Ferdinand Lot - La Gaule

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    Ferdinand LotDe lInstitut(1866 - 1952)

    LA GAULELes fondements ethniques, sociauxet politiques de la nation franaise

    Librairie Arthme Fayard, Paris, 1947

    Un document produit en version numrique par Jean-Marc Simonet, bnvole,professeur retrait de lenseignement de lUniversit de Paris XI-Orsay

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    Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales"Site web: http://classiques.uqac.ca/

    Une collection dveloppe en collaboration avec la Bibliothque

    Paul-mile-Boulet de l'Universit du Qubec ChicoutimiSite web: http://bibliotheque.uqac.ca/

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    Ferdinand Lotde lInstitut (1866-1952)

    La GauleLes fondements ethniques, sociaux et

    politiques de la nation franaise

    Librairie Arthme Fayard, Paris,1947,

    31e dition, 592 pages

    Polices de caractres utilise :

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    TABLE DES MATIRES

    AVANT-PROPOS.

    PREMIERE PARTIE

    LA GAULE INDPENDANTE

    LIVRE PREMIER

    CHAPITRE PREMIER. Le fondement ethnique.

    CHAPITRE II. Ce quon peut savoir de son histoire.

    La premire conqute romaine.La premire invasion germanique.

    CHAPITRE III. Tableau des peuples de la Gaule.

    Dans la Gaule dite chevelue :

    A) Au centre de la celtique proprement dite entre Loire et Garonne.

    B) De la Loire au Rhin suprieur.C) Entre Loire et Seine-et-Marne.D) Entre la Seine, la Loire, la mer.E) Le Belgium.

    Dans lAquitaine.Dans la Provincia :

    A) Entre le Rhne et les Alpes.B) Du Rhne la Garonne et aux Pyrnes.Les peuples des Alpes.

    Densit de la population.

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    CHAPITRE IV. La socit. Ltat. Druidisme et religion. Murs et ca-ractre.

    A) La socit. Ltat.B) Druidisme et religion.Le druidismeLa religion.

    C) Murs et caractre.

    CHAPITRE V. La vie conomique.

    A) Lagriculture.B) Lindustrie.

    C) Le commerce.

    CHAPITRE VI. La langue, les lettres, les sciences, lart.

    A) La langue.B) Lettres et sciences.C) Lart.

    LIVRE II

    CHAPITRE PREMIER. Conqute de la Gaule par Csar.

    A) Les prliminaires. Lappel Csar. Le refoulement des Helvtes.B) Le refoulement dArioviste et des Germains.C) Le premier soulvement des Belges.D) Soumission des peuples armoricains et des Aquitains.E) Refoulement des Usiptes et des Tenctres.F) Les descentes en Bretagne

    Premire descente.Seconde descente.

    G) Soulvement des burons, des Carnutes, des Snons, des Aduatikes, des

    Nerves. Dsastre romain sous Aduatica. Ambiorix.H) Persistance de lagitation. Soulvement des Trvires.I) Persistance de lagitation. Second passage du Rhin. Extermination

    des burons.J) Rvolte gnrale. Vercingtorix.K) Sige dAvaricum.L) Sige de Gergovie. chec de Csar.

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    M) Dfection des Hdues. Victoire de Labinus sous Lutce. Plans deVercingtorix.

    N) Retour de Csar. Sa victoire sous Dijon. -Vercingtorix senfermedans Alsia.

    O) Blocus dAlsia. chec de larme gauloise de secours. Redditionde VercingtorixP) Derniers soubresauts. Soumission des Carnutes. Rvolte et soumission

    des Bellovakes. Soumission des peuples armoricains. Les Car-dukes et le sige dUxellodunum. Soumission des Trvires. Aprsla conqute de la Gaule celtique, dpart de Csar. Rvolte tardiveet soumission de la Gaule ibrique.

    CHAPITRE II. Ce que la Gaule a perdu Alsia. Causes de sa dfaite : a)politiques et sociales; b) militaires.

    A) Causes politiques et sociales.B) Causes militaires.Vercingtorix. Son portrait, ses desseins, sa destine posthume.

    DEUXIME PARTIE

    LA GAULE ROMAINE

    LIVRE PREMIERLe Haut-Empire.

    CHAPITRE II. Rorganisation gographique, politique, militaire de la Gaule. Lapport ethnique italien les colonies. La vie urbaine.

    CHAPITRE II. Les magistratures urbaines.

    CHAPITRE III. Le gouvernement.

    1 Exerc par les gouverneurs.2 Par le culte de Rome et dAuguste.

    CHAPITRE IV. Les charges de la population.

    1 Limpt.2 Le service militaire.

    CHAPITRE V. Les rvoltes du Ier sicle et le ralliement dfinitif Rome. Linstrument dassimilation le latin. Ce que Rome na pas transform.

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    1 Les rvoltes.2 Le ralliement dfinitif Rome.3 Linstrument dassimilation : le latin.

    4 Ce que Rome na pas transform.

    CHAPITRE VI. Ce que disent les noms de lieux. Ce qui subsiste du pass.

    1 Ce qui subsiste du pass pr-romain.

    A) Noms simples.B) Noms de lieux tirs des trois rgnes de la nature :

    a) du rgne minralb) du rgne vgtalc) du rgne animal

    C) Noms rappelant lempire de lhomme sur la nature.D) Noms de divinits.E) Noms de lieux dont le second terme est un suffixe.

    2 Ce qui subsiste du pass romain.

    A) Noms simples.B) Noms dorigine religieuse.

    a) poque paenne.b) poque chrtienne.

    C) Noms dont le second terme est un suffixe.

    CHAPITRE VII. Ce que la Gaule a gagn devenir romaine, ce quelle a per-du.I. Gains dordre matriel :

    A) Dveloppement conomique.B) Travaux publics routes, ponts et ports.C) Fondations et transformations de villes.

    I. Dans la Provincia.II. Dans les Trois-Gaules.

    D) Aspect de la ville du Haut-Empire.

    E) Les monuments.a) Monuments dapparat.b) Monuments religieux et funraires.c) Monuments civils

    La villa. La maison.Thermes et aqueducs.Les villes deaux.Thtres, amphithtres, cirques.

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    II. Gains dordre spirituel : les coles et les matres.III. Ce que la Gaule a perdu tre romanise.

    CHAPITRE VIII. La Gaule aux IIe et IIIe sicles.

    A) Sous les Antonins et les Svres.B) La Gaule entre 235 et 285.

    LIVRE IILe Bas-Empire.

    CHAPITRE I. Redressement et affaissement de lEmpire.

    Le systme de la ttrarchie.

    La Gaule sous Constance-Chlore, Maximien, Constantin (293-337).La Gaule sous les fils de Constantin (337-355).La Gaule sous Julien (355-363).La Gaule sous Valentinien, Gratien, Maxime, Thodose (363-395).

    CHAPITRE II. Des changements apports dans le gouvernement etladministration.

    CHAPITRE III. Les charges de la population. Limpt. Le service mili-taire

    LimptLimpt dtat.Les charges municipales.Le service militaire.

    CHAPITRE IV. -La crise conomique et montaire. Ses consquences.

    CHAPITRE V. La ville du Bas-Empire.

    CHAPITRE VI. Les castes. La hirarchie sociale.

    Les castes.La hirarchie sociale.

    CHAPITRE VII. Les Puissants et le rgime du patronage. Intervention deltat contre les abus des puissants.

    A) Les puissants et le rgime du patronage.Les puissants.

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    Le patronage et le prcaire.

    B) Intervention de ltat contre les abus des puissants.

    Changements dans la lgislation.Le dfenseur de la cit.Mesures en faveur des ngociants.Le curateur.Rtablissement des assembles.

    CHAPITRE VIII. La crise morale et religieuse. Triomphe du christianisme.

    A) Introduction du christianisme en Gaule.B) Les vchs Lpiscopat.C) Lvanglisation.

    D) Le monachisme.E) Ombres et lumires.F) Schismes et hrsies.

    CHAPITRE IX. Lorganisation militaire et la dfense de la Gaule la veilledes invasions dcisives.

    LIVRE IIIRecul et disparition de lautorit romaine en Gaule (406-476).

    CHAPITRE I. Les invasions Les derniers pronunciamientos. Soulve-ment de lArmorique. Installation des Barbares (406-476).

    CHAPITRE II. Aetius et la dfense de la Gaule. Le rgime de lhospitalit. La bagaude et lArmorique. Installation des Bretons. Lutte contreles Francs Saliens. Invasion des Huns. Mort dAetius et de Valenti-nien III (425-455).

    CHAPITRE III. Agonie de la Romania en Gaule (455-481).

    CHAPITRE. IV Lapport de la Gaule la civilisation romaine. Ce que

    Rome doit la Gaule.

    A) Dans lordre militaire.B) Dans la vie conomique et les arts.C) Dans la littrature profane.D) Dans la littrature sacre.

    CONCLUSION.

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    BIBLIOGRAPHIE

    Fin du document

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    AVANT-PROPOS

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    A quel moment commence lHistoire de France ? Voil une ques-tion que nos anctres ne se posaient pas. Pour eux lhistoire de notrepays commenait larrive des Francs, des Franois , comme ilsdisaient, en Gaule. Le premier roi de France tait Clovis et, depuisce fondateur, se droutait lhistoire du royaume avec ses alternati-ves de succs et de gloire, de revers et de misres.

    Ils ne se posaient mme pas la question de savoir qui, auparavant,habitait la Gaule, ou plutt ils rpondaient : les Romains , quils sereprsentaient sans doute comme une poigne de conqurants subju-gus ou expulss par les Franois . Tous, mme les serfs, secroyaient issus des Francs. Pas davantage on ne se demandait dovenaient nos Franois , quelle race ils appartenaient, quelle lan-gue ils parlaient. Ce fut une stupeur indigne quand Frret, la fin dusicle de Louis XIV, osa prtendre que les Francs taient un peuplegermanique install de force aux dpens dune population antrieure laquelle appartenait limmense majorit du peuple franais. Jus-qualors les personnes savantes, utilisant les fabrications naves declercs, remontant lre mrovingienne finissante, se les reprsen-

    taient comme les descendants des Troyens (sic) chapps au dsastrequi mit fin lexistence dIlion, et parvenant en Gaule on ne saitcomment travers lobscurit des temps.

    Il fallut se rendre tout de mme lvidence. Alors une partie de lapopulation, la noblesse, la partie instruite, cest--dire une infime mi-norit, rclama pour elle seule lorigine franque, pour appuyer ses pr-

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    tentions demeurer la seule classe digne de diriger lEtat. De Bou-lainvilliers Mlle de la Lezardire, de la Rgence la Rvolutionfranaise, certains aristocrates embrassrent avec passion cette

    thorie. Peut-tre a-t-elle contribu, quand vint lopposition, lors de laRvolution, faire considrer les nobles comme des intrus bons supprimer.

    La Rvolution et lEmpire eurent des proccupations suffisammentabsorbantes pour que les esprits laissassent de ct ces balivernes.

