FICHE DE LECTURE - Lirsa

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PHILIPPE ZARIFIAN A QUOI SERT LE TRAVAIL ? La Dispute Comptoir de la politique ; 2003 FICHE DE LECTURE présentée par Nézha NAJIM, auditrice au CNAM de Paris UV-C 25524 : Organisation et systèmes d’information en vue de la préparation du diplôme d’ingénieur en organisation

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Chaire « Développement des systèmes d’information » UV-C : Organisation et systèmes d’information- 25524 ; 2003/2004

Fiche de lecture Nézha Najim A quoi sert le travail ? p. 1/26

PHILIPPE ZARIFIAN A QUOI SERT LE TRAVAIL ?

La Dispute Comptoir de la politique ; 2003

FICHE DE LECTURE présentée par Nézha NAJIM, auditrice au CNAM de Paris UV-C 25524 : Organisation et systèmes d’information en vue de la préparation du diplôme d’ingénieur en organisation

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1 BIOGRAPHIE DE L’AUTEUR P.3

2 POSTULATS P.3

3 HYPOTHESES P.4

4 DEMONSTRATION P.5

5 RESUME DE L’OUVRAGE P.8

6 PRINCIPALES CONCLUSIONS P.20

7 DISCUSSION ET CRITIQUE P.21

8 ACTUALITE DE LA QUESTION P.24

9 BIBLIOGRAPHIE COMPLEMENTAIRE EVENTUELLE P.26

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1/ BIOGRAPHIE DE L’AUTEUR Philippe ZARIFIAN est diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et Docteur de 3ème cycle en sciences économiques. Il est habilité à diriger des recherches en sociologie à Paris X. Il est actuellement chef de département au CEREQ (Centre d’Etudes et de Recherches sur les Qualifications) et, chercheur au L.A.T.T.S. , laboratoire de l’ Ecole Nationale des Ponts et Chaussées à Marne-la vallée, où en tant que professeur, il enseigne la sociologie à l’université. Ses thèmes de recherche sont : les modèles d’organisation, la qualification professionnelle et le modèle de compétence et enfin la civilité et la mondialité dans la modernité avancée. Il intervient régulièrement dans les grandes entreprises sur les problèmes d’organisation du travail. A titre personnel, il a publié une quinzaine d’ouvrage dont les derniers sont : - Temps et modernité. Le temps comme enjeu du monde moderne, éditions L’Harmattan, collection Logiques sociales, série « sociologie de la modernité », février 2001. - Le modèle de la compétence. Trajectoire historique, enjeux actuels et propositions, éditions Liaisons, avril 2001. - L’émergence d’un modèle du service, enjeux et réalités, éditions Liaisons, janvier 2002. L’auteur a également publié dans plus d’une vingtaine d’ouvrages collectifs ou revues spécialisées. 2/ POSTULATS Dans son ouvrage, l’auteur se démarque des deux approches dominantes qui traitent de la question du travail. L’approche structurelle ou fonctionnelle qui raisonne en terme de division du travail et de coordination des travaux, et où le travail est réduit à un ensemble de tâches empreintes de prescription, de reproduction et de performances. L’autre approche est plutôt stratégique. Elle raisonne en terme de domination, et d’exploitation dans laquelle le salarié ne peut que résister ou utiliser les marges de manœuvre laissées ouvertes par le pouvoir patronal. A ces approches, il oppose le pouvoir d’action, la capacité à donner du sens et l’engagement de la subjectivité de ceux qui s’affrontent au quotidien à des situations professionnelles. Son premier postulat est que l’existence de la puissance de pensée et d’action est premier et irréductible même dans les travaux les plus tayloriens. Tout en démontrant que le travail est avant tout invention en référence à G. Tarde et ce, quel que soit le type de travail, il avance comme postulat que l’on ne peut comprendre l’importance de l’invention qu’en faisant intervenir la notion d’événement. Le sens donné à ce dernier ne pouvant être dissocié du concept de service, c-à-d de ce qui est effectivement engendré par le travail professionnel et de son utilité sociale. Tout en repensant à de nouveaux modes de déploiement de la productivité au travail, l’auteur avance le postulat suivant : le marché est un mythe comme d’ailleurs les besoins sociaux. Et, de toute façon le marché est en train de dépérir, de devenir une pure fiction et que seule reste une intense concurrence monopolistique de territoires de clientèles. Aussi, le sens que l’on peut donner au travail est fragile et il faut sans arrêt en prendre soin et, à tout moment l’individu peut perdre le sens de ce qu’il fait et tomber dans l’aliénation. L’aliénation ne consiste pas à s’affronter à de l’hétéronomie, elle surgit par perte de sens, enfermement d’une pure routine reproductrice dont on ne verrait plus ce qu’elle apporte au vivre commun, et dans un champ de pressions que l’on ne peut que subir. A travers deux approches du temps, le temps spatialisé ou compté et le temps devenir, l’auteur montre que si le temps quantitatif reste utile, il doit être ramené à sa juste place à savoir être l’indicateur d’une mesure du temps mais aucunement celle de la conduite réussi de l’activité professionnelle. D’où le postulat suivant : c’est aux enjeux du devenir social et humain que toute activité doit être rapportée.

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Enfin, l’auteur en conclut que le complexe de rapports sociaux permet d’envisager le travail non comme libérateur mais comme une source d’émancipation, grâce à la prise de parti et d’action concrète sur la vie sociale. Le devenir du travail participe d’une visée émancipatrice sur la vie sociale générale, en tension et lutte permanente avec la condition salariale dans laquelle on prétend l’enfermer, et sa forme la plus contemporaine : la société de contrôle. 3/ HYPOTHESES La première question posée par l’auteur dans son ouvrage est de savoir si l’on se trouve dans une société disciplinaire ou une société de contrôle. A partir de la confrontation entre rapports de domination et d’émancipation, il utilise la notion d’engagement subjectif pour penser cette confrontation. Il pose sur le plan historique, le problème de l’évolution de la société disciplinaire vers une société de contrôle, en montrant que cet aspect impose une évolution des rapports de domination au sein de l’entreprise. Il n’y a pas substitution des sociétés de contrôle aux sociétés disciplinaires, mais une poussée des sociétés de contrôle au sein des sociétés disciplinaires. Le travail et le temps : quelle relation existe entre eux ? Comment le travail pénètre le temps et inversement ? Par la distinction entre temps spatialisé et temps devenir (termes empruntés à Bergson), l’auteur définit deux conceptions différentes du temps qui le conduisent à mettre en évidence deux conceptions différentes du travail. Si le temps spatialisé reste aujourd’hui ultra dominant, le temps devenir ne manifeste aujourd’hui son existence que de manière souterraine bien que totalement effective. La production du service se trouve d’entrée engagée dans le temps devenir, dans le temps de la différence qualitative entre l’avant et l’après de la mutation. Si le concept de service entraîne une variation de puissance du destinataire (dans la sphère de son mode de vie), rien ne garantit que cette variation soit positive ou négative. Quant à la puissance de production engagée par le producteur de service, elle a pour tension potentielle de faire advenir du service, jusqu’au stade de la transformation effective réalisée pour l’usager. Aussi, à la différence du destinataire du service, cette puissance est éthique dans la responsabilité que les producteurs prennent de proposer et présenter ce service en termes d’usage social potentiel. S’il y a éclatement aujourd’hui de l’unité théâtrale du travail (unité de lieu, de temps et d’action) ce n’est pas pour autant qu’il s’agit d’un retour à l’ère préindustrielle et, éternel retour ne veut pas dire retour à l’identique. L’activité devient conjointement plus profondément individuelle et plus profondément collective. La relation de l’individu à son activité tend à devenir une monade, une totalité en soi. Une tension existe entre temps spatialisé et temps devenir et, si nous inversons les choses, le temps réellement productif est celui qui assure une transformation objective et positive de la situation (pour ce qu’on attend de la production et du travail professionnel), le temps devenir : celui dont on perçoit bien l’utilisation, et qui n’est plus détachable de la mobilisation de l’intelligence et du travail lui-même. C’est le temps du travail et non le temps de travail. De plus, on assiste à une montée de la qualification et de l’hétérogénéité des temps qui entre en tension forte avec l’expression classique du comptage d’un temps homogène. Dans l’organisation apprenante, l’apprentissage est fondé sur les événements, la communication et le renouvellement des formes de l’expérience professionnelle dont les limites pour ces dernières sont le modèle de la routine et le modèle des règles de métier. Le modèle du virtuel et de l’abduction , en rapport avec les événements provoqués, est le modèle proposé par l’auteur.

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L’intellectualité pure est un référent majeur de l’exercice des rapports sociaux de domination au croisement précis entre rapport salarial et rapports sociaux de sexe. La logique et l’autonomie sont les deux concepts de domination. La logique comme exercice pur de l’intellectualité pure car les femmes sont reconnues comme intelligentes mais non logiques. L’autonomie attribuée aux hommes car ils réussissent à se libérer de toute contingence matérielle. L’enjeu de la lutte concurrentielle n’est pas le marché, il est tout autre, c’est la captation d’une clientèle. Le marché est en train de disparaître et les prix de marché disparaissent également. L’idée selon laquelle les prix seraient formés à partir de calculs précis portant sur les coûts unitaires de production relève de l’idéologie pure, entretenue par Bruxelles. Comme la comptabilité analytique imposée aux firmes pour justifier de leurs coûts réels et éviter des subventions croisées. Marx n’a jamais parlé de rapports sociaux de sexe. Cet oubli correspond en fait à des erreurs profondes et à une distorsion de point de vue quant à la question cruciale de l’émancipation et la difficulté à associer émancipation humaine et émancipation sociale. 4/ DEMONSTRATION Approche globale de l’ouvrage Dans quels rapports et selon quel contenu le travail se déroule aujourd’hui ? Ce sont les questions que se propose d’analyser l’auteur. Pour ce faire, il se distingue des courants stratégiques et fonctionnalistes et se situe en prolongement des courants théoriques qui mettent en avant le pouvoir d’action, la capacité à donner du sens et l’engagement de la subjectivité de tous ceux qui s’engagent dans des situations professionnelles. A partir de nombreux exemples pris dans le secteur industriel et tertiaire, il énonce des hypothèses. Une fois étayées et le plus souvent en faisant référence à de grands théoriciens et ou philosophes (Marx, Spinoza, Kant, Foucault, Deleuze..), il conduit sa démonstration d’une façon heuristique et aboutit à des conclusions. Au-delà des enquêtes qu’il a réalisées sur le terrain auprès de nombreux salariés dans différents secteurs d’activité (sept années d’enquêtes), il s’appuie également sur son expérience en tant que consultant dans l’entreprise Danone, pour appuyer sa démonstration sur l’intérêt de l’apprentissage à partir de l’événement et sur les bénéfices de l’organisation apprenante. Tout d’abord, l’auteur montre que le travail est exercice concret de la puissance d’action et de pensée des individus que ce soit dans leur singularité ou dans leur interdépendance et leur coopération. Il est invention avant d’être imitation et reproduction. Et, pour comprendre l’importance de l’invention et la créativité, il fait appel au concept d’événement : apprentissage par l’événement, le travail qui prend sens à partir de l’événement et ’événement qui prend du sens avec le concept de service. C’est à partir aussi de l’événement que l’auteur veut montrer qu’une autre approche de la productivité est possible. Sans chercher pour autant à substituer son approche à la définition actuelle de la productivité, il cherche à initier une autre façon de considérer la productivité du travail. A partir de deux exemples, l’un dans l’industrie au moment d’une panne et l’autre dans une société de service de télécommunications, il montre que le temps réellement productif, celui qui assure une transformation objective et positive ( pour ce qui est attendu de la production et du travail professionnel) de la situation, est le temps devenir, celui dont on perçoit bien l’utilisation , mais qui n’est plus détachable de la mobilisation de l’intelligence et du travail lui-même, qui est le temps du travail, et non le temps de travail. L’auteur ne néglige pas pour autant le temps spatialisé (compté) qui reste en tension permanente avec le temps devenir du fait de la logique de notre système économique actuel.

