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institut du développement durable et des relations internationales – 6, rue du Général Clergerie – 75116 Paris – France – Tél. : 01 53 70 22 35 – [email protected] – www.iddri.org N° 18/2004 | GOUVERNANCE MONDIALE (ex-Les rapports de l’Iddri n°4) Fiscalité internationale et financement du développement durable Thierry Giordano (Iddri) Thierry Giordano a rédigé ce document suite à la conférence « Fiscalité internationale et financement du développement durable » co-organisée par l’AfD et l’Iddri, les 7 et 8 novembre 2002 à Paris. Ce texte n’engage que son auteur. En mettant ce document en ligne sur son site, l’Iddri a pour objectif de diffuser des travaux qu’il juge intéressants pour alimenter le débat. Tous droits réservés

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N° 18/2004 | GOUVERNANCE MONDIALE

(ex-Les rapports de l’Iddri n°4)

Fiscalité internationale

et financement

du développement durable

Thierry Giordano (Iddri)

Thierry Giordano a rédigé ce document suite à la conférence « Fiscalité internationale et financement du développement durable » co-organisée par l’AfD

et l’Iddri, les 7 et 8 novembre 2002 à Paris. Ce texte n’engage que son auteur. En mettant ce document en ligne sur son site, l’Iddri a

pour objectif de diffuser des travaux qu’il juge intéressants pour alimenter le débat.

Tous droits réservés

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et financement

du développement durable

Thierry GiordanoIddri, France

Les rapports de l’Iddri, n° 4

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Fiscalité internationale et financement du développement durable

2 Institut du développement durable et des relations internationales

Iddri, 2004.

Diffusion : 6, rue du Général Clergerie – 75116 Paris – FranceTéléphone : 01 53 70 22 35 – [email protected] – www.iddri.org

Conception : Ulys communication

Ce texte a été rédigé suite à la conférence organisée par l’AfD et l’Iddri

les 7 et 8 novembre 2002 à Paris, intitulée « Fiscalité internationale et financement du développement durable ».

Il a été achevé en février 2003 et révisé à l’automne de la même année.Les interventions des participants et les travaux de recherche

et autres références bibliographiques ont nourri ce texte. Les opinions ou points de vue exprimés demeurent toutefois

de la responsabilité de l’auteur. Version automne 2003.

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Plus d’un siècle de rhétoriqueA l’origine, une taxe mondiale pour un gouvernement mondialLes Nations unies, moteur des discussionsUne défaite politique ? mais l’idée poursuit son chemin

Un argumentaire pluriel centré sur des enjeux globauxBiens et maux publics mondiauxFiscalité mondiale et aide au développementVers une nouvelle légitimité ?

La nécessité d’une coopération internationale en matière fiscaleDéveloppement des systèmes fiscaux nationauxCompétitivité internationale et développement de la fiscalitéRenforcer le dialogue entre les administrations fiscales

Une problématique en constructionL’absence de communauté épistémiqueLes difficultés techniques de mise en œuvreLe taux de taxationLa structure de la fiscalitéL’utilisation des recettes fiscalesLes mécanismes d’observanceLes difficultés institutionnelles d’une gouvernance fiscaleLes blocages politiques à toute négociation

Quelques propositions de fiscalité mondialeTaxe sur les mouvements de capitauxTaxe sur le carboneTaxe sur les médicaments

ConclusionNotes

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Sommaire

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La création d’une fiscalité mondiale est uneproposition qui revient de manière récurrentesur la scène internationale. Portée par les poli-tiques, elle ne parvient pas à s’émanciper d’undiscours riche d’intentions mais pauvre enactions. Soutenue par les organisations nongouvernementales, elle fait figure d’étendard etn’arrive pas à se défaire d’un argumentaire vin-dicatif, parfois fédérateur pour certains acteurs,mais en fin de compte peu porteur dansl’espace politique international.

Ces dernières années, la possibilité d’intro-duire une fiscalité environnementale mondiale,notamment au sein de la Convention cadre surles changements climatiques avec la taxe « car-bone », et celle de parvenir à une plus grande sta-bilité financière par une taxation des mouve-ments de capitaux, avec la taxe Tobin défenduepar certaines organisations de la société civile,ont relancé les débats. Aujourd’hui, il n’existe pasde fiscalité mondiale à proprement parler mêmesi certains mécanismes mis en place au sein deconventions ou d’accords internationaux s’enrapprochent. Certains pays se sont prononcés enfaveur de cette éventualité, d’autres s’y sontopposés avec force. Par conséquent, l’instaura-tion d’une fiscalité mondiale demeure une idéeattrayante, source de débats et de controverseset, paradoxalement, autant providentielle pourcertains qu’utopique pour d’autres. Tant et sibien que la fiscalité mondiale ne parvient pas às’imposer comme une véritable hypothèse de tra-vail ; elle est peu discutée, jamais débattue ; elle aété jusqu’à présent trop souvent négligée.

Ce constat est le résultat de l’avance prisepar la classe politique et la société civile sur la

communauté scientifique : peu nombreux sontles membres de la communauté scientifique, enparticulier les économistes, à s’être penchés surla question ; et rares sont les études fondamen-tales et plus encore les ouvrages de référence surcette question. Les économistes qui s’intéressentà la fiscalité, au développement ou à la globali-sation ont souvent des réticences à travailler surun thème fréquemment perçu comme média-tique et polémique. On sait par exemple avecquelle vitalité Attac1 s’est emparée de la taxeTobin et avec quelle passion elle en a fait unsujet de société2.

Certaines évolutions récentes dans les poli-tiques nationales et dans les négociations inter-nationales laissent à penser que la fiscalité mon-diale pourrait être de nouveau discutée. Mais detelles discussions ne pourraient être engagées demanière sérieuse sans un effort important d’ins-truction et de structuration de l’ensemble desquestions que pose l’instauration de ce type defiscalité. Même si elle participe sans conteste aurenforcement du discrédit qui entoure la fiscalitémondiale au sein de la communauté scientifique,cette explication reposant sur un flou théoriquene peut en être l’unique raison. Des obstaclespolitiques, institutionnels et techniques existent.

Afin de dresser un panorama aussi précisque possible sur l’état des connaissances enmatière de fiscalité internationale, nous revien-drons sur son histoire et sur les élémentscontextuels essentiels à la compréhension de lasituation présente et des évolutions possibles.Ensuite, nous nous arrêterons sur les différentsargumentaires sur lesquels s’appuient lesdéfenseurs d’une fiscalité mondiale, et plus

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particulièrement sur la manière dont la notionde bien public mondial peut renouveler laquestion. Nous verrons alors combien lesbesoins de coordination des politiques fiscalessont importants, sachant qu’une fiscalitéunique en serait le stade ultime. Enfin, nousnous attarderons sur les difficultés présentes età venir avant d’analyser de plus près quelquesexemples. Ce cheminement nous conduira àélaborer quelques propositions de travail pouralimenter les débats sur ce qui pourrait biendevenir un enjeu majeur de futures négocia-tions internationales.

Plus d’un siècle de rhétorique

L’instauration d’une fiscalité mondiale n’estpas une idée nouvelle. Elle revient périodique-ment sur la scène internationale dans une rhé-torique politique paradoxalement assez peu pré-cise. Un regard plus rigoureux sur les diversespropositions permet de distinguer une évolutiontrès nette des raisons pour lesquelles une fisca-lité mondiale est revendiquée : à une logique definancement s’est superposée une logique inci-tative. Ce changement d’argumentaire conduit àde nouvelles sources de légitimité, qui pour-raient apparaître économiquement et, parconséquent, politiquement plus acceptables.Cette prise en compte de plus en plus fréquentede la logique incitative s’est traduite différem-ment suivant les échelles de gouvernance. A l’é-chelle nationale, la fiscalité incitative a connu defort développement notamment dans les pays del’Organisation de coopération et de développe-ment économique (OCDE). A l’échelle interna-tionale, un amalgame malheureux entre logiqueincitative et logique de financement a davantagedesservi les défenseurs d’une fiscalité mondiale.

A l’origine, une taxe mondiale pour ungouvernement mondial3

En 1884, James Lorimer, professeur dedroit public à l’université d’Edimbourg, tra-vaille sur le système de gouvernance mondialeà mettre en place pour assurer la cohérence desespaces juridiques entre nations4. Il oriente sestravaux vers la création d’un équivalent inter-national aux institutions nationales que sont lepouvoir exécutif et le pouvoir législatif (pourtraiter des questions commerciales, monétai-res, fiscales, de redistribution...). Il s’interrogesur la création d’un gouvernement mondial etsur la nécessité de lever un impôt pour le finan-cer. Ainsi, la première référence à la fiscalitémondiale souligne la nécessité de lever descapitaux pour alimenter le budget d’un poten-tiel gouvernement mondial5.

La Première Guerre mondiale change lanature des débats pour placer la préservationde la paix au centre des discussions sur la gou-vernance mondiale : l’organisation formelle de

ce système de gouvernance monopolise lesdébats pour faire naître des initiatives qui, tou-tes, avorteront. En aucun cas, ces initiatives neseront suffisamment développées pour allerjusqu’à proposer un mode de financement dusystème. Dans un tel contexte, mettre en placeune fiscalité mondiale semble indissociable del’instauration d’un gouvernement mondial,alors même que la création d’un gouvernementmondial est loin de faire l’unanimité : moinsque l’idée fiscale, c’est l’idée d’autorité supra-nationale qui est combattue.

La Seconde Guerre mondiale est riche encontributions sur la nécessité d’instaurer unetaxe mondiale pour financer les organisationsinternationales — et non plus un gouvernementmondial. De fait, les questions nécessitant uneintervention supranationale coordonnée sem-blent, à cette date, circonscrites : chaque élé-ment de politique nationale n’a plus son équi-valent mondial comme le supposait Lorimer ;seules sont concernées la régulation du com-merce, la stabilité financière et la préservationde la paix. En conséquence, les années 40 inau-gurent la mise en place des principales institu-tions internationales que sont les institutionsde Bretton Woods — le Fonds monétaire inter-national (FMI) et la Banque mondiale —, char-gées de la stabilité financière et du développe-ment économique, l’Accord général sur lestarifs et le commerce (GATT), ayant pourobjectif la coordination des politiques commer-ciales, et les Nations unies auxquelles revient lemaintien de la paix6.

Au sortir des années 40, la question de l’ar-chitecture de la gouvernance mondiale paraîtainsi « réglée », même si cela ne sera pas défi-nitif. Il reste alors à déterminer le financementde ces institutions. Si la Banque mondiale et leFonds monétaire international ne rencontrentque peu de difficultés financières, si le GATTne nécessite quasiment aucun financement par-ticulier en dehors de coûts administratifs rela-tivement faibles, ce n’est pas le cas pour l’Or-ganisation des Nations unies (ONU). Et ceproblème devient de plus en plus déterminantau fur et à mesure que les prérogatives desNations unies s’élargissent et que leurs pro-grammes se développent. C’est sans doutepour cette raison que l’idée de fiscalité mon-diale se réfléchit plus précisément dans cetteenceinte.

Les Nations unies, moteur des discussions7

Les discussions sur la fiscalité mondialesont engagées très tôt dans l’histoire desNations unies, puisque l’instauration d’une fis-calité mondiale pour financer l’organisation estposée dès sa création officielle en 1945. Initia-lement, le budget de l’organisation est consti-tué de contributions « obligatoires » verséespar les Etats membres mais les retards de paie-

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ment soumettent l’ONU à des problèmes deliquidité quasi annuels. Ces contributions sontindexées annuellement sur la capacité des paysà payer. Ce budget, normalement destiné « àfavoriser le progrès social et instaurer demeilleures conditions de vie dans une libertéplus grande »8, se transforme en budget admi-nistratif. Les programmes économiques etsociaux que développent les Nations uniesdeviennent rapidement dépendants de contri-butions complémentaires versées sur une basevolontaire par les Etats membres. Dès lors, lesouci permanent de dégager de nouvelles res-sources financières se fait sentir9.

Devant cette difficulté de l’ONU à remplirsa mission de développement économique etsocial — proche du rôle de garant du bon fonc-tionnement de la société imparti aux gouver-nements nationaux — se développent d’autresmoyens de lever des fonds : c’est autour decette double difficulté — dégager des fonds suf-fisants pour permettre à l’ONU d’assurer samission et garantir le respect des engagementsbudgétaires pris par les Etats membres — quel’idée d’une taxe mondiale s’est progressive-ment développée, avec pour objectif ultime,d’obtenir des moyens financiers « prévisibles,continus et de plus en plus garantis »10.

Il serait sans aucun doute réducteur deconsidérer l’idée d’une fiscalité mondiale ausein du système des Nations unies comme uni-quement stimulée par des besoins de finance-ment, c’est-à-dire ne prenant pas en compte leseffets incitatifs et redistributifs éventuels. Ceserait oublier que le début des années 70marque un tournant dans la perception poli-tique d’un certain nombre de problèmes jus-qu’alors circonscrits aux territoires nationaux.De nouvelles questions, environnementales11

mais surtout de justice sociale12, sont posées etnécessitent une coordination internationalepour y répondre. Ceci requiert non seulementdavantage d’argent, mais également et surtout,une modification notable des comportementsd’acteurs très hétérogènes, situés dans desespaces géographiques fort différents.

Cette prise de conscience progressive denouveaux enjeux globaux conduit à introduiredans les débats de l’Assemblé générale desNations unies de plus larges propositions surles modalités de financement des différentsprogrammes, parmi lesquelles des taxes sur lesdépenses militaires, sur les flux commerciauxet, surtout, sur l’utilisation des « biens com-muns ». Ces composantes environnementalesliées à l’utilisation des biens communs supra-nationaux expliquent pour partie le rôle jouépar le Programme des Nations unies pour l’en-vironnement (PNUE) dans l’introduction et lapromotion de nouveaux modes de finance-ment, comme la fiscalité mondiale et, ce quis’en rapproche le plus, « l’automaticité desrevenus ». Le PNUE est un des premiers orga-

nes des Nations unies à investir substantielle-ment sur les nouveaux modes de financement ;son apport a été important13, avant que ses pro-positions ne soient reprises et augmentées dansd’autres instances, rapports ou commissions,voire d’autres conférences de l’organisation.

Ainsi, des travaux de la Commission indé-pendante sur les problèmes de développementinternational (Commission Brandt, 1977-84) àceux de la Commission mondiale sur l’environ-nement et le développement (CommissionBrundtland, 1983-87), les années 80 sont lethéâtre d’une multiplication de rapports pro-posant de nouvelles formes de financement.C’est vraisemblablement ce qui a conduit lesecrétariat général à demander au Conseil éco-nomique et social (ECOSOC) d’approfondir laquestion de la fiscalité mondiale puis, par lasuite, à l’Office des études sur le développe-ment (ODS) du Programme des Nations uniespour le développement (PNUD) à s’intéresserplus particulièrement à la taxe Tobin14.

Une défaite politique ? mais l’idée poursuit sonchemin...

Cette prolifération de recommandationsaurait pu progressivement paver le cheminconduisant à la concrétisation sinon de la fisca-lité mondiale en tant que telle, tout au moinsde l’automaticité des revenus, si une levée deboucliers, notamment de la part des Améri-cains, n’avait stoppé net le processus. En effet,en 1996, les diverses propositions faites par lesNations unies sur l’éventualité d’une taxe glo-bale ont déclenché une vague de protestationsde la part de certains sénateurs regroupés sousla férule du Républicain Bob Dole. Le débatsénatorial a conduit à l’adoption d’une loi en1997 subordonnant les contributions américai-nes aux Nations unies à l’absence de taxe inter-nationale touchant les entreprises ou lescitoyens américains15.

Si la radicalité de la réaction américaine faitforce d’exemple, il ne faut pas oublier que lesEtats-Unis ne sont pas les seuls à s’opposer à lafiscalité mondiale et que toutes les discussionssur ce sujet au sein des Nations unies depuisleur création n’ont pas manqué de mettre enévidence la réticence des Etats membres à s’en-gager sur la voie de la fiscalité internationale.Les Etats y sont hostiles généralement parcequ’ils refusent de déléguer une part de leursprérogatives en matière d’impôt à une institu-tion internationale. Leur absence de volontépolitique s’explique ainsi par la crainte d’uneperte de souveraineté.

