Figures 5 -

195

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Gerard Genette

Transcript of Figures 5 -

  • Dummeauteur

    FiguresISeuil,TelQuel,1966

    etPointsEssais,no74,1976FiguresII

    Seuil,TelQuel,1969etPointsEssais,no106,1979

    FiguresIIISeuil,Potique,1972

    MimologiquesVoyageenCratylie

    Seuil,Potique,1976etPointsEssais,no386,1999

    IntroductionlarchitexteSeuil,Potique,1979

    PalimpsestesLalittratureauseconddegrSeuil,Potique,1982

    etPointsEssais,no257,1992NouveauDiscoursdurcitSeuil,Potique,1983

    SeuilsSeuil,Potique,1987

    etPointsEssais,no474,2001FictionetDiction

    Seuil,Potique,1991Esthtiqueetpotique

    (textesrunisetprsentsparGrardGenette)Seuil,PointsEssais,no249,1992

    Luvredelart*ImmanenceetTranscendance

    Seuil,Potique,1994Luvredelart

    **LaRelationesthtiqueSeuil,Potique,1997

    FiguresIVSeuil,Potique,1999

    CELIVREESTPUBLIDANSLACOLLECTIONPOTIQUE

    DIRIGEPARGRARDGENETTE

    ISBN978-2-02-100916-3

    DITIONSDUSEUIL,FVRIER2002

    www.seuil.com

  • Tabledesmatires

    Couverture

    Tabledesmatires

    Ouverturemtacritique

    Desgenresetdesuvres

    Mortsderire

    Lartenquestion

    Chateaubriandetrien

  • Ouverturemtacritique

    Alorsquilvenaitpeuprsdeclasserlacritiquelittraireentroissortescelle,spontane,des honntes gens (qui, selon Sainte-Beuve, se fait Paris et en causant ), celle des professionnels (de la critique, sentend) et celle des artistes , cest--dire en loccurrence descrivains eux-mmes , Albert Thibaudet sempressait dinclure dans la premire, au point de lesidentifiertotalementlunelautre, lacritiquedesjournaux,cetteformedelacritiquespontanequi aujourdhui apresqueabsorb toutes les autres.Conscientde la surprisequepouvaitprovoquercette absorption et donc la disparition de la catgorie sociale, devenue effectivement obsolte, des honntes gens , il reconnaissait aussitt la permabilit de ces frontires, ajoutant avec unedsinvolture que tout manipulateur de classifications devrait bien imiter : Il va de soi que cettedistinction des trois critiques est excellente faire,mais quune fois faite elle est aussi trs bonne dfaire1. Dumme coup, la deuxime catgorie, celle des critiques professionnels , se trouvaitrduiteuneseuleprofession,celledesprofesseurs,sibienquelaclassificationenvenaitrpartirlacritique entre crivains, professeurs et journalistes, ces derniers, apparemment, dsormais simplesamateurs,maispeut-trefaut-ildireamateursprofessionnelsouprofessionnelsdelamateurisme.

    Cestroisexercicesmesemblent,aujourdhui,encoremoinsclairementsparsquesousladfunteTroisimeRpubliquedesLettres,oThibaudetlui-mmeenillustraitdjasseznotoirementlasynthse.Et si jessayais mon tour de distribuermore geometrico les diverses sortes de critique, non passeulement littraire mais plus gnralement artistique, je croirais, en contournant les catgoriesprofessionnellesinvoquesparlui,pouvoirlefairepluspertinemmentdetroismanires:selonlobjet,selonlafonctionetselonlestatutgnriquenonpasbiensrducritiquelui-mmecommeproducteur,maisdelaperformancecrite,orale,voire(latlvision)mimiqueetgestuelle,quilproduit.Lobjetpeuttredenatureetdamplitudetrsvariables:denature,selonlesarts,etdamplitude,selonquelecritique sattache uneuvre singulire, luvre entier dun artiste individuel, ou la productioncollective dun groupe, dune poque, dune nation, etc. De fonctions, on peut distinguer trois :description, interprtation, apprciation. De genres, deux : le compte rendu (ou recension )journalistique,revuistiqueoumdiatique,gnralementbrefetdedlaiaussirapidequepossible(cest--dire, en fait, inversement proportionnel au degr daccointance entre auteur recens et organerecenseur),etlessai,dedimensionsetderelationtemporellesonobjetbeaucoupplusindtermines.

    Lintrt du jeu, sil y en a un, tiendrait peut-tre la faon dont sarticulent entre elles cescatgories dobjet, de fonction et de genre.Dans labsolu, la croise de trois par trois donnerait neufespces,mais,commedanstout tableaucombinatoiredecegenre,quelquescasesvirtuellesresteraientsansdoutevides,ounonencorerempliesjenosedirehonores.Ilmesembleplusraisonnable,ouplusexpdient,deconsidrerdanslesfaitscommentlesobjetsetlesfonctionsserpartissententrelesgenresinstitus.

    *

    Lesfonctionscardinalesducompterendudpendentdesonofficesocial,quiestdinformeretdeconseillerunpublic,censdemandersildoit lireunlivre,couterunconcert,assisterunepice,unfilmouuneexposition.Ellessontdoncpourlessentieldedescription(etdaborddepureinformation:tellivreaparu,telfilmestsortiensalles,telleexpositionalieutelendroit),etdapprciation,le

  • gotducritiquedevantclairerceluidupublicft-ceparfoisacontrario:SiUntelaaima,jepeuxmabstenir. Il sensuit que lobjet est ici, assez typiquement, uneuvre singulire, et de productionrcente ;mais ce trait nest pas absolu : une exposition comporte gnralement plusieurs tableaux ousculptures,ventuellementdusplusieursartistes,etunconcertouuneexpositionrtrospectivepeutavoir pour contenu une production ancienne. Dautre part, certains vnements artistiques, comme unhappening ou un concert unique, sont temporellement singulatifs, ce qui prive leur compte rendu,rtrospectif mais forcment non rtroactif, de sa fonction de conseil : Untel (toujours lui) a jug telinterprteadmirabledanstelleuvre,ilpeutnouslefairesavoir,etcetteinformationest,sinonoiseuse,dumoinssanseffetpratique,puisquilnepeutplusnous invitervenirpartagerceplaisir ; ilnenvavidemmentpasdemmepourunecritiquededisque,nidailleurspourunecritiquedramatique,carlamme distribution peut tenir laffiche quelques semaines ou quelques mois. En outre, lobjet dunecritiquemusicaleouthtraleesttoujoursdouble,quoiqueenproportionsvariables,puisquilconsistelafoisenluvreinterprteetensoninterprtation;proportionsvariables,parcequelecompterendudunecrationportelgitimementdavantagesurluvrecrequeceluidunereprise:latroiscentimeproductiondeLAvareestmoins,enprincipe,loccasionderevisitercetexteancienquedapprcierle travail nouveau dun metteur en scne et dune troupe de comdiens. Enfin, il faudrait sans doutemodulercettedescriptionselon lanature, trsdiverse,dusupport : lecompte rendu journalistique (derythme, aujourdhui, typiquement hebdomadaire, puisque mme dans les quotidiens les rubriquesculturelles paraissent en gnral une fois par semaine) est de raction (en moyenne) plus rapide etdorientation plus pragmatique que le compte rendu de revue, qui dbarque souvent comme lescarabiniers, plusieurs mois voire, dans les revues universitaires, plusieurs annes aprs quelouvragerecensatconficequeMarx,jecrois,appelaitlacritiquerongeusedessouris,oucelle,plusexpditive,dupilon.Enrevanche,lecompterenduenrevuepeuttreplusattentif,oudumoinsplusdtaill,voirepointilleux(listederreursetdecoquilles),queceluidesjournaux.Quantaucompterendumdiatique(radio,tlvision),ilnefiguregureiciqutitrederegret,carlespceensemblebienenvoiedextinctionauprofitdunautreexercice : linterviewde(ouentretienavec) lauteur,quidoit sa faveur, je suppose, au fait quelle assure cet auteur une promotion plus efficace (puisqueordinairementpure,saufpenchantperverspourlautocritique,detouteapprciationngative),quelledispensedavantagelejournalistedunelectureventuellementfastidieuse,etquelleaplusdechancedeplairelauditeur,afortioriautlspectateur.Uneconversationanime,avecunoumieuxplusieursauteursprsentsquipassentbien,distraitdavantagequunmonologuesuruneuvreabsentequi,pardfinition,nepassenibiennimal:leproposdesuvres,onlesaitpeut-tre,nestpasexactementdepasser(leurdestin,cestuneautreaffaire).

    *

    Lautre genre canonique est donc ce quon appelle couramment lessai. Contrairement au compterendu, cette formenest certespaspropre la fonctioncritique,mais en revanche toute tudecritiquepublie en volume relve, explicitement ou implicitement, du genre de lessai,mme sil sagissait lorigineduncompterenduenrevue.Maisjedevraispeut-trediredesgenresdelessai,carilenexisteaumoinsdeux:lessaibref,critiqueounon,quinesepubliequesousformederecueilpluriel,commelesEssaisdeMontaigne,ou,enfonctioncritique,LaPartdufeudeBlanchot,etlessaitendu,capabledoccuper lui seul un volume entier, comme lEssai sur lentendement humain de Locke, ou, enfonctioncritique, leSaintGenet deSartre.Ce critrede longueur est pardfinitiongraduel : certainsrecueils peuvent regrouper un nombre rduit dessais dampleur moyenne, comme Littrature et

  • sensationdeRichard,quiencomportequatre,surStendhal,Flaubert,Fromentinet lesGoncourt.Maiscettedistinctionquantitativeestsansgrandeimportance.Quellequensoitlataille,lessaicritiqueapourobjet canonique luvre entier dun auteur, et donc la personnalit individuelle de cet auteur, objetfoncirementpsychologiqueparsadlimitationmme;maiscepeuttreaussiquoiqueplusrarement,comme pour le compte rendu, une uvre singulire : voyez le S/Z de Barthes, consacr la seuleSarrasine, sans compter qucrire sur Montaigne, Saint-Simon ou Whitman, voire Proust ou Musil,revientpeuprsparlerduneuvreunique;ouencoredesfragmentsoudtailsduvres:voyezlaMimsisdAuerbachoulesMicrolecturesdeRichard ;ouaucontrairequelqueentit,historiqueet/ougnrique,transcendanteauxuvres,auxauteurs,parfoisauxgenres:Lukcssurleroman,Roussetsurlgebaroque,Rosensurlestyleclassique.

    Lafonctiontypiquedelessaicritiquenestplusgureaujourdhuilapprciation,ouvaluation:lagrandecritiqueduXXesiclesegardemmeassezostensiblementduneattitudeaujourdhui tenuepournave,voirevulgaire,etquelleabandonnevolontierslacritiquedecompterendusachantdailleursqueleseulfaitdeconsacrerquelquespagesoudizainesdepagesuneuvreestunhommageimplicitesonmrite,oupourlemoinssonintrt.Safonctioncardinaleestdoncdecommentaire,soitunmixte,dosesvariablesetvraidire indiscernables,dedescription,dinterprtationetdvaluation tacite.Sarelationtemporellesonobjetesttoutfaitindtermine:jepuiscriredemainunetudecritiquesurBoulez,surCzanneousurlaChansondeRoland.Cetteindterminationtientaufaitquelecommentairecritique procde dune relation en quelque sorte personnelle (Georges Poulet parlait didentification)entrelecritiqueetsonobjet,singulierougnrique,etdoncquechacunpeut,etdoit,rinterprtersamanireetdesonpointdevuetouteuvre,rcenteouancienne,quiluieninspireledsir.Silecompterendu spuise et le plus souvent sabolit instantanment dans sa fonction pratique transitoire, lecommentaireestparnatureinfini,toujoursrenouveler,dpourvuquilest(etseveut)detouteefficacitpratiquemesurable.

    Cetteautonomieluiavalu,aumoinsdepuisleXIXesicle,deseconstituerenungenrelittrairepartentiremmelorsquesonobjet,lui,relvedunautreartquelalittrature;et,commepresquetoutgenrelittraire,celui-ci,quoiquedenaissancercente,tendseperptuerindfiniment,maisvraidiresansgarantiedternit.Cetteconscrationdistinguesansdoutesonsortdeceluidelacritiquedecompterendu, mais on ne doit pas oublier le fait, dj mentionn, que certains essais critiques ne sont riendautrequedancienscomptesrendusrecueillisenvolumeetpromusdecefaitunstatutgnriqueplusgratifiant,commelesCauseriesdulundideSainte-Beuve,dontletitrerappellebienlemodeorigineldepublication,lesRflexionsdeThibaudetoucertainesdesSituationsdeSartre;ou,dansdautresarts,lesSalonsdeDiderotoudeBaudelaire,ouleschroniquesdeMonsieurCroche,deClaudeDebussy.

