Fiche n1 Puissance Chine
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FICHE DE l’IRSEM – Mars 2010
Magali Robert
Puissance Chine
La stratégie d'affirmation internationale chinoise
L'émergence économique de la Chine depuis une vingtaine d'années l'a indiscutablement inscrite
parmi les acteurs incontournables de la scène mondiale. Seulement, cette montée en puissance de
l'Empire du Milieu dans le monde contemporain suscite des inquiétudes : bouleversement des
équilibres stratégiques, redéfinition des règles économiques, remise en cause du système
démocratique comme seul système capable d'apporter la prospérité, apparition d'une nouvelle
puissance militaire. Certes, un nouvel acteur de poids sur la scène internationale entraine des
modifications mais faut-il pour autant le craindre ? Dès lors, le décryptage et la compréhension des
ressorts de la puissance chinoise apparaissent primordiaux pour mieux cerner la stratégie
internationale de ce géant asiatique.
La Chine a en effet tous les atouts d'une grande puissance. C’est d’abord une puissance nucléaire,
démographique, économique incontestée. Le pays possède de plus des richesses naturelles
importantes et développe ses capacités militaires à grande allure. Enfin, membre du Conseil de
sécurité de l'Onu, Pékin accroît aujourd’hui ses capacités de pressions politiques. Ainsi, les pistes de
recherche proposées ci-après tentent de s'articuler autour des interrogations suivantes: Comment la
Chine est-elle devenue une grande puissance ? Comment entend-elle imposer son statut sur la scène
internationale ? Quels sont les moyens de son « émergence pacifique » ?
Pour alimenter cette réflexion, nous proposons une présentation (non exhaustive) de la littérature
récente traitant des questions de la puissance chinoise et de la stratégie d'affirmation internationale
de Pékin.
DOMENACH Jean-Luc, La Chine m'inquiète, Paris, Perrin, 2008
DENOON David B. H. (ed.), China : contemporary political, economic and international affairs,
New-York, New-York University Press, 2007
2
Les piliers de la puissance chinoise
Une superpuissance économique
La croissance économique exceptionnelle dont jouit la Chine depuis les années 1990 lui a ouvert les
portes de la mondialisation tout en devenant un outil pour la « conquête » de la scène internationale.
Son accession à l'OMC en 2001 a véritablement été le point de lancement de cette stratégie en
permettant à la Chine d'élargir son accès aux marchés mondiaux et d'étendre ses capacités
exportatrices et importatrices. Dès lors, Pékin a mené une politique pro-active sur la scène
internationale pour répondre aux besoins d'élargissement et de diversification de ses marchés. Dans
le cas des matières premières et des ressources énergétiques, par exemple, les stratégies
d’investissement des grandes entreprises sont appuyées par une diplomatie active du gouvernement
chinois en direction des pays fournisseurs : ce fut le cas d'abord vers des pays délaissés ou
sanctionnés par les pays Occidentaux1, comme de nombreux Etats africains ou du Moyen-Orient (le
Soudan, l'Angola ou l'Iran par exemple), puis vers des zones où Pékin est entré directement en
concurrence avec d'autres puissances économiques, l'Amérique Latine, par exemple.
« L'émergence pacifique » de la Chine dans le monde, Commission des Affaires étrangères, de la
défense et des forces armées, Rapport d'information, n°400, 2005-2006
Disponible sur http://www.senat.fr/rap/r05-400/r05-400.html
BRUNIS Bastien, Politique extérieure énergétique de la Chine. Discours sur la stratégie de
puissance de la RPC, mémoire sous la direction de VILTARD Yves, Université Paris 1 Panthéon
Sorbonne, 2006
MEIDAN Michal, « Sécurité énergétique en Chine et diplomatie pétrolière », Les Cahiers de Mars,
n°183, 1er trimestre, 2005
Cette politique chinoise se double d'une stratégie diplomatique et d’investissements massifs visant à
sécuriser les accès de Pékin aux voies d'approvisionnement et de circulation des marchandises et
ressources énergétiques. Aussi la RPC a-t-elle renoué avec la Russie, établi des coopérations avec
les Républiques d'Asie Centrale dès la fin des années 1990 et renforcé ses relations avec l’Asie du
Sud-est. Aujourd’hui, grâce à la forte dynamique du commerce extérieur chinois, de ses
investissements et de ses importations, Pékin semble omniprésente sur les marchés économiques
1 Nous entendons par cette appellation les pays d'Europe de l'Ouest et d'Amérique du Nord.
3
des cinq continents. Cette présence économique est enfin renforcée par la politique d'aide au
développement dispensée à certains pays du « Sud », des pays en situation de conflit et/ou de
reconstruction post-conflit comme c’est le cas de l'Afghanistan. La RPC a ainsi créé une toile
d'interdépendances économiques au niveau bilatéral et s'est faite une place au niveau global dans la
sphère économique.