    Avec la reprise des tudes sous la Restauration et sous le rgne deLouis-Philippe, lhistoire de la plus vieille France commence treenvisage dune manire plus scientifique avec Guizot et Augustin

    Thierry. Celui-ci, cependant, et son frre Amde, demeurent partiel-lement sous lempire des thories du sicle prcdent. Ils envisagentmme lHistoire de France, non seulement lpoque franque, mais travers les sicles, comme une lutte des populations gauloises lenom apparat enfin contre des conqurants trangers, les Francs.Une arrire-pense les pousse dans ce systme : il faut clbrer lesmrites et le triomphe final de la bourgeoisie quils considrentcomme la partie vivante et mritante de la population. A elle revien-nent lgitimement le pouvoir politique et la considration sociale.

    Ces vues, qui paraissent aujourdhui dune incroyable fausset, nepouvaient que sduire le monde des professeurs, des classes librales,de la bourgeoisie, entendons la bourgeoisie instruite, dont elles flat-taient la suffisance.

    Elles tranent travers le sicle, malgr les rserves des ruditsmieux informs du rel, mais ignors du grand public, donc impuis-sants.Il faut vraiment descendre jusqu la premire dition du livre deFustel de Coulanges (1875) sur les institutions de la France pour

    quelles soient dnonces comme absurdes par la plume de ce bel his-torien qui fut aussi un grand crivain. Il nen subsiste plus rien depuislors. Nos manuels ont appris aux Franais que leur histoire ne com-mence pas Clovis. Ils savent quavant la France tait la Gaule, Gauleromaine, elle-mme prolongement dune Gaule indpendante. Debeaux travaux, ceux de Camille Jullian, qui na pas consacr moins dehuit volumes lhistoire de la Gaule indpendante et romaine, ceux de

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    H. Hubert sur les Celtes, de Dchelette sur larchologie prhistoriqueet celtique, dAlbert Grenier, continuateur la fois de Jullian et deDchelette, le solide volume de Gustave Bloch, paru dans ladmirable

    Histoire de France publie sous la direction dErnest Lavisse, pour neciter que quelques noms, permettent au public de se renseigner abon-damment et srement.

    Mais le public les jeunes et les vieux tient-il vraiment trerenseign sur les origines de son pays ? On en peut douter. Qui-conque, par devoir professionnel, a fait passer des examens, demeurestupfi de lignorance, sur ce point comme sur dautres et plus quesur dautres, des candidats au baccalaurat, mme la licence, igno-rance partage souvent par ceux quon appelait autrefois les gens du

    monde, par les Franais moyens , comme on dit aujourdhui. Com-bien,dans les classes dites dirigeantes, ignorent quelle race ils ap-partiennent, lorigine de la langue quils parlent, et bien dautres cho-ses encore!

    Mme quand on arrive la priode franque, lintrt ne se rveillepas. On connat les noms de Clovis et de Charlemagne et on se repr-sente toujours ce dernier sous des couleurs lgendaires.

    Le Franais, mme celui qui se croit cultiv, ne connat pas, ou dumoins connat mal les fondements conomiques, sociaux, politiques,du pass de son pays, disons mme du prsent, car le prsent dificerepose sur des bases anciennes, beaucoup plus anciennes quonnimagine trop souvent.

    Cest pour essayer de ragir contre cette indiffrence que ce livre at crit. Il ne vise pas loriginalit. On y tente seulement de mettreau courant les gens de bonne volont des importants travaux qui ontt consacrs en France et ltranger au plus recul pass de notre

    pays, tout en ne se privant pas du droit de les contrler.

    Prenant la date o la rgion situe entre Pyrnes et Rhin, Ocanet Alpes, a t peuple par des hommes dont incontestablement nousdescendons tous, le premier ge de fer, vers lan mille avant notre re,louvrage sarrte lan mille aprs.

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    Est-ce dire que ce dernier terme constitue un tournant dcisifdans la suite des temps ? Non, certes. Mais il nen est pas moins vraique, avec lavnement de la dynastie captienne, la vie politique prend

    une stabilit relative qui se poursuivra jusqu la guerre de Cent ans.En mme temps, par suite de larrt des invasions barbares, la paixpeut commencer renatre, et, avec elle, le commerce, lindustrie,lart, les lettres. De nouvelles classes sociales mergent lentement delombre paisse qui les recouvrait au cours des sicles antrieurs.Cest vraiment laube dun jour nouveau, aube grise, une aube cepen-dant.

    Nous nous arrtons l, laissant dautres le plaisir de voir natre etgrandir la nouvelle journe.

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    PREMIRE PARTIE

    LA GAULE INDPENDANTE

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    LIVRE PREMIER

    CHAPITRE PREMIER

    LE FONDEMENT ETHNIQUE

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    Avant la France tait la Gaule, ou pour mieux dire la France conti-nue la Gaule et la Gaule prfigure la France. Faire lhistoire de laGaule cest faire lhistoire de la France.

    Mais, jusqu lexpansion romaine sur le monde mditerranen etsur le continent europen, lhistoire de la Gaule nest quun chapitre,le plus intressant, il est vrai, de lhistoire des Celtes, et lhistoire dece peuple sentrevoit peine travers la brume des sicles.

    Il fut un temps o les peuples qui se dsignaient par ce nom oc-cupaient un immense territoire couvrant lEurope, depuislembouchure du Tage jusqu lembouchure du Dniepr. Ils tenaient la

    Gaule, les les Britanniques, la majeure partie de lEspagne, lItalie duNord, lAllemagne occidentale et mridionale, la Bohme et la Mora-vie, la Silsie, la valle du Danube. Ils poussrent mme jusquenAsie Mineure et y fondrent un tat qui eut quelque dure. Leurs in-vasions sont comme une prfiguration de celles des Germains.

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    Mais ils se mirent en marche trop tt et, moins heureux que cesderniers, ils ne russirent pas fonder des tats o leur race et leurlangue purent senraciner, demeurer travers les ges jusqu nos

    jours et se prolonger dans un avenir indfini. Avant mme la conquteromaine, Daces, Gtes, Sarmates, Illyriens firent disparatre leurs ta-blissements danubiens. A lautre extrmit de leur empire, en Espa-gne, ils se fondirent avec la population indigne, sans doute beaucoupplus nombreuse, et ne laissrent rien, except quelques noms de lieux.Rome, au cours des IIIe et IVe sicles avant notre re, extermina ouassimila les Celtes de la valle du P. Les Germains les refoulrent duCentre de lEurope (Bohme, Moravie), aprs les avoir chasssdAllemagne, entre le IIIe sicle avant et le Ier aprs notre re.

    Au IIe sicle avant notre re, le monde celtique ne subsiste vrai-ment que dans la Gaule et les les britanniques.

    En ces rgions mmes, tait-il autochtone ?

    Les les britanniques avaient t occupes par les Celtes en vaguessuccessives. La premire, celle qui sest pandue jusquen Irlande eten Caldonie et y est reste fixe, offre un aspect tout particulier.Cest une pousse trs ancienne, comme latteste le contraste profond

    entre le scot ou godel parl en Irlande et introduit ensuite, au VI

    e

    si-cle de notre re, en Caldonie (qui prend le nom dcosse) et le celti-que de Gaule et de Grande-Bretagne. Ces premiers occupants ont tsuivis par des Celtes proprement dits, puis par le rameau belge, qui,lui-mme, opra dans lle des installations successives.

    La Gaule demeure le pays celtique par excellence, le plus grand.Mais en Gaule mme les Celtes sont-ils indignes ?

    Eux-mmes se sont pos la question. Les druides rapportaient

    quune partie de la population de la Gaule tait indigne, mais quuneautre tait venue dles lointaines et des rgions doutre-Rhin. Il estpossible que par cette dernire assertion les druides, qui renseignaientle voyageur grec Timagne, vers lan 100 avant notre re, fissent allu-sion ltablissement en Gaule des Belges fuyant lAllemagne sous lapression germanique : leur tablissement tait, en effet, assez rcent(IVe ou IIIe sicle peut-tre avant notre re). Quelles sont ces les ?

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    Peut-tre des les mythiques. Au reste, peu importe : tout ce que lespeuples barbares racontent sur leurs origines est dnu de valeur histo-rique ce nest que construction desprits curieux, mais gars par leur

    manque total dinstruction, par leur passion ou leur imagination.Les Romains ne sembarrassaient pas de problmes sur lorigine

    des Celtes, quils appelaient Galli, quils fussent dItalie, de Gaule oudEspagne. Csar se contente de dire que trois races occupent laGaule : les Ibres, entre les Pyrnes et la Garonne; les Galli, qui sedisent Celtae en leur langue, de la Garonne la Seine et la Marne;les Belges, de la Marne et de la Seine au Rhin. Ces trois races diff-rent par la langue. Les Belges sont issus des Germains. En ce quiconcerne ces derniers, il sest tromp ou a mal compris les renseigne-

    ments qui lui furent donns : les Belges ntaient nullement issus desGermains, comme le prouvent lanthropologie des parties de la Belgi-que et de la France o ils se sont maintenus et aussi les dbris de leurlangue que nous font connatre les noms de lieux et de personnes. Ilssont bel et bien des Celtes, le dernier rameau venu de Germanie. Pource motif peut-tre ont-ils t crus dorigine germanique par un lettrpeu soucieux de ces prcisions qui sentent le pdant.

    Nous sommes, ou nous croyons tre, de nos jours, bien

    mieux informs que les Anciens. Archologues de la prhistoire et dela protohistoire, anthropologues, ethnographes ont multipli les re-cherches. Ils en savent bien plus que les Romains, que les Gauloismme, sur le peuplement de la Gaule et la date laquelle il sest ef-fectu.

    Au moins ds le Palolithique, cest un fait avr. On a mme pudterminer pour lge de la pierre clate, le Palolithique suprieur,les races auxquelles on a appliqu le nom des localits o lon en aretrouv des spcimens race de Cro-Magnon, grande, tte troite et

    allonge (dolichocphale) avec face large; race de la Chancelade, trsdiffrente : dolichocphale face normale, mais trs petite de taille.Ces deux races sont attestes notamment en Prigord, mais il nexisteaucune preuve srieuse quelles aient persist, quoique certains aientprtendu.

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    A lge de la pierre polie ou Nolithique apparaissent trois races :1 celle dite des Baumes-Chaudes, petits dolichocphales face basse;2 race de Genay, grands dolichocphales face longue; 3 race, dite

    alpine, petits brachycphales. Les deux premires ont disparu. Nousverrons bientt ce quil faut penser de la troisime.

    Pour traiter de lapparition des Celtes, mieux vaut procder en re-montant le cours des ges.

    Quils fussent en Gaule ds le dbut du second ge du fer, cest--dire de la civilisation dite de la Tne, quon fait commencer cinq si-cles avant notre re, cest un fait admis de tous.

    Cette civilisation nopre pas une rupture brusque avec lre pr-cdente, dite de Hallstatt, le premier ge du fer. Nous avons mme despreuves de continuit sur place chez certaines tribus de la Gaule, celledes Lingons, par exemple. Il ny a donc aucune raison srieuse pourfaire partir de lpoque de la Tne linstallation des Celtes en Gaule.Ils taient dj en place, chez nous, au premier ge du fer, dont on fixelavnement vers lan 1000, civilisation dont les tmoignages abon-dent en Europe centrale, berceau probable de la race celtique.