On aurait pu croire que l’attitude améri-caine allait marquer la fin de toute idée de fis-calité mondiale dans les débats internationaux,de toute proposition nouvelle. Il n’en est rien.Pour preuve, la fiscalité mondiale de finance-ment ressurgit sous des formes à peine dégui-

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sées, comme dans les propositions d’une taxesur les messages électroniques (bit tax) et sur lesbrevets mentionnées dans le Rapport sur le déve-loppement humain de 1999 pour « mettre au ser-vice du développement humain et de l’éradica-tion de la pauvreté le potentiel que renfermentles nouvelles technologies »16, voire sous des for-mes clairement exprimées comme dans le rap-port établi sous la responsabilité de l’ancienprésident mexicain, Ernesto Zedillo, pour laconférence des Nations unies sur le finance-ment du développement, qui s’est tenue à Mon-terrey en mars 2002, où est fait mention de lanécessité de mettre en place d’une fiscalitéinternationale17.

Ainsi, même au sein des Nations unies, lesujet reste d’actualité... avec quelques nuancesfondées sur les leçons du passé : la fiscalité mon-diale proposée par le rapport Zedillo est« reprise » par le Secrétaire général de l’ONUdans une note technique afférente au processuspréparatoire de Monterrey. Elle précise qu’il s’a-git « [d’]impôts nationaux pouvant être mis enplace moyennant des accords internationaux »18.Lors du Somment mondial du développementdurable de Johannesburg (août-septembre2002), Jan Pronk, envoyé spécial du Secrétairegénéral des Nations unies, Kofi Annan, s’estdéclaré également en faveur de cette possibilité. A cette occasion, de nouvelles contributionssur la « taxe carbone » et la « taxe sur les trans-actions financières » (taxe Tobin) sont apparuesdans le processus préparatoire, dans les ateliersparallèles et dans les discours officiels. Notonsnotamment que le Président de la Républiquefrançaise a mis l’accent sur la nécessité « d’unprélèvement de solidarité sur les richesses consi-dérables engendrées par la mondialisation »19,terme voisin de celui employé par Jan Tinbergendans son rapport pour le Club de Rome en1976 : « World Solidarity Contribution »20.

Un argumentaire pluriel centré sur des enjeux globaux

L’ambiguïté sur la justification, et donc surles objectifs finaux, d’une fiscalité mondialeconstitue indubitablement l’obstacle majeur àson instauration : sans consensus sur son rôle,il paraît difficile d’en discuter les moyens demise en œuvre ou, tout au moins, les principesde fonctionnement. Or, ce consensus est diffi-cile à établir car la communauté internationaleen est encore à s’interroger sur les nouveauxobjectifs mondiaux à satisfaire, sur l’architec-ture de la gouvernance mondiale et sur lespriorités d’action et les moyens à mettre enœuvre pour y parvenir. Toutes ces interroga-tions sont autant de sources de controverses aucœur desquelles la fiscalité mondiale pourraitavoir un rôle déterminant à jouer.

A ce titre, deux éléments importants cons-tituent une base potentielle de discussion. Le

premier est la place que pourrait tenir la four-niture des biens publics non plus nationaux,mais régionaux, internationaux voire mon-diaux dans les objectifs de la communautéinternationale — à condition que soit résolue laquestion de leur définition et de leur identifi-cation. Le second concerne les moyens d’y par-venir, avec au centre des discussions le rôle del’aide publique au développement, la façondont elle est légitimée, la manière dont elle estdéfinie et utilisée. Ces éléments reflètent ensubstance les deux justifications fondamentalesde l’action publique internationale : les enjeuxglobaux et la solidarité mondiale.

Biens et maux publics mondiaux

La communauté internationale est particu-lièrement sensible à la résolution des problè-mes globaux, comme le montrent les multiplesaccords et conventions internationaux déjàsignés, voire ratifiés. Toutes les questions glo-bales n’ont pas la même nature et ne requiè-rent pas les mêmes moyens. Tous les pays nesont pas sensibles à l’ensemble des problèmeset chacun les hiérarchise différemment suivantles contingences nationales. Par conséquent,tous réclament des approches spécifiques, à lafois dans la manière d’agir et dans l’implicationdes différents pays pour y parvenir.

L’instrument fiscal devient une des solu-tions envisageables pour traiter de certainesquestions globales, parfois fort différentes ennature, mais nécessitant toutes une actioninternationale coordonnée : les transactionscommerciales et financières, les compagniestransnationales, les liaisons internationalesaériennes et fluviales ainsi que les moyens decommunication... Ainsi, ces dernières années,de nombreux représentants politiques, respon-sables d’organisations internationales, porte-parole d’organisations non gouvernementalesou scientifiques ont proposé l’instaurationd’une fiscalité mondiale.

Chaque fois, la réalisation d’objectifs spéci-fiques et différents était recherchée21 : taxe surles émissions de carbone pour lutter contre leréchauffement climatique ; taxe sur les opéra-tions de change (taxe Tobin) afin de limiter laspéculation sur les marchés financiers ; taxe surles transports aériens (actuellement, il n’existeaucune taxe sur le kérosène) pour réduire l’im-pact négatif du transport aérien sur l’at-mosphère ; taxe sur les données transférées parInternet (bit tax) pour lever des fonds destinésau développement des nouvelles techniques decommunication dans les pays en développe-ment ; taxe sur les exportations d’armes...Aucune de ces propositions n’a abouti.

Plus récemment, et au-delà de ces proposi-tions, appréhender les questions globales sui-vant un cadre conceptuel simple et fédérateurest apparu problématique. Dans cette perspec-

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tive, l’ODS a cherché à développer ce que pou-vait représenter l’existence de biens publics quidépasseraient l’échelle nationale et implique-raient une action internationale coordonnéepour être produits de manière optimale. L’ODSs’est efforcée de mieux cerner ce que pourraitêtre une prise en charge collective de la four-niture des biens publics mondiaux (BPM)22.

Suite au premier ouvrage de l’ODS, undébat conceptuel s’est engagé sur la manière dedéfinir les BPM et, par conséquent, sur ce quipouvait entrer dans cette catégorie : s’appuyantsur la dimension supranationale d’une questionqui les préoccupe, certains auteurs en viennentà classer l’ensemble des problèmes de la planètedans la catégorie des BPM, ce qui a pour consé-quence directe d’affaiblir considérablement lapertinence de la notion ; à l’inverse, d’autres,appliquant strictement les critères économiquesacadémiques utilisés pour définir les bienspublics23, affirment qu’il n’existe pas de BPMpurs, ce qui retire toute utilité à la notion. Entreces deux positions extrêmes, le débat sur la défi-nition de ce qui peut ou non entrer dans la caté-gorie des biens publics mondiaux n’offre guèrede perspective si ce n’est d’accepter la natureplurielle des BPM et, par conséquent, de recon-naître qu’il existe une pluralité des moyens àmettre en œuvre pour les fournir (l’action col-lective étant présupposée, ce sont les formesqu’elle peut prendre qui sont discutées). Et, enpoursuivant un peu plus ce raisonnement, ilconvient d’admettre que plus grande est la partde la population mondiale qui bénéficie de leurfourniture, plus l’instrument d’intervention doitêtre mondial. Reste que, identifier une questionglobale à un problème mondial relève davan-tage de la volonté politique et de la perceptionque l’on a de la justice mondiale que de l’éco-nomie. Même si, ensuite, ce sont les critèreséconomiques qui s’appliquent.

Quel peut alors être l’apport de la notionde bien public mondial ? Est-elle à mêmed’amener des éléments nouveaux dans lamanière d’aborder la fiscalité mondiale ? Dansquelles conditions la fiscalité peut-elle être uti-lisée ? Selon quels critères ? Pour financer lafourniture de BPM ? Pour créer une incitationà la réduction des maux publics mondiaux ?Pour assurer une redistribution des revenus ?Pour essayer de répondre à cette question, il estnécessaire de distinguer biens publics mon-diaux et maux publics mondiaux. De fait, s’ilest tentant de traiter les deux thèmes demanière concomitante, en arguant que la luttecontre un mal public n’est rien d’autre que lapromotion d’une bien public et inversement,tous deux traitent de problèmes différents.

Les biens publics posent essentiellement desproblèmes de fourniture sous-optimale. A l’é-chelle nationale, le premier responsable est vrai-semblablement l’Etat, seul capable de traduireles préférences nationales dans un système

démocratique. L’action publique est alors cen-trée sur la manière d’assurer leur fourniture.Qu’apporte la théorie économique dans ce cas ?L’application du critère de non-rivalité dans lesbénéfices tirés de la fourniture des biens publicsconduit à un comportement massif de passagerclandestin, lui-même responsable d’une produc-tion sous-optimale du bien considéré. Dans cecas, une des réponses avancées par l’économiepublique est l’utilisation des budgets publics etde la fiscalité. C’est ainsi que, dans de nombreuxpays, les biens et services publics sont financéspar l’impôt. Il devient dès lors logique d’étendrecette application à l’échelle internationale et dechercher à satisfaire la fourniture du bien publicmondial considéré en instaurant une fiscalité àcaractère universel.

Faire intervenir la notion de BPM n’apporteaucune information sur ce qui doit être taxé, nisur les modalités d’application de la taxe ou surla manière dont les fonds collectés doivent êtreutilisés : ceci dépend de la nature du bien etdes préférences politiques. D’ailleurs, y a-t-ildes sujets sur lesquels les opinions publiquessont suffisamment mûres pour accepter à lafois une responsabilité collective et un consen-tement individuel ? Existe-t-il un bien publicmondial qui mérite qu’on établisse un liendirect et symbolique entre celui qui paie l’im-pôt et l’action qu’il finance ? Dans l’affirmative,on peut parler de fiscalité mondiale. Reste àrépondre à la question complexe du lieu démo-cratique où se décide ce consentement qui, entout état de cause, n’existe pas encore à l’é-chelle mondiale24.

Les maux publics, quant à eux, font essen-tiellement référence aux conséquences négati-ves d’une activité économique (externalités).Ces externalités soulignent la nécessité d’unecoordination supranationale pour atteindre unobjectif précis. Un objectif nécessitant uneaction commune dépend lui-même de nom-breux facteurs : identification, perception,connaissance et dénonciation de ce que lasociété juge être une nuisance. L’Etat étant leprincipal responsable de la traduction des pré-férences collectives, son action doit inciter lesparties prenantes à s’engager dans une mêmedirection. Dans le même temps, il ne peut seulsatisfaire les préférences nationales ; il a alorsun rôle important à jouer dans l’orientationdes activités publiques et privées pour répon-dre à ces objectifs. A lui de mettre en place lesmesures adéquates (réglementaires, financiè-res, incitatives...) pour s’assurer que l’ensembledes acteurs œuvre dans la même direction.

Dans ce cas, l’incitation peut se faire parl’intermédiaire d’un système d’imposition.Mais ce ne peut être le seul instrument à envi-sager : il ne s’agirait en définitive que d’uninstrument parmi d’autres pour assurer la coor-dination des acteurs, comme le sont les permisou les droits, la réglementation, les quotas, les

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accords volontaires, les systèmes de consigne...Les fiscalistes répètent souvent que leur arme ades effets limités, d’abord parce que la fiscalitéest impopulaire, ensuite parce que l’efficacitéde l’instrument fiscal est limitée25. La questionest alors de savoir si in fine, ces différentsinstruments ne conduisent pas à instaurer dessystèmes de régulation proches du fonctionne-ment d’un système fiscal. Par exemple, qu’est-ce qu’un permis d’émissions sinon une taxedéguisée sur le droit d’émettre ? Il est alors pos-sible d’utiliser des instruments qui s’en rappro-chent mais dont l’efficacité et l’applicabilitésont différentes26.

Le dernier élément à relever dans l’articula-tion entre bien public et mal public a trait audouble dividende : les fonds issus de la taxationd’un mal public (incitation) permettent definancer la fourniture d’un bien public. Lathéorie du double dividende pose beaucoup dequestions : bien que séduisante, elle a, en effet,un côté paradoxal. Elle cherche à faire dispa-raître le mal public, donc à faire disparaîtrel’assiette, et à diminuer le rendement de la taxe(réduction des recettes fiscales). Au-delà decette ambiguïté, l’adéquation entre la taxationdu mal public et le financement du bien publicn’est pas claire. L’arme est-elle toujours lamieux adaptée pour lutter contre le mal ? Com-ment identifier les maux publics mondiaux quidevront faire l’objet d’une action prioritaire, etencore plus d’une fiscalité incitative, dont lesrecettes pourraient être attribuées à la fourni-ture de BPM ? Peut-on s’affranchir de l’arbi-trage entre l’effet d’incitation et l’effet de finan-cement d’une fiscalité mondiale ? Doit-ontraiter les deux ensemble ou les deux élémentssont-ils indépendants ?

Finalement, la frontière semble bien minceentre financement et incitation dans le cas desbiens publics mondiaux, surtout si entrent danscette catégorie les problèmes environnemen-taux. Il s’agit alors de modifier les comporte-ments des acteurs, et l’incitation en est unmoyen. En revanche, si sont inclus dans lesbiens publics mondiaux les grands objectifscibles du millénaire (accès à l’eau, l’énergie, lasanté...), la question est alors purement finan-cière. A-t-on besoin de financements pourchanger les comportements ou de change-ments de comportement pour obtenir desfinancements ?

Fiscalité mondiale et aide au développement

Il est extrêmement difficile de parler de fis-calité mondiale sans aboutir à l’aide publiqueau développement (APD), notamment parceque l’instauration d’une fiscalité mondialepour financer le développement des pays lesplus pauvres est depuis longtemps une propo-sition récurrente à l’échelle internationale. Lerapport Zedillo pour reprend d’ailleurs l’idée

d’une fiscalité mondiale comme nouvellesource de financement27. Ce lien ne semble pasusurpé et ceci pour plusieurs raisons.

La première raison est liée à l’origine bud-gétaire de l’APD, issue de prélèvements obliga-toires, avec une partie fixe et négociée (multi-latérale) et une partie variable et en déclin(bilatérale). L’APD peut ainsi être apparentée àun prélèvement non obligatoire ou, plus exac-tement, a un prélèvement obligatoire qui n’estpas respecté. Actuellement, les pays consacrentdes parts très inégales de leur PIB à l’aide audéveloppement et l’objectif de 0,7 % du PIBn’est quasiment jamais respecté : introduireune forme d’automaticité serait indispensableet la fiscalité pourrait alors devenir le méca-nisme d’harmonisation des efforts de chacun28.

A ce titre, l’introduction directe de lanotion de taxe mondiale présenterait troisintérêts majeurs. Premièrement, elle demande-rait que soit adjoint à la taxe un système desanction qui limiterait les comportements depassager clandestin et garantirait le respect del’objectif communément accepté de 0,7 %.Deuxièmement, elle permettrait d’envisagerune réforme de l’assiette sur laquelle reposentles prélèvements actuels (essentiellement issusd’une taxation de la consommation et desrevenus du travail) pour y inclure le capital29.Enfin, elle permettrait de redéfinir ce quedevrait être un système d’aide au développe-ment, en réfléchissant à un impôt mondial surle revenu, ce qui autoriserait un niveau relati-vement stable et prévisible de fonds, tout enfaisant porter le poids de l’aide sur l’ensembledes pays. Un tel système imposerait égalementune coordination des contribuables (et nonuniquement des donateurs), marquant uneévolution notable de la conception de l’aide.Est-ce une évolution marginale par rapport àce qui existe actuellement (contribution despays aux agences multilatérales) ou un change-ment plus important ? Quels sont les avantageset les inconvénients d’un tel système ?

La seconde raison de lier APD et fiscalitémondiale découle de la référence croissante àla fourniture des BPM dans les stratégies desagences de développement bilatérales et multi-latérales. Les agences se sont emparées desopportunités offertes par les biens publicsmondiaux pour donner une nouvelle légiti-mité à une aide publique au développementfortement critiquée et — cause ou consé-quence ? —, en baisse constante depuis quel-ques années. Dans cette perspective, et comptetenu des remarques précédentes sur les BPM,il est difficile d’espérer de cette approche unnouveau paradigme pour l’aide au développe-ment. Si l’APD veut apparaître comme un élé-ment-clé de la fonction de production desbiens publics mondiaux, si l’on estime que lafiscalité est un moyen adapté pour assurer lafourniture de biens publics mondiaux, alors,

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Page 11: Fiscalité internationale et financement du développement ... · Fiscalit” internationale et financement du d”veloppement durable 2 Institut du d”veloppement durable et des

l’objectif de 0,7 % doit devenir réalité. Dans cecas, il conviendrait de revoir le système de pré-lèvement et le système de redistribution pourassurer un prélèvement et une allocation desressources compatibles avec les objectifsrecherchés. On glisserait alors d’une approcheconjoncturelle de l’aide au développement (àterme, l’APD n’a plus de raison d’être) à uneapproche structurelle dans laquelle l’APD assu-rerait un certain nombre de missions de ser-vice public mondial.