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Eclairage particulier sur certains chapitres Emancipation et domination

Quelle évolution du travail en matière d’émancipation et de domination ? Pour l’auteur, si le pouvoir au travail s’exerce, il s’exerce par action sur l’action d’autrui. Et, il n’y a rapport de domination que lorsque l’exercice réciproque se trouve structuré sur un mode inégalitaire du pouvoir, donnant à une force domination sur l’autre. Or s’il y a des rapports de pouvoir à travers tout le champ social, c’est qu’il y a de la liberté partout. Et, il y a liberté, liberté d’abord dans la puissance de l’exercice de penser, d’agir et de coopérer des individus sujets. Alors qu’il n’y a pas substitution des sociétés disciplinaires par les sociétés de contrôle, mais plutôt une poussée des sociétés de contrôle au sein des sociétés disciplinaires, cela se manifeste surtout par ce que l’auteur appelle le contrôle d’engagement et qu’il illustre à partir du concept de modulation : modulation de l’usage du temps, de l’espace, et de l’engagement subjectif de chaque individu. Par ce biais, le contrôle disciplinaire n’est plus opérant. A l’inverse différents moyens de contrôle sont mis en place à savoir rendre compte de résultas, d’objectifs, tenir des délais,...

Le temps au travail En partant de la distinction entre le temps de travail qui a suscité de nombreux débats ces dernières années, et le temps du travail, l’auteur arrive à montrer l’importance du temps devenir face au temps dit spatialisé qui est le temps quantifié et qui sert à donner un cadre au travail (35h). Sans pour autant élire un temps contre l’autre, il cherche à montrer la prédominance du temps de la montre sur le temps devenir et à souligner l’importance de ce dernier dans le travail. A travers quatre exemples pris dans des secteurs d’activité différents, il montre que le temps concret de base de tout travail revient à conduire un devenir, en mobilisant l’expérience passée et en anticipant l’advenir.

La productivité Une autre approche de la productivité du travail peut être conceptualisée. En s’inspirant de Deleuze lisant Spinoza, il définit l’exprimé comme les effets utiles à produire, l’exprimant comme la puissance en puissance à la puissance de l’acte et l’expression comme la synthèse de tous les temps du travail ou la synthèse narrative de la production. La prise en compte des effets utiles doit placer, selon l’auteur, l’attendu social du déploiement de la productivité en amont de l’efficacité.

Intellectuelle pure et domination des femmes L’auteur montre que c’est au sein des rapports sociaux que cette position de domination s’est construite, avant que d’être asservie aux rapports découlant de la condition salariale. Deux facteurs ont contribué à cette domination. Le premier est la logique, exercice de l’intellectualité pure, modèle qui ne reconnaît pas cette faculté aux femmes. Le second est l’autonomie, reconnue pour les hommes qui réussissent à se dégager de toute contingence matérielle et à se dévouer corps et âme à leur travail, tandis que pour les femmes d’autres préoccupations les empêchent d’être totalement autonome et intégrée dans le monde de l’intellectualité pure.

Evénement et sens donné au travail A travers l’histoire d’un conflit social dans une entreprise de télécommunications, l’auteur montre comment l’importance d’un événement est corrélée au sens que les acteurs concernés peuvent lui donner. Il appuie sa démonstration en se focalisant particulièrement sur une équipe de techniciens qui a cherché à comprendre les événements qui se profilaient pour construire un devenir possible en recherchant le sens de leur travail, en contre effectuant l’événement pour lui donner un sens nouveau et en faisant des contre propositions. Au contraire, les autres équipes ont plutôt subi l’événement et, par ce biais n’ont pas su donner davantage de sens à leur travail notamment en faisant des propositions face au contenu de leur travail qui commençait à devenir routinier et sans perspective.

La disparition du marché

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Par différents constats, l’auteur montre que la notion de marché n’existe pas et que l’enjeu de la lutte concurrentielle n’est pas le marché mais la captation d’une clientèle. Pour cela , il passe différents éléments en revue : Les modifications dans le modèle économique de rentabilité sont les parts de clientèle. Ce qui conditionne la viabilité des modèles économiques ce sont les flux de revenus réguliers, récurrents et croissants, d’où l’augmentation des systèmes de forfait et des stratégies de fidélisation ; Les indicateurs classiques de parts de marché deviennent donc obsolètes ; Les clients sont attirés par des services nouveaux et, ce sont les services qui deviennent facteurs de différenciation pour les firmes ; Les tarifs ne sont plus un indice de l’existence d’un prix de marché mais résultent d’un jeu de rapport de force entre une série complexe d’acteurs ; La comptabilité est devenue d’une part inopérante car les prix sont des prix politiques qui relèvent de jeux de rapports de force et d’autre part une idéologie car elle est imposée aux firmes pour justifier de leurs coûts réels et éviter des subventions croisées ; Les clients deviennent des êtres politiques qui forment une opinion et sont capables d’agir et donc s’affirme une demande d’une autre nature, une demande de mutation dans les manières de vivre. Enfin, l’économie de service est faiblement reconnue car le client est acteur et devient client citoyen, rôle qui ne lui est pas encore reconnu.

Société de la connaissance, société des services

Qu’est-ce que la société ? La société existe-t-elle ? L’auteur ne souhaite pas entrer dans le débat de la caractérisation de la société actuelle, débat qu’il trouve stérile, néanmoins, il fait une démonstration par l’absurde en disant que si la société était une réalité sensible, il était en mesure de la rencontrer. Or ceci n’est pas le cas, cas est-ce alors un concept ? Or un concept doit répondre à un problème et ce problème quel est-il alors ? Il s’agit de faire exister un ordre et une société originaire, car contrairement à ce que l’on voudrait nous faire croire par référence à Marx, celui-ci n’a jamais parler de concept de société, il a uniquement parlé de rapports sociaux.

Les rapports sociaux et la question de l’émancipation

L’auteur montre que Marx a été le premier à avoir bâti une théorie des rapports sociaux. Or l’essence humaine n’est autre chose que l’ensemble des rapports sociaux. Pour Marx, la philosophie des rapports sociaux est sous-tendue par l’émancipation humaine. Et, cette émancipation est un mouvement qui n’est pas forcément liberté. Dans l’émancipation, on renverse une oppression et du même coup, il se crée une liberté nouvelle. Dans un second temps l’auteur montre les limites des théories de Marx à savoir sa diificulté à associer émancipation humaine à émancipation sociale et à indentifier l’émancipation sociale à la seule lutte des classes et, ne considérant pas les femmes au même titre que la classe ouvrière, il a occulté les rapports sociaux de sexe.

5/ RESUME DE L’OUVRAGE Introduction

L’auteur situe sa réflexion dans le prolongement des courants de recherche qui voient dans le travail pour l’individu un moyen ou un pouvoir d’action. Celui-ci engage pleinement sa subjectivité au quotidien pour donner du sens aux situations professionnelles. Aussi, le travail est invention à différents degrés, face à toute situation professionnelle, toute personne est amenée non seulement à créer ou à inventer, mais aussi à donner du sens aux événements rencontrés.

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Toutefois, le sens donné au travail est fragile et sa perte conduit l’individu à l’aliénation au travail. Quant au rapport au temps dans le travail, deux approches se confrontent, celle du temps spatialisé, que l’on compte, qui domine, et celle du temps devenir qui donne un enjeu social et humain à toute activité. Enfin le concept de rapport social énoncé par Marx est repris par l’auteur sous l’angle des rapports sociaux, permet-il d’envisager le travail comme source d’émancipation ?

Les sociétés de contrôle Des sociétés disciplinaires aux sociétés de contrôle

En s’inspirant d’un texte de Gilles Deleuze « Pourparlers », l’auteur s’interroge sur les évolutions actuelles du travail sous l’angle double de la domination et de l’émancipation. C’est à travers le concept de l’engagement subjectif de l’individu qu’il oppose entre eux les rapports de domination et d’émancipation. Selon G .Deleuze, nées au 18ème siècle, les sociétés disciplinaires trouvent leur apogée au 20ème siècle. Dans cette société, l’individu ne cesse de passer d’un monde clos à un autre (famille, école, caserne,…). Et, le capitalisme industriel a largement emprunté ses modèles de l’asile et de la prison, pour construire ses modalités disciplinaires. Aussi, toute société disciplinaire induit ses propres modalités de résistance. L’ouvrier, seul ou à l’aide de ses collègues, va développer des stratégies de contre-pouvoir. Pour G .Deleuze, les sociétés disciplinaires sont déjà en déclin, à l’image de tous les milieux d’enfermement et, il s’agit aujourd’hui de gérer leur agonie. A leur place s’imposent les sociétés de contrôle qui ne sont plus des moules, mais des modulations à tout niveau : salaire, organisation, contenu du travail, objectifs et acquis de l’individu. Nous passons de l’homme des disciplines à l’homme du contrôle, retenu par un élastique et qui doit en permanence rendre compte sur des résultats à une hiérarchie.