    Une nigme subsiste. Que les Celtes aient occup la Gaule verslan 500 ou vers lan 1000 avant notre re, il nen reste pas moinsquil y a lieu de se demander sils ny avaient pas t prcds par despopulations antrieures. Quels rapports eurent-ils avec elles ? Les ont-ils chasses ou se sont-ils mls elles, tout en les dominant, grce larme nouvelle et redoutable que fut alors lpe de fer ?

    Cette dernire hypothse est celle qui rencontre la faveur de la plu-part des prhistoriens et des anthropologues. Sil fallait les en croire,les Celtes seraient des conqurants imposant leur langue, leurs institu-

    tions des populations dj implantes en Gaule depuis fort long-temps. Ils dterminent la marche progressive des Celtes dEst enOuest, du Nord au Sud, sans trop se proccuper des normes lacunesde leur information. Dautres, tels que C. Jullian, qualifient de ligures,sans raison valable, lensemble des populations qui ont prcd lesCeltes, hypothse dlaisse aujourdhui.

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    Une autre solution est possible : si loccupation de la Gaule par lesCeltes nest pas un fait historique relativement rcent, pourquoi lune,au moins, des races nolithiques ne se confondrait-elle pas avec eux ?

    Sur les trois races dont on trouve des tmoignages lpoque de lapierre polie, deux nont pas laiss de traces certaines, on vient de ledire, mais la troisime, quon nomme tantt race alpine, tantt racecvenole, subsiste. Cest delle que descendent incontestablement Au-vergnats, Savoyards, Dauphinois, Suisses (en partie), coule ethniquequi se prolonge travers lAllemagne du Sud et lAutriche jusquedans lUkraine actuelle.

    Il est vrai que cette race, bien quelle ait occup et occupe encoreaujourdhui la majeure partie de ce qui fut la Gaule, nest pas la seule

    quon rencontre en ce pays. Laissons de ct, pour linstant, les ap-ports germaniques, bretons, basques, qui ne se produisent que tardi-vement, aux Ve et VIe sicles de notre re. Mettons part aussi lesIbres pyrnens, les Ligures de Provence, prdcesseurs incontestsdes Celtes dans lextrme Sud de la Gaule : ils appartiennent unetout autre ethnie. Il reste quon peut distinguer trois autres groupes : lepremier lOuest quon peut qualifier dAtlantique parce quil occupeles ctes du Bordelais, de la Saintonge, du Poitou, groupe quisenfonce lintrieur jusquen Berry, Orlanais, Maine; le deuxime,

    septentrional, comprend Ile-de-France, Normandie, Picardie et Artois,Flandre (wallonne), Champagne (en partie); le troisime groupe,oriental, Lorraine, Champagne (en partie), Bourgogne, Franche-Comt.

    Mais, y regarder de prs, on saperoit que les diffrences entreces quatre groupes sont pousses lextrme par les anthropologues.Mettons part le Prigord, o subsistent des reprsentants dun typedhommes petits, bruns, au crne allong jusqu la dolichocphalie,descendants possibles, au moins partiellement, dune population no-

    lithique ou palolithique. Les caractristiques du groupe occidental nesloignent gure de celles du groupe dit cvenol ou alpin. Il en va demme du groupe septentrional, qualifi par certains de Nordique, maisabusivement, quoiquun peu plus grand que les groupes du centre etde lOuest : les gens de ce groupe, brachycphales, bruns, sopposentnettement au vrai type Nordique, cest--dire germano-scandinave. Laseule exception se rencontre dans une partie de la Normandie, en Co-

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    tentin, en Bessin, en Caux, o, principalement sur la cte, on trouvedes hommes grands, blonds, aux yeux bleus, accusant nettement letype danois, infiltration tardive, qui nest pas antrieure au Xe sicle

    de notre re. Mais le Normand de lintrieur na rien de Nordic . Ilressemble sy mprendre ses voisins de Picardie lEst, du Maine lOuest. On ne parle pas, naturellement, des Flamands de languenerlandaise, dailleurs trs composites de race et assez peu germani-ques anthropologiquement.

    Quant au groupe de lEst, quant aux Lorrains, notamment, sils ontgnralement une taille plus leve que dans le reste de la France, ilsne sont nullement blonds en majorit et leur brachycphalie pronon-ce les oppose nettement leurs voisins de lEst.

    Somme toute, entre ces quatre groupes occupant la majeure partiede la France, il ny a pas une opposition prononce comme celle descouleurs du spectre, mais simplement des nuances dune mme cou-leur.

    Mme avec les autres groupes ethniques de France, les diffrencesvont rarement jusqu lopposition. En ce qui concerne le groupe bre-ton, la chose sexplique aisment. Le Sud de lle de la Bretagne ayant

    t peupl plusieurs reprises par les Celtes proprement dits et lesBelges, il est naturel que, lorsque leurs descendants du Sud-Ouest delle senfuirent en Armorique, au Ve sicle, leur type physique diff-rt peu de celui des indignes, leurs frres ou cousins. Mme avec lesLigures du Sud-Est, avec les Ibres du Sud-Ouest, les contrastes ontt attnus par la pntration celtique qui alla jusquaux Pyrnes etaux Alpes, ds une poque ancienne (VIe et Ve sicles avant notre repour le moins).

    On prtend quil ny a pas de type franais. Il y a cependant une

    moyenne ethnique franaise, sans quoi on ne comprendrait pas que, dupremier coup dil, on distingue le Franais de lEspagnol, delItalien, de lAllemand, du Nerlandais, de lAnglais. Et ce faitdexprience ne peut sexpliquer que si les ressemblances entre gensde France sont suprieures aux dissemblances, et cela depuis destemps anciens.

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    Lidentit du Franais et du Celte a frapp les premiers anthropo-logues et archologues protohistoriens. Elle les a fort embarrasss. Le Cvenol soppose nettement, mme violemment, au type conven-

    tionnel du Gaulois tel que ces chercheurs le trouvaient dans les ma-nuels qui constituaient le fondement de leurs connaissances histori-ques trs sommaires. Le Gaulois ntait-il pas grand, blanc de peau,blond, aux yeux bleus, tout comme le Germain, son ennemi ? On ima-gina alors, avec Alexandre Bertrand, dopposer au Celte le Galate,dot, lui, de ces caractres que le Franais ne prsente pas. Pure illu-sion! Les Grecs emploient les termes Galates et Celtes pour dsignerla mme race. Les sparer serait commettre le mme non-sens que dedistinguer des Allemands le peuple qui sappelle lui-mme Deutschen.Ce nest que tardivement que les crivains grecs, ne sachant comment

    appeler les Germains, longtemps inconnus deux, ont profit de cequils possdaient un double terme et se sont servis de lun deux pourdsigner les nouveaux venus. Selon la fantaisie des auteurs, on em-ploie tantt Galate, tantt Celte, pour dsigner le Gaulois. Quand ilsagit de Barbares, on se soucie peu de prcision.

    Ne serait-il pas possible du moins de rserver aux rgions danu-biennes, sinon la Gaule, ce type voisin du germanique ? Peut-tre.Seulement, il ne faut jamais oublier et anthropologues et prhisto-

    riens loublient constamment quun squelette ne nous fait jamais lagrce de rvler sa nationalit.

    On a encore imagin que les Celtes de Gaule reprsenteraient unearistocratie conqurante du type physique diffrent de celui de la po-pulation indigne et rpondant au portrait conventionnel. Cette hypo-thse, qui ne sappuie sur aucun texte, se heurte au fait reconnu quenulle aristocratie trangre ne peut conserver intact son type physiqueau bout de quelques gnrations; or, les Gaulois occupaient la Gauledepuis un grand nombre de sicles, depuis lge du fer et plus ancien-

    nement peut-tre. Lhypothse est donc chimrique.

    Qui plus est, le portrait du Gaulois blond, blanc de peau, aux yeuxbleus, trs semblable au Germain, portrait classique, ne rpond riendassur! Les Anciens ne nous ont rien dit de la couleur de ses yeux.Pour la taille et la nuance de la chevelure, on ne trouve rien chez Po-lybe, qui a connu les Cisalpins, vers lan 150 avant notre re, rien non

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    plus chez Csar qui a pratiqu Cisalpins (o il a recrut des lgionnai-res) et Transalpins. Il est difficile de croire que si le physique des Cel-tes avait prsent quelque chose dexceptionnel pour un Hellne et un

    Romain, ils nen auraient rien dit leurs lecteurs.La blondeur et la blancheur des Gaulois nest formellement attes-

    te que par Virgile (Enide, VIII, vers 652-662) :

    En haut le gardien de la roche Tarpienne, Manlius, tait post devant letemple et tenait la hauteur du Capitole. Ici le rcent palais de Romuluscouvert de chaume hriss. L loie dargent voletant sur des portiquesdor avertissait que les Gaulois taient sur le seuil. Les Gauloissavanaient travers les buissons, protgs par les tnbres, la faveurdune nuit opaque. En or leur chevelure, en or leur vtement, saie de raies

    tincelantes; leur cou de lait est enserr dans lor. Deux javelots des Alpesbrillent dans leurs mains et leur corps est protg par de larges boucliers.

    Ce passage a t utilis dvotieusement, comme si Virgile avait vules Gaulois qui prirent Rome vers lan 388 avant notre re. Ce passagefait partie de la description du bouclier fabriqu par Vulcain et prsen-t par Vnus Ene. Prophtique, ce bouclier merveilleux resplenditde matires prcieuses. Lor rehausse les personnages, les Barbaresqui se couvraient de bijoux et de vtements prcieux, il dcore mmeles portiques; loie du Capitole doit se contenter dtre en argent.

    Ce qui a contribu enfoncer lerreur, cest la reprsentation figu-re des bas-reliefs alexandrins. Mais ils sont conventionnels : quilssoient Daces, Thraces, Gtes, Galates, les Barbares y prsentent lemme physique. Et la mme convention reparatra sur les monumentsromains, arcs de triomphe et colonnes.

    La couleur dore (ou rousse) de la chevelure des Gaulois, au Iersicle avant notre re, tait obtenue artificiellement, au tmoignage

    dun contemporain dAuguste, Diodore de Sicile (V, 23). La taille desGaulois ntait pas leve, quoi quen dise Timagne, vers lan 100avant notre re. En effet, Caligula, voulant clbrer Rome un triom-phe imaginaire, prit des figurants gaulois pour reprsenter des captifsgermains, mais dut faire un choix, ce qui est significatif (Sutone, Ca-ligula, 47; Tacite,Agricola, II). Enfin, lauteur qui nous a le plus soi-gneusement fait connatre la gographie de la Gaule et qui a vu des

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    Gaulois et des Germains, Strabon, qui vcut sous Auguste et sous Ti-bre, nous dit (l. VII, c. 2-2, d. Cougny I, 208-9, 403-404) :

    Les Germains diffrent quelque peu de la race celtique par une natureplus sauvage, une taille plus grande, une chevelure plus blonde (ou plusrousse). Ils sen rapprochent pour tout le reste; par laspect, les murs, leslois. Cest pourquoi les Romains les appellent des Germains, car en leurlangue Germani a le sens de gnsioi (frres de pre et de mre).

    Cette tymologie de pure fantaisie car lappellation Germanusna quune ressemblance fortuite avec le mot latin a conduit visi-blement Strabon exagrer les ressemblances de murs et laspectentre Gaulois et Germains; son tmoignage pour leur dissemblancephysique nen est que plus dcisif.

