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Le Front national Pascal DELWIT En décrochant 6 421 426 suffrages – 17,90% des voix – au premier tour de l’élection présidentielle le 22 avril 2012, Marine Le Pen atteignait un niveau inédit pour le Front national (FN). Même au deuxième tour de l’élection présidentielle, Jean- Marie Le Pen avait fait moins bien (5 525 034 voix, 17,79%). Dans la foulée, le FN décrochait deux députés aux élections législatives ; une performance qui peut paraître modeste, et pourtant nouvelle elle aussi, pour le parti à l’occasion d’une élection législative tenue au scrutin uninominal. C’est dire si, à l’occasion de son quarantième anniversaire, le parti pouvait savourer sa renaissance. Une renaissance inespérée, tant il est vrai qu’aux élections présidentielles et législatives de 2007, le FN semblait à l’agonie et au bord de la marginalisation politique. Au scrutin municipal de 2008, il n’avait déposé qu’un nombre très réduit de listes, n’empochant qu’une poignée de conseillers municipaux. L’évolution du contexte politique, le développement de la crise financière, économique et sociale, et l’accession à la présidence du parti de Marine Le Pen en janvier 2011 concourent pourtant à un spectaculaire renversement de courbes électorales et d’influence politico-médiatique. Marine Le Pen annonce un démarche de dédiabolisation politique, dont le caractère tangible est bien moins évident que ne le suggèrent quelques analystes peu avertis et certains médias pour le moins prévenants envers le FN. Les élections municipales et européennes de 2014 prennent dès lors l’allure d’une reconquête électorale. Elle est d’autant plus sûre que le FN a été évanescent au scrutin municipal de 2008 et a réalisé une piètre performance à l’élection européenne de 2009. Par ailleurs, l’impopularité exceptionnelle du gouvernement et du président de la République, combinée au manque de crédit politique de l’opposition de droite, ouvrent davantage l’espace du Front national.

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  • Le Front national

    Pascal Delwit

    En dcrochant 6 421 426 suffrages 17,90% des voix au premier tour de llection prsidentielle le 22 avril 2012, Marine Le Pen atteignait un niveau indit pour le Front national (fn). Mme au deuxime tour de llection prsidentielle, Jean-Marie Le Pen avait fait moins bien (5 525 034 voix, 17,79%). Dans la foule, le fn dcrochait deux dputs aux lections lgislatives ; une performance qui peut paratre modeste, et pourtant nouvelle elle aussi, pour le parti loccasion dune lection lgislative tenue au scrutin uninominal.

    Cest dire si, loccasion de son quarantime anniversaire, le parti pouvait savourer sa renaissance. Une renaissance inespre, tant il est vrai quaux lections prsidentielles et lgislatives de 2007, le fn semblait lagonie et au bord de la marginalisation politique. Au scrutin municipal de 2008, il navait dpos quun nombre trs rduit de listes, nempochant quune poigne de conseillers municipaux.

    Lvolution du contexte politique, le dveloppement de la crise financire, conomique et sociale, et laccession la prsidence du parti de Marine Le Pen en janvier 2011 concourent pourtant un spectaculaire renversement de courbes lectorales et dinfluence politico-mdiatique. Marine Le Pen annonce un dmarche de ddiabolisation politique, dont le caractre tangible est bien moins vident que ne le suggrent quelques analystes peu avertis et certains mdias pour le moins prvenants envers le fn.

    Les lections municipales et europennes de 2014 prennent ds lors lallure dune reconqute lectorale. Elle est dautant plus sre que le fn a t vanescent au scrutin municipal de 2008 et a ralis une pitre performance llection europenne de 2009. Par ailleurs, limpopularit exceptionnelle du gouvernement et du prsident de la Rpublique, combine au manque de crdit politique de lopposition de droite, ouvrent davantage lespace du Front national.

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    Politiquement pourtant, le fn demeure riv plusieurs quations politiques complexes : peut-il ou veut-il sortir dune identit et dun programme toujours amplement marqus par lextrme droite et abandonner son statut de parti anti-systme ? Les tensions autour des drives individuelles ou des recrutements problmatiques attestent des normes difficults internes sur cette problmatique.

    Le cas chant, comment le fn escompte-t-il combiner une performance lectorale notable dans llectorat de la droite aise radicalise lorigine des victoires de Marion Marchal-Le Pen et de Gilbert Collard, et dans certains segments des milieux salaris et indpendants prcariss, qui fondent son succs dans les dpartements du nord de la France ?

    Les jalons du Front nationalLe Front national (fn) est cr le 5 octobre 1972. Lobjectif premier de ses

    pres fondateurs est de faire prosprer une formation dextrme droite sur le terrain lectoral et politique 1. Pour atteindre ce but, Jean-Marie Le Pen est choisi comme prsident. Deux raisons expliquent ce choix. La premire est son loignement relatif des diffrentes chapelles qui sont lorigine du fn. La seconde est quil nest pas vraiment un novice en politique. Jean-Marie Le Pen sest fait connatre comme dput, lu en 1956 sur les listes de lUnion et fraternit franaise (uff), le mouvement politique issu de lUnion de dfense de la cration des artisans et commerants (uDca), fond par Pierre Poujade. Mais il avait quitt le groupe en 1957. Le Pen est un orateur et un dbatteur tenaces lAssemble nationale jusqu sa non-rlection en 1962. En 1965, il dirige la campagne prsidentielle de Jean-Louis Tixier-Vignancour. Anti-gaulliste virulent, Tixier-Vignancour avait t lu dput en 1936 et en 1956. Il stait aussi illustr comme avocat du gnral Raoul Salan, dirigeant de lOrganisation de larme secrte (oas).

    Pour son entre en matire lectorale au scrutin lgislatif de 1973, le Front national se prsente sous le mot dordre Dfendre les Franais ! . Mais, contrairement ses attentes, il na pas vraiment droit au chapitre. Il ne prsente que quatre-vingt-seize candidats et dcroche un rsultat confidentiel : 0,44%. Ce rsultat dcevant suscite nombre de dparts et la cration dune organisation concurrente, le parti des forces nouvelles (pfn).

    Llection prsidentielle qui intervient suite au dcs de Georges Pompidou nest gure plus enthousiasmante. Jean-Marie Le Pen obtient peine 0,75% des suffrages. Ces deux insuccs initiaux font entrer le Front national dans la priode rfrence comme la traverse du dsert 2. Cette phase atteint son point le plus dur pour le fn avec lincapacit de Jean-Marie Le Pen prendre part au scrutin prsidentiel de 1981. A linterne, le fn a certes dvelopp une petite dimension rticulaire vers les catholiques traditionalistes et certains courants solidaristes. Mais, neuf ans aprs sa cration, il est loin davoir atteint son pari dinstaller lextrme droite franaise dans le jeu politique et lectoral. Cest pourtant laube de sa dixime anne, quun

    1 Alexandre Dz, Le Front national : la conqute du pouvoir ?, Paris, Armand Colin, 2012, p. 37.

    2 Pascal Delwit, Les tapes du Front national (1972-2011) , in Pascal Delwit (d.), Le Front national. Mutations de lextrme droite, Bruxelles, Editions de lUniversit de Bruxelles, 2012, p. 13 et s.

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    certain nombre dlments changent la donne. Il y a bien sr la victoire de Franois Mitterrand et de la gauche aux lections lgislatives en 1981. Le caractre structurel de la crise conomique et sociale simpose peu peu. Limmigration et la prsence de communauts trangres ou dorigine trangre qui plongent dans le chmage suite la dsindustrialisation acclre se politisent. Et lextrme droite aussi, le parti des forces nouvelles rend lme.

    Aux lections municipales de mars 1983, le fn dcroche certains succs destime : 4,2% Clermont-Ferrand, 3,9% Montpellier ou encore 4,1% dans le xixe arrondissement de Paris. Mais cest surtout le score ralis par Jean-Marie Le Pen qui frappe. Dans le xxe arrondissement, il ralise 11,3% et est lu conseiller municipal. Cest toutefois llection municipale de Dreux, rorganise en septembre 1983, qui permet au fn de sortir de la confidentialit politique et mdiatique. Jean-Pierre Stirbois qui tire la liste frontiste atteint 16,7%. Au deuxime tour, Stribois fusionne avec la liste rpr-uDf qui lemporte.

    Le 6 novembre 1983, le fn ralise une performance inattendue dans une autre lection partielle Aulnay-sous-Bois : 9,32% des voix. Enfin, le 11 dcembre, Jean-Marie Le Pen glane 12,02% dans la deuxime circonscription du Morbihan loccasion dune lection lgislative partielle.

    Lessor du Front nationalSuite cette squence dlections partielles fin 1983, Jean-Marie Le Pen et le

    Front national entrent dans la cour des grands . Le 13 fvrier 1984, le prsident du fn est linvit de la prestigieuse mission dominicale Lheure de vrit. A cette occasion, Le Pen frappe les imaginations. Aux lections europennes qui suivent quelques semaines plus tard, le Front national ralise sa premire grande performance lchelle nationale, 10,95% et dix lus. Le pcf ne le devance que dune courte tte : 11,21%.

    Cette performance est dabord le rsultat dun mouvement dans llectorat de droite. Pour lessentiel, le fn dcroche ses rsultats les plus significatifs dans des segments qui votent classiquement en majorit droite : professions librales, commerants et artisans, cadres de petites et moyennes entreprises et mme cadres suprieurs. A Paris, la perce est la plus spectaculaire louest de la capitale 3.

