Financier tunisien

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1 Institut Arabe des Chefs d’Entreprises Quelles réformes pour le système financier tunisien : Chokri Mammoghli / Abdelkader BOUDRIGA

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Institut Arabe des Chefs d’Entreprises  

Quelles  réformes  pour  le  système  financier  tunisien  :  

   

 

Chokri Mammoghli / Abdelkader BOUDRIGA

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Au lendemain de grands bouleversements politiques et sociaux qui vont, sans aucun doute,

trouver un écho dans la sphère économique, de nombreuses institutions tunisiennes, du monde

académique, de celui des affaires ainsi que de la société civile sont en phase de réflexions afin

d’identifier les meilleures orientations qu’il convient de donner à différentes politiques

sectorielles telles que celle de l’investissement, du développement régional et de

l’aménagement du territoire, du commerce extérieur, de la fiscalité directe et indirecte ou de

la couverture sociale.

Quelles incitations faut-il mettre en place afin d’attirer les investissements dans certaines

régions et dans certains secteurs, faut-il encourager l’investissement dans les services, dans

l’industrie ou dans les activités primaires ? Faut-il encourager les IDE ou les investissements

de portefeuille ? Faut-il maintenir la politique d’ouverture commerciale actuelle avec l’UE en

poursuivant ainsi, les négociations dans le secteur des services, dans celui de l’agriculture et

des industries agro-alimentaires avec l’UE ? Quelles relations commerciales faut-il avoir avec

les pays de la Grande Zone Arabe de Libre Echange ? et avec ceux de l’Afrique Sub-

Saharienne ?

Telles sont quelques questions qui se posent et auxquelles il faut apporter des réponses

novatrices et au diapason des grands bouleversements qu’a connu le pays.

Ces réflexions sont d’autant plus importantes et opportunes qu’elles coïncident avec une

période charnière, historique même, du pays et qui est celle de la formation du premier

gouvernement issu des premières élections véritablement démocratiques.

Les questionnements portant sur le secteur financier et sur son évolution s’inscrivent, donc,

dans ce contexte spécifique révélateur d’une Tunisie nouvelle au lendemain de sa mutation.

Toute la sphère financière est, en effet, appelée à évoluer afin d’accompagner l’effort de

mobilisation des ressources internes et externes que va nécessiter le financement de la

croissance de l’économie nationale. Les questions qui se posent à ce niveau sont en rapport

avec :

• La nature du financement à encourager. Faut-il développer la finance directe, via le

marché boursier, au détriment de la finance d’intermédiation via le secteur bancaire?

• L’opportunité de la mise en place de barrières à l’entrée et/ou à la sortie des

investissements de portefeuilles,

• Le désengagement de l’Etat ou le renforcement de son rôle dans le secteur bancaire,

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• La structure du secteur et sa répartition en termes de banques nationales et de banques

étrangères,

• L’implantation des banques tunisiennes à l’étranger dans un effort

d’internationalisation des entreprises tunisiennes.

Ces interrogations portent également sur la gouvernance des banques. Il s’agit en effet de

d’imaginer le meilleur système de gouvernance permettant d’éviter de retomber dans les

dérives qui ont lieu par le passé. Cette gouvernance devrait également favoriser une célérité

dans la prise de décision ainsi que la responsabilisation des ressources humaines, de haut

niveau, dont regorge ce secteur.

Ces réflexions portent enfin sur l’opportunité du développement de nouveaux services

bancaires disponibles dans de très nombreux pays du monde arabo-musulman mais également

dans des régions à traditions différentes. Ces services sont ceux en rapport avec la finance

islamique. Celle-ci est-elle à même de contribuer à une meilleure bancarisation de la

population tunisienne et d’aider à une plus grande mobilisation de l’épargne ?

Le présent papier est une contribution à cet effort national de réflexion. Il ne prétend pas

répondre à toutes ces interrogations mais propose quelques pistes en partant de comparaisons

internationales avec des pays relativement similaires à la Tunisie.

Les réflexions sont en rapport avec :

• la structure du système financier dans sa globalité,

• La structure du système bancaire,

• La gouvernance de ce système,

• Le développement de nouveaux services et de nouvelles formes d’intermédiation.

I- Investissement de portefeuille ou financement bancaire ?

Le financement à travers le marché boursier constitue la seconde source de financement

majeur à coté du financement bancaire. Les entreprises peuvent en effet, sous certaines

conditions de taille, de performance financière et de statut juridique (SA notamment) recourir

à des émissions obligataires, à des émissions d’actions sur le marché primaire ou à des

émissions de titres hybrides (obligations convertibles en actions). En Tunisie cette forme de

financement, disons le directement et sans détour, n’a pas connu le succès rencontré dans

d’autres pays. Malgré toutes les incitations mises en place par les Autorités publiques pour

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promouvoir la finance directe et quoiqu’on en dise, cette politique n’a pas connu le succès

qu’elle mérite. Les raisons d’un tel échec sont connues des différents opérateurs du marché et

des Pouvoirs publics. Cette timide évolution de la finance directe incombe principalement à :

• Une certaine réticence de la part des entreprises privées, à divulguer les informations

obligatoires exigées par les autorités de marché ainsi que la discipline requise par le

marché en terme de délais et de transparence financière,

• Les entreprises privées tunisiennes sont pour leur majorité des sociétés familiales,

désireuses de maintenir l’anonymat sur leurs activités et entretenant généralement

d’excellentes relations avec leurs banquiers. Il va de soi que le recours au marché

boursier s’avère être une alternative non envisageable pour ces investisseurs,

• L’imposition des plus values latentes des anciens actionnaires lorsqu’il s’agit d’une

cession d’une partie du capital et non d’une augmentation de capital sur le marché

• Cette réticence est confortée, dans de nombreux cas (mais pas toujours), par un

comportement « non incitatif » et parfois agressif de la part des actionnaires

minoritaires lors des Assemblées Générales et au sein des Conseils d’Administration,

• Le faible nombre d’entreprises tunisiennes ayant la surface financière leur permettant

d’envisager sérieusement un financement par le marché,

• La réticence de la part des entreprises, à la séparation entre le management et

l’actionnariat, condition de succès d’un grand nombre d’entrées en bourse,

• La complexité perçue, des procédures administratives préalables à l’accès au

financement de marché. A titre d’exemple, citons les conditions d’approbation

d’émission d’emprunts obligataires (notation financière ou aval bancaire pour les

sociétés non financières).