    En fin de compte, que les Celtes soient les descendants des racesnolithiques qui ont occup la Gaule ou quils soient des nouveauxvenus apparus vers lan 1000 avant notre re, auquel cas ils nontpas pu ne pas se mlanger la population antrieure, le fait est quele Gaulois historique est lanctre du Franais, et physiquement et mo-ralement, dans limmense majorit des cas.

    Le Gaulois occupe en effet la plus grande partie de la Gaule. Le

    Ligure est confin dans ce qui correspond aux dpartements des Al-pes-Maritimes, du Var, des Bouches-du-Rhne, en partie, soit 15.000kilomtres carrs. Dans le Vaucluse, les Basses-Alpes, les Hautes-Alpes, les Celtes sont dj installs depuis nombre de sicles. LIbreoccupe le Gers, les Landes, les Basses et Hautes-Pyrnes, soit 28.000kilomtres carrs : encore voit-il Bordeaux les Bituriges Viviskes, lelong des Pyrnes dautres Celtes, dans le Comminges et le Conse-rans. Lensemble des rgions non celtiques ou peu celtises ne va quun total de 43.000 kilomtres carrs sur les 639.000 que comptait laGaule.

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    Si donc nous voulons reprsenter les Gaulois tels quils taient autemps o Csar va les soumettre Rome, regardons autour de nousnos compatriotes et regardons-nous dans une glace 1.

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    1 Il est regrettable quaucune enqute densemble nai pu tre effectue surlanthropologie en France. Seul lEtat pourrait la mener bonne fin, mais il sedsintresse de ce devoir scientifique, comme de beaucoup dautres.

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    CHAPITRE II

    LA GAULE INDPENDANTE :CE QUON PEUT SAVOIR DE SON HISTOIRE

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    Nous aimerions savoir quelque chose de lhistoire de la Gauleavant quelle et t conquise par les Romains. Elle eut une destinecertainement agite. Elle fut secoue de temptes ethniques et politi-ques. Cest ce que prouve lvidence la cassure en morceaux dunemme tribu, qui ne peut tre que le rsultat dune dislocation violente.

    Cest ainsi que les Volcae, peuple trs puissant coup sr plusieurssicles avant notre re, sest bris en morceaux. Une partie a fait auxdpens des Ibres et des Ligures la conqute de la rgion allant ducours infrieur du Rhne jusquaux Pyrnes orientales, et de la Mdi-terrane au coude de la Garonne. Ils se subdivisaient en deux groupes,les Arecomikes, Nmes, les Tectosages, Toulouse. Ce derniergroupe dtacha un corps qui accompagna Brennus dans son expdi-tion contre la Grce vers lan 260 avant notre re. Dautres Tectosages

    font partie de larme des mercenaires galates qui se tailla un royaumeen Asie Mineure, autour dAncyre, au mme sicle.

    Mais une autre fraction de ce grand peuple demeura en Allemagne.Elle donna mme son nom lensemble des Celtes (puis des Ro-mains), pour les Germains : ils les appellent Valah, do Welches, Va-laques, etc

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    Un autre grand peuple fut celui des Boes. tabli au cur delEurope, dans la rgion qui garde son nom, la Bohme (Boihemum),

    il dtache un rameau qui prend part la conqute de lIbrie par lesCeltes (VIe sicle avant notre re), mais sarrte en route, au Sud deBordeaux, o la petite rgion dite Buch conserve son nom. Un autrerameau avait particip la conqute de lItalie vers lan 400 : il auraitcompt 112 tribus, selon Pline, tablies entre le Tessin et 1Adda (versLodi); ils furent soumis par les Romains en 197 avant notre re.

    Dautres Boes, aprs avoir vainement tent de stablir dans leNorique (Bavire), prennent part lexode tent par les Helvtes,mais, alors que ceux-ci sont refouls en Helvtie, les Boes sont re-

    cueillis par les Hdues et installs autour de Gortona, aujourdhuiSancerre.

    Cependant le gros de la peuplade demeurait encore ferme en Bo-hme, en dpit de lassaut germanique, au Ier sicle avant notre re. Ildut cder la pression des Marcomans au Ier sicle aprs J.-C. et dis-parut ou se fondit avec les Germains.

    Les Bituriges apparaissent en deux groupes, spars par les San-

    tons, les Lmovices, les Ptrocores : les Bituriges Cubi en Berry, lesBituriges Vivisci dans le Bordelais. Peut-tre ces derniers, comme lesBoes, se sont-ils arrts en route, lors de la conqute de lEspagnevers le VIe ou le Ve sicle avant notre re.

    Les Aulerkes apparaissent lpoque historique diviss en quatrebranches, dont trois masses lune prs de lautre, les Eburovices dansle pays dvreux, les Cenomani (au Mans), lesDiablintes ( Jublains),dans le Maine. La quatrime, dans un site mal dtermin, en Nivernaisou en Auxerrois; ils taient spars des autres par les Carnutes (Or-

    lans et Chartres), qui staient sans doute infiltrs au milieu deux.Unpetit tablissement se trouve aussi chez les Volkes Arcomikes.

    Une des branches, les Cnomans, participa la conqute de lItaliedu Nord. Comme ils taient tablis dans le Trentin et firent bande part, parfois allis aux Romains, il y a lieu de supposer que cette bran-che ne venait pas de Gaule, mais reprsentait une fraction demeure

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    dans lAllemagne du Sud, ce qui est sans doute aussi le cas des Boes.Ils furent soumis Rome en 197 avant notre re.

    Cette conqute de lItalie a eu, comme il est naturel, un grand re-tentissement dans lAntiquit. Commence vers lan 400, elle taittermine avant 350. Une information ce sujet nous a t conservepar Tite-Live (V, 34) :

    Au temps de Tarquin lAncien, les Bituriges exeraient le pouvoir su-prme sur la Celtique, tiers de la Gaule. Ils lui donnrent un roi, Ambica-tus. Sous son rgne puissant, heureux, la Gaule tait si riche et si peupleque sa population trop nombreuse devenait difficile maintenir. Le roi,dj g, voulant dcharger son royaume de cette multitude qui lcrasait,tmoigna son dsir denvoyer ses neveux Bellovse et Sigovse, aventu-

    reux jeunes gens, chercher de nouvelles demeures dans les contres queles dieux leur indiqueraient laide des augures. Ils emmneraient cequils voudraient de guerriers, afin quaucune nation ne pt leur rsister.Le sort assigna Sigovse la fort hercynienne (Fort-Noire se continuant jusquau Boehmerwald et peut-tre jusquaux forts de Pologne); lesdieux, bien plus favorables Bellovse, lui montrrent le chemin delItalie.

    Les noms des personnages sont bien celtiques : Ambicatos, Sigo-vsos (le victorieux), Bellovsos (le tueur). Il est vident que cette in-

    formation, ou cette fable, ne peut tre que dorigine celtique. Tite-Live se borne copier Cornelius Nepos, dorigine celtique : il tait unInsubre de Milan et lui-mme sinspirait de luvre de Trogue Pom-pe, autre auteur latin dorigine celtique : il tait un Cavare de Pro-vence.

    On a parl ce sujet d pope celtique : Tite-Live en rpercu-terait lcho. Rien dpique dans ce rcit. Cest de la pseudo-histoire,une interprtation dun historien latin dorigine gauloise, cherchant expliquer loccupation de lItalie du Nord, de la Germanie mridio-

    nale, de la valle danubienne par les Celtes. Comme la Gaule tait, aumoment o crivait Trogue Pompe, le centre du monde celtique, iltait naturel quil en ft le centre des migrations. Csar (VI, 24) par-tage cette vue quand il prtend que des Volkes Tectosages, qui semaintenaient encore de son temps prs de la Fort hercynienne,taient venus de Gaule et sen taient empars aux dpens des Ger-

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    mains. Et si Ambicatus est dit roi suprme, cest sans doute cause dunom celtique de ce peuple (les rois du monde) 2, lequel il convientde le remarquer ne fit pas dtablissement en Italie.

    Une partie des migrs, la plus grande sans doute, vint de Gaule,unpagus des Hdues (les Insubres), des Lingons, des Snons, des Ca-turiges (des Hautes-Alpes), par vagues successives. Ceux des Boesqui stablirent en Italie avec eux vinrent peut-tre directement delAllemagne du Sud, avons-nous dit. En tout cas, des renforts leur vin-rent du Nord des Alpes Centrales, ceux des Gsates, peut-tre djmlangs de Germains.

    Ces Gaulois dItalie, bien quinstalls dans la partie la plus fertile,

    la plaine du P, demeuraient un stade de civilisation archaque. Ilsne pratiquaient pas lagriculture. Polybe, qui les vit entre 166 et 150avant notre re, alors quils taient soumis Rome depuis quelquetemps, nous dit :

    Ils vivent disperss dans des villages sans murailles. Les mille chosesqui font le bien-tre de la vie leur sont inconnues. Ils nont dautre lit quele foin ou la paille, ne mangent que de la chair, mnent en un mot la vie laplus simple. trangers tout ce qui nest pas la guerre ou le pturage,toute science leur est inconnue. Leur richesse consiste en or ou en trou-

    peaux, seules choses quils puissent en toute circonstance emporter aveceux et dplacer leur gr.

    Et cependant le mme historien vante labondance et le bon marchdu froment et des vivres. La contradiction nest sans doutequapparente. Les Celtes dItalie pouvaient faire cultiver les cralespar des esclaves ou par la population antrieure assujettie, ou encorePolybe rapporte-t-il la tradition de ltat des Celtes au moment de leurinvasion, alors que la vie pastorale donne aux Barbares une suprioritguerrire incomparable sur les populations sdentaires et cultives.

    Vers le IVe ou le IIIe sicle avant notre re, les Celtes proprementdits eurent subir, du ct du Nord et du Nord-Est de la Gaule, lechoc des nouveaux arrivs, leurs parents, les Belges, venus de Germa-

    2 Cf., le nom dhomme slave Vladimir : matre du monde

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    nie, cdant la pression des Germains. Les Celtes furent refouls pareux du Rhin la Marne et la Seine.

    Les nouveaux venus ne se contentrent pas de cette large portionde la Gaule. Ils passrent la Manche et firent la conqute de laGrande-Bretagne aux dpens dautres Celtes dj tablis dans lle.Des fractions de leurs tribus sy installrent. Cest ainsi quon trouvedesBelgae au Nord des Downs, jusquau canal de Bristol, desAtrba-tes (Arras) au Nord-Ouest de la Tamise, jusquau Wash, des Catuvel-launi (dont le nom reprsente la forme non syncope des Catalauni deChlons-sur-Marne) de Hartford Northampton, des Parisii dans leYorkshire sur la Humber. Peut-tre mme ont-ils pouss jusquen Ir-lande : Ptolme (II, 9) signale des Mnapes sur la cte orientale de

    cette le.

    Csar (II, 4), cho des traditions des Belges de son temps, rapportequun roi des Suessiones (Soissons), Diviciacos, a t le prince le pluspuissant de toute la Gaule et quil a obtenu lempire de la Bretagne,nostra etiam memoria . Lvnement tait donc relativement rcent(un sicle ?). Il ne peut sagir que dune nouvelle pousse dans lle etil est plus que douteux que Diviciacus ait domin toute la Gaule. LesSoissonnais ont d se vanter.