Le réaménagement des rapports de domination

L’auteur nuance les propos de G. Deleuze et pense qu’il n’y a pas substitution des sociétés disciplinaires par les sociétés de contrôle mais plutôt une poussée des sociétés de contrôle au sein des sociétés disciplinaires avec des effets de tension et d’éclatement et non de substitution. Pour preuve, le maintien des dispositifs disciplinaires de type tayloriens dans toute une série d’emplois. Néanmoins, la technologie informatique apporte de nouveaux moyens de contrôle et de discipline par un contrôle possible de chaque acte de travail et des informations utilisées et ou traitées. Ceci pouvant conduire à l’élaboration de normes standard de travail et de calcul d’effectifs nécessaires avec une extrême précision. Le moule de la disciplinarisation s’affine de plus en plus tout en n’étant pas une voie d’avenir. Il est d’une part peu acceptable socialement et n’engendre des progrès de productivité que très limités. Apparaît donc à côté et à l’intérieur de la société disciplinaire un nouveau type de contrôle appelé « contrôle d’engagement ».G. Deleuze l’a défini comme un concept clé, celui de la modulation. Celui-ci va au-delà de ce que l’on appelle la flexibilité par exemple dans les horaires de travail. Par la modulation de l’usage du temps, par le biais de l’informatique, le travail devient possible quel que soit l’heure de la journée ou de la nuit. Par sa modulation dans l’espace, il devient possible n’importe où. Par la modulation de l’engagement subjectif, c’est le salarié lui-même qui décide du moment où il va enclencher son activité. Coupler le contrôle et le contrôle disciplinaire semple difficile à mettre en oeuvre et peu réaliste. Par contre, le contrôle des actes par objectifs et résultats se couplent avec les différentes de modulation ce qui place le travailleur à la fois dans un enfermenent disciplinaire et dans un contrôle d’engagement rendu possible par les nouvelles technologies informatiques.

La redéfinition des rapports d’émancipation

L’accès à l’ordinateur et à ses bases d’information, les facteurs de modulation du temps et de l’espace, l’usage personnel de cet outil, le développement de relations authentiques en réseau constitue un progrès dans le rapport d’émancipation qui suppose toutefois, un

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engagement subjectif fort de l’individu. Cet engagement n’étant pas sans prise de risque du fait que le sujet engage sa pensée, son opinion voire même ses convictions.

Les tensions entre rapports de domination et rapports d’émancipation

En se référant à M. Foucault « Dits et écrits », l’auteur rappelle que le pouvoir s’exerce sur l’action de l’individu et qu’il devient domination lorsque les rapports deviennent dissymétriques. Néanmoins lorsque le pouvoir s’exerce, c’est qu’il y a de la liberté, liberté de penser, d’agir et de coopérer entre individus. Ce qui est nouveau c’est que paradoxalement, cette société de contrôle qui délégitime la société taylorienne, élargit les devenirs des sujets face aux problèmes communs liés aux espaces d’enferment qui cessent d’être clos (famille, école, usine ...). Les rapports d’émancipation se caractérisent par un engagement subjectif de l’individu, par sa capacité d’action face à des événements rencontrés et qu’il arrivera à contre effectuer. Pour exemple, l’opératrice d’un centre d’appel qui saura se distancier de la pression disciplinaire exercée notamment en prenant plus du temps imparti pour répondre à un client. Il s’agira pour elle de privilégier la notion de service plutôt que celle du rendement. Par cette action, elle transgresse la domination qu’elle subit.

Un retour de la société disciplinaire ?

Il s’agit aujourd’hui d’un retour en force non de la société disciplinaire mais à une société policière qui utilise le contrôle d’une manière exacerbée.

Le temps du travail Deux conceptions différentes du temps

Comment le temps pénètre le travail et réciproquement ? En référence au concept du temps spatialisé abordé par Bergson et, comme N .Elias, l’auteur donne une approche sociale de temps spatialisé et introduit le concept du temps devenir. Il rappelle qu’Aristote avait déjà défini le temps spatialisé comme un rapport entre deux mouvements : le mouvement repère et l’ensemble des autres mouvements possibles. Mais à quoi sert donc ce temps spatialisé dont celui des astres qui constitue le référent majeur de la construction sociale du temps sinon d’une part à mesurer, quantifier le temps lui-même et d’autre part à réguler l’ensemble des interactions de la vie sociale par le processus de datation d’un calendrier qui permet la construction de repères. Néanmoins, le déplacement du temps sur une ligne droite ne doit pas faire oublier le mouvement circulaire qui est à la base de la computation du temps. Comme les points d’un cercle, aucune seconde n’a plus de valeur qu’une autre et donc ce temps spatialisé demeure strictement quantitatif et neutre. Quant au temps devenir, il parle toujours d’une mutation qualitative, d’une transformation. Le présent n’existe que comme un passage entre le passé et le futur. Aussi le concept de devenir est bien distinct de celui d’avenir. Ce dernier demeure une notion prisonnière du temps spatialisé, car l’avenir se situe par rapport à une date sur le calendrier. Or le devenir évoque plutôt la qualité de son existence. Comportant une notion à la fois subjective et objective, le devenir n’échappera pas au temps quantifié, néanmoins il prendra la signification que lui donnera chaque individu. Entre l’avant et l’après d’un événement, se glisse l’initiative humaine aussi modeste soit-elle.

Les deux conceptions du temps face au travail

Les sociétés modernes ont développé une forte autodiscipline du temps spatialisé ce qui a permis au capitalisme industriel d’imposer ses règles. Par ailleurs, la discipline du temps industriel a renforcé l’autodiscipline du temps à tel point que toute l’activité sociale s’est structurée autour du temps de travail. Il ne faut pas voir dans la discipline du temps de travail industriel uniquement l’aspect organisationnel mais aussi la pénétration du temps spatialisé dans la structuration interne du monde industriel. La résultante est que tout acte de travail est soumis au calcul du temps. Ceci permet à la fois une mesure temporelle identique pour tout type de travail mais aussi d’apporter une mesure temporelle

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économique au rapport capital-travail. D’où le concept valeur-travail dont découle celui de la productivité du travail. Par conséquence, cette mesure du temps normé pénètre tout geste et mouvement de l’ouvrier, ce qui génère une violence incommensurable et qui explique la violence engendrée par l’organisation taylorienne du travail et les révoltes qui en ont découlées. Même si cette forme taylorienne perdure aujourd’hui, la discipline directe tend à se déplacer vers la notion de délai. La pression ne se situe plus sur les gestes, mais sur les échéances temporelles. Le contrôle des activités intellectuelles devient possible et la mesure du temps demeure la même et impose son dictat : minutes, heures et jours.

Temps devenir comme source d’un nouveau regard sur le travail

Tout travail peut être défini comme façon de conduire un devenir en mobilisant expérience et en anticipant l’advenir. Quatre exemples permettent d’illustrer le temps devenir, le premier étant celui d’une PME qui fabrique des bracelets de montre de haut de gamme à partir d’un matière noble « vivante » qui fait de chaque bracelet un cas particulier. Chaque ouvrière va réaliser chaque étape d’une manière individualisée en fonction de sa propre expérience et de ses propres représentations. Il s’agit là des caractéristiques essentielles du temps devenir. Même si les ouvrières doivent tenir compte d’un temps de rythme de travail, le management leur permet de régler ce rythme sur la priorité que chacune d’entre elle donne au soin à réaliser son travail. Bien que les lignes de montage automobile soient fortement imprégnées par le taylorisme, l’ouvrier sait que de la qualité et de la pertinence de ses actions dépendra la qualité de l’automobile. Prenant compte de cela, sa conscience professionnelle le pousse à prendre des initiatives voire même des risques en dehors de ce qui est prévu dans sa gamme opératoire. De ce fait, il est guidé par l’advenir qualitatif qu’il contribue à engendrer. Dans les centres d’appels téléphoniques, le taylorisme prévaut également avec une forte prégnance de la mesure du temps de l’activité de chaque téléopérateur. Pour autant, et toujours selon sa motivation, le téléopérateur qui s’attachera à rechercher la bonne réponse à donner à un client fera émerger un advenir : temps de réflexion permettant l’émergence d’un choix, d’une prise de décision. Dans le cas projet conduit par une équipe, au-delà de la caractéristique temporelle spatialisée marquée par le respect des délais à différentes phases, le projet consiste également en la conduite collective d’un devenir. Ceci, à travers l’importance de la mutualisation des expériences des individus et la confrontation de leurs points de vue. La réussite du projet dépendra des accords résultants de cette confrontation. Dans tous ces exemples, l’individu pour prendre une décision fait appel à sa mémoire et à ses expériences antérieures. Il imagine également de multiples solutions qui se présentent à lui, il s’agit là de l’anticipation de l’advenir. Entre ces deux phases, se glisse le temps devenir, moment du choix, moment de liberté essentiel pour l’individu à dissocier du libre choix qu n’est qu’un mythe. Si les deux concepts du temps s’imposent, on peut noter aujourd’hui la prédominance du temps spatialisé face au temps devenir. Si le premier est indispensable, le second donne le pouvoir de l’initiative, des transformations qualitatives et donne donc du sens au travail. Il permet à l’individu de ‘engager et de réussir son travail de façon individuelle ou collective. Enfin, le temps devenir est aussi la forme d’une expression sociale empreinte non seulement de nos visions rationnelles mais aussi de nos inclinaisons personnelles et de nos angoisses.

La puissance de la coopération dans la production de service La variation de puissance engagée dans la sphère du mode de vie

Qu’implique un modèle du service à la fois pour l’usager et son producteur ? Au-delà du rapport économique et du rapport usager producteur que le service met en jeu, ce dernier prend tout son sens dans le rapport usager producteur. Il s’agit de la variation d’une puissance engagée dans la sphère du mode de vie. Et, du fait d’une transformation potentielle pour l’usager, le service se place dans la sphère du temps devenir même si le temps spatialisé demeure important pour le producteur dans son rapport à l’économique.

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Toutefois, cette puissance apportée à l’usager ne se caractérise pas toujours par une avancée positive notamment sur le plan social. Une illustration parfaite en est donnée par l’exemple que l’usager va faire de la téléphonie mobile qui selon le cas peut être vue comme un outil d’émancipation ou au contraire comme un outil d’aliénation.

La puissance en gagée du côté du producteur du service

Du côté du producteur du service, il existe une ligne de tension permanente qui lui permettra ou non d’orienter positivement sa puissance d’action. En effet, il s’agit des soumissions au rapport économique auxquelles le producteur doit faire face pour parvenir à maintenir un service entre lui et l’usager. Et, c’est le plus souvent grâce à une chaîne de coopération entre divers professionnels qu’il parviendra « à rendre service ». L’offre d’un service ne répond pas à des besoins sociaux ce qui relève du mythe. Aujourd’hui tout passe par des formations de désirs et d’attentes qui sont au départ tout aussi virtuelles que l’est la proposition de service. Son actualisation se fera s’il y a rencontre avec une nouvelle offre technologique. La puissance du service ne peut se concrétiser que si le rapport social entre usager et producteur se noue concrètement avec succès. Aussi, le service ne se concrétise que d’une façon singulière par une relation unique entre chaque usager et le producteur du service. Et, c’est à ce moment là que le service bascule dans l’espace du mode de vivre et ce d’une façon différenciée en s’adaptant à chacun. Il ne deviendra effectif qu’à partir du moment où l’usager s’en empare et où le producteur crée les conditions de son usage effectif. Pour exemple, le téléphone mobile pour lequel une phase d’apprentissage existe pour l’usager et la responsabilité de faire fonctionner le réseau qui incombe au producteur. D’où la nécessité pour de nombreux services d’un service après-vente qui va mettre en place avec l’usager un rapport social dans la durée. De plus, du côté de l’usager le service implique une variation de puissance fondamentalement éthique et singulière pour chaque individu en fonction de son mode de vie. Quant à la puissance de production engagée par les producteurs elle permet de faire advenir du service jusqu’à sa réalisation effective. Néanmoins cette puissance est aussi éthique dans le sens où elle renvoie à la responsabilité du producteur lorsqu’il propose un service en terme d’usage social et donc de rapport social par les effets et conséquences provoquées.

