dynamique
d’adhésion des acteurs, la tension est forte. Des choix de management purement
gestionnaires peuvent donner la primauté à une forme renouvelée de régulation
tutélaire où la logique administrative et bureaucratique prescrit en définitive, de la
manière la pus étroite possible, les règles et les critères du management. Ce n’est pas
là bien sûr, pour les associations, l’espace où elles peuvent jouer la chance de devenir
un nouvel acteur institutionnel travaillant, dans une interaction permanente avec les
pouvoirs publics, à une réinvention des cadres démocratiques et à une implication
citoyennes de toutes les parties prenantes, y compris des usagers. Dans cette tension
entre tutelle gestionnaire et logique de sens et de projet, Joseph Haeringer et Samuel
Sponem privilégient un modèle politique de l’autorité du dirigeant fondé sur « sa
capacité à traduire la pluralité des positions en un accord issu d’un processus
participatif et constitutif d’un bien commun »179. C’est bien sur cette conception
179 Ibid. p. 239.
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citoyenne de la solidarité que doit se fonder l’accord entre toutes les parties prenantes
de l’association comme entre les acteurs associatifs engagés dans des pratiques de
réseaux. Il est nécessaire, et je dirai même vital, que les associations manifestent
aujourd’hui un certain écart, une certaine affirmation de leur potentiel démocratique
afin d’enrichir le processus qui convoque les politiques publiques à redéfinir voire à
réinventer le cadre des actions de solidarités pour des citoyens toujours plus désaffiliés
et isolés. S’il est un déficit dont les associations d’action sociale peuvent par-dessus
tout s’emparer aujourd’hui pour orienter leurs projets et leurs actions, c’est bien celui
du lien social et de la solidarité que les économies marchandes détruisent
méthodiquement en faisant de l’individu un consommateur seulement guidé par la
logique de son intérêt180. Tout leur effort doit être d’inventer des cadres d’action, à
l’interne comme à l’externe, qui donnent du poids à ce projet politique qui doit aussi
trouver forme dans une organisation et un mode de fonctionnement donnant leur place
à tous les acteurs et les mettant en relation intersubjective les uns avec les autres,
même si c’est au prix de certaines dynamiques conflictuelles. L’autorité dirigeante doit
trouver là le terrain privilégié de son engagement, l’autorité politique de l’association
étant elle garante, au nom du projet, du bien commun élaboré à partir de la pluralité
des engagements. « La bonne gouvernance, soulignent Joseph Haeringer et Samuel
Sponem, impliquerait que les associations se constituent en espaces de débats,
définissent des procédures de décisions dans des temps et des lieux appropriés pour
soutenir l’engagement des parties prenantes dans leurs différences respectives. »181
Finalement la gouvernance et la dirigeance associatives reposent, on l’a vu tout au
long de ce mémoire, sur une tension entre deux logiques irréductibles l’une à l’autre et
qui ont à trouver entre elles les meilleures synergies, les pouvoirs publics ayant eu, de
tout temps, tendance à privilégier la logique professionnelle sur la logique associative
et citoyenne. C’est bien par la porte de la professionnalisation qu’ils sont parvenus en
effet à exercer cette mainmise croissante sur des organisations qui initialement
s’étaient construites sur la carence de l’action publique. Robert Lafore, dans une
contribution à un ouvrage où il retrace l’évolution de cette régulation publique du
secteur associatif voit lui aussi, au-delà « des derniers avatars de la régulation de
l’action sociale que sont les instruments du new management appliqués au services
publics et à la production d’utilités collectives », de larges capacités de réappropriation
180 Cf. Introduction 181 Joseph Haeringer, Samuel Sponem, op. cit. p. 243.
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et de marges de manœuvre laissées au secteur associatif pour « produire lui-même le
sens et les modèles légitimes de son action »182. A lui donc de s’en saisir, et de ne pas
se laisser purement et simplement instrumentaliser par des logiques administratives
auxquelles il manque le plus souvent la capacité d’entraînement citoyen, promotrice du
fait démocratique. Les associations, doivent retrouver aujourd’hui cette tension
structurante entre initiative citoyenne, fondatrice de l’association, et pertinence des
interventions professionnelles. « Si hier, concluent Joseph Haeringer et Samuel
Sponem, l’innovation comme capacité d’explorer de nouvelles réponses aux besoins,
était l’un des enjeux majeurs pour les associations, il y a aujourd’hui un déplacement
sur l’exploration de formes de démocratie… La question associative, celle d’inscrire les
formes de coopération dans un registre démocratique, constitue un enjeu majeur
puisqu’il s’agit de traduire dans des dispositifs pertinents les principes et les valeurs de
liberté et d’égalité. Celui-ci relève aussi d’une compréhension plus institutionnelle de
ces fonctionnements que ne le laissent entendre certaines approches
organisationnelles. »183
Finalement, l’enjeu principal face auquel se trouvent aujourd’hui convoquées les
associations d’action sociale est un enjeu de valeurs, mais de valeurs vécues, traduites
dans des cadres communs d’action et des règles reconnues et partagées. C’est tout
l’intérêt de l’ouvrage collectif rédigé sous la direction de Blaise Ollivier et de Renaud
Sainsaulieu, reprenant dix années de débat ouvert sur l’entreprise dans la société
démocratique184, de nous faire toucher du doigt les conditions pour qu’une entreprise
s’engage véritablement dans un processus démocratique et contribue ainsi à
l’élaboration d’un lien social davantage citoyen. Impossible bien sûr, de résumer ici la
richesse de cet ouvrage qui s’appuie pour partie sur les derniers ouvrages, également
très éclairants pour notre sujet, de chacun des auteurs185. Mais nous pouvons
reprendre cependant quelques axes qui tiennent autant à notre pratique et à nos
convictions personnelles qu’aux intuitions centrales de ces chercheurs qui ont arpenté
pendant des décennies le monde des organisations et de leurs acteurs et y ont
182 Robert Lafore, « Entre pouvoirs publics, associations et marché : l’ingénierie juridique dans l’action sociale », in Qui gouverne le social? Sous la direction de Michel Borgetto et Michel Chauvière, Ed. Dalloz, Paris, 2008, p. 44. 183 Joseph Haeringer, Samuel Sponem, op. cit. p. 244. 184 Sous la direction de Blaise Ollivier et Renaud Sainsaulieu, L’entreprise en débat dans la société démocratique, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, Paris, 2001. 185 Blaise Ollivier, L’acteur et le sujet, Vers un nouvel acteur économique, Ed. Desclée de Brouwer, Paris, 1995. Renaud Sainsaulieu, Des sociétés en mouvement, La ressource des institutions intermédiaires, Ed. Desclée de Brouwer, Paris, 2001.
