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Financements alternatifs et monopole bancaire MEMOIRE DE STAGE MASTER II DROIT DES AFFAIRES SPECIALITE BANQUE & BOURSE Sous la direction de Monsieur le Professeur Richard MARTY et de Maître Erwan LACHETEAU Septembre 2014, Lauranne de Moucheron

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Financements alternatifs et monopole bancaire MEMOIRE DE STAGE MASTER II DROIT DES AFFAIRES SPECIALITE BANQUE & BOURSE

Sous la direction de Monsieur le Professeur Richard MARTY et de Maître Erwan LACHETEAU

Septembre 2014, Lauranne de Moucheron

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REMERCIEMENTS

Je souhaiterais tout d’abord remercier les deux grands messieurs qui m’ont donné envie de faire

du droit, parce que je les admire et qu’ils ont toujours pris le temps pour moi malgré leur emploi

du temps. Je voudrais remercier Maître Georges Lebey (†) et Maître Bertrand Boudevin.

Ensuite je remercie Monsieur le Professeur Richard Marty car il a été le premier à m’entrainer

jusqu’au bout dans des réflexions juridiques, il m’a appris à débattre, à contester, à douter du

droit mais aussi à être sûr de moi. Il est une référence pour moi.

Enfin parce qu’il ne faut jamais oublier d’où l’on vient, parce qu’elle est l’exemple d’une vie par

son courage et sa détermination, et parce qu’elle m’a toujours soutenue en dépassant de loin son

rôle, je souhaiterais remercier Sylvie Saillard, ma maman.

« Une idée fausse mais claire et précise aura toujours plus de puissance dans le monde qu'une

idée vraie mais complexe »

Alexis de Tocqueville

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SOMMAIRE

INTRODUCTION

I. Le financement corporate autorisé par la loi : une alternative

au financement bancaire

A. Les exceptions légales incomplètes au monopole bancaire

B. Les réelles exceptions légales au monopole bancaire

C. Les difficultés de se financer sans l’intervention d’une banque par

rapport à certains autres Etats

II. La mobilisation de créance : une technique indépendante de

l’opération de crédit

A. La volonté de cantonner la notion de mobilisation de créance à la

matière bancaire

B. Les titres cambiaires entrant dans le champ du monopole bancaire

C. La cession de créances : entre monopole et alternative

CONCLUSION GENERALE

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PRINCIPALES ABREVIATIONS - AEDBF : Association Européenne pour le Droit Bancaire et Financier

- al. : alinéa

- ann. : annexe

- AP : Assemblée plénière

- art. : Article

- assu. : assurance

- avr. : avril

- bull. : Bulletin

- C. : Code

- civ. : civil

- com. : commerce ou commerciale

- mon. fin. : monétaire et financier

- CA : Cour d’appel

- Cass. : Cour de cassation

- CE : Conseil d’Etat

- crim : chambre criminelle

- déc. : Décembre

- éd. : Edition

- Fasc. : Fascicule

- J. Cl : Juris-Classeur

- janv. : Janvier

- JCP : Juris-Classeur Périodique

- JCP G : Semaine juridique, Edition générale

- juill. : Juillet

- LGDJ : Librairie générale de droit et de jurisprudence

- LPA : Lefèvre Pelletier & associés

- nov. : novembre

- n° : Numéro

- oct. : Octobre

- ord. : Ordonnance

- p. : Page

- Rép. min. : réponse ministérielle

- RJC : Revue de jurisprudence commerciale

- sept. : septembre

- Somm. : sommaire

- V. : Voir

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AVANT PROPOS

Dans ce mémoire il sera évoqué le terme d’« établissement de crédit » ou de « banque »

pour désigner en réalité les établissements de crédit ainsi que les sociétés de financement ; et ceci

pour des raisons de simplicités. Ce choix est fondé sur l’ordonnance du 27 juin 2013 (modifiant

la rédaction de l’article L. 511-1 du Code monétaire et financier), transposant le règlement CRR

(Capital Requirement Regulation) du 26 juin de la même année, qui différencie désormais

l’activité de fourniture de crédit et la réception de fonds remboursables du public.

L’établissement de crédit est le seul à pouvoir exercer ces deux activités simultanément et il est

conféré à la société de financement un statut européen différent (non passeportable). Cependant

s’agissant de ce présent mémoire, les deux entités peuvent réaliser des opérations de crédit grâce

à l’agrément délivré par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. C’est la raison pour

laquelle elles seront indistinctement citées sous ces termes.

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INTRODUCTION

Il n’est pas possible d’évoquer la notion de financement sans penser à l’intarissable

« crise » des subprimes survenue en 2007, terme alimentant aujourd’hui les sujets médiatiques

quasiment tous les jours. Mais c’est bien cette crise financière qui a amené une réglementation à

outrance du secteur bancaire, entrainant ainsi une grande difficulté tant pour les entreprises que

pour les établissements de crédit à obtenir pour les uns, consentir pour les autres des prêts,

notamment depuis les contraintes imposées par les règles prudentielles européennes1 ; « le

secteur bancaire s’atrophie en Europe »2. C’est la raison pour laquelle il a fallu penser de

nouvelles méthodes pour se financer, des financements alternatifs au financement bancaire pour

relancer l’économie française. Alors, « Le monopole bancaire a-t-il vécu ? »3 Aujourd’hui la

pratique dispose de nombreux outils pour contourner les difficultés d’obtention d’un crédit

bancaire ; des outils variés touchant de nombreux domaines juridiques tels que le droit des

sociétés (avec les financements intragroupes), ou plus généralement le droit de la vente par

exemple, mais le problème est de pouvoir combiner ces outils conformément au droit.

S’agissant du financement par les marchés boursiers qui est le « lieu où se négocient […]

des instruments financiers tels qu’actions ou autres titres de capital ou de créance »4, il a été la

première source de financement de l’économie dans le monde. Cependant, il n’en sera pas fait

étude ici car d’une part le droit des marchés financiers normalise le financement des entreprises

en parallèle au droit bancaire ; et d’autre part car sa réglementation abondante ne permet pas de

nouvelles créations, l’entrée de nouveaux acteurs ou de nouvelles techniques de financement sur

ce fondement.

En marge du droit bancaire et boursier, s’est développé un shadow banking system5 pour

répondre aux besoins de refinancement de l’économie de manière occulte et parallèle aux circuits

bancaires classiques. Des fonds d’investissement se développent hors de toute contrainte

réglementaire, ce qui peut entrainer des risques.

1 La réforme dite de « Bâle III » du Comité de Bâle publiée le 16 déc. 2010. 2 F. AUTRET, « Le secteur bancaire s’atrophie en Europe », l’AGEFI Quotidien, 2013. 3 Les Echos, « Le monopole bancaire a-t-il vécu ? » 2012. 4 S. GUINCHARD, Lexique des termes juridiques, 20ème éd., Dalloz 2013, p.579.579. 5 M. ROUSSILLE, « Que reste-t-il du monopole bancaire ? », Mélange AEDBF IV, 2013, p.607.

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Le droit européen a défini un fonds d’investissement (ou Hedge funds) comme étant un

« organisme de placement collectif qui lève des capitaux auprès d’un certain nombre

d’investisseurs en vue de les investir, conformément à une politique d’investissement défini, dans

l’intérêt de ses investisseurs »6. Il existe une multitude de fonds ayant différentes formes

(personnalité morale ou non, copropriété), certains sont réglementés, d’autres non ; ils sont le

plus souvent spécialisés suivant l’objectif de leur intervention (investir dans des sociétés

sélectionnées, acquérir des créances). Le droit européen a tenté d’harmoniser le statut des fonds

d’investissement pour éviter des risques systémiques. Il a donc imposé aux fonds dépassant

certains seuils en matière d’actif (très faibles en matière d’investissement) de se soumettre à de

lourdes obligations par une procédure d’agrément, y compris s’il s’agit d’un fonds étranger

souhaitant commercialiser ses parts ou actions en France7. Cette réglementation, qui a pour but de

protéger les citoyens européens d’une nouvelle crise économique et de sécuriser les transactions

empêche pourtant certains acteurs importants d’investir en Europe.

Il sera donc nécessaire de se reposer sur des outils plus théoriques qui pourraient répondre

aux besoins économiques en France car ils créeraient de nouvelles techniques de financement. En

premier lieu les entreprises pourraient se refinancer sans une réglementation étouffante ; en

second lieu de nouveaux acteurs apparaitraient, diversifiant ainsi les sources de financement ;

enfin les établissements de crédit bénéficieraient de ces nouvelles techniques pour réattribuer des

crédits. De plus, ces outils permettraient indéniablement aux investisseurs étrangers de favoriser

l’économie française car ces techniques sont parfois déjà autorisées dans d’autres Etats.

Cependant, il n’est pas négligeable qu’en cas de création de nouvelles méthodes de

financement, une protection et donc un régime juridique soient établis de manière à éviter de

nouveaux risques systémiques. En effet il ne serait pas question de libéraliser complètement le

prêt aux entreprises, mais plutôt de prévoir un encadrement tel que des critères objectifs de fonds

propres minimaux par exemple. D’ailleurs certains auteurs sont en faveur de la mise en place

d’un régime général sur le « contrat de financement » pour répondre justement aux nombreuses

interrogations qui demeurent8.

6 Directive « Alternative Investment Fund Managers » (AIFM) 2011/61/UE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2001 ; transposée aux art. L214-1 et suivants C. mon. fin par l’ordonnance n°2013-676 du 25 juill. 2013. 7 art. L. 214-1-1 C. mon. fin. 8 L. AYNES, T. BONNEAU et J. STOUFFLET notamment, Le Contrat de Financement, éd. Litec, 2006.

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Le financement a donc besoin d’un nouveau souffle mais l’activité bancaire est saturée et

ce, en raison d’un principe essentiel de notre droit français : le monopole bancaire.

Le monopole bancaire « interdit à toute personne autre qu’un établissement de crédit ou

une société de financement d’effectuer des opérations de crédit »9, une opération de crédit est

définie comme « tout acte par lequel une personne agissant à titre onéreux met ou promet de

mettre des fonds à la disposition d’une autre »10. Par ces articles, il est possible de remarquer que

la mise à disposition de fonds est réservée aux établissements de crédit et aux sociétés de

financement car elle fait partie d’un monopole, le monopole bancaire. Cette interdiction pour les

autres entités de pratiquer des opérations de crédit est lourdement sanctionnée pénalement11.

Evidemment il n’est pas question ici d’étudier les opérations de crédit bancaires régies par le

Code monétaire et financier, mais plutôt de tenter de cerner et justifier des financements autres,

c’est-à-dire des financements alternatifs au prêt bancaire, une comparaison s’imposera donc.

La raison d’être du monopole bancaire est de protéger les débiteurs de la provenance ainsi

que de la destination des fonds et les établissements de crédit pour que chacun soient régis par les

mêmes règles. La volonté du législateur a donc été de définir largement les opérations de crédit et

de les réserver aux établissements bancaires12.

Toutefois, à la veille de la loi du 24 janvier 1984 consacrant le monopole bancaire, le

législateur n’avait pas idée des besoins de financement futurs auxquels seraient amenés les

entreprises, ni l’avènement de nouveaux acteurs, encore moins d’une crise financière ! Il est

évident qu’aujourd’hui les règles du monopole bancaire, pertinentes concernant la protection des

personnes physiques, ne sont plus en adéquation avec les besoins des entreprises ; un

assouplissement est donc attendu par l’ensemble des acteurs du financement. Certains pays ont

d’ores et déjà assoupli leur réglementation telle que l’Angleterre ainsi que les Etats du Benelux.

