Fiche de Lecture La Naissance de l'Inemployable

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Université de Reims Champagne-Ardenne Faculté des Sciences Economiques, Sociales et de Gestion Institut Régional Universitaire de Sciences Sociales Appliquées (IRUSSA) CARLIER Richard Licence Professionnelle Intervention Sociale Spécialité Métiers de l'Insertion et de l'Accompagnement Social Parcours Aide à l'Insertion Professionnelle 2008-2009 Fiche de Lecture « La naissance de l'inemployable » de Serge EBERSOLD Session Janvier 2009 Mme Delphine CORTEEL

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La Naissance de l'Inemployable

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Université de Reims Champagne-ArdenneFaculté des Sciences Economiques, Sociales et de Gestion

Institut Régional Universitaire de Sciences Sociales Appliquées (IRUSSA)

CARLIER Richard

Licence Professionnelle Intervention SocialeSpécialité Métiers de l'Insertion et de l'Accompagnement Social

Parcours Aide à l'Insertion Professionnelle2008-2009

Fiche de Lecture

« La naissance de l'inemployable »

de Serge EBERSOLD

Session Janvier 2009Mme Delphine CORTEEL

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A marche forcée, la mondialisation dans laquelle le travail social évolue est désormais inféodée1 aux sphères économiques. Pour ce qui est des problématiques de recrutement, la sphère politique cherche tant bien que mal à trouver des solutions : privilégiant les traitements de masses, elle focalise ses efforts sur une catégorisation de la demande d'emploi et sur des dispositifs d'insertion novateurs : ils mettent à jour des interstices où vient se loger « l'inemployable ».

4eme de couverture

1 . [À l'époque mérovingienne; le sujet désigne un noble, le complément d'objet désigne un leude] Assujettir un leude, s'attacher sa personne, sa fidélité et ses services en garantissant en échange sa protection. Lexicographie du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL).

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Serge EBERSOLD : un universitaire reconnu sur la question du handicap

Il est en effet habilité à diriger la recherche en sciences sociales suite à ses travaux portant sur les dispositifs d'insertion et de formation professionnelle s'adressant à des personnes vulnérables (notamment sur les handicaps moteurs ou sensoriels et plus généralement sur les difficultés rencontrées face aux processus d'apprentissage). Il formalise ses acquis en soutenant en 1991 une thèse de doctorat en sociologie intitulée « La normalisation de l'infirme : l'invention du handicap » : il y promeut une invention permanente de soi-même au travers d'espaces de compréhensions prenant en compte les interactions entre les individus souffrant de handicap et leurs structures d'accompagnement.

Il constate en effet que dans le monde du handicap, on assigne trop souvent à une place et à un itinéraire formatés : nous verrons en quoi ces logiques s'associent à l'ouvrage qui nous intéresse ici et qui se concentre sur le concept de « l'inemployabilité ».

Serge EBERSOLD est actuellement détaché par l'Université de Strasbourg à la Direction de l'Education au sein de l'Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE)2.A ce titre, il y dirige une recherche internationale sur les parcours des lycéens et étudiants exprimant des besoins éducatifs particuliers pour qu'ils puissent accéder à l'enseignement supérieur ou à un emploi classique. Notre auteur est par ailleurs membre de l'Observatoire National de la Formation, de la Recherche et de l'Innovation sur le Handicap (ONFRIH), structure récente (2007), initiée par le Ministère de la Santé et des Solidarités qui a pour objectif de présenter aux pouvoirs publics des propositions en matière de prévention, de recherche et de formation des professionnels impliqués dans le champ du handicap.

Il rédige abondamment sur de nombreux supports. On cite le plus souvent de lui « Le temps des servitudes, la famille à l'épreuve du handicap », rédigé en collaboration avec Mlle Anne-Laure BAZIN en 2007 où ils étudient la place et la considération qui sont réservées actuellement en France aux parents d'enfants souffrant de handicap. La plupart du temps réduits à la déficience de leur enfant, les institutions focalisent leur attention sur les difficultés rencontrées et induisent chez les parents une absence de confiance et d'estime sociale qui devraient pourtant être fondatrices de la citoyenneté de chacune de ces parties prenantes : nous verrons dans quelle mesure il peut en être de même pour d'autres catégories et l'accès à l'emploi. Il fait également partie de différents comités de rédaction de périodiques tels que le European Journal of Special Needs Education, animé par des chercheurs et des enseignants souhaitant passer en revue les derniers développements en matière de besoins éducatifs spéciaux (c'est-à-dire appréhender les difficultés d'apprentissage avec des formules d'enseignement innovantes).

