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1
Hélène GAUSSOT UF 8
E.S en un an, décembre 2008
« FOLISOPHIE
PHILOSOLOUFOQUE »
(Réflexion épistémologique sur la folie)
La nef des fous, de Jérôme BOSCH Tome 7 de la BD de TURF
2
SOMMAIRE
Introduction p. 3
I) Questions philosophiques et éthiques soulevées par la folie
1) Aperçu historique des sens donnés aux comportements fous p. 5
2) Aliénisme et traitement moral p. 6
3) Les rapports entre folie et société médiatisés par la justice p. 8
et la psychiatrie
II) Dimension épistémologique de quelques approches de la folie
1) Approche scientifique de la folie p. 10
2) Approche psychanalytique p. 12
3) Approche systémique p. 14
III) Les uns pensent tandis que l’autre délire ?
1) Hypothèse rationaliste p. 17
2) Hypothèse réaliste p. 19
3) Hypothèse constructioniste p. 22
Conclusion p. 25
Bibliographie p. 27
Glossaire p. 30
3
INTRODUCTION
Lors de mes expériences professionnelles en Foyer Occupationnel et en Maison d’Accueil
Spécialisé, j’ai été amenée à travailler avec des adultes suivis en psychiatrie, et pour la plupart
diagnostiqués « psychotiques » et « autistes ». J’ai rencontré des personnes aux comportements
pour le moins inhabituels et insolites. Cela m’a mise en quête d’une compréhension de la folie qui
ne soit pas réductrice et aliénante pour les personnes ainsi étiquetées.
En Foyer Occupationnel, j’ai travaillé trois ans en internat avec un groupe de onze personnes
qui avaient presque toutes un suivi psychiatrique au long cours.
La mission des Foyers occupationnels est de proposer un accompagnement éducatif, un lieu
d’habitat et des activités de jour à des adultes en situation de handicap. La difficulté est que leur
public est défini par défaut : ils accueillent des personnes qui ne sont pas en mesure de s’inscrire
dans le dispositif d’aide par le travail, et qui ne nécessitent pas pour autant un accompagnement
important dans tous les actes de la vie quotidienne (tel qu’en Maison d’Accueil Spécialisé). Dans
les faits, il y a des personnes qui nécessitent un tel accompagnement, et présentent divers troubles
d’ordre physique, psychique et neurologique. Pour tenter de répondre aux difficultés posées par
cette forte hétérogénéité du public, des groupes ont été composés en termes de « besoins ».
Le groupe où j’ai travaillé porte l’étiquette « troubles de l’humeur, de la personnalité et du
comportement ». Psychoses, phobie sociale, syndrome frontal, désinhibition, troubles autistiques,
trouble obsessionnel compulsif, paranoïa, délire de persécutions, la liste n’est pas exhaustive…
Notre équipe était alors composée de 4 femmes : une éducatrice spécialisée et deux monitrices-
éducatrices (dont moi) à temps-plein, une aide médico-psychologique à mi-temps.
Nous accompagnions les personnes au quotidien, étant aussi chargées de la distribution de leurs
comprimés neuroleptiques, anti-dépresseurs et anxiolytiques, que les infirmières de
l’établissement préparaient dans des semainiers. J’ai régulièrement accompagné les personnes
dont j’étais référente chez les psychiatres qui prescrivaient leurs traitements ; je rapportais alors
nos observations d’équipe en vue des réévaluations et ajustements, qui étaient elles-même affinées
par le retour des commentaires utiles du psychiatre.
Les dosages et les associations sont de savants cocktails qui demandent une attention particulière.
On perçoit effectivement des modifications du comportement de la personne, que l’on peut
imputer à des effets chimiques et biologiques. Mais il est souvent impossible de situer où
commence le traitement, et où s’arrête la maladie, et réducteur si l’on ne voit la personne qu’au
travers de ce prisme-là. Les relations avec l’entourage influent aussi directement sur cet équilibre
psycho-biologique, c’est complexe, et le traitement a parfois bon dos (quand on attend tout de lui,
que c’est censé déraper à cause de lui, ...).
La personne n’est pas qu’un patient dont on traite la pathologie. Pour autant, si la maladie mentale
ne peut être le seul angle d’approche pour aller à la rencontre des personnes, son poids n’a pas
être sous-estimé.
Quelques années plus tôt, lors de mon tout premier stage dans le secteur médico-social, la chef
de service de la Maison d’Accueil Spécialisé m’y avait introduite en me disant :
« Considérez que vous arrivez sur une autre planète. » Effectivement, j’ai alors découvert un
monde différent. Une autre planète, ou plutôt un visage particulier de cette même planète
immense et étonnante. La rencontre de ses habitants requiert d’apprendre un nouveau langage : en
grande majorité ils ne parlent pas, la communication passe alors par d’autres canaux généralement
moins usités (gestes, mimiques, attitudes, intonations, regards, …).
Quand je suis retournée travailler à la MAS après ma formation de monitrice-éducatrice, cette
fois pour un remplacement de sept mois dans l’unité consacrée aux autistes, j’ai été confrontée à
bien des bizarreries au regard des façons habituelles de se comporter en société. Outre les cris, les
claques, les morsures et les griffures, j’ai découvert un monde qui heurtait l’ordre établi.
4
Il fallait par exemple raccompagner un homme de notre unité quand il partait s’asseoir devant
la grande porte d’entrée de l’institution pour se déshabiller, arracher sa couche et se masturber.
Il ne parlait pas, et je ne suis pas sûre d’avoir compris en quoi le lieu lui semblait adapté, pas plus
qu’il n’a compris quand j’ai cherché à lui signifier qu’il devait le faire dans sa chambre. Celle-ci
ne semblait pas représenter pour lui ce lieu personnel intime, la grande entrée pleine de passages
lui paraissant probablement plus stimulante, et adaptée à ses comportements sexuels.
Il n’achoppait pas à cette réalité qui structure de façon courante notre société, n’avait pas accès
aux codes partagés entre gens socialisés.
Une femme diagnostiquée « psychotique avec des traits autistiques » exigeait de changer ses
draps chaque matin. Prenant acte de la demande des lingères de faire cesser cet abus, mes
collègues et moi avons décidé de nous y opposer. Mais elle n’entendait pas nos arguments comme
quoi ses draps étaient propres, elle tenait absolument à les changer. Un jour que j’insistais, elle a
arraché ses draps de son lit, est partie avec en courant dans le couloir. Le temps que je la rejoigne,
elle s’était déculottée et était en train de déféquer dessus. Elle semblait très angoissée, et se
comportait comme si le fait de changer quotidiennement ses draps était une nécessité vitale. J’ai
compris combien imposer nos manières de juger de ce qui est normal ou pas pouvait être violent,
à l’égard de personnes ayant une vision différente.
En Foyer Occupationnel par la suite, j’ai rencontré des difficultés similaires, notamment avec
une autre femme psychotique qui percevait de la poussière et de la saleté sur son linge revenant
tout frais lavé de la lingerie. Elle en remettait systématiquement une partie à laver. D’autre part,
elle vivait dans la crainte de se faire dérober des affaires, et cachait des tas de petits objets un peu
partout dans sa chambre. Ensuite, lorsqu’elle les cherchait et ne les retrouvait pas, elle accusait
des personnes de les lui avoir volés. Il m’aura fallu environ deux années pour mieux la
comprendre, et commencer à gagner sa confiance.
Un homme interprétait les comportements de son entourage, dont je faisais partie, en leur prêtant
une connotation persécutrice. Un geste anodin pouvait déclencher une crise. Un jour, j’ai rabattu
vers l’arrière une mèche de mes cheveux, il m’a dit avec colère : « C’est pour vous moquer de
moi, je le sais bien ! De toute façon vous n’êtes qu’une… » S’est alors enchaînée une série
d’insultes.
Mon questionnement s’est enraciné sur la base de ces expériences. Ce qui m’intéresse, c’est ce
constat que des personnes manifestent une manière d’être au monde très décalée par rapport à la
majorité, et d’interroger ce décalage. Qu’en est-il de la différence entre « sens commun » et
« folie » ?
Sans prétendre arriver à en découdre définitivement avec cette question, nous verrons pour le
moins quelques formes de réponses possibles. Nous constaterons qu’elles sont toutes relatives et
tributaires de présupposés philosophiques. Selon que l’on considère le fou comme un être humain
ou non, et un continuum ou une rupture entre normalité et folie, les explications et les traitements
mis en œuvre diffèrent.
Nous envisagerons, dans une perspective historique, les principaux sens donnés aux
comportements fous, et les traitements auxquels ils ont donné lieu au cours des siècles.
Des difficultés posées par l’existence de personnes « folles » et par des actes de « folie
meurtrière », seront soulevées, des actes insensés pouvant se trouver tant chez les fous, que chez
ceux qui sont censés ne pas l’être.
Les approches scientifiques, psychanalytiques et systémiques de la folie seront présentées en lien
avec leurs épistémologies *1 sous-jacentes. Nous testerons ensuite les repères susceptibles de
servir de démarcation entre « fou » et « sain d’esprit » : la rationalité, le sens commun (appelé
aussi parfois « bon sens »), la réalité tiennent-ils au regard de la relativité des connaissances et des
normes sociales ? Les fous n’auraient-ils pas parfois de bonnes raisons d’être fous ? J’espère
atteindre les failles d’un positionnement catégorisant et abusif, pour en arriver à l’idée que la folie
est une construction humaine, qui peut donner l’occasion d’interroger la réalité.
1 Les mots marqués d’un astérisque renvoient au glossaire à la page 28.
5
I) Questions philosophiques et éthiques soulevées par la folie
1) Aperçu historique des sens donnés aux comportements fous.
C’est un fait universel, des individus se sont toujours démarqués de la norme, de par leurs
agissements en dépit du « bon sens ». Et de tous temps, des hommes ont cherché à expliquer ces
particularités, de diverses manières pas nécessairement incompatibles. Les visions que l’on se fait
de l’être humain et du sens de son existence conditionnent celles de la folie. Selon qu’il apparaît
plutôt comme doté d’une âme régie par un ordre spirituel, ou comme un corps tributaire de ses
échanges avec l’environnement matériel, les optiques dégagées diffèrent. Des sens donnés à la vie
humaine dépendent les explications déployées pour rendre compte des comportements fous, et les
traitements préconisés.
Dans la Grèce antique, généralement présentée comme le berceau de la pensée rationnelle, le
recours à la religion était de mise pour guérir les malades ; on invoquait Asklépios, le Dieu de la
médecine. C’est là une tendance constante, encore à l’œuvre de nos jours : celle d’en référer avec
foi à un ordre surnaturel. La maladie mentale est vue comme une entité extérieure qui vient
prendre possession du malade, un mauvais esprit à exorciser, ou une malédiction à conjurer. Cette
croyance appelle des rituels magiques et religieux, au cours desquels le geste concret est supposé
agir en dehors de toute répercussion matérielle directe. Par exemple, l’aiguille piquée dans une
poupée vaudoue est réputée avoir un effet sur la personne qu’elle représente, en vertu d’un lien
surnaturel et intangible.
HIPPOCRATE, au 5ème siècle avant J.C, « introduit le concept de nature dans la pensée
médicale ».1 La nature est alors vue comme une force déterminante avec laquelle l’art médical
doit compter, car elle est la première formatrice de l’organisme. Les traitements s’appuient sur des
causalités* relevant directement de la matière et de l’ordre naturel. Hippocrate jette les bases de la
théorie humorale. Il s’agit d’élaborer des diagnostics et des traitements adaptés, en étudiant la
coloration des liquides corporels : sang, bile jaune, atrabile ou bile noire (qui ne correspond pas à
un liquide observable), et la lymphe, appelée aussi flegme ou pituite, utilisée dans les processus de
défenses lors des infections.
Les maladies procèdent par excès ou défaut d’une des humeurs incriminées, ce qui rejoint l’idée
de distinctions quantitatives sur un continuum entre normal et pathologique. L’organe du ressenti
et de la pensée est le cerveau, c’est lui qui est considéré comme dérangé quand se manifeste la
folie. Traumatismes crâniens et pathologies cérébrales sont déjà vues comme de possibles causes
explicatives.
Dans une optique similaire à celle d’Hippocrate, les Romains avec GALIEN (129-198) forment
la théorie des tempéraments (sanguin, flegmatique, colérique, mélancolique). Galien pensait que
la trépanation (percée chirurgicale d’une petite ouverture dans la boîte crânienne) permettait
d’extraire l’excès d’humeurs contenues dans le cerveau, et de faire baisser la pression intra
crânienne.
Si l’on situe généralement la naissance de la médecine avec Hippocrate, des traces de trépanation
sont retrouvées sur des vestiges de crânes datant de 10 000 ans avant J.C. En 1991, Prioreschi
(cité par Cécile Giraud) montre que près de 6% à 10% des crânes du Néolithique ont été trépanés.
En Egypte ancienne aussi, ce geste se pratiquait à visée thérapeutique. Les particularités de
découpe, et la consolidation osseuse autour des percées, montrent que de nombreuses personnes
survivaient à ce geste pratiqué intentionnellement.
« Il s’agissait d’extraire du crâne l’entité abstraite ou l’humeur à l’origine des troubles
psychiatriques, (…) de l’épilepsie et des convulsions. » 2
1 Georges CANGUILHEM, Ecrits sur la médecine, éditions du Seuil, Paris, 2002, p 18.
2 Cécile GIRAUD, in PALEOBIOS, 13 / 2004 / Lyon-France ISSN 0294-121 X / La trépanation : étude de cette
pratique chirurgicale au Moyen Age.