    La dynamique est lance. En perspective des lections lgislatives de 1986, le Front national se donne certains atours de respectabilit. Il souvre des personnalits historiquement non marques par la droite extrme 4. Le fn bnficie aussi ce moment de larrive dun certain nombre de responsables en provenance du Club de lHorloge : Jean-Yves Le Gallou, lancien directeur de cabinet du secrtaire gnral du rpr Yvon Blot, ou encore Bruno Mgret, candidat de la droite parlementaire dans la 2e circonscription des Yvelines llection lgislative de 1981. Cette nouvelle strate sera importante dans la structuration et la lgitimation du Front national. Les

    3 Nonna Mayer, De Passy Barbs : deux visages du vote Le Pen Paris , Revue franaise de science politique, 37/6, 1987, p. 897.

    4 Guy BirenBauM, Franois Bastien, Unit et diversit des dirigeants frontistes , in Nonna Mayer, Pascal perrineau (d.), Le Front national dcouvert, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1989, p. 86.

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    horlogistes accrotront larmature idologique et doctrinale du fn. Jean-Yves Le Gallou, en particulier, introduira le concept de prfrence nationale 5.

    Deux lections importantes interviennent en 1986 : les lections lgislatives et le nouveau scrutin, suite lintroduction du fait rgional en France. En termes de contrainte institutionnelle, les deux lections sont favorables au fn dans la mesure o elles se tiennent la proportionnelle, fait exceptionnel au plan lgislatif sous les institutions de la ve Rpublique. Le Front national confirme sa perce. Il recueille plus de 2 700 000 voix (9,65%) et surtout trente-cinq siges lAssemble nationale. A lchelle rgionale, le score est tout aussi important et lorganisation frontiste russit mme ngocier un accord avec le rpr et luDf dans plusieurs rgions, accdant pour la premire fois des responsabilits excutives. Le fn dcroche deux vice-prsidences dans la Rgion Provence-Alpes-Cte-dAzur et une en Haute-Normandie, en Picardie et en Languedoc-Roussillon. Cette avance lectorale et politique marque une inflexion centripte dans le chef du fn.

    Un nouveau socle lectoral est atteint lors des lections prsidentielles de 1988 avec une avance notable de Jean-Marie Le Pen au premier tour des lections prsidentielles. Celui-ci dcroche prs de 4 400 000 voix, 14,38% des suffrages exprims, alors mme que Jacques Chirac et Raymond Barre ne parviennent pas franchir la barre des 20%. Sans vritable enjeu pour le deuxime tour, tant la victoire de Franois Mitterrand semble assure, Le Pen appelle choisir le mal contre le pire 6. Pour le scrutin lgislatif, lextrme droite est confronte un changement de la contrainte institutionnelle. Le gouvernement Chirac a supprim le mode de scrutin proportionnel et rintroduit un systme lectoral uninominal deux tours, qui ramne la question de possibles alliances. Se pose de la sorte une double question pour le fn : souhaite-t-il intgrer de telles dynamiques et en est-il capable ?

    En 1988, Le Pen ne peut ngocier un accord national face au refus du rpr et de luDf. Nanmoins, dans le sud de la France, certains arrangements sont raliss. Dans les Bouches-du-Rhne, Jean-Claude Gaudin et Jean-Marie Le Pen conviennent quau deuxime tour, rpr-uDf reprsenteraient la droite dans huit circonscriptions et le fn, dans huit autres. Des accords du mme type sont conclus dans le Vaucluse et dans le Gard. La dynamique a dailleurs une porte nationale ds lors quen dfinitive, le Front national ne prend part qu trois triangulaires. Au final pourtant, lopration se rvle asymtrique en termes de rsultats politiques. Elle aide llection de parlementaires de luDf ou du rpr. En revanche, aucun candidat frontiste ne lemporte dans les Bouches-du-Rhne. Seule Yann Piat se fait lire dans la 3e circonscription du Var.

    Aprs le scrutin prsidentiel et lgislatif de1988, le Front national maintient sa consolidation lectorale jusquau scrutin rgional de 1998. En revanche, politiquement, cette dcennie 1988-1998 peut tre divise en deux temps. Une pertinence assez

    5 Jean-Yves le Gallou, La prfrence nationale, Paris, Albin Michel, 1985.6 Le Monde, 3 mai 1988.

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    faible, pour reprendre les termes de Sartori 7, jusquau scrutin de 1995. Par la suite, au contraire, une lvation de sa relevance eu gard la nouvelle configuration politique.

    De 1988 au scrutin municipal de 1995, le Front national conserve un niveau lev ses capacits lectorales. Aux lections rgionales de 1992, au scrutin lgislatif de 1993, llection europenne de 1994 et au scrutin prsidentiel de 1995, le Front national et Jean-Marie Le Pen enlvent de 12 15% des voix. Mais dun point de vue politique, lorganisation frontiste est confronte une double difficult dans la traduction politique de ces rsultats.

    La premire a trait la traduction en siges. Le fn nenlve des siges que dans les lections scrutin proportionnel ou avec une certaine dimension proportionnelle : au Parlement europen, dans les municipalits et dans les Conseils rgionaux. En revanche, lAssemble nationale reste inaccessible pour le fn, confront au scrutin uninominal et la logique dalliance refuse par le rpr et luDf, dautant plus assure que la droite parlementaire est sans adversaires de 1992 1995. Au scrutin prsidentiel de 1995, malgr lpre duel entre Chirac et Balladur au premier tour, le second tour est presque une formalit pour Chirac. Le Front national peut donc tre superbement ignor.

    Du scrutin municipal de 1995 aux lections rgionales de 1998, le fn augmente manifestement son potentiel de chantage et mme de coalition, tel que le dfinit Sartori. Aux lections municipales de 1995, le Front national ralise une performance importante : il dcroche pas moins de 1 249 conseillers municipaux 8. Plus important encore, le fn enlve trois mairies significatives : Marignane (Daniel Simonpieri), Orange (Jacques Bompard) et, surtout, Toulon (Jean-Marie Le Chevalier), ville de plus de 100 000 habitants, au dtriment tantt de la gauche, tantt de la droite. Le tableau est complt deux ans plus tard par llection de lpouse de Bruno Mgret la mairie de Vitrolles. A ce moment, le Front national nest plus simplement une forme de thermomtre politique et social mais simpose comme un acteur avec lequel il faut dsormais compter dans une comptition pour le pouvoir certains chelons ou dans une comptition pour gagner les lections. Ce potentiel de chantage sexprime pleinement lors des lections lgislatives de 1997.

    Convoqu par dissolution anticipe prononce par Jacques Chirac, le scrutin lgislatif de 1997 doit donner un nouveau souffle la majorit. Il nen est rien. Le souffle vient plutt de la gauche et du Front national. Le fn ralise une performance du niveau de celle de Le Pen aux prsidentielles 9. Compte tenu de son score, le fn est, au soir du premier tour, en mesure de prsenter 133 candidats pour le second. Sans accord avec la droite parlementaire, Le Pen impose une ligne dure et maintient 132 candidats frontistes au second tour. Confront une dynamique du vote utile dans les triangulaires, le fn ne joue certes pas un rle dcisif dans la dfaite de

    7 Giovanni sartori, Partis et systmes de partis. Un cadre danalyse, Bruxelles, Editions de lUniversit de Bruxelles, 2011, p. 181.

    8 Gilles ivalDi, Les formations dextrme droite : Front national et Mouvement national rpublicain , in Pierre Brchon (d.), Les partis politiques franais, Paris, La Documentation franaise, 2004, p. 17.

    9 Nonna Mayer, Du vote lepniste au vote frontiste , Revue franaise de science politique, 47/3-4, 1997, p. 447.

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    la droite classique 10. Mais plusieurs parlementaires sortants battus auraient sans doute eu plus de chances dtre rlus sans la prsence dune candidature fn. Au scrutin rgional de 1998, le pouvoir de chantage stend la dimension excutive. Les rsultats du premier tour le lui permettent. Le Front national est en situation pivotale ou de king maker dans plusieurs rgions. A Paris, rpr et uDf se refusent toute forme daccord. Mais dans cinq rgions Rhne-Alpes, Picardie, Bourgogne, Languedoc-Roussillon et Centre , les consignes nationales sont outrepasses et mettent en porte--faux le prsident de la Rpublique et les tats-majors de partis. Les prsidents de rgions y sont lus grce lappoint des conseillers rgionaux du fn 11.

    En lespace dun an, le Front national a su faire la dmonstration quil pouvait influer sur le rsultat dune lection de premier ordre et sur la nature des excutifs qui se mettent en place une chelle infranationale. Dune certaine manire, il sest retrouv au centre du jeu politique dans les deux circonstances. Paradoxalement pourtant, on peut aussi analyser cette volution sous un autre angle. En 1997, le fn est sorti bredouille en siges du scrutin lgislatif et son appui llection de prsidents de droite dans cinq rgions ne lui a rapport que des pis-aller. Le fn ne dcroche aucune vice-prsidence, aucun poste dans un excutif rgional. Sa force lectorale et politique rvle aussi une grande fragilit.

    Est-ce cette dualit qui occasionne le schisme ? Toujours est-il que cest au terme de cette squence lectorale et politique que se cristallise un conflit interne qui couve. Dans la deuxime moiti des annes quatre-vingt-dix, les relations entre lepnistes et mgretistes se durcissent tout comme les rapports entre Jean-Marie Le Pen, prsident, et Bruno Mgret, dlgu gnral. La problmatique de la future tte de liste aux lections europennes rend le conflit public. Mgret et ses partisans assument la rupture. Le fn unitaire a vcu. Il se scinde sur une base transversale : du ct lepeniste, la majorit du bureau national, fidle au chef, et la plupart des militants de base ; du ct mgretiste, une majorit de cadres intermdiaires et des lus locaux 12.

