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N°45 MARS 2015 - REVUE POLITIQUE MENSUELLE DU PCF - 6 EUROS FéMINISMe au cœur des luttes révolutionnaires dOSSIeR P. 32 LE GRAND ENTRETIEN ARTICULER LA LUTTE CONTRE LE RACISME À LA QUESTION SOCIALE Fabienne Haloui P. 44 SCIENCES SCIENCE ET DÉMOCRATIE, LES LIAISONS DANGEREUSES ? Jean-Noël Aqua et Janine Guespin-Michel P. 36 COMBAT D’IDÉES «L’AMI» AMÉRICAIN Gérard Streiff Parti communiste français ©Frédo Coyère

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N°45 MARS 2015 - REVUE POLITIQUE MENSUELLE DU PCF - 6 EUROS

féminismeau cœur des luttes révolutionnaires

dossier

P.32 LE GRAND ENTRETIEN

ARTICULER LA LUTTECONTRE LE RACISME À LA QUESTION SOCIALEFabienne Haloui

P.44 SCIENCES

SCIENCE ET DÉMOCRATIE,LES LIAISONSDANGEREUSES ?Jean-Noël Aqua et Janine Guespin-Michel

P.36 COMBAT D’IDÉES

«L’AMI» AMÉRICAINGérard Streiff

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La Revue du Projet - Tél. : 01 40 40 12 34 - Directeur de publication : Patrice BessacRédacteur en chef : Guillaume Roubaud-Quashie • Secrétariat de rédaction :Noëlle Mansoux • Comité de rédaction : CarolineBardot, Hélène Bidard, Davy Castel, Igor Martinache, Nadhia Kacel, Victor Blanc, Stéphanie Loncle, Clément Garcia, MaximeCochard, Alexandre Fleuret, Marine Roussillon, Étienne Chosson, Alain Vermeersch, Corinne Luxembourg, Léo Purguette, MichaëlOrand, Pierre Crépel, Florian Gulli, Jean Quétier, Séverine Charret, Vincent Bordas, Anthony Maranghi, Camille Ducrot, StèveBessac • Direction artistique et illustrations :Frédo Coyère • Mise en page :Sébastien Thomassey • Édité par l’association Paul-Langevin(6, avenue Mathurin-Moreau 75 167 Paris Cedex 19) Imprimerie : Public Imprim (12, rue Pierre-Timbaud BP 553 69 637 VénissieuxCedex) • Dépôt légal :Mars 2015 - N°45. ISSN 2265-4585 - Numéro de commission paritaire : 1019 G 91533.

La rédaction en chef de ce numéro a été assurée par Jean Quétier.

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3 ÉditoJean Quétier Les milliardaires et le Minotaure

4 PoÉsiesFrancis Combes Yannis Ritsos

5 RegaRdÉtienne Chosson Nicolas Momein, Coup de pouce, caoutchouc pouce

6 u30 Le dossieRfÉMiNisMe : au cœur des luttes révolutionnairesNadhia Kacel et Igor Martinache Résolument féministes ! • Le genre et les études de genre Laurence Cohen féminisme et luttes de classes• affaire du Carlton : L’émancipation humaine passe par l’abolitionde la prostitutionMaurice Godelier La production des grands HommesJean-Michel Galano Émancipation féminine, l’apport de la pensée deMarxMarie-George Buffet Pas de révolution possible sans féminismeJocelyne George Les travailleuses et le féminisme (1945-1979)Sylvie Jan La révolution des femmes de KobanêMuriel Roger Que les hommes et les femmes soient belles !Margaret Maruani et Rachel Silvera dans l’emploi, les inégalités font dela résistanceAna Azaria sous-traitance, commerce, des secteurs en ébulitionMarylin Baldeck Le harcèlement sexuel, une réalité au travailErnestine Ronai Ne nous résignons jamais !Maya Surduts droit à l’iVg : l’histoire d’une lutte féministe, toujoursd’actualité • L’histoire du féminisme contemporain et occidentalClément Arambourou La parité : entre progressisme et conservatismeXavier Dunezat Le militantisme n’échappe pas au patriarcat• UEC La semaine du féminisme du 9 au 15 mars 2015

31 LeCtRiCes & LeCteuRsErnest Brasseaux toute la recherche française derrière des barbelés ?

32 u35 tRaVaiL de seCteuRsLe gRaNd eNtRetieNFabienne Haloui articuler la lutte contre le racisme à la questionsociale

PubLiCatioNs des seCteuRsFrédérick Genevée Pour une politique communiste de la mémoire auXXie siècle

36 CoMbat d’idÉesGérard Streiff « L’ami » américain

38 MOUVEMENT RÉELTony Andreani au cœur d’un projet alternatif, la planification (2/2)

40 HistoiReLaurent Feller Le salaire au Moyen Âge

42 PRoduCtioN de teRRitoiResViolette-Ghislaine Lorion-Bouvreuil La carte n’est pas le territoire, maisl’outil de son pouvoir

44 sCieNCesJean-Noël Aqua et Janine Guespin-Michel science et démocratie, lesliaisons dangereuses ?

46 soNdagesGérard Streiff envie de changer et attachement au système français

47 statistiQuesMichaël Orand Les français se marient de moins en moins

48 ReVue des MÉdiaSarah Chakrida et Anthony Maranghi La place des femmes dans lesmédia

50 CRitiQues• LiRe : Florian Gulli, Jean Quétier, Irène Théroux Le PCf et les classespopulaires• Annie-Thébaud Mony La science asservie• Jaurès – « le courage c’est de chercher la vérité et de la dire » –Anthologie d’un inconnu célèbre• Daniel Zamora (dir.) Critiquer Foucault - Les années 1980 et latentation néolibérale• Comité invisible À nos amis• « Max frisch, Ludwig Hohl » Europe - janvier-février 2015

54 daNs Le teXteFlorian Gulli et Jean Quétier La survaleur

57 buLLetiN d’aboNNeMeNt

THÈMES DES PROCHAINSNUMÉROS DE LA REVUE DU PROJET : Nation, La « questionmusulmane », Les motsglissantsVous avez des idées sur cesdossiers n’hésitez pas à nouscontacter : Écrivez à[email protected]

exPression communiste

ÉDITO

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Les milliardaireset le Minotaure

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e ministre de l’Économie, emmanuel Macron, décla-rait il y a peu que la france manquait de jeunes aspi-rant à devenir milliardaires. Comme souventlorsqu’une « petite phrase » est prononcée, les jour-naux et les responsables politiques ont été nom-breux à relever et à commenter le propos. bien évi-

demment, il était tout à fait opportun de faire remarquer qu’ondevait cette déclaration sur les milliardaires à un millionnaire,ancien banquier d’affaires qui plus est – c’est l’être social deshommes qui détermine leur conscience, comme nous l’aappris Marx. Loin d’être secondaire, c’est un fait qui en dit longsur la composition sociale du personnel dirigeant du Partisocialiste. Qu’un ancien banquier d’affaires mette en œuvreune politique favorable aux banquiers d’affaire et à leurs amis,quoi de plus logique ? Que les intérêts matériels des plus hautsresponsables du parti au pouvoir soient aux antipodes deceux du peuple qu’il prétend représenter, là encore, cela nedevrait même plus surprendre. en effet, il suffit d’observerquelques-unes des mesures les plus emblématiques de la loiMacron pour s’apercevoir de la désastreuse cohérence de lavision du monde dont elle est porteuse et qui lui vaut à justetitre les foudres des syndicats.

La loi Macron n’est pas seulement une loi taillée sur mesurepour les milliardaires, imposée avec le renfort du 49.3, elleest aussi une loi intégralement dirigée contre les salariés etles chômeurs. La logique dont elle est porteuse est évidem-ment insidieuse : il s’agit d’essayer de faire croire aux salariéset aux chômeurs qu’en perdant encore un peu plus leur vie àla gagner, ils pourront être plus heureux et consommer davan-tage. Peu de temps avant d’être assassiné, Charb avait sudévoiler avec une grande finesse et beaucoup d’humour laperversité de ce raisonnement. dans un dessin publié en unedu supplément de L’Humanité dimanche consacré à la loiMacron, il avait représenté un couple, paisiblement endormiau beau milieu de la nuit. Le mari s’éveille en sursaut et dit àsa femme : « j’ai envie de changer de voiture, là, tout de suite ! »sa femme lui remet les idées en place et lui rétorque : « oh !C’est le temps d’ouverture des magasins qui va augmenter,pas ton pouvoir d’achat… » on ne saurait proposer une meil-leure synthèse de la loi Macron. Les pauvres doivent resterpauvres, cela va de soi. Mais comme il s’agit de les exploiterdavantage, on cherche à leur imposer des comportementsconsuméristes insensés pour mieux leur faire accepter desconditions de travail dégradées. L’injonction est claire et lediscours bien rodé : vous devez avoir envie d’aller faire lescourses le dimanche ! il n’est pas imaginable que vous puis-siez avoir autre chose à faire de votre temps libre que deconsommer. C’est d’ailleurs pour cette raison que certainsd’entre vous devront réduire encore leur temps libre pour

que vous puissiez consommer davantage. Même rengaineconcernant les transports : vous ne pouvez pas vous payerde billet de train ? C’est parce que le secteur ferroviaire estpublic et que les syndicats, qui y sont encore puissants, ontpermis aux salariés de gagner des droits, il est donc urgent dele détruire en le mettant en concurrence avec des lignes debus longue distance libéralisées, pour que vous puissiez enfinvoyager dans des conditions inconfortables et nuisibles àl’environnement !

Cette logique du sacrifice et de l’abrutissement est celle ducapitalisme lui-même. L’obsession de la hausse du taux deprofit n’est pas une simple affaire de rapacité personnelle dela part de quelques patrons-voyous, elle constitue la struc-ture même du mode de production capitaliste. on pourraitd’ailleurs appliquer à ce système l’image dont se sert YanisVaroufakis, le ministre grec des finances, pour désigner lamanière dont la finance de Wall Street a absorbé pendantdes décennies les excédents commerciaux allemands, japo-nais et chinois alimentés par le déficit américain, conduisantpar là même le monde à la crise de 2008 : celle d’un Minotaureplanétaire.

d’après le récit mythologique grec, Minos, le roi de Crète, exi-geait chaque année le sacrifice de sept jeunes garçons et desept jeunes filles en offrande au Minotaure, monstre au corpsd’homme et à la tête de taureau enfermé dans le célèbre laby-rinthe crétois. Pas plus que dans la légende grecque, il n’estprobable que l’appétit du Minotaure capitaliste s’apaise si l’oncontinue à lui verser des offrandes. Nul ne peut dire aujourd’huiavec certitude que, comme dans la fabuleuse histoire, la solu-tion viendra d’athènes. Néanmoins, la victoire de syriza auxélections législatives grecques du 25 janvier dernier marquesans aucun doute un tournant dans la conjoncture politiqueeuropéenne. Car le vote du peuple grec n’exprime pas seu-lement la déroute de décennies de politiques au service ducapital, il n’est pas que le cri de douleur d’un pays où le tauxde chômage dépasse les 25%, il est avant tout un messaged’espoir. au-delà des frontières.

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JEAN QUÉTIER,Vice-rédacteur en chef

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j’ai parlé plusieurs fois avec Yannis Ritsos au téléphone,(il s’exprimait très bien en français), mais je ne l’aijamais rencontré. C’est un des principaux regrets de

ma vie d’éditeur… Quand je me suis décidé à l’appeler pourlui dire que je voulais lui rendre visite à athènes, il m’a réponduqu’il était trop tard…À Messidor, nous avions publié plusieurs de ses livres deprose, tirés de l’étonnante série des récits d’arioste l’at-tentif, qui est un peu son double, à la fois candide, critique,imaginatif et toujours émerveillé. Puis, au temps des Cerises, son livre : Tard, bien tard dansla nuit, qui vient de reparaître en édition bilingue, complétéde nouvelles traductions. Ce livre réunit ses derniers recueils.L’approche de la fin (dont il était conscient) n’obscurcit pasl’ambiance des poèmes, (marqués au contraire par unhumour serein) mais elle leur confère une valeur testa-mentaire. L’ombre de la mort y rend toute manifestationde la vie particulièrement précieuse et l’auréole. Ritsos selivre là à un bilan de sa vie, de son engagement poétique etpolitique. il s’y montre lucide, mais il ne renie rien…d’autres livres ont été publiés récemment, comme LaSymphonie du Printemps, chez bruno doucey. ou le Journalde déportation (1948-1950) écrit pendant qu’il était déportésur les îles de Limnos et Makronissos (édition Ypsilon). Cesrecueils s’ajoutent aux nombreux poèmes traduits notam-ment par dominique grandmont, poète proche de Ritsoset son grand traducteur en français.Cette actualité éditoriale de Ritsos en france témoigne del’intérêt que son œuvre continue de susciter chez nous.il est sans doute l’un des poètes étrangers qui a le plusinfluencé les poètes français de ma génération. et noussavons que son influence a été aussi très grande sur denombreux poètes étrangers, comme Mahmoud darwich,par exemple.Chercher à cerner les raisons de cette attraction n’est pasfacile. il y a bien sûr l’engagement communiste du poète,sa dimension de grand poète progressiste, populaire etnational. (j’ai le souvenir, après la chute des colonels, d’avoirassisté à la première fête légale d’Odigitis, le journal desjeunes communistes grecs, dans un grand stade deKisseriani, faubourg « rouge » d’athènes, et d’avoir entendudes milliers de jeunes chanter à l’unisson ses poèmes misen musique par theodorakis).Mais l’engagement, chez Ritsos, est rarement déclaratif. sapoésie est inépuisable comme la vie… on peut reprendrecent fois un de ses livres et éprouver toujours le sentimentde la découverte. dans son mouvement incessant d’énu-mération du monde, sa poésie dit le caractère infini et tou-jours surprenant du réel qui ne se laisse pas réduire à quelquediscours ou analyse que ce soit. Mêlant le merveilleux auréel, Ritsos témoigne aussi d’un sens exceptionnel de l’image,de la métaphore qui est comme le dit le mot grec, un moyende « transport », lequel nous conduit plus loin et ailleursque l’état présent du réel.sur la presqu’île de Monemvassia, (l’ancienne Malvoisie),la maison du poète, à l’entrée du village moyenâgeux, està peine indiquée. Mais quand on y parvient, on découvre,sur une terrasse qui domine la mer, un buste du poète quiregarde au loin…

Yannis Ritsos

il a beau plonger sa main dans les ténèbres,sa main ne noircit jamais. sa mainest imperméable à la nuit. Quand il s’en ira(car tous s’en vont un jour), j’imagine qu’il resteraun très doux sourire en ce bas monde,un sourire qui n’arrêtera pas de dire « oui » et encore « oui »à tous les espoirs séculaires et démentis.

Karlovassi, 17. Vii. 87

Le poète

souvenez-vous de moi - a-t-il dit. j’ai marché des milliersde kilomètressans eau, sans pain, sur des cailloux et des épines,pour vous apporter du pain et de l’eau et des roses. Labeautéjamais je ne l’ai trahie. tout mon bien, je l’ai partagééquitablement.Pour moi, je n’ai rien gardé. très pauvre. avec un petit lysdes champsj’ai éclairé nos nuits les plus sauvages. souvenez-vous demoi.et pardonnez-moi cette dernière tristesse : j’aurais vouluencore une fois, avec la fine faucille de la lune, moissonnerun épi mûr. Me tenir sur le seuil, à regarderet mâchonner le blé grain par grain, avec mes dents dedevanten admirant et bénissant ce monde que je laisse,en admirant aussi Celui qui gravit la colline dans lecouchant tout doré. Voyez :sur sa manche gauche il a un rapiéçage carré de pourpre.Çane se voit pas très bien. et c’est ça que je voulais surtoutvous montrer.et c’est peut-être surtout pour ça qu’il faudrait que vousvous souveniez de moi.

Karlovassi, samos, 30. Vii. 87traductions gérard Pierrat

1L’autre soir est passé dans la ruele vieillard aveugle.il tenait une marguerite –mon dernier argument.

traduction Marie-Laure Coulmin Koustaftisin Tard, bien tard dans la nuit, Le temps des Cerises, 2014.

En guise d’épilogue

FRANCIS COMBES

REGARD

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jusqu’au 8 mars, le sculpteur Nicolas Momein expose auxÉglises – Centre d’art contemporain de la ville de Chelles.C’est l’occasion de découvrir les œuvres de ce jeune

artiste que tout oppose aux créateurs spectaculaires qu’ap-précie tant le marché de l’art. ses pièces possèdent toutesune dimension mystérieuse qui amène le spectateur à allerplus loin que la simple contemplation.

Mais cette exposition est aussi une victoire. Le nouveau maireuMP de la ville de Chelles, souhaitant fermer le centre d’artpour des raisons budgétaires, a dû revenir sur sa décision

sous la pression de la mobilisation. au moment où les lieuxd’exposition comme les écoles d’art ferment les uns aprèsles autres, un tel retournement a de quoi nous réjouir.

*Nicolas Momein,Coup de pouce, caoutchouc poucedu 18 janvier au 8 marsLes Églises - Centre d’art contemporainde la ville de Chelles

Nicolas Momein, Coup de pouce,caoutchouc pouce*

©Nicolas Momein

ÉTIENNE CHOSSON

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L’émancipation humaine ne se fera pas sans lutter contre lepatriarcat, contre la dimension sexuée de l’exploitation et toutesles autres formes d’aliénation. une nouvelle rubrique « fémi-nisme » s’ajoutera dès le mois d’avril aux rubriques habituelles deLa Revue du projet.

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résolument féministes ! Différents courants féministes en lienavec les mouvements sociaux et par-tis politiques ont posé les bases d’uneréflexion fructueuse : comment sebattre pour les droits collectifs et indi-viduels tout en remettant en cause lastructure idéologique d’exploitationet de domination dont celle s’exer-çant sur les femmes constitue lesocle ? Pour avancer collectivementsur ces bases et actualiser notreréflexion sur l’articulation entre pen-sées marxistes et féministes, La Revuedu projet proposera à partir du moisd’avril, une rubrique mensuelle« Féminisme » ouverte à toutes et tousdans l’esprit de la revue. L’objectif dece dossier est ainsi de rouvrir laréflexion en partant des multiplesdimensions des luttes féministes etde leur rapport historique avec lesmouvements sociaux.« Luttes féministes », « féminismes »,nous assumons ces mots, tant ils sem-blent dévoyés aujourd’hui, quandnombre de femmes croient devoirs’excuser, en public comme en privé,après avoir dénoncé un aspect oul’autre du sexisme ambiant, en mar-monnant « mais je ne suis pas fémi-niste… ». Les mots sont importantsdans la lutte, et il n’est jamais inutilede rappeler que la domination mas-culine est d’autant plus efficace

qu’elle apparaît comme une évidence,un fait « naturel », et non uneconstruction sociale qui, comme toutce que le social a fait, peut être défaitpar lui.

Le PCF fait sienne cette lutte résoluecontre la domination masculine. Serésume-t-elle à une lutte uniquementanti-capitalisme ? Loin de devoir seg-menter les dominations et sérier lescombats, il importe au contraire decomprendre qu’elles sont entremê-lées. En d’autres termes, les rapportsde classe, de genre ou de « race » fontsystème, ce que Marx et Engelsavaient déjà bien compris en leurtemps – quoique leurs positions en lamatière continuent de susciter de vifsdébats. « Ouvrière n’est pas le fémi-nin d’ouvrier », écrit ainsi justementDanièle Kergoat, sociologue qui a lon-guement étudié les luttes de travail-leuses.

Envisager simultanément les diffé-rentes formes de domination impli -que ainsi de partir de la division dutravail, tant productif que reproduc-tif. Les féministes matérialistes ontainsi proposé une analyse systémiquede l’exploitation des femmes via larépartition inégalitaire des activitésprofessionnelles et domestiques entre

PAR NADHIA KACELET IGOR MARTINACHE*

algré des siècles deluttes et de conquêtes,nous sommes encoreloin de la pleine éman-cipation des femmes.Aujourd’hui, les

femmes sont toujours massivementen proie à la surexploitation écono-mique, à la relégation sociale et poli-tique, à la pauvreté, à la violence mas-culine et à l’esclavage sexuel, commele reconnaît l’ONU elle-même : « Bienqu’ils partagent le même espacefemmes et hommes vivent dans desmondes différents » (Rapport sur l’étatde la population mondiale, 2000).Bien sûr, le propos est provoquant :les ouvrières de Lejaby ont bien unmonde en commun avec les autresouvriers de leur région et LilianeBettencourt vit plus sûrement sur unautre monde que ces hommes et cesfemmes… Mais la si forte commu-nauté de classe ne saurait masquer laquestion du genre, ses spécificités etses enjeux propres.

PRÉSENTATION

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« M. Gagnepain » et « Mme Aufoyer »sur laquelle repose : les inéga lités fortes de rémunération et de carrière,la ségrégation professionnelle (selonl’idée qu’existeraient des « métiersd’hommes » et d’autres « de fem -mes »), mais aussi la répartition iné-galitaire persistante des tâchesdomestiques.

Certes, la condition des femmes aconnu d’indéniables progrès au coursdes dernières décennies sur le plansociologique ou politique, mais lechemin reste long et le patriarcat bienancré dans les têtes.

On voit ainsi que se perpétue touteune (di)vision du monde bien miseen évidence par les anthropologues,comme Françoise Héritier ou MauriceGodelier, autour de la division entremasculin et féminin, où tout ce quiest associé au deuxième sexe est sys-tématiquement dévalorisé, et réci-proquement. Si la sphère productivedemeure le nerf de la lutte, les repré-

sentations jouent cependant un rôlecrucial dans la légitimation et l’entre-tien de ces dominations, d’où l’im-portance des luttes culturelles pourla visibilité des femmes dans le lan-gage, ou de celles sur l’accès desfemmes aux postes de décision poli-tiques, porté par la loi sur la paritémalgré ses contradictions inhé-rentes...

Mais, en nous rappelant la maximedu Guépard de Lampedusa « il fautque tout change pour que rien nechange » il importe de se souvenir queles rapports de domination ne ces-

sent de se transformer pour mieux semaintenir. Révéler les chaînes tou-jours plus longues de l’exploitationsexuée constitue ainsi un enjeu poli-tique de taille en ces temps de crise,où il apparaît que pour sauver l’éco-nomie capitaliste, il faille repousserles frontières de l’exploitation, qu’ils’agisse du travail du dimanche ou denuit, ou de la remise en cause actuelle

des prud’hommes pour ne citer queces exemples… où encore une fois lesfemmes majoritairement présentesdans les emplois les plus précairesseront les premières victimes. Ilimporte aussi de saisir la manièredont la phase actuelle de mondiali-sation recompose les rapports pro-ductifs et reproductifs, alors que lesfemmes prennent une place de plusen plus importante dans les migra-tions internationales. Entre autresexemples, la nouvelle division du care,ce travail de soin de plus en plus mar-chandisé, qui aboutit à des situationsabsurdes où des femmes venues despays pauvres doivent quitter leurspropres enfants et parents pour venirau Nord s’occuper de ceux des cadressupérieurs esseulés.On voit en fin de compte que loind’être une question particulière, lesrapports sociaux de sexe engagent belet bien l’ensemble de l’organisationsociale. Et surtout que le commu-nisme a besoin des féminismes et,selon nous, réciproquement… n

« Révéler les chaînes toujours plus longues de l’exploitation

sexuée constitue ainsi un enjeu politiquede taille en ces temps de crise »

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*Nadhia Kacel est responsable de larubrique Féminisme.Igor Martinache est rédacteur enchef adjoint. Ils ont coordonné ce dossier.

Le geNRe et Les Études de geNRele genre est une catégorie d'analyse de plus en plusutilisée en sciences sociales. de manière générale elledésigne une perspective appréhendant ladite « diffé-rence des sexes » non pas comme un donné maiscomme un construit. cette différence n'est pas niéemais vue comme le fruit d'un processus de différen-ciation ; « on ne naît pas femme : on le devient »(simone de Beauvoir) – cette proposition est égale-ment valable pour les hommes. À la suite du relatifsuccès académique du mot genre, certains acteurs dudébat public dénoncent une « théorie du genre ». ilssignalent ainsi le caractère idéologique du terme.d'autres répondent que le genre n'est pas une théoriemais un concept scientifique. or, concept, théorie,idéologie et scientificité ne sont pas des notions anti-thétiques. le genre est un concept ; c'est un termeabstrait caractérisé par un haut niveau de généralité.le genre est un outil théorique qui unit différentespropositions entre elles. le genre n'est pas idéologi-quement neutre ; il est issu de la reprise d'un termemédical par des chercheurs et chercheuses fémi-

nistes. mobilisé dans des recherches empiriquementfondées dont les résultats sont soumis à controverse,le genre est bien un outil scientifique. ces quatrecaractéristiques se donnent à voir dans les quatredimensions analytiques du concept. le genre désigneune « construction sociale » (rupture avec l'idéologienaturaliste), le genre étudie des « processus relation-nels » (pensée historique et relativiste typique dessciences sociales), le genre permet de saisir des« rapports de pouvoir » (critique de la dominationmasculine) et le genre invite à penser les « imbrica-tions » entre les rapports de sexe et d'autres rapportsde pouvoirs (rapports de classe par exemple). au-delà des différentes définitions de la notion, voilàquatre propositions théoriques qui permettent decirconscrire le champ des études de genre.

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Comment ne pas voir que lesréformes comme celle des retraites,de l’Accord national interprofession-nel (ANI) sur la sécurisation des par-cours professionnels, ou encore leprojet de loi Macron vont encore creu-ser les inégalités femmes/hommes etpermettre de nouvelles formes d’ex-ploitation avec l’institutionnalisationdu temps de travail partiel et du tra-vail du dimanche ?Cette analyse tronquée de la sociétéconduit à refuser de prendre encompte que les stratégies indivi-duelles ou collectives pour résister àl’aliénation de classe, voire y échap-per, ne sont pas forcément les mêmes.Comment rassembler quand on

méconnaît à ce point la réalité ? Il estparticulièrement édifiant de noter quel’ensemble des partis et des syndicatsprogressistes considèrent la luttecontre le patriarcat comme marginaleet ignorent la dimension sexuée del’exploitation, à l’inverse des tenantsdu capitalisme.La Revue du projet, avec ce dossier etsa nouvelle rubrique concernant lesdroits des femmes, réalise un pas enavant significatif ; elle propose de met-

tre le combat féministe à la place quiest la sienne, c’est-à-dire au cœur dela réflexion et de l’action des commu-nistes. Analyser simultanément lasociété au travers du prisme de l’alié-nation de classes et de la domination

masculine est une forme de penséequi n’interroge pas seulement l’autremais soi-même dans son rapport àautrui.Laissons de côté tout ce qui tourneautour de l’aliénation au travail et pre-nons deux exemples d’actualité quipeuvent paraître marginaux : celuides violences faites aux femmes avecsa forme ultime, la prostitution, et lanotion de genre.

la Prostitution interdit Àla société de Progresservers l’égalitéComment construire une société éga-litaire quand on accepte l’existenced’actes sexuels tarifés au mépris dudésir d’autrui ? Celui qui paie domineet a tous les droits, y compris celuid’échapper aux règles et aux droitsqui fondent la vie en société.L’abolition de la prostitution est unenécessité et une revendication quenous avons été les premiers à porteren tant que parti politique. Se laissergagner par une sorte de fatalismeambiant consistant à ne pas imagi-ner un monde sans prostitution, c’estrenoncer à changer le monde. Luttersur ce terrain-là, c’est faire progres-ser notre projet libérateur et émanci-pateur.

le genre, une questionrévolutionnairePolémique artificielle ou problèmede fond ? Le genre nous aide à réflé-chir dans tous les domaines dessciences humaines et sociales. C’estpourquoi la construction des savoirs

est totalement à revoir si nous vou-lons faire bouger les mentalités,déconstruire les stéréotypes sexistes.La droite ne s’y trompe pas. ChristineBoutin accuse, dès 2011, des manuelsscolaires de 1e, d’influencer l’orienta-

PAR LAURENCE COHEN*

P ublié mensuellement depuis2003, notre bulletin Féminis -me/Commu nisme illustre, avec

des graphies qui s’entremêlent, lecombat conjoint qui est le nôtre.Sans vouloir avoir recours à des défi-nitions exhaustives, le communismeest l’abolition des classes sociales etde l’État. Le féminisme est un com-bat contre toutes les formes de domi-nations sexistes et l’exigence du droità l’égalité dans tous les domaines dela vie. Il s’agit de déconstruire la cul-ture patriarcale omniprésente sur lascène politique et économique, maisaussi dans les savoirs scientifiques et

dans les sciences humaines, de la bio-logie à la médecine, de la psycholo-gie à la psychanalyse et à l’histoire,de la littérature aux arts en général.Le féminisme remet en cause le fonc-tionnement politique de nos sociétéset donc le pouvoir, qu’il soit écono-mique, politique, religieux ou fami-lial…En fait, il ouvre sur un change-ment profond qui fait voler en éclatsla frontière entre la sphère publiqueet la sphère privée. En ce sens, le fémi-nisme est hautement politique et sub-versif. Et pourtant, il a été trop long-temps minoré et notamment par ceuxqui luttaient contre l’aliénation declasses. Ainsi, malgré l’analysed’Engels de la double exploitation desfemmes – « Dans la famille, l’hommeest le bourgeois, la femme joue le rôledu prolétariat » – nous pouvons res-ter dans une analyse figée qui,consciemment ou pas, subordonnele combat contre le patriarcat au com-bat contre le capitalisme. Commentet pourquoi ne pas voir que l’oppres-sion de classe est sexuée, et que lesplus exploités sont des femmes, parmilesquelles de nombreuses immigrées ?Comment et pourquoi méconnaîtreque les femmes et les hommes subis-sent l’exploitation différemment ?

féminisme et lutte de classes« La femme de demain ne voudra ni dominer, ni être dominée »

Louise Michel

« Le féminisme remet en cause lefonctionnement politique de nos sociétéset donc le pouvoir, qu’il soit économique,

politique, religieux ou familial… »

« analyser simultanément la société autravers du prisme de l’aliénation de classes

et de la domination masculine est uneforme de pensée qui n’interroge pas

seulement l’autre mais soi-même dans sonrapport à autrui. »

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*Laurence Cohen est responsable du secteur Droits des femmes/Féminisme du Conseil national du PCF.

tion sexuelle des élèves. Cette polé-mique se poursuit par l’affrontementsocial et moral autour du « mariagepour toutes et tous » et se concentresur les « études de genre » en déna-turant le contenu des modules d’ap-prentissage de l’égalité entre les filleset les garçons dès l’école maternelle,avec l’appel aux journées de retraitde l’école. Pour les réactionnairesfamilialistes, partisans du maintiendes femmes sous domination mas-culine et à l’origine des commandosanti IVG, c’est l’occasion de retrou-ver une place prépondérante enmenant une véritable croisade contrel’égalité. Ils n’hésitent pas à employerdes arguments caricaturaux et à ins-trumentaliser les religions mais ilsmarquent des points dans les quar-tiers populaires comme dans lesquartiers « bobos », dans les zonesrurales comme dans les zones urba-nisées. C’est une porte d’entrée insi-dieuse et très dangereuse pourconsolider la hiérarchie des rôlesassignés, dans nos sociétés, aux fillescomme aux garçons. C’est le terreauqui permet de maintenir les domi-nés sous le joug du capitalisme et dupatriarcat. De « manif pour tous » à« jour de colère » en passant par « jourde retrait de l’école », ce sont lesdroits des femmes, des lesbiennes etdes gays qui sont visés, au nom de lapréservation de l’ordre moral, de lasauvegarde de l’humanité. C’est

pourquoi la droite et son extrême sejoignent à cette contestation, afin decapter des suffrages contre tout pro-jet de changement.Nous devons faire voler en éclats tousces présupposés. Ainsi, quand ladroite revendique un projet desociété rétrograde avec un modèleunique de la famille, notre commis-sion a élaboré un « contre » argumen-taire « Pour une politique familialesolidaire et universelle » et a pro-grammé un colloque sur le sujet enpartenariat avec la fondation GabrielPéri au printemps prochain. Car ontouche ici aux fondements politiquesde la société qui reposent sur la hié-rarchisation des rôles sociaux sui-vant la différenciation entre fémininet masculin.

faire frontcollectivementOn le voit, toutes les atteintes contreles droits des femmes sous-tendentune conception de la société où iné-galités riment avec discriminations,restrictions des libertés, concur-rence… Dans une période où l’onassiste à une montée de l’extrêmedroite partout en Europe, il est essen-tiel de ne laisser aucun terrain, demener de front la bataille idéologiquecontre les politiques néolibérales etpatriarcales. Pour ce faire, il faut doncnon seulement ouvrir des espaces dediscussion, d’échanges, de confron-

tations mais également organiser desluttes. En ce mois de mars, nousserons très mobilisés pour la mani-festation du 8 mars aux côtés de lamarche mondiale et pour les élec-tions départementales qui verront,pour la première fois, des conseilsdépartementaux paritaires.Au fond, il s’agit de réagir à touteremise en cause des droits desfemmes, à toute attaque contrel’égalité en France, en Europe etdans le monde, ce qui nécessitenotamment de travailler avec lesassociations féministes, le Parti dela gauche européenne et son réseauEL-FEM (que nous avons créé avecMarie-George Buffet), mais aussiavec le Front de gauche féministe.Un énorme champ d’interventionqui nécessite une présence sur tousles fronts pour défendre, résistermais également pour ouvrir unealternative féministe car j’affirmeavec Emma Goldman : « La révolu-tion, oui, mais ce n’est pas ma révo-lution si je ne peux pas danser. » n

affaiRe du CaRLtoN : L’ÉMaNCiPatioN HuMaiNePasse PaR L’aboLitioN de La PRostitutioN

le procès du carlton de lille défraie la chronique, en raisonde la célébrité de dominique strauss-Kahn qui est sur lebanc des accusés, mais aussi parce qu’il pose des questionsfondamentales. la prostitution peut-elle être un choix oùclient prostitueur et prostituées sont à égalité ?

le mythe du libertinage est totalement discrédité à l’évo-cation du quotidien sordide des prostituées dans les clubsde la frontière belge, dans des caves ou ailleurs…

ce terrible vécu contredit avec force les affirmations desgroupes de pression pro-prostitution, qui prétendent quel’encadrement législatif et matériel de la prostitution, notam-ment en dédiant des maisons, des appartements à « cetteactivité » (nostalgie des maisons closes !), permettrait d’enfaire un travail « comme les autres », choisi, libéré des vio-lences, respectueux des personnes.

il faut beaucoup d’hypocrisie et de cynisme pour qualifierd’indépendantes ces femmes qu’on a privées de leurs papiers,auxquelles on extorque plusieurs centaines d’euros par jour

pour payer leur chambre et leur protection, qui sontcontraintes d’accepter des rapports sexuels à toute heuredu jour et de la nuit.

qu’en france, en 2015, il soit encore permis d’acheter l’im-punité d’un viol ; voilà l’autre scandale de ce procès. lescommunistes réaffirment que l’émancipation humaineemprunte la voie de l’abolition de la prostitution. il fautmener une lutte sans merci contre les réseaux de proxéné-tisme et parallèlement créer les conditions pour que lespersonnes qui se prostituent puissent s’en sortir.

on ne peut gagner l’égalité entre les femmes et les hommessi on n’abolit pas la prostitution, forme ultime de violencescontre les femmes (dans la majorité des cas). le Pcf estdéterminé dans cette lutte et appelle tous les progressistesà s’engager dans ce combat de justice et de liberté. c’estpour cela qu’il soutient la proposition de loi visant à luttercontre le système prostitutionnel. celle-ci est enfin inscriteà l’ordre du jour du sénat, les 30 et 31 mars 2015.

