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1 Hélène GAUSSOT UF 8 E.S en un an, décembre 2008 « FOLISOPHIE PHILOSOLOUFOQUE » (Réflexion épistémologique sur la folie) La nef des fous, de Jérôme BOSCH Tome 7 de la BD de TURF

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Hélène GAUSSOT UF 8

E.S en un an, décembre 2008

« FOLISOPHIE

PHILOSOLOUFOQUE »

(Réflexion épistémologique sur la folie)

La nef des fous, de Jérôme BOSCH Tome 7 de la BD de TURF

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SOMMAIRE

Introduction p. 3

I) Questions philosophiques et éthiques soulevées par la folie

1) Aperçu historique des sens donnés aux comportements fous p. 5

2) Aliénisme et traitement moral p. 6

3) Les rapports entre folie et société médiatisés par la justice p. 8

et la psychiatrie

II) Dimension épistémologique de quelques approches de la folie

1) Approche scientifique de la folie p. 10

2) Approche psychanalytique p. 12

3) Approche systémique p. 14

III) Les uns pensent tandis que l’autre délire ?

1) Hypothèse rationaliste p. 17

2) Hypothèse réaliste p. 19

3) Hypothèse constructioniste p. 22

Conclusion p. 25

Bibliographie p. 27

Glossaire p. 30

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INTRODUCTION

Lors de mes expériences professionnelles en Foyer Occupationnel et en Maison d’Accueil

Spécialisé, j’ai été amenée à travailler avec des adultes suivis en psychiatrie, et pour la plupart

diagnostiqués « psychotiques » et « autistes ». J’ai rencontré des personnes aux comportements

pour le moins inhabituels et insolites. Cela m’a mise en quête d’une compréhension de la folie qui

ne soit pas réductrice et aliénante pour les personnes ainsi étiquetées.

En Foyer Occupationnel, j’ai travaillé trois ans en internat avec un groupe de onze personnes

qui avaient presque toutes un suivi psychiatrique au long cours.

La mission des Foyers occupationnels est de proposer un accompagnement éducatif, un lieu

d’habitat et des activités de jour à des adultes en situation de handicap. La difficulté est que leur

public est défini par défaut : ils accueillent des personnes qui ne sont pas en mesure de s’inscrire

dans le dispositif d’aide par le travail, et qui ne nécessitent pas pour autant un accompagnement

important dans tous les actes de la vie quotidienne (tel qu’en Maison d’Accueil Spécialisé). Dans

les faits, il y a des personnes qui nécessitent un tel accompagnement, et présentent divers troubles

d’ordre physique, psychique et neurologique. Pour tenter de répondre aux difficultés posées par

cette forte hétérogénéité du public, des groupes ont été composés en termes de « besoins ».

Le groupe où j’ai travaillé porte l’étiquette « troubles de l’humeur, de la personnalité et du

comportement ». Psychoses, phobie sociale, syndrome frontal, désinhibition, troubles autistiques,

trouble obsessionnel compulsif, paranoïa, délire de persécutions, la liste n’est pas exhaustive…

Notre équipe était alors composée de 4 femmes : une éducatrice spécialisée et deux monitrices-

éducatrices (dont moi) à temps-plein, une aide médico-psychologique à mi-temps.

Nous accompagnions les personnes au quotidien, étant aussi chargées de la distribution de leurs

comprimés neuroleptiques, anti-dépresseurs et anxiolytiques, que les infirmières de

l’établissement préparaient dans des semainiers. J’ai régulièrement accompagné les personnes

dont j’étais référente chez les psychiatres qui prescrivaient leurs traitements ; je rapportais alors

nos observations d’équipe en vue des réévaluations et ajustements, qui étaient elles-même affinées

par le retour des commentaires utiles du psychiatre.

Les dosages et les associations sont de savants cocktails qui demandent une attention particulière.

On perçoit effectivement des modifications du comportement de la personne, que l’on peut

imputer à des effets chimiques et biologiques. Mais il est souvent impossible de situer où

commence le traitement, et où s’arrête la maladie, et réducteur si l’on ne voit la personne qu’au

travers de ce prisme-là. Les relations avec l’entourage influent aussi directement sur cet équilibre

psycho-biologique, c’est complexe, et le traitement a parfois bon dos (quand on attend tout de lui,

que c’est censé déraper à cause de lui, ...).

La personne n’est pas qu’un patient dont on traite la pathologie. Pour autant, si la maladie mentale

ne peut être le seul angle d’approche pour aller à la rencontre des personnes, son poids n’a pas

être sous-estimé.

Quelques années plus tôt, lors de mon tout premier stage dans le secteur médico-social, la chef

de service de la Maison d’Accueil Spécialisé m’y avait introduite en me disant :

« Considérez que vous arrivez sur une autre planète. » Effectivement, j’ai alors découvert un

monde différent. Une autre planète, ou plutôt un visage particulier de cette même planète

immense et étonnante. La rencontre de ses habitants requiert d’apprendre un nouveau langage : en

grande majorité ils ne parlent pas, la communication passe alors par d’autres canaux généralement

moins usités (gestes, mimiques, attitudes, intonations, regards, …).

Quand je suis retournée travailler à la MAS après ma formation de monitrice-éducatrice, cette

fois pour un remplacement de sept mois dans l’unité consacrée aux autistes, j’ai été confrontée à

bien des bizarreries au regard des façons habituelles de se comporter en société. Outre les cris, les

claques, les morsures et les griffures, j’ai découvert un monde qui heurtait l’ordre établi.

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Il fallait par exemple raccompagner un homme de notre unité quand il partait s’asseoir devant

la grande porte d’entrée de l’institution pour se déshabiller, arracher sa couche et se masturber.

Il ne parlait pas, et je ne suis pas sûre d’avoir compris en quoi le lieu lui semblait adapté, pas plus

qu’il n’a compris quand j’ai cherché à lui signifier qu’il devait le faire dans sa chambre. Celle-ci

ne semblait pas représenter pour lui ce lieu personnel intime, la grande entrée pleine de passages

lui paraissant probablement plus stimulante, et adaptée à ses comportements sexuels.

Il n’achoppait pas à cette réalité qui structure de façon courante notre société, n’avait pas accès

aux codes partagés entre gens socialisés.

Une femme diagnostiquée « psychotique avec des traits autistiques » exigeait de changer ses

draps chaque matin. Prenant acte de la demande des lingères de faire cesser cet abus, mes

collègues et moi avons décidé de nous y opposer. Mais elle n’entendait pas nos arguments comme

quoi ses draps étaient propres, elle tenait absolument à les changer. Un jour que j’insistais, elle a

arraché ses draps de son lit, est partie avec en courant dans le couloir. Le temps que je la rejoigne,

elle s’était déculottée et était en train de déféquer dessus. Elle semblait très angoissée, et se

comportait comme si le fait de changer quotidiennement ses draps était une nécessité vitale. J’ai

compris combien imposer nos manières de juger de ce qui est normal ou pas pouvait être violent,

à l’égard de personnes ayant une vision différente.

En Foyer Occupationnel par la suite, j’ai rencontré des difficultés similaires, notamment avec

une autre femme psychotique qui percevait de la poussière et de la saleté sur son linge revenant

tout frais lavé de la lingerie. Elle en remettait systématiquement une partie à laver. D’autre part,

elle vivait dans la crainte de se faire dérober des affaires, et cachait des tas de petits objets un peu

partout dans sa chambre. Ensuite, lorsqu’elle les cherchait et ne les retrouvait pas, elle accusait

des personnes de les lui avoir volés. Il m’aura fallu environ deux années pour mieux la

comprendre, et commencer à gagner sa confiance.

Un homme interprétait les comportements de son entourage, dont je faisais partie, en leur prêtant

une connotation persécutrice. Un geste anodin pouvait déclencher une crise. Un jour, j’ai rabattu

vers l’arrière une mèche de mes cheveux, il m’a dit avec colère : « C’est pour vous moquer de

moi, je le sais bien ! De toute façon vous n’êtes qu’une… » S’est alors enchaînée une série

d’insultes.

Mon questionnement s’est enraciné sur la base de ces expériences. Ce qui m’intéresse, c’est ce

constat que des personnes manifestent une manière d’être au monde très décalée par rapport à la

majorité, et d’interroger ce décalage. Qu’en est-il de la différence entre « sens commun » et

« folie » ?

Sans prétendre arriver à en découdre définitivement avec cette question, nous verrons pour le

moins quelques formes de réponses possibles. Nous constaterons qu’elles sont toutes relatives et

tributaires de présupposés philosophiques. Selon que l’on considère le fou comme un être humain

ou non, et un continuum ou une rupture entre normalité et folie, les explications et les traitements

mis en œuvre diffèrent.

Nous envisagerons, dans une perspective historique, les principaux sens donnés aux

comportements fous, et les traitements auxquels ils ont donné lieu au cours des siècles.

Des difficultés posées par l’existence de personnes « folles » et par des actes de « folie

meurtrière », seront soulevées, des actes insensés pouvant se trouver tant chez les fous, que chez

ceux qui sont censés ne pas l’être.

Les approches scientifiques, psychanalytiques et systémiques de la folie seront présentées en lien

avec leurs épistémologies *1 sous-jacentes. Nous testerons ensuite les repères susceptibles de

servir de démarcation entre « fou » et « sain d’esprit » : la rationalité, le sens commun (appelé

aussi parfois « bon sens »), la réalité tiennent-ils au regard de la relativité des connaissances et des

normes sociales ? Les fous n’auraient-ils pas parfois de bonnes raisons d’être fous ? J’espère

atteindre les failles d’un positionnement catégorisant et abusif, pour en arriver à l’idée que la folie

est une construction humaine, qui peut donner l’occasion d’interroger la réalité.

1 Les mots marqués d’un astérisque renvoient au glossaire à la page 28.

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I) Questions philosophiques et éthiques soulevées par la folie

1) Aperçu historique des sens donnés aux comportements fous.

C’est un fait universel, des individus se sont toujours démarqués de la norme, de par leurs

agissements en dépit du « bon sens ». Et de tous temps, des hommes ont cherché à expliquer ces

particularités, de diverses manières pas nécessairement incompatibles. Les visions que l’on se fait

de l’être humain et du sens de son existence conditionnent celles de la folie. Selon qu’il apparaît

plutôt comme doté d’une âme régie par un ordre spirituel, ou comme un corps tributaire de ses

échanges avec l’environnement matériel, les optiques dégagées diffèrent. Des sens donnés à la vie

humaine dépendent les explications déployées pour rendre compte des comportements fous, et les

traitements préconisés.

Dans la Grèce antique, généralement présentée comme le berceau de la pensée rationnelle, le

recours à la religion était de mise pour guérir les malades ; on invoquait Asklépios, le Dieu de la

médecine. C’est là une tendance constante, encore à l’œuvre de nos jours : celle d’en référer avec

foi à un ordre surnaturel. La maladie mentale est vue comme une entité extérieure qui vient

prendre possession du malade, un mauvais esprit à exorciser, ou une malédiction à conjurer. Cette

croyance appelle des rituels magiques et religieux, au cours desquels le geste concret est supposé

agir en dehors de toute répercussion matérielle directe. Par exemple, l’aiguille piquée dans une

poupée vaudoue est réputée avoir un effet sur la personne qu’elle représente, en vertu d’un lien

surnaturel et intangible.

HIPPOCRATE, au 5ème siècle avant J.C, « introduit le concept de nature dans la pensée

médicale ».1 La nature est alors vue comme une force déterminante avec laquelle l’art médical

doit compter, car elle est la première formatrice de l’organisme. Les traitements s’appuient sur des

causalités* relevant directement de la matière et de l’ordre naturel. Hippocrate jette les bases de la

théorie humorale. Il s’agit d’élaborer des diagnostics et des traitements adaptés, en étudiant la

coloration des liquides corporels : sang, bile jaune, atrabile ou bile noire (qui ne correspond pas à

un liquide observable), et la lymphe, appelée aussi flegme ou pituite, utilisée dans les processus de

défenses lors des infections.

Les maladies procèdent par excès ou défaut d’une des humeurs incriminées, ce qui rejoint l’idée

de distinctions quantitatives sur un continuum entre normal et pathologique. L’organe du ressenti

et de la pensée est le cerveau, c’est lui qui est considéré comme dérangé quand se manifeste la

folie. Traumatismes crâniens et pathologies cérébrales sont déjà vues comme de possibles causes

explicatives.

Dans une optique similaire à celle d’Hippocrate, les Romains avec GALIEN (129-198) forment

la théorie des tempéraments (sanguin, flegmatique, colérique, mélancolique). Galien pensait que

la trépanation (percée chirurgicale d’une petite ouverture dans la boîte crânienne) permettait

d’extraire l’excès d’humeurs contenues dans le cerveau, et de faire baisser la pression intra

crânienne.

Si l’on situe généralement la naissance de la médecine avec Hippocrate, des traces de trépanation

sont retrouvées sur des vestiges de crânes datant de 10 000 ans avant J.C. En 1991, Prioreschi

(cité par Cécile Giraud) montre que près de 6% à 10% des crânes du Néolithique ont été trépanés.

En Egypte ancienne aussi, ce geste se pratiquait à visée thérapeutique. Les particularités de

découpe, et la consolidation osseuse autour des percées, montrent que de nombreuses personnes

survivaient à ce geste pratiqué intentionnellement.

« Il s’agissait d’extraire du crâne l’entité abstraite ou l’humeur à l’origine des troubles

psychiatriques, (…) de l’épilepsie et des convulsions. » 2

1 Georges CANGUILHEM, Ecrits sur la médecine, éditions du Seuil, Paris, 2002, p 18.

2 Cécile GIRAUD, in PALEOBIOS, 13 / 2004 / Lyon-France ISSN 0294-121 X / La trépanation : étude de cette

pratique chirurgicale au Moyen Age.