    Quoique amoindrie, la Celtique reste de beaucoup la partie la plusimportante de la Gaule et, au IIe sicle avant notre re, lhgmonieappartient aux Arvernes (Auvergne). Cest eux que se heurtrent lesRomains quand ils entreprirent la conqute du pays situ entre les Al-pes et le Rhne.

    LA PREMIRE CONQUTE ROMAINE

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    Appels au secours par Marseille, attaque sans cesse par la peu-plade celto-ligure des Salyes (au Sud de la Durance), les Romains seportrent en 154 et 125 laide de la cit grecque, colonie de Phocetablie vers lan 600. Le proconsul C. Sextus Calvinus dlivra Mar-

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    seille et fonda un poste en une localit thermale qui reut son nom :Aquae Sextiae (Aix-en-Provence). Les chefs des Salyes se rfugirentchez les Allobroges qui occupaient la contre comprise entre le

    Rhne, la Drme et les Alpes, peuplade puissante qui, cependant, nese crut pas de force pour rsister seule. Elle appela son secours le roides Arvernes, Bituitos.

    Il passa le Rhne au confluent de la Sorgue la tte dune armedont le nombre a t follement exagr. Il fut battu par Q. FabiusMaximus, les Allobroges furent rduits, les Helves, les Volkes Are-comikes, les Cavares, dtachs de lhgmonie arverne. Les VolkesTectosages (Toulouse) furent traits en allis du peuple romain. Laconqute romaine se trouva embrasser ainsi, non seulement le pays

    entre les Alpes et le Rhne, mais la rgion comprise entre le cours in-frieur de ce fleuve et les Pyrnes-Orientales; la voie dItalie en Es-pagne tait ouverte Rome. La grande route aussitt trace, la via

    Domitia, prit le nom du vainqueur, Domitius Ahenobarbus. La Pro-vincia ainsi constitue correspond la Savoie, au Dauphin, la Pro-vence, au Languedoc. Cette contre se latinisa vite et devint commeun prolongement de lItalie.

    Un autre peuple, les Squanes, que Csar trouve tabli entre la

    Sane et le Jura, offrirait lexemple dun dplacement de population.Leur nom, qui rappelle celui de la Seine (Sequana), prouverait quilssont venus du bassin de ce fleuve. Est-ce bien sr ? Leur nom nest-ilpas tout simplement emprunt la Sane (Saucona, Sagona) et d-form sous linfluence du nom plus connu de Sequana (?) .

    LA PREMIRE INVASION GERMANIQUE

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    Un danger encore plus grand que la conqute romaine menace peuaprs le monde celtique et belge tout entier, linvasion des Cimbres etdes Teutons. Danger imprvu, car la Gaule et lItalie ne sont pas en-core mises en pril par les tribus germaniques voisines, mais par delointaines peuplades qui dcident dabandonner, en masse, le sol natal,

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    sans quon sache vritablement pour quelle raison, pour aller chercherun tablissement ailleurs, nimporte o mais sur une terre plus cl-mente.

    Lhabitat des Cimbres est bien connu, cest le Nord du Jutland (p-ninsule cimbrique des Anciens). Les Teutons taient tablis entrelElbe infrieure et lEider, dans le Schleswig actuel. Les Ambrons,branche des Teutons, ont laiss leur nom une le frisonne, Amrun(anciennement Ambrun).

    Les Cimbres se mettent en mouvement les premiers, en 113 avantnotre re. Leur but semble tre la valle du Danube. Mais les Celtesoccupent encore en grande partie lAllemagne du Sud. Les Boes les

    repoussent, de mme les Volkes. Les Cimbres gagnent la Pannonie(Autriche et partie de Hongrie). L, ils se heurtent encore une peu-plade celtique, celle des Scordiskes. Ils remontent vers le Nord, par lavalle de la Draye et de la Save, et arrivs dans le Norique (Bavire),ils y font la rencontre dune arme envoye par Rome, inquite descourses travers lEurope centrale dune peuplade sauvage qui pou-vait venir lide de pntrer en Italie. Le consul Papirius Carbo estbattu. Nanmoins, les Cimbres ne se dirigent pas vers lItalie; ils ga-gnent la valle du Main. Quatre ans plus tard, ils sont rejoints par les

    Teutons. Ceux-ci, quand ils se remirent en mouvement, entranrentavec eux un des quatre rameaux des Helvtes, celui des Tigurins, de-meur dans lAllemagne du Sud, sans doute dans la valle du Neckar.Teutons et Tigurins passrent le Rhin en lan 109. En Gaule, on nesait o, ils rencontrrent le consul Silanus et entrrent en ngociationsavec lui, demandant des terres. Les Cimbres, de leur ct, faisaient lamme demande Rome, qui dclina cette dangereuse proposition. Si-lanus battu, les Tigurins se dtachrent des Teutons, passrent dans laProvincia et oprrent leur jonction avec les Volkes Tectosages rvol-ts contre lautorit romaine. Un des consuls envoys par Rome, Cas-

    sius Longinus, fut battu et tu dans lAgenais. Lautre consul, Servi-lius Cepio, russit dgager Toulouse. Il aurait mme fait main bassesur le trsor des Tectosages (107).

    Deux ans plus tard, Cimbres, Teutons, Ambrons, Tigurins descen-dent en masse la valle du Rhne. Prs dOrange, ils rencontrent deux

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    armes romaines commandes par Servilius Cepio et Mallius Maxi-mus et les mettent en droute.

    Les Barbares ne purent profiter de leur victoire. Ils avaient telle-ment dvast la contre sur leur passage quils furent obligs de sesparer pour se ravitailler. Les Cimbres gagnrent lEspagne. Les au-tres remontrent dans la Gaule septentrionale. Ils furent contenus parles Belges ou peut-tre firent-ils un accord avec eux, car ils laissrentau cur du Belgium leurs bagages et sans doute aussi les fruits deleurs pillages, avec une troupe de 6.000 hommes pour les garder.Cette garde tait peut-tre compose de Belges, au moins en partie,car la tribu des Aduatikes, que lon trouve par la suite occupant cesite, porte un nom celtique.

    En lan 103, les Cimbres, probablement trills par les Celtibres,repassent les Pyrnes. Avec Teutons et Tigurins, ils se dcident enfin envahir lItalie. Il tait impossible aux envahisseurs, fautedapprovisionnements, dagir de concert, en une seule masse. Ils en-treprennent de passer les Alpes par trois voies distinctes, les Teutonsen remontant la Durance et en passant sans doute par le mont Gen-vre, les Cimbres et les Tigurins en remontant au Nord des Alpes et enfranchissant, les premiers, le Brenner, les seconds, un col quelque part

    du ct des Alpes juliennes.Les Teutons ne purent excuter leur dessein. Ils furent arrts, puis

    crass par Marius sous Aix (102). Les Cimbres, qui avaient battu leconsul Catulus dans la valle de lAdige, se rpandirent dans la plainedu P jusquen Vntie. Ils reflurent ensuite au Nord-Ouest, jusquVerceil. Marius et Catulus les dtruisirent le 30 juillet 101. Sylla allachercher les Tigurins en Norique et les obligea rejoindre danslHelvtie les trois autres tribus helvtes.

    Linvasion des Cimbres, des Teutons, des Ambrons, fut vritable-ment une migration de peuples, une Vlkerwanderung, comme disentles Allemands. Ils emmenrent avec eux femmes et enfants, do unencombrement et une disette funestes, et ne laissrent rien en arrire,dans les rgions do ils taient sortis. Un symptme trs grave pourlavenir de la Gaule, cest que les Celtes furent incapables de leur r-sister. Leurs guerriers durent chercher refuge dans leurs forteresses

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    (oppida), et la famine les obligea sacrifier les vieillards inaptes aumtier des armes. Malgr cette rsistance, derrire les murailles, lesGaulois furent incapables de se dbarrasser des envahisseurs germa-

    no-helvtes3

    Ils ne durent leur dlivrance quaux armes romaines, Marius. Cette impuissance dnote une dcadence qui va tre prcipi-te par un dnouement tragique. Un demi-sicle seulement spare lafin de linvasion des Cimbres et Teutons de la conqute de la Gaulepar Csar.

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    3 Les Romains, pour qui le monde germanique fut longtemps inconnu, lors decette invasion, prirent dabord les Cimbres et les Teutons pour des Celtes,dautant quune partie de ces hordes, les Helvtes Tigurins, tait celte et que lalangue celtique servait dintermdiaire entre les Barbares et les Romains. Leschefs germains portent des noms celtiques, traditionnellement, souvenir dunpass o les Celtes dominaient le monde germanique. Aprs la conqute fran-que, les Gallo-Romains, leur tour, prendront des noms germaniques, ainsiquon verra.

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    CHAPITRE III

    TABLEAU DES PEUPLES DE LA GAULEDENSIT DE LA POPULATION

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    Cest ce moment quil convient desquisser un tableau de laGaule encore indpendante. Elle est lasile, le centre du monde celti-que. Partout ailleurs, sauf dans les les Britanniques, on devine lesCeltes travers la brume plutt quon ne les connat. En Espagne, ilsstaient fondus avec les Ibres, et les peuplades celtibriques, mates

    par Hannibal en 221, achveront dtre domptes, aprs la chute deNumance (en 133). Au Ier sicle avant notre re, lEspagne, la Btiqueparticulirement, se romanisait avec une rapidit surprenante. En Ita-lie, les Celtes de la valle du P avaient t crass et soumis parRome depuis la fin du IIe sicle. La fondation de colonies romainesacheva de latiniser le pays, considr dsormais comme un prolonge-ment de lItalie proprement dite, laquelle ne dpassait pas le Rubicon.Csar, pour oprer la conqute de la Gaule, lvera des lgions danscette rgion. On a vu que, en ce mme Ier sicle, les Celtes vacuent

    lAllemagne et lEurope centrale ou ne sy maintiennent encore quepour une courte dure. Dans la rgion danubienne, Boes et Scordiskesavaient affaire des adversaires redoutables qui les supplantrent, lesDaces, rameau des Gtes, tablis entre la mer Noire, le Danube inf-rieur et la Theiss. Quant aux Celtes dAsie Mineure, de Galatie, ilsshellnisaient et taient perdus pour le monde celtique.

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    Dernire reprsentante de ce monde, la Gaule ne possdait cepen-dant aucune unit politique, bien quun sentiment de celtisme per-sistt chez elle comme lhellnisme chez les Grecs, sentiment de

    culture commune nastreignant pas lunification en un seul tat.Si nous laissons de ct les subdivisions en pagi (au nombre de

    300 selon les Anciens), pagi au reste peu prs tous inconnus, ontrouve le pays partag entre une soixantaine de peuples, de cits,comme disent les Romains, pour qui ce terme ne dsigne pas seule-ment lagglomration principale, mais lensemble des habitants et duterritoire dune peuplade.

    Les noms de ces peuples se sont prolongs jusqu nos jours. A

    partir du milieu du IIIe sicle de notre re, ou environ, lhabitude sestrpandue, du moins dans le Nord de la Gaule, de dsigner le chef-lieude chaque citpar le nom du peuple mis laccusatif ( cause de laprposition adqui le prcde sur les bornes milliaires).

    Il nest donc pas sans intrt, intrt actuel, dnumrer les nomsdes peuples de nos anctres, et aussi la forme celtique, quand on peutla connatre, du chef-lieu de chacun deux.