Monade, sujet et acteur : un autre regard sur le travail Sur l’unité théâtrale de la grande industrie

Nous sortons aujourd’hui de la société disciplinaire industrialiste et en particulier de l’unité théâtrale du travail, celle-ci se caractérisant par une unité de lieu : un espace dédié à chaque poste et ou fonction ; une unité de temps par l’imposition de la discipline d’horaires collectifs et une unité d’action par l’enchaînement d’opérations à chaque poste de travail. Il faut rappeler que ce modèle classique de forte concentration industrielle a eu du mal à s’imposer en France depuis le 19ème siècle du fait de la résistance à l’imposition de la discipline des horaires collectifs et à l’enchaînement des postes de travail si ce modèle vole en éclat aujourd’hui, cela ne suppose pas pour autant un retour à l’ère préindustrielle. Car, contrairement à ce que l’on pourrait croire, il ne s’agira pas d’un retour en arrière, l’éternel retour n’étant pas forcément un retour à l’identique comme le craignent davantage les syndicats plutôt que les salariés.

Sur l’éclatement de l’unité d’action

S’il a aujourd’hui à la fois éclatement des horaires et des lieux de travail, il faut s’intéresser à l’éclatement de l’unité d’action car l’activité devient à la fois plus individuelle et plus collective, ce qui pose de nouvelles questions à l’organisation du travail. En référence à la théorie des monades de Liebniz « Principes de la nature et de la grâce », la relation de l’individu à son travail tend à devenir une monade, soit une totalité en soi. L’activité professionnelle exige autonomie, prise de responsabilités et d’initiatives, caractéristiques qui font que le salarié porte sa propre action. Pour l’assurer, il aura besoin

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d’un espace propice à la concentration et à la solitude. Cette monade est ouverte à la fois de l’intérieur et de l’extérieur. De l’intérieur, par la relation singulière que chaque individu aura avec sa propre activité, de l’extérieur par le développement des relations en réseaux nécessaires pour mener son activité à bien. Nous observons donc un réajustement de la division sociale du travail. Or, face à cette mutation, les entreprises maintiennent le modèle disciplinaire. Tout en modulant les horaires, elles maintiennent également l’interdépendance fonctionnelle des postes. Par conséquence, l’organisation par réseaux de monades ne peut fonctionner et l’éclatement de l’unité de temps et de l’espace devient insupportable à l’individu.

Les trois grands moments dans l’activité des individus et la question de l’espace de travail

L’activité professionnelle se décompose en trois phases : une phase de concentration individuelle et de réflexion, une phase d’échanges au sein de l’équipe ou du réseau, à l’aide le plus souvent des nouvelles technologies de communication et d’information, ce qui peut autoriser à la fois l’éclatement de l’unité spatiale et des horaires. Une dernière phase concerne les échanges intensifs, phase où l’activité et la coopération prennent tout leur sens. Cette étape ne peut se réaliser que par des contacts directs. Enfin ces trois moments de l’activité peuvent avoir lieu dans un ordre distinct mis, ils nécessitent l’existence d’espaces temps d’isolement, d’espaces temps de communication à distance, d’espaces temps d’élaboration collective avec en filigrane à chaque moment le respect d’autrui.

Sur la question de la solitude

Il est nécessaire de distinguer solitude et isolement. Face à une situation de travail, l’individu est seul, si ce n’est qu’au moment de la prise de décision. Mais cette solitude n’est pas négative, connotation qui lui est donnée par le sens commun. Elle est constructive, d’ordre existentiel, et permet de donner du sens social aux actes professionnels.

Voies alternatives pour la productivité du travail La productivité du travail face à un événement

En prenant l’exemple d’une panne dans un secteur industriel, une autre approche conceptuelle de la productivité est possible. D’abord la panne est un événement en soi qui s’impose et renvoie à une autre vision du temps. Il ne s’agit plus du temps spatialisé mais du temps devenir qui verra émerger des transformations qualitatives et matérielles. Par la mobilisation de ses expériences passées, de sa mémoire, d’une représentation de la réparation de la machine et des échanges entre coéquipiers, l’homme est en devenir. Il ne sera plus le même et, il en est de même pour la machine. Il existe une tension entre temps devenir et temps spatialisé, la panne devant être réparée le plus rapidement possible. Néanmoins le temps réellement productif, celui qui aura permis une transformation objective, est le temps devenir, temps de mobilisation de l’intelligence et du travail lui-même et non de travail. Il en est de même dans le cas d’un agent de télécommunication face au cas difficile d’un client. C’est par le dialogue, la recherche d’une intercompréhension que l’agent va arriver à trouver une solution acceptable pour le client. Pour ce faire, celui-ci devra prendre son temps pour assurer le service attendu. Mais pour autant, il sait qu’il doit rendre compte de l’usage du temps passé. Le temps productif est également dans ce cas le temps devenir qui demeure imprescriptible et qui est qualitatif avant d’être quantitatif.

Propositions sur la productivité du travail

Une approche conceptuelle nouvelle de la productivité au travail donnerait aux salariés de nouveaux espaces d’action. En se référant à Deleuze lisant Spinoza « Spinoza et le problème de l’exprimé », une vision alternative de la productivité peut être abordée à partir de la théorie de l’exprimé, l’exprimant et l’expression.

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•L’exprimé : les effets utiles En partant de l’hypothèse que toute production se réduit in fine à une production de service, cela revient à produire des effets utiles pour le client ou l’usager. En amont de chaque production se pose alors la question du type d’effets utiles à produire. Ce travail essentiel est souvent attribué au marketing stratégique. Mais, en réalité, il est dans toute pratique professionnelle, en partant de l’enseignant qui prépare son cours, au concepteur d’un produit ou à la prise en charge d’un malade. Dans tous les cas, il s’agit d’anticiper sur les conditions de vie d’un client ou d’un usager. C’est le temps et la formulation qui va donner forme aux effets utiles à produire. Pour exemple un cahier des charges qui va décrire les effets utiles d’un produit et qui sera rédigé en amont de toute production. Cette anticipation a l’avantage d’explorer à partir du langage, différents champs possibles à la fois dans la formulation des effets utiles et dans la recherche des solutions, mais également de donner du sens au travail par la transformation de l’activité et des modes de vie sociaux. En prenant en compte ces effets utiles, l’attendu social du déploiement de la productivité est placé en amont de toute recherche d’efficacité.

•L’exprimant : de la puissance en puissance à la puissance en acte L’étape qui consiste à réfléchir sur le « comment faire » pour traduire les effets utiles en service ou produit mobilise un intense activité intellectuelle qui fait appel à la mémoire individuelle et collective et aux expériences passées de chacun. Par le langage, la connaissance, la créativité, des pistes et des solutions sont envisagées. C’est de la puissance en puissance, phase du domaine virtuel mais qui donne la possibilité de potentialiser l’action développée par ce type de travail. Aussi, il concerne aussi bien les techniciens et ingénieurs des bureaux d’étude et de conseil que le travail de réflexion d’ouvriers dans des groupes de progrès ou si l’occasion leur est donnée de traiter de questions liées à leur travail. Le passage du « comment faire « au « faire », passage du virtuel au réel, de la puissance en puissance à la puissance en acte, n’est pas sans prise de risque. Il peut y avoir divergence entre l’anticipation et l’action réelle, ce qui renforce les capacités d’apprentissage et de puissance de l’individu. Pour toute transformation ou mutation, le salarié est placé dans le temps devenir, temps des possibles.

•L’expression : la synthèse des temps hétérogènes Dans le cadre du travail, il existe différentes qualifications de temps et l’on peut parler alors d’hétérogénéité des temps : temps de formation, d’action opératoire, de communication…Or cette hétérogénéité pose quatre questions.

Enfermer des temps hétérogènes dans un même temps spatialisé est contreproductif et destructeur. De même, qu’exprimer le progrès de l’activité uniquement en terme de temps spatialisé et en niant l’apport de chaque type de temps revient à nier les sources essentielles de la puissance du travail et de la productivité moderne et à ranimer une vision du 19ème siècle qui oppose temps productif et temps perdu. Néanmoins, il est nécessaire de trouver une adéquation, une complémentarité entre ces différents types de temps. Même si cela n’est pas simple, en s’inspirant de P.Ricoeur, temps et récit, la solution peut être trouvée par la définition d’une cohérence des temps dans un récit de productivité. Aboutir à des progrès de productivité reviendrait à faire une synthèse de tous les temps hétérogènes. C’est ce qui se produit lors d’une panne, tous les temps sont mis à contribution et interagissent entre eux pour aboutir à la réparation. Ce qui conduit à noter que le temps spatialisé, non moins important, se repositionne dans son rôle de cadre (35h pour la durée du temps de travail) et n’intervient plus dans les calculs de productivité. Qu’en est-il alors du temps socialement utile ? Le temps devenir se mesure par rapport aux effets utiles engendrés et à la transformation des conditions de vie des clients –usagers. Il est nécessaire de l’intégrer dans le calcul de la productivité. Quant au temps spatialisé, il ne présente pas une productivité mais une dépense, une affectation de ressources. Ce qui permet de sortir de la confusion entre ressource pour l’action et l’action elle-même.

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Sans pour autant substituer une nouvelle définition subjective à la productivité du travail, il est nécessaire de rappeler les lignes de tension qui existent à savoir d’une part que les clients et usagers ne sont rarement consultés en amont de toute production si ce n’est d’une façon succincte ou manipulatrice, d’autre part les organisations du travail maintiennent un découpage spatial et temporel qui empêchent les groupes de salariés de s’engager dans les mêmes temps-devenir par la pratique de confrontation et d’échanges d’idées.

Organisation apprenante et formes de l’expérience L’apparition du concept en France

Apparu en France au milieu des années 1980, le concept d’organisation apprenante est né tout d’abord du besoin de requalification des ouvriers spécialisés puis un nombre de plus en plus important de salariés pour faire face à l’évolution technologique et à la complexification des tâches. Ce concept est aujourd’hui associé à une mutation du rapport au travail et permet d’une façon plus large une réappropriation de celui-ci par l’individu en lui donnant un sens social.