KELLNER Thierry, « La Chine et l'Afghanistan dans la période post-11 septembre », Relations
Internationales, 2009/2, n°138, p 111-138
FACON Isabelle, « L’Asie centrale comme enjeu dans le « partenariat stratégique sino-russe » »,
Monde chinois, 2008-2009, n°16, p 81-101
MEIDAN Michal, « La Chine à la conquête des marchés énergétiques mondiaux », Hérodote,
(2007-04/06) n°125, p.77-94
Les effets de la montée en puissance de l'économie chinoise sur la scène internationale sont divers.
D’abord, au niveau global, les besoins chinois d'importation en matières premières et énergétiques
ont contribué depuis les années 2000 à accroître la demande mondiale et à faire monter les cours
des prix. La politique proactive de Pékin a surtout conduit le pays à être en concurrence sur les
marchés extérieurs avec les puissances occidentales et les autres puissances asiatiques, le Japon et
l'Inde notamment. En Asie, ensuite, les effets de l'émergence chinoise ont eu des effets plutôt
bénéfiques sur le processus de régionalisation et d'interdépendance des économies de la région. Les
échanges intra-asiatiques ont considérablement augmenté depuis 10 ans et cette concentration
permet à l’Asie d'être aujourd'hui une des zones les plus actives économiquement. Cet état de forte
intégration économique régionale a conduit la Chine à promouvoir une dynamique de coopération
au niveau institutionnel : ASEAN +3, OCS à la fin des années 1990, Shangri-La Dialogue, accord
de libre-échange Chine-ASEAN...
« La Chine dans l'économie mondiale », Politique étrangère, (2004,été) 69e année, n°2, p.249-346
HSIAO Hsin-Huang Michael et LIN Cheng-yi (ed.), Rise of China : Beijing’s strategies and
implications for the Asia-Pacific, New-York, Routledge, 2009
LEMOINE Françoise, « La montée en puissance de la Chine et l'intégration économique en Asie »,
Hérodote, 2007/2, n°125, p 62-76
SHIE Tamara Renee, « Rising chineses influence in the South Pacific : Beijing’s « island fever »,
Asian Survey, 2007-03/04, vol.47, n°2, pp 307-328
4
Une puissance politique et militaire qui s'affirme
Grâce à son expansion économique rapide, Pékin a désormais les moyens de mener une diplomatie
active tous azimuts et d’être de plus en plus influente politiquement dans le monde. La Chine n’a
pas d’emblée saisi l’enjeu d’une affirmation politique au niveau mondial et a eu une attitude à la
marge de la communauté internationale dans les premières années de son ouverture. Depuis les
années 1990 et après les événements de Tiananmen, la RPC a cherché à sortir de son isolement
diplomatique et son attitude vis-à-vis de la communauté internationale a progressivement changé.
Aujourd’hui, Pékin prend de plus en plus d’assurance et manifeste sa volonté de paraître comme
une puissance politique. Ce changement de position s’est fait en plusieurs étapes. A la fin des
années 1990, le gouvernement Jiang Zemin-Zhu Rongji a eu pour objectif d’accomplir l’intégration
au monde de la Chine à travers une participation grandissante dans les organisations et les
institutions internationales. Ainsi en 2001 la RPC entre à l’OMC et les années qui suivent
confirment cette orientation. La Chine participe aujourd’hui à de nombreux forums internationaux
dont l’APEC, l’ASEM, l’ASEAN +3, l'OCS2. Le gouvernement Hu Jintao-Wen Jiabao entame le
développement d’une diplomatie et d’une stratégie de politique étrangère qui comprend désormais
les domaines économiques, politiques et culturels. La RPC affiche aujourd’hui une adhésion aux
principes humanitaires occidentaux, elle participe de plus en plus activement à des missions d’aides
humanitaires, envoie de l’aide dans des régions nécessiteuses et apporte son soutien aux missions de
maintien de la paix de l’Onu. Les dirigeants chinois s’astreignent aussi à prendre part et à nuancer
leur position sur les grands dossiers internationaux (le nucléaire iranien ou le conflit du Darfour) et
ils se sont engagés dans toutes les campagnes et les forums internationaux sur l’environnement. Au-
delà de la valorisation d’un esprit consensuel, Pékin cherche à affirmer une position ferme sur
certains dossiers : les visites du Dalaï Lama à l’étranger ou les ventes d’armes américaines à
Taiwan, par exemple3. Depuis 20 ans, la Chine s’est donc inscrite dans une stratégie d’insertion
dans la scène internationale qui crédibilise sa stratégie de puissance politique. De même, la RPC
développe également sa puissance militaire.