    10 Pascal perrineau, Le symptme Le Pen. Radiographie des lecteurs du Front national, Paris, Fayard, 1997, p. 10.

    11 Pascal Delwit, Jean-Michel De waele, Andrea rea, Comprendre lextrme droite , in Pascal Delwit, Jean-Michel De waele, Andrea rea (d.), Lextrme droite en France et en Belgique, Bruxelles, Complexe, 1998, p. 13-28.

    12 Erwan lecur, Un no-populisme la franaise. Trente ans de Front national, Paris, La Dcouverte, 2003, p. 122.

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    Tableau 1. Rpartition entre lepnistes et mgretistes 13

    Les soutiens de Mgret Les soutiens de Le Pen

    Secrtaires dpartementaux 58 38

    Conseillers rgionaux 139 134

    Dputs europens 3 9

    Conseillers gnraux 3 5

    Maires 2 2

    Membres lus du Comit central 46 54

    Membres nomms 5 15

    Cette scission, certes pas la premire, mais de trs loin la plus importante a plusieurs sources. La premire est stratgique. Pour une srie de cadres, lhorizon dune opposition perptuelle est difficile vivre. Il sagit de simposer comme un partenaire acceptable pour la droite parlementaire, ft-ce au niveau municipal, dpartemental ou rgional. Or, la personne mme de Jean-Marie Le Pen semble en soi un obstacle la ralisation de cet objectif. Certaines voix luMp, nouvellement cre, ou luDf le laissent entendre. La sparation serait donc fonde sur la lgitimit de laction et du dveloppement. Dans le chef de Jean-Marie Le Pen, il sagit de perptuer une lgitimit charismatique, fonde sur la lgitimit traditionnelle, lternel hier selon les termes de Max Weber. A contrario, les proches de Mgret sappuieraient sur une lgitimit de type lgal-rationnel, par exemple pour le choix du leader 14. Pour autant, le conflit noppose pas les modrs aux radicaux du Front national. Le Pen raillera mme une minorit extrmiste et activiste lorigine dun putsch 15. De fait, lorganisation mise en place par Mgret et Jean-Yves Le Gallou accueille plusieurs des groupuscules les plus durs de lextrme droite franaise. Bien videmment, le conflit est aussi une guerre de personnes. Brunot Mgret a pris beaucoup dimportance dans le fn, se vit et se voit comme le dauphin bref dlai, ce qui ne pouvait quexasprer Jean-Marie Le Pen, qui considre la perspective de sa succession comme lointaine. Pendant plusieurs mois, Bruno Mgret tentera juridiquement de rcuprer le label Front national . En vain. La justice donne gain de cause Jean-Marie Le Pen. Bruno Mgret nomme son parti le Mouvement national rpublicain (Mnr).

    Unpartietunprsidentessouffls : 1999-2010Entre les deux organisations dextrme droite, la comptition est svre lors

    des lections europennes de juin 1999. Pour le fn et le Mnr, il sagit de conqurir le statut de parti de la droite radicale le plus lgitime, le plus crdible. Les lections europennes sont un dsaveu pour Mgret et son mouvement. Les lections prsidentielles de 2002 confirment lchec initial et conduisent la dliquescence du Mnr. Le scrutin europen de 1999 nest nanmoins quune victoire Pyrrhus pour

    13 Le Monde, 24-25 janvier 1999.14 Pierre Brchon, Les partis politiques, Paris, Clef-Montchrestien, 1999, p. 46.15 Libration, 7 dcembre 1998.

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    le Front national. Il a su viter le sorpasso et a fait la dmonstration du caractre incontournable de Jean-Marie Le Pen dans les performances du Front national. Mais pour un des rares scrutins o lorganisation frontiste est capable de dcrocher des lus, le rsultat est pitoyable. Vid dune partie importante de sa substance militante et dun trs grand nombre de ses cadres, le fn semble vou vivoter lectoralement et politiquement sous la direction dun septuagnaire qui nenvisage pas de partir. De fait, le fn se prsente comme un parti essouffl intellectuellement, politiquement et sans grande capacit pour lancer un mouvement social.

    Paradoxalement pourtant, cest durant cette priode que Le Pen accomplit son fait de gloire le plus comment. Le 21 avril 2002, il parvient se qualifier pour le second tour la septime lection prsidentielle de la ve Rpublique. Avec 16,86% des suffrages, il devance le Premier ministre socialiste sortant, Lionel Jospin (16,18%).

    Ce rsultat sonne pourtant un peu comme le chant du cygne. Car, paradoxalement toujours, le second tour du scrutin dvoile plus que jamais le plafond du Front national. Le 5 mai 2002, Jean-Marie Le Pen dcroche, en pourcentage, son score du premier tour cumul celui de Bruno Mgret. Le Pen et le Front national nont pas russi bouger les lignes lectorales. Certes, Le Pen tait oppos au candidat de la droite parlementaire. Mais il sest rvl incapable de capter de manire significative une partie de llectorat de gauche, de Chasse, pche, nature et tradition voire mme de Dmocratie librale.

    Le Front national ne tire dailleurs aucun profit du rsultat de Le Pen au premier tour lors des lections lgislatives qui suivent quelques semaines plus tard. Au contraire, le fn est trs en de de sa performance de 1997 et ne peut prsenter que trente-six candidats au second tour. Son pouvoir de chantage est incomparablement plus bas quen 1997, mme si Le Pen a (peut-tre) montr que le premier tour de llection prsidentielle ne pouvait devenir une lection proportionnelle interne pour la droite parlementaire et pour la gauche. Cette rosion de linfluence lectorale et politique est corrobore aux lections rgionales de 2004, pour lesquelles la contrainte institutionnelle a t modifie. Dans la philosophie du scrutin municipal et pour viter le chantage de lextrme droite, luMp a introduit une prime majoritaire de 25% des siges pour la liste en tte au second tour. La droute de luMp et la perce socialiste rendent en tout tat de cause le dispositif inutile. Le Front national conserve un socle lectoral mais est de moins en moins dans le jeu politique et mdiatique. Son concours la dfaite du oui au trait rfrendaire de 2005 est minor. Pourtant, Jean-Marie Le Pen saccroche la prsidence malgr des tensions internes.

    La prsidentielle de 2007 illustre et amplifie de faon indite lpuisement dune dynamique. Le parti subit dailleurs une trs forte dfaite aux lections lgislatives qui suivent llection de Nicolas Sarkozy. La dperdition de llectorat frontiste est massive. Seuls 22% des lecteurs lepnistes de 2002 votent pour un candidat fn cette occasion 16. Bref, le Front national apparat bout de souffle dans cette priode.

    16 Pascal perrineau, La dfidlisation des lecteurs de Jean-Marie Le Pen , in Bruno cautrs, Anne Muxel (d.), Comment les lecteurs font leur choix ? Le panel lectoral franais 2007, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2009, p. 213.

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    Une nouvelle rePour le Front national, le dbut de lanne 2011 est marqu par deux vnements

    fondamentaux. Le premier est le retrait de Jean-Marie Le Pen de la prsidence du parti. Plus de trente-huit ans aprs son accession la prsidence, Jean-Marie Le Pen cde le tmoin. Par rapport la situation qui prvaut dans la trs grande majorit des partis en Europe, une prsidence de parti aussi longue est tout simplement extraordinaire. Pour le meilleur et pour le pire, Jean-Marie Le Pen a incarn son parti 17 mme si, dans les annes quatre-vingt-dix, le fn a pu engranger des rsultats indpendamment de lui. Pour le Front national, ce tournant est donc exceptionnel. Le deuxime lment majeur pointer est que sa succession a t dispute. Elle a mis aux prises Marine Le Pen et Bruno Gollnisch.

    Marine Le Pen lemporte aisment avec 67,65% des suffrages et est investie au xive congrs, les 15 et 16 janvier 2011 Tours. Son arrive la prsidence concide avec un retournement dans les performances lectorales. Le Front national rebondit aux lections cantonales de mars 2011. Prsentant 1 437 candidats, le fn enlve 19,19% des voix au premier tour dans les circonscriptions o il tait prsent, ce qui la qualifi au second tour dans plus de quatre cents cantons 18. Mais cest bien sr sa performance aux lections prsidentielles qui replace le parti au centre du jeu. Marine Le Pen dcroche 17,9% des suffrages. Aux lections lgislatives, le Front national confirme sa renaissance et glane 13,5% des voix. Pour autant, le parti dextrme droite reste confront deux handicaps dans ce scrutin. Le premier est de pouvoir se qualifier au second tour. Il nest gure ais dtre parmi les deux premiers au premier tour ou datteindre 12,5% des inscrits, eu gard labstention forte qui frappe ce scrutin post-prsidentiel. Par ailleurs, sans alliance minimale, il est encore plus complexe de lemporter. La dsillusion a ainsi t forte pour Marine Le Pen dans la 10e circonscription du Pas-de-Calais. Mais le fn a nanmoins conquis deux lus ; lavocat Gilbert Collard et la nice de Marine Le Pen, Marion Marchal-Le Pen.

    Profilidologiqueetprogrammatiquedufn

    Dans la priode contemporaine, le Front national a, sous limpulsion de sa nouvelle prsidente, procd un reprofilage partiel de ses orientations programmatiques. Durant une longue partie de son existence, le fn sest donn voir comme un parti lorientation librale, assumant une posture anti-tatiste et trs valorisante pour le monde de la boutique 19. Cette posture apparat en retrait au profit dune perspective plus solidariste, que certains nhsitent pas rapprocher du cheminement national-socialiste ou du programme en vingt-cinq points dHitler en 1920. Depuis plusieurs annes, cette perspective a en effet t revisite en phase avec certaines mutations

    17 A vingt et un ans de distance, deux ouvrages traitent dailleurs, plus ou moins bien au demeurant, le Front national au prisme de la figure de Jean-Marie Le Pen : Alain rollat, Edwy plenel, Leffet Le Pen, Paris, Le Monde ditions, 1984 et Jacques le Bohec, Sociologie du phnomne Le Pen, Paris, La dcouverte, 2005.