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confronté de manière incessante l’élaboration toujours en chantier de leurs
conceptions théoriques. C’est finalement sur une conception anthropologique de l’être
humain, foncièrement différente de celle décrite par Jacques Généreux au fondement
de l’économisme186, que repose leur vision du rôle de contribution au processus
démocratique des organisations professionnelles. L’un, Renaud Sainsaulieu, privilégie
une conception sociologique de l’acteur qui va cependant chercher dans la philosophie
personnaliste d’Emmanuel Mounier187 la dimension inépuisable de la ressource de la
personne bien éloignée de la conception utilitariste qui prévaut aujourd’hui. L’autre,
psychanalyste et sociologue, privilégie quant à lui la notion de sujet divisé, toujours
manquant du fait même qu’il est un être de langage, mais toujours aussi capable d’une
parole nouvelle et créatrice capable de contribuer de manière décisive à l’œuvre
commune, à condition précisément d’assumer ce manque. Or c’est précisément tout
sentiment de dette à l’égard d’une perte originaire que cherche à masquer et camoufler
la logique postmoderne de consommation de l’objet, d’une part, et d’hyper-
rationalisation de la relation interhumaine, d’autre part. Ce serait, au contraire, à
mobiliser la ressource irréductible des acteurs, considérés comme sujets de leur
parole, et donc capable de créer du neuf sur la base d’une identité d’emblée constituée
sur le fondement de la relation à l’autre, que la société postmoderne pourrait envisager
un dépassement de ses dérives et du relatif chaos dans lequel elle plonge bon nombre
de nos contemporains. C’est aussi à la conclusion qu’arrive Alain Caillé, à la suite des
travaux de Marcel Mauss, sur laquelle repose le mouvement anti-utilitariste en science
sociales (MAUSS) qu’il a fondé. Ce n’est pas à réduire de manière utilitariste les
individus à la seule logique de leur intérêt, en référant leur reconnaissance ou leur
sanction à la seule sphère de la consommation, qu’on peut se donner, en effet,
collectivement la chance de transformer les impasses toujours plus criantes auxquelles
nous sommes confrontés. Les associations d’action sociales emploient des travailleurs
sociaux dont la mission tient toujours plus de l’impossible dans un tel contexte où seule
la conception utilitariste de l’individu semble publiquement prescrite tandis qu’il leur
faut tenter de relier à une société qui les exclut toujours davantage des personnes en
souffrance, en errance, en désaffiliation et en déliaison188. Et cela ne concerne pas que
les enfants et les adolescents mais l’ensemble du public adulte s’adressant également
aujourd’hui aux services sociaux. L’enjeu est donc fondamental de faire des
associations d’action sociale, mais dirions-nous aussi dans l’idéal des services publics
186 Jacques Généreux, La Dissociété, op. cit. 187 Renaud Sainsaulieu, L’entreprise en débat, op. cit, p. 205. 188 Jean-Pierre Lebrun, La perversion ordinaire, op. cit. p. 177.
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chargés de la restauration des liens solidaires interhumains, des organisations qui
mettent au cœur de leur projet et de leurs modes d’action la question du sujet et de
l’engagement dans sa parole de chaque acteur, qu’il soit professionnel, bénévole,
usager… Faire vivre la démocratie suppose l’invention d’institutions éducatrices,
apprenantes et responsabilisantes, à la hauteur des défis que nous avons à relever. Il
ne doit pas y avoir d’écart entre la visée sociale de nos organisations et l’invention
permanente de cadres d’actions répondant aux exigences d’humanisation que nous
avons à honorer, par delà les dérives réductrices de l’humain que nous connaissons.
Penser l’acteur à la fois comme personne riche de son potentiel d’engagement et de
don189 et comme sujet fondé dans sa parole qui à la fois le différencie et le fait
appartenir et agir dans la communauté humaine, constitue une référence
anthropologique, un pilier, capable de résister aux pires errements, en tous les cas de
discerner, chaque fois qu’elle est mise en péril, la conception fondamentale de l’être
humain sur laquelle se fonde le lien social et solidaire et finalement la société
démocratique.
Renaud Sainsaulieu discerne un enjeu essentiel de « reliance » pour les associations
rattrapées par les logiques de marché et de gestion où elles risquent de « perdre leur
âme »190. Et il définit précisément deux axes d’ouverture pour ce secteur qui « a
toujours constitué le révélateur efficace des insuffisances récurrentes d’une conception
technique et rationnelle de la modernité »191. C’est d’ailleurs d’un engagement
personnel dont parle Renaud Sainsaulieu quand il souligne que « s’engager dans
l’activité associative, c’est, d’une certaine façon, adopter une position d’alternative
critique, de réflexivité, par rapport à l’état des structures officielles et d’encadrement
des citoyens. »192 Voilà bien défini le programme d’orientation de l’association : il ne
s’agit pas pour elle de se soumettre au modèle dominant au point de finir par lui
ressembler mais bien de mobiliser ses propres ressources pour venir critiquer et
subvertir au besoin les modèles d’encadrement réduisant les capacités démocratiques.