6
Ces théories sont reprises durant le Moyen-Age chrétien. La démarche reste principalement de
corriger un manque, par l’absorption et l’ingestion de médicaments visant à le compenser, ou un
excès, en pratiquant des diètes et des saignées. Ces pratiques s’accompagnent du recours à la
magie et à la religion, les maladies du corps et de l’esprit n’étant pas nettement distinguées. Les
imbrications de ces deux courants peuvent être qualifiées d’approches « psychosomatiques », au
sens où elles s’adressent à l’âme et au corps. Le rôle de l’environnement et de ses échanges avec
le patient était aussi reconnu, d’où la mise en place de cures dans des lieux réputés sain(t)s.
Cette question de savoir si la maladie se situe plutôt du côté du corps ou de l’âme se retrouve
dans le vocable latin psychologia, terme forgé à partir du grec dans la seconde moitié du 16ème S.
Il désigne une étude ou une science de la psyché (au sens de principe vital), liée soit à la théologie
(du côté de l’âme), ou à la médecine (du côté du corps).
L’histoire de ce mot latin psychologia retraduit bien une équivoque et des controverses, qui
opposeront médecins de la vie intrapsychique et physiologistes.
Plus près de nous, la question de savoir si l’autisme est plutôt une maladie mentale liée à
l’enracinement relationnel du psychisme (relation à la mère, en particulier chez Bettelheim) ou
une déficience organique et métabolique, rejoint la même interrogation.
Au 17ème siècle, DESCARTES pose les bases du rationalisme moderne, et inaugure une vision
dichotomique selon laquelle le corps est une machine séparée de l’âme. A partir de là se
développeront diverses conceptions de la maladie comme dérèglement mécanique,
thermodynamique, magnétique, électrique, bio-chimique, cybernétique,… à réparer.
2 ) Aliénisme et traitement moral
Pour ce qui est de leur traitement, force est de constater que les fous ont été mis à rude épreuve.
En des temps reculés, il est arrivé qu’ils soient suspendus au-dessus de fosses à serpents, dans
l’idée qu’une peur salutaire les ramènerait à la raison ! Durant le Moyen-age, ils furent tantôt
condamnés, tantôt portés dans des pèlerinages et des prières. Mieux valait présenter les signes
d’une folie acceptée socialement… Comprise comme une manifestation hérétique, elle a pu
mériter le bûcher !
Michel FOUCAULT a étudié la transformation qui s’opère au 17ème S., en rupture avec la
conception médiévale de la folie. La lèpre disparaît, on se préoccupe alors davantage des fous. Il a
existé jusqu’à 19000 léproseries, ce qui reste de ces structures est reconverti pour accueillir toutes
sortes de malades. En 1656, un hôpital général voit le jour à Paris, qui servira de lieu
d’internement tout à la fois pour les fous, les libertins porteurs de maladies vénériennes, les
pauvres et les criminels.
De tels lieux étaient vecteurs tant de charité, que de répression et de mise à l’écart.
« Dans ces institutions viennent ainsi se mêler, non sans conflits souvent, les vieux privilèges de
l’Église dans l’assistance aux pauvres et dans les rites de l’hospitalité, et le souci bourgeois de
mettre en ordre le monde de la misère; le désir d’assister et le besoin de réprimer; le devoir de
charité et la volonté de châtier: toute une pratique équivoque dont il faudra dégager le sens,
symbolisé sans doute par ces léproseries, vides depuis la Renaissance, mais brusquement
réaffectées aux XVIIe siècle et qu’on a réarmées de pouvoirs obscurs. Le classicisme a inventé
l’internement, un peu comme le Moyen-Âge la ségrégation des lépreux; la place laissée vide par
ceux-ci a été occupée par des personnages nouveaux dans le monde européen, ce sont les
« internés.» »1.
1 Michel FOUCAULT, Histoire de la folie à l’âge classique, Gallimard, Paris, 1972. p.76-77
7
« L’internement est ainsi deux fois justifié, dans un indissociable équivoque, à titre de bienfait et à
titre de châtiment. Il est tout à la fois récompense et punition, selon la valeur morale de ceux à
qui on l’impose. » 1
Dans l’idée d’une approche plus spécifique de la maladie mentale, des endroits tels que la Tour
Chatimoine à Caen visaient exclusivement à enfermer les fous. C’était néanmoins sans volonté de
traitement autre que de les tenir à l’écart. Cette tour Chatimoine, (comme la Bastille, transformée
aussi en asile d’aliénés) est réputée pour les mauvais traitements qui y furent infligés. Elle a été
détruite en 1789, on y a reconstruit l’ancien Palais de Justice de Caen.
Au 18ème S., s’opère peu à peu une profonde transformation de l’approche conceptuelle de la
maladie mentale. Les tentatives d’explications rationnelles s’intensifient. Des hôpitaux d’aliénés
sont créés.
Au début du 19ème S. s’impose l’idée d’un traitement humaniste de la folie.
Le terme de psychiatre est forgé en 1802. Née sous la Révolution avec Philippe PINEL (1745-
1826), la médecine aliéniste fait de la maladie mentale son domaine propre.
Dans son « Traité médico-philosophique sur l’aliénation mentale », Pinel expose sa théorie sur le
traitement moral. Il l’oppose à l’enfermement, qui « animalise » les fous. Cela renvoie à ces
questions : la folie est une maladie de l’âme ou du corps ? Le fou doit-il ou non être considéré
comme un être humain ? A t’il une âme ? Si oui, peut-elle être possédée par le diable et damnée ?
Sinon, qu’est-ce qui différencie le fou des animaux ?
Ce sont des questions qui ont pu se poser très sérieusement, comme celle de savoir s’il était juste
ou non de réduire en esclavage les Indiens d’Amérique du sud, qu’on traitait comme des bêtes,
alors que le projet initial de la conquête était d’évangéliser leurs âmes.
La loi de 1838 sur les aliénés, inspirée par le successeur de Pinel, Etienne ESQUIROL, fait
obligation à chaque département d’avoir un asile. « Une maison d’aliénés est un instrument de
guérison ; entre les mains d’un médecin habile c’est l’agent thérapeutique le plus puissant contre
les maladies mentales. » 2
Néanmoins, sachant qu’entre les mains d’un seul médecin se trouvaient jusqu’à 1000 aliénés, à la
fin du 19ème siècle… « Les asiles sont devenus des renfermeries surencombrées où la promiscuité
et l’insalubrité sont la règle. Les méthodes de coercition et d’intimidation (camisole, cellule,
douche) sont utilisées pour maintenir l’ordre et obtenir la rentabilité au travail de certains
malades pour qui le travail devait être thérapeutique et qui sont utilisés comme main d’œuvre à
bon marché. » 3
Ces paroles semblent donner un tour prophétique à celles du Deutéronome biblique, (28.28-
29) : « Yahvé te frappera de délire, d’aveuglement et d’égarement des sens, au point que tu iras à
tâtons en plein midi comme l’aveugle va à tâtons dans les ténèbres, et tes démarches n’aboutiront
pas. Tu ne seras jamais qu’exploité et spolié, sans que personne prenne ta défense.» Ce sort a en
effet longtemps perduré.
Heureusement, la Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée le 10 décembre 1948,
nous a rappelé cette vérité essentielle : les fous aussi sont des êtres humains qui ont des droits.
Qu’est-ce qui a pu justifier pareils traitements ? Si ceux qui les ont infligés se pensaient
sincèrement sains d’esprit, c’est qu’ils ne considéraient pas tout à fait les fous comme des êtres
humains. Ce problème s’est posé dans bien d’autres circonstances, telles que la colonisation et les
guerres : l’ennemi, l’autre, l’étranger, celui qui ne partage pas le même cadre de référence ne
mérite pas de vivre. Ou alors, au minimum faut-il qu’il soit en mesure de travailler : il est alors
exploité comme esclave, et privé du droit de vivre décemment.
1 Michel FOUCAULT, op. cit. p 87.
2 Etienne ESQUIROL, Les passions considérées comme causes, symptômes et moyens curatifs de l’aliénation
mentale, 1805.
3 Le secteur psychiatrique, « Que sais-je ? », PUF, 1994, Paris, p. 17
8
Ainsi, les traitements infligés aux fous ont eu partie liée à ceux destinés aux étrangers et aux
criminels. C’est ce que l’on peut entendre dans le mot d’aliénisme (du latin aliud, autre),
s’adressant aux « aliens », vus comme radicalement à distance et à part. Quelles différences
d’avec le commun des mortels ont pu leur valoir d’être exclus de cette humanité commune ?
A contrario, dire que nous sommes tous des êtres humains implique une continuité entre normal
et pathologique. Comment dès lors comprendre tout à la fois ce que le fou a de commun, et ce qui
le marginalise par rapport au reste de la société ?
3) Les rapports entre folie et société médiatisés par la justice et la psychiatrie
Les fous et les criminels ont été enfermés, trépanés, éléctrochoqués. Et il y en a parmi eux qui
seraient responsables de leurs actes, d’autres jugés irresponsables, tandis que les juges
décideraient de manière légitime des condamnations, et les médecins des traitements ?
Que comprendre d’une telle mise en ordre ? Celui qui ne respecte pas les lois et les interdits
fondateurs d’une société se voit appliquer des mesures de contention, et attribuer le statut
d’incapable majeur. Déjà le droit romain avait institué l’incapacité des fous et un curateur
spécifique. Le « mentus captus » était incapable de façon permanente, tandis que le « furiosus »
restait capable entre deux accès de folie furieuse. Quelques lieux servaient à enfermer les fous
considérés comme dangereux.
Il est des cas où cet enfermement semble parfaitement justifié, quand la personne s’avère
effectivement dangereuse pour elle-même et/ou pour les autres. A titre d’exemple, on peut citer le
cas de Pierre RIVIÈRE (1815 - 1840) qui, dans le Calvados, en 1835, a égorgé à coups de serpe sa
mère, son frère et sa sœur. Il s’agissait d’un geste prémédité, l’auteur ayant pris à l’avance le soin
d’aiguiser l’arme du crime. Des comportements insolites lui valaient déjà, dans son enfance,
d’être surnommé « l’imbécile à Rivière ».
« Plus tard, interné à la maison d’arrêt de Falaise, avant son procès, le jeune meurtrier s’occupe
à la rédaction d’un mémoire d’une cinquantaine de pages, Détail et explication de l’événement
arrivé le 3 juin à Aunay, village de la Fauctrie, écrit par l’auteur de cette action. Il s’agit pour
lui d’expliquer la genèse du meurtre, dès avant les premiers interrogatoires. Décidé un mois
avant son accomplissement, le meurtre est perpétré grâce à une serpe aiguisée à cette fin. Ainsi la
première partie de l’écrit s’intitule : « Résumé des peines et des afflictions que mon père a
souffertes de la part de ma mère depuis 1813 jusqu’à 1835 ». Au juge d’instruction, Rivière explique que la Providence avait ligué les trois victimes contre son
père afin de le persécuter. C’est aussi suivant le commandement de Dieu qu’il a agi.
Dans un second temps cependant, Rivière dément cette inspiration divine.
Bientôt les médecins s’emparent de l’affaire. Le docteur Bouchard, qui a régulièrement rendu visite au meurtrier dans sa cellule, affirme que Rivière n’est nullement aliéné, « qu’aucune
maladie n’a pu déranger les fonctions du cerveau ». Aussi « on ne peut attribuer le triple
assassinat… qu’à un état d’exaltation momentanée, préparée par les malheurs de son père ».
Une opinion que ne partage nullement son confrère, le docteur Vastel, médecin des Bons-
Sauveurs, la maison des Aliénés de la ville de Caen, ainsi que d’autres praticiens.
Au procès qui s’ouvre à l’automne devant les Assises du Calvados, devant le refus de ses
confrères, un jeune avocat est commis à l’accusé, Me Berthauld.(…) six prestigieux médecins -
dont Esquirol, médecin en chef de l’hôpital Charenton, Orfila, doyen de la Faculté de médecine
de Paris – avaient affirmé dans un rapport commun que « depuis l’âge de quatre ans, Pierre
Rivière n’a pas cessé de donner des signes de son aliénation mentale, que ces homicides sont
uniquement dus au délire ». Alors que son mémoire est mis en vente par le libraire Mancel de
Caen, Pierre Rivière est transféré à la prison de Beaulieu, le 9 mars 1836. Il décède le 20 octobre
1840, après s’être pendu. » 1
1 Page web de Marc NADAUX, Personnages du 19
ème siècle : Pierre Rivière.
http://www.19e.org/personnages/france/R/riviere.htm
9
Dans de telles situations, des expertises psychiatriques sont ordonnées par les juges. Il s’agit de
déterminer si la personne peut être considérée comme pénalement responsable de ses actes, ou si
elle a agi sous le coup d’une pathologie mentale. L’objectivité* scientifique est alors de mise,
pour prendre les justes décisions.