    18 Pascal Delwit, Les tapes du Front national (1972-2011) , in Pascal Delwit (d.), Le Front national. Mutations de lextrme droite franaise, op. cit., p. 34.

    19 Sylvain crpon, Enqute au cur du nouveau Front national, Paris, Nouveau Monde Editions, 2012, p. 35.

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    du mme type observe dans le chef dautres formations dextrme droite. Le fn apparat dsormais comme une organisation au programme (beaucoup) plus tatiste et protecteur. Lmergence de la nation franaise au cours des sicles se caractrise par le rle dterminant jou par lEtat, un Etat fort qui a su unifier la nation, contenir les fodalits et les communautarismes, anantir la tribalisation, amnager notre territoire et offrir progressivement tous une ducation, des soins, une scurit et des services publics de qualit , lit-on dans le projet prsidentiel de Marine Le Pen en 2012 20.

    Ce nouvel tatisme affich sagence en ralit de nombreuses propositions de la prsidente du fn.

    Un propos institutionnel dabord. Marine Le Pen valorise lEtat-nation contre deux mouvements svrement dnoncs. Le premier est labandon de souverainet au profit dun chelon supranational. Il sagit de rappeler que la France est lune des cinq grandes puissances du monde et quelle est mine par le cheval de Troie de la mondialisation ultra-librale , lUnion europenne. Il importe donc que la loi franaise retrouve sa prminence, et que lUnion europenne se protge en mettant en uvre un patriotisme conomique . Ce cheminement doit tre inbranlable : Le peuple franais doit tre matre chez lui. La hirarchie des normes qui prvalait avant les drives jurisprudentielles doit tre raffirme. La Constitution, plus largement le bloc de constitutionnalit, est la norme suprme, laquelle doit se conformer lintgralit du droit franais et conserve sa supriorit sur les traits internationaux. Il faut donc que la loi franaise retrouve sa supriorit sur le droit europen driv (directive, rglement, etc.). Ces lments feraient lobjet dune discussion avec nos partenaires europens dans le cadre de la rengociation ncessaire des traits europens. La France doit maintenir sa position en cas dchec des ngociations 21. La France sortira de la politique agricole commune au profit dune nouvelle paf politique agricole franaise. Dans le projet prsidentiel, Marine Le Pen pingle limportance de retrouver sa souverainet montaire en prparant, avec les partenaires europens, larrt de lexprience malheureuse de leuro et le retour bnfique aux monnaies nationales . Durant la campagne prsidentielle toutefois, cette position fut assouplie. Marine Le Pen a appel lorganisation dun rfrendum sur le maintien de la France dans la zone euro.

    Le deuxime mouvement dcri est la dcentralisation, qui a priv lEtat de comptences stratgiques . Il sagit ds lors de ramener les entits dcentralises de plus justes proportions. Les collectivits territoriales devront prsenter chaque anne un plan impratif de rduction ou de stabilisation de leurs effectifs 22. Et leurs dotations seront progressivement rduites.

    Un propos conomique et social ensuite. Celui-ci valorise une dynamique protectionniste et protectrice articule des lments de dfense de lenvironnement. Ainsi sagit-il de produire au plus prs , de relocaliser sur le territoire national des

    20 Projet prsidentiel de Marine Le Pen, 2011, np.21 Ibid.22 Ibid.

  • le front national 197

    forces de production des entreprises , ou encore dacheter franais , via une loi limage de la Buy American ou Buy Brazilian 23.

    La valorisation de lEtat protecteur est aussi articule des lments de chauvinisme de bien-tre (Welfare Chauvinism) : une protection sociale solide voire renforce mais au seul bnfice des nationaux. Cette posture lui permet deuphmiser la stigmatisation des immigrs. Pour autant, le rejet de limmigration, suppos disparu, est partout dans le programme prsidentiel. Limmigration serait responsable de la baisse des salaires et des droits sociaux des travailleurs franais . Elle reprsenterait un cot valu soixante-dix milliards deuros. Elle serait gnratrice de sources de tensions dans la rpublique et de lapprofondissement de dynamiques communautaristes. Aussi sagit-il de prendre le problme bras-le-corps par une batterie de mesures : interdiction du regroupement familial, sortie de Schengen, interdiction de la double nationalit pour les non-ressortissants de lUnion europenne, tablissement dune circonstance aggravante en cas de dlit associant du racisme anti-Franais

    Au plan socio-conomique, laxe est la priorit nationale : Les entreprises se verront inciter prioriser lemploi, comptences gales, des personnes ayant la nationalit franaise 24. Cette priorit nationale sera aussi exerce pour le logement social et pour les droits sociaux voire humanitaires. Il sagira donc par exemple de supprimer le droit au minimum vieillesse pour les trangers nayant pas travaill et cotis en France pendant au moins dix ans et pour ceux rsidant ltranger , de supprimer laide mdicale dEtat rserve aux migrants clandestins ou encore de fonder un observatoire des droits sociaux des trangers et de lusage des conventions bilatrales de soins.

    Dans la rhtorique et la communication politique du fn, cette stigmatisation des immigrs a laiss la place la mise en vidence du pril musulman ou des problmes affrents lexercice du culte musulman en France. Ce faisant, Marine Le Pen et le Front national ont endoss une posture laque pour le moins inattendue. Pour autant, elle nest mobilise que dans les questions ayant trait lislam. Marine Le Pen na somme toute dvoil quune (trs) lgre ouverture par rapport lorthodoxie catholique, comme en tmoigne la thmatique de lavortement, un temps pingle. Dun ct, la prsidente du fn souhaite tablir les conditions dun choix des femmes ; de lautre, elle se montre favorable la fin du remboursement de linterruption volontaire de grossesse : Aujourdhui, lorsquune femme se rend au Planning familial, on lui propose lavortement ou lavortement ! Il est impratif de rtablir les conditions dun vritable choix, ce qui passe par linformation, des aides financires aux familles et ladoption prnatale. Je pense galement quil faut cesser de rembourser lavortement. Il existe suffisamment de moyens de contraception aujourdhui. Dune manire gnrale, il faut promouvoir le respect de la vie dans notre socit 25. On notera dailleurs que le fn refuse dans une large mesure de reconnatre lindividu comme la composante premire de la socit au profit dune vision familialiste, qui tient la famille comme le caractre central de la socit ,

    23 Ibid.24 Ibid.25 La Croix, 14 fvrier 2011.

  • 198 les partis politiques en france

    famille au demeurant trs traditionnelle. Le fn sest vivement oppos au mariage pour tous. Si des homosexuels ont pu se dclarer laise au Front national 26 alors que lenqute de Bizeul avait, fin des annes quatre-vingt-dix, tabli le contraire 27, Marine Le Pen a d concder aux franges traditionalistes de son parti une participation active aux manifestations contre le projet de loi du gouvernement Ayrault sur le mariage pour tous. Gilbert Collard, Marion Marchal-Le Pen et mme Bruno Gollnisch lui ont, pour loccasion, vol la vedette.

    Dans les relations internationales, le Front national est dorigine un parti farouchement anti-communiste. Aussi, jusqu la chute du mur de Berlin et leffondrement de lurss, le parti promeut-il une vision atlantiste. Par la suite, un changement important sopre. Il sagit dsormais de se prmunir de linfluence amricaine. Jean-Marie Le Pen condamnera de la sorte les deux interventions en Irak et rencontrera Saddam Hussein en novembre 1990. Et rcemment, Marine Le Pen proposa lasile politique lancien agent de la cia, Edward Snowden, qui avait rvl au quotidien The Guardian tre la source de fuites sur le programme amricain de surveillance lectronique 28.

    OrganisationetfonctionnementduFrontnational

    Sous la houlette de Jean-Marie Le Pen, le Front national sest peu peu impos comme un parti trs centralis. A la fin des annes quatre-vingt-dix, la guerre fratricide entre les sensibilits proches de Jean-Marie Le Pen et celles qui soutenaient Bruno Mgret a conduit une raffirmation forte de ce centralisme. Les statuts adopts en 2011 sinscrivent dans la tradition dune formation politique dont la prsidence est le nud d peu prs toute dcision.

    Au plan national, six autorits sont dclines dans les statuts du fn : le prsident, le bureau excutif, le bureau politique, le comit central, le conseil national et le congrs. Nous lavons soulign, la prsidence est lpicentre du parti. Aprs avoir exerc cette responsabilit pendant prs de trente-neuf ans, Jean-Marie Le Pen a cd le flambeau en 2011. La succession sest droule sur la base dune lection interne opposant Marine Le Pen et Bruno Gollnisch et tranche par les adhrents en ordre de cotisation. Ce moment est lune des rares occasions dexercice dmocratique dans le parti et, peut-tre plus encore, de manifestation de certaines prrogatives dans le chef des adhrents.

    Etre candidat la prsidence du parti nest pas une sincure. Pour y prtendre, toute personnalit doit tre parraine par au moins vingt secrtaires dpartementaux.