• Le caractère tatillon des interventions de l’administration, notamment fiscale, dans la

conduite des entreprises cotées.

En revanche, les entrées en bourse sont motivées, notamment,

• par le faible taux d’impôt qui est appliqué aux entreprises durant les premières années

qui suivent leur entrée. La loi de finance 2010 relative à la restructuration des groupes

permettant l’exonération fiscale des plus values est venue consolider ces avantages et

incitations,

• par une volonté de protection contre les « prises de participations forcées ». De

nombreuses entreprises ayant été obligées, en effet, de céder une partie de leur capital

de manière « forcée ».

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Ce manque de succès se traduit par des indicateurs de développement boursiers, très en deçà

de ceux des pays similaires.

Le tableau 1 donne le rapport :(capitalisation boursière/PIB) pour la Tunisie ainsi que pour

différents pays similaires :

Tableau 1 : Capitalisation boursière en % du PIB

2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 Moy. (10 ans)

Egypte 32,3% 41,8% 66,1% 81,4% 91,2% 101,7% 114,0% 61,6%

Jordanie 89,0% 129,2% 222,9% 242,0% 225,2% 208,8% 192,7% 150,7%

Malaisie 141,4% 144,8% 136,6% 134,8% 156,0% 180,3% 210,6% 151,6%

Maroc 21,9% 34,0% 44,7% 59,0% 85,5% 124,0% 184,2% 63,6%

Tunisie 9,3% 9,1% 9,6% 11,9% 14,1% 16,6% 19,6% 12,8%

Turquie 16,9% 21,3% 27,0% 30,9% 34,3% 37,9% 41,9% 29,2%

Source :Banque Mondiale, 2011.

Il apparait ainsi que la Tunisie présente le rapport le plus faible parmi les cinq pays

considérés. La capitalisation boursière rapportée au PIB n’a représenté

approximativement que 20% de celui-ci, en 2009. Ce même indicateur a été, en moyenne,

de 13% sur la dernière décennie. Ce ratio a été de 42% en 2009 pour la Turquie et de

184% pour le Maroc.

Soulignons tout de même, le fait que depuis l’année 2005, cet indicateur n’a cessé

d’évoluer. Il a ainsi pratiquement doublé.

Ce constat est confirmé par l’évolution que retrace le tableau 2 qui rapporte le volume de

transactions en bourse, au PIB :

Tableau 2 : Volume de transaction en % du PIB

2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 Moy. (10 ans) Egypte 4,0% 7,1% 28,3% 44,2% 41,4% 39,0% 36,6% 21,9%

Jordanie 25,6% 46,7% 188,8% 142,2% 110,1% 83,0% 63,2% 68,9%

Malaisie 48,2% 48,0% 36,4% 42,9% 83,0% - - 47,0%

Maroc 1,4% 3,0% 7,0% 20,6% 35,9% - - 9,4%

Tunisie 0,7% 0,8% 1,6% 1,7% 1,9% 2,1% 2,4% 1,7%

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Turquie 32,7% 37,5% 41,6% 43,0% 46,0% 49,7% 53,8% 44,1%

Source :Banque Mondiale, 2011.

Ce volume de transactions a été de l’ordre de 2,4% en 2009 alors qu’il était de près de

37% en Egypte et de près de 54% en Turquie.

Ce faible niveau peur être expliqué par le fait que la partie flottante du capital, c'est-à-dire

celle faisant, effectivement, l’objet de transactions sur le marché secondaire, ne

représente qu’une faible part du capital. Les actions étant ainsi détenues de façon

permanente et de manière stratégique par des actionnaires qui ne comptent pas s’en

dessaisir (notamment l’Etat dans le capital des banques).

Le tableau 3 donne pour le même groupe de pays l’évolution des flux internationaux au

titre des investissements de portefeuille. Il convient de signaler à ce niveau que le rôle de

ces flux dans le financement de la croissance est très mitigé. Ces flux de capitaux, bien

qu’ayant un effet positif sur les réserves de change du pays, sur la liquidité de son marché

boursier et par conséquent sur le coût de financement des entreprises, présentent quelques

inconvénients majeurs. Il s’agit en effet de capitaux très volatils qui rentrent dans le pays

et en ressortent très rapidement, à la moindre difficulté, ce qui peut avoir des effets très

déstabilisateurs sur la balance des paiements et par suite sur le taux de change de la

monnaie. Dans de nombreux cas, des crises boursières se sont en effet transformées en de

graves crises de change (et inversement d’ailleurs). Cela a été notamment le cas pour les

pays du sud-est asiatique à la fin des années 1990.

La mise en place de barrières (surtout à l’entrée) afin d’éviter l’apparition de bulles

spéculatives et les mouvements de sorties intempestives est donc une précaution que tous

les pays ayant des marchés boursiers émergents ou pré-émergents sont en train de

prendre.

La règle consistant à encourager les IDE qui constituent à l’instar des investissements de

portefeuille, des substituts à la dette mais qui se caractérisent, en plus, par une certaine

stabilité et par des effets directs sur l’emploi, est donc toujours de rigueur.

L’évolution que retrace le tableau 3 confirme cette propension à la prudence observée

chez les pays qui nous sont les plus comparables (Egypte, Maroc, Jordanie). Les flux

d’investissements sont modestes et du même ordre que ceux de la Tunisie, malgré des

capitalisations boursières et des volumes de transaction bien plus importants.

Tableau 3 : Investissement de portefeuille (en millions de US$)

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Pays 2005 2006 2007 2008 2009 Egypte 8 209 18 482 24 567 10 781 8 563

Jordanie 441 851 1 198 1 580 1 548

Malaisie 49 608 60 709 101 255 50 974 69 366

Maroc 2 185 2 669 6 325 3 138 2 088

A. du Sud 80 639 85 052 105 409 64 219 109 563

Tunisie 3 613 3 589 4 193 3 927 4 185

Turquie 60 412 76 522 95 075 58 655 87 263

Source :Banque Mondiale, 2011.

Il apparait donc clairement que les entreprises tunisiennes ne recourent pas au marché

pour assurer le financement de leurs activités. Le nombre faible d’entreprises cotées,

la faiblesse du volume de transaction ainsi que la nature des investisseurs opérant sur

le marché expliquent, en partie, ce manque d’enthousiasme aux produits de marché.