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R la Production des grands HommesLes baruya sont une tribu de Papouasie-Nouvelle-guinée, fondée sur leprincipe de la domination masculine sur les femmes. toute l’organisationsociale de la tribu, ses institutions et ses mythes sont articulés autour dece principe. une très forte inégalité symbolique et pratique entre les sexesen découle.

voirs que leur donne leur place par-ticulière à l’intérieur de ce procès.Mais en affirmant que les violencesimaginaires faites aux femmes pourgrandir les hommes avaient été légi-times, parce qu’elles avaient produitdes résultats avantageux pour tous,les mythes légitiment en mêmetemps les violences faites aux femmesdans tous les domaines de l’existenceet d’abord dans le mécanisme socialde la reproduction de la vie, dans lefonctionnement des rapports de

parenté, qui repose sur le principe del’échange des femmes entre lesgroupes par les hommes qui lesreprésentent.On en revient à deux problèmes théo-riques généraux. Pourquoi y a-t-ilintérêt pour des groupes humains àéchanger des femmes ? Pour quellesraisons les hommes représentent-ilsplus que les femmes leurs groupes etont-ils à charge d’en défendre lesintérêts ? Ici, nous quittons le plandes explications fournies par lesBaruya eux-mêmes, pour chercherdes raisons objectives, des causes nonintentionnelles de ces faitssociaux. […]Les Baruya, quand on leur pose laquestion (pourquoi les hommes sont-ils ce qu’ils sont, font-ils ce qu’ilsfont ? Pourquoi leur monopole de laguerre, de la chasse, pourquoi leurpremière place dans le procès de pro-duction, dans le défrichement de la

forêt, etc. ?) répondent en indiquantdeux ordres de raisons : les hommessont plus forts, et ils sont plus mobilesque les femmes. Mais l’erreur seraitde prendre la division du travail tellequ’elle existe chez eux pour une réa-lité qui explique la société, commeun point de départ, alors que c’est unpoint d’arrivée. Car, si l’on ne peutnier qu’il faut dépenser et combinerbeaucoup de force physique pourdéfricher la forêt vierge avec desoutils de pierre, cela n’explique pas

pour autant pourquoi les femmes,qui pourraient fabriquer leurs bâtonsà fouir, ne le font pas : ce sont leshommes qui les fabriquent et les leurdonnent, réaffirment par là que lesfemmes doivent dépendre deshommes dans le procès de produc-tion de leurs conditions matériellesd’existence. La division du travailn’est pas le point de départ des rap-ports sociaux qui organisent la pro-duction. Elle est elle-même un pointd’arrivée, résultat à la fois d’un cer-tain état des forces productives,matérielles et intellectuelles, grâceauxquelles une société agit sur sonenvironnement pour en extraire lesmoyens d’exister, et de la place dessexes face aux ressources, bref deleurs rapports respectifs aux condi-tions de la production.Il est ainsi très difficile de distinguer,dans le contenu des rapports sociaux,les éléments non intentionnels des

PAR MAURICE GODELIER*

m ais revenons sur la manièredont les Baruya conçoiventl’origine et l’essence de la

domination masculine. Ils affirmentque cette domination a son originedans le fait que les hommes, autre-fois, avaient su s’emparer de pouvoirsqui appartenaient aux femmes et lesavaient ajoutés aux leurs propresaprès les avoir débarrassés de tout cequ’ils contenaient de néfaste pour leshommes. Aux yeux d’un observateurétranger à la culture baruya, il sem-ble que ces pouvoirs créateurs dontles femmes auraient été dépossédéesn’existent pas en dehors des discourset des pratiques symboliques qui enaffirment l’existence, à la différencede la terre ou des armes dont chaquejour les femmes sont visiblementséparées et qui existent en dehors dela pensée. Cela ne signifie pas que cesdeux types de séparation s’opposentcomme s’opposent le réel et l’imagi-naire, puisque l’imaginaire fait par-tie du réel et qu’il est socialement toutaussi réel que les autres éléments dela vie sociale.Pourquoi les Baruya en viennent-ilsà attribuer aux femmes par la pen-sée, des pouvoirs que la pensée s’em-ploie immédiatement à leur ôter pourles ajouter à ceux des hommes ? Il mesemble que tout cet effort est destinéà diminuer l’importance sociale dece fait incontournable : c’est dans leventre des femmes que les enfantssont conçus, c’est de leur ventre qu’ilsnaissent, et c’est de leur lait ensuitequ’ils survivent. Tout se passe commesi les hommes, qui dominent concrè-tement le procès de production desconditions matérielles d’existence,s’étaient efforcés de grandir par lapensée leur rôle dans le procès dereproduction de la vie et de dévalo-riser la place de premier plan qu’àl’évidence les femmes y occupent.Tout se passe comme si les hommesvoulaient effacer ou réduire leurdépendance vis-à-vis des femmesdans le procès de reproduction de lavie, et séparer les femmes des pou-

« tout se passe comme si les hommesvoulaient effacer ou réduire leur

dépendance vis-à-vis des femmes dans le procès de reproduction de la vie,

et séparer les femmes des pouvoirs que leur donne leur place particulière

à l’intérieur de ce procès. »

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*Maurice Godelier estanthropologue. Il est directeurd’études honoraire à l’EHESS.

Extrait de La production des GrandsHommes, Paris, Champs-Flammarion, 2007 [1ère édition 1982]publié avec l’aimable autorisation del’auteur.

de penser la femme, la jeunesse etc.comme des essences séparées, c’estle mode de production capitaliste,lequel se concrétise à un bout par

l’identification de toute valeur à lavaleur marchande, et à l’autre boutpar l’incarnation humaine du capitaldans cette figure historiquement évo-lutive du bourgeois. Si dans un pre-mier temps celui-ci se montre thé-saurisateur et austère, de nos jours aucontraire il se révèle soucieux d’exhi-ber par ses richesses étalées et sontrain de vie dispendieux, le triomphede la marchandise. Que la femme elle-même tende à devenir marchandisemontre, par-delà l’hypocrisie des dis-

cours, que la prostitution est l’essencemême des rapports sociaux dans unesociété régie par les lois du marché.De même l’institution matrimoniale

se trouve dénoncée (Engels y consa-crera de longs développements dansL’Origine de la famille comme unmode de transmission de la propriétéprivée drapé dans une mythologie de« l’amour »).

une Pensée dialectiquePour autant, Marx ne tombe pas,comme le feront les populistes alle-mands ou russes, dans l’exaltation àcontretemps d’un monde ancienidéalisé. D’une part, il est bien

PAR JEAN-MICHEL GALANO*

l es pages truculentes et provo-catrices du Manifeste concer-nant la « communauté des

femmes » instituée par la bourgeoisiecapitaliste, si souvent citées et si malinterprétées, ne constituent pas uncorps de doctrine : parce que Marx nepose jamais « la femme » ou « le fémi-nin » comme une essence qu’on pour-rait détacher des rapports sociaux.Sans doute aurait-il souscrit à la phrasecélèbre de Simone de Beauvoir « Onne naît pas femme, on le devient »,mais il aurait ajouté que ce « devenir-femme », avant d’être une affaire psy-chologique, est d’abord une réalitésociale, économique, culturelle, et quele processus d’intériorisation et d’iden-tification s’inscrit dans le prolonge-ment d’une histoire collective et passeulement d’un roman familial.Ce qui nous interdit définitivement

émanciPation féminine :l’aPPort de la Pensée de marxil importe, sous peine de tomber dans l’anecdotique, de bien distinguer ence qui concerne les femmes l’explicite du discours de Marx, volontierspolémique, et le ressort implicite de ses analyses.

« Marx ne pose jamais “la femme” ou “leféminin” comme une essence qu’on

pourrait détacher des rapports sociaux. »

éléments intentionnels, et doncd’apercevoir leurs rapports, deconstruire une théorie des causes,des mécanismes qui les engendrent.Il me semble que la place des femmesdans le procès de reproduction de lavie peut, jusqu’à un certain point, lesexclure d’activités qui exigent unetrès grande mobilité, la guerre parexemple ou la chasse au gros gibier,et, à cause de la menace potentiellede la violence armée, des échangesavec l’extérieur. Il est possible aussique des différences de force physiqueaient pu jouer pour réserver auxhommes des activités matérielles quien exigeaient une grande dépense enun court laps de temps.Il n’existe pas de cause unique, nimême de cause dernière, aux diversesformes de domination masculinerencontrées dans l’histoire. Je voisplutôt une série de causes qui, dansleur fond, ne sont pas intentionnelleset s’ordonnent en une sorte de hié-rarchie du fait que certaines pèsentplus que d’autres dans le mécanisme

qui combine leurs effets en un résul-tat qui ne peut être le même d’unesociété à l’autre, d’une époque à l’au-tre. S’il existe des raisons non inten-tionnelles à l’existence de la domi-nation masculine, cela suffit à écarterl’hypothèse selon laquelle cettedomination serait le fruit d’un com-plot, mais cela ne signifie en rien queles hommes installés par ces raisons(qui ont du sens mais ne répondentà aucune fin) dans une situationsociale avantageuse, n’aient pasœuvré intentionnellement et collec-tivement pour reproduire et élargircet avantage. C’est bien là le caslorsque les hommes baruya fabri-quent les bâtons à fouir des femmes.Mais c’est le cas aussi lorsque, aucours des initiations, les hommesrévèlent aux jeunes initiés que ce sonteux qui fabriquent et font tournoyerau-dessus de leur tête les rhombesqui produisent les mugissements ter-rifiants que les femmes et les petitsgarçons entendent de loin lors descérémonies des hommes, et dont on

leur dit que ce sont les voix des espritsvenus se mêler à leurs frères et à leurspères. Dans le pouvoir masculin àcôté de la violence, il y a aussi la ruse,la fraude, le secret utilisés consciem-ment pour maintenir et creuserdavantage encore la distance quisépare et protège les hommes desfemmes, et assure leur supériorité.Mais n’oublions pas que les femmesbaruya ont aussi leurs secrets qui lesprotègent des hommes et portent àceux-ci en permanence témoignagede l’existence des pouvoirs fémi-nins. n

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Pas de révolution PossiBle sans féminismeHistoire du rapprochement du PCf avec les mouvements féministes dansles luttes.

non par notre Parti dans chacune deces conquêtes, étudié le rapport entrelutte des femmes pour leurs droits etles luttes anticapitalistes du XXe siè-

cle.Ce travail est intervenu alors qu’untournant plus global s’opérait au PCF,dans son rapport à son histoire, à lasociété et aux moyens de la changer.Et cela à un moment où le mouve-ment des femmes lui-même avaitrepris un nouveau souffle, singuliè-rement avec le fort mouvement socialde 1995 où un nouveau rassemble-ment féministe s’était constitué (leCNDF) entre des associations fémi-nistes, des syndicats, des partis dontle PCF.

le féminisme constitutifde l’émanciPation Humaine Lors de la réunion constitutive de l’as-sociation, Madeleine Vincent avaitnoté « combien avait été préjudicia-ble à la cause des femmes le fait que

les mouvements féministes et com-munistes se soient souvent affrontésplutôt que de conjuguer leur force ».Et j’ajouterais, préjudiciable aussi auxcommunistes. Les rencontres, lesdébats se renouaient, se démulti-pliaient entre féministes et commu-nistes après n’avoir été que des rap-ports conflictuels. Et au 29e Congrèsen 1996, le féminisme était enfinreconnu comme constitutif del’émancipation humaine dans nostextes. J’ai pu écrire alors : « On nepeut pas concevoir les transforma-tions progressistes qui ne seraient pasdues à la fois à l’intervention desfemmes et qui ne répondraient pas àleurs attentes […] le PCF veut êtrepleinement du combat féministe ».Pourtant, le terme de féministe a sou-vent été vécu au négatif dans le Parti,et singulièrement chez des femmescommunistes qui pouvaient agir pourdéfendre les droits des femmes avecla commission « femmes » tout enconsidérant le féminisme commeétant en opposition à leur combatgénéral. Longtemps, l’idée a prévaluque, au sein même des exploités, il nepouvait y avoir d’intérêts contradic-toires hommes/femmes, que, entrefemmes de différentes couches de lasociété, il ne pouvait y avoir d’inté-rêts convergents. En fait que la ques-tion de la domination masculine mas-quait la question principale del’exploitation capitaliste.Pourtant tout ne résulte pas des seulesmodifications structurelles écono-miques. Le féminisme est un des vec-teurs de la transformation sociale,l’égalité entre les sexes une de ses tra-ductions. La domination de sexe et le

PAR MARIE-GEORGE BUFFET*

l’Histoire des femmes etdes communistes Ce sujet a donné lieu à la créationd’une association de recherche en1998 « Femmes et communistes,jalons pour une histoire » et à la tenued’un colloque en 2001 intitulé« femmes et communistes : histoiremouvementée, histoire en mouve-ment ».Pourquoi cette décision ? Parce quel’histoire des femmes et des commu-nistes est une belle histoire, même sielle est tourmentée. Avec MadeleineVincent et Brigitte Dionnet, nousavons voulu mieux la connaître ennous inscrivant dans une démarchescientifique à l’aide de travaux d’his-toriennes et historiens partageant –et confrontant – leur travail avec lamémoire des militantes. Et nousn’avons pas été déçues. Regarder lepassé du Parti communiste, c’estcomme regarder un album de famillequi met au jour des joies et des peines,des ombres et des lumières. C’estdécouvrir ces femmes merveilleusesrésistantes au nazisme, découvrir desactions formidables pour le droit autravail ou le droit de vote des femmes.Mais c’est aussi chercher à compren-dre le ressort des contradictionsconduisant le PCF à s’opposer au droitde choisir sa maternité dans lesannées 1950-60 ou le conduisant às’opposer aux groupes féministes dansles années 1970. Droit de vote et d’éli-gibilité, parité, maîtrise de la contra-ception, droit à l’avortement : nousavons questionné la place prise, ou

« Regarder lepassé du Parti

communiste, c’estcomme regarder un

album de famillequi met au jour desjoies et des peines,des ombres et des

lumières. »

conscient que le capitalisme n’a pasinventé l’oppression des femmes,mais qu’il a conféré à cette oppres-sion un ressort propre. Dans lamesure, en effet, où le capitalisme nepeut vivre qu’en révolutionnant conti-nuellement les techniques et lesmodes de production, il est amené àaméliorer perpétuellement l’effica-cité des outils et des machines, et cesprogrès techniques rendent le travailsalarié de moins en moins dépendantde la force physique. De ce fait, l’ac-cès des femmes au salariat se trouvefacilité. Les « présuppositions réelles »

d’une libération de la femme se trou-vent ainsi créées, au moment mêmeoù celle-ci est exploitée de la façon laplus féroce. « Quelque effrayante etchoquante qu’apparaisse la décom-position de l’ancienne institutionfamiliale à l’intérieur du système capi-taliste, la grande industrie n’en créepas moins, en attribuant aux femmes,aux adolescents et aux enfants desdeux sexes un rôle décisif dans desprocès de production organisés socia-lement hors de la sphère domestique,la nouvelle base économique d’uneforme supérieure de la famille et du

rapport entre les sexes. » (Le Capitallivre I, chapitre 13).Rien de plus dialectique donc que lestatut de la femme dans la pensée deMarx. Sa condition est à la fois le mar-queur des sociétés et le creuset de toutce qui y bouge en matière d’huma-nité. n

*Jean-Michel Galano est philosophe.Il est professeur au lycée Montaigne(Paris) et à l’École supérieure desarts appliqués. Il est membre ducomité de la rubrique Mouvementréel.

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besoin de la combattre constituentbien une dimension de la révolution,et non seulement une de ses réper-cussions. En se débarrassant d’unevision instrumentalisée du mouve-ment populaire, a fortiori du mouve-ment des femmes, le rapport entre leféminisme et le communisme enFrance s’est donc modifié au fil desannées dans le sens d’un rapproche-ment de ces combats.

éradiquer les raPPortsde dominationNe faut-il pas poursuivre dans cettevoie ? On constate malheureusementque ce chemin, loin de suivre le coursd’un long fleuve tranquille est par-semé d’embûches. La bataille d’idéesen effet n’est pas close, ni dans lasociété ni au sein de notre Parti. Leretour en arrière dans les têtes s’ac-compagne de remises en cause de

droits comme celui de maîtriser samaternité ou de mener une carrièreprofessionnelle à égalité avec les col-lègues masculins. Et je ne parle pasdes propos entendus sur les bancs del’Assemblée nationale sur le rôle et laplace de la femme dans la famille lorsdu débat sur le mariage pour tous ettoutes !

C’est pourquoi l’action commune detoutes et tous les féministes reste unenjeu et un impératif. Pour lesfemmes, et pour toute la société. C’estcertain, toutes les organisations fémi-nistes ne sont pas identiques et s’at-tachent chacune, à telle ou telle reven-dication, adoptent des formesd’expression diverses, sont plus oumoins étoffées en nombre. Mais n’est-ce pas cette diversité qui donne de laforce au mouvement en général et estsource de progrès social ? Qui donne

lieu à de saines – et parfois rudes –confrontations pour mieux avancerensemble. Pourquoi faudrait-il choi-sir telle ou telle ou organiser des exa-mens de passage pour agir ensem-ble ?La voie ouverte à la fin des années1990 ne doit/peut pas se refermer. Ya-t-il un autre moyen pour changerle monde que d’en éradiquer les rap-ports de domination ? Et comment yparvenir sans la mise en mouvementcommune de toutes celles et tousceux qui le souhaitent ? L’heure n’estdonc pas au chacun pour soi mais autous et toutes ensemble. n

*Marie-George Buffet est députée(PCF) de Seine-Saint-Denis.

la mouvance féminine dessYndicats[...] Selon une enquête menée par laCGT en 1975, 21,8% des ouvrières et22,8% des employées sont syndi-quées. L’action féministe dans les syn-dicats est menée par quelqueshommes à l’esprit plus ouvert, sou-vent moqués pour cela, mais elle l’estsurtout par des femmes. La révoltecontre leurs conditions de travail leurfait prendre conscience de la doubledomination qu’elles subissent, celledu capitalisme et celle du patriarcatqui se renforcent l’une l’autre. Elledoivent affronter autant le petit chefque le patron, se mesurer avec leshommes dans leur organisation, sansparler, souvent, de leur compagnonde vie, tous plus ou moins porteursdu préjugé patriarcal.[...] Le mouvement de Mai 1968, celuides femmes de 1970 remettent encause le syndicalisme et le féminismed’avant. Le second questionne le rap-port entre les femmes et les hommes,questionnement renouvelé à cause

de l’élargissement du travail desfemmes qui pose lui-même celui dela limitation des naissances. Entre1971 et 1974 le mouvement desfemmes s’attache à les délivrer dudrame de l’avortement. Pour des rai-sons politiques CGT et CFDT vontréagir différemment mais en 1979, aucours de l’action menée pour que laloi de 1974 qui autorise l’interruptionvolontaire de grossesse soit confir-mée, les syndicats prennent leur res-ponsabilité et font de l’accès à lacontraception et à l’IVG une questionsociale.

la cgt et l’émanciPationdes travailleusesReconnue avant la guerre, la place desfemmes dans la CGT est confirméepar leur rôle dans la Résistance. Ledocument préparatoire au congrèsconfédéral de 1948 envisage la réali-sation de « l’égalité de l’homme et dela femme dans le domaine matérielet moral », stigmatise « cet esprit desupériorité qui nous vient des temps

PAR JOCELYNE GEORGE*

d e part et d’autre de 1968 existeun féminisme syndical,méprisé par les féministes

d’avant 1968 et dénié par cellesd’après. Le féminisme syndicals’exerce dans l’organisation où il fautfaire reconnaître la place des femmeset dans l’entreprise où il faut aider lestravailleuses à prendre conscience del’exploitation, de la domination et àles refuser. S’il est reconnu, [il] est peuétudié et, quand il l’est, un déséqui-libre s’installe en faveur de la CFDT.[...] Cette différence de reconnais-sance poussa déjà Madeleine Colin,secrétaire confédérale, à écrire en1975 un livre sur les luttes des femmesde la CGT, Ce n’est pas d’aujourd’hui.L’idée d’une indifférence voire d’unehostilité de la CGT au féminisme s’estpeu à peu installée. Les militantes dela CGT savent que cette idée reçue estfausse mais leurs prises de positionet leurs actions n’ont pas la cautionde travaux universitaires .

les travailleuses et le féminisme (1945-1979)de la Libération au vote définitif de la loi libéralisant l’avortement en 1979,alors que les figures connues du féminisme sont en général issues demilieux plus ou moins aisés, qu’en est-il des femmes salariées des milieuxpopulaires ?

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les plus reculés de l’esclavage que lestravailleurs conservent vis à vis deleurs compagnes de travail, empê-chant de faire aux femmes la placequi leur revient dans la vie commedans les postes de direction de l’en-treprise aussi bien que dans nos orga-nisations syndicales, mais aussi cecomplexe d’infériorité qui empêcheles femmes de faire valoir leurs capa-cités ou leur valeur professionnelle et

de militante et de s’imposer davan-tage partout où elles sont aussi capa-bles que les hommes. » Un groupe de femmes issues de laRésistance forme une commissionféminine confédérale, noyau d’un sec-teur féminin, bénéficiant du mêmestatut que les autres secteurs d’acti-vité de la centrale, doté d’un bureau,d’un budget, d’un personnel. [...] Lesecteur féminin s’évertue à installerdes commissions féminines à tous leséchelons de l’organisation. [...] Cetteforme d’organisation tient au fait queles femmes surmontent plus facile-ment leur sentiment d’infériorité enl’absence des hommes. Elle entreraen crise en 1977 et sera abandonnéeaprès 1985. Pendant plus de vingt anselle a permis de promouvoir descadres, d’assurer en 1969 la relève desmilitantes issues de la Résistance, dedonner une éducation syndicale, poli-tique, mais aussi sociale et culturelleà des centaines de femmes qui enétaient privées et qui ont pu rayon-ner, agir à leur tour.Le secteur féminin de la CGT édite de1955 à 1989 un magazine, Antoinette,fait unique dans le paysage syndicalfrançais. [...] Il éduque les militantesde la CGT. Celles-ci sont réunies parcentaines dans des conférences natio-nales régulières (1958, 1962, 1966,1970, 1973, 1977). Elles participent àdes rencontres internationales dansle cadre de la Fédération syndicalemondiale (1956, 1964, 1972, 1979).Ces conférences analysent la situa-tion des travailleuses en France etdans le monde, se préoccupent deleur accès à la direction de leur syn-dicat. Leur préparation est l’occasion

d’impulser l’activité syndicale parmiles femmes à tous les échelons de laCGT et, dans les entreprises, celle des’adresser aux salariées pour les aiderà prendre conscience de leur force. À la sortie de la Guerre d’Algérie, aprèsle massacre du métro Charonne oùtrois militantes de la CGT ont ététuées, le secteur féminin lance unecampagne qui aboutit en mars 1965à des « Assises pour le temps de

vivre ». Il s’agit, en demandant laréduction du temps de travail desfemmes, de contrer le projet gouver-nemental d’utiliser la main-d’œuvreféminine comme appoint grâce auxembauches à temps partiel. Cesassises réunissent plus de 2 000 per-sonnes et ont un grand écho. [...] En1967, le secteur féminin enchaîneavec une campagne pour la forma-tion professionnelle suivie, en 1969,d’une autre pour l’indemnisation

totale du congé de maternité pour lestravailleuses qui n’en bénéficiaientpas encore. Ce droit sera acquis l’an-née suivante. Sur toute la période, àrebours de l’idéologie dominante, laCGT affirme et défend le droit de lafemme au travail, garantie de sonindépendance économique et de sacapacité à s’affirmer.

les dirigeantes de lacfdt et les féministes[...] Dans la Confédération des travail-leurs chrétiens créée en 1919, lesfemmes étaient organisées en syndi-cats séparés. Peu considérées, elles setournaient vers des associationscomme l’Union civique et sociale oula Jeunesse ouvrière chrétienne. En1944, parce que la secrétaire générale

de l’Union des syndicats fémininsavait signé la charte syndicale durégime de Vichy, ces organisationssont intégrées à la CFTC, leurs adhé-rentes restent tenues à l’écart. [...] Unecommission confédérale féminine quiréunit 8 à 13 femmes, est élue tous lesdeux ans lors des congrès. [...]Sur le plan idéologique, le droit au tra-vail des femmes n’est pas reconnu.[...] La femme est une épouse et unemère, son travail salarié n’est acceptéque par nécessité. Cette mentalitéhéritée du catholicisme subsisteralongtemps, même après la déconfes-sionnalisation de la CFTC acquise en1964 avec la création de laConfédération française démocra-tique du travail (CFDT), toujours pourtenter de renverser le rapport deforces favorable à la CGT, établi en1945 mais déjà affaibli par la scissionde FO en 1947. [...] Arrive parmi lescadres féminins de la CFTC une nou-velle génération qui n’est pas mar-quée par la morale chrétienne. [...]De 1960 à 1968, les membres de lacommission féminine confédérale dela CFDT en font une sorte de club. [...]En juin 1965, deux mois après lesassises pour le temps de vivre de laCGT, [est décidée l’organisationd’une] conférence sur le travail desfemmes. Elle se tient les 17, 18 et 19mai 1967.[...] Les mesures spécifiquessouhaitées par la CGT pour lesfemmes sont considérées commeaccentuant leur inégalité avec les

hommes. Ce n’est qu’à son congrèsde 1967 que la CFDT envisage de lais-ser aux femmes le choix entre foyeret travail salarié. La question de lacontraception reste tabou à l’intérieurde la centrale. [...]Durant cette première période, lesfemmes de la CGT, même si ellesregrettent la lenteur des progrès, assu-rent une montée des cadres fémininset mènent avec succès des campagnesde masse sur des problèmes intéres-sant au premier chef les femmes sala-riées. Les femmes de la CFDT, elles,sont isolées à l’intérieur de leur orga-nisation et peu actives. En revanche,elles sont proches des féministes.L’aspect politique est égalementimportant. Alors que les femmes dela CGT veulent une unité d’action

« Le féminisme syndical s’exerce dansl’organisation où il faut faire reconnaître la

place des femmes et dans l’entreprise où ilfaut aider les travailleuses à prendre

conscience de l’exploitation, de ladomination et à les refuser. »

« Le secteur féminin de la Cgt édite de1955 à 1989 un magazine, Antoinette, fait

unique dans le paysage syndical français. »

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contre le pouvoir gaulliste, celles dela CFDT s’inquiètent du rapport deforces avec la CGT.

aPrÈs 1968Passe le mouvement de Mai. [..] LaCFDT instrumentalise les groupesd’extrême gauche qui, eux, instru-mentalisent le féminisme. Depuis1970, le Mouvement de libération desfemmes (MLF) occupe cet espace. Ila, lui aussi, partie liée avec les groupesd’extrême gauche, particulièrementhostiles à la CGT qui ne veut pas avoiraffaire à eux.De 1967 à 1974, les travailleursconnaissent une relative « embellie »,aboutissement des luttes menéesdepuis 1962, date de la fin de la Guerred’Algérie, et en 1968. [...] Mais à par-tir de 1974, débute une crise que lesfemmes salariées, toujours traitées envariable d’ajustement, subissent lespremières et le plus fortement [...].[Leurs nombreuses luttes] montrentcombien les travailleuses ont évo-lué.[...] Les ouvrières passent de lagrève à l’occupation de l’entreprise

qui peut durer des mois. [...]. Lespatrons, les repreneurs licencientd’abord les militantes syndicales.Dans les luttes les femmes se révè-lent. Les rapports conjugaux sont misà l’épreuve. Menées soit par la CGT,soit par la CFDT, soit par les deuxensemble, selon l’histoire de l’entre-prise, ces luttes et leur répression ontété peu étudiées. L’opinion était alorsobnubilée par la campagne du MLFpour le droit d’avorter librement.Le MLF fait de l’avortement une ques-tion de liberté pour la femme. Lorsdu congrès de 1970, la commissionféminine confédérale de la CFDT aété supprimée pour laisser théorique-ment place à une activité mixte dansles divers secteurs. [...]. En février 1972[Jeannette Laot] obtient enfin unedéclaration du bureau national : lesyndicat ne peut pas se prononcerpour ou contre l’usage de la contra-ception et de l’avortement mais il peutdemander que « soient réunis dans lasociété les conditions d’information,

les moyens permettant un choix libreet responsable. Or à l’évidence cettesituation n’existe pas en France. » [...]La CGT prend parti plus tôt, de façonplus nette, en se tenant à l’écart duMLAC et du MLF. En janvier 1973, undocument de travail de son secteursocial portant sur les allocations fami-liales indique : « Une politique réel-lement conforme à l’intérêt familialdoit être fondée sur l’égalité del’homme et de la femme, dans lafamille et la collectivité. Elle doitreconnaître au couple le droit d’avoirou de ne pas avoir d’enfant […] C’estpar la création de services spécialisésque les moyens scientifiques pour-ront être mis à la disposition des tra-vailleurs, les actes médicaux et lesproduits pharmaceutiques dispensésétant pris en charge par la Sécuritésociale. » En mai 1973, lors de la 5e

conférence des femmes salariées, laCGT réclame les structures d’accueilspécialisées nécessaires à une infor-mation sexuelle, à l’utilisation desmoyens anticonceptionnels (avecprise en charge par la Sécurité

sociale), l’abrogation de la loi de 1923,l’élaboration d’une nouvelle loi quienvisage l’interruption de grossesseen milieu médical au tarif de rem-boursement de la Sécurité socialeavec la liberté de décision laissée aucouple, à la femme, « chacun demeu-rant responsable selon sa conscience,ses conceptions philosophiques oureligieuses, d’utiliser ou non les pos-sibilités offertes ». En juin 1973, lorsde son congrès la CFDT prend à sontour position. La stratégie légaliste et apolitique deChoisir, la stratégie politique de déso -béissance du MLAC, l’élection deValéry Giscard d’Estaing soucieux dese débarrasser du problème, aboutis-sent au dépôt d’une loi que défendSimone Veil, ministre de la Santé.Votée à la fin de l’année 1974, elle estpromulguée le 17 janvier 1975. L’accord entre le Planning et les syn-dicats se fait d’abord à la base. Il seprécise au niveau confédéral durantl’année 1974 en même temps qu’un

accord est signé entre la CGT et laCFDT sur les questions féminines quiles avaient opposées jusque-là. Lessyndicats, à travers les comités d’en-treprise, sont invités à faciliter, durantle temps de travail, l’informationsexuelle et celle sur la maîtrise de lafécondité en faisant appel à desconseillères du Planning. Il s’agit des’adresser aux « milieux populaires » .Lors de son congrès de juin 1975,après son départ du MLAC, lePlanning déclare donner la priorité àl’action avec les travailleurs dans l’en-treprise. [...] Un centre d’orthogéniea été installé à la RATP. […]La loi de 1975, à l’essai pour cinq ans,doit être confirmée en 1979. À cetteoccasion, CFDT, CGT et FEN agissentsans le Planning. Le 23 juillet 1979,elles publient un texte commun trèsargumenté qui relie condition fémi-nine, condition des travailleuses,information sexuelle, maîtrise de lafécondité, engagement syndical etaffirme : « l’avortement est un pro-blème social ». Les trois centralesdemandent la confirmation et l’amé-lioration de la loi de janvier 1975. [...]