De plus, si la fiscalité est une réponse adap-tée au financement des BPM, l’aide bilatérale,même issue de prélèvements fiscaux, est-elleune réponse adéquate à la fourniture de cesbiens ? L’aide multilatérale n’est-elle pas préfé-rable ? Peut-on au contraire considérer l’aidebilatérale comme plus flexible, donc mieuxadaptée aux demandes particulières des popu-lations ? Par exemple, le PNUD distingue l’aideaux pays pauvres de la fourniture de BPM dansl’intérêt de tous — séparation reprise dans lerapport Zedillo30. Il recommande la mise enplace d’une approche duale de l’aide au déve-loppement qui distingue l’aide destinée à unpays de celle destinée à la fourniture des bienspublics mondiaux.

La troisième raison de relier fiscalité etAPD fait référence à l’objectif de redistribu-tion. A l’échelle locale ou nationale, la fiscalitéde financement est utilisée non seulementpour financer les biens et les services publics,mais également pour redistribuer les ressour-ces afin de réduire les inégalités à l’intérieurde la société. Peut-on envisager une fiscalitémondiale dont l’objectif serait la redistributionpour réduire les inégalités entre les habitantsde différents pays ? Quelle serait alors la placeaccordée à l’APD ? L’aide publique au dévelop-pement peut-elle être considérée comme l’a-morce d’un système de transfert entre pays ?La systématisation d’un tel procédé, avec lapossibilité de faire varier les donateurs et lesbénéficiaires, pourrait conduire à considérerle budget de l’APD comme un prélèvementobligatoire à objectif redistributif.

Les réponses aux questions ici posées netrouvent pas de réponses immédiates ; elles nefont que rarement l’objet de discussion. Pour-tant, il apparaît très clairement que l’avenir del’aide au développement doit s’appuyer sur la fis-calité mondiale si l’on veut faire de la premièreun outil de développement plus efficace. Parconséquent, avancer sur l’utilité de la fiscalitémondiale comme instrument de coordinationpeut également passer par une réflexion nou-velle sur ce que devrait être l’APD.

Vers une nouvelle légitimité ?

Il existe donc deux natures possibles de lataxe — le financement et l’incitation — avec uncontinuum entre les deux. La nature financière

de la taxe a longtemps prévalu ; l’objectif inci-tatif est plus récent, mais peut renforcer l’argu-mentaire en faveur d’une fiscalité mondiale. Enaccord avec cette dichotomie, il est possible dedistinguer trois objectifs majeurs : le finance-ment du développement — ce sont avant toutles aspects sociaux (redistribution, lutte contrela pauvreté) qui sont posés — ; le financementde la fourniture des biens publics mondiaux ; lalutte contre les maux publics mondiaux parl’incitation31. Si les deux premiers relèvent de lanécessité de dégager de nouvelles ressourcesfinancières, le dernier s’appuie sur la logiqueincitative de la taxe.

Toutefois, cette distinction ne peut plus êtreaussi nette lorsque l’on accepte le principe dudouble dividende, avec toutes les nuances pré-cédemment relevées. Dans ce cas, les finance-ments retirés de la taxe incitative peuvent êtreattribués au financement des BPM ou à celuidu développement : toute la question est dedéterminer la forme de redistribution que l’onveut donner à la fiscalité mondiale. Et cettequestion est loin d’être tranchée. Y répondrepermettrait également de rendre à la fiscalitémondiale une nouvelle forme de légitimité.

La nécessité d’une coopérationinternationale en matière fiscale

Au-delà des arguments avancés pour justi-fier l’instauration d’une fiscalité mondiale, l’in-tensification des interdépendances écono-miques et le développement de la fiscalitécomme instrument de coordination des acteursforcent les Etats à s’intéresser plus avant auxenjeux de la coordination des politiques fisca-les. En effet, ces évolutions posent de nomb-reux problèmes, notamment liés à la compétiti-vité internationale fortement influencée par lessystèmes fiscaux. Il en résulte un besoin crois-sant de coordination en matière fiscale. Mêmesi cette coordination peine à se matérialiser, outout au moins à déboucher sur des initiativesconcrètes, il n’est pas interdit de penser qu’ellepourrait être le moteur d’une réflexion plusprofonde sur la fiscalité mondiale.

Développement des systèmes fiscaux nationaux

Avec comme origine l’impôt, la fiscalité alongtemps été une prestation pécuniaire per-çue par une autorité publique auprès de sesmembres pour financer les charges qui lui sontimparties32. Cette situation a conduit à l’instau-ration de prélèvements obligatoires touchantprincipalement les moyens de production (tra-vail et/ou capital), dans la quasi-totalité despays développés, à des degrés divers. A leurtour, les pays en développement, même les pluspauvres, tentent de plus en plus souvent demettre en place des systèmes de prélèvementsobligatoires (notamment sur le revenu), relati-

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Page 12: Fiscalité internationale et financement du développement ... · Fiscalit” internationale et financement du d”veloppement durable 2 Institut du d”veloppement durable et des

vement proches de ceux existant dans les paysdéveloppés, pour répondre à certains objectifssociaux et permettre au plus grand nombre deprofiter du développement économique. Ainsiconsidérée, la fiscalité a pour objectif de déga-ger des recettes fiscales pour alimenter le bud-get de l’institution chargée de lever l’impôt(Etats, collectivités locales...) afin de, par exem-ple, financer des services publics, opérer uneredistribution des ressources, développer despolitiques sociales...

Cette fonction initiale a évolué. D’une part,la pression croissante de la fiscalité sur lesmoyens de production, notamment sur le tra-vail, est apparue comme pouvant à terme péna-liser lourdement l’économie. D’autre part, faceaux préoccupations croissantes en matièred’environnement, l’idée d’une fiscalité environ-nementale a été perçue comme un moyen demodifier le comportement des acteurs écono-miques, tout en dégageant des ressources suffi-santes pour financer les services publics. Defait, au premier objectif de financement s’estgreffé un objectif d’incitation économique (parles prix) permettant de réduire les externalitésnégatives issues d’une activité économique ou,à l’inverse, de promouvoir les externalités posi-tives liées à une autre activité.

Dans les pays développés, cette évolutiondu rôle de la fiscalité s’est traduite par le déve-loppement progressif, depuis le début desannées 90, de taxes liées à l’environnement, les« écotaxes ». Cette évolution s’est visiblementdéroulée à pression fiscale constante, indiquantpar là même que les taxes liées à l’environne-ment se sont fondues dans une réforme fiscalede plus grande ampleur33 : les autorités ontconsidéré comme acquis le double dividenderésultant des écotaxes34.

Dans les deux cas, l’instrument fiscal, quellequ’en soit la forme, répond toujours à la volontéde l’autorité compétente de satisfaire les préfé-rences de la population, tout en tenant comptedes contingences nationales. Cette tendanceconfirme à quel point la fiscalité est un instru-ment privilégié pour atteindre les objectifs éco-nomiques, environnementaux et sociaux fonda-mentaux que se fixe une société.

Il convient néanmoins d’ajouter certainesnuances dans l’utilisation de ces deux formesde fiscalité. Tout d’abord, il existe quelquespays pour lesquels la fiscalité ne représenteabsolument rien aujourd’hui, par exemplel’Arabie Saoudite, où les recettes fiscales nereprésentent que 2 % des recettes de l’Etat.Comment imaginer que ces pays, qui partici-pent aux négociations internationales tant surl’aide au développement que sur l’environne-ment, y appliqueront un raisonnement fiscal35 ?

Ensuite, dans certains pays, la place prisepar la fiscalité dans les politiques environne-mentales s’avère relativement faible, car laréglementation (de type command and control)

continue à être préférée à l’instrument fiscalpour répondre aux exigences environnementa-les. Elle se traduit par l’établissement de nor-mes de pollution (standards) ou de niveauxd’utilisation maximale des ressources (quotas etpermis) ou, plus simplement, d’interdictions.Ceci reste vrai en dépit des préférences affi-chées pour les instruments économiques, quipermettent de modifier le comportement desacteurs par des signaux de prix. Dans cettecatégorie entrent non seulement les taxes, maiségalement les permis d’émission échangeables,les systèmes de consigne et les subventions.

Compétitivité internationale et développementde la fiscalité

Les régimes fiscaux nationaux se dévelop-pent rapidement mais de manière hétérogène,à la fois sur le fond (objectifs impartis) et surla forme (modèle fiscal et taux d’imposition).Ceci n’est pas sans poser de problèmes. Lesconséquences de ces régimes fiscaux différen-ciés dépassent largement les espaces nationauxau fur et à mesure que les interdépendanceséconomiques et financières entre les pays semontrent de plus en plus sensibles.

Le premier type de problèmes que posel’introduction de différences fiscales entrepays est lié à la compétitivité internationale desentreprises, de secteurs économiques, voiredes économies nationales36. Il se matérialiselorsque la taxe touche des produits tributairesdes marchés internationaux pour lesquels dessubstitutions ne sont pas possibles. Il se traduitpar une baisse des exportations des produitstaxés (hausse des prix d’exportation par la fis-calité) et une augmentation des importationsen provenance de pays aux pressions fiscalesmoins importantes (prix inférieurs). Cetteperte de compétitivité est d’autant plus diffi-cile à surmonter que la capacité du secteur àmodifier son comportement (adopter unenouvelle technologie par exemple) est limitée.

L’ensemble des conséquences est difficile àmesurer, car il dépend largement de la poli-tique économique globale mise en place parles Etats. Néanmoins, l’effet sur la compétiti-vité peut conduire les autorités à afficher unecertaine réticence à s’engager dans uneréforme fiscale ; en conséquence de quoi, soitles pays attendent que d’autres s’engagent surla voie de la réforme avant d’agir, soit ils pren-nent des mesures tout en exonérant les sec-teurs ouverts à la concurrence internationale.Dans les deux cas, le système fiscal utilisé estsous-optimal, quel que soit l’objectif recher-ché : moins de fonds sont collectés et/oumoins d’incitations sont générées.

Le second type de problème provient de lasituation inverse : la tentation pour certainspays de réduire leur pression fiscale soit pourgarantir une meilleure compétitivité de leur

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Page 13: Fiscalité internationale et financement du développement ... · Fiscalit” internationale et financement du d”veloppement durable 2 Institut du d”veloppement durable et des

économie, soit pour attirer des capitaux étran-gers37. Les effets réels de ce dumping fiscal surles investissements directs étrangers (IDE) sontdifficiles à identifier et à mesurer. Mais il estévident qu’une baisse des pressions fiscales surle travail, le capital ou les exigences sociales etenvironnementales influence une décisiond’investissement. Et cet effet est peut-êtreencore plus notable lorsque la fiscalité se veutincitative.

Ces deux catégories de problèmes(réforme verte vs dumping fiscal) font de lacoordination internationale des politiques fis-cales nationales une nécessité. Comment assu-rer la coordination des fiscalités nationales ? Siles pays ne sont pas tenus d’adopter unmodèle unique, ils ne doivent pas s’en éloigneret, s’ils modifient leur fiscalité, ils devraientêtre tenus de ne le faire que dans le sens de laconvergence.

Un des moyens pour résoudre cet impactnégatif repose sur la coordination régionale etinternationale de la fiscalité38. Commentgarantir une coordination minimale des poli-tiques fiscales pour limiter les effets négatifsdes interdépendances entre les économies queles politiques fiscales influencent ? Deux hypo-thèses diamétralement opposées sont envisa-geables. La première consiste à créer un sys-tème fiscal supranational applicable à tous dela même manière, ce qui règlerait tout diffé-rentiel fiscal entre nations. Il s’agit là du stadeultime de la convergence des systèmes fiscauxnationaux. Cette vision est clairement uto-pique et, sans doute, peu intéressante per secomme hypothèse de travail. A l’opposé, laseconde serait de permettre à chaque pays deconserver sa structure d’imposition propre,tout en compensant les autres pays pour lespréjudices qui en résultent. Là encore, l’hypo-thèse semble peu réaliste et sans grand avenir.En revanche, ce qui est à étudier, ce sont lesmultiples possibilités qui s’étendent entre cesdeux extrêmes.

Les travaux sur l’harmonisation des fiscali-tés nationales et sur le fédéralisme fiscal ali-mentent la réflexion sur ce que serait unecoordination orientée vers un système fiscalunique à l’échelle internationale : l’introduc-tion de taux et de bases de prélèvements obli-gatoires compatibles, voire identiques d’unpays à l’autre, peut très rapidement apparaître,suivant les modalités d’application, comme lamise en œuvre d’un système fiscal universel ;le fédéralisme fiscal peut également constituerun champ d’investigation pour renseigner lafaisabilité technique d’une articulation entrefiscalité nationale et fiscalité supranationale39.Seraient alors discutées les possibilités d’exo-nération ou de réduction motivées par uneperte de compétitivité ou instaurées pour desraisons d’équité. Dès lors, l’aide publique audéveloppement, même si elle n’est pas envisa-

gée dans cette optique, ni justifiée de la sorte,pourrait être considérée comme une forme decompensation pour un préjudice commisenvers des pays qui n’ont pas les moyens d’uti-liser les mêmes instruments que leurs parte-naires.

Peut-on alors envisager une redistributiondes revenus permettant de compenser ces per-tes ? Doit-on, au contraire, s’orienter vers unecoopération des Etats en matière de fiscalité ?Ou encore envisager une imbrication complé-mentaire de ces deux systèmes ? Les réflexionssur ces modes possibles de coordination, soitdirectement sur le système fiscal, soit indirec-tement sur le système de redistribution,demeurent très superficielles. Néanmoins, ilexiste des initiatives visant à promouvoir lacoopération internationale en matière fiscale,tant régionale qu’internationale.

Renforcer le dialogue entre les administrationsfiscales

Il existe actuellement de nombreux lieuxrégionaux de rencontre des administrationsfiscales. Le centre de rencontre et d’étude desdirigeants des administrations fiscales (Cre-daf), créé en 1982 et qui regroupe essentielle-ment des pays francophones d’Afrique, en plusde la France, de la Belgique et du Canada, enest un exemple40. Ces organisations régionalesont essentiellement pour objet d’échanger despoints de vue et des expériences sur le fonc-tionnement des administrations fiscales et nonde renforcer la coordination internationale despolitiques fiscales.

Cette tâche est partiellement assumée parle comité des affaires fiscales de l’OCDE. Cecomité a développé un modèle type de conven-tion fiscale bilatérale et des lignes directricessur les prix de transfert. Par ces actions, ilexerce une influence certaine au-delà mêmedes seuls pays de l’OCDE, même s’il repré-sente uniquement les visions de ses membres.Une autre instance joue ici un rôle essentiel :le groupe spécial d’experts de la coopérationen matière fiscale réuni par les Nations unies.Il comprend des experts et des représentantsdes administrations fiscales des pays dévelop-pés et en développement, spécialistes des trai-tés fiscaux entre les pays développés et endéveloppement. L’ONU dispose égalementd’un modèle type de convention qui s’adresseaux pays autres que ceux de l’OCDE.

Reste que ces conventions fiscales bilatéra-les et les autres formes de coopération fondéessur l’échange d’expériences, sur la transpa-rence et les bonnes pratiques, sur le renforce-ment des capacités des administrations fiscalesdes pays en développement, paraissent bieninsuffisantes pour traiter des problèmes inter-nationaux consécutifs à l’hétérogénéité despolitiques fiscales nationales. Pourtant, ce ne

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Page 14: Fiscalité internationale et financement du développement ... · Fiscalit” internationale et financement du d”veloppement durable 2 Institut du d”veloppement durable et des

sont pas les propositions qui font défaut. Unenote technique a été préparée par le Secréta-riat général des Nations unies, à l’occasion dela préparation de la conférence internationalesur le financement du développement, pourréférencer ces propositions en partant du cons-tat « [qu’]il n’existe pas d’instance intergouver-nementale mondiale qui s’occupe de questionsde politiques et d’administrations fiscales et decoopération internationale en matière fiscalesous tous ses aspects »41.

C’est à cette conclusion d’une absence delieu de dialogue des administrations fiscalesqu’a abouti le consensus de Monterrey et c’estdans cette perspective que deux initiatives ontété récemment engagées.

La première a débouché sur la création duComité des organisations internationales desadministrations fiscales (Ciota), regroupant laquasi-totalité des organisations régionales decoopération des administrations fiscales. Sonobjectif est de renforcer les collaborationsentre ces organisations, de partager les expé-riences et d’organiser des conférences sur lesgrandes questions fiscales internationales.