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Ces théories sont reprises durant le Moyen-Age chrétien. La démarche reste principalement de

corriger un manque, par l’absorption et l’ingestion de médicaments visant à le compenser, ou un

excès, en pratiquant des diètes et des saignées. Ces pratiques s’accompagnent du recours à la

magie et à la religion, les maladies du corps et de l’esprit n’étant pas nettement distinguées. Les

imbrications de ces deux courants peuvent être qualifiées d’approches « psychosomatiques », au

sens où elles s’adressent à l’âme et au corps. Le rôle de l’environnement et de ses échanges avec

le patient était aussi reconnu, d’où la mise en place de cures dans des lieux réputés sain(t)s.

Cette question de savoir si la maladie se situe plutôt du côté du corps ou de l’âme se retrouve

dans le vocable latin psychologia, terme forgé à partir du grec dans la seconde moitié du 16ème S.

Il désigne une étude ou une science de la psyché (au sens de principe vital), liée soit à la théologie

(du côté de l’âme), ou à la médecine (du côté du corps).

L’histoire de ce mot latin psychologia retraduit bien une équivoque et des controverses, qui

opposeront médecins de la vie intrapsychique et physiologistes.

Plus près de nous, la question de savoir si l’autisme est plutôt une maladie mentale liée à

l’enracinement relationnel du psychisme (relation à la mère, en particulier chez Bettelheim) ou

une déficience organique et métabolique, rejoint la même interrogation.

Au 17ème siècle, DESCARTES pose les bases du rationalisme moderne, et inaugure une vision

dichotomique selon laquelle le corps est une machine séparée de l’âme. A partir de là se

développeront diverses conceptions de la maladie comme dérèglement mécanique,

thermodynamique, magnétique, électrique, bio-chimique, cybernétique,… à réparer.

2 ) Aliénisme et traitement moral

Pour ce qui est de leur traitement, force est de constater que les fous ont été mis à rude épreuve.

En des temps reculés, il est arrivé qu’ils soient suspendus au-dessus de fosses à serpents, dans

l’idée qu’une peur salutaire les ramènerait à la raison ! Durant le Moyen-age, ils furent tantôt

condamnés, tantôt portés dans des pèlerinages et des prières. Mieux valait présenter les signes

d’une folie acceptée socialement… Comprise comme une manifestation hérétique, elle a pu

mériter le bûcher !

Michel FOUCAULT a étudié la transformation qui s’opère au 17ème S., en rupture avec la

conception médiévale de la folie. La lèpre disparaît, on se préoccupe alors davantage des fous. Il a

existé jusqu’à 19000 léproseries, ce qui reste de ces structures est reconverti pour accueillir toutes

sortes de malades. En 1656, un hôpital général voit le jour à Paris, qui servira de lieu

d’internement tout à la fois pour les fous, les libertins porteurs de maladies vénériennes, les

pauvres et les criminels.

De tels lieux étaient vecteurs tant de charité, que de répression et de mise à l’écart.

« Dans ces institutions viennent ainsi se mêler, non sans conflits souvent, les vieux privilèges de

l’Église dans l’assistance aux pauvres et dans les rites de l’hospitalité, et le souci bourgeois de

mettre en ordre le monde de la misère; le désir d’assister et le besoin de réprimer; le devoir de

charité et la volonté de châtier: toute une pratique équivoque dont il faudra dégager le sens,

symbolisé sans doute par ces léproseries, vides depuis la Renaissance, mais brusquement

réaffectées aux XVIIe siècle et qu’on a réarmées de pouvoirs obscurs. Le classicisme a inventé

l’internement, un peu comme le Moyen-Âge la ségrégation des lépreux; la place laissée vide par

ceux-ci a été occupée par des personnages nouveaux dans le monde européen, ce sont les

« internés.» »1.

1 Michel FOUCAULT, Histoire de la folie à l’âge classique, Gallimard, Paris, 1972. p.76-77

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« L’internement est ainsi deux fois justifié, dans un indissociable équivoque, à titre de bienfait et à

titre de châtiment. Il est tout à la fois récompense et punition, selon la valeur morale de ceux à

qui on l’impose. » 1

Dans l’idée d’une approche plus spécifique de la maladie mentale, des endroits tels que la Tour

Chatimoine à Caen visaient exclusivement à enfermer les fous. C’était néanmoins sans volonté de

traitement autre que de les tenir à l’écart. Cette tour Chatimoine, (comme la Bastille, transformée

aussi en asile d’aliénés) est réputée pour les mauvais traitements qui y furent infligés. Elle a été

détruite en 1789, on y a reconstruit l’ancien Palais de Justice de Caen.

Au 18ème S., s’opère peu à peu une profonde transformation de l’approche conceptuelle de la

maladie mentale. Les tentatives d’explications rationnelles s’intensifient. Des hôpitaux d’aliénés

sont créés.

Au début du 19ème S. s’impose l’idée d’un traitement humaniste de la folie.

Le terme de psychiatre est forgé en 1802. Née sous la Révolution avec Philippe PINEL (1745-

1826), la médecine aliéniste fait de la maladie mentale son domaine propre.

Dans son « Traité médico-philosophique sur l’aliénation mentale », Pinel expose sa théorie sur le

traitement moral. Il l’oppose à l’enfermement, qui « animalise » les fous. Cela renvoie à ces

questions : la folie est une maladie de l’âme ou du corps ? Le fou doit-il ou non être considéré

comme un être humain ? A t’il une âme ? Si oui, peut-elle être possédée par le diable et damnée ?

Sinon, qu’est-ce qui différencie le fou des animaux ?

Ce sont des questions qui ont pu se poser très sérieusement, comme celle de savoir s’il était juste

ou non de réduire en esclavage les Indiens d’Amérique du sud, qu’on traitait comme des bêtes,

alors que le projet initial de la conquête était d’évangéliser leurs âmes.

La loi de 1838 sur les aliénés, inspirée par le successeur de Pinel, Etienne ESQUIROL, fait

obligation à chaque département d’avoir un asile. « Une maison d’aliénés est un instrument de

guérison ; entre les mains d’un médecin habile c’est l’agent thérapeutique le plus puissant contre

les maladies mentales. » 2

Néanmoins, sachant qu’entre les mains d’un seul médecin se trouvaient jusqu’à 1000 aliénés, à la

fin du 19ème siècle… « Les asiles sont devenus des renfermeries surencombrées où la promiscuité

et l’insalubrité sont la règle. Les méthodes de coercition et d’intimidation (camisole, cellule,

douche) sont utilisées pour maintenir l’ordre et obtenir la rentabilité au travail de certains

malades pour qui le travail devait être thérapeutique et qui sont utilisés comme main d’œuvre à

bon marché. » 3

Ces paroles semblent donner un tour prophétique à celles du Deutéronome biblique, (28.28-

29) : « Yahvé te frappera de délire, d’aveuglement et d’égarement des sens, au point que tu iras à

tâtons en plein midi comme l’aveugle va à tâtons dans les ténèbres, et tes démarches n’aboutiront

pas. Tu ne seras jamais qu’exploité et spolié, sans que personne prenne ta défense.» Ce sort a en

effet longtemps perduré.

Heureusement, la Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée le 10 décembre 1948,

nous a rappelé cette vérité essentielle : les fous aussi sont des êtres humains qui ont des droits.

Qu’est-ce qui a pu justifier pareils traitements ? Si ceux qui les ont infligés se pensaient

sincèrement sains d’esprit, c’est qu’ils ne considéraient pas tout à fait les fous comme des êtres

humains. Ce problème s’est posé dans bien d’autres circonstances, telles que la colonisation et les

guerres : l’ennemi, l’autre, l’étranger, celui qui ne partage pas le même cadre de référence ne

mérite pas de vivre. Ou alors, au minimum faut-il qu’il soit en mesure de travailler : il est alors

exploité comme esclave, et privé du droit de vivre décemment.

1 Michel FOUCAULT, op. cit. p 87.

2 Etienne ESQUIROL, Les passions considérées comme causes, symptômes et moyens curatifs de l’aliénation

mentale, 1805.

3 Le secteur psychiatrique, « Que sais-je ? », PUF, 1994, Paris, p. 17

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Ainsi, les traitements infligés aux fous ont eu partie liée à ceux destinés aux étrangers et aux

criminels. C’est ce que l’on peut entendre dans le mot d’aliénisme (du latin aliud, autre),

s’adressant aux « aliens », vus comme radicalement à distance et à part. Quelles différences

d’avec le commun des mortels ont pu leur valoir d’être exclus de cette humanité commune ?

A contrario, dire que nous sommes tous des êtres humains implique une continuité entre normal

et pathologique. Comment dès lors comprendre tout à la fois ce que le fou a de commun, et ce qui

le marginalise par rapport au reste de la société ?

3) Les rapports entre folie et société médiatisés par la justice et la psychiatrie

Les fous et les criminels ont été enfermés, trépanés, éléctrochoqués. Et il y en a parmi eux qui

seraient responsables de leurs actes, d’autres jugés irresponsables, tandis que les juges

décideraient de manière légitime des condamnations, et les médecins des traitements ?

Que comprendre d’une telle mise en ordre ? Celui qui ne respecte pas les lois et les interdits

fondateurs d’une société se voit appliquer des mesures de contention, et attribuer le statut

d’incapable majeur. Déjà le droit romain avait institué l’incapacité des fous et un curateur

spécifique. Le « mentus captus » était incapable de façon permanente, tandis que le « furiosus »

restait capable entre deux accès de folie furieuse. Quelques lieux servaient à enfermer les fous

considérés comme dangereux.

Il est des cas où cet enfermement semble parfaitement justifié, quand la personne s’avère

effectivement dangereuse pour elle-même et/ou pour les autres. A titre d’exemple, on peut citer le

cas de Pierre RIVIÈRE (1815 - 1840) qui, dans le Calvados, en 1835, a égorgé à coups de serpe sa

mère, son frère et sa sœur. Il s’agissait d’un geste prémédité, l’auteur ayant pris à l’avance le soin

d’aiguiser l’arme du crime. Des comportements insolites lui valaient déjà, dans son enfance,

d’être surnommé « l’imbécile à Rivière ».

« Plus tard, interné à la maison d’arrêt de Falaise, avant son procès, le jeune meurtrier s’occupe

à la rédaction d’un mémoire d’une cinquantaine de pages, Détail et explication de l’événement

arrivé le 3 juin à Aunay, village de la Fauctrie, écrit par l’auteur de cette action. Il s’agit pour

lui d’expliquer la genèse du meurtre, dès avant les premiers interrogatoires. Décidé un mois

avant son accomplissement, le meurtre est perpétré grâce à une serpe aiguisée à cette fin. Ainsi la

première partie de l’écrit s’intitule : « Résumé des peines et des afflictions que mon père a

souffertes de la part de ma mère depuis 1813 jusqu’à 1835 ». Au juge d’instruction, Rivière explique que la Providence avait ligué les trois victimes contre son

père afin de le persécuter. C’est aussi suivant le commandement de Dieu qu’il a agi.

Dans un second temps cependant, Rivière dément cette inspiration divine.

Bientôt les médecins s’emparent de l’affaire. Le docteur Bouchard, qui a régulièrement rendu visite au meurtrier dans sa cellule, affirme que Rivière n’est nullement aliéné, « qu’aucune

maladie n’a pu déranger les fonctions du cerveau ». Aussi « on ne peut attribuer le triple

assassinat… qu’à un état d’exaltation momentanée, préparée par les malheurs de son père ».

Une opinion que ne partage nullement son confrère, le docteur Vastel, médecin des Bons-

Sauveurs, la maison des Aliénés de la ville de Caen, ainsi que d’autres praticiens.

Au procès qui s’ouvre à l’automne devant les Assises du Calvados, devant le refus de ses

confrères, un jeune avocat est commis à l’accusé, Me Berthauld.(…) six prestigieux médecins -

dont Esquirol, médecin en chef de l’hôpital Charenton, Orfila, doyen de la Faculté de médecine

de Paris – avaient affirmé dans un rapport commun que « depuis l’âge de quatre ans, Pierre

Rivière n’a pas cessé de donner des signes de son aliénation mentale, que ces homicides sont

uniquement dus au délire ». Alors que son mémoire est mis en vente par le libraire Mancel de

Caen, Pierre Rivière est transféré à la prison de Beaulieu, le 9 mars 1836. Il décède le 20 octobre

1840, après s’être pendu. » 1

1 Page web de Marc NADAUX, Personnages du 19

ème siècle : Pierre Rivière.

http://www.19e.org/personnages/france/R/riviere.htm

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Dans de telles situations, des expertises psychiatriques sont ordonnées par les juges. Il s’agit de

déterminer si la personne peut être considérée comme pénalement responsable de ses actes, ou si

elle a agi sous le coup d’une pathologie mentale. L’objectivité* scientifique est alors de mise,

pour prendre les justes décisions.

