Féodalité et Bourgeoisie Bohême : tempête hussite et...

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« Sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire. » (Lénine, 1902, Que faire ?) Les dossiers du PCMLM Féodalité et Bourgeoisie Bohême : tempête hussite et révolution taborite Parti Communiste Marxiste-Léniniste-Maoïste de France

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« Sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire. »

(Lénine, 1902, Que faire ?)

Les dossiers du PCMLM

Féodalité et Bourgeoisie

Bohême : tempête hussite et révolutiontaborite

Parti Communiste Marxiste-Léniniste-Maoïste de France

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Table des matières1. Affirmation historique de l'averroisme politique..............................................................................22. Defensor pacis, de Jandun et Marsile de Padoue..............................................................................33. La confluence de Wyclif l'averroiste politique et des oppositions laiques populaires.....................54. Prague, ville doree............................................................................................................................75. Predications pragoises......................................................................................................................96. Thomas Stitny, vers le protestantisme............................................................................................117. Implosion suite a la contradiction noblesse-royaute.......................................................................138. Apparition du hussitisme................................................................................................................159. La tempete hussite..........................................................................................................................1610. Soulevements plebeien et taborite................................................................................................1811. La guerilla des charriots................................................................................................................2012. L'effervescence populaire taborite................................................................................................2113. Le communisme taborite..............................................................................................................2314. Écrasement du communisme taborite...........................................................................................2415. Ecrasement du mouvement plebeien praguois et succes hussites................................................2516. L'effondrement faute de direction revolutionnaire.......................................................................2717. Épilogue et prelude de la guerre des paysans en Alllemagne.......................................................2918. Le Manifeste de Prague de Thomas Muntzer...............................................................................30

1. Affirmation historique de l'averroismepolitique

Prenons un pays qui est tres avancé al'époque médiévale. Prenons ses classes socialeset considérons les toutes comme hautementcombatives.

On a alors la situation en Boheme au débutdu XVe siecle : la royauté puissante luttantpour établir la monarchie absolue, la noblessetentant d'arracher au clergé ses propriétésterriennes, la bourgeoisie essayant d'arracher desprérogatives aux patriciens par ailleurs puissantsdans les villes, les artisans et commercantsbataillant pour s'affirmer...

Et, plus de 350 ans avant Gracchus Babeufen France, une plebe en quete d'une républiquesociale. Cela donna, il y a six cent ans de cela,des masses issues de tisserands, d'artisans, depaysans, pratiquant la guerre de guérilla pourétablir l'égalité sociale la plus complete, dans lecollectivisme.

C'est une période formidable, d'uneimportance historique capitale. D'ailleurs, latempete hussite – terme venant de Jan Hus,prédicateur rejetant la hiérarchie au sein del’Église, ainsi que l'intervention politique decelle-ci – pava directement la voie a MartinLuther.

A coté de Martin Luther, on trouveraégalement Thomas Muntzer, l'autre titan de laRéforme allemande, qui développait des themescollectivistes directement en référence a larévolution « taborite », du nom d'une colline deBoheme ou les paysans en armes avaient établiune communauté égalitaire.

Friedrich Engels parle ainsi de ce siecle :

« C'est l'époque qui commence avec ladeuxieme moitié du XVe siecle. La royauté, s'appuyant sur lesbourgeois des villes, a brisé la puissancede la noblesse féodale et créé les grandesmonarchies, fondées essentiellement sur lanationalité, dans le cadre desquelles sesont développées les nations européennesmodernes et la société bourgeoisemoderne; et, tandis que la bourgeoisie et

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Boême : tempête hussite et révolution taborite

la noblesse étaient encore aux prises, laguerre des paysans d'Allemagne a annoncéprophétiquement les luttes de classes avenir, en portant sur la scene nonseulement les paysans révoltés, - ce quin'était plus une nouveauté, - mais encore,derriere eux, les précurseurs du prolétariatmoderne, le drapeau rouge au poing etaux levres la revendication de lacommunauté des biens. »

(Engels, Dialectique de la Nature)

Naturellement, la complexité vient du faitque la religion a été utilisée comme drapeauservant aux intérets des uns et des autres.L'averroïsme philosophique, ce matérialismearabo-persan assumé par les meilleursintellectuels européens médiévaux, s'esttransformé en averroïsme politique, utilisé parla royauté et la noblesse pour réfuter laprimauté du clergé.

L'exigence des deux vérités – une laïque, unereligieuse – servant le matérialisme, s'esttransformée en outil politique aristocrate faceau clergé, mais également aux masses pourexiger le controle de la religion, rejetantcatégoriquement le clergé.

L'averroïsme philosophique rejetant lareligion est ainsi devenu, et c'est la le paradoxe,le détonateur de masses revendiquant leurpropre interprétation de la religion. FriedrichEngels note cela de la maniere suivante :

« L'histoire du christianisme primitifoffre de curieux points de contacts avec lemouvement ouvrier moderne. Comme celui-ci, le christianisme était al’origine le mouvement des opprimés. Ilapparut tout d’abord comme la religiondes esclaves et des affranchis, des pauvreset des hommes privés de droits, despeuples subjugués ou dispersés par Rome.Tous deux, le christianisme aussi bien quele socialisme ouvrier, prechent unedélivrance prochaine de la servitude et dela misere (...). Déja au moyen-age le parallélisme desdeux phénomenes s'impose lors despremiers soulevements de paysansopprimés, et notamment, des plébéiensdes villes. Ces soulevements, ainsi, quetous les mouvements des masses aumoyen-age porterent nécessairement un

masque religieux, apparaissaient commedes restaurations du christianisme primitifa la suite d'une corruption envahissante,mais derriere l'exaltation religieuse secachaient régulierement de tres positifsintérets mondains. Cela ressortait d'une maniere grandiosedans l'organisation des Taborites deBoheme sous Jean Zizka, de glorieusemémoire ; mais ce trait persiste a traverstout le moyen-age, jusqu'a ce qu'ildisparait petit a petit, apres la guerre despaysans en Allemagne, pour reparaitrechez les ouvriers communistes apres 1830. Les communistes révolutionnairesfrancais, de meme que Weitling et sesadhérents, se réclamerent du christianismeprimitif, bien longtemps avant que Renanait dit : " Si vous voulez vous faire uneidée des premieres communautéschrétiennes, regardez une section locale del'Association internationale destravailleurs". »

(Engels, Contributions a l'Histoire duChristianisme primitif)

Avec l'averroïsme politique débouchant sur latempete hussite et la révolution taborite s'ouvrela période moderne. Les contours du drapeaurouge commencent a se dessiner.

2. Defensor pacis, de Jandun et Marsilede Padoue

« Pour rendre plus clairs les principesexprimés par Aristote et aussi pourrésumer toutes les manieres d’instituer lesautres types de gouvernement, nous dironsque tout gouvernement s’exerce avec leconsentement de sujets ou non. Le premierest le genre des gouvernements droits, lesecond le genre des gouvernementsdéviants. »

(Defensor pacis, I, 9, §5)

Lorsque l'averroïsme, idéologie la plusavancée de la Falsafa arabo-persane, pénétra enEurope, notamment a Paris, elle provoqua unegrande crise dans l'Église catholique (voirAvicenne et Averroes: 11. Les 13 theses de1270 / 12. L'averroïsme latin – Ibi statur !).

La couche d'intellectuels formée par l'Église

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catholique, au cours des ages roman et gothique,avait en son sein de brillants penseurs,reconnaissant ou tendant au matérialismeradical affirmé par Averroes, dans leprolongement de l'interprétation d'Aristote parAvicenne et Al-Farabi.

L'université de Paris devint le bastion dumatérialisme dans la bataille contre l'Église etses theses idéalistes. Cependant, les penseurs del'averroïsme latin ne disposaient pas d'unecouche sociale progressiste pouvant porter leurconception.

Pour cette raison, l'averroïsme dans saversion la plus radicale fut principalementéliminée. Seule une poignée d'éléments radicauxsubsistaient, de maniere éparse.

Mais, en tant que concept, son affirmationavait été inébranlable : l'affirmation de laséparation du spirituel et du temporel avait euun formidable écho au sein des couchescultivées.

Dans ce cadre, les forces féodales encontradiction avec l'Église dominante depuisl'age gothique vont directement utiliserl'averroïsme politique.

Pour cette raison, Marsile de Padoue (vers1280-1343), recteur de l'université de Paris en1313, et Jean de Jandun (vers 1250-1328),professeur de la meme université, avaient publiéDefensor pacis en 1324.

Cette œuvre est un soutien direct a Louis deBaviere (Louis IV du Saint-Empire), en conflittotal avec le pape. Louis de Baviere est parailleurs salué de la maniere suivante dansDefensor pacis :

« Comme ministre de Dieu, [tu] donnerasa cette entreprise la fin qu’elle souhaiterecevoir de l’extérieur, tres illustre Louis,Empereur des Romains, en vertu du droitdu sang antique et privilégié, non moinsqu’eu égard a ta nature singuliere ethéroïque, et a ton éclatante vertu, toi quies animé d’un zele inné et inébranlablepour détruire les hérésies, imposer etmaintenir la vraie doctrine catholique ettoute autre doctrine savante, détruire les

vices, propager l’ardeur pour la vertu,éteindre les litiges, répandre partout lapaix et la tranquillité et la fortifier. »

Defensor pacis attribue une fonction civile,voire religieuse, essentielle a l’État, face al’Église. En fait, deux idées dominaient cemanifeste. Tout d'abord l'idée que l’Église étaitsubordonnée a l’État, celui-ci se fondant sur lalégitimité populaire, en tant que républiquedans l'idéal. A cela s'ajoutait le refus de lahiérarchie au sein de l’Église.

L'ouvrage se fonde sur la philosophied'Aristote, ou l'etre humain est un « animalsocial » qui recherche la paix. Pour cette raison,si l’Église s'affirme tel un corps extérieur, elletrouble la paix.

L'État issu du peuple est légitime, pas lathéocratie religieuse. Dans Defensor pacis, on litainsi :

« Selon la vérité et l’opinion d’Aristoteexprimée dans la Politique, livre III,chapitre 6, nous affirmerons que lelégislateur ou la cause efficiente etpremiere de la loi est le peuple, c’est-a-dire le corps (universitas) des citoyens oula partie prévalente (valentior pars) deceux-ci, par le moyen de l’élection c’est-a-dire de la volonté exprimée dansl’assemblée générale des citoyens,prescrivant ou spécifiant ce qui doit etrefait ou non concernant les actions civilesdes hommes, soumis a la menace d’unepeine ou d’une punition temporelle : je disla partie prévalente, considérée commequantité de personnes et selon leur qualitédans cette communauté politique pourlaquelle a été promulguée une loi, soit quel’ait réalisé le corps entier des citoyens ousa partie prévalente directement, soit quela tache de la réaliser ait été donnée a uneou plusieurs personnes qui ne sont ni nepeuvent etre le législateur au sens strictmais le sont en un sens relatif ou pour unecertaine période de temps et par autoritédu législateur premier. »

(Defensor pacis, I, xii, §3)

La conception « familiale » de la paix socialeaffirmée par Aristote est un prétexte al'affirmation de la décentralisation :

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Boême : tempête hussite et révolution taborite

« Car il n’y a pas la meme nécessité a cequ’il y ait un seul administrateur dans uneseule famille et dans la cité tout entiereou dans plusieurs provinces, car ceux quine se trouvent pas dans la meme familledomestique n’ont pas besoin de l’uniténumérique d’un administrateur, du faitqu’ils ne partagent pas la nourriture et lesautres nécessités de la vie (maison, lit, etle reste) et qu’ils ne s’associent pas en unetelle unité, comme ceux qui font partied’une meme famille domestique. Car cet argument amenerait a conclurequ’il faut également un seuladministrateur en nombre pour le mondeentier, ce qui n’est pas utile, ni vrai. Eneffet, les unités numériques des principatsselon les provinces suffisent pour une viehumaine dans la tranquillité. »

(Defensor pacis, I, 17, §10)

Pour cette raison, le pape est soumis aumonde temporel :

« Il appartient au législateur humain ouau prince par son autorité, non seulementde porter décret coercitif touchantl’observance des décisions du Concile,mais aussi d’établir la forme et le moded’établissement au siege apostoliqueromain, ou élection du pontife romain. »

(Defensor pacis, II, 21, §5)

L'ouvrage aura un écho retentissant, portépar l'affrontement ouvert de Louis de Baviereavec le pape, avec meme la tentative de mettreen avant un anti-pape.

Le 23 octobre 1327, l'Église condamneranaturellement fermement les theses de Marsilede Padoue, dans la constitution Licet IuxtaDoctrinam :

« 2) Ces enfants de Bélial osent enseignerque le bienheureux apotre Pierre ne futpas plus chef de l’Église que chacun desautres apotres ; qu'il n'eut pas plusd'autorité qu'eux; que Jésus-Christ n'en afait aucun son vicaire ni chef de l’Église.(...) 3) Les memes imposteurs osent soutenirque c'est a l'empereur de corriger et depunir le Pape, de l'instituer et de ledestituer. Ce qui est contre tout droit.(...) 4) [Ils affirment également que] Tous les

pretres, que ce soit le pape, un archevequeou un simple pretre ont, de parl'institution du Christ, une autorité et unejuridiction égales. »

Mais la vague de l'averroïsme politique,prolongement de l'averroïsme philosophique,était lancée.

3. La confluence de Wyclif l'averroistepolitique et des oppositions laiques

populaires

Apres Marsile de Padoue, c'est l'anglais JohnWyclif qui va de nouveau mettre en avant lathese de la prédominance de la royauté surl’Église.

Ayant étudié a Oxford, puis devenu docteuren théologie en 1371/1372, John Wyclif étudiapar la suite la philosophie dans l'espritdominant a Oxford, opposé au « nominalisme »dominant en Europe et considérant que lesconcepts ne représentaient pas authentiquementla réalité (le concept humanité représentant, parexemple, de maniere synthétique, ou pas,l'humanité elle-meme).

En pratique, John Wyclif était un religieuxayant conscience du caractere foncierementopportuniste de l'Église. Il rejetait leconfessionnal comme n'ayant pas existé autemps du Christ, ainsi que latranssubstantiation (la conversion du pain et duvin en corps et sang du Christ lors del'Eucharistie).

Il n'acceptait pas le pape et son avidité, ilconsidérait les pretres comme des menteursopportunistes et il affirmait que la grandequalité d'un croyant était la prédication.

Il rejetait les textes écrits sur la Bible, celle-ci étant « le livre de vie, la loi du Seigneur trescomplete et tres salubre » et se suffisant a elle-meme.

A ses yeux, toute personne ayant commis un

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péché mortel ne pouvait plus etre éveque,prélat, ou meme seigneur séculier, comme il leformulera, « Nul n'est seigneur s'il est en étatde péché mortel. »

Pour cette raison, en 1403, 45 articles furentproclamés hérétiques par l’Église. Par la suite,l'ensemble de ses œuvres furent interditesd'étude et, enfin, en 1410, ses ouvrages furentbrulés.

Cependant, le point de vue de John Wyclif enfaveur d'une séparation de l’Église et du pouvoirterrestre allait tout a fait dans le sens de lapointe de l'aristocratie anglaise, qui entendaits'approprier les biens de l’Église.

De fait, la position de John Wyclifcorrespondait simplement a la transformation del'averroïsme philosophique en averroïsmepolitique. Déja Averroes avait développé saconception de la « double vérité » afin des'appuyer sur la royauté contre le clergé, ce quiéchoua.

John Wyclif, quant a lui, rencontra un échofavorable, ce qui fit son succes. Toutefois, leschoses n'en resterent pas la car le mouvementréel de l'histoire avait charrié une oppositionpopulaire au sein du christianisme.

Les béguins et les béghards, les Pauvres deLyon qui devinrent les vaudois, etc., sont lesplus connus des mouvements considérés comme« hérétiques » par l’Église catholique,mouvements qui essaimerent cependant danstoute l'Europe.