C’est la raison pour laquelle en attendant il devient nécessaire, d’envisager des modes alternatifs

au financement bancaire.

9 art L. 511-5 C. mon. fin. 10 art L. 313-1 C. mon. fin. 11 art L. 571-3 C. mon. fin. 12 Travaux préparatoires à la loi du 24 janv. 1984 « la définition des opérations de crédit sera extensive et inclura notamment des techniques telles que le crédit différé, le crédit-bail et plus généralement la location assortie d’une option d’achat, l’affacturage et tout procédé de mobilisation de créance existant ou à créer. » Rapport du Sénat n°486 deuxième session extraordinaire de 1982-83, ann. au procès-verbal de la séance du 7 juill. 1983, p.7.

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D’autant plus que le monopole bancaire a déjà été réduit concernant le marché des

paiements13 par une emprise européenne qui a imposé la primauté de l’espace européen des

paiements. Le législateur français a donc autorisé de nouveaux acteurs (les établissements de

paiements14 et les établissements de monnaie électronique15) à octroyer des prêts et ce, pour des

raisons d’opportunités : gérer des paiements et des comptes de paiements, sans pouvoir accorder

des crédits de faibles montants, freinerait l’activité de ces établissements. Mais il ne s’agit en

réalité que d’autorisations de découvert ponctuelles et limitées. De surcroit, certaines entités

telles que les entreprises du secteur de l’assurance, exploitent une autorisation implicite pour

consentir des crédits en marge du monopole bancaire ; même si elles doivent composer avec le

principe de spécialité qui leur est applicable16 pour pouvoir octroyer des crédits directement à des

emprunteurs. Il en va de même enfin pour les entreprises d’investissement (dans la limite du

service connexe : pour financer l’acquisition d’instruments financiers), mais aussi pour les

organismes de titrisation et les organismes de placement collectif en valeurs mobilières et

immobilières qui se livrent à des opérations s’apparentant à des crédits, économiquement à tout le

moins17. La brèche dans le monopole bancaire est donc ouverte, mais strictement encadrée.

Mais s’agissant de d’autres possibilités de se financer, d’une réelle alternative au

financement bancaire, est-elle possible sans violer le principe du monopole bancaire ? Une autre

entité qu’un établissement de crédit peut-elle en financer une autre ? Prêter ?

On peut répondre à la hâte qu’il soit déjà possible pour les entreprises de se financer sans

l’intervention d’une banque. Il est vrai que la loi autorise des exceptions au monopole bancaire

dans certains cas. Cependant, une étude comparative des différentes techniques offertes aux

entreprises de « s’autofinancer » (i.e. sans l’intervention d’une banque) permettra de démontrer le

peu de moyens légaux dont disposent les entreprises françaises aujourd’hui. Cela aura pour but

d’envisager de nouvelles possibilités pour répondre aux besoins des entreprises d’être financées 13 Directive 2007/64/CE, dite « SEPA » (Single Euro Payments Aera) du Parlement européen et du Conseil du 13 nov. 2007concernant les services de paiement dans le marché intérieur ; loi n°2013-100 du 28 janv. 2013 transposée à l’art. L. 311-3, al. 2 C. mon. fin. qui distingue désormais les services bancaires de paiement de l’émission de monnaie électronique. 14 art. L. 522-2, I, C. mon. fin. 15 art. L. 511-6, al. 1, C. mon. fin. 16 art. L. 321-1 C. assu. ; art. L. 211-7 C. mutualité ; art. L. 931-4 C. sécurité sociale ; décret n°2013-717 du 2 août 2013 relatif à certaines règles d’investissement des entreprises d’assurances pour leur permettre d’investir dans les prêts aux entreprises non cotées et aux collectivités publiques, directement ou au travers de fonds de prêts, dans la limite d’un ratio de 5 %. 17 art. L. 511-6, al 1 C. mon. fin.

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et ce pour que la France soit plus compétitive sur ce marché, comme peut l’être certains Etats

voisins.

D’une manière plus générale, s’agissant du financement en tant que tel, comme dans un

contrat de prêt, la première étape consiste en la mise à disposition de fonds, le prêteur (la

personne qui finance une opération, un projet) met à la disposition de l’emprunteur les fonds, à

charge pour ce dernier de les restituer selon les modalités définies par les parties.

Traditionnellement, la mise à disposition de l’article L. 313-1 du Code monétaire et financier

englobe la mobilisation de créances qui se définit comme une technique pour un établissement de

se procurer des liquidités auprès d’organismes financiers sans attendre l’échéance de ses

créances. Elle peut avoir diverses formes comme par exemple la cession de créance, l’escompte

des effets de commerce ou l’affacturage. Il sera nécessaire de démontrer que la mobilisation de

créances ne signifie pas nécessairement opération de crédit ; ce qui permettra de démontrer par la

suite qu’un financement alternatif est tout à fait possible sans violer le principe du monopole

bancaire.

L’objet sera donc ici de démontrer que les différents financements alternatifs sont définis

comme tels bien parce qu’ils sont une alternative au monopole bancaire par la démonstration

d’une part que des financements autres que bancaires sont acceptés par la loi (I) ; et d’autre part

que la mobilisation de créance n’est pas une opération de crédit en tant que telle soumise au

monopole bancaire (II).

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I. Le financement corporate autorisé par la loi : une alternative

au financement bancaire

Le Code monétaire et financier prévoit des exceptions au monopole bancaire par

lesquelles les sociétés peuvent se financer autrement que par une banque. Si peu d’exceptions

sont réellement prévues (B) lorsque d’autres sont incomplètement envisagées (A), il devient

nécessaire en France que d’une manière générale, le financement corporate soit admis (C).

A. Les exceptions légales incomplètes au monopole bancaire

A la lecture des dispositions prévoyant les exceptions au monopole bancaire, on s’aperçoit

que la technique du prêt est possible, pour certaines personnes seulement (2), par le biais du

compte courant d’associés (1).

1. Le prêt par le biais de comptes courants d’associés

Le Code monétaire et financier réserve la réception de fonds du public aux établissements

de crédit18 ; la réception de fonds du public est définie dans le Code monétaire et financier

comme « les fonds qu’une personne recueille d’un tiers […] à charge pour elle de les

restituer »19 mais il précise ensuite que certains fonds échappent à cette définition et donc au

monopole bancaire. En effet il s’agit des « fonds reçus ou laissés en compte par les associés en

nom ou les commanditaires d’une société de personnes, les associés ou actionnaires détenant au

moins 5 % du capital social, les administrateurs, les membres du directoire et du conseil de

surveillance ou les gérants ainsi que les fonds provenant de prêts participatifs » ; ainsi que des

« fonds qu'une entreprise reçoit de ses salariés sous réserve que leur montant n'excède pas 10 %

de ses capitaux propres ».

Cette exception légale a conduit à la technique du prêt par le biais de comptes courants

d'associés. Il s’agit d’une création de la pratique permettant aux associés de financer la société en

lui consentant des avances et/ou en lui laissant à sa disposition le montant des intérêts, dividendes

et rémunérations qui leur sont dus ; les sommes ainsi prêtées sont inscrites sur des comptes

ouverts au nom des associés dans les livres sociaux. 18 art. L. 511-5 C. mon. fin. 19 art. L. 312-2 C. mon. fin.

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Du point de vue de la société, l'avance en compte courant s'apparente donc à une

opération de « réception de fonds du public », mais ne sont pas considérés comme le « public »

les associés ou actionnaires détenant au moins 5 % du capital social au même titre que les

associés en nom ou les dirigeants des sociétés. La société peut donc légalement recevoir de ces

personnes des fonds. Cela se justifie par le degré d'implication desdites personnes dans la société.

L'implication d'un associé en nom dans une société de personne ne fait pas de doute en raison de

sa responsabilité illimitée et solidaire au même titre que les dirigeants qui sont les mieux placés

pour connaître la situation de la société au point de ne pouvoir en être dissociés20.

Du point de vue de l’associé qui consent l’avance, cela s’apparente à une opération de

crédit (article L. 313-1 du Code monétaire et financier) car il s’agit bien de la mise ou de la

promesse de mettre des fonds à la disposition de la société. Cependant cet article prévoit bien

qu’une opération de crédit est considérée comme telle que lorsqu’elle est exercée à titre onéreux

et de manière habituelle. C’est la raison pour laquelle les avances non rémunérées par un intérêt

ne sont pas considérées comme des opérations de crédit et si elles le sont, mais de manière

exceptionnelle, cela n’entachera également pas le monopole bancaire. En effet, s’agissant des

personnes énumérées à l’article L. 312-2, 1° et 2° du Code monétaire et financier (concernant la

réception de fonds) il est logique qu’elles puissent pratiquer des avances en compte courant

d’associé rémunérées et de manière habituelle, car il serait incohérent que le législateur autorise

des sociétés à recevoir de tels fonds mais qu’il interdise aux personnes concernées de prêter ces

dits fonds21.

Le législateur a donc prévu une exception légale au monopole bancaire qui s’explique par

le besoin pour les entreprises de se financer. Il est en effet bienvenu pour les différents membres

d’une société de pouvoir participer à son financement car ils sont à même de connaitre ses

besoins. L’unique, mais non le moindre, inconvénient de cette ouverture au financement

corporate reste qu’il soit étroitement réservé à certains membres de l’entreprise. Il est regrettable

qu’une telle alternative au financement bancaire ne soit pas envisageable pour l’ensemble des

membres qui forment une structure ayant des besoins financiers.

20 A. SCHRICKE, « A propos des fonds reçus en compte courants d’associés », mélange AEDBF III, p.279. 21 A SCHRICKE, art. précité.

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2. La situation des « tiers » prêteurs par compte courant d’associés

L’exception au monopole bancaire prévoyant un financement alternatif (le financement

corporate) prévu par l’article L. 312-2, 1° et 2° précédemment cité n’est réservée qu’aux

« associés ou actionnaires détenant au moins 5 % du capital social, les administrateurs, les

membres du directoire et du conseil de surveillance ou les gérants » ainsi que les salariés (selon

certaines modalités qui ne seront pas traités ici). Cela signifie que toute personne qui ne

détiendrait pas au moins 5 % du capital social d’une société ou qui ne ferait pas partie de ses

dirigeants22 serait considérée comme tierce et entrerait dans la notion de « public »23. Alors si

cette catégorie de personne concédait un prêt de manière habituelle et rémunérée à une société,

elle engagerait sa responsabilité car elle violerait le principe du monopole bancaire.

Cependant, il est récurrent que des personnes intéressées au devenir d’une société, mais

ne répondant pas aux conditions définies ci-dessus, souhaitent également lui avancer des fonds,

souvent pour une courte période (en préparation d’une éventuelle prise de participation par

exemple). Cette opération pourrait se révéler dangereuse pour le « tiers prêteur » comme pour la

société bénéficiaire car le non-respect du monopole bancaire entraine de lourdes sanctions

pénales, tant pour l’auteur de la faute que pour son complice24. Et ce, bien que la Cour de

cassation ne sanctionne pas l’infraction aux dispositions légale par la nullité de l’opération25,

c’est-à-dire que les parties engagent leur responsabilité et la société bénéficiaire est également

obligée de rembourser le prêt litigieux.