Ces différentes recherches biographiques mettent en lumière un portefeuille d'activités plus que conséquent sur ces questions. Elles lui assurent une légitimité d'expertise sur les questions du handicap et des difficultés d'apprentissage et sur la façon dont on peut y envisager/organiser l'accès à l'enseignement et à l'emploi. « La naissance de l'inemployable » offre ainsi au lecteur les éléments d'orientation et de cartographie nécessaires à une meilleure appréhension d'individualités toute en nuances.

2. L’OCDE regroupe les gouvernements de 30 pays, attachés aux principes de la démocratie et de l’économie de marché en vue de :

• Soutenir une croissance économique durable• Développer l’emploi• Elever le niveau de vie• Maintenir la stabilité financière• Aider les autres pays à développer leur économie• Contribuer à la croissance du commerce mondial

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Comment envisager de nouveaux principes de catégorisation et de distribution des populations ?

Dès le choix du titre de son ouvrage ("La naissance de l'inemployable ou l'insertion au risque de l'exclusion"), l'auteur s'attache à démontrer comment les pouvoirs publics sont passés d'une vision territoriale à une optique de groupes au travers de la définition de "publics-cibles".

Pour ce faire, il étudie l'évolution du vocabulaire utilisé par les rédacteurs de rapports et les décideurs politiques sur les questions de l'insertion.

Travaillant à partir de circulaires ministérielles, de différents rapports d'études à l'usage des parlementaires (à l'instar du célèbre rapport Schwartz initialisant les logiques qui animeront les Missions Locales), de revues telles que « Rebondir3 » ou encore à partir des scripts des débats à l'Assemblée Nationale, il met en évidence l'évolution des orientations prises pour ce qui est des politiques d'insertion entre le début des années 80 et la fin des années 90.

Cette étude est révélatrice de l'évolution des représentations que le monde politique peut se faire du chômage et de ce qu'il s'agirait de faire pour forger des outils d'insertion efficaces. Les contrats précaires se voient ainsi parés de tous les attributs des contrats de travail classiques (il remarque notamment l'assortissement de ces nouvelles formes de contrats de travail à des droits au logement ou à la formation continue qui se révèlent illusoires car très maladroitement mis en pratique).

Serge EBERSOLD nous amène ici à constater par ces outils d'analyse que la question de l'insertion par la sphère politique est passée progressivemment d'une approche socio-éducative (sur un modèle universaliste de l'Education Nationale -à présent dénigré-) à un modéle de "réaffiliation économiciste".

Particulièrement loquace sur ce point, l'auteur souhaite démontrer par ce raccourci comment le modèle de fonctionnement au sein de la sacro-sainte entreprise s'impose à l'individu et à la société et comment tous ces intervenants vont devoir se conformer, contraints et forcés, aux canons de l'entrepreunariat pour ce qui est des questions d'emploi. Il met d'ailleurs en lumière le dessin du politique de vouloir lier l'enseignement et l'économique de cette façon, n'en n'assurant qu'une homéostasie4 dont on connaît les conséquences.

La collectivité imprime son rôle intégrateur au travers de l'auto-responsabilisation

Particulièrement révélateurs, les principes de contractualisation (d'ailleurs obligatoires) des usagers des structures d'accompagnement ont pour objectif premier de faire reconnaître des droits en prenant des engagements signés : les droits ne sont plus automatiques, il s'agit de s'engager pour pouvoir prétendre à être aidé : c'est là une évolution inédite !

Contraire à une certaine universalité des droits et relative au triomphe des besoins des milieux économiques, la généralisation de cette pratique (d'autorité) vise à inculquer à chacun l'esprit d'entreprise. On considère ainsi non plus l'insertion comme la réalisation d'un objectif mais bien comme un pré-requis individuel qui doit être conféré, communiqué et contractualisé pour pouvoir prétendre à un accompagnement et ainsi avoir la possibilité de "s'en sortir". Il s'agit d'un véritable critère de sélection au cours d'authentiques processus de recrutement pour des publics bien affaiblis. C'est désormais à l'individu de se battre pour prouver qu'il est le plus apte à pourvoir une place sur les programmes d'insertion : inutile d'expliquer ici que l'exclusion n'en sera que plus grande, les personnes les plus éloignées de ces canons n'ayant aucune chance d'accéder à des dispositifs qui devraient en toute logique leur être réservés.