DENOON David B. H., China : contemporary political, economic and international affairs, New-
York, Londres, New-York University Press, 2007
DOMENACH Jean-Luc, La Chine m’inquiète, Paris, Perrin, 2008
2 APEC : Asia Pacific Economic Cooperation
ASEAM : Asia Europe Meetings
ASEAN +3 : Association of South-East Nations + Japon, Chine, Corée du Sud
OCS : Organisation de Coopération de Shanghai 3 Début février 2010, quand le président Obama a annoncé de nouvelles ventes d’armes à Taiwan, Pékin, qui se
contentait jusque là d’exprimer son mécontentement verbalement, a menacé, cette fois, de limiter la coopération
bilatérale et de sanctionner les entreprises américaines impliquées.
5
LE CORRE Philippe, « La Chine, nouvel acteur des relations internationales », Etudes, 2006-10,
t.405, n°4, pp 307-318
STÄHLE Stéphane, « China’s shifting attitude toward United Nations peackeeping operations »,
China Quarterly, 2008-09, n°195, pp 607-630
HOSLAG Jonathan, « China’s diplomatic manoeuvring on the question of Darfur », Journal of
Contemporary China, 2008-02, vol. 17, n°54, pp 71-84
Depuis la fin des années 1980, le développement de l’Armée Populaire de Libération chinoise
(APL) a eu pour but de servir d’outil de puissance régional, aujourd’hui c’est un instrument de sa
stratégie d’affirmation internationale. Malgré le tournant de 1989 et le début de l’embargo européen
et américain sur les ventes d’armes, la Chine, en réaction à la démonstration de puissance militaire
faite par les Etats-Unis au Koweït, se lance dès le début des années 1990 dans un effort
d’actualisation de ses armées : Pékin veut rattraper son retard, se doter d’une armée qui donnera du
poids à la Chine sur la scène internationale, capable de se défendre et développer des capacités
d’intervention sur les théâtres extérieurs et dans des opérations conjointes de la communauté
internationale. C’est ainsi que Jiang Zemin décide en 2003 de la grande réforme de modernisation
de l’APL afin de servir la puissance chinoise. Le budget de la défense est dès lors augmenté et on
assiste à un changement de doctrine : d’une doctrine de masse pendant la guerre froide, la RPC
évolue vers une doctrine de défense active qui doit passer par l’acquisition de nouvelles
technologies. Les principaux fournisseurs en technologies militaires et armements de la Chine sont
aujourd’hui la Russie et Israël. La modernisation de l’APL implique également le développement
coordonné des forces, le non-emploi en premier de l’arme nucléaire, la promotion de relations de
coopération militaire au niveau bilatéral, la participation aux opérations de maintien de la paix de
l’Onu et la possibilité de participer à la lutte internationale contre le terrorisme.