Laurent MUCCHIELLI, sociologue, s’interroge sur « la cohérence* interne des théories ou paradigmes* généraux utilisés par de nombreux psychiatres-criminologues.». Il s’appuie sur des

travaux récemment parus à ce sujet, qu’il critique non sans ironie :

« J.-P. Rumen, qui rédige le chapitre sur le parricide, (…) livre ces réflexions dont le lecteur

appréciera la précision et la fiabilité : « Dans les années soixante on savait qu'en France, les

parricides n'étaient pas méditerranéens et qu'ils étaient des hommes jeunes et ruraux. De nos

jours, la lecture des faits divers laisse l'impression que s'il s'agit toujours de sujets jeunes, leur

ruralité s'efface bien sûr avec celle de la France. (…) ». Le lecteur est, l'espace d'un instant,

impressionné lorsqu'il lit à la page suivante qu'un autre psychiatre, « s'appuyant sur des études

américaines et britanniques », « a complété ces données » d'une façon tellement précise qu'il « a

pu dresser un portrait robot du parricide ». Hélas, les sourcils relevés, tendu d'impatience, excité

à l'idée d'une telle avancée scientifique, l'honnête chercheur que nous essayons de défendre est

immédiatement atterré de découvrir le portrait robot en question (là encore retranscrit in extenso) :

« 9 fois sur 10 c'est un homme, 2 fois sur 3 il tue son père, 9 fois sur 10 il est d'intelligence

normale. Mais alors qu'un bon nombre de parricides ne présentent aucune affection mentale

caractérisée, il s'en dégage toutefois certains traits constants : impulsivité, absence d'inhibition notamment, ce qui, on le concédera, n'est guère surprenant ». Ainsi donc, si vous êtes un homme

d'intelligence normale dont le père est encore en vie, pour peu que vous soyez impulsif et peu

inhibé, sachez que la science vous désigne comme un parricide en puissance. Si vous n'étiez des

centaines de milliers dans ce cas, on vous conseillerait volontiers de courir vous inscrire en

thérapie au Centre médico-psychologique ou à l'antenne psychiatrique de secteur la plus proche.

Hélas, la liste d'attente risquerait d'être longue. » 1

On ne juge pas des hommes, mais de leurs actes une fois posés et des états qui les ont motivés.

« Avant tout il n’y a pas de différence fondamentale entre le normal et le pathologique.

Maintenant, avec un peu de bouteille dans le métier, je ne pense pas qu’on puisse dire qu’il existe

des gens fous et des gens normaux, il existe des états, c’est tout. » 2

Les faits divers sont régulièrement l’occasion de débats houleux ; lorsqu’un malade mental sort

de l’hôpital psychiatrique et commet un crime, cela est parfois reproché aux médecins qui ont

autorisé sa sortie. Ces crimes étaient-ils prédictibles, et sont-ils compréhensibles objectivement ?

D’où ces autres questions, qui ont été aussi sérieusement envisagées : l’inclination à la folie et au

crime est-elle le fait d’une prédisposition innée, dans quel cas on pourrait la penser comme

déterminée* et prévisible ? Peut-on situer la différence en disant que le fou n’est pas comme moi

car nous n’avons pas les mêmes gènes ?

L’histoire de la collaboration à des pratiques meurtrières par des individus pouvant être considérés

comme normaux, de même que les expériences de Stanley Milgram sur la soumission à l’autorité,

ne semblent pas explicables par des mutations génétiques.

Les gènes de la folie et de la criminalité ont été recherchés, on ne les a toujours pas trouvés.

Alors comment juger du degré de folie, de dangerosité, de responsabilité d’une personne ? Les

dérives du totalitarisme ont imposé des critères très relatifs et discutables, pour départager bons et

mauvais fous, inoffensifs et dangereux. La question se pose de savoir si une mesure* objective de

la pathologie mentale est possible. Existe-t-il un seuil quantifiable, au-delà duquel une personne

peut être dite folle ?

1 Laurent MUCCHIELLI, Quelques interrogations épistémologiques sur la psychiatrie criminologique française

(à partir d'un ouvrage récent), 1999.

http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.mul.que 2 Edouard ZARIFIAN, Les jardiniers de la folie, Odile Jacob, 2000, 295 p.

Page 10: folisophie philosoloufoque

10

II) Dimension épistémologique de quelques approches de la folie

1) Approche scientifique de la folie

La médecine humaine travaille avec les outils dont elle dispose. Les mathématiques et la

logique lui ont donné son coup d’envoi, étayant la possibilité d’une connaissance rationnelle* de

la nature. L’homme se prend alors à rêver à une connaissance objective de lui-même.

La psychiatrie de Pinel donnait une large place aux causes morales de la folie, mais un

renversement s’opère au milieu du 19ème siècle qui privilégie les causes physiques. Bénédict-

Augustin MOREL (1809-1873) fait de la dégénérescence, et de la transmission héréditaire des

tares, la cause principale de l’aliénation. La plupart des aliénistes deviennent résolument

organicistes, considérant qu’il n’est besoin que d’une physiologie ou d’une science du cerveau, et

non d’une psychologie basée sur l’introspection ; ils recherchent des données mesurables. Un tel

savoir permettrait d’asseoir des diagnostics et de dire à coup sûr : « lui c’est un fou, moi je ne le

suis pas. »

Cette application à l’homme de la méthode expérimentale des sciences de la nature permet des

découvertes et des avancées dans la mise au point de nouveaux traitements de la folie.

Au 20ème S., les mesures bio-chimiques conduisent à l’élaboration de médicaments pointus et

efficaces pour influer sur l’humeur, les hallucinations, la propension au délire, l’angoisse, etc.

En 1951, Henri Laborit a introduit le premier psychotrope dans le traitement de la schizophrénie

(molécule du largactil).

Ces connaissances assoient-elles pour autant un savoir objectif quant aux classifications, causes et

évolutions des comportements fous ? Le sens que prend une décision de traitement dépend

toujours de la relation entre les personnes concernées par sa prescription. Impossible de prédire

assurément le résultat, chacun réagissant à l’absorption des molécules en fonction de ses propres

singularités et du contexte dans lequel il se trouve. Si les médicaments permettent des

améliorations notables en agissant sur les symptômes, ils éclairent peu sur les origines des

pathologies mentales, et ne donnent pas d’outils pour mesurer objectivement la folie.

Ayant lu un jour, dans le dossier d’un résidant du Foyer Occupationnel, un diagnostic médical

dont le sens m’échappait : « oligophrène », j’en ai cherché la définition. Quelle n’a pas été ma

surprise de découvrir les racines étymologiques de ce mot : du grec oligo, peu, et phrên, esprit !

La conception présidant à une telle formulation s’inspire de celle qui est à l’œuvre dans l’idée de

déficience intellectuelle. En 1904, le ministère de l’Instruction publique, en quête d’une méthode

pour différencier les enfants normaux des enfants incapables de bénéficier de l’instruction

scolaire, crée une « Commission ministérielle pour les anormaux ». Binet et Simon mettent alors

au point un test de diagnostic différentiel.1 Peut-on parler d’une échelle métrique de

l’intelligence ? Composé d’une série d’épreuves destinées à situer l’enfant par rapport à la

performance moyenne de sa classe d’âge, le test Binet-Simon ne prétend pas lui attribuer une

note, car celle-ci prise en elle-même n’aurait aucune valeur. Il ne s’agit donc pas tant d’une

mesure absolue qui se suffirait à elle-même, mais plutôt d’un outil opérationnel visant à répondre

à des difficultés pratiques.2

Que l’on ait de l’esprit en petite quantité (oligo-phrène), ou en parties divisées (schizo-phrène), ou

ralenti (brady-psychie), ça veut au moins dire qu’on a de l’esprit. Y a t-il vraiment des moyens

susceptibles de mesurer, cerner et sous-peser l’esprit humain, et par là même d’arrêter des seuils

quantifiables et des catégories spécifiant normalité et pathologie ?

1 1ère version de cette échelle métrique de l’intelligence parue dans l’année psychologique en 1905.

2 Psychologie du développement et psychologie différentielle, Nouveau cours de psychologie dir. Serban Ionescu

et Alain Blanchet, PUF, 2006.

Page 11: folisophie philosoloufoque

11

« Si l’on étudie les phénomènes psychopathologiques dans une perspective épidémiologique, on

s’aperçoit que les résultats sont souvent surprenants. Toutes les recherches affirment, et c’est une

très bonne chose, qu’il n’y a aucune possibilité de définir pragmatiquement sur des bases scientifiques ce qu’est être normal. » 1

« Il existe un continuum entre les processus que certains qualifieraient soit de normaux, soit de pathologiques » 2

L’approche centrée sur le recueil de mesures objectives et de données manipulables trouve une

autre forme cohérente dans le béhaviorisme* de J.B WATSON (1878-1958).

Il renonce à étudier la conscience, et prend le parti de ne s’en tenir qu’aux manifestations

comportementales observables. Il développe une psychologie objectiviste, dont il veut faire une

science de la nature au même titre que n’importe quelle autre. L’objet de la psychologie est le seul

comportement, et sa tâche est de mettre en lien les caractéristiques de la situation et les réponses

comportementales. Les travaux du physiologiste russe PAVLOV, fondateur de la réflexologie,

fourniront à Watson l’unité de base, l’atome du comportement : le réflexe conditionnel.

Idéalement pour Watson, la connaissance de toute l’histoire des conditionnements d’un sujet

devrait permettre à tout moment de prédire et de contrôler ce qu’il fera dans une situation donnée.

Mais qu’en est-il de cette prétention à l’objectivité, de cette volonté de traiter les faits

psychologiques comme des choses ? Une connaissance objective de ce qui préside aux actes

humains est-elle possible ? Le béhaviorisme exclut radicalement l’étude des phénomènes mentaux

et le recours à l’introspection pour ne s’attacher qu’aux comportements. Une telle approche est

aussi opérationnelle quand il s’agit d’animaux ou d’objets, elle ne s’adresse pas à l’homme dans

ce qu’il a de spécifique. Au fond, s’agit-il plutôt d’éduquer les hommes ou de les dresser ? De les

évangéliser ou de les réduire en esclavage ? De les guérir ou de les réparer ? La volonté d’évacuer

la subjectivité ferait-elle passer à la trappe une dimension essentielle de l’humain ?

Dans un mouvement dialectique une opposition se fait jour, pour contrer des effets réducteurs

et déshumanisants. Daniel LAGACHE3 développe l’opposition naturalistes/ humanistes ainsi :

l’atomisme psychologique s’oppose au principe de totalité, l’explication à la compréhension, le

physiologique à l’inconscient, le mécanicisme au fonctionnalisme, et les conduites extérieures

observées aux expériences intérieures vécues.

Il faut attendre le 20ème siècle et l’avènement de la notion de sujet pour que l’on se recentre sur

ce que peut vivre, ressentir, penser la personne, Freud ayant ouvert un chemin pour s’intéresser

aux contenus de sa vie psychique.

Comme le dit une psychanalyste, Maud Mannoni, il est problématique de vouloir aborder

l’humain de façon objective : « Le fait de poser un diagnostic psychiatrique déloge le malade de

sa position de sujet, l’assujettit à un système de lois et de règles qui lui échappent et inaugurent

ainsi un processus qui aboutira logiquement à des mesures de ségrégation. »4

Les connaissances scientifiques sur la folie s’avèrent dans certains cas opérationnelles,

permettant des améliorations, stabilisations voire des guérisons. Leur impact est néanmoins

limité ; elles ne permettent pas de dire de façon objective et mesurable ce qu’elle est, ni de

résoudre les problèmes éthiques et sociaux rencontrés.

1 Psychologie clinique et psychopathologie, Nouveau cours de psychologie dir. Serban Ionescu et Alain

Blanchet, PUF, 2006. p.18

2 A. BOURGUIGNON, L’homme fou. Histoire naturelle de l’homme, 2. Paris, PUF, 1994. p.240

3 Daniel LAGACHE, L’unité de la psychologie, PUF, 1949

4 Maud MANNONI, Le psychiatre, son « fou » et la psychanalyse, éditions du Seuil, Paris, 1970. p. 24-25

Page 12: folisophie philosoloufoque

12

Bien que l’on puisse supputer d’éventuelles récidives de comportements anormaux chez un

individu, il semble impossible de prédire et de décréter à l’avance et définitivement qu’un tel est

fou et/ou dangereux. Et en plus de ne pas permettre la résolution de cette question, cette démarche

de catégorisation soulève à son tour d’autres difficultés éthiques. Au nom de quoi des individus

s’arrogeraient-ils le pouvoir de juger objectivement de la plus ou moins grande normalité d’autres

personnes ? Et en quoi cette attitude peut-elle être aidante pour ces dernières ?

La légitimité du savoir objectif sur la folie a été secouée par l’expérience de D. ROSENTHAN,

professeur de psychologie à l’université de Stanford dans les années 1970. Il a associé ses

étudiants a des expériences qui questionnent fortement les institutions psychiatriques, proposant

aux étudiants volontaires de s’y faire interner : toutes leurs actions y furent alors interprétées

comme symptomatiques, confirmant qu’ils souffraient de déséquilibres mentaux. Dans une

seconde phase, D. Rosenthan a cette fois averti au préalable les institutions de ce qu’il leur

envoyait des étudiants pour une expérience, mais n’en a envoyé aucun : les directeurs des

hôpitaux l’appelèrent alors pour dire qu’ils avaient identifié les étudiants. Ces médecins sont

pourtant censés se prévaloir d’une autorité indiscutable, en matière de diagnostic des pathologies

mentales. De quoi entamer la caution des démarches scientifiques de catégorisation de l’humain.

2) Approche psychanalytique

Les théories portant sur les conduites humaines font partie intégrante de l’épistémologie de

leur époque. Dès qu’il s’agit de chercher à connaître, nous structurons et construisons selon les

critères et les paradigmes scientifiques qui s’imposent alors à nous.