Les exceptions au monopole bancaire sont donc strictement limitées. Toutefois une

explication est possible : d’une part, le seuil de participation au capital prévu par la loi à 5 % vise

à interdire la collecte de fonds auprès du public par des sociétés commerciales « qui masquerait

cette opération de nature bancaire par une participation symbolique au capital »26 ; d’autre part,

les avances consenties par un associé personne physique peuvent être considérées comme une

22 Entendu largement comme « les administrateurs, les membres du directoire et du conseil de surveillance ou les gérants » art. L. 312-2,1° C. mon. fin. 23 art. L. 511-5 C. mon. fin. 24 art L. 571-3 C. mon. fin 25 AP, 4 mars 2005, n°03-11.725. 26 J. Cl Banque Crédit Bourse, Fasc.50, « Structures, réglementation et contrôle public des professions bancaires », n°10.

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activité exercée à titre occasionnel27 car pour lui, il s’agit d’une activité isolée, avant tout motivée

par la solidarité le liant économiquement à l’entreprise28. Enfin, dans tous les cas, la

jurisprudence semble permettre certains financements sur le fondement de la notion d’habitude

car elle considère que le fait pour une personne non agrée de consentir plusieurs prêts à titre

onéreux à une même personne n’est pas constitutif d’une atteinte au monopole bancaire29.

Par conséquent la réelle interdiction porterait donc sur l’associé personne morale détenant

moins de 5 % du capital social et s’il s’agit de financements habituels et rémunérés. Rappelons le,

le monopole bancaire protège essentiellement les emprunteurs car il permet, grâce à l’agrément,

d’avoir une sécurité quant à la provenance des fonds. S’agissant des prêts par le biais d’un

compte courant d’associés, une interdiction vise à protéger la société bénéficiaire d’un associé

personne morale dont le seul but serait de récupérer un intérêt sur le prêt consenti sans prendre en

compte l’intérêt social. De plus, tout associé peut exiger le remboursement de son avance en

compte courant, à tout moment, sauf clause statutaire ou convention contraire30. Mais il est donc

possible de prévoir conventionnellement que l’associé prêteur ne pourra exiger un

remboursement sans remplir certaines conditions selon le principe de la liberté contractuelle. Le

seuil des 5 % semble alors être une interdiction trop générale empêchant certaines sociétés de

financer des entreprises en prenant des participations dans son capital, des sociétés qui n’auraient

pour but que de financer la société (en contrepartie d’un intérêt) lorsque les établissements de

crédit ne peuvent le faire.

Dans tous les cas le seuil des 5 % reste un rempart aux abus par des associés personne

morale. Et même s’il serait possible de trouver une autre restriction pour arriver aux mêmes fins

(i.e. empêcher les abus tout en permettant un financement corporate plus efficace et plus large),

cela reviendrait à complexifier le droit. Heureusement il existe de réelles exceptions légales au

monopole bancaire, permettant le financement des sociétés françaises.

27 I. URBAIN-PARLEANI, « Les comptes courant d’associés », LGDJ bibl. de droit privé 1986 p.101 n°138. 28 I. URBAIN-PARLEANI, art. précité, p.85 n°114. 29 Cass. com., 3 déc. 2002, n°00.16.957, « le fait pour une personne non agrée de consentir à titre habituel sur [une période de neuf ans] neuf prêts successifs contenant la mise à disposition de fonds à titre onéreux à la disposition d’un même client [n’est pas constitutif d’une atteinte au monopole bancaire] ». 30 Cass. com., 24 juin 1997, n°95-20.056 ; Cass. com., 8 déc. 2009, n°08-16.418.

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B. Les réelles exceptions légales au monopole bancaire

Il est important d’admettre que le monopole bancaire connait une réelle exception (1) et

que récemment son principe a (enfin) commencé à être atteint par de nouveaux procédés (2).

1. Le financement intragroupe : le Cash-pooling

S’agissant des opérations intragroupes, le Code monétaire et financier31 autorise toute

entreprise à « procéder à des opérations de trésorerie avec des sociétés ayant avec elle,

directement ou indirectement, des liens de capital conférant à l’une des entreprises liées un

pouvoir effectif de contrôle ». La loi n’a pas défini le « groupe de société » en tant que tel mais il

est possible de définir ce terme comme « un ensemble de sociétés juridiquement indépendante,

mais formant une même entité économique en raison de liens financiers étroit »32. La loi permet

donc à des sociétés d’un même groupe, que ce soit d’une part dans une relation de sociétés

mère/fille ayant « directement » un lien capitalistique ; ou d’autre part dans une relation de

sociétés sœurs, c’est-à-dire sans lien direct de participation entre elles, de s’aider par le biais de

concours financiers sans entacher le principe du monopole bancaire.

Il s’agit d’une réelle exception au monopole bancaire prévue et encadrée par la loi. En

effet même si la notion d’opération de trésorerie n’est pas définie légalement, la majorité de la

doctrine33 s’accorde pour lui donner un champ d’application extensif (d’autant plus que le

législateur a laissé une liberté d’interprétation par la rédaction large de cet article). Dans tous les

cas, l’opération de trésorerie se rattache indéniablement à des notions comptables et financières,

ce qui permet d’affirmer qu’elle constitue une réelle opération de crédit.

Les sociétés peuvent donc se financer entre elles lorsqu’elles font partie d’un même

groupe, qu’elles qu’en soient les modalités car le législateur n’a pas prévu d’exception à cette

autorisation. L’alternative au financement bancaire par le financement intragroupe semble donc

ouverte largement. La seule restriction à ce type de financement corporate ne dépend pas du droit

31 art. L. 511-7,3° C. mon. fin. 32 S. GUINCHARD, Lexique des termes juridiques, 20ème éd., Dalloz 2013, p.461. 33 D. OHL, les opérations de trésorerie de l’art. 12-3 de la loi du 24 janv. 1984, la trésorerie et le financement des entreprises, RJC n° spé nov. 1989 p.34 ; J-M. MOULIN, groupe de sociétés : opérations de trésorerie, bull. joly sociétés n°4, avril 2004 p.503 ; contra V. C. GAVALDA & J. STOUFFLET, la loi du 24 janv. 1984 relative à l’activité et au contrôle des établissements de crédit, LPA 18 mai 1984 n°60 ; P. BOUTEILLER, groupe de sociétés : centralisation des opérations de trésorerie JCP E 2001 n°42, 18 oct. 2001 p.1658.

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bancaire mais provient du droit des sociétés. En effet il est important qu’un tel financement

réponde à l’intérêt social tantôt du groupe, tantôt de la société prêteuse34.

Le financement intragroupe peut s’illustrer par le cash-pooling, mécanisme juridique

permettant une gestion centralisée des comptes des sociétés d’un groupe : les différentes parties à

la convention de centralisation de trésorerie vont effectuer une remontée (mouvement upstream)

de leur excédent de trésorerie, vers un compte centralisateur d’une société pivot ; lorsqu’elles

disposeront d’un solde débiteur, le flux financer sera inverse (mouvement dowstream) et ce sera

la société pivot qui fera redescendre la trésorerie nécessaire pour établir un solde prédéfini dans la

convention. Ce mécanisme est clairement considéré comme une alternative au prêt bancaire car il

offre un accès au financement et à la liquidité. En effet la société centralisatrice peut avoir un rôle

de banque interne (les grands groupes créent eux-mêmes parfois une société financière voire leur

propre banque comme par exemple le groupe Renault-Nissan ou Peugeot-Citroën) et le groupe

peut ainsi réduire ses besoins de financements externes et ses frais financiers.

La société centralisatrice peut donc recevoir des fonds des entités du groupe par les

excédents de trésorerie et mettre à leur disposition des fonds par la suite ; tout cela de manière

habituelle et en se faisant rémunérer de ses avances de la même manière qu’un contrat de prêt

puisqu’il s’agit d’un intérêt sur les sommes prêtées (cette rémunération est nécessaire dans le

mécanisme de cash-pooling pour éviter qu’il soit considéré comme un acte anormal de gestion ou

qu’il soit annulé en raison de la violation de l’intérêt social35).

Le financement intragroupe en général est donc une réelle alternative au financement

bancaire, il est une exception au monopole prévu légalement par l’article L. 511-7, 3°

précédemment cité. Cette alternative est bien une preuve que le financement n’est pas réservé

exclusivement aux banques. De plus cette autorisation législative est nécessaire pour aider les

entreprises à se développer lorsque l’intervention bancaire devient difficile. S’agissant du

mécanisme du cash-pooling en particulier, il s’agit de la possibilité pour des sociétés d’effectuer

de réelles opérations de crédit sans entacher le monopole bancaire. Le seul inconvénient réside

dans le fait que cette possibilité ne soit ouverte qu’aux sociétés formant un groupe. Cependant, il

semble que récemment, le monopole bancaire ait connu un profond bouleversement.

34 V. infra, p. 20. 35 Cass. com., 21 janv. 1997, n°94-18.883.

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2. La récente possibilité d’un financement participatif : le Crowdfunding

En s’inspirant d’un phénomène récemment né aux Etats-Unis, le droit français a enfin

ouvert cette année le financement à d’autres acteurs que le secteur bancaire en autorisant la

collecte de fonds auprès de toute personne acceptant de participer au financement d’un projet.

Il s’agit du financement participatif (ou crowdfunding qui signifie littéralement « le

financement par la foule »36) qui est un mode de financement désintermédié permettant au public

de financer un projet par des moyens informatiques. Cette méthode de transaction financière peut

apparaitre sous la forme de prêt, de don ou encore de financement participatif en capital. En

France le financement participatif est relativement jeune et sa réglementation a été complétée

récemment37. Avant sa consécration légale, cette technique de financement était déjà utilisée en

France mais de nombreuses insécurités demeuraient, notamment la crainte de tomber sous le

coup de la réglementation bancaire (en effectuant des opérations s’apparentant à du crédit) ou

financière (notamment par le placement et l’offre de titre au public). Même si ces peurs n’étaient

pas toutes fondées, le droit français est intervenu pour répondre aux besoins de la pratique.

Mais le crowdfunding reste très encadré et contraignant, notamment pour l’exercice

même du financement participatif. En effet un intermédiaire en financement participatif (IFP) est

nécessaire pour mettre en relation les porteurs d’un projet et les personnes le finançant et il ne

peut s’agir que de personnes morales38, elles ne doivent être prévues que pour l’intermédiation en

financement participatif ou être un établissement de crédit au sens de l’article L. 511-1 du Code

monétaire et financier. Cette réglementation stricte a pour but de protéger les financeurs quant à

la destination de leurs fonds ainsi que leur assurer le remboursement des sommes prêtées. Par

conséquent, les « prêteurs » doivent passer par des structures intermédiaires.

Le nouveau texte a donc assoupli le monopole bancaire pour faciliter le recours à la

technique du prêt par de nouveaux acteurs. Par cette nouvelle règle les banques doivent

désormais partager la distribution du crédit et le financement de l’économie avec les IFP.

36 M. ROUSSILE, « Echos de la pratique, 3 questions le Crowdfunding », La semaine juridique, Entreprise et Affaires, LexisNexis, n° 27, 2013, p.7. 37 ord. n°2014-559 du 30 mai 2014. 38 art. L. 548-2 C. mon. fin.

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Cependant la majorité de la doctrine n’est pas satisfaite de cette réforme39, pour eux, il s’agit

juste d’un régime prudentiel dérogatoire pour certains établissements et ce pour des petits

financements. En effet, les règles applicables en matière de blanchiment de capitaux resteraient

les mêmes par exemple. Il ne s’agit ni plus ni moins de la création d’une nouvelle catégorie

d’établissements de paiement donc on ouvre la porte au financement alternatif, pour y faire entrer

un nouvel acteur, mais on la referme directement après pour éviter la fin du monopole bancaire ;

de la même manière que ce qui a déjà été fait concernant les entreprises d’assurance et les

sociétés de financement par exemple40.