Opposer le syndicalisme et le fémi-nisme conduit à une impasse car lalutte pour l’égalité des salaires, pourla dignité des femmes dans le travailsont des actions féministes autant quecelle pour la contraception et l’IVG.Le féminisme syndical qui s’estaffirmé de 1945 à 1979 a fini par lierclairement les deux combats au ser-vice des travailleuses les plus nom-breuses et les plus démunies.L’histoire de ces luttes montre que lesféministes de la CGT, grâce à leurengagement personnel et à leur orga-nisation spécifique surmontèrent lesrésistances au sein de leur confédé-ration et ne furent pas en retard surcelles de la CFDT, bien au contraire.Il était plus facile aux femmes qui ontpu lire les œuvres de Simone deBeauvoir de ressentir, d’exprimer lasingularité féminine et de se battrepour sa reconnaissance. Certainesd’entre elles, comme les militantesdu Planning après 1970, ont favoriséla convergence des deux combatsféministes. D’autres ont cherché à iso-ler la CGT faussement taxée d’antifé-minisme. Dans cette histoire com-plexe les divisions politiques de lagauche ont eu un rôle essentiel. n

« opposer le syndicalisme et le féminismeconduit à une impasse car la lutte pourl’égalité des salaires, pour la dignité desfemmes dans le travail sont des actions

féministes autant que celle pour lacontraception et l’iVg. »

*Jocelyne George est historienne.Elle est professeur agrégée d’histoire,docteure d’État.Extraits de Jocelyne George, LaPensée, n°367, juillet-septembre2011, publiés avec l’aimableautorisation de l’auteur.

entre la dictature de Bachar al Assadet l’islamisme. Il définit la Syriecomme un État démocratique libreet indépendant. En janvier 2014, l’au-tonomie de Rojava (trois cantonssitués dans le Nord et le Nord-Est dela Syrie) est proclamée. Le Kurdistansyrien se dote d’une autorité démo-cratique et autonome. Une constitu-tion est adoptée qui divise la régionen trois cantons : Djézireh, Afrin, etKobanê. « Les droits humains et leslibertés sont garantis avec la procla-mation de l’égalité hommes/femmes,l’interdiction du travail des enfants,des mariages forcés et de la torture.L’école primaire devient obligatoireet l’enseignement gratuit. Des droitscollectifs nouveaux sont proclaméscomme ceux du travail, du logement

et de la santé avec notamment l’ins-tauration d’un congé de maternité.Cette constitution inclut toutes lescomposantes de la région », dont lesArabes, Assyriens, Chaldéens,Araméens, Turkmènes, Arméniens etTchétchènes. Elle inclut aussi diffé-rentes religions comme l’islam, lechristianisme ou le yézidisme, mêmesi celles-ci ne « doivent pas interve-nir dans les affaires publiques »(Extrait du «Contrat social de Rojava »adopté le 6 janvier 2014). Le cantonde Djézireh a adopté trois langues offi-cielles enseignées à l’école : le kurde,l’arabe et le syriaque. Toutes les ins-titutions doivent être composées d’aumoins 40 % d’hommes ou de femmes.

Voilà du « vivre ensemble » grandeurnature avec les richesses de la régionet un ancrage populaire pour le réa-liser.

un exemPle Pour lemoYen-orientC’est à cette expérience naissante, quipourrait servir d’exemple pour l’en-semble du Moyen-Orient, que Daeshs’est attaqué en septembre 2014 avecune violence inouïe. C’est ce projetdémocratique et participatif, écolo-gique et féministe que les femmes deKobanê et de la région ont défenduvictorieusement. La déterminationde leur résistance a donc tenu à cetenjeu : soit les ténèbres avec Daesh,soit sauver ce qu’on venait leur voler:un projet démocratique original,fondé sur le principe que « le niveaude liberté et d’égalité des femmesdétermine la liberté et l’égalité de tousles autres secteurs de la société ».

KoBanê, une ruine géante Il faudra la reconstruire. Il faudra queles réfugiés gagnent leur possibleretour, face à une Turquie arc-boutéecontre la reconnaissance de leursdroits et qui vient de renforcer la fer-meture de la frontière avec la Syrie. Siles réfugiés du Sinjar ne veulent plusretourner en Irak, les réfugiés deKobanê piétinent à la frontière. Il y aune urgence absolue à développer lasolidarité parce que la partie n’est pasterminée. Cette solidarité avec lesfemmes kurdes que l’on trouve par-tout en première ligne, passe par laconnaissance mutuelle, les échangespolitiques, les coopérations entrevilles...Les combattantes kurdes, quinous ont tant émus, ont gagné contreDaesh pour toute l’humanité au nomde leur révolution et des valeurs uni-verselles. n

PAR SYLVIE JAN*

des cités dirigées Àégalité Par une femme etun HommeLes images des jeunes combattanteskurdes affrontant héroïquement lesforces de Daesh à Kobanê ont fait letour du monde, suscitant une admi-ration à la hauteur de la surprise géné-rale. Cette place singulière desfemmes est le résultat d’un proces-sus politique engagé depuis trenteans. Le parcours de Sakiné Canziz,assassinée à Paris le 9 janvier 2013,en témoigne. Participante au congrèsfondateur du Parti des travailleurs duKurdistan (PKK) en 1978, elle devientcommandante aux côtés d’Abdullah

Öcalan en 1984, lorsque ce parti entredans la résistance armée. Derrière elle,de nombreuses femmes s’engagent.En 1995, Sakiné participe au premiercongrès des femmes qui servira debase à la constitution d’une organi-sation féminine au sein du mouve-ment kurde. Dès lors elles investis-sent tous les domaines de la lutte.Lorsque le mouvement kurde décidede participer aux élections, elles seportent candidates. Depuis mars2014, le Parti des peuples démocra-tiques (HDP) dirige plus de 100 villesdans le Sud-Est de la Turquie et innoveen instituant un système de co-maires, unique au monde, qui faitque toutes ces cités sont dirigées àégalité par une femme et un homme.

un Projet d’autonomiedémocratiqueDans les régions kurdes du nord dela Syrie, dans un contexte de guerrecivile, un projet d’autonomie démo-cratique s’élabore dès juillet 2012.Sous l’impulsion du Parti d’uniondémocratique (PYD), proche du PKK,il entend incarner une troisième voie

la révolution des femmes de KoBanêdes femmes engagées dans un projet démocratique et participatif,écologique et féministe affrontant héroïquement les forces de daesh.

« Les droits humains et les libertés sont garantis avec la proclamation

de l’égalité hommes/femmes, l’interdiction du travail des enfants,

des mariages forcés et de la torture. »

*Sylvie Jan est présidente del’association « France-Kurdistan ».

• Permettre aux réfugiés qui le souhaitent de retourner en syrie.• sortir le PKK de la liste des organisations terroristes.• Libérer a. Öcalan et les prisonniers politiques.• annuler les accords de coopération militaire et policière avec la turquie.• exiger de la france qu’elle aide à la reconstruction de Kobanê.• obtenir justice pour sakiné, Rojbin et Leyla, assassinées à Paris.

PRoPositioNs et aCtioNs du PCf

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qui consistait à accorder le genre del’adjectif avec celui du plus proche desnoms qu’il qualifie, et le verbe avec leplus proche de ses sujets. Pour illus-trer, reprenons le titre de cet article :nous aurions dit « que les hommes etles femmes soient belles » ou « que lesfemmes et les hommes soient beaux ».Alors, quand et pourquoi la règle de laproximité a-t-elle été évincée au pro-fit de la règle de la domination ?À partir du XVIIe siècle, cette règle estrégulièrement décriée par différentspersonnages plus ou moins célèbresou bien placés, personnages qui, celase devine aisément étant donnél’époque, sont tous des hommes. Lesarguments déployés pour se défairede cette règle sont bien de l’ordre dela domination masculine, et tournenttous autour des mêmes propos, ceux

de la noblesse du masculin. Nous trou-vons notamment un ardent défenseurde la règle de la domination en la per-sonne de l’Abbé Bouhours qui énonceen 1675 : « Lorsque deux genres se ren-contrent, il faut que le plus noble l’em-porte ». Ou encore, selon le grammai-rien Nicolas Beauzée, en 1767 ; « Legenre masculin est réputé plus nobleque le féminin à cause de la supério-rité du mâle sur la femelle ». On pour-rait citer d’autres phrases de person-nages plus ou moins illustres, quitoutes font appel à cette noblesse mas-culine. C’est finalement au XVIIIe siè-cle que la règle de proximité sort com-plètement de la langue française.Ainsi, le choix de cette règle qui veutque le masculin l’emporte sur le fémi-nin a été dicté purement et simple-ment par la prétendue domination dugenre masculin. Et si ce choix a été fait,

et a été le fruit d’environ un siècle dedifférentes pressions, ce n’était certai-nement pas pour passer le temps, maisbien pour marquer la dominationmasculine dans la langue, donc dansnotre inconscient, le symbolique agis-sant ainsi directement sur le réel.Depuis quelques années, plusieursassociations féministes militent enfaveur du retour à la règle de la proxi-mité (« Que les hommes et les femmessoient belles » : www.petition24.net/a/14245), et on comprend bien pour-quoi : afin de ne pas inculquer à nosenfants, futurs adultes, de façon insi-dieuse au travers de la langue, l’idéesymbolique que « le masculin l’em-porte sur le féminin ». Bien sûr, les rap-ports de forces sont à l’œuvre pour rin-gardiser ce combat…

la déclaration des droitsde l’Homme Un autre exemple frappant de lalangue française, quand on y réfléchitbien, c’est d’employer le terme« Homme » pour désigner les humains,c’est-à-dire les femmes et les hommes !La majuscule à elle seule transforme-rait la signification du mot « homme »en « homme et femme » (faisons toutde même une légère remarque : lamajuscule ne s’entend pas très bien àl’oral…).Un texte aussi édifiant et constitutifque la déclaration des droits del’Homme (entendez bien la majuscule)et du citoyen (entendez bien le fémi-nin) nous dit bien que « les hommesnaissent libres et égaux en droits ».Remarquons qu’ici, il n’y a pas demajuscule, on parlait bien deshommes, en excluant les femmes, etpour cause, il a fallu attendre le XXe siè-cle pour que les femmes puissent voter,pour qu’elles puissent être autonomes(le droit à l’ouverture d’un comptebancaire sans la permission du maridate seulement de 1965). Alors biensûr, ajouter la majuscule après coup,comme un pansement, mais sans tou-cher au symbolique, c’est aussi unefaçon de régler le problème.

féminisation des métiersJ’en terminerais par l’évocation de tousles mots se rapportant notamment àdes métiers, lesquels étaient ou sont

PAR MURIEL ROGER*

évidemment, le français commelangue maternelle, nous paraîttout ce qu’il y a de plus naturel,

et c’est sans en avoir conscience quenous nous exprimons de la façon donton nous l’a appris dès le plus jeuneâge.

la rÈgle dite de la « Proximité »Mais regardons de plus près certainsaspects de la langue, de la grammaire,notamment la règle qui veut que « lemasculin l’emporte sur le féminin ».Bien sûr, toute autre façon d’accorderle masculin et le féminin nous paraî-trait du plus mauvais goût, et de plusun affront à notre belle langue !Cependant, un peu d’histoire n’a

jamais nui à personne. D’où nous vientcette règle ? Est-ce celle qui a toujoursprévalu ? N’oublions pas que la langueest vivante, qu’elle n’est donc certai-nement pas figée, que le sens mêmedes mots évolue au cours du temps(voir à ce propos le dossier « Les motspiégés » n° 24 de La Revue du projet)que de nouveaux mots apparaissent,et que de nouvelles règles de gram-maire apparaissent elles aussi, toutcela au gré de l’évolution de la société,au gré des différentes dominations (dela même manière que l’histoire estécrite par les vainqueurs, la langue estaussi déterminée par les dominants),en particulier de la domination mas-culine. Cette règle, qu’on pourrait qua-lifier de « règle de la domination », n’apas toujours existé.Avant cela, l’accord du genre se faisaitselon la règle dite de la « proximité »,

que les Hommes et les femmes soient Belles !La règle qui veut que « le masculin l’emporte sur le féminin » révèle que ladomination masculine est toujours prégnante dans notre société sousbien des aspects, notamment dans la langue française.

« avant cela, l’accord du genre se faisaitselon la règle dite de la “proximité”,

qui consistait à accorder le genre del’adjectif avec celui du plus proche des noms qu’il qualifie, et le verbe

avec le plus proche de ses sujets. »

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et des salariés, mais à des offres d’em-ploi dans des secteurs féminisés(grande distribution, services aux per-sonnes et aux entreprises, nettoyage,etc.). Si le travail à temps partiel estsi féminisé, c’est parce qu’il s’est déve-loppé sous différentes contraintes : lepoids du travail domestique desfemmes et la « spécialisation » desrôles sociaux, certes, mais aussi et sur-tout l’offre massive de travail à tempspartiel dans des secteurs féminisés,la politique de l’emploi, etc. Sansoublier que le temps partiel, mêmequand il est à l’initiative des femmes,s’accompagne non seulement desalaires partiels, mais aussi de pro-motions et de carrières partielles,d’accès partiels à la formation et auxprimes et last but not least [dernierpoint mais non le moindre] deretraites plus que partielles : l’écartentre les pensions de retraite desfemmes et des hommes est encoreplus important que les écarts desalaire, puisqu’elles touchent enmoyenne une pension (de droits pro-pres) inférieure à 42 % de celle deshommes.Le corollaire de l’essor d’un tempspartiel imposé et dérégulé est la crois-sance de la pauvreté laborieuse, deces millions de salariées et salariéspauvres, qui ne sont ni chômeurs, niexclus ou « assistés » mais qui travail-lent sans parvenir à gagner leur vie

de façon décente. Dans leur grandemajorité (près de 70 %), il s’agit defemmes ; 22 % d’entre elles sont tou-chées par la « pauvreté économiqueindividuelle » (contre 9 % deshommes).

le rôle de la ségrégationProfessionnelle…Les femmes restent concentrées dansun petit nombre de métiers et sec-teurs (ségrégation dite « horizontale »)et, au sein d’un même secteur, danspeu d’emplois qualifiés (ségrégationdite « verticale »). Plus de la moitiéd’entre elles se retrouvent dans seu-lement 12 familles professionnellessur 87. Il s’agit pour l’essentiel dessecrétaires, employées administra-tives de la fonction publique, infir-mières, aides-soignantes, vendeuses,aides à domicile, enseignantes etagentes d’entretien, autant de profes-sions où les salaires sont globalementplus faibles.À l’autre bout de l’échelle, l’accès desfemmes aux postes de décision esttoujours limité. Les femmes se heur-tent en effet au fameux « plafond deverre », alors même qu’elles sont plusdiplômées que les hommes. Malgrédes progrès incontestables, seuls 39 %des cadres et moins de 10 % des chefsd’entreprise sont des femmes. Nonseulement celles-ci sont moins nom-breuses dans les emplois les mieux

PAR MARGARET MARUANIET RACHEL SILVERA*

i ci, tout est contrastes, paradoxes,contradictions. Revenons surquelques faits saillants qui dessi-

nent les contours de ces inégalités.

le Poids du temPs PartielDepuis la fin des années quatre-vingt,le temps partiel n’a cessé d’augmen-ter en France, alors que « les femmesont toujours travaillé », de façon plus

ou moins visible mais en tout cas àtemps complet. Plus d’une salariéesur trois travaille à temps partiel etplus de 80 % des emplois à temps par-tiel sont occupés par les femmes.En France, une partie importante dutravail à temps partiel ne correspondpas à une « demande » des salariées

dans l’emPloi, les inégalités font de la résistanceentre hommes et femmes, les inégalités dans l’emploi se recomposentsans cesse. en matière d’accès à l’emploi et à l’éducation, les progrès sontimmenses, alors que dans le domaine de l’égalité des salaires et des car-rières, sur le front du chômage, de la précarité et du sous-emploi, l’inéga-lité est patente, récurrente, impertinente.

« Le corollaire del’essor d’un tempspartiel imposé et

dérégulé est lacroissance de la

pauvretélaborieuse. »

des métiers, lesquels étaient ou sontencore majoritairement, voire exclu-sivement, occupés par des hommes.Les différentes propositions à l’œuvreafin de féminiser tous ces noms valentlà aussi bien des campagnes de rin-gardisation de celles et ceux qui défen-dent ces transformations. Mais pour-quoi refuser que la langue suive lecours des choses ? Pourquoi continue-rait-on à me qualifier d’ingénieur cher-cheur, alors que je suis une femme ?Pourquoi me refuserait-on mon genre ?Parce que ce n’est pas assez noble, cer-

tainement, de dire ingénieure cher-cheuse… Certains (ou certaines) sescandalisent de l’atrocité de la fémi-nisation de certains mots, au vu de labeauté de la langue (professeure, parexemple serait un tel exemple d’atro-cité langagière). Évidemment, la fémi-nisation de certains mots nous écorcheun peu les oreilles, question d’habi-tude ; il suffit en réalité de très peu detemps pour que ces mots entrent dansnotre langage courant et ne gênentplus personne. Est-ce pour cela qu’ilfaudrait rester dans une conception

rétrograde et complètement statiquede la langue ? Non je ne le pense pas,bien au contraire. Lorsque les filleselles-mêmes s’autocensurent dans lechoix de leur métier, il est symbolique-ment important, pour que cela agissesur le réel, de créer des féminins là oùils n’existaient pas auparavant, et ainsimarquer l’égalité de genre jusque dansnotre langue. n

*Muriel Roger est membre ducomité de la rubrique Féminisme.

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*Margaret Maruani est sociologue.Elle est directrice de recherches auCNRS.Rachel Silvera est économiste. Elleest maître de conférences àl’université Paris Ouest - Nanterre.

rémunérés, mais les écarts sont plusélevés parmi les cadres – une catégo-rie très hétérogène : on y classe dessalariés dont le contenu du travail etles responsabilités diffèrent forte-ment, surtout selon le sexe.

au total, des inégalitésde salaires PersistantesLes femmes gagnent en moyenne, unquart en moins, « régime » qui leurétait systématiquement appliquédans les usines de guerre au début duXXe siècle. Plus précisément, cet écartest évalué entre 24 et 27 %, tousemplois confondus. Malgré les nom-breuses lois, l’augmentation desaccords égalité (plus d’un tiers desentreprises concernées), cette inéga-lité résiste à tout. Certes, ce chiffres’explique en partie par les deux faitsdont nous venons de parler : lesfemmes gagnent moins parce qu’ellesne travaillent pas aussi longtemps etqu’elles n’occupent pas les mêmesemplois que les hommes. Mais cesexplications ne suffisent pas : à posteégal, la discrimination est toujours àl’œuvre. Comment avancer ?Limiter les emplois à temps partiel etla ségrégation professionnelle sontévidemment les deux mesures les plusévidentes. L’introduction d’une duréeminimale du temps partiel à 24 heureshebdomadaires depuis juillet 2014 nechangera probablement rien à la

situation, étant donné le nombre dedérogations possibles (accords debranches et/ou « volontariat »). Cen’est pas non plus la nouvelle cam-pagne sur la mixité des emplois quien viendra à bout.Nous proposons deux nouvellesfaçons d’aborder les inégalités desalaires et au-delà des inégalités toutcourt. Tout d’abord, les écarts desalaire ne se limitent pas à une photoprise à l’instant T. Ils traduisent unparcours professionnel, de faiblespromotions dans le passé, car les car-rières sont sexuées : les hommesobtiennent davantage d’avance-ments, font davantage carrière.Ces retards de carrière s’expliquentprincipalement (mais pas seulement)par la question de la maternité – quijoue encore un rôle déterminant au

XXIe siècle – et de ses conséquencespour les femmes. Le « soupçon dematernité » reste l’un des nœuds prin-cipaux de l’inégalité salariale. Il pèsesur toutes les femmes, y compris surcelles qui jouent le jeu et n’interrom-pent pas leur carrière. Y compris aussi

sur celles qui n’ont pas d’enfants.Quelques autres femmes encore peunombreuses ont décidé de ne pasaccepter la discrimination dont ellesétaient victimes du fait de congésmaternité, d’absences pour raisonsfamiliales ou simplement parcequ’elles étaient femmes. Elles ontporté leur cas devant la justice etgagné leurs procès pour discrimina-tion salariale sur la carrière.

Par ailleurs, un mouvement se pro-file pour une meilleure reconnais-sance des emplois à prédominanceféminine, emplois dévalorisés, dontles diplômes, les compétences reflè-tent encore la division sexuée du tra-vail. Concrètement, le travail d’uneassistante de direction ne vaut-il pas

celui d’un technicien ? Peut-on com-parer une responsable des ressourceshumaines et un directeur financier ?Cette démarche permet de réinterro-ger les critères habituellement à l’ori-gine de la définition des emplois dits« féminins » : non-reconnaissance desdiplômes ; emplois au contenu flou,individualisé ; utilisation de savoir-faire informels, non-reconnaissancede « vraies » responsabilités, invisibi-lité de la charge nerveuse ou physiquerequise… Une telle approche changela donne. Cela devrait contribuer nonseulement à réduire les écarts desalaires, mais également à mieuxreconnaître le travail souvent invisi-ble des femmes.Les quelques avancées bien réelles decertaines femmes ne doivent et nepeuvent effacer tout ce qu’il reste à

gagner pour les autres, celles que l’onentend ni ne voit, ou si peu… (commeen témoigne le film On a grévé deDenis Gheerbrant à propos de la luttevictorieuse des femmes de chambredu groupe hôtelier Louvre hôtels). Sid’un côté, certaines femmes bénéfi-

cient en effet de leurs réussites sco-laires qui se retrouvent dans la fémi-nisation de l’encadrement et desconseils d’administration des grandsgroupes, de l’autre côté, la précaritéde l’emploi, la non-reconnaissancedes métiers féminisés, et évidemmentles bas et très bas salaires qui vont depair, nous indiquent la persistance denoyaux durs de discrimination. Celanous montre également que tout aulong de ces années de crises, les écartsentre les femmes se sont singulière-ment creusés.Et ce fait se retrouve partout dans lemonde : les noyaux durs des discri-minations à l’égard des femmes exis-tent sous toutes les latitudes, avec desdéclinaisons certes diverses. Mais par-tout le travail domestique et le travaildes domestiques – ce que l’on nommele « care » – demeurent les domainesréservés aux femmes dans le mondeentier. Partout également la concen-tration des emplois féminins domine.Et cette bipolarisation, ces écarts entreles femmes elles-mêmes est aussi uni-verselle : entre les pays et les conti-nents, mais aussi au sein de chaquepays, entre les femmes diplômées etqualifiées qui s’en sortent – même sielles ne sont pas les égales deshommes – et celles qui sont masséesdans le salariat d’exécution en Europeet aux États-Unis, concentrées dansles emplois informels en Inde, enAmérique Latine ou en Afrique. Leslogiques de genre – ce n’est pas unedécouverte – ne neutralisent pas cellesdes classes sociales. Elles les alimen-tent et les renforcent. n

« La précarité de l’emploi, la non-reconnaissance des métiers féminisés, et

évidemment les bas et très bas salaires quivont de pair, nous indiquent la persistance

de noyaux durs de discrimination. »

« Malgré des progrès incontestables, seuls39 % des cadres et moins de 10 % deschefs d’entreprise sont des femmes. »

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*Ana Azaria est présidente del’Organisation de femmes Égalitépour l’émancipation et le progrèssocial.

Nous assistons aujourd’hui à un véri-table phénomène : la sous-traitanceest en train de se généraliser dans denombreux secteurs de la productionet des services, des secteurs où prédo-mine le travail féminisé. Rappelons-nous que le nettoyage est le premierdes services qui a été externalisé. Lesconséquences en sont une précarisa-tion qui s’aggrave. Les femmes sontencore moins payées ; leurs conditionsde travail se dégradent encore davan-tage. Notons au passage que ce sontdes secteurs où les travailleuses sont

moins syndiquées, moins organisées.Mais le constat est là : les femmes deces secteurs entrent aujourd’hui dansla lutte. Ces luttes sont porteuses de revendi-cations pour l’avenir parce que ces tra-vailleuses ne perdent pas de vue unede leurs principales revendications :la fin de la sous-traitance. Car c’estbien la sous-traitance qu’elles identi-fient comme facteur de précarisation,mais aussi de division des salariés.Salariées du « donneur d’ordre » ou du« sous-traitant » : même statut, mêmetraitement !Cette revendication, ellesvont la faire aboutir dans plusieursgrands hôtels : Campanile, Premièreclasse et Louvre Hôtels.

le commerceIl y a un autre grand secteur, très fémi-nisé lui aussi, qui est aujourd’hui enébullition : c’est le commerce. Avecl’extension du travail du dimanche,en soirée, et de nuit, ce sont les condi-tions de travail, la santé et la vieentière de dizaines de milliers defemmes qui vont être détériorées. Làencore, les femmes des milieux popu-laires sont au centre des attaques !Mais là aussi, elles ne se laissent pasfaire. Les bagarres sont nombreuses.Une fois de plus, c’est un combatemblématique, où des femmes sont

à la pointe pour faire barrage à uneaggravation de la flexibilité deshoraires qui, nous le savons bien,nous concernera toutes et tous à lalongue. Cette lutte est, elle aussi, por-teuse de revendications pour l’ave-nir. Limiter le travail du dimanche, ensoirée ou de nuit aux seuls secteursoù il est socialement nécessaire,comme la santé, ou techniquementincontournable, comme la produc-tion dans l’industrie alimentaire : voilàune exigence pour l’avenir de notreorganisation sociale. Ce type d’ho-

raires de travail décalés est nocif pourla santé ; il doit être compensé, et lessalariés qui l’exercent doivent béné-ficier d’un suivi médical rapproché.

Que ce soit dans les hôtels, les com-merces, les écoles, les quartiers…lorsque les femmes s’unissent pourdéfendre leurs revendications, ellesapprennent à se connaître, à se faireconfiance et à s’appuyer les unes surles autres. Lorsque leurs luttes trou-vent un écho dans le soutien et la soli-darité, elles s’enrichissent et expéri-mentent la force du collectif. Ce sontdans ces combats que se forgent lesrapports de force qui pourront por-ter un projet politique de rupture avecla politique d’austérité, de surexploi-tation, la politique néolibérale d’au-jourd’hui. Les femmes doivent y jouerun rôle, à commencer par les femmesdes milieux populaires, les premièresconcernées, les plus discriminées.N’est-ce pas cela que le peuple grecest en train de nous montrer ? n

PAR ANA AZARIA*

c ’est dans les luttes pour trans-former le présent que se des-sinent les aspirations pour

demain. Plus important encore, c’estdans ces combats que se construisentles rapports de forces nécessairespour imposer les « projets pourdemain ». Plus le rapport de forcessera grand, plus le projet sera ambi-tieux. Par contre, un projet ambitieuxsans rapport de forces n’est qu’unrêve.

L’Organisation de femmes Égalitépour l’émancipation et le progrèssocial est une association qui luttepour porter et défendre les exigencesdes femmes des milieux populaires,les travailleuses, les femmes des quar-tiers. Ce sont toutes celles qui viventle plus durement les inégalités, lesdiscriminations. Nous travaillons,avec nos moyens, pour qu’elles fas-sent irruption en politique, pourqu’elles imposent leurs exigencesdans les projets de société qui seconstruisent. Elles font irruption enpolitique à travers des mobilisations,à travers des luttes qu’elles lancent etdans lesquelles elles s’investissentdans l’objectif d’améliorer leur vie. Ily a aujourd’hui des luttes embléma-tiques auxquelles participent cesfemmes, des luttes qui sont porteusesd’exigences pour l’avenir, qui sontporteuses de convergences d’intérêtspour l’ensemble du camp populaire.

la sous-traitanceEn premier lieu, il y a les luttes contrela sous-traitance. Les femmes dechambre de l’hôtellerie en régionparisienne, les agents de service hos-pitalier de l’Hôpital de Talence, prèsde Bordeaux, les cantinières et lesfemmes de ménage des écoles pri-maires à Strasbourg… Et tout récem-ment, les travailleuses qui nettoientles toilettes des gares SNCF pari-siennes, qui viennent de se mettre engrève. Ce sont des luttes pour la réin-tégration dans le groupe, pour l’aug-mentation des salaires, pour dénon-cer l’externalisation, pour réclamerla transformation de contrats pré-caires en CDI, ou simplement pourconserver des acquis.

sous-traitance, commerce, des secteurs en éBulitionLa lutte pour une société de progrès ne pourra aboutir sans la participationactive des femmes des milieux populaires.

« La sous-traitance est en train de segénéraliser dans de nombreux secteurs dela production et des services, des secteurs

où prédomine le travail féminisé. »

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« violences conjugales au travail », sileur conjoint est aussi un collègue voireun supérieur hiérarchique ou s’il par-vient à s’introduire sur leur lieu de tra-vail. J’en profite pour dire que danscette hypothèse, il n’existe pas d’exo-nération de la responsabilité de l’em-ployeur, qui est tenu d’assurer la sécu-rité des salariées en toutescirconstances.