La psychanalyse, méthode de psychothérapie inventée par S. Freud à la fin du 19èmeS, est un

ensemble de théories et de pratiques basées sur la découverte de l’inconscient. Comme la 1ère loi

de thermodynamique, elle conceptualise en termes de conservation ou transformation d’énergie

(la libido). Le type de causalité en jeu est linéaire, unidirectionnel. Il pose que l’évènement A

détermine B, que le passé détermine le futur en passant par le présent. Le travail s’oriente alors

nécessairement en fonction du passé. Les symptômes observés sont dus à un conflit inconscient ;

afin de comprendre ce qu’il lui arrive, la personne doit replonger dans son histoire pour rechercher

(à l’aide d’associations de pensées, interprétations de ses rêves et actes manqués, etc.) les causes

de son mal-être actuel. Le névrosé peut y travailler en tâchant de laisser s’exprimer, d’une façon

sublimée, les pulsions et désirs qu’il a refoulés. Son amélioration doit passer par une prise de

conscience (insight), qui permet de libérer les énergies bloquées par le conflit psychique.

Le grand intérêt de la psychanalyse est d’être une méthode clinique, au sens étymologique du

terme « élaborée au chevet du malade », c’est à dire au cas par cas, sensible à ce que la personne a

d’unique. C’est donc une méthode très riche qui permet de chercher un sens à nos propres

comportements et à ceux des autres, en sachant que ce sens peut être inconscient, et échapper à

celui-là même qui en est l’auteur. Le grand intérêt de cette optique est d’ouvrir à cette

irréductibilité de la personne humaine, de prendre en compte son histoire singulière dans ses

dimensions profondes et secrètes. Et c’est aussi sa limite.

Laurent MUCCHIELLI critique le fait que dans le domaine de la psychiatrie criminologique, il

est d’usage d’asseoir arbitrairement ses développements sur la psychanalyse en invoquant

quelques grands ancêtres, parmi lesquels Freud est l’un des plus utilisés.

« Ces utilisations de la psychanalyse (…) accompagnent un discours où l'affirmation tient lieu de

preuve, où la citation d'un maître vaut vérité indiscutable, où l'interprétation est davantage

développée que l'exemple concret qui est le plus souvent réduit à une portion tellement congrue

qu'on peut en dire à peu près n'importe quoi. Bref : la référence à la psychanalyse constitue en

général un argument d'autorité qui institue sa vérité en même temps et par le simple fait qu'il

s'énonce. »1

1 Laurent MUCCHIELLI, Quelques interrogations épistémologiques sur la psychiatrie criminologique française

(à partir d'un ouvrage récent), 1999. http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.mul.que

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13

N’en déplaise aux partisans d’une science objective de l’homme-machine modelée sur les

sciences de la nature, les théories psychanalytiques ne répondent pas aux critères de la scientificité

proposés par Karl POPPER 1 (1902-1994). Car comme les théories issues du marxisme et de

l’astrologie, elles ne sont pas réfutables. Ainsi la technique psychanalytique a-t-elle peu à souffrir

de remises en question : si un patient va mieux c’est qu’elle est efficace ; si il ne va pas mieux,

c’est à mettre sur le compte de ses résistances, et il convient de poursuivre la cure.

La relation est envisagée dans ce cadre sous l’angle du transfert et du contre-transfert, qui

mettent en jeu des phénomènes de projection.

Le transfert désigne, en psychanalyse, « le processus par lequel les désirs inconscients

s’actualisent sur certains objets dans le cadre d’un certain type de relation établi avec eux et

éminemment dans le cadre de la relation analytique. Il s’agit d’une répétition de prototypes

infantiles vécus avec un sentiment d’actualité marquée. » 2

M. CAPUL et M. LEMAY parlent de la fonction projective comme faisant aussi partie des

fonctions de la relation éducative : l’éducateur, de par l’ambiguïté de sa position (partageant la vie

quotidienne et au travail), se trouve être le support sur lequel les personnes projettent leurs affects

non résolus, réactualisent des conflits et répètent des comportements leur ayant posé problème par

le passé.

Ces projections sont donc rarement interprétables dans l’ici et maintenant de l’existence

quotidienne, il est nécessaire d’en référer à des évènements propres au vécu de l’usager pour en

approcher le sens. L’éducateur a à se rendre compte de ce qui se déroule sur lui et ses collègues,

en référence à ce qu’il connaît de l’histoire de la personne, sans quoi il va alimenter autant les

mécanismes sains et les mécanismes pathologiques. En étant attentif à répondre différemment,

avec distance par rapport à ces phénomènes de projection, il va favoriser « l’apparition de

malaises, de bien-être ou d’interrogations qui sont le point de départ d’une nouvelle manière

d’être. »3

Mais considérer les projections des autres sur soi ne suffit pas, car celles-ci marchent dans les

deux sens. Le maniement de ces dimensions est d’autant plus complexe qu’elles relèvent de

l’inconscient. La pente semble glissante vers des risques de fausses interprétations. Le

professionnel aussi peut projeter les affects et conflits issus de sa propre histoire, sous couvert

d’interpréter les projections des usagers. Le risque n’est-il pas qu’il se dédouane ainsi de sa propre

responsabilité ? Plutôt que de regarder ce qu’il induit dans la relation présente, de part ses

attitudes et comportements, il pourrait mettre les réactions de l’autre sur le compte de son histoire

passée, et d’hypothétiques phénomènes transférentiels. D’autant plus si il est animé par un contre-

transfert qui est l’écho de ses propres conflits inconscients. Quand une action conduite avec une

personne échoue, la tentation peut être de l’en tenir pour responsable, en mettant cet échec sur le

compte de sa résistance à elle.

Des concepts comme ceux de névrose, psychose, complexe d’œdipe, de transfert, etc. peuvent

devenir des tiroirs faciles dans lesquels ranger une multitude de conduites très diverses. Des

chercheurs en psychologie sociale ont mis en évidence que le fait d’interpréter le comportement

d’une personne en termes psychologiques ou psychanalytiques pouvait parfois servir, en fin de

compte, à la décrédibiliser. On pourrait dire que si elle se comporte ainsi c’est parce qu’elle est

psychotique, névrosée, etc., ce qui risque d’amoindrir complètement le message qu’elle essaye de

faire passer. Cela peut donc être une optique confortable qui évite de se remettre en question.

1 Karl POPPER, Conjectures et réfutations, Paris, Payot, 1985

2 J. LAPLANCHE, J-B. PONTALIS, Vocabulaire de la psychanalyse, 1967, Paris, PUF.

3 Maurice CAPUL et Michel LEMAY De l’éducation spécialisée, Erès, Ramonville Ste-Agne, 1997

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Heureusement, Balint1 (1896-1970) et d’autres ont insisté sur la responsabilité et l’engagement

subjectif du psychanalyste dans la relation thérapeutique. Face à un patient en régression massive

dont la problématique déborde le cadre classique de la cure, il s’agit parfois de savoir se départir

de sa neutralité bienveillante pour s’adapter. L’analogie entre l’adéquation des soins de

l’environnement aux besoins de l’enfant, et l’ajustement de la technique à un patient donné,

n’échappe pas à Balint, ni à Ferenczi et à Winnicott. Ils ont pris acte de l’importance de travailler

sur les dimensions relationnelles de la situation thérapeutique, et ont plus ou moins accepté de

donner la main à leurs patients en s’engageant personnellement dans le travail. La psychanalyse

s’est enrichie et développée, ouverte et diversifiée aux contacts de patients psychotiques, états-

limites, etc. De telles étiquettes présentent un intérêt dès lors qu’il s’agit de mieux connaître et

aider les patients, et qu’elles ne servent pas à se dédouaner en cas d’échec.

« Balint [est] incontestablement un précurseur (...) dans une voie suivie aujourd'hui par la

plupart des psychanalystes. Une voie qui conduit d'abord à reconnaître la part prise par

l'analyste dans la situation analytique et, par là, à définir le processus analytique moins comme la

répétition du passé pour laquelle l'interprétation peut suffire que comme une création, qui exige,

elle, une reconnaissance de ce qui n'a pas été. » 2

Ainsi, la grille de lecture psychanalytique permet la prise en compte de l’histoire passée d’une

personne, et de l’impact que celle-ci produit dans la relation présente. Elle nous ouvre les portes

d’une interrogation sur ce que peut être la vie psychique d’un être humain. Mais en dehors d’une

étude approfondie de l’implication du professionnel, elle occulte la part active de l’environnement

auquel il appartient lui-même, et la responsabilité qui est la sienne dans l’ici et maintenant de la

relation.

3) Approche systémique

L'approche systémique est un champ interdisciplinaire relatif à l'étude d'objets complexes,

réfractaires aux approches de compréhension classiques. Le schéma de causalité linéaire est dans

certains cas peu opérant pour rendre compte du fonctionnement d'un ensemble d’éléments en

relation. En particulier dans toute interaction entre personnes, il s’avère limitatif. Cette approche

est bâtie sur le modèle cybernétique : la matière considérée est de l’information, et la causalité ne

se travaille plus à sens unique : les transformations sont pensées en termes de rétroaction.

Simultanément A, B, C, etc., interagissent et se trouvent pris dans un système dont ils font partie.

Ce système est plus que la somme des parties qui le composent ; il est pour elles aussi déterminant

qu’elles le déterminent. Chacun fait partie d’un ensemble, réagit par rapport à des déséquilibres et

en produit à son tour. Le concept d’homéostasie désigne le processus par lequel le système

s’autorégule et assure la stabilité nécessaire à son fonctionnement, en exerçant des effets auto-

correcteurs en réponse à des perturbations internes ou externes.

La causalité linéaire pose que telle cause détermine tel effet.

La causalité circulaire considère qu’une même cause peut avoir plusieurs effets, et un même effet

des causes différentes, ce qui permet d’échapper à une vision déterministe. En cela, elle semble

mieux rendre compte de ce double mouvement de l’interaction entre personnes, où le

comportement de chacun est à la fois cause et effet du comportement de l’autre.

En thérapie systémique, le travail ne s’oriente pas vers la dimension de l’esprit considéré

comme une monade indépendante. La personne est appréhendée dans tout le contexte des

relations qui tissent son ici et maintenant. Si elle se trouve prise dans un comportement

1 Michael BALINT, Le défaut fondamental- Aspects thérapeutiques de la régression.

(paru en 1968, traduit chez Payot en 1971, 1991 et 2003).

2 J.B.PONTALIS, Frustrer, reconnaître et faire défaut dans la situation analytique, 1978, in Nouvelle

Revue Psychanalytique, 17. p. 115

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symptomatique, le travail porte sur ses relations interpersonnelles et les fonctionnements actuels

dans lesquels elle est prise, non sur le champ clos de son histoire passée et de son espace intra-

psychique. Il ne s’agit pas du pourquoi, à cause de qui ou de quoi. On va chercher le comment. En

quoi la place et la fonction de chacun font-ils partie intégrante de l’équilibre de ce système ?

Dans tous les cas de troubles relationnels, plutôt que de chercher quel est celui qui ne tourne pas

rond, ou lequel a commencé, on va se centrer sur l’interaction. Comment le dysfonctionnement se

trouve alimenté par les places respectives de chacun, comment plus l’un est ceci, plus l’autre est

cela, et se perpétue ainsi un engrenage. Par cette façon de voir on échappe à la formulation de

questions sans issue : qui de l’œuf ou de la poule a commencé ? Est-ce la faute des parents si

l’enfant a des troubles du comportement, ou bien ce qui semble dysfonctionner chez eux est-il dû

aux troubles de leur enfant ?

Grégory BATESON 1(1904-1980), anthropologue, psychologue et épistémologue américain,

propose d’envisager la schizophrénie comme un trouble résultant de l’équilibre des relations et

des communications au sein de la famille. Cela autorise l’expression de « familles à transactions

schizophréniques », et impulse leur orientation aux thérapies familiales systémiques. Le malade

désigné apparaît comme un symptôme de l’ensemble du système qui concerne chacune des

personnes impliquées. Il n’y en a pas un qui est cause et les autres qui le subissent, mais chacun a

une part de responsabilité dans le dysfonctionnement auquel il contribue malgré lui. Ce n’est donc

pas seulement que le système soit déséquilibré de part les dysfonctionnements apparents de tel ou

tel individu, c’est que l’homéostasie de ce système repose aussi sur eux. Les autres qui s’en

plaignent sont pris dans des liens problématiques, et s’astreignent aussi à perpétuer malgré eux la

logique du système malade. De là, il ne peut être question de se contenter de coller des étiquettes,

ni d’en appeler à la pathologie ou aux hypothétiques conflits intra-psychiques de l’un ou de

l’autre. Une personne qui « disjoncte » dans un système donné pourrait trouver un équilibre

différent au sein d’un autre système. Cela laisse supposer qu’il y a sans doute des fous qui ont

bien des raisons de l’être, et que Pierre Rivière n’aurait peut-être pas tué sa mère, son frère et sa

sœur, s’il était né au sein d’une autre famille.

La 1ère cybernétique se poursuit d’une deuxième.

Cette cybernétique de second ordre insiste sur le fait que quiconque veut intervenir sur un système

se trouve lui aussi en faire partie, et contribuer à en conserver ou en transformer l’équilibre. C’est

une façon pour l’observateur de prendre en compte sa propre influence.

Les émotions qui émergent chez l’intervenant dans le cadre de la relation thérapeutique sont

utilisées, à condition qu’elles puissent avoir un sens pour l’ensemble du système.

C’est ce que désigne le concept de résonance mis au point par Mony ELKAIM, qui est proche de

celui de transfert et contre-transfert, à ceci près que le sens de nos émotions et projections ne se

limite pas aux individus pris isolément. Ce que chacun est dépend de ce que sont les autres.