C’est bien à ce carrefour que se trouvent les associations d’action sociale aujourd’hui :
se soumettre et disparaître en tant qu’organisations capables de promouvoir de
l’innovation sociale, se contentant de reproduire des logiques d’action étroitement
encadrées par les lois du marché et de la gestion publique. Ou bien, refonder leur idéal
189 Alain Caillé, Op. cit. 190 Renaud Sainsaulieu, op. cit p. 158. 191 Ibid. p. 160. 192 Ibid. p. 161
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démocratique de manière originale et convaincante pour leurs acteurs, pour leurs
citoyens mais aussi pour la société qui les missionne et les pouvoirs publics qui en
sont les relais. C’est pourquoi, sur l’axe culturel, mobilisant toutes les ressources
démocratiques de l’associatif, Renaud Sainsaulieu prédit, un intense renforcement des
logiques communicationnelles et participatives au sein des organisation, une
représentativité de toutes les parties prenantes dans les instances associatives, un
renouvellement de l’activité réflexive et du débat mobilisant de manière interactive tous
les acteurs : « Avec une telle organisation démocratique, conclut-il, l’association se
distingue nettement des structures juridiques et commerciales d’organisation
classiques, elle rend compte publiquement de ses orientations, résultats et
responsables ; elle est admise pour son effet d’innovation sociale, démocratique et
solidaire. L’association trouve précisément ici sa légitimité dans l’expérience créative,
responsable et partagée de ses fonctionnements collectifs. »193 Le second axe
d’ouverture et de renouvellement des associations d’action sociale consiste pour
Renaud Sainsaulieu à inventer, dans le champ de l’économie solidaire, « prenant appui
sur les trois ressources de l’économie solidaire définie par Jean-Louis Laville, les
subventions, le service marchand, le bénévolat, un nouveau statut pour l’entreprise
sociale, à but non lucratif et à responsabilité spécifique »194. On voit, en effet, dans
l’exemple de la Sauvegarde 56 combien le mélange des genres a pu être préjudiciable
à une claire vision des enjeux à la fois de démocratie associative et de réalisme
économique. C’est pourquoi l’idée d’inventer, sur un mode expérimental, et selon le
modèle des coopératives, un nouveau cadre d’action démocratique pour des
entreprises sociales clairement situées dans le champ de l’économie solidaire et se
différenciant des associations dont le cœur de l’action reste avant tout le travail du lien
social et non celui de la production, nous paraît être une piste de réflexion à méditer à
laquelle l’histoire récente de notre association tendrait à donner raison. Ainsi, au cœur
des sociétés en mouvement, l’association est-elle en mesure d’apporter sa ressource,
en tant qu’institution intermédiaire « à condition de renouveler la qualité démocratique
de ses fonctionnements collectifs et ainsi de manifester publiquement la valeur
institutionnelle et opératoire de son engagement. »195
L’analyse critique des nouveaux modes de gouvernance publiques fondés sur
l’encadrement procédural et gestionnaire, la normalisation et la désubjectivation
193 Ibid. p. 163. 194 Idem. 195 Ibid. p. 164.
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commence à être de plus en plus étayée. Les souffrances au travail en sont
certainement le symptôme le plus lisible. Outre les travaux de Jean-Pierre Lebrun, la
récente contribution de la revue de psychosociologie Connexions, Management et
contrôle social196, vient établir un bilan opportun de cette dégradation généralisée des
relations au travail et des logiques institutionnelles d’action. Tout se passe comme si la
pseudo-mobilisation subjective des acteurs, visant à les faire adhérer de manière
active aux processus encadrant de manière toujours plus étroite et contraintes leur
action, se retournait en fait contre une véritable dynamique de subjectivation. Les
souffrances au travail, les démobilisations, les plaintes récurrentes sont là pour en
attester. C’est la raison pour laquelle, sans bien sûr pouvoir faire l’impasse sur les
logiques marchandes et instrumentales qui pénètrent de manière toujours plus
agressives leur champ, les associations d’action sociale ont à repenser leur visée
humanisante et subjectivante dont la ressource ne saurait être que dans le fait politique
lui-même. C’est en tant que parties prenantes d’un projet de nature politique, qui vient
interroger les dérives de l’économisme ambiant, que les associations peuvent
redevenir les interlocutrices des pouvoirs publics qu’elles ont été : non plus
essentiellement en multipliant la création de nouvelles structures et de nouveaux
services dont les administrations viennent d’ailleurs, estimant sans doute que
l’essentiel a été fait à cet égard, de fixer, sous leur pilotage, les nouvelles règles de
création et d’attribution, non pas en se contentant de gérer et de concentrer les
moyens, dans une logique de prestataire de service public, mais en repensant
radicalement leur utilité sociale sur un mode avant tout politique de contribution à
l’effort de repenser la démocratie et la responsabilité de chacun dans l’élaboration du
lien social. C’est un enjeu politique, mais aussi avant tout éducatif et culturel auquel se
trouvent convoquées les associations d’actions sociale. Elles ont à le relever, d’abord
pour leur propre compte, en inventant des modalités de coopérations entre toutes les
parties prenantes à leur projet. Mais aussi en inventant des formes de mutualisation
qui les aident à repenser ensemble les conditions de leur renouvellement politique et
démocratique. Cela suppose sans doute de dépasser les cadres traditionnels
d’appartenance et de fédération inter-associatives, qui n’ont pas toujours pu éviter les
logiques corporatistes de confrontation et de division du champ, pour inventer des
dynamiques de réflexion et d’action militantes, transcendant en quelque sorte toute
une acculturation du secteur aux seules règles de la nouvelle gouvernance publique
196 Op. cit.
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issues directement de la Corporate Governance197. Par une dynamique active de
recherche-action articulée aux lieux de la recherche universitaire ou clinique, l’urgence
est de rassembler des praticiens, qu’elle que soient leurs fonctions dans les
associations, qui auront à conscientiser d’autres acteurs qui auront eux-mêmes à
refonder, au-delà de la seule logique de l’intérêt de l’association pour elle-même et
pour ceux qui la dirigent ou la gouvernent, l’essence même de l’éthos associatif qui est
dynamique de création collective par l’autre et pour l’autre.
197 Dany-Robert Dufour, « La gouvernance comme nouvelle forme de contrôle social », in Connexions N° 91, op.cit, p. 42.
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ANNEXES
1 – Extraits du rapport moral présenté à l’Assemblée Générale 2009
Vers une nouvelle gouvernance associative
2 – Extraits du rapport d’activité présenté à l’Assemblée Générale
2009
La Sauvegarde 56, une organisation coopérative au service de
la gouvernance associative
3 – Organigrammes évolutifs de la Sauvegarde 56 1993-2009
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ANNEXE 1
Extraits du rapport moral présenté à l’Assemblée Générale 2009
Vers une nouvelle gouvernance associative
C’est avec la satisfaction de mettre en œuvre un projet associatif bien vivant, donnant
pleinement ses effets et avec l’assurance que cette dynamique nous engage déjà dans la
préparation du prochain projet que j’entreprends le bilan de cette année 2008, la quatrième
année de mon mandat de Présidente de la Sauvegarde 56. Le projet associatif a été élaboré au
cours des années 2004-2005 et présenté à l’Assemblée Générale 2006. S’il a été pour nous
l’occasion d’un rappel de nos fondements et de nos valeurs, et en particulier de notre
philosophie pour l’action élaborée dix ans auparavant, il s’est aussi surtout voulu un projet
d’organisation, de mise en ordre de marche de notre association afin de lui permettre d’affronter
les grands enjeux qui sont les nôtres aujourd’hui. L’action sociale se prépare en effet à une
mutation sans précédent, et cette mutation, déjà amorcée, tient pour une grande part à des
enjeux organisationnels : elle résulte notamment de la volonté des pouvoirs publics, déjà à
l’œuvre depuis plusieurs années, de mettre en cohérence les acteurs et leurs dispositifs afin
que chacun, donnant le meilleur de lui-même, enrichisse les dynamiques globales d’actions
territoriales au service des personnes en difficulté. Mais elle est aussi le fruit d’une réflexion
entreprise par les associations elles-mêmes sur leurs projets et leurs propres organisations.