L’apprentissage par les événements

Il existe trois aspects de l’organisation apprenante : l’apprentissage par les événements, par la communication et le renouvellement des formes de l’expérience. L’événement considéré habituellement comme négatif pourrait être plutôt considéré comme l’opportunité d’un apprentissage. Et, à chaque type d’événement correspond un type d’apprentissage. Pour les événements aléas ou subis, un apprentissage en trois temps est nécessaire. La première est la phase du diagnostic à réaliser par les ouvriers. Elle leur permet une confrontation réelle à l’événement et le déclenchement d’un processus de réflexion, d’apprentissage. La seconde étape consiste à un retour réflexif sur la panne avec la participation des ouvriers concernés. Il s’agit là de réfléchir sur les causes profondes de la panne et de mettre en œuvre des actions correctives. Cette phase participative par le biais d’une réunion où experts et ouvriers collaborent avec des approches différentes mais complémentaires apporte une reconnaissance supplémentaire au travail des ouvriers. La dernière étape se caractérise par un travail d’anticipation des pannes probables. Il s’agit là d’un travail préventif plutôt que curatif dont l’avantage est de développer chez les ouvriers le raisonnement logique et de créer une dynamique d’apprentissage du fonctionnement des machines. Quant à l’apprentissage par événement provoqué, il consiste en une projection dans l’avenir pour imaginer ce qui pourrait se produire par exemple, lors du lancement d’un nouveau produit. Puis, face à l’événement réel, la confrontation entre le possible imaginé à la réalité permet de créer des conditions d’apprentissage.

L’apprentissage par la communication

L’apprentissage par la communication n’est possible que s’il y a un enjeu commun et que l’objet dont on parle soit clairement identifié par tous. De ce fait, différentes ressources de langage seront mobilisées : le langage factuel, le langage exploratoire, le langage intercompréhensif et le langage d’action. C’est seulement si ces conditions sont réunies que l’apprentissage par échanges communicationnels, basé sur une dynamique réelle de confrontation, devient possible.

Le renouvellement des formes de l’expérience professionnelle

En terme d’apprentissage, deux modèles professionnels ont montré leurs limites : le modèle de la routine et celui des règles de métier. Seul le modèle du virtuel et de l’abduction est compatible avec le concept d’organisation apprenante. Si le premier est indispensable par l’apprentissage des tâches répétitives à réaliser au quotidien, il demeure néfaste lorsque se mettent en place des routines défensives qui peuvent fragiliser le salarié et bloquer toute initiative d’apprentissage. S’agissant du modèle des règles à métier, l’apprentissage se fait avec les pairs et, à la différence du modèle précédent, la

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personnalisation dans le savoir-faire est toujours présente. Néanmoins, l’individualisation de l’expression du métier est encadrée par des références dominantes du métier qui peuvent parfois ou voire même briser l’originalité donc la créativité. Cela en fait un modèle non propice à l’apprentissage par la communication. Le modèle virtuel par abduction consiste à imaginer un événement et à trouver des solutions face aux problèmes susceptibles d’être rencontrés. Lorsque le virtuel devient actualité les rectifications apportées fondent l’apprentissage par l’expérience voire même d’une expérience de l’expérience ce qui rejoint les principes d’une organisation apprenante.

Intellectualité pure et domination des femmes Le concept de l’intellectualité pure et l’exclusion des femmes

Les rapports de domination d’intellectualité pure au travail se sont construits à partir des rapports sociaux de domination de sexe. La division sociale entre travail intellectuel et travail manuel existe encore même s’il est reconnu aujourd’hui que ce dernier mobilise à la fois subjectivité et intelligence. Or, cette division sociale prend aujourd’hui d’autres formes et, c’est à partir de l’intellectualité que cette discrimination s’exprime. D’abord par la division classique taylorienne entre ceux qui prescrivent dans les bureaux et ceux qui exécutent dans les ateliers. Quand il arrive qu’une partie de la conception soit laissée à l’initiative des salariés, la domination perdure. Il s’agit du modèle de l’intellectualité pure qui met en oeuvre un univers social construit autour de l’idée de la pensée pour elle-même, des idées, sans objet. En référence à Kant « critique de la raison pratique » qui distingue monde sensible et suprasensible où l’homme s’affranchit des lois de la nature et est libre de toute passion. L’intellectualité est alors le passage de la loi physique à la loi morale. Cependant Kant n’a nullement produit l’expression moderne de l’infériorisation des femmes. C’est l’usage et l’interprétation de son concept qui ont mené au 19ème siècle la construction de rapports sociaux de domination sur les femmes. Engluées dans le monde sensible des passions, soumises aux lois de la nature, elles ne peuvent intégrer l’univers de l’intellectualité pure. Univers qui sépare les salariés en deux corps : ceux du côté du travail intellectuel pur, placés en position de domination et les autres. Le premier camp, celui de la domination masculine reste quasi infranchissable pour les femmes au travail.

Logique et autonomie comme concepts de domination

C’est sur un savoir particulier, la logique que le concept de domination d’intellectualité pure repose. Ce modèle, en mesure de reconnaître l’intelligence des femmes niera leurs aptitudes à la logique. De plus, il utilisera l’autonomie comme autre concept de domination ce qui le rapproche de la société de contrôle. Le salarié est assujetti à une auto-mobilisation contrôlée par un faisceau de comptes à rendre. Libres de toute passion et des contingences matérielles, purs cerveaux, ils pourront se consacrer entièrement à leur travail. Néanmoins, ils ne sont pas conscients de la façon dont ils s’exploitent et exploitent les autres sous couvert de jouissance procurée par leur intellect. Certaines femmes peuvent parfois tomber dans ce type d’asservissement. Quant à l’autonomie des femmes, elle sera toujours perçue comme partielle et soumise à des passions. De ce fait, elles deviennent suspectes, incapables de se consacrer à l’exercice de l’intellectualité pure. Ceci justifiant parfois les postes subalternes qu’elles occupent dans l’entreprise. C’est là le caractère pervers de l’intellectualité pure car, c’est un leurre de croire que l’on puisse agir en dehors de tout affect. Or les hommes sont portés essentiellement par leurs ambitions qui peuvent conduire aisément à la domination. Ces ambitions relevant parfaitement des affects eux-mêmes.

Evénement et sens donné au travail : histoire d’un conflit social

L’importance d’un événement est inhérente au sens que chaque individu lui donne. Une analyse sociologique de l’événement permet de dépasser l’importance apportée par son

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analyse au profit de celle donnée par l’acteur lui-même à l’événement. Or, dans les confits sociaux, du fait de la variété des catégories d’acteurs, il peut y avoir parfois conflit de sens autour d’un événement.

L’événement et la caractérisation du conflit

Pour exemple, le conflit mené par une équipe de techniciens d’une grande entreprise de télécommunications implantée sur le plan national, ayant en charge la maintenance des centrales téléphoniques. Considéré comme l’élite technicienne, ce groupe a eu du mal à bénéficier de la solidarité des autres catégories professionnelles, y compris les autres techniciens. Aussi, l’événement étudié est l’annonce par la direction d’une réorganisation du travail par la centralisation d’une part, des opérations techniques de supervision des autocommutateurs dont la conséquence sera la diminution du nombre de techniciens répartis sur l’ensemble du territoire et d’autre part, à ne garder localement que des équipes de maintenance des équipements. Les techniciens ne travailleraient plus à la supervision et au suivi qualitatif du réseau ce qui est le cœur de leur métier.

Les étapes du conflit

Sur une durée de l’analyse du conflit de 18 mois : La première attitude se caractérise par une forte opposition au projet de réorganisation. Les techniciens avancent les arguments suivants : la déqualification pour la plupart d’entre eux qu’induit le projet , leur subordination aux superviseurs locaux, la diminution des effectifs pour aboutir à une réduction des coûts, la déliquescence du groupe de professionnels ayant pour conséquence une solidarité moindre et une dégradation du contenu du travail. Bien que cette argumentation soit parfaitement rationnelle, les techniciens ont du mal à contre-effectuer l’événement, à lui donner un sens nouveau. Il évoquent avec fierté leur passé et capacités d’adaptation aux nouvelles technologies mais ne se projettent nullement dans un présent qui serait en devenir. La seconde attitude concerne davantage l’unité enquêtée et ne reflète nullement la position de l’ensemble du groupe professionnel. Les techniciens cherchent à expliquer et à comprendre le pourquoi du projet, cependant en décalage avec le discours officiel du syndicat opposant au projet. La troisième attitude consiste en une réflexion sur l’évolution de leur travail et son contenu actuel. Conscients de la perte d’intérêt pour leur travail, ils reconnaissent la perte progressive de son sens et se trouvent dans une situation où la défense du statu-quo ne permet pas de camoufler ces faiblesses. Enfin, certains d’entre eux reconnaissent avoir développé d’autres compétences et paraissent envisager de s’en servir en vue de nouvelles perspectives professionnelles. L s’agit non de la construction d’un projet collectif, mais de l’émergence de lignes de fuite.

La contre-effectuation de cet événement va s’opérer par la rencontre de quelques techniciens avec la direction de l’unité enquêtée. Il en résulte la mise en place d’une initiative locale qui consiste en la production de service à destination des agences commerciales et d’autres catégories de publics. Par ce biais, les techniciens donnent une nouvelle orientation et un sens nouveau à leur métier et au contenu de leur travail. Néanmoins, le devenir de ce projet non remis en question au plan national, ne peut reposer sur une seule unité. A cette étape, cette unité reste isolée dans sa démarche entreprise et malgré la solidarité de la direction locale au projet, la pression de la direction de branche a conduit à une réduction d’effectifs ce qui rend encore plus difficile la tâche de ces techniciens. Cela a abouti à un découragement des plus âgés d’entre eux, au départ de la minorité qui a développé d’autres compétences et, à une position d’attente de la majorité. Seule une autre minorité continue sur la voie ouverte. Quant est-il alors du devenir de cette unité dans l’engagement de cette lutte ? Abandonner toute négociation et subir l’événement ou bien continuer à négocier avec la direction en faisant de nouvelles propositions. En ayant choisi

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cette deuxième option, cette unité a su développer des capacités d’anticipation de l’avenir. Même si la centralisation s’est imposée, elle aura développer des atouts que les autres unités ne connaîtront pas. Face à un événement, ils ont su développer des choix, se déterminer et provoquer du sens. Un monde d’événements est un monde qui ne s’arrête pas « qu’elle que soit la puissance des dominants ».

La disparition du marché

Le développement de la libre concurrence et la notion de marché relèvent de l’idéologie. La libre concurrence n’a pas pour enjeu la conquête du marché, ce dernier étant en voie de disparition.

