Fautes lourdes
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Sommaire
Sommaire ........................................................................................Erreur ! Signet non défini. INTRODUCTION...........................................................................Erreur ! Signet non défini. PARTIE I : LA NOTION DE FAUTE LOURDE ..........................Erreur ! Signet non défini.
CHAPITRE I : LA DEFINITION DE FAUTE LOURDE .......Erreur ! Signet non défini. Section I : L’élément subjectif : la négligence fautive............Erreur ! Signet non défini. Section II : L’élément objectif : la violation d’une obligation essentielle.Erreur ! Signet non défini.
CHAPITRE II : LES LIENS ENTRE FAUTE LOURDE ET DOLErreur ! Signet non défini.
SECTION I : La faute lourde un moyen d’étendre la notion de dolErreur ! Signet non défini. SECTION II : L’existence de la faute lourde en dehors du dolErreur ! Signet non défini.
PARTIE II : LES CONSEQUENCES DE LA FAUTE LOURDE DANS LE DROIT DES TRANSPORTS ...............................................................................Erreur ! Signet non défini.
CHAPITRE I : LA FAUTE LOURDE SANS INCIDENCE SUR LA LIMITATION DE RESPONSABILITE....................................................................Erreur ! Signet non défini.
SECTION I : De la faute lourde à la faute inexcusable ..........Erreur ! Signet non défini. Section II : Le rapprochement entre faute lourde et faute inexcusableErreur ! Signet non défini.
CHAPITRE II : LA FAUTE LOURDE ECARTANT LA LIMITATION DE RESPONSABILITE....................................................................Erreur ! Signet non défini.
SECTION I : La responsabilité totale du transporteur ............Erreur ! Signet non défini. Section II : Les autres incidences de la faute lourde ...............Erreur ! Signet non défini.
CONCLUSION ...............................................................................Erreur ! Signet non défini. ANNEXE I : Clause syndicale vol 2002.........................................Erreur ! Signet non défini. BIBLIOGRAPHIE ..........................................................................Erreur ! Signet non défini. INDEX ALPHABÉTIQUE.............................................................Erreur ! Signet non défini.
1
INTRODUCTION
Cette étude a pour objet d’examiner une particularité du transport terrestre en ce qu’il
consacre une importance particulière à la faute qualifiée. Dès lors qu’il a pris en charge la
marchandise et jusqu’à ce qu’elle et jusqu’à ce qu’elle soit délivrée, le transporteur en est
responsable. Seulement ce n’est pas le seul domaine ou la faute lourde peut être invoquée ;
elle peut être invoquée en droit du travail, notamment en matière de licenciement d’un
travailleur fautif, elle est définie dans ce cas par la jurisprudence comme une faute d’une
exceptionnelle gravité, commise avec l’intention de nuire à l’employeur.
Les exemples de faute lourde les plus fréquents concernent des cas de malversation, de
divulgation de secrets de l’entreprise, ou d’actes de concurrence tels que la constitution, avant
l’expiration du contrat de travail, d’une entreprise concurrente.
L’intention de nuire à l’employeur est un élément constitutif de la faute lourde, qui doit être
établie, indépendamment de la gravité des faits. La faute lourde est privative : non seulement
de toute indemnité de préavis ou de licenciement, mais encore de l’indemnité compensatrice
de congés payés.
On retrouve la faute lourde notamment en droit civil qui est la faute particulièrement grossière
faite par le débiteur d’une obligation qui dénote son incurie ou son insouciance à l’égard des
environnements auxquels il est confronté. Dans la hiérarchie des fautes elle s’intercale entre la
faute simple et le dol.
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La faute lourde est également rencontrée en matière de droit administratif, dans ce cas elle
s’oppose à la faute simple, non pas sur le critère de l’importance des préjudices mais sur celui
de la gravité du comportement fautif1.
La jurisprudence a parfois caractérisé la faute lourde selon la difficulté que représentait
l’exécution de l’activité pour l’administration. Le juge administratif et le législateur l’exigent
parfois pour engager la responsabilité de l’administration. Notamment dans les domaines
régaliens tels que la justice et la police administrative. En effet, la faute lourde est également
exigée quand l’autorité n’a qu’une activité de contrôle (notamment pour les autorités
administratives indépendantes), ou de tutelle.
Suivant la discipline envisagée, la faute lourde est défini différemment, nous retiendrons
parmi toutes les définitions qui ont pu être données, celle que la jurisprudence a donné à la
faute lourde dans un arrêt rendu par la Cour de cassation le 17 décembre 1951 qui la définit
comme : « une négligence d’une extrême gravité, confinant au dol, et dénotant l’inaptitude
(de son auteur) à l’accomplissement de la mission contractuelle qu’il a accepté ».
En application de ce critère tout théorique telle faute pourra apparaître comme bénigne, ou
tout au moins normale, et telle autre comme lourde, l’appréciation du degré de négligence ne
pouvant éviter une certaine subjectivité. Les conséquences de cette difficulté de classification
peuvent être considérables.
Les textes internationales sur le droit des transports notamment la Convention de Genève sur
le transport de marchandise du 19 mai 1956, dite CMR, la Convention de Bruxelles du 25
août 1924 amendée par le protocole modificatif du 23 février 1968, dit règles de Visby,
concernant le transport maritime et la Convention de Varsovie du 12 octobre 1929 en ce qui
concerne le droit aérien consacre une responsabilité « de plein droit, objective » du
transporteur. Tenu d’une obligation de résultat en ce qui concerne l’acheminement de la
marchandise. Les solutions juridiques préconisées par ces conventions allaient renforcer la
nature objective de la responsabilité des transporteurs2.
Affirmer la responsabilité de plein droit des transporteurs implique, en négatif, que la faute est
indifférente à l’attribution de cette responsabilité. Si un examen rapide des circonstances du
dommage permet de l’établir, elle sera sans doute suffisante à engager la responsabilité. Mais
1 Définition donnée par WILKPEDIA, fr.wikipedia.org 2 Ghislain de MONTEYNARD : «Le contrôle par la Chambre commerciale des fautes qualifiées des transports routiers de marchandises », www.courdecassation.fr
3
si rien ne permet de la constater, la situation du transporteur ne change pas pour autant : il
demeure garant de la réparation du dommage subi par son cocontractant.
Sur le plan des principes, cette approche se vérifie sans difficulté. Sauf exceptions très rares,
le législateur dispose que les transporteurs seront présumés responsables de plein droit de tous
les dommages nés de pertes partielles ou totales, d’avaries aux marchandises ou de retard dans
l’acheminement des biens. De même, les transporteurs de personnes devront garantir les
passagers des blessures, voire des accidents mortels3.
Sur le plan pratique, dans la réalité vécue par les entreprises de transport et leurs ayants droits,
cette approche se vérifie encore. Se sachant garants des dommages soufferts par leurs
cocontractants, les transporteurs ne font en principe aucune difficulté pour indemniser les
victimes dans les limites établies par le contrat ou par la loi.
L’examen de la jurisprudence conduit justement à se montrer plutôt réservé sur la portée du
principe de la responsabilité de plein droit des transporteurs. La faute, en effet, va se trouver
réinsérée dans le débat judiciaire, par une porte apparemment assez étroite : celle des
exonérations qui sont offertes aux transporteurs.
L’ensemble de ces textes offre une sécurité à la victime dont le droit à une indemnisation
s’exerce contre le débiteur d’une obligation de résultat. Mais, cette sécurité est limitée par le
montant. Ainsi chaque texte a fixé la limitation de responsabilité notamment la CMR mais
aussi les contrats types qui régissent le transport terrestre en l’absence de dispositions
contractuelles signées entre les parties.
Le contrat de transport étant avant tout un contrat par définition, il se trouve naturellement
soumis aux règles générales des obligations (articles 1101 à 1396 du Code civil) et se trouve
donc soumis à l’article 1134 alinéa 1 du Code civil « les conventions légalement formées
tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ».
Les cocontractants se trouvent donc soumis à une limitation de responsabilité qui aurait été
insérée dans le contrat de transport, la loi n’interdisant pas de telles clauses.
Les textes nationaux comme internationaux prévoient souvent que les transporteurs peuvent
s’exonérer en vertu de cas exceptés. Ce sont des causes objectives de dommages auxquelles le
législateur confère une vertu exonératrice. Leur liste peut être plus ou moins longue, mais leur
nature ne change pas.
3 Alain SERIAUX : « La faute du transporteur », édition ECONOMICA, 1998, page 11
4
Le cas excepté est en effet conçu comme une cause d’exonération purement objective qui
n’implique aucune appréciation du comportement du transporteur.
Le transporteur pourra aussi invoquer la force majeure pour dégager sa responsabilité
lorsqu’elle est mise en jeu. Nombreux sont les textes qui en droit des transports, se réfèrent à
la notion de force majeure. Certains comme les articles 103 du Code de commerce et 1784 du
Code civil emploient l’expression même de « cas fortuit » ou de « force majeure ».
Les textes internationaux ont recours à d’autres formules telles que des « circonstances que le
transporteur ne pouvait pas éviter et aux conséquences desquelles il ne pouvait pas obvier »
(article 17 § 2 CMR et article 36 § CIM).
Souvent, la force majeure prouvée joue aux yeux de la jurisprudence le rôle de cause
d’exonération « fourre-tout ».
Pour pouvoir invoquer la force majeure, le transporteur doit justifier qu’il n’a pas commis de
faute, mais aussi qu’il a accompli une certaine diligence pour empêcher la cause du dommage.
S’il ne tente pas de faire cette preuve, il demeurera totalement responsable.
Il est nécessaire de rappeler que ni les cas exceptés, ni la force majeure ne permettent
l’exonération du transporteur, lorsqu’il a commis une faute susceptible de faire tomber la
limitation de responsabilité.
En effet le droit des transports connaît un certain nombre de dispositions qui rendent
inopposables les causes d’exonération légalement prévues en faveur du transporteur lorsque
celui-ci commet une faute qualifiée.
En ce sens l’article 29 de la Convention de Genève de 1956 (CMR) est très explicite et stipule
que « Le transporteur n’a pas le droit de se prévaloir des dispositions du présent chapitre
(relatif à la responsabilité du transporteur) qui excluent ou limitent sa responsabilité ou qui
renversent le fardeau de la preuve, si le dommage provient de son dol ou d’une faute qui,
d’après la loi de la juridiction saisie est considérée comme équivalente au dol ». Les termes
employés par l’article 29 montrent bien le refus de prendre en considération, en présence
d’une faute grave du transporteur, l’existence des cas exceptés4.
Les ayants droits de la marchandise pourront ainsi échapper aux clauses limitatives de
responsabilité d’une part en faisant une déclaration de valeur qui est le moyen le plus simple
pour un expéditeur de ne pas se voir opposer les clauses limitatives de réparation. Tous les
4 Alain SERIAUX op. Cit.
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contrats types prévoient cette possibilité pour le donneur d’ordre de déclarer la valeur de la
marchandise, du moins la valeur que lui donneur d’ordre, fixe au chargement confié. Il s’agit
donc d’une procédure purement contractuelle, qui a pour effet d’élever l’indemnisation due
par le transporteur, des dommages justifiés sans rien modifier sur le principe de sa
responsabilité. En cas de force majeure ou d’un cas d’exonération, le transporteur n’aura rien
à régler5.
Pour le retard la même procédure existe, avec pour la possibilité pour le donneur d’ordre de
faire une déclaration d’intérêt spécial qui substitue, ici aussi et avec les mêmes effets, le
montant prévu initialement, c'est-à-dire le montant du prix du transport.
D’autre part faisant application des principes qui gouvernent la responsabilité contractuelle, la
jurisprudence a admis que, fût-ce en présence de Convention internationale ou de texte
législatif, une faute qualifiée permettait à la victime d’échapper à la limitation de
responsabilité dont bénéficie le transporteur. Elle consacre précisément l’existence d’une
faute lourde en matière de transport terrestre. Cependant, la faute lourde est difficile à
appréhender, elle ne figure dans aucun texte législatif, c’est une définition qui provient d’une
construction strictement jurisprudentielle, et elle qui prend en compte les éléments purement
factuels. Dans la recherche de qualification de la faute lourde, nous avons voulu envisager
dans une première partie de notre travail la notion de faute lourde et dans une seconde partie
les conséquences de la faute lourde sur la responsabilité du transporteur.
5 Daniel HOENIG : « pratique du transport terrestre », Cours et textes de références, CDMT, Aix-Marseille III, 2006, page 86
6
PARTIE I : LA NOTION DE FAUTE LOURDE
Parler de la notion de faute lourde reviendrait à définir la faute lourde, définition qui on
le verra suscite un débat doctrinal très intéressant mais aussi est à l’origine d’une
jurisprudence très importante. Cela nous amènera à envisager la notion de la faute
lourde par rapport au dol qui produise les mêmes effets.
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CHAPITRE I : LA DEFINITION DE FAUTE LOURDE
Le droit des transports illustre bien, grâce à la multiplicité des textes le régissant, les deux
modalités fondamentales par lesquelles le législateur et tribunaux recourent à la notion de
faute lourde. La jurisprudence a mis en exergue d’une part la négligence caractérisée
synonyme de faute lourde et d’autre part, la violation d’une obligation essentielle qui était
constitutive d’une faute lourde jusqu’à une jurisprudence récente qui a remis en cause cette
solution.
SECTION I : L’ELEMENT SUBJECITIF : LA NEGLIGENCE FAUTIVE
Il faut savoir que cet élément subjectif se dégage de multiples solutions jurisprudentielles. En
effet les juges font une appréciation des faits qui leurs sont soumis et feront une appréciation
au cas par cas pour pouvoir se prononcer sur la faute lourde. La Cour de Cassation exerce sur
ce point un contrôle important et primordial « mais la diversité des situations de faits n’a pas
permis d’atteindre une suffisante netteté », la faute lourde consiste en une erreur grossière
« une incurie grave » d’une négligence patente démontrant l’inaptitude de son auteur à
remplir à remplir son obligation acceptée par lui, elle est caractérisée la plupart du temps par
le vol de marchandise (Paragraphe I).
Mais la faute lourde est aussi caractérisée par la faute grossière de manutention ou de conduite
Paragraphe (II).
Paragraphe I : Le Vol de marchandise
8
Le vol de marchandises est l’exemple patent en matière de faute lourde, c’est le domaine par
excellence ou les circonstances détermineront si une faute lourde du transporteur pour être
retenue. Le sujet est vaste et cela concerne aussi bien les vols de marchandises elles mêmes
que les vols de convois en entier. Il est certain que tout est une question factuelle. Le juge va
vérifier si le transporteur avait connaissance de la valeur de la marchandise confiée et sur les
conditions de stationnement du convoi.
Ainsi il ressort d’un arrêt de la Cour d’Appel de Paris rendu le 17 mai 1988 qu’un
transporteur s’était engagé à transporter un piano datant de 1830, il n’a pas pu faire sa
livraison, ne pouvant avoir accès au local de livraison. Il ne demanda pas d’instruction ni au
destinataire, ni à son donneur d’ordre. Le véhicule fut alors laissé plusieurs jours en fin de
semaine sur la voie publique et fut volé avec l’instrument de musique. La faute lourde est
retenue contre le transporteur. Le juge d’appel considère en effet que « considérant que c’est à
bon droit que les premiers juges ont qualifié de faute lourde le fait pour le transporteur d’avoir
laissé le véhicule contenant le piano en stationnement pendant plusieurs nuits sur la voie
publique (les portes du camion fussent-elles verrouillées et le stationnement eût-il eu lieu non
loin du domicile du préposé du voiturier ».
Pour tenter de s’exonérer le transporteur argumentait sur le fait que qu’il y’avait impossibilité
de livrer le matériel confié, ceci par faute du destinataire absent au moment de la livraison, et
qu’il ne pouvait rentrer le camion dans son garage par suite une panne sur un autre véhicule.
Par ailleurs, il avait garé le camion sous ses fenêtres.
Le juge ne l’entend pas ainsi, il considère d’abord que « l’absence momentanée du
destinataire lors de la livraison d’un objet ne saurait constituer pour un voiturier un événement
imprévisible dont il ne pourrait surmonter les effets », le juge ajoutant « qu’il appartenait au
transporteur de garer le véhicule dans un entrepôt »6.
A travers la faute lourde, l’obligation du transporteur est de se comporter comme un voiturier
soucieux de prendre soin de la marchandise dont le transport lui avait été confié. C’est à lui
seul, ayant la maîtrise du transport jusqu’à la complète livraison de prendre toute disposition
pour sauvegarder et protéger le chargement, quitte à demander les ordres à son donneur
d’ordre et lui demander réclamation d’un supplément pour la livraison7.
6 Cour d’appel de Paris (5° chambre, Section A) 17 mai 1988 Mme DEPRESLE c/ Mme STARKIER, B. T 1988, page 623. 7 Daniel HOENIG : « Pratique du transport terrestre » Op. Cit. Page 94.
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Nous pouvons constater que le délai de stationnement est l’un des fondements retenu
couramment pour retenir la faute lourde à l’encontre du transporteur. Ainsi le fait pour un
transporteur de laisser 4 jours et 4 nuits un convoi sans surveillance sur l’aire de manutention
d’un ferrouteur démontre une négligence particulièrement grave. Il est intéressant de constater
dans cette affaire que le ferrouteur ne fut pas tenu pour responsable par application du contrat.
Le montant du préjudice peut permettre au juge de retenir ou non la faute lourde, plus le
chargement a de la valeur plus l’obligation de surveillance est stricte. Ainsi le stationnement
sur la voie publique la nuit en un lieu éclairé n’est pas en soi une faute lourde, mais malheur
au chauffeur qui déclare lors du dépôt de plainte pour vol, qu’il connaissait la valeur du
chargement, si celui-ci est onéreux. La Cour d’Appel de Versailles considère ainsi que laisser
dans ces conditions un chargement d’armoires électriques d’une valeur de 2 ou 3 millions de
francs est consécutif d’un manquement grave et donc de faute lourde, le transporteur devant
prendre plus de précaution et parquer son convoi en un lieu surveillé.