Aucune réforme, aucune transformation en profondeur, aussi évidente et nécessaire fut-elle, ne
saurait, en effet, s’imposer sans un engagement fort, une participation et la reconnaissance de
tous les acteurs.
Pour participer à cette mutation d’ensemble, il fallait donc que la Sauvegarde, sur la base de
son histoire, de ses compétences et de ses valeurs, entreprenne elle-même sa propre mutation.
C’est ce que son projet associatif lui a permis d’ores et déjà largement d’accomplir : affirmation
de ses missions autour de ses grands pôles de compétence et de ses offres de service
départementales. Le mouvement est à présent bien enclenché. La vision s’est clarifiée. Et à cet
égard l’année 2008 aura constitué une année charnière en termes de définition du dispositif
global et de précision de l’organigramme cible que je laisserai tout à l’heure au directeur
général le soin de présenter et de commenter.
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Mais tout en accomplissant cette nécessaire mutation de son organisation lui permettant de
mieux s’inscrire tant dans les nouveaux cadres d’action définis par les politiques publiques que
dans les réseaux de partenariat qui lui tiennent particulièrement à cœur, l’association n’a pas
perdu pour autant de vue sa visée première ni sa raison d’être et c’est ce sur quoi j’aimerais
insister dans ce rapport moral de l’année écoulée.
Dans le cadre de ces transformations inéluctables qui concernent, et vont concerner de plus en
plus, l’ensemble des dispositifs d’action sociale en France, j’aimerais, en effet, souligner un
risque que peuvent courir les associations dans un contexte de rationalisation accrue,
d’efficacité et de concentration des moyens : ce serait celui de l’affaiblissement de l’ambition
associative au profit de la seule gestion, administration et organisation du social. Or le travail
social en France a d’abord été le fruit, à la suite de l’œuvre des congrégations et de nombreux
mouvements philanthropiques, de l’action de dizaines de milliers d’associations, de centaines
de milliers de bénévoles qui ont su écouter les besoins de la société, témoigner des souffrances
de personnes, anticiper et innover sur des logiques d’action, créer enfin des dispositifs
extrêmement variés, complexes, riches au sein desquels professionnels, bénévoles,
administrateurs, adhérents et personnes aidées ont appris peu à peu à jouer ensemble leur
partition. Avant d’être une association employant plusieurs centaines de salariés, la
Sauvegarde 56 a, elle aussi, été une association de bénévoles mettant au service de
personnes en difficultés, notamment de détenus récemment libérés, leur temps et leur désir
d’aider. Cette fibre ne s’est jamais perdue. Il y a donc là aujourd’hui, dans cette articulation
entre action bénévole et action professionnelle, toute une fondation, tout un savoir-faire dont
nous n’avons pas toujours su nous-mêmes voir, entretenir et valoriser la richesse. Or cette
richesse est notre bien commun ; c’est aussi celui de l’ensemble des citoyens d’un pays comme
la France. Nul doute que les associations ont été jusqu’à ce jour un lieu privilégié d’exercice
d’une forme de démocratie de proximité, compensant bien souvent en matière de solidarité et
de lien social l’éloignement des centres de décision et de pouvoir. Confronté aujourd’hui à la
mutation de son environnement, ce modèle associatif peut paraître à beaucoup en crise,
devenu en partie inefficient car trop morcelé et cloisonné, ayant du mal à renouveler ses
militants et ses adhérents. Dans le cadre de la décentralisation, l’action publique a, quant à elle,
transformé ses modes d’action dans le sens d’une affirmation de la démocratie territoriale et
locale. Peu à peu, elle construit et rend de plus en plus efficients ses modes de pilotage. Mais
action publique et force associative ne sauraient être exclusives l’une de l’autre et encore moins
antagonistes l’une par rapport à l’autre. Qui, mieux que l’association peut mobiliser aujourd’hui
encore un nombre important de bénévoles au service de leurs concitoyens ? Nous disons quant
à nous, à la Sauvegarde 56, que ce modèle associatif a besoin de se rénover, de se ressourcer
et, en quelque sorte, d’être refondé. C’était déjà l’ambition de notre premier projet associatif, et
c’est la raison pour laquelle, cette année encore, une grande part de notre réflexion a porté sur
l’enjeu de cette refondation. Aussi, je souhaite vous faire part d’un certain nombre d’initiatives
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que nous avons déjà prises dans ce sens, persuadée qu’à travers ces pistes de réflexion et
d’action que nous mettons en œuvre, c’est déjà l’élaboration de notre prochain projet associatif
2011-2012 qui se trouve, d’une certaine façon, engagée.
La grande question qui se pose à notre association, comme à beaucoup d’autres aujourd’hui,
gérant comme nous des équipements sociaux, est d’abord celle de son rayonnement en termes
d’adhérents. Et croyez-bien que ce n’est pas avant tout l’enjeu financier de la cotisation qui
nous intéresse, mais bien plutôt le signe concret que celle-ci manifeste qu’un nombre croissant
de femmes et d’hommes de notre département se mobilisent à nos côtés pour soutenir notre
action et pour s’engager eux-mêmes à en être les relais, là où ils vivent. C’est la raison pour
laquelle nous avons entrepris un travail de communication spécialement destiné à ces
adhérents potentiels que nous souhaitons mobiliser et fédérer autour de nos valeurs et de nos
actions. Dans le dossier qui vous a été remis à l’entrée de cette assemblée générale se trouve
la plaquette à partir de laquelle nous souhaitons largement communiquer. C’est le fruit du travail
de la commission communication. Celle-ci s’est donnée comme but de rendre plus lisible le
sens de l’action de la Sauvegarde 56 et les raisons de nous rejoindre. En effet, une association
comme la nôtre ne peut jouer pleinement son rôle d’interlocutrice des pouvoirs publics et des
élus qu’en développant son engagement citoyen qui est à la base même de son projet et de sa
vision du lien social. Ces plaquettes de communication sont à votre disposition pour faire
connaître notre action et notre volonté de sensibiliser un nombre croissant de personnes aux
enjeux de l’action sociale et de la solidarité.