Laurent MUCCHIELLI, sociologue, s’interroge sur « la cohérence* interne des théories ou paradigmes* généraux utilisés par de nombreux psychiatres-criminologues.». Il s’appuie sur des
travaux récemment parus à ce sujet, qu’il critique non sans ironie :
« J.-P. Rumen, qui rédige le chapitre sur le parricide, (…) livre ces réflexions dont le lecteur
appréciera la précision et la fiabilité : « Dans les années soixante on savait qu'en France, les
parricides n'étaient pas méditerranéens et qu'ils étaient des hommes jeunes et ruraux. De nos
jours, la lecture des faits divers laisse l'impression que s'il s'agit toujours de sujets jeunes, leur
ruralité s'efface bien sûr avec celle de la France. (…) ». Le lecteur est, l'espace d'un instant,
impressionné lorsqu'il lit à la page suivante qu'un autre psychiatre, « s'appuyant sur des études
américaines et britanniques », « a complété ces données » d'une façon tellement précise qu'il « a
pu dresser un portrait robot du parricide ». Hélas, les sourcils relevés, tendu d'impatience, excité
à l'idée d'une telle avancée scientifique, l'honnête chercheur que nous essayons de défendre est
immédiatement atterré de découvrir le portrait robot en question (là encore retranscrit in extenso) :
« 9 fois sur 10 c'est un homme, 2 fois sur 3 il tue son père, 9 fois sur 10 il est d'intelligence
normale. Mais alors qu'un bon nombre de parricides ne présentent aucune affection mentale
caractérisée, il s'en dégage toutefois certains traits constants : impulsivité, absence d'inhibition notamment, ce qui, on le concédera, n'est guère surprenant ». Ainsi donc, si vous êtes un homme
d'intelligence normale dont le père est encore en vie, pour peu que vous soyez impulsif et peu
inhibé, sachez que la science vous désigne comme un parricide en puissance. Si vous n'étiez des
centaines de milliers dans ce cas, on vous conseillerait volontiers de courir vous inscrire en
thérapie au Centre médico-psychologique ou à l'antenne psychiatrique de secteur la plus proche.
Hélas, la liste d'attente risquerait d'être longue. » 1
On ne juge pas des hommes, mais de leurs actes une fois posés et des états qui les ont motivés.
« Avant tout il n’y a pas de différence fondamentale entre le normal et le pathologique.
Maintenant, avec un peu de bouteille dans le métier, je ne pense pas qu’on puisse dire qu’il existe
des gens fous et des gens normaux, il existe des états, c’est tout. » 2
Les faits divers sont régulièrement l’occasion de débats houleux ; lorsqu’un malade mental sort
de l’hôpital psychiatrique et commet un crime, cela est parfois reproché aux médecins qui ont
autorisé sa sortie. Ces crimes étaient-ils prédictibles, et sont-ils compréhensibles objectivement ?
D’où ces autres questions, qui ont été aussi sérieusement envisagées : l’inclination à la folie et au
crime est-elle le fait d’une prédisposition innée, dans quel cas on pourrait la penser comme
déterminée* et prévisible ? Peut-on situer la différence en disant que le fou n’est pas comme moi
car nous n’avons pas les mêmes gènes ?
L’histoire de la collaboration à des pratiques meurtrières par des individus pouvant être considérés
comme normaux, de même que les expériences de Stanley Milgram sur la soumission à l’autorité,
ne semblent pas explicables par des mutations génétiques.
Les gènes de la folie et de la criminalité ont été recherchés, on ne les a toujours pas trouvés.
Alors comment juger du degré de folie, de dangerosité, de responsabilité d’une personne ? Les
dérives du totalitarisme ont imposé des critères très relatifs et discutables, pour départager bons et
mauvais fous, inoffensifs et dangereux. La question se pose de savoir si une mesure* objective de
la pathologie mentale est possible. Existe-t-il un seuil quantifiable, au-delà duquel une personne
peut être dite folle ?
1 Laurent MUCCHIELLI, Quelques interrogations épistémologiques sur la psychiatrie criminologique française
(à partir d'un ouvrage récent), 1999.
http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.mul.que 2 Edouard ZARIFIAN, Les jardiniers de la folie, Odile Jacob, 2000, 295 p.
10
II) Dimension épistémologique de quelques approches de la folie
1) Approche scientifique de la folie
La médecine humaine travaille avec les outils dont elle dispose. Les mathématiques et la
logique lui ont donné son coup d’envoi, étayant la possibilité d’une connaissance rationnelle* de
la nature. L’homme se prend alors à rêver à une connaissance objective de lui-même.
La psychiatrie de Pinel donnait une large place aux causes morales de la folie, mais un
renversement s’opère au milieu du 19ème siècle qui privilégie les causes physiques. Bénédict-
Augustin MOREL (1809-1873) fait de la dégénérescence, et de la transmission héréditaire des
tares, la cause principale de l’aliénation. La plupart des aliénistes deviennent résolument
organicistes, considérant qu’il n’est besoin que d’une physiologie ou d’une science du cerveau, et
non d’une psychologie basée sur l’introspection ; ils recherchent des données mesurables. Un tel
savoir permettrait d’asseoir des diagnostics et de dire à coup sûr : « lui c’est un fou, moi je ne le
suis pas. »
Cette application à l’homme de la méthode expérimentale des sciences de la nature permet des
découvertes et des avancées dans la mise au point de nouveaux traitements de la folie.
Au 20ème S., les mesures bio-chimiques conduisent à l’élaboration de médicaments pointus et
efficaces pour influer sur l’humeur, les hallucinations, la propension au délire, l’angoisse, etc.
En 1951, Henri Laborit a introduit le premier psychotrope dans le traitement de la schizophrénie
(molécule du largactil).
Ces connaissances assoient-elles pour autant un savoir objectif quant aux classifications, causes et
évolutions des comportements fous ? Le sens que prend une décision de traitement dépend
toujours de la relation entre les personnes concernées par sa prescription. Impossible de prédire
assurément le résultat, chacun réagissant à l’absorption des molécules en fonction de ses propres
singularités et du contexte dans lequel il se trouve. Si les médicaments permettent des
améliorations notables en agissant sur les symptômes, ils éclairent peu sur les origines des
pathologies mentales, et ne donnent pas d’outils pour mesurer objectivement la folie.
Ayant lu un jour, dans le dossier d’un résidant du Foyer Occupationnel, un diagnostic médical
dont le sens m’échappait : « oligophrène », j’en ai cherché la définition. Quelle n’a pas été ma
surprise de découvrir les racines étymologiques de ce mot : du grec oligo, peu, et phrên, esprit !
La conception présidant à une telle formulation s’inspire de celle qui est à l’œuvre dans l’idée de
déficience intellectuelle. En 1904, le ministère de l’Instruction publique, en quête d’une méthode
pour différencier les enfants normaux des enfants incapables de bénéficier de l’instruction
scolaire, crée une « Commission ministérielle pour les anormaux ». Binet et Simon mettent alors
au point un test de diagnostic différentiel.1 Peut-on parler d’une échelle métrique de
l’intelligence ? Composé d’une série d’épreuves destinées à situer l’enfant par rapport à la
performance moyenne de sa classe d’âge, le test Binet-Simon ne prétend pas lui attribuer une
note, car celle-ci prise en elle-même n’aurait aucune valeur. Il ne s’agit donc pas tant d’une
mesure absolue qui se suffirait à elle-même, mais plutôt d’un outil opérationnel visant à répondre
à des difficultés pratiques.2
Que l’on ait de l’esprit en petite quantité (oligo-phrène), ou en parties divisées (schizo-phrène), ou
ralenti (brady-psychie), ça veut au moins dire qu’on a de l’esprit. Y a t-il vraiment des moyens
susceptibles de mesurer, cerner et sous-peser l’esprit humain, et par là même d’arrêter des seuils
quantifiables et des catégories spécifiant normalité et pathologie ?
1 1ère version de cette échelle métrique de l’intelligence parue dans l’année psychologique en 1905.
2 Psychologie du développement et psychologie différentielle, Nouveau cours de psychologie dir. Serban Ionescu
et Alain Blanchet, PUF, 2006.
11
« Si l’on étudie les phénomènes psychopathologiques dans une perspective épidémiologique, on
s’aperçoit que les résultats sont souvent surprenants. Toutes les recherches affirment, et c’est une
très bonne chose, qu’il n’y a aucune possibilité de définir pragmatiquement sur des bases scientifiques ce qu’est être normal. » 1
« Il existe un continuum entre les processus que certains qualifieraient soit de normaux, soit de pathologiques » 2
L’approche centrée sur le recueil de mesures objectives et de données manipulables trouve une
autre forme cohérente dans le béhaviorisme* de J.B WATSON (1878-1958).
Il renonce à étudier la conscience, et prend le parti de ne s’en tenir qu’aux manifestations
comportementales observables. Il développe une psychologie objectiviste, dont il veut faire une
science de la nature au même titre que n’importe quelle autre. L’objet de la psychologie est le seul
comportement, et sa tâche est de mettre en lien les caractéristiques de la situation et les réponses
comportementales. Les travaux du physiologiste russe PAVLOV, fondateur de la réflexologie,
fourniront à Watson l’unité de base, l’atome du comportement : le réflexe conditionnel.
Idéalement pour Watson, la connaissance de toute l’histoire des conditionnements d’un sujet
devrait permettre à tout moment de prédire et de contrôler ce qu’il fera dans une situation donnée.
Mais qu’en est-il de cette prétention à l’objectivité, de cette volonté de traiter les faits
psychologiques comme des choses ? Une connaissance objective de ce qui préside aux actes
humains est-elle possible ? Le béhaviorisme exclut radicalement l’étude des phénomènes mentaux
et le recours à l’introspection pour ne s’attacher qu’aux comportements. Une telle approche est
aussi opérationnelle quand il s’agit d’animaux ou d’objets, elle ne s’adresse pas à l’homme dans
ce qu’il a de spécifique. Au fond, s’agit-il plutôt d’éduquer les hommes ou de les dresser ? De les
évangéliser ou de les réduire en esclavage ? De les guérir ou de les réparer ? La volonté d’évacuer
la subjectivité ferait-elle passer à la trappe une dimension essentielle de l’humain ?
Dans un mouvement dialectique une opposition se fait jour, pour contrer des effets réducteurs
et déshumanisants. Daniel LAGACHE3 développe l’opposition naturalistes/ humanistes ainsi :
l’atomisme psychologique s’oppose au principe de totalité, l’explication à la compréhension, le
physiologique à l’inconscient, le mécanicisme au fonctionnalisme, et les conduites extérieures
observées aux expériences intérieures vécues.
Il faut attendre le 20ème siècle et l’avènement de la notion de sujet pour que l’on se recentre sur
ce que peut vivre, ressentir, penser la personne, Freud ayant ouvert un chemin pour s’intéresser
aux contenus de sa vie psychique.
Comme le dit une psychanalyste, Maud Mannoni, il est problématique de vouloir aborder
l’humain de façon objective : « Le fait de poser un diagnostic psychiatrique déloge le malade de
sa position de sujet, l’assujettit à un système de lois et de règles qui lui échappent et inaugurent
ainsi un processus qui aboutira logiquement à des mesures de ségrégation. »4
Les connaissances scientifiques sur la folie s’avèrent dans certains cas opérationnelles,
permettant des améliorations, stabilisations voire des guérisons. Leur impact est néanmoins
limité ; elles ne permettent pas de dire de façon objective et mesurable ce qu’elle est, ni de
résoudre les problèmes éthiques et sociaux rencontrés.
1 Psychologie clinique et psychopathologie, Nouveau cours de psychologie dir. Serban Ionescu et Alain
Blanchet, PUF, 2006. p.18
2 A. BOURGUIGNON, L’homme fou. Histoire naturelle de l’homme, 2. Paris, PUF, 1994. p.240
3 Daniel LAGACHE, L’unité de la psychologie, PUF, 1949
4 Maud MANNONI, Le psychiatre, son « fou » et la psychanalyse, éditions du Seuil, Paris, 1970. p. 24-25
12
Bien que l’on puisse supputer d’éventuelles récidives de comportements anormaux chez un
individu, il semble impossible de prédire et de décréter à l’avance et définitivement qu’un tel est
fou et/ou dangereux. Et en plus de ne pas permettre la résolution de cette question, cette démarche
de catégorisation soulève à son tour d’autres difficultés éthiques. Au nom de quoi des individus
s’arrogeraient-ils le pouvoir de juger objectivement de la plus ou moins grande normalité d’autres
personnes ? Et en quoi cette attitude peut-elle être aidante pour ces dernières ?
La légitimité du savoir objectif sur la folie a été secouée par l’expérience de D. ROSENTHAN,
professeur de psychologie à l’université de Stanford dans les années 1970. Il a associé ses
étudiants a des expériences qui questionnent fortement les institutions psychiatriques, proposant
aux étudiants volontaires de s’y faire interner : toutes leurs actions y furent alors interprétées
comme symptomatiques, confirmant qu’ils souffraient de déséquilibres mentaux. Dans une
seconde phase, D. Rosenthan a cette fois averti au préalable les institutions de ce qu’il leur
envoyait des étudiants pour une expérience, mais n’en a envoyé aucun : les directeurs des
hôpitaux l’appelèrent alors pour dire qu’ils avaient identifié les étudiants. Ces médecins sont
pourtant censés se prévaloir d’une autorité indiscutable, en matière de diagnostic des pathologies
mentales. De quoi entamer la caution des démarches scientifiques de catégorisation de l’humain.
2) Approche psychanalytique
Les théories portant sur les conduites humaines font partie intégrante de l’épistémologie de
leur époque. Dès qu’il s’agit de chercher à connaître, nous structurons et construisons selon les
critères et les paradigmes scientifiques qui s’imposent alors à nous.
La psychanalyse, méthode de psychothérapie inventée par S. Freud à la fin du 19èmeS, est un
ensemble de théories et de pratiques basées sur la découverte de l’inconscient. Comme la 1ère loi
de thermodynamique, elle conceptualise en termes de conservation ou transformation d’énergie
(la libido). Le type de causalité en jeu est linéaire, unidirectionnel. Il pose que l’évènement A
détermine B, que le passé détermine le futur en passant par le présent. Le travail s’oriente alors
nécessairement en fonction du passé. Les symptômes observés sont dus à un conflit inconscient ;
afin de comprendre ce qu’il lui arrive, la personne doit replonger dans son histoire pour rechercher
(à l’aide d’associations de pensées, interprétations de ses rêves et actes manqués, etc.) les causes
de son mal-être actuel. Le névrosé peut y travailler en tâchant de laisser s’exprimer, d’une façon
sublimée, les pulsions et désirs qu’il a refoulés. Son amélioration doit passer par une prise de
conscience (insight), qui permet de libérer les énergies bloquées par le conflit psychique.