De plus, il ne s’agit pas d’une réforme « franche » car le gouvernement souhaite procéder

progressivement41, ce qui ne satisfait pas non plus la doctrine. Selon D. Stucki, les axes de la

réformes proposée « paraissent encore éloignés des attentes des professionnels même s’ils vont

dans le bon sens »42. En effet il s’agit d’une grande avancée de permettre ce financement

participatif mais il existe encore trop de restrictions et les questions ne sont pas toutes résolues.

Par exemple, s’agissant des fonds d’investissement (réels acteurs pouvant participer

efficacement au financement de l’économie française) qui sont également intéressés par le fait de

prendre des participations et de profiter d’un catalogue de projets présentés et déjà qualifiés,

peuvent-ils prêter ? Il semblerait que la réponse soit positive car aucune restriction n’est prévue

pour les prêteurs. Cependant, il serait profitable pour eux qu’ils puissent constituer directement

leur propre plateforme d’intermédiation en financement pour qu’ils soient réellement attirés par

cette nouvelle technique car ils pourraient espérer un meilleur retour sur investissement en évitant

des intermédiaires tels que les IFP.

Cette nouvelle technique française devrait s’inspirer des Etats-Unis où elle existe et est

réglementée depuis longtemps. Un assouplissement a même d’ailleurs été prévu avec le Jobs Act

du 5 avril 2012 pour répondre aux besoins de la pratique. La France est donc en retard sur la prise

en compte de la nécessité de permettre largement le financement de ses entreprises.

39 D. STUCKI, art. cité ci-après ; M. ROUSSILE, art. précité ; C. SAIDANI, « Un encadrement légal du crowdfunding se dessine », Dictionnaire permanent 2013, Epargne et produit financier, bull. 463. 40 art. L. 511-1 C. mon. fin. pour les sociétés de financement ; décret n°2013/717 du 2 août 2013 pour les compagnies d’assurance. 41 Certaines dispositions ne seront effectives qu’à compter du 1er juill. 2016. 42 D. STUCKI, « Crowdfunding ou finance participative : un cadre juridique trop contraignant », Opinions, La Tribune, 2013, p.101.

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C. Les difficultés de se financer sans l’intervention d’une banque par

rapport à certains autres Etats

En observant au-delà de nos frontières (1), il sera possible de démontrer que l’accès au

financement corporate reste possible, et recommandé même s’il présente de nombreuses

conditions (2).

1. L’accès au financement en droit comparé

Le droit français a donc défini les établissements de crédit et leur impose l’obtention d’un

agrément pour bénéficier d’un monopole bancaire aux risques d’encourir des sanctions (il en va

de même pour les droits allemand43, polonais ou encore brésilien44). Cependant, tous les Etats

n’ont pas les mêmes définitions et donc n’appliquent pas le même régime.

S’agissant du droit européen, il prévoit un agrément administratif pour devenir un

établissement de crédit (qui est définit comme « une entreprise dont l'activité consiste à recevoir

du public des dépôts ou d'autres fonds remboursables et à octroyer des crédits pour son propre

compte »45). Cependant, il n’est évoqué à aucun moment la notion d’un monopole réservé pour la

pratique de certaines opérations. Ceci s’explique par le fait que le droit européen soit

nécessairement plus large que celui des Etats-membres pour satisfaire à toutes les exigences. Cela

signifie donc deux choses : la première, qu’il n’est pas universel qu’un ordre juridique mette en

place un monopole bancaire pour réserver certaines opérations à certaines entités ; la seconde,

qu’il n’existe aucune source supralégislative qui impose au droit français de mettre en place un

tel principe. Un changement de législation est par conséquent techniquement envisageable.

S’agissant des différents autres ordres juridiques que la France, il est des droits étrangers

qui ne prévoient aucun monopole bancaire tels que le droit suédois46 ou suisse47. Ces deux Etats,

qui sont des références d’un point de vue économique, permettent donc le financement alternatif

43 Loi bancaire allemande, art.32. 44 Loi brésilienne n°4.595 du 31 déc. 1964 sur le système financier ; art. 119 du C. com. brésilien. 45 Première Directive 77/780/CEE du Conseil, du 12 déc. 1977 visant à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et son exercice, art. 1, aujourd’hui réunie dans la Directive 2013/36/UE du 26 juin 2013. 46 Délivrance d’une autorisation pour l’activité bancaire mais l’activité privée concurrentielle est possible. 47 Délivrance d’une autorisation par le Canton du siège ou de l’exercice principal d’activité pour les institutions non soumises à la loi sur les banques. Autorisation valable dans toute la Suisse.

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au financement bancaire. A l’opposé le droit grec prévoit un monopole absolu pour les

établissements de crédit quant à la distribution du crédit48 (alors que récemment les banques

grecques n’ont pas prouvé leur résistance financière).

S’agissant du droit anglais, il n’est prévu un agrément que pour les crédits consentis à des

consommateurs49 ou pour la réception des dépôts (aucun monopole n’est donc prévu pour le

financement en tant que tel, sauf si celui-ci est effectué avec l’aide de dépôts). Il en va de même

pour le droit belge qui ne réserve un monopole que pour le droit de la consommation50. Enfin

s’agissant du droit américain, il n’y a pas de monopole bancaire pour effectuer des opérations de

crédit. Les Etats-Unis permettent largement l’accès au financement (ce qui répond à sa

qualification d’Etat capitaliste). En effet, le Gramm Leach-Bliley Act Financial Services

Modernisation Act de 1999 qui a donné naissance au secteur financier en ouvrant l’activité

bancaire à la concurrence privée.

Le monopole bancaire n’est donc pas absolu, tout d’abord parce qu’il n’existe pas dans

tous les Etats, ensuite parce que des dérogations sont parfois prévues (exception pour certains

établissements non bancaires, la nécessité d’une habitude et d’une rémunération par exemple),

enfin parce que certains pays ont d’ores et déjà assoupli leur réglementation telle que

l’Angleterre51 ainsi que les Etats du Benelux. C’est la raison pour laquelle il devient nécessaire,

d’envisager des modes alternatifs au financement bancaire pour permettre aux entreprises

françaises de faire face aux difficultés économiques.

48 Loi grecque 2076/1992, art 4. 49 Consumer credit agreements (crédit à la consommation) pour un montant inférieur à £ 25.000. 50 Loi belge du 12 juin 1991 sur le crédit à la consommation. 51 Jobs Act du 5 avril 2012, V. supra.

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2. Le respect du droit des sociétés pour autoriser le financement corporate

Nous venons de constater que le financement corporate comme financement alternatif à

l’intervention d’une banque dans le développement d’une entreprise était possible, lorsque la loi

l’autorise et qu’il était même souhaitable d’étendre encore d’avantage ce mode de financement.

Toutefois il est nécessaire de rappeler que cette alternative au financement bancaire n’est

pas sans risque pour les acteurs concernés. D’une part, le respect des conditions imposées par la

loi que nous venons d’exposer évite d’être sanctionné ; d’autre part il est également des

conditions essentielles que les sociétés parties à un financement doivent respecter, qui dépendent

du droit des sociétés. La première condition, évidente, concerne l’objet social de la société qui

prête ; son objet doit nécessairement inclure la fonction de prêter (au risque que ce soit la société

qui soit engagée s’il s’agit d’une société de capitaux ; ou la responsabilité de la personne étant à

l’origine de ce dépassement d’objet qui soit engagée pour les autres types de sociétés52). La

seconde condition essentielle est le respect de l’intérêt social, non seulement de la société

emprunteuse, mais également, le cas échéant, du groupe (dans le cash-pooling par exemple).

Tout d’abord il est important de préciser que l’intérêt social est un concept forgé par la

jurisprudence et il n’existe pas de définition en tant que telle de cette notion (la doctrine retient

d’ailleurs plusieurs conceptions). On peut considérer d’une manière large qu’il s’agit de « ce qui

est bon, ce qui est opportun, avantageux, bénéfique [pour la société] ; se distingue d’un droit »53.

Ainsi, un acte contraire à l’intérêt social pourra être annulé, ou emporter la qualification d’abus

de biens sociaux ou d’acte anormal de gestion54.

S’agissant de l’intérêt social dans un groupe de société, qui n’a pas la personnalité morale,

il est important de ne pas négliger chaque intérêt des sociétés le constituant, car « l’intérêt du

groupe à lui seul est sans valeur et ne saurait justifier ni abus de majorité ni un abus de biens

sociaux »55. Alors les intérêts peuvent diverger, le transfert de fonds peut être conforme à l’intérêt

du groupe et néfaste pour l’une de ses sociétés (qui peuvent pourtant être contraintes par la

52 art 1850 C. civ., pour les sociétés à risque illimités ; art. L. 223-18 C. com., pour les sociétés à risques limités. 53 G. CORNU, Vocabulaire juridique, 10ème éd., Puf 2014, p.563. 54 Cass. com., 8 nov. 2011, n°07-11.785, par exemple concernant un contrat de cautionnement mais concerne tous les actes sociaux. 55 D. OHL, « Les prêts et avances entre sociétés d’un même groupe », Collection Bibliothèque de droit de l’entreprise, Litec, 1982, p.201.

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société mère par exemple), au risque que l’opération soit qualifiée d’abus de majorité. Deux

conditions sont nécessaires pour retenir cet abus : le non-respect de l’intérêt social et une rupture

d’égalité entre les membres du groupe56. Cependant il est possible que l’intérêt du groupe puisse

être supérieur à celui d’une seule société dès lors que l’opération est justifiée par un intérêt

économique, social ou financier commun dans le cadre de la politique du groupe de société57.

Il est donc nécessaire de s’intéresser à l’intérêt qu’une société pourrait avoir à prêter à

une autre. Cet intérêt peut se traduire par une contrepartie, qu’elle soit financière (sous la forme

d’un intérêt) ou dans ses relations capitalistiques (directs ou non) avec la société débitrice

(lorsque par exemple une société prête à sa sœur car ses difficultés économiques peuvent la

contaminer, en raison de leurs relations commerciales).

Enfin, le droit des sociétés apporte une dernière condition essentielle quant à la validation

d’un financement corporate, il s’agit des conventions réglementées. Il s’agit dans les sociétés

anonymes de « toute convention intervenant directement ou par personne interposée entre la

société et son directeur général, l’un de ses directeurs généraux délégués, l’un de ses

administrateurs, l’un de ses actionnaires disposant d’une fraction des droits de vote supérieur à

10 % ou, s’il s’agit d’une société actionnaire, la société contrôlant au sens de l’article L. 233-3,

doit être soumise à l’autorisation préalable du conseil d’administration »58. Toute convention

non conclue pour des opérations courantes à des conditions normales doit donc faire l’objet d’une

autorisation du conseil d’administration59. Toutefois la jurisprudence considère qu’une

convention de trésorerie classique échappe à la procédure des conventions réglementée60. Mais

puisque l’interprétation de « conditions normales » reste très large, il est préférable de soumettre

toute opération de financement corporate à l’autorisation préalable du conseil d’administration.

La loi autorise donc des exceptions au monopole bancaire pour permettre aux entreprises

de se financer par le biais soit de ses associés, soit d’un groupe de sociétés soit enfin du public.