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    Jaiditpourquelles raisons lacritiquedecompte rendumesemblaitquelquepeumenace,entreautres,parlaconcurrencefataledelauto-commentairedauteur.Sicettemenacevenaitsaccomplir,cemodedecritiqueauraitsimplementsuccomb,commetoutechose,lextinctiondesafonctionpropre.La critique de commentaire, quant elle, nest plutt menace, si elle lest, que par son absence defonctionpratique,moinsquelonneconsidrecommetellesoninvestissement(publishorperish)dansles procdures universitaires de qualification et de slection. Si elle devait succomber son tour, ceserait peut-tre davantage par touffement, sous le poids de ce quelle revendique parfois comme son immanence : uneproximit sonobjetqui la condamneune formede redondance, et bienttdesaturation. Benedetto Croce invitait un jour obligeamment les critiques mditer cette interdiction

  • affiche en Allemagne dans certaines salles de concert : Das Mitsingen ist verboten, Dfense defredonnernallezsurtoutpaslirefreudonneraveclorchestre.Ilnestheureusementpasquestionicidinterdire, mais sans doute devrions-nous plus souvent suivre la partition en silence, et laisser lamusiquesinterprterelle-mme,sanslacouvrirdenotremurmure.Ondfinitparfoislediscourscritiquecommelepluscourtcheminentredeuxcitations.Cettedfinitionseveutsansdoutedsobligeante,mais,toutprendre,laplusgrandebrivetseraitpeut-treicilemritesuprme.

    *

    Mais peut-on bien parler dune critique immanente ? Le sens le plus correct dumoins le pluslittraldecetteexpression serait sansdoute :unecritiquede luvrecontenuedans luvremme,comme la justice immanente est cense tre contenuedans la fautemme,ouDieudans laNatureselon les philosophes panthistes ; une telle situation ne relve dailleurs nullement dune hypothsefantaisiste:onpeutbienrencontreretldanstelleoutelleuvrelittraire(lefaitseraitvidemmentunpeuplus difficile trouver dansuneuvreplastiqueoumusicale), par exemple chezBalzac, chezProust ou chezGide, un auto-commentaire, plus oumoins direct, et plus oumoins pertinent, de cetteuvre insr dans son texte par sonpropre auteur.En ce sens, donc, le terme critique immanente seraitdunemploilgitime,etduneapplicationclaire,mmesipeut-treunpeusimplette.Maistelnestpas le sens aujourdhui reu dans le champ de la rflexion mtacritique, o il dsigne, non pas unecritiquelittralementimmanenteluvre,maisunecritiquequinesintresse,ouveutnesintresser,qulimmanencedeluvrecest--direluvreelle-mme,dbarrassedetoutesconsidrationsexternes.

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    Cestdans lecoursdesannescinquanteetsoixantedusicledernier,etparticulirementdans lechamp spcifique des tudes littraires, que lon a commenc, en France, dappeler immanente unecritique qui en rupture avec les partis pris supposs causalistes dune tradition elle-mme plus oumoins bien qualifie de positiviste , hrite (trs diversement) de Sainte-Beuve, de Taine et deLansonvoulaitouprtendaitconsidrerlesuvresenelles-mmessanssesoucierdescirconstances,historiquesoupersonnelles,doladitetraditionlesvoyaitprocder,etparlesquelleselletentaitdelesexpliquer.Notonsaupassagequelemploidecequalificatifpourdsignercetypedecritiquenapresquejamaisentran,uneexceptionprsquenousallonsbienttrencontrer,celuiduqualificatif,logiquementantithtique,de transcendantepourdsigner lacritiquede typehistoriqueoubiographique.Lavulgatemtacritiquedecettepriodeopposaitpluttcesdeuxrelations luvrecomme(pour ledireendestermes philosophiques bien reus depuis Dilthey, et alors souvent invoqus dans tout le champ desscienceshumaines)luneexplicativeparlarecherchedecausesextrieures,lautrecomprhensivepar la description, au plus linterprtation, des seuls traits internes et de leurs rapports rciproques voyezparexemple lepriredinsrerdeLUnivers imaginairedeMallarm2 : Cette nigme, cettefascination[quexercesonuvre],Jean-PierreRichardsestpropos,nonpointdelesexpliquer,maisdelescomprendre.Cenestsansdoutepastrahirlintentiondecetauteurquedeluifaireappliquercepropossalecturedeluvreelle-mme;dansunarticlepeuprscontemporaindelacompositiondesonMallarm,ilcaractrisedailleursencestermeslenouveaucourantcritiqueauquelilserattacheimplicitement:Disons,silonveut,pournousservirdunedistinctionutile,quecettecritiquenestplusexplicative[commelacritiqueuniversitairetraditionnelle],maiscomprhensive3.Illaqualifieunpeuplusloin,ensignalantquecettepithteesticiduneapplicationcourante,dephnomnologique.De

  • son ct, Leo Spitzer, dcrivant, la mme anne, lvolution qui lavait conduit, dune stylistiquepsychanalytique juge aprs coup trop sujette ce quon appelle aujourdhui en Amrique labiographicalfallacy,versltudedesuvresentantquorganismespotiquesensoi,sansrecoursla psychologie de lauteur , ajoutait quil appellerait maintenant volontiers cette mthodestructuraliste4.Nousallonsretrouvercesrseauxdquivalencesynonymique.

    *

    Commeon le saitdepuiscettepoquemoinsquonnaitdjcommencde loublier, cetteattitude dite comprhensive sest investie avec le plus dclat dans les pratiques baptises, enAngleterreetauxtats-Unis,NewCriticism,puis,enFrance,nouvellecritique5.Lepremierendatede ces deux courants, illustr par la mthode dite de close reading une expression apparemmentambigu(close connotant la fois laclturede lobjetet lattentionscrupuleusesesdtails)quimesembleraitassezcorrectementtraduiteenfranaisparcelledelectureimmanente,sattachaitplutt des considrations formelles, particulirement propos de textes potiques de langue anglaise. Lesecond, inaugurdans lesannescinquantepar lestudesdeGeorgesPoulet,deRolandBarthesetdeJean-Pierre Richard, recherchait plutt ses dbuts, en vers comme en prose, des constantesthmatiques, de rfrence presque toujours psychologique. Cest dans un deuxime temps, souslinfluencemthodologiquedustructuralismeet(nonsansretard)duformalismerussedesannesvingt,quesestmanifest,danslammenouvellecritiquefranaise,unintrtpour,justement,lesstructuresformelles dites, entre autres, langage potique ou discours narratif . Do ces deux tendancesdistinctes, mais fort peu antagonistes, qualifies depuis lors de critique thmatique et de critiqueformaliste,oustructurale.Cequecesdeuxtendancesavaientencommun,cestprcismentleprincipedimmanencequeBarthes, sans employer encore ce terme, suggrait ds1954dans lAvant-proposdesonMicheletparlui-mme:

    Le lecteur ne trouvera dans ce petit livre, ni une histoire de la pense deMichelet, ni une histoire de sa vie, encoremoins uneexplicationdeluneparlautre.QueluvredeMichelet,commetoutobjetdelacritique,soitendfinitiveleproduitdunehistoire,jensuisbienconvaincu.Maisily aunordredes tches : il fautdabord rendre cethommesa cohrence.Tel a tmondessein : retrouver la structureduneexistence(jenedispasdunevie),unethmatique,silonveut,oumieuxencore:unrseauorganisdobsessions.Viennentensuitelescritiquesvritables,historiensoupsychanalystes(freudiens,bachelardiensouexistentiels),cecinestquunepr-critique:jenaicherchqudcrireuneunit,etnonenexplorerlesracinesdanslhistoireoudanslabiographie.

    *

    Texte vritablement fondateur : les deux premiers volumes destudes sur le temps humain deGeorgesPoulet sont un peu antrieurs, 1950 et 1952,mais ils ne comportaient pas unmanifeste aussiexpliciteauquelPouletnauraitdailleurspastoutfaitsouscrit,prchantseulementdexemple;lesprofessions de foi, sous sa plume ou celle de Jean-Pierre Richard, viendront plus tard. Jai ditfondateur,maisjedevraispeut-trepluttdirerefondateur,pourrendrejusticeunautretexte,sensiblementantrieurnotrepriode,etquenousrencontreronsunpeuplusloin.DansceluideBarthes,donc, on peut observer deux choses, videmment indissociables. La premire est quil prsente ceMicheletcommeuntravailenquelquesorteprparatoirenommmentpr-critiqueparrapportcequi,selonlui,devraitultrieurement,danslordredestches,constituerleffortdeplusqualifisque lui, savoir les critiques vritables, historiens ou psychanalystes , capables dexpliquer lhistoire de la pense de Michelet par celle de sa vie, ou par une histoire plus vaste o elle

  • plongeraitsesracinesetdontelleserait leproduit.Ladeuximeremarqueestquecettepr-critiquesedfinit ici rsolumentcommerecherchedune thmatique, et cette thmatiquecommeunecohrence,oumieuxencore:unrseauorganisdobsessions;autrementdit:sedfinitcommelobjet dune lecture apparemment psychologisante, mais enferme dans limmanence dun texte devastesdimensions,puisque, je le rappelle, extensif lensemblede luvredeMichelet,unensembledfini,donc,parlunitdesonauteur.Ledernierchapitre,LecturedeMichelet,prsentedailleursunvritable expos mthodologique, qui souvre sur la question : quoi reconnat-on un thme chezMichelet?Larponsetiententroisprincipes:lethmemicheletienestitratif,cest--diredispersdansletexte,etindiffrentlvolutiondelapenseconscientedelauteur; ilestsubstantiel,en tantquil met en jeu une attitude deMichelet lgard de certaines qualits de lamatire , fortementvalorisesoudvalorises:aucunthmenestneutre,ettoutelasubstancedumondesediviseentatsbnfiquesetentatsmalfiquescest lepointparlequellacritiquethmatiqueserattacheleplustroitement,etdssanaissance, lenqutebachelardienne,dontellenescartera jamaisbeaucoup6 ;enfin,lethmeestrductible,entantqueprisdansunrseaudethmes,quinouententreeuxdesrapportsdedpendanceetderduction.Unevritablealgbreseconstitue,carchaque thmepeuttredonnsousuneformeelliptique(cest--direallusiveetimplicitementrfrelensembledurseau). Le discours deMichelet est un vritable cryptogramme, il y faut une grille, et cette grille, cest lastructuremmedeluvre.IlsensuitquaucunelecturedeMicheletnestpossible,siellenesttotale:ilfautseplacerrsolumentlintrieurdelaclture.

    *

    On levoit, cequenousappelons aujourdhui,presque indiffremment, critique immanenteouthmatique(lasecondetantalors,danslhorizonfranais,laseuleversion,sijosedire,disponiblede la premire ; on peut dailleurs noter quelle nest pas ici qualifie directement comme mthodecritique,commecritiquethmatique,maisindirectement,parsonobjet,quiestlathmatiquedeluvreconsidre,cest--direlerseaudesesthmes),cettecritiquequonnetarderadoncpasdirenouvelleavanceencore,enceprintemps1954,surdespattesdecolombe.Dabord,parcequelleseprsentecommedicteparlesidiosyncrasiesdesonobjet(cenestpaslethmeengnralquiestdititratif,substantieletrductible,maissimplementlethmemicheltien,sibienquonpourrait,unpeunavement, attribuer lobjet Michelet plutt qu son analyste Barthes la responsabilit de cettemthode,siunelectureautonomedesontextenelaissaitapparatrelapartdinvestissementpersonnelducritique):aucuneextrapolationnestenvisage,quineservleraqueparlasuite,etnonplustropchezBartheslui-mme,dontlesouvragescritiquessuivants(SurRacine,Sade,Fourier,LoyolaetsurtoutS/Z)relverontdunedmarchesensiblementdiffrente.Ensuite,commenouslavonsdjvu,parcequellese veut un humble prambule mthodique la critique proprement dite, qui reste dfinie, distancerespectueuse,paruneviseencore lgitimementexplicative.Les raisonsdecettemodestie,quina, jecrois,riendaffect,tiennentpeut-treaubackgroundbarthsiendalors,jedevraispluttdirelapartquil en assume alors : freudien, bachelardien, sartrien lexclusion apparente dune autre part,marxiste(mais tendanceBertolt), icipudiquementqualifiedhistorienne. Jenaipas insister icisurcesventuelsmotifspersonnels:jeveuxsimplementmarquer,enquelquesorteacontrario, lamaniredontleprambulepr-critiquede1954(restituerunecohrence,dcrireuneunit,enlaissantdautreslesoindenrechercherlescauses)estdevenuparlasuitemais,jecrois,trsviteleproposessentieldelacritiqueditenouvelle.Ilneseradoncbienttplusquestiondunecritiquevritable vise explicative : par un renversement inattendu, ou du moins par une nouvelle rpartition des

  • tches , cette vise sera en quelque sorte dlgue des disciplines extra-critiques, voire extra-littraires,commelhistoire,lasociologieoulapsychologie.