Le grand intérêt de la psychanalyse est d’être une méthode clinique, au sens étymologique du
terme « élaborée au chevet du malade », c’est à dire au cas par cas, sensible à ce que la personne a
d’unique. C’est donc une méthode très riche qui permet de chercher un sens à nos propres
comportements et à ceux des autres, en sachant que ce sens peut être inconscient, et échapper à
celui-là même qui en est l’auteur. Le grand intérêt de cette optique est d’ouvrir à cette
irréductibilité de la personne humaine, de prendre en compte son histoire singulière dans ses
dimensions profondes et secrètes. Et c’est aussi sa limite.
Laurent MUCCHIELLI critique le fait que dans le domaine de la psychiatrie criminologique, il
est d’usage d’asseoir arbitrairement ses développements sur la psychanalyse en invoquant
quelques grands ancêtres, parmi lesquels Freud est l’un des plus utilisés.
« Ces utilisations de la psychanalyse (…) accompagnent un discours où l'affirmation tient lieu de
preuve, où la citation d'un maître vaut vérité indiscutable, où l'interprétation est davantage
développée que l'exemple concret qui est le plus souvent réduit à une portion tellement congrue
qu'on peut en dire à peu près n'importe quoi. Bref : la référence à la psychanalyse constitue en
général un argument d'autorité qui institue sa vérité en même temps et par le simple fait qu'il
s'énonce. »1
1 Laurent MUCCHIELLI, Quelques interrogations épistémologiques sur la psychiatrie criminologique française
(à partir d'un ouvrage récent), 1999. http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.mul.que
13
N’en déplaise aux partisans d’une science objective de l’homme-machine modelée sur les
sciences de la nature, les théories psychanalytiques ne répondent pas aux critères de la scientificité
proposés par Karl POPPER 1 (1902-1994). Car comme les théories issues du marxisme et de
l’astrologie, elles ne sont pas réfutables. Ainsi la technique psychanalytique a-t-elle peu à souffrir
de remises en question : si un patient va mieux c’est qu’elle est efficace ; si il ne va pas mieux,
c’est à mettre sur le compte de ses résistances, et il convient de poursuivre la cure.
La relation est envisagée dans ce cadre sous l’angle du transfert et du contre-transfert, qui
mettent en jeu des phénomènes de projection.
Le transfert désigne, en psychanalyse, « le processus par lequel les désirs inconscients
s’actualisent sur certains objets dans le cadre d’un certain type de relation établi avec eux et
éminemment dans le cadre de la relation analytique. Il s’agit d’une répétition de prototypes
infantiles vécus avec un sentiment d’actualité marquée. » 2
M. CAPUL et M. LEMAY parlent de la fonction projective comme faisant aussi partie des
fonctions de la relation éducative : l’éducateur, de par l’ambiguïté de sa position (partageant la vie
quotidienne et au travail), se trouve être le support sur lequel les personnes projettent leurs affects
non résolus, réactualisent des conflits et répètent des comportements leur ayant posé problème par
le passé.
Ces projections sont donc rarement interprétables dans l’ici et maintenant de l’existence
quotidienne, il est nécessaire d’en référer à des évènements propres au vécu de l’usager pour en
approcher le sens. L’éducateur a à se rendre compte de ce qui se déroule sur lui et ses collègues,
en référence à ce qu’il connaît de l’histoire de la personne, sans quoi il va alimenter autant les
mécanismes sains et les mécanismes pathologiques. En étant attentif à répondre différemment,
avec distance par rapport à ces phénomènes de projection, il va favoriser « l’apparition de
malaises, de bien-être ou d’interrogations qui sont le point de départ d’une nouvelle manière
d’être. »3
Mais considérer les projections des autres sur soi ne suffit pas, car celles-ci marchent dans les
deux sens. Le maniement de ces dimensions est d’autant plus complexe qu’elles relèvent de
l’inconscient. La pente semble glissante vers des risques de fausses interprétations. Le
professionnel aussi peut projeter les affects et conflits issus de sa propre histoire, sous couvert
d’interpréter les projections des usagers. Le risque n’est-il pas qu’il se dédouane ainsi de sa propre
responsabilité ? Plutôt que de regarder ce qu’il induit dans la relation présente, de part ses
attitudes et comportements, il pourrait mettre les réactions de l’autre sur le compte de son histoire
passée, et d’hypothétiques phénomènes transférentiels. D’autant plus si il est animé par un contre-
transfert qui est l’écho de ses propres conflits inconscients. Quand une action conduite avec une
personne échoue, la tentation peut être de l’en tenir pour responsable, en mettant cet échec sur le
compte de sa résistance à elle.
Des concepts comme ceux de névrose, psychose, complexe d’œdipe, de transfert, etc. peuvent
devenir des tiroirs faciles dans lesquels ranger une multitude de conduites très diverses. Des
chercheurs en psychologie sociale ont mis en évidence que le fait d’interpréter le comportement
d’une personne en termes psychologiques ou psychanalytiques pouvait parfois servir, en fin de
compte, à la décrédibiliser. On pourrait dire que si elle se comporte ainsi c’est parce qu’elle est
psychotique, névrosée, etc., ce qui risque d’amoindrir complètement le message qu’elle essaye de
faire passer. Cela peut donc être une optique confortable qui évite de se remettre en question.
1 Karl POPPER, Conjectures et réfutations, Paris, Payot, 1985
2 J. LAPLANCHE, J-B. PONTALIS, Vocabulaire de la psychanalyse, 1967, Paris, PUF.
3 Maurice CAPUL et Michel LEMAY De l’éducation spécialisée, Erès, Ramonville Ste-Agne, 1997
14
Heureusement, Balint1 (1896-1970) et d’autres ont insisté sur la responsabilité et l’engagement
subjectif du psychanalyste dans la relation thérapeutique. Face à un patient en régression massive
dont la problématique déborde le cadre classique de la cure, il s’agit parfois de savoir se départir
de sa neutralité bienveillante pour s’adapter. L’analogie entre l’adéquation des soins de
l’environnement aux besoins de l’enfant, et l’ajustement de la technique à un patient donné,
n’échappe pas à Balint, ni à Ferenczi et à Winnicott. Ils ont pris acte de l’importance de travailler
sur les dimensions relationnelles de la situation thérapeutique, et ont plus ou moins accepté de
donner la main à leurs patients en s’engageant personnellement dans le travail. La psychanalyse
s’est enrichie et développée, ouverte et diversifiée aux contacts de patients psychotiques, états-
limites, etc. De telles étiquettes présentent un intérêt dès lors qu’il s’agit de mieux connaître et
aider les patients, et qu’elles ne servent pas à se dédouaner en cas d’échec.
« Balint [est] incontestablement un précurseur (...) dans une voie suivie aujourd'hui par la
plupart des psychanalystes. Une voie qui conduit d'abord à reconnaître la part prise par
l'analyste dans la situation analytique et, par là, à définir le processus analytique moins comme la
répétition du passé pour laquelle l'interprétation peut suffire que comme une création, qui exige,
elle, une reconnaissance de ce qui n'a pas été. » 2
Ainsi, la grille de lecture psychanalytique permet la prise en compte de l’histoire passée d’une
personne, et de l’impact que celle-ci produit dans la relation présente. Elle nous ouvre les portes
d’une interrogation sur ce que peut être la vie psychique d’un être humain. Mais en dehors d’une
étude approfondie de l’implication du professionnel, elle occulte la part active de l’environnement
auquel il appartient lui-même, et la responsabilité qui est la sienne dans l’ici et maintenant de la
relation.
3) Approche systémique
L'approche systémique est un champ interdisciplinaire relatif à l'étude d'objets complexes,
réfractaires aux approches de compréhension classiques. Le schéma de causalité linéaire est dans
certains cas peu opérant pour rendre compte du fonctionnement d'un ensemble d’éléments en
relation. En particulier dans toute interaction entre personnes, il s’avère limitatif. Cette approche
est bâtie sur le modèle cybernétique : la matière considérée est de l’information, et la causalité ne
se travaille plus à sens unique : les transformations sont pensées en termes de rétroaction.
Simultanément A, B, C, etc., interagissent et se trouvent pris dans un système dont ils font partie.
Ce système est plus que la somme des parties qui le composent ; il est pour elles aussi déterminant
qu’elles le déterminent. Chacun fait partie d’un ensemble, réagit par rapport à des déséquilibres et
en produit à son tour. Le concept d’homéostasie désigne le processus par lequel le système
s’autorégule et assure la stabilité nécessaire à son fonctionnement, en exerçant des effets auto-
correcteurs en réponse à des perturbations internes ou externes.
La causalité linéaire pose que telle cause détermine tel effet.
La causalité circulaire considère qu’une même cause peut avoir plusieurs effets, et un même effet
des causes différentes, ce qui permet d’échapper à une vision déterministe. En cela, elle semble
mieux rendre compte de ce double mouvement de l’interaction entre personnes, où le
comportement de chacun est à la fois cause et effet du comportement de l’autre.
En thérapie systémique, le travail ne s’oriente pas vers la dimension de l’esprit considéré
comme une monade indépendante. La personne est appréhendée dans tout le contexte des
relations qui tissent son ici et maintenant. Si elle se trouve prise dans un comportement
1 Michael BALINT, Le défaut fondamental- Aspects thérapeutiques de la régression.
(paru en 1968, traduit chez Payot en 1971, 1991 et 2003).
2 J.B.PONTALIS, Frustrer, reconnaître et faire défaut dans la situation analytique, 1978, in Nouvelle
Revue Psychanalytique, 17. p. 115
15
symptomatique, le travail porte sur ses relations interpersonnelles et les fonctionnements actuels
dans lesquels elle est prise, non sur le champ clos de son histoire passée et de son espace intra-
psychique. Il ne s’agit pas du pourquoi, à cause de qui ou de quoi. On va chercher le comment. En
quoi la place et la fonction de chacun font-ils partie intégrante de l’équilibre de ce système ?
Dans tous les cas de troubles relationnels, plutôt que de chercher quel est celui qui ne tourne pas
rond, ou lequel a commencé, on va se centrer sur l’interaction. Comment le dysfonctionnement se
trouve alimenté par les places respectives de chacun, comment plus l’un est ceci, plus l’autre est
cela, et se perpétue ainsi un engrenage. Par cette façon de voir on échappe à la formulation de
questions sans issue : qui de l’œuf ou de la poule a commencé ? Est-ce la faute des parents si
l’enfant a des troubles du comportement, ou bien ce qui semble dysfonctionner chez eux est-il dû
aux troubles de leur enfant ?
Grégory BATESON 1(1904-1980), anthropologue, psychologue et épistémologue américain,
propose d’envisager la schizophrénie comme un trouble résultant de l’équilibre des relations et
des communications au sein de la famille. Cela autorise l’expression de « familles à transactions
schizophréniques », et impulse leur orientation aux thérapies familiales systémiques. Le malade
désigné apparaît comme un symptôme de l’ensemble du système qui concerne chacune des
personnes impliquées. Il n’y en a pas un qui est cause et les autres qui le subissent, mais chacun a
une part de responsabilité dans le dysfonctionnement auquel il contribue malgré lui. Ce n’est donc
pas seulement que le système soit déséquilibré de part les dysfonctionnements apparents de tel ou
tel individu, c’est que l’homéostasie de ce système repose aussi sur eux. Les autres qui s’en
plaignent sont pris dans des liens problématiques, et s’astreignent aussi à perpétuer malgré eux la
logique du système malade. De là, il ne peut être question de se contenter de coller des étiquettes,
ni d’en appeler à la pathologie ou aux hypothétiques conflits intra-psychiques de l’un ou de
l’autre. Une personne qui « disjoncte » dans un système donné pourrait trouver un équilibre
différent au sein d’un autre système. Cela laisse supposer qu’il y a sans doute des fous qui ont
bien des raisons de l’être, et que Pierre Rivière n’aurait peut-être pas tué sa mère, son frère et sa
sœur, s’il était né au sein d’une autre famille.
La 1ère cybernétique se poursuit d’une deuxième.
Cette cybernétique de second ordre insiste sur le fait que quiconque veut intervenir sur un système
se trouve lui aussi en faire partie, et contribuer à en conserver ou en transformer l’équilibre. C’est
une façon pour l’observateur de prendre en compte sa propre influence.
Les émotions qui émergent chez l’intervenant dans le cadre de la relation thérapeutique sont
utilisées, à condition qu’elles puissent avoir un sens pour l’ensemble du système.
C’est ce que désigne le concept de résonance mis au point par Mony ELKAIM, qui est proche de
celui de transfert et contre-transfert, à ceci près que le sens de nos émotions et projections ne se
limite pas aux individus pris isolément. Ce que chacun est dépend de ce que sont les autres.