Les violences que l’AVFT combat plusparticulièrement sont les violencessexuelles, à savoir : l’exhibitionsexuelle, le harcèlement sexuel, lesagressions sexuelles et les viols, com-mis en contexte professionnel. Cescatégories pénales couvrent des agis-sements très hétéroclites : « ambian -ces » de travail faites d’images porno-graphiques, des propos à caractèresexuel dégradants pour les femmes,de mimes sexuels, de sollicitationssexuelles, de confidences sur la viesexuelle exigées ou imposées, d’intru-sions dans l’intimité des salariées, dechantage sexuel, d’attouchementssexuels imposés, de pénétrationssexuelles imposées. Ces actes ont encommun d’assujettir et de réifier lesfemmes, les dévaloriser et d’être com-mis dans le cadre d’un rapport de pouvoir dans lequel s’additionnel’exercice dévoyé de la supériorité hié -rar chique et de privilèges sexuels mas-culins, qui ne s’arrêtent bien entendupas à la porte de l’entreprise. Mais uncollègue de travail peut aussi profiterde la contrainte économique d’unecollègue, d’une vulnérabilité passa-gère, vouloir la « casser » en la harce-lant sexuellement s’ils sont en concur-rence pour un poste, parier sur lesilence de celle qui a enfin accédé au

métier dont elle avait toujours rêvé etpour lequel elle a consenti de nom-breux sacrifices… ou se sentir protégé,ce qui est objectivement le cas, par unmandat syndical.Les personnes victimes de ces agisse-ments sont, faut-il le rappeler, desfemmes. Dans nos « dossiers » et selonles enquêtes existantes, elles sont rela-tivement jeunes. Mis à part ces deuxcaractéristiques, elles appartiennentà toutes les classes sociales, travaillentdans tous les secteurs, même si cer-tains reviennent plus souvent qued’autres : santé, hôtellerie-restaura-tion, commerce.Il faut savoir que le harcèlement sexuelest une réalité massive. C’est ce querévèlent plusieurs enquêtes : 20 % desfemmes y ont été confrontées au coursde leur vie professionnelle selon uneenquête IFOP/Défenseur des droits demars 2014 tandis que selon l’Agencedes droits fondamentaux de l’Unioneuropéenne, 30 % des Françaisesavaient subi un harcèlement sexueldans les 12 mois précédant l’enquêtequ’elle a également publiée enmars 2014 sur les violences faites auxfemmes.

dans quel schéma s’inscrivent cesviolences faites aux femmes subiesdans des lieux publics et encadréspar le droit du travail ?Il existe de nombreux parallèles entreles violences dont les femmes sont vic-times dans le cadre conjugal, et au tra-vail : dépendance économique, isole-ment (du collectif du travail),alternance de phases de violences etde « retour à la normale » pour fairecroire aux victimes qu’elles sont horsde danger et les dissuader de dénon-cer. L’expression du refus, notammentde « relations sexuelles », est dans uncas comme dans l’autre extrêmementdifficile, en raison du risque de repré-sailles, dans la vie quotidienne ou surle travail, auxquelles les victimes s’ex-posent.

Pourriez-vous expliquer pourquoices faits sont surtout jugés par lajustice du travail ?En dépit de la réécriture du délit deharcèlement sexuel en 2012, la justice

ENTRETIEN AVEC MARYLIN BALDECK*

Pourriez-vous présenter votre association ?L’Association européenne contre lesviolences faites aux femmes au travail(AVFT) est une référence en matièrede lutte contre les violences sexuellesau travail. Elle est la seule associationspécialisée sur ce champ en France et

même à l’échelle de l’Union euro-péenne, ce qui lui confère une exper-tise unique. Depuis trente ans, elle agitsur plusieurs fronts : la défense des vic-times, la formation des professionnelsconcernés, l’outillage des raresemployeurs ayant pris cette questionau sérieux, la critique féministe dudroit, des actions en vue d’obtenir desréformes législatives, l’analyse des poli-tiques publiques de lutte contre lesviolences faites aux femmes. La carac-téristique principale de l’AVFT est sonmaniement quotidien du droit, parson équipe de juristes. Je conçoisl’AVFT comme un « laboratoire d’idéesjuridiques », avec l’avantage que nouspouvons les tester, les mettre àl’épreuve des procédures dans les-quelles nous intervenons, par le biaisde nos interventions volontairesdevant le conseil de prud’hommes etnos constitutions de partie civile aupénal, et les améliorer dans l’intérêtdes victimes.

les violences faites aux femmes autravail, de quoi s’agit-il précisémentet qui est concerné ?Au travail, les femmes peuvent être vic-times de toutes les violences qu’ellespeuvent subir à l’extérieur du travail.Elles peuvent même être victimes de

le HarcÈlement sexuel, une réalité au travailLes salariées victimes de violences sexuelles s’adressent le plus souvent àla justice du travail, et attaquent leurs employeurs, même s’ils ne sont paseux-mêmes les agresseurs, devant le conseil des prud’hommes.

« Les violences que l’aVft combat plus particulièrement sont les violencessexuelles, à savoir : l’exhibition sexuelle,

le harcèlement sexuel, les agressionssexuelles et les viols, commis en contexte professionnel. »

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pénale échoue gravement à rendre jus-tice aux victimes. Ce constat est lemême s’agissant de la répression desagressions sexuelles et des viols. Lessalariées victimes de ces violences s’enremettent donc bien souvent à la jus-tice du travail, et attaquent leursemployeurs, même s’ils ne sont paseux-mêmes les agresseurs, devant leconseil de prud’hommes. Nousdemandons alors la condamnation del’entreprise pour harcèlement sexuelet l’indemnisation de la salariée pourle préjudice qui en découle, ainsi quedes dommages et intérêts pour la rup-ture du contrat de travail. Les femmesqui dénoncent ces agissements per-dent en effet presque toujours leuremploi, durablement. L’accès à cette justice-là s’est sensible-ment amélioré depuis quelquesannées, sous l’effet conjugué d’unemeilleure compréhension par les jugesdes ressorts des violences sexuelles autravail, qui est allée de pair avec la miseà l’agenda médiatique de cette réalité(« affaires » DSK, Tron, abrogation dudélit de harcèlement sexuel par leConseil constitutionnel...) et une appli-cation plus pointilleuse des règles depreuves particulières en matière deharcèlement sexuel.

Mais, dans l’intérêt de toutes les per-sonnes salariées le Code du travail doitcontinuer à être réformé. L’AVFT œuvrepour une meilleure indemnisation dessalariés qui ont perdu leur travail àcause du harcèlement sexuel ou detout autre motif discriminatoire. Enjuillet 2014, à la faveur de la loi sur l’éga-lité réelle entre les hommes et lesfemmes, nous avions obtenu la créa-tion d’une « indemnisation-plancher »équivalente à douze mois de salaireainsi que le versement des salairesentre la rupture du contrat de travailet le jugement définitif (amendementsdes sénatrices Michèle Meunier etMarie-George Buffet). Ils ont ensuiteété abrogés par le Conseil constitu-tionnel (décidément !) pour non-res-pect de la procédure législative. Il estimpératif qu’ils soient réintroduitsdans un prochain texte, car outre quecela est juste pour les victimes, c’est leseul moyen de responsabiliser lesemployeurs.

que pensez-vous de la réforme lajustice du travail prévu dans la loimacron ?Les procédures pour harcèlementsexuel ne sont pas un bon point dedépart pour réfléchir à cette question

et notamment trancher la controversesur le recours accru au juge profes-sionnel. Il est en effet exceptionnelqu’une affaire de harcèlement sexuelne soit pas in fine jugée par un jugeprofessionnel, en raison du fort tauxde départage dans ces procédures trèsclivantes, et parce que la partie per-dante fait toujours appel ou presque.Ce que je peux dire, c’est que le sexismeest relativement bien partagé entreconseillers prud’hommes et magis-trats, qu’en matière de harcèlementsexuel, les seconds ne sont pas tou-jours meilleurs juristes que les pre-miers mais pas forcément moins atten-tifs aux contraintes économiques etpatriarcales qui pèsent sur les victimes !En tout état de cause, je pense commebeaucoup que les réformes « Macron »ne répondent pas aux problèmes,notamment de moyens, maintes foispointés comme responsables des dys-fonctionnements des conseils deprud’hommes. n

*Marylin Baldeck est déléguéegénérale de l’Associationeuropéenne contre les violencesfaites aux femmes au travail (AVFT).Entretien réalisé par Nadhia Kacel.

ne nous résignons jamais !Regarder avec lucidité les violences faites aux femmes pour les faire reculer.

PAR ERNESTINE RONAI*

« Le fermier bat sa femme, ohé, ohé, ohé,La femme bat son enfant, ohé, ohé, ohé,L’enfant bat sa nourrice, ohé, ohé, ohé,La nourrice bat son chien, ohé, ohé, ohé. »

Enfants, dans la cour de récréation,00nous avons tous chanté cetteritournelle…Comment mieux dire tout l’enjeu dela prévention et de la lutte contre lesviolences faites aux femmes, à savoirempêcher la banalisation et la repro-duction de la violence et plus large-ment lutter pour une société non-vio-lence ?Cela commence par des injures et celapeut finir par la mort. Les violences àl’encontre des femmes sont univer-selles. Ces violences peuvent s’exer-cer dans les sphères privée et pub -lique et revêtir différentes formes(violences verbales, psychologiques,

physiques, sexuelles, économiques).Elles débutent parfois dès le plusjeune âge, au point que l’on peut par-ler d’un continuum de violences aucours de la vie des femmes : mutila-tions sexuelles, travail précoce, ins-truction interdite ou limitée, inceste,mariage forcé violences dans le cou-ple, harcèlements sexiste et sexuel,en particulier au travail, agressionssexuelles et viols, prostitution, répu-diation, lapidation…

la Prise de conscienceLes violences faites aux femmes émer-gent dans le débat public depuis lemilieu des années 1970. À cette époques’ouvrent les premiers centres d’ac-cueil pour femmes victimes de vio-lences dans le couple. La permanence« SOS Viols Femmes Infor mations » estmise en service en 1986. La premièrecampagne télévisée en France date de1989. Les textes internationaux eux

aussi sont récents. La Déclaration surl’élimination de la violence à l’égarddes femmes de l’ONU du 20 décem-bre 1993 indique : « [...] La violence àl’égard des femmes va à l’encontre del’instauration de l’égalité... [elle] consti-tue une violation des droits de la per-sonne humaine et des libertés fonda-mentales, [...] [elle] traduit des rapportsde force historiquement inégaux entrehommes et femmes, lesquels ontabouti à la domination et à la discri-mination exercées par les premiers[...] ». Elle est aujourd’hui reprise dansla Convention du conseil de l’Europedite convention d’Istanbul, ratifiée parla France et entrée en vigueur ennovembre 2014. Comme l’affirme clai-rement cette convention, rien de« naturel » dans tout cela. Donc, si cesont les humains qui ont construit cesrapports sociaux inégaux entre lessexes, il leur appartient de les décons-truire.

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Les violences faites aux femmes pren-nent appui sur des rapports sociauxinégaux entre les sexes. Elles sont « légi-timées » par une idéologie sexiste dedomination qui d’une différence phy-sique fait une différence hiérarchisée.Les stéréotypes assignent des rôlessociaux différents aux personnes desexe féminin et masculin au lieu d’ou-vrir tous les possibles et de permettrel’épanouissement de chacune et cha-cun. L’ampleur de ces violences et leursconséquences sur ces femmes et leursenfants sont encore insuffisammentprises en compte par notre société.

la lutte contre lesviolences faites auxfemmes, un enjeu desociété Chaque année, plus de 216 000femmes sont victimes de violencesgraves commises par leur partenaire.86 000 femmes rapportent avoir étévictimes de viol ou de tentative deviol, et seules 10 % d’entre elles dépo-sent plainte. Cette violence dans lecouple touche également les enfantspuisqu’on en compte 145 000 qui ensont victimes, dont 42 % ont moinsde 6 ans. Or, plus les enfants sontjeunes, plus l’effet psycho-trauma-tique des violences est important. Enprotégeant la mère des violences, onprotège l’enfant. Le coût des violencesdans le couple a été estimé à 3,6 mil-liards d’euros.

Les communistes qui œuvrent pourl’émancipation humaine sont parti-culièrement sensibles à cette problé-matique où l’agresseur humilie, déva-lorise la femme victime, la traitecomme un objet, lui fait mal et faitmal à son enfant. Elles et ils regardentavec lucidité cette réalité pour latransformer. Ce n’est sans doute pasun hasard si le premier Observatoireen France a été créé en Seine Saint-Denis par un conseil général commu-

niste. En 2002, cet acte était coura-geux. Aujourd’hui, cet Observatoireest devenu un véritable laboratoired’expérimentation utile à la Franceentière et est rejoint par douze autresObservatoires territoriaux.

quelle Politique efficacede lutte contre les vio-lences faites aux femmesmettre en œuvre ?D’abord travailler avec l’ensemble desprofessionnels de nos territoires à undiagnostic partagée. Ensuite impli-quer tous les partenaires : services de

nos collectivités, services de l’Étatimplantés sur nos territoires, associa-tions. Enfin, fixer des priorités et s’at-tacher à les mettre en œuvre. C’est lesens des Observatoires qui se mettenten place. Je citerai une priorité qui àmon sens indique une démarche : laquestion de l’hébergement. Elle estépineuse du fait du manque de struc-tures. Il faut en revendiquer davan-tage, c’est une compétence de l’État,il ne faut pas lâcher là dessus. Enmême temps, favoriser la sortie deces structures spécialisées pour dulogement social pérenne est un levierà la disposition des collectivités ter-ritoriales. L’Observatoire des violencesenvers les femmes de Seine Saint-Denis a inventé avec le maire com-muniste de Bobigny de l’époque,Bernard Birsinger, un dispositif appelé

« un toit pour elle » où chaque villemet à disposition un logement socialpar an ainsi que le conseil général, lacaisse d’allocations familiales, la pré-fecture. Ce dispositif a permis de flui-difier la sortie de l’hébergement d’ur-gence et de réduire de moitié le tempsd’hébergement permettant ainsi d’ac-cueillir davantage de femmes endétresse. Depuis, d’autres villes nousont rejoints telles que Gennevilliers,Villeneuve Saint-Georges, le conseilrégional d’Île de France et très récem-ment le conseil de Paris a adopté àl’unanimité un dispositif semblable

proposé par les communistes. Cetexemple illustre une façon de faire dela politique : être utile, proposer dessolutions concrètes pour améliorer lasituation.

Gisèle Halimi, une figure du fémi-nisme a écrit un livre au titre que nousapprécions : « Ne vous résignezjamais ». Les violences faites auxfemmes existent depuis fort long-temps et parce que nous ne nous rési-gnons pas, elles reculent. n

*Ernestine Ronai est coordinatricede la Mission interministérielle pourla protection des femmes victimes deviolence. Elle est directrice del’Observatoire des violences faitesaux femmes de Seine-Saint-Denis.

« Les communistes qui œuvrent pour l’émancipation humaine sontparticulièrement sensibles à cette

problématique où l’agresseur humilie,dévalorise la femme victime,

la traite comme un objet, lui fait mal et fait mal à son enfant. »

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aujourd’hui, pour arriver au droit àl’avortement. C’est pourquoi nousavons organisé avec le Collectif natio-nal pour les droits des femmes(CNDF), une manifestation le 17 jan-vier 2015 pour rappeler les luttesmenées par les femmes elles-mêmespour s’émanciper de l’oppressionqu’elles subissaient, et qu’elles conti-nuent encore à subir dans tous lesdomaines.

Peux-tu revenir sur les luttes qui ontété engagées à l’époque?Il faut se remettre dans le contexte del’époque. La lutte engagée pour le droità l’avortement était extrêmement sub-versive : une loi de 1920 interdisait

l’avortement et la contraception etmême d’en faire la propagande. Le pre-mier mouvement a été lancé le 5 avril1971 par le manifeste des 343 femmesqui déclaraient ouvertement avoiravorté, et donc avoir enfreint la loi de1920 – sur la Une de Charlie Hebdodel’époque elles sont nommées les « 343salopes ». Ensuite en 1972, il y a eu leprocès de Bobigny qui a été un tour-nant favorable dans l’opinionpublique. Enfin, il y a eu le 3 février1973, le manifeste des 331 médecinsqui déclaraient alors avoir pratiqué desavortements.C’est dans ce contexte de désobéis-sance civile qu’est créé en avril 1973le Mouvement pour la liberté de l’avor-

ENTRETIEN AVEC MAYA SURDUTS*

quel regard portes-tu sur lescélébrations autour des 40 ans de lalégalisation de l’avortement ?Lors des célébrations, on a entenduparler uniquement de Simone Veilcomme si elle représentait à elle seulela lutte pour le droit à l’avortement.C’est vite oublier que non seulementla loi promulguée le 17 janvier 1975 n’aété votée que sous la pression des luttesféministes, mais surtout qu’elle léga-lise l’avortement sans le reconnaîtrecomme un droit. C’était une grandevictoire à l’époque, mais il a fallu semobiliser très souvent, jusqu’à

droit À l’ivg : l’Histoire d’une lutteféministe, toujours d’actualité au delà des célébrations de la légalisation de l’avortement, face aux reculsde ces dernières années le combat pour le respect des femmes à disposerde leur corps reste au cœur des combats féministes.

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tement et la contraception (MLAC). Le MLAC regroupait environ 300 comi-tés en France. Ces comités tenaientdes permanences pour organiser illé-galement les avortements sur place oules départs à l’étranger. Pendant deuxans, on a bafoué la loi. Mais surtout,les femmes se sont parlé et ont suregrouper leur force. Par exemple descaisses de solidarités ont été organi-sées pour aider celles qui ne pouvaientpas payer l’intervention (50 francs àl’époque). Ceci a contribué au déve-loppement d’une conscience politiquedu sort réservé aux femmes à cemoment-là. Alors qu’il était interdit,l’accès à l’avortement était ainsi orga-nisé par les femmes elles-mêmes enlien avec des médecins dans toute laFrance.

après le vote de la loi, qu’avez-vous fait ?A partir de 1976, le MLAC disparaîtprogressivement. Mais les mobilisa-tions ont continué : en 1979, nousavons obtenu que la loi votée pourcinq ans soit définitive et qu’un cen-tre d’IVG soit créé dans chaque hôpi-tal. En 1982, après de nouvelles mobi-lisations, nous avons obtenu leremboursement de l’IVG. Durant lesannées 90, ont eu lieu les premièresactions de commandos contre lesCentres d’IVG. La Coordination desassociations pour le droit à l’avorte-ment et la contraception (CADAC)s’est constituée en réponse à cesactions. On a obtenu la loi Neiertz le27 janvier 1993 sur le délit d’entrave.Mais il n’est reconnu qu’à l’intérieurde l’hôpital, ce qui explique que les

rassemblements anti-avortement dumouvement « Sos tout-petits » devantles hôpitaux ne soient pas interdits.Enfin, le 4 juillet 2001, nous obtenonsla loi qui reconnaît comme droitunique, le droit à la contraception età l’avortement et qui fait passer le délailégal pour ce dernier à 12 semaines.Enfin l’IVG sort du Code pénal et estinscrit dans le code de la santé.

où en est le droit à l’avortementaujourd’hui ?« L’IVG est davantage une concessionfaite aux femmes qu’un droit à partentière » (Rapport sur l’expertise de l’ac-

cès à l’interruption volontaire de gros-sesse en France, Haut Conseil à l’éga-lité entre les femmes et les hommes,2013). En clair, la sexualité fémininesans visée reproductive reste un taboudans l’inconscient collectif. De làdécoule, en partie, la difficulté à fairedu recours à l’avortement un droitcomme un autre.L’accès à l’IVG est mis à mal en pra-tique par la disparition des structures

de proximité. L’objectif d’un centred’IVG dans chaque hôpital se heurteà la logique néolibérale qui a déjà pro-voqué ces dix dernières années la fer-meture d’environ 130 centres d’IVGdans le cadre des « restructurations »des centres hospitaliers prévus dansla loi Bachelot. Les difficultés d’accèsà l’IVG dans certains territoires fontque le délai légal de 12 semaines estparfois dépassé. Les examens deman-dés ne sont plus effectués à l’hôpitalet les femmes doivent multiplier lesrendez-vous en libéral pour les écho-graphies et les prises de sang néces-saires, rallongeant d’autant les délaiset les coûts des actes. En outre, aumépris de la loi, certains établisse-ments ne pratiquent pas les avorte-ments entre 10 et 12 semaines de gros-

sesse. L’ultime recours est de se rendredans un pays où les délais sont supé-rieurs, notamment aux Pays-Bas, enEspagne ou en Grande-Bretagne.Par ailleurs, la parole des ultraconser-vateurs se libère et elle est plus visible.Il y a eu une vraie bascule au momentde la « Manif pour tous ». Lors du votede l’amendement pour supprimer lanotion de situation de détresse, desdéputés de l’opposition se sont insur-gés contre la « banalisation » du droità l’avortement. En représailles, des élusUMP ont même proposé le dérem-boursement de l’IVG qui a été retoqué.Soutenue par le pape, une « marche

pour la vie » avait rassemblé à Parisentre 16 000 et 40 000 personnes. C’est ce qui s’est passé en Espagne, en2013 quand le gouvernement conser-vateur de M. Rajoy a fait passer unprojet de loi visant à restreindre le droità l’avortement, effaçant la législationde 2010. Cette attaque s’inscrit dansl’offensive européenne des opposantsaux droits des femmes comme l’a illus-tré en décembre 2013 le rejet du rap-

port Estrela (Rapport sur la santé et lesdroits reproductifs, traitant de l’accèsaux contraceptifs et à l’avortement, dela procréation médicalement assistée,de l’éducation sexuelle et de la libertéde conscience) par le parlement euro-péen. Ce rapport proposait que l’avor-tement soit de la compétence del’Union européenne encourageantainsi tous les États membres à l’auto-riser. Ce refus d’accepter le droit desfemmes à disposer de leur corps, cettepersistance à les considérer commedes sous-citoyennes non autorisées àdécider par elles-mêmes désignentl’enjeu des luttes : quelle société vou-lons-nous ?Aujourd’hui nous continuons à nousmobiliser pour exiger l’abrogation dela loi Bachelot et un plan d’action pourla réouverture de centres à la hauteurdes besoins ainsi que l’améliorationdu service rendu aux patientes. LaMinistre Marisol Touraine a récem-ment fait des annonces dans le bonsens notamment la possibilité de l’IVGpar aspiration sous anesthésie localeen dehors des hôpitaux (dans les cen-tres de santé et les centres de planningfamilial). Mais il faudra continuer à semobiliser tous et toutes ensemble pours’assurer de la réelle mise en œuvre deces nouveaux dispositifs et du respectfondamental des femmes à disposerde leur corps. n

« La logique néolibérale a déjà provoquéces dix dernières années la fermeture

d’environ 130 centres d’iVg dans le cadredes “restructurations” des centres

hospitaliers prévus dans la loi bachelot. »

« Lors du vote de l’amendement poursupprimer la notion de situation de

détresse, des députés de l’opposition sesont insurgés contre la “banalisation” du

droit à l’avortement. »

*Maya Surduts est animatrice de laCoordination des associations pourle droit à l’avortement et lacontraception (CADAC).Propos recueillis par Nadhia Kacel.

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L’HistoiRe du fÉMiNisMe CoNteMPoRaiN et oCCideNtaL

Pour certaines anthropologues dont françoise Héritier, lesfemmes, quelles que soient les époques et les sociétés, onttoujours connu une situation de domination liée à la néces-sité pour les hommes de contrôler la reproduction et leurfiliation. s’il y eut des mouvements de femmes à différentsmoments de l’histoire, il faut attendre le xixe siècle pourdater généralement la naissance d’un mouvement fémi-niste. les théoriciennes s’entendent généralement pourdiviser le mouvement féministe à partir de cette époque entrois grandes périodes communément appelées « vagues ».sans qu’il y ait consensus face à la division historique de cesvagues. toutefois, certaines s’opposent à ce concept devague qui aurait pour effet de créer des conflits généra-tionnels entre les féministes.

la première vague du féminisme est caractérisée par larevendication de droits égaux en matières politique etprofessionnelle. des femmes veulent pouvoir exercer lesmêmes professions que les hommes. elles réclamentégalement de participer aux élections et d’être éligibles,comme le revendique en particulier le mouvement dessuffragettes, constitué surtout de femmes issues de labourgeoisie.la seconde vague du féminisme en france émerge dans lesillage de l’ouvrage de simone de Beauvoir, Le deuxièmesexe (publié en 1949), et provient plus généralement detransformations sociales profondes concernant tant l’ac-cès des femmes au travail que la contraception. le mouve-ment féministe de la deuxième vague au sein du mlf (dansles années 1970) est divisé en trois tendances principales.le courant féministe «  lutte des classes  » est issu dumarxisme et trouve sa source d’inspiration dans l’ouvraged’engels, L’Origine de la famille, de la propriété privée et del’État. selon ce dernier, l’inégalité sociale entre hommes etfemmes prend son origine dans l’avènement de la pro-priété privée. les femmes ne doivent donc pas lutter prio-ritairement pour leur émancipation, mais pour celle duprolétariat dans son ensemble. une fois la révolution réali-sée, les femmes également seront de fait libérées.le second courant théorique est le féminisme radical et, enparticulier, radical matérialiste. les femmes doivent cher-cher à lutter et à s’allier principalement entre femmes,

qu’elles soient bourgeoises ou ouvrières, plutôt que sur labase d’une classe économique où elles se retrouveraientavec des hommes qui ne tiendraient pas compte de leursproblèmes spécifiques. elles se considèrent comme vic-times d’une exploitation de leur travail dans les tâchesménagères et l’éducation des enfants : ce sont des tâchesqu’elles effectuent gratuitement. Parmi les théoriciennesde ce courant, on peut citer christine delphy.le troisième courant est aussi un courant féministe radical,mais différentialiste. il insiste sur la différence naturellequi existerait entre les hommes et les femmes. Pour cesféministes, les femmes doivent revendiquer la reconnais-sance de leur spécificité. ce courant est porté en particu-lier dans les années 1970 par antoinette foulque sous lenom de Psychanalyse et politique, psyché-po.

aCtuaLitÉ du MouVeMeNt fÉMiNisteeN fRaNCedans le sillage du mouvement de grève de décembre 1995,le mouvement féministe en france se donne une nouvelleimpulsion autour d’une unification des forces féministes.c’est ainsi qu’en janvier  1996 se crée le collectif nationalpour les droits des femmes (cndf). ce collectif réunit à lafois des organisations politiques, des syndicats et desassociations féministes. se situant dans le sillage du mou-vement féministe de la seconde vague, il privilégie des thé-matiques telles que la lutte contre les violences faites auxfemmes, la défense du droit à l’avortement ou encore l’éga-lité dans le travail. ce sont les mêmes organisations quel’on retrouve en france dans la marche mondiale desfemmes (créée en 1998) qui organise tous les cinq ans unévénement mondial.À côté de ce mouvement féministe sont apparus des col-lectifs féministes, réputés composés de militantes plusjeunes et dont les analyses, les revendications et les stra-tégies d’action ont pu entrer en contradiction avec cellesqui étaient présentées par leurs aînées. c’est ce que l’onappelle la troisième vague du féminisme. ces jeunesféministes, marquées par l’introduction en france, et enparticulier dans les milieux universitaires, de nouvellesproblématiques venues des états-unis, mettent en avantla difficulté à penser la catégorie de femme comme unecatégorie unifiée.

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sentation politique considéréecomme en « crise ». Les femmes sevoient « dotées de toutes les qualitéspour rénover la démocratie – proxi-mité au terrain, écoute, sensibilité auxproblèmes concrets et au quotidien

de leurs concitoyens ». La promotionde l’égalité entre en tension avec lareconduction des stéréotypes sexués.

les effets de la réformeParitaireDans un premier bilan, MarionPaoletti parle de « révolution conser-vatrice » alliant « conservation et [...]changement profond ». Le caractèreconservateur de la réforme se donnenotamment à voir dans le processusde légitimation des femmes en poli-tique. Dans la continuité des débatssur la parité, les premiers scrutins sou-mis à la contrainte paritaire fonction-nent comme des scènes de reproduc-tion de féminités conventionnelles.Les attributions sexuées qui contri-

buent à mettre les femmes en avantsur la scène électorale conduisentégalement à leur relégation dans ladistribution des responsabilités élec-tives.Pour sa part, le changement concernel’irruption de femmes à des niveaux

politiques inédits. Si le scrutin prési-dentiel n’est pas juridiquement sou-mis à la règle paritaire, la désignationde Ségolène Royal comme candidatedu Parti socialiste en 2007 doit beau-coup à la dynamique paritaire.Aujourd’hui et du fait de la contraintelégale, les assemblées élues au scru-tin à la proportionnelle sont paritaires– il en sera bientôt de même desassemblées départementales. Lescompositions des exécutifs munici-paux (seuil de + de 1 000 habitantsdepuis le renouvellement de 2014),régionaux – et bientôt départemen-taux – le sont aussi.Reste la sexuation flagrante des posi-tions de pouvoir au sein de ces ins-tances. Sur la mandature 2008-2014,seulement 14,4 % des maires des36 646 communes françaises étaientdes femmes. Une étude menée sur lesvilles moyennes montre que les deuxdélégations les plus prestigieuses quesont les finances et l’urbanismeétaient masculinisés à hauteur de 80et 78 % à la même période. Pour cequi concerne le scrutin législatif, oùla parité est incitative (pénalité finan-cière) et non pas stricte, les femmesreprésentaient en 2012 à peine plusd’un quart (26,9 %) des personnesélues au palais Bourbon.

En résumé, en politique, l’identitéfemme reste globalement stigmati-sée. Elle ne peut être mise en avantqu’avec parcimonie. Pour les femmes– encore plus que pour les hommes

–, ce sont des propriétés politiquesclassiques qui permettent de faire car-rière : haut niveau de diplôme, expé-rience partisane et/ou élective, pas-sage par les entourages d’élues ouélus, soutien de personnalitésinfluentes et établies en politique, etc.

PAR CLÉMENT ARAMBOUROU*

P our Joan Scott – reprenant lemot d’Olympe de Gouges – leféminisme français « n’a que

des paradoxes à offrir et non des pro-blèmes faciles à résoudre ». Il en vaainsi de la parité en politique. En 1982, Gisèle Halimi – alors dépu-tée – fait voter un amendement dis-posant que « les listes de candidats[aux élections municipales] ne peu-vent comporter plus de 75 % de per-sonnes de même sexe ». Dans sa déci-sion du 18 novembre 1982, le Conseilconstitutionnel considère que l’uni-versalisme qui imprègne le bloc deconstitutionnalité s’oppose à ce qu’ily ait « division par catégories des élec-teurs ou des éligibles ». La dispositionlégislative précédemment citée estdonc jugée inconstitutionnelle. Cettedécision de justice va conditionner lastratégie paritaire. Définie commeune « égalité parfaite » (50-50), laparité est ainsi censée se distinguerdes quotas associés au multicultura-lisme anglo-saxon et jugés nonconformes au modèle républicain.

les lois sur la ParitéL’étude des débats politico-média-tiques ayant précédé le vote de la révi-sion constitutionnelle du 8 juillet 1999devant permettre l’adoption desfutures lois dites sur la parité – elleénonce que « la loi favorise l’égal accèsdes femmes et des hommes aux man-dats électoraux et fonctions électives »– montre que deux stratégies rhéto-riques pro-paritaires dominèrent.Il s’agit d’abord et premièrement decelle des « républicains paritaires »rendant compatible universalismefrançais et quotas sexués en affirmantl’universalité d’une différence dessexes présente en toute société ettranscendant les divisions de classe,de religion, d’ethnicité, etc.Il s’agit ensuite et secondairement dudiscours des féministes différentia-listes louant l’apport des expérienceset conceptions typiquement fémi-nines à l’exercice d’un pouvoir poli-tique vu comme amputé de l’apportd’une moitié de la société. La réformeparitaire est alors érigée « en moyende perfectionnement » d’une repré-

la Parité : entre Progressisme et conservatismeLes lois sur la parité ont propulsé, certes, les femmes à des niveaux poli-tiques inédits mais ont peu changé les mentalités à leur égard ; elles occu-pent en majorité des postes subalternes.