    *

    Unautre textedeRolandBarthes, postrieur auMichelet de presqueunedcennie, tmoigne trsclairementdece renversement : sous le titreLesdeuxcritiques, iloppose la critiquequeBarthesfavorisedsormaisunecritiqueuniversitairedetraditionplusoumoinsfidlementlansonienne,quiprtend expliquer luvre par un ailleurs extrieur elle ( autre uvre antcdente , dans lacritiquedessources,oucirconstancepersonnelle,danslacritiquebiographiquelebiographisteimplicitementvis, proposdeRacine, tant iciRaymondPicard, qui allait le prendre assezmal), etmmelacritiqueinterprtativedinspirationpsychanalytique,alors illustre(toujourspropos,entreautres,deRacine)parCharlesMauron; interprtationgalementcondamnepoursapostulationdecetautre ailleurs de luvre qui est linconscient ( lenfance ) de lauteur ; cette critique-l, ditBarthes, continue pratiquer une esthtique des motivations fonde tout entire sur le rapportdextriorit:cestparcequeRacinetaitlui-mmeorphelinquilyatantdepresdanssonthtre:latranscendancebiographiqueestsauve.Voilloccurrenceexceptionnelle,quejannonaisplushaut,du mot transcendance. Il ny a donc bien ici que deux critiques, et non trois, linterprtationpsychanalytique version Mauron rejoignant, ou se trouvant accepte, de manire quelque peucompromettante Barthes vient de mentionner la conscration de Mauron par un doctoratparticulirementbienaccueilli7,accepte,donc,par lapositivisteou lansonienneaunomdunmmeproposdexplicationpardescausesextrieuresoutranscendantes:Ensomme,poursuitBarthes,cequelacritiqueuniversitaireestdisposeadmettre(peupeuetaprsdesrsistancessuccessives),cestparadoxalement leprincipemmedunecritiquedinterprtation,ou, si lonprfre (bienque lemotfasseencorepeur),dunecritiqueidologique;maiscequellerefuse,cestquecetteinterprtationetcetteidologiepuissentdciderdetravaillerdansundomainepurementintrieurluvre;bref,cequi est rcus, cest lanalyse immanente8. Nous avons, je le rappelle, dj rencontr loppositionentrevisesexplicativeetcomprhensive(quasi-synonymedimmanente)souslaplumedeJean-Pierre Richard, qui lexplicitait en 1961 en ces termes : Alors que la critique universitaire avaittendance remonter explicativement de lhomme luvre, comme dune cause un effet [], noscritiquescherchentdabordpntrerlesensdeluvreelle-mme,etcestpartirdelleseulequilssepermettrontderevenirsonauteur9.Letermedimmanence,queRichardnemployaitpasencoreici,illappliqueraunpeuplustard,en1967,lamthodedeCharlesDuBos,etimplicitement,jesuppose,la sienne propre : Luvre ne saurait trouver hors delle-mme ni les prmisses de son sens ni leprincipedesonordre.Lacritiqueseradoncuneactivitpleinementimmanenteluvre10.Lammeanne 1967 voit lexpression tude immanente propose, en concurrence avec celle dapprochestructurale,parJeanStarobinski11.

    *

    Je reviens au texte deRolandBarthes. Son recours (un peu embarrass) ladjectif idologiquepourqualifier ici linterprtationfreudiennepeutsurprendreaujourdhui,mais il se trouvequeBarthesavait, trois pages plus haut12, rang cette dernire dans la catgorie plus vaste de la critiqueidologique,oilembarquait(sansemployerencorecettelocution)toutelanouvellecritique,entreautresLucienGoldmann,dontleDieucach13,dinspirationmarxistetendanceLukcs,avaitfaitluiaussi, et ds 1955, lobjet dune soutenance en Sorbonne. Le rle de ce critre institutionnel peut

  • aujourdhuisembleranecdotique;maisilfautserappelercombienviftaitalors,dsavantlafameusequerelleBarthescontrePicard,et remontantenfait jusquProustcontreSainte-BeuveouPguycontre Lanson, le divorce entre lUniversit et la critique indpendante, et combien vigilant taitlostracismedelapremirecontrelaseconde.

    Ilyadoncdanscetarticlede1963unesortededrivecatgorielle : lesdeuxcritiquessontdaborddfiniesetopposescommeluniversitaire,oupositiviste,oulansonienne,dunct,l idologique , de lautre ; puis cette opposition se trouve implicitement relativise. Relativisedabordparceque lepositivismeest luiaussiune idologiecomme lesautres,mmesi,oupluttafortioripuisquellesignorecommetelle;dansunautrearticle,parulammeanne14,limputationsefaitplusprcise :Lelansonismeest lui-mmeuneidologie[celledundterminismepsychologiquesimpliste][]Cenesontpassespartisprisquelonpeutreprocheraulansonisme,cestdelestaire,deles couvrir du drap moral de la rigueur et de lobjectivit : lidologie est ici glisse, comme unemarchandisedecontrebande,danslesbagagesduscientisme15.Oppositionrelativise,donc,parcequelepositivismeestuneidologie,etparcequeleditpositivisme,commeinstitutionuniversitaire,semontrecapabledaccueillir,parvoiedesoutenance,certainesmanifestationsde lacritique idologique,condition que ces manifestations (Goldmann, Mauron, par exemple) tmoignent elles-mmes de cettedmarchedexplicationde luvreparunailleursquidfinit ledterminismepositiviste.Dslors, la vritable opposition, la plus pertinente, en vient se formuler comme opposition entre ladmarche transcendante du positivisme explicatif et celle de l analyse immanente , purementdescriptive,enqutedunecohrenceouduneunitquinesesouciedaucunailleursextrieurautexte. Les deux critiques qui font lobjet de cet article sont donc finalement, et le plus justement,dsignes,lunecommelatranscendante(ycomprislinterprtativequandellerecourtlailleursdelinconscient,oudelappartenancesociale),etlautrecommelimmanente;et,contrairementauxqualifications antrieures de lAvant-propos duMichelet, cest la seconde, et elle seule, qui mritemaintenantletermedecritique.Lasuitedelarticlemettrabiendespointssurbiendesi:

    Cequi est rcus [par le positivisme], disait doncBarthes, cest lanalyse immanente. Il vatenteraussittdejustifiercettenotion,cest--diresurtoutcetadjectif,endcrivantlapratiquecritiquelaquelle il sapplique, mais toujours, selon le propos constamment polmique de ce texte, commeindirectement etacontrario, travers le refus que lui oppose lUniversit positiviste, et comme lalumiredecerefus.Jereprendsdoncsalecture:

    Ce qui est rcus, cest lanalyse immanente : tout est acceptable [pour lUniversit], pourvu que luvre puisse tremise enrapport avecautrechose quelle-mme, cest--dire autre chose que la littrature : lhistoire (mme si elle devientmarxiste), lapsychologie(mmesiellesefaitpsychanalytique),cesailleursde luvreserontpeupeuadmis;cequineleserapas[etquevalorise videmment Barthes], cest un travail qui sinstalle dans luvre et ne pose son rapport au monde quaprs lavoirentirementdcritedelintrieur,danssesfonctions,ou,commeonditaujourdhui,danssastructure;cequiestrejet,cestdoncengros la critique phnomnologique (qui explicite luvre au lieu de lexpliquer), la critique thmatique (qui reconstitue lesmtaphoresintrieuresdeluvre)etlacritiquestructurale(quitientluvrepourunsystmedefonctions).Pourquoicerefusdelimmanence(dontleprincipeestdailleurssouventmalcompris)?

    Javouenepaspercevoirclairementsilarelativeentreparenthsesapourantcdentlimmanenceou son refus (plutt le second, jimagine),mais, en tout cas, suit un paragraphe final oBarthes tentedexposer les raisons, implicitement donnes pour lgitimes, de ce refus : raisons en quelque sortepratiques et lies la fonction didactique et docimologique de linstitution universitaire, qui lepositivisme (je cite de nouveau) fournit lobligationdun savoir vaste, difficile, patient ; la critiqueimmanente du moins lui semble-t-il [ lUniversit] ne demande, devant luvre, quun pouvoir

  • dtonnement, difficilementmesurable :oncomprendquelle [toujours lUniversit]hsiteconvertirsesexigences.Leffortdecomprhension,pourlecoup,estpluttgnreuxdelapartdeBarthes,dans le contexte encore une fois polmique de cet article : lattachement crisp, et manifeste, delUniversitdalorslruditionfactuelletiendraitselonBartheslancessitprofessionnelle,etquasidontologique,oellesetrouve,defondersesactivitsdeslectionetdeconscrationsurdescritresobjectifs, que la lecture immanente ne peut gure fournir. (Jentends encore le regrettAntoineAdamexploser,justementlorsdunesoutenance:Mais,monsieur,toutcelanestquinterprtation,etcequenousvoulons,cesontdes faits !Outre,sansdoute,uneprfrencepersonnelleparfaitement lgitime,sonmotifmthodologiquetaitclairementquelesfaits,contrairementauxinterprtations,taient,ses yeux, susceptibles de vrification.) Encore faut-il nuancer cette observation en rappelant la placecentrale quoccupait dans les tudes littraires et aujourdhui encore , et dans certains examens etconcoursquilessanctionnaient,lexerciceditdelexplicationdetexte,quiseveutaucontraire,etjyreviendrai,farouchementimmanente:ondoitycommenterligneligne,motmot,untextedunepage,ensinterdisanttoutrecoursdesconsidrations(mmetextuelles)extrieurescetexte,pourlecoup,vraimentclos.

    *

    Mais laissons ces considrations historiques et institutionnelles : je reprends, pour saluer leurapparition sous la plume deBarthes, ces trois qualificatifs : critiquephnomnologique, thmatique,structuralequalificatifsdont jediscernemalsilssontalors,danslespritdeBarthes,synonymesoudistinctifs. On connat en tout cas leur fortune ultrieure, au moins pour les deux derniers. Lhistoireprcise de ces propositions terminologiques et conceptuelles reste faire,mais ilme semble que cesoccurrencespeuventfigurerparmilespremires.Jean-PierreRichardavaitdjadopt,etavecclat,leconceptdethmedanslIntroductiondesonMallarm:Lepremier[problmesoulevparladmarchedecettetude]intresselanotionmmedethme,surlaquelleestfondetoutenotreentreprise16.Pourlaqualificationdethmatiqueappliquecetypedentreprises,etqueBarthes(onvalerevoir)attribuevolontiers dautresque lui-mme, ladclarationdacceptation, solennellequoique indirecte,viendraen1966,lorsqueGeorgesPoulet,lorsdunedcadequilprsidaitCerisy,adoubera(jenosedire:annexera)encestermesleProustduContreSainte-Beuve:[]Unecritiqueproustiennenepeuttrequeladmarchepar laquelleunepenselectrice,plongedansledsordreapparentqueconstituepresquetoujourslensembledesouvragesdunmmeauteur,ydcouvre[]lesthmescommunstoussesouvrages.Rivire,DuBos,Fernandezonttnonpas lesfondateurssansdoute,mais lespremiersgrandsreprsentantsauXXesicledelacritiqueidentificatrice.MarcelProustestplusencore.Ilesttoutsimplement le fondateur de la critique thmatique17. La reprise de ce passage, en 1971, dans lechapitreProustdurecueilLaConsciencecritique,laisseradectlarfrenceRivire,DuBosetFernandez,affectsunautrechapitre,etseconcluraencestermesencoreplusnets:Lacritique,auxyeuxdeProust,sansquilprononcedailleurscemot,savredoncncessairementcommethmatique.Proust est tout simplement le premier critique qui se soit avis de cette vrit fondamentale. Il est lefondateurdelacritiquethmatique18.

    Nous retrouverons Proust un peu plus loin, et le texte qui le dsigne effectivement comme lefondateurdecettemthodecritique;maisjereviensuninstantencoreRolandBarthes.DansunautretextepeuprscontemporaindelarticleLesdeuxcritiques,unentretienaccorden1963etparudansTelQuelenfvrier1964sousletitreLittratureetsignification,enrponseunequestionsurla critique de signification (cette expression visait, un peu maladroitement, les diverses formes de

  • critiqueinterprtative,diteaussi,plus tard,hermneutique),Barthesrevientsursadistinctionentreunecritiqueinterprtativetranscendante(celle,denouveau,dunMauronoudunGoldmann)etuneautrecritiquetoutaussiinterprtative,maisimmanente:

    Toujoursdans la critiquede signification,mais en face, legroupedescritiquesque lonpourrait appelerdunemanireexpditivethmatiques(Poulet,Starobinski,Richard);cettecritiquepeuteneffetsedfinirparlaccentquellemetsurledcoupagedeluvreetsonorganisationenvastesrseauxdeformessignifiantes.Certes,cettecritiquereconnatluvreunsignifiimplicite,quiest,engros, leprojetexistentielde lauteur,etsurcepoint,demmequedans lepremiergroupe lesignetaitmenacpar leproduitoulexpression,demmeiciilsedgagemaldelindice;maisdunepart,cesignifinestpasnomm,lecritiquelelaissetenduauxformesquilanalyse;ilnesurgitquedudcoupagedecesformes,ilnestpasextrieurluvre,etcettecritiqueresteimmanenteluvre(cepourquoi,sansdoute,laSorbonnesemblequelquepeuluirsister);etdautrepart,enfaisantportertoutsontravail(sonactivit)surunesortedorganisationrticulairedeluvre,cettecritiqueseconstitueprincipalementencritiquedusignifiant,etnonencritiquedusignifi19.