La cybernétique de second ordre implique que l’intervenant est pris dans le système de relations

au sein duquel il souhaite intervenir. Les solutions qu’il va être tenté de proposer iront dans le

sens de la logique de ce système, et viseront naturellement à le maintenir tel quel plutôt que d’y

amener du changement. La méconnaissance de la causalité circulaire explique que bien des

actions de changement ont au final des résultats inverses à ceux qui sont recherchés. Ce ne sont

que des changements de niveau 1 qui maintiennent l’équilibre du système, sans rien y apporter de

nouveau. Le système passe par tous ses changements internes possibles sans effectuer de

changement de structure et reste prisonnier d’un jeu sans fin, car incapable d’engendrer de

l’intérieur les conditions de son changement. Seuls des changements de niveau 2 peuvent modifier

cet équilibre, par l’énonciation commune d’une méta-règle portant sur les règles usitées à

l’intérieur du système. Pour le thérapeute, il s’agit de créer une rupture dans le cercle des réactions

circulaires qui entretiennent le problème, en amenant une redéfinition de la situation (recadrage),

qui entraîne une modification de la perception de la réalité qu’a le patient. Nous y reviendrons.

1 Grégory BATESON, Vers une écologie de l’esprit, t. II, Seuil, Paris, 1980.

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Le concept psychanalytique de résistance est aussi repris et décliné différemment. Quand les

membres d’un système semblent faire preuve de résistance en n’adhérant pas à ce que le

thérapeute leur propose, n’est-ce pas plutôt lui-même qui finalement se montre résistant ? C’est

effectivement le cas quand il persiste à imposer sa propre lecture de la réalité.

« Il suffit d'être cohérent et conséquent dans la pensée systémique en décodant le comportement

du client comme une information. »1

Cette information (la résistance du patient) sera alors utilisée pour proposer une nouvelle lecture

pouvant être significative pour l’ensemble du système, et non pour le seul thérapeute.

« L'hypothèse ne pourra être fructueusement partagée par les membres du système-thérapeutique

que si elle est à la fois assez proche pour être acceptable et assez surprenante pour autoriser une

nouvelle lecture. »2

Les thérapies stratégiques et provocatrices s’emploient à utiliser aussi la résistance, en permettant

qu’elle soit mise au profit des objectifs de la thérapie d’une façon indirecte. Les thérapeutes

pourront aller jusqu’à dire à quelqu’un de très résistant qu’ils se sentent incompétents tant sa

situation est désespérée, afin que celui-ci réagisse pour leur montrer qu’ils ont tort.

La lecture systémique multiplie les possibles et montre comment il existe plusieurs façons de

réagir adéquates, les possibilités d’action se situant au niveau de tous les acteurs.

« Mais il ne faut pas cacher d’autre part les dangers d’une utilisation trop systématique de

l’approche systémique et, une fois de plus, nous voila guettés par le danger des dogmatismes :

l’approche systémique se ramenant à un systémisme intransigeant. Nous voici menacés par la séduction exercée par des modèles conçus comme des aboutissements de la réflexion et non

comme des points de départ de la recherche; nous voici tentés par la transposition trop simpliste

de modèles ou de lois biologiques à la société. L’un des plus graves dangers qui menacent

l’approche systémique, c’est la tentation de la théorie unitaire, du modèle englobant ayant

réponse à tout, capable de tout prévoir. »3

Quel que soit l’angle utilisé pour approcher les troubles mentaux, il est opportun de se rappeler

que « La carte n’est pas le territoire » (Alfred Korzybski)

La réflexion a tout à gagner dans l’utilisation complémentaire d’approches scientifiques (il s’agit

de ne pas oublier la dimension du corps) intrapsychiques (du sujet psychique) et systémiques.

Chacune pallie les limites respectives de l’autre :

la psychanalyse est axée sur l’individu et son histoire, elle interroge le pourquoi, la dimension

cachée et inconsciente du comportement. Elle donne une carte des territoires intra-psychiques. La

systémique se centre sur les relations interpersonnelles, le comment, ici et maintenant. Elle donne

une carte des relations interpersonnelles. Cette liste ne prétend pas être exhaustive, mais elle

semble pouvoir donner quelques bases à une humble connaissance de la santé psychique des

hommes.

« Multiplier, diversifier et confronter les points de vue permet de se prémunir contre les tentatives

réductionnistes. »4

Ce n’est pas un luxe, aux vues de la complexité de champs qui se situent à l’intersection de

l’individuel et du collectif.

1 LE FEVERE DE TEN HOVE, « Le pays où la résistance n’existe (presque ) pas : ou, comment infléchir la

résistance vers une coopération ? », Editions médecine et hygiène, Genève, 1996.

2 Mony ELKAIM, Si tu m'aimes, ne m'aime pas. Poche. Seuil, 2001.

3 Page du site Internet « Le village systémique » de Marc d’HONDT.

http://www.systemique.levillage.org/article.php?sid=128

4 Maurice CAPUL et Michel LEMAY De l’éducation spécialisée, Erès, Ramonville Ste-Agne, 1997

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III) Les uns pensent tandis que l’autre délire ?

1) Hypothèse rationaliste*

Le mot Folie apparaît en 1080 sous la plume de Roland. Il vient du latin folli, sac, ballon,

vessie. « Fou : léger, qui s’emporte par le vent, qui n’a rien de fixe ; qui manque de gravité, et,

par extension, qui a perdu la raison. » 1

Les fous s’égarent, ils divaguent comme la nef peinte par Jérôme Bosch. A côté de la plaque,

barré à l’ouest, leur esprit délire (du latin delirare, « sortir du sillon »).

Comment situer cette ligne de démarcation qui, une fois franchie, marque la distinction entre celui

qui a la raison, et celui qui l’a perdue ?

Les difficultés soulevées à l’examen des approches de la folie montrent qu’en l’occurrence, il

n’est pas de théorie absolument vraie qui puisse s’imposer par-dessus les autres avec une

certitude* définitive. Cela pose la question de savoir ce qu’est la connaissance, car si elle est

relative, en quoi les pensées folles seraient-elles moins vraies que n’importe quelles autres ?

A moins d’arriver à déterminer des critères précis, il semble bien que nous ayons à nous satisfaire

d’une relativisme* très subjectif, qui interdise de délimiter des catégories de « fou » et de « sain

d’esprit ». Alors peut-on affirmer que le fou, c’est celui qui n’est pas dans le vrai, dont l’esprit a

un fonctionnement faussé, l’amenant à faire des erreurs systématiques de jugement ?

Mais dans ce cas, quel est le critère de vérité d’une idée ? Qu’est-ce qui va permettre de dire

lesquels de nos raisonnements et de nos connaissances sont vrais et justes ? S’agit-il d’asseoir leur

légitimité sur l’idée de Dieu ? La folie équivaudrait-elle alors à être déconnecté de la source

divine de la connaissance ?

SPINOZA (1632-1677) distingue trois genres de connaissance :

- le premier regroupe la connaissance par ouie dire, et par l’« expérience vague » (la

perception sensible d’un objet singulier). Basée sur des faits disparates et dénués de liens

d’intelligibilité entre eux, cette tentative de connaître tire des « conséquences sans

prémisses ». Elle est douteuse et sujette à erreurs.

- La connaissance du 2ème genre est la démonstration* ou la déduction* conçue sur le

modèle mathématique. Les démonstrations saisissent l’essence, « elles sont les yeux de

l’âme par lesquels elle voit et observe les choses. »

- La connaissance du 3ème genre est l’intuition, appréhension directe de la vérité donnée à

l’intelligence par l’intuition*. Elle saisit l’essence de Dieu, qui est le principe dont tout

être et toute connaissance vraie découlent nécessairement.

« Les scolastiques partaient des choses, Descartes part de la pensée, moi je pars de Dieu. »

C’est donc sur ce premier principe que repose la légitimité de la déduction.

Afin d’établir le passage de la vérité logique à la vérité ontologique, il est présupposé un parallèle

exact entre l’ordre de la pensée rationnelle et l’ordre des choses.

« L’ordre et la connexion des idées est le même que l’ordre et la connexion des choses. » 2

DESCARTES (1596-1650) lui aussi a mis en doute la fiabilité de notre perception sensible. Il

pose comme principe premier « de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la

connusse évidemment être telle ; c’est à dire, d’éviter soigneusement la précipitation et la

prévention, et de ne comprendre rien de plus en mes jugements que ce qui se présenterait si

clairement et distinctement à mon esprit, que je n’eusse aucune occasion de le mettre en doute. »3

1 Mre Delacroix, Les racines et la signification des mots français, Belin Frères, Paris, 1901.

2 Baruch de SPINOZA, L’éthique, 1677. (II, 7)

3 René DESCARTES, Le Discours de la méthode, 1637. (2, 6)

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18

Le critère de vérité d’une idée tient à ses caractéristiques intrinsèques : si une idée est claire et

distincte, elle est vraie. Il n’est pas nécessaire d’en référer à une quelconque extériorité à l’aune de

laquelle mesurer la justesse de nos pensées. Poussé à l’extrême, ce parti pris de l’idéalisme* peut

aller jusqu’au solipsisme, (qui m’apparaît comme une forme de délire) : « enfermé dans ma bulle,

toutes mes pensées ne relèvent que de mon monde interne, les choses n’ont d’existence que dans

la mesure où je suis là pour les penser, je produis tout, le sens réside en moi seul.» Par analogie,

cette idée ressemble à une conception de l’âme humaine en monade intrapsychique (« il agit ainsi

en circuit fermé, en raison de son histoire et de ses motivations profondes »). L’approche idéaliste

qui refuse de partir d’une réalité sensible recourt à Dieu, et opte pour la sacralisation d’une âme

déconnectée du corps, dont le rôle dans la connaissance n’est pas pris en compte.

Une optique rationaliste a quant à elle sa pertinence. Force est d’admettre que les canons de la

raison sont soumis à des principes logiques qui en sont comme l’armature. Ainsi, le principe

d’identité, (une chose est ce qu’elle est) et le principe de non-contradiction, (une chose ne peut pas

être le contraire de ce qu’elle est en même temps et sous le même rapport) sont des préalables

indispensables à toute tentative de connaître.

De là, un raisonnement est dit juste quand il allie des idées claires et distinctes de manière

cohérente. Doit-on en comprendre que la folie serait liée à un défaut de clarté, de cohérence et de

rationalité ? Ce défaut semble bien être un indicateur de folie. C’est patent dans le cas du « coq

à l’âne » du délire schizophrénique : diverses idées se succèdent les unes aux autres sans lien

logique entre elles, si bien que le discours nous apparaît comme dénué de sens.

Alors une pensée déliée serait-elle une caractéristique imputable en propre au délire ?

Il s’avère que non, car il est des convictions délirantes dont la construction est parfaitement

logique. Et l’on peut bien envisager qu’un fou soit convaincu de la grande clarté, distinction et

logique de ses propres pensées.

Eduardo CARRASCO RAHAL en témoigne dans le récit qu’il fait a posteriori de son

expérience psychotique, laquelle a duré plusieurs années. Il avait la conviction d’être richissime

alors qu’il était ruiné et à la rue. Il croyait qu’une très importante organisation secrète l’avait

choisi pour devenir son chef et l’observait d’abord, en le mettant à l’épreuve.

Il comptait le nombre de coups de klaxons qu’il entendait dans la rue pour en déduire des

interprétations quant à ce que cette organisation internationale pensait et attendait de lui. Cette

façon singulière de comprendre le monde était folle, comme il le dit lui-même dans son livre, et

elle s’étayait sur des démonstrations solidement construites. Lorsqu’il s’est fait interné plus tard,

alors qu’il était parti « très loin dans son délire », cela ne l’a pas empêché de dire au psychiatre :

« Je crois que ma place n’est pas dans un hôpital psychiatrique. Je connais les troubles mentaux

et je sais que je n’en présente pas les symptômes. Je sais que l’ignorance du caractère

pathologique des problèmes psychologiques est inhérente à certaines maladies, mais je sais aussi

que, dans ces cas-là, elles s’accompagnent de problèmes cognitifs, d’une altération du raisonnement et, comme vous pouvez le voir, ce n’est pas mon cas. »1

Cela met bien en évidence le fait que le fou peut être doué de raison, d’intelligence et de

cohérence. Il en va de même pour Kurt GÖDEL (1906-1978), loin d’en être dépourvu, il est

l’auteur du célèbre théorème d’incomplétude. Selon lui, il existe une réalité spirituelle

indépendante de l’esprit humain et perçue de façon très incomplète par lui.

Gödel s’est beaucoup penché sur le statut de l’existence des objets mathématiques. Pour lui, les

anges existent au même titre, dans cette réalité à part entière à laquelle on a incomplètement

accès, mais qui n’est pas moins fiable que nos perceptions du monde sensible. On peut

communiquer avec eux, au moyen de cette même intuition par laquelle les concepts

mathématiques nous sont donnés.

1 Eduardo CARRASCO RAHAL La place du fou, autobiographie d’une psychose, Denoël, 2006, p.151

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Il reprend de Leibniz son système de monades qui reflètent un monde d’apparences illusoires, et

son principe de surdétermination qui bannit le hasard. Selon lui, tout fait qui se produit a non

seulement une cause nécessaire*, mais encore s’accompagne d’un faisceau de signes permettant

d’en dégager d’autres interprétations, en les articulant sur plusieurs registres différents à relier

entre eux. Dans cette perspective, toutes les petites « coïncidences » sont signifiantes, car voulues

par la monade centrale, Dieu. Ce grand logicien n’aurait donc sans doute pas trouvé fou de prêter

une signification secrète au nombre de coups de klaxons entendus, ou aux numéros des plaques

d’immatriculation aperçues. « Je sais qu’il faut garder l’œil pinéal entrouvert seulement, et que l’homme tient le milieu entre une bêtise amicale et une folie angélique.» 1

Là, la folie semble plutôt se situer dans un rapprochement avec Dieu.