« Chinese military power », Orbis, 2007-Fall, vol 51, n°4, pp 635-684
NEWMYER Jacqueline, « Oil, arms and influence : the indirect strategy behind Chinese military
modernization », Orbis, 2009-Spring, vol 53, n°2, pp 205-219
HUBERDEAU Emmanuel, La modernisation des forces navales chinoises. L'évolution de la
stratégie et des moyens de la Marine de l'Armée Populaire de Libération, Mémoire sous la direction
de l'amiral Jean Dufourcq, Institut Supérieur d'Armement et de défense, Paris II Assas, 2009
Derrière la modernisation de l’APL se cache un triple objectif pour de Pékin. La priorité est le
maintien de l’intégrité territoriale, ce qui implique le développement de forces de projection
6
capables d’intervenir en cas de déclaration d’indépendance des marges (Taiwan, le Tibet, le
Xinjiang) ainsi que la capacité de contenir l’ « encerclement » américain. De plus, il s’agit d’assurer
la stabilité et la paix régionale afin de préserver les frontières et de sécuriser les approvisionnements
énergétiques. Le PCC redoute, par exemple, une émancipation d’un Islam radical en Asie Centrale
ou encore une radicalisation des revendications territoriales de l’Inde ou des pays limitrophes de la
mer de Chine du Sud. Enfin, l’APL doit être un outil de la puissance et de l’influence chinoise dans
le monde. Ce dernier point ainsi que l’approfondissement des capacités chinoises d’ « info-guerre »,
nourrissent les thèses de la « menace chinoise ». Pourtant, les dirigeants de la RPC réfutent cette
idée et insistent sur les objectifs de défense de la modernisation militaire chinoise.
COONEY Kevin J. et SATO Yoichiro (ed.), The rise of China and international security. America
and Asia respond, Londres, New-York, Routledge, 2009
COURMONT Barthélémy, « L’APL, pilier de la puissance chinoise », Monde Chinois, numéro
spécial La puissance militaire chinoise, 2009-été, n°18, pp 7-84
Les principes fondamentaux de la politique de défense chinoise sont régis par les notions de
souveraineté nationale, d’intégrité territoriale et de défense des intérêts du pays. Au-delà, on assiste
à une réactualisation des principes de coexistence pacifique. Ainsi, les missions de l’APL
aujourd’hui sont les suivantes : sécurisation de l’espace maritime et spatial de la Chine, lutte anti-
terrorisme, maintien de la stabilité intérieure, mobilisation de secours d’urgence, participation aux
opérations de maintien de la paix de l’Onu. Au plan stratégique, la priorité de l’APL est la mise en
place d’une stratégie de contournement, de la non-guerre, l’acquisition d’aptitudes dans le domaine
de la « cyberguerre » et le renforcement des capacités de renseignements. Bien que tous ces
développements tendent à confirmer la montée en puissance des armées chinoises, les défis sont
encore grands, surtout en ce qui concerne la qualité des équipements militaires.
ROSS Robert S., Chinese security policy. Structure, power and politics, Londres, New-York,
Routledge, 2009
NIQUET Valérie, « Le Livre blanc de la défense chinoise en 2008 : essai de décryptage », Monde
Chinois, Numéro spécial La puissance militaire chinoise, 2009-été, n°18, pp 7-84
La RPC joue donc une stratégie à deux vitesses : d’une part, la conduite d’une politique « dure »
envers les marges et le maintien d’une position inflexible sur la préservation de ses objectifs
stratégiques, et d’autre part, la promotion d’une image de puissance tranquille cherchant à s’intégrer
7
« dans les formes » à la communauté internationale. Dès lors, comment cerner la stratégie de
puissance globale de Pékin ? Beaucoup de chercheurs se sont ainsi interrogés sur les éléments de
soft et de hard-power de la tactique d’influence chinoise. Les dirigeants chinois ont eux mis au jour
le concept de développement pacifique pour répondre aux inquiétudes sur l’émergence de la Chine.
La stratégie d'influence chinoise à l'international
Le « développement pacifique » et le soft-power chinois
Lors de la session plénière du Forum asiatique de Boao de 2003, Zheng Bijian, du département de
la propagande, a introduit l'idée d' « émergence pacifique » (heping jueqi) de la Chine comme un
nouveau concept dans les affaires internationales. Le terme est ensuite repris dans le Livre Blanc de
2005 et modifié en un plus rassurant « développement pacifique » (heping fazhan). En octobre
2007, Hu Jintao réaffirme cette orientation : la poursuite du développement économique du pays
dépendra de la construction et de la préservation d'un environnement régional stable. Ce concept
s’inscrit dans la volonté du gouvernement de Hu Jintao-Wen Jiabao de remettre au gout du jour des
concepts traditionnels confucéens comme la recherche de l’harmonie, de l’union sans uniformité, la
promotion de la coopération… La recherche de l’harmonie au niveau international constitue le
prolongement de ce concept au niveau de la société chinoise (et aujourd’hui de l’écologique).