La cybernétique de second ordre implique que l’intervenant est pris dans le système de relations
au sein duquel il souhaite intervenir. Les solutions qu’il va être tenté de proposer iront dans le
sens de la logique de ce système, et viseront naturellement à le maintenir tel quel plutôt que d’y
amener du changement. La méconnaissance de la causalité circulaire explique que bien des
actions de changement ont au final des résultats inverses à ceux qui sont recherchés. Ce ne sont
que des changements de niveau 1 qui maintiennent l’équilibre du système, sans rien y apporter de
nouveau. Le système passe par tous ses changements internes possibles sans effectuer de
changement de structure et reste prisonnier d’un jeu sans fin, car incapable d’engendrer de
l’intérieur les conditions de son changement. Seuls des changements de niveau 2 peuvent modifier
cet équilibre, par l’énonciation commune d’une méta-règle portant sur les règles usitées à
l’intérieur du système. Pour le thérapeute, il s’agit de créer une rupture dans le cercle des réactions
circulaires qui entretiennent le problème, en amenant une redéfinition de la situation (recadrage),
qui entraîne une modification de la perception de la réalité qu’a le patient. Nous y reviendrons.
1 Grégory BATESON, Vers une écologie de l’esprit, t. II, Seuil, Paris, 1980.
16
Le concept psychanalytique de résistance est aussi repris et décliné différemment. Quand les
membres d’un système semblent faire preuve de résistance en n’adhérant pas à ce que le
thérapeute leur propose, n’est-ce pas plutôt lui-même qui finalement se montre résistant ? C’est
effectivement le cas quand il persiste à imposer sa propre lecture de la réalité.
« Il suffit d'être cohérent et conséquent dans la pensée systémique en décodant le comportement
du client comme une information. »1
Cette information (la résistance du patient) sera alors utilisée pour proposer une nouvelle lecture
pouvant être significative pour l’ensemble du système, et non pour le seul thérapeute.
« L'hypothèse ne pourra être fructueusement partagée par les membres du système-thérapeutique
que si elle est à la fois assez proche pour être acceptable et assez surprenante pour autoriser une
nouvelle lecture. »2
Les thérapies stratégiques et provocatrices s’emploient à utiliser aussi la résistance, en permettant
qu’elle soit mise au profit des objectifs de la thérapie d’une façon indirecte. Les thérapeutes
pourront aller jusqu’à dire à quelqu’un de très résistant qu’ils se sentent incompétents tant sa
situation est désespérée, afin que celui-ci réagisse pour leur montrer qu’ils ont tort.
La lecture systémique multiplie les possibles et montre comment il existe plusieurs façons de
réagir adéquates, les possibilités d’action se situant au niveau de tous les acteurs.
« Mais il ne faut pas cacher d’autre part les dangers d’une utilisation trop systématique de
l’approche systémique et, une fois de plus, nous voila guettés par le danger des dogmatismes :
l’approche systémique se ramenant à un systémisme intransigeant. Nous voici menacés par la séduction exercée par des modèles conçus comme des aboutissements de la réflexion et non
comme des points de départ de la recherche; nous voici tentés par la transposition trop simpliste
de modèles ou de lois biologiques à la société. L’un des plus graves dangers qui menacent
l’approche systémique, c’est la tentation de la théorie unitaire, du modèle englobant ayant
réponse à tout, capable de tout prévoir. »3
Quel que soit l’angle utilisé pour approcher les troubles mentaux, il est opportun de se rappeler
que « La carte n’est pas le territoire » (Alfred Korzybski)
La réflexion a tout à gagner dans l’utilisation complémentaire d’approches scientifiques (il s’agit
de ne pas oublier la dimension du corps) intrapsychiques (du sujet psychique) et systémiques.
Chacune pallie les limites respectives de l’autre :
la psychanalyse est axée sur l’individu et son histoire, elle interroge le pourquoi, la dimension
cachée et inconsciente du comportement. Elle donne une carte des territoires intra-psychiques. La
systémique se centre sur les relations interpersonnelles, le comment, ici et maintenant. Elle donne
une carte des relations interpersonnelles. Cette liste ne prétend pas être exhaustive, mais elle
semble pouvoir donner quelques bases à une humble connaissance de la santé psychique des
hommes.
« Multiplier, diversifier et confronter les points de vue permet de se prémunir contre les tentatives
réductionnistes. »4
Ce n’est pas un luxe, aux vues de la complexité de champs qui se situent à l’intersection de
l’individuel et du collectif.
1 LE FEVERE DE TEN HOVE, « Le pays où la résistance n’existe (presque ) pas : ou, comment infléchir la
résistance vers une coopération ? », Editions médecine et hygiène, Genève, 1996.
2 Mony ELKAIM, Si tu m'aimes, ne m'aime pas. Poche. Seuil, 2001.
3 Page du site Internet « Le village systémique » de Marc d’HONDT.
http://www.systemique.levillage.org/article.php?sid=128
4 Maurice CAPUL et Michel LEMAY De l’éducation spécialisée, Erès, Ramonville Ste-Agne, 1997
17
III) Les uns pensent tandis que l’autre délire ?
1) Hypothèse rationaliste*
Le mot Folie apparaît en 1080 sous la plume de Roland. Il vient du latin folli, sac, ballon,
vessie. « Fou : léger, qui s’emporte par le vent, qui n’a rien de fixe ; qui manque de gravité, et,
par extension, qui a perdu la raison. » 1
Les fous s’égarent, ils divaguent comme la nef peinte par Jérôme Bosch. A côté de la plaque,
barré à l’ouest, leur esprit délire (du latin delirare, « sortir du sillon »).
Comment situer cette ligne de démarcation qui, une fois franchie, marque la distinction entre celui
qui a la raison, et celui qui l’a perdue ?
Les difficultés soulevées à l’examen des approches de la folie montrent qu’en l’occurrence, il
n’est pas de théorie absolument vraie qui puisse s’imposer par-dessus les autres avec une
certitude* définitive. Cela pose la question de savoir ce qu’est la connaissance, car si elle est
relative, en quoi les pensées folles seraient-elles moins vraies que n’importe quelles autres ?
A moins d’arriver à déterminer des critères précis, il semble bien que nous ayons à nous satisfaire
d’une relativisme* très subjectif, qui interdise de délimiter des catégories de « fou » et de « sain
d’esprit ». Alors peut-on affirmer que le fou, c’est celui qui n’est pas dans le vrai, dont l’esprit a
un fonctionnement faussé, l’amenant à faire des erreurs systématiques de jugement ?
Mais dans ce cas, quel est le critère de vérité d’une idée ? Qu’est-ce qui va permettre de dire
lesquels de nos raisonnements et de nos connaissances sont vrais et justes ? S’agit-il d’asseoir leur
légitimité sur l’idée de Dieu ? La folie équivaudrait-elle alors à être déconnecté de la source
divine de la connaissance ?
SPINOZA (1632-1677) distingue trois genres de connaissance :
- le premier regroupe la connaissance par ouie dire, et par l’« expérience vague » (la
perception sensible d’un objet singulier). Basée sur des faits disparates et dénués de liens
d’intelligibilité entre eux, cette tentative de connaître tire des « conséquences sans
prémisses ». Elle est douteuse et sujette à erreurs.
- La connaissance du 2ème genre est la démonstration* ou la déduction* conçue sur le
modèle mathématique. Les démonstrations saisissent l’essence, « elles sont les yeux de
l’âme par lesquels elle voit et observe les choses. »
- La connaissance du 3ème genre est l’intuition, appréhension directe de la vérité donnée à
l’intelligence par l’intuition*. Elle saisit l’essence de Dieu, qui est le principe dont tout
être et toute connaissance vraie découlent nécessairement.
« Les scolastiques partaient des choses, Descartes part de la pensée, moi je pars de Dieu. »
C’est donc sur ce premier principe que repose la légitimité de la déduction.
Afin d’établir le passage de la vérité logique à la vérité ontologique, il est présupposé un parallèle
exact entre l’ordre de la pensée rationnelle et l’ordre des choses.
« L’ordre et la connexion des idées est le même que l’ordre et la connexion des choses. » 2
DESCARTES (1596-1650) lui aussi a mis en doute la fiabilité de notre perception sensible. Il
pose comme principe premier « de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la
connusse évidemment être telle ; c’est à dire, d’éviter soigneusement la précipitation et la
prévention, et de ne comprendre rien de plus en mes jugements que ce qui se présenterait si
clairement et distinctement à mon esprit, que je n’eusse aucune occasion de le mettre en doute. »3
1 Mre Delacroix, Les racines et la signification des mots français, Belin Frères, Paris, 1901.
2 Baruch de SPINOZA, L’éthique, 1677. (II, 7)
3 René DESCARTES, Le Discours de la méthode, 1637. (2, 6)
18
Le critère de vérité d’une idée tient à ses caractéristiques intrinsèques : si une idée est claire et
distincte, elle est vraie. Il n’est pas nécessaire d’en référer à une quelconque extériorité à l’aune de
laquelle mesurer la justesse de nos pensées. Poussé à l’extrême, ce parti pris de l’idéalisme* peut
aller jusqu’au solipsisme, (qui m’apparaît comme une forme de délire) : « enfermé dans ma bulle,
toutes mes pensées ne relèvent que de mon monde interne, les choses n’ont d’existence que dans
la mesure où je suis là pour les penser, je produis tout, le sens réside en moi seul.» Par analogie,
cette idée ressemble à une conception de l’âme humaine en monade intrapsychique (« il agit ainsi
en circuit fermé, en raison de son histoire et de ses motivations profondes »). L’approche idéaliste
qui refuse de partir d’une réalité sensible recourt à Dieu, et opte pour la sacralisation d’une âme
déconnectée du corps, dont le rôle dans la connaissance n’est pas pris en compte.
Une optique rationaliste a quant à elle sa pertinence. Force est d’admettre que les canons de la
raison sont soumis à des principes logiques qui en sont comme l’armature. Ainsi, le principe
d’identité, (une chose est ce qu’elle est) et le principe de non-contradiction, (une chose ne peut pas
être le contraire de ce qu’elle est en même temps et sous le même rapport) sont des préalables
indispensables à toute tentative de connaître.
De là, un raisonnement est dit juste quand il allie des idées claires et distinctes de manière
cohérente. Doit-on en comprendre que la folie serait liée à un défaut de clarté, de cohérence et de
rationalité ? Ce défaut semble bien être un indicateur de folie. C’est patent dans le cas du « coq
à l’âne » du délire schizophrénique : diverses idées se succèdent les unes aux autres sans lien
logique entre elles, si bien que le discours nous apparaît comme dénué de sens.
Alors une pensée déliée serait-elle une caractéristique imputable en propre au délire ?
Il s’avère que non, car il est des convictions délirantes dont la construction est parfaitement
logique. Et l’on peut bien envisager qu’un fou soit convaincu de la grande clarté, distinction et
logique de ses propres pensées.
Eduardo CARRASCO RAHAL en témoigne dans le récit qu’il fait a posteriori de son
expérience psychotique, laquelle a duré plusieurs années. Il avait la conviction d’être richissime
alors qu’il était ruiné et à la rue. Il croyait qu’une très importante organisation secrète l’avait
choisi pour devenir son chef et l’observait d’abord, en le mettant à l’épreuve.
Il comptait le nombre de coups de klaxons qu’il entendait dans la rue pour en déduire des
interprétations quant à ce que cette organisation internationale pensait et attendait de lui. Cette
façon singulière de comprendre le monde était folle, comme il le dit lui-même dans son livre, et
elle s’étayait sur des démonstrations solidement construites. Lorsqu’il s’est fait interné plus tard,
alors qu’il était parti « très loin dans son délire », cela ne l’a pas empêché de dire au psychiatre :
« Je crois que ma place n’est pas dans un hôpital psychiatrique. Je connais les troubles mentaux
et je sais que je n’en présente pas les symptômes. Je sais que l’ignorance du caractère
pathologique des problèmes psychologiques est inhérente à certaines maladies, mais je sais aussi
que, dans ces cas-là, elles s’accompagnent de problèmes cognitifs, d’une altération du raisonnement et, comme vous pouvez le voir, ce n’est pas mon cas. »1
Cela met bien en évidence le fait que le fou peut être doué de raison, d’intelligence et de
cohérence. Il en va de même pour Kurt GÖDEL (1906-1978), loin d’en être dépourvu, il est
l’auteur du célèbre théorème d’incomplétude. Selon lui, il existe une réalité spirituelle
indépendante de l’esprit humain et perçue de façon très incomplète par lui.
Gödel s’est beaucoup penché sur le statut de l’existence des objets mathématiques. Pour lui, les
anges existent au même titre, dans cette réalité à part entière à laquelle on a incomplètement
accès, mais qui n’est pas moins fiable que nos perceptions du monde sensible. On peut
communiquer avec eux, au moyen de cette même intuition par laquelle les concepts
mathématiques nous sont donnés.
1 Eduardo CARRASCO RAHAL La place du fou, autobiographie d’une psychose, Denoël, 2006, p.151
19
Il reprend de Leibniz son système de monades qui reflètent un monde d’apparences illusoires, et
son principe de surdétermination qui bannit le hasard. Selon lui, tout fait qui se produit a non
seulement une cause nécessaire*, mais encore s’accompagne d’un faisceau de signes permettant
d’en dégager d’autres interprétations, en les articulant sur plusieurs registres différents à relier
entre eux. Dans cette perspective, toutes les petites « coïncidences » sont signifiantes, car voulues
par la monade centrale, Dieu. Ce grand logicien n’aurait donc sans doute pas trouvé fou de prêter
une signification secrète au nombre de coups de klaxons entendus, ou aux numéros des plaques
d’immatriculation aperçues. « Je sais qu’il faut garder l’œil pinéal entrouvert seulement, et que l’homme tient le milieu entre une bêtise amicale et une folie angélique.» 1
Là, la folie semble plutôt se situer dans un rapprochement avec Dieu.