Aucun lieu de stationnement en l’absence d’une surveillance efficace n’est une garantie pour
le transporteur. Par exemple un transporteur avait garé sa semi-remorque bâchée près d’une
gendarmerie. L’accès au convoi était facilité par le fait qu’aucun dispositif de sécurité n’était
installé. Le chauffeur dormait à l’intérieur du véhicule dans la cabine. Le chargement était
composé de petits colis facilement déplaçables. La bâche fut découpée et le chargement
partiellement volé. La faute lourde est retenue contre le transporteur8. L’emploi d’engin bâché
fait l’objet de nombreux contentieux. L’arrêt le plus utopique a été rendu le 3 avril 2002
« justifie légalement sa décision en retenant que le transporteur avait commis une faute lourde
et en écartant une clause de limitation de responsabilité, l’arrêt qui relève que le transporteur a
laissé le véhicule avec son chargement en stationnement durant la nuit sur la voie publique et
sans surveillance ». Cet arrêt récent se fait en définitive l’écho de jurisprudences constantes
des juges du fond. Le transporteur ne peut abandonner son véhicule de nuit sur la voie
publique9.
Mais ces circonstances vont être appréciées en tenant compte de la durée ou des éléments
particuliers de l’abandon. C’est ainsi que le 16 novembre 1993 la Chambre commerciale a
approuvé les juges du fond d’avoir décidé qu « la circonstance qu’un véhicule, volé avec son
chargement, ait été laissé sans surveillance, mais fermé et équipé d’un dispositif anti-vol, en
8 Cass. Com. 14 novembre 1989, B. T. 1990, page 256 9 Cass. Com. 3 avril 2002, Bulletin de la Cour n° 68
10
stationnement 80 minutes environ sur un parc de stationnement privé, ne constituait pas une
faute lourde du transporteur » 10 .Le critère important tient au temps relativement court
d’abandon du véhicule. Il en est toutefois différemment dès lors que le véhicule n’a été
abandonné qu’un laps de temps très court, mais dans une rue de Paris, clés sur le tableau de
bord et moteur en marche…(Com. 25 octobre 1994)11.
En revanche le vol dans un véhicule, contenant des pièces d’orfèvreries, garé une partie de la
nuit, non pas sur la voie publique mais sur l’aire de repos de la gare routière de Garonor dont
les entrées et les sorties sont en permanence surveillées, tandis qu’en outre les colis avaient
été placés dans la remorque à l’intérieur de bacs fermés à clef et que les cambrioleurs avaient
du se livrer à diverses effractions avant de pouvoir s’approprier la marchandise n’a pas été
considéré comme révélateur d’une faute lourde du transporteur12 , Com 14 juin 1994. Le
critère évident retenu par la Cour tient au fait que le véhicule n’était pas abandonné sur la voie
publique mais dans une enceinte gardée.
Ce dernier arrêt est à rapprocher d’un arrêt récent de la Chambre commerciale rendu le 3 avril
2002 qui approuve les juges du fond d’avoir écarté toute faute lourde du transporteur tandis
que le chauffeur avait garé le véhicule et son chargement dans la cour fermée du transporteur,
contre un quai de déchargement, en vue de bloquer les portes, avait verrouillé le camion et
enclenché l’antivol et que le vol avait été commis par effraction du portail et d’une portière
du véhicule. Pourtant le véhicule contenait de l’alcool et aucune surveillance n’a été exercée
sur le véhicule pendant la nuit. Le critère le plus important tient au « blocage » du camion
contre un quai13.
Paragraphe II : La faute grossière de conduite ou de manutention
La faute lourde peut aussi se déduire d’une faute grossière de conduite ou de manutention, on
retiendra en ce sens plusieurs arrêts de la Cour de Cassation. Un arrêt de la Chambre
Commerciale du 3 mars 1998, approuve une Cour d’Appel d’avoir retenu la faute lourde du
transporteur aux motifs suivants « mais attendu que l’arrêt relève que le transporteur dont le
camion était chargé de marchandise, roulait à une vitesse de 60 kilomètre heure environ sur 10 Cass. Com. 16 novembre 1993, Bulletin de la Cour n° 414 11 Cour. Com. 25 octobre 1994, Bulletin de la Cour, civ. n° 150 12 Cass. Com. 14 juin 1994, Bulletin, civ. n° 220 13 Cass. Com. 3 avril 2002, Bulletin, civ. n°67
11
un tracé de route limité à 20 kilomètre heure, que le virage ou l’accident s’est produit est
dangereux et ne pouvait être négocié sans danger à la vitesse à laquelle il l’a été »14.
De même dans son arrêt du 17 novembre 1992, la Chambre commerciale approuve une Cour
d’Appel qui a retenu une faute lourde pour « un transporteur qui avait endommagé un
chargement de grande valeur en passant sous un pont trop bas, la Cour d’Appel a relevé que si
l’ouvrage présentait des hauteurs différentes à l’entrée et à la sortie, il appartenait au
transporteur, tenu d’une obligation particulière de vigilance, de s’assurer qu’il pouvait
franchir le pont sans danger »15.
Mais un an plus tard la Chambre Commerciale a cassé un arrêt au seul visa de l’article 455 du
nouveau code de procédure civile au motif que la Cour d’Appel s’était bornée à énoncer que
le transporteur était passé sous un pont avec un chargement trop élevé et dont la hauteur libre
était insuffisante, la généralité de ce motif ne permettant pas à la Cour de Cassation d’exercer
son contrôle, c’est un arrêt rendu le 8 juin 199316. Il faut savoir cependant que l’incertitude
quant aux circonstances de la disparition de la marchandise ne signifie pas que le transporteur
s’est rendu coupable d’une faute lourde. La Chambre Commerciale est constante sur ce point
depuis 1985, avec 2 arrêts (26 février 1985, 25 juin 1985), dernièrement elle a rendu deux
arrêts qui confirment l’existence d’une pérennité jurisprudentielle17.
De même la Chambre Commerciale de la Cour Cassation, par exemple, a admis la faute
lourde dans le cas de la remise d’un colis à un mauvais destinataire, cela ressort d’un arrêt :
Com.11juillet 199518, ou dans le cas d’une société de matériel informatique qui avait failli à
son engagement d’intervenir sur le site de son client dans un délai de 48 heures, cela ressort
d’un arrêt de la Chambre Commerciale, du 17 juin 2001, elle a même considéré que la faute
d’un tiers n’excluait pas que celle du débiteur puisse être qualifiée de lourde ceci dans un arrêt
rendu par la Chambre Commerciale le 19 novembre 199619.(a chercher)
14 Cass. Com. 3 mars 1998, Bulletin, civ. n° 92 15 Cass. Com. 17 novembre 1992, Bulletin n° 366 16 Cass. Com. 3 juin 1993, Bulletin n° 238 17 Cass. Com. 9 mai 1995, Bulletin n° 140, « N’ayant pas constaté, contrairement aux allégations du moyen, que les conditions du transport ne permettaient pas de connaître par quel véhicule la marchandise était transportée, ni quel était le conducteur responsable de celui-ci et qu’elles mettaient le transporteur dans l’impossibilité absolue de donner le moindre renseignement sur la cause et les circonstances de la perte des colis litigieux, une Cour d’appel a pu retenir, en l’état du litige tel qu’il lui était soumis, que le seul fait pour le transporteur de ne pouvoir donner éclaircissements sur les causes et les circonstances de la perte n’établissait pas l’existence d’une faute lourde ». 18 Cass. Com. 11 juillet 1995, Bulletin civ. IV, n° 215. 19 Cass. Com. 19 novembre 1996, Bulletin civ. IV, n° 280.
12
Cependant par un arrêt du 9 décembre 199720, la Chambre commerciale a rendu une décision
qui mérite une certaine attention : au visa de l’article 1150 du code civil, elle a cassé un arrêt
qui n’avait pas retenu de faute lourde à l’encontre d’un transporteur qui avait laissé son
véhicule « certes sans surveillance mais avec au moins l’antivol enclenché, de jour, près d’un
lieu fréquenté, pendant un bref laps de temps et pour un motif légitime ».Les éléments de
cassation sont les suivants : la Cour d’Appel aurait dû rechercher si, en tant que professionnel
du transport, le voiturier pouvait ignorer les risques encourus par les transporteurs en Italie et
les recommandations des assureurs de la profession de ne faire stationner les véhicules de
transport de marchandises que dans les parcs gardés, et si, malgré ces mises en garde, le
camion chargé de marchandises de valeur n’avait pas stationné sans surveillance sur la voie
publique d’une ville italienne, tandis qu’arrivé à Milan vers 19 heures 30, après la fermeture
du service des douanes, le chauffeur aurait pu mettre son véhicule dans un emplacement gardé
proche du lieu de dédouanement et éviter d’effectuer un déplacement supplémentaire d’une
dizaine de kilomètres, pour dîner avec un autre chauffeur dans un restaurant d’où il ne pouvait
exercer aucune surveillance sur son camion, lequel était dépourvu d’un système de sécurité
supplémentaire exigé par l’assureur et donc plus facile à dérober.
Deux éléments doivent particulièrement attirés l’attention : la Chambre commerciale n’a pas
censuré l’arrêt pour insuffisance de motif mais pour manque de base légale au regards des
règles gouvernant la limitation de responsabilité contractuelle (article 1150 du code civil).
Cela témoigne, d’une part de l’existence d’un contrôle plus étendu que le simple contrôle
des motifs (a pu) ainsi que les arrêts de rejet auraient pu le suggérer, et d’autre part,
d’une volonté de la part de la Cour de cassation, de proposer des critères gouvernant la
faute lourde.
Cet arrêt n’est pas resté isolé. Un arrêt récent de la Chambre commerciale, a retenu que
l’agression d’un chauffeur 60 kilomètres au-delà de la frontière française, mais en Italie,
n’était pas exonératoire pour le transporteur, qui aurait, malgré les mises en garde des
assureurs, dû se stationner en France21.
20 Ghislain de MONTEYNARD : « Le contrôle par la Chambre commerciale des fautes qualifiées des transports routiers de marchandises », www. courdecassation. com. 21 Cass. Com. 29 février 2000, Bulletin n° 45 : « manque de base légale au regard de l’article 17 alinéa 2, de la Convention de Genève, l’arrêt qui, pour exonérer le transporteur de sa responsabilité, retient au titre de la force majeure l’agression subie par le chauffeur en Italie sur une aire de station service située à 60 kilomètres environ de la frontière française, sans rechercher si, en tant que professionnel, le transporteur pouvait ignorer les risques encourus par les transporteurs en Italie, ainsi que les recommandations des assureurs et de la profession et de la profession de ne faire stationner les véhicules de transport de marchandises que dans les parcs gardés, et si
13
Il n’est peut être pas évident que le critère géographique soit le critère dirimant :
- le critère géographique n’est pas le critère principal retenu par l’arrêt de février 2000 ;
- il n’appartient pas à la Cour de cassation de consacrer une présomption de l’homme,
- la mise en œuvre de ce critère est aléatoire. Sans consacrer une extension de la
jurisprudence « italienne » sur le sol de France, la Chambre par son arrêt du 28
novembre 2000 22 , ne s’est en définitive fondée que sur l’existence d’instructions
précises tandis que le pourvoi entraînait la Chambre sur une systématisation du critère
géographique, ou plutôt sur une extension de la jurisprudence « italienne » au sud de
la France.
Le même type de difficulté concerne les acheminements effectués à destination de la Russie23.
Tout cela montre que même si elle n’implique pas la preuve d’une intention malicieuse du
responsable, la faute lourde est caractérisée par une négligence très grave, une erreur grossière
ou un comportement inadmissible, en s’attachant à « la conscience qu’a eue ou qu’aurait dû
avoir le débiteur des risques crées par son comportement ».
Ainsi la négligence très grave du transporteur peut caractérisée une faute lourde cependant,
avant une jurisprudence très récente qui est venu redéfinir la faute lourde, la faute lourde était
aussi caractérisé par la violation d’une obligation essentielle.
SECTION II : L’ELEMENT OBJECTIF : LA VIOLATION D’UNE OBLIGATION
ESSENTIELLE
Comme nous l’avons dit plus haut « la violation d’une obligation essentielle suffisait à
caractériser la faute lourde, dans l’état antérieur de la jurisprudence (Paragraphe I) ; cependant
la jurisprudence semble aujourd’hui remettre en cause la jurisprudence par l’arrêt Chronopost
(Paragraphe II).
malgré ces mises en garde, le chauffeur n’aurait pas pu stationner son véhicule en France, pour déjeuner et faire sa toilette, au lieu de faire 60 kilomètres plus loin en Italie ». 22 Cass. Com. 28 novembre 2000, Bulletin n° 188 : « attendu que pour écarter la faute lourde du voiturier et faire application de la clause limitative de responsabilité…, l’arrêt retient que le chauffeur qui ignorait la valeur de la marchandise qu’il transportait, a stationné son véhicule sur le parking de Donzère de l’autoroute dont il n’est pas établie qu’il était réputé pour son insécurité et qu’étant resté dans son véhicule, il ne l’avait pas abandonné sans surveillance. 23 Ghislain de MONTEYNARD, op. Cit.
14
Paragraphe I : L’état antérieur de la jurisprudence
Il pèse sur le transporteur une obligation de connaissance nécessaire de ses devoirs, et cela
renforce du même coup le contenu de son obligation de diligence dont, par contraste,
l’inexécution ne devient que plus gravement fautive. Aussi bien souvent la jurisprudence
insistera directement sur l’importance de l’obligation que le transporteur devait remplir.
« Obligations essentielles », diront les tribunaux. Le transporteur qui ne les respecte pas ne
peut ne peut qu’avoir conscience du dommage qui en découlera fatalement pour l’ayant droit.
L’expression obligations essentielles, ne semblent d’ailleurs pas, au moins en droit des
transports, avoir un contenu objectif : la jurisprudence n’oppose jamais réellement aux
obligations « essentielles », des obligations qui ne seraient qu’accessoires. L’insistance sur le
caractère essentiel vise plutôt l’importance que le transporteur devait attacher à remplir cette
obligation et, par voie de conséquence, la diligence accrue qu’il devait fournir.
Ainsi peut on classer dans la catégorie des « obligations essentielle », des obligations aussi
générales que le soin à fournir aux marchandises confiées au transporteur. Le capitaine qui
installe dans ses cales des porcs en vrac, sans litière, avec des mangeoires cassées et de l’eau
distribuée de façon rudimentaire, pourra être taxé, de « carence complète, insouciance
constante, méconnaissant absolument les intérêts de l’expéditeur ».
La jurisprudence qualifie généralement d’obligations essentielles des obligations précises
auxquelles l’ayant droit attachait une importance particulière. Tel est le cas de la livraison à
un destinataire déterminé ; l’erreur de livraison sera, dans cette hypothèse, jugée grossière24.
Il en va de même de retard trop important compte tenu de la nature de la marchandise,
connue du transporteur, des délais normaux de livraison auxquels l’expéditeur ou le
destinataire pouvait s’attendre25, ou, des exigences formulées par l’expéditeur dans la lettre de
voiture26.
Bien souvent, en effet, c’est l’ayant droit qui attire l’attention du transporteur sur la nécessité
de respecter avec zèle tel ou tel engagement, qui devient alors essentiel. « Plus le créancier
s’est montré exigeant, plus les tribunaux qualifient sévèrement la gravité de la faute », écrivait
Paul Durand. Il existe de nombreux exemples en jurisprudence, exemple27.
24 Cass. Com. 21 octobre 1957, Bulletin Civ. III, n° 270 25 C. A Bordeaux, 27 novembre 1902, Clunet 1904. 955 ; C. A. Paris, 2 décembre 1924, Clunet 1926. 419 26 C. A. Aix 1er décembre 1976, Bulletin d’Aix 1976/4, n°395 27 Cass. Com. 9 mars 1959, Bulletin Civ. III, n° 124 (aucune mesure de sécurité pour une marchandise déclarée de grande valeur).
15
La plupart du temps, d’ailleurs, cette « attente » de diligence n’aura pas besoin de se
manifester expressément, soit parce qu’il s’agit de la diligence normale que doit fournir le
cocontractant, ici le transporteur, soit parce que le cocontractant lui-même s’est engagé
ouvertement à remplir telle ou telle obligation. Il doit avoir nécessairement conscience du
dommage dont souffrira l’expéditeur s’il ne remplit pas cet engagement28.
L’ensemble de cette jurisprudence française mérite d’être rapproché de la conception anglaise
du breach of contract. La résolution pour inexécution du contrat peut, en droit anglais, être
prononcée dans deux séries d’hypothèses. La première vise le cas où le débiteur n’exécute pas
ce qui constitue une condition du contrat (par opposition aux warranties). Il y’aura alors ce
que les anglais dénomment « a breach of a fundamental term ». Cette conception semble se
retrouver en France, lorsque les tribunaux voient une faute lourde dans l’inexécution, par le
débiteur, d’une obligation à laquelle le créancier attachait une grande importance.
La seconde série de cas dans lesquels la résolution peut être demandée concerne cette fois une
« fundamental breach of contract », c'est-à-dire une inexécution particulièrement grossière du
contrat.
En droit des transports, la jurisprudence anglaise admet qu’il y a fundamental breach de la
part du transporteur dans les cas types suivants29 : le voiturier abandonne les marchandises
pendant un délai au cours duquel elles sont perdues ; le voiturier livre sans motif valable à une
autre personne la marchandise qu’il transporte, alors que le but principal du contrat est que la
livraison soit faite à une personne déterminée ; le voiturier s’écarte sans motifs légitimes de la
route convenue ou habituelle. On le constate, les situations visées par la jurisprudence
anglaise sont exactement les mêmes que nombre de cas de fautes lourdes en droit français.