    Nonsansdiversesraisons,maisenoubliantquelquepeuaupassagelasoutenance,enmai1962,de Jean-Pierre Richard sur sonMallarm, ouvrage emblmatique de la critique thmatique, Barthescontinue de voir dans la Sorbonne ladversaire, et donc le rvlateuracontrario du bon camp ( enface ). Ce camp celui, toujours, de limmanence se trouvemaintenant requalifi, en termes plussmiologiques (lhistoire des ides marchait assez vite cette poque), comme celui dune critiquedavantageattacheausignifiantquausignifi,objet,lui,delhermneutiquetranscendante.Loppositionimplicite est videmment, par rapport ce qui sappelle encore luvre, et qui sappellera bientt leTexte,entre la transcendancedusignifiet limmanencedusignifiant : lesrelationsdquivalencesontassez claires, et dailleurs tout fait lgitimes. Ce qui fait peut-tre davantage problme, cest cettefaon, videmment stratgique face ladversaire commun, de tirer la thmatique du ct dunecritique plutt structurale, voire formaliste, en quoi je ne pense pas quelle se serait alors volontiersreconnue.Cequidumoinsestdslorsclairementpos,cestquelavisedimmanenceestmaintenantdfinitoire de la critiqueproprementdite, qui na donc plus rien dune pr-critique prparant lesvoies ou balisant le terrain pour une critique vritable . partir de l, il ira presque de soi quelexpression critique immanente constitue une sorte de plonasme do peut-tre son extinctionrapide,danslesannessuivantes,auprofitdecatgoriesplusspcifiquescommecritiquethmatique,formelle,oustructurale,cartoutecritiquevritableseratenue,etsetiendra,pourimmanentepardfinition.

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    Cestcettevidenceunpeunavequejevoudraisquestionnerentenantmontourpourlogiquementvidentquelesdisciplineshistoriquesneprtendent,quantelles,aucuneimmanence,etmoinsencore,bien sr, ces disciplines ouvertement gnralistes , et dlibrment transcendantes aux uvressingulires, que sont la potique, ou thorie littraire, et, plus largement encore, la thorie de lart etlesthtiquegnralepourneriendireicidestudessurcequonaappel,danslesannessoixante-dix,lintertextualit, termequiporteen lui-mmelesigneduneouverturedu textedautres textes20.Monpropos sera donc ici, pour le poser davance un peu lourdement, que la seule pratique, dans lestudes artistiques et littraires, qui ait prtendu limmanence est la pratique critique, et que cetteprtentionmmeest largement illusoire : lacritiqueimmanentenestenralit jamaisaussi immanentequelleleproclame,ouqueparfoisonleluireproche.

    Lepremierfacteurdetranscendanceestassezbiendsignparlequalificatifmme,pourpeuquonsattacheleconsidrerdunpeuplusprs,dethmatiquequiest,jelerappelle,dsloriginedenotre

  • parcours (lAvant-propos duMichelet de Barthes), le label le plus courant de la critique dite alorsnouvelle.Cequalificatif,jelaiinterprtplushautdanssonsensleplusmanifesteetleplustrivialenlopposant,commeonlefaitsouvent,formel:unetudecritiquequisattache,parexemple,austyledunauteur,aujeudesmtres,desrimes,desarrangementsstrophiques,dessonoritsdansunpome,ouqui considre dansun rcit le jeudes dispositions temporelles, des choixdepoint devueoudevoixnarrative, est gnralement, et pertinemment, qualifie dtude formelle, en tant que les objets quelleanalysesont,unniveauouunautre,des formesdusignifiantque lonpeut jusquuncertainpointanalyser sans trop se soucier de la signification du texte quelles affectent. Une tude thmatique, linverse, est une tude qui, travers ces divers moyens dnonciation, sattache des signifis, oucontenus,telsquepourillustrerceversantdefaontrsgrossirelemessageidologiqueconscientouinconscient,lavisiondumonde,lesentimentdelanature,lapsychologiedespersonnages,lattitudedelauteurleurgard,etc.Encesens,lacritiquejournalistiquelaplusbanale,parfoislaplusvulgaire,estpourlessentielunecritiquethmatique,entantquelleoffreunecritiqueducontenu,fautepeut-tredesavoiroffrirautrechosesicenestuneoudeuxcitationspourdonneruneidedustyle.Onpeut assez bien, cet gard, expliquer le succs de cet adjectif par la difficult quprouve la languefranaiseendriverunautredemotscommecontenuousens;peut-treaurait-ilfalluemprunterlathoriedulangageloppositionentresyntaxiqueetsmantique,maiscestermesysontdunusageplusrcent,etjenesaispassilsauraientticidunebiengrandetransparence.Bref,thmatiquefonctionneaujourdhuileplussouventcommequivalentdequiportesurlecontenu,etthmecommesynonymedesujetonentendparexemple,danslesmdias:lethmedenotremissionsera;etlonyqualifiedethmatiqueunesoireentirementconsacreunsujetdonn.

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    Maisnoussavonsbienaussimmesinoussommesunpeumoinsnombreuxlesavoirquelacritique thmatique dont shonorent aujourdhui nos tudes littraires ne se laisse pas ramener unedfinitionaussisimple:ladjectifthmatiquecomporteaumoinsunautresens,quenousavonsdjvuvoquer plusieurs reprises, au moins depuis le Michelet de Barthes (puisque Proust, comme lerappelait Poulet, nemploie jamais cet adjectif non plus bien sr quimmanent, qui caractriseraitpourtantassezbiensamthodecritiqueface,entreautres,celledeSainte-Beuve),etquenousallonsrencontrerdenouveau.Cesecondsens,quoiquunpeuplussubtil,selitassezfacilementdansuneautreopposition,certesmoinscourantequecelleentre formeetcontenu,etquinousvientvidemmentde lamusique,entrethmeetvariations.Unecritiqueestthmatiquequandellecherchedgager,traverslavariance des occurrences disperses, cet invariant sous-jacent, rcurrent, voire, commeditBarthes deMichelet, obsessionnel , quon appelle ds lors un thme mais qui peut tre aussi bien dordreformel que thmatique au sens courant. Ladjectif sapplique en fait, me semble-t-il, bien pluslgitimementunemthodequunobjet,etrienapriorineprescritquelinvariantquecettemthodecherchedgagersoitdelordreducontenuetlesvariancesdelordredelaforme,pluttquelinversesanscompterces traitsambivalentsou intermdiaires,ces ticsde langage rvlateurs,cesphrasestypes(ouphrases-types)queProustobservaitcommecritiqueetparfoisimitaitcommepasticheurchezunMichelet([]nepeut-onpasdire[]quelesplusgrandesbeautsdeMichelet,ilnefautpastantleschercherdanssonuvremmequedanslesattitudesquilprendenfacedesonuvre,nonpasdanssonHistoiredeFranceoudanssonHistoiredelaRvolution,maisdanssesprfacescesdeuxlivres?Prfaces,cest--direpagescritesaprseux,oillesconsidre,etauxquellesilfautjoindreet l quelques phrases, commenant dhabitude par un Ledirai-je ? qui nest pas une prcaution de

  • savant,maisunecadencedemusicien),ouchezunBarbeydAurevilly,unThomasHardy,unStendhal,unVermeer,unDostoevski:

    EtrepensantlamonotoniedesuvresdeVinteuil,jexpliquaisAlbertinequelesgrandslittrateursnontjamaisfaitquuneseuleuvre,oupluttrfracttraversdesmilieuxdiversunemmebeautquilsapportentaumonde.Silntaitpassitard,mapetite,luidisais-je,jevousmontreraiscelacheztouslescrivainsquevouslisezpendantquejedors,jevousmontreraislammeidentitquechezVinteuil.Cesphrasestypes,quevouscommencezreconnatrecommemoi,mapetiteAlbertine,lesmmesdanslasonate,dansleseptuor,danslesautresuvres,ceseraitparexemple,sivousvoulez,chezBarbeydAurevillyuneralitcachervleparunetracematrielle,larougeurphysiologiquedelEnsorcele,dAimedeSpens,delaClotte,lamainduRideaucramoisi, lesvieuxusages, lesvieillescoutumes,lesvieuxmots, lesmtiersanciensetsinguliersderrirelesquelsilyalePass, lhistoireoralefaiteparlesptresaumiroir,lesnoblescitsnormandesparfumesdAngleterreetjoliescommeunvillagedcosse,deslanceursdemaldictionscontrelesquellesonnepeutrien,laVellini,leberger,unemmesensationdanxitdansunpaysage.[]Cesontencoredesphrases-typesdeVinteuilquecettegomtriedutailleurdepierresdanslesromansdeThomasHardy.[]VousverriezdansStendhaluncertainsentimentdelaltitudeseliantlaviespirituelle,lelieulevoJulienSorelestprisonnier,latourauhautdelaquelleestenfermFabrice,leclocherolabbBlanssoccupedastrologieetdoFabricejetteunsibeaucoupdil.VousmavezditquevousaviezvucertainstableauxdeVerMeer,vousvousrendezbiencomptequecesontlesfragmentsdunmmemonde, que cest toujours, quelque gnie avec lequel elle soit recre, lamme table, lemme tapis, lamme femme, lammenouvelleetuniquebeaut,nigmecettepoqueorienneluiressembleninelexplique,sionnecherchepaslapparenterparlessujets,maisdgagerlimpressionparticulirequelacouleurproduit.Hbien,cettebeautnouvelle,elleresteidentiquedanstouteslesuvresdeDostoevski21.

    LarfrenceauxphrasesdeVinteuil,circulantdesonateenseptuor,etauxmotifsrcurrentsdeVermeer,dont lnigmenese laissepasapparenter,cest--direexpliqueret rduirepar lessujets,montrebienquelestraitsdemonotonie(termeicimanifestementlaudatif)rencontrschezcescrivains,cesmusiciensoucespeintresnerelventpasncessairementduneunitdecontenu: lamonotonieestautant,oupluttbiendavantage,uneunitdeton.Maisvoici,toujourssouslaplumedeProust,letextethorique,oumthodologique,lepluscaractristique,etquelonpeutbiendire,commelefaisait Georges Poulet, fondateur de la critique thmatique (cest lui que jannonais plus haut proposdelAvant-proposrefondateurduMicheletdeBarthesquineleconnaissaitpeut-trepas,ouquilavaitpeut-treoubli).IlsetrouvedansunelonguenotedelaPrfacelatraductiondeLaBibledAmiens,publieen1904etsansdouteantrieuredunoudeuxanscettepublication:

    Siaucoursdecettetude,jaicittantdepassagesdeRuskintirsdautresouvragesdelui,envoicilaraison.Nelirequunlivredunauteur,cestnavoiraveccetauteurquunerencontre22.Or,encausantunefoisavecunepersonneonpeutdiscernerenelledes traits singuliers. Mais cest seulement par leur rptition dans des circonstances varies quon peut les reconnatre pourcaractristiquesetessentiels.Pouruncrivain,commepourunmusicienouunpeintre,cettevariationdescirconstancesquipermetdediscerner,parunesortedexprimentation,lestraitspermanentsducaractre,cestlavaritdesuvres.Nousretrouvonsdansunsecondlivre,dansunautretableau,lesparticularitsdontlapremirefoisnousaurionspucroirequellesappartenaientausujettrait autant qu lcrivain ou au peintre. Et du rapprochement desuvres diffrentes nous dgageons les traits communs dontlassemblagecomposelaphysionomiemoraledelartiste.[]Ainsijaiessaydepourvoirlelecteurdunemmoireimproviseojai dispos des souvenirs des autres livres deRuskin une sorte de caisse de rsonance, o les paroles deLaBible dAmienspourrontprendrequelqueretentissementenyveillantdeschosfraternels.[]Aufond,aiderlelecteurtreimpressionnparces traitssinguliers,placersoussesyeuxdes traitssimilairesqui luipermettentde les tenirpour les traitsessentielsdugnieduncrivaindevraittrelapremirepartiedelatchedetoutcritique23.

    Lasuitedecettenoteassigneeneffetlacritique,au-deldurelevthmatiquedesinvariants,uneautretche(secondepartiedesonoffice)quiconsisteraitreconstituercequepouvaittrelasingulireviespirituelleduncrivainhantderalitssispciales:ensomme,remonterdestraitsrcurrentsobservsdansluvrecequeBarthesappelleraleursracines.Cepassagedelapr-critique thmatique (descriptive) lacritiquevritable (explicative, ici,par la singularitdune vie spirituelle ), Proust semble sy soustraire propos deRuskin avec autant dempressement que

  • Barthes propos deMichelet : Je nai pas besoin de dire que cette seconde partie de loffice ducritique,jenaimmepasessaydelaremplirdanscettepetitetudequiauracomblmesambitionssielledonneledsirdelireRuskinetderevoirquelquescathdrales.Ilestvraiquelaviespirituelleduncrivain,queviseraitreconstituercettesecondetche,nesedistinguepassiaismentdelaphysionomiemoralequedgageaitdj lapremire,cequi rendsansdoutecelle-ci inutile,etdoncillusoire:toujourslhorizon,commeunmirage,etdexcutiontoujoursdiffre.