Gödel était célèbre pour sa paranoïa. A sa mort il ne pesait plus que 31 kg, il avait cessé de se

nourrir par peur d’être empoisonné. Son hyperrationalité appliquée à la vie quotidienne l’a rendue

fou. La propension à décrypter des petits faits insignifiants en les chargeant de sens fait risquer un

glissement vers la folie. Mais n’est-ce pas ce que nous faisons tous, « plus ou moins » ? Il semble

bien que la rationalité, qui est considérée comme le propre de l’homme, soit commune aux fous et

aux sains d’esprit.

2) Hypothèse réaliste*

La nature comporte des causes et des effets qui s’enchaînent nécessairement les uns aux autres,

de même que nos raisonnements allient logiquement prémisses, propositions et conclusions. Pour

Emmanuel KANT (1724-1804), l’ordre naturel est le reflet de l’ordre rationnel : les catégories* a

priori de la sensibilité et de l’entendement donnent sa structure au monde connu.

A moins que ce ne soit l’inverse ? La qualité, la quantité, et plus généralement les concepts, sont

des idées abstraites. A partir de qui et de quoi ? Trouvent-elles leur source dans notre pré-

équipement cognitif, structurant toute notre connaissance, ou dans un réel qui nous pré-existe et

nous dépasse ?

Pour d’autres philosophes, dont ARISTOTE (-384 –322), il existe un réel plus ou moins

accessible, et un sens à y découvrir. L’objet de la connaissance est appréhendé par le biais de

notre perception d’une réalité sensible. Le corps et l’âme forment une seule et même substance, ce

qui permet d’asseoir la connaissance intellectuelle des réalités matérielles et la légitimité de

l’induction*. Dans cette perspective, nos concepts rejoignent les multiples formes sensibles qui se

succèdent, l’essence universelle et nécessaire étant en lien avec les substances particulières, au

moyen de l’abstraction* intellectuelle de ce qu’elles ont de commun. Ainsi, par exemple, la

définition abstraite de l’humain en général permet bien la connaissance d’une diversité d’hommes

en particulier. Les réalistes conviennent de cette façon qu’il existe une isomorphie entre les choses

à connaître et les connaissances que l’on en acquiert. C’est selon son rapport, degré de conformité

à ce réel que l’idée sera dite vraie, juste, ou pas. Le critère de vérité est donc extrinsèque à l’idée,

il réside dans sa plus ou moins grande adéquation à la chose réelle.

Alors de là, pourrait-on dire que le fou, c’est celui qui n’est pas dans la réalité ? Qu’en est-il,

quand quelqu’un se met à halluciner ? On est alors tenté de croire qu’il ne construit plus du tout

ses idées sur la base de ses perceptions. Quand au mépris de toute vraisemblance il voit et sent de

la poussière l’envahir de partout, on dit qu’il est fou. Mais en fait, il n’affirme qu’une chose : il

voit et sent de la poussière partout, et cette perception qu’il a est belle et bien réelle. Ce qui l’est

peut-être moins, c’est l’objet de sa perception, mais même si on demande à 50 personnes de venir

constater qu’elles voient comme nous et pas comme lui, on ne peut pas en être sûrs. Peut-être que

ces tonnes de poussière qu’il voit et que nous ne voyons pas ont autant d’existence que la réalité

que nous serons 51 à partager ?

1 Pierre CASSOU-NOGUES, Les démons de Gödel, logique et folie. Seuil, Paris, 2007, p.66.

Page 20: folisophie philosoloufoque

20

Ce qu’est donc la réalité, c’est une vaste question.

S’agit-il d’être doté de sens commun pour arriver à l’appréhender ?

La folie tiendrait-elle alors à un manque de sens commun ?

« L'unique marque générale de l'aberration est la perte du sens commun (sensus communis), et à

la place un sens logique personnel (sensus privatus); par exemple, si un homme voit en plein jour sur sa table une lumière allumée que n'aperçoit cependant pas une autre personne également bien

placée pour cela, ou s'il entend une voix qui n'est entendue d'aucun autre. »1

« La maladie mentale, (…), en faisant de l’univers parallèle dans lequel vous êtes plongé le siège

de toutes vos références, est un moment d’un grand égocentrisme. (…) Vous devenez votre propre

système de références en toutes circonstances. » 2

Mais en quoi l’univers parallèle du fou serait-il moins réel, vrai et juste que le nôtre ? Une

même croyance à l’apparence très sensée, déplacée ailleurs en un autre temps y semblera

carrément absurde. La prise en compte des variations culturelles en fonction des sociétés a donné

naissance a l’ethnopsychiatrie. Tobie NATHAN insiste sur la nécessité de la « négociation d’un

référentiel commun au thérapeute et au patient, faute duquel le cadre thérapeutique ne saurait se constituer.» 3

Quelle valeur accorder au sens commun, éminemment variable en fonction des contrées ?

En vertu de quoi devrait-il s’imposer à nos façons de penser ? Maints philosophes ont précisément

tenté de le dépasser, remettant en question ce qui jusque là s’avérait établi.

"Tout le monde le disait. Loin de moi la pensée de soutenir que ce que dit tout le monde doive être

vrai. Souvent il arrive que tout le monde a raison, comme aussi que tout le monde a tort. D’après

la commune expérience, tout le monde a tort si fréquemment, et, la plupart du temps, il a fallu de

si fastidieuses recherches pour découvrir à quel point il a tort, qu’il vaut mieux admettre tout de

suite que son autorité est évidemment contestable." Charles Dickens

Le sens commun n’est pas à l’abri d’erreurs de jugement, comme le fait remarquer Edouardo

Carrasco Rahal, lui qui est la preuve vivante de ce que la folie n’est ni totale, ni définitive :

« Il y a deux caractéristiques essentielles dans la manière dont le commun des mortels voit

l’aliénation mentale (…).D’une part, celui qui est fou est jugé comme complètement fou, ce qui

signifie qu’aucune de ses paroles, aucune de ses idées n’est estimée valable. D’autre part, celui

qui été fou est considéré comme le restant à jamais. »4

Alors c’est peut être un simple référentiel commun qui fait défaut au fou, à moins que ce ne soit le

référentiel du fou qui manque aux sains d’esprit !

Invoquer le sens commun pour disqualifier une pensée sous prétexte qu’elle en serait

dépourvue paraît absurde et dangereux. Il y a fort à parier que ce sont souvent les plus puissants

ou nombreux qui décident de ce qui est sensé ou non. De grandes découvertes et avancées

scientifiques résident justement dans la performance d’une pensée qui va à l’encontre du sens

commun, mais il s’agit d’un exercice périlleux. Galilée fut condamné à la prison à vie pour avoir

affirmé que la terre n’était pas le centre immobile de l’univers. D’autres encore, dissidents

politiques ou hérétiques, en ont fait la dure expérience.

1 Emmanuel KANT, Anthropologie d’un point de vue pragmatique, 1798, p. 164

2 Eduardo CARRASCO RAHAL La place du fou, autobiographie d’une psychose. Denoël, 2006. p. 235

3 Tobie NATHAN, La folie des autres. Traité d’ethnopsyhiatrie clinique. Dunod, Paris, 2001, p. 168-169

4 Eduardo CARRASCO RAHAL La place du fou, autobiographie d’une psychose, Denoël, 2006., p. 154

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Paul WATZLAWICK, dans son livre « Les cheveux du baron de Münchhausen », cite l'ouvrage

« Flatland », d'Edwin A. ABBOTT publié en 1952. Ce dernier raconte l'histoire d'un carré qui vit

dans un monde à deux dimensions. Une nuit, en rêve, il rencontre un monde à une seule

dimension, lineland. Il s'évertue alors à expliquer à une ligne ce qu'est un monde bidimensionnel,

en vain. Par la suite, il est confronté à l'hypothèse d'un monde tridimensionnel. Il n'y comprend

rien au départ, puis c'est l'illumination. Il cherche alors à convaincre ses compatriotes de

l'existence d'une réalité tridimensionnelle, mais il est pris pour un fou et condamné à la prison à

vie. Une prison qui ressemble fort à certains hôpitaux psychiatriques d'aujourd'hui nous dit P.

Watzlawick, qui en conclut:

« Ce que Flatland dépeint avec éclat est la complète relativité de la réalité. Sans doute l'élément

le plus meurtrier de l'histoire de l'humanité est-il l'illusion d'une réalité "réelle", avec toutes les

conséquences qui en découlent logiquement. Il faut par ailleurs un haut degré de maturité et de

tolérance envers les autres pour vivre avec une vérité relative, avec des questions auxquelles il

n'est pas de réponse, la certitude que l'on ne sait rien et les incertitudes résultant des paradoxes.

Mais si nous ne pouvons développer cette faculté, nous nous relèguerons, sans le savoir, au

monde du grand inquisiteur, où nous mènerons une vie de mouton, troublée de temps à autre par

l'âcre fumée de quelque autodafé ou des cheminées d'un crématoire »1

On conçoit donc que le fou puisse déranger l’ordre établi, car il dénonce, par sa façon d’être au

monde, la fragilité de nos réalités. Dès lors, les perceptions et les pensées du fou ne peuvent être

dites erronées, mais juste différentes, car il semble exister des réalités différentes et toutes aussi

légitimes les unes que les autres.

Néanmoins, cela ne risque t’il pas d’annuler la possibilité d’une connaissance vraie, si chacun

est libre de penser tout et n’importe quoi ? A quoi peut-on se référer ?

Il existe une autre hypothèse, qualifiable de réalisme « modéré » qui, tout en mettant des bémols à

la valeur de la connaissance, ne l’annihile pas pour autant. Si se targuer d’une connaissance vraie

n’est pas toujours possible, du moins pouvons-nous viser une connaissance vraisemblable*.

Les scolastiques, commentant Aristote, ont distingué différentes formes de connaissance et

degrés de vérité, selon diverses méthodes qui s’adaptent à leur objet (critère réaliste).

« Il est d'un homme cultivé de ne chercher l'exactitude pour chaque genre de choses que dans la

mesure où la nature du sujet le permet. Il serait aussi déraisonnable d‘exiger d'un mathématicien

des arguments persuasifs que d'un orateur des démonstrations exactes »2

Selon cette idée, il n’est pas possible de connaître de la même manière une équation

mathématique, un moteur de voiture et un bébé. Si l’équation mathématique a quelque espoir de

s’avérer définitivement vraie, si le mécanicien peut être assez sûr de l’origine de la panne et de la

pertinence de sa réparation, dans le domaine de l’attachement et des relations humaines il

convient d’être humble et prudent. Nous sommes dans le champ de la contingence* et du

probable, où nous prenons nos décisions et conduisons nos existences à la boussole de l’ « ut in

pluribus » (ce qui nous paraît se produire le plus souvent), fondée sur notre expérience

personnelle et par ouie dire.

Implicitement, la façon dont nous avons appris à comprendre le monde, nos cadres de références,

croyances, valeurs, sont sans cesse à l’œuvre, influant sur ce que nous pensons et percevons du

monde, et orientant le cours de nos vies.

Par exemple, comprendre et interpréter les pleurs d’un bébé de manière adaptée fait intervenir

des variables fort complexes. En même temps que nous croyons découvrir qu’il pleure, une fois

encore, parce qu’il est d’un naturel triste et déprimé (qui pourrait être le nôtre que nous projetons

sur lui…), le bébé apprend à rattacher ses émotions à ce sentiment que nous nommons pour lui.

1 Paul WATZLAWICK, Les cheveux du baron de Münchausen, psychothérapie et « réalité », Seuil, 2000. p.125

2 ARISTOTE, Éthique à Nicomaque (I, 1)

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Le langage structure sa perception, et ce qu’il perçoit structure son langage. Nous lui apprenons

ainsi à donner un sens à ce qu’il sent, perçoit et vit.

Il faut qu’il puisse rattacher ce discours à ce qu’il éprouve et se retrouver au travers du miroir que

nous lui tendons, pour se construire dans une réalité commune.

Les mathématiques ne permettent pas de résoudre les problèmes sociaux, et de prendre des

décisions éthiques et politiques. Il convient de recourir à l’argumentation dialectique*, qui repose

sur des prémisses probables issues de notre expérience personnelle. L’art de persuader est un

processus par lequel nous pouvons trouver du sens à nos vies. Ce sens émerge sous forme de

discours que nous nous adressons les uns aux autres. La rhétorique est une méthode pratique de

connaissance vraisemblable qui vise le bien vivre ensemble. C’est ce qui fait dire à Michel

MEYER, philosophe éthique et problématologue :

"(…) l'interrogativité est l'expression de ce qui divise et sépare les interlocuteurs, comme une

seule réponse est ce qui les rassemble. Ils auront alors une conviction commune, comme on dit

généralement. Dès lors, la rhétorique est la négociation de la distance entre les sujets à propos

d'une question. Ce sont les problèmes qui séparent les hommes, mais aussi ce qui fait qu'ils se

groupent pour pouvoir (mieux) les résoudre. La rhétorique rejoint ainsi la science politique." 1

Cette marge d’incertitude qui empêche toute prédiction infaillible est aussi une marge de

manœuvre, que le constructionisme s’emploie à utiliser.

3) Hypothèse constructioniste*

Paul Watzlawick fait une distinction entre « réalité de 1er ordre » (faits observables par tous

hors interprétations personnelles, par exemple qu’un tel a une jambe en moins), et la « réalité de

second ordre », qui regroupe toutes les représentations et interprétations construites au sujet des

faits. Par un travail portant sur les représentations (réalité de second ordre), on peut recadrer la

réalité quand celle-ci pose problème.