Cependant, force est de constater que ce mode alternatif de financement est très encadré par la

loi, et ne permet donc qu’à très peu d’acteurs non bancaires de participer au financement d’une

56 Cass. com., 18 avril 1961, affaire « Etablissements Piquard », bull. civ. IV n° 175. 57 Cass. crim., 4 février 1985, affaire « Rozenblum », n°84-91.581. 58 art. L. 225-38 C. com. 59 art. L. 225-39 C. com. 60 CA Versailles, 2 avril 2002, Juris-Data n02002-191985.

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entreprise. D’autant plus que consentir des crédits n’est pas une profession habituelle pour ces

« prêteurs », le monopole bancaire n’est donc pas réellement atteint. Il est donc prédominant en

France, à la différence de certains autres Etats, plus soucieux du bon fonctionnement de leur

économie. Mais qu’en est-il des personnes et des techniques qui ne sont pas prévues par la loi ?

Après avoir observé les différentes personnes permises par la loi pour financer une société, il est

nécessaire d’étudier les différentes techniques qui à première vue sont réservées au secteur

bancaire, mais qui pourraient être exercées par d’autres personnes, au regard du droit de la vente

ou de la circulation des obligations. Il sera question à présent de démontrer que des acteurs

comme les fonds d’investissement par exemple, peuvent financer les entreprises françaises, en

France, par la technique de la mobilisation de créance.

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II. La mobilisation de créance : une technique indépendante de

l’opération de crédit

La mobilisation de créance est très réglementée en droit bancaire (A) si bien que de

nombreuses techniques de mobilisation entrent dans le champ d’application du monopole

bancaire (B) ; toutefois, il est possible parmi les diverses techniques de mobilisation de trouver

une alternative au financement bancaire (C).

A. La volonté de cantonner la notion de mobilisation de créance à la

matière bancaire

Les contours ambigus de la notion de mobilisation de créance (2) ainsi que le champ

territorial restrictif du monopole bancaire sur ce point (1) amènent à penser que le législateur a

souhaité cantonner cette technique au secteur bancaire.

1. Le champ territorial du monopole bancaire face à la mobilisation

L’activité de crédit subit depuis quelques temps une forte internationalisation alors que

l’accès aux opérations de crédit reste de manière générale soumis à des règles territoriales d’ordre

public régissant les institutions habilitées à consentir des crédits. L’analyse pertinente ici n’est

pas classiquement celle de la détermination de la loi du contrat mais celle du champ d’application

territoriale de la loi bancaire qui est représenté par le principe du monopole bancaire. Ce

monopole est réservé aux établissements de crédit français auxquels sont assimilés les

établissements bénéficiant du passeport européen61. Cependant, s’agissant des établissements

hors de l’Union européenne, ils doivent, pour exercer des opérations de crédit en France, obtenir

l’agrément des autorités françaises, alors même qu’ils bénéficient d’un agrément dans leur pays.

Cette exigence française n’est pas d’influence européenne : la deuxième directive bancaire

n’exige un agrément que pour les établissements recevant des fonds du public. La France a

conservé le principe du monopole bancaire en ne modifiant que certaines exceptions.

61 Directive n°89/646 du 15 déc. 89 aujourd’hui codifiée dans la Directive n°2000/12/CE.

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Cette exigence territoriale emporte de lourdes conséquences en matière de mobilisation

concernant les syndications à l’international. En effet, comme l’explique Maître Adelle62, chaque

participant lors d’une syndication acquière la qualité de prêteur et le monopole s’applique et ce

même en cas de substitution partielle ou totale de d’autres organismes financiers lors de la mise à

disposition des fonds (lorsqu’un crédit fait l’objet d’une prise ferme de la part des arrangeurs

et/ou agents qui syndiquent le crédit avant décaissement). En effet la substitution étant

concomitante à la réalisation des conditions suspensives au crédit, chacun de ces établissements

participe au décaissement et acquiert la qualité de prêteur. De même pour la sous-participation,

alors qu’elle n’est pas une opération de crédit vis-à-vis de l’emprunteur, il s’agit d’un

refinancement du prêteur originel, le sous-participant doit donc justifier d’un agrément pour

effectuer ce type d’opération de façon habituelle. Enfin concernant les cessions de participations

dans des crédits dans lesquels subsistent des droits de tirages, il s’agit d’une cession de contrat

(alors que si le crédit a été entièrement tiré, il s’agit d’une cession de créances63) qui constitue

donc une opération de crédit elle aussi, entrant dans le champ du monopole bancaire. Sur ce point

il existe quelques exceptions : la loi autorise les organismes de titrisation (OT) et les organismes

de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) à acquérir des créances de prêt auprès

d’établissements de crédit pour permettre à ces derniers d’améliorer leurs ratios de solvabilité64.

Toutefois le facteur de rattachement d’une opération de crédit au territoire français n’est

pas circonscrit avec précision. La jurisprudence pénale n’a dégagé qu’un seul critère : le lieu de

signature de la convention de crédit65 ; les autorités bancaires françaises tendent plutôt à

considérer que les facteurs essentiels de rattachement sont le lieu de mise à disposition et celui

d’utilisation effective des fonds66. Mais en l’absence d’un véritable champ territorial, des

interrogations demeurent, notamment celles de savoir si le monopole bancaire s’applique à

l’ensemble de la transaction ou qu’à la part de fonds mise à disposition ou utilisée sur le territoire

français ; ou si le crédit contient plusieurs tranches, le droit français ne s’applique que pour les

tranches françaises ? De plus une partie de la doctrine considère que le monopole est susceptible

62 J.-F. ADELLE, « Le monopole bancaire constitue-t-il une restriction excessive aux crédits syndiqués en France ? » J. Cl Revue de droit Bancaire et Financier 2005, p.53 63 V. infra p. 33 et suivantes. 64 art. L. 214-2 et suivants C. mon. fin. pour les OPCVM et art. L. 214-167 et suivants, même C pour les OT. 65 Cass. crim., 28 nov. 1996, n°95-80.168. 66Avis rendus aux praticiens ; J.-F. ADELLE, art. précité.

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de s’appliquer aux entités françaises qui entendent participer à une opération de crédit qui ne

ferait pas l’objet d’une réglementation dans le pays étranger où l’opération doit être localisée67.

Il serait donc primordial de soumettre le monopole bancaire à des critères territoriaux

précis, notamment à cause des sanctions pénales en cas d’intervention en droit français d’un

établissement qui n’aurait pas reçu d’agrément car ceux-ci ou leurs dirigeants sont passibles de

peine d’emprisonnement ou d’amende pour exercice illégal de la profession bancaire68 ; de plus

la jurisprudence peut prononcer la nullité des contrats de prêts conclus en violation du monopole

(à la demande des emprunteurs car ce n’est pas systématique)69, les emprunteurs pouvant même

être sanctionné pour complicité70.

Toutefois il est possible d’envisager des projets de financement qui échapperaient au

monopole bancaire français dès lors qu’ils seraient mis en œuvre à l’étranger dans des systèmes

de droit qui ne réglementent pas de telles opérations. De plus les contrats portant sur de telles

opérations contiennent généralement une clause attributive de juridiction pouvant élire un juge

étranger ou une clause compromissoire prévoyant le recours à l’arbitrage international pour

contourner ces difficultés. Cependant ces complications n’encouragent pas les investisseurs

étrangers à traiter avec la France, et ce d’autant plus qu’il existe trop d’incertitudes en la matière,

notamment la définition même de mobilisation de créance.

67 V. L’HOMME et C. CAFFARD, Banque Magazine n°662, 2004, p.34. 68 art L. 571-3 C. mon. fin. 69 Cass. com., 19 nov. 1991, affaire « Lejeune c/ Sté DPM », n°90-10.270, rendu en matière de crédit-bail. 70 art. L. 571-3 C. mon. fin. précise que « toute personne » est susceptible de sanction en cas de violation du monopole bancaire.

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2. La mobilisation de créances : une définition équivoque

Il n’existe pas de définition légale de la mobilisation de créance, alors qu’il s’agit d’une

technique pouvant servir de fondement à beaucoup d’opérations. La doctrine a donc essayé de la

définir : selon le professeur Cornu il s’agit d’une « opération préparant la circulation d’une

créance à terme par sa représentation dans un effet de commerce (lettre de change) qui permet

au créancier de se procurer auprès d’un tiers des moyens de paiement immédiatement

disponibles, en échange de sa créance à terme »71 ; les seuls exemples impliquent l’intervention

d’un banquier comme mobilisateur, et cette technique est comparée à la titrisation (opération

encadrée par le monopole bancaire72). Cornu prévoit une autre définition : l’« opération réalisant

le transfert au comptant d’une créance à terme par la négociation d’un effet de commerce » ; une

fois encore les exemples ne concernent que le monopole bancaire (mobilisation des crédits

commerciaux par l’escompte ou encore des crédits bancaires par le réescompte). Il est donc

possible de penser que la mobilisation de créances n’est praticable que par les établissements de

crédit, et il est vrai que de nombreuses opérations reposant sur cette technique leur sont

réservées73. Il est donc nécessaire d’étudier de plus près cette définition.

S’agissant de la première partie proposée par Cornu, la mobilisation de créance est une

« opération préparant la circulation d’une créance » : la circulation ou le transfert d’une créance

relève du droit des obligations purement et simplement74. Le fait que la créance soit

nécessairement à terme n’emporte pas de conséquences particulières (cela justifie sa valeur au

moment de la cession et parce qu’une créance exigible n’aurait pas d’intérêt à être cédée du point

de vue de la mobilisation). Mais cette créance à terme qui va circuler est représentée dans un effet

de commerce. Il est donc nécessaire de déterminer si le recours aux effets de commerce est

réservé aux établissements de crédit ou non.

L’effet de commerce provient du droit commercial, un titre entier lui est consacré dans le

Code de commerce75. Mais il n’y est pas défini, alors la doctrine l’a défini comme un « titre

négociable qui constate l’existence, au profit du porteur, d’une créance à court terme de somme

71 G. CORNU, Vocabulaire juridique, 10ème éd., Puf 2014, p.662. 72 art. L. 214-5 C. mon. fin. 73 V. infra, p. 33 et suivantes. 74 art. 1689 et suivants C. civ. 75 Livre V, Titre 1er : Des effets de commerce, art. L. 511-1 et suivants C. com.

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d’argent et qui sert à son paiement »76. Le Code ne réglemente que la lettre de change et le billet

à ordre, permettant de se demander s’il s’agit d’une liste exhaustive ou non alors que la doctrine y

inclut parfois d’autres actes. La lettre de change est un acte de commerce pouvant être conclu par

toute personne77. Ce n’est pas le cas du billet à ordre78, mais il est quand même praticable par des

commerçants79. Les effets de commerce sont donc des instruments de paiement80.

Le droit des effets de commerce se rattache donc au droit des obligations et plus

particulièrement au droit commercial, ce qui a pour conséquence que la mobilisation de créance

est une technique ouverte à tout commerçant. Toutefois les effets de commerce sont à la fois des

instruments de paiement et des instruments de crédit lorsqu’ils sont réalisés notamment sous la

forme d’escompte. Cette dernière, technique de mobilisation, semble réservée au secteur

bancaire, ce qui émet un doute quant à un possible financement par des acteurs non bancaires

pour trouver une alternative au financement bancaire. En effet, face à des critères territoriaux et

des définitions imprécises des opérations entrant dans le champ d’application du monopole

bancaire français, le législateur tente de cantonner la notion de mobilisation de créance à la

matière bancaire en lui réservant certaines techniques. Toutefois il sera possible de démontrer que

la mobilisation de créance en tant que telle ne rentre pas dans le champ du monopole bancaire.