Gödel était célèbre pour sa paranoïa. A sa mort il ne pesait plus que 31 kg, il avait cessé de se
nourrir par peur d’être empoisonné. Son hyperrationalité appliquée à la vie quotidienne l’a rendue
fou. La propension à décrypter des petits faits insignifiants en les chargeant de sens fait risquer un
glissement vers la folie. Mais n’est-ce pas ce que nous faisons tous, « plus ou moins » ? Il semble
bien que la rationalité, qui est considérée comme le propre de l’homme, soit commune aux fous et
aux sains d’esprit.
2) Hypothèse réaliste*
La nature comporte des causes et des effets qui s’enchaînent nécessairement les uns aux autres,
de même que nos raisonnements allient logiquement prémisses, propositions et conclusions. Pour
Emmanuel KANT (1724-1804), l’ordre naturel est le reflet de l’ordre rationnel : les catégories* a
priori de la sensibilité et de l’entendement donnent sa structure au monde connu.
A moins que ce ne soit l’inverse ? La qualité, la quantité, et plus généralement les concepts, sont
des idées abstraites. A partir de qui et de quoi ? Trouvent-elles leur source dans notre pré-
équipement cognitif, structurant toute notre connaissance, ou dans un réel qui nous pré-existe et
nous dépasse ?
Pour d’autres philosophes, dont ARISTOTE (-384 –322), il existe un réel plus ou moins
accessible, et un sens à y découvrir. L’objet de la connaissance est appréhendé par le biais de
notre perception d’une réalité sensible. Le corps et l’âme forment une seule et même substance, ce
qui permet d’asseoir la connaissance intellectuelle des réalités matérielles et la légitimité de
l’induction*. Dans cette perspective, nos concepts rejoignent les multiples formes sensibles qui se
succèdent, l’essence universelle et nécessaire étant en lien avec les substances particulières, au
moyen de l’abstraction* intellectuelle de ce qu’elles ont de commun. Ainsi, par exemple, la
définition abstraite de l’humain en général permet bien la connaissance d’une diversité d’hommes
en particulier. Les réalistes conviennent de cette façon qu’il existe une isomorphie entre les choses
à connaître et les connaissances que l’on en acquiert. C’est selon son rapport, degré de conformité
à ce réel que l’idée sera dite vraie, juste, ou pas. Le critère de vérité est donc extrinsèque à l’idée,
il réside dans sa plus ou moins grande adéquation à la chose réelle.
Alors de là, pourrait-on dire que le fou, c’est celui qui n’est pas dans la réalité ? Qu’en est-il,
quand quelqu’un se met à halluciner ? On est alors tenté de croire qu’il ne construit plus du tout
ses idées sur la base de ses perceptions. Quand au mépris de toute vraisemblance il voit et sent de
la poussière l’envahir de partout, on dit qu’il est fou. Mais en fait, il n’affirme qu’une chose : il
voit et sent de la poussière partout, et cette perception qu’il a est belle et bien réelle. Ce qui l’est
peut-être moins, c’est l’objet de sa perception, mais même si on demande à 50 personnes de venir
constater qu’elles voient comme nous et pas comme lui, on ne peut pas en être sûrs. Peut-être que
ces tonnes de poussière qu’il voit et que nous ne voyons pas ont autant d’existence que la réalité
que nous serons 51 à partager ?
1 Pierre CASSOU-NOGUES, Les démons de Gödel, logique et folie. Seuil, Paris, 2007, p.66.
20
Ce qu’est donc la réalité, c’est une vaste question.
S’agit-il d’être doté de sens commun pour arriver à l’appréhender ?
La folie tiendrait-elle alors à un manque de sens commun ?
« L'unique marque générale de l'aberration est la perte du sens commun (sensus communis), et à
la place un sens logique personnel (sensus privatus); par exemple, si un homme voit en plein jour sur sa table une lumière allumée que n'aperçoit cependant pas une autre personne également bien
placée pour cela, ou s'il entend une voix qui n'est entendue d'aucun autre. »1
« La maladie mentale, (…), en faisant de l’univers parallèle dans lequel vous êtes plongé le siège
de toutes vos références, est un moment d’un grand égocentrisme. (…) Vous devenez votre propre
système de références en toutes circonstances. » 2
Mais en quoi l’univers parallèle du fou serait-il moins réel, vrai et juste que le nôtre ? Une
même croyance à l’apparence très sensée, déplacée ailleurs en un autre temps y semblera
carrément absurde. La prise en compte des variations culturelles en fonction des sociétés a donné
naissance a l’ethnopsychiatrie. Tobie NATHAN insiste sur la nécessité de la « négociation d’un
référentiel commun au thérapeute et au patient, faute duquel le cadre thérapeutique ne saurait se constituer.» 3
Quelle valeur accorder au sens commun, éminemment variable en fonction des contrées ?
En vertu de quoi devrait-il s’imposer à nos façons de penser ? Maints philosophes ont précisément
tenté de le dépasser, remettant en question ce qui jusque là s’avérait établi.
"Tout le monde le disait. Loin de moi la pensée de soutenir que ce que dit tout le monde doive être
vrai. Souvent il arrive que tout le monde a raison, comme aussi que tout le monde a tort. D’après
la commune expérience, tout le monde a tort si fréquemment, et, la plupart du temps, il a fallu de
si fastidieuses recherches pour découvrir à quel point il a tort, qu’il vaut mieux admettre tout de
suite que son autorité est évidemment contestable." Charles Dickens
Le sens commun n’est pas à l’abri d’erreurs de jugement, comme le fait remarquer Edouardo
Carrasco Rahal, lui qui est la preuve vivante de ce que la folie n’est ni totale, ni définitive :
« Il y a deux caractéristiques essentielles dans la manière dont le commun des mortels voit
l’aliénation mentale (…).D’une part, celui qui est fou est jugé comme complètement fou, ce qui
signifie qu’aucune de ses paroles, aucune de ses idées n’est estimée valable. D’autre part, celui
qui été fou est considéré comme le restant à jamais. »4
Alors c’est peut être un simple référentiel commun qui fait défaut au fou, à moins que ce ne soit le
référentiel du fou qui manque aux sains d’esprit !
Invoquer le sens commun pour disqualifier une pensée sous prétexte qu’elle en serait
dépourvue paraît absurde et dangereux. Il y a fort à parier que ce sont souvent les plus puissants
ou nombreux qui décident de ce qui est sensé ou non. De grandes découvertes et avancées
scientifiques résident justement dans la performance d’une pensée qui va à l’encontre du sens
commun, mais il s’agit d’un exercice périlleux. Galilée fut condamné à la prison à vie pour avoir
affirmé que la terre n’était pas le centre immobile de l’univers. D’autres encore, dissidents
politiques ou hérétiques, en ont fait la dure expérience.
1 Emmanuel KANT, Anthropologie d’un point de vue pragmatique, 1798, p. 164
2 Eduardo CARRASCO RAHAL La place du fou, autobiographie d’une psychose. Denoël, 2006. p. 235
3 Tobie NATHAN, La folie des autres. Traité d’ethnopsyhiatrie clinique. Dunod, Paris, 2001, p. 168-169
4 Eduardo CARRASCO RAHAL La place du fou, autobiographie d’une psychose, Denoël, 2006., p. 154
21
Paul WATZLAWICK, dans son livre « Les cheveux du baron de Münchhausen », cite l'ouvrage
« Flatland », d'Edwin A. ABBOTT publié en 1952. Ce dernier raconte l'histoire d'un carré qui vit
dans un monde à deux dimensions. Une nuit, en rêve, il rencontre un monde à une seule
dimension, lineland. Il s'évertue alors à expliquer à une ligne ce qu'est un monde bidimensionnel,
en vain. Par la suite, il est confronté à l'hypothèse d'un monde tridimensionnel. Il n'y comprend
rien au départ, puis c'est l'illumination. Il cherche alors à convaincre ses compatriotes de
l'existence d'une réalité tridimensionnelle, mais il est pris pour un fou et condamné à la prison à
vie. Une prison qui ressemble fort à certains hôpitaux psychiatriques d'aujourd'hui nous dit P.
Watzlawick, qui en conclut:
« Ce que Flatland dépeint avec éclat est la complète relativité de la réalité. Sans doute l'élément
le plus meurtrier de l'histoire de l'humanité est-il l'illusion d'une réalité "réelle", avec toutes les
conséquences qui en découlent logiquement. Il faut par ailleurs un haut degré de maturité et de
tolérance envers les autres pour vivre avec une vérité relative, avec des questions auxquelles il
n'est pas de réponse, la certitude que l'on ne sait rien et les incertitudes résultant des paradoxes.
Mais si nous ne pouvons développer cette faculté, nous nous relèguerons, sans le savoir, au
monde du grand inquisiteur, où nous mènerons une vie de mouton, troublée de temps à autre par
l'âcre fumée de quelque autodafé ou des cheminées d'un crématoire »1
On conçoit donc que le fou puisse déranger l’ordre établi, car il dénonce, par sa façon d’être au
monde, la fragilité de nos réalités. Dès lors, les perceptions et les pensées du fou ne peuvent être
dites erronées, mais juste différentes, car il semble exister des réalités différentes et toutes aussi
légitimes les unes que les autres.
Néanmoins, cela ne risque t’il pas d’annuler la possibilité d’une connaissance vraie, si chacun
est libre de penser tout et n’importe quoi ? A quoi peut-on se référer ?
Il existe une autre hypothèse, qualifiable de réalisme « modéré » qui, tout en mettant des bémols à
la valeur de la connaissance, ne l’annihile pas pour autant. Si se targuer d’une connaissance vraie
n’est pas toujours possible, du moins pouvons-nous viser une connaissance vraisemblable*.
Les scolastiques, commentant Aristote, ont distingué différentes formes de connaissance et
degrés de vérité, selon diverses méthodes qui s’adaptent à leur objet (critère réaliste).
« Il est d'un homme cultivé de ne chercher l'exactitude pour chaque genre de choses que dans la
mesure où la nature du sujet le permet. Il serait aussi déraisonnable d‘exiger d'un mathématicien
des arguments persuasifs que d'un orateur des démonstrations exactes »2
Selon cette idée, il n’est pas possible de connaître de la même manière une équation
mathématique, un moteur de voiture et un bébé. Si l’équation mathématique a quelque espoir de
s’avérer définitivement vraie, si le mécanicien peut être assez sûr de l’origine de la panne et de la
pertinence de sa réparation, dans le domaine de l’attachement et des relations humaines il
convient d’être humble et prudent. Nous sommes dans le champ de la contingence* et du
probable, où nous prenons nos décisions et conduisons nos existences à la boussole de l’ « ut in
pluribus » (ce qui nous paraît se produire le plus souvent), fondée sur notre expérience
personnelle et par ouie dire.
Implicitement, la façon dont nous avons appris à comprendre le monde, nos cadres de références,
croyances, valeurs, sont sans cesse à l’œuvre, influant sur ce que nous pensons et percevons du
monde, et orientant le cours de nos vies.
Par exemple, comprendre et interpréter les pleurs d’un bébé de manière adaptée fait intervenir
des variables fort complexes. En même temps que nous croyons découvrir qu’il pleure, une fois
encore, parce qu’il est d’un naturel triste et déprimé (qui pourrait être le nôtre que nous projetons
sur lui…), le bébé apprend à rattacher ses émotions à ce sentiment que nous nommons pour lui.
1 Paul WATZLAWICK, Les cheveux du baron de Münchausen, psychothérapie et « réalité », Seuil, 2000. p.125
2 ARISTOTE, Éthique à Nicomaque (I, 1)
22
Le langage structure sa perception, et ce qu’il perçoit structure son langage. Nous lui apprenons
ainsi à donner un sens à ce qu’il sent, perçoit et vit.
Il faut qu’il puisse rattacher ce discours à ce qu’il éprouve et se retrouver au travers du miroir que
nous lui tendons, pour se construire dans une réalité commune.
Les mathématiques ne permettent pas de résoudre les problèmes sociaux, et de prendre des
décisions éthiques et politiques. Il convient de recourir à l’argumentation dialectique*, qui repose
sur des prémisses probables issues de notre expérience personnelle. L’art de persuader est un
processus par lequel nous pouvons trouver du sens à nos vies. Ce sens émerge sous forme de
discours que nous nous adressons les uns aux autres. La rhétorique est une méthode pratique de
connaissance vraisemblable qui vise le bien vivre ensemble. C’est ce qui fait dire à Michel
MEYER, philosophe éthique et problématologue :
"(…) l'interrogativité est l'expression de ce qui divise et sépare les interlocuteurs, comme une
seule réponse est ce qui les rassemble. Ils auront alors une conviction commune, comme on dit
généralement. Dès lors, la rhétorique est la négociation de la distance entre les sujets à propos
d'une question. Ce sont les problèmes qui séparent les hommes, mais aussi ce qui fait qu'ils se
groupent pour pouvoir (mieux) les résoudre. La rhétorique rejoint ainsi la science politique." 1
Cette marge d’incertitude qui empêche toute prédiction infaillible est aussi une marge de
manœuvre, que le constructionisme s’emploie à utiliser.
3) Hypothèse constructioniste*
Paul Watzlawick fait une distinction entre « réalité de 1er ordre » (faits observables par tous
hors interprétations personnelles, par exemple qu’un tel a une jambe en moins), et la « réalité de
second ordre », qui regroupe toutes les représentations et interprétations construites au sujet des
faits. Par un travail portant sur les représentations (réalité de second ordre), on peut recadrer la
réalité quand celle-ci pose problème.