    Le comit central du parti est compos de cent membres lus par les congressistes et de vingt personnalits nommes par le prsident du parti. Le cc dsigne les responsables qui sigeront au bureau politique. Mais ce choix intervient sur proposition du prsident du parti. Dans cette lection, le prsident soumet une proposition de secrtaire gnral du parti et de trsorier. Ses postes sont occups aujourdhui par des

    26 Voir le travail de Sylvain crpon, Enqute au cur du nouveau Front national, op. cit., p. 241 et s.

    27 Daniel Bizeul, Avec ceux du fn. Un sociologue au Front national, Paris, La dcouverte, 2003, p. 94.

    28 Le Figaro, 10 juin 2012.

  • le front national 199

    proches de Marine Le Pen, respectivement Steve Briois et Wallerand de Saint-Just. Il en va de mme pour les vice-prsidents. Le fn en compte aujourdhui cinq : Alain Jamet, le compagnon de Marine Le Pen Louis Aliot, en charge du projet, Marie-Christine Arnautu, en charge des Affaires sociales, Jean-Franois Jalkh, en charge des lections, et Florian Philippot, en charge de la stratgie et de la communication. Le prsident, le secrtaire gnral, le trsorier, les vice-prsidents de mme que le prsident dhonneur actuellement Jean-Marie Le Pen forment le bureau excutif, cur de la vie et du processus dcisionnel au fn.

    Le conseil national du parti tient ses travaux une fois par an. Instance de rflexion et dorientation , il met un avis sur lorientation gnrale du fn. Il runit tous les membres du comit central, les secrtaires dpartementaux et rgionaux, les lus nationaux du Front national, les lus dans les conseils rgionaux et gnraux, les ventuels maires du parti dans les villes de plus de 10 000 habitants et les membres du conseil scientifique.

    Au plan dpartemental, chaque fdration est dirige par un secrtaire dpartemental. Ce dernier est nomm par le bureau politique sur proposition du secrtaire gnral. Le secrtaire dpartemental constitue un bureau dpartemental, qui doit recevoir laval du secrtaire gnral du parti.

    Comme les autres formations politiques franaises, les ressources du fn proviennent des cotisations, des dons, des rtrocessions de ses lus et du financement public des partis. En 2011, les recettes du fn se sont leves un peu moins de douze millions deuros. La squence favorable aux lections de 2012 a sensiblement accru la part du financement public 29.

    Tableau 2. Recettes du fn en 2011 (en euros) 30

    Cotisations 1 406 035

    Contributions des lus 577 760

    Dons 262 666

    Financement public 1 835 199

    Autres 7 783 519

    11 865 179

    Les adhrents du parti Il na jamais t simple de connatre prcisment le nombre de membres du Front

    national. Dans les annes soixante-dix, le fn rassemble tout au plus quelques centaines dadhrents. Le cercle slargit au dbut des annes quatre-vingt. La victoire aux lections europennes de 1984 suivie du succs aux lections lgislatives de 1986

    29 Voir notre contribution introductive cet ouvrage.30 coMMission nationale Des coMptes De caMpaGne et Des financeMents politiques,

    Publication gnrale des comptes des partis et groupements politiques au titre de lexercice 2011 , Journal officiel, 27 dcembre 2012, p. 6.

  • 200 les partis politiques en france

    gnre un afflux nouveau. Ds 1986, le Front national annonce 65 000 adhrents 31. Le total est sans doute trs exagr. Mais il ne fait nanmoins pas de doute que le fn a chang de catgorie laune de lindicateur du nombre de membres. Au pinacle de son influence culturelle et politique, le fn revendique 90 000 adhrents 32. Pourtant en dcembre 1998, en plein conflit entre lepnistes et mgretistes, le chiffre est trangement ramen 40 000 alors quest voque la possible convocation dun congrs extraordinaire 33. Lors de llection pour la prsidence en 2011, un chiffre exact est dvoil : 22 403 adhrents.

    Il ny a que quelques travaux ddis aux profils des membres du fn. Fin des annes quatre-vingt-dix, Valrie Lafont a ralis une enqute de type qualitatif auprs de trente-six militants du Front national 34. Trois rapports lengagement frontiste taient pingls : Lordre du religieux : le sens du monde est catholique, lopposition de classe et lordre du chef et la dfense des valeurs traditionnelles. Pour les premiers, lappartenance la religion catholique constitue la cl de comprhension du monde 35. Pour les seconds, lanticommunisme, la dfense des valeurs traditionnelles de la droite et la revendication dun pouvoir fort et dune socit autoritaire constituent les thmes structurants de la comprhension du monde 36. Les derniers incarnent un certain ancrage populaire dans le monde des adhrents, ladversaire est incarn par les groupes dtenteurs ou reprsentant la bourgeoisie et le pouvoir de largent, en particulier les patrons, les catholiques et membres de droite classiques 37. La vie comme adhrent et, plus encore comme militant, dans le Front national apparat aussi comme un espace o peut tre assume pleinement ce que Lafont nomme une haine profonde lendroit de limmigration maghrbine, dorigine turque ou plus largement de la communaut musulmane ; une forme de sociabilit agence la dtestation de ce public quillustra dans les annes quatre-vingt louvrage ethnographique dAnne Tristan, Au Front ; un lieu de bien-tre dculpabilisant 38. Le rfrentiel anti-immigrs qui se confond dans une large mesure avec un rfrentiel anti-musulmans est trs prsent dans ladhsion et le militantisme au Front national. Le travail rcent de Sylvain Crpon en a apport un nouveau tmoignage 39. Et comme la montr Birgitta Orfali, le passage lacte dadhrer est souvent li un ressentiment, o le rapport limmigration et aux immigrs est presque systmiquement prsent 40.

    31 Pascal perrineau, Le symptme Le Pen. Radiographie des lecteurs du Front national, Paris, Fayard, 1997, p. 46.

    32 Ibid., p. 191.33 Pierre Brchon, Les partis politiques, op. cit., p. 109.34 Valrie lafont, Lutter contre limmigration et sengager au Front national , in Pascal

    perrineau (d.), Les croiss de la socit ferme. LEurope des extrmes droites, Paris, lAube, 2001, p. 161-183.

    35 Ibid., p. 165.36 Ibid., p. 169.37 Ibid., p. 168.38 Jacques ion, La fin des militants ?, Paris, Editions de lAtelier, 1997, p. 91-92.39 Sylvain crpon, Enqute au cur du nouveau Front national, op. cit., p. 203 et s.

    notamment.40 Birgitta orfali, Le Front national : un engagement contestataire ou une adhsion

    de conviction ? , in Pascal Delwit (d.), Le Front national. Mutations de lextrme droite

  • le front national 201

    Electionsetprofilsdeslecteurs

    Llection prsidentielle franaise dvoile un paradoxe pour le Front national. Elle ne peut en principe lui ouvrir la voie vers lexercice de responsabilits. A ce titre, elle ne peut donc tre quune lection de tmoignage ou de levier. Pourtant, linstar des autres partis, les lections prsidentielles sont considres comme des moments cls, cruciaux, attendus pour le fn ou, plus justement, par ses deux prsidents Jean-Marie et Marine Le Pen. Llection prsidentielle recle deux dimensions importantes pour le fn et Le Pen : elle sorganise dans une seule circonscription et il ny a, par dfinition, quune seule tte de liste. En revanche, il y a une condition la participation qui ncessite un investissement organisationnel non anodin : rassembler cinq cents signatures de parrainages dlus locaux. Jean-Marie Le Pen a pris part cinq lections prsidentielles : 1974, 1988, 1995, 2002 et 2007. En 1981, pas plus que son frre ennemi du parti des forces nouvelles, Pascal Gauchon, il ntait parvenu rassembler les cinq cents signatures dlus pour parrainer sa candidature. En 2012, Marine Le Pen a pris le relais aprs avoir laiss planer le doute sur la capacit de dcrocher les cinq cents parrainages.

    1974 a t une dception. Dans un parti dj en proie des divisions, Le Pen ne recueille mme pas 1% des voix, bien loin des pourtant modestes 5,2% de Tixier-Vignancour en 1965. En dehors de ce scrutin, Le Pen atteindra chaque fois au moins 10% des voix valablement exprimes et, paradoxalement, dcroche son meilleur score et sa performance politique la plus notable en 2002 alors que le fn est entr dans une phase dessoufflement. Avec 16,9%, Jean-Marie Le Pen se qualifie pour le second tour face Jacques Chirac, le prsident de la Rpublique sortant. Pour autant, il ne parviendra pas largir sa base. En 2012, Marine Le Pen dcroche le meilleur pourcentage aux lections prsidentielles : 17,9% des exprims et 13,95% des inscrits.

    Tableau 3. Rsultat du candidat du Front national aux lections prsidentielles

    % des exprims % des inscrits

    1974 0,75 0,62

    1981

    1988 14,38 11,46

    1995 15,00 11,43

    2002 16,86 11,66

    2007 10,44 8,62

    2012 17,90 13,95

    A lexception de 1986, llection lgislative en France sorganise sur la base dun mode de scrutin uninominal deux tours. En 1973, en 1978 et en 1981, la prsence dun candidat frontiste est exceptionnelle : le fn prsente respectivement quatre-vingt-seize, cent cinquante-quatre et soixante-six candidats. Par la suite, cest labsence de

    franaise, op. cit., p. 79 et s. Voir aussi son ouvrage Ladhsion au Front national : de la minorit active au mouvement social, Paris, Kim, 1990.

  • 202 les partis politiques en france

    candidature frontiste qui est exceptionnelle. En France mtropolitaine, on ne relve quau maximum six circonscriptions sans candidat du fn.