Les auteurs ont pu cependant hésiter à assimiler la fundamental breach of contract ou le
breach of fundamental term du droit anglais et la faute lourde du droit français. « Le droit
anglais serait plus objectif : il ne qualifierait pas le comportement, mais analyserait seulement
l’importance du manquement » 30 . En réalité, il convient de remarque que les décisions
anglaises n’admettent le breach of contract que lorsque le transporteur ne peut alléguer aucun
motif excusant son inexécution. Or, qu’est ce qu’un fait justificatif sinon un événement
28 C. A. Paris 23 novembre 1976, B T 1977, page 14. 29 CARTHY (J.)Sous la direction de R. RODIERE « Le contrat de transport de marchandises terrestre et aérien », Institut de droit comparé de Paris, page 202, n° 56. 30 CONSTANTINESCO (L. J.) « Inexécution et faute contractuelle en droit comparé », (droits français, allemand, anglais), Stuttgart, éd. W. Kohlhamm, 1960, page 129 et suivant.
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imprévisible et irrésistible, constitutif, en définitive, d’une absence de faute ? Dans la mesure
où l’un des éléments du fundamental breach est l’absence complète de motifs légitimant
l’inexécution, cela signifie que le transporteur pouvait parfaitement prévoir et aisément
résister à l’événement dommageable. Il y a donc bien l’idée de faute, et de faute lourde.
Les juridictions françaises n’hésitent d’ailleurs pas, à l’occasion, tout en relevant la violation
d’une obligation essentielle, à préciser que le transporteur ne cherche même pas à se
justifier31.
Caractère essentiel de l’obligation et absence de faits justificatifs abondent dans le même sens,
à savoir la conscience que le transporteur devait nécessairement avoir des risques de
dommage. Le transporteur qui ne peut invoquer aucun motif pour justifier le manquement à
ses obligations, sera censé avoir possédé une conscience particulière du risque de dommage.
En effet, s’il existe des motifs, même insuffisants, pour ne pas agir ou pour agir autrement, les
risques de dommage que comporte telle ou telle action trouve devant un risque de dommage
évident ab initio, ou une obligation essentielle à remplir, et que le transporteur réagisse face
au risque, commence d’exécuter son obligation, mais sans la diligence suffisante, cette
exécution partielle n’aura-t-elle pas pour effet de laisser croire au transporteur que le
dommage ne se produira pas ? Il se trompe sans doute, puisque le dommage aura finalement
lieu ; mais son erreur est plus compréhensible car l’évidence du dommage était moindre32.
La jurisprudence sur la faute lourde était bien établie avec des arrêts qui avaient posé le
principe et défini la faute lourde alliant éléments objectifs et éléments subjectifs. Cependant
un arrêt de la Chambre commerciale est venu remettre en cause cette jurisprudence éprouvée
l’arrêt Chronopost.
Paragraphe II : La remise en cause de la jurisprudence par l’arrêt Chronopost
Il faut savoir que depuis 1996 date du premier arrêt rendu concernant la société Chronopost,
la jurisprudence, en matière de contrat de messagerie, vit au rythme des précisions par la
Haute Cour sur la notion de faute lourde, il nous semblé important d’exposer les différents
arrêts Chronopost.
31 Cass. Civ. 12 avril 1923, 27 juillet 1923, DP 1923, page 1 et 143. 32 Alain SERIAUX : « La faute du transporteur », 2e édition ECONOMICA, 1998, page 280 et suivants
17
A) L’arrêt Chronopost du 22 octobre 199633
La société Blanchereau, professionnel de la viande, qui avait confié à deux reprises un pli
contenant soumission à une adjudication à la société Chronopost, se plaignait de ce que les
plis n’avaient pas été remis le lendemain de leur envoi avant midi. La Cour d’Appel de
Rennes saisie de la demande d’indemnisation limitait celle-ci au prix du transport
conformément à une clause du contrat alors que les premiers juges avaient alloué à la
société Blanchereau la somme de 45000 francs à titre de dommage intérêts…
La Chambre Commerciale cassait l’arrêt de la Cour d’Appel de Rennes au visa de l’article
1131 du Code Civil en retenant que « spécialiste du transport rapide garantissant la
fiabilité et la célérité de son service, la société Chronopost s’était engagé à livrer les plis
de la société Blanchereau dans un délai déterminé et qu’en raison du manquement à cette
obligation essentielle, la clause limitative de responsabilité du contrat qui contredisait la
portée de l’engagement pris, devait être réputée non écrite ».
La référence à une « obligation essentielle » n’était pas une nouveauté, par un arrêt du 9
mai 199034, la Chambre Commerciale avait estimé qu’une Cour d’Appel avait pu décider
que constituait une faute lourde l’omission de l’inscription du numéro de téléphone d’un
annonceur dans l’édition professionnelle de l’annuaire des abonnés au téléphone, dès lors
qu’il était constaté que le régisseur de la publicité ne s’était livrée à aucune vérification et
que la mention omise était un élément essentiel de l’obligation inexécutée. La clause
limitative de responsabilité insérée au contrat avait été, en conséquence, déclarée
inopposable.
L’arrêt Chronopost du 22 octobre 1996, qui ne contient aucune référence à la notion de
faute, a provoqué un intérêt certain au point de figurer dans « Les grands arrêts de la
jurisprudence civile35 » ou le commentateur y voit la jonction de deux courants : l’un
selon lequel une clause peut être réputée non écrite dès lors qu’il y a manquement à une
obligation essentielle, l’autre, celui du défaut de cause, lorsque l’allègement des
obligations va jusqu’à ruiner l’opération que le contrat doit réaliser. Cet arrêt a aussi
33 GARBAN (M.) : Conseiller rapporteur auprès de la Cour de cassation. Opinion sur l’arrêt Chronopost http://www.courdecassation.fr 34 Cass. Com. 9 mai 1990, Bulletin, IV, n° 142 35 CAPITANT, TERRE, LEQUETTE : « Les grands arrêts de le jurisprudence civile », édition Dalloz, Tome 2, n° 156, page 72
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surpris par la sanction prononcée : la clause limitative est réputée non écrite, la convention
n’étant pas annulée en son entier.
Le professeur Alain SERIAUX 36 a regretté que cet arrêt, après la constatation de la
violation d’une obligation essentielle, ne se soit pas référé à la notion de faute lourde
comme l’avaient fait d’autres arrêts. Après d’autres critiques sur la motivation de cette
décision, le Professeur souligne le caractère erroné, à son sentiment, du visa de l’article
1131 du code civil, la contrepartie existant bien dans le contrat convenu avant de relever
le peu d’orthodoxie, pour ne pas dire la contradiction qui existe entre la sanction
prononcée, la clause étant déclarée non avenue, et l’obligation bafouée, jugée essentielle,
commandant normalement la nullité du contrat en son entier. Le Professeur s’inquiète du
pouvoir de police des contrats que la Cour de Cassation lui donne l’impression de
s’arroger. Enfin, il reproche à l’arrêt de ne donner aucun renseignement sur la façon dont
il faudra évaluer le préjudice. Jusqu’à quelle hauteur, s’interroge-t-il, dès lorsque
l’annulation de la clause n’entraîne pas celle de l’article 1150 du code civil qui limite
l’indemnisation au préjudice prévisible.
Les qualités de l’arrêt en cause sont également difficiles à discerner pour le Professeur
LARROUMET37 qui estime la décision contestable à plusieurs points de vue. D’abord le
visa de l’article 1131 du code civil qui « n’avaient rien à faire dans cette espèce ». Après
avoir déploré le raisonnement faux de la Cour suprême sur ce point, il ajoute que l’arrêt
est inopportun, qu’il ruine la liberté contractuelle. Il soutient qu’il existe dans l’arsenal
juridique actuel assez d’instruments permettant d’apprécier les clauses limitatives : pour
les litiges entre un professionnel et un non professionnel ou consommateur, il existe
l’article L 132-1 du code de la consommation, dans les contrats de transport une
jurisprudence traditionnelle assimile à une clause de non responsabilité prohibée par
l’article 103, alinéa 3, du code de commerce la clause limitant des dommages-intérêts à un
montant dérisoire par rapport au dommage effectivement subi. Enfin, dans tous les
contrats, les clauses limitatives sont écartées en présence d’une faute dolosive ou lourde et
le juge tient de l’article 1152 du Code civil le pouvoir de réviser à la hausse les clauses
pénales stipulant un forfait de dommages-intérêts manifestement dérisoire par rapport au
36 Recueil Dalloz 1997, jurisprudence, page 121 37 Recueil Dalloz, Chronique page 145.
19
dommage réellement éprouvé. Le professeur Muriel FABRE MAGNAN reprend aussi
cette idée d’intervention du juge sur la base de ce dernier article38.
Le Professeur Denis MAZEAUD dans son article « feu la liberté contractuelle des maîtres
du temps » semble, lui, se réjouir de la mise en vedette du concept « d’obligation
essentielle » et de l’abandon de « l’encombrante faute lourde » et de « la notion très
dynamique de la notion de cause de l’obligation » que suggère ici la Cour de cassation
pour effacer du contrat la clause litigieuse. Il voit, dans cette notion, une nouvelle arme
pour lutter contre les clauses qui fragilisent la force obligatoire du contrat et évincent la
réparation intégrale du préjudice subi par le créancier victime.
Pour le Professeur DELEBECQUE39, l’arrêt de la Cour de cassation lui paraît intéressant,
dans l’air du temps, même s’il ne règle pas tout, car la disparition de la clause limitative
figurant au contrat a pour effet de rendre applicable les stipulations du contrat-types qui
sont identiques ce qui réduit à néant la portée concrète de l’arrêt. Il conclut en rappelant
que la liberté contractuelle doit demeurer, le principe, le contrat étant l’affaire des parties.
« Que reste-t-il du principe de validité des clauses de responsabilité ? » Cette
interrogation est le titre de son article.
Pour le professeur Daniel COHEN40, l’arrêt dénote la volonté de la Chambre commerciale
de faire du neuf avec la notion classique de cause. Il remarque que la cause intervient
normalement au seul stade de la formation du contrat et ne joue normalement aucun rôle à
celui de l’exécution. Il observe que le recours à la notion d’obligation essentielle
supposerait l’existence de plusieurs obligations ce qui n’était pas le cas. Quant à la
sanction prononcée, le simple fait de décider que la clause soit réputée non écrite ne paraît
pas adaptée à la sanction d’une obligation essentielle. Ce faisant, la Cour de cassation
emprunte au régime des clauses abusives tout en refusant la qualification. En conclusion,
il s’interroge sur le point de savoir si l’arrêt condamne l’ensemble des clauses limitatives
de responsabilité dans les contrats. Il y voit le recul de l’autonomie de la volonté et de la
liberté individuelle et le signe de l’interventionnisme croissant du juge. Il convient
d’indiquer que la jurisprudence Chronopost 1, rendue au visa de l’article 1131 du Code
38 La semaine juridique, JCP 1997, doctrine, page 4002. 39 Recueil Dalloz, sommaires commentés, pages 175. 40 La semaine juridique, JCP 1997, II, 22881.
20
civil, a été de nouveau appliquée par la Chambre commerciale dans un arrêt du 17 juillet
200141. Ainsi la Cour d’Appel « a fait l’exacte application de l’article 1131 du Code civil
en retenant, pour écarter la clause limitative à priver d’effet l’obligation essentielle
souscrite par cette société ».
B) L’arrêt Chronopost du 9 juillet 2002 ou le retour de la notion de faute
L’affaire, objet de l’arrêt de cassation du 22 octobre 1996, a été renvoyée à la Cour
d’appel de Caen qui a statué, par un arrêt du 5 janvier 1999, en reprenant la doctrine de
l’arrêt de cassation. Cependant en allouant à la société Blanchereau la somme de 30000
francs à titre de dommages-intérêts, la Cour d’Appel de Caen, certes, n’a pas appliqué, la
clause limitative figurant au contrat, ce que lui recommandait le précédent arrêt de
cassation, mais elle n’a pas non plus appliqué la clause figurant à l’article 15 du contrat-
type approuvé par décret du 4 mars 1988. Cette particularité va servir de base au
deuxième moyen du pourvoi que la société Chronopost formera à l’encontre de cet arrêt.
Par l’arrêt du 9 juillet 2002, la Chambre commerciale a cassé la décision de la Cour d’Appel
de Caen pour violation de l’article 1150 du Code civil de l’article 8 paragraphe II de la loi du
30 décembre 1982 et des articles 1er et 15 du contrat-type établi pas décret du 4 mai 1988, en
retenant que seule une faute lourde du transporteur pouvait permettre de mettre en
échec l’application du plafond légale.
Ainsi à ce stade de la jurisprudence, il semble possible de comprendre que si le manquement à
une obligation essentielle a pour effet de rendre la clause limitative insérée au contrat non
avenue, cette imperfection du contrat n’enlève rien à l’efficacité de celle résultant du contrat-
type qui s’applique fut-elle identique, dès lors que la clause initiale a disparu. Seule la faute
lourde du transporteur, que ne constitue pas ipso facto un manquement à une obligation
essentielle et que l’ayant droit doit caractériser, permettra à la juridiction de s’affranchir des
stipulations du contrat-type et des dispositions de l’article 1150 du Code civil.
Une certaine déception, sans doute moins grande que celle de la société Blanchereau, s’est
emparée des commentateurs s’apercevant que l’originalité de l’arrêt Chronopost de 1996 se
41 La semaine juridique, JCP 2002, I, page 148.
21
terminait par un bilan nul dans la mesure où la clause réprimée en 1996, redevenait, en fait,
applicable sous les traits et le biais du contra-type. « Beaucoup de bruit pour rien », beaucoup
de frais pour rien42. Mais on observe aussi chez certains plutôt du réconfort à voir que l’arrêt
fait un usage classique de la notion, non moins classique, de la faute lourde. Cet arrêt a
engendré chez le Professeur Denis MAZEAUD43 un sentiment d’optimisme pour l’avenir de
ce contentieux devant la deuxième Cour de renvoi à Grenoble, puisqu’il soutient que la Cour
de cassation aurait décidé que lorsque l’exécution imputable au débiteur porte sur une
obligation essentielle, elle doit être qualifiée de faute lourde, Les professeurs LOISEAU et
BILLIAU soulignent le manque d’audace de la Cour de cassation qui aurait dû, selon eux,
retenir que le contrat-type, qui n’est même pas un acte administratif au sens strict du terme,
est soumis aux exigences de droit commun quant à l’appréciation de la validité des clauses
qu’il comporte en jugeant au cas par cas, c’est-à-dire sans prononcer ou constater elle-même
la nullité du texte réglementaire44.
La liberté contractuelle justifie la licéité des clauses limitatives ou exonératoires de
responsabilité, y compris dans les contrats d’adhésion (Cass.1ére civ, 19 janvier 1982). La
solution s’explique d’autant plus que l’article 1150 du code civil précise que le débiteur n’est
tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu’on a pu prévoir lors de la
conclusion du contrat. Bien que le code civil ouvre ainsi la porte à toutes les stipulations
contractuelles relatives au montant de l’indemnisation due en cas d’inexécution ou de
mauvaise exécution du contrat, la jurisprudence s’est montrée réservée à reconnaître
systématiquement la validité de certaines d’entres elles et, ce, sur le fondement de la clause
(article 1131 code civil).
Car si les clauses restrictives de responsabilités sont en principes valables, elles sont écartées
lorsque l’inexécution de l’obligation résulte d’une faute lourde, laquelle s’attachait
traditionnellement à deux éléments alternatifs :
- un élément subjectif lié à la conduite du responsable, c’est-à-dire un comportement
d’une extrême gravité ;
- un élément objectif lié aux obligations contenues dans le contrat, le comportement doit
démontrer l’inaptitude du débiteur à l’accomplissement de sa mission contractuelle,
autrement dit, son manquement à une obligation essentielle.
42 Recueil Dalloz 2002, sommaires commentés, page 2329. 43 Recueil Dalloz 2003, sommaires commentés, page 457. 44 Opinion de Monsieur GARBAN (M.), Conseiller rapporteur auprès de la Cour de cassation, http://www.courdecassation.fr
22
La faute lourde était donc caractérisée si le responsable avait failli à son obligation essentielle
ou fait preuve d’un comportement relevant d’une extrême gravité.
En ce sens l’opinion de l’Avocat Général Monsieur de GOUTTES dans l’arrêt Chronopost
rendu par la Chambre mixte de la Cour de cassation le 22 avril 2005 est clair d’une part :
« Sur l’élément subjectif de la faute lourde, dans les présents cas d’espèces, il est possible, lui
semble-t-il, de discerner l’existence de trois éléments participants du contenu subjectif de la
faute lourde45 :
a) Le premier élément est la conscience qu’aurait dû avoir Chronopost des risques créés
par son comportement.
La société Chronopost savait, en effet, que ses clients s’adressaient à elle en raison de
l’urgence qui s’attachait à l’acheminement des plis qu’ils lui confiaient. Quand bien même ils
n’avaient pas fait une déclaration d’intérêt spécial à la livraison, c’est cette urgence qui
motivait leur recours à Chronopost. C’est aussi la raison pour laquelle ils acceptaient de
payer surcoût. Chronopost devait donc avoir conscience des risques qui pouvait résulter de
tout retard dans l’acheminement du courrier dont elle avait la charge. En présence d’une
défaillance de sa part, elle devait être prête à en assumer les conséquences éventuelles, ce
quelle a refusé de faire en opposant à ces clients l’application pur et simple de la clause
limitant l’indemnisation au seul prix du transport.
b) Le deuxième élément consiste dans l’atteinte à la confiance légitime entre
cocontractants : les documents contractuels et la publicité de Chronopost avaient promis la
livraison dans un délai fixe garanti de (j+1, le lendemain avant midi).