HAYOUN Jessie Ryou, « The meaning of China’s « Peacful Development » concept », ORF
Occasional Paper, n°12, novembre 2009
« L'émergence pacifique » de la Chine dans le monde, Commission des Affaires étrangères, de la
défense et des forces armées, Rapport d'information, n°400, 2005-2006
Disponible sur http://www.senat.fr/rap/r05-400/r05-400.html
BOLEWSKI Wilfried et RIETIG Candy M., « The cultural impact on China’s new diplomacy »,
Whitehead Journal of Diplomacy and International Relations, 2008-summer/fall, vol. 9, n°2, pp 83-
97
Pour soutenir cette politique « pacifique », Pékin a développé des outils de soft-power. Le concept,
forgé par Joseph Nye est désormais revendiqué par les autorités chinoises pour traduire leur
stratégie d’influence économique et culturelle dans le monde. Le déploiement d’Instituts Confucius
à travers les cinq continents en est l’exemple le plus illustratif. Le choix de cette stratégie semble
8
répondre au recul de l’influence américaine dans certaines régions, recul marqué par la guerre en
Irak de 2003. Mais Joseph Nye et Wang Jisi, qui définissent le soft-power chinois essentiellement
par rapport au soft-power américain, ne voient pas ici une concurrence directe entre les deux pays :
« (…) le soft-power chinois ne semble pas dirigé contre le soft-power américain ; l'idée que le
modèle de développement et de parti unique combiné en Chine dispute le modèle occidental est
excessive ; le soft-power chinois peut aider la diplomatie américaine ; l'attitude chinoise à l’égard
du soft-power américain est essentiellement défensive ; les Chinois s'inspirent du soft-power
américain. »
LI Mingjiang, Soft-power : China's emerging strategy in international politics, New-York,
Lexington Books, 2009
COURMONT Barthélémy, Chine, la grande séduction : essai sur le soft power chinois, Paris,
Choiseul, 2009, pp 70.
Quels sont les objectifs de ce soft-power chinois ? Avant tout, il doit permettre à la RPC d’offrir au
monde un visage acceptable, raisonnable et responsable. Cela est en effet nécessaire pour rassurer la
communauté internationale sur les intentions de la Chine et pour montrer que son émergence
représente une opportunité et non une menace pour le monde. Enfin, Pékin veut tenter de mettre en
avant un modèle de développement propre et alternatif au modèle occidental dans lequel la stabilité
est le préalable au développement et aux réformes. Le cas de la politique chinoise envers l’Afrique
est ici illustratif et, surtout, la Chine semble déjà avoir exporté ce modèle vers quelques pays d'Asie
du Sud-Est dont le plus marquant est le Viet-Nam. Cependant, au vue de l’expansion économique
chinoise et du développement de ces capacités militaires, il apparaît réducteur de limiter la stratégie
de puissance chinoise à une stratégie de soft-power. Le concept est certes mis en avant par la
communication et les discours officiels chinois mais il semble qu’il faille d’avantage le nuancer.
CABESTAN Jean-Pierre, « La politique étrangère chinoise : une Chine sans ennemis n’est pas
forcément une Chine rassurante », Hérodote, 2007-02, n°125, pp 11-27
ROSECRANCE Richard et GU Guoliang, Power and restraint : a share vision for the US-China
relationship, New-York, Public Affairs, 2009
DI Wang et MATTHEWS Ron, « China's 60th
anniversary : celebrating Beijing's peaceful rise »,
RSIS Commentary, n°96. Oct. 2009.
Disponible sur http://www.rsis.edu.sg/publications/Perspective/RSIS0962009.pdf
9
La stratégie de puissance de Pékin entre soft, hard et smart power
Quels sont les outils du soft-power chinois ? Sont-ils réellement révélateurs d’une stratégie de
« développement pacifique » ? Le soft-power peut-il entièrement qualifier et définir la stratégie de
puissance internationale de la Chine aujourd’hui ? Il existe quatre domaines privilégiés d’exercice
d’un soft-power chinois :
La diplomatie publique4 qui s’est étoffée de discours officiels très révélateurs : des
allocutions simples et inclusives, englobant des thèmes restreints mais frappants comme la
multipolarité ou le nouveau concept de sécurité ayant pour but d'assurer un règlement
pacifique aux conflits internationaux, l’utilisation de l'émotion comme, par exemple,
l’évocation de l’histoire et le rappel du soutien chinois au mouvement non-alignés de
Bandung pour séduire le continent africain.