L’une des illustrations de ce qu’est le recadrage, ou l’art de trouver un nouveau cadre de

référence, est une mésaventure de Tom Sawyer qui tourne à son avantage. Il est puni, et contraint

de passer sa journée à repeindre des barrières. Le plus pénible pour lui est de penser que ses amis

vont aller se baigner et s’amuser sans lui. Un copain vient à passer, et plutôt que de se plaindre à

lui, il lui dit : (Cf. le dialogue écrit par Marc Twain)

«- Si j’aime ça ? Et pourquoi je n’aimerais pas ? Est-ce qu’un garçon comme nous a l’occasion de

passer une clôture à la chaux tous les jours ? L’affaire parue sous un jour nouveau (…)Tout d’un

coup, Ben dit :- Eh, Tom, laisse-moi passer un peu de chaux. »

Paul Watzlawick commente : « Vers la moitié de l’après-midi, la palissade a déjà trois couches

de chaux et Tom a littéralement les poches pleines : les garçons, les uns après les autres, ont donné leurs trésors pour avoir le privilège de peindre une partie de la clôture. Tom a réussi à

recadrer la notion de corvée pour en faire un plaisir que l’on doit payer, et tous ses amis ont

accepté ce changement dans sa définition du réel. » 2

Cette définition souple de la réalité rejoint une idée chère aux stoïciens : si tu ne peux pas

changer les choses, change la vision que tu t’en fais. Le constructionisme innove, en insistant sur

le fait que cette marge de manœuvre quant à nos représentations contribue à créer la réalité.

Selon K. J. GERGEN, la réalité existe au travers des liens que nous tissons avec les autres, elle

renvoie aux représentations que nous co-construisons ensemble. Le constructivisme* (Piaget,

Maturana, J.L Lemoigne) avait remis en cause l’objectivité en disant que chacun construit sa

propre version du monde ; le constructionisme franchit un pas supplémentaire en considérant cette

1 Michel MEYER, Problématologie et argumentation ou la philosophie à la rencontre du langage

http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/2042/15162/1/HERMES_1995_15_145.pdf

2 P.Watzlawick, J.Helmick Beavin et R.Fisch, Changements, Paradoxes et psychothérapies, Seuil, 1975.

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construction comme essentiellement relationnelle. Toute action est dès lors à penser comme une

mise au travail de nos représentations mutuelles. Il s’agit de saisir « la possibilité, qui s’offre à

chacun de nous, d’exister simultanément dans des réalités multiples. » 1

« (…) intrinsèquement le sens d’une énonciation est indécidable (…). La signification de cette

énonciation est une réalisation temporaire, née d’un moment de collaboration. »2

Les mêmes comportements (réalité de 1er ordre) peuvent donc être revisités différemment, dans

une tentative de faire émerger ensemble une nouvelle signification (réalité de second ordre). Que

celle-ci soit plus ou moins vraie n’a pas d’importance. Ce qui compte c’est la façon dont chacun

va s’en saisir, et comment elle va s’avérer opérationnelle ou non. Il s’agit d’un tout autre critère

de vérité dans cette vision existentielle, phénoménologique et pragmatique : « Ce qui nous

intéresse pour chaque affirmation sur la vérité, c’est de savoir ce qu’il adviendra de notre vie si

nous la prenons au sérieux. »3

Boris CYRULNIK dit qu’« il faut frapper deux fois pour faire un traumatisme. Le premier coup,

dans le réel, provoque la douleur de la blessure ou l’arrachement du manque. Et le deuxième,

dans la représentation du réel, fait naître la souffrance d’avoir été humilié, abandonné. »4 :

« le premier, dans le réel, c’est la blessure ; le second, dans la représentation du réel, c’est l’idée

que l’on s’en fait sous le regard de l’autre. Ce second coup qui semble être « le coup de grâce » peut se manifester dans la représentation qu’a l’entourage, du traumatisme vécu par le patient.

Ce n’est pas le traumatisme qui invalide mais sa représentation. On pourrait élargir en disant

que ce n’est pas le handicap qui est le plus difficile à supporter pour les personnes handicapées,

mais la représentation qu’ont les valides du handicap, véhiculée par le regard et la parole. »5

Nous nous co-définissons les uns les autres, le sentiment d’appartenance et d’identité étant

indissociables l’un de l’autre. Jean-Paul GAILLARD6, thérapeute et superviseur systémicien,

raconte comment nos manières de donner du sens à nos actes relationnels, nos codes de

communication et d’interprétation (qu’il nomme nos « danses ») de professionnels, assènent

parfois aux usagers des « petites claques sur la tête » qui veulent dire : « Moi, éducateur, psy,

etc. ; Toi fou, handicapé, malade, etc. », afin de nous assurer de notre réalité : « moi pas fou, pas

handicapé, pas malade. ». Ces rituels sociaux permettent la stabilisation de nos identités

respectives, parfois à l’avantage des uns, qui veulent imposer leur réalité au détriment des autres.

Ainsi des blouses blanches portées dans les services médicalisés, dont on pourrait parfois penser,

aux vues des tons utilisés pour communiquer, qu’elles donnent aux soignants le statut de parents,

et aux patients celui d’enfants.

Le contexte qui englobe les relations est très important. Jean-Paul Gaillard dit que lors d’un

changement de cadre, par exemple une sortie au restaurant avec des résidants, eux qui se tiennent

mal à l’intérieur de l’institution se mettent d’un coup à se comporter d’une manière adaptée. Les

éducateurs étant soumis comme eux aux codes en usage au restaurant, cela redéfinit des relations

symétriques les autorisant à adapter différemment leurs comportements et leurs communications.

En de tels recadrages résident ce que Gaillard appelle « les miracles furtifs ».

Il est des cadres de référence plus ouverts que d’autres, et selon la société au sein de laquelle

on vit une crise psychique, nous subirons un traitement et une évolution très différents. « Tandis

que le chaman des sociétés primitives est respecté des siens, chez nous on enferme les

prophètes ». (Le Monde, 1er mars 1974)

1 Kenneth J. GERGEN, Construire la réalité, Seuil, Paris, 2005, p.34

2 Ibid, p. 76

3 ibid, p. 53

4 Boris CYRULNIK, Les vilains petits canards, Odile Jacob, 2004, 241 p.

5 Michel MAESTRE, Entre résilience et résonance, à l’écoute des émotions, 2002

6 Jean-Paul GAILLARD, L’éducateur spécialisé, l’enfant handicapé et sa famille, ESF, Paris, 2000, 160 p.

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Georges LAPASSADE, anthropologue, raconte comment des comportements similaires sont

interprétés différemment selon la société dans laquelle ils apparaissent. Par exemple la « fugue

dissociative » du DSM IV 1 apparaît comme une crise initiatique de futur chaman dans des

sociétés primitives.

« Il y a dissociation passive lorsque le futur chaman vit une crise qu'on appelle initiatique et qui

en fait est d'abord pré-initiatique: elle se manifeste par des troubles du comportement divers qu'on interprète comme les signes d'une vocation. On a parlé à ce propos d'un "recrutement par

la maladie". Ces signes varient selon les cultures; mais, en même temps, ils peuvent parfois évoquer des comportements universels : pour ne citer ici qu'un exemple, on indique souvent que

l'adolescent qui deviendra chaman "fugue dans les bois".Or, la fugue est considérée en

psychopathologie comme l'un des états dissociatifs les plus connus, les mieux identifiés, et ceci

depuis déjà la fin du XIXe siècle. (…) le processus fondamental est le passage d'une dissociation

"sauvage" à une dissociation maîtrisée au point de devenir la base d'une profession. Et dire que

ces "esprits alliés", ou "auxiliaires", sont en quelque sorte la métaphore d'une dissociation

contrôlée de l'identité est tout aussi valable pour le chaman que pour le médium : tous deux

fondent leur activité professionnelle sur cette dissociation contrôlée. » 2

Il est très intéressant de constater que l’évolution de cette crise dépend intimement du sens que

la communauté où elle émerge peut lui donner. Cette prise de conscience s’ébauche lors de

l’instauration de la psychiatrie de secteur, elle est pleinement à l’œuvre dans le mouvement de la

psychothérapie institutionnelle. Un cadre fait de relations inter-personnelles stables, au sein d’une

communauté qui nous reconnaît notre statut de digne sujet humain permet alors, selon les termes

de Georges Lapassade, de transformer une dissociation subie en une dissociation maîtrisée.

L’impact du modelage social des formes de folie est tel qu’« A force de décrire les formes de

« maladie » dans les médias, les programmes d’éducation, les conversations publiques, etc., les

symptômes en viennent à servir de modèles culturels. En fait, la culture apprend à devenir

malade. Après avoir été reconnues publiquement, voyez aujourd’hui l’expansion de l’«anorexie »

et de la « boulimie », hier encore des « désordres alimentaires ». La « maladie » a été tellement

décrite dans les médias qu’elle n’a pas tardé à donner un mode d’expression à tout adolescent

mécontent. (…) C’est dans cet esprit que Thomas Szasz (1961) a conclu que l’hystérie, la

schizophrénie et les autres désordres mentaux sont une « imitation » stéréotypée de la personne

malade, adoptée par ceux qui se trouvent confrontés à des problèmes insurmontables dans la vie

courante. »3 p 168-169

Les modèles culturels dominants ont un impact sur les formes d’expression de la maladie

mentale. Celles-ci me semblent avoir toutes pour point commun d’indiquer une difficulté à

s’inscrire dans le cadre relationnel et social d’un discours partagé. L’intégration sociale du fou

dépend donc clairement de la capacité de son entourage à le tolérer dans sa singularité en

acceptant de se remettre en question, car il porte aussi la responsabilité de cette réalité qu’il co-

construit avec lui.

Tout le problème est d’arriver à donner du sens à la réalité de nos existences, en relation avec

d’autres et en devenir. C’est aussi ce que tente de faire le fou. Paul Watzlawick rend compte du

glissement vers un délire de persécution de la manière suivante : « Aux prises avec l’absurdité

intenable de la situation dans laquelle il est pongé, un individu peut en conclure qu’il laisse

échapper certains indices essentiels, inhérents à cette situation ou présentés par son entourage.

Comme il est évident que pour les autres, la situation est parfaitement logique et cohérente, il

pourrait y trouver des arguments supplémentaires en faveur de sa dernière supposition.

1 Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, 1996

2 Georges LAPASSADE, Approche anthropologique de la dissociation et de ses dispositifs inducteurs, 2004

http://www.barbier-rd.nom.fr/lapassadedissociation.pdf

3 Kenneth J. GERGEN, Construire la réalité, Seuil, Paris, 2005, 249 p.

Page 25: folisophie philosoloufoque

25

La possibilité que les autres lui cachent délibérément ces indices essentiels ne serait qu’une

variante du même thème. De toute manière, et c’est là le point crucial, il sera obsédé par le

besoin de découvrir ces indices, de donner sens à ce qui se passe en lui et autour de lui, et il finira par se trouver contraint de scruter les phénomènes les plus invraisemblables et les plus dépourvus

de rapport avec sa situation pour y trouver indice et sens. »1

La réalisation humaine réside dans l’insertion en un tissu relationnel qui donne du sens à nos

vies. Il semble que ce droit doive être reconnu au fou, qui à sa façon ne fait rien d’autre que de

chercher un sens à ce qu’il vit, tout comme nous. L’enjeu est de taille : « C’est à travers le

processus du sens que l’on devient humain » Robert KEAGAN (cité par Gergen).

CONCLUSION

A quoi tient donc le décalage entre « bon sens » et « folie » ?

Aux vues de la complexité de la vie, humaine a fortiori, et de la variété des formes de ce que l’on

nomme « folie », cette question avait peu de chance de trouver une réponse simple et univoque.

Cette réponse varie en fonction des milieux culturels et des visions du monde, qui influent eux-

mêmes sur l’évolution des formes de folie ! Nos théories sont inséparables du contexte au sein

duquel elles s’expriment, le contexte renvoyant étymologiquement à « ce qui est tissé ensemble ».

Nos identités respectives et nos réalités humaines tiennent aux représentations que nous tissons

ensemble.

L’accompagnement de personnes très éloignées des codes sociaux en vigueur demande de

prendre des décisions, de faire des choix. Doit-on exiger la conformité absolue et à tout prix, en

tâchant de faire plier la personne aux canons de la normalité ? S’agit-il alors d’être plus ou moins

dans le vrai, rationnel, cohérent, réaliste ? Si continuum du "normal" au "pathologique" il y a, ce

serait plutôt entre l’individualité marquée du fou, son microcosme relationnel et la pensée

dominante d’une société donnée, que se balade le curseur de la santé mentale. Nous sommes

foncièrement des animaux socio-politiques, tributaires d’un cadre auquel se référer. Il y a ceux qui

arrivent à s’y inscrire sans que ça leur coûte trop cher, d’autres qui sont dans des dimensions très

personnelles et peu partagées. Et tous humains.

La folie est-elle une tare ancrée dans l’individu, ou tient-elle à un environnement qui l’oblige à

se déséquilibrer pour s’y adapter ?

« Les plaintes de la société ou celles des proches du « malade » (…) devraient être traitées

autrement. Généralement, en effet, une fois que l’Autre a présenté une plainte concernant une

personne proposée comme patient, c’est par un examen limité à cette personne même que le psychiatre jugera du bien-fondé de la plainte apportée par l’Autre. (…) La psychiatrie classique

s’interdit de se poser ce genre de questions, par le fait même qu’elle définit médicalement la folie

comme existant à l’intérieur de la personne examinée. Cette croyance en une folie logée dans

l’individu est partagée par les malades et leurs familles. »2

Des psychanalystes ont supposé un stade du développement où nous serions indépendants,

mettant un « narcissisme primaire » à la base de la monade intra-psychique.