Les expéditeurs étaient donc légitimement en droit d’attendre que les services promis soient
exécutés (chose promise chose due).
En ne tenant pas sa promesse, sans fournir de raisons pertinentes de son retard, on peut
estimer que le transporteur a transgressé, en quelque sorte cette confiance élémentaire qui
fonde la relation contractuelle.
c) Le troisième élément subjectif est l’absence de toute explication fournie à l’expéditeur
sur les raisons du retard :
45 Avis de l’avocat général Monsieur de GOUTTES, wwww.courdecassation.fr
23
En admettant même que le seul fait de n’avoir pas rempli l’obligation de rapidité ne suffise
pas à constituer la faute lourde, ne doit-on pas considérer que le refus de donner toute
explication sur les motifs du retard constitue, quant à lui, une négligence grave de la part
d’une société de transport qui dispose des moyens de suivre le cheminement des plis qui lui
ont été confiés et qui doit donc pouvoir localiser l’origine du retard ?
C’est cette absence d’explications sur les causes du retard qui a été retenue, par exemple, par
l’Assemblée plénière de la Cour de cassation dans son arrêt du 30 juin 1998 46 pour
condamner le transporteur qui avait conservé un colis postal pendant plusieurs jours sans
aucune justification.
Or, dans les présents cas d’espèce, il résulte de la procédure que la société Chronopost s’est
refusée à donner toute explication utile à ses clients.
- Dans l’affaire qui l’oppose à la société « Ka France », la société Chronopost s’est
contentée de répondre à la réclamation de son client par une lettre du 2 juin 1999
ainsi libellée « les éléments de l’enquête que nous avons diligentée nous permettent de
conclure que cet envoi n’a pu être livré dans les délais prévus à la suite d’une erreur
exceptionnelle d’acheminement…».
- Dans l’affaire qui l’oppose à la société « Dubosc et Landowski », la société
Chronopost a laissé sans suite la lettre recommandée en date du 25 juin 1999 par
laquelle sa cliente, après avoir pris contact téléphonique avec Chronopost, la mettait
en demeure de l’indemniser du préjudice financier résultant du retard.
Ainsi peut-on déjà trouver là les premiers éléments de la faute lourde sous son aspect
subjectif : faire subir au cocontractant un retard anormal et préjudiciable, contrairement à
l’engagement pris à son égard et sans donner aucune explication. Mais ce premier élément
subjectif est à compléter par l’autre élément de nature objective, qui est sans doute le plus
déterminant.
Sur l’obligation essentielle » de Chronopost :
a) Pour reprendre la formule utilisée par la Chambre commerciale dans son arrêt du 22
octobre 1996, la société Chronopost étant « spécialiste du transport garantissant la
fiabilité et la célérité de son service », son obligation essentielle est de « livrer les plis
dans un délai déterminer ».Il apparaît dés lors que la société Chronopost ne pouvait
46 Cass. Ass. Plénière, 30 juin 1998, Bulletin Ass. Plén. n°2
24
sans méconnaître son obligation essentielle, prétendre à la fois s’engager à respecter
un délai précis et, dans le même temps, ne pas s’engager quasiment, puisque sa
responsabilité était excessivement limitée si le pli n’était pas délivré, en réalité, dans
le délais promis. Cela revenait, en quelque sorte, à s’affranchir à l’avance des
conséquences de l’inexécution de son obligation essentielle en considération de
laquelle son contractant s’était engagé.
Cette volonté d’éluder son obligation se révèle encore dans la clause 6 des conditions
générales conventionnelles de Chronopost, qui stipulait, non seulement que le non respect des
délais n’obligeait la société qu’à rembourser le prix du transport si le préjudice était justifié,
mais en outre que la société « ne saurait être tenue à la prise en charge du préjudice
immatériel ou indirect quelle qu’en soit la cause ».
Quant à l’argument de la société Chronopost selon lequel le donneur d’ordre disposait de la
faculté de faire une déclaration d’intérêt spécial à la livraison s’il souhaitait élever le plafond
de l’indemnité, il ne parait pas suffisamment convaincant : si une telle déclaration peut se
justifier pour un transport de marchandises de valeur, elle n’a plus la même raison d’être pour
un contrat d’acheminement rapide de pli ou de courrier, qui n’a d’autre objet que la célérité de
la transmission du message, indépendamment de la valeur de la marchandise.
b) l’engagement de la société Chronopost peut ainsi être regardé comme une véritable
« obligation de résultat ». C’est ce qu’a admis implicitement la Chambre commerciale
de la Cour de cassation dès on premier arrêt du 22 octobre 1996, en cassant l’arrêt
de la Cour d’Appel de Rennes du 30 juin 1993 qui avait considéré, quant à lui, que
l’obligation de la société Chronopost n’était qu’une obligation de moyen et qui avait
refusé, en conséquence, de condamner la société à indemnisation au-delà de la clause
limitative pour un retard d’acheminement du pli.
C’est ainsi qu’à confirmer la Chambre commerciale dans son second arrêt du 9 juillet 2002,
en rejetant le moyen de Chronopost qui reprochait à l’arrêt attaqué de la Cour d’Appel d’avoir
dit précisément que son engagement s’analysait en une obligation de résultat. La Chambre
commerciale a considéré que l’obligation contractuelle de Chronopost portait, non seulement
sur la réalisation de l’acheminement lui-même, mais aussi sur le respect des délais précis de
livraisons garantis.
25
c) le respect par Chronopost de l’obligation essentielle du contrat est, peut-on ajouter,
d’autant plus impérieux que l’on est en présence d’un type de « contrat d’adhésion »,
qui n’a pas été librement négocié et que toute l’économie de la stratégie commerciale
et publicitaire de l’entreprise a été centrée sur l’engagement de ponctualité et de
célérité promis au client.
d) Par ailleurs, la prise en considération par certains arrêts de la gravité des
conséquences qu’a entraînée la faute du créancier comme l’un des éléments subjectifs
de la faute lourde, peut ainsi s’appliquer dans les deux affaires en cause : la société
Chronopost, même si elle ne connaissait pas le contenu précis des plis qui lui avaient
été confiés, savait que ces plis étaient urgents. En ne respectant pas son obligation
essentielle de livrer les courriers dans le délai promis par le contrat, elle a pris un
risque de conséquences graves pour les expéditeurs47.
Nous voyons que dans son avis l’avocat général Monsieur de GOUTTES, devant la Chambre
mixte de la Cour de cassation, essaie de démontrer la faute lourde du transporteur Chronopost.
Cependant la Chambre mixte ne l’a pas suivi dans son arrêt. Elle avait finalement préféré
délaisser le critère objectif pour caractériser la faute lourde du débiteur : plus exactement, elle
laissait entendre que l’élément objectif ne suffisait plus à prouver l’existence d’une telle faute.
Dans la logique de cette solution, la Chambre commerciale vient d’évincer à son tour avec
d’avantage de vigueur le critère de l’obligation essentielle « La faute lourde de nature à
tenir en échec la limitation d’indemnisation prévue par le contrat type ne saurait
résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais
doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur ».
La faute lourde est donc réduite aujourd’hui à une conception très restrictive qui vide en
grande partie l’utilité juridique de la notion d’obligation essentielle du contrat qui permettait
d’introduire un équilibre rigoureux pour sanctionner les manquements les plus « graves » au
regard de l’économie du contrat.
Un dernier arrêt a été rendu le 21 février 2006 par la Chambre commerciale de la Cour de
cassation, et comme le dernier arrêt rendu par la Chambre mixte opte pour une définition
47 Opinion de l’avocat général Monsieur de GOUTTES, op. Cit.
26
subjective de la faute lourde et se refuse à l’assimiler à l’inexécution d’une obligation
essentielle.
27
CHAPITRE II : LES LIENS ENTRE FAUTE LOURDE ET DOL
Le droit des transports illustre bien, grâce à la multiplicité des textes le régissant, les deux
modalités fondamentales par lesquelles législateur et tribunaux recourent, aux côtés du dol, à
la notion de faute lourde.
En règle général, mention expresse de cette notion n’est pas nécessaire. Il suffira à l’instar de
l’ancienne rédaction de la Convention de Varsovie (art. 25) et de la rédaction toujours en
vigueur de la CMR (art. 29), de faire référence à « la faute équivalente au dol ». En effet, le
seul emploi de ces termes renvoie immédiatement, dans l’esprit des juristes français, à l’adage
issu de la codification justinienne : culpa lata dolo aequiparatur, la faute lourde équivaut au
dol. C’était ainsi le sentiment de Nerva qui disait qu’une faute grossière doit être assimilée au
dol, en effet pour lui, si un homme n’est pas aussi diligent que le requiert la nature humaine, il
est de mauvaise foi, à moins qu’il n’apporte les soins dont il est capable en matière de dépôt :
car on n’apporte pas aux affaires d’autrui moins de soin qu’à ses propres affaires, sans
manquer à la bonne foi48.
A titre exceptionnel, certains textes font référence sans détour à la notion de faute lourde. Le
droit des transports n’en connaît aujourd’hui qu’un seul exemple. L’actuel article 4449 de la
Convention de Berne (CIM) dispose que « dans tous les cas ou le dépassement du délai de
livraison, la perte totale ou partielle ou l’avarie subis par la marchandise ont pour cause un dol
ou une faute lourde imputable au chemin de fer, celui-ci doit complètement indemniser
l’ayant droit pour le dommage prouvé ». Ce même texte précise encore « en cas de faute
lourde, la responsabilité est, toutefois, limitée au double des maxima prévus aux articles 25,
26, 30, 32 etc.… » Il en résulte que le recours à la faute lourde, même s’il est expressément
énoncé par l’article 37 CIM, ne remplace complètement le recours au dol que dans les
hypothèses où le montant du dommage souffert par les marchandises ou du fait du retard ne
dépasse pas le double de la réparation légale ou conventionnelle. Cette extension à la faute
lourde des effets du dol peut s’expliquer de deux façons50.
48 GAUDEMET (J.) « Droit privé romain », 2e édition, Montchrestien, 2000, page 397. 49 La solution retenue date du 7 février 1970. 50 Alain SERIAUX, op. Cit. Page 274.
28
SECTION I : LA FAUTE LOURDE UN MOYEN D’ETENDRE LA NOTION DE DOL
Au sens strict, le mot « équivalence » semble impliquer que la faute lourde joue le rôle de
complément de la faute dolosive. Cette complémentarité est étroitement liée à la notion
même de faute dolosive. Si celle-ci est prise de façon extrêmement étroite, au sens d’intention
de causer le dommage, la faute lourde complémentaire supposera l’existence de la mauvaise
foi prise dans son sens le plus large. Les notions de dol et de faute lourde relèveront toutes
deux de la mauvaise foi ; la différence entre les deux types de faute ne sera pas donc de nature
mais de degré. Ce qui laisserait penser à l’assimilation de la faute lourde au dol (Paragraphe I)
La jurisprudence n’a pas été entièrement insensible à cette conception. Toutefois, la doctrine a
créé contre elle un courant contraire, aux termes duquel il existe non une différence de degrés
entre la faute lourde et le dol, mais une différence de nature : le dol apparaît comme la
mauvaise foi, alors que la faute, aussi lourde soit-elle demeure dans le camp de la bonne foi.
Cette différence de nature serait cependant estompée par le fait que bien souvent la gravité de
la faute permet de présumer l’existence d’un dol indémontrable (Paragraphe II).
Paragraphe I : L’assimilation de la faute lourde au dol
Sur le plan des concepts, cette assimilation est dépourvue de raison, mais des considérations
d’ordre pratique la justifient, les nécessités du commerce imposent de traiter de semblable
façon la bévue impardonnable et l’intention malveillante.
Dans la majorité des cas, l’assimilation inscrite dans l’adage n’a pas de conséquences
pratiques. En règle générale puisque, toute faute engageant la responsabilité et l’étendue de la
réparation étant calquée sur le dommage, la qualification de la faute est assez indifférente.
Elle sert, tout au plus, à faciliter la démonstration du rapport de causalité, parfois à justifier
une modulation de l’indemnité quand le préjudice échappe à une évaluation précise51.
Mais l’assimilation repose surtout sur un problème de preuve. L’auteur d’une faute commise
intentionnellement prend toujours la marque de la bêtise. Il convient de la gravité de sa faute,
mais il affirme sa bonne foi ; il joue l’imbécile. Il avoue s’être comporté d’une manière
absurde, mais par sottise, non par méchanceté. On coupe court à ce trop commode moyen de
51 GAUDEMET (J.), op. Cit.
29
défense en attribuant à la faute lourde les mêmes conséquences civiles qu’au dol. Nous
supposons, qu’il y a chez l’auteur d’une faute très grave l’intention de nuire. La faute lourde
est présumée intentionnelle l’assimilation de la faute lourde au dol apparaît ainsi comme une
règle de preuve, une présomption. On doit alors se demander si cette présomption est absolue
ou relative ? La réponse est donnée par l’article 1352 du code civil ; seules sont irréfragables
les présomptions qualifiées telles par ce texte. La présomption de faute intentionnelle, qui
n’est écrite nulle part dans le code, admet nécessairement la preuve contraire. L’assimilation
ne se justifie que par la crainte du maquillage d’un dol ou faute lourde. La présomption
d’intention que faisait peser sur le transporteur la gravité de sa faute, se trouve écartée par la
preuve contraire, qui résulte ici des circonstances de l’accident. La faute lourde est présumée
intentionnelle jusqu’à preuve contraire. C’est seulement dans cette mesure qu’il faut assimiler
la faute lourde personnelle au dol personnel52.
Au-delà du fait que cette assimilation constitue aujourd’hui une doctrine minoritaire, nous
constaterons que la faute lourde peut être un moyen d’étendre la notion de dol.
Dès l’instant où le dol est réduit à la seule intention de nuire au cocontractant, les magistrats
se sentiront poussés à mettre sous le couvert de la notion de faute lourde ce qui n’est au fond
qu’une conception élargie du dol. En ce sens, la faute lourde jouera le même rôle que la
notion de wilful misconduct ou de faute inexcusable lorsqu’elle est appréciée in concreto. Au
même titre, d’ailleurs, la faute lourde sera elle aussi recherchée concrètement.
Cette utilisation originale de la faute lourde se retrouve partout au sein des systèmes
juridiques peu favorables à l’assimilation de la faute lourde au dol, dans lesquels, seule la
faute intentionnelle est admise à écarter les clauses limitatives de responsabilité. Tel est le
cas du droit belge qui se montre franchement hostile à toute assimilation, même si, comme
c’est le cas pour la CMR (article29 § 1), les textes eux-mêmes renvoient aux fautes
équivalentes au dol. Interprétant cette convention, la Cour de cassation belge53 a pu ainsi
décider que « dès lors que le droit belge connaît la notion de dol, l’article 29 § 1 CMR exclut
que le juge belge puisse examiner si une faute lourde non intentionnelle prive le transporteur
du droit d’invoquer la limitation de responsabilité ». Pour tourner la difficulté qui persiste,
dans de telles conditions, à se montrer sévère envers les transporteurs routiers gravement
52 Marie GRIGOURIOU : « L’exonération de la responsabilité du transporteur dans la CMR », mémoire de DEA soutenu à la faculté d’Aix-Marseille III, CDMT, 1998 53 Cour de cassation belge, 27 janvier 1995, DET 1996, page 694.
30
négligents, les juges belges ont tantôt considéré qu’une faute pourtant non intentionnelle est
« à ce point au sens de l’article 29 CMR qu’elle doit être assimilée au dol54 », tantôt, plus
subtilement , que des fautes, que des fautes certes non intentionnelles mais commise de
mauvaise foi « avec connaissance préalable et conscience » doivent être jugées équivalentes
au dol. N’est-ce point considérer que l’équivalence s’entend d’une assimilation des notions ?
La doctrine anglaise, quant à elle, interprète l’adage romain en ces termes : « Dans des
hypothèses exceptionnelles, un manque de soin téméraire, en présence de risques connus, peut
constituer en fait l’intention de nuire ». Or, qu’est-ce que le manque de soins en présence de
risques connus, sinon la faute dolosive lato sensu.
Au demeurant l’utilité d’un recours à la faute lourde est subordonnée, dans cette conception,
au maintien d’une conception restrictive de la notion de faute dolosive. Or nous savons que,
peu à peu, la jurisprudence généralise la conception extensive du dol. Il s’ensuit que le recours
à la faute lourde in concreto devient inutile55.
Faut-il dès lors annoncer la disparition nécessaire du recours à la faute lourde comme
équivalent du dol ? Il ne le semble pas : même en admettant une conception large du dol, la
faute lourde, désormais expulsée du cadre de la mauvaise foi, pourrait au moins servir de
preuve de l’existence d’un dol, toujours difficile à établir.
Paragraphe II : La faute lourde comme preuve du dol
L’avènement d’une notion de dol qui recouvre toutes les notions de la mauvaise foi. S’il est
relativement récent en jurisprudence, a depuis longtemps été envisagé par la doctrine.
Comment comprendre, dans ces conditions, l’utilité du recours à la faute équivalente au dol ?
La question se pose d’autant mieux que si le dol se confond avec toute mauvaise foi, la faute
lourde, faute distincte du dol, ne trouve plus sa place que dans le domaine de la bonne foi. Il
existe donc une différence de nature entre le dol et la faute lourde. Cette séparation tranchée
ne doit-elle pas faire obstacle à l’équivalence des fautes ?