L’enjeu de la lutte concurrentielle n’est pas le marché

L’enjeu de la concurrence n’est plus le marché mais la constitution « d’un capital-clientèle ». Les clients doivent être fidélisés et ceux des concurrents captés par de nouveaux produits de sorte à créer une communauté de clients bénéficiant des mêmes réseaux d’information et des mêmes privilèges. Le client constitue pour l’entreprise « une ressource » exploitable gratuitement à travers les informations qu’il fournit sur lui-même et les produits consommés. Par les informations qu’il donne d’une façon effective, il contribue à la constitution de la valeur de l’entreprise. Or cette valeur n’est pas intégrée aujourd’hui comme paramètre comptable. Ce capital clientèle est géré de manière monopolistique c-à-d que chaque firme tente de protéger son territoire. Certes, demeure le choix par le client, mais c’est un choix de territoire et non opérant sur un marché. Néanmoins, le client par sa volatilité marque la possibilité de changer de territoire à tout moment.

Les modifications dans le modèle économique de rentabilité : les parts de clientèle

Or, ce qui fait aujourd’hui la rentabilité des grandes firmes, c’est le flux de revenus réguliers, récurrents et croissants. Ce flux généré et géré client par client à travers la stratégie de fidélisation et l’explosion des systèmes de forfaits est appelé « la part de clientèle ». les notions de marché et de chiffre d’affaires sont devenus obsolètes comme indicateurs économiques et pourraient être remplacés par les parts de clientèle.

La signification des innovations : les services comme captation du capital-clientèle

L’entreprise attire aujourd’hui davantage le client par l’innovation des services que par les produits eux-mêmes. L’innovation devient le moyen de se démarquer du territoire concurrent. Quant au mode de formation des prix, il n’a rien à voir avec le marché. Le fait que ce soit le marché qui fixe les tarifs est une pure fiction. En fait les prix sont le résultat d’un rapport de force entre divers acteurs dont les instances de régulation, les firmes concurrentes qui à l’aide d’une veille concurrentielle tentent de déstabiliser le territoire clientèle de ses concurrents et la clientèle pour une faible part, par le jeu de l’infidélité et de la pression de l’opinion. La constitution des prix est avant tout politique et relève essentiellement du calcul de rentabilité d’un capital et non comme on voudrait le faire croire à partir d’un prix de revient, ce qui relève d’un idéologie pure, entretenue par la Commission de Bruxelles. De plus, l’usage d’une comptabilité analytique permet de légitimer une pression sur le travail du salarié. Celle-ci étant destinée plutôt à faire passer un prix, fixé à priori, en fonction de la valorisation du capital de la firme.

Les stratégies de différenciation, stratégies de conquête d’une position de monopole

La stratégie de différenciation est la façon pour chaque firme de marquer son territoire monopolisé et de nouer un engagement réciproque avec sa clientèle.

Vers l’économie de service

La stratégie de différenciation se fonde sur une économie de service. Or cette économie permet de rééquilibrer le rapport de force entre la firme et sa clientèle. Même si le client

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peut être volatile, il peut participer à la définition du service qui lui est proposé alors qu’il n’a aucune emprise sur la fixation des prix. Ce n’est pas pour autant que nous avons basculé d’une économie d’offre à une économie de demande, ce qui relève encore de l’idéologie. Les firmes continuent à structurer leur économie à partir de l’offre, celle-ci restant globale et structurée par blocs d’offres. L’influence de la demande est très peu significative, par contre le client devient un être politique qui peut largement influencer la durée de vie d’un produit par le jugement et l’opinion qu’il fera circuler sur celui-ci. D’autre part, la demande aujourd’hui est davantage orientée vers la mutation de manières de vivre et d’agir plutôt que sur les produits eux-mêmes. Le client devient alors, client-citoyen, sans que ce statut lui soit reconnu par les firmes. Par ce biais, celles-ci confortent la référence au marché et à la libre concurrence pour légitimer leurs stratégies et bloquer toute tentative de mutation citoyenne.

Société de la connaissance, société des services Une promenade dans la société

Sans caractériser la société dans laquelle nous vivons, nous ne sommes ni dans une société de connaissance ni dans une société de services. D’abord, la société autoproclamée n’est pas une entité palpable. En se promenant dans la rue, on peut observer des communautés locales mais pas la société. Si les sociologues durkeimiens de sociétés à institutions, cela relève de l’astuce, car l’on peut observer des institutions mais non la société. Si tel était le cas, alors la société serait un concept, alors, elle renverrait à un problème destiné à être pensé. Ce problème serait alors l’ordre et donc avec quelle légitimité deviendrait-il un problème ? A travers le concept de société on veut faire exister un ordre et le défendre. D’ailleurs ces personnes se réclament souvent de Marx, or il n’a jamais formulé le concept de société mais plutôt le concept de rapports sociaux.

De quelques espaces…

Parler plutôt d’espaces sociaux en se référant à Foucault semble tangible, d’autant que ces espaces sont aujourd’hui en crise à l’image de l’agonie des sociétés disciplinaires. la société de la connaissance ou la société tout court, sans concept, n’est qu’un mythe qui permet de faire revenir l’obsession de l’ordre et de la volonté qui l’anime.

Le miracle de l’information circulante

Par le biais de la circulation aisée de l’information et de la communication peut-on accéder à la connaissance ? il s’agit surtout de circulation de données dont le niveau intellectuel et éthique est souvent désastreux. Quant bien même cela serait possible, il ne peut y avoir connaissance sans objet, ni l’existence d’un royaume de la libre connaissance porteur des germes de l’enfermement.

Et les services, et l’Internet ?

Quant à l’internet, il ne permet pas l’accès à la connaissance. A partir de l’utilisation fonctionnelle qui en est faite la plupart du temps, il sert plutôt à capter notre attention, nos goûts et à stimuler nos affects. Nous entrons plutôt dans la société des services, représentation plus lucide, société qui crée de nouvelles formes de prisons, de nouvelles formes d’espaces temps, notion définie par Deleuze. Il s’agit de nouveaux rapports de domination par la captation du temps (internet, télévision, modulation du travail d’un cadre par l’intermédiaire d’un téléphone portable). En conclusion, le terme société, basé sur aucun concept est un mythe qui aide à ne pas penser, or partir des rapports sociaux permet de modifier notre façon de voir et de toucher les choses, car qui dit rapport social dit rencontre, confrontation dans tout espace de vie : famille, travail, rue,…).

Marx, les rapports sociaux et la question de l’émancipation Marx, philosophe des rapports sociaux, théoricien de l’émancipation

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Si Marx, premier et grand philosophe à avoir forgé le concept des rapports sociaux, il a néanmoins ignoré les rapports sociaux de sexe. Ceci renvoie à la difficulté de Marx d’associer émancipation humaine et émancipation sociale. L’essence humaine est dans les rapports sociaux qui selon Marx se fondent sur la confrontation à des enjeux et aux individus entre eux. Le principal rapport social étudié par Marx étant celui du rapport capital-travail dont l’enjeu qui le structure est la réappropriation du temps. Aussi, l’émancipation humaine ne peut se faire qu’à partir du rapport social car, elle prend corps dans le mouvement et c’est pour cela que Marx parle d’émancipation et non de liberté. L’émancipation par le mouvement, seule est capable de renverser, voire de détruire l’oppression exercée par la classe dominante sur le prolétariat. Cette émancipation va créer une liberté nouvelle qui ne sera en aucun cas la liberté.

Les impasses de Marx et son réductionnisme

Apparaissent alors les limites de la théorie de Marx sur les rapports sociaux. Tout en pensant l’émancipation humaine à travers l’émancipation du prolétariat, voire même à la disparition des classes sociales, il n’aborde qu’un aspect de cette émancipation à savoir de l’exploitation d’une classe par une autre. L’émancipation n’est analysée que comme émancipation sociale et non comme émancipation humaine sous tous ses rapports sociaux.

Concentration de la lutte des classes sur la seule question de l’exploitation

Ce qui importe pour Marx, c’est l’analyse du rapport central travail –capital ou oppresseur opprimé. Les autres rapports sociaux deviennent fonctionnels, au service du rapport exploités exploiteurs. Il en de même pour les femmes qui ont pour rôle de reproduire de la force de travail. Et, lorsqu’elles travaillent, leur activité est analysée sous l’angle du rapport capital-travail au même titre que le travail des enfants. Or, si les autres rapports sociaux sont fonctionnalisés au service du rapport travail-capital, ils se vident de leur sens, ne sont plus pensés pour eux-mêmes ce qui aboutit à une vision simplifiée de la vie sociale. Marx n’est donc pas allé jusqu’au bout de son affirmation selon laquelle l’essence humaine se joue dans les rapports sociaux. Il a non seulement omis les rapports de sexe, mais également appauvri la compréhension du rapport capital-travail dont il reste le plus remarquable théoricien.

Conclusion

Le travail est une forme d’exercice de l’activité humaine. Inventés au 18ème siècle, les concepts de travail objectivé et de travailleur sont aujourd’hui moribonds. Le travail revient dans le savoir et les dispositions de l’individu dans sa compétence. Ce sont les caractéristiques de base de l’activité paysanne et artisanale car l’être humain n’est plus l’acteur direct. Ceci n’est pas pour autant un retour à l’ère préindustrielle. Aujourd’hui, naissent de multiples formes de mobilisation de l’intelligence et en contrepartie leurs contraires : dispositifs de contrôle, de cadrage et de blocage. Pour autant, la puissance exercée par l’individu est première, elle fonde et détermine le capital. Alors faut-il la mettre en valeur ? Et pourquoi cette force ne développe-t-elle pas en pouvoir ? Quel paradoxe ? En fait les salariés sont d’une part, peu conscients de ce pouvoir et ont d’autre part intériorisé l’oppression subie. De plus toutes les formes de lutte sont désorganisées ou éclatées. La révolte gronde, mais elle ne s’exprime pas.