En effet, rares sont les entreprises, même cotées, qui recourent à des levés de fonds sur

le marché. Ceci s’explique, entre autres, par la facilité d’accès aux crédits bancaires

dont bénéficient les grandes entreprises tunisiennes.

La dynamisation de la place financière de Tunis passerait nécessairement par

l’augmentation du nombre d’entreprises cotées. Il serait par exemple opportun de

procéder à l’introduction en bourse des grandes entreprises étatiques (l’Etat pourrait

garder le contrôle) à l’instar de la STEG, la SONEDE, le Groupe Chimique, la STIR

ou la CTN. Il est également possible de réfléchir à la possibilité de sortie sur le marché

des entreprises confisquées après le 14 janvier. Ceci éviterait les destructions de

valeurs que sont entrain de subir ces entreprises et d’assurer un partage équitable et

diffus des richesses.

En outre, une Bourse développée constituerait un facteur d’attraction des

investissements de portefeuille étrangers de manière stable et durable et fournirait des

solutions de montages financiers aux entreprises internationales voulant s’installer en

Tunisie. A cet égard, la BCT pourrait jouer un rôle essentiel en imposant aux

entreprises sous-capitalisées de faire des sorties sur la bourse dans le but de consolider

leurs fonds propres et de réduire le recours aux financements bancaires classiques.

II- Des banques de petites tailles et peu compétitives

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Les banques jouent un rôle essentiel dans le financement de l’économie tunisienne. En

effet, plus de 95% des concours à l’économie transitent par ces institutions financières.

Le financement concerne aussi bien le développement des entreprises, que le

renouvellement de l’appareil productif ou de l’innovation et l’accompagnement des

entreprises à l’international. Il concerne également le cycle d’exploitation. Les

changements politiques et sociaux que la Tunisie est en train de vivre appellent une

transformation substantielle dans les fondements même du métier de la Banque.

Les banques sont ainsi appelées à revoir le partage de la valeur créée. Du point de vue des

entreprises, et en considérant les résultats de l’enquête menée, les marges réalisées par les

établissements financiers sont très élevées et dénotent d’une relation de type

oligopolistique dans laquelle l’acteur le plus fort, en l’occurrence la banque, est en train

d’imposer ses conditions. Les taux d’intérêt sont élevés et les garanties toujours exigées.

En outre, le système bancaire tunisien composé d’une trentaine de banques, semble sur-

bancarisé, et ne permettant pas, par conséquent, un financement efficient de l’économie.

En effet, un tel nombre de banques, laisse supposer que celles-ci ne bénéficient pas de

rendements d’échelle.

L’industrie bancaire est en effet, fragmentée et dominée par des banques de petites tailles.

Les trois premières banques ne représentent que 60% des actifs du secteur contre 86% en

Jordanie et plus de 90% au Maroc. Ces taux sont par contre supérieurs à ceux observés en

Malaisie et en Turquie.

La fragmentation des banques constitue un double handicap. Elle les prive de réaliser les

économies d’échelle et de gammes indispensables à l’amélioration de leur compétitivité.

Ce faisant, elle réduit les possibilités de leur implantation à l’étranger.

A cet effet, la première banque tunisienne pointe à la 48ème place sur le plan africain (STB)

et son total de bilan représente 1/39ème du total de bilan de la première banque africaine (la

Standard Bank Group, Afrique du Sud). A titre de comparaison, deux banques marocaines

se classent dans le top 10 des banques africaines. Il s’agit d’Attijari Wafa Bank (7ème) et du

Crédit Populaire du Maroc (10ème).

L’émergence de grandes banques tunisiennes ayant une stratégie claire

d’internationalisation avec un plan de développement précis semble devenir une nécessité.

Les entreprises tunisiennes sont en effet de plus en plus présentes sur les marchés

européens, arabes et africains.

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Des opérations de croissance interne par augmentation de capital ou externe par fusions

amicales et négociées devraient être suscitées par les Autorités publiques.

A ce propos signalons qu’une opération de fusion entre la STB et la BH a été envisagée au

cours de la dernière période. Malgré les arguments qui viennent d’être avancés nous

pensons qu’une telle opération, qui serait réalisée dans la précipitation et sans concertation

préalable, ne parait pas souhaitable. Ce genre d’actions réalisées avec empressement

risquerait en effet de créer plus de problèmes qu’il ne va en résoudre. La recherche de

synergies serait en effet handicapée par le choc de cultures internes qui sont très fortes

dans les deux institutions, par les conflits aux niveaux des systèmes d’information ainsi

que par la résistance aux changements organisationnels qui accompagneraient une telle

opération.

L’autre alternative consisterait à encourager (ou pousser) les banques privées à réaliser des

opérations de fusions. Une première solution serait d’augmenter le capital minimal exigé

(100 Md actuellement jusqu’à 2014). Nous pensons qu’en dépit des bienfaits d’un niveau

de capitalisation élevé, cette mesure n’aurait pas d’incidence directe sur la taille des

banques. En Afrique du Sud par exemple, le capital minimal est de 37 millions de dollars.

Ceci n’a pas empêché les banques sud africaines d’occuper les cinq premières places à

l’échelle du continent. En même temps, l’internationalisation d’Attijari Wafa Bank au

Maroc s’est faite par le biais d’emprunts obligataires. Les leviers de la croissance semblent

être situés ailleurs qu’au niveau des fonds propres.

Tableau 4 : Classement africains des banques tunisiennes 2009 2010 2011 1ère Banque africaine/

Banque Tunisienne STB 47 44 48 39 fois BIAT 50 42 50 41 BNA 49 47 53 42 BH 57 52 56 50 Amen Bank 67 60 60 55 ATB 69 61 70 66 Attijari 74 65 69 66 BT 83 76 83 84 UIB 89 83 53 92 UBCI 104 102 109 120

Source : Jeune Afrique, différents numéros.

Le taux de bancarisation reste cependant faible en Tunisie. La densité par agence est de

12000 habitants (Maroc : 6000 habitants par agence, pays de l’OCDE moins de 2000

habitants par agence).