Aux termes d’un arrêt en date du 28 juin 2005, la Cour de Cassation est venue donner la
définition suivante de la faute lourde : « négligence d’une extrême gravité, confinant au dol et
dénotant l’inaptitude du transporteur, maître de son action, à l’accomplissement de la mission
54 Tribunal de Bruxelles, 25 mai 1992, DET 1993, page 762. 55 JAMBU- MERLIN : « Dol et faute lourde », Dalloz, Chroniques, page 89.
31
contractuelle qu’il a acceptée ». A la lecture de cette définition nous pensons nous interroger
sur le véritable lien qui existe entre faute lourde et dol56.
Tous les déchirements de la doctrine moderne pour expliquer la règle culpa lata dolo
aequiparatur se trouvent contenus en germe dans cette opposition : affirmer la différence
radicale des notions, mais prétendre en même temps maintenir la règle de l’équivalence.
Aussi certains auteurs ont-ils songé à justifier le recours à la faute lourde par une raison
d’ordre probatoire. Ainsi seraient conjugués et la différence des notions et leur rapprochement.
Dans cette perspective, l’on remarquera qu’une négligence d’une extrême gravité permet de
penser que le débiteur s’est rendu compte que son comportement était dommageable. Ainsi
que l’exprime Le Doyen CARBONNIER, « il n’y a point intention de nuire ni malhonnêteté ;
mais c’est à s’y méprendre ; on dirait qu’il le fait exprès. Il faut donc admettre, sans avoir la
preuve absolue que son activité était dolosive57.
L’opposition entre la bonne et la mauvaise foi ne doit pas être présentée de manière trop
radicale. Il est des actions qui sont si graves qu’on hésite à les maintenir dans les rangs de la
bonne foi, même si la mauvaise foi de l’agent n’est pas absolument certaine.
On retrouve en jurisprudence plusieurs décisions qui mettent en avant la notion de faute
lourde reconnaissent le fait que cela soit une faute commise de manière délibérée. « Ainsi
pour un transitaire qui n’avait pris aucune précaution pour assurer la sécurité du chargement
d’un moteur diesel, la Cour de Paris 58 voit dans cette attitude une « absence totale de
préparation et de soins en face de risques graves, connus et délibérément pris, qui traduisent
l’incapacité d’accomplir la mission acceptée et sont consécutifs d’une faute lourde
équipollente au dol ». On retrouve bien l’inexécution volontaire « délibérée », accompagnée
de la conscience concrète des risques de dommage, consécutive à la mauvaise foi au sens
large.
Dans cette espèce il semble que le transitaire avait une connaissance concrète du risque de
dommage. Cependant, dans d’autres arrêts, cette conscience est seulement probable. Les
magistrats n’en parlent pas moins de faute « délibérée »59.
56 Faute lourde du transporteur : des jurisprudences incohérentes, www.aufildudroit.com 57 MAZEAUD (L.) : « L’assimilation de la faute lourde au dol », DH 1933, Chroniques, page 49 et s. 58 C. A. Paris, 3 février 1976, BT 1976. 59 Alain SERIAUX : « La faute du transporteur » Op. Cit. page 278.
32
Toutefois, il paraît difficile de généraliser le rôle de présomption de mauvaise foi que
remplirait la notion de faute lourde. Il est à cela une raison beaucoup plus péremptoire que la
violation d’un principe général du droit. La faute lourde ne peut permettre, sauf exceptions
rares, d’admettre la mauvaise foi parce qu’elle relève d’une autre méthode d’appréciation que
le dol. Celui-ci est apprécié in concreto, celle-la est appréciée in abstracto. Certes, la plupart
des décisions rendues en matière de faute lourde ne se prononcent pas ouvertement pour un tel
mode d’appréciation, mais leur rédaction conduit implicitement à cette solution.
En outre, il est possible de relever quelques décisions retenant expressément l’appréciation
abstraite. Ainsi du Tribunal de la Seine statuant en matière de responsabilité aérienne ; ainsi
encore d’un arrêt de la Cour de Poitiers du 19 avril 197260, qui déclare : « attendu qu’en
matière contractuelle en général, et plus spécialement en matière de contrat de transport, il
apparaît nécessaire d’apprécier in abstracto , et sans tenir compte de l’attitude psychologique
du débiteur, la faute à lui reprochée ; qu’adopter une position inverse ne pourrait qu’aboutir,
en matière de faute de conduite, à une impossibilité pratique de retenir dans la plupart des cas
la faute lourde du conducteur, celui-ci pouvant toujours être supposée avoir eu une perte de
conscience, fort peu distincte parfois du manque de conscience, au moment de la manœuvre
fautive par lui entreprise ; que la faute lourde à la différence du dol, ne suppose aucun élément
intentionnel ni même volontaire ».
Cette distinction bien que subtile, n’en est pas moins radicale. Avec l’appréciation in abstracto,
ce n’est plus la volonté du voiturier qui est recherchée par le juge, mais les circonstances
objectives dans lesquelles le dommage est réalisé. On ne prête plus attention à l’auteur du
dommage mais à son environnement. Les manquements du débiteur sont envisagés non plus
en fonction de sa conscience effective, mais en fonction de la conscience qu’il devait avoir de
la cause du dommage.
Même si nous pouvons trouver des relents de mauvaise foi dans certaines décisions, le recours
à l’appréciation in abstracto ne peut favoriser ces situations. La faute lourde comprise de
manière objective est d’une nature radicalement différente de celle de la faute lourde
appréciée in concreto ou de la faute dolosive.
Ce qu’il faut savoir à l’heure actuelle c’est que la faute lourde et le dol sont deux éléments qui
défavorisent le transporteur terrestre. Car tous les deux font perdre au transporteur la
limitation de responsabilité. Cependant la faute lourde s’est depuis longtemps différencié du
60 Bulletin des Transports 1972, page 183.
33
dol et en ce sens elle a acquis son indépendance aujourd’hui la faute lourde existe en dehors
de la faute dolosive.
SECTION II : L’EXISTENCE DE LA FAUTE LOURDE EN DEHORS DU DOL
L’appréciation in abstracto de la faute lourde conduit à donner un sens nouveau à la règle de
l’équipollence : la limitation de responsabilité est écartée en considération du comportement
particulièrement grave du débiteur. « L’ordre public contractuel » est intéressé à ce que
l’auteur d’une faute lourde ne puisse se retrancher derrière une clause l’exonérant en tout ou
en partie de sa responsabilité.
La CIM s’inscrit certainement dans cette perspective lors qu’elle prévoit que la limitation de
responsabilité des transporteurs ferroviaires internationaux sera écartée en cas de dol ou de
faute lourde ; c’est là reconnaître une distinction de nature entre le dol et la faute lourde ; si
celle-ci est admise à sanctionner le transporteur, c’est en raison de la gravité particulière du
manquement. La faute lourde devra revêtir un degré certain de gravité, qui permettra de la
distinguer de la faute légère. Ces deux types de fautes n’ayant pas les mêmes conséquences
juridiques, une distinction claire et nette serait opportune61.
L’étude de la jurisprudence montre qu’en principe cette gradation existe (Paragraphe I), mais
que les conditions de l’appréciation objective des comportements conduisent à la relativiser
fortement (Paragraphe II).
Paragraphe I : Faute lourde, faute légère : différence de grade
Pour que la responsabilité contractuelle de l’une des parties au contrat puisse être engagée, la
réunion de trois conditions. L’existence d’une faute ayant été à l’origine d’un préjudice subi
par l’autre partie, ce qui suppose un lien de causalité entre la faute et le préjudice.
La gravité de la faute : l’ancien droit avait institué une hiérarchie entre trois types de fautes :
légère, intentionnelle et dolosive, à laquelle était assimilé la faute lourde. Dans l’ancien droit
la hiérarchie des fautes avait une incidence sur le principe même de l’existence de la
responsabilité, certaines fautes n’ayant aucune conséquence juridique. Aujourd’hui, toute
61 Alain SERIAUX : « La faute du transporteur », 2e édition ECONOMICA, 1998, page 280e et suivant
34
faute aussi légère soit-elle est susceptible d’engager la responsabilité contractuelle. La
hiérarchie retrouve cependant sa place grâce à la jurisprudence qui lui reconnaît une incidence
sur les limitations de responsabilité.
Dans l’ordre croissant de gravité, l’on pourrait distinguer quatre ou cinq catégories de
fautes 62:
- La faute légère (ou simple), fruit d’une simple imprudence, négligence de faible
gravité, engage la responsabilité de son auteur, sauf dans les cas où le contrat porte sur
un service rendu à titre gratuit. La faute légère permet également à celui qui s’en
prévaut d’invoquer les limitations de responsabilité, notamment en matière de droit
des transports.
- La faute lourde est celle qui découle d’un comportement d’une extrême gravité qui
tient soit à l’écart de conduite du débiteur soit aux conséquences de la faute du
débiteur. Parfois assimilé à la faute inexcusable, c’est le cas d’un vendeur qui ne
s’assure pas de la sécurité des produits qu’il met sur le marché. Une telle faute a pour
effet d’écarter toute limitation la limitation légale ou conventionnelle, notamment dans
le transport terrestre, permettant ainsi la réparation intégrale des préjudices subis,
prévisibles ou imprévisibles.
- La faute intentionnelle et la faute dolosive constituent le plus haut degré d’échelle de
gravité des fautes. La faute intentionnelle consiste dans le fait d’accomplir un acte
dommageable en pleine connaissance de cause du préjudice que cela va causer à
l’autre partie. La faute dolosive est celle que commet un contractant qui « de propos
délibérés, se refuse à exécuter ses obligations contractuelles, même si ce refus n’est
pas dicté par l’intention de nuire ». Tout comme la faute lourde, ou la faute
inexcusable, la faute dolosive met à l’écart les limitations conventionnelles, générales
ou particulières, de la responsabilité contractuelle. La notion de faute intentionnelle,
qui est plus utilisée en matière d’assurance ou de la responsabilité civile, a pour effet
d’exclure toute assurance et fait échec à toute limitation légale ou conventionnelle au
droit à réparation. Il arrive que le débiteur échappe à sa responsabilité lorsque le
caractère fautif est gommé par une cause d’exonération.
62 Le régime général de la responsabilité contractuelle. www.aesplus.net
35
Cette théorie exposé par Domat et systématiser par Pothier, a été critiqué au 18eme siècle, et
finalement abandonnée sous l’influence de Planiol 63 : « C’est l’obligation qui varie en
étendue et non la faute en gravité » ; … dans la limite ou l’obligation existe, on peut dire que
toute contravention à cette obligation constitue une faute, quelque légère qu’elle soit et sans
distinguer si l’obligation est conventionnelle ou légale. Il s’agit donc de savoir, non pas dans
quelle mesure le débiteur a manqué à son obligation, mais dans quelle mesure il se trouve lié
et quelle somme de diligence il était tenu de fournir ». Le code civil de 1804 n’a pas repris
cette hiérarchie.
Pourtant une série de textes législatifs notamment en droit du travail, ont recréé cette
hiérarchie, en attachant des effets particuliers à la faute intentionnelle, à la faute lourde ou à la
faute grave. Cette hiérarchie permet d’obtenir une responsabilité plus sévère, comme le
montre l’article 1150 du Code civil qui prévoit une aggravation du régime ordinaire de la
responsabilité en cas de dol, c’est-à-dire lorsque l’inexécution a été commise volontairement
avec la pleine conscience du dommage qui peut en résulter, ou l’article 1153 du code civil qui
dans son dernier alinéa prévoit l’octroi de dommages intérêts distincts des intérêts moratoires
en cas de mauvaise foi du débiteur. Elle permet également d’écarter les clauses limitatives ou
exclusives de responsabilité notamment en matière de transport terrestre où tous les contrats-
types limitent la responsabilité du transporteur64.
On peut penser que la faute ne se réduit pas à l’inexécution de l’acte promis, fait purement
objectif, elle sous-tend souvent un reproche sur la cause de celle-ci, une critique du
comportement du débiteur de l’obligation. En droit des transports la faute est facile à
caractériser : elle est automatique, le transporteur étant tenu d’une obligation de résultat. Nous
savons que la référence à la faute est quotidienne, notamment dans les arrêts de la Cour de
cassation.
On sait que la faute in abstracto se définit essentiellement par rapport aux circonstances du
dommage. Etaient-elles ou non prévisibles ? Le transporteur aurait-il pu leur résister ?
De façon prépondérante, c’est la conscience que le transporteur devait ou pouvait avoir du
risque de dommage qui permet d’apprécier la gravité d’une faute. La faute légère suppose une
63 MALAURIE (P.) et AYNES (L) : « Contrats et quasi contrats ». Obligations, Tome 2, 11e éditions Cujas 2001 64 GARBAN (M.), Rapport devant la Chambre mixte de la Cour de cassation, sur l’arrêt Chronopost 22 avril 2005. www.courdecassation.fr
36
conscience rudimentaire, née de l’apparence du risque de dommage. La faute lourde devra
donc impliquer une conscience plus aiguë du risque de dommage, voire du dommage tout
court.
La jurisprudence, dans l’ensemble, se montre fidèle à cette perception des différentes fautes.
Cette conscience plus aiguë du risque de dommage que le transporteur devait ou pouvait avoir
est tout d’abord retenue en jurisprudence lorsque la cause du dommage était particulièrement
évidente. Il en est ainsi pour les accidents de trajet dus au heurt du tablier d’un pont dont le
tirant d’air est manifestement inférieur au gabarit du véhicule chargé. Une série de décisions
insistent à ce sujet sur l’évidence particulière du risque de dommage due, selon les cas, au
gabarit exceptionnel du véhicule ou à la reconnaissance préalable de l’itinéraire par le
transporteur65.
Il en va de même lorsque le transporteur ne s’inquiète absolument pas du chargement et de
l’arrimage de la marchandise, alors que le vice est apparent et qu’il sait que le trajet est
particulièrement accidenté, ou qu’il abandonne de course en plein soleil dans le midi de la
France pendant plus de six heures66 . « L’oubli total de ses obligations » constituera sans
hésitation une faute lourde.
Plus subtilement, la faute lourde est souvent retenue parce que dès le départ, le transporteur
routier a accepté d’acheminer une marchandise manifestement mal chargée ou mal arrimée
par l’expéditeur, sans chercher à y remédier, lui faisant courir un risque grave qui s’est révéler
au cours du déplacement67. Les juges n’hésitent d’ailleurs pas dans un tel cas à noter qu’en
outre le transporteur négligent n’avait pas adapté sa conduite routière pour, au moins, éviter
que ce risque, dont il ne pouvait pas ne pas avoir conscience, se réalise.
Au cours du déplacement, le transporteur est encore susceptible de connaître plusieurs types
de fautes lourdes : manutention particulièrement peu précautionneuse des colis qui lui sont
confiés68 ; erreurs techniques dans l’entretien ou la conduite du véhicule qu’un professionnel
du transport ne saurait commettre tant elles sont flagrantes…
De façon générale, les juges insistent sur la prévisibilité particulière du risque de dommage en
raison tantôt de ce que le transporteur savait, tantôt des instructions qu’il avait reçu de
65 Cass. Com. 11 mai 1976, Dalloz 1976, sommaire, page 64. 66 C. A. Caen 23 avril 1974, BT 1974, page 238. 67 Cass. Com. 7 avril 1987, Bulletin civ. IV, n° 83. 68 C. A. Amiens, 12 mars 1996, BT 1996, page 559.
37
l’expéditeur. L’absence de mesures adéquates au risque ainsi prévisible accuse
indubitablement le transporteur69.
Cette connaissance nécessaire de ses devoirs que devait avoir le transporteur renforce du
même coup le contenu de son obligation de diligence dont, par contraste, l’inexécution ne
devient que plus gravement fautive.
La gradation entre la faute lourde et la faute légère repose bien sur la distinction entre une
conscience particulière du dommage qu’aurait dû avoir le transporteur et une simple
conscience rudimentaire.
Paragraphe II : Le peu de différence entre faute lourde et faute légère
Le maintien d’une distinction suffisante entre faute lourde et faute légère est essentielle pour
le transporteur. Que la jurisprudence, dans un souci de sanction, lui refuse en cas de faute
lourde la possibilité d’invoquer la clause limitant sa responsabilité, soit. Mais qu’une
interprétation excessivement large de la notion de faute lourde aboutisse à rendre le
transporteur, de manière systématique intégralement responsable du dommage qu’il a causé,
c’est rendre inutile toute prévision contractuelle et, au-delà, remettre en cause la raison d’être
du contrat et de l’entreprise.
La jurisprudence semble avoir pris en compte cet effet. Plusieurs arrêts disposent que la faute
du transporteur est bien établie, mais qu’elle n’est pas suffisamment grave pour être
considérée comme lourde70 . En d’autres termes, la cause du dommage pouvait bien être
prévue ou pouvait être évitée, mais elle ne possédait pas cette évidence telle que le
transporteur pu aisément la prévoir et l’enrayer.
Plus significatives encore sont les décisions qui, tout en reconnaissant que la cause du
dommage ne constitue pas un cas de force majeur, ce qui revient à admettre la faute du
transporteur, refusent en même temps de voir dans cette faute un manquement lourd71.
Dans cette perspective, le critère de distinction entre faute lourde et faute légère apparaît
clairement. Chaque fois que le transporteur pouvait invoquer avec succès des motifs
expliquant, même partiellement, son inexécution, la faute lourde ne saurait être retenue : la
69 Cass. Com. 15 novembre 1988, BT 1989, page 450 70 Cass. 1er Civ. 3 juin 1970, Dalloz 1971, page 373, note du professeur CHAUVEAU. 71 C. A. Paris, 27 mai 1980, BT 1980, page 435.
38
conscience que le transporteur aurait dû avoir des risques de dommage n’est pas suffisamment
claire ; l’on demeure donc dans le domaine de la faute légère.