76 S. GUINCHARD, Lexique des termes juridiques, 20ème éd., Dalloz 2013, p.370. 77 art. L. 110-1, 10e C. com. 78 CA Paris, 22 déc.1958, D 1959, Somm. 54. 79 C. GAVALDA et J. STOUFFLET, Instruments de paiement et de crédit, Litect 2009, 7ème éd, p. 159. 80 V. infra, p. 28.

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B. Les titres cambiaires entrant dans le champ du monopole bancaire

La circulation des effets de commerce peut être réservée au secteur bancaire sous la forme

d’escompte (1), ce qui amène à se demander si l’escompte entre nécessairement dans le champ du

monopole bancaire (2).

1. Les effets de commerce comme instrument de crédit bancaire.

Les effets de commerce sont une création de la pratique commerciale depuis le Moyen-

Âge employés comme moyen de paiement. Il en existe deux principaux régis par le Code de

commerce81 : en premier lieu, la lettre de change, qui est un titre par lequel une personne (le

tireur) donne l’ordre à son débiteur (le tiré) de payer une certaine somme, à une certaine date à un

bénéficiaire (ou porteur) ou à son ordre82 ; en second lieu, le billet à ordre, qui est un titre

négociable par lequel une personne (le souscripteur) s’engage à payer à court terme ou à vue une

somme déterminée à un bénéficiaire ou à son ordre83. En principe ils peuvent être utilisés par tout

commerçant comme instrument de paiement.

Cependant, ces effets de commerce peuvent servir d’instrument financier à des opérations

comportant un crédit, par un paiement différé. En effet, un effet de commerce peut servir de

moyen de réalisation d’un crédit, autrement dit d’instrument de crédit, d’ouverture de crédit

(appelé encore crédit par signature) : le « donneur de crédit84 » appose sa signature sur un effet de

commerce en exécution d’un crédit qu’il a promis. Cette technique de mobilisation de créance

semble réservée aux établissements de crédit puisqu’il s’agit d’un crédit consenti en échange d’un

effet de commerce car le client pourra obtenir le paiement de cet effet avant l’échéance, comme

une avance. Cette opération est appelée l’escompte et elle semble soumise au monopole bancaire.

Il en va ainsi principalement pour les billets à ordre lorsqu’ils sont pris sous la forme de crédit de

mobilisation de créance et la lettre de change lorsqu’elle est escomptée.

Concernant tout d’abord les crédits de mobilisation des créances commerciales (CMCC),

il s’agit d’une mobilisation de crédit par laquelle un commerçant regroupe ses factures-clients 81 V. supra, p. 26. 82 S. GUINCHARD, Lexique des termes juridiques, 20ème éd., Dalloz 2013, p.546 ; G. CORNU, Vocabulaire juridique, 10ème éd., Puf 2014, p.606. 83 S. GUINCHARD, Lexique des termes juridiques, 20ème éd., Dalloz 2013, p.116 ; G. CORNU, Vocabulaire juridique, 10ème éd., Puf 2014, p.130. 84 C. GAVALDA et J. STOUFFLET, Instruments de paiement et de crédit, Litec 2009, 7ème éd., p.16.

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dont les échéances sont à peu près concomitantes dans un billet, pour les transmettre à sa banque,

mais sans qu’il y ait cession de créance85. En effet la banque lui consent un crédit sous forme de

découvert en compte courant. Le commerçant souscrit en contrepartie de ce crédit un billet à

ordre à échéance de 90 jours maximum. Ainsi à l’échéance, le net produit de la remise à

l’encaissement permet de rembourser le billet à ordre souscrit. Le CMCC permet donc d’obtenir

un financement à court terme. Il existe également le crédit de mobilisation des créances nées sur

l’étranger (MCNE) qui est une technique de financement permettant aux exportateurs français de

mobiliser auprès de leur banque les créances (à court terme) qu’ils détiennent sur leurs clients

étrangers. Ce financement n’est possible que pour les entreprises exportatrices et son acceptation

par la banque est discrétionnaire. Les crédits de mobilisation de créances sont peu utilisés en

pratique car ils ne confèrent aucun droit propre au banquier sur les créances mobilisées puisqu’il

n’y a pas de transfert desdites créances à son profit86.

S’agissant ensuite de la lettre de change, elle peut circuler par le procédé de

l’endossement87 selon plusieurs formes : l’endossement translatif qui permet de transmettre les

droits attachés à la lettre ; l’endossement pignoratif permettant d’affecter en gage la lettre de

change et l’endossement de procuration fondé sur la technique du mandat88. La lettre de change

peut donc servir comme réel instrument de paiement : un commerçant ayant tiré une lettre de

change, l’endosse à un autre commerçant en échange d’une prestation quelconque pour le payer

par exemple. Mais il s’agit également d’un instrument de crédit dans le sens où lorsque la lettre

de change n’est pas arrivée à échéance et elle est endossée : cela permet pour le tireur d’obtenir

une avance. L’endossement translatif est l’instrument d’escompte, il ne s’agit pas d’une cession

de créance à proprement parlé89. Lorsqu’il est question d’escompte, l’endossement translatif est

accompli en exécution d’une opération de crédit : le banquier (nommé endossataire) paie le

montant de la lettre de change au tireur (nommé endosseur), avant l’échéance de la lettre. Le

paiement est donc un crédit puisque la lettre n’est pas encore échue.

85 Régis par les art. L. 313-36 et suivants du C. mon. fin. 86 M. VASSEUR, Droit et économie bancaires, les opérations de banque, 4ème éd., p.323. 87 art. L. 511-8 C. com. 88 C. GAVALDA et J. STOUFFLET, Instruments de paiement et de crédit, Litec 2009, 7ème éd., p.61. 89 En effet l’endossement a pour effet la garantie de l’endosseur envers l’endossataire et les porteurs subséquents et l’inopposabilité des exceptions.

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L’escompte d’une lettre de change semble donc entrer dans le champ d’application du

monopole bancaire et donc être réservé aux établissements de crédit, alors même qu’aucun texte

ne le prévoit. Cependant la doctrine s’accorde pour considérer l’escompte comme une opération

de crédit. De nombreuses interrogations se posent quand sa nature voire même sa définition : est-

ce que l’escompte ne concerne que la circulation des effets de commerce ou plus généralement de

toute créance ? Cela en sachant que s’agissant de la lettre de change endossée et du CMCC il ne

s’agit pas d’une cession ? De plus la différence entre l’endossement translatif et l’escompte-

opération de crédit semble en réalité mince : un échange de prestation de service dans

l’endossement. Enfin, lorsqu’une lettre de change est endossée entre commerçants, le fait que la

conséquence soit un crédit pour le tireur ne remet-il pas en question le monopole bancaire ?

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2. La technique de l’escompte

L’escompte est encore une technique qui n’est pas définie par la loi, la doctrine s’en est

donc également chargée. Il en existe plusieurs sans pour autant pouvoir être certain de ce que les

auteurs avancent quant à sa qualification. Par analyse, il est possible de définir d’une manière

générale l’escompte comme étant une technique de mobilisation de créance par laquelle un

banquier ou toute autre personne (nommée endossataire) paie le montant d’un effet de commerce

à une autre personne, l’endosseur, avant l’échéance de l’effet, sous déduction d’une somme

représentant les intérêts du montant de l’effet à courir jusqu’à l’échéance.

Des auteurs90 (respectés et reconnus) considèrent que l’escompte est une opération de

crédit ou n’envisagent l’utilisation de cette technique que par un banquier. Or une telle

qualification de cette technique de mobilisation de créance la cantonnerait à la pratique bancaire

et aucune personne hors du champ du monopole ne pourrait la pratiquer (de manière habituelle et

rémunérée) sans risquer d’encourir les sanctions vues précédemment. Il est donc nécessaire de

s’intéresser de plus près à la nature juridique de l’escompte.

La nature juridique de l’escompte est controversée : la jurisprudence considère qu’il s’agit

d’un prêt garanti par la remise des effets de commerce91. Toutefois la doctrine considère que

l’escompte est une opération de crédit sans qu’il soit nécessaire de retenir la qualification de prêt

car le transfert de propriété des titres à l’endosseur est inhérent au mécanisme de l’escompte et

non simplement l’accessoire de l’opération92. La doctrine retient donc que l’escompte est tout

naturellement, sans aucun doute, une opération de crédit soumise au monopole bancaire. Pour le

professeur Bonneau, il serait évident que l’escompte soit une opération de crédit car le banquier

endosseur anticipe le paiement d’une créance à terme en accordant une avance.

Mais il ne s’agit ni plus ni moins d’une cession de créance93 : l’endosseur transfère à

l’endossataire une créance (représentée dans un effet de commerce) contre un prix convenu entre

les parties ; l’avance étant égale à la valeur de la créance, déduction faite de sa rémunération.

Certains auteurs retiennent également la qualification de cession de créance mais pour eux il

90 S. GUINCHARD, G. CORNU, T. BONNEAU, C. GAVALDA et J. STOUFFLET entre autres. 91 V. notamment Cass. Crim., 6 mai 1964, n° 63-92.333. 92 T. BONNEAU, Droit bancaire, Montchrestien 2012, 10ème éd. 93 art. 1689 et suivants C. civ. En ce sens, M. VASSEUR et D. LEGEAIS.

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s’agit tout de même d’une opération de crédit94. Leur argument est que la cession de l’effet de

commerce par la technique de l’escompte tende à une avance de fonds, en soit l’instrument, car

pendant le temps s’écoulant entre le paiement du prix de la créance et l’échéance, le cédant

dispose de fonds qui lui sont avancés par le cessionnaire.

L’enjeu de savoir si l’escompte repose sur un contrat de cession de créance ou non, tout

en considérant (pour l’instant) qu’il s’agisse d’une opération de crédit, concerne les recours

appartenant au banquier si le tiré ne paie pas. La doctrine considère qu’il existe deux catégories

de recours : le recours cambiaire fondé sur les titres escomptés et le recours de droit commun

fondé sur le contrat d’escompte95. Si l’on considère que l’escompte est un contrat de cession de

créance à terme, le cédant est libéré dès la remise du titre, et il n’existe pas de recours de droit

commun car l’article 1694 du Code civil dispose que le cédant « ne répond de la solvabilité du

débiteur que lorsqu’il s’y est engagé ». C’est la raison pour laquelle d’autres auteurs considèrent

que l’escompte est un contrat sui generis, à mi-chemin entre le prêt et la vente, qui réalise une

opération de crédit dont la nature implique de reconnaître le recours de droit commun96.

Il ne semble pas y avoir de confirmation sur les différentes positions doctrinales. La

majorité des auteurs considèrent donc que l’escompte est une opération de crédit reposant sur un

contrat de cession de créance à terme97. Toutefois, plusieurs critiques doivent être mises en

avant : d’une part, l’article 1694 du Code civil n’interdit pas qu’une clause engage le cédant

quant à la solvabilité du débiteur cédé, ce qui permettrait pour le cessionnaire endosseur un

recours en responsabilité contre le cédant. D’autre part sur le fait que l’escompte soit une

opération de crédit, l’article L. 313-1 du Code monétaire et financier précise que c’est une mise à

disposition de fonds, ce qui fait référence à un prêt et non à un paiement. Or, l’escompte, même

s’il a pour effet une avance qui peut s’apparenter à un crédit, est avant tout un paiement par

mobilisation de créance.