    Le meilleur rsultat du Front national lors dune lection lgislative est de 14,9% lors du scrutin de 1997. Et, hors les trois premires lections, le fn a dcroch sa plus faible performance en 2007, o il est tomb sous la barre des 5%, bien en-de donc des rsultats capts aux lections de la deuxime moiti des annes quatre-vingt-dix. En 2012, une fois encore, le Front national a russi une performance satisfaisante. Avec 13,6% des voix, lorganisation ralise la deuxime meilleure performance de son histoire. Toutefois, le fn est confront deux difficults dampleur aux lections lgislatives. La premire tient la dynamique dalliance attache au scrutin deux tours. Faute de vouloir ou de pouvoir avoir des allis, le Front national ne parvient oprer aucun rassemblement au second tour. Au surplus, les conditions remplir pour prendre part au second tour sont politiquement plus complexes quauparavant. Etre premier ou deuxime au premier tour est difficile. Conqurir au moins 12,5% des inscrits, plus encore. En effet, le fait davoir ramen le mandat prsidentiel cinq ans et davoir invers le calendrier a eu un effet dmobilisateur pour les lections lgislatives, scrutin pour lequel le taux dabstention a cr. Ces lments expliquent le nombre de prsences limites du fn au second tour et la difficult demporter des siges.

    Tableau 4. Rsultats du Front national aux lections lgislatives

    % des exprims % des inscrits Siges

    1973 0,43 0,35

    1978 0,30 0,25

    1981 0,17 0,12

    1986 9,83 7,38 35

    1988 9,79 6,35 1

    1993 12,42 8,11

    1997 14,94 9,65 1

    2002 11,34 6,99

    2007 4,29 2,54

    2012 13,60 7,66 2

    A laune de ces lments de contrainte institutionnelle, les scrutins rgionaux occupent une place spcifique. Cest lun des rares niveaux o le parti a t mme de dcrocher des lus en nombre apprciable et de se constituer ainsi un rseau de professionnels de la politique. A lorigine, llection rgionale est un scrutin de liste proportionnel o les dpartements font office de circonscriptions lectorales. Le systme est nanmoins revu aprs le scrutin rgional de 1998. Dsormais, les listes couvrent la rgion. Par ailleurs, limage des lections municipales, une dynamique deux tours est instaure et une prime en siges pour la premire liste a t tablie ; au premier tour, si elle dcroche la majorit absolue, au second, si ce nest pas le cas. La prime est de 25%, les 75% se rpartissant la proportionnelle entre les diffrentes listes

  • le front national 203

    en comptition. Ne peuvent concourir au second tour que les listes ayant dcroch au moins 10% des suffrages exprims. Peuvent ventuellement prendre part une fusion de listes, les listes qui ont au moins enlev 5% des voix au premier tour. Les scrutins rgionaux ont pu tre des leviers pour exercer un pouvoir de chantage dans le chef du fn. Compte tenu de la configuration politique et du caractre proportionnel du systme lectoral jusqu la modification de 2003, le fn sest dclin comme arbitre dans plusieurs rgions en 1986 et en 1998. En 1986, une alliance a t passe avec la droite parlementaire dans trois rgions. En 1998, contre les consignes nationales officielles, cinq prsidents de rgion se sont fait lire avec le consentement du fn.

    La courbe des rsultats dans les rgions suit assez bien lvolution politique et lectorale du fn. Le Front national obtient ses rsultats les plus probants en 1998 : il enlve notamment 26,5% des voix dans la rgion Provence-Alpes-Cte-dAzur (paca), 20,6% en Alsace ou prs de 19% en Rhne-Alpes. On notera nanmoins quen comparaison avec les lgislatives dcevantes de 2002 et calamiteuses de 2007, le fn conserve dans plusieurs rgions un niveau lev en 2004 et en 2010 : 18,6% en Alsace en 2004, 17,5% en 2004 dans la Rgion Centre, 18,7% en Franche-Comt la mme anne. Respectivement 23% et 20,3% en paca en 2004 et 2010, ou encore 18,2% en 2004 en Rhne-Alpes. Enfin pinglons la Rgion Nord-Pas-de-Calais o de 1986 2010, le Front national a connu une progression linaire, seul cas despce, passant de 6,1% en 1986 18,3% en 2010. En 2004 et en 2010, le fn na pu nouer aucune alliance et a donc t limin du second tour dans plusieurs rgions de la France mtropolitaine. En 2004, cinq rgions chappent sa prsence : lAuvergne, la Bretagne, la Corse, le Limousin et le Pays de la Loire. En 2010, le seuil des 10% nest pas atteint dans dix rgions : lAquitaine, lAuvergne, la Basse-Normandie, la Bretagne, la Corse, lIle-de-France, le Limousin, Midi-Pyrnes, le Pays de la Loire et Poitou-Charentes. Ces checs nont pourtant pas empch une trs dure dfaite pour la droite parlementaire en ces deux circonstances, balaye par une vague rose 41.

    Tableau 5. Rsultats du Front national aux lections rgionales en France mtropolitaine

    2010 2004 1998 1992 1986

    Alsace 13,49 18,59 20,58 17,16 13,02

    Aquitaine 8,27 11,45 10,73 10,29 6,74

    Auvergne 8,39 9,58 9,57 8,97 5,93

    Basse-Normandie 8,70 13,99 10,98 6,94 7,28

    Bourgogne 12,04 15,77 14,79 12,02 8,40

    Bretagne 6,18 8,47 8,27 8,83 4,91

    Centre 11,21 17,52 15,88 13,91 8,17

    Champagne-Ardenne 15,89 19,72 18,15 14,36 9,60

    Corse 4,16 4,47 5,10 3,22

    Franche-Comt 13,14 18,68 17,20 12,57 9,55

    41 Pascal Delwit, The March 2004 Regional Elections in France : Term for a transfer of Power , Regional and Federal Studies, 14/4, hiver 2004, p. 580-590.

  • 204 les partis politiques en france

    2010 2004 1998 1992 1986

    Haute-Normandie 11,79 15,91 16,40 12,95 7,14

    Ile-de-France 9,29 12,26 16,31 16,22 11,47

    Languedoc-Roussillon 12,67 17,17 17,45 17,41 13,13

    Limousin 7,76 9,31 7,30 6,52 3,94

    Lorraine 14,87 17,59 16,42 14,62 10,49

    Midi-Pyrnes 9,44 11,78 10,60 9,42 6,13

    Nord-Pas-de-Calais 18,31 17,94 15,30 12,92 10,21

    Pays de la Loire 7,05 9,71 8,84 8,98 5,31

    Picardie 15,81 10,86 18,47 13,50 9,60

    Poitou-Charentes 7,72 10,50 9,88 9,02 5,63

    Provence-Alpes-Cte-dAzur

    20,30 22,95 26,64 23,45 19,76

    Rhne-Alpes 14,00 18,21 18,96 17,33 10,62

    Aux lections rgionales de 1986, lorganisation frontiste enlve cent vingt-sept conseillers rgionaux. En raison de leur importance dmographique et/ou du poids de limplantation du fn, quatre rgions se taillent alors la part du lion : lIle-de-France (23), paca (19), Rhne-Alpes (14) et le Nord-Pas-de-Calais (12). Ce mouvement est amplifi aux scrutins suivants en 1992 et en 1998. A son sommet, le fn enlve deux cent soixante-quinze siges de conseillers rgionaux dont trente-sept en paca, trente-six en Ile-de-France et trente-cinq en Rhne-Alpes. Nanmoins, un reflux sobserve ds le scrutin de 2004 et samplifie en 2010. Ce recul sexplique dabord par lrosion lectorale du fn dans cette priode et par la modification du mode de scrutin : la prime majoritaire et le seuil des 10% pour tre prsent au second tour cotent cher au fn. De deux cent soixante-quinze en 1998, le fn passe cinquante-six conseillers rgionaux en 2004 et cent dix-huit en 2010. Au scrutin de 2010 donc, le fn atteint son plus bas niveau de reprsentation densemble dans les conseils rgionaux depuis ltablissement de llection rgionale. On relvera tout particulirement la disparition de sa dlgation en Ile-de-France alors quil a compt jusqu trente-sept conseillers rgionaux dans cet espace.

    Tableau 6. Nombre dlus du fn aux lections rgionales

    2010 2004 1998 1992 1986

    Alsace 5 8 13 9 3

    Aquitaine 7 9 8 4

    Auvergne 4 4 2

    Basse-Normandie 5 6 5 2

    Bourgogne 6 6 9 8 3

    Bretagne 7 7 2

    Centre 7 9 13 11 3

  • le front national 205

    2010 2004 1998 1992 1986

    Champagne-Ardenne 6 6 9 8 5

    Corse 2

    Franche-Comt 4 5 9 5 4

    Haute-Normandie 6 6 10 8 3

    Ile-de-France 15 36 37 23

    Languedoc-Roussillon 10 8 13 13 8

    Limousin 3 1

    Lorraine 10 9 13 10 7

    Midi-Pyrnes 8 8 6 3

    Nord-Pas-de-Calais 18 16 18 15 12

    Pays de la Loire 7 8 3

    Picardie 8 8 11 8 4

    Poitou-Charentes 3 5 5 1

    Provence-Alpes-Cte-dAzur

    21 19 37 34 19

    Rhne-Alpes 17 18 35 29 14

    118 156 275 239 127

    Les performances du Front national aux lections europennes sont moins saisissantes. Plus que dautres partis, le Front national souffre de la forte abstention qui affecte ce scrutin. Le fn a une structure lectorale o sont surreprsents les milieux populaires, salaris et indpendants, les citoyens au capital scolaire plus faible 42 ou les groupes les moins intresss par la politique. Or, ce sont prcisment ces segments lectoraux qui votent le moins aux lections europennes. Le Front national ptit donc de la difficult mobiliser certains de ses soutiens lectoraux potentiels. Lobservation de sa courbe lectorale le confirme. Le score le plus important du fn aux europennes, 11,7% en 1989, est nettement infrieur ses meilleures prestations aux lections prsidentielles, nationales et rgionales quand bien mme la liste est mene par Jean-Marie Le Pen en 1984, 1989, 1994 et 1999. Au scrutin europen de 1999, le fn a de plus pay un lourd tribut au schisme de dcembre 1998.