« La promotion de l’égalité entre en tension avec la reconduction des stéréotypes

sexués. »

« Les attributions sexuées qui contribuentà mettre les femmes en avant sur la scène

électorale conduisent également à leurrelégation dans la distribution des

responsabilités électives. »

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Pour les hommes, les discours de rela-tive valorisation du féminin n’ont pasconduit à réellement dévaluer leursidentités de genre en politique. Certes,les qualités qui leur sont symbolique-ment associées – carriérisme, tech-nocratisme, culture de l’entre-soi etfermeture à ladite société civile,conformisme – ont subi une critiqueredoublée du fait de la rencontre desrhétoriques pro-paritaire et pro-proxi-mité. Cependant, les propriétés(diplômes, expériences, disponibilitétemporelle, etc.) associés à ces défautsapparents continuent à fonctionnercomme des ressources politiquesobjectives. De plus, la politisation desidentités sexuelles leur offre à euxaussi la possibilité de jouer du genre.Ainsi, et à condition qu’elle apparaissecomme relativement rénovée – unealliance de sensibilité et de fermetésemble idéale –, la masculinité peutfonctionner comme un complémentutile des ressources politiques clas-siques. Logique assez comparable àcelle du jeu sur la féminité, si ce n’estque le jeu sur la masculinité est bienmoins susceptible de conduire à desprocès en incompétence ; la diffé-rence est donc de taille. Plus installés

que les femmes en politique, leshommes cooptent généralement cesdernières qui deviennent ensuite desaffidées. Certains hommes se rabat-tent encore sur des mandats straté-giques non soumis à la contrainteparitaire, tel que celui de présidentd’intercommunalité.

Prise en comPte del’égalité des sexes dansles Politiques PuBliques Une autre question est celle des liensentre parité et production de poli-tiques publiques en faveur desfemmes. Les revendications pro-pari-taires ont permis la prise en comptedes dominations professionnelles etdomestiques subies par les femmes.Cependant, la prise en compte del’égalité des sexes dans les politiquespubliques est loin d’être pérenne.Cette dernière est généralement favo-risée par un contexte de croissanceéconomique. L’élément le plus déter-minant est un volontarisme dépen-dant largement des anticipations desprofits politiques envisageables.L’égalité des sexes se trouve alorsconcurrencée par une large et indé-terminée « diversité » qui conduit à

sa dilution. Ce processus est redou-blé par la tendance à la relégation desstructures gouvernementales dédiées.Il est encore renforcé par le caractère

transversal de politiques publiquespeu légitimes aux yeux de responsa-bles administratifs et politiques nonspécialisés dont l’engagement dansdes partenariats en faveur de l’éga-lité des sexes est pourtant crucial. Lebilan reste donc mitigé. n

*Clément Arambourou est politiste.Il est docteur en sciences politiquesà l’IEP Bordeaux.

« sur la mandature2008-2014,

seulement 14,4 %des maires des

36 646 communesfrançaises étaient

des femmes. »

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cateur qui signale l’effet des disposi-tifs du militantisme dans l’actualisa-tion de la domination masculine.

Certes, la sociologie du militantismeinsiste davantage sur les dispositionsdes militantes et militants : socialisa-tion militante et capital culturel sontmis en avant au moment de recons-truire les trajectoires militantes et leurplus ou moins grande intensité. Demême, il ne faut pas négliger la « dis-ponibilité biographique » (McAdam)pour le travail militant. Or, en lamatière, femmes et hommes ne sontpas égaux.

Si certaines professions sont plus dis-ponibles pour le travail militant – enparticulier les métiers de l’enseigne-ment et du travail social – les trajec-toires familiales sont aussi décisives.Joue alors la manière dont le travaildomestique lié à la charge parentaleest organisé. Moins les pères assumentcette charge, physiquement et men-talement, moins les mères militent.Dès que les femmes sont libérées del’expérience de l’exploiteur dans lasphère domestique – grâce au célibatou grâce à un conjoint de « bonne

volonté » – elles deviennent plus dis-ponibles pour le travail militant.

Mais ce mode d’analyse néglige com-bien l’organisation du travail militantest productrice ou non de disponibi-lité. Pensons à la rigidité des horairesde réunion ou d’assemblée généralequi exclut certaines catégories, ou

encore à la mise en place ou non decrèches au sein des espaces militants.

le moment militant : qui travaille ?Le travail militant doit inclure toutesles tâches qui dessinent le travail réelet non le seul travail prescrit (par lesdominants). Par exemple, nettoyer lasalle de réunion, porter les banderoles,faire le café, arriver en retard, se taire,etc. sont autant de tâches à prendreen compte afin de repérer que tous les« travailleurs du militantisme » travail-lent mais n’accèdent pas aux mêmespositions. La division du travail mili-tant – sous prétexte d’efficacité, de dis-cipline, de compétence, de timidité,etc. – actualise alors une dominationmasculine que l’on ne peut analysersans prendre en compte la sélectionde classe qui la structure.

Les hommes les plus dotés en capitalmilitant et/ou culturel, dont les trajec-toires de vie sont souvent éloignées decelles des gens qu’ils prétendent défen-dre, prescrivent une organisation hié-rarchisée du travail militant puis s’ap-proprient les tâches les plus valoriséeset les tâches de pouvoir (présider uneréunion, prendre la parole, rédiger untract, répondre aux média, participerà une délégation, faire une longue ana-lyse, etc.). Présents dans tous lesmoments militants décisifs, ils sontconnus et bénéficient d’un « capitalcharismatique » qu’ils savent créer etentretenir.

Les hommes les moins bien classéssont autorisés – par contrainte ouvolontariat contrôlé – à alterner entredeux positions en fonction de la quan-tité de travail militant sécrétée par lemilitantisme. Soit ils parviennent às’approprier une tâche précise (res-ponsable de la sécurité, des photoco-pies, du matériel, de l’animation, etc.)et à obtenir ainsi une place dans la hié-rarchie intermédiaire. Soit le momentmilitant, strictement contrôlé, n’auto-rise pas le déploiement de tâches mul-tiples et un mode de participation

PAR XAVIER DUNEZAT*

s i le militantisme active et pro-duit des solidarités et des dyna-miques émancipatrices, il n’est

pas un monde hors sol préservé de ladomination. Cette évidence négligesouvent le fait que les pratiques mili-tantes ne font pas que reproduire lescontradictions sociales : elles en pro-duisent aussi. La notion de divisionsexuelle – ou sexuée – du travail mili-tant vise alors à objectiver la domina-tion masculine au sein du militan-tisme. Non seulement les rapportssociaux de sexe ne s’arrêtent pas auxportes de l’acte militant mais, en plus,les formes d’organisation du travailmilitant sont plus ou moins domina-trices et donc plus ou moins émanci-patrices pour les femmes.

l’accÈs au travailmilitant : qui milite ?Quel que soit l’espace militant consi-déré (parti, syndicat, mouvementsocial…), l’entrée dans l’acte militantest certes sexuée mais pas de manièremécanique. Par exemple, dans l’entre-deux-guerres, la CFTC comprenait50 % de femmes parmi ses adhérents

et jusqu’à 30 % dans son bureau natio-nal, ce qui contrastait avec la forte mas-culinisation de la CGT. De même, dansles mouvements de chômeurs de 1998,la part des femmes variait entre 25 %et 40 % selon les villes. Dans les mobi-lisations de sans-papiers, la part desfemmes varie entre 10 % et 50 % selonles villes. Cette variabilité est un indi-

le militantisme n’écHaPPe Pas au PatriarcatC’est par ce titre provocateur qu’un édito de la revue Nouvelles QuestionsFéministes ouvrait, en 2005, un dossier consacré aux « logiques patriar-cales du militantisme » et rendait visibles diverses recherches sociolo-giques, inspirées par les travaux de danièle Kergoat, sur la « divisionsexuelle du travail militant ».

« La division du travail militant – sousprétexte d’efficacité, de discipline, de

compétence, de timidité, etc. – actualisealors une domination masculine que l’on ne

peut analyser sans prendre en compte lasélection de classe qui la structure. »

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*Xavier Dunezat est sociologue. Il estprofesseur de sciences économiqueset sociales.

inactive se développe. Les hommess’ennuient et se sentent inutiles : relé-gués à des positions de spectateur dutravail militant des dominants, ils netiennent que si un intérêt individuel(l’obtention de papiers, une satisfac-tion financière, etc.) les y incite. Engénéral, ces hommes hésitent entretrois attitudes : obéir aux leaders, quit-ter le travail militant ou entrer enrévolte (quand « leur » tâche disparaît).

Cette division sexuelle du travail mili-tant enferme les femmes dans uneposition dominée mais aux contourshétérogènes. Les moins bien classéesadoptent un mode de participationinactive. Parfois, elles parviennent àse créer un espace de travail militantvia les tâches à connotation domes-tique ou les tâches de présence maisleur travail n’est pas reconnu et ellesne deviennent pas visibles. Ce sontelles qui se démobilisent avec le plusde rancœur car l’espace militant a

structuré leur vie avec autant de vio-lence que l’espace professionnel oudomestique.

Celles qui disposent de capital mili-tant et/ou culturel font d’abord uneentrée réservée dans l’activité mili-tante, souvent parce qu’elles viventmal l’ordre qui y est prescrit (mascu-lin). Si elles parviennent à tenir, ellesvont successivement adopter un modede participation disponible (en faisantdiscrètement toutes les tâches, peuvisibles, nécessaires à la pérennité del’action militante) puis un mode departicipation active, notammentlorsque les conflits viennent déstabi-liser et précariser l’acte militant. Ellesentrent alors pleinement dans le tra-vail militant, même le travail prescrit,et elles s’autorisent à en modifier lecontenu ou à l’élargir. Par exemple,leur présidence de réunion sera pluscollective et plus soucieuse de ne pastrancher un débat par un vote excluant

pour la position minoritaire. De même,elles proposent des temps militantsplus conviviaux – comme des repas –à la fois efficaces en termes d’apaise-ment des conflits et épuisants pourelles sous l’effet d’une reconversionmasculine des pratiques de domina-tion issues de la sphère domestique.

Bref, la division sexuelle du travail mili-tant est une dynamique complexedans laquelle la hiérarchie entrehommes et femmes est actualisée sansbénéficier à tous les militants… nidéfavoriser de manière homogènetoutes les militantes. Mais la criseactuelle du militantisme progressistene saurait être résolue tant que cettedynamique n’est pas davantage com-battue. n

aPPel de l’uecPouR La tRoisièMe ÉditioN de La seMaiNe du fÉMiNisMe du 9 au 15 MaRs 2015Le féminisme, un souffle de liberté pour toute la société.dans la france de 2015, les défis en matière d’égalité hommes-femmes posés à l’enseignement supérieur et à l’ensemblede la société sont gigantesques. aujourd’hui encore, des cli-chés sexistes biaisent l’orientation universitaire et profes-sionnelle de milliers d’étudiantes (seulement 27 % de femmesen écoles d’ingénieurs). aujourd’hui encore, l’intimidation,le harcèlement sexuel et le viol sont pratiques courantessur les campus, sans que ces atteintes à la personne ne soientsanctionnées en conséquence. aujourd’hui, encore, des soi-rées sexistes régressives se déclinent sur les facultés avecdes images dégradantes pour les étudiantes.

et pourtant, nous pouvons en finir avec tout cela. les pro-positions et les expériences nouvelles existent : mettons unterme à la répartition selon le genre des filières et brisonsles clichés par le travail d’éducation. Permettons l’égalitésalariale réelle, par le cadrage des diplômes. adoptons deslois protégeant les victimes d’agressions sexuelles, commeen californie ces derniers mois, et travaillons avec les asso-ciations étudiantes, avec les universités, pour faire reculerle sexisme et les atteintes aux personnes ! de grands pro-grammes ambitieux pour l’égalité des sexes peuvent met-tre fin à l’injustice que nous connaissons.

malgré les Zemmour et consorts qui prônent le retour enarrière, la france doit aller de l’avant. avec le féminisme,c’est la question de la liberté qui est posée, et dans toutesses dimensions : liberté de se déplacer, liberté dans ses choixde vie et de parcours, liberté dans la maîtrise de son corps,dans l’expression de ses potentialités.

en privant les femmes d’une liberté pleine et entière, c’estl’ensemble de la société qui s’ampute d’une liberté réelle etvéritable. le féminisme, projet révolutionnaire qui vise àémanciper la société des rapports de domination entre leshommes et les femmes, répond à ce besoin de liberté.

À travers la troisième édition de la semaine du féminisme,du 9 au 15 mars 2015 c’est ce grand projet libérateur quenous souhaitons mettre en avant. nous invitons l’ensembledes étudiantes et des étudiants à participer à cette nou-velle « semaine du féminisme ». c’est l’occasion d’en appren-dre plus lors des conférences tenues pour l’occasion ; deprendre contact avec les associations présentes, de les sou-tenir dans leur combat. c’est l’occasion enfin de se mobili-ser, de convaincre étudiants, amis et collègues de l’impor-tance du combat, et de les associer à nos projets d’avenir.

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ernest Brasseaux* réagit au dossier « liberté ! » paru dans La Revue du projet, n° 43, janvier 2014.

Le dossier sur la liberté paru début janvier, avant les atten-tats, dans La Revue du projet, n’évoquait guère les atteintesimmédiates à la liberté d’expression. on a beaucoup parlé,depuis lors, de celles perpétrées par des fanatiques. on parleun peu aussi des prétextes que ces attentats procurent auxgouvernements pour surveiller, encadrer et réprimer, moinsles vrais terroristes que les récalcitrants, les syndicats, lesnon-conformistes.

je voudrais insister ici sur le fait que les réductions multiplesaux libertés traditionnelles, dans les sociétés occidentales,se déploient un peu partout par petites touches, et pas seu-lement dans des moments spectaculaires. C’est ainsi qu’ontété mises en place des vidéosurveillances généralisées, desbarrières, fermetures, portes dites de sécurité, etc. C’est ainsique les franchises universitaires ont disparu. C’est ainsi quel’action syndicale est souvent présentée comme criminelleou terroriste, sous prétexte qu’un dirigeant a été retenu cinqminutes ou qu’un meuble de bureau a été poussé ou éraflé.Ces grignotages de libertés ont certes provoqué quelquesprotestations, mais peu de mouvements d’envergures de lapart des défenseurs des droits de l’homme.

Voici un autre exemple assez inquiétant : les ZRR. si vous tapez« ZRR » sur google, vous obtiendrez « zone de revitalisationrurale », mais dans la recherche publique c’est... « zone àrégime restrictif ». Le syndicat national des chercheurs scien-tifiques (sNCs-fsu) a donné l’alerte depuis quelques années,sous le titre : « toute la recherche française derrière des bar-belés ? ». Nous le citons ici (SNCS-Hebdo, 21 janvier 2014) :

« Quelques textes discrets – si discrets qu’il y a parmi eux unarrêté ministériel secret ! – sont récemment parus, sous pré-texte de renforcer le dispositif de “protection du patrimoinescientifique et technique” de la nation. si le mouvement a étéinitié, en 2011, par françois fillon alors premier ministre, c’estbien un arrêté de jean-Marc ayrault, en juillet 2012, qui a placéla totalité des disciplines scientifiques (à l’exception dessciences humaines et sociales) dans la liste des “secteursscientifiques et techniques protégés”.

Les conséquences du déploiement de ce nouveau disposi-tif sont terrifiantes. Les établissements publics sont chargésde mettre en place des “zones à régime restrictif” (ZRR) dontl’ensemble est appelé, dit la circulaire du secrétaire généralde la défense et de la sécurité nationale (sgdsN) du 7 novem-bre 2012, à former “une communauté de confiance danslaquelle les échanges scientifiques sont facilités”. Mais à quoipeuvent servir des échanges intérieurs “facilités” si on ne peutplus communiquer avec l’extérieur ?Quant aux chercheurs, aux équipes, aux laboratoires quiauront réussi à éviter l’engluement dans ce qui s’annonce déjàcomme un dispositif kafkaïen, la promesse qui leur est faiteest clairement une multiplication des entraves à leurs liber-tés académiques, pourtant garanties par l’article L952-2 duCode de l’éducation. il faut arrêter cette machine infernale !Nos craintes sont-elles exagérées ? La circulaire n°3415/sgdsN/aistPst n’y va pas par quatre chemins : ”L’objectifest d’empêcher que les personnes ayant accès à des unitésde recherche et de production ou qui se trouvent en contactavec les chercheurs ou les industriels qui y travaillent, acquiè-rent la connaissance de savoirs ou savoir-faire à l’insu du chefde service ou du responsable de ces unités.” il ne s’agit doncpas seulement de calfeutrer les laboratoires, mais aussi demuseler les chercheurs, quelque “savoir” qu’ils aient envie detransmettre, même au coin de leur feu. Pour faire répéter sestables de multiplication à ma petite nièce, il faudra, selon cettecirculaire, que j’en réfère à mon directeur d’unité ! »-Récemment, dans le cadre de la loi Macron, il est question desupprimer d’autres libertés de communication des recherchesau nom du « secret des affaires » et de punir d’amendes invrai-semblables et de prison ceux qui auraient diffusé des informa-tions scientifiques déplaisant à telle ou telle multinationale. n

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*Ernest Brasseaux est historien des sciences.

« il ne s’agit donc passeulement de calfeutrer leslaboratoires, mais aussi demuseler les chercheurs »

toute la recherche françaisederrière des barbelés ?

« je voudrais insister ici sur le fait que les réductions

multiples aux libertéstraditionnelles, dans les

sociétés occidentales, sedéploient un peu partout par

petites touches, et passeulement dans des moments

spectaculaires. »

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ENTRETIEN RÉALISÉ PAR LÉO PURGUETTE

le grand entretien

articuler la lutte contrele racisme à la questionsocialeaprès les événements tragiques de janvier et l’immense réaction populaire,les débats sur le « vivre ensemble » qui montent dans la société françaisedepuis plusieurs années, prennent une acuité particulière. fabienne Haloui,responsable du secteur Lutte contre le racisme du Conseil national du PCflivre le point de vue et l’analyse des communistes.

ès l'annonce du massacreà Charlie Hedbo, marinele Pen a indiqué que "cetattentat doit libérernotre parole". diriez-

vous que c'est ce qui s'est passé ?Nous avons assisté à un puissant mou-vement rejetant le terrorisme, réaffir-mant notre attachement aux libertés etau vivre ensemble, pour que la fraternitél’emporte sur la haine, pour que la tolé-rance soit un principe de vie commune.Ce sursaut citoyen est porteur d’espoiret encourageant. en même temps nousne pouvons ignorer que les actes contreles « citoyens d’apparence arabo-musul-mane », en 1 mois, ont été supérieurs àceux enregistrés pour toute l’année 2014.Le racisme ordinaire, celui dont on neparle pas mais qui humilie, rabaisse, rejettes’est totalement décomplexé (insultes,hostilité, crachats, agressivité contre lesfemmes voilées, hostilités dans le regard,propos totalement décomplexés, aggra-vation des comportements discrimina-toires). La « gestion d’incidents » surve-nus dans quelques établissementsscolaires, leur instrumentalisation pardes responsables politiques vise à créerun « problème musulman ».

quel regard portez-vous sur lespropos de nétanyahou invitant lesjuifs de france à partir vivre enisraël après la tuerie de l'Hypercacher ?

Pourquoi utiliser le terme « juifs defrance » : ces derniers seraient-ils unecommunauté distincte de la commu-nauté nationale qui n’aurait pas voca-tion à rester en france car vouée à « l’er-rance » ? Nétanyahou a instrumentalisécet assassinat pour sa campagne élec-torale en israël en se présentant comme« le seul à faire face au monde arabe età l’islam » (sous tendu la france n’y faitpas face). de la part d’un responsablede milliers de morts à gaza l’été dernier,c’est inacceptable ! il accrédite l’idéeque tous les juifs du monde ont deuxpays, celui où ils vivent et israël, ce quiest dangereux. Celui qui pratique le ter-rorisme d’État, en bafouant le droit inter-

national, porte atteinte à la sécurité desjuifs, qu’ils vivent en israël ou dans d’au-tres pays ; Nétanyahou est un de cespompiers pyromanes qui alimente cequ’on nomme le nouvel antisémitismeet auquel Manuel Valls répond demanière dangereuse : une hiérarchisa-tion des racismes qui alimente la concur-rence mémorielle et le « 2 poids 2mesures ». Cette attitude est mortifère :

elle fait le lit de ceux que Valls prétendcombattre, je pense aux réseaux sora-liens.

la notion de « vivre ensemble » estdans toutes les bouches, quelcontenu y placent les commu-nistes ?je préfère poser la question de bien vivreensemble. on a beaucoup parlé, ces der-nières semaines de liberté, de fraternitéet de laïcité. on a moins parlé d’égalité.Le vivre ensemble est un slogan creux sion ne s’attaque pas à la gangrène desinégalités sociales qui sont le fruit despolitiques néolibérales et des politiquesd’austérité, si on ne mène pas, dans un

même mouvement, la bataille pour l’em-ploi, une meilleure répartition desrichesses, la construction de logementssociaux, les services publics mais aussila lutte contre les pratiques racistes etdiscriminatoires. Pas d’égalité sans soli-darité. Pas de vivre ensemble sanséchanges. Ce qui est posé c’est la constructiond’une société du bien vivre ensemble

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« il faut s’attaquer aux mécanismesprécoces d’enfermement des individus

dans des destins tracés d’avance. »

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fraternelle laïque non discriminante danslaquelle tous et toutes se reconnaissent.Le bloc identitaire ou Éric Zemmour, àpropos des musulmans, évoquent l’im-possible mélange d’un peuple dans unpeuple. aussi, je suis choquée queManuel Valls utilise la notion de peuple-ment pour lutter contre un apartheidterritorial, social, ethnique qui se seraitimposé à notre pays !surtout après ses propos et ses actesenvers les Roms !Manuel Valls est une fois de plus sur leterrain de la racialisation des rapportssociaux. s’il s’agit de lutter contre la ghet-toïsation, le cumul des inégalités et desdiscriminations, il faut le faire avec lespersonnes concernées, avec commebut l’égalité des territoires et des per-sonnes. il faut s’attaquer aux méca-nismes précoces d’enfermement desindividus dans des destins tracésd’avance.

la laïcité et l'école républicainesont invoquées pour faire barrage àla montée du communautarisme etdes haines. est-ce suffisant ?de quelle école républicaine parle-t-on ?de celle qui ne croit plus à la pédagogieet au dialogue au point de convoquerdans les commissariats des enfants pourapologie du terrorisme, de celle qui veutfaire rentrer dans le rang à coups d’in-jonctions « laïques » cette jeunesse quia le sentiment que l’unité nationale s’estfaite contre eux, ces éternels exclus dela République.il y a des dérives dangereuses exploitéesmédiatiquement et politiquement quipeuvent faire le jeu des faiseurs de hainede tous bords. Ce n’est pas de cette écoledont nous avons besoin.un livre édité par la LiCRa, 100 mots pourse comprendre pour lutter contre leracisme et l’antisémitisme, vient d’êtrepublié sur le site eduscol du ministèrede l’Éducation nationale. Les auteurs de ce livre ont fait le choixde privilégier la défense d’israël à la luttecontre le racisme et l’antisémitisme ;c’est leur droit, mais y a-t-il, comme ledemande Pascal boniface, quelqu’un,au ministère, qui a relu ce livre avant dele référencer ? La caution de cet ouvragepar l’Éducation nationale risque plus defaire monter les tensions que de susci-ter de l’apaisementLes écoles privées, religieuses ou non,sont de plus en plus nombreuses, la

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mixité sociale n’existe plus dans cer-taines écoles publiques. face à cetteréalité, le gouvernement se refuse à réta-blir une carte scolaire contraignante…l’école avec un grand e est un mythe !Pour permettre à toute la jeunesse deprendre sa place dans la république, troisquestions sont posées à la société :

• La question de la laïcité, son sens et lamanière dont elle est pratiquée• La question de la culture communepour faire société• La question de l’égalité des droits dansla République

les débats récents font ressurgirl'idée de nation. quelle définitionles communistes lui donnent-ils ?Partons de la citation de Renan lors desa conférence donnée en sorbonne en1882, et publiée par la suite dans les

discours et conférences, en 1887 :« une nation est une âme, un principespirituel. deux choses qui, à vrai dire, n’enfont qu’une, constituent cette âme, ceprincipe spirituel. L’une est dans le passé,l’autre dans le présent. L’une est la pos-session en commun d’un riche legs desouvenirs ; l’autre est le consentementactuel, le désir de vivre ensemble, lavolonté de continuer à faire valoir l’héri-tage qu’on a reçu indivis. »Ce texte est devenu l'emblème d'une« conception française » de la Nation,basée sur la volonté d'une populationde former une nation, par opposition àune conception allemande censée êtrebeaucoup plus essentialiste (fondée surla race, la langue et la religion). on dit quela france est une Nation politique. sauf qu’en réservant la participation poli-tique aux nationaux en refusant le décou-plage entre citoyenneté et nationalité,elle refuse l’exercice du droit de vote auximmigrés extra-européens. C’est uneentorse au principe d’égalité. La Nationce n’est donc pas seulement une réalitéobjective, c’est un imaginaire dans la façonde se représenter le peuple, un récit col-lectif. La france de Marine Le Pen et d’ÉricZemmour relève d’un fantasme qu’il nousfaut démystifier. La france, c’est un bras-sage d’identités locales, régionales, étran-gères : c’est un pays d’immigration depuisbien plus d’un siècle mais qui ne s’assumepas comme tel. 1/3 des français ont unascendant étranger si on remonte auxarrières grands-parents : 22 millions !

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« Notre modèlerépublicain

universaliste est unidéal et non une

réalité. »

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C’est considérable ! Ne manque-t-il pasà notre récit collectif quelques chapitres,comme celui de la colonisation et de l’im-migration ?La france est multiconfessionnellecatholique, protestante, juive, agnos-tique, athée. La france est aussi musul-mane, c’est un fait de société incontes-table. Certes, l’acceptation de cettediversité religieuse s’est souvent faitedans la conflictualité mais soyonsconvaincus que nous avons des actes àproduire pour que la france s’assumetelle qu’elle est.Notre modèle républicain universalisteest un idéal et non une réalité. il reste àréinventer à une époque où la france estdans le monde et le monde est dans lafrance.

la place croissante occupée dans ledébat public par la religion, l'origineethnique, contribuent à opposerdes citoyens ayant des intérêtscommuns. comment reconstruireune conscience de classeaujourd'hui ?ils sont français depuis 2 ou 3 généra-tions et on les appelle « français issusde » en opposition aux autres les français« de souche ».un glissement lexical s’opère, on parle,désormais, de Maghrébins, de Noirs,d’arabes, d’africains. La question de l’ori-gine devient centrale et en totale oppo-sition avec « nos principes universa-listes ». C’est ce qu’on appelle l’ethnicisation desrapports sociaux. il s’agit d’un nouveau

racisme, d’un racisme sans races qui sefocalise sur les différences culturellesou religieuses. Les modes de vie et la culture se trans-mettent de génération en génération, la« race supérieure » étant celle qui portesa civilisation, la « race inférieure » étantjugée en fonction de sa distance à cettecivilisation… et de sa capacité à s’assi-miler, comme a pu le dire le regrettéRobert Castel. Cette vision « essentialiste » est inscritedans notre histoire, celle de la traitenégrière, du code de l’indigénat en terrescoloniales et de l’immigration hiérarchi-sée sur un concept culturel.Ce racisme permet la construction de« l’éternel immigré », si tu es « originairede » ; d’autres sont de « souche », ta cou-

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PAR FRÉDÉRICK GENEVÉE*

la décision de l’ouverture des arcHivesL’ouverture des archives du PCF a été décidée en 1993.Elle est le résultat d’un processus ancien mais contra-dictoire car le PCF n’a pas conduit de véritable politiqued’archives avant 1993. Un travail de documentation, deproduction d’une masse importante de documents étaitréalisé dont une partie était à la suite des décisions duIVe congrès de 1922 transmise à l’Internationale com-muniste avant 1940 et sans doute après 1945 au PCUS.Mais aucune différence n’était faite entre archives défi-nitives – celles qu’exploitent les historiens – et archivescourantes – qui servent de documentation de travail.Certaines archives furent utilisées pour produire une his-toire hagiographique et officielle puis à partir des années1970, elles furent ouvertes à des chercheurs commu-nistes. Et même ces derniers se virent retirer pendantcertaines périodes la possibilité d’y travailler.La décision de 1993 a été prise en réponse à l’ouverturedes archives de l’Internationale communiste à Moscouaprès la dissolution de l’URSS. Cette décision d’ouver-ture arbitrée par Georges Marchais n’allait pas de soi, lecontexte aurait pu produire l’inverse et le repli.

une Preuve de transParenceInséparablement, les années 1990 furent le moment d’undéchaînement des polémiques à base historique dontbeaucoup avaient à voir avec l’histoire du communismeet du PCF. Il s’agissait de démontrer que la Résistancen’avait été que trahison et ambiguïté, que tel ou tel per-

sonnage politique était un agent soviétique, que le com-munisme était par essence criminel. La preuve de toutcela se serait trouvée à Moscou, à Prague et qu’il suffi-sait d’exhumer le ou les documents preuves irréfutablesde ces assertions. Or, il s’est avéré que le geste de l’ouverture de 1993 acontribué à démonter cette histoire du soupçon. L’accèspossible par tous de ces archives démontrait qu’il n’yavait rien à cacher. Il permettait de nouvelles recherchesqui se poursuivent aujourd’hui, centrées sur l’histoiredu PCF ou touchant à d’autres domaines plus larges :histoire diplomatique, histoire culturelle... Recherchesmenées aussi bien en France qu’à l’étranger. Il y a commeune forme de banalisation des archives du PCF aprèsune période de polémique-spectacle.

l’effet de l’ouverture sur le PcfL’ouverture des archives de direction a posé celle desarchives ayant trait aux exclusions et affaires politiques.En 1997, les exclusions pour raisons politiques ont étédéclarées nulles et non avenues comme si l’ouverturedes archives permettait de renouer et de revenir sur lepassé. L’ouverture totale permettait ainsi une révisiongénérale des exclusions. C’est d’ailleurs Francette Lazardqui fut à la fois à l’origine de la décision sur les archivesqui rapporta à la direction du PCF sur ces exclusions etproposa de les annuler. Réintégrer même symbolique-ment ou proposer de revenir à ceux qui dans la mémoirecommuniste avaient pu être considérés comme des traî-tres ou même totalement effacés accompagna, voire futle fruit de cette dynamique autour des archives.

La mémoire et sa politique sont des nécessités anthro-pologiques. Il est donc légitime que l’État et les organi-sations politiques conduisent des politiques de lamémoire. Dans un contexte démocratique, ces différentsacteurs sont en concurrence et s’affrontent au sein duchamp de la mémoire.

Le PCF quant à lui a un rapport étroit avec son passépour plusieurs raisons. Il a d’abord une longue histoirede bientôt cent ans dont il peut être fier. Le PCF a aussijoué un rôle essentiel à partir du Front populaire et cettestratégie ne put voir le jour que parce que le PCF a rac-cordé l’espoir communiste aux grands épisodes histo-

NOTE DE SECTEUR

Pour une Politiquecommunistede la mémoireau xxie siÈcleun ensemble de réflexions sur la manièrede concevoir notre rapport au passé etde conduire une politique de la mémoire.

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leur de ta peau, ton patronyme, ton ori-gine vraie ou supposée, ta religion ne fontpas de toi un français. C’est la construc-tion du « eux » et du « nous ». Les communistes doivent prendreconscience que cette construction du« eux » et du « nous » n’est pas simple-ment une division qui nuirait à l’unité declasse. L’aborder sous ce seul angle nousamènerait à nier que le racisme est aussiun rapport de domination qui génèresouffrance, humiliation, exclusion, dis-criminations.Mener le combat de l’égalité, c’est arti-culer la lutte contre le racisme et les dis-criminations à la question sociale : c’estun des passages obligés (ce n’est pas leseul) pour récréer de l’unité.Ceux qui sont désignés comme exté-

rieurs à l’identité nationale doivent pou-voir se reconnaître dans la définition dupeuple que nous voulons rassembler.il nous appartient de ne rien céder sur leterrain des valeurs en affrontant les ques-tions posées par le vivre ensemble dansla france telle qu’elle est, un vieux paysd’immigration, profondément plurielmais qui ne s’assume pas comme tel. Pour construire une nouvelle consciencede classe, luttons contre les divisions etles préjugés, le pauvre et l’immigré nesont ni des assistés ni des fraudeurs ;l’immigration n’est pas un coût pour lafrance ; les étrangers ne prennent pasle travail des français ; les salaires, lescharges ne nuisent pas à la compétiti-vité du travail, tous les musulmans nesont pas des terroristes, etc.