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6/ PRINCIPALES CONCLUSIONS Le travail n’est autre chose que l’une des principales formes de l’activité humaine. Apparus au milieu du 18ème siècle, les termes de travail et travailleur sont à revoir. Non parce que le travail est en voie de disparition, mais seulement parce les concepts sous-jacents de travail et travailleurs sont moribonds .L’activité humaine demeure, seulement le travail revient dans le savoir et les dispositions de l’individu, dans sa compétence. L’être humain crée, prépare, supervise, entretient les conditions de réalisation de la production industrielle, mais, il n’en est plus l’acteur direct. C’est une évolution incontestable qui jette un trouble profond sur la définition économique de la « valeur-travail ». Néanmoins, il ne s’agit pas pour autant d’un retour à l’ère préindustrielle. Lorsqu’on cherche à définir les caractéristiques de cette activité humaine qu’est le travail, on voit se développer et se mobiliser : de multiples formes de l’intelligence, de nouvelles formes de communication, du service au sein d’un univers de modulation généralisée (à la fois du temps et de l’espace). Paradoxalement, l’on voit également se développer de nouveaux systèmes de contrôle, de cadrage, de blocage, de négation de ces formes, d’exclusion au sein d’un univers qui tente d’exacerber l’appréhension sécuritaire du monde pour maintenir les fondements de la condition salariale. Enfin qu’elle signification donner au service si ce n’est une action sur l’action d’autrui ? Ou plus précisément l’action sur les dispositions d’action d’autrui sous la double figure de l’usager et du public. La réciprocité étant permanente car nous sommes tantôt l’un, tantôt l’autre. Alors le travail dans tout cela se valide dans son utilité sociale Or cette caractéristique du rapport social de service est absente dans le rapport capital-travail. Aussi, agir sur le développement des dispositions d’action d’autrui , c’est accroître sa puissance au sens que Spinoza a donné à ce terme. La puissance exercée par les individus travaillant est première, au sens précis du terme. Cette puissance ne se traduit pas pour autant par l’expression d’un pouvoir capable d’agir sur l’action des dominants. Ce paradoxe s’explique d’une part par le fait que les salariés sont peu conscients de ce pouvoir et d’autre part par l’échec des mouvements syndicaux et de lutte collectifs qui ne sont plus adaptés au travail d’aujourd’hui bien qu’ils aient été efficaces au temps du fordisme. Pourtant, la révolte gronde, alimentée par la précarité, l’insécurité de l’emploi, l’autoritarisme, les discriminations, le manque d’implication dans les stratégies d’entreprise,, voire même le dégoût engendré par certaines pratiques spéculatives. Parviendra-t-elle à s’exprimer ?

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7/ DISCUSSION ET CRITIQUE Dans cet ouvrage, Philippe Zarifian apporte un regard neuf sur le travail par l’approche psychologique voir même psychanalytique qu’il en fait et par la définition du travail lui-même. En s’éloignant des débats actuels sur la durée du travail, la société de loisir ou du travail, la disparition ou non du travail, il s’attache à sa définition et surtout à ses conditions de réalisation et de succès. Si le titre est évocateur et provocateur à la fois, il n’est pas le strict reflet du contenu du livre. En effet, l’auteur s’est attaché avant tout à décrire le travail et ses rapports sociaux sous-jacents et non à dire à quoi il sert. Même si cette question est traitée en filigrane le thème central de l’ouvrage est la question du travail et dans quelles conditions il se déroule aujourd’hui dans les entreprises. Tout d’abord il décrit l’évolution de l’entreprise en tant que système clos qui a initialement construit une discipline à laquelle est assujettie le salarié qui voit aujourd’hui cette discipline non disparaître mais s’orienter vers un contrôle qui peut être parfois exacerbé. Ce contrôle s’exerce par la mise en place d’objectifs de plus en plus contraignants, et souvent non discutés. L’imposition de délais de plus en plus courts que ce soit pour le personnel de production ou d’encadrement, rend le travail de plus en plus difficile, travail qui échappe de plus en plus à l’individu du fait d’espaces temporels de liberté de plus en plus restreints. En effet, lorsque les délais sont de plus en plus courts, le salarié ne dispose plus du temps nécessaire pour réaliser correctement son travail ce qui peut générer frustration, souffrance ou révolte. Donc sans pour autant généraliser, je citerai l’exemple de l’établissement hospitalier public dans lequel je travaille et où la pression exercée sur une certaine catégorie de salariés est de plus en plus importante. Du fait de la transversalité de ma fonction (ingénieur qualité), je travaille avec tous les corps de métier et, aujourd’hui, malgré la diminution du temps de travail (35), la pression sur les salariés est de plus en plus forte et, les conditions de travail de plus en plus difficiles. Ceci pour plusieurs raisons qu’il n’est pas possible de développer ici. Mais, au-delà du fait que l’hôpital n’était pas prêt à absorber une réduction du temps de travail sans revoir ses modes de fonctionnement et les moyens dont il dispose pour cela, on peut noter que la management par projet, par la qualité sont devenus des normes auxquelles l’hôpital doit se soumettre. A l’instar du secteur privé, il est de bon ton aujourd’hui de parler de projets qualité et de tout gérer suivant le mode de gestion de projet. Ceci conduit à construire des cadres de travail de plus en plus rigides, à multiplier les projets, les procédures, les protocoles et à essayer de faire entrer le maximum de personnes dans ces moules. On aboutit donc à une situation où une partie de l’encadrement et des employés se trouvent constamment sollicités soit pour de nouveaux projets ou pour faire appliquer de nouvelles règles et ou procédures. Ce qui génèrent dispersion, difficulté à se concentrer sur son travail au quotidien et somme toute à passer parfois à côté de l’essentiel. Dans certains cas cela peut aboutir à un surmenage et à de la souffrance au travail. Quant à la distinction entre temps de travail et du travail, celle-ci est très pertinente. L’auteur définit avec beaucoup de finesse le rapport social au temps, le rôle et les caractéristiques du temps au travail. Si le temps spatialisé est important, il est néanmoins nécessaire de réhabiliter le temps devenir, le temps de la transformation et de la créativité. Ce temps n’est pas considéré à sa juste valeur et, est souvent estropié. Ce temps de la réflexion que le salarié s’approprie en s’affranchissant de la montre est peu considéré car perçu comme non rentable. Or c’est ce temps qui permet le devenir et que l’auteur appelle temps du travail par opposition au temps de travail qui doit rester un cadre, une référence (exemple la durée de 35h). Ce temps comme le souligne à regret l’auteur, n’est pas pris en compte dans le calcul de la productivité dans le système économique actuel. Et, un autre regard sur ce temps permettrait de rééquilibrer ses usages et de mettre en avant le déploiement des compétences humaines et de leur faculté imaginative. Si la production de service peut générer des changements de mode de vie pour les usagers et donc des modifications dans les rapports sociaux, ces modifications entraînent des variations de puissance qui peuvent être négatives ou positives. Et, selon le cas, l’individu gagnera en puissance individuelle ou intelligence ou bien l’inverse. Et, l’on peut citer, le cas

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banal aujourd’hui de l’usage du téléphone portable. Cet outil de service, qui selon l’usage que l’on en fait, peut conduire à l’aliénation ou bien à faciliter la vie au quotidien sans pour autant tomber dans la dépendance. Du côté des producteurs des services, ils auront à osciller constamment entre des exigences purement économiques (pressions temporelles et financières) et la volonté de s’en distancier pour tenter d’appréhender le rapport de service entre eux et les usagers. En dehors des rapports sociaux liés au travail, l’auteur livre une réflexion sur le contenu du travail. En sortant de la société disciplinaire industrielle, nous quittons l’unité théâtrale du travail, à savoir unité de temps, d’espace et d’action. En dehors de la modulation des horaires de travail et des lieux, il apparaît aujourd’hui un éclatement de l’unité d’action de chaque individu au travail. En effet, la division du travail telle qu’elle a été définie depuis l’ère préindustrielle atteint ses limites, le travail est devenu à la fois plus individuel et plus collectif et ceci pour diverses raisons. D’abord l’organisation par type de poste ou de fonction devient obsolète du fait des nombreuses interactions du travail de chacun avec les autres types de fonctions. Le travail passe aujourd’hui par la construction à la fois de moments de travail solitaires mais aussi par des moments de travail collectifs basés sur des échanges et qui condensent d’une façon singulière les enjeux des rapports sociaux. Et c’est ce que dénomme l’auteur une monade, soit une totalité en soi. Le travail est devenu une globalité. Or, malgré une attente nouvelle des individus au travail qui perçoivent ces évolutions, l’organisation du travail par sa subdivision et ses schémas de coordination demeurent inadaptés. Aussi, à titre d’expérience personnelle, je ressens ce type d’évolution dans le cadre du travail, l’interaction avec d’autres individus dans le travail est de plus en plus forte et donc les périmètres de d’activité des uns et des autre sont de plus en plus fluctuants ce qui nécessite inventivité et adaptation au quotidien. Car, la définition des postes de travail elle, reste identique. De plus ces schémas organisationnels ne favorisent pas non plus l’organisation apprenante dont un des piliers essentiels est l’apprentissage par la communication, les échanges de savoirs et la définition d’enjeux communs. Il devient intéressant à ce stade de faire un retour sur la division du travail. Celle-ci est pour l’auteur à l’origine d’une discrimination profonde entre travail manuel et travail intellectuel. Cette distinction prend la figure de l’intellectualité et c’est à partir de l’intellectualité pure que peut s’affirmer une forme de domination sexuée. Cette domination s’appuie d’une part sur le concept de la logique, les femmes sont reconnues comme intelligentes, mais le savoir ou le comportement logique leur seront toujours déniés, d’autre part sur celui de l’autonomie : grand attribut de la société de contrôle. Cette autonomie qui exige en contre partie une très forte auto mobilisation de soi, est reconnue comme non accessible aux femmes. Les femmes par rapport à ce modèle demeurent suspectes car elles ne peuvent se dégager ni de leurs affects ni de toute contingence matérielle. En conséquence, malgré leurs qualifications elles ont du mal aujourd’hui encore à accéder à des postes de responsabilité et d’ingénierie. Et au-delà de cela, l’auteur insiste sur un modèle sexué du travail dans lequel s’investissent certaines professions qui ne relèvent pas forcément de l’encadrement. Par la passion de l’intellectualité, de la créativité et d’un auto investissement souvent démesuré, ces hommes s’exploitent par un asservissement total à l’entreprise mais exploitent également les autres à travers les tâches subalternes ou matérielles qu’ils leurs imposent et notamment aux femmes. Nous pouvons tous observer aujourd’hui autour de nous ce type de comportement qui n’est hélas, pas spécifique aux hommes. Certaines femmes, d’une façon inconsciente s’approprient ce modèle avec les comportements qui y sont associés. Et, lorsque dans le travail on essaie de vous imposer ce modèle et que vous résistez, vous êtes suspectés de manque d’investissement. Personnellement, je vis ce type de situation et en tant que cadre, je me vois faire le reproche de ne pas dépasser les horaires définis par le cadre juridique, même si quelquefois je les dépasse par nécessité et non par choix. L’idéologie dominante encore aujourd’hui est d’être corvéable à merci, de donner au travail une position dominante de la vie sociale et, de se libérer de toutes les contingences matérielles, voire même familiales qui sont considérées par le monde du travail (secteur public ou privé confondu) bien évidemment réservées aux femmes mais surtout comme étant secondaires.