    DANS LA GAULE DITE CHEVELUE

    A) Au centre de la celtique proprement dite,entre Loire et Garonne.

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    1 Les Bituriges (de bitu, monde, et riges, pluriel de rix, roi), chef-lieu Avaricum (nom tir de la rivire qui lenveloppait, lAvara,

    lYvre). Au IIIe sicle, le nom du peuple se substitue celui de laville, do Bituriges, do Be(t)ourges, Beourges, Bourges.

    2 LesArverni, dont le refuge principal, loppidum, tait Gergovie.Sous Auguste, la capitale sera transfre plus au Nord, au lieu ditAr-vernos Auvergne , dsign par la suite sous lappellation de Clarus

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    mons, Clermont. Citons leur march principal Rigo-magus, le mar-ch du roi , reprsent aujourdhui par Riom.

    3 et 4 Aux Auvergnats, il faut joindre leurs clients, les Vellavi etles Gabali, qui ont laiss rgulirement, comme noms de province, leVelay et le Gvaudan (Gabalitanus pagus). Le chef-lieu des Vellavi,

    Ruessio, prendra lpoque chrtienne le nom de Saint-Paulien, mais,dj auparavant, la capitale avait t transfre Anicium (Le Puy).Le chef-lieu des Gabales a pris le nom de ce peuple, Javols, mais cette localit se substitua, lpoque romaine, comme capitale, Mi-mate (Mende).

    5 Sous la prdominance des Arvernes sont aussi les Cadurci, qui

    ont laiss leur nom au Quercy (orthographe vicieuse pour Caerci, deCaturcinus pagus). Leur capitale, Divona (la desse, source divini-se), prendra le nom du peuple : Cahors (orthographe vicieuse pourCaors) au IIIe sicle de notre re galement.

    6 Proches des Cadurci, en partie annexs la Provincia, sont lesRuteni avec Segodunum (montagne de la force) pour capitale, diteplus tard du nom de ce peuple Rodez (Rutenos). Quant la formeRouergue, elle sexplique par les particularits phontiques prises par

    le latin en cette rgion.7 Les Petrocorii (petro, quatre, et corii, armes). Leur capitale

    Vesuna (Vsone) prendra le nom du peuple, comme la contre : Pri-gueux (Petrocorios), Prigord (Petragoricus pagus).

    8 LesLemovices ont laiss leur nom leur capitale (Limoges) et la rgion du Limousin (Lemovicinus pagus). Le nom primitif de leurchef-lieu nest connu que par le second terme ritum, gu . Au pre-mier terme a t substitu le nom dAuguste (Augustoritum) aprs la

    conqute.

    9 Les Santones ont donn Saintes et Saintonge (Santonicus pa-gus). Le nom primitif du chef-lieu Mediolanum (medio, milieu, la-num, plaine) est trs rpandu en pays celtique ou jadis celtique (36exemples en France, un clbre, en Italie, Milan, ou en Westphahie,Metelen, etc).

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    10 Les Pictavi ont laiss leur nom au Poitou; leur chef-lieu Limo-num a chang son nom pour celui de Poitiers (forme aberrante).

    11 Enfin, bien quils fussent cheval sur les deux rives de laLoire, les Turones, dont le chef-lieu, qui prit le nom de Tours, est surla rive gauche du fleuve. De son premier nom, on ne connat que lesecond terme dunum, forteresse , le premier ayant t remplac parcelui de Csar (Caesarodunum) lpoque romaine.

    B) De la Loire au Rhin suprieur.

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    12 Le peuple le plus puissant est celui desHaedui ouAedui. Cettevaste cit occupe peu prs lespace du dpartement de Sane-et-Loire. Son nom na pas persist. Son oppidum principal, Bibracte, lieu des castors , aujourdhui le Mont-Beuvrait (crit Beuvray), futdlaiss au lendemain de la conqute pour un site nouveau, la villedAugustodunum, btie sur un sol vierge, Autun, crit plus correcte-ment au Moyen Age Osten; deux ports sur la Sane : Matisco, Cabi-

    lonum, ont persist sous les noms de Mcon et de Chalon. Alextrmit Nord, chez la petite peuplade des Mandubii, cliente desHdues, Alesia va bientt acqurir une tragique clbrit, cest Alise(Sainte-Reine).

    13 Entre la Loire et le cours suprieur de lYonne, dans le Niver-nais actuel, les Hdues ont laiss sinstaller, semble-t-il, une branchedes Aulerkes, les Brannovices (Branno : corbeau, oiseau considrcomme symbole guerrier). On ne sait o tait la forteresse de Novio-dunum quon a voulu, sans preuve, identifier Nevers. Elle tait r-

    cente, comme indique son nom : novio, nouveau, dunum, forteresse.

    14 Au Sud, touchant Lyon, dautres clients des Hdues, les Segu-siavi, nont pas laiss non plus leur nom. La contre a pris le nom duchef-lieu qui reut le nom latin de Forum (march), lpoque ro-maine, Forensis pagus, le Forez.

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    15 Autres clients des Hdues, les Ambarri, forme syncope pourAmbiarari, appellation qui implique quils occupaient les deux rivesde la Sane (Arar, un des noms de ce fleuve), car ambi signifie au-

    tour de . Ce terme se retrouve dans Ambrieu, dpartement de lAin.Le nom de ce peuple na pas persist autrement.

    16 Au Nord des Hdues, les Lingones ont laiss leur nom la r-gion correspondant peu prs au dpartement de la Haute-Marne,nom connu jusqu une poque rcente sous la forme Langogne (Lin-gonicus pagus). Son chef-lieu, dans une belle position dfensive, agard le nom du peuple, Langres, substitu Andematunnum (ande,prfixe dintensit, plus un second terme de signification inconnue).

    17 Entre la Sane et le Jura, occupant la rgion qui sera appeledix sicles plus tard la Franche-Comt de Bourgogne, les Sequani.Leur nom fait croire quils venaient du bassin de la Seine (Sequana),peut-tre tort, car il peut tre emprunt au nom que porte lArar enson cours suprieur, Sagona. Si leur nom na pas persist, il nen vapas de mme de celui de leur admirable chef-lieu Vesontio (Besanon)par la confusion du V et du B qui se produit vers le Bas-Empire.

    18 A lEst du Jura taient lesHelvetii. Ces nouveaux venus, divi-

    ss en quatre pagi, dont les Tigurini sont les plus connus,noccupaient pas toute la superficie de la Suisse actuelle. A lEst, ilsnarrivaient pas jusquau lac de Constance. La localit actuelle dePfyn (du latin Fines) marquait la limite. Les cantons actuels de Thur-govie, Saint-Gall, Appenzell, Grisons, soit 13 14.000 kilomtres car-rs, taient pays rhtiques.

    Le Valais mme (Civitas Vallensium) et Genve taient aux Allo-broges.

    Le nom dHelvtes na pas subsist, sauf en littrature, lpoquemoderne. Mais les appellations de quelques-uns de leurs oppida per-sistent en franais : Avenches (Aventicum), Nyons (Novio-Dunum nouveau fort ), etc En allemand, Vindonissu persiste sous laforme de Windisch et les Tigurins ont laiss leur nom Zurich.

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    19 Par contre, dpendaient des Helvtes de petits peuples : Rau-raci, Tulingi,Latobici. Ces deux derniers ne sont connus que par C-sar (I, 7) et on ne sait o ils taient.

    LesRauraci occupaient le coude du Rhin. Leur nom semble impli-quer quils venaient de la Ruhr. Les noms de deux de leurs oppida nesont connus que sous leur appellation romaine :Augusta Rauracorumest Augst,Basilea est Ble (en allemand Basel).

    C) Entre Loire et Seine-et-Marne.

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    20 Le peuple le plus fameux est celui des Senones. Il avait prisune part importante la conqute de lItalie au cours des Ve et VIe si-cles et avait occup la position la plus dangereuse, en flche, entre lecours suprieur du Tibre et lAdriatique. On leur attribuait la prise duCapitole. Le lgendaire Brennus (dont le nom a t suggr aux histo-riens latins par celui du personnage historique de ce nom qui saccageaDelphes en 260), tait un Snon. Attaqus les premiers par les Ro-mains, les Snons furent extermins (224). Une localit sur

    lAdriatique, Sinigaglia (Sena gallica), conserve encore leur nom.En Gaule, ils occupent les rives de lYonne, depuis Auxerre, peut-

    tre, jusqu Montereau. Leur capitale, Agedincum, a pris leur nom,Sens (Senones). Le pays est appel Snonais, mais Senonge, appella-tion disparue, reprsente Senonicus pagus.

    21 Uni aux Snons ou sous leur dpendance, le petit peuple desParisii, dont le territoire tait limit par les forts qui subsistent en-core aujourdhui dans la grande banlieue parisienne : Montmorency,

    Saint-Germain-en-Laye, Marly, la Juvennerie, Trappes, Chevreuse,Verrires, Snart, Armainvilliers, Bondy (disparue). Le nom de leurchef-lieu dans une le de la Seine, Lutecia, na pas persist; il a tremplac par celui du peuple : Paris (Parisios, Parisius).

    22 et 23 Bien quils ne soient pas attests au Ier sicle avant notrere, sans doute parce quils taient sujets des Snons, les Tricasses et

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    les Catuvellauni existaient coup sr. Il est possible aussi que les Tri-casses fussent sous la dpendance desLingones et que les Catuvellau-ni fussent des Belges.

    Le nom des premiers es compos de tri trois et de casses, quipeut signifier bataillons, corps militaire . Celui des seconds estform de catu, bataille , et de vellauni, terme quon retrouve ail-leurs, mais dont la signification demeure incertaine. Le chef-lieu desTricasses nest connu que par la forme quil prit aprs la conqute,

    Augustobona; le second terme signifie peut-tre demeure . Le chef-lieu des Catuvellauni, Durotalannum, est compos de duro, dur,fort , et de talannum, de sens inconnu... Ni lune ni lautre de ces d-nominations nont persist : les chefs-lieux ont pris le nom du peuple :

    Troyes, Chlons, alors que le pays sappelait Troiesin, Chalonge (Ca-talaunicus pagus).

    D) Entre la Seine, la Loire, la mer.

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    24 A gauche de la Seine, on rencontre dabord les Carnutes, dont

    le territoire est reprsent par les dpartements dEure-et-Loir, Loir-et-Cher et Loiret. Leur capitale politique tait Autricuum, qui devaitson nom lEure (Autura) qui lentourait. Mais leur centre commer-cial tait un port fluvial au coude de la Loire, Cenabum ou Genabum.En outre, leur territoire jouissait de lhonneur dtre le sige delassemble gnrale des druides. Ce lieu tait situ entre Sully etSaint-Benoit-sur-Loire. Il tait considr comme le centre, lombilic,sinon de la Gaule entire, du moins du monde celtique qui loccupait(Celtes et Belges). Les noms dAutricuum et de Genabum ont disparu,remplacs le premier par le nom du peuple, Chartres (Cartunes, par

    mtathse, au lieu de Carnutes), le second par Orlans, crit jadis Or-liens (Aurelianum), dorigine controverse.