Les électeurs du front de gauche etsocialistes ont davantage confiance enl’avenir, ils demandent plus de justicesociale, une meilleure répartition desrichesses, de services publics, ilscondamnent le racisme et les discrimi-nations, refusent la stigmatisation despauvres et des étrangers.Les bases d’un rassemblement pourtransformer l’actuel pessimisme en forced’espérance existent à condition de neplus subir l’extrême-droitisation du débatpolitique. n

riques de la tradition révolutionnaire et républicainefrançaise. Ce faisant, il a construit un récit communisteinclus dans le roman national français et n’a cessé depuis1934 de mener une politique de la mémoire révolution-naire et républicaine. Enfin, se réclamant du marxisme,il se référait à un Marx qui a pensé l’histoire. Même si lePCF a eu longtemps du marxisme une vision simplifiée,il a donné à ses militants le goût de la réflexion sur lepassé. Aussi devenir communiste, c’était s’inscrire dansce récit et y puiser ouverture sur le monde, force etconfiance.La mémoire communiste est évidemment hiérarchisée,évolutive et sélective mais n’est pas différente en cela decelle des autres partis politiques. La mémoire partisanen’est donc pas à analyser que d’un seul point de vue, ilfaut comprendre qu’il s’agit d’un véritable sous-champde l’affrontement politique. On assiste d’ailleurs actuel-lement à une véritable offensive de la droite et de l’ex-trême droite dans ce domaine. Cette lutte implique denombreux acteurs d’autant qu’aujourd’hui la demandesociale d’un retour sur le passé est immense.

la demande sociale d’un retour sur le PasséLes émissions historiques, les best-sellers historiquescomme le succès des romans historiques, l’immenseréseau des sociétés savantes, des écomusées et autresmusées d’histoire, le succès jamais démenti des jour-nées du patrimoine démontrent à l’envi cette passionde nos concitoyens pour le passé. Les raisons en sontmultiples mais sans doute à chercher dans l’angoisse del’avenir, la crainte de voir une identité nationale remiseen cause par la mondialisation – identité nationale pas-sée idéalisée et reconstruite d’ailleurs. Il faut donc réflé-chir à des initiatives mémorielles d’un nouveau genre.

les Historiens et leur temPsIl est devenu un lieu commun d’opposer la mémoire etl’histoire. La première serait du côté de la subjectivité,de l’instrumentalisation politique, la seconde serait ducôté de l’objectivité et de la science. Si l’histoire de lascience historique est un processus d’autonomisation àl’égard de l’État, il n’en reste pas moins que les historienstravaillent eux-mêmes dans des contextes qui les influen-cent. Rares sont pourtant ceux qui le reconnaissent,construisant une image fausse du scientifique dans un

laboratoire imperméable aux actions extérieures. Or leshistoriens ne choisissent jamais un sujet de rechercheou une problématique par hasard. Que cela relève decausalités liées à l’intimité ou bien encore du contextesocial et politique, les historiens vivent avec leur temps.Mais ce n’est pas tout, les historiens répondent aussi àdes commandes, négocient avec leurs éditeurs. Les plusmédiatisés le sont aussi parce qu’ils répondent à l’air dutemps ou pour être plus précis aux conditions de l’idéo-logie dominante. Ils servent d’experts, certains accep-tent même de témoigner lors de procès judiciaires. Etrares sont ceux des historiens qui explicitent leurs choix.La démarche historienne n’est pourtant pas celle de lamémoire et le travail des historiens peut mettre en causedes convictions assurées. Mais le travail des historiensest-il contradictoire avec le travail de mémoire – expres-sion que je préfère à celui de devoir de mémoire ?

fonder la mémoire sur l’Histoire, dix tHÈses• Le PCF doit organiser des initiatives mémorielles• Le PCF doit sauvegarder et ouvrir son patrimoine• Toute initiative mémorielle doit être le fruit d’uneréflexion historienne

• Il faut exiger des autres partis et de l’État les mêmesefforts

• Une réflexion historienne s’appuie sur des archives• Les témoignages oraux doivent être valorisés et recon-nus par les historiens

• Les témoignages oraux appellent le même type de cri-tique méthodologique que les sources écrites

• Il faut mêler dans les mêmes initiatives mémoriellestémoins et historiens et donc accepter le débat avecd’autres thèses

• Il faut prendre en compte le travail historique des asso-ciations mémorielles, musées d’histoire et tout ce quiconcourt à une histoire citoyenne

• Le PCF doit fournir un grand effort de formation descommunistes qui construise une culture commune dupassé qui ne soit ni uniforme ni officielle.

*Frédérick Genevée est membre du comité exécutifnational du PCF. Il est responsable des Archives et de lamémoire

e Rapport relatif à l’activité dela Délégation parlementaire aurenseignement (DPR) pour l’an-née 2014 se lit peut-être moinsvite qu’un roman de john LeCarré mais il est à peu près

aussi passionnant. La dPR se composede huit parlementaires (Ps et uMP) char-gés de contrôler (via notamment unesérie d’auditions) les activités de « lacommunauté du renseignement ».Le dernier rapport, le sixième du genre,est daté du 18 décembre 2014. il estcopieux, près de 200 pages denses, unedizaine de chapitres. Public, disponiblesur internet, il détaille les mécanismesde contrôle des « services » et fait le pointsur la réorganisation de ces administra-tions un peu spéciales. Le texte s’ouvre,non sans malice, sur un propos deNapoléon adressé au maréchal soult :« Ni la bravoure de l’infanterie, ni celle dela cavalerie ou de l’artillerie, n’ont décidéd’un aussi grand nombre de batailles quecette arme maudite et invisible, lesespions. »Nous voici prévenus. deux chapitresméritent tout particulièrement l’atten-tion du lecteur, le chapitre iii, qui traite

« l’ami » américainL’agressivité américaine en matière de pillage économique et d’espion-nage politique est clairement établie dans un récent rapport parlemen-taire. selon ce document, les États-unis ciblent particulièrement la franceet ne conçoivent leurs rapports avec l’extérieur qu’en matière de vassalité.un constat qui n’a pas l’air de troubler l’Élysée, ni les média, très globale-ment atlantistes.

du « Renseignement économique etfinancier », le Ref, et le chapitre Vii, inti-tulé « Le monde après les révélationsd’edward snowden. »

La partie consacrée au pillage écono-mique fait état, dans un long dévelop-

pement, de l’agressivité américaine. « Nosprincipaux partenaires peuvent aussiêtre nos meilleurs adversaires dans ledomaine économique ». 5 000 cas d’in-gérence, ces quatre dernières années,ont visé 3 189 entreprises françaises. Lessecteurs les plus ciblés : l’aéronautique,l’énergie nucléaire, les télécommunica-tions, l’aérospatiale, la robotique et lesmachines-outils. au-delà de cet espion-nage industriel massif, les rapporteurss’inquiètent que « les principales ingé-rences empruntent aujourd’hui des voieslégales. […] en ce sens, la législation amé-ricaine, notamment en raison de soncaractère extraterritorial, apporte une

illustration éloquente de cette ambiva-lence par le biais de la procédureDiscovery ainsi que de l’existence dudeal of justice  (p 38). La procédureDiscovery, fondée sur le principe de lacommon law américaine, est redouta-ble. elle permet à un « plaignant d’adres-

ser des demandes de pièces au défen-deur afin de cibler son action en justice ».or les demandes sont extraordinaire-ment vastes (d’où leur surnom de fishingexpeditions, parties de pêche) et on sesert ainsi d’une procédure légale pourfaire de l’espionnage économique. idempour le deal of justice qui permet audepartement of justice (doj) de s’enprendre à de grandes entreprises. Voirl’affaire bNP-Paribas où non seulementon impose des amendes records maison installe ensuite dans l’entreprise un« moniteur » qui aura accès à toute ladocumentation stratégique. « en clair,le droit sert de bélier pour forcer la pro-

« face à ces moyens juridiques dont Washington s’est doté pour rendre

son espionnage “légal”, le rapport constate la faiblesse de la riposte

française et européenne. »

PAR GÉRARD STREIFF

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tection et les espions passent derrièrepour siphonner le savoir-faire français »note à ce propos le journaliste ChristopheCornevin.or, face à ces moyens juridiques dontWashington s’est doté pour rendre sonespionnage « légal », le rapport constatela faiblesse de la riposte française eteuropéenne.L’étude s’alarme également de l’ampleur

de la grande délinquance financière etmafieuse… et la conclusion de ce chapi-tre sonne comme un aveu d’échec : « Lerenseignement économique et financierpose un véritable défi politique, adminis-tratif et stratégique que notre pays,jusqu’à présent, n’a pas su relever. »

les états-unis neconçoivent le mondequ’en termes de vassalitéLe chapitre Vii, « Le monde après les révé-lations d’edward snowden », est très sti-mulant. il montre l’importance des infor-mations fournies par l’ancien agentaméricain, volontiers traité avec désin-volture par le monde journalistique.snowden travaillait dans une branchebien particulière de l’espionnage améri-cain, la Nsa, service de renseignementmilitaire, mais cette agence spécifiquecompte tout de même 35 000 employéset dispose d’un budget de 10 milliards dedollars. Les révélations de snowden don-nent quelques indications. d’abord, ceque le rapport appelle « l’incroyable inves-tissement des États-unis dans les moyensdédiés au renseignement technique. »Les chiffres ici sont sidérants. en 2013,une des divisions de la Nsa recueillait,en un mois, « 97 milliards de métadon-nées de communication internet et prèsde 125 milliards de métadonnées deconversations téléphoniques. » devantl’ampleur du travail demandé, l’agence

externalise, donc fragilise, et privatisede plus en plus ses services, « devenusdépendants de l’industrie dont les moti-vations sont rarement altruistes » notentles parlementaires qui pointent la totaleintégration des services des five eyes,terme désignant l’alliance des espionsdes États-unis, du Royaume-uni, del’australie, du Canada et de Nouvelle-Zélande ». Conclusion : « Ce n’est pas

en soi une information (mais cela)demeure une alerte dans les coopéra-tions que la france peut développer avecdes partenaires étrangers qui, pour nepas être des adversaires, n’en sont paspour autant des amis. »

La dPR note la dépendance techniquede l’europe à l’égard des États-unis, unedépendance qui « surprend », et sou-ligne « l’intensité de l’agressivité à l’égardde notre pays. » on gardera en tête cettephrase clé : « Les États-unis ne conçoi-vent leurs relations (extérieures) qu’entermes de vassalité ou d’intérêts ». (Voirl’extrait joint).de même, dit encore rapport, « l’af-faire snowden doit permettre uneréelle prise de conscience de la dan-gerosité potentielle des grandes entre-prises de l’internet ». Les rapporteursmettent en garde les internautes « glo-balement dépourvus de réflexes d’hy-giène informatique (…). de telsconstats n’exonèrent en rien les pou-voirs publics de leur obligation destructurer leurs capacités de cyber-défense et de sensibilisation ».au total, un document intéressant quidonne du monde occidental une visionmoins angélique que le discours offi-ciel, et convenu, a l’habitude de nousservir. n

« Le renseignement économique etfinancier pose un véritable défi politique,

administratif et stratégique que notre pays,jusqu’à présent, n’a pas su relever. »

extraits

L’agRessiVitÉ aMÉRiCaiNe À L’ÉgaRd de La fRaNCe« l’intensité de l’agressivité à l’égard de notre pays est à souligner. À titre d’illus-tration, si l’on en croit les documents repris par Le Monde, ”sur une période detrente jours, du 10 décembre 2012 au 8 janvier 2013, 70,3 millions d’enregistre-ments de données téléphoniques des français auraient été effectués par la nsa”,alors que pour la même période le volume serait de 60 millions pour l’espagne et47 pour l’italie. […] le fait que la france soit une cible pour les états-unis ne consti-tue pas une absolue nouveauté. cela n’a d’ailleurs jamais interdit l’élaboration decoopérations fructueuses sur des objectifs communs. comme l’écrit vincentnouzille, ” entre Paris et Washington, le cycle de la passion se renouvelle sanscesse. mais nul n’a intérêt aux débordements outranciers ni aux brouilles défini-tives ”. reste qu’apprendre que la nsa cible ses alliés et ses adversaires avec lemême niveau d’intensité opérationnelle, et que son espionnage a pris des dimen-sions industrielles constitue un accroc notable dans nos relations avec ce pays.un tel comportement rappelle – sans doute utilement — que les états-unis n’onten réalité ni amis, ni alliés et qu’ils ne conçoivent leurs relations qu’en matière devassalité ou d’intérêts. »

extrait de Rapport relatif à l’activité de la Délégation parlementaire au renseignement (DPR), 18 décembre 2014, p. 135

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ELle communisme n’est pour nous ni un état qui doit être créé, ni un idéal sur lequel la réalité devra se régler.

nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l’état actuel. les conditions de ce mouvementrésultent des prémisses actuellement existantes. » Karl Marx, friedrich engels - L’Idéologie allemande.

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es raisons invoquées pour ledéclin de la planification sontl’ouverture des frontières, sur-tout après le Marché uniqueeuropéen, et la libre circulationdes capitaux, la stratégie inter-

nationale des grandes entreprises, unenvironnement international de plus enplus incertain avec la mondialisation, etenfin la décentralisation (on est passéde la planification de l’État central à descontrats de plan avec les régions). orrien de cela n’est dirimant, commel’exemple de la Chine en fait foi. Mais c’estvéritablement la construction euro-péenne qui a mis fin à toute ambitionplanificatrice.

l’union euroPéennedésarme toutePlanificationPour planifier une économie, il faut enmaîtriser les financements. or lesavances du trésor à l’État, qui permet-taient à ce dernier de se financer à boncompte, seront définitivement interditesen 1993 avec le changement de statutde la banque de france pour la mettreen conformité avec les obligations issuesdu traité de Maastricht. il lui faudra dés-ormais se financer uniquement sur lesmarchés financiers. avec la création dela monnaie unique et de la bCe, l’État

au cœur d’un projetalternatif, la planification (2/2)

perd la maîtrise de la politique moné-taire, qui sera uniquement axée sur lecontrôle d’une faible inflation, et du tauxde change, de sorte qu’il ne peut plusjouer sur l’inflation pour dévaloriser lescréances. Par ailleurs le traité deMaastricht fixe des objectifs en termesde déficit et de dettes publics, qui serontrenforcés avec le récent traité sur lacoordination, la stabilité et la gouver-

nance. il est désormais pieds et poingsliés, contraint de mener une politiquequi rassure les marchés financiers inter-nationaux. sa seule ressource garantiereste les « prélèvements obligatoires ».Pour planifier une économie, il faut gar-der la maîtrise des services publics, ence qui concerne non seulement les bienssociaux fondamentaux (éducation,santé, information), mais aussi des biensde civilisation, tels que l’électricité ou letéléphone, et les biens stratégiques(infrastructures, transport etc.), etnotamment le crédit bancaire, qui estun véritable bien public. Cela ne signifiepas qu’ils doivent tous relever du sec-

teur public, mais que ce dernier doit yêtre dominant. Cela suppose, dans uneéconomie ouverte, un contrôle des inves-tissements directs étrangers, de manièreà ce qu’ils ne puissent pas prendre lecontrôle de la production de ces bienssociaux. or ce contrôle est interdit pasles traités européens, au nom de la librecirculation des capitaux, et la Cour dejustice européenne donne tort à tousles gouvernements qui ont essayé detourner cette interdiction, dès lors réduitsà n’utiliser que des moyens informels depression.Pour planifier une économie, il faut pou-voir se servir de ces leviers que sont lesaides d’État, dès lors qu’elles sont sélec-tives. or celles-ci sont pour la plupartproscrites par les traités au nom de laconcurrence «  non faussée  », et laCommission les traque sans répit, dèslors que l’État (ou un organisme ou uneentreprise publics) ne se comporte pascomme un «  investisseur privé », un« prêteur privé », « un acheteur privé »,un « vendeur privé » – ce qu’on appelleles « conditions normales de marché ».il y a bien quelques exceptions pour lesaides de faible ampleur (dites « aides deminimis »), pour les aides aux PMe, à larecherche-développement, à l’innova-tion et à la formation, pour les aides auxrégions en crise, pour les aides au déve-loppement de certaines activités ou decertaines régions, pourvu qu’elles n’al-tèrent pas les échanges, et enfin pourdes régimes d’aides dans le cadre deplans de relance, par exemple sous formede prêts bonifiés, mais pourvu qu’elles

« Pour planifierune économie, il

faut garder lamaîtrise des

services publics. »

La planification est une nécessité, si l’on ne veut pas que la société et laplanète ne partent à la dérive.

PAR TONY ANDREANI*

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soient temporaires. il s’agit de laisser unpeu d’espace aux politiques publiques,mais le moins possible. où l’on retrouvece néolibéralisme qui est la matrice del’actuelle union européenne.

la Planification estPourtant PlusindisPensaBle que jamaisLa planification est indispensable d’abordpour des raisons sociales. Le marché, onl’a dit, est générateur d’inégalités crois-santes et cumulatives. on le voit bienavec le marché intérieur européen, oùle dumping social et fiscal tire vers le basles salaires et la protection sociale. il neserait guère efficace, par exemple, desoutenir la filière porcine en france,quand la concurrence allemande,appuyée sur les très bas salaires des tra-vailleurs venus de bulgarie ou deRoumanie, vient la saper. L’harmonisationsociale et fiscale dans l’union euro-péenne, pour se réaliser, supposerait unplan de long terme et un important bud-get européen dédié.La planification est indispensable pourdes raisons économiques. Ce sontaujourd’hui les grandes entreprises trans-nationales privées, ou même encorepubliques (mais gérées comme desfirmes privées), qui sont les maîtresd’œuvre des investissements massifs,lesquels se chiffrent en milliards de dol-lars ou d’euros, et qui planifient donc àleur manière, mais généralement dansle court terme, sous le regard des mar-chés financiers. Qu’on pense par exem-ple aux géants de l’internet, tous états-uniens. or ce sont ces firmes, et non plusdes services publics, autrefois contrô-lés (plus ou moins bien) par la puissancepublique, quand ils étaient des adminis-trations ou des établissements publics,qui génèrent un mode de vie, auquel ilest difficile d’échapper. Par exemplesmartphones, navigateurs et réseauxsociaux sont certes des outils bien pra-tiques, mais ils sont aussi destructeursdu lien social et de la convivialité. La pla-nification ne peut donc consister seu-lement à soutenir des champions natio-naux (éventuellement européens), elledoit servir à réorienter les investisse-ments en fonction d’une évaluation desréels biens sociaux.La planification est indispensable enfinpour des raisons écologiques, qui sontdevenues, avec l’épuisement des res-sources naturelles et le changement cli-matique, la priorité des priorités. Mais

cette planification ne peut venir simple-ment supplémenter les mécanismes demarché, comme le veut la pensée néo-libérale (on évoquera ici l’invraisembla-ble « marché des droits à polluer », dontil n’est plus besoin de souligner l’ineffi-cacité et les effets pervers), ni même lesautres politiques publiques, elle doit lesréorienter et les réorganiser, car c’est lechangement du mode de production etdu mode de vie qui est en cause.en france le grenelle de l’environnementn’a donné que de piètres résultats et legouvernement actuel ne manifeste quepeu d’ambitions. Le grand mérite de laproposition de loi (non suivie d’effet)déposée par Martine billard, en 2009,

au nom des députés du front de gauche,est qu’elle vise à réorienter l’économieen fonction de « l’utilité sociale et éco-logique », et donc ne se limite pas à deschoix de politique énergétique, d’amé-nagement du territoire et de transport.elle concerne aussi l’ensemble des« biens communs », fournis par les ser-vices publics, car ces biens ne sont passeulement ceux qui font nation, en tantque socles de la citoyenneté, mais aussides biens de société ou de civilisation,tels que certains moyens de communi-cation ou biens culturels. et elle soumetles choix à la consultation publique, orga-nisée par une Commission nationale dedébat public, et à la délibération publique,avec un vote du parlement. L’ancienCommissariat au plan serait ressuscitéet serait associé à l’élaboration des loiset au suivi de l’exécution du Plan.toutefois le risque serait qu’il soit dominépar les intérêts corporatistes des parte-naires sociaux, ce qui donnerait raisonà la critique libérale d’une capture del’État par les intérêts particuliers. aussile Plan doit-il être d’abord, selon moi, l’af-faire du pouvoir politique énonçant clai-rement son programme et ses priorités.

Ce pouvoir devrait disposer d’une admi-nistration technicienne, apte sans a priorià tester les modèles du Plan, ainsi queceux des contre-plans qui pourraientêtre proposés par les partis politiques.il pourrait prendre la forme d’une « auto-rité administrative » réellement indé-pendante.

construire des ProjetscommunsLa planification n’est pas une vieille lune.des pays l’ont bien compris, comme laChine, qui a longtemps laissé gonfler lesinégalités sociales, les inégalités ville-campagne et les inégalités territoriales,et qui est arrivée au bord du désastre

écologique. Le dernier plan quinquen-nal prend à bras-le-corps les effets per-vers d’un mode de développement peuregardant sur les effets sociaux et lanature des forces productives, et l’on amême inscrit les mesures écologiquesdans la notation des fonctionnaires. Lecontraste est frappant avec une unioneuropéenne incapable de se donner despriorités, de mener à terme ses pro-grammes à moyen et long terme (la« stratégie de Lisbonne » a été un échecretentissant, et la stratégie europe 2020suivra très probablement le même che-min), révisant toujours à la baisse sesambitions écologiques, sous l’effet de lapression des industriels et des banquierset de la concurrence entre pays. seuleune union refondée permettra derenouer avec la nécessaire planification,en redonnant partiellement la main auxÉtats et, dans le même temps, enconstruisant patiemment un projet etdes programmes communs. n

« La planification ne peut donc consisterseulement à soutenir des champions

nationaux (éventuellement européens),elle doit servir à réorienter les

investissements en fonction d’uneévaluation des réels biens sociaux. »

*Tony Andreani est philosophe. Il est professeur émérite de sciencespolitiques à l’université Paris 8.

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« l’histoire enseigne aux hommes la difficulté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements, mais ellejustifie l’invincible espoir. » jean jaurès

la question des corvéesLes paysans sont en effet le plus sou-vent détenteurs de leur exploitation àtitre héréditaire et ne peuvent pas enêtre expropriés. ils détiennent des droitsincomplets mais réels et effectifs sur lesmoyens de production comme sur laproduction elle-même. Les corvées nesont pas gratuites pour le seigneur, dansla mesure où un repas, souvent copieuxd’ailleurs, est dû au travailleur et dans lamesure aussi où leur organisation,comme le contrôle de leur exécution aun coût. il faut convoquer les travailleurs,surveiller la façon dont ils s’acquittentde la corvée et, le cas échéant, organi-ser la répression des gestes de mauvaisevolonté, de refus voire de révolte pureet simple. Le corvéable peut éventuel-lement se faire remplacer : la relationsalariale intervient une première fois àcet endroit, de manière dérivée, puisquele travailleur remplaçant, qui vient exé-cuter la corvée à la place du titulaire, peutlui-même être un salarié de ce dernier,non du seigneur. enfin, à partir du Xiie siè-cle, les paysans rachètent les corvées,préférant payer une somme d’argent plu-tôt que d’avoir à exécuter les travauxrequis. Le paiement de substitution sem-ble avoir toujours été avantageux pourle dépendant, le prix de rachat étant fré-quemment inférieur au montant du

le salaire au moyen Âgeentre les Xe et XiVe siècles, le travail contraint, sous la forme de la corvée,est caractéristique de l’exploitation du travail humain. Ni à la campagne nià la ville il n’est cependant incompatible avec le salariat, mode normal derémunération en ville et plus exceptionnel à la campagne.

salaire exigible pour effectuer les tra-vaux concernés.

le salariat urBainen ville, les choses se présentent demanière différente : le travail forcé y estmarginal et n’atteint que des populationstrès particulières d’esclaves, essentiel-lement dans les cités portuaires de laMéditerranée. Le travail salarié est nor-malement celui du compagnon, employéà la journée ou à la semaine par le maî-tre d’un atelier, quelle que soit la naturede celui-ci (tissage, confection, travaildu métal). il concerne une catégorie par-

ticulière de la population, celle qui, tota-lement dépourvue de capital, n’a queses bras pour vivre et dont le salairerémunère à la fois la force physique, lescapacités professionnelles et l’assiduitéau travail.une mention spéciale doit être faite dubâtiment. beaucoup de villes médié-vales, sinon toutes, ont en permanencedes chantiers de construction très impor-tants en cours, qu’il s’agisse des murailles,à construire ou à entretenir, ou qu’ils’agisse des édifices religieux, les églisescathédrales étant pour la plupart recons-truites à partir du Xiie siècle. Cela main-

tient des chiffres considérables de tra-vailleurs spécialisés ou non au cœurmême de la cité dont il faut organiser letravail et qu’il faut rémunérer, le salariatétant le mode normal de rétribution dutravail de construction. L’organisationdu travail passe, sur les chantiers, par lamesure du temps passé à exécuter lestâches prescrites : les premières hor-loges apparaissent tardivement sur leschantiers de construction mais la mesuredu temps, grâce à des sabliers a toujoursété un souci des employeurs. des pro-cédures et des instruments permettentde scander l’embauche et la fin du tra-

vail, de répartir les pauses, et d’établirune forme de discipline du travail repo-sant en particulier sur la ponctualité. auXiVe siècle, sur le chantier de la cathé-drale de sienne, la journée est divisée en36 punti, périodes d’environ 20 minutesqui permettent de mesurer finement ladurée du travail et celle des pauses.Le salarié reçoit une somme convenue,versée le plus souvent en numéraire, auterme de l’exécution de son travail. Cettesomme d’argent n’épuise pas toujoursla question de la rémunération. il existeen effet, en plus du salaire à proprementparler toute une gamme de gratifications

« des procédures et des instrumentspermettent de scander l’embauche et la findu travail, de répartir les pauses, et d’établirune forme de discipline du travail reposant

en particulier sur la ponctualité. »

PAR LAURENT FELLER*

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qui accroissent mais aussi complexifientla rémunération du travailleur. ainsi, àNuremberg, au XVe siècle, le repas quo-tidien et une prestation monétaire, leBadegeld (l’argent pour le bain) s’ajou-tent toujours au salaire proprement ditet apparaissent non comme une libéra-lité de l’employeur, mais comme uneobligation à laquelle il ne saurait se sous-traire. Le repas, quant à lui, peut fairel’objet de négociations. Les travailleurspeuvent, dans certaines circonstances,lui préférer une somme d’argent forfai-taire. d’autre part, une part de la rému-nération peut être versée en nature, levêtement et les chaussures font alorspartie de la rémunération de même quedes quantités de céréales versées enplus du repas.

le salariat ruraldans les exploitations agraires, le travailfamilial domine : le chef, sa femme et sesenfants suffisent très souvent, mais pastoujours, à couvrir les besoins en main-d’œuvre. seules les très grandes exploi-tations, qui ont besoin d’avoir en perma-nence du personnel pour exécuter destâches spécialisées, recourent demanière systématique au salariat. il fauten effet s’occuper des animaux, fairefonctionner la laiterie mais aussi labou-rer la terre, ce qui est, sur un granddomaine, une occupation permanenteet non pas saisonnière  : en plus deslabours précédant les semailles, en octo-bre et en mars il faut retourner périodi-quement les terres laissées en jachèreet préparer ainsi le cycle des cultures.L’entretien des charrettes et des char-rues suppose aussi la présence presquepermanente de charrons susceptiblesde maintenir en état les moyens de trans-port des marchandises et des personnes.tous ces travailleurs sont employés àl’année, moyennant un contrat prévoyantun salaire normalement très bas, le sei-gneur assurant en plus de la rémunéra-tion le gîte et le couvert et fournissantaussi les vêtements : de ce fait, il estextrêmement difficile de calculer ce quecoûte le travail et ce que touche effec-tivement le travailleur. en Provence, auXiVe siècle, sur la commanderie hospi-talière de Comps, le salaire des bouviersemployés en hiver, de la saint-Michel(29 septembre) à la saint jean-baptiste

(24 juin) est versé en argent (une livre et4 sous chacun). on leur donne en plusdes sommes d’argent censées couvrirleurs dépenses en vêtements et enchaussures, soit respectivement 6 souset 10 deniers pour le vêtement et 20 sous,soit une livre, pour leurs chaussures. ilsreçoivent également une certaine quan-tité de blé chaque mois. Le serviteur quitravaille pour eux ne reçoit que la moi-tié de ce qu’eux-mêmes touchent, quece soit en numéraire ou en nature. dansces conditions, le salaire proprement dit,n’est qu’une part, certes importante,mais non décisive de la rémunération.

La sécurité de l’emploi sur une périodeassez longue rend la position de salariéagricole relativement acceptable. elleest aussi beaucoup plus fréquente qu’onne l’a longtemps cru. Les petits et moyenspaysans, dont les exploitations dépas-sent une certaine taille, aux alentours decinq hectares, ont en effet recours euxaussi au travail salarié. ils le font d’abordpour compléter la force de travail pré-sente sur la tenure lorsque les enfantssont en bas âge, ou lorsqu’il n’y a pasd’enfants. Le plus souvent, les valets ainsirecrutés le sont également à l’année etils sont recrutés parmi les paysans sansterre de la communauté villageoise.L’alternative est de recruter au coup parcoup des travailleurs payés à la journée :le salaire à verser est alors plus élevé et,surtout, le souci d’avoir à planifier le recru-tement ou à l’effectuer dans l’urgenceau moment où l’on en a le plus besoinfait que ce système est au bout ducompte plus perturbant qu’autre chose.Mieux vaut avoir un valet à domicile,quitte à lui laisser, en dehors desmoments de presse, des loisirs qu’il peututiliser au mieux de ses intérêts. Lorsqueles enfants atteignent l’âge de travailler,le ou les valets ne sont pas pour autantlicenciés. il est plus avantageux pour le

tenancier d’envoyer son ou ses fils tra-vailler à l’extérieur, dans des exploita-tions de même nature que la sienne, chezdes égaux statutaires, voisins, amis oumembres de la famille. Cette politiquepermet au groupe des adultes de retar-der très longtemps le moment où lesenfants peuvent arriver à fonder unefamille et à obtenir une exploitation quileur soit propre. d’autre part, le systèmeseigneurial pèse à plein sur ce monde,dans la mesure où il contraint les pay-sans à avoir une réserve de force de tra-vail suffisante pour satisfaire aux exi-gences en corvées qui, même si elles ne

sont pas effroyablement lourdes sonttout de même significatives : on peutestimer à une fourchette comprise entre75 et 100 le nombre de journées dues,en angleterre, au titre de la corvée. Lessalariés de la tenure donnent à l’exploi-tant la possibilité d’avoir ce volant quipermet de ne pas sacrifier l’exploitationfamiliale.

dans la société médiévale, le salariat estune nécessité absolue, le travail forcé etl’exploitation autonome des terres oul’entreprise artisanale n’épuisant pas latotalité des rapports de production. Lacondition salariée, cependant, doit êtreretenue comme étant synonyme de pau-vreté et de sujétion : la figure du travail-leur pauvre, qu’il soit compagnon ououvrier agricole, est l’une des plus fami-lières que nous offre le Moyen Âge. n

« il existe, en plus du salaire à proprementparler toute une gamme de gratifications

qui accroissent mais aussi complexifient larémunération du travailleur. »

*Laurent Feller est historien. Il estprofesseur d’histoire médiévale àl’université Paris1 Panthéon-Sorbonne.