Dans cette optique nous aurions un sentiment d’existence en soi, par soi et pour soi, en dehors de

toute relation à des personnes extérieures. Mais peut-on faire ainsi abstraction de notre condition

de sujet fondamentalement immergé dans des réalités relationnelles ?

1 P. Watzlawick, J. Helmick Beavin et Don D. Jackson, Une logique de la communication, Seuil, 1972 p. 218

2 Maud MANNONI, Le psychiatre, son « fou » et la psychanalyse, éditions du Seuil, Paris, 1970. p. 25

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L’analyste neutre se considère comme à distance et fait abstraction de lui-même dans sa relation

à son patient. La théorie qui en découle fait la part belle au sujet, mais sujet de qui, de quoi ?

La psychanalyse a d’abord mis l’accent sur l’intra-psychique, Balint la recentre sur « les relations

d’objet » :

« Je crois qu’il serait beaucoup plus simple d’admettre que la relation avec l’environnement

existe sous une forme primitive dès le début et que l’enfant peut prendre conscience de toute modification importante survenue dans son environnement et y réagir. »1

« Commençons par les données biologiques : nous savons que le fœtus est extrêmement dépendant

de son environnement (…) Si nous faisons de cette situation biologique un modèle pour la

répartition de la libido au cours de la vie fœtale, c’est à dire une condition psychologique, nous

en arrivons à formuler l’hypothèse que l’investissement de l’environnement par le fœtus doit être

très intense (…). Toutefois cet environnement est sans doute indifférencié ; d’une part il ne

contient pas encore d’objets ; d’autre part il n’a presque pas de structure, notamment pas de

limites tranchées par rapport au sujet ; l’environnement et l’individu s’interpénètrent, ils

coexistent en un « mélange harmonieux ». Un exemple important de ce mélange harmonieux par

interpénétration (monious interpenetrating mix-up) nous est fourni par le poisson de la mer (…) Il est vain de se demander si l’eau qui est dans les branchies du poisson fait partie de la mer ou

du poisson ; il en est exactement de même pour le fœtus. Le fœtus, le liquide amniotique et le

placenta constituent une interpénétration si complexe du fœtus et de l’environnement-mère que

leur histologie et leur physiologie font partie des questions les plus redoutées aux examens de médecine. » 2

Cette phase de "mélange harmonieux" ou "phase des substances primaires" précède la relation à

des objets primaires organisés, mais plutôt que d’absence de relations, il s’agit d’un état de pure

immersion relationnelle. Nous voyons d'abord le monde au travers des représentations subjectives

de nos parents. Ils nous donnent jusqu'au mode d'emploi de notre propre corps, en parlant nos

émotions et ressentis pour nous. ("Tu as peur, froid, tu es fatigué, triste, ... C'est normal, pas

normal,… C'est parce que..."). Un bébé à la naissance ne dispose pas encore de ses propres filtres

et discours pour penser, il s'en remet entièrement aux adultes qui l'accompagnent. Il ne peut

construire son intériorité que dans une relation avec une autre intériorité construite, à laquelle il va

s'attacher. Il s’agit de parvenir à lier nos réalités de 1er et de second ordre, nous tous en lien les uns

avec les autres par un dialogue ouvert. Dans l’amorce de ce processus se déjoue le décalage entre

folie et sens partagé. Il s’agit d’arriver à se construire en lien avec d’autres personnes, qui nous

relient à l’humanité et à la loi.

Laurent MUCCHIELLI, citant MOSCOVICI parle de considérer « l’individu comme « un sujet

qui cherche à donner un sens cohérent aux données de son univers intérieur et extérieur » », et,

citant Christian DEBUYST, d’« un individu par conséquent « porteur d’un point de vue particulier qui dépend à la fois de la position qu’il occupe dans un cadre social donné, de

l’histoire qui a été la sienne, des projets autour desquels son activité s’organise et éventuellement

des éléments propres qui peuvent caractériser sa personnalité ». » 3

Vraisemblablement, si Pierre Rivière a tué sa mère, sa sœur et son frère, c’est que lui, tel qu’il

était au sein de cette famille-là, y a trouvé ce sens-là. Visiblement, puisqu’il s’est pendu, n’a t’il

pas non plus trouvé de sens à sa vie une fois un tel geste accompli. Les interdits de meurtre et

d’inceste sont la base préalable nécessaire à toute vie en société, à toute possibilité d’inscrire nos

vies humaines dans une dimension sensée. Car nous sommes tributaires les uns des autres afin d’y

parvenir.

1 Michael BALINT, « Le défaut fondamental- Aspects thérapeutiques de la régression »

(paru en 1968, traduit chez Payot en 1971, 1991 et 2003). p. 103 2 Michael BALINT, op. Cit. p. 110- 111

3 Laurent MUCCHIELLI, Quelques interrogations épistémologiques sur la psychiatrie criminologique

française (à partir d'un ouvrage récent), 1999. http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.mul.que

Page 27: folisophie philosoloufoque

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« A moins d’avoir à faire à un enfant sauvage, ou à un cerveau sévèrement endommagé, même un

individu physiquement isolé (une personne âgée grabataire ou un prisonnier confiné dans l’isolement, par exemple) est immergé dans les relations. Sans une histoire de relations, il n’y

aurait véritablement aucun moyen de donner du sens à sa propre condition. »1

Kenneth J. GERGEN propose une nouvelle définition du soi comme co-création sociale issue de

nos relations. Ainsi, chacun dispose d’une multiplicité de versions de soi, qu’il actualise en

fonction des caractéristiques de son environnement.

Dans cette optique, les distinctions entre sujet et objet n’ont pas lieu d’être, pas plus qu’il n’existe

de soi isolé et unifié. Lorsqu’on décrit une personne ou un groupe de personnes, on ne le fait pas

tels qu’ils sont objectivement. Cette réalité repose sur la relation qui nous relie à eux.

Les modèles de compréhension que nous élaborons impliquent une redéfinition de nous-

mêmes, de ce qu’est l’humain immergé dans son rapport au monde.

« La philosophie est l’ensemble des questions où celui qui questionne est lui-même mis en cause

par la question. » 2

Moi qui questionne la folie, la réponse que je vais apporter impliquera que je me redéfinisse par

rapport à elle, et que cela soit cohérent avec mes valeurs et croyances. Cela achève d’oblitérer

toute objectivité, et toute certitude de pouvoir donner définitivement la seule bonne réponse.

Mieux, cela laisse supposer qu’il peut y avoir autant de réponses que de personnes, pourvu

qu’elles se rejoignent !

Quelle base commune pour nous permettre de nous retrouver, et de construire des vies humaines

sensées ? Michel MEYER, l’explique : pas de vérité absolue qui s’impose à tous en matière de

relations et de conduites humaines, nous sommes alors dans le domaine du vraisemblable où la

marge de manœuvre est rhétorique. A chacun et à tous de choisir d’actualiser plutôt telle ou telle

facette de son soi, de la manière qui lui semble la plus sensée en lien avec l’environnement

relationnel dans lequel il est. Peu importe, dès lors, la voie empruntée, pourvu qu'elle fasse sens.

Il est possible de co-générer bien des significations. Aux Etats-Unis, un groupe de personnes

diagnostiquées schizophrènes s’est redéfini une nouvelle identité : celle de personnes dotées d’une

sensibilité particulièrement intense. Il s’agit d’arriver à décaler et ajuster nos réalités respectives

de manière adéquate. Cela peut se faire selon un rapport plus ou moins heureux, ce qui nous

rappelle à une dimension éthique et politique incontournable.

Les « fous », et nous mesurons combien l’usage de tels mots est discutable, sont des êtres

humains en quête de sens, à leur manière singulière, et comme tous les autres.

Il en va de notre responsabilité de respecter leurs visions du monde, ils ont le droit d’être décalés

par rapport aux façons communes de penser. Il n’y a que quand ils portent atteinte à leurs droits et

à ceux des autres qu’on peut leur imposer un cadre contenant, non sans les respecter, les soigner,

et les inviter à co-créer une réalité sensée dans laquelle ils puissent se retrouver. Au-delà des

caractéristiques singulières qui nous différencient et nous individualisent, se trouve cette humanité

portée de tant de façons différentes, mais qui se rejoignent. Merci aux « fous » de contribuer à

enrichir nos expériences et connaissances vraisemblables des formes d’humanité possibles, et

réflexions sur les sens à donner à nos vies.

1 Kenneth J. GERGEN, Construire la réalité, Seuil, Paris, 2005, p. 245

2 MERLEAU-PONTY, Le visible et l’invisible, Gallimard, 1979

Page 28: folisophie philosoloufoque

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30

GLOSSAIRE

Abstraction : Opération intellectuelle qui consiste à isoler par la pensée l’un des

caractères d’une chose et à le considérer indépendamment des autres. Produit de cette opération.

Dans l’optique d’Aristote il s’agit d’isoler les traits constamment présentés d’un individu à l’autre

d’une même espèce pour approcher une connaissance de sa nature.

Béhaviorisme : Conception de la psychologie comme science du comportement observable, sans

référence à la conscience.

Catégories : Concepts très généraux exprimant les diverses relations que nous pouvons établir

entre nos idées. (quantité, qualité, relation, lieu, temps ; etc.)

Causalité : Le principe de causalité s’énonce comme suit : « Tout a une cause, et dans les mêmes

conditions la même cause est suivie du même effet. »

Certitude : Caractère de ce qui est certain (assurément vrai)

Cohérence : Adhésion réciproque de deux choses, connexion d’une chose avec une autre. Liaison

d’un ensemble d’idées formant un tout logique.

Contingent : S’oppose à nécessaire. Qui n’a pas de nécessité logique.

Constructivisme : Epistémologie de la science des systèmes observants-observés qui affirme

l’importance de la relation subjective dans l’acte de connaître. Ensemble des courants de pensée

au sein desquels les représentations et les connaissances sont vues comme un produit de

l’entendement humain.

« Théorie issue de Kant selon laquelle la connaissance des phénomènes résulte d’une construction

effectuée par le sujet. » « Les travaux de Jean Piaget ont mis en lumière (…) les opérations de

l’intelligence dont résultent les représentations du monde. » (J.M Besnier, Les théories de la

connaissance, PUF, 2005)

Constructionisme : Mouvement de pensée selon lequel les hommes construisent leurs

connaissances par une entreprise active de participation à la vie de relation.

« Je communique donc je suis. »

Déduction : Passage d’une ou de plusieurs propositions considérées en elles-mêmes, à une

proposition qui en est la conséquence nécessaire. La déduction formelle a sa conclusion

implicitement contenue dans les principes ; la déduction constructive ou démonstration est celle

dans laquelle la conclusion constitue un gain pour la pensée théorique.

Démonstration : Raisonnement par lequel on établit la vérité d’une proposition à l’aide de

postulats, de définitions, d’axiomes et de propositions établis antérieurement.

Déterminer : Conditionner d’une manière nécessaire.

Dialectique : Qui est propre à l’art de la discussion ou du raisonnement. Chez Kant, les arguments

dialectiques sont seulement probables, ils sont cohérents mais ne s’appuient sur rien de réel.

Epistémologie : Etude de la connaissance scientifique, de ses formes et procédés du point de vue

critique, c’est à dire du point de vue de sa valeur.

Page 31: folisophie philosoloufoque

31

Evidence : Caractère de ce qui se présente clairement et distinctement à l’esprit.

Idéalisme : Conception selon laquelle la réalité est identique à la connaissance que nous en avons,

et où l’idée est posée au fondement de l’être. « Je pense donc je suis » (Descartes) Systèmes qui

ramènent l’être à la pensée. L’idéalisme transcendental « considère les phénomènes, tous

ensemble, comme de simples représentations ». (Kant, Critique de la raison pure, Dial., I,2)

Induction : Opération qui consiste à passer des faits à la loi et de cas singuliers à une proposition

plus générale. Induction formelle, aristotélicienne ou complète : fondée sur l’énumération

complète des espèces d’un genre ou des individus d’une collection.

Induction amplifiante ou baconienne : étend à tout un genre ce qui a été constaté dans un certain

nombre de cas singuliers.

Intuition : Mode de connaissance immédiat, indépendant de la raison, qui atteint directement

l’intelligence et s’impose à elle sans découler d’une proposition. Elle est chez certains penseurs

mise au fondement de la connaissance, c’est sur elle que se basent nos raisonnements (ainsi de

l’intuition des êtres mathématiques chez Kurt Gödel).

Mesure : Rapport d’une grandeur à une autre grandeur prise comme unité.

Nécessaire : Qui ne peut être ni autrement, ni ne pas être.

Objectivité : Caractère d’une pensée qui représente(rait) la réalité telle qu’elle est en elle-même.

Paradigme : Mode d’explication et cadre conceptuel dominant adopté par un chercheur ou une

communauté scientifique (Ex. le béhaviorisme).

Raison : « Puissance de bien juger » (Descartes).

Kant distingue la raison de l’entendement en la nommant « faculté des principes ».

Rationalisme : Système qui fonde la valeur de la connaissance sur la seule raison, par opposition

aux systèmes fondés sur l’expérience sensible.

Rationnel : Qui se rapporte à la raison

Réalisme : Conception de la connaissance comme découverte des propriétés de l’univers existant

objectivement et indépendamment de leur représentation. Ces propriétés objectives sont

extérieures à la conscience, elles déterminent les représentations.

Relativisme : Doctrine épistémologique selon laquelle la connaissance dépend du sujet ou de la

société, et ne peut prétendre à une vérité absolue qui s’imposerait à tous.

Vraisemblable : Qui a l’apparence de la vérité. Plausible, probable.