La seconde initiative, le dialogue fiscalinternational (ITD), dont la création a été pro-posée par la Banque mondiale, le FMI etl’OCDE lors de la conférence de Monterrey surle financement du développement, a pourobjectif le partage des expériences, des problè-mes et des savoirs en matière fiscale42. Le dia-logue fiscal international peut être considérécomme une étape supplémentaire pour aiderles pays en développement à créer ou à amé-liorer leur système fiscal et à renforcer leurcapacité à lever l’impôt. Il agit comme unforum d’expression et comme un lieu de coor-dination et de partage des assistances tech-niques en matière fiscale, où la parole est don-née aux pays en développement.

Cet élément est un point essentiel duconsensus de Monterrey où les chefs d’Etat etde gouvernement reconnaissent « la nécessitéd’assurer la viabilité des politiques budgétaires,moyennant une fiscalité et une administrationfiscale équitables et efficaces et de réaménagerles dépenses publiques sans supplanter l’inves-tissement productif privé »43. Et pour y parve-nir, ils recommandent de « renforcer la coopé-ration fiscale internationale par un dialogueplus poussé entre autorités fiscales nationaleset une plus grande coordination des travauxdes organismes multilatéraux concernés et desorganisations régionales pertinentes, en accor-dant une attention particulière aux besoins despays en développement et en transition »44.

Néanmoins, cette coopération doit allerplus loin, les concepteurs de l’ITD le recon-naissent. Il ne s’agit pas simplement d’informeret de partager. La fiscalité pose des questionsinternationales qui ne sont pas seulementadministratives, mais concernent l’ensemble de

la politique fiscale : taxation des multinationa-les, des travailleurs étrangers, du commerce —électronique plus particulièrement —, compéti-tivité, dumping fiscal... Or, dans le mêmetemps, l’ITD rappelle très clairement que,quelle que soit l’étendue des questions fiscalespertinentes à l’échelle internationale, la fisca-lité demeure nationale par nature, et que,même dans une enceinte internationale de dia-logue comme l’ITD, les Etats conservent leursouveraineté fiscale.

Peut-on espérer de ces enceintes un débatsur la fiscalité mondiale ? Non, sans doute, sion espère aboutir à un projet commun. Maisqu’elles s’engagent à reconnaître l’utilité d’undébat, voire même à l’ouvrir, est une étapeimportante pour obtenir une réponse. En effet,deux éléments sont à retenir. Le premier estqu’il existe une pression structurelle de plus enplus forte s’exerçant sur les administrations fis-cales pour que le dialogue et la coopérations’intensifient. Cette pression aura pour consé-quences l’ouverture de discussions avant toutsur les politiques fiscales dont les pays ontbesoin. A terme, elle pourrait conduire à met-tre en œuvre des systèmes d’imposition compa-rables entre différents pays, ou tout au moinsmieux articulés. Une telle solution s’apparente-rait à une fiscalité internationale, sans distribu-tion transfrontalière des recettes. Le secondélément est le rôle déterminant de coordina-tion des acteurs que peut jouer la fiscalité etqui n’a de sens que si l’ensemble des partiesprenantes accepte d’y participer. Ces deuxdynamiques, reposant sur des argumentairesdifférents, pourraient converger vers une issueidentique : une fiscalité mondiale.

Aussi, l’institutionnalisation des discussionssur les questions fiscales entre autorités com-pétentes est fondamentale pour faire évoluer laperception que les différents acteurs peuventavoir de l’utilité d’une fiscalité mondiale. Car, siles propositions faites ne vont pas jusqu’à insti-tuer l’organisation mondiale de la taxation quecertains réclament45, elles sont un premier pasdans ce sens, car elles s’efforcent de créer uneplate-forme de rencontre et de discussion pourles administrations fiscales. Toutefois, commele souligne Horner, une organisation mondialede la taxation n’est concevable que si toutes lesquestions peuvent y être discutées, y compriscelles sur les taxes46.

Une problématique en construction

Pourquoi un outil plébiscité par les milieuxéconomiques (connaissant le poids qu’ils détien-nent dans l’orientation des politiques locales,nationales et internationales) et permettant derépondre aux préférences des populations neparvient-il pas à s’imposer à l’échelle internatio-nale ? S’agit-il d’un problème technique lié aupassage de l’échelle nationale à l’échelle l’inter-

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Page 15: Fiscalité internationale et financement du développement ... · Fiscalit” internationale et financement du d”veloppement durable 2 Institut du d”veloppement durable et des

nationale, d’une inadéquation entre objectifs etmoyens (aucune des questions globales ne peutefficacement être traitée par la fiscalité mon-diale), ou encore d’une absence de volonté poli-tique ? Nous allons tenter d’apporter quelqueséléments de réponse à ces questions.

L’absence de communauté épistémique

Tout d’abord, nous avons vu l’apport subs-tantiel que représente la nature incitative d’unetaxe pour renouveler les débats sur l’instaura-tion d’une taxe mondiale. Elle permet notam-ment de faire porter les discussions directe-ment sur la fiscalité et non sur l’efficacité del’utilisation des recettes fiscales47. Ensuite, nousavons rappelé combien la nécessité de renfor-cer la coordination des politiques fiscalesdevient pressante, plus particulièrement pourpermettre aux pays en développement de fairede la fiscalité un levier pour sortir de la pauv-reté. Et, sur ce point précis, les initiativesrécentes de construction d’un espace interna-tional de discussion représentent une réelleinnovation.

Ces deux éléments plaident pour uneréflexion plus poussée sur l’avenir d’une tellefiscalité, notamment parce qu’ils contribuent àlever les obstacles les plus importants avancéspar les détracteurs de la fiscalité mondiale. Or,jusqu’à présent, les discussions entre les écono-mistes et les fiscalistes sur la nécessité d’instau-rer une fiscalité mondiale ont fréquemmenttourné court. Les travaux fondamentaux quipourraient alimenter de manière constructivele débat politique sur cette question sontencore trop peu nombreux. De fait, il devientdifficile de trouver un terrain politique de dis-cussion entre les défenseurs d’une fiscalitémondiale et ses détracteurs. Les argumentsd’apparence péremptoire reposent uniquementsur une conception idéologique à partir delaquelle toute discussion est impossible. Unapport substantiel de la part des scientifiquesest nécessaire.

Or, si des réflexions se poursuivent surl’opportunité d’une fiscalité mondiale, iln’existe pas aujourd’hui de communauté épis-témique établie sur cette question, alors mêmeque l’on reconnaît de plus en plus le rôle cen-tral que cette dernière pourrait de jouer dansla vie politique tant nationale qu’internatio-nale48. Une communauté épistémique a pourobjectif de fournir l’information nécessaire auxpolitiques pour réduire l’incertitude sur unsujet donné. Elle prend alors une place impor-tante dans le processus politique, et ceci dedeux manières différentes.

Parce qu’elle contrôle les connaissances etl’information, elle détient un pouvoir qu’ellepeut utiliser pour orienter les décisions poli-tiques : elle guide les débats en soulevant lesquestions qu’elle juge cruciales, avance les solu-

tions qui lui paraissent les plus appropriées etinfluence ainsi le résultat final des négocia-tions. Elle peut aussi et simplement fournir desarguments permettant aux décideurs politiquesde justifier une issue qui leur paraît favorable.Elle ne fait alors qu’élargir l’espace de discus-sion et n’exerce aucune emprise directe sur laposition finale des autorités compétentes. C’estpourquoi Peter Haas précise que si les choixpolitiques sont effectivement influencés par detels réseaux d’experts, le degré de concordanceentre les décisions entérinées et les préférencesdes experts demeure conditionnée par la dis-tribution des pouvoirs à l’échelle nationale etinternationale49.

Si une coordination internationale émerge,ce sera donc le signe que la communauté épis-témique s’est révélée suffisamment influentepour en démontrer la nécessité aux décideurspolitiques ou aux groupes de pression. Le seulvéritable impératif réside finalement dans saforce de persuasion, donc pour partie, dans ladiffusion transnationale de ses idées. Ainsi, lesscientifiques doivent être motivés par l’in-fluence qu’ils peuvent avoir sur le politiquepour se constituer en communauté épisté-mique50. Cette étape semble faire défaut : lademande politique est réelle mais pas encoreinstitutionnalisée ; si bien que les scientifiquesne sont pas incités à produire une réflexionsuffisamment approfondie pour enclencher unvéritable débat, tant technique que politique, àla fois dans les espaces nationaux et dans lesenceintes internationales.

Les difficultés techniques de mise en œuvre

Parce que les travaux fondamentaux sur lafiscalité mondiale demeurent trop épars, lesquestions techniques restent nombreuses,notamment sur l’adéquation de l’instrumentfiscal aux objectifs recherchés : la fiscalité est-elle le meilleur outil pour satisfaire les objectifsrecherchés ? La taxe est-elle suffisamment effi-cace et équitable pour asseoir sa légitimité et saprédominance sur d’autres instruments derégulation ? Si l’efficacité dépend du taux detaxation et de l’utilisation des recettes, l’équitéest assurée par des réductions de taxes, desexonérations (atténuations) ou des compensa-tions permises par l’utilisation et la répartitiondes recettes générées par la fiscalité (réductiondes contributions sociales par exemple) ou parle redéploiement fiscal (réduction d’autrestypes de prélèvements obligatoires)51. Certes,les difficultés pratiques sont nombreuses, maisde même nature que celles rencontrées — etsurmontées — par les fiscalités nationales. Aussiconvient-il de bien cerner les principales ques-tions à résoudre pour mettre en œuvre une fis-calité mondiale, même si dans la pratique lesréponses avancées sont spécifiques à chaqueconstruction fiscale.

Une problématique en construction

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Le taux de taxationLe taux de taxation doit permettre de

respecter un certain degré d’efficacité écono-mique. Si l’objectif est incitatif, le taux de taxa-tion optimal est en théorie relativement aisé àdéterminer : il doit simplement permettre d’in-ternaliser complètement les coûts de l’externa-lité négative considérée, avec toutes les diffi-cultés pratiques que cela implique mais quirestent réelles quelle que soit l’échelle d’appli-cation. Si l’objectif est financier, le taux detaxation dépend des recettes fiscales que l’ondésire prélever. Il correspond alors à un choixpolitique qui s’explique par les efforts de dis-tribution recherchés. Si le but est de réaliserun double dividende, il convient alors d’arbit-rer entre les priorités accordées à chacun desobjectifs. Ces réflexions sont théoriques et lesimpacts réels sur la structure économique glo-bale des taux d’imposition particuliers doiventêtre considérés avec beaucoup de précaution,ce qui complexifie la détermination du taux deprélèvement.

La structure de la fiscalitéL’assiette fiscale est garante du caractère

équitable et loyal de la fiscalité. Quels sont lesproduits, les personnes, les revenus, les actionsqui sont taxés ? Comment définir la nécessité,ou non, de procéder à des exonérations ?Quels arguments invoquer pour les justifier ?Taxer un même secteur dans deux pays diffé-rents peut avoir des conséquences positivesdans l’un et dommageables dans l’autre. Ilconvient de définir une structure fiscale quitienne compte des spécificités de chaque pays,de la même manière que la fiscalité nationaleprend en compte des spécificités sectoriellesou individuelles pour que le système fiscal soitsuffisamment équitable. Ces dimensions nepeuvent être omises, et ceci plus particulière-ment lorsque l’on cherche à taxer des échan-ges internationaux, car se pose la question dela définition des espaces géographiques, del’ampleur des échanges, de la structure écono-mique des pays... Pour répondre à ces ques-tions, il existe une panoplie d’instrumentsstrictement fiscaux (taxe, impôt, redevance)qui peuvent être combinés avec d’autres typesde mécanisme d’incitation et de redistribution.

L’utilisation des recettes fiscalesQuelle que soit la taxe mise en place, elle

devrait engendrer des recettes fiscales, variantsuivant l’objectif recherché, le taux imposé,l’assiette considérée... Comment distribuer lesfonds issus d’une taxation mondiale ? Plus queles réponses possibles, ce sont les objectionsavancées qui sont vraisemblablement les plusconstructives, car elles permettent d’éviter dereproduire les erreurs passées.

L’argument principal avancé par McMahonconcernant la distribution des recettes fiscales

issues d’une taxe internationale repose sur lecaractère non démocratique de beaucoup degouvernements des pays en développement etde la propension des élites à détourner lesfonds d’aide à leur profit, au détriment despopulations locales52. Cet argument constituedavantage une excuse pour l’inaction, qu’uneincitation à faire autrement. L’analyse ex posten économie politique internationale fondéeuniquement sur la recherche de rente ne per-met pas d’intégrer les mécanismes d’apprentis-sage, qui autorisent deux systèmes en appa-rence semblables à obtenir des résultatsdifférents en raison des connaissances passéeset de l’introduction de nouvelles connaissan-ces. Les réflexions conduites depuis quelquesannées sur l’efficacité de l’APD, sur sa fongibi-lité, sur l’efficacité des conditionnalités consti-tuent autant de connaissances qui peuvent êtremobilisées.

Certaines expériences montrent que la dis-tribution de ressources financières est opéra-tionnelle lorsque les projets sont bien conduits(good governance). Par exemple, alors que laconstitution de fonds a été sévèrement criti-quée, certaines expériences récentes montrentque bien administrés, les fonds permettent unedistribution relativement satisfaisante des res-sources. Ainsi, la manière dont le Fonds mon-dial pour les vaccins est administré montre queles leçons ont été tirées du passé53. Sans cher-cher à faire de ce fonds l’exemple à suivre, ilfaut reconnaître que l’introduction d’uneclause liant les subventions aux résultats, d’unmécanisme de contrôle (audit), d’une limita-tion maximale des coûts administratifs ainsique l’exigence de transparence assure une effi-cacité nouvelle54. La question devient alors desavoir s’il est envisageable, techniquement etpolitiquement, d’administrer un fonds consti-tué de prélèvements obligatoires de la mêmemanière qu’un fonds alimenté par des contri-butions volontaires.

Rappelons que la Banque mondiale, le FMIet, dans une moindre mesure, le Fonds mon-dial pour l’environnement sont des institutionsinternationales qui assurent une certaine redis-tribution des richesses entre les pays. Maiselles ne reposent pas sur un système fiscal.Actuellement, les services qu’elles fournissentsont financés par les contributions des Etats,dont le niveau est préalablement négocié. Cesfonds sont ensuite répartis par champ d’acti-vité et par destination géographique, suivantdes critères et des priorités préalablementidentifiées. Contrairement à cette pratique, lamise en place d’une fiscalité internationaledevrait davantage reposer sur l’utilité quetirent les bénéficiaires des services fournis.Une des conséquences directe de cette orien-tation est une nouvelle définition du bénéfi-ciaire, privilégiant davantage les individus queles autorités représentatives. Le bon fonction-

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nement des institutions internationales devraitdonc se faire sur la base de contributions indi-viduelles définies par la solvabilité ou la capa-cité des individus à payer.

Par conséquent, sans négliger les risquesliés à la recherche de rente de la part des gou-vernements, il convient de favoriser lesréflexions sur la définition du système de dis-tribution des recettes fiscales et sur la manièredont les choix publics peuvent être réalisés àl’échelle internationale. Là encore, il seraitsans aucun doute nécessaire de s’appuyer surles expériences passées, tant dans la gestiondes fonds internationaux, que dans les diffé-rents pays qui ont su mettre en place un sys-tème efficace de redistribution.

A titre d’exemple, François Bourguignonprésente un modèle superposant deux systè-mes redistributifs, l’un à l’échelon national,l’autre à l’échelon mondial55. Relativement sim-ple, il permet de raisonner la question de ladistribution mondiale, du rôle que tout sys-tème de redistribution doit jouer dans la crois-sance mondiale. Le modèle ici présenté mon-tre que les plus pauvres des pays riches sont lesgrands perdants du système de taxation natio-nale et mondiale, alors que les plus pauvresdes pays en développement en sont les grandsgagnants.

Les mécanismes d’observanceComment garantir le respect des obliga-

tions fiscales par l’ensemble des acteurs ? Faut-il se contenter d’un engagement moral, établirun système de sanction ou envisager d’autresmécanismes d’observance ? Apporter desréponses à ces questions est déterminantcompte tenu de la palette très large des instru-ments d’observance disponibles.