La participation active et l’insertion dans les instances internationales à travers la promotion
du multilatéralisme. Il s’agit ici pour Pékin d’assurer sa présence dans les forums
internationaux, de tenter d’y imposer son agenda politique, d’y défendre ses fournisseurs de
pétrole et de gaz (Iran, Soudan) et de garantir sa collaboration aux opérations de maintien de
la paix.
La mise en avant de la culture chinoise de telle sorte qu’aujourd’hui la langue, la cuisine, la
médecine traditionnelle, l’acuponcture et aujourd'hui de plus en plus le cinéma chinois
(surtout en Asie du Sud-est), la musique pop, les arts contemporains, la mode... sont diffusés
dans le monde entier grâce à un réseau de plus de 300 Instituts Confucius dans environ 80
pays. Le développement des échanges universitaires joue aussi un grand rôle.
La communication et la public diplomacy qui visent à conquérir les citoyens du monde
entier à travers le développement de médias chinois à diffusion internationale (CCTV,
Xinhua, People's Daily) et permettent la réalisation d’une infosphère au service de l’image
chinoise. L’objectif est le renforcement du poids médiatique et diplomatique de Pékin sur la
scène internationale. Cette stratégie a aussi recours à des « vitrines » comme les Jeux
Olympiques de 2008 ou l'Exposition Universelle de Shanghai pour montrer une image
positive de la Chine au monde entier.
Il faut aussi ajouter que le domaine militaire a aussi une part dans le soft-power chinois à travers le
développement de l’Université de Défense Nationale par exemple.
COURMONT Barthélémy, Chine, la grande séduction : essai sur le soft power chinois, Paris,
Choiseul, 2009, page 70
4 En 2004, les dirigeants chinois ont mis en avant la création d'une division de diplomatie publique au sein du
ministère des Affaires Etrangères.
10
PARADISE James, « China and international harmony : the role of Confucius Institutes in
bolstering Beijing's soft power », Asian Survey, 2009-07/08, vol.49, n°4, pp 647-670
ZHANG Xiaoling et ZHENG Yongnian, China's information and communications technology
revolution : social changes and state responses, Londres, New-York, Routledge, 2009
« Public diplomacy in a changing world », The Annals of the American Academy of Political and
Social Science, 2008-03, vol.616
Disponible en ligne :
https://acces-distant.sciences-po.fr/http/ann.sagepub.com/content/vol616/issue1/
CLEGG Jenny, China's global strategy : towards a multipolar world , Londres, Pluto Press, 2009
Malgré tout ces développements, la stratégie de puissance de la Chine ne peut se résumer à du soft-
power et beaucoup de chercheurs viennent aujourd’hui nuancer cette idée. Sans revenir sur
l’expansion militaire chinoise qui prend de forts accents de hard-power, nous pouvons mettre en
avant certains éléments déterminants qui offrent une vision plus globale de la stratégie de puissance
chinoise. D’abord, la Chine s’inscrit aussi dans le concept de smart-power, soit l’application de tous
les moyens dont dispose un Etat (diplomatie coercitive, sanctions économiques, force brute,
institutions internationales, négociation, dissuasion…) pour atteindre sa « grande stratégie ». Le
smart-power combine, selon Joseph Nye, les attributs du soft et du hard-power pour mener une
stratégie gagnante dans les relations internationales. La Chine utilise cette tactique en faisant usage
de la multipolarité par exemple. En même temps, la RPC utilise certaines de ses ressources dans
une stratégie plus ferme : l’arme financière que constitue ses réserves de dollars par exemple lui a
permit de sortir grandit de la crise économique de 2009. Au-delà du smart-power, l’attitude de la
Chine peut aussi être qualifiée de soft-balancing (ou « jeu diplomatico-stratégique »), c'est-à-dire
une stratégie d’influence qui a recours à la diplomatie, aux institutions internationales, au droit
international et aux pressions économiques non pas dans le but de contrer une autre superpuissance
(les Etats-Unis) mais de lui complexifier la tâche et d'augmenter les coûts financiers et politiques de
ses actions. Concrètement cela traduit l’idée que Pékin renonce à l’expansion et à l’hégémonie et
privilégie les alliances avec les autres puissances.