Nous avons voulu également continuer à donner de bonnes raisons à ces adhérents de nous
rejoindre. Nous avons ainsi poursuivi nos soirées rencontres débats auxquelles tous les acteurs
de l’association sont invités : si elles n’ont pas eu le succès attendu en nombre de participants,
elles ont néanmoins permis à ceux qui y ont participé de mieux comprendre les questions qui
traversent notre association et l’action sociale aujourd’hui. La commission vie associative et le
petit groupe chargé de la préparation de ces soirées ont décidé d’ouvrir désormais, à partir de
septembre prochain, ces espaces de rencontres et de débat non seulement aux personnes déjà
impliquées dans l’association mais encore aux partenaires ainsi qu’aux personnes et aux
habitants tout simplement désireux de nous rejoindre.
Une journée annuelle des adhérents a également été décidée afin de les associer davantage à
la vie et au devenir de l’association. Nous organiserons ainsi avec eux des échanges et débats
sur l’actualité de l’association à travers des rencontres qui leur seront spécialement dédiées.
Bien sûr, le journal de la vie associative constitue également, par ailleurs, un lien naturel que
nous continuerons à privilégier avec eux.
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Au-delà de cette plus grande proximité avec nos adhérents, nous souhaitons également
renforcer le lien entre l’association et ses usagers. L’an dernier, nous avions accueilli lors de
notre assemblée générale 200 enfants du quartier de Kervénanec à Lorient avec leur famille
autour d’un concert de chansons qu’ils avaient eux-mêmes écrites concernant le devenir de leur
quartier. Cette assemblée générale symbolisait notre volonté d’aller à la rencontre des habitants
de notre département, au-delà même des missions d’action sociale que nous exerçons. Cette
volonté demeure fortement ancrée car c’est aussi par ce que ce sont tout simplement des
habitants et des citoyens de notre département que notre association souhaite continuer à
rencontrer les usagers de ses services et engager le dialogue avec eux.
Ainsi, notre journée associative du 28 novembre 2008 portait-elle sur cette question de l’usager,
non seulement au cœur de l’action professionnelle, mais aussi au cœur de la vie associative :
les administrateurs présents ont pu entendre les professionnels des différents dispositifs dire en
quoi, 7 ans après la loi du 2 janvier 2002, leurs pratiques continuaient à se transformer dans le
sens d’une plus grande attention à la parole et à la vie des usagers. Mais les professionnels ont
pu aussi écouter les administrateurs leur dire leur volonté de nourrir leur responsabilité par des
liens plus étroits avec les personnes accueillies ou accompagnées dans l’association. S’ils
tenaient à redire toute leur confiance aux professionnels pour l’action qu’ils mènent, en tant que
premiers médiateurs de l’action associative en direction des usagers, ils souhaitaient aussi
poser des jalons en vue d’une implication plus directe des usagers au cœur même de la vie
associative. Ainsi la perspective de la création d’un conseil de la vie associative au sein duquel
les usagers pourraient jouer pleinement leur rôle est-il l’un des axes qui a pu être réaffirmé ce
jour là et sera sûrement mis en œuvre dans la perspective de notre projet à venir.
Le projet de créer des événements sportifs et culturels initié par la commission créée à cet effet
viendra, lui aussi, renforcer le lien associatif. La première manifestation de ce type aura lieu le
26 septembre prochain au stade du Moustoir à Lorient, en présence de footballers
professionnels du FCL. A la partie sportive qui associera professionnels, usagers,
professionnels, bénévoles, adhérents, et habitants s’ajoutera la dimension festive et culturelle
qui clôturera la journée.
Cette année aura été aussi pour nous l’occasion pour nous de définir notre plan d’action
associatif, suite à la démarche d’auto-évaluation que nous avons conduite dans une
perspective d’amélioration continue de la qualité. Tous les points que je viens d’évoquer font
l’objet, bien sûr, d’une attention toute particulière dans ce plan d’action : politique d’adhésion,
mobilisation de toutes les partie-prenantes de l’association, rapprochement entre
administrateurs et salariés, organisation d’événements et de rencontres entre l’association et
les usagers seront des indicateurs forts lors de nos prochaines étapes d’auto-évaluation. …/…
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ANNEXE 2
Extraits du rapport d’activité présenté à l’Assemblée Générale 2009
La Sauvegarde 56, une organisation coopérative au service de la
gouvernance associative
Une gouvernance associative fondée sur la coopérati on
Ainsi que l’affirmait Andrée Cario dans son rapport moral, la Sauvegarde 56, avec beaucoup
d’autres associations aujourd’hui, cherche avant tout à affirmer une ambition associative. Son
projet présenté il y a trois ans a mis en évidence les liens étroits entre son offre de service, son
organisation et les finalités qu’elle poursuit. Il ressort de ces années d’élaboration, de réflexion
et d’expérimentation que cette volonté de mobiliser plus fortement un nombre élargi d’acteurs
qui la constituent. On s’est accoutumé ces dernières années à parler à ce propos de
gouvernance : la gouvernance, voilà un mot qui nous est tout droit venu du monde de
l’entreprise avec ses dérives avec la valorisation systématique et excessive, par exemple, du
rôle des actionnaires au détriment d’autres composantes de l’entreprise, direction ou salariés, le
client restant, quoiqu’il en soit l’arbitre suprême. En ce qui concerne la vie associative où l’on en
est venu aussi à parler de gouvernance, l’ambition consiste bien, là encore, à mobiliser tous les
acteurs, toutes les parties prenantes, en dehors toutefois de toute logique d’intérêt et de gain :
certains bénévoles, d’autres salariés, d’autres encore destinataires d’accueils et
d’hébergement, d’aides, de conseils, d’accompagnements, tout cela dans le cadre de politiques
publiques orientées uniquement par le souci de la plus grande équité et solidarité entre les
habitants d’un département, d’une région, du pays.
Dès lors la gouvernance, pour ce qui concerne une association comme la Sauvegarde 56
consiste à relier tout un ensemble d’acteurs, à faire jouer le mieux possible à chacun son rôle
en lien avec celui de tous les autres. Par nature, les associations, les mutuelles, les
coopérations cherchent, en dehors de toute logique d’intérêt particulier, à conduire un
ensemble de personnes à concourir au bien commun. Dès lors, y-a-t-il un domaine plus
intéressant que le domaine associatif pour permettre au concept de gouvernance, entendu au
sens d’une mise en coopération de tous les acteurs concernés, de tenir toutes ses promesses :
à savoir cet art de réussir ensemble un projet, dans un domaine parfaitement utile, nécessaire
et désintéressé qui est celui de l’action sociale ?