Les difficultés institutionnelles d’unegouvernance fiscale

En matière de gouvernance de la fiscalitémondiale, une autre difficulté majeure est dedéterminer le lieu pertinent de prise de déci-sion et sa composition. Qui doit prendre desdécisions sur l’ensemble des interrogationstechniques (taux, structure, distribution) et surles instances compétentes pour les applica-tions courantes (collecte, observance) ? Autre-ment dit, qui peut taxer ? Qui détient la légiti-mité de percevoir et de redistribuer une taxe ?Qui peut décider de l’utilisation des fonds col-lectés ?... Ces questions ont toutes trouvéréponse à l’échelle locale et nationale. La miseen place d’une fiscalité mondiale n’est-ellequ’un simple changement d’échelle ? Quellesen sont les conséquences ?

Empiriquement, ceci ne s’est encore jamaisvu. Même à l’échelle régionale. Néanmoins,des changements d’échelle, avec délégationd’une capacité à prélever l’impôt à une auto-

rité supérieure, ont déjà existé : ce fut le caslorsque la Constitution de 1787 autorisa leCongrès américain à prélever l’impôt, ouencore, lorsqu’en 1819, quatre ans après lacréation de la Confédération allemande, lespouvoir fiscaux ont été transférés des localitésà l’Etat56. Par ailleurs, au sein de l’Union euro-péenne, apparaît l’esquisse d’une fiscalitésupranationale, via des transferts automatiquesde ressources de l’échelle nationale à l’écheloncommunautaire.

Par conséquent, s’il existe des contraintestechniques au changement d’échelle, elles nesemblent pas insurmontables, que cela passepar un transfert de compétence à une autoritésupérieure ou par la coordination de juridic-tions nationales. L’hypothèse d’une autoritésupérieure constituée qui travaillerait en colla-boration avec les différentes juridictions natio-nales n’est que peu évoquée, dans la mesureoù sa création nécessiterait de s’interroger sursa représentativité et sur son contrôle démo-cratique. Mais surtout, l’autorité supranatio-nale chargée de collecter et de distribuer lesrecettes se verrait dotée d’un pouvoir extrême-ment important à l’origine de ressentimentsnationaux. Enfin, tout transfert de compé-tence en matière d’imposition doit être extrê-mement encadré pour éviter dérives oudétournements dans la collecte et l’utilisationdes fonds57. Pour autant, doit-on considérerque, sans autorité supérieure, la fiscalité mon-diale doit être abandonnée ? Est-elle indispen-sable ? Quelles sont les fonctions essentiellesqu’elle seule pourrait remplir ?

L’alternative à une autorité supranationaleest la coordination internationale des adminis-trations fiscales nationales existantes. Elleaurait pour mission la mise en place d’une taxeidentique dans chaque pays. Beaucoup de pro-positions de taxe globale ne font aucunementintervenir une autorité supérieure pour préle-ver l’impôt. Mais elles supposent toutes unecoordination internationale suffisante entreadministrations fiscales pour mettre en placeet appliquer des règles dans l’ensemble desjuridictions. Cette hypothèse semble plusréaliste mais pas plus simple pour autant.

Reste que ces deux solutions s’avèrent apriori délicates à mettre en œuvre en raison,notamment, de l’absence de lieu de concerta-tion des administrations fiscales, mais égale-ment de l’hétérogénéité des quelque deuxcents administrations fiscales actuelles, hétéro-généité quant aux compétences, aux procédu-res, aux règles... Et chaque décision concer-nant la mise en œuvre pratique d’une fiscalitémondiale devrait faire l’objet de négociationstransparentes, efficaces et ouvertes, sans quoila légitimité du système fiscal ne pourra êtreétablie, sans quoi le problème de la représen-tation de la citoyenneté mondiale dans l’élabo-ration du système fiscal ne pourra être résolu.

Une problématique en construction

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Les blocages politiques à toute négociation

Toutes les propositions de taxe internationaleont jusqu’à présent échoué. Plusieurs explica-tions sont couramment avancées. Les Etats-Unisrefusent de voir un citoyen américain soumis àune autorité fiscale autre qu’américaine. Mais lesréticences de la part des Etats sont générales ; lesparlements nationaux considèrent l’impositioncomme l’essence même de leur pouvoir, etinstaurer une fiscalité mondiale reviendrait àremettre en cause leurs prérogatives. Cette situa-tion rend difficile toute avancée sur ce sujet.

Pourtant, certaines initiatives se rappro-chent de l’instauration d’une fiscalité mon-diale. Retenons ici deux exemples. Le premier,sans doute le plus probant, est tiré de laConvention des Nations unies sur le droit de lamer (1982). L’article 13 de l’Annexe III, définis-sant les clauses financières des contrats d’ex-ploitation passés entre l’Autorité internationaledes fonds marins et les entreprises, instituaitune redevance sur la production issue de l’ex-ploitation minière des fonds marins. Cetteredevance devait être reversée à l’Autorité.Mais, lors de l’entrée en vigueur de la conven-tion en 1994, un nouvel accord relatif à l’appli-cation de la partie XI est intervenu : dans lasection 8 de l’annexe, la partie de l’article 13 dela Convention relatif à la redevance est dési-gnée comme non applicable. La taxe préalable-ment instaurée devient inapplicable58. Resteque cette disposition apparaît pour l’instantpréventive, car il n’existe aujourd’hui aucuneexploitation minière des fonds marins.

Le second exemple est relatif à la mise enplace des services postaux. L’Union postale uni-verselle (UPU), créée en 1874 pour assurer desservices postaux de qualité en tout point du ter-ritoire et à des prix raisonnables, a longtempsfonctionné sans aucun partage de coûts. Elleest devenue une institution spécialisée desNations unies en 1948. En 1969, face aux désé-quilibres enregistrés dans les flux de courrier,l’UPU a décidé d’introduire un système derémunération applicable aux flux postaux bila-téraux reposant sur les différences entre lescourriers reçus et envoyés59. Cette rémunéra-tion, appelée frais terminaux, correspond auxcompensations financières reçues par la postede destination pour les travaux relatifs au trai-tement des flux transfrontaliers entrants. Elle aconnu de nombreuses modifications, avant deprendre la forme, en 1999, d’un fonds pourl’amélioration de la qualité des services dans lespays en développement (FAQS), fonds destinéau financement de projets spécifiques.

Ces deux exemples montrent qu’il est envi-sageable techniquement et politiquement des’orienter vers ce qui s’apparente à une fiscalitémondiale. Et plusieurs arguments plaidentpour cette évolution.

Tout d’abord, un nombre croissant de

citoyens milite pour la mise en place d’une fis-calité mondiale, alors même qu’ils en serontpeut-être les principaux contributeurs60. Depuis1999, la monté en puissance du débat sur lataxe Tobin leur a donné l’occasion de se faireentendre. Aux côtés d’Attac International, denombreuses associations de la société civile par-lent haut et fort : en Amérique du Nord, Hali-fax Initiative et Tobin Tax Initiative, ou encoreau Royaume-Uni, War On Want61.

Ensuite, toute volonté politique n’est pasabsente et certaines voix en faveur d’une taxa-tion internationale commencent à se faireentendre. A celle de la France, il faut ajoutercelle du parlement canadien qui a invité, en1999, son gouvernement « à faire preuve de lea-dership et à décréter une taxe sur les transac-tions financières de concert avec tous les paysde l’OCDE »62. Au Brésil, la chambre des dépu-tés de São Paulo s’est officiellement prononcéeen faveur d’une réflexion approfondie sur safaisabilité. Au sein même de l’Union euro-péenne, seules six voix ont manqué en 2000pour que le Parlement demande officiellementà la Commission d’établir un rapport sur laquestion63.

Enfin, la position des Etats-Unis n’est pasaussi intangible qu’elle n’y paraît. Notammentparce qu’ils participent déjà à la fourniture debiens ou services publics mondiaux, dont lefinancement pourrait se faire par l’intermé-diaire d’un prélèvement fiscal. Les Etats-Unisprennent largement part au financement desBPM : au travers du FMI, ils participent au sau-vetage financier des pays en difficulté (bailout) ; ils financent largement la recherche médi-cale et fondamentale ; leur action militaire etpolitique garantit aux pays industrialisés unaccès facilité au pétrole ; ils financent désor-mais une lutte contre le terrorisme ; ils sont lespremiers contributeurs au Fonds mondialcontre le sida, etc. Une puissance hégémoniquede cette taille n’a-t-elle pas intérêt à faire parti-ciper un maximum de pays aux coûts d’unegouvernance mondiale qu’elle financera detoutes les façons, seule ou accompagnée ? Ildevient dès lors légitime de se demander si,demain, les Etats-Unis ne pourraient pas esti-mer que le partage des charges passe par cetype de fiscalité64 ?

Quelques propositions de fiscalitémondiale

Au-delà du débat théorique et parfois idéo-logique sur la fiscalité mondiale, il est surpre-nant de constater combien les questions demise en œuvre sont encore mal traitées. Com-ment appliquer les taxes et selon quels critè-res ? A quel dessein (modification des compor-tements, drainage de fonds...) ? Commentcontrôler leur bonne application ? Qui peutgérer les fonds collectés ? Comment assurer

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une utilisation équitable de la taxe ? Quelleassiette de répartition ? Quel peut être le rôledu secteur public et du secteur privé dans l’his-toire de la mise en place des taxes ?

Revisiter quelques propositions de taxemondiale permet d’illustrer l’ensemble des élé-ments évoqués jusqu’à présent. Comment lesquestions ont-elles été posées ? Quelles répon-ses ont été apportées ? Quels points sont restésen suspens ? Trois exemples de taxes, quirépondent à des objectifs différents (finance-ment ou incitation), illustrent des éléments par-ticuliers de l’analyse précédente sur les bloca-ges possibles à la mise en œuvre d’une fiscalitémondiale.

Taxe sur les mouvements de capitaux65

L’instauration d’une taxe mondiale sur lesmouvements de capitaux est sans aucun doutel’exemple le plus documenté. L’idée n’est pasnouvelle66 même si, ces dernières années, elle afait l’objet de débats passionnés, tant sur lesmodalités que sur les objectifs réels qui moti-vent sa mise en œuvre. Aujourd’hui coexistentdeux conceptions de ce qu’il est convenu d’ap-peler la taxe Tobin.

La proposition initiale du professeur JamesTobin confère à la taxe une ambition précise —réduire la volatilité des taux de change — l’ob-jectif final étant de redonner aux politiquesmonétaires nationales un minimum d’autono-mie, en déconnectant le taux d’intérêt nationaldu taux d’intérêt mondial, notamment pour sti-muler l’économie nationale sans subir unedépréciation excessive de la monnaie67. Cetobjectif d’autonomie monétaire défendu parTobin n’a pas changé depuis la célèbre confé-rence qu’il a donnée à l’université de Princetonen 1972. Toutefois, James Tobin a abandonnél’expression de « taxe internationale » pour cellede « taxe multilatérale », convaincu que l’adop-tion d’une même mesure par plus de cent qua-tre-vingts pays est politiquement impossible68.

Quatre grandes critiques à cette premièreapproche sont généralement avancées69. La pre-mière concerne la difficulté de discriminer lesmouvements spéculatifs de ceux répondant àl’ajustement normal du marché : toutes lestransactions seraient taxées, les « bonnes »comme les « mauvaises ». La seconde reposesur l’existence de produits financiers dérivésqui permettrait de soustraire certaines transac-tions à la taxe. La troisième est relative au tauxde taxation qui doit être suffisamment élevépour décourager les transactions, sans l’êtretrop, pour ne pas compromettre la liquidité dumarché. Enfin, une dernière critique fait réfé-rence à la distribution des recettes fiscales :outre la difficulté de déterminer le montantdes recettes générées par une telle taxe — enraison de l’impossibilité d’anticiper le compor-tement des acteurs sur le marché — l’allocation

des recettes demeure une question éminem-ment politique.

La seconde conception de la taxe, défenduepar le PNUD70 ou encore, sur d’autres bases,par l’association Attac71, donne à ce projet unevocation plus vaste, à laquelle James Tobinn’adhèrerait pas72. Il ne s’agit plus simplementde rendre au taux d’intérêt national une cer-taine autonomie, mais de réduire la volatilitédu marché des changes en décourageant la spé-culation. Grâce à l’existence d’un double divi-dende, cette fiscalité incitative permettrait dedégager de recettes — apparentées à « un impôtmondial de solidarité » — qu’il conviendraitensuite de redistribuer.

Quatre grandes critiques techniques sontgénéralement avancées contre cette secondeapproche. La première est liée à l’existenced’un double dividende : si le mécanisme incita-tif fonctionne, alors le volume des ressourcescensées financer le développement s’effon-drera ; comme dans toute fiscalité, les objectifsd’incitation et de redistribution sont partielle-ment incompatibles. Cette question va de pairavec la seconde critique qui a trait à la déter-mination du taux de taxation : trop faible, il nepénaliserait pas les mouvements spéculatifs ;trop fort, il diminuerait dangereusement laliquidité du marché ; rendus excessivement sen-sibles aux variations de l’offre et de lademande, les cours seraient encore plus volati-les. La troisième critique porte sur la mise enœuvre nécessairement « mondiale » de cettetaxe73, sans quoi les risques d’évasion fiscaleseraient trop importants (produits financiersnon assujettis, placements offshore). Enfin, laquatrième concerne la dimension institution-nelle de la collecte de la taxe et de la distribu-tion des recettes, à propos de laquelle rien n’esttranché : puisqu’il s’agit d’une taxe mondiale,une instance mondiale sera-t-elle chargée decollecter la taxe et de distribuer son revenudans chaque pays ? Et, dans ce cas, comment lesystème de distribution permettra-t-il un trans-fert de recettes entre les pays ?

Les questions sur le double dividende sontcomplexes comme le montre la diversité deschiffres avancés quant aux recettes qu’une taxeTobin pourrait générer. L’estimation envolume dépend étroitement des hypothèsesretenues concernant : le taux de la taxe ; levolume quotidien des transactions sur le mar-ché des changes ; la structure de la taxation quidéfinit les catégories de flux de court terme etles types d’instruments qui sont taxés (parexemple, faut-il exonérer les transactions inter-bancaires qui constituent 70 % du total ?) ;l’ampleur en pourcentage de l’évasion fiscale ;les coûts de transaction avant taxe ; l’élasticité-taxe du volume de transaction (dans quelle pro-portion les transactions diminueront-elles enréponse à la taxe ?). En conséquence, les esti-mations des uns et des autres divergent gran-

Quelques propositions de fiscalité mondiale

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dement : Attac74 avance le chiffre annuel de228 milliards de dollars, la Conférence desNations unies sur le commerce et le dévelop-pement (Cnuced)75 celui de 720, le PNUD76

celui de 150. Le ministère français de l’écono-mie et des finances estime, quant à lui, qu’unjeu raisonnable d’hypothèses conduit au chiffrede 50 milliards de dollars77, soit l’équivalent del’APD mondiale.

Pour répondre aux critiques, des variantesde la taxe Tobin ont été imaginées. L’une d’en-tre elles, la taxe à taux double, mérite uneattention particulière parce qu’elle est sansdoute la plus proche de l’objectif recherché parJames Tobin. Paul B. Spahn envisage une taxeà géométrie variable78 : « un taux faible pour lestransactions ordinaires, une surtaxe pour lesbénéfices issus des transactions à très courtterme assimilables à des attaques spéculatives ».Cette surtaxe serait sensible au cours de lamonnaie et ne serait activée qu’en période detension. Le taux de change serait ainsi canaliséà l’intérieur d’une bande de fluctuation oùseule une faible taxe serait perçue. Lorsque lecours se rapprocherait des bornes de la bande,les agents anticiperaient la surtaxe et modifie-raient l’évolution du cours. Ce mécanisme pré-sente l’avantage de répondre aux critiquesavancées par les défenseurs des marchés quireprochent à la taxe Tobin de supprimer lemarché des mouvements de capitaux de courtterme, pourtant essentiels aux transactionscommerciales et surtout à l’ajustement des mar-chés79. Cependant, un effet pervers est à crain-dre : les spéculateurs risquent de déclencherleurs attaques avant que la surtaxe ne soitinstaurée, précipitant ainsi la crise. De plus, lebilan historique des systèmes de taux dechange double (Belgique jusqu’en 1989,Afrique du Sud jusqu’en 1995) est mitigé80.