COURMONT Barthélémy, Chine, la grande séduction : essai sur le soft power chinois, Paris,
Choiseul, 2009, page 70
STRUYE de SWIELAND Tanguy, « La Chine et le soft-power : une manière douce de défendre
l’intérêt national ? », Note d’Analyse, Université Catholique de Louvin, mars 2009
Disponible en ligne : http://www.uclouvain.be/cps/ucl/doc/pols/documents/NA2-INBEV-UECH-
FULL.pdf
11
La Chine a donc une stratégie de puissance « patiente » : elle a conscience de ne pas avoir encore
les moyens de contrer directement la superpuissance américaine mais elle développe quand même
tous ses atouts de façon déterminée. Cependant, de nombreux défis se présentent devant Pékin et
viennent mettre en tension sa stratégie d’influence : quels sont ces challenges ? Sont-ils une menace
pour la montée en puissance du pays ?
Les défis à la puissance chinoise aujourd'hui
Les failles du modèle de développement chinois
Le modèle de développement chinois est fragilisé par différents éléments tendent à constituer des
limites à sa stratégie de puissance.
Des tensions internes qui sont aujourd’hui contenues mais dont l’ampleur et les conséquences sur le
long terme demeurent imprévisibles. Les manifestations de la population se font en effet de plus en
plus présentes sur certains sujets sensibles comme le maintien du taux de croissance, la crise de
l'emploi, les migrations internes, les disparités de revenus et de développement, l’état écologique du
pays. Ces mécontentements menacent la stabilité sociale et politique de la Chine en remettant en
cause la légitimité du PCC.
« La Chine des Jeux Olympiques : défis internes et externes », Politique étrangère, 2008-été, vol.
73, n°2, pp 253-266
ROCCA Jean-Louis (dir.), La société chinoise vue par ses sociologues : migrations, villes, classe
moyenne, drogue, sida, Paris, les Presses de Science Po, 2008
La crise environnementale est en effet une source de tensions de plus en plus grandes. Les
conséquences d’un développement sans freins sur l’écologie touchent la santé publique, la fertilité
des terres, la qualité de l’eau et de l’air… Cette situation vient alimenter une image négative de la
Chine, la désignant comme « la menace écologique » de la planète. La crédibilité du pays sur la
scène internationale est ainsi questionnée.
« La Chine face à la contrainte environnementale », Monde chinois, automne 2009, n°19, pp 56-78
YU Hongyuan, Global warming an China's environmental diplomacy, New York, Nova Science
12
Publishers, 2008
Le modèle de croissance chinois présente des failles qui pourraient remettre en cause la poursuite
du développement économique de la Chine ou du moins en ralentir le rythme. Aujourd’hui la Chine
est sortie grandie de la crise de 2009 mais qu’en sera-t-il de la gestion de l’après sortie de crise ?
Plus inquiétants sont le manque de communication interne, la faiblesse de la consommation
domestique et la dépendance à l’égard des matières premières et des technologies importées. Ce-
dernier point est un enjeu majeur pour Pékin : le défi technologique freine encore l’affirmation de la
Chine par rapport au Japon ou aux Etats-Unis. Pour tenter d’y répondre, la RPC a commencé un
programme national de développement de la recherche et de l’innovation.
SIMON Denis Fred et CAO Cong, China's emerging technological edge : assessing the role of
high-end talent, Cambridge, New York, Cambridge University Press, 2009
DOMENACH Jean-Luc, La Chine m'inquiète, paris, Perrin, 2008
LEMOINE Françoise, « La montée en puissance de la Chine et l'intégration économique en Asie »,
Hérodote, 2007/2, n°125, p 62-76
La persévérance de tensions régionales et internationales
Certaines tensions autour de la Chine demeurent aujourd’hui et représentent de réels défis pour la
puissance chinoise car elles menacent directement sa stabilité régionale voire l’intégrité de ses
frontières.