Cependant il faut relativiser cette distinction entre les deux fautes, pour être susceptible de
réduire la conscience que le transporteur devait avoir, les motifs allégués doivent être eux-
mêmes exempts de fautes. Le transporteur ne peut prétendre se retrancher derrière des raisons
qu’il a lui-même, par sa carence, contribuées à faire naître72. Or, il ne faut pas oublier que le
transporteur est un professionnel. L’expéditeur qui s’adresse à lui est en droit d’attendre de sa
part une conscience des risques de dommage beaucoup plus aiguë que la moyenne. A la limite,
cette conscience sera présumée. Si bien que, dès l’instant où l’on pourra relever une raison
quelconque pour que le transporteur puisse avoir conscience du danger, la faute lourde sera
retenue.
La jurisprudence tend, tout d’abord, à admettre que la simple apparence des risques de
dommage suffit à constituer la faute lourde : même en présence de motifs certains pour croire
que le dommage ne surviendra pas, l’inexécution prouvera la faute lourde73.
Les motifs de l’inexécution deviennent superfétatoires dès l’instant où la conscience du risque
de dommage est présumée chez le transporteur. Dès lors, les juridictions auront tendance à
admettre que toute violation d’une obligation comprise dans la sphère de diligence normale du
transporteur constitue une faute lourde.
De fait, bon nombre d’arrêts se bornent à constater matériellement l’existence d’un
manquement et le qualifient aussitôt de grave. Par exemple, pour le vol de marchandises dans
un véhicule que le chauffeur avait abandonné durant cinq minutes pour effectuer une
livraison : le chauffeur aurait dû être accompagné74.
Certaines décisions vont jusqu’à admettre un véritable renversement du fardeau de la preuve
de la faute lourde. Sur la base d’un simple relevé de l’occasion d’ailleurs mal connue du
dommage, elle considère qu’il revient au transporteur de se disculper et qu’admettre le
contraire « conduirait à une impunité de principe » ou que « le simple énoncé (par
l’expéditeur) de la cause du dommage, non déniée, suffit à justifier ses prétentions, sauf au
72 Tribunal commercial de Paris 7 novembre 1973, BT 1973, 514. 73 Tribunal commercial de Paris 11 janvier 1980, BT 1980, 94. 74 C. A. Besançon 30 septembre 1958, 306.
39
transporteur à se disculper »75. La Cour d’Amiens76 n’a pas hésité à affirmer que : « Attendu
qu’il est certain que constitue une faute lourde pour un transporteur le fait d’engager son
véhicule sous un pont sans s’assurer de savoir si la hauteur libre est suffisante pour permettre
le passage du chargement ». En relevant la faute lourde, les juges s’efforcent au fond de
donner une leçon de conduite aux transporteurs et l’on sent bien qu’ici résident une
appréciation a posteriori de la diligence qu’aurait dû avoir le transporteur77. Il s’agit là
pourtant, « de véritables arrêts de règlement : ils posent un principe sans avoir égard à la
moindre des circonstances de nature à apprécier concrètement la gravité du comportement du
transporteur ».
Ces arrêts n’auraient-ils pas mérité d’encourir la censure de la Cour de Cassation, qui exige
des juges du fond qu’ils précisent les circonstances constitutives de la faute grave ? De fait,
des jugements juges du fonds ont encore été récemment cassées car leurs motifs, trop
généraux, ne permettaient pas à la Cour « d’exercer son contrôle sur le degré de gravité de la
faute du transporteur78 ». Il reste que le silence gardé par ces décisions sur la conscience que
devait avoir le transporteur du risque de dommage n’implique aucune conception matérielle
de la faute lourde. Au fond, les juges estime implicitement l’idée qu’un professionnel du
transport doit être capable d’une conscience du danger – son pain quotidien – bien plus élevée
qu’un profane.
La Cour de cassation a paru prendre conscience de ces risques de dérives. A partir de 1985
elle a tâché d’encourager les juges du fond à se montrer plus circonspects en élaborant elle-
même « une formule au tour restrictif ». La faute lourde y est définie comme « une négligence
d’une extrême gravité confinant au dol et dénotant l’inaptitude du transporteur, maître de son
action, à l’accomplissement de la mission contractuelle qu’il avait acceptée 79». Maintenue
vaille que vaille jusqu’à nos jours, une telle formule a-t-elle obtenu le résultat escompté ? Il
paraît difficile de l’admettre. La Cour de Cassation s’en est surtout servi, pour casser les arrêts
ou jugements insuffisamment motivés, qui ne relevaient pas les circonstances précises
susceptibles d’accuser le transporteur. Elle a rejeté au contraire les pourvois déférés devant
elle dès lors que les juges du fond avaient précisé concrètement en quoi le transporteur leur
paraissait coupable de faute lourde.
75 C. A. Aix 12 mai 1987, BT 1988, 291. 76 27 octobre 1993, BT 1993, 838. 77 C. A. Paris, 17 février 1988, BT 1988, 685. 78 Cass. Com. 8 juin 1993, Bulletin civ. IV, n° 238. 79 Cass. Com. 26 février 1985, Bulletin civ. IV, n° 82.
40
Au-delà, l’appréciation des juges reste souveraine, avec toutefois cette précision qu’au fil des
espèces qui sont soumises à son approbation la Cour de Cassation s’attache presque toujours à
souligner que l’admission ou le rejet de la faute repose sur le constat du caractère
particulièrement manifeste du risque de dommage. Dans le premier cas, de l’absence de ce
caractère dans le second. Mais il n’en va pas toujours ainsi et la Cour de Cassation se contente
parfois du relevé par les juges du fond que le risque de dommage était « apparent pour les
professionnels du transport. L’on aboutit ainsi à une simple obligation pour les juges de
motiver correctement leurs sentences. A la limite, de simples « formules de style » suffiront.
Pourvu qu’elles aient une tournure un tant soit peu imprécatoire à l’encontre des transporteurs
condamnés80.
La notion de faute lourde a connu divers bouleversements au cours des années en effet après
avoir été, pendant de longues années caractérisées par la faute grave et aussi par la violation
des obligations essentielles, la cour de cassation par une jurisprudence récente est venu
remettre en cause cette notion de faute lourde et précise que « la faute lourde ne résulte pas du
seul manquement à une obligation essentielle, mais doit se déduire de la gravité du
comportement », c’est une conception plus restrictive de la notion de faute.
De plus aujourd’hui la faute lourde dans le droit des transports terrestres a les mêmes effets
que le dol. Cela nous amène à parler des conséquences de la faute lourde dans le droit des
transports.
80 Alain SERIAUX : « La faute du transporteur », 2e édition ECONOMICA 1998, page 292.
41
PARTIE II : LES CONSEQUENCES DE LA FAUTE LOURDE
DANS LE DROIT DES TRANSPORTS
Les conséquences de la faute lourde différeront suivant que l’on invoquera, d’une part le
droit des transports maritime et aériens ou la faute lourde n’aura aucune incidence sur
la responsabilité du transporteur et d’autre part le droit des transports terrestres ou la
faute lourde permet de faire tomber la limitation de responsabilité du transporteur.
42
CHAPITRE I : LA FAUTE LOURDE SANS INCIDENCE SUR LA
LIMITATION DE RESPONSABILITE
La faute lourde bien qu’étant une faute d’une gravité certaine, n’entraîne pas la suppression de
la limitation de responsabilité pour le transport maritime et le transport aérien, pour ces
transports, on est passé de la faute lourde à la faute inexcusable (I). Pourtant les deux concepts
ont la même fonction : exclure la limitation de responsabilité lorsque le transporteur n’a pas
correctement exécuté la mission qui lui avait été confié, dès lors, une même faute ne pourrait-
elle pas être qualifiée tantôt de faute inexcusable, tantôt de faute lourde, selon que l’on
viserait à faire échec à la limitation de responsabilité des uns ou de l’autre81 (II).
SECTION I : DE LA FAUTE LOURDE A LA FAUTE INEXCUSABLE
En matière de transport maritime et aérien, l’exigence d’une faute caractérisée par le
transporteur pour faire tomber la limitation de responsabilité à conduit les rédacteurs des
textes concernant ces deux droits ont du faire évoluer cette exigence (Paragraphe I). Ils sont
ainsi passés de la faute lourde à la faute inexcusable, faute inexcusable que nous étudierons
succinctement (Paragraphe II).
Paragraphe I : L’évolution juridique en matière maritime et aérienne
Cette évolution juridique a d’abord vu le jour en droit aérien (A) avant d’être repris en droit
maritime (B).
81 V. par exemple à propos du comportement d’un transporteur aérien dans ses rapports avec l’expéditeur et dans ses rapports avec son substitué, Cass. Com. 14 décembre 1977, JCP 1978, IV, page 53.
43
A) En matière aérienne
La recherche de la faute suffisamment grave pour mettre d’accord certains partisans de la
théorie du risque et les défenseurs d’une prise en considération systématique de la faute ont
motivé la genèse de la faute inexcusable dans les transports aériens. Initialement la
Convention de Varsovie, portait en son article 25, que le plafond de réparation pouvait être
écartée « si le dommage provient d’un dol ou d’une faute qui, d’après la loi du tribunal saisi,
est considérée comme équivalente au dol ». Les tribunaux français en avaient déduit que la
faute lourde devait jouer le rôle de faute équivalente au sens de la Convention. Pourtant
l’intention du législateur était loin d’être aussi claire. Si les français et les allemands pensaient
à la faute lourde, les anglais quant à eux, songeait à la wilful misconduct. Le but d’unification
que s’était assigné la Convention avait échoué82.
Si bien que, dès 1952, l’OACI proposait une nouvelle rédaction de l’article 25 de la
Convention de Varsovie. Après de longues et laborieuses tractations, le Protocole de La Haye
du 28 septembre 2005, entrée en vigueur le 1er août 1963, donna de l’article 25 la rédaction
que voici : « Les limites de la responsabilité prévue à l’article 22 ne s’appliquent pas s’il est
prouvé que le dommage résulte d’un acte ou d’une omission du transporteur ou de ses
préposés fait soit avec l’intention de provoquer un dommage, soit témérairement et avec
conscience qu’un dommage en résultera probablement… ». Une rédaction semblable se
retrouve dans toutes les Conventions internationales récentes lorsqu’elles envisagent la faute
susceptible d’exclure la limitation de responsabilité. Il en va spécialement ainsi en matière de
transport maritime de internationaux de marchandises, depuis la modification de la
Convention de Bruxelles par le protocole de Bruxelles de 196883, nous y reviendrons plus tard.
Déjà on avait songé en France à définir la faute équivalente au dol comme étant non point la
faute lourde mais la faute inexcusable. Dans un fameuse chronique Monsieur le Professeur
CHAUVEAU proposa une définition de la faute inexcusable84, qui fut retenu par le législateur
« Est inexcusable, dispose l’article L 321-4 CAC, la faute délibérée qui implique la
conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire sans raison valable ».
82 MANKIEWICZ () : « Le sort de la Convention de Varsovie en droit écrit et en Common Law », mélanges Roubier, tome 2 page 105 et suivant. 83 Alain SERIAUX : « LA faute du transporteur », 2e édition ECONOMICA, 1998, page 256 et suivant. 84 « Le projet de loi sur la responsabilité du transporteur par air », Dalloz 1955, Chroniques, page 81.
44
Le parallélisme avec la définition internationale est frappant. Même si la définition française
comporte deux éléments supplémentaires (« la faute délibérée » et « l’absence de raison
valable »), il apparaît qu’en fait ces deux précisions pourraient très bien s’induire
respectivement des deux autres éléments communs, à savoir d’une part « la conscience de la
probabilité du dommage » et « la témérité ». Quoiqu’il en soit, la jurisprudence n’établit
aucune différence notable entre les compréhensions nationales et internationales de la notion
de faute inexcusable.
Comment interpréter cette notion ? Il est des données à peu près certaines. Il doit d’abord
s’agir d’une faute d’une gravité suffisante pour mériter le qualificatif d’inexcusable. D’autre
part, la preuve d’une telle faute doit être rapportée par celui qui l’invoque.
Il en résulte, à la charge du demandeur en réparation, l’obligation de démontrer la cause du
dommage ; sinon, comment pourrait-il établir la faute du transporteur ? La jurisprudence
rappelle cette règle de temps à autre85.
Cette tendance à invoquer la faute inexcusable dans le transport aérien pour faire tomber la
limitation de responsabilité à influencer le transport maritime qui sait résolument tourné lui
aussi vers la faute inexcusable pour faire tomber la limitation de responsabilité.
B) En matière maritime
Principe fondamental du droit maritime, la limitation de responsabilité du propriétaire de
navire a été reconnue dès le XI siècle par les puissances maritimes traditionnelles86. Resté à
terre, le propriétaire confies on navire au capitaine ; il ne peut donc être tenu de réparer
l’intégralité des dommages survenus au cours de l’expédition. Par la suite l’institution a
évolué ; le principe de la limitation de responsabilité n’a plus été réservée au seul propriétaire :
toute personne qui court le risque de l’expédition maritime peut prétendre se libérer à l’égard
de ses créanciers en leur abandonnant un fonds en argent87. La première, la Convention de
Bruxelles du 10 octobre 1957 sur la limitation de responsabilité des propriétaires de navires a
consacré cette solution : le propriétaire, ou toute autre personne qui se fait concéder
l’exploitation du navire, peut demander à limiter sa responsabilité, à condition de ne pas avoir 85 TGI de Paris, 24 avril 1970 RFDA 1970, page 326. 86 Isabelle CORBIER : « La notion juridique d’armateur », édition PUF, 1999, page 51 et suivant 87Aujourd’hui, sont en droit de limiter leur responsabilité les propriétaires et responsables du navire (affréteur, armateur et armateur gérant), mais aussi tous ceux qui opèrent pour le compte de l’armateur (préposés, sous-traitants, agents et prestataires de services), y compris les assistants et les assureurs ( Civ. 2e, 8 mars 1995, Bulletin, II, n° 83).
45
commis de faute personnelle ; en effet, la valeur historiquement reconnue au propriétaire du
fait de l’éloignement de son navire ne pouvait pas être maintenue si le bénéficiaire n’en était
pas digne.
Mais le navire représente aussi une capacité de transport ; le transport de marchandises est une
activité essentielle de la fonction d’armateur. Le principe de la limitation de responsabilité du
transporteur maritime se trouve donc inscrit dans la Convention de Bruxelles du 25 août 1924
pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement, laquelle n’envisageait
même pas la possibilité d’y faire échec88. La loi française du 2 avril 1936 reprit ces principes
en droit interne. Certes, il fut admis que le dol pouvait faire échec à cette limitation légale ;
mais la Cour de cassation refusa d’assimiler la faute lourde au dol89. L’article 28 de la loi du
18 juin 1966 sur les contrats d’affrètements et de transports maritimes consacra cette solution :
seul le dol faisait échec à la limitation de responsabilité. Le Professeur RODIERE justifia
cette règle en faisant valoir que la loi maritime constituait un système clos, au sein duquel les
règles de responsabilité et de réparation formaient un équilibre savamment dosé ; cet équilibre
serait compromis si l’on faisait place à la faute lourde dont les tribunaux tendaient à faire un
emploi inconsidéré90.
Mais ces principes ne valent pas pour le transport par mer de passagers. Dès 1911, la Cour de
cassation a affirmé que l’exécution du contrat de transport comportait l’obligation de conduire
sain et sauf le voyageur à destination91. La vie humaine n’a pas de prix ; le principe de la
limitation de responsabilité du transporteur est inadmissible dans le cas de passagers.
Transposant au transporteur maritime les solutions retenues pour le transporteur aérien, les
Conventions internationales et la loi française92 refusent donc au transporteur de passagers le
droit de limiter sa responsabilité en cas de faute inexcusable. Dès lors la Cour de cassation
peut retenir la faute inexcusable en se fondant sur le comportement du transporteur maritime
qui a mis en péril la sécurité des passagers : en laissant monter à bord un nombre excessif de
passagers, le transporteur a rendu la baleinière difficilement manœuvrable, ce qu’il ne pouvait
88 Dans sa rédaction initiale, l’article 4-5 de la Convention prévoyait : « En aucun cas, le transporteur maritime ne sera tenu au-delà des plafonds légaux de responsabilité ». 89 Chambres réunies, 11 mars 1960, Dalloz 1960, page 277, note René RODIERE. 90 Martine REMOND-GOUILLOUD : « Droit maritime », 2e édition PEDONE, 1993, n° 596. 91 Cass. 21 novembre 1911, Dalloz 1913, I, page 249. 92 L’article 44 de la loi du 18 juin 1966 précise : « Pour chaque passager, la réparation due par le transporteur ne peut excéder, sauf dol ou faute inexcusable, la somme dont le montant est fixé par décret.
46
ignorer93. Ainsi la Cour suprême peut condamner le transporteur à réparer intégralement le
préjudice subi par les ayants droit des victimes qui ont péri noyées.
A partir des années 1970, la notion de faute inexcusable gagne progressivement du terrain :
les Conventions internationales maritimes y font toutes référence. La faute inexcusable est
apparue dans la Protocole du 23 février 1968 modifiant la Convention de Bruxelles de 192494.
Elle a ensuite remplacé la notion de faute personnelle, retenue par la Convention de 1957,
dans la Convention du 19 novembre 1976 sur la limitation de responsabilité du transporteur
maritime en matière de créances maritimes. Enfin elle a été introduite dans les règles de
Hambourg. Désormais, la faute inexcusable fait échec à la limitation de responsabilité de
l’armateur, qu’il soit propriétaire du navire, affréteur ou transporteur.
En droit interne, la notion pénètre plus tardivement. Dans la décennie 1980, la Cour de
cassation a maintenu fermement la solution légale : seul le dol pouvait faire échec au principe
de la limitation de responsabilité95. Le législateur est venu mettre le droit maritime interne en
conformité avec les Conventions internationales : l’article 58 de la loi du 3 janvier 1967
portant statut du navire, puis l’article 28 de la loi du 18 juin 1966 ont été modifiés.