    Le fn a dcroch des siges toutes les lections europennes auxquelles il sest prsent. Mais ce nombre sest affaiss lors des trois derniers scrutins en date, natteignant plus que trois siges en 2009. Trois raisons expliquent cette perte de mandats. Dans le temps, le nombre de siges en comptition a dcru. En 1984 et 1989, le nombre de mandats en lice est de quatre-vingt-un. Il slve quatre-vingt-sept en 1994 et 1999. Par la suite, en raison des largissements successifs de lUnion europenne, il recule soixante-dix-huit en 2004 et soixante-douze en 2009. Par ailleurs, la comptition est passe dune lutte dans une circonscription, o Jean-Marie Le Pen pouvait rayonner sur tout le territoire, une lection organise dans huit

    42 Nonna Mayer, Ces Franais qui votent fn, Paris, Flammarion, 1999, p. 70.

  • 206 les partis politiques en france

    circonscriptions, o ce rayonnement national ntait plus possible. Enfin bien sr, il faut tenir compte des capacits lectorales et politiques du parti lui-mme. Outre les affres de la scission de dcembre 1998, le fn performe moins bien dans les annes deux mille, tous scrutins confondus la notable exception du scrutin prsidentiel de 2002 que dans la dcennie quatre-vingt-dix. Vu les performances engranges en 2012, il est vraisemblable quun rebond soprera aussi au niveau europen.

    Tableau 7. Rsultats lectoraux du Front national aux lections europennes

    Pourcentage Siges

    1984 10,95 3

    1989 11,73 7

    1994 10,52 5

    1999 6,50 11

    2004 10,23 10

    2009 6,75 10

    EspacesdimplantationetprofildeslecteursduFrontnational

    Limplantation lectorale du fn et le profil de ses lecteurs peuvent se dcliner en trois tapes. La premire, qui sexprime pleinement lors des lections europennes de juin 1984 et aux lgislatives de 1986, donne voir une perce largement fonde sur une radicalisation dun lectorat de droite aprs la victoire de Franois Mitterrand en mai 1981 et lavnement dun gouvernement dunion de la gauche. Dans un deuxime temps, le spectre des lecteurs du Front national slargit au dbut des annes quatre-vingt-dix. Le parti se popularise et devient pour partie le rceptacle des inquitudes urbaines 43, de la France de la dsesprance populaire 44 tout le moins pour le noyau dur ouvrier , nuance Nonna Mayer 45. En effet, les annes quatre-vingt-dix se caractrisent par un phnomne marquant dans la sociologie lectorale : sa forte progression dans les milieux populaires salaris. Le Front national simpose petit petit comme le premier parti ouvrier . Une forme de proltarisation 46 de son lectorat, qui sobserve ds 1988, se confirme au fil du temps. Au premier tour de llection prsidentielle de 1995, Le Pen capte 30% du vote ouvrier. Cette volution dans llectorat lpeniste a t interprte diffremment par deux analystes rputs du Front national. En 1997, Pascal Perrineau voquait lavnement du gaucho-lepnisme 47, approche nuance et amende par Mayer qui prfrera voquer lavnement de louvriro-lepnisme 48.

    43 Pascal perrineau, Le symptme Le Pen..., op. cit.44 Ibid., p. 84.45 Nonna Mayer, Ces Franais qui votent fn, op. cit., p. 95.46 Pascal perrineau, Le symptme Le Pen, op. cit., p. 107.47 Ibid., p. 84.48 Nonna Mayer, Ces Franais qui votent fn, op. cit., p. 96-97.

  • le front national 207

    La gographie lectorale du vote lepniste aux prsidentielles de 1988 dvoile une trs forte implantation dans le sud-est. Jean-Marie Le Pen dcroche notamment 26,4% dans les Bouches-du-Rhne, 25,1% dans le Var, 24,2% dans les Alpes-maritimes, 23,2% dans le Vaucluse ou encore 20,6% dans le Gard et les Pyrnes-orientales. Toute la faade orientale et son prolongement sur la frontire belge attestent aussi dune forte empreinte frontiste avec des pointes 22,9% dans le Haut-Rhin, 21,9% dans le Bas-Rhin, 19,9% en Moselle ou encore 18% dans le Rhne. Enfin, le fn est aussi trs percutant dans la premire, la deuxime et la troisime couronne de la banlieue parisienne : 19,9% en Seine-Saint-Denis, 18,1% dans le Val-dOise, 17,9% en Seine-et-Marne A contrario, la faade atlantique et le centre de la France sont des terres de mission pour lorganisation frontiste. Jean-Marie Le Pen ne dcroche que 5,8% en Corrze, 7% dans le Cantal, 7,5% dans les Deux-Svres, 7,8% en Haute-Vienne et dans la Creuse, ou encore 8,2% ou 8,6% dans les Ctes dArmor et en Ile-et-Vilaine. Carte 1. Implantation de Jean-Marie Le Pen aux lections prsidentielles de 1988

    Le scrutin de 1995 tmoigne de mouvements dans la gographie lectorale du fn. La pntration est toujours trs forte dans le sud-est mais un niveau moindre : 23,1% dans le Vaucluse, 22,5% dans les Alpes-maritimes, 22,4% dans le Var ou 21,4% dans les Bouches-du-Rhne. En revanche, le fn progresse dans le nord-est et le nord-ouest : 25,8% dans le Bas-Rhin, 24,8% dans le Haut-Rhin, 20% dans les Vosges, 19,8% dans la Meuse, 18,8% dans le Nord, 17,7% dans lAisne, 17,6% dans la Marne Enfin,

  • 208 les partis politiques en france

    son emprise dcrot dans la proche banlieue parisienne mais saccrot dans certains dpartements de la troisime couronne.

    Carte 2. Implantation de Jean-Marie Le Pen aux lections prsidentielles de 1995

    2012 confirme les inflexions de 1995 et les volutions observes par la suite. Limplantation dans le nord de la France est dsormais un niveau exceptionnel. Marine Le Pen atteint 26,3% dans lAisne, 25,8% dans la Meuse, 25,5% dans le Pas-de-Calais, 25,3% en Haute-Marne, 25,1% en Haute-Sane Limplantation dans le sud-est demeure trs significative avec des pointes 27% dans le Vaucluse, 25,5% dans le Gard, 25,1% dans lAube, 24,8% dans le Var, 24,2% dans les Pyrnes-orientales Au surplus, le fn commence percoler dans la lointaine banlieue parisienne. En revanche, son implantation est moins probante dsormais dans la premire et la deuxime couronne parisienne. Et Paris, le fn est devenu un acteur presque insignifiant : Marine Le Pen ny enlve que 6,2% des voix.

    Lobservation du profil des lecteurs de Marine Le Pen aux lections prsidentielles de 2012 corrobore les volutions notes dans la phase contemporaine. Lcart de pntration entre hommes et femmes sest considrablement rduit et la diffrence nest dsormais que de 1,75 point. Le niveau lev atteint chez les jeunes lecteurs est toujours significatif. Plus dun quart des 18-24 ans a opt pour Marine Le Pen. A contrario, les seniors restent les plus rtifs choisir la candidate frontiste. Ces donnes sur lge doivent tre mises en relation avec celles relatives au capital scolaire. Le fn est toujours confront au mur du bac . Plus le niveau de diplme est lev, moins le score du fn est important.

  • le front national 209

    Carte 3. Implantation de Jean-Marie Le Pen aux lections prsidentielles de 1995

    La popularisation et la priphrisation de llectorat du fn est notable. Marine Le Pen dcroche ses meilleurs scores dans llectorat qui habite en zone rurale et pri-urbaine et son plus mauvais rsultat parmi les lecteurs habitant une grande ville. Elle enlve un quart des voix des chmeurs qui votent et 20% chez les ouvriers et les employs. Fait marquant au scrutin de 2012, la candidate frontiste capte 22% de llectorat issu des professions intermdiaires.

    Enfin, comme lavait pingl Nonna Mayer 49, tendanciellement, llectorat sassume (trs) droite. De la posture centriste (5) jusquau positionnement le plus droite (10), Marine Le Pen dcroche des scores nettement suprieurs sa moyenne. Parmi llectorat qui se situe 9 sur lchelle gauche-droite, elle glane 33% et le pourcentage slve 54% parmi les lecteurs qui se classent le plus droite. On relvera toutefois que 6% des lecteurs les plus gauche et plus de 8% qui se positionnent sur la note 1 ont choisi la prsidente du fn au scrutin prsidentiel.

    49 Nonna Mayer, De Jean-Marie Marine Le Pen : llectorat du Front national a-t-il chang ? , in Pascal Delwit (d.), Le Front national. Mutations de lextrme droite franaise, op. cit., p. 147.