D’abord, la récurrente question des « marges » est toujours vive. La relation sino-taiwanaise, la
question tibétaine et celle du Xinjiang (risques séparatistes) sont autant de facteurs éventuellement
déstabilisants pour la région immédiate de la Chine et pour son intégrité territoriale. Pékin garde de
plus des positions fermes sur ces questions et de plus en plus affirmées. La question tibétaine est
révélatrice. En 2008, lors de la dernière visite du Dalaï Lama en France et des manifestations à
l’occasion du passage de la flamme olympique à Paris, le boycott contre les produits français avait
été décrété, ouvrant une période de froid dans les relations franco-chinoises. Outre les dommages
humains que cette inflexibilité crée au Tibet, elle accentue l’image d’un pays autoritaire et dessert la
Chine à l’international. Il en est de même des mesures de répression qui ont frappé la province du
Xinjiang au cours de l’été 2009. Ces événements viennent rappeler au monde que malgré les efforts
faits pour donner une bonne image de la Chine, ce pays reste marqué par des habitudes autoritaires
difficilement conciliables avec le statut de leader mondial.
13
BEJA Jean-Philippe, « Après les émeutes du Xinjiang : répression et communication »,
CERI/Alternatives Internationales, juillet 2009
Disponible sur :
http://www.ceri-sciencespo.com/archive/2009/juillet/chr_jb.pdf
VERMANDER Benoît, « Chine-Taiwan, l’apaisement et ses dangers », Etudes, 2009-03, t.410, n°3,
pp 305-316
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De plus, les menaces externes et les perceptions de menaces qu’entretient la Chine pèsent sur la
paix régionale. L’on peut ici citer la question nucléaire nord-coréenne, les revendications
territoriales et les contentieux en mer de Chine, l’éternel rivalité sino-japonaise ou encore le
déploiement d’une stratégie dite du « collier de perle » dans l’océan indien. Cette dernière est
particulièrement illustrative. Il s’agit pour la Chine de sécuriser les voies maritimes
d’approvisionnements énergétiques et des échanges commerciaux en implantant des bases militaires
dans les principaux points stratégiques de l’océan indien. Au-delà, il faut y voir une stratégie
d'affirmation de la RPC face à l’Inde et aux Etats-Unis qui ne rassure pas ces-derniers ni l’ensemble
des pays riverains. Ce type de comportement menace directement la crédibilité d’une Chine aux
intentions pacifiques. Le discours officiel chinois se veut certes rassurant, mettant en avant une
politique de défense des intérêts économiques du pays, mais les faits ont tendance à alarmer.
BOISSEAU du ROCHER Sophie (dir.), Asie : crise économique, incertitudes politiques, Paris, La
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Pour finir, les relations de la Chine avec certains états menacent de plus en plus sa crédibilité sur la
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scène internationale : par exemple, la politique africaine de la Chine est aujourd’hui très critiquée,
de même que ses positions sur la question iranienne. En Afrique, la Chine est accusée de mener un
des objectifs « impérialistes » et « conquérants » peu respectueux des particularités et fragilités
locales. L’inondation des marchés intérieurs africains de produits made in China peuvent avoir des
conséquences désastreuses pour les populations et les commerces locaux. De même, les entreprises
chinoises qui viennent en Afrique n’embauchent pas systématiquement la population locale ce qui a
un effet néfaste sur la situation de l’emploi dans certains pays. Sur le nucléaire iranien enfin, la
Chine est face à un défi majeur : elle joue sa place de puissance politique. Jusque là Pékin
maintenait une position « traditionnelle », plutôt en retrait, défendant ses intérêts nationaux en
tentant de limiter les sanctions à l’égard de Téhéran, s’opposant fermement à toute solution
militaire. Mais, les dirigeants sont désormais en position de force sur cette question : les Etats-Unis
et l’Europe comptent en effet sur la Russie et sur la Chine pour tenter d’infléchir les velléités de
l’Iran. Pékin saisira-t-elle l’opportunité et comment ?
CABESTAN Jean-Pierre, « La politique étrangère chinoise : une Chine sans ennemis n’est pas
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Finalement, la stratégie de puissance chinoise favorise une approche indirecte permettant au PCC de
lutter contre la suprématie économique des Etats-Unis, d’affirmer des positions diplomatiques
fermes en développant des capacités de refus sur certaines questions (comme les droits de l’homme
ou la démocratisation), d’étendre son influence culturelle et économique dans le monde entier tout
en augmentant de manière conséquente et visible son budget militaire. La Chine est donc en train de
peaufiner son émergence sur la scène internationale avec un discours et des attitudes de puissance
pacifique mais son ambition de leader révèle souvent la réalité d’une stratégie d’affirmation
déterminée (assertion).