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Les tableaux 5 et 6 donnent quelques indications en rapport avec le taux de bancarisation

et l’inclusion financière :

Tableau 5 : Inclusion financière (chiffres 2009) Jordanie Malaisie Maroc Afrique du sud Tunisie Turquie Nombre d’agences par 100000 habitants (> 15 ans)

16,17 11,5 11,59 8,03 13,3 17,3

Nombre de comptes par 1000 habitants (> 15 ans)

160 972 296 175 315

Nombre ATM par adulte (>15 ans)

43,25 16,64 54,85 14,26 40,98

Nombre de comptes de dépôts par 1000 adultes ((>15 ans)

814,23 2226,74 277,36 671,98 788,13 1851,15

Source : Banque mondiale, WDI, 2011 Le nombre d’agences par 100000 adultes a atteint selon les derniers chiffres publiés par la

Banque Mondiale, 13,3 agences en Tunisie contre 11,59 au Maroc et 17,3 en Turquie. La

disponibilité des services bancaires présente néanmoins, de fortes disparités entre les

régions. Le tableau 6 montre que dans le centre ouest du pays, il existe une agence pour

22000 habitants alors que dans le grand Tunis ce chiffre passe à 7000 habitants. Par ailleurs,

l’utilisation des services bancaires semble être très en retard comparativement à d’autres

pays ayant un niveau de développement similaire. Ainsi, le nombre de comptes pour 1000

adultes est seulement de 175 en Tunisie contre 296 en Afrique du Sud, 315 en Turquie et

972 en Malaisie. Enfin, le nombre de machines ATM est de 14,26 en Tunisie alors qu’il est

supérieur à 40 dans les autres pays.

Tableau 6 : Réseau bancaire : répartition par région au 30 septembre 2011 Population par

agence Nombre d’agence % Nombre

d’agences Centre ouest 22072 92 6,71% Grand Tunis 7001 551 40,16% Nord ouest 14500 68 4,96% Région côtière 9354 575 41,91% Sud 11536 86 6,27% Total général 12618 1372 100% Source : APTBEF et calculs des auteurs

La dernière mesure en rapport avec la structure du secteur que nous présentons est la

concentration. Le tableau 7 retrace ainsi, pour le même groupe de pays, le poids des trois

premières banques sur la dernière décennie.

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Tableau 7. Concentration bancaire : Total des actifs des trois premières banques en % du

total du total des actifs des banques

2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 Moy.

Egypte 0,57 0,58 0,57 0,57 0,55 0,58 0,59 0,57 0,55 0,53 0,57

Jordanie 0,85 0,90 0,90 0,90 0,89 0,85 0,85 0,85 0,86 0,86 0,87

Malaisie 0,48 0,44 0,40 0,40 0,41 0,41 0,46 0,47 0,49 0,50 0,45

Maroc 0,53 0,62 0,63 0,64 0,68 0,66 0,66 0,78 0,91 0,91 0,71

Tunisie 0,45 0,45 0,45 0,46 0,46 0,45 0,45 0,49 0,54 0,59 0,48

Turquie 0,74 0,66 0,74 0,71 0,70 0,96 0,50 0,46 0,42 0,39 0,63

Source : Banque mondiale, Financial Development and structure Database

Il apparait que ce poids a été en moyenne de l’ordre de 48% sur l’ensemble de la décennie.

Nous notons qu’il a néanmoins augmenté de manière significative à partir de 2007, passant

ainsi de 49% à 59% en 2009.

Comparé aux pays du groupe, ce poids moyen apparait nettement inférieur à celui observé au

Maroc où il est égal à 71% et à celui de la Jordanie qui est de l’ordre de 87%. Ce constat

confirme l’image tracée précédemment qui est celle d’un secteur fortement émietté composé

d’un grand nombre de petites banques. Aucune de celles-ci ne dominant significativement le

secteur. Cependant ce nombre élevé ne se traduit pas par une forte bancarisation et une grande

inclusion financière. Les différentes mesures moyennes de ces deux dimensions sont

relativement faibles par rapport celles d’autres pays. Leur décomposition en paramètres

régionaux révèle également d’assez fortes disparités.

III- Performance et solidité des banques tunisiennes Les développements qui suivent sont en rapport avec la gestion des établissements bancaires

et avec leur gouvernance. Le premier constat qui s’impose et sur lequel il y a une quasi-

unanimité est celui relatif à la qualité de l’information produite et divulguée. Les banques

tunisiennes apparaissent ainsi comme étant très conservatrices dans ce domaine. Les

documents produits s’intéressent davantage aux informations patrimoniales, à la solidité des

garanties réelles ou personnelles produites, qu’aux capacités de remboursement et à la

situation financière future des entreprises financées. Les projections sont effectuées mais

rarement prises en compte de manière décisive.

La situation financière projetée est pénalisante lorsqu’elle est mauvaise mais rarement

déterminante lorsqu’elle est bonne. L’ancienneté de la relation ainsi que la qualité du

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patrimoine sont les éléments décisifs. Lorsque ces conditions sont satisfaites, les relations sont

jugées plutôt bonnes.

La prépondérance des garanties dans les décisions de financement bancaires pourrait

s’expliquer par les carences observées au niveau de l’information financière en général (bilans

non certifiés, des rapports annuels non fournis) ainsi que par la quasi indisponibilité de

l’information sur la qualité du crédit (l’indice de divulgation d’information sur les entreprises

est égal à 5/10). Il semble également que le non respect des règles de droit (score égal à 3

pour l’année 2012) constitue l’une des raisons principales pour l’utilisation jugée excessive

des garanties, par l’ensemble des entreprises ayant participé au questionnaire sur les réformes

du secteur financier.

Le tableau 8 laisse apparaître un taux de recouvrement (% du montant récupéré par le

créancier en cas de faillite) de l’ordre de 52,2 %. Ce taux semble assez satisfaisant

comparativement aux autres pays du panel. Néanmoins cela traduit en premier lieu la forte

utilisation des garanties et la faible prise de risque par les banques.

Pour sortir de cette impasse, deux axes d’amélioration peuvent être envisagés. Le premier

consiste à améliorer l’offre d’information sur les entreprises et sur leur solvabilité. A titre

d’exemple, le lancement de bureaux de crédits privés à l’instar des autres pays devrait

permettre de renforcer les capacités d’évaluation des banques et de discipliner l’ensemble des

opérateurs.

En second lieu, les banques doivent être encouragées à rendre l’offre de crédit plus sensible

au risque. Autrement dit, elles sont appelées à prendre plus de risques (mesurés) et à faire

preuve d’esprit entrepreneurial (voir questionnaire). Une des pistes à envisager de manière

approfondie consisterait à développer la fonction « Etudes, analyses et prospectives » au sein

des institutions bancaires.