Personne ne pense qu’une taxe Tobin uni-latérale soit réellement envisageable. Néan-moins, l’exemple français montre l’intérêt queles gouvernements accordent à cet instrument.Après deux années de débats et de rapportsparlementaires, le législateur français a votéune taxe Tobin en 2001 (Article 235 ter ZD duCode général des impôts) dont l’entrée envigueur demeure subordonnée à l’adoptiond’une mesure équivalente par tous les Etatsmembres de l’Union européenne81. Ajoutons àcela que certains pays ont mis en place demanière unilatérale des taxes sur les transac-tions financières externes, afin de gérer leurexposition internationale : c’est par exemple lecas du Chili et de la Malaisie. Aujourd’huicependant, ces deux pays ont largementdémantelé ce dispositif. Malgré une évaluationpositive, il atteignait indiscutablement ses limi-tes. Une initiative bilatérale peut se révéler unbon substitut à la mise en place d’un dispositifglobal — dans certaines circonstances bien pré-cises toutefois : absence d’effet pervers lié à

l’initiative locale, gestion locale correcte avecnotamment une faible corruption, mais aussiclarté de l’objectif. En effet, l’intention propredes systèmes du Chili et de la Malaisie était deralentir les entrées et sorties de capitaux inter-nationaux (incitation), non de recueillir desrecettes budgétaires (financement) — dont leproduit est annexe.

Aussi, il faut utiliser la fiscalité uniquementpour les objectifs qu’elle est à même de satis-faire. L’imposition ne règle pas tous les problè-mes. Il faut instituer la transparence des opé-rations bancaires. Il y a un décalage entre lefoisonnement des réglementations nationaleset l’absence de règles sur le marché des chan-ges. Il semble donc important de commencer àbâtir de nouvelles institutions82.

Au-delà des questions techniques que posel’instauration d’une taxe sur les mouvementsde capitaux, auxquelles il est toujours possibled’apporter des éléments de réponse, le débatsur la taxe Tobin reste centré sur l’objectif visé.Or, ce dernier n’est pas clair. Il n’est pas rare deretrouver sous une même bannière des acteursvouant à la taxe des vertus différentes (finance-ment ou incitation).

Taxe sur le carbone

Au milieu des années 90, les négociationssur les moyens de mise en œuvre de la Conven-tion cadre sur les changements climatiques(CCCC) ont relancé les discussions sur la fisca-lité mondiale. Dans le débat qui a précédé leProtocole de Kyoto (1997) sur la lutte contre lechangement climatique, le Mandat de Berlin aconsacré la victoire des Etats-Unis, tenantsd’une gestion par les quantités (quotas d’émis-sion) face à l’Europe qui défendait une gestionpar les prix (taxe internationale). L’échec de laproposition de taxe s’explique à la fois par lafaiblesse de la position européenne, déchiréeen interne sur son projet de taxe sur l’énergie,par l’opposition des pays influents du G77 à unaccaparement de la rente pétrolière et, surtout,par l’impossibilité politique d’introduire ce pro-jet de taxe aux Etats-Unis.

Pourtant, du point de vue de l’économiste,la régulation par les prix s’avèrerait beaucoupplus efficace qu’un système de quota pourgérer l’incertitude inhérente au dossier clima-tique sur les coûts de prévention et le montantdes dommages83. C’est d’ailleurs ce que recom-mande le premier rapport du Groupe inter-gouvernemental sur l’évolution du climat(GIEC) publié en 1990 : il souligne la supério-rité de la taxe sur le système de permis négo-ciables et propose d’instaurer une fiscalité surl’énergie dans les pays de l’OCDE, fiscalitéidentique sous prérogative de chaque Etat84.L’élément clé est que la communauté interna-tionale s’est ici entourée d’une communautéépistémique, le GIEC, pour l’éclairer sur les

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incertitudes liées à l’évolution du climat. Cettecommunauté épistémique a élaboré une visioncommune de la question, alors qu’elle étaitpourtant constituée de plusieurs « familles depensée » aux positions initiales très partagées.Pourtant, les recommandations du GIEC n’ontpas été suivies ; la logique de la négociationinternationale a entériné le système de gestionpar les quantités, car l’opposition politiqueétait trop forte85.

Face aux attaques dont le protocole deKyoto est aujourd’hui la cible, certains conti-nuent de croire en l’opportunité d’une fiscalitéinternationale pour assurer la durabilité dudéveloppement économique, environnementalet social de l’ensemble des pays de la planète :l’incitation (le premier dividende) en est la jus-tification première. En effet, telle que proposéejusqu’à présent, la taxe carbone repose sur leprincipe pollueur-payeur afin de réduire lesémissions de carbone et lutter ainsi contre leréchauffement climatique. Une taxe sur le car-bone doit être applicable à toute forme d’hy-drocarbure et proportionnelle à la teneur encarbone. L’objectif est de décourager et defreiner la production de dioxyde de carbone dechaque pays. En effet, si l’efficacité maximaleest attendue d’une coopération de l’ensembledes pays, des résultats peuvent être obtenus parla participation d’un petit nombre de pays.

Une telle taxe serait à l’origine de revenusvariables suivant son taux, mais également del’évolution de la demande de combustibles. Laredistribution à l’intérieur de chaque pays(notamment celle du poids que représente unetaxe pour les personnes les plus pauvres) etentre les pays (suivant leur emplacement géo-graphique, leur niveau de développement,leurs secteurs clés...) deviennent dès lors objetde marchandage, tant et si bien que parler detaxe sans considérer les effets redistributifsserait une erreur.

Afin de recevoir un soutien politique fort, ilest vraisemblable qu’une part importante desrecettes doit revenir à l’Etat. Néanmoins, uneproportion à définir pourrait être allouée à cer-tains objectifs globaux, par exemple, au proratades émissions nationales de carbone. Mais cecirisque de faire peser un poids trop importantsur certains grands pays en développement.Dès lors, la prise en compte du revenu parhabitant pourrait modérer cette contribution,minimisant par là même la relation entre taxeet émissions86. Aussi, les Nations unies suggè-rent que les recettes bénéficient prioritaire-ment aux pays en développement : les pays endéveloppement réinvestiraient directementleurs recettes fiscales dans l’économie natio-nale, alors que les pays développés reverse-raient une partie des leurs aux organisationsinternationales pour financer des biens publicsmondiaux87. Dans cette perspective, les obsta-cles à la mise en œuvre d’une telle taxe seraient

d’autant plus réduits que chaque Etat pourraitpréserver ses prérogatives en matière fiscale(liberté de lever l’impôt) et que, ainsi, toute dis-cussion sur la gouvernance mondiale interna-tionale liée à la fiscalité globale, qui implique-rait la création d’un organe de décision et/oude collecte internationale, pourrait être écar-tée88. Dans cette perspective, la taxe carboneapparaît davantage comme un instrument pou-vant augmenter les revenus nationaux des paysqui la mettent en place que générant un revenumondial.

Pour parvenir à un tel résultat, les difficul-tés à surmonter s’avèrent importantes89. En pre-mier lieu, les secteurs susceptibles d’être taxéssont très hétérogènes et la résistance des indus-tries les plus émettrices est réelle. Les indus-tries fortement productrices ou consommatri-ces d’énergie sont généralement hostiles à lataxe carbone et plaident pour l’utilisation d’au-tres mécanismes, comme les engagementsvolontaires. Il convient d’en tenir compte danstoute négociation sur la taxe carbone.

En second lieu, de nombreux pays disposentde dispositifs de taxes directes ou indirectes desémissions de carbone. Certes, ces dispositifs sontinégaux tant dans leur fonctionnement que dansle niveau de taxation appliqué, comme c’est lecas entre la France et les Etats-Unis par exemple.

En troisième lieu, enfin, il ne faut pasoublier la question des inégalités de revenu,notamment s’agissant des pays en développe-ment. Au-delà des marchés concurrents, l’har-monisation fiscale pose des problèmes majeurssur le bien-être généré, ou perdu, pour despays au niveau de développement extrêmementdifférent. Taxer l’utilisation du gaz naturel n’apas les mêmes conséquences dans un pays del’OCDE qu’en Afrique subsaharienne. Ainsi,vouloir uniformiser la taxe alors que lesconsentements à payer ne sont pas les mêmesfournit un argument contre elle.

Par conséquent, il ne semble pas que la taxeinternationale constitue une alternative cré-dible : outre les raisons évoquées plus haut, elleprésente un inconvénient majeur par rapport àun régime de permis : elle ne permet pas dedéconnecter la localisation des efforts de réduc-tion et la répartition du coût des politiques. Enrevanche, s’appuyant sur des travaux relatifs àl’intérêt de la taxation, les économistes propo-sent d’introduire des instruments hybrides (parexemple, des quotas couplés à des prix pla-fond) qui reprennent pour l’essentiel les avan-tages de la taxe. Reste que les instruments depolitiques de développement durable sontnombreux : permis d’émission négociables,accords volontaires, systèmes de consigne,taxes et subventions, mesures réglementairestraditionnelles. Qu’implique la mise en œuvrede systèmes mixtes ? Quels sont les instrumentscompatibles ? Théoriquement, et ceci pourraitêtre utilisé dans le cadre de la CCCC, les taxes

Quelques propositions de fiscalité mondiale

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et permis d’émission peuvent être utilisés demanière complémentaire, tant à l’échelle natio-nale qu’internationale90. Mais ces questionsn’ont pas encore trouvé réponse.

En définitif, si une taxe carbone devait êtreaujourd’hui envisagée, elle ferait face à des obs-tacles importants, liés principalement auxeffets différenciés qu’elle peut avoir sur deséconomies fortement hétérogènes. La struc-ture de la taxe — notamment les exonérations —et la distribution des fonds drainés — suivantvraisemblablement un mécanisme de compen-sation — semblent constituer les obstaclesessentiels.

Taxe sur les médicaments91

Le troisième exemple est la possibilité d’in-troduire une taxe internationale pour financerun service public mondial : l’accès aux médica-ments, voire à la santé. Contrairement auxexemples précédents, cette proposition est sansaucun doute la plus audacieuse. Elle n’a encorejamais été discutée à l’échelle internationalecomme l’ont été la taxe carbone et la taxeTobin.

Pour qu’une fiscalité mondiale destinée àfinancer le développement apparaisse crédible,elle doit répondre au moins à trois principes92 :fournir une ressource stable, se focaliser surl’objectif de drainage de fonds et non d’incita-tion et se limiter à un secteur essentiel, ce quipermet de s’appuyer sur la notion de bienpublic mondial.

La taxe sur les médicaments répond à unobjectif unique de financement et respecte lestrois principes précédents. Elle ne répondraitqu’à un seul objectif : celui de financement.Elle serait appliquée à un taux très faible surl’ensemble des ventes de médicament dans lemonde, ce qui n’aurait quasiment aucuneconséquence sur la consommation de médica-ment. La stabilité de l’assiette serait respectée.Les recettes seraient uniquement affectées àl’amélioration des systèmes de santé dans lespays en développement. La taxe serait ainsi jus-tifiée par la fourniture d’un bien public mon-dial, puisque l’amélioration de la santé dans lespays en développement concerne directementcelle des pays développés.

Pourquoi cibler en priorité le secteur de lasanté ? La première raison est le caractèreessentiel et prioritaire de la santé, documentédepuis longtemps par de nombreuses recher-ches. La communauté internationale a aussifait sienne cette priorité, comme le rappelle lerapport Sachs93 : la santé est non seulement unobjectif du développement, mais aussi unmoyen d’accroître la prospérité, de renforcer lebien-être et les capacités de production. A cela,il faut ajouter la prise de conscience de ladimension supranationale que revêt la luttecontre les grandes pandémies telles que le sida,

le paludisme..., comme l’énonce la déclarationdu Millénaire94.

Doit-on, pour autant, considérer la santécomme un bien public mondial ? Pour ce quiest de la lutte contre les pandémies, uneréponse affirmative s’impose en raison desexternalités transfrontalières facilement identi-fiables. Pour ce qui est de l’accès à la santé, laréponse est moins claire et dépend de la défi-nition du bien public mondial. Si référence estfaite aux biens publics nationaux, les critèresles plus pertinents sont ceux de la solidarité etde la justice sociale. Ces critères s’appliquentaisément à l’échelle de la nation mais posed’énormes problèmes à l’échelle internationaleen raison de l’absence de gouvernement et decitoyenneté mondiaux.

Or, aucune étude sur la taxation internatio-nale ne concerne le secteur de la santé. S’ilmentionne des besoins en financement extrê-mement important, le rapport Sachs ne fait pasétat, dans les modalités de financement qu’ildégage, d’une taxation internationale dans ledomaine de la santé. Pourtant, une taxe de0,1 % sur l’ensemble des médicaments dans lemonde rapporterait 400 millions de dollars — le budget annuel de l’OMS —, une taxe de1 %, 4 milliards de dollars — le montant cumuléde tous les budgets de fonctionnement de lasanté des pays les moins avancés —, une taxe de2 %, 8 milliards de dollars — l’équivalent duFonds mondial pour combattre le sida, la tuber-culose et le paludisme.

Taxer les médicaments paraît injustifiabled’un point de vue fiscal. D’une part, cette taxa-tion ne relève pas de la logique de la taxationpigouvienne et ne corrige pas les externalitésnégatives et, d’autre part, en étant fondée surune assiette fiscale extrêmement étroite, ellemaximise les inconvénients pour la distributiondes ressources. Cela dit, comme l’ont montréles travaux des prix Nobel d’économie pourl’année 2002, Daniel Kahneman et Vernon L.Smith en psychologie économique et économieexpérimentale, les réponses aux incitations desagents économiques ne sont pas toujours cellesqui sont à la base de la théorie macroécono-mique. Il y aurait donc une justification à cetteassiette à première vue totalement injusti-fiable : être soigné dans de bonnes conditionspeut amener une personne à vouloir partagercet avantage avec ceux qui ne le sont pas.

Pourquoi taxer les dépenses de médica-ments et non l’ensemble des dépenses desanté ? Parce que cela permet de renforcer l’ac-ceptabilité politique de cette fiscalité, d’unepart, en définissant une assiette relativementhomogène entre les pays et, d’autre part, entaxant une dépense jugée essentielle. En effet,les dépenses de santé qui peuvent être taxéesn’ont pas le même contenu selon les structuresde santé des pays du monde. Les dépenses demédicaments, elles, sont relativement homogè-

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Page 23: Fiscalité internationale et financement du développement ... · Fiscalit” internationale et financement du d”veloppement durable 2 Institut du d”veloppement durable et des

nes. En outre, une taxe sur l’ensemble desdépenses de santé aurait des effets de distor-sion beaucoup plus importants. Néanmoins,compte tenu de la structure des systèmes desanté, il est fort probable que taxer les médica-ments reviendra in fine à taxer les compagniespharmaceutiques. Dans ce cas, une réflexionplus poussée sur les droits de propriété liés àl’exploitation des médicaments pourrait paraî-tre plus sensée si l’on s’intéresse au finance-ment des médicaments. Mais elle ne résoudraitpas la question du financement de l’accès auxsystèmes de santé. Enfin, rappelons que lors-qu’il y a distorsion dans les prix, il y a risque demarchés parallèles. Ce risque n’est pas à négli-ger, car il existe souvent déjà dans les pays endéveloppement. Cet argument est le plussérieux avancé par les industries pharmaceu-tiques qui s’opposent à la production de médi-caments génériques à bas prix pour les popula-tions des pays en développement. Commentéviter les trafics, comment sécuriser les circuitsde commercialisation ?

Pourquoi faire financer l’amélioration de lasanté dans les pays en développement auxmalades des pays riches plutôt qu’à l’ensemblede la population mondiale ? D’abord, parcequ’une meilleure santé dans les pays en déve-loppement est bénéfique à la santé dans l’en-semble des pays du monde, ce qui justifie unetaxation dans tous les pays, y compris ceux endéveloppement. Ensuite parce qu’il faut trou-ver une forme de taxation acceptable par lesopinions publiques. Or, les consommateursaccepteront de payer leurs médicaments unpeu plus cher dès lors que ce surcoût fera appelà un principe de solidarité très concret.

Pourquoi créer un fonds supplémentaire ?Si la taxe sur les médicaments a pour objectifde dégager des ressources pour financer desprojets de développement, elle se démarquedes fonds existants (Fonds mondial pour l’envi-ronnement, Fonds mondial de lutte contre lesida, la tuberculose et le paludisme) par lamodalité d’alimentation : dans le premier cas, ils’agit d’un prélèvement obligatoire relative-ment prévisible ; dans le second, d’une contri-bution volontaire dépendant des objectifs etdes contraintes des contributeurs.