C’est la raison pour laquelle il est tout à fait possible que l’escompte repose sur un contrat

de cession de créance à terme sans pour autant être qualifié d’opération de crédit. Toutefois, ni la

doctrine majoritaire, ni les travaux préparatoires à la loi bancaire de 1984, préconisant que la

94 V. infra, p. 33 et suivantes. 95 T. BONNEAU, Droit bancaire, Montchrestien 2012, 10ème éd. 96 J.L. RIVES-LANGES et M. CONTAMINE-RAYNAUD. 97 C. GAVALDA et J. STOUFFLET, Droit Bancaire, Litec 2009, 7ème éd.

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définition d’opération de crédit devrait être extensive en incluant notamment tout procédé de

mobilisation de créance existant ou à créer98 (alors même que l’article L. 313-1 du Code

monétaire et financier n’a pas évolué depuis 1984) ne semble abonder dans ce sens. Toutes ces

interrogations et suppositions restent sans réponse. En effet la qualification de cession de créance

pour la technique de l’escompte semble se tenir, alors pourtant qu’il est précisé que la circulation

des effets de commerce n’entraine pas cession de créance à proprement parlé de ceux-ci99. Il est

étrange que les auteurs soient capables d’un coté de définir la circulation des effets de commerce

comme une technique particulière n’emportant pas cession ; et d’un autre de considérer que

l’escompte sert à faire circuler ces effets et puisse reposer sur un contrat de cession. Un arrêt

bienvenu a d’ailleurs débouté la demande en nullité d’une banque pour atteinte au monopole

bancaire lors d’une opération d’escompte effectuée par une société autre qu’un établissement de

crédit100.

Dans tous les cas, la circulation des effets de commerce ne semble pas permettre un

financement alternatif conséquent au financement bancaire. Cette démonstration a permis

simplement de démontrer que les contours de la mobilisation de créance sont bancals. Cela

entraine la question de savoir si, alors que l’escompte risque la qualification d’opération de

crédit, la cession de créance constitue un escompte et donc pourrait être qualifiée d’opération de

crédit à son tour ou s’il serait possible de la pratiquer en marge du monopole bancaire de manière

à trouver un réel financement alternatif.

98 Rapport du Sénat n°486 deuxième session extraordinaire de 1982-83, ann. au procès-verbal de la séance du 7 juillet 1983, p.7. 99 V. supra, p. 28. 100 Cass. com., 1er oct. 1996 n°94-10.953.

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C. La cession de créances : entre monopole et alternative

La crainte du potentiel de la cession de créances à aboutir à une alternative conséquente

au financement bancaire (2) a eu pour conséquence un encadrement jurisprudentiel et législatif

lourd quant à son application (1).

1. Les tentatives pour restreindre la cession de créances au secteur bancaire

Deux interrogations sont mises en exergues concernant la mobilisation de créance : d’une

part, la cession de créances à titre d’escompte, ou plus exactement comme technique de

mobilisation, est-elle qualifiée d’opération de crédit ? D’autre part si la cession d’une créances de

prêt (dans le cadre d’une sous-participation à un contrat de crédit) est également qualifiée

d’opération de crédit ? Ceci pour tenter d’ouvrir le financement à des acteurs hors du champ du

monopole bancaire.

Avant de s’intéresser à la cession en tant que telle d’une créance, il existe une autre

technique de mobilisation de créance, la subrogation personnelle : c’est l’opération par laquelle

une personne (le subrogé) en remplace une autre (le subrogeant) dans un lien d’obligation par

l’effet d’un paiement effectué au profit du subrogeant101. La finalité de la subrogation est le

remplacement du créancier originaire par le nouveau tout en calquant la situation de l’ancien

créancier sur le nouveau, c’est-à-dire que le nouveau créancier se subroge dans tous les droits et

obligations du subrogeant et obtient donc la créance dans l’exacte état qu’elle était avant

l’opération. Il est évident que cette technique n’est pas ouverte aux acteurs hors du champ du

monopole bancaire concernant le financement par le transfert des créances de prêt, pour la simple

et bonne raison que le subrogé doit nécessairement être un établissement de crédit puisqu’il

remplace le subrogeant qui lui a un agrément pour effectuer une opération de crédit. La

jurisprudence considère d’ailleurs que l’opération d’affacturage102 entre dans le champ de

l’article L. 313-1 du Code monétaire et financier103.

101 art. 1249 et suivants C. civ. 102 « Opération de crédit par laquelle un établissement de crédit (factor ou affactureur) règle, moyennant rémunération, les créances commerciales de l’un de ses adhérents. L’affactureur en devient alors titulaire par subrogation », S. GUINCHARD, Lexique des termes juridiques, 20ème éd., Dalloz 2013, p.40. 103 CA Versailles, 24 nov. 1989, JCP E 1991. I. 91, n°36.

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S’agissant à présent de la cession de créances, elle se définie comme l’opération juridique

par laquelle un créancier (le cédant) transfère sa créance qu’il détient sur son débiteur (le débiteur

cédé) à un tiers (le cessionnaire). Cette technique de circulation de créances est régie à la fois par

le droit général104 et par le droit bancaire105. Ce dernier prévoit que la créance est transmise par le

seul effet de la remise d’un « bordereau Dailly106 » au cessionnaire qui ne peut être qu’un

établissement de crédit. De plus le cédant ne peut être qu’une personne morale ou un

professionnel et les créances transmises doivent nécessairement être professionnelles ou du moins

sur des personnes morales. Par conséquent, il n’est pas possible de se fonder sur le droit bancaire

pour trouver un moyen de financement alternatif car la cession de créances « Dailly » est limitée

au financement bancaire des entreprises et des professionnels107.

Toutefois, il est possible de s’intéresser de plus près à la cession de créances civile. La loi

ne prévoit pas que toute technique de mobilisation ou que la cession de créances soit réservée au

monopole bancaire. En effet, contrairement au Code monétaire et financier, le Code civil

n’envisage aucune restriction quant à la personne du cessionnaire de créances. Cependant, la

jurisprudence considère qu’une cession de créances non échue réalisée à titre habituel constitue

une opération de crédit108. Cet apport aux contours de la notion d’opération de crédit semble

correspondre à la volonté du législateur de 1984109. Cela s’explique par le fait que le cessionnaire

paie immédiatement le prix d’achat de la créance sur laquelle le cédant n’a qu’un droit à terme.

La cession tend donc à une avance de fonds, en est l’instrument car pendant le temps s’écoulant

entre le paiement du prix de la créance et son échéance, le cédant a pu disposer, grâce à la

cession, directement de fonds avancés par le cessionnaire110. De telles opérations, si elles sont

réalisées à titre habituel, sont donc réservées aux établissements de crédit111. Le comité des

104 art. 1689 et suivants du Code civil. 105 Loi n°81-1 du 2 janv. 1981 dite « Dailly » transposée aux art. L. 313-23 et suivants du Code monétaire et financier. 106 Appelé ainsi en référence à la loi du même nom introduisant la cession de créance professionnelle précitée. 107 Rép. Min. n°4067, JOAN Q, 27 janv. 2003, p. 600. 108 Cass. crim., 20 févr. 1984, n°83-90.738 ; CE, 13 mars 1970 : JCP G 1970, II, 16417, note C. GAVALDA. 109 Travaux préparatoires à la loi du 24 janv. 1984 « la définition des opérations de crédit sera extensive et inclura notamment des techniques telles que le crédit différé, le crédit-bail et plus généralement la location assortie d’une option d’achat, l’affacturage et tout procédé de mobilisation de créance existant ou à créer. » Rapport du Sénat n°486 deuxième session extraordinaire de 1982-83, ann. au procès-verbal de la séance du 7 juillet 1983, p.7. 110 J. STOUFFLET et S. DUROX, « Participation d’un organisme financier étranger à un crédit ouvert en France – Technique contractuelle et réglementation professionnelle », Mélange AEDBF – France IV, p. 365. 111 Ainsi qu’aux OT et OPCVM comme vu précédemment.

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établissements de crédit et des entreprises d’investissement (CECEI) abonde également dans ce

sens112.

Mais alors la cession de créances peut-elle bénéficier à une autre personne qu’un

établissement de crédit ? Certains auteurs arrivent même à la conclusion que peu importe que la

cession de créances soit réservée sur les fondements du bordereau « Dailly », de la subrogation

personnelle ou de la cession de droit commun : elle est soumise au monopole bancaire113 !

Le fait de céder une créance semble donc réservé au secteur bancaire, alors s’agissant de

la possibilité pour un établissement de céder sa créance de prêt qu’il détient sur un emprunteur à

un établissement non agréé ne bénéficiant pas du monopole semble alors encore plus

problématique, voire impossible.

Par conséquent, la cession de créance pratiquée de manière habituelle ne serait ouverte à

toute personne que s’agissant des créances échues ? Mais quel serait l’intérêt de les céder ?

L’avantage de céder une créance est d’obtenir des fonds avant l’échéance d’une créance, ou de

payer par cession de créance (en réalisant une dation). Mais pour le cessionnaire, quel serait

l’intérêt de récupérer une créance échue et donc non payée par le débiteur cédé ? Un risque pèse

sur le cessionnaire et ce serait à lui de recouvrer les créances nouvellement acquises. La tentative

de restreindre totalement la cession de créance au secteur bancaire n’est pas censée et il pourrait

être possible de se soustraire au monopole bancaire.

112 Rapp. annuel du CECEI, 2008, p.25. 113 C. GAVALDA et J. STOUFFLET, Droit bancaire, Litec 2008, 7ème éd.

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2. La cession de créance civile : une alternative au financement bancaire.

Depuis cet arrêt de 1984, il ne semble donc plus possible de céder des créances non

échues en vue de refinancer l’économie autrement que par le biais d’une banque. Toutefois

plusieurs critiques peuvent laisser penser qu’un financement alternatif semble tout de même

possible.

En premier lieu, on peut fortement douter qu’un contrat de cession de créances non

échues puisse encourir la nullité. En effet un arrêt a refusé de sanctionner civilement la violation

du monopole bancaire qui aurait pu provoquer la nullité d’un contrat de prêt et donc l’absence de

droit pour le créancier au paiement des intérêts114. Les fonds d’investissement ne respectent donc

pas toujours cette interdiction en pratique et s’autorisent alors l’accès au marché secondaire115.

En second lieu, il est possible d’affirmer que cette interdiction posée par la jurisprudence

de 1984 n’est pas fondée car l’intention des parties ne serait pas d’avancer des fonds, mais

simplement de réaliser un transfert de participation. La cession ordinaire de créances n’est pas

une opération de crédit, il s’agit d’une vente : les fonds versés sont un prix ; la supposée avance

de fonds n’est pas remboursée par le débiteur cédé, ce dernier ne fait qu’exécuter son obligation

qui trouve sa cause dans les relations initiales avec le cédant. Le cessionnaire supporte donc le

risque de son achat et n’a pas de recours cambiaire. Pire, le cessionnaire n’acquière aucune

obligation nouvelle de prêt à l’égard de l’emprunteur initial116. Pour argumenter cette

démonstration, il est possible d’observer que la cession d’une créance sur un débiteur en situation

financière précaire ou d’une créance litigieuse pour un prix inférieur à son nominal est une

opération spéculative alors qu’elle n’est pas considérée comme un crédit, alors même que cette

créance n’est pas échue à la date de cession117. Une opération spéculative ne peut être qualifiée

d’opération de crédit118. La cession de créance n’est pas une « mise à disposition de fonds » au

sens de l’article L.313-1 du Code monétaire et financier car il n’y a pas d’obligation de restitution

de ces fonds à la suite de cette opération, il ne s’agit ni plus ni moins d’un transfert de propriété.