    Onlasansdoutebienperu,lapremiretchedelacritique,quiservlepeut-trelaseule,consistepourlessentieldgagerlestraitspermanentsduneuvre,ennotantleursrcurrencesetleurschosfraternelsquiretentissentduneoccurrencelautre.Mais,commeProustyinsisteaussibieniciproposdeRuskinquedansLaPrisonnireproposdautresartistes,lecorpussoumiscette recherche nest rien dautre que luvre entier dun auteur, ce qui assimile invitablementlinvariancedgagelunitpsychologique(physionomiemorale)decetauteur.Onpeutimagineretmmerencontrerdesenqutesplusrestreintes,bornesuneseuleuvresingulire,ouaucontraireplusvastes, dbordant le champ de cration dun seul artiste pour envisager la thmatique commune unepoque (lge baroque chez Jean Rousset, le romantisme noir chez Mario Praz) ou dun genre (letragique chezAristote, le romanesque chezHegel, le comique chezMauron, etc.) ; on pourrait aussiconsidrerqueceprimtrevariabledudomaineautoriseuneconceptionenquelquesortegraduelledelopposition entre critiques immanente et transcendante : la critiqueborne unouvrage singulier(parexemplelanalysedesChatsdeBaudelaireparJakobsonetLvi-Strauss)seraitplusimmanenteetmoins transcendante que celle qui porte sur luvre complet dun auteur, qui serait son tour plusimmanenteetmoinstranscendantequelacritiquedpoqueoudegenre,etainsidesuite,puisquesuiteily a on trouve bien chezHegel, par exemple, une sorte de thmatique compare des diffrents arts,chacundeuxconstituantunesortedecorpussuigeneris,quoiqueimmense.Ceneseraitpasfaux,maisceneseraitpassuffisant.

    *

    Laprfrencedominantepourlathmatiquedauteur,etdoncpourlimmanenceindexeparluvrecomplet,tmoignesansaucundouteduneorientationdetypepsychologique:lacritiquethmatique,deProust nos jours, est souvent une critique d amateurs dme , qui ne se spare de la critiquebeuvienne que par sa mthode dinvestigation, et par le niveau de profondeur o elle situe lecaractredesonobjet,moinsqueceprivilgeaccordlindividucrateurnetmoignedunesortede routine installe depuis lpoque romantique (puisque la critique classique relevait plutt dunepotiquedesgenres),etquiseperptueraitpareffetimpensdinertie.Maisonpeutbienpercevoir,sousla plume de Proust, une inflexionmthodologique qui doit nous dtourner, en tout cas, de lide queluvredunauteurcomposeuncorpushomogneetindiffrenci,olonpasseraitdunouvrageunautre,parunrseaudecitationsinterchangeables,sanstropsesoucierdeleursdiffrences.Bienaucontraire, la principale justification invoque par Proust est cette variation des circonstances quemanifeste la varit des uvres , une varit qui donne tout son sens linvariance des traitspermanents , ainsi libre de ce qui pourrait provenir dune appartenance au sujet trait . Larechercheduthmecommunnesesparedoncpasduneattentionladiversitdesesvariations,etlamthodethmatiquepourraitaussilgitimementsevoirqualifiedevariationnelle,oupourlemoinsde relationnelle , puisquelle joue constamment sur la relation entre thme et variations. Ce queconfirmesamanireJean-PierreRicharddanslAvant-proposdeLittratureetsensation:Letravailcritiqueadonc iciconsistenunemiseenrelation,oumieuxenunemiseenperspectivedesdiverses

  • donnes apportes par luvre et par la vie. [] Cest seulement dans ce jeu de lueurs reues etrenvoyes que peut rsider leur signification [celle des tudes critiques recueillies dans ce volume] :celle-ci ne peut tre quune orientation, que lindication dune certaine direction fuyante au bout delaquelleonseraitheureuxdevoirseprofilerlunitsuprieureduneexistenceenfindlivredetoussesfauxhasardsetrenduesacohrencesingulire24.Lemmecritiquesouligneraplustardlecaractre transitif du thme : relevant chez Mallarm des figures matresses comme le battement, lejaillissement, leffulgence, il se propose, pour les distinguer, de superposer les uns aux autres lesdivers tages de lexprience, dtablir leur gographie comparative, enfin de voir comment ilscommuniquentpourconstitueruneexprience.Lethmenousapparatalorscommellmenttransitifquinouspermetdeparcourirendiverssenstouteltendueinternedeluvre,oupluttcommellment-charnire grce auquel elle sarticule en un volume signifiant. Toute thmatique relve ainsi la foisdunecyberntiqueetdunesystmatique25.Onperoiticilechangementdemtaphoresetderfrencesimplicites:leventfrisquetdustructuralismeestpassparl,etpeut-treaussilamthodecomparativedeCharlesMauron,quiprocde,onlesait,parsuperpositionspourdgager,elleaussi,desinvariantsstructuraux.

    CequeProustappelaittoutlheurelavariationdescirconstances,cestaussicequonappelle,sans doute sous linfluence de la pense linguistique, lamultiplicit des contextes, qui organise dansluvreunemultiplicitderapports.Cestprcismentfaceunlinguisteetstylisticien,GraldAntoine,queRichardestamenyinsisteraucoursdelasusditedcadedeCerisy.Rappelantquunthmenestpasunmot,maisuneconstellationdemots,dides,deconcepts,etdoncquilnepeutpasfairelobjetdune statistique (par exemple et justement lemottoile chezMallarm), il se demande commentsoprecettecombinaison,etrpondaussitt:

    Ellesoprejustementparrapportaucontexte.Orilyadeuxcontextes,etgnralementonneparlequedunseul.Ilyalecontextesuccessifdeluvreoucontextemtonymique,etlecontextemtaphorique,quiestlatotalitdeluvremme.Unthmeneprendsavaleurquedansunrseauorganisderapports,quisont lafoisdesrapportsde langageetdexprienceetsedploientdanscette sorte de masse de langage quest la totalit de luvre. Bien entendu, lorsquon a dgag cette sorte de ncessitmtaphorique,ilfautensuiteessayerdelaretrouverdanslancessitmtonymiquedeluvre.Parexemple,sijeconstatedefaonmtaphoriquechezMallarmlerapportducoupdedltoile,ilmestprcieuxdeconstaterensuite,mtonymiquement,dansuntexte,quelecoupdedestinvoquaprsltoileoummeque,danslamtonymiespatialedupaysage,ilarrivedejeteruncoupdedversunetoile.Cestypesdeconvergenceetdevrificationsstructuralessontabsolumentessentiels.Cequinousspareaufond,cestvotreidequelesensestdanslesdtails.Or,ilnepeutpasyavoirdesensdansunfait,unfaitnapasdesens.Cequiaunsens,cest le rapportqui runitunfaitunautreet, silsepeut,plusieursautresfaits.Sibienquepourfinir je reprendraicettecitationquejaimebien,maisquimeparattoutfaitfausse:vousdites:LebonDieuestdanslesdtailsJenecroispasquecela soit vrai. Je crois que le bon Dieu est entre les dtails . Sil tait dans les dtails, je crois quil naurait jamais cr lemonde26.

    Je ne sais plus trop quel interprte, ou compositeur, avait coutume de dire, videmment en toutejustesse : Lamusiquenest pasdans les notes,maisentre les notes. Cette attention lintervalle,cest--direbiensrauxrelations,dfinitcommeonlesaitlamthodestructurale,etcestsurcepointquelathmatique,prenantconsciencedeloriginalitdesamthode,pluttquedesonobjet,rejointlestructuralisme:lethmeestunrseauderelations,etdoncunestructure.

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    Maisonnepeut tablirde telles relationsvirtuelles, quelquedistancequelles sexercent, sanstablir dans luvre une circulation, disons, pour broder sur un adjectif dj not chez Richard, unetransitivit, qui ne peut sastreindre respecter les relations effectives que prsente cetteuvre : la

  • critiquethmatique(encoreunefois,quellesattachedesformesoudescontenus)doitconstammentenappelerdelancessitmtonymique(lesrelationsdecontigutsyntagmatique) lancessitmtaphorique(lesrelationsdanalogie,dediffrence,decontrasteparadigmatique),etrciproquementsanscesse.Cemouvementdenavette,mmelorsquiltravailledansuneimmanence(et,quellequensoitlamplitude,ontravailletoujoursdansuneimmanence),ytablitcequejappelleraisvolontiersunetranscendanceinterne,puisquiltransgresse(jerappellequecestlesenspremierduverbetranscender)lesdonnesrellesauprofitdesdonnesvirtuellesquilydcouvre,ouqueparfoisilyinvente.Cettelibert,oucettedsinvolturelgardducheminementmotmotduntexte,estcequidistingueleplusclairement la critique thmatique de l explication de texte traditionnelle cest--dire, si je nemabuse,dinstitution lansonienne27.Lamthodeprescritecelle-citaitpeuprs lemotdordredelescargotchezFrancisPonge:Goon,ilsavancentcolls[laterre]detoutleurcorps;undemesbonsmatres nous disait toujours : Il faut ramper sur le texte ;goon, et surtout, pas de sauts dechvre,pasderapprochementstoujourshasardeux.Lanson,cetotemimprissabledelUniversitmoderne(maisnoncontemporaine),nestcertespas,commeProust,lefondateurdelacritiquethmatique,mais il fut, par cettemthodeetdans les limitesde cet exercice, leplus svregardiendunecritiquepresquevraimentimmanente.

    *

    Jexagreunpeu,biensr,etjevaismaintenantexagrerdanslautresens,maispeine,endisantquaucunecritique,etsansdouteaucunelecture,sinonpeut-tremuette,etentoutcasaucuneexplicationdetextequinegagneraitrienaumutisme,sinonunzropoint,nepeuttrevraimentimmanente.Laraisonenestsimpleetradicale.Jevais,pourladgager(maisellenestpasenfouietrsprofondment),revenirunmotdeBarthesquejenaipasrelevtoutlheure.Certes,disait-ilen1963,cettecritiquereconnat luvre un signifi implicite, qui est, en gros, le projet existentiel de lauteur [],mais,dunepart,cesignifinestpasnomm,lecritiquelelaissetenduauxformesquilanalyse;ilnesurgitque du dcoupage de ces formes, il nest pas extrieur luvre, et cette critique reste immanente luvreLapropositionquejesoulignemaintenantpeutsemblertrange,oudumoinsleserait-ellesielle ne portait sur le signifi profond, global ou ultime (letymon de Spitzer), que Barthes appellesartriennement le projet existentiel de lauteur , et que Sartre qui, je crois, ne se piquait pasdimmanencenesestjamaisprivdenommerproposdunBaudelaire,dunGenetou,plustard,dunFlaubert,nominationdontProust,proposdeRuskin,etBarthes,biensr,proposdeMichelet,sabstenaientcommeonlavu.Enrevanche,ilsuffitderelirenimportequelletudecritiquedeRichard,ou le propreMichelet deBarthes, pour y voir au contraire fleurir et prolifrer les termes chargs dequalifierlesobjetsthmatiquesdedtailetdesurfacerencontrs,identifisetorganissparlalecturequiseveutimmanenteetquinelest,ducoup,pasautantquelleleveutouquellelecroit.LindexdesthmesduMichelet, lalistedestitres,soitdutextedeBarthes,soitdesextraitsdeMichelet(titrsparBarthes,biensr),illustrentmerveillecetterage(ceplaisir)denommer.Voiciparexemplelalistedestitres du chapitre Fleur de sang : Eau laiteuse, eau sableuse ; Le sang-cadavre ; La plthoresanguine;Sangdazur;Sangblanc;Sangsfousetsangsclos;Anti-sangs;Lesangconjugal;Craturessirnennes;Fleurdesang;etsestitresdextraits:Avantlesangilyaleau;LaCure;Laplthoresanguine:MarieAlacoque;Laplthoresanguine:sensibilitdeMarat;Sangdacier:laviergeSaint-Just;Lesangnoir:LouisXIV;Tombeauxviolets:lesangclos;Lanti-sang:lapierre;Lanti-sang:lesnerfs ; Lcre et le sopitif ; Locan empourpr ; Animal de sang rouge et de lait ; Fleur de sang. CertainsdecestitressontempruntsautextedeMichelet,maisnontous,etlempruntnechangerien

  • lacte de nomination, par choix ou par invention, qui se veut toujours indigne (dorigine immanente),maisquinenrevientpasmoinsthmatiser,ausensfort,cest--direlafoisexpliciterenlesnommantetrapporterleurthmecommunlesvariationsquifontletissuvivantdutexte.MmeeffetdansSade,Fourier, Loyola, et constamment chez Richard, dont tmoigne par exemple le sommaire final de sonFlaubert28:Apptit;Verve;Boulimie;Assimilation;Indigestion;Mollesse;Fusion;Dispersion;Lamatire ; Dsir ; Emptement ; Chair anonyme ; Particularit ; Eaux ; Bains ; Poissons et serpents ;Moiteurs;Goutte;Noyades;Vertiges

    Jexagredonc,coupsr,enexploitantici,pourfaireplusvite,unappareiltitulairequiaccentueavantmoileseffetsdesubstantivationdontsebaliselediscoursleparcoursduthmaticien;ilyadailleurs beaucoup plus de parcours chez Richard29, qui ne cesse de glisser dun objet thmatique(thmatis) un autre par une srie de transitions ( le thme, lment transitif ) savammentmnages,louBarthesaccentuaitlesdiscontinuitssansmnagementsdaucunesorte,etmmeavecungotmarqupour la rupture et la fragmentation.Mais ceparatextene fait quepointer, le plus souventfidlement, mme si parfois avec une certaine complaisance, les articulations dun texte critique quiprogresseconstamment,ensautantouenglissant,dunprdicatthmatiqueunautre.