Contrairement à la taxe Tobin ou à la taxecarbone, une taxe sur les médicaments reposesur une logique strictement financière. Ildevient dès lors plus délicat de trouver les élé-ments de justification les plus convaincants.Néanmoins, parler de bien public mondial etde justice sociale pourrait permettre de nou-velles avancées si derrière ne se cachait la ques-tion de la citoyenneté mondiale si difficile àaborder. On trouve, derrière ce raisonnement,une seule question : qui doit payer ? Au-delà decette particularité, les questions posées par lafiscalité incitative se retrouvent ici quasiment àl’identique : taux, structure, distribution sont

sujet à débat ; l’hétérogénéité des systèmes desanté soulève autant d’objections... Et lesréponses à apporter ne sont pas plus aisées.

Conclusion

La fiscalité mondiale trouve une justifica-tion grâce à deux logiques radicalement diffé-rentes et en même temps mécaniquementindissociables : la collecte de fonds et l’incita-tion. Historiquement, la logique de finance-ment a prévalu ; elle domine encore pour beau-coup de défenseurs de la fiscalité mondiale. Lafiscalité incitative n’est apparue que plus tardi-vement, centrée dans un premier temps sur lesquestions financières, avant de prendre unenouvelle dimension avec l’apparition desenjeux environnementaux globaux. Mais toutesles propositions avancées jusqu’à présent ontéchoué, quel que soit l’argumentaire avancé.Aujourd’hui, les grands enjeux globaux peu-vent vraisemblablement renouveler le débat.

Les économies sont de plus en plus inter-dépendantes, il devient essentiel de coordon-ner les actions de chacun des acteurs. Lesactions privées peuvent faire l’objet de poli-tiques spécifiques de la part des gouverne-ments, voire même d’actions volontaires pou-vant apparaître comme la nouvelle référencecomportementale. Les gouvernements doiventégalement coordonner leurs politiques ; deslieux de concertation existent, des conventionset des accords ont été signés et ratifiés, sansque la fiscalité mondiale n’ait jamais été insti-tuée comme instrument de politique écono-mique pour coordonner l’ensemble des partiesprenantes.

Et pour cause, les obstacles sont impor-tants. Les connaissances scientifiques sont laplupart du temps insuffisantes pour garantirun rôle de conseil crédible auprès des déci-deurs politiques. Tout d’abord, les acteurs nesont pas tous d’accord sur l’objectif même quepeut revêtir la fiscalité et la confusion des argu-mentaires ne la sert pas. Ensuite, les difficultéstechniques sont importantes : taux, assiette,collecte, distribution, sont autant d’élémentsqu’il convient de maîtriser avec précision si l’onveut convaincre de l’utilité de l’instrument.

Cette longue histoire internationale de lafiscalité mondiale n’a pas permis de lever lescraintes, les incertitudes et, plus généralement,les inconnues liées à sa mise en œuvre. Aussiexiste-t-il un flou assez important dans la défi-nition de la fiscalité mondiale liée à la fois à laperception que l’on en a, aux objectifs qu’on luiassigne et à la mise en œuvre différenciée quien découle.

En raison vraisemblablement de ces incerti-tudes et confusions, la fiscalité mondiale s’estheurtée, et se heurte toujours, à deux obstaclesmajeurs : la faisabilité politique et la faisabilitétechnique, sachant que lui sont actuellement

Conclusion

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préférés d’autres instruments (réglementation,contribution volontaire...). La faisabilité poli-tique est aujourd’hui bloquée par la réticencedes gouvernements — et vraisemblablementégalement de l’opinion publique — à se trouversous le joug d’une contribution obligatoiresupranationale95. Le caractère contraignant dela taxe est central par rapport à tout engage-ment volontaire.

Autre élément déterminant du blocage poli-tique : la crainte d’une perte de pouvoir desparlements nationaux et de perte de contrôlede la matière fiscale qui relève exclusivementde leurs prérogatives. Il y a donc un véritablemanque de volonté politique d’aller plus avantsur cette question de la fiscalité mondiale.

Enfin, un troisième élément explicatif est àretenir : l’absence de lieu de concertation desadministrations fiscales. Certes, certaines encein-tes où peuvent se rencontrer les administrationsfiscales existent ou sont en cours de création.Mais les sujets discutés portent uniquement surles problèmes rencontrés suite à la coexistenced’espaces économiques interdépendants possé-dant des systèmes fiscaux différents (perte decompétitivité lorsque les normes fiscales nationa-les sont trop élevées par rapport à celles des paysconcurrents ou gains possibles lorsque le dum-ping fiscal est pratiqué).

Sous l’impulsion de l’OCDE, la question del’harmonisation des politiques fiscales est misesur la table. Le fiscaliste n’aime rien autant quel’harmonisation absolue, celle qui vise tous lescontribuables, en l’occurrence tous les pays ettoutes les situations, de façon à garantir l’éga-lité de concurrence. Pour autant, n’existe-t-ilpas des sujets à propos desquels il serait perti-nent de démarrer une initiative dans un nom-bre limité de pays, pourvu que ceux-ci pèsentd’un poids suffisant sur le plan économique etsur le plan politique ? Cette dynamique, quiouvrirait la voie à une fiscalité mondiale, faitpartie de ces utopies réformatrices qui peuventmobiliser la réflexion96. La notion de masse cri-tique permet d’imaginer qu’il existe des biensparticuliers pour lesquels l’idée d’une fiscalitémondiale serait efficace.

A côté de cela, la problématique des biens etdes maux publics mondiaux ouvre de nouvellesperspectives. La fiscalité internationale doit êtreune solution à un problème ; elle doit donc êtrelégitime pour régler le problème posé — ce quipose par là même la question de son contrôledémocratique. Cet élément est préalable à touteanalyse car cette légitimité doit être discutée àtous les niveaux de la mise en place d’une fisca-lité mondiale. Dans cette perspective, le débatsur la fiscalité internationale nous ramène plusparticulièrement aux discussions sur la gouver-nance mondiale. Il concerne le financement del’effort commun, mais surtout les institutions etleur rôle, la définition des objectifs de réparti-tion et la nature des sanctions97.

Les recherches doivent se poursuivre, car ilexiste de nombreux arguments en faveur d’unefiscalité mondiale. Le fait que la fiscalité mon-diale soit un objet intellectuel discuté depuisplus d’un siècle montre l’intérêt qu’elle suscitepour le politique. De plus, il faut reconnaîtreque, sur le plan théorique, elle peut présenterdes avantages certains : elle constitue un instru-ment de coordination reposant sur les méca-nismes de marché, autorisant une coordinationefficace sous certaines conditions d’incertitudeet d’information, notamment parce qu’elle per-met une grande prévisibilité des prix directeurs(taxes incluses) pour l’ensemble des acteurséconomiques ; elle peut stimuler la croissanceet réduire la pauvreté, dès lors que les recettesfiscales sont correctement utilisées (distribu-tion, redéploiement fiscal...).

Or, comme l’a fait remarquer à juste titreJean Pisani-Ferry98, il existe encore trop peu depropositions concrètes qui pourraient être sou-mises à la critique, des propositions qui balaye-raient tout le spectre de la problématique fis-cale : de la légitimation de la taxe commemeilleure réponse à un problème, aux consé-quences redistributives de l’imposition, en pas-sant par le système de gouvernance qui devraitlui correspondre.

Des cas privilégiés d’étude peuvent êtreidentifiés. Tel est le cas de la fiscalité mondialepour répondre aux défaillances de marchéimpossibles à localiser, c’est-à-dire ne relevantpas des compétences d’un quelconque Etat.Citons par exemple, dans le cadre de la luttecontre les émissions de gaz à effet de serre, lataxation des hydrocarbures contenus dans lessoutes des avions ou des bateaux transportantfret et passagers, pour lesquels l’attribution depermis d’émission s’avère techniquementimpossible. Dans ces cas précis, la fiscalité peutêtre un instrument privilégié, mais le revenuqu’elle génère paraît difficilement appropria-ble par les Etats. Seul un système fiscal mon-dial, dont les modalités restent à définir, pour-rait apporter une solution.

Autres cas d’étude, la Convention de Stock-holm sur les polluants organiques persistants(2001), dont la problématique se rapproche decelle de la Convention cadre sur les change-ments climatiques, ou encore la régulation descaptures de pêche, des ressources génétiquesagricoles ou de l’exploitation des bois decoupe. Ce n’est qu’à travers ce genre d’applica-tions pratiques que pourront être identifiéesles catégories de problèmes globaux auxquelsla fiscalité mondiale pourrait apporter lameilleure réponse.

Aujourd’hui, la fiscalité reste une solution àla recherche d’un problème99. Pourra-t-ellerépondre à certaines exigences d’un dévelop-pement mondial durable, que ce soit par l’inci-tation ou le financement ? Il apparaît néces-saire de travailler sur des cas concrets, non

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seulement pour comprendre pourquoi la fis-calité est un instrument peu discuté à l’échelleinternationale, mais surtout pour améliorer lesconnaissances sur ses implications concrètespour les pays, les personnes et leur développe-ment. Seuls de nouveaux travaux permettront

d’engager le débat indispensable pour com-bler le fossé qui existe entre des discours enfaveur de la fiscalité mondiale et des réticen-ces, voire des blocages, politiques à l’instaura-tion d’un quelconque prélèvement obligatoiresupranational.

Conclusion

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1. Nous reviendrons sur ce point dans le para-graphe sur la taxe Tobin.

2. Jean-Michel Severino, directeur général de l’A-gence française de développement. Discoursd’ouverture du séminaire.

3. Cette partie repose notamment sur la contri-bution de Myron J Frankman, professeur à l’u-niversité McGill de Montréal, présentée lors dece séminaire. Frankman M.J., 2002. Global Taxa-tion: Extending the Fractal, 12 p.

4. Lorimer J., 1884. The Institutes of the Law ofNations: A treatise of the jural relations of sepa-rate political communities. Edinburgh and Lon-don, Ed. William Blackwood and Sons.

5. Elle s’inscrit dans la continuité des réflexionsdes économistes du XIXe siècle sur la distribu-tion des richesses, non seulement à l’intérieurd’un pays mais également entre pays voisins.Frankman M.J., 1996. International taxation:The trajectory of an idea from Lorimer toBrandt. World Development, Vol. 24, n° 8,pp. 807-820.

6. La répartition des tâches n’a pas été et n’esttoujours pas si simple. Ainsi, les négociationsaméricano-britanniques à l’origine des Accordsde Bretton Woods en 1944, ont transformé cesaccords en arrangements monétaires plutôt quecommerciaux, contrairement aux objectifsinitiaux : au FMI revient la gestion à court termedes problèmes monétaires et à la Banque mon-diale, le financement à long terme de projetsproductifs. Voir Ikenburry G.J., 1993. Creatingyesterday’s new world order: Keynesian ‘newthinking’ and the Anglo-American post war sett-lement. In Golstein J. & Keohane R. Ideas andforeign policies. Ithaca, Cornell University Press,

pp. 57-86. En 1948, la naissance du GATT est lerésultat de la volonté de vingt-trois pays deréduire les obstacles aux échanges et du refusdes Etats-Unis de créer l’Organisation interna-tionale du commerce, qui devait être une insti-tution spécialisée rattachée à l’ONU. Voir parexemple Rainelli M., 1996. L’Organisation mon-diale du commerce. Paris, Ed. La Découverte,Coll. Repères, pp. 15-18. Enfin, les Nationsunies, créées en 1945, avaient pour objectifinitial la prévention des conflits armés. Plustard, les nouvelles institutions qui leur serontrattachées interfèreront avec les institutionsexistantes, notamment sur les thématiques depolitiques commerciales ou de développement.

7. Cette partie repose notamment sur la contri-bution de Ruben P. Mendez, professeur associéà l’université de New York et à l’université deYale, présentée lors de ce séminaire. Mendez,R.P., 2002. Global taxation: The rise, decline,and future of an idea at the United Nations,13 p.

8. Charte des Nations unies (1945) Préambule.(http://www.un.org/french/aboutun/charte/index.html).

9. Voir Mendez R.P., 1995. Paying for Peace andDevelopment. Foreign Policy, n° 100, Automne,pp. 19-31. Il faut noter que les missions demaintien de la paix sont financées par descontributions obligatoires des membres perma-nents du Conseil de sécurité et par les pays lesplus riches, suivant, là encore, leur capacité àpayer.

10. Résolution de l’Assemblée générale 3362 (S-VII) du 16 septembre 1975, citée par Mendez R.,2002, op. cit.

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Notes

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11. La conférence des Nations unies sur l’envi-ronnement humain de Stockholm (1972)marque l’introduction dans l’agenda internatio-nal des questions environnementales. Centréeessentiellement sur les questions nationales, laDéclaration prend une dimension internatio-nale en intégrant les pollutions transfrontalièresdans les problèmes majeurs à traiter. Ceciconduira, à Rio (1992), à l’introduction desquestions globales dans l’agenda international.12. Deux pactes internationaux ouverts à signa-ture en décembre 1966 sont adoptés par l’As-semblée générale des Nations unies : le Pacteinternational relatif aux droits économiques,sociaux et le Pacte international relatif auxdroits civils et politiques. Ils entreront tous deuxen vigueur en 1976.13. Ruben P. Mendez considère la conférencedes Nations unies sur la désertification de 1977et les propositions faites par le Secrétariat géné-ral qui en ont découlé comme un exemple signi-ficatif de la difficulté d’inclure dans les proposi-tions concrètes les idées d’« automaticité »,d’« additionalité » et de « taxe globale ». VoirMendez R.P., 2002, op. cit.

14. Voir les travaux de l’ODS : Ul Haq M., KaulI. & Grunberg I., 1996. The Tobin Tax: Copingwith Financial Volatility. New York, Oxford Uni-versity Press, 1996.15. Il s’agit de la Public Law 105-118 (26 novem-bre 1997) Foreign operations, export financing,and related programs appropriations Act, 1998.Pour plus de détails sur cet épisode, voir Men-dez, op. cit. Sur Internet : http://www.access.gpo.gov/nara/publaw/ 105publ.html.16. PNUD, 1999. Rapport sur le développementhumain — La mondialisation à visage humain.Bruxelles, De Boeck Université, p. 11. 17.. Zedillo E., 2001. Technical report of thehigh-level panel on financing for development.New York, Nations unies. 18. Nations unies, 2001. Note technique n° 3.Propositions relatives à de nouvelles sources definancemens. Note du Secrétaire général,Comité préparatoire de la Conférence interna-tionale sur le financement du développement,A/AC.257/27/Add.3. 19. Discours de Jacques Chirac, Président de laRépublique française, devant l’assemblée plé-nière du Sommet mondial du développementdurable (Johannesburg, Afrique du sud), lundi2 septembre 2002. 20. Tinbergen J., 1976. Rio report: Reshapingthe international order. New York, Dutton. Citépar Frankman M. (2002), op. cit.

21. Pour un éventail des taxes proposées, voirPaul J.A. & K. Wahlberg, 2002, Global taxes forglobal priorities. Global Policy Forum, WEED &the Heinrich Böll Foundation, mars ; Nationsunies, 2001. Note technique n° 3. Propositionsrelatives à de nouvelles sources de financement.Note du Secrétaire général, Comité préparatoire

de la Conférence internationale sur le finance-ment du développement, 20 septembre,A/AC.257/27/Add.3.

22. Kaul I., I. Grunberg & M.A. Stern, 1999.Global public goods: International cooperationin the 21e century. New York, Oxford UniversityPress, 546 p. Kaul I., P. Conceição, K. Le Goul-ven & R.U. Mendoza, 2002. Providing globalpublic goods: Managing globalization. NewYork, Oxford University Press.

23. La définition économique d’un bien public aété donnée par Samuelson (1954) suivant deuxcritères clairs et univoques, permettant de déter-miner la nature de ces biens. Le premier, l’indi-visibilité des bénéfices que chacun tire de leurconsommation — encore appelé non-rivalité desbénéfices — caractérise le fait qu’une personnequi bénéficie d’un bien n’empêche aucunementune autre de le consommer. Autrement dit,après consommation d’une unité du bien, il n’ya pas réduction de son stock initial : le coût mar-ginal lié à l’utilisation de ce bien par un individusupplémentaire est nul. Le second critèreconsiste en l’impossibilité d’exclure quiconquede l’utilisation ou de la consommation de cebien (non-exclusion de la consommation). Celasignifie qu’il n’est pas possible de réserver l’u-sage d’un bien à certains individus sans suppor-ter des coûts exorbitants. Si ces deux critères nesont pas respectés, nous nous trouvons en pré-sence de biens privés, biens dont les bénéficessont divisibles et pour lesquels l’exclusion de laconsommation est possible. Samuelson P., 1954.The pure theory of public expenditure, Reviewof Economics and statistics, Vol. 36, pp. 387-389.