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C’est dans le cadre d’une articulation toujours plus étroite entre pouvoirs publics et prestation
professionnelle au service des usagers, notamment symbolisée par la loi du 2 janvier 2002, que
l’association et ses administrateurs, ses bénévoles, ses adhérents cherchent ainsi à jouer au
mieux leur partition. La présidente a fait part dans son rapport moral de tout ce qui était mis à
l’œuvre pour développer ce lien citoyen avec les différentes parties prenantes de l’association.
Mais il existe aussi un lien de l’intérieur qui est de nature à renforcer l’ambition et la
gouvernance associatives : c’est le lien de l’association avec son organisation professionnelle
elle-même. C’est sur ce point que j’aimerais insister dans le cadre de ce rapport d’activité. Notre
association, comme beaucoup d’autres, a connu, ces trente dernières années une croissance
importante et rapide de son organisation professionnelle, à tel point qu’elle a fini parfois par se
confondre, aux yeux de certains, avec cette organisation professionnelle. Les textes de lois
régissant l’action sociale qui se succèdent nous laissent parfois cette fâcheuse impression qu’il
n’y aurait plus en matière d’associations sociales et médico-sociales que des organismes
gestionnaires d’équipements professionnels encadrés par l’administration. La Sauvegarde 56
quant à elle peut être fière de ces années de développement qui en ont fait une institution forte
et incontournable du département en matière d’action sociale. Toutefois, au cours de ces
années de développement on ne peut pas dire, et en cela elle n’était pas très différente des
autres associations connaissant la même croissance, que la gouvernance associative ait été
privilégiée au sens d’une forte dynamique d’adhésion aux fins de développer le pôle politique
de l’association, ou d’un lien très étroit entre les instances associatives, les professionnels et
leurs usagers, ou bien encore d’une forte articulation des missions entre elles afin d’asseoir
avec les pouvoirs publics une contractualisation fiable, sécurisée et durables des logiques
d’action. Cette faiblesse de la gouvernance, ou dirions-nous de la coopération, s’est traduite par
des fragilités dont nous avons fait part au cours d’Assemblées générales récentes, notamment
2003-2006.
Depuis, un certain nombre de choix politiques et organisationnels, notamment en lien avec le
projet associatif élaboré au cours de ces années, nous ont permis de franchir des étapes qui
convergent vers un renforcement de la gouvernance et de la coopération associatives et
dessinent le chemin sur lequel nous souhaitons continuer à progresser au cours des prochaines
années.
La Présidente de l’association a insisté sur la composante politique de la gouvernance : une
volonté de faire adhérer et coopérer un nombre croissant de citoyens du département à notre
projet. Je souhaiterais pour ma part vous présenter quelques enjeux de sa composante
organisationnelle, sachant, bien entendu, que l’une et l’autre concourent à une affirmation
globale de notre ambition associative au service du projet.
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Une organisation coopérative
Ainsi, l’année 2008 a-t-elle constitué, à cet égard, une étape importante d’affirmation du projet
associatif. Celui-ci, comme la Présidente le rappelait dans son rapport moral, visait précisément
cette volonté de mieux intégrer les forces à l’œuvre au sein de l’association et les dynamiques
d’acteurs, à mieux asseoir la structure organisationnelle et à mieux intégrer l’offre de service
dans le cadre des grandes missions départementales et des pôles de compétence. Si l’ambition
coopérative n’a cessé d’être affirmée, il lui fallait trouver ses cadres d’action concrets pour
s’exprimer pleinement. A cet égard, 2008 a tracé une voie qui permettra sans nul doute à
l’association de constituer cette structure coopérative stable à laquelle elle oeuvre déjà depuis
plusieurs années. Le plan d’action associatif élaboré cette année à la suite de la démarche
d’auto-évaluation donne une vision très concrète et évaluable du chemin à parcourir pour
permettre à chaque acteur, et notamment à chaque professionnel, d’habiter pleinement cette
structure associative fondée sur la coopération.
Afin de visualiser les étapes franchies, je vous propose un petit retour en arrière sur notre
organisation récente qui vous permettra de mieux saisir la visée qui est la notre aujourd’hui.
Ces quelques organigrammes sont des indicateurs sur le chemin.
Tout d’abord 1993. L’organigramme manifeste l’expansion de la Sauvegarde au cours des
années précédentes : la fusion avec l’association SOS à l’Ecoute, la création des premières
filiales dans le champ de l’insertion, Bleu Citron et Projet, les services Jalons et enquêtes
sociales, directement rattachés à la direction générale, enfin les sites de Kéraudrénic et du
Pratel dédiés à l’insertion et à la formation. Une dizaine de directeurs exercent alors leurs
responsabilités sous l’autorité du directeur général. De multiples délégations leur permettent
d’élargir le rayonnement de l’association. Il n’existe alors que deux postes et demi de cadres
intermédiaires : un directeur adjoint et un poste et demi de chef de service. Une seule équipe
de direction : celle des directeurs réunis autour du directeur général ; mais une relative
indépendance entre chaque structure et de fortes différences en matière de cultures de
direction et de cultures professionnelles au sein pourtant d’une même organisation. Aux yeux
de certains, si l’on met l’accent sur la relative autonomie des établissements et services,
l’association peut apparaître comme une sorte de fédération ; cependant l’ensemble du
développement de la structure est initié à partir de la direction générale.
L’organigramme de 2000 s’est encore enrichi de deux nouvelles filiales tandis que le
regroupement des services s’est légèrement amorcé : les deux services de milieu ouvert ont été
regroupés en 1994 ainsi que les établissements du Pratel et de Kervénic. Le nombre de
directeurs est à présent de 8. Le nombre de cadres intermédiaires s’est lui un peu accru, se
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répartissant à parité entre Directeurs-Adjoints et Chefs de service sans différenciation évidente
des fonctions entre les uns et les autres.
En 2002, les pôles Protection de l’Enfance et Insertion Adultes familles se dessinent. Les filiales
sont toujours au nombre de quatre. Le service Jalons cesse en 2003 son activité et le service
d’enquêtes sociales est intégré au service d’IOE en 2002. Les cadres intermédiaires sont tous
chefs de service. Ils sont au nombre de dix.
En 2007, dans la mouvance du projet associatif visant à définir des missions départementales
complémentaires et bien différenciées les unes des autres, les trois directeurs qui ont quitté
l’association, deux sur le pôle adultes et un sur le pôle enfance, ont été remplacés par des
cadres intermédiaires placés sous l’autorité d’un directeur de pôle, pour le pôle adultes, ou d’un
directeur ayant mission départementale, pour le pôle protection de l’enfance. Quatre équipes de
direction sont alors constituées composées de deux, trois ou quatre chefs de service chacune
et d’un directeur-adjoint pour le service d’accueil d’adolescents. C’est essentiellement à partir
de ces équipes que la culture de coopération se développe au sein de l’organisation. Entre eux
ces dispositifs restent encore relativement cloisonnés.