Tableau 8 : Evaluation de risque et information 2012

Pays Egypte Jordanie Malaisie Maroc A. du Sud Tunisie Turquie Indice de divulgation d’information sur les entreprises (de 1 à 10)

3 5 10 6 8 5 9

Taux de recouvrement (%)

17,7 27,2 44,6 38,3 35,2 52,2 22,3

Règle de droit (0 à 10)

3 4 10 3 10 3 4

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Couverture par des bureaux de crédit privés (% adultes)

13,7 0 83,4 14,6 54,7 0 60,5

Source : Doing business, 2012.

La qualité de la gestion opérationnelle des banques et de la mise en œuvre des ressources

semble être raisonnable. Le tableau 9 retrace l’évolution dans le temps, du coefficient

d’exploitation (rapport : charges d’exploitation/Produit net bancaire.) pour le même

groupe de pays. Les charges d’exploitation contiennent notamment les charges salariales,

les dotations aux amortissements et aux provisions ainsi que les autres charges. Le PNB

est en gros égal à la différence entre intérêts perçus et intérêts servis.

Ce coefficient a atteint 33% pour la Tunisie en 2009 et a présenté un niveau moyen de

56% sur la dernière décennie. Seule la Turquie présente un ratio de meilleure qualité en

2009. Soulignons tout de même que la faiblesse de ce ratio peut être due non pas à la

faiblesse des charges et à l’optimalité de la gestion mais plutôt à l’importance du PNB qui

est le résultat de taux d’intérêts élevés. La faiblesse des taux de provisionnement des prêts

non performants qui a atteint 58% en Tunisie contre 74% au Maroc (tableau 13) peut être

une seconde explication.

Tableau 9. Coefficient d’exploitation

2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 Moy. (10 ans) Egypte 0,484 0,575 0,527 0,588 0,533 0,478 0,425 0,517

Jordanie 0,615 0,582 0,421 0,447 0,439 0,428 0,419 0,522

Malaisie 0,373 0,374 0,391 0,382 0,404 0,430 0,461 0,407

Maroc 0,641 0,593 0,655 0,546 0,483 0,418 0,360 0,565

Tunisie 0,725 0,728 0,627 0,561 0,476 0,396 0,331 0,562

Turquie 1,126 0,812 0,598 0,656 0,514 0,389 0,297 0,719

Source : Banque mondiale, Financial Development and structure Database

Cette même conclusion peut être également établie en considérant non pas un indicateur de

l’optimalité de l’exploitation mais une mesure de la rentabilité. Il s’agit en l’occurrence du

score Z qui est en fait une mesure normalisée de la rentabilité des fonds propres des banques.

Formellement ce score est égal au rapport :

Page 14: Financier tunisien

14    

(Rentabilité des fonds propres – Rentabilité moyenne des fonds propres) / Variabilité des

Rentabilités

Le niveau du Z score semble être plus faible que pour les autres pays à l’exception de

l’Egypte indiquant une plus grande fragilité du système bancaire tunisien. L’évolution à la

baisse (donc une fragilité accrue) de ce score peut être expliquée par deux phénomènes qui

sont :

- Le niveau élevé des provisions pratiquées durant les cinq dernières années. Ces

provisions additionnelles concernent les prêts non performants. En effet, sous la

pression du FMI, les autorités monétaires ont été acculées à réduire les taux des prêts

non performants et à augmenter les taux de provisionnement (les objectifs annoncés

étaient respectivement de moins de 15% pour les PNP et de 70% pour les provisions).

Ceci a eu pour effet d’augmenter la volatilité des revenus.

- L’effort de recapitalisation (augmentation du capital social, mises en réserves des

bénéfices) qui implique une baisse du ROE et par conséquent du Z score.

Tableau 10. Z-score : Solidité du système bancaire 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 Moy. (10 ans) Egypte 10,4 8,5 4,4 6,6 4,8 3,4 2,4 6,7 Jordanie 10,9 15,6 13,7 17,7 15,8 14,7 13,7 13,1 Malaisie 11,7 12,3 14,8 13,7 13,4 10,3 8,0 11,4 Maroc 10,3 18,2 24,8 24,5 9,7 22,0 - 15,9 Tunisie 14,4 10,6 13,4 7,4 8,5 7,6 6,7 11,9 Turquie - - - 6,7 13,6 17,1 21,4 14,7 Source : Banque mondiale, Financial Development and structure Database

IV- Présence l’international et concurrence marocaine sur le continent

africain : Les premières installations de banques tunisiennes à l’étranger datent du milieu des années 70

avec la création de l’Union Tunisienne de Banque (UTB, à l’initiative de la Banque Centrale

de Tunisie) en 1977 à Paris. Dix ans plus tard, la Société Tunisienne de Banque a créé la

Banque sénégalo-tunisienne (BST), une autre au Liban, et a pris une participation dans une

Page 15: Financier tunisien

15    

banque au Burkina Faso.

Depuis, les banques tunisiennes n’ont pas étendu leur présence à l’international, et ont même

reculé. La BST a été rachetée en janvier 2007 par Attijari Wafa Bank, et la filiale libanaise de

la STB a été cédée à des investisseurs Libyens. Seule l’UTB continue à exister.

A l’inverse, les banques marocaines ont mis en place une véritable stratégie

d’internationalisation, notamment en Afrique francophone subsaharienne. Menées par Attijari

Wafa Bank, la BMCE et le groupe Banque populaire, les institutions financières marocaines

ont conquis plusieurs pays africains à l’instar du Sénégal (ou il détiendrait plus que 60% du

total bilan des banques du pays), le Madagascar, Le Kenya, l’Ouganda, l’Ile Maurice, la

Guinée, la République Centrafricaine, et la Mauritanie. Leurs activités s’étendent à tous les

instruments de financement : investissement, leasing, banque de détail et les banques

d’affaires.

La présence des banques tunisiennes à l’étranger, tant souhaitée par les opérateurs tunisiens

(du moins ceux qui ont participé au questionnaire) a été handicapée par divers facteurs. Il a

été souvent avancé que la faible taille de nos institutions financières constitue le principal

obstacle à l’internationalisation. Nous pensons au contraire que c’est grâce à une stratégie

d’internationalisation agressive que les banques tunisiennes pourraient atteindre des tailles

importantes leur permettant chemin faisant d’améliorer leur efficience.