24. François Villeroy de Galhau, directeur géné-ral des impôts, ministère français de l’économieet des finances. Discours d’ouverture du sémi-naire.

25. Villeroy de Galhau F., op. cit.

26. Nous reviendrons sur ce point dans le para-graphe sur la taxe carbone.

27. Zedillo E., 2000, op. cit., p. 29.

28. Nous n’entrons pas ici dans les discussionssur l’efficacité de l’aide et sur le détournementde l’aide par les gouvernements récipiendairesqui peuvent apparaître comme un motif certainde découragement des donateurs, mais égale-ment comme un prétexte pour les pays richespermettant de justifier la réduction constante del’APD.

29. Tubiana L., J.-M. Severino, O. Charnoz et T.Giordano, 2002. Quelques éléments sur la fisca-lité mondiale. Papier préparé pour le séminaire.

30. Zedillo E., 2001, op. cit., pp. 21-22.

31. Tubiana L. et al., 2002, op. cit.

32. Rappelons qu’il existe plusieurs systèmes deprélèvement : un impôt est un prélèvement obli-gatoire pour financer des services publics sanscontrepartie ; une taxe est un prélèvement obli-

Notes

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gatoire intervenant en contrepartie de l’utilisa-tion d’un service public, sans lien entre lasomme versée et le service rendu ; une rede-vance est un prélèvement obligatoire interve-nant en contrepartie de l’utilisation d’un servicepublic avec une équivalence entre la somme ver-sée et le service rendu. Abraham-Frois G., G.Caire, Ph. Hugon, P. Llau & F. Renversez, 2002.Dictionnaire d’économie. Paris, Ed. Dalloz, Coll.Sirey, 2e édition, pp. 218-220.33. OCDE, 2001. Les taxes liées à l’environne-ment dans les pays de l’OCDE — Problèmes etstratégies. OCDE, Paris, p. 30.34. De nouvelles mesures fiscales, comme cellerelative à la protection de l’environnement,seraient susceptibles de créer un double divi-dende grâce à un redéploiement fiscal. L’inte-raction entre les taxes distorsives et les nouvellestaxes, d’une part, et, l’utilisation et la répartitiondes recettes, d’autre part, offrirait la possibilitéde générer un double dividende.35. Villeroy de Galhau F., op. cit.

36. Sur les problèmes de compétitivité internatio-nale que pose l’instauration des fiscalités environ-nementales, voir OCDE, 2001, op. cit., pp. 75-92.37. Sur la concurrence fiscale pour attirer lesIDE et sur l’analyse de quelques cas concret dansles pays développés et en développement, voirpar exemple Oman C., 2000. Quelles politiquespour attirer les investissements directs étran-gers ? Paris, OCDE, Centre de développement.38. OCDE, 2001, op. cit., p. 28.39. Boadway R., 2003. National taxation, fiscalfederalism and global taxation. Document de tra-vail préparé pour le projet WIDER sur les sourcesinnovantes de financement du développement.40. En plus du Credaf, il convient de mention-ner les autres organisations régionales que sontle Centre interaméricain des administrations fis-cales (CIAT), l’Association des administrationsfiscales du Commonwealth (CATA), l’organisa-tion intra-européenne des administrations fisca-les (IOTA), l’Organisation des administrationsfiscales des Caraïbes (COTA), l’Association afri-caine des administrations fiscales (AATA), legroupe d’étude sur les administrations fiscaleset la recherche (SGATAR) et l’Association desadministrations fiscales du Pacifique (PATA).Ces organisations régionales n’ont pas le mêmestatut.41. Nations unies, 2001. Note technique n° 1.Propositions déjà présentées en vue de renfor-cer la coopération internationale en matière fis-cale. Note du Secrétariat général, Comité prépa-ratoire de la Conférence internationale sur lefinancement du développement, 20 septembre,A/AC.257/27/Add.1.42. OCDE, 2002. Developing the internationaldialogue on taxation: A joint proposal by thestaffs of the IMF, OECD and World Bank. 13mars. Sur internet : http://www. oecd.org/pdf/M00027000/M00027259.pdf

43. Ibid, p. 4.

44. Nations unies, 2002. Rapport de la Confé-rence internationale sur le financement du déve-loppement. Nations unies, New York,A/CONF.198/11, p. 17. Sur Internet:http://ods-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/ GEN/N02/392/68/PDF/N0239268.pdf?OpenEle-ment

45. Voir notamment Zedillo E., 2001, op. cit.,pp. 30-31.

46. Horner F.M., 2001. Do we need an Interna-tional Tax Organisation? Tax Notes Int’l 179, 8octobre, 16 p.

47. Il s’agit ici d’une manière de répondre auxcritiques adressées à la fiscalité de financement,qui sont nombreuses et virulentes. Pour unexposé critique des taxes mondiales proposéesjusqu’à présent, voir par exemple McMahon F.,2001. A Global Tax: Unworkable, Unnecessaryand Dangerous. Papier préparé pour le Ad HocExpert Group Meeting on Ressource Mobiliza-tion for Development Assistance, Nations unies,New York, 25-26 juin, 43 p.

48. Haas P.M., 1992. Introduction: Epistemiccommunities and international policy coordina-tion. International Organization, Vol. 46, n° 1,pp. 1-35. Il définit la communauté épistémiquecomme « un réseau de professionnels dont l’ac-tivité d’expertise et les compétences dans undomaine particulier sont reconnues, et formantune source de connaissance qui fait autoritédans ce domaine. »

49. Haas P., 1992. op. cit.

50. Kasper E., 2001. Epistemic communities,situated learning and open source softwaredevelopment. Papier préparé pour l’atelier detravail « Epistemic cultures and the practice ofinterdisciplinary » à l’université technique duDanemark, Trondheim, 11 et 12 juin, 24 p.

51. OCDE, 2001. Les taxes liées à l’environne-ment dans les pays de l’OCDE — Problèmes etstratégies. OCDE, Paris, p. 30.

52. McMahon F., 2001, op. cit.

53. Pour plus d’information sur le Fonds mon-dial pour les vaccins: http://www.vaccine-fund.org

54. Le Fonds mondial contre le sida, la tubercu-lose et le paludisme est un autre exemple defonds laissant présumer une certaine efficacitégrâce aux principes qui le régissent, et ceci endépit des trop faibles contributions des Etats.Sur Internet : http://www.globalfundatm.org/

55. Dans ce modèle, chaque Etat définit un tauxde taxation linéaire et un transfert forfaitaire.De plus, une autorité mondiale de taxation fixeégalement un taux linéaire et un transfert for-faitaire applicable à tous. Les citoyens de chaquepays sont donc soumis en même temps aux deuxtaxes et aux deux transferts. Ce système, aussisimple soit-il, se rapproche de la réalité : d’unepart, dans les pays développés, les systèmes fis-

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caux ressemblent fortement à une taxationlinéaire ; d’autre part, un pourcentage de 0,7 %du PIB accordé à l’aide au développement estéquivalent à une taxe mondiale ; seule diffé-rence, cette « taxe » n’est imposée qu’auxcitoyens des économies développées. Bourgui-gnon F., 2002. Global redistribution of income:excursion to Utopia or walk into the future?Présentation préparée pour ce présent sémi-naire.

56. Frankman M.J., 1997. Global taxation: Asearch for generalize precedents. Mimeo.

57. P.B. Spahn. Discours d’introduction du pré-sent séminaire.

58. Convention des Nations unies sur le droit dela mer (1982). Disponible à l’adresse Internetsuivante : http://www.un.org/french/law/los/unclos/closindx.htm

59. Mazou M., 2002. A user-pay approach to pro-viding world postal services. In Kaul I.., K. LeGoulven & M. Schnupf. Global public goodsfinancing: New tools for new challenges. UnitedNations, Overseas of Development Studies.http://www.undp.org/ods/ffd-monterrey.html

60. Panayotou T., 1997. Taking stock of trends insustainable development financing since Rio.Harvard Institute for International Develop-ment, Environment discussion paper n°31,November, 29 p.

61 ; Attac est un mouvement international pourle contrôle démocratique des marchés finan-ciers et de leurs institutions, qui milite notam-ment contre la mondialisation et pour l’instau-ration d’une taxe Tobin (http://attac.org/).Halifax Initiative est une coalition de groupesenvironnementaux, de développement, de jus-tice sociale et d’Eglises vivement préoccupés parles politiques et les pratiques des institutionsfinancières internationales (http://www.halifaxi-nitiative.org/) . War on Want, association bri-tannique, traite essentiellement des problèmesrencontrés par les pays en développement ; ellea également lancé une campagne en faveur de lataxe Tobin (http://www.waronwant.org/).

62. Motion M-239 déposée par Lorne Nystromet adoptée par le parlement canadien (House ofCommons) le 23 mars 1999.

63. Exemple cité in Jigourel Y., 2002. La taxeTobin. La Découverte, p. 91.

64. Tubiana L. et al., 2002, op. cit.

65. Ce paragraphe est repris de Tubiana L. et al.,2002, op. cit.

66. L’origine de l’idée remonte sans doute àl’Angleterre du XVIIIesiècle. En 1756, sous l’in-fluence de Sir Thomas Gresham, une commis-sion propose de remédier aux fluctuationsimportantes de la Livre en imposant une taxesur les transactions cambiaires pour pénaliser laspéculation (Jigourel Y., 2002, La taxe Tobin.Paris, La Découverte, p. 4). Par ailleurs, uneforme simplifiée de la taxe Tobin était en

vigueur sous le régime de l’étalon or : avant1914, les opérations de bourse à Londres, Pariset Berlin étaient assujetties, comme les opéra-tions de change, à un impôt proportionnel de0,1 % payé à l’Etat (Flandreau M. et C. Rivière,1999. La grande transformation ? Contrôles decapitaux et intégration financière internationale1880-1896. Economie internationale, n° 78,2etrimestre). Enfin, en 1936, Keynes propose lamise en place d’une « lourde taxe d’Etat frap-pant toutes les transactions afin d’atténuer auxEtats-Unis la prédominance de la spéculation surl’entreprise » (Keynes J.M., 1936. Théorie géné-rale de l’emploi de l’intérêt et de la monnaie,chapitre 12). 67. Rappelons qu’en situation de parfaite mobi-lité des capitaux, tout différentiel de taux d’in-térêt entre pays est arbitré et se reporte sur letaux de change. Par exemple, si le taux d’intérêtnational devient inférieur au taux mondial, lesinvestisseurs vendent de la monnaie nationalepour placer leur capital à l’étranger. Le coûtmacroéconomique de cette dépréciation du tauxde change est tel (inflation par renchérissementdes importations, départ de capitaux) qu’enréalité la politique monétaire ne peut être utili-sée librement.68. La taxation des transactions de change nereprésente pour Tobin qu’un second-best, le first-best étant l’instauration d’une monnaie mon-diale unique accompagnée d’une institutionmondiale et non uniquement d’autorités moné-taires. C’est le modèle utilisé par les Américainset encore plus précisément par les Européens.C’est peut-être une raison des échecs des pays« dollarisés » dont les banques centrales ne sontpas en relation avec la Réserve fédérale améri-caine. Voir Frankman M., 2002, op. cit.

69. Spahn P.B., 1996. La taxe Tobin et la stabi-lité des taux de change. Finance et Développe-ment, vol. 39, n° 3, pp. 24-27.70. Ul Haq M. et al., 1996, op. cit.

71. La fameuse tribune d’Ignacio Ramonet, Dés-armer les marchés, est parue dans le contexte dela crise asiatique de 1997. Elle constitue l’acte denaissance de la très active « Association pourune taxe Tobin d’aide aux citoyens » (Attac).Ramonet s’en prend alors au FMI, à la Banquemondiale, à l’OCDE et à l’OMC, qui constituentà ses yeux un « Etat mondial, un pouvoir sanssociété, mandataire des marchés financiers etdes entreprises géantes qui mettent les peuplesen état d’insécurité généralisé ». Il entend luttercontre les mouvements dévastateurs de capitauxet, par la même occasion, créer un « impôt mon-dial de solidarité ». En plus de la taxe Tobin,Attac propose, dès sa création, la suppressiondes paradis fiscaux et l’augmentation de la fis-calité des revenus du capital.72. Historiquement, la proposition d’une taxeTobin a été faite en 1993 par Ruben Mendez àla Commission sur la gouvernance mondiale.Mais des obstacles sont apparus : les transac-

Notes

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tions de change sont nombreuses, complexes etnon contrôlées dans les pays en développe-ment ; les coûts administratifs seraient exorbi-tants ; le système devrait être universel pourlimiter le développement de paradis fiscaux ;l’opposition politique est vigoureuse et s’appuiesur la priorité donnée au fonctionnement sansobstacle du marché. Ces obstacles ont conduitMendez à proposer une taxe sur les utilisationsfinales des transactions de change, sous couvertd’une réforme du système actuel de primes ver-sées aux banques par les utilisateurs finaux (two-tier market ). L’argumentaire repose sur l’exis-tence d’un écart entre les marchésinterbancaires et les marchés finaux. Lesbanques seraient alors les grandes perdantesd’un tel système. Voir Mendez R., 1995, op. cit.

73. Jigourel Y., 2002. La taxe Tobin. Paris, LaDécouverte, pp. 55-77.74. Cassen B., 1999. Un grain de sable dans l’en-grenage libéral. Le Monde diplomatique, août.75. Cité par Watchel H., 1998. Trois taxes glo-bales pour maîtriser la spéculation. Le Mondediplomatique, octobre.76. Cité par Wyplosz C., 2000. L’irrésistibleascension de la taxe Tobin. Libération, 11juillet.77. Ministère français de l’économie et desfinances, 2002. Rapport sur la taxation des opé-rations de change, la régulation des mouve-ments de capitaux et les conséquences de laconcurrence fiscale entre les Etats. Disponiblesur l’internet www.finance.gouv.fr/pole_eco-fin/international/institutions/dptaxtobin.htm.78. Spahn P. B., 1996, op. cit.

79. Voir sur ce point McMahon F., 2001, op. cit.

80. Jigourel Y., 2002, op. cit., pp. 40-43.81. Villeroy de Galhau F., op. cit.

82. Spahn P.B., 2002, op. cit.

83. Voir par exemple la démonstration deGodard O. & C. Henry, 1997. Les instrumentsdes politiques internationales de l’environne-ment : la prévention du risque climatique et lesmécanismes de permis négociables. In BureauD., Godard O., Hourcade J.-C., Henry C. etLipietz A., Fiscalité de l’environnement. Paris,La documentation française, Conseil d’analyseéconomique, rapport n° 8, pp. 83-174.

84. IPCC, 1990. First Assessment Report. 1990.Genève, Cambridge University Press.

85. Godard O. & C. Henry, 1997, op. cit.

86. Cooper R., 2002. The double dividend ofemission taxes: Greenhouse gas reduction andrevenue. In Kaul I., K. Le Goulven etM.Schnupf, Global public goods financing:New tools for new challenges. United Nations,Overseas of Development Studies.http://www.undp.org/ods/ffd-monterrey.html

87. Nations unies, 2001, op. cit.

88. Nations unies, 2001, op. cit.

89. Ces trois éléments ont été rappelés parJean-Charles Hourcade, directeur du Cired, lorsde sa présentation à ce séminaire.

90. OCDE, 2001, op. cit., p. 43.

91.. Ce paragraphe s’appuie notamment surl’intervention de Patrick Guillaumont, direc-teur du Cerdi, lors de ce séminaire.

92. Guillaumont P., 2002. Pour une taxationinternationale rationnelle et réaliste : un projetde taxe internationale sur les médicaments.Mimeo.

93. Sachs J.D., 2002. Macroéconomie et santé :investir dans la santé pour le développementéconomique. Genève, Organisation mondialede la santé, Rapport de la Commission Macro-économie et Santé, 216 p. Sur l’internet :http://www3.who.int/whosis/menu.cfm?path=cmh&language=french

94. Nations unies, 2000. Déclaration du Millé-naire. New York, Assemblée générale, 5 sep-tembre A/55/L.2. Sur l’internet:http://www.droitshumains.org/Biblio/Onu/Decl_Millen.htm

95. A ce titre, l’acceptabilité de la fiscalité parl’opinion publique n’est pas nécessairement unpoint de blocage important, pour ce qui esttout du moins de l’aspect redistributif des pré-lèvements fiscaux, compte tenu des contribu-tions volontaires des personnes aux organismesd’aide internationaux (comme l’Unicef parexemple).

96. Villeroy de Galhau F., op. cit.

97. Jacquet P., 2002, op. cit.

99. Pisani-Ferry J., 2002, op. cit.

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