3 . « Le mensuel de votre réussite professionnelle »4 . « L'homéostasie est la capacité que peut avoir un système quelconque à conserver son équilibre de

fonctionnement en dépit des contraintes qui lui sont extérieures ». Claude BERNARD, cité dans l'Encyclopédie en ligne Wikipédia

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"L'inemployable" ou le chômeur reconfiguré5

Inaptes à répondre à ces exigences qui sont qualifiées d'entrepreunariales, nombre d'individualités ont pour points communs le manque de qualification, l'inexpérience professionnelle ou l'absence de projet : ces espaces identifient des interstices dont le terreau sont non seulement « l'économicisation » du monde et ses corrolaires, mais surtout l'effritemment de la condition salariale que Robert CASTEL a su formaliser au travers de son ouvrage de référence "Les Métamorphoses de la question sociale, une chronique du salariat".

Souvent présents chez les stagiaires de la formation professionnelle, les chômeurs de longue durée ou les allocataires du RMI, les « inemployables » regroupent autant de profils qui composent cette nouvelle catégorie qui se distinguent ainsi des figures du chômeur, du pauvre ou du handicapé.

Ils sont dissociés de ces derniers par une "probabilité d'accès à l'emploi interrogée" (p.111), une déresponsabilisation face à un sort subi (les niveaux d'exigence de rentabilité des entreprises étant devenues trop importants pour de pauvres hères6) et donc par des logiques d'intervention sociale différenciée.

Ce nouvel étiquetage est bien entendu source de vulnérabilisation et laisse nombre d'individualités à la merci des représentations. Les sentiments de honte et de culpabilisation des personnes suivies rendent victimes de violences symboliques au travers de certaines désignations.

Non seulement l'analyse d'un vocabulaire, devenu médical7, met en lumière un rapport d'infériorisation des intéressés, mais elle officialiserait ouvertement une vision "darwinienne" de personnes pour lesquelles il ne saurait exister de solutions à l'échelle de l'entreprise. Le sociologue laisse ici au lecteur le soin d'apprécier la distance de ces orientations avec les notions fondamentales républicaines d'égalité ou de fraternité.

Une fois cette façon de voir les choses entérinée, la structuration de l'offre dite d'insertion se fait logiquement au gré des représentations des décideurs : jugés limités pour pouvoir travailler sur leurs projets professionnels, les plus démunis voient leurs disparités se transformer en différence de nature et en éviction sociale sur tout un panel de dispositifs déclinés qui vont du contrat aidé aux structures occupationnelles.

L'entrepreunariat comme principe de cohésion

Si la construction de notre société se fait sous le prisme de l'entreprise, il en est de même pour ce qui est de l'insertion. Cette logique de marché se traduit dans les structures d'accompagnement à tous les niveaux : recrutement des ayant-droits, fonctionnement de ses salariés, nature des objectifs répondent tous à ces critères.

Au sein de ce systéme, la stratégie partenariale doit permettre aux travailleurs sociaux d'atteindre leurs objectifs et aux chercheurs d'emploi d'enrichir les entreprises de leurs spécificités et compétences particulières : le perpétuel « projet » se substitue à un progrès qui devrait permettre aux individus de façonner leur environnement.

5 . titre de la deuxième partie de l'ouvrage6 . homme misérable, jeune cerf ne disposant pas encore de ses bois. Lexicographie du Centre National de

Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL).7 . bilan, diagnostic, tuteur...