Par ailleurs, il semble que la stratégie d’internationalisation des banques marocaines a été

motivée essentiellement par un souci de recherche de rentabilité suite à la réduction des

marges d’intermédiation sur le marché domestique (après l’arrivée des banques étrangères et

la dérèglementation du marché bancaire). Comme nous l’avons mentionné plus haut, cette

internationalisation a été financée essentiellement par l’émission d’emprunts obligataires et

par la mise en place, de la part de l’Etat marocain, des lignes de crédits.

En Tunisie, l’importance des marges d’intermédiation et le contrôle serré de la BCT

(encadrement des conditions d’octroi du crédit), font que les Banques ne sont pas incitées à

rechercher d’autres marchés.

Nous pensons que la libéralisation des marges bancaires et un désengagement graduel et

planifié de la BCT pourrait conduire à une réduction des taux d’intérêts du fait de la

concurrence qui s’instaurerait. Ce phénomène aurait inévitablement pour conséquence la mise

en œuvre d’opérations de restructuration (fusions) et se traduirait par l’émergence de

stratégies d’internationalisation.

Page 16: Financier tunisien

16    

Soulignons enfin que l’Etat tunisien a un grand rôle à jouer dans cet effort

d’internationalisation qui est porteur de grandes potentialités en matière d’emploi. L’une des

mesures les plus urgentes à prendre, et qui est réclamée par les opérateurs, consisterait à

mettre en place une ligne de crédit (même modeste au début) gérée par les banques et mise à

la disposition des entreprises travaillant notamment sur les marchés d’Afrique subsaharienne.

Une telle ligne de crédit mettrait les entreprises sur le même pied d’égalité que leurs

homologues d’autres nationalités et permettrait aux banques tunisiennes de se familiariser

graduellement avec un environnement totalement différent de celui local.

V- Présence des banques étrangères et impact sur les performances et la

qualité de la gestion : Les opérations de privatisation, bien que critiquées, ont largement influencé la structure du

secteur bancaire tunisien. En effet, ce dernier comporte de plus en plus de banques privées.

Plusieurs de celles-ci sont des filiales de banques étrangères.

En 2004, on comptait cinq banques privées et filiales de banques étrangères. Aujourd’hui,

elles sont au nombre de sept et pour la plupart d’entre elles, ce sont des filiales de banques

françaises. Il s’agit des banques suivantes : UBCI (50% BNP Paribas), Attijari Bank (34%

AttijariWafa Bank, Maroc), UIB (filiale de de la société Générale, 53%) , BTK ( 60%, Caisse

d’Epargne, France), Arab Tunisian Bank (ATB), filiale de l’Arab Bank Plc (Jordanie), la

Citibank Tunisie qui est une filiale appartenant en totalité au groupe américain: Citigroup,

l’Arab Banking Corporation (ABC) installée en Tunisie avec ses deux branches on-shore et

off-shore, le CIC de Paris et Proparco (filiale de l'Agence Française de Développement) dans

le capital de la Banque de Tunisie (BT), ainsi que la Société Marseillaise de Crédit et Natixis

Banques Populaires dans celui de la Banque Internationale Arabe de Tunisie (BIAT).

La présence des banques étrangères a un impact positif sur l’offre de crédit aux entreprises et

sur la performance du système financier dans sa globalité. Ainsi, grâce à l’apport en expertise

et en savoir faire international les prises de participation par des banques étrangères contribue

à améliorer l’efficience des banques et leur capacité à mieux répondre aux besoins des

entreprises Tunisiennes. En outre, grâce à un réseau international développé, ces banques sont

plus à même d’accompagner les entreprises tunisiennes à l’international et d’aider les banques

tunisiennes à s’internationaliser.

Page 17: Financier tunisien

17    

L’analyse des réponses au questionnaire laisse apparaitre que 91% des répondants portent un

jugement positif concernant les banques étrangères et réclament même leur présence à

l’intérieur du pays.

Le tableau 11 compare les poids respectifs des banques on-shore et des banques off-shore. Il

ne comporte pas de mesures directes de la présence des banques étrangères en Tunisie. Celles-

ci étant largement présentes dans le secteur off-shore il est possible d’en tirer quelques

enseignements.

Tableau 11.b. Dépôts des banques off-shore / Dépôts des banques résidentes

2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 Moyenne Egypte 12,2% 13,2% 13,4% 13,6% 13,2% 12,7% 12,2% 12,5%

Jordanie 27,1% 23,7% 26,3% 29,7% 26,8% 23,6% 20,7% 28,0%

Malaisie 3,6% 3,8% 3,0% 3,2% 3,5% 3,8% 4,2% 3,4%

Maroc 8,7% 7,9% 6,8% 6,8% 7,1% 7,5% 7,9% 8,0%

Tunisie 7,5% 7,5% 6,9% 8,1% 8,5% 8,9% 9,3% 7,8%

Turquie 11,3% 11,0% 10,0% 12,9% 11,5% 10,2% 9,0% 10,8%

Il apparait ainsi que le poids du secteur off-shore a été en moyenne égal à 7,8% du secteur on-

shore en termes de dépôts. Ce rapport a été égal à 9,3% en 2009 ce qui place la Tunisie dans

la moyenne des pays retenus. Seule la Jordanie émerge du groupe avec un rapport égal à

20,7% pour l’année en question et 28% pour l’ensemble de la période. Signalons enfin que

ces banques off-shore reçoivent essentiellement les dépôts des entreprises totalement

exportatrices et qui sont approximativement au nombre de 3000.

VI- Problème de prêts non-performant

Les autorités nationales (BCT) et internationales (FMI), conscientes des taux excessifs des

prêts non performants des banques tunisiennes, recommandent la mise en place d’une

politique de gouvernance stricte. Elles suggèrent en outre de résoudre les problèmes de

gestion au niveau des banques afin de réduire les prêts improductifs, sources de vulnérabilité

de l’ensemble du système financier.

Le taux des PNP qui a connu une nette baisse depuis 2005, reste assez élevé comparativement

aux normes internationales (la moyenne mondiale est de 6,9% en 2009) et surtout par rapport

Page 18: Financier tunisien

18    

aux pays présentant les mêmes caractéristiques. Plusieurs raisons peuvent expliquer ces taux

très élevés, en particulier l’inefficacité des mécanismes de gouvernance et les pressions

politiques exercées à la fois sur les dirigeants des banques et sur les organes de supervision de

la Banque Centrale.