Oppositions laïques au catholicisme, cesmouvements exigeaient un retour a la pauvretédes apotres, placant la foi au cœur de lacroyance et rejetant la primauté du clergé.

Il est a noter ici que le catharisme n'était pasdu tout un mouvement de ce type, mais bienune religion différente du christianisme. Lesmouvements laïcs et populaires d'opposition(encore « interne » au catholicisme) sont nésdans la période d'installation de la religioncatholique en Europe, aux ages roman etgothique.

Il y a ainsi une rencontre entre l'averroïsmepolitique, issu de l'averroïsme philosophique etdirectement produit au sein des intellectuelsreligieux des universités, et la protestationpopulaire contre la constitution par l’Églised'une caste au-dessus des masses populaires,alors que la religion avait été portée par lesmasses justement pour sortir de la barbarie despériodes précédentes.

C'est l'aspect principal et involontaire du «wyclifisme ». En effet, John Wyclif n'avaitformulé sa conception que dans le sens de laroyauté. Il comptait simplement ouvrir unespace intellectuel en mettant hors-jeu l’Églisecatholique et il n'était pas du tout sur une lignepopulaire-révolutionnaire.

Il va pourtant réaliser une confluence : celledes protestations anti-féodales des masses avecune idéologie politique avancée de rejet ouvertdu clergé.

Dans un contexte de crise du mode deproduction féodal, une telle confluence estexplosive – dans ce qui sera la France a lieu la «Grande Jacquerie » en 1358, réprimée demaniere atroce par les féodaux –.

Mais il mit également en branle les forcespopulaires, dans un contexte ou la royautépressurise massivement les paysans avec troistaxes spéciales pour financer la guerre de centans, en 1373, en 1379, et en 1380–1381 (lestaxes étaient appelées « poll tax » etl'expression ne fut plus jamais employée par lasuite, sauf par les détracteurs d'un nouvel impotcommunal durant les années 1990, pour faireréférence au caractere injuste de celui-ci).

Les tisserands notamment, issus d'uneimmigration hollandaise faite a l'appel de laroyauté anglaise, étaient déja influencés par descourants religieux mystiques et égalitaires : ilsdevinrent l'épicentre de la révolte.

Ceux qui furent appelés les lollardsorganiserent un véritable soulevement. Un grandrole fut joué par John Ball, disciple de JohnWyclif.

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Boême : tempête hussite et révolution taborite

John Ball revendiquait une église égalitairedans l'esprit d'un retour aux valeurs d'originedu christianisme. Dans un de ses sermons quifut prononcé a Blackheath (Londres), il posaune question devenue célebre en Angleterre : «Quand Adam bechait et Eve filait, ou donc étaitle gentilhomme ? ».

Emprisonné pour ses preches contre lesclasses dominantes, il fut rapidement libéré al'occasion d'une grande révolte des paysans en1381, mené par Wat Tyler, qui parvint meme aprendre le controle de Londres.

Le roi feignit de négocier d'abolir « laservitude, le service féodal, les monopoles dumarché et les restrictions sur les achats et lesventes » puis organisa tres rapidement lemassacre des insurgés.

C'en était fini du wyclifisme anglais. Ladevise de John Wyclif pourtant – « Je crois quela vérité finira par triompher » – deviendrapratiquement celui d'un mouvement similaire enBoheme.

Ses positions se diffuserent en effet al'étranger, et notamment en Boheme a partir de1390.

Dans le royaume de Boheme, il y avait lememe besoin qu'en Angleterre d'une idéologieaffirmant la primauté de la royauté.

Ainsi, en 1409, a l'université de Prague, leroi renforca les positions wyclifistes grace auDécret de Kutna Hora donnant trois voix, aulieu d'une seule, aux Tcheques contre une seulepour toutes les autres nations (Bavarois, Saxons,Polonais). Cela aboutit au départ des étudiantsallemands, qui fondirent l'université de Leipzig,fournissant ainsi une prépondérance au courantwyclifiste.

4. Prague, ville dorée

Le royaume des pays tcheques est issu d'uneGrande Moravie formée a l'ombre de l'empirefondé par Charlemagne, a la fin du IXe siecle.

Se livrant au christianisme avec Rastislavpuis Sventopluk, le royaume englobait lesactuelles Moravie, Boheme, Slovaquie, Hongrienord-occidentale et une partie orientale del'Allemagne.

La Grande Moravie s'est effondrée sous lepoids des dissensions internes pour le pouvoir etdes raids magyars, mais la Boheme prit le relaisavec Venceslas et Boleslav, de la dynastie desPremyslides, rentrant en concurrence avec ce quideviendra l'Autriche et la Baviere.

C'est ainsi un grand royaume qui put sefonder. Un royaume qui rassemble pratiquementdeux millions de personnes et qu'on peutappeler tcheque était alors imbriqué dans lespays allemands (qui formeront bien plus tardl'Allemagne et l'Autriche) : il était tellementpuissant qu'il fut en mesure de prendre ladirection du Saint Empire Romain germanique.

Au début du XIVe siecle, la ville de Pragueétait ainsi la capitale d'un des États les pluspuissants d'Europe, composé de la Boheme, dela Moravie, de la Basse et de la Haute Lusace,de la Basse et la Haute Silésie, ainsi qu'uneceinture de fiefs a l'ouest de la Boheme.

En 1348 commenca son agrandissement de180%, faisant de cette ville la troisieme ensuperficie en Europe apres Rome etConstantinople. Une centaine de villagesexistaient également autour de Prague.

La fondation d'une université la meme annéesymbolisa le tournant culturel et intellectuel enBoheme. Prague devint un important centrehumaniste et un grand centre commercial, avecdes échanges avec Regensbourg, Nuremberg,Linz, Vienne, Breslau, Cracovie.

Les villes tcheques ont fleuri précisémentpendant le XIVe siecle, au point qu'il n'y en

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aura pas de nouvelles avant 400 ans. Voltaire,évoquant le voyage de Charles IV a Paris en1377, parle de « ce roi des rois, ce Germainfastueux », et le chapitre XIV de Zadig faitallusion a une anecdote ou Venceslas IV ouvritses légendaires coffres a Nicolas Puchnik.

A la fin du XIVe siecle, la Bible futégalement traduite en tcheque, alors quel'Université de Prague avait comme professeursde théologie des membres des ordres mendiantsactifs en Boheme : le franciscain AdalbertBludow, le dominicain Johannes von Dambach,l'ermite augustinien Nikolaus von Laun.

La ville de Prague avait alors une grandeimportance religieuse, au moins 5 % des 40 000personnes y vivant étant des religieux, dans unpays en pleine expansion économique etrelativement épargné par l'épisode de la PesteNoire de 1348.

Des élévateurs commencaient également aetre utilisés dans les mines, ce fut l'apparitiondu systeme bielle-manivelle. Le mot pistoletvient également par exemple du mot tcheque «pistala » qui désigne un petit canon portatifalors inventé, émettant un sifflement poureffrayer les chevaux d'une cavalerie.

Les plaques gravées en creux, de poincons oude caracteres métalliques, commencaient a etreutilisées par les monnayeurs et les orfevres pourtrouver des techniques de reproduction.

Christian de Prachatice écrivit un Traité deconstruction de l'astrolabe, Jean Sindel calculala latitude de Prague et l'obliquité del'écliptique, ce qui servira aux astronomesTycho Brahé et Johannes Kepler.

L'horloge astronomique de Prague, construiteen 1410, est également un chef d'oeuvretechnique et artistique.

Jan Hus, qui fut aidé financierement parChristian de Prachatice – administrateur del’Église dite hussite en 1437 –, proposa memealors une réforme de l'orthographe, parl'intermédiaire de son ouvrage DeOrthographica bohemica (le polonais conservera

l'ancienne pratique, le tcheque se modernisantde son coté avec l'apparition des lettres commea, c, d, é, e, i, n, o, r, s, t, u, u, y, z).

Cependant, les contradictions étaientnombreuses. Le pays était parsemé de chateauxforts, de chateaux, de monasteres, et lapuissante noblesse était tres mécontente del’Église catholique qui possédait plus de lamoitié des terres arables, avec des représentantsau conseil de la couronne, dans lesadministrations, dans les dietes provinciales : lesarcheveques possédaient les 17 plus grandsdomaines de Boheme.

La noblesse était également en conflit avec leroi tentant d'instaurer la monarchie absolue.Elle entretenait elle-meme des bandes armées,bandes pouvant se fondre en un regroupementconsidérable et constituant une menaceimportante de pillage pour la région, allantjusqu'a attaquer des bourgs et des petites villes.

Dans ce cadre, Venceslas IV, qui régna de1378 a 1419, en pleine période de crise donc, futa plusieurs reprises capturé et emprisonné par lahaute aristocratie. Il y avait ainsi une guerrecivile entre factions aristocrates entre 1394 et1404.

Le roi lui-meme était victime de laconcurrence au sein du Saint Empire Romaingermanique, ses adversaires allemands parvenantmeme a le déposer en 1400. Son propre frereSigismond, roi de Hongrie et successeur désignéau trone de Boheme, fomentait des incursionsarmées afin de piller les réserves d'argent ducentre minier de Kutna Hora.

A l'inverse, la petite noblesse étaitparticulierement appauvrie, au point, danscertains cas, de basculer dans le brigandage et,en tout cas, dans une mesure certaine, d'etreprete a rejoindre un soulevement.

De meme, la bourgeoisie était mécontente :elle payait le prix fort a l’Église, sous forme derentes appelés taxes perpétuelles, car lesmaisons et les terrains urbains appartenaientpour beaucoup a celle-ci.

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Boême : tempête hussite et révolution taborite

De plus, les villes voyaient en leur seindominer une mince couche, un patriciatd'origine allemande, s'arrogeant la main-misesur le pouvoir urbain, sur les conseils ettribunaux urbains. Les bourgeois, les artisans,les boutiquiers, étaient quant a eux d'originetcheque.

Haute négoce et industries aux capitaux lesplus importants étaient allemandes, comme lamain d’œuvre des mines d'argent de KutnaHora. Le commerce des draps était le monopoledes marchands de Francfort et Cologne, lesbeaux draps étaient importés des Flandres.

A coté de cela, la grande croissance de laville de Prague avait donné naissance a unelarge plebe, composé de journaliers, detravailleurs a la tache, d'artisans appauvris.

Enfin, dans les campagnes, le peuple serfdevait payer a l’Église non seulement la dime (ledixieme de ce que rapporte l'étable et lechamp), mais également le bapteme d'un enfant,le mariage, la bénédiction des œufs et du sel,etc.

La situation était ainsi marquée par denombreuses contradictions. Il ne manquait plusque le fait que la contradiction principaledevienne un moteur.

5. Prédications pragoises

A la fin du Moyen-age, on était dansl'époque ou les masses font irruption dans lareligion, apres les périodes romane et gothique.Une grande figure de la prédication fut Konradvon Waldhausen, mort en 1469, qui depuisPrague irradia au-dela meme de la Boheme.

Autrichien d'origine, il critiquait les ordresmendiants pour leur mode de vie en décalageavec leurs valeurs, ce qui lui apportait unsoutien urbain important. Il fut d'ailleursfinalement directement protégé par l'empereurCharles IV contre l'opération menée par le

Vatican pour se débarrasser de lui au moyend'un proces pour hérésie.

Charles IV soutint également l'un des cadresde l'appareil d’État, Jan Milic de Kromeriz, quidevint un prédicateur de tres grande envergure.

Influencé par Konrad von Waldhausen(également connu sous le nom de Waldhauser),il ne prechait cependant pas qu'en latin et enallemand, mais également en tcheque, ce qui luipermet d'élargir sa base, au point de tenter deréaliser une nouvelle église parallele, ou les laïcstenaient une place équivalente au clergé.

Jan Milic critiquait les ordres mendiants, lesrentes féodales, le commerce, l'emploi detravailleurs salariés considéré comme relevant del'usure, rassemblant de nombreux partisans.Cette Nouvelle Jérusalem profita du soutienactif de Charles IV et disposa de pas moins de29 batiments dans le quartier pragois marquépar la prostitution.

Le peuple des villes était donc directementtouché par la prédication et le mouvement deréforme religieuse était directement porté tantpar la bourgeoisie que par l'empereur.

Il est tres expressif que l'empereur aitsoutenu jusqu'au bout Jan Milic de Kromeriz,alors que celui-ci vivait des crises mystiques ouil considérait la venue de l’Antéchrist commeimminente, accusant meme dans ses prechesl'empereur d'etre celui-ci.

C'est un éleve de Jan Milic de Kromeriz,nommé Matej (Mathias) de Janov (environ1354-1393), qui avait étudié a Paris de 1373 a1381, qui continua les preches populaires. Ilrejetait le culte des images et celui des Saints,en affirmant que la Bible était la seule autoritéen matiere de foi, avec égalité des hommes etdes femmes devant la communion.

Il affirmait ainsi, attaquant l’Église :

« Cette contradiction se rencontre chezeux toute le long du jour, toute leur vie.Leur bouche s'emploie le matin a louerDieu, le reste de la journée a dire desbalivernes, a boire, a se gorger et a médire

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d'autrui. Le matin, ils sont doux et dévots, lereste du jour cruels et rapaces. Le matin,ils récitent leurs heures avec beaucoup desoin, ils élevent jusqu'aux nues le servicede Dieu ; apres le repas, ils s'adonnentaux vains propos et a leur mauvaiseconduite, si bien qu'ils oublient Jésus-Christ. Jusqu'au soir ils goutent les plaisirs dela terre et s'en excusent en disant qu'ilfaut bien qu'il en soit ainsi, parce qu'onest homme et que cela se fait partout,meme chez les grands, les doctes, chezceux qui ont l'air honnete et dévot. Et ilsjustifient leur conduite par des citationsde l'écriture, des arguments, descommentaires et par beaucoup d'autrechose semblable. »

Son point de vue mystique allait en fait depair avec l'abolition de la regle monastique car,pour lui, le Christ désignait la somme des etresvivants, ou encore la vie et ce qui sert a lareproduire ou la conserver : le blé et la vigne, lepain et le vin, l'eucharistie.

Il parlait également de ce qu'il y a devivifiant, d'actif et de constructif dans la naturepar opposition a Bélial, la destruction.L'histoire de l'humanité était vue comme celled'une lutte incessante entre les fils du Christ etceux de Bélial : l'objectif nécessaire était derétablir l'humanité dans sa nature premiere, le «chemin » comme regle de vie.

Dans son Traite de l’Eglise, Matej de Janovreprit ce principe d'un monde ordonné :

« Je dis d'abord que la famillechrétienne, pareille aux étoiles, doit brillerpar ses différentes vertus, afin des'accointer, dans l'éternité, avec labienheureuse famille de Dieu dans le ciel.»

Par conséquent, puisque le monde estordonné – conception d'Aristote ou bien néo-platonicienne – il y a lieu de toujours saluer cetordre.

C'est cette perspective qui va formerl'identité protestante avec son inquiétude

permanente et individuelle par rapport a l'ordredivin. L'Islam ne dit pas autre chose et lasource est la meme : Aristote.

Matej de Janov a ici impulsé la démarchepratique au coeur de la culture hussite, qui elle-meme va générer le protestantisme. A ses yeux,le pain était l'élément le plus important. C'estl'aliment de base, c'est également le lien avecDieu.

Il n'y a donc aucune raison que le pain et levin, le corps et le sang du Christ, ne soitconsommé que par le clergé lors de la cérémoniereligieuse. Le calice, contenant le vin lors de lacérémonie chrétienne, devint le symbole de larévolte hussite.