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De l'égalité des droits à l'inégalité des chances : une analyse plus personnelle

Le législateur aura entièrement redessiné les valeurs fondamentales de la République au fur et à mesure de ses mises en place à l'Assemblée. D'expérience, les chevilles ouvrières des dispositifs d'insertion n'ont de cesse de pointer leurs perpétuelles évolutions ou la précarité de leurs supports de postes, ce qui expliquerait la pauvreté des résultats obtenus et la piètre image qui est donnée au suivi.A mon sens, la systémie des impératifs économiques aura su remodeler la vocation égalitaire de l'action publique vers une liberté illusoire d'entreprendre son propre avenir : Serge EBERSOLD ne fonde malheureusement son analyse que, et uniquement, sur une confrontation entre un modèle entrepreunarial néo-libéral et des dispositifs d'insertion ad hoc, rien n'est envisagé sur les autres modèles de fonctionnements d'entreprises qui représentent pourtant des alternatives efficaces (et qui sont regroupés au sein de l'économie sociale et solidaire).

A la charge désormais des acteurs de l'insertion d'inventer les outils de la réaffiliation et de s'assurer d'une cohésion sociale qui paraît sous cet éclairage hypothétique : la responsabilité en est atomisée entre ces protagonistes et ne se réfèrent qu'exclusivement aux conditions qui font le salariat. A la contractualisation de jeter un voile pudique sur l'inféodalisation entre travailleurs sociaux et chercheurs d'emploi qui plus que les autres, souffrent de leurs carences et qui représentent justement dans la plupart des cas les causes qui les ont amenés à se retrouver sans solution et à être victimes des « redimensionnements » de personnel.

Or, cette démarche contractuelle supposerait d'organiser des régulations possibles. L'auteur ne remet pas en cause l'ordre social et se contente de constater. Il a cependant l'avantage d'approfondir et de mettre en évidence la subjectivité de relations trop interpersonnelles entre chargés de suivi et ayant-droits, de l'absence de dessin collectif de ce que doivent être précisement et clairement les objectifs, de l'absence de tiers impartial en cas de désaccord et surtout du versement d'indemnités conditionnées au respect de clauses d'engagement déséquilibrés qui sont autant de révélateurs de façons de fonctionner qui s'avérent indéfendables et qui représentent le carburant d'une société plus inégalitaire.

Cet ouvrage m'a été conseillé indépendamment par deux enseignants-chercheurs différents, et ce, à la suite des échanges que nous avions pu initiés en cours de sociologie. L'orientation vers ce livre s'est avéré non seulement l'écho de ces échanges, mais également ceux de mon parcours professionnel. Les appréhensions décrites dans cet ouvrage ont été les miennes au moment où il aura fallu agir en ce sens. Ma reprise d'études représente un approfondissement et une professionnalisation sur les problématiques qui sont en jeu lorsqu'on occupe un poste de conseiller emploi. Serge EBERSOLD réussit la prouesse de faire d'un amalgame de statuts bâtards, de situations a priori hétéroclites, un authentique groupe rencontrant des problématiques identiques au travers d'une implacable démonstration de ce que peut être un paradigme sociologique8.Les outils de cette discipline ont ceci d'exceptionnel qu'ils ont le potentiel de diagnostiquer des mécanismes généraux au travers de l'étude d'interactions simples, élémentaires, entre les individus d'une part et la société en général d'autre part. L'auteur insuffle de surcroît dans cet ouvrage une vision bien plus étendue et sereine des forces en action, des motivations de chacunes des parties prenantes : on pourra reprocher à la sociologie de ne pas aller, comme l'auteur, jusqu'à la prescription : la vraie question serait-elle de savoir s'il s'agit bien de son rôle ?

En tout état de cause, cette segmentation du « précariat » permet aux «inemployables» de leur donner une identité : ceci me paraît un préalable fort intéressant pour pouvoir créer certaines dynamiques de groupes. Il est en effet inutile de rappeler les leviers qui peuvent être initier aux travers de celles-ci. La lecture de cet ouvrage me permettra désormais de regrouper des situations individuelles dans des ensembles et ainsi expliquer aux intéressés les enjeux des situations qu'ils subissent et pourquoi pas à les motiver à agir avec des éléments de réflexion plus complets, plus objectifs et disposant de plus de recul.

8 . Le mot paradigme tient son origine du mot grec ancien παράδειγμα / paradeïgma qui signifie « modèle » ou « exemple ». Ce mot lui-même vient de παραδεικνύναι / paradeiknunaï qui signifie "montrer", "comparer" .Un paradigme est une représentation du monde, une manière de voir les choses, un modèle cohérent de vision du monde qui repose sur une base définie (matrice disciplinaire, modèle théorique ou courant de pensée)-(Encyclopédie Wikipédia).