Tableau 12. Prêts non performants en % des engagements totaux des banques

Année 2005 2006 2007 2008 2009 2010 Turquie 5.0 3.9 3.6 3.8 5.6 4.9

Malaisie 9.6 8.5 6.5 4.8 3.7 3.5

Egypte 26.5 18.2 19.3 14.8 13.4 -

Jordanie 6.6 4.3 4.1 4.2 6.7 -

Maroc 15.7 10.9 7.9 6.0 5.5 5.2

Tunisie 20.9 19.3 17.6 15.5 13.2 -

A. du Sud 1.5 1.1 1.4 3.9 5.9 5.9

Source: FMI, Global financial stability report 2010.

Le tableau 12 ne donne pas les chiffres pour la Tunisie concernant l’année 2010 et l’année

2011 n’est pas encore achevée. Il y a fort à craindre qu’au terme des évolutions politiques et

sociales récentes, du relâchement dans le contrôle qui s’en est suivi et des difficultés

économiques réelles qu’ont connu certains secteurs (notamment le secteur du tourisme), ce

taux soit reparti à la hausse durant l’année 2011. Le tableau 13 donne enfin le taux de

provisionnement des prêts non performants c'est-à-dire le degré de leur couverture par des

provisions prélevées sur les bénéfices. Il s’agit donc d’un indicateur de robustesse et de

résistance aux éventuelles défaillances. Pour l’année 2009 ce taux a été de l’ordre de 58% ce

qui signifie que 42% des PNP n’étaient couverts par aucune provision. Le niveau de

couverture des prêts improductifs reste très en deçà des normes internationales (la moyenne

mondiale de 90%) et loin de l’objectif convenu par la BCT (70%).

Tableau 13. Taux de provisionnement des PNP en %

2005 2006 2007 2008 2009 2010 Egypte 51.0 76.2 74.6 92.1 100.4 - Jordanie 78.4 79.6 67.8 63.4 51.9 - Maroc 67.1 71.2 75.2 75.3 74.1 72.2 Tunisie 46.8 49.0 53.2 56.8 58.3 - Turquie 88.7 89.7 86.8 79.8 83.6 83.5

Page 19: Financier tunisien

19    

Source: FMI, Global financial stability report 2010.

VII- Quelle gouvernance pour éviter les dérives

Les modalités d’organisation et de fonctionnement du Conseil d’Administration, ainsi que ses

caractéristiques, sont susceptibles d’affecter la qualité du contrôle et l’efficacité de la gestion.

La place dévolue au Conseil d’administration conditionne, dans une large mesure, son rôle

dans l’édification d’un système de gouvernance bancaire créateur de valeurs et rigoureux.

A cet effet, la circulaire 2011-06 traitant des bonnes pratiques de gouvernance dans les

établissements de crédits a imposé une batterie de règles dont l’objectif est de rendre plus

efficace et saine la gestion des banques. Ainsi, la circulaire prône la séparation des pouvoirs

de contrôle et d’exécution, l’instauration de comités de contrôle et le relèvement de leur rang,

ainsi que l’encouragement de l’indépendance du conseil d’administration.

La séparation entre les pouvoirs de gestion et ceux de contrôle est également prônée par le

guide de bonnes pratiques de la gouvernance tunisien. Mais dans la pratique, les formes de

contrôle sont plutôt caractérisées par la dualité des fonctions. Sur les 10 banques cotées en

bourse, trois seulement ont adopté la séparation des fonctions. La prépondérance du cumul

des fonctions s’explique entre autre par la forte concentration du capital. D’ailleurs, dans ces

banques le pouvoir est détenu soit par l’Etat, directement ou indirectement, soit par des

familles, des groupes d’entreprises, des structures pyramidales ou des établissements

financiers étrangers.

En outre, la nouvelle circulaire a imposé la nomination d’au moins deux administrateurs

indépendants et au plus un administrateur dirigeant. Cependant, en Tunisie il semble que la

présence d’administrateurs externes est souvent recherchée pour des objectifs d’expertise

plutôt que dans une logique de sauvegarde des intérêts des actionnaires minoritaires ou de

contrôle des risques.

L’exercice de la fonction d’audit, notamment au sein des établissements de crédits a connu

une évolution importante en Tunisie. Sous l’impulsion de la Banque Centrale de Tunisie, les

institutions financières se sont activées à la mise en place de structures d’audit interne, dont

Page 20: Financier tunisien

20    

l’indépendance et l’étendue diffère d’une banque à l’autre. Il n’en demeure pas moins que

l’instauration de ces Comités d’audit qui a eu lieu de manière progressive a contribué à

l’émergence d’une culture de rendre compte indispensable à tout effort d’amélioration du

gouvernement des banques. Cette évolution a été également consolidée par le renforcement du

rôle de l’auditeur externe et l’instauration du co-commissariat aux comptes, obligatoire depuis

2008.

Malgré les efforts déployés, il reste beaucoup à faire sur le chemin d’une gouvernance au

diapason des normes internationales et qui répond aux exigences des changements socio-

politiques que connait le pays. Certes la nouvelle circulaire 2011-06 constitue un premier pas

dans le bon sens, le souci majeur est de s’assurer que ces règles et pratiques soient

effectivement mises en application dans toutes les banques.

Afin de compléter les actions déjà entreprises nous proposons une série de mesures

susceptibles d’améliorer davantage la gestion des banques et d’améliorer ainsi le financement

de l’économie nationale.

Il serait à cet effet opportun d’encourager l’adoption de systèmes de tarification sensibles au

risque. L’objectif étant de renforcer la culture risque et son utilisation sur une base au jour le

jour et dans les décisions de gestion, afin de renforcer le rôle des comités de risque et d’audit.

Il est également souhaitable de mettre en place des mécanismes de calcul des ratios

prudentiels qui favorisent les banques ayant mis en place effectivement des systèmes de

gouvernance interne avancés. Nous pensons notamment à la nécessiter de procéder à la

notation obligatoire de toutes les banques de la place.

Enfin, nous proposons la création d’un observatoire indépendant du respect des bonnes

pratiques dans les établissements financiers et de crédits. Son rôle serait principalement un

rôle d’information sans pouvoir régulateur afin de renforcer la discipline de marché et la

culture d’évaluation externe.