Matej de Janov expliquait :

« Il faut donc bien noter que le painest le plus commun des aliments. Leshommes changent de nourriture et varientleur menu, mais ils mangent toujours dupain et ne le remplacent jamais par autrechose. Ceci concerne le verbe de Dieu, carbien que tous les actes, les paroles, lesnégoces, les études alternent selon lesjours et se succedent les uns aux autres...le verbe divin fait chair peut et doittoujours demeurer en notre volonté, raisonet mémoire, en nos désirs, actes etparoles... de meme, on ajoute toujours dupain pour assaisonner et tempérer le goutdes autres aliments ; davantage, le pain lesrends propres a nourrir les hommes, car,sans lui, les viandes, les fruits et les restesne peuvent aucunement nous rassasier,comme le montrent l'usage et l'expériencequotidienne (...). De la nous est venu le nom du pain, dugrec pan qui vaut autant comme omne outotum en latin. Pareillement vinum qui estcomme vis omnium ou vis homini. De meme que, dans le pain, il seproduit une union de nombreux grains, dememe le sacrement rassemble toutes lesperfections désirées et désirables pourl'etre, la vie et l'entendement dequiconque le recoit. »

Le pain devient la réalité du sacrement, parJésus, le christianisme est « chair ». Il n'y adonc pas lieu de trop considérer les statues, lesreprésentations, qui ne sont pas ce qu'elles

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prétendent etre.

« Ainsi donc, tout bien pesé, une statuen'est que du bois ou de la pierre oeuvréeselon le bon plaisir de l'imagier et selon safantaisie : un signe du Christ et des saintsimpropre et inconvenant, dépourvu desainteté, n'ayant en soi aucun droit aurespect ; toutefois utile au vulgaire pourqu'il se remémore le Christ et les saints etsoit porté a la dévotion. »

Le protestantisme prolongera ceraisonnement et abolissant la notion de «vulgaire », supprimera les représentations.

Matej de Janov rejetait également le fait queles femmes soient mises de coté pour lessacrements, sa vision est celle d'unecommunauté solide, bien soudée. Constatant lesguerres « fratricides » entre chrétiens, ildemande :

« Qui donc serait capable d'examinerou d'expliquer les causes d'une pareilleboucherie et d'une telle fureur qui animeles chrétiens contre leurs pareils. Qui neserait frappé de stupeur et dévoré dechagrin en comparant les moeurs deschrétiens d'aujourd'hui, leur sujétion atous les crimes et a toutes les iniquités,avec l'église primitive des saints quipossédait toutes les vertus, et qui était siunie par la charité, que tous ses fideles «n'avaient qu'un coeur et qu'une ame » ? »

Voici également un exemple de sa visionapocalyptique :

« En ce qui concerne notre recherche,un autre Elie (c'est-a-dire un hommepénétré de l'esprit d'Elie) est requis pourrompre ce silence précédant l'avenementdu christ et de l'antéchrist. Et si vous voulez savoir qui sont cesElie nouveaux, je peux dire, pour autantque je l'ai appris par leurs actes, que cefurent Milic, pretre vénérable, prédicateurpuissant en œuvres et en paroles, dont leverbe flambait comme une torche ; etConrad Waldhauser, homme égalementreligieux et dévoué. Ils ont rempli de leur discours lesmétropoles de la chrétienté : Rome etAvignon ou est le pape ; la Boheme et

Prague ou est l'empereur de la chrétienté.L'un deux, Conrad, est décédé a Pragueou est César ; l'autre a trouvé la mort enAvignon ou est le Pape. Et tous deuxavant de mourir ont passé par toutessortes de tribulations, pour la justice et lavérité de Jésus-Christ, en lutant jusqu'audernier souffle contre la bete. »

6. Thomas Stitny, vers le protestantisme

Thomas Stitny (environ 1333-1406) a eu uneconception qui va directement paver la voie auprotestantisme.

Lorsque Thomas Stitny explique que « A lanuit succede le jour qui nous éclaire et nousinvite au travail », il formule déja de manieresynthétique la philosophie de la Réforme, cellede la bourgeoisie naissante.

Issu d'une famille de chevaliers, il pratique lalittérature, il a notamment écrit un romanspirituel (Barlaam et Josaphat), 25 traitésmineurs, deux œuvres majeures : les Entretienset les Discours dominicaux.

Thomas Stitny écrivait en langue vulgaire etétait soutenu par Jean de Jenstejn (ami etpartisan de Jan Milic), mais aussi de l'écolatrede Saint-Guy, Adlabert de Jezov qui avaitl'hégémonie sur l'enseignement ecclésiastique enBoheme.

Thomas Stitny faisait ouvertement référenceaux penseurs grecs, ce qui le lie directement al'averroïsme :

« Ayant entrepris de scruter lesmysteres sublimes, les sages paiens enfirent le theme de leurs études et le fruitde leurs travaux s'est conservé jusqu'anous. Ils commencerent par soupconnerl'existence d'une cause primordiale,partant supérieure a tout [...]. Ilsdevinerent que ce qui change et se modifiene peut etre a l'origine des choses, maisprovient d'un principe immuable tel quel'etre parfait. »

C'est effectivement précisément la these

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d'Aristote. Cependant, la these aristotélicienneouverte devenue averroïsme s'est faite écrasée al'université de Paris, aussi c'est sous forme du «néo-platonisme » que les idées d'Aristote furentexprimées.

Ce « néo-platonisme » mélangeait les thesesd'Aristote et de Platon, qui s'opposentpourtant, en considérant qu'il s'agit d'un seulpoint de vue; Aristote, pourtant, rejetait laconception platonicienne d'un existence d'unmonde idéal « au-dessus » de notre univers.

Thomas Stitny avait cette meme conceptionnéo-platonicienne; parlant des philosophes grecs,il poursuit donc en disant :

« Ils comprirent aussi que la naturespirituelle est plus noble que la corporelle;que sa nature a lui est supérieure a cellesqu'il a faites. Que l'agrément d'un corpsdiffere de celui d'un esprit. »

Dans le cadre de ce néo-platonisme, ThomasStitny formula l'affirmation de la « pensée »,mais au lieu de de proner avec Aristote lacontemplation passive d'un univers parfait (etSpinoza transformera cela en contemplation dela Nature, « Dieu ou la Nature » dit-il), il pronala contemplation active du monde idéal. C'est lale moteur théorique de ce qu'on va appeler leprotestantisme.

Voici sa conception de l'harmonie, largementempreint d'aristotélisme :

« La sagesse divine se fait connaitre anous par la beauté et l'agrément de lacréation. C'est la que nous pouvons lacontempler. Et bien que la beauté etl'harmonie se réalisent sous des aspectsmultiples et variés, elles dépendentsurtout de quatre principes: 1. il faut qu'un objet soit convenablementsitué, 2. que son mouvement soitconvenant, 3. qu'il ait une forme ou un aspectconvenants, 4. qu'il possede une couleur convenante outelle autre propriété qui procure a nossens de la jouissance ou qui fait qu'il estbon. »

Thomas de Stitny a une vision conforme al'esprit humaniste. La définition qu'il donne deDieu est absolument impersonnelle:

« Ce monde est comme un livre ouvertpour tous, écrit par la main de Dieu,c'est-a-dire par sa puissance et sa sagesse.Chaque créature prise a part est un motde ce livre qui raconte son pouvoir et sascience. Et comme un illettré, enregardant un livre, voit des caracteressans en saisir le sens, l'homme dépourvude savoir et qui suit les mœurs des brutessans appliquer son esprit a Dieu nepercoit que l'extérieur de la créaturevisible, mais il n'en comprend pas lepourquoi. Par contre, l'homme spirituel,qui est capable de discerner la beautéperceptible dans les créatures, entrevoitles profondeurs et les merveilles de lasagesse qui a si bien ordonné l'univers. »

Et voici sa conception de la pensée, ou l'onreconnait l'esprit humaniste, l'esprit de laréforme : la conscience soumise a l'harmonie :

« Les philosophes distinguent quatresortes de mouvements: 1. le déplacement de lieu, 2. l'accroissement de ce qui grandit, ladiminution de ce qui dépérit, 3. l'attrait qui fait approcher l'animald'un objet, 4. la mobilité de l'entendement. (...) Aucune créature ne possede letroisieme mouvement, hormis certainsanimaux qui ont une ame et des besoins,mais point de raison. C'est une appétencede l'ame qui rend la pensée attentive – carmeme chez les betes on doit l'appelerpensée – a un objet qui frappe les sens. L'impression en demeure dans lamémoire sous forme d'image et fait naitrechez l'animal le désir de rechercher ce quilui plait, d'éviter ce qui le rebute (...). Le quatrieme mouvement ne serencontre que chez l'ange ou chezl'homme. Il concerne la mobilité del'intellect. Les etres privés de raison ne lepossedent pas. Il consiste en ce que leregard de l'intelligence se porte sur unobjet avec plus ou moins de vivacité. On a sujet d'admirer ce mouvement sil'on concoit combien l'intelligence incréée,qui est de loin supérieure a notre raisoncréée, a su former avec art et dispenseravec équité cette faculté qui dirige la

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volonté, la pensée et les actes humainsselon l'équité et le bon sens; et comme elleest capable de changer le mal en bien, nonpas pour servir les méchants, mais pourles bons qui l'aiment. En effet, parl'opération merveilleuse de la providence,tout contribue a leur bien (...). Tout ce qu'il a créé nous montre sabonté et son amour. Car il n'a rien faitpour satisfaire a ses besoins. Il pouvaitexister seul, pour lui-meme, dans unbonheur éternel. Mais, voyant qu'il luiétait possible de faire participer lacréation a sa bonté, il a créé chaque chosesuivant sa capacité et maintient tout parsa bonté. N'est-ce pas une marque de sabienveillance infinie que le soin qu'il prenda régler toute chose au profit descréatures raisonnables? »

On a donc la conception d'un mondeordonné, organisé, ou l'etre humain peutraisonner de maniere harmonieuse, dans lerespect de l'ordre. C'est la conception d'Aristoteappliqué au sein du christianisme, unelaïcisation de la religion, sa version bourgeoise(alors progressiste).

Il est enfin, pour finir, intéressant de voircomment il formule le caractere « statique » dumonde, que précisément la classe ouvriere et lematérialisme dialectique remettront en cause.

Stitny explique cela de la manieresuivante, tentant de contourner la réalitéessentiellement contradictoire du monde :

« Le feu n'est-il pas l'ennemi de l'eau etl'eau du feu? Pourtant la providence atout réuni dans un seul monde. De par sa volonté, aucune force n'annulel'autre. Cet habile artisan donne la vie etpourvoit, selon l'ordre qu'il a établi, auxbesoins de tout ce qui nait. Qui doncn'admirerait la profondeur de sa sagessedans la disposition des parties del'univers? (...) Pour que les contraires ne se détruisentpas mutuellement, il existe desintermédiaires qui ont avec chacun d'euxquelque ressemblance ou quelque affinité.Ils leur servent de traits d'union oud'arbitres, possédant avec chacun d'euxune propriété commune. »

7. Implosion suite a la contradictionnoblesse-royauté

Le mouvement de critique de l’Églisepossédait ainsi a la fin du XIVe siecle unevéritable tradition, une véritable forceidéologique. En 1394 le mouvement réformateurpossédait meme sa propre église a Prague,construite en trois années, faisant 800 m2 etpouvant faire se rassembler 3000 personnes: lachapelle de Bethléem, ou le preche était entcheque.

L'architecture de l'église témoignait elle-meme qu'elle était davantage tournée vers lepreche que vers la liturgie ; elle était déjal'expression de l'esprit « protestant » qui sedéveloppe.

La chapelle elle-meme était née de lacombinaison protectrice d'un patricien, membredu conseil de la vieille ville, Kriz, et d'unmembre du conseil royal, un chevalier allemand.On avait ainsi une alliance entre l'empereur etla bourgeoisie, dirigée contre l'influence del’Église catholique.

En 1393, l'empereur Venceslas Ier n'hésitameme pas a faire torturer, en sa présence, lesfonctionnaires du vicaire général del'archeveque, Johann Nepomuk, celui-ci étanttorturé par le feu, puis jeté dans le fleuveVltava.

En arriere-plan se joue ce qui a été appelé le« grand schisme » dans sa version occidentale :d'un coté, il y avait un pape a Avignon, soutenupar les royaumes de France, de Naples, deCastille, d'Aragon, d’Écosse, etc.. De l'autre, ily avait un pape a Rome, soutenu par lesroyaumes d'Angleterre, de Pologne, de Hongrie,de Suede, du Danemark, etc.

L’Église catholique ne sera réunifiée que dansla premiere partie du XVe siecle, avec justementen arriere-plan la réforme hussite et larévolution taborite, menacant l’Église catholiqueelle-meme.

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Ainsi, dans la phase de contradiction entrepapautés d'Avignon et de Rome, le royaume deBoheme ne pouvait se situer, travaillé par descontradictions internes déja intenses. Cela nepouvait que renforcer le mouvement contrel’Église catholique et renforcer une grandeinstabilité culturelle-idéologique.

A cela s'ajoutait la personnalité lunatique deVenceslas Ier (qui s'enfermait surtout dans unechambre avec ses chiens de chasse), d'ailleursdans ce cadre de faiblesse royale, il y eut latentative d'une partie de la noblesse de lerenverser, en alliance avec l'Autriche, dans uneperspective catholique « ultra ».

Venceslas Ier ne put alors se rétablir qu'auprix d'un grand renforcement des prérogativesde la haute noblesse ; celle-ci s'appropria tousles hauts postes de l'administration. C'était uneconstante de la période, l'aristocratie s'opposantpar tous les moyens a le genese de la monarchieabsolue.

Au XIVe siecle, l'aristocratie avait prise entreses mains le « tribunal du pays » (zemsky soud)qui était la plus haute cour de justice du pays,mais aussi les principales fonctions del'administration royale.

La noblesse jouait donc sur plusieurstableaux en meme temps, étant en concurrencea la fois avec le clergé et avec le roi ; lesalliances étaient malléables, dans uneperspective totalement opportuniste.

Ainsi et inversement, du coté royal et d'unepartie de la noblesse, le mouvement d'oppositiona l'Autriche et le catholicisme se prolongea avecla modification des droits de vote a l'Universitéde Prague, amenant une grande émigration denombreux locuteurs allemands, qui fondirentalors l'université de Leipzig.

La décision était d'autant plus significativeque le décret a été pris a Kuttenberg, secondeville du royaume en raison de ses minesd'argent; en 1300, elle produisait plus d'un tiersde la demande d'argent en Europe.

Le royaume tcheque affirmait son

indépendance financiere et politique; le décretexpliquait que la nation tcheque de l'universitéavait trois voix et les autres nations une seulechacune, car la natio Bohemica était la véritablehéritiere du royaume (eiusdem regi iusta heres).

Mais le déséquilibre de la situation entre leroi, le noblesse et la bourgeoisie était trop grandpour que ce mouvement n'implose pas.

La bourgeoisie ne consistait pas en effetqu'en les riches marchands cherchant de maniereinstitutionnelle a assoir leur propre position. Lanaissance de villes, en particulier d'un grandcentre comme Prague, alla de pair avec laformation d'une large plebe.

C'est cette plebe qui était égalementmobilisée par la prédication, c'est cette plebequi a l'instar des sans culottes mélangerevendications anti-féodales et anti-capitalismepetit-bourgeois. Il n'est ainsi pas étonnant queparallelement a la montée de l'humanisme, cetteplebe réalisa le grand pogrom de 1389, ou leghetto de Prague fut anéanti.

Le role du petit clergé fut ici tres important.Sa perception du monde était souventparasitaire et marquée par l'anti-capitalismeromantique du catholicisme, avec sa dimensionantisémite.

Le petit clergé, qui connaissait les souffrancesdu peuple, était lui-meme confronté a l'opulencede l’Église et a sa propre misere, mais il nepouvait pas porter le socialisme comme lefaisaient notamment les tisserands. C'était laune grande contradiction au sein du mouvementpopulaire.

Faibles idéologiquement, mais portées par latendance historique, ne pouvant plus vivrecomme avant (et les classes dominantes pasplus), il y avait pour les grandes masses lapossibilité d'un bouleversement historique,d'une véritable intervention, mais cettedémarche ne pouvait qu'etre déséquilibrée sur leplan idéologique-culturel en raison des retardshistoriques et ainsi de la profonde influencepetite-bourgeoise.