    Le nom du peuple ne sest conserv que pour une partie du terri-toire, la partie beauceronne. La dnomination pays Chartrain estune forme moderne refaite sur Chartres. Orlans, puis un oppidum,

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    Blois, tant devenus chefs-lieux des civitates nouvelles, ont donnleur nom aux rgions : Orlanais, Blsois.

    25 et 26 Le grand peuple gaulois entre Seine et Loire dut tre ce-lui des Aulerci. Mais il se trouvait pour lors cass en trois morceaux.Le plus tendu, celui des Cenomanni, couvrait la majeure partie desdpartements de la Sarthe et de la Mayenne. Le nom du chef-lieu Vin-dunum (et non Suindinum), compos de vindo blanc , et dunum forteresse , na pas persist. Il a t remplac par celui du peuple :Celmans (pour Cenomans); au cours des ges, la premire syllabe, cel,prise pour lun des articles de la langue du haut Moyen Age, fut rem-plac par larticle plus familier le, do Le Mans, et le nom de la r-gion Celmannia, lui aussi, fut compris Le Maine.

    Le plus petit territoire, celui des Diablintes, occupait le Nord dudpartement de la Mayenne. Son chef-lieu tait rcent, car il sappelait

    Noviodunum, nouveau fort . Il a t remplac par le nom du peuple,prononcJablent(crit aujourdhui Jublains) car le di devant voyelleest devenu j (cf. diurnus, jour , Divione, Dijon ). Ce nest plusquun village, car le pagus na pas persist, ayant t runi celui desCenomanni, lextrme fin de lEmpire romain.

    A lEst, les Eburovices (eburo, if , arbre sacr, plus vices, desens douteux) occupaient la majeure partie du dpartement de lEure.Leur capitale (Vieil-Evreux) stait dplace lpoque delindpendance ou aux premiers temps de loccupation romaine, alorsquon parlait encore celtique. Elle prit le nom de Medio-lanum (aumilieu de la plaine), comme la capitale des Santons. Elle ne garda pascette appellation, remplace par celle du peuple : Evreux. Le payssappelle Evrecin (Ebroicinus pagus).

    28 Un petit peuple, non mentionn par Csar, sans doute parce

    quil tait une subdivision des Eburovices ou tait de leur clientle, lesSag, occupait la majeure partie du dpartement de lOrne. Le nom deson chef-lieu nous est parvenu sous une forme corrompue, Nudion-num, sans doute pour Noviodunum, nouveau fort . Il prit ensuite lenom du peuple : Ses (Sagios). La rgion a d sappeler le Sois (Sa-giensis pagus), mais le nom qui a prvalu est lHimois, d la locali-t Oxima (aujourdhui Exmes), qui supplanta Nudionnum. Oxima est

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    le superlatif de la racine ox ou ux, qui signifie trs haute . Exmesest en effet sur une hauteur. Il est probable que les Esuvii de Csar (II,24; III, 7), voisins des Armoricains, sont les Sagii pour Esagii,

    moins quEsuvii soit une cacographie des manuscrits.29 et 30 Au Nord-Est de ces petits peuples, on trouve les Velio-

    casses, les Caletes. Les premiers, entre lOise et lestuaire de la Seine,ont laiss leur nom au Vexin (crit longtemps Veuguessin). Leur chef-lieu taitRotomagos, compos deRoto, de sens inconnu, et de magus, champ , dans le sens de champ de foire , de march. Par excep-tion, le nom a persist : cest Rouen (crit longtemps Ron). Bienquils soient situs sur la rive droite de la Seine, les Caltes sont ratta-chs aux Celtes et non aux Belges. Ils ont laiss leur nom au pays de

    Caux . A lembouchure de la Seine, leur port de Caracotinum (sensinconnu) devait, au cours des ges, perdre son nom pour celui de Har-fleur, dorigine danoise.

    A la frontire des Veliocasses, droite de la Seine, une localitimportante changera, aprs la conqute, le dbut de son nom Juliobo-na, compos de Julius, plus bona, demeure (?). Cest Lillebonne.La premire partie (Lille) sexplique par une phontique locale trans-formant julio en lulio (cf. litalien luglio pour juillet ), do une

    confusion avec lle (insula).31 Au Nord des Eburovices, les Lexovii (signification inconnue)

    avaient un chef-lieu rcent, comme lindique son nom Noviomagus, Neuf-march . Il na pas persist; il a pris le nom du peuple : Li-sieux. Le pays sest appel Lieuvin (Lexovinus pagus).

    32 et 33 A lOuest des Lexovii sont nomms tardivement, quoi-que dexistence coup sr ancienne, les Baiocasses et les Viducassesoccupant lactuel Calvados. Dans la seconde partie du nom des deux

    peuples figure casses, que nous avons dj rencontr et qui signifiesoit gens , soit guerriers . Mais, tandis que la signification dunom de Viducasses est claire les gens des bois (le Bocage nor-mand), de vidu bois , celui du premier terme de Baiocasses de-meure obscur.

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    Le nom du chef-lieu de ces derniers, Augustodurum, refait lpoque romaine, na pas persist et a t remplac par celui du peu-ple : Bayeux. La contre est appele le Bessin (Baiocassinus pagus).

    Le second peuple na pas laiss de nom, son territoire ayant t uni auBessin, aprs le IIe sicle de notre re. Son chef-lieu est reprsent parle hameau de Vieux (Calvados).

    34 et 35 Le dpartement actuel de la Manche tait occup par lesUnelli. Leur nom na pas persist. Et pas davantage celui de leur chef-lieu, Cosedia, remplac par une localit qui prit, au IVe sicle, le nomde lempereur Constance Chlore : Constantia, Coutances.

    Cest sur le nom du chef-lieu qua t refait le nom de la contre,

    le Cotentin (Constantinus pagus). Coriovallum, un des ports des Unel-li, na pas davantage conserv son appellation, laquelle sest substi-tue celle de Cherbourg, lors de la constitution de la Normandie.

    Il y a tout lieu de croire que les Abrincatui ouAbrincates, au Sud,sont un dmembrement des Unelli. Si leur chef-lieu,Ligedia, a perduson nom, il a conserv celui du petit peuple : Avranches (Abrincates)et la rgion sest appele Avranchin (Abrincatinus pagus).

    36 Sur la Loire, occupant la superficie des dpartements dIndre-et-Loire et de Maine-et-Loire, on rencontre les Turones et les Andes.Les premiers tant surtout fixs sur la rive gauche du fleuve, nous enavons parl prcdemment. LesAndes, au contraire, occupent surtoutla rive droite. Ils avaient particip la conqute de lItalie du Nord,avec les Cnomans, leurs puissants voisins. Leur territoire italien deMantoue a eu lhonneur de donner naissance au plus illustre des po-tes latins, Virgile, dont le nom (Vergilius) est dapparence celtique,tout comme celui de sa mre Magia. Andes est-il la forme syncopede leur nom plein Andecavi (ande prfixe intensif, plus cavi ou gavi

    de sens inconnu). Leur chef-lieu a modifi son nom aprs laconqute : Julio-magus, march de Jules , appellation qui na pasdur et laquelle sest substitu Angers, du nom du peuple devenuAnjou (Andegavus pagus).

    37 Occupant notre dpartement de Loire-Maritime, sauf sur larive gauche, les Namnetes (signification inconnue) avaient leur chef-

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    lieu au confluent du fleuve et de lErdre. Son nom, qui nous a ttransmis sous la forme peu sre de Condevicnum, doit faire allusion cette situation, car le premier terme ne peut pas ntre pas apparent

    Condate, confluent . Au reste, ce nom na pas dur et a t rempla-c par celui du peuple : Nantes. On ne voit pas clairement pourquoi,dans le haut Moyen Age, la rgion de Nantes a t appele la Me, de

    Media qui signifie milieu en celtique comme en latin.

    38 Le chef-lieu du peuple des Redones, Condate, au confluent delIlle et de la Vilaine, prsage le dpartement dIlle-et-Vilaine dont ilsoccupaient la superficie. Le nom du peuple lui fut substitu : Rennes.La contre fut leReonge (Redonicus pagus), dnomination qui na paspersist jusqu nos jours.

    39 Le Reonge ne dpassait pas, au Nord-Ouest, Evran dont lenom celtique (Euranda), signifiant frontire , na pas t dtrnpar le latin Fines des bornes milliaires de lempire romain. L com-menait le peuple des Coriosolites (le premier terme, corio, veut dire arme ). Son nom ne subsiste plus que dans celui du village deCorseul qui fut sa capitale (nom primitif inconnu). La rgion elle-mme, bouleverse par linvasion bretonne du Ve sicle de notre re,na pu garder son antique appellation. Elle rpond la majeure partie

    de notre dpartement des Ctes-du-Nord.40 Sur la cte mridionale de lArmorique, presque identique au

    dpartement du Morbihan, tait le pays occup par les Venetes, peuplemarin que les Commentaires de Csar ont rendu clbre. Le nom duchef-lieu, Darioritum, form de Dario (sens inconnu) et de ritum, gu , a t remplac par celui du peuple, prononc non pas Venetes,mais, par mtathse, Vetenes, do Vennes, corrompu en Vannes aucours du XVIIIe sicle seulement.

    41 A lextrmit de lArmorique sont les Osismii dont le nom si-gnifie les plus hauts dans le sens de reculs , comme le latinaltissimi et fait prsager lappellation moderne du Finistre, dparte-ment quils occupaient en entier. Au centre, nud de routes, tait lechef-lieu, dit Vorgium ou Vorganium. Il est peut-tre identique Ca-rs (crit tort Carhaix) o lon a voulu voir, non sans tmrit, lenom du peuple des Osismii : Cars serait pour Caroesm, compos de

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    Caer ville , plus oes, oesm. Quoi quil en soit, linvasion des Bre-tons insulaires ne permettait pas au nom du peuple de subsister,dautant que le territoire fut coup en deux, le Lon au Nord, la Cor-

    nouaille au Sud.A lextrme pointe du continent, lle dOuessant (pour Ouessa)

    garde le nom celtique dUxisama, un superlatif signifiant la plushaute dans le sens galement semblable au latin de la plus recu-le , la plus lointaine .

    42 44 Ne sont nomms que par Csar et disparaissent par lasuite, sans quon sache les localiser parmi les Celtes, lesAmbillati enArmorique, lesAmbivareti, clients des Hdues, dont le premier terme,

    Ambi, indique quils occupaient les deux rives dun cours deau, enfinlesBlannovii, autres clients des Hdues.

    E) Le Belgium.

    Retour la table des matires

    45 Les Remi occupaient les parties septentrionales des dparte-

    ments de la Marne et de lAisne. Leur capitale,Durocortorum (duro, fort , plus un second terme de sens inconnu), a chang son nompour celui du peuple : Remos, Reims. La contre sera dite, au MoyenAge, le Raincien (pagus Remcianus). Rmois est une forme refaite lpoque moderne. Sera attest trs tard, mais existait coup sr detoute antiquit, loppidum inexpugnable de Lugdunum, crit aussi

    Laudunum : cest Laon.

    46 Les Suessiones, qui avaient un instant domin les les britanni-ques, occupaient un territoire correspondant peu prs la partie m-

    ridionale du dpartement de lAisne. Le nom et le site de leur capitalesont inconnus. Elle fut remplace lpoque romaine parAugusta, quia cd au nom du peuple : Soissons. La rgion est dite le Soissonnais(Suessionensis pagus). Les Suessions et les Rmes se disaient frresconsanguins , selon Csar (II, 37).