L’exigence de la faute inexcusable pour priver le transporteur maritime et aérien de la
limitation de responsabilité, loin d’avoir résolue tous les problèmes à amener les juges à se
poser la question de l’appréciation de la notion de faute inexcusable.
Paragraphe II : La Notion de faute inexcusable
La question qui s’est posée au juge dans l’appréciation de la faute inexcusable c’était sur son
(appréciation in concreto) (A) ; ou au contraire sur son (appréciation in abstracto) (B).
93 Cass. Com. 16 avril 1991, Bulletin, IV, n° 146 94 Article 4-5-e de la Convention de Bruxelles de 1924 modifiée par le protocole du 23 février 1968, entré en vigueur le 23 juin 1977, prévoit : « Ni le transporteur, ni le navire n’auront le droit de bénéficier de la limitation de responsabilité établie par ce paragraphe s’il est prouvé que le dommage résulte d’un acte ou d’une omission du transporteur qui a eu lieu soit avec l’intention de provoquer un dommage, soit témérairement et avec conscience qu’un dommage en résulterait probablement. 95 Cass. Com. 30 janvier 1978, Bulletin, IV, n° 39.
47
A) L’appréciation in concreto de la faute inexcusable
Les arguments en faveur d’une appréciation in concreto ne manquent pas. D’une part,
l’appréciation concrète serait commandée par l’esprit même de la législation admettant le
recours à la faute inexcusable, à défaut de dol, d’autre part la rédaction des textes définissant
la faute inexcusable serait suffisante pour engendrer une interprétation subjective de la notion.
Les travaux préparatoires pour la rédaction des conventions internationales ont démontré le
désir d’admettre une appréciation concrète de la conscience du dommage.
Il semble que l’idée d’une interprétation restrictive de la faute inexcusable est née parce que
les plafonds légaux de réparations à la charge du transporteur sont très élevés. L’esprit de
l’ancienne Convention de Varsovie, qui reposait une responsabilité automatique mais limitée
des transporteurs aériens, est aujourd’hui dépassé : la responsabilité demeure limitée, mais le
plafond est si élevé qu’il assure dans la majorité des cas soit une réparation totale, soit, une
réparation substantielle ; la faute susceptible d’écarter ledit plafond doit donc être entendue
très restrictivement.
Or l’appréciation in concreto, parce qu’elle implique de scruter la mentalité du pilote, chose
extrêmement difficile, voir parfois impossible conduit bien à une interprétation stricte96.
En quoi consiste la faute inexcusable ? La plupart des décisions n’hésitent pas : pour elles,
l’auteur d’une faute inexcusable doit avoir agi de mauvaise foi. De la même famille que la
faute dolosive
En toutes circonstances, les décisions recherchent si le pilote a eu effectivement conscience de
la probabilité du dommage. Si cette condition est remplie et que, malgré tout, le pilote n’a pas
modifié, volontairement, sa conduite, il peut être considéré comme de mauvaise foi. Il n’y a là
que la reprise des conditions posées par la loi elle-même. N’exige-t-on pas une faute
délibérée ? La délibération n’est pas la seule volonté97. Toute faute est volontaire, mais toute
faute n’est pas commise délibérément. La délibération suppose toujours une prise en
considération des conséquences de l’acte que l’on veut poser, pour en peser les avantages et
les inconvénients. Il existe donc un lien étroit entre la faute délibérée et la conscience
96 Alain SERIAUX, op. Cit. Page 260 et s. 97 Dejean de la BATIE : « appréciation in abstracto et appréciation in concreto en droit civil français », Bibliothèque droit privé, T LVII, 1965, n° 140.
48
subjective de des conséquences dommageables probables ou certaines. L’appréciation in
concreto du comportement du transporteur en découle logiquement.
La jurisprudence n’a trouvé pour l’instant qu’une seule occasion d’appliquer la notion de
faute inexcusable en matière de responsabilité du transporteur maritime de personnes (article
44, loi du 18 juin 1966). Pourtant ce seul arrêt s’est lui aussi fondé sur l’absence de faute
délibérée pour rejeter la prétendue faute inexcusable des préposés du transporteur. Il s’agissait
en l’espèce d’un incendie qui avait éclaté à bord d’un navire de croisière. Le navire mit plus
de vingt quatre heures à sombrer, mais l’équipage n’employa pas les dix-huit bouteilles de gaz
carbonique se trouvant dans les cales, faute d’avoir une connaissance suffisante des moyens
de défense du navire !
La faute paraissait particulièrement grossière. Pourtant la Cour d’Aix-en-provence98, tout en
reconnaissant la faute du transporteur, ne l’analysa point en une faute inexcusable au sens de
l’article 44 du 18 juin 1966, car « aucun indice ne permettait de dire qu’elle ait été commise
délibérément ». On peut, sans doute, trouver là une volonté assez nette d’une appréciation in
concreto du comportement de l’équipage. En mettant l’accent sur la nécessité d’une faute
délibérée, la Cour d’appel renvoie immanquablement à l’idée que l’équipage a dû agir de
mauvaise foi. Pour cela, il doit avoir une conscience des dommages qu’il pourrait ou ne
manquerait pas d’occasionner en demeurant passif.
C’est donc bien une certaine mauvaise foi qui est exigée du transporteur. Certes il ne s’agit
point de l’intention de nuire ou de provoquer le dommage, ni même de la certitude que ce
dommage va se réaliser. Toutefois, celui qui a conscience du dommage qu’il peut causer et
ne fait rien pour l’empêcher, sans pouvoir invoquer aucun motif valable qui justifie son
inaction, ne peut se prétendre de bonne foi, celle que la jurisprudence française récente retient
en matière de faute dolosive.
Ainsi, lorsque la loi aérienne vise soit la faute commise avec l’intention de provoquer le
dommage, soit la faute commise témérairement avec la conscience qu’un dommage peut en
résulter, c’est bien parce qu’elle considère que les deux types de fautes appartiennent à la
même famille : la faute dolosive élargie, qui recouvre toutes les nuances de mauvaise foi.
98 Aix-en-Provence, 14 novembre 1972, DMF 1973, page 474.
49
L’élargissement de la faute intentionnelle classique à la faute inexcusable dénote sans doute
un souci de sanctionner les comportements les plus graves ; mais il s’effectue dans le cadre
d’une seule et même notion : la mauvaise foi sans l’exécution du contrat.
Cependant dès l’instant que les Cours et Tribunaux admettent une appréciation objective de la
faute inexcusable, le souci de sanction se reflète de manière plus caractéristique.
B) L’appréciation in abstracto retenu par la jurisprudence
Les arguments développés en faveur d’une appréciation in concreto n’ont pas semblé
déterminants à la Cour de cassation française. Celle-ci s’est en effet prononcée, dès la
première affaire où elle a été amenée à statuer sur la notion de faute inexcusable, pour une
appréciation abstraite de la faute du transporteur.
Qu’est-ce, en effet, que l’appréciation objective de la faute inexcusable ?
Dès 1964, la Cour de cassation avait, sans employer l’expression, pris parti pour un tel mode
d’appréciation. Le motif allégué par La Cour d’appel dont l’arrêt à la Cour, pour ne pas
admettre la faute inexcusable, était que « pour gravement imprudent qu’il ait été, le
comportement (du pilote) ne permettait pas d’estimer avec certitude que les manquements
commis aient présenté les caractères de la faute délibérée, impliquant la conscience de la
probabilité du dommage… » Cet arrêt fut cassé99 au motif que, compte tenu des éléments
relevés, « les juges du fond ne pouvaient se dispenser de donner à un tel comportement la
qualification de faute inexcusable… »
Ainsi, alors que les juges du fond exigeaient la certitude sur la conscience qu’avait le pilote de
la probabilité du dommage, la Cour de cassation sembla se contenter de la certitude que le
pilote devait avoir compte tenu des circonstances. Le passage d’une appréciation concrète à
une appréciation abstraite se situe bien à ce point.
Un arrêt rendu en 1966 100 confirma cette solution en faisant référence expresse à « la
conscience que le pilote ne pouvait manquer d’avoir des risques auxquels il exposait
délibérément et sans nécessité ses passagers ». Puis c’est surtout le célèbre arrêt du 5
décembre 1967101, rendu sur les conclusions pourtant contraire du premier avocat général
99 Cass. Civ. 2e, 5mars 1964, JCP 1964, II, page 3696, note de JUGLART. 100 Cass. Civ. 2e, 9 juin 1966, RFDA, 1966, page 448. 101 Cass. Civ. 1er, 5 décembre 1967, JCP 1968, II, 15350.
50
LINDON, qui montre clairement la volonté de la Cour de cassation de se rallier à une
appréciation in abstracto. Cassant l’arrêt de la Cour de Paris du 24 mars 1965, elle affirma que
la faute inexcusable « doit être appréciée objectivement ». Par la suite, cette jurisprudence n’a
jamais été démentie. Certains arrêts de la Cour de cassation précisent d’ailleurs que la faute
inexcusable « doit être appréciée par rapport au comportement d’une personne normalement
avisée et prudente ».
Les juges du fond se sont rangés à la position de la Cour102, certains d’entre eux soulignent
que « c’est objectivement, c'est-à-dire par rapport à une personne normalement avisée et
prudente, qu’il faut apprécier si l’auteur de l’acte ou de l’omission téméraire, cause de
l’accident, a eu conscience qu’un dommage en résulterait probablement » ou que « les
préposés du transporteur n’ont pas adopté, face à des colis dont le caractère fragile et spécial
leur était signalé, le comportement d’un transporteur normalement avisé, diligent et surtout
prudent ».
Certes, si le cas se présente, ils n’hésiteront pas à relever que le transporteur ou son préposé
avait eu effectivement conscience du risque de dommage qu’il faisait courir aux passagers et
aux marchandises transportés et la Cour de cassation n’hésite pas à les en approuver, mais il
n’y a plus là qu’un raisonnement à fortiori : la seule conscience que le transporteur aurait dû
avoir compte tenu des circonstances suffit, lorsqu’elle est établie, à l’obliger à réparer
l’intégralité du dommage direct et certain. La faute inexcusable du droit aérien rejoint ainsi la
faute inexcusable des accidents du travail. Et c’est d’ailleurs aussi en ce sens qu’elle a été
ultérieurement interprétée dans le domaine des accidents de travail.
Le recours à une appréciation in abstracto de la conscience de la probabilité du dommage est
d’une portée considérable. En effet, il conduit à déplacer l’éclairage de la notion de
conscience vers celle de probabilité pour que le dommage survienne, celle de prévisibilité.
Pour savoir si le transporteur devait avoir conscience de la probabilité du dommage, les
magistrats sont conduits à se demander : le transporteur avait-il des raisons de prévoir que
l’évènement dommageable surviendrait s’il adoptait telle ou telle conduite ?
On reconnaît là, très exactement, l’appréciation concrète de la prévisibilité, critère de la
notion de diligence normale, d’une diligence appréciée a priori.
L’analyse de la jurisprudence montre que tel est bien le raisonnement des magistrats français.
La plupart d’entre eux savent se montrer exigeants sur l’appréciation de la prévisibilité. Celle-
102 C. A. Orléans, 24 avril 1969, RGA 1969, page 438, obs. de la PRADELLE ; C. A. Aix, 29 septembre 1970, JCP 1971, II, 16621.
51
ci n’est admise que lorsque la possibilité de survenance du dommage était particulièrement
évidente, ou du moins lorsque le pilote a été dûment averti103.
Il en va de même lorsque le pilote aurait dû se rendre compte de la probabilité du dommage
s’il avait rempli normalement ses obligations, comme celles de se renseigner sur les
conditions climatiques qu’il allait rencontrer sur son parcours, de vérifier sa position ou
d’examiner les repères au sol.
La jurisprudence exige donc des éléments concrets de prévision de l’événement dommageable.
Cependant elle exige aussi l’acceptation téméraire du risque sans une raison valable,
l’appréciation abstraite de la faute inexcusable conduit donc à faire de la notion d’acceptation
téméraire un simple aspect de résistibilité ou d’évitabilité du dommage. La jurisprudence est
très nette en ce sens. La témérité se traduit le plus souvent par l’obstination du transporteur à
agir de telle manière qu’il en découlera un dommage, alors qu’il pouvait ou devait avoir
connaissance du danger.
D’autres fois la témérité résulte du fait que le préposé du transporteur n’a absolument pas
cherché à prendre des mesures pour éviter le dommage prévisible. Ainsi la Cour de
cassation 104 approuve la Cour d’appel de Paris, d’avoir retenu la faute inexcusable du
transporteur qui avait placé des objets précieux dans un coffre-fort dont de nombreuses
personnes connaissaient la combinaison et dont la clef se trouvait placée à l’entrée du local, à
même une boite, sous un petit bureau où quiconque avait accès.
Dans son appréciation in abstracto, la faute inexcusable réintègre alors le rang des fautes
contractuelles en tous genres, qui s’apprécient toutes en principe in abstracto, et se rapproche
alors considérablement de la faute lourde et voire même de la faute légère.
SECTION II : LE RAPPROCHEMENT ENTRE FAUTE LOURDE ET FAUTE
INEXCUSABLE
103 Alain SERIAUX, op. Cit. Page 266 et s. 104 Cass. Civ. 1er, 14 décembre 1977, Bulletin civ. I, n° 294, page 250.
52
Le nouveau concept de la faute inexcusable s’est révélé difficile à situer entre la faute lourde
et la faute intentionnelle, ce qui ferait de la faute inexcusable une faute lourde aggravée
(Paragraphe I).
Ainsi dans le fait d’imposer sa définition au fil des années, la Cour de cassation a fait de la
faute inexcusable une simple variante de la faute lourde (paragraphe II).
Paragraphe I : La faute inexcusable ou l’aggravation de la faute lourde
Si105 la faute intentionnelle suppose l’intention de causer le dommage, alors que les autres cas
de fautes qualifiées l’excluent : le coupable n’a pas voulu causer le dommage, mais a eu
conscience du danger. Cette conscience du danger peut être appréciée soit in concreto, c'est-à-
dire par rapport au comportement effectif de l’agent fautif, soit in abstracto, c'est-à-dire par
rapport à la conscience que l’auteur aurait dû en avoir. Or selon l’appréciation que l’on a, la
faute inexcusable se rapproche de la faute intentionnelle mais aussi de la faute lourde. En
1941, la Cour de cassation adopte une position nuancée.
Pour réagir contre l’évolution de la définition de la faute lourde, la loi relative aux accidents
du travail crée une nouvelle variante de la faute qualifiée. L’article 20 alinéas 4 de la loi du 9
avril 1898 précise que la faute inexcusable de l’employeur ou de la personne qu’il s’est
substitué dans la direction de l’entreprise justifie une majoration des prestations à la victime
d’un accident de travail106.
Dans l’esprit du législateur de l’époque, cette faute inexcusable se situe entre la faute lourde
et la faute intentionnelle : c’est une faute lourde aggravée107. Le législateur ne juge pas utile
de définir la notion, ni d’en préciser les éléments. Aussi la Cour de cassation a-t-elle dû
préciser le sens et la portée de cette notion. Comme l’explique Madame le Professeur
VINEY 108 , la Cour suprême a tout d’abord assimilé la faute inexcusable à la faute
intentionnelle en proposant une définition comportant trois éléments : la caractère volontaire 105 Isabelle CORBIER : « La notion de faute inexcusable et le principe de limitation de responsabilité », Mélanges Bonassies, édition Moreux, 2001, page 103 à 126. 106 Aujourd’hui l’article L 452-1 du code de la sécurité sociale. 107 BRIERE de L’ISLE (G.) : « La faute inexcusable », Dalloz 1970, page 74. 108 VINEY (G.) : « Remarques sur la distinction entre faute intentionnelle, faute inexcusable et faute lourde », Dalloz 1975, Chroniques, page 62.
53
de l’acte, la connaissance du danger qui en résulterait et l’absence d’excuse justificative
tenant à la nécessité. Par la suite, la Cour a élargi la définition pour prendre en compte toute
faute dont l’employeur ou la personne substituée à l’employeur aurait dû prévoir les
conséquences dommageables et a ainsi rapproché la faute inexcusable de la faute lourde. Mais
aucune de ces deux propositions n’a suscité l’adhésion.
Le 15 juillet 1941, les Chambres réunies de la Cour de cassation adoptent finalement la
définition suivante : « La faute inexcusable s’entend d’une faute d’une gravité exceptionnelle,
dérivant d’un acte ou d’une omission volontaire, de la conscience du danger que devait en
avoir son auteur, de l’absence de toute cause justificative et se distinguant par le défaut d’un
élément intentionnel de la faute visée au paragraphe 1 de la loi du 9 Avril 1898109 ». Cette
définition composée de cinq éléments rend compte de l’équilibre trouvé par les magistrats de
la Cour suprême entre les composantes objectives et subjectives de l’analyse : le « caractère
volontaire » de l’acte ou de l’omission dommageable et la « conscience du danger que devait
en avoir son auteur » illustrent les éléments subjectifs ; l’aspect objectif résulte de l’exigence
de la « gravité exceptionnelle » ainsi que de « l’absence des causes justificatives »110 . En
identifiant les éléments constitutifs de la notion, la Cour de cassation situe la faute
inexcusable entre la faute lourde et la faute intentionnelle.
En matière de transport aérien de passagers, comme nous l’avons déjà vu, au cours des
travaux préparatoires les délégations se sont interrogées sur la définition à donner à la « faute
équivalente au dol », qui n’était pas apprécié de la même manière entre les français et les
anglais, c’est pourquoi les tribunaux ont visé la faute lourde, considérée comme équipollente
au dol à l’époque. Dans la perspective d’unifier les divers interprétations qu’ils ont eu un
recours implicite à la notion de faute inexcusable.