  • 210 les partis politiques en france

    Tableau 8. Sociologie des lecteurs du fn 50

    Genre

    Hommes 18,74

    Femmes 17,18

    Age

    18-24 ans 25,70

    25-34 ans 20,03

    35-44 ans 18,87

    45-54 ans 20,10

    55-64 ans 18,56

    65 ans et plus 12,97

    Niveau de diplme

    Sans diplme 0,70

    bepc-cap-bep 23,76

    Baccalaurat 15,45

    Etudes suprieures 9,04

    Lieu de rsidence

    Grande ville 12,70

    Priphrie dune grande ville 17,70

    Ville moyenne ou petite 15,20

    Zone rurale 22,80

    Statut socio-professionnel

    Agriculteurs 12,80

    Artisans, commerants et chefs dentreprises 15,13

    Cadres et professions intellectuelles suprieures 17,32

    Professions intermdiaires 22,37

    Employs 20,13

    Ouvriers 19,78

    Etudiants 16,73

    Chmeurs 24,35

    Pensionns 16,10

    Hommes/femmes au foyer 19,90

    Invalidit 23,69

    Vote en fonction de lauto-positionnement

    0 Trs gauche 6,23

    50 Source : Enqute lectorale franaise 2012. Nos remerciements Nicolas sauger.

  • le front national 211

    1 8,25

    2 2,62

    3 7,65

    4 6,99

    5 20,52

    6 24,82

    7 26,18

    8 20,70

    9 33,99

    10 Trs droite 53,72

    Politique dalliance et exercice du pouvoir A lchelle nationale, la question du pouvoir ne sest jamais vritablement pose

    pour le Front national. Pour une raison somme toute simple : hors le scrutin de 1986, le fn na jamais pu se prvaloir de troupes parlementaires. Lors du scrutin lgislatif de 2012, le fn a dcroch sa meilleure performance : deux dputs lAssemble nationale. Bien videmment, ce rsultat est avant tout la consquence de linexistence de toute alliance dans le chef de la formation frontiste. Et dans une dynamique de scrutin deux tours, cette configuration ne laisse quasi aucune chance un candidat du Front national demporter un second tour quand il y participe.

    Une observation fine permet toutefois de nuancer le propos. Aux lections lgislatives de 1988, un accord tait intervenu entre certaines fdrations du rpr de luDf et du Front national. Sil fut utile la droite parlementaire, nous lavons dit, son apport pour le fn fut mince. Tout juste permit-il llection de Yann Piat dans le Var. Dans un autre registre, llection en 2012 de Gilbert Collard dans la 2e circonscription du Gard dut beaucoup lattitude du candidat uMp, Etienne Mourrut. Bien que forc de maintenir sa candidature au second tour, Mourrut navait pas cach prfrer la victoire de Collard celle de la socialiste Katy Guyot. Malgr une participation en hausse, Mourrut perdit 4 005 suffrages entre les deux tours.

    La question des alliances est donc centrale dans le destin du fn ; tout le moins si le fn ambitionne dabandonner une pure stratgie anti-systme 51. Aller de lavant sur cette thmatique requiert nanmoins nombre de conditions complexes : une volont suffisamment manifeste du parti, des actes poss qui corroboreraient la nouvelle dmarche et, bien sr, la capacit trouver un partenaire. En dautres termes, nouer un accord, ft-il purement lectoral, avec la droite parlementaire. Autant de conditions difficiles rassembler.

    Au plan subnational, la question des alliances et du pouvoir sest pose de manire diffrente. Dans les annes quatre-vingt, des alliances entre le rpr et luDf ont t ralises. Il en est all ainsi Dreux, ds 1983, suite lorganisation dun nouveau scrutin municipal. De mme, un accord de majorit fut scell entre le rpr,

    51 Grard GrunBerG, Florence haeGel, La France vers le bipartisme ? La prsidentialisation du ps et de lump, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2007, p. 36.

  • 212 les partis politiques en france

    luDf et le Front national lissue des premires lections rgionales. Enfin, en 1998, sans accord formel, le fn permit llection de cinq prsidents de rgion de la droite parlementaire.

    Au plan local, le fn russit une perce lors du scrutin municipal de 1995. A cette occasion, il conquit trois municipalits significatives : Orange sous la houlette de Jacques Bompard, Marignane sous celle de Daniel Simonpieri et, surtout, Toulon sous celle de Jean-Marie Le Chevallier. Deux ans plus tard, Catherine Mgret dcrochera la mairie de Vitrolles. Ces succs se rvlrent pourtant comme autant de problmes pour le Front national 52. Problme de capacits gestionnaires dabord. Le mandat de lquipe frontiste Toulon fut calamiteux et dchira le fn. En 2001, le fn dcrocha peine 5,5% et la dissidence Le Chevallier, 7,8%. Problme de leadership ensuite. Lmergence de ces maires-vitrine dplaa lattention mdiatique au dtriment de Jean-Marie Le Pen. Il est singulier que les quatre maires aient tous abandonn le Front national. Depuis, le fn est quasi absent des responsabilits. Plus largement mme, au plan municipal, il fut dpourvu de presque lensemble des conseillers municipaux en 2008 53. Le scrutin municipal de 2014 sera donc ncessairement (bien) meilleur et pourrait conduire la conqute de certaines municipalits. Le fn espre notamment conqurir Henin-Beaumont et dcrocher certaines mairies du sud de la France la faveur dune alliance tacite avec des personnalits de luMp, somme toute trs proches de lui, contre la gauche.

    Dfisetenjeuxdupartiaprslaprsidentielleetleslgislativesde2012

    Aprs les lections prsidentielles et lgislatives de 2007, le Front national semblait au bout du rouleau. La perspective apparat tout autre aujourdhui. Un rebond fut dj perceptible aux lections rgionales de 2010. Depuis laccession de Marine Le Pen la prsidence du parti, le fn a confirm son redploiement politico-lectoral : aux lections cantonales du printemps 2011 de mme quaux lections prsidentielle et lgislatives de 2012 et, plus encore, dans les lections partielles qui sont intervenues depuis. Dans les scrutins partiels de 2013, le Front national se fixe un niveau de vote trs lev au premier tour. En mars, son candidat dcroche 26,6% dans la 2e circonscription de lOise et en juin, 26% dans la 3e circonscription du Lot-et-Garonne. Au surplus, le fn est parvenu a fortement progresser au second tour, alors mme que la participation lectorale croissait. Dans lOise, il atteint 48,6% et dans le Lot-et-Garonne, 46,3%. Lors de la cantonale partielle de Brignoles dans le Var, il a rcupr le sige quil avait conquis en mars 2011. Laurent Lopez, son candidat, a recueilli 40,4% des voix au premier tour et 53,9% au second, alors mme que la participation lectorale augmentait de 14,1 points de pourcent par rapport au premier tour.

    52 Gilles ivalDi, The Front national vis--vis power in France : factors of political isolation and performance assessment of the Extreme Right in municipal office , in Pascal Delwit, Philippe poirier (d.), Extrme droite et pouvoir en Europe, Bruxelles, Editions de lUniversit de Bruxelles, 2007, p. 178 et s., en ligne : fhttp://digistore.bib.ulb.ac.be/2011/i9782800413884_000_f.pdf.

    53 Pascal Delwit, Le Front national et les lections , in Pascal Delwit (d.), Le Front national. Mutations de lextrme droite franaise, op. cit., p. 136-137.

  • le front national 213

    Les prochains scrutins municipal et europen de 2014 devraient confirmer ce redploiement, dautant plus manifestement que les lections municipale de 2008 et europenne de 2009 ont t calamiteuses pour le fn.

    Outre le contexte politique, lexceptionnelle crise conomique, financire et sociale gnre de langoisse et accentue des sentiments ethno-centriques, qui sont des moteurs du vote lextrme droite. Nombre de thmatiques portes par le Front national sont lagenda et lobjet de dbats comme le rapport la mondialisation, limmigration, la communaut musulmane

    Il nen reste pas moins que le fn demeure face une question majeure : son statut dans la socit et le systme politique franais. Quel est lobjectif primaire du parti ? Sil souhaite perptuer sa vocation primaire de parti anti-systme, il est vraisemblable que son pouvoir de chantage atteindra nouveau un niveau lev lors des prochaines chances lectorales mais avec des rsultats politiques tangibles limits pour le parti ; en particulier dans les scrutins uninominaux deux tours. En mars 2011, il na rcolt que deux conseillers gnraux, dont un fut battu une lection partielle rorganise. Et en 2012, il na glan que deux dputs la faveur de triangulaires. Si le fn souhaite sortir dune posture anti-systme, il devra indiquer clairement sa volont daller dans ce sens et convaincre, dailleurs linterne puis lexterne, des changements fondamentaux quil est prt assumer pour emprunter cette voie. Or, ce stade, le cheminement nest pas clair. La dynamique de respectabilit au fn est pour le moins limite. Et Marine Le Pen a d revenir aux fondamentaux du parti dans la campagne prsidentielle pour sortir dune campagne terne et dintentions de vote limites. Certes, sa volont ddifier le Rassemblement Bleu-marine attestait dune volont dlargissement, mais sans rsultats tangibles pour linstant. Elle doit par ailleurs compter avec la monte en puissance de sa nice, Marion Marchal-Le Pen, lue de Carpentras, o la porosit entre la droite parlementaire et lextrme droite est forte et o la rhtorique dEtat protecteur fait moins recette.

    Bien videmment, la question se pose aussi pour luMp. En Europe, une alliance entre la droite et lextrme droite nest pas exceptionnelle. Elle est intervenue, dune manire directe ou indirecte, dans plusieurs configurations comme aux Pays-Bas, au Danemark, en Norvge, en Italie ou en Autriche. Mais dans ces Etats, la dynamique du systme politique et lectoral est proportionnelle. Aussi, lalliance est-elle le plus souvent post-lectorale. Entrer dans une alliance pr-lectorale est un autre acte politique. Et il naura pas chapp luMp que ceux de ses candidats qui avaient manifest le plus dempathie pour le fn entre les deux tours des lgislatives en 2012 nen avaient pas profit, linstar de Nadine Moreno, contrairement aux plus hostiles une dmarche de rapprochement, limage de Nathalie Kosciusko-Morizet.

    Le fn sera donc plus probablement un parti mme dans certaines configurations politiques dexercer un potentiel de chantage (trs) important sur la droite parlementaire et sur le systme. La question de la sortie de ce statut sera sans doute la plus difficile rsoudre pour lui.