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8. Apparition du hussitisme

Né vers 1370, Jan Hus est celui qui asynthétisé les prédications pragoises et formulécelles-ci politiquement sous la forme d'unaverroïsme politique ouvert, mais cependantreligieux, dans une perspective de moraleindividuelle.

Il n'y a en effet pas de classe matérialiste auXIVe siecle, puisqu'il n'y a pas de classeouvriere. Aussi, la bourgeoisie entend utiliser lareligion elle-meme, sans le clergé : elle exige deséparer le spirituel du temporel, tout enfaconnant le temporel au moyen de l'idéologiereligieuse.

Jan Hus est en fait tres tot influencé par lesécrits de John Wyclif.

Aux yeux de Jan Hus, qui reprend la these dece dernier :

« Lorsqu'un sujet considere un ordrecontestable émanant de son supérieur, ets'il connait que cet ordre tourne audétriment de la chrétienté et qu'il éloigneles hommes du culte de Dieu et du salutdes ames, il ne doit pas l'accepter.Résister dans ce cas c'est vraiment obéir,non pas seulement a Dieu qui juge nosactes en dernier ressort, mais au supérieurqui ne doit ordonner que le bien. »

Il dit pareillement :

« Si les lettres des papes ou des princescommandent quelque chose de contraire ala loi du Christ, sitot qu'on l'a reconnu,on doit jusqu'a la mort y résister et enaucune maniere y obéir. »

(Contra octo doctores)

Apres etre devenu doyen, puis recteur del'Université de Prague, Jan Hus se mit a partirdu 14 mars 1402 a precher régulierement a lachapelle de Bethléem, en langue tcheque,puisque cette chapelle était justement faite afind'accueillir les preches en cette langue.

Les preches de Jan Hus étaient dirigés contrel’Église nantie ayant abandonné lesenseignements du Christ.

Jan Hus expliquait :

« Les étables d'un domaineecclésiastique sont plus somptueuses queles chateaux forts seigneuriaux ou leséglises. La pluie ne risque pas de mouillerles prélats, la fange ne les sauraitatteindre dans leurs monasteres,l'opulence a chassé loin d'eux la faim et lafois. L'Église recoit des dons, l’Égliseachete des biens, cependant que partout lepauvre croupit dans sa misere ! »

Il constatait également :

« On paye la confession, la messe, lessacrements, les indulgences, les relevailles,la bénédiction, l'enterrement, l'absoute,les prieres. Le dernier heller meme que lagrand-mere a noué dans un coin defoulard de peur du voleur ou du brigandne saurait lui rester : c'est ce filou de curéqui s'en empare. »

Le pape comprit la menace et excommuniaJan Hus en 1411.

Et lorsqu'en 1412, des légats du pape JeanXXIII vinrent a Prague pour financer lacroisade contre Ladislas de Naples en vendantdes « indulgences » permettant de « racheter »ses péchés contre monnaie sonnante ettrébuchante, Jan Hus les condamna et exigealeur départ.

Prague devint alors le lieu d'une révolte anti-papale, ou furent brulées des bullesd'indulgence. La répression triompha toutd'abord faisant trois martyrs, trois jeunes quifurent arretés et exécutés. Ils furent inhumésdans la chapelle Bethléem, qui fut égalementdurant cette période attaquée (sans succes) parles forces allemandes de Prague.

Jan Hus dut quitter Prague en raison de larépression, alors que la révolte grondait. Il putnéanmoins ainsi diffuser ses opinions dans lescampagnes.

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De plus, Jan Hus avait également publié unelettre ouverte, en décembre 1412, a l'ensembledes seigneurs siégeant a la Diete, appelant audroit a la « libre prédication ».

Réfugié aupres d'eux, Jan Hus leur attribuale titre de « dedic Kralovstvi » (« héritier duroyaume »), appelant directement a leurintervention :

« C'est pourquoi, bien-aimés seigneurset héritiers du royaume tcheque, faites ensorte que de tels abus cessent et que laParole de Dieu soit libre parmi le peuplede Dieu. »

Dans ce contexte, et alors qu'il y avait alorspas moins de trois papes en guerre les unscontre les autres, Jan Hus fit l'erreur d'accepterde prendre part au concile ecclésiastique deConstance, en Suisse.

Il ne représentait que des intéretsréformistes, dans le cadre d'un rapport de forces; sa conception n'était subjectivement pasrévolutionnaire, meme si objectivement ellel'était largement de par ses conséquences.

Sur de lui, avant de partir pour Constance,Jan Hus fit meme afficher dans les rues dePrague des placards en trois langues, invitant aune joute oratoire quiconque voudrait leconvaincre d'hérésie.

Mais malgré les promesses et un saufconduit, Jan Hus fut immédiatement arreté ason arrivée a Constance, enchainé aux mains etaux pieds dans une tour ouverte aux vents, puisbrulé vif le 6 juillet 1415.

9. La tempête hussite

La mise a mort de Jan Hus fut un véritabledétonateur. Lors de son proces a Constance, JanHus ne se rétracta jamais et il devint le grandmartyr de la cause anti-Église en pays tcheque.

Lors de son proces, ce furent d'ailleurs 250membres de la petite et moyenne noblesse quiprotesterent, puis un message de protestationavec 452 sceaux fut envoyé, expliquant que leproces était « une honte prolongée et unestigmatisation de la Boheme et de la Moravie ».

La condamnation de Jan Hus était un coupporté a la possibilité meme pour la noblesse etla bourgeoisie tcheques de remettre en causel'ordre féodal et surtout la tres grandeimportance du clergé. C'était par conséquentinacceptable et Jan Hus avait fourni lapossibilité idéologique de bouleverser lasituation.

Sa lettre de « remerciement » (aux seigneursJean de Chlum et Wenceslas de Duba) était tresparlante en ce sens :

« Je vous en conjure par les entraillesde Jésus-Christ, fuyez les mauvais pretresmais chérissez les bons selon leurs œuvres,et autant qu'il est en votre pouvoir, nepermettez pas qu'on les opprime. C'est eneffet pour cela que Dieu vous a donné lecommandement. A mon avis, il y auradans le royaume de Boheme une grandepersécution contre ceux qui serventfidelement, a moins que Dieu n'interviennepar l'intermédiaire des seigneurstemporels, qu'il a plus éclairées que lesseigneurs spirituels dans sa Loi. »

Fort de cette légitimité, une partiesignificative de la noblesse passa dans le «hussitisme ». Cela lui permettait de remettre encause la prétention de la royauté a instaurer lamonarchie absolue et surtout de briser l’Églisecatholique et de s'approprier ses propriétés.

La situation était urgente pour la noblesse :entre 1350 et 1419, la part dans la possessiondes chateaux forts passa de 25 a 33 % pour le

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roi, de 51 a 44 % pour la haute noblesse, de 18a 16 % pour la petite noblesse, de 6 a 7 % pourl’Église.

Une grande figure hussite fut alors Nicolas deDresde. En hiver 1411-1412, l'inquisition deDresde avait pourchassé un groupe de maitres etd'étudiants allemands, qui se réfugierent aPrague.

Parmi eux, Nicolas de Dresde, en fait issud'une famille allemande de Prague, qui a lasuite de la mort de Jan Hus se lanca dans labataille pronant le droit de precher pour leslaïcs et les femmes, rejetant le rite de la messecomme une construction historique et critiquantles patriciens de Prague pour leur richesse etleurs comportements. Son action était doncuniquement anti-catholique et anti-allemande.

Nicolas de Dresde remettait également encause les constructions idéologiques de l’Églisecatholique : il rejetait le purgatoire, laconfession auriculaire et le serment.

Et devant mettre en avant une démarchereligieuse pour les besoins de la noblesse et de labourgeoisie, il mettait en avant une sorted’Église décentralisée, dans l'esprit de JohnWyclif et de la Réforme en général : il devait yavoir le droit de precher non pas par lesacerdoce, mais uniquement par une conduiteconforme a l'évangile, de plus les pretresdevraient mettre leur bien en communautés.

C'était la conforme a la synthese de Jan Hus,qui revendiquait la licence pour le peuple decontroler ses supérieurs en se fondant sur laBible et la raison, la sécularisation des biens duclergé, la liberté de l'information.

Mais Nicolas de Dresde était également portépar le mouvement populaire, appui fondamentalde la remise en cause de l’Église.

En 1403, en plein preche dans son église,Nicolas de Dresde avait pointé du doigt desriches commercants et annonca : « Ou bien cesfils du mal seront chatiés par Dieu, ou bien leurpropre valetaille les immolera. Leur tete rouleradans le sang ! », puis expliqua alors que les

commercant visés se levaient pour quitterl'église apres cela : « Voyez, mes tres chers, lediable en personne les emmene hors dusanctuaire ! »

Il opposait la vie dissolue du clergé a la viesimple des apotres, faisant porter a travers laville des images illustrant cette comparaison. Saprédication avait pris un tournant social. De cefait, il fut contraint a l'exil, afin d'etrefinalement capturé, puis brulé vif en 1417.

Ses positions n'étaient pas conformes auxbesoins de la noblesse hussite. Le mouvementhussite dans sa version noble était dirigé a lafois contre les prélats et les patriciens, c'est-a-dire d'un coté contre les hauts représentants dela papauté, et de l'autre contre les forcesféodales directement liées aux pays allemands.

Ce n'était pas une remise en cause duféodalisme en général. Sur 90 grandes famillesféodales, 27 étaient d'ailleurs au sein de lacoalition hussite. L'une des figures hussitessignificatives fut Cenek de Vartenberg, le grandburgrave de Prague, connétable de l'armée dupays, grand propriétaire terrien, gérant qui plusest la plus grande seigneurie de Boheme, celled'Oldrich de Rozberk encore mineur.

Ce fut Jakoubek de Stribro qui devint le chefdu camp hussite a la mort de Nicolas de Dresde,donc de 1417 a 1419, moment ou le camphussite se scinda. Lors de l'insurrectionpopulaire du 30 juillet 1419, il recula en effet,n'osant assumer le nouveau cap pris par lemouvement.

Jakoubek de Stribro avait fait communier sesparoissiens sous les deux especes (le pain et levin et non pas le pain seulement comme dans lecatholicisme romain, d'ou le calice commesymbole), en octobre 1414; ce fut a l'époqueconsidéré comme un évenement majeur duhussitisme.

Il était une figure religieuse dans l'esprit dela Réforme, avec une ligne minimaliste, aveccomme exigences la sécularisation des biens duclergé par le bras séculier, la simplification des

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cérémonies et du rite de la messe, la traductiondes textes liturgiques latins en tcheque, lacommunion sous les deux especes pour les laïcset les enfants.

Mais, parallelement, les masses s'étaientmises en mouvement, tant la bourgeoisie que laplebe. A Plzen, le prédicateur Vaclav Korandaavait mené les gueux et les petits artisans al'assaut des couvents, finissant par memeprendre le controle de la municipalité. Entre1416 et 1419, les bourgeois et les pauvres desvilles s'étaient unifiés pour mener des actionssimilaires a Klatovy, Zatec et Domazlice.

La tension grandissait, et le hussitismefinissait meme par atteindre deux régionsfrancaises : en Picardie, ou il se maintint entant que tel jusqu'a la fin du XVe siecle, et enProvence-Dauphiné.

Au début de 1419, le pouvoir royal était doncébranlé par la noblesse hussite et, alors, laréaction catholique tenta de s'affirmer en force.Les églises de Prague occupées par les hussitesdepuis 1415 furent « libérées », alors que lanoblesse rebelle était poussée a rentrer dans lerang.

Il était cependant trop tard : les massess'étaient mises en branle.

10. Soulevements plébéien et taborite

Dans les campagnes, le processus de diffusiondes idées hussites prit davantage de temps qu'enville, en raison du manque de communication etdes efforts de la réaction pour empecher lemouvement d'éclore.

Le mouvement lancé était cependantirréversible, et a partir du printemps 1419 desrassemblements se firent sur les collines et leshauteurs, a l'appel des prédicateurs. Les montset les collines sont en effet présentés dans laBible comme des points de jonction, d'ou le faitque des édifices religieux y sont également

construits.

Des milliers de personnes se rencontrerent ets'unirent, et le premier tres grandrassemblement « taborite » eut lieu le 22 juillet1419 sur le mont Burkovak, a 120 km dePrague, avec 40 000 personnes.

L'endroit fut appelé « Tabor », en référencea la transfiguration du Christ censée s'etredéroulée au Mont Tabor, pres du lac deTibériade en Palestine. Voici comment cela estprésenté dans l'Evangile selon Saint Matthieu :

« Six jours apres, Jésus prit avec luiPierre, Jacques, et Jean, son frere, et il lesconduisit a l'écart sur une hautemontagne. Il fut transfiguré devant eux ; sonvisage resplendit comme le soleil, et sesvetements devinrent blancs comme lalumiere. Et voici, Moïse et Élie leurapparurent, s'entretenant avec lui. Pierre, prenant la parole, dit a Jésus :Seigneur, il est bon que nous soyons ici ;si tu le veux, je dresserai ici trois tentes,une pour toi, une pour Moïse, et une pourÉlie. Comme il parlait encore, une nuéelumineuse les couvrit. Et voici, une voix fit entendre de lanuée ces paroles : celui-ci est mon Filsbien-aimé, en qui j'ai mis toute monaffection : écoutez-le ! Lorsqu'ilsentendirent cette voix, les disciplestomberent sur leur face, et furent saisisd'une grande frayeur. Mais Jésus, s'approchant, les toucha, etdit : Levez-vous, n'ayez pas peur ! Ilsleverent les yeux, et ne virent que Jésusseul. »

Une autre colline fut nommée de manieresimilaire « Oreb », pres de Trebechovice, enBoheme orientale. Les precheurs affirmaientqu'il fallait fuir Babylone, que les élus seconcentreraient sur les collines, se défendantface aux forces de l'antéchrist.

Un chant populaire se diffusera un peu plustard lorsque les évenements auront bouleversé ladonné :

« Debout, debout, grande cité dePrague! Avec tous les loyaux sujets de

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Boême : tempête hussite et révolution taborite

Boheme, l'ordre des chevaliers, tous ceuxqui portent les armes, dresse-toi contre le roi de Babylone[=l'empereur Sigismond de Luxembourg]qui menace la commune de Prague, cette(nouvelle) Jérusalem, et ses nombreuxfideles. »

Le dimanche suivant le grand rassemblementsur le Mont désormais appelé « Tabor », lanouvelle s'était répandue dans Prague, dont lecœur révolutionnaire avait changé d'endroit.

A Prague, la chapelle de Bethléem avait eneffet désormais comme precheur Jakoubek deStribro, un éleve de Jan Hus ayant pris le relais,avec une ligne modérée.

Avec la mise en branle des masses urbaines,ce fut alors l'église Notre-Dame-des-Neiges, dansla partie la plus récente de la ville, qui devint lepole de radicalité, avec comme precheur JanZelivsky, s'affirmant comme disciple de Nicolasde Dresde, qui avait assumé une ligne populaire-révolutionnaire.

Chassé de sa paroisse début 1419, pour avoirpratiqué la communion sous les deux especes,Jan Zelivsky avait trouvé refuge a Notre-Dame-des-Neiges, dont le responsable avait rejoint lehussitisme en 1415.

Inspiré par les Evangiles et l'Apocalypse, JanZelivsky precha six mois pour la plebe, peuplede mendiants, d'artisans déclassés, de valetaille.

Jan Zelivsky fondait ses preches surl'Apocalypse de Saint-Jean ; il assimilait lesprélats, les seigneurs et les patriciens al'Antéchrist, avec des prédications qui avaientun écho formidable.

Voici le contenu tres représentatif de lapensée de Jan Zelivsky, avec un extrait de sonsermon du 19 avril 1419 :

« Mais les apotres ne firent pas dechoses pareilles, ni avant ni apres, car ilsvivaient du travail de leurs mains et de laprédication de l'Evangile. Simon Pierre leur dit : Je vais pecher.Ils lui dirent : Nous allons aussi avec toi(Saint Jean, XXI, 3).