VIII- Niveau de supervision, et Indépendance de la Banque Centrale à

l’égard du pouvoir politique Donner un pouvoir accru aux autorités de supervision (Banque Centrale) est, d’un point de

vue théorique, bénéfique pour le développement et pour la stabilité du système financier.

Page 21: Financier tunisien

21    

En effet, les imperfections du marché peuvent être corrigées par la supervision officielle qui

constitue en quelque sorte un substitut à la faillite des mécanismes de marché et contribue

donc à la solidité du système financier.

Cependant, dans des environnements où la corruption est élevée et où les pressions politiques

sont importantes, un fort pouvoir de supervision peut se transformer en un fort pouvoir de

répression et de détournement des décisions au profit d’intérêts privés.

Tableau 14. Qualité de la supervision bancaire

Indice Capital Règlementaire

Pouvoir de supervision

Indépendance Contrôle privé

Egypte 4 14 2,6 8,4 Jordanie 6,6 14 2,2 8 Malaisie 4,2 11 2,4 8,8 Maroc 5,2 12,7 1 8,6 Tunisie 7 13 2 5 Turquie 6 15,5 1 9 A.du Sud 7,2 6 1,6 9,4 Source : Barth, Caprio et Levine (2008) et calculs des auteurs

Ce risque peut cependant être limité en augmentant l’indépendance de la Banque Centrale à

l’égard du pouvoir politique. Outre les gains en crédibilité que cela procure et leur impact sur

une politique de ciblage d’inflation, cette indépendance est de nature à limiter le risque de

détournement du pouvoir de supervision au profit des intérêts particuliers. Plusieurs études

démontrent que les pressions politiques sur les superviseurs, réduit leur capacité à mettre en

application les actions disciplinaires requises.

Cependant, la question de l’indépendance de l’autorité de supervision ne fait pas l’unanimité

dans les milieux politiques qui veulent toujours avoir le plus grand nombre de leviers. En

définitive, cela dépend essentiellement de la qualité des institutions politiques de chaque pays,

de la performance de ses institutions et du degré de respect des règles de droit. Nous pensons

que la période actuelle est favorable à l’augmentation de l’indépendance de la Banque

Centrale.

Dans le contexte tunisien, l’indépendance et la crédibilité de la Banque Centrale sont

essentielles pour une meilleure performance du système financier. La première tâche concerne

l’assainissement du portefeuille du crédit qui alourdit les bilans des banques et limite leur

efficience. Il semble impératif d’encourager davantage l’indépendance de la Banque Centrale,

Page 22: Financier tunisien

22    

particulièrement en prévision des changements politiques et économiques qui seront vécus au

cours de la prochaine période. A cet effet, le Gouverneur de la Banque Centrale devrait être

nommé par le Parlement et élu parmi des personnalités indépendantes. Nous pensons qu’i

serait opportun, également, de créer une instance de supervision en dehors de la Banque

Centrale. Cette indépendance vis-à-vis de l’exécutif serait indispensable à l’amélioration de la

supervision bancaire et une application rigoureuse de la réglementation en vigueur.

IX- Recommandations :

1. Accroissement de l’indépendance de la Banque Centrale à l’égard du pouvoir

politique.

2. Maintenir et afficher ostensiblement la volonté de réaliser la convertibilité totale du

dinar à un horizon raisonnable, malgré la faiblesse des réserves de change et malgré

l’existence d’un déficit commercial et d’un déficit courant structurels. Il s’agit

essentiellement d’envoyer un message de confiance en l’avenir à l’intention des

partenaires économiques et financiers de la Tunisie. Ce message s’adressera également

agences de Rating et aux marchés de capitaux sur lesquels le pays sera amené,

immanquablement, à lever des fonds. Le pire des scénarios serait que la pays perde

son « investment grade » et qu’il se retrouve totalement dépendant des agences

internationales (Banque Mondiale, BAD, Banque Européenne etc). Cette annonce est

également un mécanisme de gouvernance publique. Il sera interprété à l’intérieur

comme synonyme de la poursuite de la politique de rigueur.

3. Accroissement du pouvoir des banques en matière de fixation des taux d’intérêts. Il

s’agit de se diriger graduellement vers davantage de responsabilité et de concurrence.

4. Mise à la disposition des banques, par l’Etat, de lignes de crédit (modestes au départ)

afin d’accompagner les entreprises à l’international et notamment sur les marchés

arabes et d’Afrique subsaharienne.

5. Amélioration de la gouvernance des banques privées et publiques en impliquant des

administrateurs indépendants dans les Conseil d’Administration.

6. Création d’un observatoire indépendant du respect des bonnes pratiques dans les

établissements financiers et de crédits.

7. Mise en place des mécanismes de calcul des ratios prudentiels qui favorisent les

banques ayant mis en place effectivement des systèmes de gouvernance interne

avancés.

Page 23: Financier tunisien

23    

8. Encouragement de la décentralisation des décisions d’octroi de crédit vers les

directions régionales (tout remonte au siège actuellement) afin d’accroître l’inclusion

financière et l’accès au financement dans les régions intérieures.

9. Renforcement des capacités des banques en matière d’évaluation en développant les

fonctions « études et prospectives » (quasi inexistante actuellement) et en insufflant un

certain degré d’esprit entrepreneurial.

10. Favoriser l’installation de banques internationales. Le cadre actuel de négociations sur

la libéralisation des services avec les pays arabes et avec l’UE peuvent être utilisé afin

de mener cette réflexion.

11. Favoriser la création de banques régionales qui pourraient utiliser des lignes qui

seront mis à la disposition des régions afin de développer le concept de banque

entrepreneuriale.

12. Dynamiser le marché boursier en procédant à l’introduction en bourse des grandes

entreprises publiques à l’instar de la STEG, SONEDE, STIR, Groupe Chimique et la

CTN. L’Etat garderait cependant le contrôle des ces entreprises.

13. Imposer aux entreprises sous-capitalisées de procéder à des recapitalisations via des

augmentations de capital sur le marché.

14. Concernant la finance islamique, il serait souhaitable d’autoriser les banques

conventionnelles de créer des fenêtres islamiques afin de commercialiser des produits

conformes à la Shari’a. Ceci permettrait d’améliorer le niveau d’inclusion financière

notamment dans les régions intérieures du pays réputées pour être plus conservatrices

et dont l’accès aux services bancaires reste très limité.