Au cours de l’année 2008, le départ de Claire Turbiaux, directrice du Service d’Accueil Familial,
ouvre une phase de réflexion. Le choix est d’abord fait de remplacer ce poste de direction : le
SAF est un service important qui représente pratiquement le tiers des emplois de l’association.
Le mode d’organisation du pôle protection de l’enfance diffère alors profondément de celui du
pôle insertion adultes/familles puisque quatre directeurs sont appelés à coopérer ensemble
pour le pilotage du premier tandis que le second est piloté par un seul directeur. Toutefois, la
non confirmation de l’embauche du directeur du SAF au cours de sa période d’essai conduit
l’association à affirmer alors clairement le choix d’une direction de pôle également pour la
protection de l’enfance, rendant ainsi plus homogène à terme la structuration des deux pôles de
l’association.
Avec la décision de créer ces deux directions de pôles de compétences, l’association a
souhaité également donner une délégation plus large à la direction administrative et financière
en en faisant une direction de pôle à part entière. Les enjeux de gestion, de mise en cohérence,
de relation avec les pouvoirs publics, de logistiques sont tels aujourd’hui que la création d’un
pôle ressources aux délégations bien définies et transversales à toute l’organisation ne peut
que venir sécuriser et stabiliser l’organigramme associatif.
Nous sommes actuellement, en 2009, dans une période transitoire. Un deuxième poste de
directeur adjoint, responsable du service d’accueil familial a été créé. Ce poste a été confié à
Bruno Martin, précédemment chef de service au SAF. Comme Jean-Louis Cartron, directeur-
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adjoint du Service d’Accueil d’Adolescents, il se trouve placé sous la responsabilité de Jean-
Guy Hémono, appelé lui-même à prendre à terme la direction du pôle protection de l’enfance.
Le pôle adultes connaîtra, lui aussi, des évolutions au cours des mois et des années à venir
puisque, comme l’indiquait Andrée Cario, Patrick Gaudin qui le dirige depuis trois ans a
souhaité faire valoir ses droits à la retraite pour le tout début de l’année 2010.
L’organisation transitoire actuelle nous permet donc de nous projeter vers un organigramme
cible présenté au conseil d’administration au cours de l’année.
La logique de cet organigramme, pour revenir sur la notion de gouvernance, est une logique
coopérative qui se dessine à tous les niveaux de l’organisation. Elle permet notamment
d’envisager à terme la création d’une équipe de direction générale constituée des trois
directeurs de pôles et du directeur général. Cette équipe sera naturellement appelée à coopérer
étroitement avec les instances associatives et notamment avec le conseil d’administration.
Par ailleurs, chaque directeur de pôle est appelé à développer un projet de pôle entraînant
également tous les professionnels concernés dans une dynamique coopérative. Chaque équipe
de direction de service placée sous la responsabilité d’un directeur adjoint référé au directeur
de pôle conduit lui aussi le service dans le cadre d’une coopération étroite avec les chefs de
service placés sous sa responsabilité. La visée de la direction de pôle n’est pas d’abord une
visée administrative ou gestionnaire, mais bien la conduite d’un dispositif global ordonné à une
mission départementale, la protection de l’enfance ou l’insertion des adultes, dans le but
d’orchestrer l’ensemble des réponses éducatives et sociales destinées aux usagers.
La transformation de l’organisation telle que nous venons de la parcourir suppose un important
déplacement des cultures de direction. Après une première étape de formation au management
pour l’ensemble des cadres du conseil de direction conduite par Techne Conseil il y a six ans,
une deuxième étape est en cours accompagnée par Jean-René Loubat. Elle permettra
notamment de formaliser l’ensemble des tâches, des fonctions, des délégations de
l’encadrement en lien avec cette importante modification de l’organisation.
Cette transformation importante, nous l’avons souligné, est au service de la coopération entre
tous les acteurs professionnels et de la complémentarité des missions. Chaque fois, au cours
des années précédentes, nous l’avons constaté, que nous avons procédé à un regroupement
de services avec un pilotage unifié, nous avons vu se développer une logique renforcée de
coopération entre des établissements précédemment cloisonnés et développant parfois des
cultures professionnelles assez éloignées les unes des autres au sein pourtant de la même
association et sur des missions identiques. Nous faisons ainsi le pari que l’organigramme
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intégré que nous souhaitons atteindre prochainement, non seulement permettra un véritable
pilotage coopératif de toute l’organisation professionnelle, favorisant notamment la
contractualisation de nos actions avec les pouvoirs publics et notre travail de réseau, mais
encore qu’il favorisera la gouvernance associative c'est-à-dire sa dynamique politique
d’ensemble au service des usagers.
Une politique de réseau
Cette transformation interne n’est pas sans lien avec la forte mobilisation externe et le travail de
réseau dont a également parlé la Présidente dans son rapport moral. En effet, la coopération,
ou les enjeux de gouvernance associative, ne se dessinent pas seulement en interne de nos
organisations mais également dans leur capacité de nouer des liens forts entre elles. Mais là
encore, ne peut-on pas voir se dessiner deux grandes visions de la gouvernance appliquées
aux associations du secteur social ou médico-social. Il y a tout d’abord celle qui fait prévaloir le
lien entre financement public et prestations de services professionnels fournies par des
opérateurs de droit privé ; cela va sans dire, cette conception néglige assez largement la
composante politique et citoyenne des associations. C’est, pour faire court, la vision de la
gouvernance que privilégient depuis plusieurs années les pouvoirs publics et la direction
générale de l’action sociale qui cherchent à administrer de manière la plus efficace possible un
secteur associatif devenu à leurs yeux trop multiforme : il s’agit donc de le remodeler, de le
concentrer, de le contraindre à des cadres administratifs et gestionnaires rigoureux, mais aussi
de l’inscrire comme un outil plus efficient des politiques territoriales. L’ambition de cette vision
de la gouvernance : d’abord l’efficacité gestionnaire et la normalisation ; son risque :
l’instrumentalisation et la perte d’initiative et de créativité des acteurs professionnels et la
démobilisation des centaines de milliers de concitoyens bénévoles qui, en France, depuis
cinquante ans ont contribué largement à l’émergence d’un dispositif associatif d’action sociale
certes éclaté et parcellisé, mais riche d’engagement, de proximité et de solidarité.