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    47 et 48 Dpendaient sans doute des Soissonnais les deux ci-ts desMeldi et des Silvanectes. Entre les Soissonnais et les Parises,le petit peuple desMeldi avait pour chef-lieu Fixtinum (?) significa-

    tion inconnue, qui na pas persist. Il a t remplac par Meldos :Meaux. La rgion sest appele Melcianus (pourMeldicianus avec lesuffixe anus quon retrouve dans Raincien), do lappellation Mus-sien qui serait encore, dit-on, connue dans la Brie.

    La minuscule cit des Silvanectes tait la plus exigu de la Gaule.Du nom de son chef-lieuAugustomagus, seul le second terme (magus, march ) est celtique. Ce petit peuple ayant son territoire entourde forts, on a pens que silva signifie fort, comme en latin, et nectespourrait vouloir dire habitants . La contre a pris le nom de Sellen-

    tois (Selnectensis), abrg de Silvanectensis pagus. Le nom du chef-lieu, Senlis, doit reprsenter Senlectum (mtathse de Selnectum).

    49 A lOuest des Soissonnais, lesBellovaci occupaient tout le d-partement de lOise actuel. Le nom de leur chef-lieu nest connu quesous la forme latinise de Caesaro-magus, le march de Csar ,remplac parBellovacos : Beauvais. Beauvaisis drive deBellovacen-sis pagus. Ce peuple avait une grande rputation guerrire, si bienquon peut se demander si son appellation ne signifierait pas les bel-

    liqueux . On na pas russi trouver une identification satisfaisantepour loppidum o ils se rfugirent devant lattaque de Csar, Bra-tuspantium.

    50 Au Nord desBellovaci, lesAmbiani occupaient le dpartementde la Somme. Leur nom seul suffirait les localiser de part et dautredu cours du fleuve, ambi signifiant autour de , de part etdautre . Leur capitale Samarobriva veut dire gu (briva) sur laSomme (Samara). Elle a pris le nom du peuple (Ammianos pourAm-bianos). Le nom du pays, lAminois, lui aussi drive de la forme o

    le b est assimil ln :Ammianensis pagus.

    51 Les Viromandui noccupaient, au Nord-Ouest, que le tiers en-viron du dpartement de lAisne. Le nom ancien de leur chef-lieunest connu que sous la forme du nom de peuple : Vermand. Le sitedevait se dplacer la fin de lEmpire romain pour se transporter aulieu auquel on donna le nom dAugusta. Ce nom a disparu, remplac

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    par celui dun saint local, Quentin. Augusta maintint longtemps sonnom dans celui dun quartier de la ville : Aouste. La contre a gard lenom de Vermandois.

    52 LesAtrebates (peut-tre les domicilis : cf. aithreb en vieilirlandais) noccupaient quune partie du dpartement du Pas-de-Calais. Leur chef-lieu, Nemetacus, tait un lieu consacr (nemeton,sanctuaire). Il a pris le nom du peuple :Arras, provenant de la formecontracteAdratis, doAdratensis pagus, lArtois, pour la contre.

    53 A la jonction de la Manche et de la mer du Nord taient lesMorini, au nom transparent les Maritimes (mor, mer ). Leurcapitale, Tarvenna, par exception, na pas chang son nom pour celui

    du peuple, lequel na pas persist : cest Trouane (crit tort Th-rouanne), rase par Charles-Quint en 1553. Le nom de la contre(Ternois) drive du nom du chef-lieu.

    Chez les Morini tait le port qui mettait la Gaule particulirementen communication avec la Bretagne, Bononia (Boulogne-sur-mer),dont le nom est identique celui de la ville trusque dItalie, dbapti-se par les Boes enBononia, Bologne . Un autre nom du port taitGesoriacus.

    54 LesMenapii occupaient alors un grand territoire entre lEscautet la mer du Nord et mme bien au-del, jusqu la rive droite duRhin, sur son cours infrieur. Il est bien probable que Leiden, en Hol-lande (Lugudunum), avant dtre occup par les Bataves germaniques,fut le point extrme de la celticit et appartint aux Mnapes. Nimgue(Noviomagus), prs de la fourche des deux bras du Rhin, a d gale-ment tre compris dans leur territoire. Refouls lextrmit occiden-tale de ce grand domaine par les Germains, du IVe au Ve sicle, lesMnapes ne conservrent quun territoire exigu et leur nom ne subsis-

    tera plus quen flamand : Mempisc; le nom du chef-lieu subsiste sousla forme flamande de Cassel (du latin Castellum Menapiorum). Il datede la priode o les Mnapes furent refouls lOuest par les Ger-mains.

    55 Entre lEscaut et la Sambre, les Nervii occupaient un sol au-trement plus fertile que celui des Mnapes. Ils passaient pour les plus

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    vaillants des Belges. Leur chef-lieu tait sans doute Bavai (Bagacus),au dbouch du chemin traversant la Fort charbonnire. En arrire,Tournai (Tornacus) et Cambrai (Cameracus) sont des positions de

    repli tardives.56 Csar mentionne une fois (IV, 9) un peuple desAmbivariti sur

    le cours infrieur de la Meuse. Ne serait-il pas possible que leur nomse ft conserv, sous forme germanique, dans celui de la villedAntwerpen (Anvers) ? Le premier terme du nom indique que cepeuple occupait les deux rives dun cours deau. Ces Ambivarititaient sans doute une branche secondaire ou des clients des Nerves;ce qui expliquerait quon nen entende plus parler par la suite.

    57 A lEst des Nerves, entre la Fort charbonnire, lArdenne et lecours infrieur du Rhin, on trouve les Eburones (dvots de larbre sa-cr, lif, eburos). Leur sauvagerie et leur vaillance leur valurentlanimosit de Csar, qui mena contre eux une campagnedextermination (VI, 29-35, 62-63). Ils appartenaient un groupe depeuples comprenant les Condrusi, Caeresi, Paemani, quon dsignaitsous lappellation de Germani (Csar, II, 4). Tacite (Germania, 2) lesconsidre comme les premiers en date des Germains qui envahirent laGaule et sy installrent. Rien de plus acceptable au premier abord.

    Mais cette interprtation se heurte des objections graves. Les nomsde lieux et les noms dhommes sont celtiques. Les descendants de largion occupe par ces tribus sont des Wallons dont le type physiquesoppose nettement celui des Germains, leurs voisins. Enfin le termeGermanus nappartient pas la langue que nous appelons germanique.Lexplication la plus simple de ces difficults, cest dadmettre que ceterme est celtique. Les Celtes appelaient Germani, voisins , lespeuples qui habitaient droite du Rhin, quils fussent celtes commeeux ou dune race diffrente. Et cest ce qui explique que plusieurspeuples belges, dont les Trvires, aient pu de bonne foi se dire issus

    des Germains . Une fraction celtique attarde en Allemagne occiden-tale aura ainsi pass le Rhin aprs les Belges et se sera installe dansla valle de la Meuse.

    Des trois autres petits peuples dnomms Germani avec les Ebu-rons, un seul peut tre localis, celui des Condrusi dont le nom seconserve dans le Condroz belge, entre la Meuse et lOurthe. Si la

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    forme Paemani est une faute de transcription pour Faemani, la Fa-menne, rgion de lArdenne, au Sud du Condroz, pourrait reprsenterce nom. On ne sait rien de Caeresi.

    Le chef-lieu desAduatici taitAduatuca, dont ils tiraient leur nom.Quand lensemble des Germains cisrhnans reut lappellation deTungri (terme qui nest pas germanique), le chef-lieu prit cette dno-mination. Cest Tongres (Tungros) ou Tongern en Belgique.

    58 Les Treveri, le peuple belge le plus puissant et le plus tendu,occupaient la valle de la Moselle jusquau Rhin. Sa capitale, sur laMoselle, na pas gard le nom quelle reut sous lEmpire, Augusta,mais a pris le nom du peuple : Trves (Treveros), en allemand Trier.

    Le territoire trvire, ayant t occup en entier par les Francs au Vesicle, na pu conserver son nom antique.

    59 Les Mediomatrices, au Sud des Trvires, stendaient de laMeuse au Rhin. Leur chef-lieu,Divodurum, fort divin , devait cer-tainement cette dnomination au fait quil tait envelopp par les brasde la Moselle et de la Seille, les rivires tant des divinits pour lesCeltes. De mme le nom du peuple, qui signifie au milieu des M-res , doit sentendre du fait quil tait entre deux grandes rivires as-

    similes aux desses mres (matres, matronae). Sous la forme synco-pe Medtis, Mettis, le nom du peuple sest substitu au nom du lieu,cest Metz. La rgion tant demeure de langue romane a pu garder lenom de Messin (Mettensis pagus), mais seulement pour la partie en-tourant le chef-lieu, le reste ayant pris diverses dnominations.

    A lOuest, sur la Meuse, un oppidum qui ne sera connu que plustard tait Verdun (Verodunum, form de ver, prfixe dintensit et du-num, forteresse ).

    60 Entre le cours suprieur de la Marne et le Rhin taient lesLeu-ci ( rapprocher peut-tre de la racine do est tir Leucotie, clair ). Leur chef-lieu tait Tullum, au coude de la Moselle; parune trs rare exception dans la Gaule du Nord et du Centre, le nom dupeuple devait disparatre entirement, alors que celui du chef-lieu sub-sista : Toul. Cest que le territoire des Leukes devait tre, lpoquefranque, partag en neuf petitspagi.

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    61 Les Vadicasses, dont rien ne subsiste, ni nom de peuple, ninom de chef-lieu, semblent avoir occup le Sud-Ouest du territoire

    des Leuci, dont ils taient sans doute une branche obscure.

    DANS LAQUITAINE

    Retour la table des matires

    Partie de la Gaule, mais en dehors du monde celtique, tait la r-gion stendant entre la Garonne et les Pyrnes, lAquitaine.

    Non pas que les Celtes en fussent compltement absents, loin de l.

    62 Cest ainsi que Burdigala (Bordeaux) tait au pouvoir des Bi-turiges Vivisci; quun petit rameau des Boes se tenait lEst du bas-sin dArcachon; que la presqule entre la Gironde et lAtlantique, laquelle ils ont laiss leur nom (Mdoc), tait occupe par les Meduli,dont un rameau se retrouve bien loin, dans les Alpes, en Basse-Maurienne.

    63 et 64 Le long mme des Pyrnes, on trouve deux peuplesdont lorigine celtique est indubitable si lon sen fie leurs noms(Convenae, Consorani), dont le premier terme est le mot de mmeracine que le latin cum, avec . On pourrait les interprter compa-gnons , concitoyens . (cf. les Gallois de Grande-Bretagne, quisappellent eux-mmes Cymri, (Cymbri, concitoyens ). Le chef-lieu des premiers,Lugdunum, est incontestablement celtique. Son noma disparu pour faire place celui du peuple, Convenicus pagus, trans-form longtemps aprs dans le dialecte gascon en Cominicus, doComminges, aujourdhui Saint-Bertrand-de-Comminges. De mme, le

    nom du chef-lieu des Gonsorani, Austria, a disparu, remplac parSaint-Lizier, mais, jusquau XVIIIe sicle, le diocse dont cette ville