114 AP, 4 mars 2005, n° 03-11.725 ; Cass. com., 7 avril 2009, n°07-18.907, même portée en droit des assurances. 115 S. VERMEILLE, « Règle de Droit et développement des modes de financement alternatifs au crédit bancaire », RTDF 2012, n°2. 116 R. MARTY, « Cession de créances : détermination du prix en fonction du recouvrement des créances », JCP 2009, n°41. 117 M. VASSEUR, « Droit et Economie bancaire », fasc. IA, 4ème éd., 1985-86, p. 79. 118 C. GAVALDA et J. STOUFFLET, Droit Bancaire, Litec 2008, 7ème éd.

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Enfin, s’agissant d’une cession de créances non échues à un OT étranger, la combinaison

de deux règlements CRBF l’autorise119, à des organismes de titres étrangers120.

S’agissant de savoir si la cession d’une créance de prêt constitue une opération de crédit,

il est possible à première vue de répondre positivement parce que l’objet de la créance est un prêt,

et qu’il est donc nécessaire que le cessionnaire ait la même qualité que le cédant (un agrément, ou

qu’il entre du moins dans le champ du monopole). Toutefois, il est possible d’affirmer que le

prêt, objet de la cession de créance, est déjà intégralement mis à la disposition de l’emprunteur

par le cédant (autrement dit que tous les tirages ont été effectués ou qu’il n’y avait qu’un seul

tirage), il ne s’agit plus d’une opération de crédit à proprement parlé entre le cessionnaire et le

débiteur cédé car il n’y a plus de mise, ou de promesse de mettre, des fonds à nouveau à la

disposition du nouveau débiteur du cessionnaire. Les différents points de vue arguant que le

monopole bancaire sert principalement de protection aux emprunteurs quant à la connaissance de

la provenance des fonds ne sont donc pas pertinents en cas de cession d’une créance de prêt non

échu mais entièrement tiré. En effet l’emprunteur devient le seul débiteur de l’opération, le

prêteur a exécuté son obligation et le débiteur n’a plus qu’à exécuter la sienne : la restitution. Le

cessionnaire, dans ce cas ne peut pas être qualifié de « prêteur ».

La cession de créance civile est donc une réelle alternative au financement bancaire. En

cas d’acceptation large de cette technique, les investisseurs étrangers devraient donc pouvoir

revenir participer au financement des entreprises françaises. D’autant plus que la lourdeur des

formalités des articles 1689 et suivants du Code civil (signification par acte extrajudiciaire) est

allégée de plus en plus par la jurisprudence121 et qu’il s’agit désormais de tout acte de procédure

informant le débiteur de la cession. Les fonds d’investissement ont donc un réel intérêt à acquérir

un portefeuille de créance à terme car de tels contrats de cession de créances n’encourent pas la

nullité, qu’il ne s’agit pas d’une opération de crédit. Toutefois, ces affirmations ne sont pas

encore admises par tous, un temps d’adaptation est nécessaire ainsi qu’une évolution légale et

jurisprudentielle pour ne plus avoir la moindre crainte quant à ce mode de financement alternatif. 119 Réglement CRBF n°93-06 du 21 déc. 1993, al. 3, relatif à la comptabilisation des opérations de titrisation, auquel renvoie l’article 2 du Règlement CRBF N°85-17 du 17 déc. 1985 relatif au marché interbancaire. 120 M. ROUSSILLE, « Que reste-t-il du monopole bancaire ? », Mélange AEDBF IV, 2013, p.607. 121 Cass. com., 28 sept. 2004, n°03-12.023, « le défaut d’accomplissement de ces formalités ne rend pas le cessionnaire irrecevable à réclamer au débiteur cédé l’exécution de son obligation quand cette exécution n’est susceptible de faire grief à aucun droit advenu depuis la naissance de la créance soit audit débiteur cédé, soit à une autre personne étrangère à la cession ».

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CONCLUSION GENERALE

Il est donc possible d’obtenir un financement alternatif au financement bancaire, la mise à

disposition de fonds n’entrant pas nécessairement dans le champ d’application du monopole

bancaire, pas plus que la cession de créances civile. Il a donc été démontré ici que plusieurs

acteurs hors champ du monopole bancaire pouvaient participer au financement des entreprises,

que ce soit par le biais de relations directes avec la société financée, ou par l’emploi de procédés

issu du droit des obligations. Toutefois, si ces financements sont rarement voire jamais pratiqués

aujourd’hui, c’est en raison d’une trop grande restrictions juridiques ou à cause d’imprécisions

des contours notionnels des outils proposés.

En effet, actuellement, s’agissant de la sous participation, la dette mezzanine est

généralement émise sous la forme d’obligation. Cela constitue une contrainte pour l’emprunteur

qui doit en émettre, ainsi que pour les mezzaneurs qui doivent se soumettre à un certain nombre

de contraintes liées à l’application des règles obligatoires du droit des sociétés en matière de

protection des droits des obligataires122 ; ainsi que sur un plan financier, les titres obligataires

manquant de flexibilité par rapport au contrat de prêt (hypothèse de multiples tirages sur une

même ligne de crédit, crédit revolving etc.)123. Ces complications existent alors même que la libre

cessibilité des crédits bancaires est devenue ces dernières années, sur le modèle américain, une

norme dans la plupart des pays européens et que les banques sont à la recherche de partenaires

susceptibles d’investir dans des portefeuilles de prêts.

Plusieurs solutions sont envisageables pour réinjecter du financement en France.

Premièrement, Messieurs Stoufflet et duroc proposent « d’ouvrir l’accès aux crédits syndiqués

des banques non européennes répondant à des contraintes de nature à garantir l’intégrité et la

stabilité des crédits consortiaux internationaux ». Deuxièmement, la doctrine124 souhaiterait la

création d’une dérogation pour l’utilisation des collateralized debt obligations (CDO) et

collateralized loan obligations (CLO) pour permettre aux crédits français d’être remarqués sur le

marché international de la syndication (actuellement permise que pour les OT).

122 Constitution de masses permettant de modifier les termes conditions de titres à la majorité qualifiée seulement (sauf exception), droit de véto, rapport des commissaires aux comptes en cas d’émission de valeurs mobilières donnant accès au capital etc. 123 S. VERMEILLE, art. précité. 124 J.F. ADELLE, art. précité, p.53.

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Il serait également possible de jouer sur la notion d’habitude, mais cela est risqué car en

cas de contentieux, cette qualification relèverait de l’appréciation souveraine des juges du fonds,

et la jurisprudence condamne encore les établissements hors de l’Union qui pratique des

opérations de crédit en France125. Autre solution difficilement envisageable : la tentative de faire

condamner la France devant la Cour européenne des droits de l’homme car sa législation est plus

restrictive que les exigences prudentielles européennes. Mais cela serait compliqué, long et cher.

Enfin, les investisseurs envisagent aujourd’hui de monter des fiducies (ou des trust) avec

des banques étrangères qui deviendront fiduciaires (ou trustee) pour porter des crédits français ;

ainsi dans un montage de fiducie portant sur des créances non échues, le fiduciaire ne pourrait

être qu’un établissement de crédit lorsque les créances mises en fiducie sont des créances sur un

débiteur situé en France ou que l’acte de cession est signé en France, mais les bénéficiaires

pourraient être des investisseurs étrangers126.

Il est possible de comprendre que le monopole bancaire protège les déposants qui doivent

être assurés de la liquidité du marché, garantis contre tout risque d’insolvabilité des

établissements prêteurs ainsi que rassurés quant à la provenance des fonds. Tout ceci s’englobant

dans une volonté commune du système juridique français d’éviter une nouvelle crise financière.

Mais arrêtons ! Il n’est pas possible d’ignorer le fait que les banques soient étouffées par les

contraintes nationales et européennes et que les entreprises françaises n’arrivent plus, de plus en

plus, à éviter un état de cessation des paiements. Ce n’est pas l’unique solution pour éviter une

nouvelle crise économique que d’éviter qu’il y ait plus de finance ! Il est possible de prévoir des

règles adaptées en fonction de la qualité des investisseurs ainsi que des outils par lesquels

s’opèrent les financements sans pour autant interdire l’accès à des entités souhaitant participer au

sauvetage des entreprises et ne réserver le crédit qu’à des établissements qui ne souhaitent qu’une

chose : céder leur participation. D’autres finalités du monopole peuvent être atteintes au moyen

de règles d’ordre public applicable aux opérations consenties à des emprunteurs en France, quels

que soient la nationalité et le statut de l’entité prêteuse. De plus il existe toujours un risque de

crise, malgré les règles en vigueur. Un changement radical du monopole bancaire pour permettre

de manière officielle les financements alternatifs est donc attendu par tous les acteurs concernés.

125 Cass. com., 7 janv. 2004, n°01-02.481. 126

J.F. ADELLE, « l’adoption de la fiducie a-t-elle remédié à la prohibition des cessions de créances en garantie de droit commun ? », RDBF, 2007, étude 5. ; M. ROUSSILLE, art. précité.

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BIBLIOGRAPHIE

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Ouvrages

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TABLE DES MATIERES REMERCIEMENTS……………………………………………………………………………p.1 SOMMAIRE……………………………………………………………………………………p.2 PRINCIPALES ABREVIATIONS……………………………………………………………p.3 AVANT PROPOS……………………………………………………………………………...p.4 INTRODUCTION……………………………………………………………………………...p.5

I. Le financement corporate autorisé par la loi : une alternative au financement bancaire………………………………………………………...p.10

A. Les exceptions légales incomplètes au monopole bancaire…………………………p.10 1. Le prêt par le biais de compte courant d’associé………………………………………p.10 2. La situation des « tiers » prêteurs par compte courant d’associé……………………...p.12

B. Les réelles exceptions légales au monopole bancaire………………………………..p.14 1. Le financement intragroupe : le Cash-pooling…………………………………………p.14 2. La récente possibilité d’un financement participatif : le Crowdfunding……………….p.16 C. Les difficultés de se financer sans l’intervention d’une banque par rapport à certains

autres Etats…………………………………………………………………………….p.18 1. L’accès au financement en droit comparé……………………………………………...p.18 2. Le respect du droit des sociétés pour autoriser le financement corporate……………..p.20 II. La mobilisation de créance : une technique indépendante de

l’opération de crédit…………………………………………………………...p.23

A. La volonté de cantonner la notion de mobilisation de créance à la matière

bancaire………………………………………………………………………………..p.23

1. Le champ territorial du monopole bancaire face à la mobilisation……………………p.23

2. La mobilisation de créance : une définition équivoque………………………………...p.26

B. Les titres cambiaires entrant dans le champ du monopole bancaire……………....p.28

1. Les effets de commerce comme instrument de crédit bancaire………………………....p.28

2. La technique de l’escompte……………………………………………………………..p.31

C. La cession de créance : entre monopole et alternative………………………….......p.34

1. Les tentatives pour restreindre la cession de créance au secteur bancaire……………p.34

2. La cession de créances civile : une alternative au financement bancaire……...………p.37

CONCLUSION GENERALE…………………………………………………………………..p.39 BIBLIOGRAPHIE……………………………………………………………………………...p.41 TABLE DES MATIERES……………………………………………………………………...p.44