    *

    Cetteexpression,prdicatsthmatiques,peutsemblertrange,sinoncontradictoire,tantdonnlopposition traditionnellement tablie, en logique, entre le thme (cedontonparle) et leprdicat (cequonendit).Mais,prcisment,lethmedelacritiquethmatique,etplusgnralementlobjetdetoutecritique, est toujours dans la dpendance du prdicat qui le nomme et qui, le nommant, lui confrelexistence : il nest de thme que prdiqu. Sainte-Beuve disait : Jaime que la critique soit unemanationdeslivres30,maiscettemanation(manence?)apourlieuetpourinstrumentlediscourscritiquelui-mme,quinecessedexpliciterlimplicite,delethmatiserparvoiedeprdicatsdescriptifs,interprtatifs et synthtisants. Or, prdiquer (nommer) un objet, cest toujours lassigner une classe,celle videmment des objets qui relvent du mme prdicat du mme concept : individuum estineffabile,larelationausinguliercommetelesttoujoursindicible,elleneseditquensegnralisant.Dire:Cettesonateestensibmolmineur,ou:Cetableauestmlancolique,cestassignercettesonate ou ce tableau la classe, ou au concept, des uvres en si bmol mineur ou des uvresmlancoliques.Prdiquer,thmatiser,cestclasser,etclasser,cesttoujoursinvitablementgnraliser:les listes de thmesmicheletiens ou flaubertiens voqus linstant sont autant de listes de conceptscritiques, mme ou surtout quand ces concepts passent par des adjectifs substantivs, comme le sec,lhumide,lelisseoulevaporeux.Cetteultimerfrenceauxalluresspcifiquesdelacritiquefranaiseditethmatiquelaquellejeviensdemattacherplusparticuliremententantquellepasse,plusoumoinsjustetitre,pourletypeparexcellencedecritiqueimmanente,cetterfrence,donc,nedoitpasdissimulerquetoutecritique,littraireouartistique,etplusgnralementencoretouterelationesthtique,entantquelleidentifiesesobjets,cest--direquellelesperoit,lesdistingue,lesnommeetlesdfinitcommetels,invitablementlesconceptualiseetparlmmelestranscendeauprofitdecatgoriesplusgnralesjediraisvolontiersplusgnriques:Lesmots,disaitlapidairementBergson,dsignentdesgenres31. Chaque texte, chaque uvre, chaque objet du monde possde son immanence, mais touterelation consciente, et donc plus ou moins verbalise, cet objet transcende cette immanence. Ontravailletoujoursdansuneimmanence,disais-jetoutlheure;maisilfautajoutermaintenantquecetravailopre toujoursune transcendance.Encesens, lesexpressionscritique immanente, lectureimmanente,analyse immanente,dont jaiditquellestaientdevenuescommeautantdapparents

  • 1.2.3.4.5.

    6.

    7.8.

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    21.22.

    23.

    24.25.26.

    27.28.

    plonasmes,prsententenmmetempsunevritablecontradictiondanslestermes.Pardfinition,touterelation,ft-celapluscontemplative,estunfaitdetranscendance,ycompriscetterelationillusoirementnoninterventionnistequeSainte-Beuve,onlavu,qualifiaitdmanation :maner,cesttranscender,etcequimanede limmanenceestune transcendance.Cellede lacritiquehistorique(explicativeetcausaliste) est manifeste et dclare ; celle de la potique, quoique dun autre ordre, est tout aussimanifeste et tout aussi dclare, voire hautement revendique, lorsquelle vise travers les uvressingulires des essences gnriques dlibrment trans-oprales ; celle de la critique diteimmanentelestsamanire,certesmoinsproclame,maistoutaussiactive.Chaquemthodeasonmodedeconceptualisation,etdoncdetranscendancegnrique,etleplusetlemoinsquonpuisseenattendreestquellesenexplique.Ilnyapluslmotifbienvivesquerelles:laguerreestfinie,peut-tre.

    AlbertThibaudet,Physiologiedelacritique[1930],Nizet,1962,p.21-35.(Saufindicationcontraire,lelieudditionestParis.)d.duSeuil,1962.QuelquesaspectsnouveauxdelacritiquelittraireenFrance,Filologamoderna,Madrid,avril1961,p.2.Lestudesdestyleetlesdiffrentspays,inStephenUllman(d.),Langueetlittrature,LesBellesLettres,1961.Ilnestpasfacile,etsansdoutepastrsutile,dedaterlapparitionsansdoutepluttjournalistiquedecetteexpression,laquellelepamphletdeRaymondPicard,Nouvelle critique ou nouvelle imposture, Pauvert, 1965, donnera tout son clat polmique, sans compter leffet de paralllisme avec le non moinsnotoriousnouveauroman,Barthestantgalementimpliqudanslesdeuxmouvements.Maisjenotequellefiguraitdj,enpositiontrsstratgique,danslaPrfacedeGeorgesPouletauLittratureetsensationdeJean-PierreRichardparuauSeuilenoctobre1954,soitquelquesmoisaprsleMicheletdeBarthes,spcifiquement appliqueau travaildeRichard :Unenouvelle critiquenat, plusproche la foisdes sourcesgntiques etdes ralits sensibles.Nouvellecritique,dailleurs,longuementprpareparleffortcritiquedesderniersvingtans.Lessourcesgntiquesdontilsagiticinontvidemmentrienvoiraveccequifaitaujourdhuilobjetdelacritiquegntique:ilsagit,jesuppose,etsansgrandsoucidimmanence,desdonnespropresauvcudelauteur.Quantleffortcritiquedesderniersvingtans,ilestaussittillustrparlesnomsdeMarcelRaymondetdAlbertBguin.Poulettaitsansdoute,danstoutecettegnration(dontiltaitdailleurslan),leplusconsciemmentfidlecettetraditioncritiquedelentre-deux-guerres(Rivire,DuBos,Fernandez...)quilclbreraplustardmaintesreprises.Louvrage se clt sur un rappel des principaux thmes cits , qui les rpartit fermement enmalfiques (les thmes du Sec, duVide et de lEnflure, delIndcis)etbnfiques(duFcondetduChaud).IlsagitdelouvrageDesmtaphoresobsdantesaumythepersonnel.IntroductionlaPsychocritique,Corti,1963.Cetarticle,paruen1963dansModernLanguagesNotes,reprisen1964danslesEssaiscritiques,d.duSeuil,figureaujourdhuidanslesuvrescompltes,d.duSeuil,t.I,1993,p.1552-1556.LesdeuxderniersmotssontenitaliquesdansletextedeBarthes.QuelquesaspectsnouveauxdelacritiquelittraireenFrance,art.cit,p.2;remonterestunpeufourvoyant:delacauseleffet,ondiraitpeut-treplusclairementdescendre.LamthodecritiquedeCharlesDuBos,TheModernLanguageReview,juillet1967.Larelationcritique[1967],inLaRelationcritique,Gallimard,1970,p.17-21.uvrescompltes,t.I,op.cit.,p.1552.Gallimard,1955.Quest-cequelacritique?,TimesLiterarySupplement,1963,reprisinuvrescompltes,t.I,op.cit.,p.1557-1561.Olonvoitquelidologiepeuttre,commelalanguedsope,lameilleureetlapiredeschoses;ilseraitunpeuinjustedetraduirecetteambivalencepar:lamienneestbonne, la tiennemauvaise ; cestplutt : lidologieconscienteestbonne, linconsciente, etafortiori la dissimule, sontmauvaises , ce quecontesteraitdailleursMarx,pourquitouteidologieignorecequelletravestit.Op.cit.,p.24.Unecritiquedidentification,inLesCheminsactuelsdelacritique,Plon,1967,p.24.JignorequellerelationprcisePoulettablissaitentrelesdeuxnotions,dont la premire sappliquait videmment lui-mme ; ilme semble quelle ne peut tre dopposition,mais plutt dinclusion : une critique thmatique nesupposepasncessairementuneempathieducritiquelauteur,maisunecritiqueidentificatricenepeutguremanquerdeportersurleterrainthmatique.Lethmatiqueengloberaitdonclidentificatoire.LeplusencoredontProustsevoiticigratifiveut-ilrendrejusticecetteplusgrandeamplitude?LaConsciencecritique,Corti,1971,p.55.uvrescompltes,t.I,op.cit.,p.1369-1370.Jeninsistepassurlaparent,parfoiscriante,quoiquetoujoursdnie,entrecesrecherchesetcequeBarthes,en1963,raillait,souslenomdecritiquedessources,commerecourstypiquementuniversitaireuneautreuvreantcdente.larecherchedutempsperdu,Gallimard,coll.BibliothquedelaPliade,t.III,1988,p.666et877-879.OnretrouveracetteexigencedetotalitsouslaplumedeCharlesDuBos,citetapprouvparJean-PierreRichard:Legrandcritique,ditDuBos,estceluiquigarde toujoursprsent laconscience lensemblede luvrequilexamine.Affirmationprcieusepourquisesouvientde laplaceque lidede totalitoccupeaujourdhuidanslesoprationsdelacritique(LamthodecritiquedeCharlesDuBos,art.cit,p.421). Journes de plerinage [1900],Pastiches etmlanges, inContre Sainte-Beuve prcd dePastiches et mlanges et suivi dEssais et articles, Gallimard,coll.BibliothquedelaPliade,1971,p.75-76.Littratureetsensation,d.duSeuil,1954,p.14.LUniversimaginairedeMallarm,op.cit.,p.26.LesCheminsactuelsde lacritique,op.cit., p. 309-310.Ce soucidedpasser ledtail sexprimait dj en1961ences autres termes : Lacritiquemodernemrite[...]letitredetotalitaire.Entendonsquelleviseressaisirluvre,outelniveaudeluvrequelleproposesonattention,danssatotalit,cest--direlafoisdanssonunitetdanssacohrence.Cestunecritiquedesensembles,nondesdtails(QuelquesaspectsnouveauxdelacritiquelittraireenFrance,art.cit,p.7).Ilyal,biensr,unegnralisationduprincipespcifiqueexposparBarthesen1954:AucunelecturedeMicheletnestpossible,siellenesttotale.Ou,plusexactement,institueen1880parEugneManueletporteauxnuespartirde1892parLansonetlessiens.LacrationdelaformechezFlaubert,inLittratureetsensation,op.cit.

  • 29.30.31.

    Lacritiquenousaparudelordreduparcours,nondunregardoudunestation(LUniversimaginairedeMallarm,op.cit.,p.35).CitparJ.-P.Richard,Sainte-Beuveetlexpriencecritique,inLesCheminsactuelsdelacritique,op.cit.,p.218.Bergson,LeRire[1900],PUF,1956,p.117.

  • Desgenresetdesuvres

    Unsultannagurefortactifauprsdesescinquantefemmesdonnedepuisquelquetempsdessignesdemoindreempressement,voiredabsentismechronique.Consternationchezlesconcubinesdlaisses.Lunedelles,plushardie,oseenfindemanderaumatrelesmotifsdecettefroideur.Embarrass,celui-cicommenceparnier lefait,puis invoquedessoucisdtat,puisdesraisonsdesant.Lavrit,commesouvent,finitparsefairejour:Hlas,avouelesultanassezpenaud,jaimeunautreharem.

    Cette trsvieillehistoiredrlepourrait (jenensuispassr)nousaider,sinon trancher,aumoinsclarifierunpeucettenonmoinsvieillequestion:peut-onaimerungenre?Jerservepourplustardcetteaideventuelle,maisildoitdjsauterauxyeuxquelesdeuxcasnesontpasncessairementidentiquesunharemnestpasuneclasselogique,maisunecollectionempiriquedindividussinguliers,etcettediffrencedevraitnousimporterunpointouunautre,etdonccetteautrequestion:ungenreest-iluneclasseouungroupe?