Car toutes les fois qu'un bon chrétienpropose quelque bonne chose, les autres lesuivent en cela. Ils y allerent donc aussitot; et ils entrerent dans une barque, mais ilsne prirent cette nuit-la. La nuit signifie le vice, et ce d'autantplus que nous avons a l'esprit cette nuitde l'Antéchrist ou nous vivons pour lors.Tout chrétien doit gagner sa subsistance aforce de travail. Ils mentent donc, les papes et lesmoines mendiants, quand ils se prétendentles successeurs des apotres. Mais pourtant les apotres travaillaientde leurs mains et peinaient avec le peuple.Si quelqu'un ne veut pas travailler, qu'ilne mange pas non plus (voir le secondépitre aux Thessaloniciens, III, 10). Aujourd'hui, tous les courtisans etlaquais et pretres enrichis, pasteurs del'autel et chanoines aspirent a une vie deparesse. »

Une semaine apres le premier grandrassemblement taborite, le 30 juillet 1419, desmasses vinrent s'assembler aupres de lui enétant munis de glaives, de javelots, de massues,Jan Zelivsky prechant sur la multiplication despains, faisait un sermon, affirmant : « O, quePrague serve en cet instant de modele a tous lesfideles non seulement en Moravie, mais aussi enHongrie, en Pologne et en Autriche. Et qu'ainsila parole de Dieu prenne de Prague son envol atravers le monde ! »

Reprenant l'affirmation de la nécessité detravailler pour gagner son pain, il développe lathese hussite selon laquelle toute personne aacces au pain du sacrement :

« Et que dois-je dire du pain dusacrement ?! Certes, tous ceux quitravaillent a des choses inutiles mangent lepain sans le mériter. Ils ne sont point dignes du pain, ceuxqui font commerce le jour du Seigneur ; ilsne sont point dignes du pain, ceux quiconvoitent une bouchée pécheresse ; ils nesont point dignes du pain, ceux qui dansleurs actions négligent le bien général,qu'ils soient rois ou princes, magistratssous serment ou autres fainéants de lacour que le travail dégoute et qui sepavanent dans un luxe pour lequeld'autres ont a grande douleur trimé. Ne sont pas non plus dignes du pain

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tous ces prélats qui ne travaillent pas avecle peuple selon l'ordre de l’Evangile, lorsmeme qu'ils se donnent bien du mal pourplumer les uns et les autres (...). Et que me faut-il dire des moines etdes nonnes ? Ils ne travaillent a riend'utile, ne s'occupent qu'a des futilités.Or, Dieu ne rassasie que ceux qui lesuivent en foule. »

A l'issue du sermon un cortege se forma,remontant la ville jusqu'a l'église Saint-Étiennedont le curé fut chassé. Jan Zelivsky reprit alorsson sermon, puis le cortege repartit jusqu'al'hotel de ville, ou étaient emprisonnées despersonnes ayant communié sous les deuxespeces.

Devant le refus de les libérer, les massesprirent d'assaut l'hotel de ville, défenestrant lebourgmestre, l'officier de justice et des gardiens.Ce fut l'acte fondateur de la tempete hussite etde la révolution taborite.

Les évenements s'enchainerent alors : lors dugrand rassemblement de la Sainte Madeleine (22juin 1419), Prague donna le signal de larévolution. Le 16 aout, Venceslas IV meurt,choqué par le déroulement des actions hussites.

Le 17 septembre, un manifeste populaireappela a un rassemblement du 30 septembre.Fin septembre furent mises en place les «Quatre articles », avec la participation de JanZelivsky.

Ces « Quatre Articles de Prague » furentécrits simultanément en latin, en tcheque, enallemand et en magyar. Les exigences étaient lessuivantes: la liberté de precher la parole de Dieudans le royaume, la communion sous les deuxespeces pour tous les fideles et ce sansdistinction d'age ni de rang, la sécularisationdes biens-fonds du clergé (soit au moins un tiersdes terres cultivables de Boheme, aux mains del’Église), le chatiment des péchés mortelspublics.

Le 25 octobre a Prague, les hussitess'emparerent du Vysehrad, la seconde placeforte de la ville. Entre le 4 et 10 novembre, le

gouvernement de la reine régente fut renversépar la milice pragoise aidée des taboritescampant aux portes de la ville.

L'empereur, intéressé par la mise de coté duclergé mais pas par le renforcement de lanoblesse, tenta de gagner du temps par unetreve ; inversement, le 1er mars 1420, le papeMartin V rédigea la bulle Omnium PlasmatorisDomini, appelant a la croisade de tous lescatholiques contre les hussites.

En juillet 1420, la premiere croisade anti-hussite fit le siege de Prague, dont la résistancefut organisée par Jan Zelivsky ; la ville futégalement aidée par les Taborites, et les forcesimpériales furent repoussés le 14 juillet 1420.

La noblesse s'empara massivement despropriétés du clergé, alors que les forcesurbaines faisaient de meme. Les positions del’Église catholique s'étaient effondrées.

11. La guérilla des charriots

L'organisation militaire hussite s'appuyaprincipalement sur une grande figure : Jan Zizka(environ 1360-1424).

Ayant fait ses armes en Pologne, sous lecondottiere morave Jan Sokol de Lamberk, ilétait retourné a Prague et avait été nomméchambellan de la reine. En 1419, il avait prispart a la journée du 30 juillet et était devenuchef des armées hussites des novembre 1419,volant de victoire en victoire avant de mourir dela peste bubonique en 1424.

C'est sa direction de l'utilisation de charriotspar les masses en guerre qui fut l'un desphénomenes ayant le plus frappé lors desguerres hussites.

La tactique militaire organisée par Jan Zizkaconsistait en des manœuvres rapides d'uneinfanterie munie d'arquebuses et de canons, etbien entendu également de fléaux issus del'agriculture pour les paysans, qui utilisaient des

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Boême : tempête hussite et révolution taborite

charriots pour le transport et pour laprotection.

La ligne était alors de pratiquer un tirconcentré, d'etre mobile et de viser la contre-attaque apres que l'ennemi ait tenté de percer lebarrage des voitures.

L'armée hussite était extremement mobile etaccordait une grande importance a lalocalisation de ses troupes dans un combat.

Cela nécessitait une discipline de fer bienentendu, qui fut établi en 1423 par Zizka dansun code militaire.

De plus, l'armée hussite avait organisé descommunes, corps consultatifs ou les soldatspouvaient exprimer leurs avis ; aux cotés descommunes de chevaliers et de bourgeois, il yavait ainsi une commune de « travailleurs ».

Le moral des troupes était ainsi au plus haut; d'autant plus que les « soldats de Dieu »étaient encadrés par des precheurs, motivant lestroupes et rappelant les objectifs recherchés.

Jan Zizka était hautement apprécié ; apres samort, la « légende » veut que ses soldats – quis'appelerent alors les « orphelins » - avaientconstitué un grand tambour constitué de sapeau.

Et les chants jouaient un grand role lors desaffrontements, pour élever le moral, maiségalement pour faire passer des messagestactiques en pleine bataille.

Voici quelques couplets de la chansonguerriere des Taborites :

« Vous qui etes les combattants deDieu, et de sa loi, Dieu suppliez pour qu'il vous aide et en lui espérez, car avec lui toujours l'emporterez!

Christ vous vaut bien que dam ayez : cent fois plus vous promet. Qui pour lui donne sa vie aura l'éternité.

Heureux les morts pour la vérité ! Ce Maitre ordonne : point de crainten'ayez de ceux qui tuent le corps. Il commande d'offrir sa vie pour l'amour du prochain

Ca, donc, archers, piquiers de l'ordre chevaleresque, porte-fléaux, pertuisaniers de peuple forts divers, que chacun songe au Maitre, a seslargesses!

(...)

Tout le mot d'ordre retenez, lequel vous fut donné. Et vos hetmans regardez et l'un l'autre vous secourez. Veille chacun et tienne ferme son rang!

Et puis allegrement clamez: Oh! Sus! Contre eux! Contre eux! Votre arme étreignez et criez: Notre Maitre, c'est Dieu! »

Cette sorte de guerre populaire avant l'heureest culturellement – historiquement formidable.

12. L'effervescence populaire taborite

Tabor comme lieu de rassemblement demasse fut le lieu d'une effervescence sans pareil.Les precheurs populaires-révolutionnairesavaient réussi a synthétiser une ligne pourmobiliser les masses.

L'objectif révolutionnaire était clair, et ced'autant plus que la contre-révolution étaitd'une grande force. Cela produisit en réactionune grande élévation du niveau politico-militairedes masses taborites.

Ainsi, Tabor disposait de chefs militaires

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brillants : Jean Zizka , Nicolas de Hus, JeanHvezda, Bohuslav de Svamberk. A coté de laville de Tabor proprement dit, des places forteslui étaient directement liées: Tabor, Pisek (ourésidait d'ordinaire leur éveque Nicolas dePelhrimov), Vonany, Klatovy, Sobeslav.

Tabor connaissait ainsi une grandedynamique culturelle ; si d'un coté les textes surla Bible écrits par les docteurs universitairesétaient catégoriquement rejetés, une énormeattention était accordé aux études de la Bible,aux discussions, etc.

Tous les témoignages sur les taboritesracontent une énorme attention a la culture, auxbibliotheques, etc. Des écoles étaient ouvertespour tous et toutes, il n'y avait pas dedistinction arbitraire. De fait, l'illustrepédagogue tcheque Comenius, du XVIIe siecle,qui voulait apprendre tout a tous, se situeradans la tradition culturelle ouverte a Tabor.

Voici également comment Laurent deBrezova, un hussite modéré et critique destaborites, raconte leur culture:

« Lorsque ces exercices spirituelsétaient terminés, on allait restaurer sesforces en plusieurs endroits du plateaudestinés a cet usage. La on prenait part aun banquet ou régnaient non pas laluxure, la débauche, la frivolité ou ladissipation, mais l'amour fraternel et ledésir de mieux servir le Seigneur. Ils s'appelaient entre eux freres etsoeurs, le riche partageant avec le pauvrela nourriture que l'on avait préparée. Lesboissons fermentées étaient interdites. Ladanse, les dés, les boules et autres jeuxn'étaient tolérés ni chez les adultes, nichez les enfants. Il n'y avait la point de rixes, ni delarcins; aucun air de flute ou de vielle nevenait les distraire, comme dans leskermesses. Observant les moeurs desapotres, ils n'étaient qu'un coeur, qu'uneame, qu'une volonté et leurs conversationsroulaient uniquement sur le salut et sur leretour du clergé a l'église primitive. »

Parmi les valeurs des taborites, il constate:

« Le croyant n'est tenu d'ajouter foi aaucune autorité écrite, a aucune maximedes docteurs quels qu'ils soient, al'exception de ce qui est explicitementcontenu dans le canon biblique. Lesouvrages des maitres sont des artifices del'antéchrist et, comme tels, ils doivent etrerejetés, anéantis ou bruler (...).

Il faut rejeter la confession auriculaireet n'en faire aucun cas. Les pécheurs –meme les criminels – n'y sont pas tenus. Ilsuffit de se confesser mentalement a Dieu(...). Il ne faut pas croire qu'il existe, apresla mort du corps, un lieu de purificationpour les ames. Il est sot et vain de prierou de faire des actes de dévotion pour lesmorts. Les invocations, les prieres vocales etmentales que l'on adresse aux saints de lapatrie céleste pour requérir leur aide ontune saveur d'hérésie et d'idolatrie. Il est interdit, sous peine de se rendrecoupable d'idolatrie, de conserver desimages ou d'autres similitudes des chosesqui existent sur la terre ou dans le ciel.Chaque objet de ce genre sera détruit etlivré aux flammes, car il est écrit dans lelivre de l'Exode: « Tu ne te feras pasd'image ni de représentation. » (...) Ces pretres évitaient de célébrer lamesse sur des autels consacrés parce que,disaient-ils, ces autels n'appartenaient pasa Dieu, mais au diable et aux idoles; ilsn'avaient été consacrés a Dieugratuitement, mais pour de l'argent acquispar la simonie, non pas en l'honneur deDieu, mais en l'honneur d'un saint: il étaitjuste, par conséquent, de les détruire. Partout ou cela leur était possible ilssaccageaient ou incendiaient lessanctuaires, reversaient les autels ou enbrisaient les coins, les rendant ainsiimpropres a la célébration du culte. Ils enseignaient aussi que les couventssont des repaires de brigands et qu'ilsn'ont pas été fondés en accord avec la loidu Christ: car le Christ a ordonné a sesdisciples et, par leur intermédiaire, a tousles pretres, d'aller par le monde precher etbaptiser au nom du pere, du fils et dusaint souffle. Aussi les croyants sont-ilstenus de détruire ou de raser toutes lesmaisons de religieux, qu'ellesappartiennent aux ordres mendiants ouaux ordres dotés, afin que les moines et lesfreres s'en aillent precher de par le monde.»

Enea Silvio Piccolimini, de passage aTabor et nullement favorable, raconte: « Sur la

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Boême : tempête hussite et révolution taborite

porte extérieure de la ville, il y avait deuxécussons. L'un figurait un ange tenant un calice,comme s'il voulait exhorter le peuple acommunier sous l'espece du vin. Sur l'autreétait représenté Ziska, sous les traits d'unvieillard frappé de cécité. »

13. Le communisme taborite

Tabor, en tant que lieu d'effervescencepopulaire, disposait également d'une démarchecommuniste.

Dans les villes de Pisek, Wodnian et Tabor,des organisations communistes se développerent,parvenant a prendre le pouvoir a Tabor. Larégion disposait d'une petite industrie aurifereet de tisserands ; les revendications communistesexistaient dans la région depuis plusieurs annéesdéja.

Le communisme avait une forme millénariste(ou « chiliastes ») : la fin des temps avaitcomme contenu l'abolition des classes sociales,le collectivisme.

Dans les articles chiliastiques de Tabor de1420, on peut lire :

« D'abord, qu'il y aura de notre tempsla consommation des siecles, c'est-a-direl'extirpation de tout le mal en ce monde.Aussi, que ce temps n'est plus le temps dela miséricorde et de la pitié, ni del'indulgence envers les méchantes gens quis'opposent a la loi divine. Ce temps est désormais le temps de lavengeance et des représailles contre lesméchants, par le glaive ou par le feu, ensorte que tous les adversaires de la loi deDieu doivent etre tués par le glaive ou lefeu, ou mis a mort de quelque facon. En ce temps, toute personne quientendra cette parole du Christ, doncaussi ceux qui sont de Judée, devrontcourir au sommet des montagnes, et ceuxqui ne sortiront pas des villes et desvillages et des lieux enclos pour aller surles montagnes ou a Tabor, tous ceux-lacommettront un péché mortel. »

On lit aussi :

« Les freres taborites doivent, par lefer et par le feu, tirer vengeance desennemis de Dieu et de toutes les cités,villages et hameaux. Les freres de Taborsont le corps dont il est dit : n'importe ouce corps sera, la l'aigle lui-meme seposera. Il est écrit de ces freres : tout lieuque votre pied foulera sera votre, car vousavez abandonné peu pour récolterbeaucoup. »

La religion, en tant que telle, n'a plus deplace, car la communion avec Dieu devientdirecte :

« Toute église, chapelle ou autel édifiéen l'honneur du Seigneur Dieu ou den'importe quel saint doit etre détruit oubrulé comme servant l'idolatrie. Toutemaison d'un curé, chanoine, chapelain outoute autre maison sacerdotale doit etreabattue ou incendiée. »

Le collectivisme est la démarche quicommence immédiatement :

« De meme qu'a Hradiste ou a Tabor,rien n'est mien et rien n'est tien, maistout est propriété commune, de la memefacon tout doit appartenir a tout le mondeen commun et nul ne doit rien posséder enpropre ; car qui a quelque chose a luicommet un péché mortel. »

Si la plebe de Prague appréciait Tabor et sisa formation eut un écho formidable unesemaine apres, la bourgeoisie et la noblesseshussites considéraient la position taboritecomme insupportable.