L’une des illustrations de ce qu’est le recadrage, ou l’art de trouver un nouveau cadre de
référence, est une mésaventure de Tom Sawyer qui tourne à son avantage. Il est puni, et contraint
de passer sa journée à repeindre des barrières. Le plus pénible pour lui est de penser que ses amis
vont aller se baigner et s’amuser sans lui. Un copain vient à passer, et plutôt que de se plaindre à
lui, il lui dit : (Cf. le dialogue écrit par Marc Twain)
«- Si j’aime ça ? Et pourquoi je n’aimerais pas ? Est-ce qu’un garçon comme nous a l’occasion de
passer une clôture à la chaux tous les jours ? L’affaire parue sous un jour nouveau (…)Tout d’un
coup, Ben dit :- Eh, Tom, laisse-moi passer un peu de chaux. »
Paul Watzlawick commente : « Vers la moitié de l’après-midi, la palissade a déjà trois couches
de chaux et Tom a littéralement les poches pleines : les garçons, les uns après les autres, ont donné leurs trésors pour avoir le privilège de peindre une partie de la clôture. Tom a réussi à
recadrer la notion de corvée pour en faire un plaisir que l’on doit payer, et tous ses amis ont
accepté ce changement dans sa définition du réel. » 2
Cette définition souple de la réalité rejoint une idée chère aux stoïciens : si tu ne peux pas
changer les choses, change la vision que tu t’en fais. Le constructionisme innove, en insistant sur
le fait que cette marge de manœuvre quant à nos représentations contribue à créer la réalité.
Selon K. J. GERGEN, la réalité existe au travers des liens que nous tissons avec les autres, elle
renvoie aux représentations que nous co-construisons ensemble. Le constructivisme* (Piaget,
Maturana, J.L Lemoigne) avait remis en cause l’objectivité en disant que chacun construit sa
propre version du monde ; le constructionisme franchit un pas supplémentaire en considérant cette
1 Michel MEYER, Problématologie et argumentation ou la philosophie à la rencontre du langage
http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/2042/15162/1/HERMES_1995_15_145.pdf
2 P.Watzlawick, J.Helmick Beavin et R.Fisch, Changements, Paradoxes et psychothérapies, Seuil, 1975.
23
construction comme essentiellement relationnelle. Toute action est dès lors à penser comme une
mise au travail de nos représentations mutuelles. Il s’agit de saisir « la possibilité, qui s’offre à
chacun de nous, d’exister simultanément dans des réalités multiples. » 1
« (…) intrinsèquement le sens d’une énonciation est indécidable (…). La signification de cette
énonciation est une réalisation temporaire, née d’un moment de collaboration. »2
Les mêmes comportements (réalité de 1er ordre) peuvent donc être revisités différemment, dans
une tentative de faire émerger ensemble une nouvelle signification (réalité de second ordre). Que
celle-ci soit plus ou moins vraie n’a pas d’importance. Ce qui compte c’est la façon dont chacun
va s’en saisir, et comment elle va s’avérer opérationnelle ou non. Il s’agit d’un tout autre critère
de vérité dans cette vision existentielle, phénoménologique et pragmatique : « Ce qui nous
intéresse pour chaque affirmation sur la vérité, c’est de savoir ce qu’il adviendra de notre vie si
nous la prenons au sérieux. »3
Boris CYRULNIK dit qu’« il faut frapper deux fois pour faire un traumatisme. Le premier coup,
dans le réel, provoque la douleur de la blessure ou l’arrachement du manque. Et le deuxième,
dans la représentation du réel, fait naître la souffrance d’avoir été humilié, abandonné. »4 :
« le premier, dans le réel, c’est la blessure ; le second, dans la représentation du réel, c’est l’idée
que l’on s’en fait sous le regard de l’autre. Ce second coup qui semble être « le coup de grâce » peut se manifester dans la représentation qu’a l’entourage, du traumatisme vécu par le patient.
Ce n’est pas le traumatisme qui invalide mais sa représentation. On pourrait élargir en disant
que ce n’est pas le handicap qui est le plus difficile à supporter pour les personnes handicapées,
mais la représentation qu’ont les valides du handicap, véhiculée par le regard et la parole. »5
Nous nous co-définissons les uns les autres, le sentiment d’appartenance et d’identité étant
indissociables l’un de l’autre. Jean-Paul GAILLARD6, thérapeute et superviseur systémicien,
raconte comment nos manières de donner du sens à nos actes relationnels, nos codes de
communication et d’interprétation (qu’il nomme nos « danses ») de professionnels, assènent
parfois aux usagers des « petites claques sur la tête » qui veulent dire : « Moi, éducateur, psy,
etc. ; Toi fou, handicapé, malade, etc. », afin de nous assurer de notre réalité : « moi pas fou, pas
handicapé, pas malade. ». Ces rituels sociaux permettent la stabilisation de nos identités
respectives, parfois à l’avantage des uns, qui veulent imposer leur réalité au détriment des autres.
Ainsi des blouses blanches portées dans les services médicalisés, dont on pourrait parfois penser,
aux vues des tons utilisés pour communiquer, qu’elles donnent aux soignants le statut de parents,
et aux patients celui d’enfants.
Le contexte qui englobe les relations est très important. Jean-Paul Gaillard dit que lors d’un
changement de cadre, par exemple une sortie au restaurant avec des résidants, eux qui se tiennent
mal à l’intérieur de l’institution se mettent d’un coup à se comporter d’une manière adaptée. Les
éducateurs étant soumis comme eux aux codes en usage au restaurant, cela redéfinit des relations
symétriques les autorisant à adapter différemment leurs comportements et leurs communications.
En de tels recadrages résident ce que Gaillard appelle « les miracles furtifs ».
Il est des cadres de référence plus ouverts que d’autres, et selon la société au sein de laquelle
on vit une crise psychique, nous subirons un traitement et une évolution très différents. « Tandis
que le chaman des sociétés primitives est respecté des siens, chez nous on enferme les
prophètes ». (Le Monde, 1er mars 1974)
1 Kenneth J. GERGEN, Construire la réalité, Seuil, Paris, 2005, p.34
2 Ibid, p. 76
3 ibid, p. 53
4 Boris CYRULNIK, Les vilains petits canards, Odile Jacob, 2004, 241 p.
5 Michel MAESTRE, Entre résilience et résonance, à l’écoute des émotions, 2002
6 Jean-Paul GAILLARD, L’éducateur spécialisé, l’enfant handicapé et sa famille, ESF, Paris, 2000, 160 p.
24
Georges LAPASSADE, anthropologue, raconte comment des comportements similaires sont
interprétés différemment selon la société dans laquelle ils apparaissent. Par exemple la « fugue
dissociative » du DSM IV 1 apparaît comme une crise initiatique de futur chaman dans des
sociétés primitives.
« Il y a dissociation passive lorsque le futur chaman vit une crise qu'on appelle initiatique et qui
en fait est d'abord pré-initiatique: elle se manifeste par des troubles du comportement divers qu'on interprète comme les signes d'une vocation. On a parlé à ce propos d'un "recrutement par
la maladie". Ces signes varient selon les cultures; mais, en même temps, ils peuvent parfois évoquer des comportements universels : pour ne citer ici qu'un exemple, on indique souvent que
l'adolescent qui deviendra chaman "fugue dans les bois".Or, la fugue est considérée en
psychopathologie comme l'un des états dissociatifs les plus connus, les mieux identifiés, et ceci
depuis déjà la fin du XIXe siècle. (…) le processus fondamental est le passage d'une dissociation
"sauvage" à une dissociation maîtrisée au point de devenir la base d'une profession. Et dire que
ces "esprits alliés", ou "auxiliaires", sont en quelque sorte la métaphore d'une dissociation
contrôlée de l'identité est tout aussi valable pour le chaman que pour le médium : tous deux
fondent leur activité professionnelle sur cette dissociation contrôlée. » 2
Il est très intéressant de constater que l’évolution de cette crise dépend intimement du sens que
la communauté où elle émerge peut lui donner. Cette prise de conscience s’ébauche lors de
l’instauration de la psychiatrie de secteur, elle est pleinement à l’œuvre dans le mouvement de la
psychothérapie institutionnelle. Un cadre fait de relations inter-personnelles stables, au sein d’une
communauté qui nous reconnaît notre statut de digne sujet humain permet alors, selon les termes
de Georges Lapassade, de transformer une dissociation subie en une dissociation maîtrisée.
L’impact du modelage social des formes de folie est tel qu’« A force de décrire les formes de
« maladie » dans les médias, les programmes d’éducation, les conversations publiques, etc., les
symptômes en viennent à servir de modèles culturels. En fait, la culture apprend à devenir
malade. Après avoir été reconnues publiquement, voyez aujourd’hui l’expansion de l’«anorexie »
et de la « boulimie », hier encore des « désordres alimentaires ». La « maladie » a été tellement
décrite dans les médias qu’elle n’a pas tardé à donner un mode d’expression à tout adolescent
mécontent. (…) C’est dans cet esprit que Thomas Szasz (1961) a conclu que l’hystérie, la
schizophrénie et les autres désordres mentaux sont une « imitation » stéréotypée de la personne
malade, adoptée par ceux qui se trouvent confrontés à des problèmes insurmontables dans la vie
courante. »3 p 168-169
Les modèles culturels dominants ont un impact sur les formes d’expression de la maladie
mentale. Celles-ci me semblent avoir toutes pour point commun d’indiquer une difficulté à
s’inscrire dans le cadre relationnel et social d’un discours partagé. L’intégration sociale du fou
dépend donc clairement de la capacité de son entourage à le tolérer dans sa singularité en
acceptant de se remettre en question, car il porte aussi la responsabilité de cette réalité qu’il co-
construit avec lui.
Tout le problème est d’arriver à donner du sens à la réalité de nos existences, en relation avec
d’autres et en devenir. C’est aussi ce que tente de faire le fou. Paul Watzlawick rend compte du
glissement vers un délire de persécution de la manière suivante : « Aux prises avec l’absurdité
intenable de la situation dans laquelle il est pongé, un individu peut en conclure qu’il laisse
échapper certains indices essentiels, inhérents à cette situation ou présentés par son entourage.
Comme il est évident que pour les autres, la situation est parfaitement logique et cohérente, il
pourrait y trouver des arguments supplémentaires en faveur de sa dernière supposition.
1 Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, 1996
2 Georges LAPASSADE, Approche anthropologique de la dissociation et de ses dispositifs inducteurs, 2004
http://www.barbier-rd.nom.fr/lapassadedissociation.pdf
3 Kenneth J. GERGEN, Construire la réalité, Seuil, Paris, 2005, 249 p.
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La possibilité que les autres lui cachent délibérément ces indices essentiels ne serait qu’une
variante du même thème. De toute manière, et c’est là le point crucial, il sera obsédé par le
besoin de découvrir ces indices, de donner sens à ce qui se passe en lui et autour de lui, et il finira par se trouver contraint de scruter les phénomènes les plus invraisemblables et les plus dépourvus
de rapport avec sa situation pour y trouver indice et sens. »1
La réalisation humaine réside dans l’insertion en un tissu relationnel qui donne du sens à nos
vies. Il semble que ce droit doive être reconnu au fou, qui à sa façon ne fait rien d’autre que de
chercher un sens à ce qu’il vit, tout comme nous. L’enjeu est de taille : « C’est à travers le
processus du sens que l’on devient humain » Robert KEAGAN (cité par Gergen).
CONCLUSION
A quoi tient donc le décalage entre « bon sens » et « folie » ?
Aux vues de la complexité de la vie, humaine a fortiori, et de la variété des formes de ce que l’on
nomme « folie », cette question avait peu de chance de trouver une réponse simple et univoque.
Cette réponse varie en fonction des milieux culturels et des visions du monde, qui influent eux-
mêmes sur l’évolution des formes de folie ! Nos théories sont inséparables du contexte au sein
duquel elles s’expriment, le contexte renvoyant étymologiquement à « ce qui est tissé ensemble ».
Nos identités respectives et nos réalités humaines tiennent aux représentations que nous tissons
ensemble.
L’accompagnement de personnes très éloignées des codes sociaux en vigueur demande de
prendre des décisions, de faire des choix. Doit-on exiger la conformité absolue et à tout prix, en
tâchant de faire plier la personne aux canons de la normalité ? S’agit-il alors d’être plus ou moins
dans le vrai, rationnel, cohérent, réaliste ? Si continuum du "normal" au "pathologique" il y a, ce
serait plutôt entre l’individualité marquée du fou, son microcosme relationnel et la pensée
dominante d’une société donnée, que se balade le curseur de la santé mentale. Nous sommes
foncièrement des animaux socio-politiques, tributaires d’un cadre auquel se référer. Il y a ceux qui
arrivent à s’y inscrire sans que ça leur coûte trop cher, d’autres qui sont dans des dimensions très
personnelles et peu partagées. Et tous humains.
La folie est-elle une tare ancrée dans l’individu, ou tient-elle à un environnement qui l’oblige à
se déséquilibrer pour s’y adapter ?
« Les plaintes de la société ou celles des proches du « malade » (…) devraient être traitées
autrement. Généralement, en effet, une fois que l’Autre a présenté une plainte concernant une
personne proposée comme patient, c’est par un examen limité à cette personne même que le psychiatre jugera du bien-fondé de la plainte apportée par l’Autre. (…) La psychiatrie classique
s’interdit de se poser ce genre de questions, par le fait même qu’elle définit médicalement la folie
comme existant à l’intérieur de la personne examinée. Cette croyance en une folie logée dans
l’individu est partagée par les malades et leurs familles. »2
Des psychanalystes ont supposé un stade du développement où nous serions indépendants,
mettant un « narcissisme primaire » à la base de la monade intra-psychique.