Inutile de préciser que ce n’est pas la vision de la gouvernance associative que privilégie la
Sauvegarde 56 dans son travail de réseau départemental, régional et national. Certes, le
secteur associatif se trouve aujourd’hui en quelques sortes à la croisée des chemins. Mais nous
ne pensons pas, justement, qu’il n’y ait pour lui qu’un seul chemin : celui qui semble s’imposer
et qui consisterait nécessairement à la concentration du secteur au sein d’organismes
gestionnaires régionaux, voire nationaux, de plusieurs milliers de salariés administrés selon un
modèle parapublic. Nous ne pensons même pas que la visée de réforme de la gouvernance
des politiques publiques, cherchant elle aussi à faire concourir tous les acteurs de manière forte
et responsable, puisse être correctement atteinte de cette manière là. Que gagnerait l’Etat, en
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effet, si à la place des quelques dizaines de milliers d’associations et des plusieurs centaines
de milliers de bénévoles qui concourent à la mise en œuvre de ses politiques sociales, il ne se
retrouvait plus qu’avec quelques milliers de centres de gestion, employant chacun des
centaines ou des milliers de salariés, après avoir fait passer au second plan toute ambition et
toute initiative associatives ?
C’est la raison pour laquelle, dans son travail de réseau, la Sauvegarde 56 privilégie avant tout
ce renforcement de la dynamique inter-associative, politique et professionnelle. Si nous
cherchons certes, pour une part, à répondre de manière concertée aux logiques de la
commande publique, nous sommes également persuadés que celle-ci ne peut que sortir
enrichie de la mise en commun de nos savoir-faire mais également de notre volonté affirmée de
préserver le tissu fort de la vie associative dans notre pays. Car réformer la gouvernance des
institutions en France suppose ne sûrement pas de supprimer les acteurs ou de les
instrumentaliser, ce qui revient au même, mais nécessite au contraire de leur donner les
chances et le temps de se transformer.
Aussi, toutes les initiatives départementales, régionales ou nationales que prend la Sauvegarde
56 au sein de ses réseaux visent d’abord à développer l’alliance technique et politique entre
associations, l’une ne pouvant aller sans l’autre. Par ailleurs, nous nous efforçons d’œuvrer au
sein des réseaux et des fédérations existants afin de contribuer, à notre place, à leur
transformation. Que ce soit dans le cadre du réseau régional et national UNASEA, dont vous
trouverez dans ce rapport d’activité le bilan de la mandature que nous avons conduite pour
l’année 2008, que ce soit dans le cadre de la création d’un réseau inter-fédéral régional
URIOPSS-UNASEA, que ce soit dans le cadre de la relance d’une délégation départementale
FNARS, ou bien encore de la dynamique de CAPE 56, nous ne visons qu’à renforcer la force
de représentativité et d’action du secteur associatif. Elle seule peut permettre, en effet, de
conduire des politiques de contractualisation efficaces avec les pouvoirs publics.
Quelques aspects du travail en réseau
Dans le domaine de la protection de l’enfance, CAPE 56 nous a permis de franchir cette année
une étape importante, puisqu’au-delà de la journée départementale du 10 octobre 2008
construite avec les services du département, l’ensemble des cadres des cinq associations
constitutives de CAPE 56 ont croisé leurs regards et leurs analyses tout au long de l’année
dans le cadre de trois groupes de travail. Sur la base de ce travail, nous envisageons la
réalisation d’une journée qui pourrait réunir administrateurs et salariés de nos associations.
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En matière de gouvernance associative, l’UNASEA, sur la base de l’initiative de plusieurs
associations, va proposer en novembre à tous les acteurs de la vie associative intéressés en
Bretagne de rejoindre la délégation pour une journée d’étude afin d’enrichir cette vision d’une
gouvernance centrée sur la coopération citoyenne et non sur la seule vision administrative et
gestionnaire. Encore une fois, c’est au service des citoyens et des usagers, et dans le but d’une
amélioration de la réponse publique que les associations doivent rester aujourd’hui pleinement
mobilisées autour de leurs valeurs et de leurs projets au service de l’humain.
Pour la deuxième année, nous poursuivons la recherche-action conduite avec cinq associations
de la région Bretagne sur la prise en charge des adolescents difficiles. Cette action-recherche
menée en lien avec l’organisme de formation Transition nous permettra de communiquer nos
éléments d’analyse au cours des mois à venir, nous l’espérons dans le cadre d’une journée
régionale où là encore nous inviterons largement professionnels et administrateurs de nos
associations, mais également les partenaires qui concourent avec nous à la mission de
protection de l’enfance.
Madame Cario a évoqué les réflexions engagées avec l’Association Espoir Morbihan pour
renforcer la coopération entre nos dispositifs d’intervention. Dans le prolongement de ce que
nous venons d’évoquer, et quelque soit la forme que pourra prendre demain cette coopération,
nous serons attentifs au fait qu’elle soit bien au service du renforcement de l’ambition
associative, dans l’intérêt des usagers du département. …/…
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ANNEXE 3
Organigrammes évolutifs de la Sauvegarde 56 1993-2009
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Table des sigles
ANESM Agence Nationale de l’Evaluation Sociale et Medico-Sociale
ANPE Agence Nationale pour l’Emploi
ANPF Association Nationale des Placements Familiaux
ARS Agence Régionale de Santé
CADA Centre d’Accueil des Demandeurs d’Asile
CAF Caisse d’Allocations Familiales
CAPE 56 Conférence des Associations de Protection de l’Enfance du Morbihan
CHRS Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale
CNAEMO Carrefour National de l’Action Educative en Milieu Ouvert
CNLAPS Comité National de Liaison des Associations de Prévention Spécialisée
CPOM Contrat Pluriannuel d’Objectifs et de Moyens
DDASS Direction Départementale de l’Action Sanitaire et Sociale
DDISS Direction Départementale des Interventions Sanitaires et Sociales
FNARS Fédér. Nationale des Associations d’Accueil et de Réinsertion sociale
FN3S Fédér. Nat. des Services Sociaux Spécialisés de Protect. de l’Enfance
GCSMS Groupement de Coopération Social et Médico-Social
GNDA Groupement National des Directeurs d’Association
PJJ Protection Judiciaire de la Jeunesse
SAFHIR Service d’Accueil Familial d’Hébergement et d’Intervention en Réseau
UNASEA Union Nat. des Assoc. de Sauvegarde de l’Enfance et de l’Adolescence
URIOPSS Union Régionale Interféd. des Organismes Privés Sanitaires et Sociaux
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