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Autre idéologie dénoncée par l’auteur et ce, à juste titre, c’est celle de l’existence d’un marché et d’une libre concurrence et que leur développement ne peut qu’être bénéfique aux consommateurs. Sans revenir sur la démonstration faite par l’auteur de la non existence du marché et de la concurrence de plus en plus restreinte et qui devient monopolistique, il est intéressant de revenir sur l’impact de cette idéologie sur le travail et plus largement sur le citoyen. En effet cette idéologie permet de justifier la mise en place de comptabilité analytique qui ne fixe en rien le coût de revient d’un produit, mais qui en l’occurrence légitime une pression sur la réalisation des tâches, en temps, et un contrôle permanent sur le salarié. D’autre part, elle bloque le rôle du client citoyen dont la participation à l’élaboration du service, voire indirectement à celle du produit n’est ni valorisée économiquement, ni reconnue ce qui bloque toutes les mutations sociales en cours. Autre élément bloquant pour l’auteur, c’est celui de l’existence de la « société ». Celui-ci relève également d’une pure idéologie et, empêche in fine toute pensée et toute compréhension des choses. C’est par l’analyse des rapports sociaux que l’on peut comprendre ce qui se passe dans la vie et donc au travail. Personnellement je ne peux qu’adhérer à ce type d’analyse qui me semble une fois de plus très pertinente et notamment la démonstration du fait que la société n’est pas un concept. Mais, je souhaite souligner ici les limites de mon analyse et de sa modestie par rapport à toute analyse sociologique du fait que je n’ai ni la formation sociologique, ni la légitimité pour aller plus loin dans mes propos. Je réitère également cette remarque sur l’analyse faite par l’auteur sur Marx, les rapports sociaux et la question de l’émancipation. Si j’adhère sur le fait que Marx est le premier théoricien à avoir traité de la domination dans les rapports sociaux notamment dans le rapport salarial entre le prolétariat et la classe sociale dominante, je comprends tout à fait la démonstration de l’auteur sur les manques de la théorie de Marx à ce sujet et, notamment sur le fait qu’il a n’a pas défini le lien entre émancipation humaine et sociale. Marx a réduit selon l’auteur tous les rapports sociaux à un seul rapport social, celui du rapport capital travail et par là même, a négligé les rapports sociaux de sexe. Je n’ai pas personnellement pas suffisamment de connaissance sur l’œuvre de Marx pour en dire plus. En conclusion je me suis délectée à lire cet ouvrage même si je l’ai trouvé ardu à la première lecture. Et, je pense être loin d’en avoir fait le tour à sa juste valeur. D’une façon intuitive et par mon vécu personnel, les analyses défendues par l’auteur m’ont parues pertinentes et collées à la réalité du monde du travail d’aujourd’hui. Néanmoins, je temporiserai mon jugement par rapport à la puissance qu’attribue l’auteur à l’individu au travail, puissance qui aujourd’hui comme il le reconnaît ne s’exerce pas comme un contre pouvoir face à la domination et ce, pour diverses raisons. J’ajouterai seulement que si puissance il y a, elle devrait s’exprimer d’une façon ou d’une autre, or aujourd’hui on ne voit pas les prémices de cette expression, qu’elle soit individuelle ou collective.

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8/ ACTUALITE DE LA QUESTION Le thème du travail aujourd’hui est un thème qui fait couler beaucoup d’encre et dont les références bibliographiques sont incommensurables et les approches nombreuses : organisationnelle, sociologique, économique, psychologique, philosophique et anthropologique. Néanmoins certains thèmes sont récurrents : 1. le travail et l’emploi 2. le travail et le chômage 3. le travail comme valeur et son avenir 4. société de travail et ou de loisir 5. la souffrance au travail 6. la réduction du temps de travail. Je donnerai une idée de l’actualité de ce thème en décrivant les courants actuels de ces dix dernières années au sujet du travail. En m’inspirant du livre de D.Méda, le travail , Que sais-je ? 2004, je citerai trois courants tout aussi indépendants dans leurs postulats et leur visée. 1/ La désalarisation du travail indépendant Ce premier courant vise à libérer le travail en l’allégeant des règles sans nombre qui le corsettent. Un certain nombre de réflexion d’origine anglo-saxonne se sont développées en France au début des années 1990 autour de l’idée que l’emploi n’épuise pas le travail et qu’il faudrait donc dépasser le seul travail salarié, en finir avec le salariat. Le temps est révolu des entreprises organisées comme des ruches avec des alvéoles bien distinctes et bien articulées qui correspondraient aux postes de travail. Il faut se convertir soi même en entreprise et gérer sa vie comme un portefeuille d’activités, puisque « le travail entreprenarial est presque semblable au développement humain, valeur fondamentale de l’épanouissement humain »*. Le travail est simplement l’exercice non entravé de l’ensemble des activités humaines. Il est clair que ces analyses ont en commun de faire l’impasse sur l’élaboration collective et séculaire des garanties sociales attachées au travail dont la disparition ramènerait une grande partie de la population à l’état dans lequel elle se trouvait au 19ème siècle. *W. Bridges, La conquête du travail, Village mondial,,1995 2/ De l’utilité sociale de la production Ce courant vise à développer un « tiers secteur », où le travail pourrait se délier de la relation marchande par laquelle il est habité depuis le développement du capitalisme. Tout au long de l’histoire, l’économie politique se transforme en une science formelle à travers une acception de l’idée d’utilité extrêmement abstraite et une conception du travail exclusivement marchande. C’est cette séparation, ce désencastrement de l’économique du social, cette manière de considérer le social comme un simple correctif des effets économiques de la logique marchande que cherche à dépasser ce courant d’idée. Il propose de substituer à la distinction classique entre industrie et services celle, entre, d’une part, les services standardisables et, d’autre part, les services relationnels. Remettant en question le fait que seule l’économie de marché devrait contribuer à l’enrichissement de la société, les tenants de ce courant (dont J-L. Laville, Une troisième voie pour le travail, Desclée de Brouwer, 1999) proposent un nouveau mixage de l’économie marchande, non marchande et non monétaire et surtout des différents type de travail : rémunéré, bénévole, et domestique. Le risque pointé par certains auteurs, de voir ce « tiers-secteur » instrumenté par les politiques d’emploi et dès lors utilisé pour renforcer la segmentation entre les processus d’un vrai emploi, bien protégé et normalement rémunéré, et les employés d’un secteur ghetto est bien

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pris en compte par les tenants de cette approche, qui présente le considérable intérêt de remettre le travail au cœur des débats politiques. Comme toute proposition, celle-ci court le risque néanmoins d’être insuffisamment armée face au développement exponentiel des logiques marchandes. 3/ La sécurisation des trajectoires professionnelles Ce courant vise à sécuriser les trajectoires des personnes, indépendamment de leur position à un moment donné dans le système d’activité. Et, ces dernières années plusieurs propositions ont vu le jour visant à sécuriser les trajectoires des personnes entre les différentes phases d’activité ou d’inactivité qu’elles risquent de connaître au cours de leur vie professionnelle. Le rapport Boissonnat, intitulé « Le travail dans vingt ans, Odile Jacob, 1995 », prenait ainsi acte des profondes évolutions du travail et notamment du travail salarié ainsi que la relative inadaptation du droit du travail à s’y opposer, et proposait une nouvelle formule intitulé « Le contrat d’activité ».L’idée fondamentale étant d’éviter que les périodes de chômage ne soient des périodes d’intense stigmatisation, voire de perte de compétences et de promouvoir de nouvelles dynamiques professionnelles pour les individus. Dans cette ligne de réforme du droit du travail, on peut citer également le travail animé par Supiot et intitulé « au-delà de l’emploi ». Ce groupe européen a pris acte des évolutions du travail et surtout de l’incapacité actuelle du droit du travail à s’y opposer et à protéger ceux qui en ont le plus besoin ( qui sont souvent des non salariés ou des salariés précaires), propose un refondation des principes du droit du travail et de la protection sociale, grâce à laquelle les principaux droits ne seraient plus principalement attachés à l’exercice du travail salarié mais aux personnes et à leur état professionnel : « Au statut de l’employé, qui lie la subordination et la sécurité devrait succéder un nouvel état professionnel des personnes, fondées sur une approche compréhensive du travail et capable de lier les impératifs de liberté, de sécurité et de responsabilité ». Ainsi, disposeraient-elles, en tant que personnes et en tant que travailleurs ou actifs d’un certain nombre de droits fondamentaux qui leur permettrait de ne pas connaître de moments « sans droits ». D’autres propositions convergentes ont été également faites ces dernières années par le travail d’un vaste groupe de recherche européen d’économistes consacré à l’analyse de transitions, dont Bernard Gazier en France a pris le relais. Les propositions de Supiot ont comme limite de ne pas résoudre le problème des personnes qui n’ont jamais commencé à travailler ou qui n’ont pas travaillé suffisamment pour s’ouvrir des droits concrets permettant précisément de mener une vie digne en l’absence de travail. Les propositions de Gazier, étayées sur les analyses en termes de modèle de politique d’emploi de Gautié et Barbier et les exemples concrets issus des pays du Nord, où les institutions ont réussi à mettre en œuvre une politique très active d’emploi et de formation tout au long de la vie donnant aux travailleurs des moyens concrets de revenir mieux armés sur le marché du travail emblent plus opérationnelles. Mais, elles se heurtent à la question de la possible transférabilité des expériences étrangères qui « marchent » et à la question lancinante qui revient à échéance régulière, en France, de ce qui peut être fait lorsque le travail manque. En conclusion, je peux dire que la réflexion aujourd’hui sur le thème du travail et les courants théoriques s’attachent avant tout à réfléchir essentiellement sur le paradigme du travail et de l’emploi. Ce problème est crucial et nous préoccupent tous en tant que citoyen et surtout par la proportion qu’il prend aujourd’hui du fait du nombre croissant de chômeurs d’un part et de salariés précaires ou dits pauvres. Néanmoins, il me semble important que l’on réfléchisse d’avantage aux conditions de travail, à la place du travail et au rapport que chaque individu peut avoir au travail. S’agissant des conditions de travail, un livre a retenu mon attention celui de Stéphane Beaud et Michel Pialoux, retour sur la condition ouvrière, Fayard, 1999. Il y décrit les conditions de travail des ouvriers dans l’industrie automobile, conditions de travail qui par leur déshumanisation et l’emploi abusif des intérimaires n’ont rien à envié à celle décrites par Zola dans Germinal.

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9/ BIBLIOGRAPHIE COMPLEMENTAIRE EVENTUELLE J. Bidet et J. Tixier, La crise du travail, Actuel Marx, PUF, 1995

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Gille Jeannot, P. Veltz, Le travail entre l’entreprise et la cité, Edition de l’Aube, 2001

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D. Mothé, L’utopie du temps libre, Editions Esprit, 1998

Jérémy Rifkin, La fin du travail, la découverte 1996

D. S. Chnapper, Contre la fin du travail, Gallimard, 1997

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D. Becquemont et P. Bonte, Mythologies du travail, L’harmattant, mai 2004-07-09

Parmi les revues Travailler est-il (bien) naturel ? Revue Dumaus n°18, 2d semestre 2001,

Le travail sans fin ? Revu Cités n°8, 2001

C’est quoi le travail ? Revue autrement, collections Mutations, octobre 1997