Dans cette optique nous aurions un sentiment d’existence en soi, par soi et pour soi, en dehors de
toute relation à des personnes extérieures. Mais peut-on faire ainsi abstraction de notre condition
de sujet fondamentalement immergé dans des réalités relationnelles ?
1 P. Watzlawick, J. Helmick Beavin et Don D. Jackson, Une logique de la communication, Seuil, 1972 p. 218
2 Maud MANNONI, Le psychiatre, son « fou » et la psychanalyse, éditions du Seuil, Paris, 1970. p. 25
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L’analyste neutre se considère comme à distance et fait abstraction de lui-même dans sa relation
à son patient. La théorie qui en découle fait la part belle au sujet, mais sujet de qui, de quoi ?
La psychanalyse a d’abord mis l’accent sur l’intra-psychique, Balint la recentre sur « les relations
d’objet » :
« Je crois qu’il serait beaucoup plus simple d’admettre que la relation avec l’environnement
existe sous une forme primitive dès le début et que l’enfant peut prendre conscience de toute modification importante survenue dans son environnement et y réagir. »1
« Commençons par les données biologiques : nous savons que le fœtus est extrêmement dépendant
de son environnement (…) Si nous faisons de cette situation biologique un modèle pour la
répartition de la libido au cours de la vie fœtale, c’est à dire une condition psychologique, nous
en arrivons à formuler l’hypothèse que l’investissement de l’environnement par le fœtus doit être
très intense (…). Toutefois cet environnement est sans doute indifférencié ; d’une part il ne
contient pas encore d’objets ; d’autre part il n’a presque pas de structure, notamment pas de
limites tranchées par rapport au sujet ; l’environnement et l’individu s’interpénètrent, ils
coexistent en un « mélange harmonieux ». Un exemple important de ce mélange harmonieux par
interpénétration (monious interpenetrating mix-up) nous est fourni par le poisson de la mer (…) Il est vain de se demander si l’eau qui est dans les branchies du poisson fait partie de la mer ou
du poisson ; il en est exactement de même pour le fœtus. Le fœtus, le liquide amniotique et le
placenta constituent une interpénétration si complexe du fœtus et de l’environnement-mère que
leur histologie et leur physiologie font partie des questions les plus redoutées aux examens de médecine. » 2
Cette phase de "mélange harmonieux" ou "phase des substances primaires" précède la relation à
des objets primaires organisés, mais plutôt que d’absence de relations, il s’agit d’un état de pure
immersion relationnelle. Nous voyons d'abord le monde au travers des représentations subjectives
de nos parents. Ils nous donnent jusqu'au mode d'emploi de notre propre corps, en parlant nos
émotions et ressentis pour nous. ("Tu as peur, froid, tu es fatigué, triste, ... C'est normal, pas
normal,… C'est parce que..."). Un bébé à la naissance ne dispose pas encore de ses propres filtres
et discours pour penser, il s'en remet entièrement aux adultes qui l'accompagnent. Il ne peut
construire son intériorité que dans une relation avec une autre intériorité construite, à laquelle il va
s'attacher. Il s’agit de parvenir à lier nos réalités de 1er et de second ordre, nous tous en lien les uns
avec les autres par un dialogue ouvert. Dans l’amorce de ce processus se déjoue le décalage entre
folie et sens partagé. Il s’agit d’arriver à se construire en lien avec d’autres personnes, qui nous
relient à l’humanité et à la loi.
Laurent MUCCHIELLI, citant MOSCOVICI parle de considérer « l’individu comme « un sujet
qui cherche à donner un sens cohérent aux données de son univers intérieur et extérieur » », et,
citant Christian DEBUYST, d’« un individu par conséquent « porteur d’un point de vue particulier qui dépend à la fois de la position qu’il occupe dans un cadre social donné, de
l’histoire qui a été la sienne, des projets autour desquels son activité s’organise et éventuellement
des éléments propres qui peuvent caractériser sa personnalité ». » 3
Vraisemblablement, si Pierre Rivière a tué sa mère, sa sœur et son frère, c’est que lui, tel qu’il
était au sein de cette famille-là, y a trouvé ce sens-là. Visiblement, puisqu’il s’est pendu, n’a t’il
pas non plus trouvé de sens à sa vie une fois un tel geste accompli. Les interdits de meurtre et
d’inceste sont la base préalable nécessaire à toute vie en société, à toute possibilité d’inscrire nos
vies humaines dans une dimension sensée. Car nous sommes tributaires les uns des autres afin d’y
parvenir.
1 Michael BALINT, « Le défaut fondamental- Aspects thérapeutiques de la régression »
(paru en 1968, traduit chez Payot en 1971, 1991 et 2003). p. 103 2 Michael BALINT, op. Cit. p. 110- 111
3 Laurent MUCCHIELLI, Quelques interrogations épistémologiques sur la psychiatrie criminologique
française (à partir d'un ouvrage récent), 1999. http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.mul.que
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« A moins d’avoir à faire à un enfant sauvage, ou à un cerveau sévèrement endommagé, même un
individu physiquement isolé (une personne âgée grabataire ou un prisonnier confiné dans l’isolement, par exemple) est immergé dans les relations. Sans une histoire de relations, il n’y
aurait véritablement aucun moyen de donner du sens à sa propre condition. »1
Kenneth J. GERGEN propose une nouvelle définition du soi comme co-création sociale issue de
nos relations. Ainsi, chacun dispose d’une multiplicité de versions de soi, qu’il actualise en
fonction des caractéristiques de son environnement.
Dans cette optique, les distinctions entre sujet et objet n’ont pas lieu d’être, pas plus qu’il n’existe
de soi isolé et unifié. Lorsqu’on décrit une personne ou un groupe de personnes, on ne le fait pas
tels qu’ils sont objectivement. Cette réalité repose sur la relation qui nous relie à eux.
Les modèles de compréhension que nous élaborons impliquent une redéfinition de nous-
mêmes, de ce qu’est l’humain immergé dans son rapport au monde.
« La philosophie est l’ensemble des questions où celui qui questionne est lui-même mis en cause
par la question. » 2
Moi qui questionne la folie, la réponse que je vais apporter impliquera que je me redéfinisse par
rapport à elle, et que cela soit cohérent avec mes valeurs et croyances. Cela achève d’oblitérer
toute objectivité, et toute certitude de pouvoir donner définitivement la seule bonne réponse.
Mieux, cela laisse supposer qu’il peut y avoir autant de réponses que de personnes, pourvu
qu’elles se rejoignent !
Quelle base commune pour nous permettre de nous retrouver, et de construire des vies humaines
sensées ? Michel MEYER, l’explique : pas de vérité absolue qui s’impose à tous en matière de
relations et de conduites humaines, nous sommes alors dans le domaine du vraisemblable où la
marge de manœuvre est rhétorique. A chacun et à tous de choisir d’actualiser plutôt telle ou telle
facette de son soi, de la manière qui lui semble la plus sensée en lien avec l’environnement
relationnel dans lequel il est. Peu importe, dès lors, la voie empruntée, pourvu qu'elle fasse sens.
Il est possible de co-générer bien des significations. Aux Etats-Unis, un groupe de personnes
diagnostiquées schizophrènes s’est redéfini une nouvelle identité : celle de personnes dotées d’une
sensibilité particulièrement intense. Il s’agit d’arriver à décaler et ajuster nos réalités respectives
de manière adéquate. Cela peut se faire selon un rapport plus ou moins heureux, ce qui nous
rappelle à une dimension éthique et politique incontournable.
Les « fous », et nous mesurons combien l’usage de tels mots est discutable, sont des êtres
humains en quête de sens, à leur manière singulière, et comme tous les autres.
Il en va de notre responsabilité de respecter leurs visions du monde, ils ont le droit d’être décalés
par rapport aux façons communes de penser. Il n’y a que quand ils portent atteinte à leurs droits et
à ceux des autres qu’on peut leur imposer un cadre contenant, non sans les respecter, les soigner,
et les inviter à co-créer une réalité sensée dans laquelle ils puissent se retrouver. Au-delà des
caractéristiques singulières qui nous différencient et nous individualisent, se trouve cette humanité
portée de tant de façons différentes, mais qui se rejoignent. Merci aux « fous » de contribuer à
enrichir nos expériences et connaissances vraisemblables des formes d’humanité possibles, et
réflexions sur les sens à donner à nos vies.
1 Kenneth J. GERGEN, Construire la réalité, Seuil, Paris, 2005, p. 245
2 MERLEAU-PONTY, Le visible et l’invisible, Gallimard, 1979
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BIBLIOGRAPHIE
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- Edouard Zarifian, Les jardiniers de la folie, Odile Jacob, 240 p.
30
GLOSSAIRE
Abstraction : Opération intellectuelle qui consiste à isoler par la pensée l’un des
caractères d’une chose et à le considérer indépendamment des autres. Produit de cette opération.
Dans l’optique d’Aristote il s’agit d’isoler les traits constamment présentés d’un individu à l’autre
d’une même espèce pour approcher une connaissance de sa nature.
Béhaviorisme : Conception de la psychologie comme science du comportement observable, sans
référence à la conscience.
Catégories : Concepts très généraux exprimant les diverses relations que nous pouvons établir
entre nos idées. (quantité, qualité, relation, lieu, temps ; etc.)
Causalité : Le principe de causalité s’énonce comme suit : « Tout a une cause, et dans les mêmes
conditions la même cause est suivie du même effet. »
Certitude : Caractère de ce qui est certain (assurément vrai)
Cohérence : Adhésion réciproque de deux choses, connexion d’une chose avec une autre. Liaison
d’un ensemble d’idées formant un tout logique.
Contingent : S’oppose à nécessaire. Qui n’a pas de nécessité logique.
Constructivisme : Epistémologie de la science des systèmes observants-observés qui affirme
l’importance de la relation subjective dans l’acte de connaître. Ensemble des courants de pensée
au sein desquels les représentations et les connaissances sont vues comme un produit de
l’entendement humain.
« Théorie issue de Kant selon laquelle la connaissance des phénomènes résulte d’une construction
effectuée par le sujet. » « Les travaux de Jean Piaget ont mis en lumière (…) les opérations de
l’intelligence dont résultent les représentations du monde. » (J.M Besnier, Les théories de la
connaissance, PUF, 2005)
Constructionisme : Mouvement de pensée selon lequel les hommes construisent leurs
connaissances par une entreprise active de participation à la vie de relation.
« Je communique donc je suis. »
Déduction : Passage d’une ou de plusieurs propositions considérées en elles-mêmes, à une
proposition qui en est la conséquence nécessaire. La déduction formelle a sa conclusion
implicitement contenue dans les principes ; la déduction constructive ou démonstration est celle
dans laquelle la conclusion constitue un gain pour la pensée théorique.
Démonstration : Raisonnement par lequel on établit la vérité d’une proposition à l’aide de
postulats, de définitions, d’axiomes et de propositions établis antérieurement.
Déterminer : Conditionner d’une manière nécessaire.
Dialectique : Qui est propre à l’art de la discussion ou du raisonnement. Chez Kant, les arguments
dialectiques sont seulement probables, ils sont cohérents mais ne s’appuient sur rien de réel.
Epistémologie : Etude de la connaissance scientifique, de ses formes et procédés du point de vue
critique, c’est à dire du point de vue de sa valeur.
31
Evidence : Caractère de ce qui se présente clairement et distinctement à l’esprit.
Idéalisme : Conception selon laquelle la réalité est identique à la connaissance que nous en avons,
et où l’idée est posée au fondement de l’être. « Je pense donc je suis » (Descartes) Systèmes qui
ramènent l’être à la pensée. L’idéalisme transcendental « considère les phénomènes, tous
ensemble, comme de simples représentations ». (Kant, Critique de la raison pure, Dial., I,2)
Induction : Opération qui consiste à passer des faits à la loi et de cas singuliers à une proposition
plus générale. Induction formelle, aristotélicienne ou complète : fondée sur l’énumération
complète des espèces d’un genre ou des individus d’une collection.
Induction amplifiante ou baconienne : étend à tout un genre ce qui a été constaté dans un certain
nombre de cas singuliers.
Intuition : Mode de connaissance immédiat, indépendant de la raison, qui atteint directement
l’intelligence et s’impose à elle sans découler d’une proposition. Elle est chez certains penseurs
mise au fondement de la connaissance, c’est sur elle que se basent nos raisonnements (ainsi de
l’intuition des êtres mathématiques chez Kurt Gödel).
Mesure : Rapport d’une grandeur à une autre grandeur prise comme unité.
Nécessaire : Qui ne peut être ni autrement, ni ne pas être.
Objectivité : Caractère d’une pensée qui représente(rait) la réalité telle qu’elle est en elle-même.
Paradigme : Mode d’explication et cadre conceptuel dominant adopté par un chercheur ou une
communauté scientifique (Ex. le béhaviorisme).
Raison : « Puissance de bien juger » (Descartes).
Kant distingue la raison de l’entendement en la nommant « faculté des principes ».
Rationalisme : Système qui fonde la valeur de la connaissance sur la seule raison, par opposition
aux systèmes fondés sur l’expérience sensible.
Rationnel : Qui se rapporte à la raison
Réalisme : Conception de la connaissance comme découverte des propriétés de l’univers existant
objectivement et indépendamment de leur représentation. Ces propriétés objectives sont
extérieures à la conscience, elles déterminent les représentations.
Relativisme : Doctrine épistémologique selon laquelle la connaissance dépend du sujet ou de la
société, et ne peut prétendre à une vérité absolue qui s’imposerait à tous.
Vraisemblable : Qui a l’apparence de la vérité. Plausible, probable.