    *

    Lapprciation esthtique est en principe toujours apprciation subjective dun objet singulier.Larelationplusieursobjetssinguliersconsidrsnanmoinscommeformantunobjetesthtiquesuppose:

    Oubienquonlesenvisageensemblecommeunobjetplusvaste,maisencoresingulier,lorsquuneuvrecommeLesSouffrancesdelinventeursefondmesyeuxdansuneuvreplusvaste,Illusionsperdues,qui se fondelle-mmedansuneuvreencoreplusvaste,LaComdiehumaine, dont elleneconstitueplusquunepartie,commeLaWalkyriesefonddanslaTtralogiedeLAnneauduNibelung,ouDanseusesdeDelphesdanslasriedesPrludesdeDebussy,et,silonveutaussi(maisilmesemblequondoit),LePaiementdutributdeMasacciodanslensembledesScnesdelaviedesaintPierrela chapelle Brancacci du Carmine de Florence. Linitiative lgitime de ces faits dembotement parcompositionrevientenprincipe,maisnonsansexceptions,lauteurcequirendunpeuplusdifficiledelestendredesensemblesplusvastesqueluvre(aumasculin)completduditauteur,maisilsnesontnullementpropresauxuvresdart :cette fleurpeutconstituerunobjetesthtiquenaturel,ouunepartie de cet autre objet singulier naturel lui aussi quest ce buisson, ou de cet autre encore,artificiellementcompos(noussommeslauborddeluvrecommeartefact):cebouquet.Etilvadesoiquunpaysageesttoujoursunfragmentdepaysage.

    Oubienquonlesrassemblesousunconceptcommun,quiestncessairementdordregnriquequilsagissedungenreempiriqueattestparunetraditionhistoriqueetplusoumoinsconscientedelle-mme (par exemple la tragdie grecque, llgie romaine, la chanson de geste, la lyrique occitane, leroman arthurien, le roman picaresque, la sonate classique, la nature morte cubiste, le western, lacomdieamricaine),oudungenreanalogiqueconstruitparvoiethorique,lorsquenousdfinissonsdemanire cavalire et intemporelleuneentit thmatiquecomme lpope-en-gnral (englobant lafoislIliade,Gilgamesh, laChansondeRoland,voire,pourmoi,LEspoirdeMalrauxou lAlamodeJohnWayne),ouformelle,commelepomelyrique,outhmatico-formelle,telleromandfiniparFieldingcommepopecomiqueenprose. Jenepensepas,dailleurs,quaucungenrepuissetredtermindemanirepurementempirique:leromanpicaresqueespagnolduXVIe-XVIIesicleconstituebienune traditionhistoriquement et gographiquement dlimite,mais les termes roman etpicaresquerelvent coup sr de dfinitions thoriques, et les spcimens du genre sont chronologiquement plus

  • distants les uns des autres quon ne le suppose gnralement sous leffet dune illusion rtrospective.Pourresterdanslempiriquepur(aussipurquepossible),ilfaudraitpluttconsidrerunecatgoriebienplusvasteetseulementhistoriquetellequeproductionlittraireespagnoleduXVIe-XVIIesicle,mais ilmesembleque,danscetnonc,ladjectiflittraire faitencore,oudj,appelunconcepthautementthorique.Cesrassemblementsgnriquessontpeuprssanslimites,puisquetoutconceptpeuttoujourstreenglobsousleconceptplusextensifduneclassepluslarge;classeseraitdailleursuntermepluscongruentquegenrepourlesdsigner,commeplusneutreetmoinsmarquparleserrementssculairesdelapotique,maisilluimanque,onsait,lafacultdeformerunadjectifpardrivation.Quonprennedonc genre, et son adjectif gnrique, si possible, dans ce sens neutre (celui des classificationsnaturalistes)etlcartdesesconnotationsproprementlittraires.

    *

    Peut-on,derechef,aimerungenre?Laissonshorsdecause lecasdesuvrescomposesdu typeComdie humaine ou Ttralogie, dont le caractre de singularit oprale nest gure en doute, nividemmentleurcapacitseprterunerelationesthtique.Laquestionrestedonc:peut-onentretenirunetellerelationavecungenre,pardfinitionpluriel,dequelqueextensionetdequelquecomprhensionsoit-il(parexemple:latragdieclassique,lequatuorcordesoulapeinturecubiste),aussibienquuneuvresingulire?Notonsaupassagequelammequestionsepose,denouveau,proposdes objets naturels : peut-on avoir une relation esthtique une classe telle que les roses , lesmontagnesouleschatsburmese?

    Larponsepeutsemblervidente,oupluttellemesembletelle,attestequelleestparlopinioncommune:nulnhsitedirequilaime(oudteste)esthtiquement,sentendlesrosesoulapeinturecubiste.Maiscettevidenceimmdiatepourraitdissimuleruneouplusieursdifficults,oupourlemoinsquelquesobscurits,quilfaudraitdenouveautenterdersoudre,oupourlemoinsdlucider.

    *

    La premire a peut-tre quelque apparence de question de cours scolastique : si lon accepte ladfinitionkantiennedelapprciationesthtique,quilastipulesansconcept,onvoitmalcommentunetelleapprciationpourraitportersurunobjetplurieltoujoursncessairementconstitucommeuneclassehistoriqueouanalogiquedanssaconstitution,etdoncdfiniparleconceptdecetteclasse.Enfait,larservekantienneneportepassurlaconstitutiondelobjet,maissurlanaturedujugementdapprciationquonluiapplique:lejugementdegotkantienquiestnotreapprciationesthtiquenestpasunjugementlogiqueconstituantuneconnaissancegrcedesconceptsdelobjet,maislexpressiondunsentimentdeplaisiroudedplaisir,quaucunetransitionnepeutrelierdesconcepts,mmesilesujetesthtiquecroit,tort,pouvoirparlerdubeaucommesilabeauttaitunepropritdelobjetetcomme si le jugement [de got] tait un jugement logique1 ; autrement dit, le sans concept necaractrisepaslobjet,maisbienlapprciationelle-mme,fondamentalementsubjectiveetquerienneprescrit logiquement dans les proprits de cet objet. Cette absence de relation logique entre lesproprits de lobjet et son apprciation esthtique (onnendirait certes pas autant propos dautressortesdapprciationparexemple:pratique,oumorale)sappelleaussiimpossibilitdunprincipeobjectifdugot;cestletitredu34delaCritiquedelafacultdejuger,quicommenceainsi:Parprincipedugot,onentendraitunprincipetelquayantsatisfaitlaconditionquilimposeonseraitenmesuredesubsumerleconceptdunobjetpourenconclureensuitequilestbeau.Maiscestabsolument

  • impossible.Eneffet,jedoispouvoirprouverimmdiatementduplaisirlareprsentationdelobjet,etaucune ratiocination usant darguments probants ne me procurera ce plaisir. Bref, on ne peut conclure du concept dun objet le plaisir ou le dplaisir esthtique que procure cet objet. Enrevanche,laconnaissancedecetobjetpassebienpardesconceptsmme,jesuppose,silsagitdunobjetsingulier,dontlidentification,pourlemoins,doitrecourirdesconceptsdegenreprocheetde diffrence spcifique ; en ce sens, mme lobjet le plus irrductiblement singulier aurait son concept, ou son rseau de concepts moins peut-tre de se trouver, ft-ce provisoirement,parfaitement non identifi et donc pur vnement sensible. Mais laissons ce cas, puisque notrequestion porte sur des objets gnriques (au sens susdit), ncessairement identifis par voie deconcepts, si approximatifs, voire confus ou errons soient-ils. En somme, tout objet est connu parconcepts,afortiorisilonveutlobjetgnrique,maisleconceptdecetteconnaissancenepeutentraner,ni donc justifier, aucune apprciation de type esthtique, qui ne peut procder que du plaisirimmdiatementprouvlareprsentationdecetobjet.Jepuisdfinir(plusoumoinsbien)cequejentends par pope ; je dois mme le faire videmment par une dmarche conceptuelle pourconstituer cet objet, et donc aussi pour le constituer en objet de relation esthtique ( Aimez-vouslpope ? ) ; mais cette dfinition conceptuelle est sans rapport avec le plaisir que jy prends, etafortioridenouveauavecleplaisirquejeprendstelleoutellepopesingulire.Enrevancheouplutt,pourcetteraisonmme,lefaitquecetobjetsoitconstituparvoiedeconceptsnefaitpasplusobstacle cette apprciation esthtique que cette constitution ne peut commander cette apprciation :celaestimpossible,ditKant,etdunautreordre,disaitdjPascalproposdautrechose.

    *

    La deuxime difficult tient sans doute la dfinition, ou plus simplement lidentification, delapprciationesthtiqueelle-mme,etpeut-tredetoutesortedapprciationsubjectivecomprenant,entermeskantiens,aussibienlesjugementsdagrment(physique:Jaimecettepoire)quelesjugementsdegot(esthtiquesausensmoderne:Jaimecettesymphonie).Ilserapeut-treutiledeconsidreruninstantlecasdespremiers,deconditionapparemmentplussimple.

    Sijedis(ft-cetacitement):Cettepoireestbonne,cejugementdagrmenttmoignecoupsrduplaisir,ou(cesticilammechose)delasatisfactionphysiquegustative,enloccurrence;jevouslaisse le soin des transpositions ou extrapolations ncessaires , que jprouve, ou que je viensdprouversadgustation.Jepuissansdouteexprimerlammesatisfactionendisant,ouenpensant:Jaimecettepoire,oumieux:Jaiaimcettepoireilvautgnralementmieuxattendrelafindune action ou dun vnement pour en juger en toute certitude : le ver peut tre dans la dernirebouche.Cetteformulationestmmeplusconformelavrit,cest--dire,unefoisdeplus,aucaractresubjectif de lapprciation : Cette poire est bonne nexprimerait peut-tre pas le sentiment de lapersonneavecquijauraispartagcettepoire,etquinepartageraitpasmongotpourelle(jeveuxdirepourlapoire).Donc,Jaiaimcettepoire(ou:Cettepoiremaplu)traduitpeuprsfidlement,quoiquesommairement,fautedanalysepluspousse,unesatisfactiongustativesingulire,etsituedansletempsenloccurrence,dansunpassmalheureusementrvolu.Maisadmettons,pourlesbesoinsduparallle,quejesoisencoursdedgustation,etqueje(me)dclare,auprsent,labouchepleineetavecundegrdeconfianceenlasuiteraisonnableetultrieurement justifi :Jaimecettepoire.Encoreunefois,Cettepoireestbonnenajouteraitceconstatdeplaisirquunedoselargementillusoiredeprtentionluniversalit,prtentiondontladiscussion,jecrois,nenousimportepasici.Exitdonc,provisoirementpeut-tre,lapprciationobjectiveetquisecroituniverselle.

  • *Donc,Jaimecettepoire.Cequimimportemaintenant,cestdeconfronterun jugementdecetypevouspouvezvotregr,jelerappelle,changerdefruit,oudesortedagrmentphysiqueaveccetautre jugement :Jaimelespoires.(Jesimplifieoutrageusement lasituation,carpersonne,sansdoute, naime galement toutes les varits de poires, mais je ne veux pas entrer dans des embarrasbotaniquesquonpourraitbienretrouverauniveaudechaquevarit ; jevaismmesimplifier jusqusupposercetteespcegustativementassezhomognepourjustifiercetteapprciationgnrique:chacunsaitpourtantquonnemangejamaisdeuxfois lammepoire,ft-cedelammevarit;admettonsaumoinsque le jugement faitabstractiondesvertes,desblettesetdes tapes.)Ladiffrencedesens,mesemble-t-il, doit sauter aux yeux : Jaime cette poire exprime un plaisir singulier, Jaime lespoiresnetraduitpasunplaisirgnriquenotion, jecrois, fantomatique,maisseulement(oupluslargement)ungotgnrique.Autrementdit,leverbeaimerneportepasexactementlemmesensdanscesdeux (sortesd)noncs :dans lepremier, ildsigneunplaisir rel prouvaucontactdunobjeteffectif,danslesecond,leplaisirpotentielenvisaglideduneclassedobjetsquinepeutenaucuncas se trouver entirement prsente moi lorsque je la considre en esprit. Ce ne serait pas forcerbeaucoupleschosesquededire,entermespluscourants,quedanslepremierilexprimeunplaisir,etdans le seconddavantageundsir : aimer cette poire suppose que je la dguste, ou vienne de ladguster,aimerlespoiressupposecoupsrquejenaiedjdgustquelques-unes,etgardunbonsouvenir,maisnememetaucunementenpositiondelesdgustertoutes;toutauplus,delesouhaiter.Pourledireencoreautrement,Jaimecettepoireexprimeinpraesentia(cequerequiertlemploidudmonstratifcette)unplaisirsensibleetimmdiat,Jaimelespoiresexprimeinabsentialeconstatdunesriedeplaisirspasssetplusoumoinsrcurrents,etlextrapolationdececonstatempiriquedefaitunecatgoriededroitgnrale,etforcmentabstraite.Orcesecondmouvement,degnralisation,pourraitfortbiennepasseproduire,laissantauconstatsonallurepurementfactuelle:danslemeilleurdescas(etensupposant,poursimplifierencore,unestabilitdugotsurtouteuneviequinoffreguredexemple,nidanscedomainenidansaucunautre),Jaiaimtouteslespoiresquejaigotes,cequi,fautedegnralisationgustative,luderaittouteespcedeprojectiondanslefutur.Ladiffrenceestgrande,denouveau,entrecesdeuxnoncs(Jaiaimtouteslespoiresquejaidgustes/Jaimeles poires ) : diffrence, non seulement du simple constat une projection inductive peut-treinconsidre (lespcepourrait aprs tout sedtriorer enbloc, comme il arrive tous les jours biendautres),maisencoremoinsquecenesoitlammediffrencedelapplicationduneapprciationgustativedunensembleempirique(quelquespoires,dontjaigardsouvenir)cetensemblethoriquequest lespce des poires en gnral, passes, prsentes et venir. Le premier, comme notreemblmatiqueharemquejenoubliepas,estunecollectiondindividus,lesecondestuneclasse.Or,si aimer une collection dindividus (un groupe) nest peut-tre pas tout fait la mme chosequaimerunindividu,cenestcoupsrpasdutoutlammechosequaimeruneclasse.Maisilsetrouve que cet nonc collectif factuel, Jai aim toutes les poires , ne se prsente gure, nouslaissantpartagsentreleconstatdeplaisirsingulierJaimecettepoireetlaprojectionJaimelespoires,quinestpas leconstatdunplaisir,maisceluidungotgnrique,au fondabstrait, commedpourvudobjet.