Elle exigea une « disputatio » le 10 décembre1420, pour que les taborites s'expliquent sur 76points considérés comme « hérétiques ».

En réalité, la logique taborite allait dans lesens de l'abolition de la féodalité la pluscomplete ; c'était inacceptable pour la noblesse,mais également pour la bourgeoisie quientendait développer le capitalisme, et meme

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pour une partie des artisans et commercants,liés aux couches supérieures de Pragueconsommant nombre d'objets de luxe.

Le principe d'une « caisse commune » et del'abolition de la propriété privée telle quepratiquée a Tabor se heurtait directement a lanature de classe des couches dominantes aPrague.

Cependant, une caisse commune n'étaitpossible que si la production était organisée encommun. En pratique, seule la consommationpouvait etre commune, et encore y avait-ild'abord une consommation familiale, puis ce quiétait en surplus était donné a la caissecommune.

En conséquence, l'aile radicale exigeal'abolition de la famille, afin que l'unité la pluscomplete soit effectuée.

Dans la logique du communisme primitif quiétait formulé ici, tout homme devenait Adam ettoute femme devenait Eve, il n'existait plus de «péché ». Deux conceptions conjugalesdominaient alors par ailleurs chez lescommunistes taborites : l'union libre ou bien lecouple avec possibilité de séparation.

Le terme « adamite » finit par désigner cecourant, également parfois appelé Picard, desfamilles picardes ayant cette conception s'étantréfugiées en Boheme quelques annéesauparavant.

Les « adamites » ne se promenaient sansdoute pas « nu », vu les conditions climatiquesde la Boheme, mais en tout cas ils affirmaient lecaractere « pur » de leur démarche, considéréecomme conforme a l'abolition des valeurs de lapériode précédente, de par la fin des temps.

Cependant, cette démarche niant ledéveloppement de l'individu, pour retourner aucommunisme primitif, ne pouvait pas etreacceptée par les masses taborites. Les adamitesou picards resterent a la marge du mouvement,tout en étant le pole le plus radical.

Les larges masses, cependant, ne pouvaient

pas historiquement assumer des exigencesconformes a un mode de production déjadépassé, ou pas encore atteint. Laconsommation collective exigeait une productioncollective impossible encore historiquement.

14. Écrasement du communismetaborite

Les Taborites les plus radicaux nedisposaient pas d'un mode de productionadéquat par rapport a leurs exigences. S'ilsanticipaient le communisme futur, leurdémarche revenait cependant a se précipiterdans le passé, dans un égalitarisme étant celuidu premier christianisme, dans l'esprit ducommunisme primitif.

Cette situation d'arriération bloquait lacompréhension de la lutte des classes, alorsqu'inversement les artisans, les bourgeois et leshobereaux (la petite noblesse, les chevaliers)savaient se montrer indispensables, de par laproduction proposée, la capacité culturelle aorganiser ou encore le savoir-faire militaire.

Ainsi, le programme taborite d'abolir leservage et les privileges aristocratiques, desupprimer le pouvoir royal, la mise en communde tous les biens de consommation, se voyaientirréalisables pratiquement, et inversement undanger pour les couches non populairescomposant le mouvement.

Tant la noblesse que la bourgeoisie, mises decoté par le flot paysan et plébéien du début dumouvement, ne pouvaient tolérer l'affirmationsocial-révolutionnaire taborite. La noblesse étaitune composante de l'aristocratie, remettrel'ordre féodal en cause lui était impossible.

Et la bourgeoisie n'était pas assez développéepour imaginer un cheminement indépendant dela noblesse en elle-meme.

C'est en ce sens qu'il faut comprendre qu'endécembre 1420, des théologiens convoqués a

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Boême : tempête hussite et révolution taborite

l'hotel du grand maitre de la monnaiecondamnerent 72 propositions des prédicateurstaborites.

Jan Zizka procéda pour cette raison al'écrasement au sein de ses propres troupes desfractions les plus révolutionnaires, organiséesautour du precheur Antoch.

Puis, il mena une opération contre Tabor,écrasant les forces populaires révolutionnaires,mettant sur le bucher soixante de leurs cadres aKlokoty. Il traqua les dernieres structuresadamites, organisant la mort par le glaive oupar le feu.

Sur le plan idéologique, il fallait égalementune distinction, et la fraction hussiteconservatrice mit en avant le refus du caracteresacré du sacrement de l'autel par leshérétiques ; de fait, la fraction populaire-révolutionnaire entendait abolir le principed'église en tant que tel.

Martin Huska, le dirigeant de la fractionpopulaire-révolutionnaire de Tabor, avait ainsiconstaté que le sacrement de l'autel pouvaitmoisir, etc., et par conséquent que cela nepouvait etre considéré comme sacré.

La fraction populaire-révolutionnaireprocédait a une remise en cause générale duchristianisme dans sa forme organisée a l'époquedes ages roman et gothique, et cela allait troploin pour la fraction hussite conservatrice.

Martin Huska tenta par la suite de rejoindreun Nouveau Tabor fondé en Moravie, pres deNedakonice, sur la riviere Morava, qui fut lui-meme vite écrasé. Il fut cependant capturé enroute, torturé a de nombreuses reprises, sans serepentir pour autant et il fut finalement mis aubucher le 21 aout 1421, de maniere discrete afind'éviter un soulevement populaire a Prague.

L'écrasement des forces communistespaysannes mit sur le devant de la scene a Taborles artisans et la petite-bourgeoisie, dans unecité nouvelle sans patriciens ni grandsbourgeois.

Toute conception communiste fut écrasée etles Quatre articles de Prague furent renforcésdans un sens bourgeois populaire, avec le droitde sanctionner les péchés accordé a toutmembre de la confrérie de Tabor, et non plusseulement aux personnes désignées par lesautorités.

15. Ecrasement du mouvement plébéienpraguois et succes hussites

L'une des grandes faiblesses de la révolutiontaborite est de ne pas avoir su se lier aux gueuxdes villes. Mais, apres l'écrasement ducommunisme taborite, Jan Zizka put réussir acollaborer avec Jan Zelivsky afin de combattreles villes de Boheme encore controlées par lepatriciat et le haut clergé.

Le grand succes de l'opération amena lanaissance de deux structures étatiques :

- la Fédération urbaine praguoise, conduitepar Jan Zelivsky et regroupant les 21 principalesvilles de Boheme (Prague, Beroun, Slany, Louny,Kadan, Chomutov, Litomerice, Bela podBezdezem, Melnik, Kostelec nad Labem, CeskyBrod, Kourim, Nymburk, Kolin, Kutna Hora,Caslav, Chrudim, Vysoké Myto, Policka,Litomysl, Jaromer, Dvur Kralove) ;

- la Fédération urbaine taborite, avec desvilles du Sud et de l'Ouest : Tabor, Pisek,Prachatice, Susice, Horazdovice, Klatovy,Domzlice.

Si la Fédération urbaine praguoise était lastructure la plus puissante, Jan Zizka était legrand chef militaire. Il sauva la situation aZatec et il organisa la victoire sur l'empereurSigismond, qui avait momentanément reprisKutna Hora.

Devenu aveugle apres la perte de son seul œil(il était borgne depuis la jeunesse), il devint unevéritable légende.

Cette situation de stabilité provoquée par la

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victoire sur les croisades catholiques amena labourgeoisie a faire a Prague ce qui avait étéréalisé a Tabor, mais elle était face a unobstacle : le mouvement dirigé par Jan Zelivsky.

Faisant partie du conseil des Vingt nomméspour la Diete afin de gouverner le royaume demaniere provisoire, Jan Zelivsky était ledirigeant plébéien de la capitale.

Il avait en effet banni de Prague les dernierspatriciens et fait procéder a de nouvellesconfiscations, il avait mené un soulevementpopulaire le 30 juin 1421, modifiant lacomposition du conseil municipal de la vieilleville.

Et lorsqu'en septembre les croisés menerentl'offensive depuis la Silésie, beaucoup de noblesse rallierent a eux ; en réponse, Jan Zelivskyinstaura la dictature militaire le 19 octobre1421, afin de contrer une alliance des nobleshussites et catholiques.

La situation devenait intolérable pour labourgeoisie qui voyait la fraction populaire-révolutionnaire urbaine se renforcer toujoursplus.

Jan Zelivsky fut ainsi attiré dans un guet-apens a la mairie de la Vieille Ville et massacréle 9 mars 1422, la nouvelle n'étant pas répandueafin d'éviter un soulevement populaire.

Avec le meurtre de Jan Zelivsky, la fractionhussite-conservatrice avait le champ libre, carl'idéologie populaire-révolutionnaire n'était pascimentée, pas synthétisée ; elle pouvait parconséquent assumer entierement le nouvel État,qu'il était également désormais possibled'unifier.

Lors de la diete de Caslav, réunie en juin1421, vingt personnes furent ainsi chargées degouverner provisoirement le pays : huitreprésentants de la fédération urbaine dontquatre bourgeois praguois, deux délégués deTabor et encore s'agissait il des responsablesmilitaires Jan Zizka et Zbynek de Buchov, etenfin cinq seigneurs et cinq chevaliers.

De son coté, la noblesse hussite tentait denégocier avec les seigneurs catholiques ;inversement, la bourgeoisie tentait de maintenirun rapport de force suffisant afin de maintenirses positions, tout en acceptant le principe denégociation.

Les forces représentées par Jan Zizka, parcontre, formaient une alliance artisans-petitenoblesse avec un appui paysan ; ces classesn'avaient pas intéret a un compromis. Jan Zizkaallait dans le sens de l'union de cette allianceavec la bourgeoisie, a la fois contre les forcespopulaires-révolutionnaires radicales et contreles Pragois soupconnés de collusion avec lanoblesse catholique.

C'est également cette ligne intermédiaire quifera que le révisionnisme en Tchécoslovaquiemettra en avant Jan Zizka comme le grandhéros national, aux dépens des Taborites etsurtout des Adamites – Picards, c'est-a-dire descommunistes utopistes.

Jan Zizka rejoignit alors en Boheme orientaleune nouvelle confrérie, les Orébites (du MontOreb formé parallelement au Mont Tabor lorsde la premiere vague révolutionnaire), ainsiqu'un Petit Tabor, dans la cité de HradecKralové.

Puis, il mena l'offensive contre Prague, afind'écraser, lors de la bataille de Malesov en 1424,les seigneurs hussites et catholiques, obligeant lafédération urbaine a se rallier a lui. Jan Zizkadécéda cependant le 11 octobre 1424.

A la mort de Jan Zizka, les Orébites prirentle nom d'orphelins, entrerent en concurrenceavec les taborites, ce qui manqua meme de setransformer en guerre ouverte (paix de Vrsoviceen 1425). Ce fut alors Procope le rasé – il neportait pas de barbe, contrairement a ce quiétait courant dans le mouvement – qui succédaa Jan Zizka.

Avec un quartier général a Kutna Hora, ilparvint a unifier face a l'ennemi les troupestaborites, des orphelins et des troupespraguoises lors de l'écrasement de la croisade

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conduite par le cardinal anglais Henry deWinchester. Les forces catholiques avaient alorstenté d'utiliser également des chariots, aunombre de 10 000, mais cela ne suffit pas face ala détermination hussite.

Par la suite, Procope le rasé participa auxnégociations avec les forces catholiques aPresbourg / Bratislava, exigeant de l'empereurSigismond l'application des Quatre articles dePrague, et expliquant :

« Les Tcheques ont tiré l'épée pourdéfendre les vérités de Dieu et ils ne laremettront au fourreau qu'apres avoirgagné tout le monde a ce programme. »

Devant le refus catholique, l'armée hussitepris les devants, et a partir de 1426 elle franchitles frontieres, attaquant les pays allemands,l'Autriche, la Hongrie, empechant de nouvellescroisades et affaiblissant la féodalité dans lespays voisins, avec également une largepropagande.

La Hongrie était un bastion catholique, avecégalement la Boheme du Sud ou la ville deBudejovice et les grands domaines des seigneursRozmberk présentaient une grande menacemilitaire, associée a la ville fortifiée de Plzen,ainsi qu'aux villes fortifiées de Moravie tellesqu'Olomouc, Jihlava, Znojmo et Brno.

Lors des invasions hussites, les cures, lesmonasteres, les églises et les manoirs étaientsystématiquement visés, avec la recherche del'appui des paysans ; l'armée hussite parvint acontroler toute la Silésie.

Lorsque les patriciens allemands de Breslauenvoyerent des troupes contre la pénétrationhussite dans cette derniere région, celles-cirefuserent de se battre, alors qu'un grandnombre de valets de fermes et de paysansallemands passerent dans le camp hussite.

La Chanson sur la victoire de Domazlice,composée en 1431 par Laurent de Brezova,témoigne de l'esprit conquérant et universaliste

de l'imaginaire hussite :

« Et alors l'épée se changera encharrue et en faucille le javelot, Dieu l'apromis, les armes ensuite seront fondues en cloches qui nous salueront. Plus nation le glaive ne brandira, plus guerre a sa voisine ne fera, car de paix jolie et de vie cote a cote s'iront tous avec tous réjouissant. »

16. L'effondrement faute de directionrévolutionnaire

L’Église catholique était une forcedéveloppée, avec un parcours historique profond; elle tenta ainsi de se montrer plus habile queles forces nouvelles, en appuyant autant quepossible l'opportunisme.

Elle louvoya autant que possible et appuya lanoblesse hussite, qui était prete a abandonnerles Quatre articles de Prague, a part lacommunion sous les deux especes.

Celle-ci fit en sorte de mettre la bourgeoisiepraguoise sous sa coupe, et d'étouffer la fractionde Procope le rasé, qui sans la base populaire-révolutionnaire ne possédait de toutes manieresplus de dynamique en termes d'orientation.

L’Église catholique admit tout d'abord, lorsd'une rencontre entre délégués du concile etdélégués des partis hussites, a Cheb en mai1432, que l'autorité supreme lors des discussionsne serait pas le concile lui-meme, mais la Bible.

C'était la premiere fois que l’Églisecatholique reconnaissait une « hérésie » commeayant une dimension relevant de la discussion ;cependant, c'était fait dans un esprit tactique.

C'était une maniere de scinder les hussites, etde fait Procope le rasé fut relevé de son postede commandement, alors que les massesorganisées en armée permanente perdaient

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toujours plus leur lien avec leur origine socialeet devenait corruptible a l'attrait des pillages.

Les longues campagnes faisaient en effet quedes familles entieres se mettaient en branle,combattant telles des tribus restant toujoursensemble, alors que dans les bases une partierestait afin de produire dans les champs.

La guerre de 1419-1434 avait enrichi lesfournisseurs de l'armée et une bourgeoisie seformait, avec a la fin des patriciens de Taborétant seigneurs de 130 villages.

Karl Kautsky note ainsi de maniere correcteconcernant la question de la directionrévolutionnaire :

« Les communistes de Tabor n'avaientjamais été qu'un petit morceau du Partidémocratique, qu'on nommait lestaborites. Ils étaient la composante la plusénergique, la plus sans compromis, a toutniveau ceux qui allaient le plus loin et deloin les plus efficaces militairement. Mais les masses, qui appartenaient a ceparti, étaient des petits-bourgeois urbainset des paysans, pour qui le programmecommuniste était sans importance. Plus laguerre durait longtemps, plus ces élémentsen souffraient. »

A coté de cela, l'aristocratie essayait deremettre le trone de Boheme a la Pologne (queles « Orphelins » aiderent face aux chevaliersteutoniques) ou la Lituanie, deux puissancesrelativement indépendantes du pape alors ;l'esprit de compromission grandissait de plus enplus.

L’Église catholique pesa de tout son poidspour un accord secret entre la noblesse hussiteet la noblesse catholique, pour faire en sorted'aider secretement le bastion catholique dePlzen pour qu'il ne tombe pas face aux taboriteset aux orébites.