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les territoires sont des produits sociaux et le processus de production se poursuit. du global au local les rapportsde l’Homme à son milieu sont déterminants pour l’organisation de l’espace, murs, frontières, coopération,habiter, rapports de domination, urbanité... la compréhension des dynamiques socio-spatiales participe de laconstitution d’un savoir populaire émancipateur.

insi, les mots sont porteursd’un discours, d’une idée,voire d’une idéologie. il enest de même pour les repré-sentations graphiques, car-tographiques, or la connais-

sance du territoire ne va pas sanscartographie. Rien n’est jamais neutre.Les logiciels, les moyens informatiquesde produire des cartes sont, a priori, à laportée de chacun. La rapidité et la faci-lité avec lesquelles il est techniquementpossible de produire une représentationgraphique d’un échantillon statistiquene doit pas pour autant laisser croire quecette production est dépourvue de pen-sée. L’objet est à utiliser avec précau-tion.

savoir lire une carteune carte, dit-on, vaut mieux qu’un longdiscours. elle rend lisible l’essentiel, lisseles détails, les scories, les accrocs.Chaque synthèse est un choix, chaque

La production de territoires ne se fait pas sans représentation, elle n’est pasque le fait des politiques d’aménagement du territoire, elle résulte d’interac-tions entre les choix de planifications, (ou le défaut de choix, ce qui finit paren être un) et la représentation que l’on construit des territoires.

carte est un discours résumant une idéeprécise de ce que le lecteur doit retenir.La carte, si elle demande un savoir-faire,exige un savoir-lire dont le préalable estd’accepter qu’elle soit toujours fausse.La carte n’est pas le territoire, elle n’estpas la réalité, elle n’en est qu’une inter-prétation. Le cartographe choisit lesobjets, leur représentation, leur figuré,leur hiérarchie. se voudrait-il objectif

qu’il n’y parviendrait pas : ne voulant paschoisir, il choisit pourtant. La carte sta-tistique n’y échappe pas. La coutumepopulaire prévient ; il y aurait trois sortesde mensonges  : les mensonges, lessacrés mensonges et les statistiques.« Les pièges se situent certes en amontdes recueils de chiffres, mais égalementdans ce recueil même, puis dans le trai-tement mathématique ou informatiquedes données, enfin en aval de leur inter-

prétation. Les erreurs et biais peuventprovenir d’un choix idéologique, d’unevolonté de tromper, ou aussi d’une naï-veté, d’un manque de culture statistique[…] ». Qu’en est-il donc de la carte sta-tistique ? doublement fausse ? sansaucun doute. La donnée statistique rela-tive (taux, pourcentage, densité,indices…) représentée en aplat sur l’en-semble de la surface d’une entité terri-

toriale trouble forcément dans la lecturede l’information. La tâche est d’autantmoins aisée que si la donnée est rela-tive, et son tri, sa répartition (sa discré-tisation) le sont également. en effet, lacartographie d’une série statistiqueimplique sa partition préalable en classes,retranscrites par des plages graphiquesordonnées (couleurs, hachures…). Lacarte, comme toute image, marque plusrapidement l’esprit qu’un texte, et la

PAR VIOLETTE-GHISLAINELORION-BOUVREUIL*

la carte n’est pas le territoire, mais l’outil de son pouvoir

« autant que des beaux parleurs méfions-nous des beaux cartographes (et de ceux

qui ne savent pas lire) ! »

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légende n’intervient qu’en second temps.associée à la préoccupation due à l’at-tention portée à des éléments anxio-gènes (chômage, paupérisation, voted’extrême droite, pollution…), la repré-sentation cartographique est facilementmanipulatrice, notamment parce qu’elleest reconnue comme étant un outild’aide à la décision. autant que des beauxparleurs méfions-nous des beaux car-tographes (et de ceux qui ne savent paslire) !

la carte PorteintrinsÈquement undiscours idéologique.Conscient du pouvoir conféré par cesoutils, les statistiques et la cartographiesont souvent l’apanage des services del’État. La cartographie comme la géo-graphie servent, d’abord, à faire la guerre !(pour reprendre le titre du célèbreouvrage d’Yves Lacoste). travailler, s’ins-crire dans l’espace est le fondement denotre politique contemporaine, de lagestion de la ville. La maîtrise de l’outil etdes données donne la maîtrise du terri-toire, de ses limites, de ses frontières.Certains États ne s’y trompent pas, eninterdisant tous moyens de réaliser unegéolocalisation satellite à des territoiressous domination, comme israël vis-à-vis des territoires palestiniens. Restonsdonc prudents. La cartographie néces-saire, sinon indispensable à la compré-

hension des dynamiques territorialesn’en est pas pour autant innocente et nepeut, sans un minimum de contextuali-sation, se suffire à elle-même. ainsi, les

travaux, dont la méthodologie et lecontexte d’obtention des données nesont pas clairement établis et dont l’im-précision peut devenir source de dévoie-ment intellectuel, deviennent de réelsfreins à la compréhension citoyenne desdynamiques spatiales.Le consensus postpolitique imposé, danslequel s’inscrivent l’analyse et la fabriquedu territoire, ressurgit dans son interpré-tation graphique et tend à rendre incon-testable un mode de gouvernement sou-mis aux pressions économiques et tendà le justifier. il construit tout autant incon-testablement la communautarisationdes sociétés et des espaces. C’est dansce contexte que l’analyse critique doitredoubler lorsque le discours d’accom-pagnement est tout aussi imprécis, ser-

vant de fondement à une opposition,une mise en concurrence des territoiresentre eux. Les territoires sont vivants,inscrits dans le temps long de leur occu-

pation anthropique. L’histoire danslaquelle ils sont pris est la nôtre, nous quiles habitons, les vivons. À l’heure où l’onparle d’apartheid pour désigner les ter-ritoires urbains de banlieue, la plus grandeprécaution est de mise quant à son inter-prétation cartographique, et doit ren-forcer la volonté d’en restituer la pro-duction aux citoyens, justement parcequ’elle est outil de pouvoir. n

*Violette-Ghislaine Lorion-Bouvreuil est cartographe.

« La représentation cartographique est facilement manipulatrice,

notamment parce qu’elle est reconnuecomme étant un outil d’aide

à la décision. »

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la culture scientifique est un enjeu de société. l’appropriation citoyenne de celle-ci participe de laconstruction du projet communiste. chaque mois un article éclaire une question scientifique et technique. etnous pensons avec rabelais que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » et conscience sansscience n’est souvent qu’une impasse.

la science doit-elle être utile ?jean-noël aqua : utile veut dire « qui sertà quelque chose ». Reste à dire à qui etquand ? avancer le front des connais-sances sert l’humanité dans sa quête decompréhension du monde. La sciencedevrait avoir les moyens de se dévelop-per à ce seul titre. Mais la vision « libérale »se cache derrière « l’utilité ». autant ensous-tendant son immédiateté qu’en ladéfinissant par l’enrichissement. Pourtantl’histoire montre que la science la plus utile,celle qui a révolutionné nos sociétés, étaitde son temps « inutile ». La révolution infor-mationnelle actuelle n’est possible quegrâce à des ruptures comme la mécaniquequantique (à la base du transistor) quin’avaient aucune application visible et pré-visible. sans recherche libre, pas de déve-loppement à long terme. il est importantde faire le distinguo entre la recherche quicherche à comprendre, et la recherche etdéveloppement (R&d) qui cherche à uti-liser les connaissances pour produire. Pourla R&d, l’utilité sociale de telle ou telle appli-cation doit être questionnée. est-il utilede développer la finance ultrafréquence,le neuromarketing, le rasoir cinq lames ?faire franchir à la démocratie la porte del’entreprise est incontournable pour faireprendre en compte les besoins de lasociété. sur la base d’un homme, une voix.Quand on parle de production, la sociétéest directement concernée car la produc-

science et démocratie,les liaisons dangereuses ?

tion conditionne la satisfaction des besoinshumains. C’est le sens et l’intérêt des pro-positions pour de nouveaux pouvoirs dansl’entreprise.

janine guespin-michel :d’abord, je diraismoi aussi, que signifie utile ? utile à quoi ?utile à qui ? dans l’économie de la connais-sance actuelle, utile signifie « qui permetdes innovations favorisant la compétiti-vité (lire les profits) des entreprises ». Lathéorie de l’évolution, tout comme unedécouverte scientifique permettant l’éla-

boration d’un vaccin pour une maladie« non rentable » seraient-elles inutiles ?Pour moi, la science est utile dans troisdomaines, et je ne divise pas les recherchesentre fondamentale et R&d, mais entrerecherche fondamentale libre, etrecherches finalisées qui comprennentdu fondamental, de l’appliqué, et du déve-loppement technique, avec une porositéentre elles.La recherche libre vise à augmenter laconnaissance du monde dans lequel nousvivons, à le comprendre. Les questionsposées proviennent des connaissancesantérieures, et sont internes à la science.souvent, en biologie aussi, cette connais-

sance a permis, de la manière la plus inat-tendue, d’étendre notre pouvoir techno-logique. on dit qu’elle a eu des applica-tions. C’est une utilité dérivée, et il y a unemultiplicité d’étapes de choix entre unedécouverte et ses applications. Mais lesquestions posées à la recherche peuventaussi émaner de la société. actuellement,la recherche-innovation signifie que lascience se doit d’aborder des questionsdont les réponses prévisibles conduisentà des applications innovantes (pour-voyeuses de profits). Mais il y a aussi les

grands problèmes que rencontre actuel-lement l’humanité, réchauffement clima-tique, énergie, santé, démocratie, qui exi-gent des recherches. Les applications,donc les recherches, doivent-elles êtreutiles à l’humanité ou aux seules entre-prises ?

quelle devrait être l’interaction descitoyens avec la science ?jean-noël aqua : Les citoyens agissentdéjà, via leur représentation nationale oueuropéenne sur les budgets de larecherche, les grandes thématiques desappels à projets, l’organisation de l’ensei-gnement supérieur et de la recherche

Le peuple peut-il avoir son mot à dire en matière de science ? Cette ques-tion délicate est centrale dans le livre récent, coordonné par janineguespin-Michel et annick jacq, La science pour qui ? paru aux éditions LeCroquant en 2013. un dialogue entre un physicien et l’une des coordina-trices de l’ouvrage, biologiste, prolonge ici le débat.

DÉBAT ENTRE JEAN-NOËL AQUA ETJANINE GUESPIN-MICHEL*

« sans recherche libre, pas dedéveloppement à long terme. faire franchirà la démocratie la porte de l’entreprise est

incontournable pour faire prendre encompte les besoins de la société. »

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(esR)… Cette interaction devrait garantirla liberté de recherche et d’enseignement.on ne dirige pas la création artistique… nila science. Pourtant, on assiste, avec lacomplicité des partis du renoncement, àl’orientation progressive des thèmes de larecherche publique sur l’intérêt immédiatdes entreprises (accompagnant la ferme-ture de centres de recherche privés), ousur l’immédiatement « utile ». Cet asser-vissement se fait via l’agence Nationalede la Recherche (aNR) qui finance gran-dement les labos, ou certains appels à pro-jets européens, même s’il reste de nom-breux îlots de résistance. il faut lutter contrecette tendance en donnant à la recherchedes moyens récurrents et des postes sta-bles, conditions de sa liberté. Mais s’il estimportant de lutter contre la dictature desmarchés financiers, ce serait un non-sensde la remplacer par un autre dirigisme. Lascience a besoin de liberté et de tempslongs. L’histoire (Lyssenko…) montre que,quand la science, qui cherche le vrai, estasservie à la politique, qui cherche le« juste », cela nuit aux deux. des groupesde pression « citoyens » ont tenté de s’au-toproclamer représentants de la société« civile » pour définir des thématiques duCNRs. C’est la chose à ne pas faire. Lesinteractions entre scientifiques et indivi-dus, associations, industriels, syndica-listes… sont mutuellement enrichissantes.elles permettent aux scientifiques d’éten-dre leurs sujets et aux citoyens de saisirles enjeux scientifiques. Mais la démocra-tie ne résulte pas de l’influence des groupesde pression, qu’ils soient industriels ou« citoyens ». elle ne se résume pas nonplus à la représentation. des lieux de débatscomme l’office parlementaire d’évalua-tion des choix scientifiques et technolo-giques et d’autres lieux à inventer, notam-ment au niveau européen, devraientpermettre de donner la transparencenécessaire sur les choix opérés et d’aiderà la prise de décision.

janine guespin-michel : dans l’écono-mie de la connaissance actuelle, les(grandes) entreprises jouent un rôle pri-vilégié, à la fois pour faire les choix tech-nologiques, et pour poser à la recherche,y compris publique, les questions qui leurparaissent susceptibles de conduire à desapplications innovantes. Les citoyens nepeuvent que constater les risques qui endécoulent et lutter contre eux. Mais leurrôle pourrait être aussi actif. d’une part, auniveau des choix technologiques qui sontfaits à partir d’une découverte scientifique(ce qui préviendrait les risques). Ce pour-rait être le rôle des personnels et des usa-gers des industries où se font ces choix.d’autre part, les citoyens peuvent aussiposer des questions à la recherche. Larecherche actuelle est divisée en sous-disciplines très spécialisées qui lui per-mettent de faire ses découvertes et de

faire en interne ses choix de probléma-tiques. Mais cela ne lui permet pas de poserles questions qui requièrent la coopéra-tion de plusieurs disciplines parfois trèséloignées, voire de savoirs non scienti-fiques (recherches contextualisées pourfaire bref). Ces questions sont souventissues de la société et les citoyens, lesacteurs de terrain, et pas seulement lesgroupes de pression industriels comme àprésent, peuvent poser ces questions,posséder ces savoirs. C’est le cas par exem-ple des malades qui ont aidé la recherchemédicale en lui apportant leur expertise.C’est enfin sur les questions soulevées parles grands défis de l’humanité que la par-ticipation citoyenne peut s’avérer indis-pensable.

quels sont les liens entre science etdémocratie ?janine guespin-michel : je me batsdepuis quinze ans pour l’idée de « scienceet démocratie ». tout d’abord elle ne signi-fie pas que des citoyens vont vérifier ceque font les scientifiques ni que les résul-tats scientifiques doivent être soumis auvote ! elle signifie que les choix concernantla recherche scientifique doivent être faitsde façon démocratique. Quels sont ils ?il y a d’abord les choix budgétaires. La répar-

tition des grandes masses budgétairesentre les disciplines est soumise à l’heureactuelle aux pressions des groupes depression financiers et industriels. je nepense pas non plus qu’elle doive être réser-vée aux seuls scientifiques. elle doit com-prendre une étape de dialogue avec eux,et en tout état de cause se faire de manièretransparente. C’est une question de démo-cratie des institutions et de l’État.ensuite, comment doivent être choisiesles questions scientifiques à traiter ? unepartie, correspondant à la recherche libredoit l’être par la communauté scientifique,avec des procédures démocratiques tellescelles des débuts du CNRs. Mais celles quicorrespondent aux autres types derecherches finalisées ou contextualiséesdoivent provenir d’instances démocra-tiques comprenant des scientifiques etdes représentants des citoyens concer-nés. Cela nécessitera des instances démo-cratiques diverses, décentralisées, dont

*Jean-Noël Aqua est physicien. Il estmaître de conférences à l’universitéPierre-et-Marie Curie.

Janine Guespin-Michel estbiologiste. Elle est professeurhonoraire de microbiologie àl’université de Rouen.

certaines expériences actuelles pourrontservir d’exemple. Cela nécessitera aussiune culture scientifique générale, descitoyens comme des travailleurs scienti-fiques, pour laquelle l’existence de ces ins-tances sera une forte motivation.

jean-noël aqua : Notons tout d’abordque le système français d’esR est orga-nisé avec des éléments (certes imparfaits)de démocratie qui en font un systèmeunique au monde. Mais ces liens sont mul-tiples et je n’en évoquerai que quelques-uns. je voudrais rappeler que la sciencetouche à ce qui est, la politique et la démo-cratie à ce qui doit être. La science énoncedes « lois » plus ou moins vérifiables quel’homme ne peut pas changer, comme lachute des corps. La démocratie énoncedes « lois » qui sont les règles décidées encommun du vivre-ensemble. La scienceconcerne la production et le partage dusavoir, qui est un élément décisif de l’éman-cipation humaine. s’interroger sur la massemanquante de l’univers ou sur l’intelligencesont des aventures qui devraient être par-tagées. La diffusion de la culture scienti-fique, les programmes de l’école à l’uni-versité… sont des éléments importantsd’un projet politique émancipateur. Maisle savoir est aussi une condition d’exer-

cice du pouvoir. Celui qui décide est sou-vent celui qui sait. Les choix stratégiquesdes entreprises, beaucoup de politiquespubliques sont le résultat d’une combi-naison du possible technologiquement(produire de l’énergie sans émettre deCo2 par exemple) et du souhaitable (enri-chir les actionnaires ou satisfaire les besoinshumains ?). Mais pour agir sur le souhaita-ble, il est important de comprendre le pos-sible « naturellement » (de combien d’éner-gie a-t-on besoin ?). Partager la science,c’est permettre le partage du pouvoir. n

« on assiste, avec la complicité des partisdu renoncement, à l’orientation progressive

des thèmes de la recherche publique sur l’intérêt immédiat des entreprises

(accompagnant la fermeture de centres de recherche privés), ou sur

l’immédiatement “utile”. »

PAR GÉRARD STREIFFSO

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envie de changer et attachement au système françaisun sondage Csa/Le Monde (via internet, 2 000 sondés), parudans ce quotidien à la mi-décembre, montre une double aspi-ration de l’opinion : une très forte envie de tout changer ; etdans le même temps, un très fort attachement au « systèmefrançais ».Pour 84 % des sondés, il faut transformer la france radicale-ment ou la réformer en profondeur. La notion de changementest positive pour 87 %, celle de réforme l’est pour 75 % etmême le mot de révolution est positif pour 57 %.en matière de bilan des choix opérés ces dix dernières années,trois domaines sur quinze recueillent une (courte) majoritéde bonnes opinions : la santé, les affaires étrangères, la pro-tection sociale. Mais l’opinion est critique pour ce qui toucheles finances publiques, la fiscalité, l’économie et l’immigra-

tion. La nostalgie d’une france d’avant est forte : 54 % opte-raient pour une machine à remonter le temps plutôt que dese projeter dans le futur (44 %).ils plébiscitent un État « fortement interventionniste » (78 %),décentralisé (56 %), organisé en grandes régions et départe-ments (48 %). 60 % se prononcent pour « des entreprisespubliques dans les secteurs clés » (mais 55 % aiment le libé-ralisme ? !). ils saluent également un impôt sur le revenu pro-gressif (82 %), l’assurance maladie (70 %), le système de retraite(60 %). Le quotidien titre : « Les français : tout changer maisgarder l’essentiel ».dans ce sondage, deux boucs émissaires émergent, cepen-dant : les « politiques » et R« l’immigration », ce dernier termeétant désormais négatif pour 69 % des sondés.

* 84 % des sondés sont partisans de transformer lafrance radicalement ou la réformer en profondeur.

*82 % sont pour un impôt sur le revenu progressif danslequel chacun paye selon ses revenus.

*70 % sont pour un système de sécurité sociale gérépar l’État et ses partenaires sociaux.

*60 % sont pour un système de retraite par répartition

PAR MICHAËL ORAND

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en 2013, le nombre de mariages (entre personnes de sexedifférent) a atteint un niveau historiquement bas, le plus fai-ble depuis l’après-guerre. 231  225 couples se sont ainsimariés cette année-là. C’est 15  000 de moins qu’en 2012,soit une diminution de plus de 6  %. Cette situation est lerésultat d’une tendance globale à la baisse depuis lesannées 2000, après une période relativement stable aucours des années 1980 et 1990 (graphique).

Le taux de nuptialité français est donc inférieur à 4 mariagespour 1  000 habitants. Cela place la france dans la four-chette basse des pays de l’union européenne. en 2012, lespays où l’on se mariait le plus étaient la Lituanie, Malte etChypre, avec des taux de nuptialité de près 7 mariages pour1  000 habitants. en revanche, on s’est peu marié cetteannée-là au Portugal et en bulgarie : dans ces deux pays, letaux de nuptialité se situait autour de 3 mariages pour 1 000habitants.

La baisse tendancielle du nombre de mariages observée enfrance est le résultat de la conjonction de deux phénomènes.Le premier de ces phénomènes est une baisse globale de lapropension à se marier. on la constate notamment sur la pro-portion de personnes mariées à l’âge de 50 ans. Pour lesfemmes nées en 1930, cette proportion était de 92,8 %, maiselle n’était plus que de 90,5 % pour les femmes nées en 1950et de 82,2 % pour celles nées en 1960. de même, la proportion

d’hommes mariés au moment de leur cinquantième anniver-saire est passée de 85,8 % pour la génération née en 1930 à77,2 % pour la génération née en 1960.

Le second phénomène est une augmentation de l’âge dupremier mariage. on se marie plus vieux, et ce retard pro-voque un effet statistique qui est une diminution – conjonc-turelle – du nombre de mariages observés (de la mêmefaçon que le fait que les femmes aient en moyenne leur pre-mier enfant plus tard crée une baisse conjoncturelle du tauxde natalité). L’âge moyen au premier mariage est ainsi passéde 23 ans en 1970 à 30 ans en 2012 pour les femmes et de 25à 32 ans pour les hommes. une des conséquences en estque la part de personnes mariées à 30 ans a très fortementchuté. en 1960 elle était de 86,7 % pour les femmes (76,3 %pour les hommes). en 2010, elle n’est plus que de 37,5  %(respectivement 27,1 %).

Ces statistiques ne concernent que les mariages entre per-sonnes de sexes différent. L’année 2013 apportait une nou-veauté avec l’autorisation du mariage entre personnes dumême sexe. 7 500 mariages de ce type ont été célébrés en2013, dont 59  % concernaient des couples masculins. Laprise en compte de ces nouveaux mariages réduit certes unpeu la baisse observée, mais ne permet cependant pas d’in-verser la tendance  : les français se marient toujours demoins en moins.

les français se marient demoins en moins

NOMBRE DE MARIAGES ENTRE COUPLES DE SEXES DIFFÉRENTS4 ENTRE 1946 ET 2013

Source : INSEE, état civil.Champ : France métropolitaine jusqu’en 1995. France hors Mayotte à partir de 1996.

quid de la Parité Homme-femme dans les média ?on observe une évolution progressive dela parité homme-femme dans la profes-sion journalistique. si au début des années1980, il n’y avait seulement que 25 % dejournalistes femmes, elles représententaujourd’hui 49,30 % selon l’observatoiredes métiers de la presse (source iNsee2011). Mais si le nombre de femmes dansle secteur de la presse est toujours crois-sant, il existe de très fortes disparités selonles métiers de la presse : la parité n’est passynonyme de l’égalité.selon le sociologue des média jean-MarieCharon, les femmes journalistes sont seu-lement majoritaires dans les secrétariatsde rédaction (65 %), et dans les équipesde rédaction de magazines de presse(58 %). en revanche, si on se penche surle cas des journalistes reporters d’images(jRi), elles ne représentent plus que letiers de la profession et ces proportionstombent à 25 % pour ce qui est des grandsreporters. de plus, les femmes sont davan-tage frappées par la précarité : 54 % despigistes sont des femmes et le salairemédian d’une femme journaliste est infé-rieur de 300 euros à celui de son homo-logue masculin (Le Secret des sources,france Culture, 18 octobre 2014).Maintenant, si on analyse la visibilité desfemmes parmi les invités à la radio ou surles plateaux télévisés, on s’éloigne encoreun peu plus de la parité. Les experts et lescommentateurs sont essentiellementmasculins comme l’avait déjà mis en avantle rapport de la Commission sur l’imagedes femmes dans les média de 2011, inti-

la place des femmesdans les média

tulé Les expertes : bilan d’une année d’au-torégulation. selon la dernière étude inter-nationale du global Media MonitoringProject portant sur le genre dans les média,les femmes ne sont présentes que dans27  % des informations en france etlorsqu’elles sont mises en avant, c’est à80  % en tant que témoin ou victime(Alternatives Économiques, septem-bre 2013). en réaction, le Conseil supé-rieur de l’audiovisuel (Csa) appelle leschaînes de télévision françaises à remplirdes objectifs quantifiés dont la présencede 30 % d’expertes sur les plateaux detélévision – contre 17 % actuellement – et50 % de femmes à l’antenne.

enfin, la place des femmes dans les dif-férentes hiérarchies du champ média-tique est « très peu satisfaisante » selonles mots de la précédente ministre de laCulture et de la Communication, auréliefilippetti, qui avait mis en place enmars 2013 un comité chargé d’évaluer lasituation des femmes dans les média avecl’appui de l’observatoire de l’égalité aprèsavoir créé un Haut conseil pour l’égalitéentre les femmes et les hommes.toutefois, la volonté ministérielle de « ren-dre visible l’invisible » est loin d’être réa-lisée. Les chiffres relatifs aux poids des

femmes dans l’organisation hiérarchiquedes média sont accablants : 7 directeursde rédaction sur 10 sont des hommes (LeParisien, 3 mars 2014). on se souvient quedes nominations essentiellement mas-culines à des postes de direction avaienteu comme conséquence une grève dessignatures au sein du journal Les Échoscourant juin 2014. La compétence sem-ble relever d’un domaine essentiellementmasculin si on s’attarde sur le ratiohommes-femmes dans les média.Comme le clame françoise Laborde,membre du Csa, il est grand temps derappeler l’importance de la présence desfemmes aux postes de direction pour unemeilleure efficacité et qualité des média.Les organismes de presse et de l’audio-visuel doivent sortir de la logique du nameand shame stigmatisant les mauvaisélèves de la parité pour passer au showand shine afin de montrer l’exemple auxautres corps de métiers (france Culture,18 octobre 2014).

rePrésentations desfemmes dans le contenumédiatiqueQue ce soit dans la place des femmes ausein du monde politique ou dans le trai-tement médiatique de certains faits divers,le journalisme a une marge de progrèsconsidérable en ce qui concerne l’égalitéde traitement entre les sexes.de manière insidieuse et au-delà del’éthique de respect de la vie privée, lesmédia n’hésitent pas à valoriser une cer-taine imagerie archaïque et patriarcaledes hommes politiques. alors que le pro-cès Carlton commence, le journal LaProvence titre « dsK : l’homme qui aimaittrop les femmes ». Quatre ans aupara-vant, lors de l’affaire du sofitel en mai 2011,Sud-Ouest intitulait déjà un de ses arti-

PAR SARAH CHAKRIDAET ANTHONY MARANGHI

de la speakerine d’antan à la miss météo d’aujourd’hui, les femmes – dansles média comme ailleurs – ont constamment été réduites à des stéréo-types peu reluisants. À ces éternels clichés, il faut ajouter les plafonds deverre et l’absence de femmes aux postes hiérarchiques les plus élevés.

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« Les exemples desexisme dans les

questions poséespar les journalistes

aux femmespolitiques sont

infinis. »

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cles : « dsK, l’homme qui aime les femmessans modération ». Peut-être un petit peutrop, en effet… en avril 2014, le magazineL’Express titrait « Hollande et ses femmes :les coulisses d’un vaudeville à l’Élysée »avec un montage montrant des photosdu président, de son ex-femme ségolèneRoyal, de julie gayet et de son ex-com-pagne Valérie trierweiller. Notons l’utili-sation du pronom possessif « ses » poursuggérer le fait que les femmes appar-tiendraient de fait à françois Hollandedans une relation de dépendance et desubordination. Ne parlons pas de la pressepeople qui foisonne d’exemples en lamatière, comme un article de Gala datédu 26 janvier 2014 intitulé « Hollande :comment les séduit-il ? ». des imagestirées de l’inconscient collectif du princegrivois et séducteur ou du roi entouré desa cour et de ses favorites.Les exemples de sexisme dans les ques-tions posées par les journalistes auxfemmes politiques sont infinis. Les thèmesabordés sont récurrents, comme l’appa-rence vestimentaire. en 2012, lors duConseil des ministres, la ministre de l’Éga-lité territoriale et du Logement, Cécileduflot était venue habillée en jean, ce quiavait créé la polémique. Le magazine fémi-nin Marie-Claire titrait alors : « Cécile duflotporte un jean au conseil des ministres :cela vous choque-t-il ? ». Parmi les thèmessoulevés, les journalistes n’hésitent pasà poser des questions sur l’articulationentre la vie privée et la fonction politique,une question qui ne se pose en aucun caspour un homme.Les candidates à l’élection présidentiellesont présentées comme illégitimes oupeu crédibles pour accéder à la fonctionpolitique suprême face à des hommes.durant la campagne présidentielle deségolène Royal en 2007, les média ont faitpreuve d’une grande sévérité à son égard :les « bourdes » de ségolène Royal étaientsystématiquement relayées comme étantla preuve de son incompétence, tandisque Nicolas sarkozy ne faisait que deserreurs qui étaient minorées, voire pas-

sées sous silence. ségolène Royal est reve-nue sur ce terme de « bourde » en déco-dant ce qu’elle considère comme un élé-ment de langage de la droite. Les piègesconsciemment tendus à la candidate ontjalonné toute la campagne. sur RMC, le25  janvier 2007, le journaliste jean-jacques bourdin, était parvenu à coincerla candidate, condamnée à trahir son igno-

rance du nombre de sous-marinsnucléaires français. en se plaçant sur leterrain viril de l’armement, il la renvoyait àson statut de femme faible et illégitime.Le politiste Éric fassin souligne que danscet épisode, l’assignation au rôle féminina marché. Pour lui, « la candidate auraitpu et même dû refuser de répondre ; maissi elle se laisse faire, ou plutôt se fait avoir,et commet l’erreur de hasarder un chif-fre, c’est qu’elle est gagnée par le doute.Ce que montre la vidéo de l’entretien, c’estque la candidate se trouve atteinte parl’entreprise d’intimidation : au moins uninstant, la voici entamée par le jugementdu sexisme ordinaire. »autre exemple de sexisme dans les média,le collectif « Prenons la une » composéde femmes journalistes a mis en lumièrele traitement médiatique controversé du« crime passionnel ». dans une tribunepubliée sur le site internet de Libérationle 24 novembre 2014, elles rappellent que« le crime passionnel n’existe pas » et qu’il« n’a jamais fait partie du code pénal ».Les média utilisent ce concept et contri-buent à atténuer la responsabilité dumeurtrier présumé. Le Monde titrait« Crime passionnel en direct en italie »dans un article daté du 1er décembre 2014.

Cosimo Pagnani, un homme de 32 ans,avait tué son ex-compagne, Mariad’antonio, 34 ans, de plusieurs coups decouteau, dimanche 30 novembre, dansl’après-midi au domicile de la victime dontil était séparé depuis une année.Les journalistes retiennent souvent l’ar-gumentaire du meurtrier pour occulter laversion de la victime. Pour la rubrique fait-

divers, ce genre journalistique quiemprunte au drame romanesque et faitla part belle aux archétypes, il n’y auraitque des amours tragiques et des meur-triers maladroits. or, ces histoires parti-cipent au phénomène des violences faitesaux femmes qui correspondent à une réa-lité chiffrée et macabre. en 2013, 159 per-sonnes ont été tuées par leur partenaire,selon le ministère de l’intérieur. 129femmes et 30 hommes. (Étude nationalesur les morts violentes au sein du couple.année 2013, ministère de l’intérieur, délé-gation aux victimes). dans la plupart descas, le meurtre est commis dans uncontexte de séparation, et après unelongue histoire de violences. Les expres-sions doivent être soigneusement choi-sies car elles ont un sens. Les termes« meurtre conjugal » ou « meurtre par par-tenaire intime » (qui incluent l’amant, oule prétendant éconduit) reflètent mieuxla réalité. en espagne, des média ont adopté dès2001 une charte de bonnes pratiquesjournalistiques sur le traitement de la vio-lence faite aux femmes. Le fait diversprend tout son sens lorsqu’il est contex-tualisé et gagne de la valeur pour le mes-sage qu’il révèle de notre société. n

« Parmi les thèmes soulevés, lesjournalistes n’hésitent pas à poser des

questions sur l’articulation entre la vie privéeet la fonction politique, une question qui ne

se pose en aucun cas pour un homme. »

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Le livre de julian Mischi intéressera tous ceux qui ont pris la mesure de lanécessité et de la difficulté de « construire une organisation militante enprise avec les milieux populaires ». Car rien ne se fait sans mobilisationdurable des salariés.