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  • Lecomiquepuisquecomiqueilyadelhistoiredusultannetientqulincongruitsupposedelapplicationduverbeaimercettecollectivit,sichaleureusequonpuisselafantasmer,questunharem : siaimerveutdirecequeceverbeveutdiredansnotreculture, ilnepeutdansce senssappliquerquausentimentexclusifetpassionnquunepersonnesingulireporteuneautrepersonnesingulire;encesens,donc,onnepeutaimerunharem,nibiensrunautreharem;on(jeveuxdire:unsultan)peuttrsbienapprcierlafoisunharemetunautreharem,voireprfrerlunlautre,sans que cette prfrence ventuelle doive entraner le choix douloureux de notre sultan, qui avouepiteusementsaprfrencecommeunmaricoupableavouesafemmequilenaime(exclusivement)uneautre.Maisdanslesens,moinspassionnel,quifonde,jelaisuppos,lnonc:Jaimelespoires,etdoncdesnoncstelsque:Jaimeencoremieuxlesorangesquelespoires,lapplicationdeceverbe une collection empirique dindividus na plus rien dtrange, et un amateur de fruits peut dire sansincongruitquelestroisorangesquilamangeshierluiontpludavantagequelestroispoiresdavant-hier.Onsaitque,danslacomdiedeCarloGozzi,lehros,justement,tombeamoureuxdetroisorangesavantdesavoirquellesreclenttroisravissantesprincesses,dontilfiniraparpouser,hlasounon,uneseule,lesdeuxautrestantmortesentre-temps.Lefolkloresous-jacentnignoredoncapparemmentpascequelamourplurieldesfruitspeutrvlerdelamourdesfemmes,voiredunefemme.

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    Unharem,commejecroislecomprendre,nestdoncpasuneclasse:cesttypiquementungroupedindividus,aussiconcretquechacun(e)desindividusquilcomporte,et larelationcegroupeestenfait aussi concrte que la relation chacun(e) de ses individus constituant(e)s. Sil est difficiledprouverlgarddungroupelesentimentpassionnmentexclusifquedsigneordinairementleverbe aimer proposdepersonneshumaines singulires (encoreune fois, cest seulement l que rsidelincongruitplaisantedelaphrasedusultan),ilnelestnullementdvaluerledegrdeplaisirquelonprouve la frquentation, voire la simple contemplation, de ce groupe, et donc de mesurerrelativement ce degr de plaisir celui quon prouve la compagnie dun autre groupe, comme oncomparelagrmentdunbouquetceluidunautrebouquet,sanssesoucierdedcomposerchacundeuxenautantdefleurssingulires.Proustabiendcritcefaitproposdelapetitebandedesjeunesfilles en fleurs, justement,deBalbec. Ilne les comparepasunbouquet,maisplusvolontiers unmadrpore,unpolypier,parlantdunebandezoophytiqueetdunenbuleuseindistinctedontilsubitlecharmecollectifbienavantdydistinguer,dunemaniredailleurslongtempsencorehsitante et commeerratique, uneAndre, uneGisle ou (finalement) uneAlbertine.Avant cemomentdindividuation, cristallisation passionnelle dont la cause est, chez Proust comme chez Stendhal, unmoment de doute et/ou de frustration, on peut presque dire, la cristallisation prs, queMarcel estamoureux, collectivement et sans faire le dtail , de la petite bande tout entire : je nen aimaisaucunelesaimanttoutes.

    Cepoint,jyinsiste,neviseriendautrequdistinguerunpeuplusfermementlesdeuxsensduverbe aimer , dune part lorsquil sapplique un objet individuelou ventuellement collectif, etdautrepartlorsquilsappliqueunobjetgnrique;aurisquedemerpter,lepremierexprimeunesatisfactioneffective,lesecondunedispositionpotentielle,cest--direundsirenattentedobjetreletde satisfaction, quipourrait dans lavenir nenobtenir aucune, et quinanullementpour fonctiondenfournirune,mais toutauplusdesusciterdesconduitesderecherche :si jaimelespoires, jepuischerchermenprocurer,etainsidesuitemutatismutandis.Mmeremarque,biensr,pourlesverbesantonymiques tels que dtester : dtester un fruit (singulier) est une raction de dgot physique,

  • dtesterlesfruitsengnralestunedispositionngativequimedtournedetouterecherchedecetypedobjets,etqui,sielleestauthentique,mexposeuneractiondedgotencasderencontreimprvue.Resteraitrapprocher,peut-tre,cequelonvientdesparer.

    *

    Mais il convient en mme temps dabandonner le terrain peut-tre trop facile des jugementsdagrmentphysique,etdenrevenirceluidesapprciationsproprementesthtiques.Lecasdesobjetsesthtiques naturels est souvent trs proche de celui des objets physiquement agrables, quils sontdailleursbiensouventquelquedegr,mlantauplaisirdelacontemplationcelui,prouvoudsir,de la jouissance physique : difficile, on le sait, de sparer la beaut dune rose de lagrment de sonparfum, la grandeur dun paysage demontagne de la fracheur quil dgage, et bien sr la grce duncorpsfminindudsirquilinspirecest--direduplaisir(dubonheur,disaitStendhal)quilsemblepromettre.Inutiledoncdesattardersurunsujetquinedplacegureutilementlaquestion:ilvadesoique ladistinctionentre lesapprciationsphysiquesaimercettepoireetaimer lespoiresasonquivalentdanscelleentre lesapprciationsesthtiquesaimercette rose (etaimercebouquetcommegroupeempirique)etaimerlesrosescommeespcebotaniqueetclasselogique.Lesuvresdart,commenouslavonsdjentrevu,posentdesquestionsplusspcifiques.

    *

    Toutdabord,lafrontireentregroupeetclasseesticiplusporeuse,dufaitsansdoutedefacteursgntiques quon ne rencontre pas aussi manifestement, bien quils y existent aussi, dans les objetsnaturels:lesscnesconstitutivesdeLaComdiehumaineappartiennentsansdoute,plusoumoins,une mme classe (ana)logique, celle du genre littraire roman (que Balzac vitait dailleursdassumer), parfois de la nouvelle toujours en tout cas du rcit en prose ; elles constituentdautre part un groupe empirique, non seulement parce que Balzac les a groupes lui-mme en unensemble ordonn, mais aussi et plus simplement parce quelles sont toutes, pour nous, sorties,commeondit,de laplumedummeauteur(pournous,encesensque,etdans lamesureo,cetteparentgntiquenousestconnue,etnousimporte);onpeutendireautantdespartiesduRingwagnrien(lafoisindividusdugenreopraetuvresdummecompositeur),oudespanneauxdelaViedesaintPierre (individusdugenre fresqueetuvres,plusoumoins,dummepeintre).Maiscomposentaussibienetpluspurement,puisquesansgroupementauctorialdlibrungroupegntiquelesuvres,gnriquement fortdiverses,dunStendhal (romans, essais, autobiographie, rcitsdevoyages),dunBeethoven (opra, sonates, quatuors, symphonies) ou dun Picasso (je renonce ici tout inventairegnrique, particulirement difficile et oiseux dans ce dernier cas). On pourrait donc soutenir quelidentitgntiquedtermineuneunitempiriquedegroupe,etquelidentitgnrique,aumoinsquandelle est elle-mme clairement identifiable, dtermine une unit thorique, ou conceptuelle, de classe.Mais il se trouve que lidentit gntique ne se rduit pas lidentit auctoriale, parce que lauteur,commeindividuphysiqueetmoral,nestpaslaseulesourceempiriquecapablededterminerlunitdungroupeduvres.Demmequeluvredunauteurestparfois(plusoumoins)susceptibleduneassignation gnrique dominante (Balzac romancier, malgr lui et malgr son thtre ; Shakespearedramaturge, malgr ses Sonnets ; Verdi compositeur dopra, malgr sonRequiem ; Vermeer peintredintrieurs,malgrLaRuelleetlaVuedeDelft),demmeetrciproquementungenreestplusoumoinssusceptible dune assignation gntique, par exemple de type historique et national : la tragdie est

  • grecqueduVesicle (lasuite relveplusoumoinsde lasquelleoudurevival), la chansondegeste,franaiseduXIe-XIIesicle,leromanpicaresque,espagnolduXVIe-XVIIesicle(mmeremarque).Cesgenreshistoriques(parmibiendautres),commeonlesappelleparfois,constituentdonclafoisdesclasses (ana)logiquespar leurs similitudes thmatiques et/ou formelles, et des groupes empiriquesparleurrelativeunitdesource.Aimer(oudtester)ungenreneconsistedoncpasseulementcequinestpasrien,etjyrevienslinstantaimer(oudtester)lestraitscommunsdiversesuvresquenerunitparfoisriendautrequecettecommunautthmatiqueet/ouformellecommeonpeutaimer(oudtester)cequilyadpiquelafoisdanslIliade,dansGilgameshetdanslaChansondeRoland,cequilyadenaturemortedeChardinBraque,oucequilyadopradeMonteverdiAlbanBerg,misparttoutehypothtique(voirecertainementexclue,commedHomreTurold)filiationgntique,maisaussiparfoissattacherunensemblelafoisgnriqueetgntiqueduvres,entrelesquelles se tisse un rseau complexe de parents effectives (par imitation ou continuation), desimilitudesthmatiques,decontrastesformels(oulinverse),bref,unecirculation,uneinteractiontrans-opralequipeutfaireunegrandepartduplaisir,oudplaisir,quelquepeumadrporien(pourrvoquerProust),oupeut-trerhizomatique(commedisaientDeleuzeetGuattari)quonytrouve,etquinestpeut-trepassansanalogie,mutatismutandis,avecleplaisiroudplaisirquenotresultantrouve(avec)teloutelautredesesharems.

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    Commetouterelationesthtique,larelation(cequonperoitcomme)ungenreestlafoisunfaitdattention cognitive et un fait dapprciation affective, le second seulement sous-dtermin par lepremier, qui en est donc la condition ncessaire mais non suffisante : il nest pas dapprciationesthtique sans attention, si superficielle soit-elle, mais lattention esthtique peut nentraner aucunmouvement dapprciation, soit parce quelle aboutit une apprciation tellement neutre ( cet objetmindiffre) quellepeut peinepasserpour telle, soit parceque cette attention, devisepurementcognitive(pointdevuedelhistorien,oudelexpertenattribution),nesaccompagnedaucunjugement,mmetacite,soitenfinparcequelobjetdecetteattentionesttropgnraletabstraitpourconstituerunobjet esthtique ce serait apparemment le cas des genres dits thoriques , constitution (etdfinition)analogique.

    Je ne crois pourtant pas que cette considration ngative suffise congdier la possibilit dunerelationesthtiqueungenre,siconceptuelquesoitlemodedexistencedecetobjet.Jaidjditpourquoilaclausekantiennedusansconceptnemesemblepasportersurcepoint,etlundesmritesdelartditcontemporainestpeut-tredenousavoirrendusconscientsdecequunconceptpeutfortbienfairelobjetduneapprciationesthtique:luvreconceptuellevaut,commeladitundeses dfenseurs2, ce que vaut son concept, ce qui signifie, en termes plus subjectivistes, que telconcept(etdonclaclassequildfinitaumoinsvirtuellement)peutmeplairedavantagequetelautre.Jenaigardedassimilerabsolumentlestatutconceptuelduneentitgnriqueceluidunready-madedeDuchampoudunhappeningdeRobertBarry,maisenfinlapprciationquiconsiste,commenouslefaisonsmaintenant tous les jours, trouver esthtiquement bonne oumauvaise une ide de cegenre, in absentia et dune manire galement applicable toute ventuelle ralisation conforme