L'éveque de Tabor, Nicolas Biskupec,constatait alors :

« Comme nous l'avons appris au sujetde plus d'un, au temps ou ils étaientpauvres, jamais ou fort rarement ilsn'acceptaient de rester au repos dans latranquillité de leurs foyers citadins, disant: je ne manquerai pas une bataille, j'iraitoujours en découdre ! Mais a peine ont-ils réussi a garnir depieces d'or leurs escarcelles, leurs bourseset leurs sacs que voila quittant l'armée ala premiere occasion, ils flanent sans rienfaire, se montrent amateurs de banquets,s'enivrent, revetent de somptueuxcostumes, se marient et ne sont plus quejouisseurs gras a lard. »

Ainsi, l'union de l'aristocratie catholique ethussite, rejoint par la Moravie, la vieille ville dePrague, Kuttenberg, la ville de Plzen qui étaitle bastion catholique, la ville de Melnik, réussitson pari d'unification contre la nouvelle ville dePrague, les orébites et les taborites.

L'Unité seigneuriale occupa la ville dePrague le 9 mai 1434, puis au moyen d'unearmée composée notamment d'aides de camp deJan Zizka retournés, écrasa les troupes deProcope le rasé lors de la bataille de Lipany, le30 mai 1434, au moyen de 25 000 mercenairesmassacrant 13 000 combattants taborites etorebites, brulant vif les prisonniers entassésdans des granges.

La trahison du chef de la cavalerie, JohannCapek, joua un role déterminant dans la défaite.Mais l'incapacité du cœur démocratique dumouvement a se développer fit que la forceidéologique taborite s'était terriblement affaiblie; l'opportunisme et le carriérisme avaientcorrompu le mouvement, comme le prouvait laprésence d'anciens taborites dans le campennemi.

Voici la derniere lettre de Procope le rasé,envoyé a Prokupek, le « hetman » (dirigeantmilitaire) des Orphelins :

« Que Notre Seigneur Tout-Puissant,qui ramene l'éclaircie apres lesbourrasques et la consolation apres leschagrins, soit avec toi, frere en Christ amoi cher entre tous ! Sache qu'avec la permission de Dieu,

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Boême : tempête hussite et révolution taborite

les félons seigneurs provinciaux et lesPraguois de la Vieille Ville ont attaquénos freres bien aimés, les bourgeois de laVille Neuve ; ils en ont tué un certainnombre et se sont rendus maitres de leurcité, comme nous l'avons vu de nos yeux. C'est pourquoi il nous parait qu'il vousfaut, toutes affaires cessantes, vous dejeter de Plzen en direction de Sedlcany.Capek assurément rassemble unemultitude du peuple et de nous de memedu coté de Tabor, comme nous l'espérons ;car il nous vaut mieux mourir que de nepoint venger le sang innocent de nos chersfreres, traitreusement répandu. Soyez avec Dieu, sachant que punissantles siens, il les réjouit ensuite ! »

17. Épilogue et prélude de la guerre despaysans en Alllemagne

Pour bien marquer la fin de la questionhussite, l’Église catholique organisa la signature,lors d'un Concile a Bale en 1436, lesCompactats de la Boheme hussite, avec l'accordde l'empereur Sigismond : l'hussitisme se voyaitreconnu partiellement.

L’Église catholique avait alors perdu lagrande majorité de ses propriétés foncieres.Cependant, une nouvelle dynastie se mit enplace, les Jagellon (1471-1526), et la royautéétait alors faible : les membres de la courétaient huit fois moins nombreux qu'en France,il n'y avait pas de juristes ni de savants, ni dedames d'honneur.

Il put ainsi y avoir recatholicisation,notamment avec Vladislas Jagellon (1471-1516),aux dépens de la noblesse hussite et de labourgeoisie pragoise.

La dynastie des Habsbourg, de ce quideviendra l'Autriche, peut alors intervenir enBoheme et la soumettre, organisant lasuppression des institutions démocratiques desgrandes communes en 1528.

Une révolte eut lieu contre l'empereurFerdinand Ier en 1547, avec l'appui des villestcheques, mais elle échoua, et par conséquent les

villes furent privées de leurs biens et de leursrevenus, et fut mise en place l'institution ducontrole par des hetmans et des bourgmestresroyaux.

Enfin, les forces catholiques et autrichiennesécraseront définitivement la noblesse tchequehussite lors de la Bataille de la Montagne-Blanche, en 1620, inaugurant « l'age desténebres » pour la nation tcheque qui estplongée dans le Baroque.

Du coté populaire-révolutionnaire, les restesdu mouvement hussite se plierent a la nouvellesituation ; la ville de Tabor remplaca le calicepar l'aigle noir a deux tetes, embleme del'empereur germanique redevenant souverain deBoheme.

Jean Rohac de Duba, ami de Jan Zizka et deProcope, mena la derniere résistance, seregroupant finalement dans le chateau de Sion,qui résista plusieurs mois. Apres la prise de lacitadelle, les troupes de l'empereur massacrerenttout le monde sauf Rohac et soixante de sescompagnons qui furent atrocement torturés,puis pendus a Prague.

Cette fois, la plebe devait faire face a unependaison ouverte d'un des symboles de ce quiaurait du etre sa révolution.

Quant a Tabor, en 1451 il fut exigé la remisedes pretres taborites, ainsi que de Nicolas dePelhrimov, élu éveque par les taborites.

Nicolas de Pelhrimov parlait de « loinaturelle et éternelle », d'une « égliseuniverselle. » Il s'exprimait contre la peine demort :

« Eu égard a ces autorités et ad'autres semblables, et voyant comment degrands docteurs en ce temps de grace ontinventé des peines moindres que la mortpour punir les pécheurs, je souhaite qu'enpunissant le coupable le juge se conduisecomme un pere et non comme un tyran;qu'il prenne en considération non lesjugements de l'ancienne loi, ni les loishumaines qui sont en désaccord avec cellede l'évangile, mais l'avancement du Christet la pratique de l'église primitive. »

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Devant le refus de remettre ce personnelreligieux, la ville fut par conséquent assiégée etdut capituler. Nicolas de Pelhrimov finit sesjours en prison, alors que le pays passait sous lacoupe du « roi hussite » Georges de Podebrady.

C'en était fini de la république autonome deTabor. Pierre Chelcicky (environ 1390-1460) estle grand théoricien pacifiste issu de la défaitetaborite; ses idées n'avaient pas de succes avantla grande défaite, elles eurent un écho par lasuite, avec ses écrits Postil les et Filet de lavraie foi.

Il est intéressant de noter que PierreChelcicky a été une source d'inspiration pourl'écrivain russe Léon Tolstoï, Tolstoï que Léninedécrira comme le « miroir de la révolution russe» ; c'est comme si l'histoire des luttespopulaires-révolutionnaires redémarrait a partirde la ou elle s'était arretée.

Voici de maniere tres parlante la visionparfaitement romantique qu'a Pierre Chelcickyde la ville, qu'il voit comme un phénomenemonstrueux :

« Le maitre contradicteur [c'est-a-direWyclif, s'inspirant de Flavius Josephe],discourant sur l'origine des villes, dit queCain batit une ville apres avoir assassinéson frere. Il fit ceci parce qu'il avaitaccumulé des biens par la violence et levol. Il employa le fruit de ses rapines acréer des bornes, des poids et des mesures,et changea l’innocence de la vie primitiveen ruse et fourberie. Le premier, il établit les frontieresentre pays, entoura les villes de rempartspar crainte de ceux que lui et sa hordeavaient dépossédés, et il assembla sescompagnons dans ses cités. Voila commentl'écriture et les maitres expliquentl'origine des villes. Telle a été l'origine des villes et descitadelles; tel est aujourd'hui le fondementsur lequel elles reposent. Personne d'autreen effet ne pourrait habiter une ville ouune citadelle sinon des assassins, desviolateurs de la légalité, des usuriers, desmarchands, des trafiquants, des friponsqui vivent principalement de fraude et dedéprédation.

Ceux qui fondent les villes s'yétablissent au prix de telles iniquités qu'ilsdoivent recourir a la violence, pour seprémunir contre les crimes qu'ils ontperpétrés, car ils sont constamment enbutte a la haine, l'iniquité ou la trahison;ils sont prets a vider leurs querelles enversant le sang et en rendant le mal pourle mal. S'ils ont une place forte pour sedéfendre, ils pillent et terrorisent le paysafin de s'enrichir. »

Cependant, la révolution taborite avaitouvert les portes de l'histoire. Moins d'un siecleapres Tabor et Prague, villes révolutionnaires,en 1521, le grand révolutionnaire paysanallemand Thomas Muntzer, la seconde grandefigure protestante allemande avec MartinLuther, viendra a Prague composer son PragerAnschlag (Manifeste de Prague), appel mystiquea instaurer par les armes la justice divine.

Le drapeau rouge s'était formé au cœur desmasses populaires mondiales ; il ne pouvait plusetre abaissé historiquement.

18. Le Manifeste de Prague de ThomasMuntzer

Voici, a titre d'illustration, le PragerAnschlag (Manifeste de Prague) de ThomasMuntzer.

« Moi, Thomas Muntzer, natif de Stolberget résidant a Prague, la ville du saint etvaleureux combattant Jean Huss J'ai l'intention d'emplir d'un chantnouveau a la louange de l'Esprit- Saint lestrompettes éclatantes qui sonneront lemouvement. De tout mon cœur j'apporte témoignageet adresse de pitoyables plaintes a toutel’Église des Élus ainsi qu'au monde entier,partout ou cette missive pourra parvenir. Le Christ et tous les Élus qui m'ont connudepuis mes jeunes années attesteront ceprojet: Je déclare et assure par ce que j'aide plus précieux que je me suis appliquéde toutes mes forces a reconnaitre mieuxet plus profondément que quiconque quelssont les fondements de la sainte etinvincible foi chrétienne.

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Boême : tempête hussite et révolution taborite

Et je suis assez hardi pour dire en véritéqu'il n'est pas un seul pretre oint, de poix,pas un seul moine cagot qui aient jamaisété capables de dire la moindre chose surce fondement de la foi. De meme, bien des gens ont déploré avecmoi avoir été véritablement l'objet d'uneintolérable tromperie, sans que leur soitapporté aucun réconfort qui leur eutpermis de conduire avec prudence tousleurs désirs et toutes leurs actions selon lafoi et de surmonter par eux-memes tousles obstacles. Et ils n'ont pas pu nom plus et nepourront au grand jamais dé couvrir lesépreuves salutaires, ni combien estprofitable l'abime d'une ame prédestinéequi a fait le vide en elle. Car l'esprit de la crainte de Dieu ne les apas possédés, lequel se présenteinébranlablement comme unique but auxÉlus submergés et noyés dans ces ondesque le monde ne peut supporter. Bref,tout homme doit avoir recu l'Esprit-Saintsept fois, faute de quoi il ne peut entendreni concevoir le Dieu vivant. Je déclare sincerement et avec force que jen'ai jamais entendu un seul de cesdocteurs (qui ne valent pas un pet d'ane)murmurer, a plus forte raison énoncer. ahaute et intelligible voix un seul petit motet sur le moindre point au sujet de l'Ordrequi réside en Dieu et dans les créatures. Meme ceux qui ont le premier rang parmiles chrétiens (c'est aux pretres suppots del'enfer que je pense) n'ont jamais flairéune seule fois ce qu'est le Tout, ouPerfection non divisée, qui est la mesureégale de toutes les parties et supérieure ace qui est partiel, I Corinthiens 13, Luc 3,Ephésiens 4, Actes 2, 15, 1 7. Biensouvent, je les ai entendus citer l’Écriture,et rien de plus qu'ils ont sournoisementdérobée dans la Bible avec la fourberie desvoleurs et la cruauté des meurtriers. Pour ce vol, Dieu les maudit lui-meme,qui dit par la bouche de Jérémie 23, 16 :«Écoutez ! J'ai dit au sujet desprophetes : chacun de ceux-la. vole mesparoles chez son prochain, car ilstrompent mon peuple. Je ne leur ai pasparlé une seule fois, et ils usurpent mesparoles pour les pourrir sur leurs levresfétides et dans leurs gosiers de prostitués.Car ils nient que mon Esprit parle auxhommes». Pleins de sarcasmes et de railleriehautaine, ils mettent en avant leur qualitéde moines en prétendant que le Saint-Esprit leur a donné un témoignageirréfutable qu'ils sont les enfants de Dieu,Romains 8 et Psaume 142. Il n'est pas du tout étonnant que ceshommes damnés soient hostiles a ces

paroles, car Jérémie, au chapitre cité plushaut, dit a leur sujet : «Mais qui donc aassisté au conseil du Seigneur ? Qui a vuet entendu la parole de Dieu ? Qui aobservé, ou qui peut dire qu 'il a entenduDieu parler ?» C'est sur ces hommes orgueilleux, endurciscomme des billes de chene et insensibles atout bien, Tite chapitre 7, que Dieu va ence temps déverser son invincible colereparce qu'ils nient le fondement du salut etde la foi, eux qui, au contraire, devraient,plus que tout autre, se jeter en avant pourformer une muraille d'airain (Jérémie1,18) afin de défendre les Élus contre lesattaques des blasphémateurs, ainsi que ditEzéchiel au chapitre 3, etc. Mais ils sont ainsi parce qu'il n 'est rienqui sorte de leur cœur, de leur cervelle oude leur bouche si ce n 'est pour tournercette parole en dérision. Qui donc parmiles hommes pourrait dire que ce sont la lesvrais serviteurs de Dieu, aptes atémoigner de la parole divine ? Et qu'ils sont les prédicateurs intrépidesde la grace divine, alors que c'est le pape,vrai Nemrod, qui les a oints du chreme dupécheur, Psaume 140, lequel leurdégouline de la tete aux pieds en souillantet en empoisonnant la chrétienté toutentiere. Pour tout dire -.c'est le Diable qui est aleur origine, qui a corrompu leur cœurjusqu'au tréfonds, ainsi qu'il est écrit auPsaume 5; car ils sont tout saufpossesseurs de l'Esprit-Saint. Ils ont étéconsacrés par le Diable, qui est leurvéritable pere et qui, comme eux, ne veutpas entendre la vraie parole vivante deDieu, Jean 8, Esaïe 24, Osée 4. De meme, Esaïe, au chapitre 11 chapitre3, dit que ce sont des idoles et desépouvantails. Bref, pour résumer en unmot ; ils sont, damnés, et jugés depuislongtemps. Oui, ce ne sont pas des coquins de petiteenvergure, mais de damnés scélérats dehaute taille, qui étaient la des lecommencement du monde et qui ont étéinstitués comme un fléau du pauvrepeuple, lequel, de ce fait, reste biengrossier. Ils n'ont aucun droit, ni devant Dieu nidevant les hommes, ainsi que le ditsuffisamment Paul aux Galates, quand ildécrit deux sortes d'hommes. C'est pourquoi, aussi longtemps que le cielet la terre existeront, ces fourbes etscélérats de pretres ne pourront etre de lamoindre utilité a l’Église , car ils renientla voix de l’Époux, ce qui est le signe suret certain qu'ils ne sont que des diables. Comment pourraient-ils donc etre lesserviteurs de Dieu et les porteurs de Sa