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PAR FLORIAN GULLI, JEAN QUÉTIER, IRÈNE THÉROUX

lire, rendre compte et critiquer, pour dialoguer avec les penseurs d’hier et d’aujourd’hui, faireconnaître leurs idées et construire, dans la confrontation avec d’autres, les analyses et le projetdes communistes.

le Pcf et les classespopulaires

En ce qui concerne le PCF, la prise de distance à l’égarddes classes populaires est contemporaine de son refluxélectoral et du déclin de ses effectifs. Comment l’expli-quer ?Il faut, bien entendu, prendre en compte les bouleverse-ments socio-économiques qui affectent le monde ouvrierà partir des années 1970. Le recul du PCF s’inscrit d’aborddans le contexte du déclin de l’ensemble du mouvementouvrier. Les profondes restructurations du travail affec-tent en profondeur les sociabilités ouvrières tradition-nelles sur lesquelles s’appuyait le PCF. Le groupe ouvriercommence à se décomposer sous la violence des boule-versements : désindustrialisation, précarisation, diversi-fication des contrats, restructuration des entreprises, nou-velles méthodes de gestion, chômage, etc. Les luttesentreprises pour la sauvegarde des grands sites qui struc-turaient la vie de territoires entiers sont ardemment menéeset d’autant plus dramatiquement perdues, invalidant unressort essentiel de l’engagement : l’efficacité de la mobi-lisation collective. Symptôme de la désagrégation, l’ex-pression « classes populaires » vient supplanter celle de« classe ouvrière » pour dire cette hétérogénéité grandis-sante qui rend problématique une culture de classe com-mune. Les conditions sociales de la mobilisation commu-niste sont partout fragilisées. Julian Mischi évoque cesquestions à grands traits dans le premier chapitre.Mais la thèse de l’auteur, politiste, se déploie surtout autourd’une autre dimension : les causes internes, propres à l’or-ganisation communiste elle-même, de cette déprise.La « désouvriérisation » de l’organisation communisterésulterait ainsi aussi de décisions politiques. La prioritéabsolue donnée au recrutement et à l’encadrement ouvrierest nuancée dans la décennie 1970, la diversification deve-nant un objectif fort. Dans le contexte du programme com-mun, il convient de s’adresser aux « nouvelles couchessociales », aux « couches moyennes ». Les enseignantsvoient leurs effectifs augmenter rapidement au sein duPCF, à la base et dans les instances de direction, au-delàmême des souhaits de Gaston Plissonnier et de la sectiondes cadres, contribuant à la marginalisation des ouvriers.À partir de l’enquête qu’il mène dans quatre départements,

Julian Mischi ajoute que l’encadrement militant tient demoins en moins sa légitimité des luttes sociales menéesdans l’entreprise.La désouvriérisation du corps militant s’accompagne d’unedésouvriérisation relative du discours communiste. Le

souci des « petites gens », des pauvres, des défavorisés, àpartir de la fin de la décennie 1970, croît au détriment dela valorisation d’une classe ouvrière héroïque et combat-tante, productrice des richesses du pays. Le discours duPCF apportait aux ouvriers, communistes ou non, recon-naissance sociale et fierté. La rhétorique « misérabiliste »leur renvoie une image négative d’eux-mêmes, d’autantplus difficile à entendre que l’heure est à la fragilisationdes milieux populaires. Cette évolution, pour Julian Mischi,est le symptôme d’un affaiblissement idéologique du PCFface aux valeurs dominantes, d’un certain reflux dumarxisme dans l’organisation. Dans les années 1990, ladistance au monde populaire va encore s’accroître lorsquele PCF en vient à se penser comme le « parti des gens », leparti de la diversité. Tout se passe comme si l’organisa-tion historique de la classe ouvrière abandonnait l’ambi-tion de représenter ladite classe.Dans son ouvrage intitulé Servir la classe ouvrière, JulianMischi avait tenté de montrer comment le PCF, jusquedans les années 1970, avait pu opérer un véritable « tra-vail partisan » permettant de promouvoir les classes popu-laires en son sein. Les procédures de sélection des cadresfavorisant les ouvriers, les différentes structures de for-mation des militants mais aussi la « politisation » systé-matique des réunions de cellule par les secrétaires appa-

« si le PCf est en recul parmiles ouvriers et les employés,

cela ne profite pas au fN,comme le montrent toutes les

enquêtes de terrain ; le reculdu PCf laisse d’abord la place à

l’abstention. »

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raissaient comme autant de moyens de donner à la classeouvrière les clefs d’un monde – le champ politique – dontelle était structurellement exclue.Aujourd’hui, le logiciel national répertoriant les militantsrecueille un certain nombre d’informations (âge, sexe, sec-teur d’activité, lieu d’habitation, etc.), mais aucune de cesinformations ne renvoie de près ou de loin aux classessociales. Du coup, les logiques sociales de différenciationet de hiérarchisation qui conduisent à la marginalisationdu groupe ouvrier dans le parti ne sont plus maîtrisées,avance le politiste. Les postes de direction finissent parêtre occupés quasi « naturellement » par ceux qui dispo-sent de compétences extra-militantes et de diplômes. Legroupe social central du PCF serait ainsi désormais celuides fonctionnaires de l’éducation nationale et de la fonc-tion publique territoriale.L’auteur apporte deux contextualisations importantes. Lapremière : si le PCF se « désouvriérise », il n’en reste pasmoins le parti politique le plus populaire aujourd’hui. Laseconde : si le PCF est en recul parmi les ouvriers et lesemployés, cela ne profite pas au FN, comme le montrenttoutes les enquêtes de terrain ; le recul du PCF laisse d’abordla place à l’abstention.Mais la décrue militante du PCF (entre 1979 et 1984, lePCF perd 30 % de ses adhérents) s’explique encore, selonl’auteur, par l’intensité des conflits à l’intérieur de l’orga-nisation, dans un contexte de désarroi stratégique aprèsla rupture du programme commun. Ces conflits oppose-raient la direction et la base – cette thèse est étayée parquelques exemples biographiques dont la pertinence restediscutable mais l’hypothèse de Julian Mischi est un appelà un nécessaire travail systématique et méthodique. Ilsopposeraient également les militants ouvriers aux élus età leurs collaborateurs : par-delà le schématisme un peumarqué du propos, Julian Mischi ouvre des pistes qui méri-tent examen. De fait, avant même l’abandon de la notionde « centralisme démocratique », le centre ne s’imposeplus (ne parvient plus à s’imposer ?) aux territoires com-munistes. « Loin du monolithisme et de la discipline defer qui étaient censés le caractériser, le PCF est devenul’un des partis de France les moins centralisés ». Si les

sociabilités extra-partisanes et les différences parfois fortesd’une fédération à l’autre ont toujours existé, Julian Mischicherche à montrer que le PCF a renoncé à l’ambition d’ho-mogénéisation des pratiques de ses militants, ambitionqui demeurait encore prioritaire dans les années 1970.Pour receler d’évidentes dimensions positives, cette évo-lution n’en pose pas moins question et Julian Mischi mon-tre ainsi qu’en plus de fragiliser l’unité politique du PCF,elle va conférer aux élus locaux, relativement autonomespar rapport à la direction nationale, un poids de plus enplus important. Pour Julian Mischi, le PCF devient « unparti d’élus » en ce sens que le communisme local serétracte très souvent autour des élections, des élus et deleur travail. Contrairement à la stratégie qui consistaitauparavant à soumettre les élus à un contrôle strict afinde battre en brèche l’établissement de baronnies locales– y compris en systématisant les déplacements géogra-phiques et autres « parachutages électoraux » –, c’est dés-ormais l’ancrage des élus au sein d’un territoire qui estvalorisé, explique l’auteur.Le livre se termine en évoquant un certain « renouveaucommuniste » ces dernières années, dans le cadre, notam-ment, de la stratégie du Front de gauche. Les effectifs sestabilisent voire croissent, l’organisation rajeunit.Si la démonstration de l’auteur reste parfois discutabled’un point de vue méthodologique, l'immense mérite dece livre est de poser en grand la question de la classeouvrière, de sa place dans les organisations politiques etdans le discours politique. Un chantier immense eturgent ! n

La science asservie La Découverte, 2014

ANNIE-THÉBAUD MONY

PAR IGOR MARTINACHE

L’épistémologie, c’est-à-dire l’interro-gation sur les conditions de produc-tion de la science, est une questionéminemment politique. C’est ce que

rappelle de manière édifiante le dernier ouvrage de lasociologue Annie Thébaud-Mony, spécialiste de la santédes travailleurs et cofondatrice du réseau Ban Asbestosmilitant pour l’interdiction de l’utilisation de l’amiantedans le monde. Une chercheuse engagée en somme, deuxtermes dont l’association suscite d’ordinaire la méfiance,alors même qu’il s’agit d’un état de fait nécessaire.Seulement, l’engagement des chercheurs est surtout perçu– et souvent dénoncé – quand ces derniers se mettent auservice des dominés, et non à celui des dominants. Or, lescollusions entre chercheurs et groupes de pression indus-triels sont légion, au détriment de la santé des travailleurs,voire de la population en général. L’auteur livre ainsi trois

ouvrages en un ici : une dénonciation de ces alliancesentre certains chercheurs et les groupes de pression indus-triels pour cultiver le « doute » sur la nocivité de certainessubstances industrielles ; le récit de trajectoires derecherche, celle de l’auteur, mais aussi d’autres chercheurss’efforçant, bien souvent au détriment de leur propre car-rière, de mettre en œuvre un « contre-pouvoir scienti-fique » pour contester ce déni ; et enfin une réflexion épis-témologique, qui livre au passage un état des lieuxpédagogique des connaissances sur la genèse des can-cers. Pour ce faire, elle passe en revue différents cas plusou moins anciens, mais dont les conséquences se fontencore sentir – du plomb dans les carburants au nucléaire,en passant par les biocides agricoles, le charbon, les plas-tiques et bien entendu l’amiante –, pour montrer com-ment certains chercheurs, médecins notamment, se sontemployés à mettre en doute la mise en évidence par cer-tains de leurs confrères de la toxicité de certaines subs-tances. Cette épistémologie du doute a en particulier étéfavorisée par le primat de l’épidémiologie statistique surtout autre type de preuve, notamment qualitative, obte-nue par les chimistes ou biologistes. C’est ainsi que mal-gré le progrès des connaissances concernant la cancéro-genèse et le rôle crucial de l’exposition à certaines

• Julian Mischi, Le Communisme désarmé. Le PCF etles classes populaires depuis les années 1970Agone, 2014.

• Julian Mischi, Servir la classe ouvrière :sociabilités militantes au PCF. Pressesuniversitaires de Rennes, 2010.

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tuent autant de précurseurs à un marxisme conçu commeun principe d’unification pratique : « Marx lui-même déclareavoir embrassé la dialectique hégelienne pour la conver-tir en matérialisme et transformer ses vaines futilités enun métal terrestre, fer ou or ». Lecture pour le moins auda-cieuse, qui présente le rapport de Marx à Hegel commequasi prométhéen, alors que le travail de Marx sur les caté-gories hégeliennes (voir le livre de Lucien Sève « LaPhilosophie » ?) est autrement détaillé, minutieux et sur-tout lié à l’analyse du mouvement du capital.La note de la p. 94 me paraît significative à cet égard d’unecertaine méconnaissance de la dialectique cautionnée parJaurès : non, la dialectique n’est pas « une méthode de rai-sonnement […] qui aboutit à une synthèse en dépassantles contradictions », comme croit pouvoir le préciser l’édi-teur. Mais la grandeur de Jaurès est d’avoir reconnu, sur lepoint essentiel de la guerre et de la paix, le caractère incon-ciliable de la contradiction. n

Critiquer Foucault Les années 1980 et latentation néolibéraleAden Éditions, 2014

OUVRAGE COLLECTIF DIRIGÉPAR DANIEL ZAMORA

PAR ÉLIAS DUPARC

Foucault, concède la première page de ce livre, est « ungéant de la pensée française du XXe siècle ». Mais les auteurspointent immédiatement l’ambiguïté de cette figure deve-nue « sacrée » dans l’université française. Le vif intérêtmanifesté à l’endroit du néolibéralisme et des « nouveauxphilosophes » par le Foucault tardif est à resituer selon euxdans le cadre général des « mutations d’une certaine gauched’après mai 1968 ». Il ne s’agit pas, plaide Daniel Zamora,de prétendre que Foucault serait devenu thatchérien à lafin de sa vie, mais que la dernière période de son travail a« paradoxalement œuvré à la légitimation d’un certain senscommun néolibéral ».Développant, selon son biographe Didier Eribon, « unehaine féroce de tout ce qui peut évoquer le communismede près ou de loin », Michel Foucault soutient les nouveauxphilosophes. Il se montre particulièrement élogieux vis-à-vis d’André Glucksmann lorsque celui-ci, en 1977 (à la veilled’une possible victoire de l’union de la gauche PCF-PS),affirme sans ambages que le goulag se trouve dans Marx.« Mort de Marx », domination d’une pensée « antitotali-taire » et d’une philosophie des droits de l’homme, lecontexte est propice à l’entreprise foucaldienne. Mais c’estsurtout, selon Michael Behrent, « la naissance, au débutdes années 1970, d’un malaise économique prolongé » quifacilite cette mise en avant par Foucault d’un « libéralismesans humanisme ». Comme le note Daniel Zamora, il s’agitde « lutter contre l’exclusion plutôt que contre les inégali-tés », de passer « de la redistribution des richesses à la redis-tribution du pouvoir ». Loïc Wacquant pointe quant à luides zones inopérantes dans les travaux de Foucault sur lesprisons – pourtant unanimement salués.À la lecture de ce remarquable ouvrage, le caractère fon-cièrement périmé de la dernière période du philosophesaute aux yeux. Que valent les analyses de Foucault guer-royant contre le pouvoir pastoral de l’État centralisé ou ledispositif disciplinaire de la sécurité sociale alors que lespolitiques d’austérité ravagent ce qui reste de ces institu-tions à l’échelon européen ? Le récit foucaldien, écrit à lafin des trente glorieuses et achevé au moment du tournant

substances, même à doses infimes, l’absence de donnéessuffisantes – faute d’être recherchées ! – sur les popula-tions concernées a permis à certains chercheurs, souventstipendiés par les industriels ou l’armée, de nier les cor-rélations mises en évidence cliniquement ou en labora-toire, et à rejeter la responsabilité des cancers à des fac-teurs comportementaux individuels. Un biais qui a, dureste, été largement intériorisé par les médecins qui omet-tent bien souvent de s’intéresser à la trajectoire profes-sionnelle de leurs patients, comme s’il n’y avait aucuneinformation à en tirer. Sans verser dans un complotismesimpliste, l’auteur s’appuie sur des faits précis et docu-mentés et pointe aussi les résistances venant des travail-leurs et des syndicats eux-mêmes, soumis à un arbitrageentre préservation de leur emploi et de leur santé. Bref,pour paraphraser le titre d’un célèbre documentaire, lareconnaissance des risques professionnels est un sportde combat. Un combat entre chercheurs en quelque sortemais qui engage toute la société. À l’heure où une certainefrange du patronat continue à nier l’existence de la péni-bilité au travail, la lecture de cet ouvrage aussiengageant qu’engagé s’avère plus qu’opportune. n

Jean Jaurès – « le courage c’est dechercher la vérité et de la dire » –

Anthologie d’un inconnucélèbreJEAN-NUMA DUCANGE

Le livre de poche, 2014

PAR JULIE-JEANNE CHEVALIER

Ce petit livre, d’un maniement bienpratique, a le mérite majeur de met-tre à notre disposition un certainnombre de textes de Jaurès. Jaurès, à

qui tout le monde se réfère et que personne n’a lu. Or Jean-Numa Ducange a fait un très beau et méritoire travail d’édi-tion, qui nous permet de reconnaître en Jaurès un hommed’action, un grand pédagogue du socialisme, mais aussimoins le produit du mouvement ouvrier que son talentueuxporte-parole.Très affaibli par la répression sanglante de la Communede Paris, émietté en factions rivales, travaillé par les ten-dances contradictoires du guesdisme et de l’anarcho-syn-dicalisme dans une France encore profondément ruraleet où la République elle-même n’était pas assurée, le mou-vement ouvrier a pu au moins, grâce à Jaurès, se doter d’unevoix. Ses magnifiques discours sur Dreyfus, sur la laïcité,sur le budget de la guerre, se veulent et sont avant tout ras-sembleurs. Jaurès comprend la nécessité pour la gauched’aller de l’avant en faisant progresser tout ce qui peut allerdans le sens de l’égalité entre les citoyens. Il comprend,avant tous les autres, le caractère central de ce qui toucheà la jeunesse. Il sait articuler en permanence l’attachementaux valeurs républicaines et l’internationalisme.Pour autant, nous sommes davantage en présence d’unvulgarisateur que d’un véritable théoricien. « Jaurès étaitpeu marxiste », disait cruellement Louis Althusser : il l’étaitcependant, et cela se voit dans ce choix de textes. Et ce qu’ila compris des idées marxistes, il l’explicite admirablement.Il n’en reste pas moins que son attachement humaniste àl’unité de la culture le conduit souvent à privilégier la syn-thèse par rapport au conflit, la complémentarité par rap-port à la contradiction, la conciliation par rapport à laconfrontation. Un seul exemple : dans le panthéon philo-sophique qu’il constitue, Spinoza, Rousseau et Hegel consti-

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de la rigueur, n’est plus d’actualité à l’heure où la gaucheradicale l’a emporté en Grèce contre le violent démantè-lement des protections sociales. C’est bien Marx – queFoucault, peu amène, renvoyait pourtant sans cesse auXIXe siècle – qui prouve au contraire son éclatante contem-poranéité. n

À nos amis La Fabrique, 2014

COMITÉ INVISIBLE

PAR JEAN-MICHEL GALANO

Il y a un retour du prophétique. Etcomme le dit un proverbe yiddish :« Il est bon qu’il y ait des prophètes :tout le problème est de distinguer les

vrais prophètes des faux. » Alors, voyons.Ce texte anonyme (on est clandestin ou on ne l’est pas) seréclame d’un sujet collectif, celui de révolutionnaires mon-dialisés dont le combat, amorcé en 2007, n’a pas pour butla prise et encore moins l’exercice du pouvoir, mais sa « des-titution ». L’ordre régnant dans les sociétés capitalistes sedoit d’être « bloqué », il faut dénoncer Google et l’iPad, quiinterposent entre les hommes et le monde réel une incroya-ble et aliénante quantité d’ « écrans », à prendre au senspropre comme au sens figuré. La voie insurrectionnelle,qui est aussi – ce thème s’affirmera tout au long du livrepour en être la conclusion — celle du « bonheur » consisteà saccager les symboles, les institutions et les réalités dessociétés marchandes.Judicieusement, les auteurs pointent dès la première pagele fait que ceux qui, il y a seulement quelques années, « pré-conisaient le retour à l’ordre » « font désormais figure debouffons. » Aucun rapport cependant entre cette décon-venue idéologique et la crise des subprimes. Non, le motde « crise » est d’ailleurs suspect. Marx se voit ridiculisé,

coupable d’avoir « à chaque spasme du capitalisme » cruqu’allait advenir the Big One (sous une formulation plai-sante, l’imputation n’est pas neuve). La démocratie n’estqu’un leurre, la face présentable de la dictature, mêmechose pour la liberté. Quant à l’humanité : la « gauche dela gauche » n’aurait pas compris, disant « L’humaind’abord », que le bilan de l’homme est catastrophique, quel’humanité, qui s’est mise au centre de tout, est un échec« métaphysique » dont témoigne « l’apocalypse » actuelle.Les insurrections ne valent donc pas par ce qui peut se pro-poser en elle de constructif, mais par leur capacité à démas-quer la violence du pouvoir et à faire éclater les mythesbienveillants dans lesquels une société marchande, vio-lente et inégalitaire justifie son existence. Une constantede ce livre est la dénonciation de toute transcendance, lerefus véhément de tout ce qui pourrait s’apparenter à unesacralisation, au profit d’une interaction immédiate entrel’individu et son environnement (qui n’est pas local, maismondial) et des hommes entre eux. Touchantes à cet égardsont les représentations totalement idéalisées du lien entreles combattants de l’IRA et la communauté catholique enIrlande du Nord : car s’il y avait effectivement osmose, l’IRAavait justement imposé à la communauté nationaliste unevie militarisée qui fut à l’origine de souffrances et imposaau final le renoncement à la lutte armée. L’accès de Syrizaau pouvoir en Grèce (autre exemple majeur de nos auteursqui, pour mondialistes qu’ils soient, n’ont semble-t-il rienà dire ni sur la Palestine, ni sur l’Afrique du Sud, ni surl’Amérique latine) vient de donner un sérieux coup de vieuxaux analyses admiratives des événements de 2007 dans cepays. L’histoire se montre déjà suffisamment cruelle avecce petit livre bouffi de prétention, lassant à force de for-mules à l’emporte-pièce et d’affirmations péremptoires.Les auteurs, si soucieux de désacralisation, restent beau-coup dans la jouissance de leur propre verbe.Reconnaissons-lui au moins, au-delà d’un goût trop mar-qué pour l’anaphore, certaines qualités d’écriture, qui enfont une lecture somme toute plaisante. n

« Max Frisch, LudwigHohl » Europe - janvier-février 2015

PAR FRANÇOIS POLOMÉ

C’est en Suisse germanophone quenous emmène cette fois la revueEurope, en évoquant la vie et l’œuvrede deux auteurs majeurs de ce pays. Si

Max Frisch (1911-1991) est considéré comme un classiquecontemporain, au point d’être entré dans les manuels sco-laires d’outre-Rhin, Ludwig Hohl (1904-1980) est restéjusqu’ici presque méconnu du public. Pourtant leursœuvres d’une même exigence présentent plus d’un pointcommun, justifiant leur réunion dans cette livraison.« Ses personnages ont conscience d’un malaise existen-tiel. Ils cherchent une vie sans faux-semblants, la vraie vie,et s’interrogent sur une telle possibilité. » Dans son intro-duction, Régine Battiston, spécialiste de Max Frisch,désigne d’emblée l’enjeu de son écriture. Cette passionde la vérité, recherchée sans fléchir, avec les moyens del’écriture, dans le réel du rapport à soi et à l’autre (i. e. auxfemmes), contre l’hypocrisie sociale et les formes d’ex-ploitation de l’homme par l’homme, est aussi celle quianima Hohl au point d’avoir refusé toute sa vie un autre

travail, vivant de peu, du soutien de quelques admirateurs.Pourtant le travail est au cœur de ses préoccupations :« Non pas le travail que vous impose la société et que vousaccomplissez pour gagner des sous, ”cet immense effortque font les hommes pour ne pas faire d’effort ”, mais letravail choisi, voulu, fait d’obstination, d’attention, derigueur et de lucidité. »

Car cet idéal exigeant, poursuivi dans le travail solitairede l’écriture, n’est pas une reddition aux facilités de l’in-dividualisme. Dans Au bout des Lumières, il y a le veau d’or,discours prononcé par Frisch lors de son soixante-dixièmeanniversaire et reproduit intégralement, on l’entend bienconcerné au plus haut point par la marche maladroite dumonde, dessinant avec discernement où nous en sommesen nos démocraties libérales essoufflées, notamment dansson propre pays, qu’il jugeait petit, et pas uniquement parl’étendue du territoire. Son compatriote Hohl n’a pas laréputation d’un auteur engagé. Pourtant, de manière plussubliminale, son œuvre fait apparaître un citoyen antifas-ciste, discutant de l’opposition entre communisme etsocialisme, les autres courants d’emblée mis hors sujetdes affaires publiques.Notons enfin, dans la section des « Chroniques », entreautres découvertes stimulantes, une lecture étonnantedes Illuminations de Rimbaud, sans doute plus matéria-liste qu’il n’y paraît. n

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le projet communiste de demain ne saurait se passer des élaborations théoriques que marx et d’autres avec luinous ont transmises. sans dogme mais de manière constructive, La Revue du projet propose des éclairagescontemporains sur ces textes en en présentant l’histoire et l’actualité.

la survaleur Comment expliquer le profit réalisé par le capitaliste ? on imagine souvent que lasource principale du profit réside dans le fait de vendre les marchandises produitespar ses salariés à un prix plus élevé que le coût réel de production de ces marchan-dises. s’il n’est pas faux de dire que le capitaliste réalise souvent des marges impor-tantes à la vente, là n’est pas pour Marx le cœur de l’explication.

PAR FLORIAN GULLI ET JEAN QUÉTIER

En achetant la force de travail de l’ouvrier

et en la payant à sa valeur, le capitaliste,

comme tout autre acheteur, a acquis le

droit de consommer la marchandise qu’il

a achetée ou d’en user. On consomme la

force de travail d’un homme ou on l’uti-

lise en le faisant travailler, tout comme on

consomme une machine ou on l’utilise en

la faisant fonctionner. Par l’achat de la

valeur journalière ou hebdomadaire de la

force de travail de l’ouvrier, le capitaliste

a donc acquis le droit de se servir de cette

force, de la faire travailler pendant toute

la journée ou toute la semaine. La journée

ou la semaine de travail a, naturellement,

ses limites, mais nous examinerons cela

de plus près par la suite.

Pour l’instant, je veux attirer votre atten-

tion sur un point décisif.

La valeur de la force de travail est déter-

minée par la quantité de travail nécessaire

à son entretien ou à sa production, mais

l’usagede cette force de travail n’est limité

que par l’énergie agissante et la force phy-

sique de l’ouvrier. La valeur journalière

ou hebdomadaire de la force de travail est

tout à fait différente de l’exercice journa-

lier ou hebdomadaire de cette force, tout

comme la nourriture dont un cheval a

besoin et le temps qu’il peut porter son

cavalier sont deux choses tout à fait dis-

tinctes. La quantité de travail qui limite la

valeurde la force de travail de l’ouvrier ne

constitue en aucun cas la limite de la

quantité de travail que peut exécuter sa

force de travail. Prenons l’exemple de notre

ouvrier fileur. Nous avons vu que pour

renouveler journellement sa force de tra-

vail, il lui faut créer une valeur journalière

de 3 shillings, ce qu’il réalise par son tra-

vail journalier de 6 heures. Mais cela ne le

rend pas incapable de travailler journel-

lement 10 à 12 heures ou davantage. En

payant la valeur journalière ou hebdoma-

daire de la force de travail de l’ouvrier

fileur, le capitaliste s’est acquis le droit de

se servir de celle-ci pendant toute la jour-

néeou toute la semaine. Il le fera donc tra-

vailler, mettons, 12 heures par jour. Au-

dessusdes 6 heures qui lui sont nécessaires

pour produire l’équivalent de son salaire,

c’est-à-dire de la valeur de sa force de tra-

vail, le fileur devra donc travailler 6 autres

heures que j’appellerai les heures de sur-

travail, lequel surtravail se réalisera en

une survaleur et un surproduit.

Karl Marx, Salaire, prix et profit (1865), Édi-

tions sociales, Paris, 1955, p. 47 sq.

Traduction modifiée.

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travail et force de travailAvant d’examiner en détail ce quiconstitue la source du profit du capi-taliste, il est nécessaire de rappeler cequi constitue, d’après Marx, le fonde-ment du rapport salarial. Nous avonsdéjà vu précédemment que la valeurd’une marchandise pouvait être mesu-rée par le temps de travail socialementnécessaire à sa production [Voir à cesujet le commentaire proposé dans larubrique « Dans le texte » du N° 44 deLa Revue du projet, NDLR]. Or le rap-port salarial constitue lui-même uneforme d’échange marchand. Sur lemarché du travail, le travailleur vendau capitaliste l’usage de sa force de tra-vail pour une durée déterminée.L’expression « force de travail » peutsurprendre. On pourrait en effet croire,à première vue, que le travailleur nevend pas au capitaliste sa force de tra-vail, mais son travail à proprement par-ler. Le capitaliste achèterait alors le tra-vail effectué par le salarié pendant, parexemple, une journée de huit heures.L’échange se faisant toujours entre desvaleurs égales, l’ouvrier obtiendraitsous forme de salaire l’équivalent dela valeur qu’il aurait produite au coursde la journée. Mais c’est alors l’exis-tence même du profit qui deviendraitinexplicable. Si le capitaliste cède sousforme de salaire la valeur qu’il reçoitdu travail, il n’y a pas d’accroissementdu capital. Ce que le capitaliste achète,en réalité, ce n’est justement pas le tra-vail qu’effectue le salarié : ce que lecapitaliste paye, c’est la force de tra-vail du travailleur. La valeur de cetteforce de travail est mesurée, commecelle de toute autre marchandise, par

le temps de travail nécessaire à sa pro-duction, en l’occurrence par la quan-tité de biens (aliments, vêtements, etc.)que le travailleur doit consommer pourêtre en état de retourner travailler lejour suivant. Cela ne veut pas dire quele salaire du travailleur soit toujoursexclusivement un salaire de subsis-tance, des déterminants sociaux – lalutte des classes notamment – peu-vent permettre d’accroître la valeur dela force de travail. Il faut donc biencomprendre que lorsque le capitalisteachète la force de travail du salarié, iln’achète ni le travailleur lui-même,sans quoi on aurait affaire à de l’escla-vage et non à du salariat, ni le travaildu salarié. Le capitaliste achète l’usagetemporaire d’une puissance, il « loue »pour ainsi dire le travailleur.

survaleur et surProduitPourquoi est-il important de faire cettedistinction entre achat du travail etachat de la force de travail ? Cela nerevient-il pas au même ? Et, si cettedistinction est fondée, comment expli-quer que, dans la vie de tous les jours,chaque salarié s’imagine que c’est sontravail et non sa force de travail qu’ilvend ? D’après Marx, s’il est décisif demontrer que le capitaliste achète belet bien la force de travail du salarié,c’est parce qu’il existe un décalageentre la valeur de la force de travail etla valeur du travail réellement effec-tué par le salarié. Encore une fois, Marxpostule, à ce niveau de l’examen, queles marchandises sont vendues à leurvéritable valeur, que le capitaliste n’es-croque pas directement le salarié enachetant sa force de travail à un prix

inférieur à sa valeur. Cela ne veut pasdire que, par ailleurs, cette escroque-rie n’existe pas elle aussi dans la réa-lité. Mais Marx entend expliquer le pro-fit du capitaliste sans même avoirrecours à cette idée d’escroquerie. Eneffet, même si le capitaliste achète laforce de travail du salarié à sa vérita-ble valeur, cette valeur est nécessaire-ment inférieure à la valeur du travailréellement effectué par le salarié.Comme le montre l’exemple de l’ou-vrier fileur que Marx utilise dans cetexte, s’il faut par exemple six heuresau salarié pour produire l’équivalentde la valeur journalière de sa force detravail, cela ne veut pas du tout direque sa journée de travail durera effec-tivement six heures. Le capitaliste lefait toujours travailler plus longtemps.La journée de travail est donc consti-tuée de deux parties : la première aucours de laquelle l’ouvrier gagne sonsalaire, la seconde durant laquelle iltravaille gratuitement pour le capita-liste. Et c’est là que se cache la clef dela compréhension du rapport d’exploi-tation capitaliste : une partie du tempsde travail du salarié ne lui est paspayée. Ce temps de travail non payéconstitue ce que Marx appelle le sur-travail, il entraîne la production d’unsurproduit représentant une surva-leur, aussi connue sous le nom de plus-value. La survaleur est la valeur sup-plémentaire produite par le salarié : ilest donc possible de calculer le tauxd’exploitation d’un salarié en mesu-rant le différentiel qui existe entre letravail nécessaire à la reproduction desa force de travail et le travail qu’il effec-tue réellement. La survaleur n’est pasdirectement synonyme de profit, carpour calculer le profit du capitaliste, ilfaut encore défalquer notamment lesfrais liés à la circulation des marchan-dises à vendre. On le voit, Marx par-vient par cette démonstration à bat-tre en brèche la thèse d’après laquellele profit constituerait la rémunérationdu « travail » du capitaliste : c’est aucontraire la production de survaleur,réalisée exclusivement au détrimentdes salariés, qui constitue la source duprofit. n

eXPLiQueR Le CaPitaLisMe auX tRaVaiLLeuRsla brochure intitulée Salaire, prix et profit, souvent considérée comme un « clas-sique » du marxisme, est à l’origine le texte d’une conférence tenue par marx enjuin 1865 devant le conseil général de l’association internationale des travailleurs.Publiée pour la première fois en 1898 par la fille de marx, eleanor, elle entendaitexposer, dans un style clair et pédagogique, le secret de la production capitalisteaux travailleurs du monde entier : la production de survaleur.

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