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parole alors que de leur front de prostituésils la renient honteusement, ? Car il fautque tous les pretres véritables aient desrévélations afin d'etre surs de leur fait, ICorinthiens 14. Mais de leur cœur endurci ils disent quec'est impossible.- C'est donc a juste titre— eux qui prétendent avoir ingurgitél’Écriture tout entiere - qu'ils devraientetre sur le champ abattus et commefoudroyés par les paroles de saint Paulaux Corinthiens, seconde épitre, chapitretrois, lorsqu'il établit une différence entreles Élus et les damnés. Pour certains, l’Évangile et l’Écriture toutentiere sont fermés a clé, Esaïe 29 et 22,par la clé de David et celle du livre scelléde l'Apocalypse, chapitre 5. Ézéchiel aouvert ce qui était fermé. Le Christ dit.Luc 11, que les pretres volent la clé de celivre qui est fermé a clé et qu'ils ferment aclé l’Écriture en prétendant que Dieu nepeut parler en personne aux hommes. C'est quand la semence tombe sur lechamp fertile, c'est-a-dire dans les cœursemplis de la crainte de Dieu, c'est la quesont le papier et le parchemin sur lesquelsDieu inscrit non pas avec de l'encre, maisde Son doigt vivant, la véritable Écrituresainte dont la Bible extérieure est le vraitémoignage. Et rien n'atteste de facon plus certaine lavérité de la Bible que la parole vivante deDieu quand le Pere s'adresse au Fils dansle cœur de l'homme. Cette Écriture-la,tous les Élus qui font fructifier leur talentpeuvent la lire. Les damnés, au contraire, n'en feront rien.Leur cœur est plus dur que la pierre quiéternellement repousse le burin du maitre-artisan. C'est pourquoi notre Seigneurbien-aimé appelle pierres ceux sur qui lasemence tombe sans rapporter de fruits,mais qui recoivent la parole morte avecjoie, avec grande joie et vantardise. Par mon ame, personne ne recoit la véritéqui vient des livres avec au tant dejubilation du cœur et avec autant depompe que les hommes d'étude, lespretres et les moines. Mais quand Dieuveut écrire dans leurs cœurs, il n'est pasde gens sous le soleil qui soient plushostiles a la parole vivante de Dieu. De meme, ils ne souffrent aucune mise al'épreuve de la foi dans l'esprit de lacrainte de Dieu. C'est pourquoi ils serontprécipités dans le lac ou les fauxprophetes ainsi que l'Antéchrist seronttourmentés pour les siecles des siecles,amen. Ils ne veulent pas non plus etre angoisséspar l'esprit de la crainte de Dieu. C'estpour quoi ils tournent éternellement endérision les épreuves de la foi. Ce sont

eux, les gens dont Jérémie dit au chapitre8 qu'ils n'ont ressenti aucune expérience,qu'ils pourraient appliquer dans leursexplications de l’Écriture sainte. Ils n'ont de maniere d'écrire que celle desfourbes qui rejettent la vraie parole, etpourtant ils ont besoin de cette memeparole qu'ils n'entendront jamais pourl'éternité des éternités. Car Dieu place Sa parole uniquement dansla souffrance des créatures, laquelle faitdéfaut au cour des impies. Ilss'endurcissent toujours davantage. Ils nepeuvent ni ne veulent faire le vide en eux-memes. Leur base est sans consistance. Ilsont horreur de Celui qui est leur maitre.Voila pourquoi ils renient leur foi autemps des épreuves et s 'écartent duVerbe devenu chair. L'impie ne veut en aucune manieredevenir conforme au Christ par sessouffrances ; il prétend y parvenir par despensées douces comme miel. C'est pourquoi ils sont damnés, cespretres qui dérobent la vraie clé en disantqu'une telle voie est chimérique etinsensée et en prétendant qu'elle estabsolument impossible. Ces gens sont desmaintenant jugés et condamnés jusqu'auxos a la damnation éternelle. Pourquoi nedevrais-je pas les condamner, moi aussi,Jean 3 ? Car, n'ayant pas recu l'aspersion de lacrainte de Dieu au troisieme jour,comment pourraient-ils etre purifiés auseptieme, Nombres 19 ? Ils seront doncprécipités dans l'abime du cloaqueinfernal. Quant au peuple, en revanche, je ne doutepas de lui. Ah ! Pauvre multitude, si justeet si pitoyable, comme tu es assoiffée de laparole de Dieu ! Car il est clair comme lejour que personne (ou tres peu de gens) nesait ce qu'il doit penser et a quel parti serallier. Ils sont tres disposés a faire deleur mieux, mais ils ne parviennent pas asavoir en quoi cela consiste. Car ils ne savent ni se soumettre ni seconformer aux témoignages que l'Esprit-Saint donne a leur cœur. C'est pourquoi ils sont tourmentés parl'esprit de la crainte de Dieu, a tel pointque la prophétie de Jérémie s'estvéritablement réalisée en eux,Lamentations 4,4 : «Les enfants ontdemandé du pain, mais il n 'est personnequi en ait rompu pour eux». — Il estbeaucoup de fripons avides de lucre qui,comme on a coutume de jeter du pain auxchiens, ont jeté au pauvre, pauvre, pauvrepetit peuple le texte de la Bible sans avoiraucune expérience de la foi, comme fontles papistes. Mais ce pain, ils ne le lui ont pas rompu

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grace a leur connaissance de l'EspritSaint, c'est-a-dire qu'ils n 'ont pas ouvertleur raison, de maniere a pouvoirreconnaitre en eux-memes l'Esprit-Saint. Car, tous autant qu'ils sont et pris enbloc, les pretres ne sont pas capables derendre un seul homme assez sage pourpouvoir etre promis a la vie éternelle. Pourquoi faire de longs discours ? Ce sonteux, les seigneurs qui se goinfrent etboivent comme des betes et festoient etcherchent jour et nuit le moyen des’empiffrer et d'accumuler les prébendes,Ézéchiel 34. Ils ne sont pas comme le Christ, NotreSeigneur bien-armé, lequel se compare aune poule qui réchauffe ses petits,Matthieu 23. Ils ne dispensent pas nonplus aux hommes désespérés etabandonnés le lait de la fontaineintarissable de l'exhortation divine. Car ilsn'ont pas fait l'expérience de la foi. Ilssont comme la cigogne qui ramasse lesgrenouilles dans les prairies et les maraispour les recracher ensuite toutes crues ases petits restés au nid. C'est ainsi que sont ces pretres avides deprofits et percepteurs de rentes, quiingurgitent les paroles mortes del’Écriture pour déverser ensuite sur lepauvre, pauvre et juste peuple la lettre etla foi non éprouvée, laquelle ne vaut pasun pou. Ainsi, par leur faute , pluspersonne n 'est sur du salut de son ame. Car ces memes valets de Belzébuth ne fontrien d'autre que mettre a l'encan desfragments de la sainte Écriture. Hélas ! L'homme ne sait pas s'il mérite lahaine ou l'amour de Dieu. C'est l'abimeinfernal qui nous envoie ce cadeau, car cesprostitués de pretres ont avec eux les plustrompeurs et les plus méchants parmi lesdiables, ainsi que l'indique l'Apocalypsede Jean. Par ce moyen, ils dispersent lesbrebis de Dieu, au point qu'aucune n'estplus a la vue de l’Église. Car il n'est personne qui puisse distinguerles Bons du tout-venant de la fouleanonyme. On ne distingue pas non plus cequi est pestiféré et ce qui est sain, c'est-a-dire que personne ne se soucie du fait quel’Église, a cause de ces hommes damnés,est ruinée de fond en comble. Car les brebis ne savent pas qu'il fautqu'elles entendent la voix vivante de Dieu,c'est-a-dire qu'elles doivent toutes avoirdes révélations. Joel chapitre 2 et. David,Psaume 88. L'office des vrais bergers n'estrien d'autre que d'y conduire toutes lesbrebis afin qu'elles soient revigorées par lavoix vivante, car il est dit qu'il n'est qu'unseul maitre pour enseigner la connaissance de Dieu, Matthieu 23. Cela ne s'est pas produit pendant

longtemps, ce qui fait qu'a maints égardsles Élus ressemblent tout a fait auxdamnés et qu'ils seront bientot engloutisavec eux, et que le monde presque toutentier a pensé qu'il n'était pas nécessaireque le Christ prechat lui-meme son propreÉvangile aux Élus. Je l'affirme et le jure par le Dieu vivant :celui qui n 'entend pas de la bouche memede Dieu Sa vraie parole vivante et nedistingue pas Bible et Babel, celui-la n'est rien d'autre qu'une chose morte. Mais la parole de Dieu, qui pénetre lecœur, le cerveau, la peau, les cheveux, lesos, la moelle, le sang, la force et lavigueur, peut bien survenir d'une autremaniere que ne le racontent nos couillonset idiots de docteurs. Personne ne peut faire son salut d'uneautre maniere, et on ne pourra trouverpersonne qui y soit parvenu autrement. Ilfaut que l’Élu s'entrechoque avec le damnéet que les forces de celui-ci s'échappentdevant lui. Vous ne pouvez en tendre autrement cequ'est Dieu. Car celui qui a recu une foisl'Esprit-Saint comme il le doit ne peutplus etre damné, Esaïe chapitre 55 et 60,Jean chapitre 6. —Ah ! Malheur auxprédicateurs enseignent a la maniere deBalaam : on leur a mis des paroles dans labouche, mais qui leur cœur est a plus demille fois mille lieues. Voila pourquoi le peuple vit sansvéritables pasteurs, car on ne lui prechejamais l'expérience de la foi. Les pretresjuifs et hérétiques peuvent bien direqu'une telle exigence n'est pas nécessaire.Ils disent qu'on peut éviter la colere deDieu par de bonnes œuvres et deprécieuses vertus. Mais avec tout cela ilsn'enseignent nullement ce qu'est Dieudans l'expérience, ni ce qu'est la vraie foi,ni ce qu'est la ferme vertu, ni ce que sontles bonnes œuvres par rapport a Dieu. C'est pourquoi il ne serait pas étonnantque Dieu nous réduise tous, les Éluscomme les damnés, dans notre corps etdans notre vie, en poussiere et en ruinesdans un déluge bien plus gravequ'autrefois. Et il ne serait pas étonnantnon plus qu'il ait damné tous les gens quiont succombé aux maudites séductions.Car notre foi est plus a la semblance deLucifer et de Satan, et elle est plusgrossiere que le bois et les pierres. Je considere que ce n est pas sans raisonsi les autres peuples qualifient notre foi desingerie. il est évident, et l'on ne pourrame démentir sur ce point, que lesincroyants ont souvent eu raison de nousdemander des comptes. Mais nous leur avons sorti une réponse quin'était qu'une dérobade ; nous avons

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barbouillé fierement de gros livres, endisant : nous avons ceci et cela d'écritdans notre loi ; la le Christ a dit ceci etPaul a écrit cela, et les prophetes ontprédit et le et cela pape notre mere(patronne du bordel) [une ligneretranscrite illisible]. Ordonné, oui da'.Mais sous menaced'excommunication, laquelle, selonl'opinion de nos petits docteurs de paille,ne doit pas etre méprisée au nom desconsciences. Libre a vous, cher lecteur, de changer lesmots ou de les disposer autrement : quelsque soient leurs bavardages, ces gens nepourront démontrer la foi chrétienne avecleur Bible dénuée si manifestement ! Troisfois hélas ! Malheur a ces pretresinfernaux, créatures d'Asmodée,d'expérience. Hélas ils induisent le peuple en erreur.Personne ne veut encore voir ni entendrequand on présente aux incroyants cespreuves de notre foi, ou d'autre du memegenre. Pensez-vous que les incroyants n'ont pas eux-aussi une cervelle dans la tete? Ils sont en droit de se demander quelleespece de garantie est celle qui ne vientque des livres ? Ne se pourrait-il pas qu'aient menti ceuxqui les ont écrits ? Comment peut-onsavoir si telle ou telle chose est vraie ?Sans aucun doute les Turcs et les Juifs, dememe que de nombreux Élus, voudraientbien entendre des preuves irréfutables denotre part. Mais les pretres du Diablefroncent le nez, tout prets a les damner,alors qu'ils ne sont nullement habilités adénier a quiconque le droit d'avoir lavérité. Ils disent en citant simplement le texte : «Celui qui croira et qui sera baptisé serasauvé». Voila la solide justification qu'ilsdonnent aux adversaires, et rien de plus.La seule explication, je n 'en vois pasd'autres, est qu'ils sont devenuscompletement fous et insensés, enprétendant présenter la foi aux ennemisd'une maniere aussi simpliste. Il faudraitjeter au rebut ce genre de preuves etprécipiter au fond de l'enfer les discourede ce genre. Car elles sont bien plus folles que la folieelle-meme. Qui pourra jamais assez leregretter et le déplorer ? N'avons nous pasde sang dans les veines ? Et faut-il etreaussi fou et déraisonnable ? Ne sent-onpas une petite étincelle, qui bientots'éveillera pour devenir un brasier ? Oui, on la sent, et je la sens aussi ! J'aiété pris d'une grande pitié en voyant quel’Église chrétienne est déchirée au pointque Dieu ne pourrait lui infliger piretourment a moins de vouloir l'éteindrecompletement, ce qu'II ne fera pas, si ce n

'est a cause de ces enfoirés qui ontenseigné a adorer Baal. Ceux-la mériteraient d'etre sciés en deuxpar le milieu, comme dit Daniel, car ilsn'ont pas mis en pratique les jugements deDieu. Ayant lu et relu l'histoire des anciensPeres de l’Église, j'y trouve qu'apres lamort des disciples des Apotres l’Églisevirginale et immaculée est rapidementdevenue une prostituée par la faute despretres qui ont égaré les ames. Car les pretres ont toujours voulu siégerau premier rang, ainsi que l'attestentHégésippe et Eusebe et d'autres encore.Et du fait que le peuple a permis quel'élection des pretres fut négligée, il n'aplus été possible de tenir un véritableconcile depuis qu'a commencé cettenégligence. Quoi qu'il en soit, c'est la œuvre duDiable, car dans les conciles et autresassemblées, on n'a jamais traité d'autrechose que de vains enfantillages,quesonneries de cloches, calices, capuchons,lampes, places a pourvoir et servants detels messe. Mais jamais, au grand jamaison n'a ouvert la bouche pour parler de lavraie et vivante parole de Dieu, et l'on n'a jamais songé non plus a la concorde. Il a fallu que de telles erreurs seproduisent afin qu'apparaissent et seréalisent les œuvres de tous les hommes,des Élus comme des damnés, et celajusqu'a notre époque, ou Dieu va séparerle bon grain de l'ivraie, afin que l'onpuisse saisir comme en plein jour qui aégaré l’Église longtemps. Il a fallu quetoute cette coquinerie vienne au jour de lamaniere la plus éclatante. Ah ! Comme les pommes sont bien blettes! Et comme les Élus sont bien murs ! Voicile temps de la récolte. C 'est pourquoiDieu Lui-meme m 'a embauché pour Samoisson. J'ai aiguisé ma faucille, car mespensées sont dirigées de toute leur forcevers la vérité, et mes levres, ma peau, mesmains, mes cheveux, mon ame, mon corpset tout mon etre maudissent les impies. C'est afin de m'acquitter convenablementde cette tache que je suis venu dans votrepays, tres chers habitants de Boheme. Je ne vous demande rien d'autre qued'étudier avec zele la vivante parole deDieu venue de Sa propre bouche, par quoivous pourrez vous-memes voir, entendre etsaisir comment le monde entier a été égarépar les pretres qui refusent d'entendre.Aidez-moi, par le sang du Christ, acombattre ces ennemis jurés de la foi. Jeles confondrai a vos yeux dans l'espritd’Élie. Car c'est dans votre pays que commencerala nouvelle Église apostolique, qui

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s'établira ensuite partout. Je suis pret aécouter en chaire les questions du peuple,et je répondrai a chacun. Et si je ne puis donner la preuve de monsavoir et de ma maitrise, je veux etre filsde la mort temporelle et de la mortéternelle. Je n'ai pas dégage plus précieuxa donner. Ceux qui mépriseront cetteexhortation sont déja a cette heure livrésaux mains des Turcs. Apres cetembrasement furieux, l'Antéchrist enpersonne regnera, le vrai contraire du

Christ, lequel donnera peu apres a SesÉlus le royaume de ce monde pour lessiecles des siecles.

Fait a Prague le jour de Sainte Catherine,l'an du Seigneur 1521.

Thomas Muntzer qui ne veut pas adorer un Dieu muet, maisun Dieu qui parle. »

Edite en mai 2014Illustration de la première page : Jan Hus par Tobias Stimmer, 1587

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