Ces définitions proposées en 1955 par la Convention de Varsovie et en 1957 par la loi
française caractérisent la faute visée par l’existence chez son auteur de la conscience du
danger qu’il fait courir à autrui et consacre la conception concrète de la notion de faute
inexcusable. Telle n’a pas été cependant la solution finalement retenue par la Cour de
cassation qui a tendance à faire de la faute inexcusable une simple variante de la faute lourde
appliquée au transport maritime et aérien111.
109 Chambres réunies, 15 juillet 1941, Dalloz 1941, page 117 110 VINEY (G.), article cité (1975). 111 Isabelle CORBIER, op. Cit.
54
Paragraphe II : La faute inexcusable : une variante de la faute lourde
En dépit de la position adoptée par le législateur en matière de transport aérien de passagers,
la cour de cassation a consacré l’appréciation in abstracto de la notion, tant en droit des
transports qu’en matière d’accidents du travail.
Soucieuse de faire obstacle à la limitation légale de responsabilité du transporteur aérien et de
voir les victimes indemnisées intégralement, la Cour de cassation a défini la faute inexcusable
en matière de transport aérien en se fondant sur la conscience qu’une personne normalement
avisée et prudente aurait dû avoir112. Consacrant l’appréciation in abstracto, la cour se borne à
vérifier que les juges du fond ont constaté que l’auteur du dommage aurait dû avoir
conscience du danger.
Aujourd’hui, la Cour de cassation n’exerce qu’un contrôle léger : elle se borne à vérifier que
les juges du fond ont caractérisé suffisamment les éléments concrets permettant de qualifier
les fautes constatées de « faute inexcusable ». Lorsqu’elle établie113, la seule conscience que
le transporteur aurait dû avoir, compte tenu des circonstances, suffit à obliger celui-ci à
réparer l’intégralité du dommage direct et certain qu’il a causé.
De même, dès l’instant où l’événement dommageable pouvait être prévu, le transporteur qui
n’a rien fait pour l’éviter sera jugé avoir accepté témérairement de prendre un risque
dommageable. Comme l’a souligné le Professeur SERIAUX, l’appréciation abstraite de la
faute inexcusable conduit à faire de la notion d’acceptation téméraire un simple aspect de
celle de résistibilité ou d’évitabilité du dommage114. La témérité se traduit par l’obstination du
transporteur à agir de telle manière qu’il en découlera un dommage, ou par l’accomplissement
d’un acte audacieux effectué par le transporteur 115; il peut résulter en outre du fait que le
préposé du transporteur n’a pas cherché à prendre des mesures pour éviter le dommage
prévisible.
Dans ce contexte, la faute inexcusable se rapproche incontestablement de la faute lourde.
112 Cass. Civ. 2e, 5 mars 1964, JCP 1964, II, page 13696. 113 A contrario, Civ. 1er, 16 juin 1998, Bulletin, I, n° 218. 114 Alain SERIAUX : « La faute du transporteur », op. Cit. Page 366 et s. 115 Civ. 1er, 5 novembre 1985, Bulletin, I, n° 286.
55
La gravité de la faute inexcusable est liée aujourd’hui à la gravité de l’acte dont l’auteur
pouvait ou devait se rendre compte du danger qu’il faisait encourir. La définition de la faute
inexcusable consacrée par la jurisprudence dans le domaine du transport aérien marque son
étroite parenté avec celle de la faute lourde. Celle-ci en effet ne se distingue plus de la faute
simple que par la gravité objective de l’inexécution ; les tribunaux retiennent en effet une
conception très large de la notion de faute lourde et peuvent ainsi tenir en échec les clauses
d’irresponsabilité ou limitatives de responsabilité par lesquelles les professionnels cherchent à
limiter la portée de leurs engagements116. Dès lors que le débiteur a agi avec une négligence
caractérisée, la faute lourde fait échec au principe de limitation de responsabilité.
Comme l’explique le Professeur REMOND-GOUILLAUD, « la limitation de responsabilité
permet de faire la part entre le professionnel correct, auquel il est seulement demandé
d’assumer un risque d’entreprise, et celui qui ne fait pas preuve de la diligence minimale
exigible. Le premier bénéficie légitimement de la limitation sur laquelle il a assis ses
prévisions ; le second, ne méritant pas la considération, devra payer tout le dommage, dût-il y
laisser sa chemise117 ». Ces solutions n’ont-elles pas trouvé aussi un début d’application dans
le domaine des transports maritimes.
Telle qu’elle est interprétée par la jurisprudence en droit maritime, la faute inexcusable peut
aussi être considérée comme une simple variante de la faute lourde, notion confuse et mal
définie. Pour interpréter cette notion, la Cour recourt à deux méthodes.
- Tantôt elle se fonde sur le comportement de l’agent en caractérisant la faute lourde
comme étant celle que l’individu le moins avisé ou le moins sot n’aurait pas commise :
c’est la négligence grossière ou grave du débiteur qui dénote l’inaptitude de celui-ci à
accomplir la mission dont il était chargé118.
- Tantôt elle se fonde sur l’objet de l’inexécution ; la faute lourde pouvait se déduire du
caractère essentiel ou fondamental de l’obligation inexécutée. Mais on a vu que cette
thèse a été remise en cause par la Cour de cassation dans l’arrêt Chronopost.
116 Ass. Plén. 30 juin 1998, JCP 1998, II, page 10146, note PH. DELEBECQUE. 117 REMOND-GOUILLOUD (M.) : « Le contrat de transport », Dalloz, 1993, page 58. 118 Ass. Plén. 13 novembre 1990, Bulletin, IV, n° 271.
56
Cependant dans l’étude des arrêts récemment rendus dans le domaine maritime, il ressort que
la Cour de cassation adopte, pour caractériser la faute inexcusable et faire ainsi échec au
principe de la limitation de responsabilité de l’armateur ou du transporteur, les méthodes
retenues pour justifier la faute lourde : tantôt elle sanctionne l’inexécution d’une obligation
fondamentale de l’armateur ou du transporteur ; tantôt elle sanctionne l’inaptitude du
transporteur maritime à accomplir la mission dont il est chargé.
Responsable depuis la prise en charge de la marchandise – depuis son chargement sur le
navire selon la Convention de Bruxelles de 1924, le transporteur maritime est tenu de
procéder aux opérations de chargement et d’arrimage ; il doit les exécuter de façon appropriée
et soigneuse (article 38 du décret du 31 décembre 1966).
Les opérations d’arrimage consistent à mettre la marchandise à la bonne place et à la disposer
dans les différents compartiments du navire ; ils se font sous la responsabilité du Capitaine
« maître de la sécurité à bord ». Parfois les marchandises sont chargées en pontée, c’est-à-dire
qu’elles sont arrimées sur le pont, à un endroit où elles vont se trouver exposées aux
intempéries, au lieu d’être déposées, à l’abri, dans les cales du navire.
Dans un arrêt le 7 janvier 1997 119 , la Cour de cassation qualifie ainsi d’inexcusable
l’insuffisance d’arrimage des remorques chargées sur le pont pour leur permettre d’affronter
un fort coup de roulis, prévus par les services météorologiques. En effet, selon les juges du
fond, approuvés par la Cour de cassation, le transporteur maritime aurait dû avoir conscience
du danger qu’il faisait courir à la marchandise en procédant à un arrimage inadapté aux
conditions météorologiques. En jugeant que le transporteur maritime n’avait pas procédé de
façon appropriée aux opérations d’arrimage, la Cour de cassation sanctionne implicitement
l’inexécution d’une obligation fondamentale du transporteur maritime.
Ainsi en qualifiant de faute lourde l’insuffisance flagrante de l’arrimage effectué par le
transporteur routier, la Cour de cassation adopte la même analyse120, ceci dans un arrêt rendu
par la Chambre commerciale le 19 novembre 1996. Suivant le régime de responsabilité du
transport invoqué ; qualifiée tantôt de faute inexcusable, tantôt de faute lourde, l’insuffisance
d’arrimage constitue une inexécution fondamentale, cause de déchéance du droit à limitation
de responsabilité du transporteur.
119 DMF, 1997, Page 397, Obs. PH. DELEBECQUE. 120 Cass. Com. 19 novembre 1996, Bulletin, IV, n° 280.
57
La faute inexcusable peut sanctionner également l’inaptitude du transporteur à accomplir la
mission dont il était chargé.
Telle est la solution retenue par la Cour de cassation dans rendu le 27 octobre 1998121. En
l’espèce, les juges du fond ont relevé que le transporteur maritime avait demandé au chauffeur
du camion d’emprunter latéralement la rampe de chargement pour pouvoir se rendre au seul
emplacement restant disponible compte tenu du plan de chargement, ils ont noté que cette
manœuvre s’était déroulée sous une pluie fine, de nuit, et qu’il n’y avait pas d’autre éclairage
que celui des phares du navire, lequel constituait plutôt une gêne pour le chauffeur. Ils ont
enfin observé que le personnel du transporteur maritime avait laissé le chauffeur du camion
procéder seul à la manœuvre sans le guider. Les juges du fond ont donc considéré que le
comportement aberrant du transporteur pouvait être qualifiée de faute inexcusable. En
approuvant cette analyse, la Cour de cassation retient une solution identique à celle adoptée en
matière de faute lourde122. Celle-ci est caractérisée par l’ampleur de l’écart constaté entre la
conduite suivie par le défendeur et celle à laquelle il aurait dû se conformer : c’est
« l’énormité qui dénonce l’incapacité, l’inaptitude du coupable, à s’acquitter des obligations
dont il était tenu dans la mission qui lui incombait », comme le relevait JOSSERAND123.
Ainsi, la Cour de cassation sanctionne de manière identique le comportement du transporteur
maritime et celui du transport terrestre, lorsqu’il résulte de l’analyse très circonstanciée des
juges du fond que la conduite de l’un et de l’autre révèle leur « sottise » ou leur « stupidité ».
Consacrant une conception large de la notion, la Cour de cassation qualifie encore de faute
inexcusable l’incapacité du transporteur maritime à donner des informations sur la
marchandise, dans un arrêt du 4 janvier 2000124.La Cour retient ici une solution plus sévère
que celle qu’elle adopte en matière de transport terrestre : dans ce cas elle considère en effet
que l’absence d’éclaircissements sur les causes et circonstances d’une perte ou d’un manquant
n’établit pas l’existence d’une faute lourde.
En recourant aux mêmes méthodes pour qualifier la faute inexcusable dans le domaine du
transport maritime et la faute lourde dans le domaine du transport terrestre, la Cour de
121 DMF, 1998, page 1129, rapport REMERY. 122 Cass. Com. 17 novembre 1992, Bulletin, V, n° 366. 123 Dalloz, 1933, page 49. 124 DMF, 2000, page 466, note PH. DELEBECQUE.
58
cassation adopte implicitement un concept unique, cause de déchéance du droit à la limitation
de responsabilité125.
Ce qui permet une interrogation sur la véritable portée de la faute lourde dans le transport
terrestre de marchandise, car au-delà de la privation des limitations d’indemnités, la faute
lourde à d’autres incidences pour le transporteur.
CHAPITRE II : LA FAUTE LOURDE ECARTANT LA LIMITATION
DE RESPONSABILITE
125 Isabelle CORBIER : « La notion de faute inexcusable et le principe de la limitation de responsabilité », Mélanges Bonassies, édition Moreux, 2001, page 103 à 106.
59
La faute lourde une fois prononcée a pour effet premier d’écarter la limitation de
responsabilité que pourra invoquer le transporteur avec toutes les conséquences qui en
découlent (I).
Mais cette faute lourde prononcée par les tribunaux peut se révéler très dommageable pour le
transporteur notamment en matière d’assurance (II) avec notamment l’exemple de la clause
vol dans les contrats d’assurance transport.
SECTION I : LA RESPONSABILITE TOTALE DU TRANSPORTEUR
Le transporteur lorsqu’il est convaincu d’avoir commis une faute lourde perd la limitation de
responsabilité prévue par la Convention de Genève et par les contrats types sa responsabilité
est pleine et entière (Para I), cependant il peut arriver que les tribunaux se prononcent pour un
partage des responsabilités (Para II).
Paragraphe I : La responsabilité pleine et entière
Il s’agit de voir ce que l’on entend par la notion de responsabilité pleine et entière, dans son
principe (A), et d’autres part de voir l’incidence des réserves du destinataire sur cette
responsabilité (B).
A) Le principe de la responsabilité pleine
Dol et faute lourde du transporteur font échec à toutes les clauses exonératoires ou limitatives
de responsabilité (on trouvera de nombreux exemples de faute lourde dans le Lamy
Transports, Tome 1, n° 611). En conséquence, le transporteur devra réparer intégralement le
dommage dont il lui est demandé réparation126.
126 Andrée CHAO : « Dol, fraude ou infidélité et faute lourde du voiturier, incidences sur la responsabilité, la réparation due et la recevabilité de l’action », BT, 1990, n° 2382, page 315.
60
Par ailleurs, si le débiteur n’est tenu en principe que des dommages et intérêts qui ont été
prévus ou que l’on a pu prévoir lors du contrat, c’est à condition qu’il n’est pas commis de dol
(article 1150 du Code civil). Donc, en cas de dol du transporteur, il lui sera interdit de
prétendre, pour se libérer, que le dommage était imprévisible127. Et comme la faute lourde
est assimilée au dol sous le rapport de la réparation, elle entraîne la même sanction.
Peut on cependant soutenir que tout le pan « indemnité » tombe y compris la valeur de la
marchandise ? Question bien concrète car, selon les cas l’indemnisation de l’ayant droit peut
passer du simple au double.
Citons en ce sens une affaire qui commence par un vol de colis de confection lors d’un
transport de Tunisie à Troyes. Durant la nuit, alors que l’ensemble stationne à l’entrée d’une
agglomération, 85 colis (représentant 65041,46 euros) sont dérobés.
Comme il s’agit d’un transport international, le régime applicable est celui de la CMR. Le
juge conclu à la faute lourde. Il est évident que l’article 23 de la CMR, fixant une limite à 8,33
DTS par kilo sera écarté. Mais faut-il estimer que l’on doit quand même réparer le dommage
commercial et rembourser tous les frais indirects normalement exclus, en pensant que cette
exclusion commerciale ne limite pas la responsabilité du transporteur ?
Selon la jurisprudence dominante, ne pas supporter d’autres débours, c’est une charge de
moins pour le transporteur et, d’une certaine façon, une limitation qui doit s’effacer devant
l’incurie.
Plus délicate est la question de la valeur de la marchandise, en effet la CMR calcule la
réparation selon la valeur de la marchandise « au lieu et à l’époque de la prise en charge » et
en fonction de divers paramètres : cours en bourse si la denrée est cotée, prix courant sur le
marché ou valeur usuelle de produits de même nature et qualité.
En cas de faute lourde, cette base et critères demeurent-ils ? A priori nous pouvons répondre
que non. Il s’agit plus simple cadrage comme l’énoncent les paragraphes 1 et 2 de l’article 23
du CMR.
Alors, dans le cas du vol mentionné, fallait-il prendre en compte la valeur de la vente des
produits (tarif collection) volés ou simplement le coût du façonnier et la matière première ? La
Cour estime qu’il s’agit d’un préjudice commercial à indemniser. On pourrait donc en
conclure qu’en cas d’incurie, c’est l’ensemble de l’article 23 de la CMR qui est remis en
cause, y compris le mode de calcul de l’indemnité128.
127 Cass. Com. 3 octobre 1989, BT 1990, page 66. 128 Bulletin des Transports et de la logistique : « Faute lourde, incidence sur l’indemnité », 2003, informations, n°3004.
61
Pour pouvoir invoquer la faute du transporteur, le débiteur notamment le destinataire de la
marchandise se doit d’émettre des réserves lors de la livraison.
B) L’incidence des réserves du destinataire sur la responsabilité
Chaque acteur de la chaîne transport connaît les « réserves » mêmes si tous n’en font pas bon
usage. Ainsi, le destinataire a parfois du mal à saisir le mécanisme des réserves qui ont une
double fonction : faire la preuve du dommage à la livraison et sauvegarder le recours contre le
transporteur.
Ce dernier est présumé responsable de la prise en charge à la livraison. En l’absence de
protestation du destinataire, il est censé avoir bien accompli l’obligation de livraison qui met
fin au contrat de transport. Si le destinataire n’émet aucune objection et qu’il s’aperçoit
ensuite de l’existence d’une avarie ou d’un manquant, ce sera à lui de prouver que le
dommage est imputable au transport.
Bien entendu, ces réserves doivent être valables, c’est-à-dire précises, significatives et
motivées. Sont ainsi jugées inopérantes les mentions « sous réserves de déballage, de contrôle,
de vérification » ou les observations trop vagues pour qu’on puisse déterminer la nature
exacte du dommage et son imputabilité au transport. Ont été également reconnues
insuffisantes les observations du genre « caisse défoncée », « colis ouvert », « traces de
choc », etc.
En CMR, des réserves immédiates doivent être émises en cas de dommages apparents ou
intervenir dans les 7 jours si le dommage n’est pas apparent, et l’action du destinataire pour
retard est éteinte à défaut de réserves dans les 21 jours.
Quant au droit terrestre français, il impose, en cas d’avarie ou manquant, l’envoie d’une
protestation motivée au transporteur dans les 3 jours suivant la réception : à défaut, l’action
du destinataire est forclose, c’est-à-dire immédiatement éteinte (article 105 du Code de
commerce)129. Cette protestation doit se faire selon les formes légales (lettre recommandée) et
dans le délai prévu qui sont d’ordre public. Son envoi à pour effet de conserver le recours du
destinataire.
129 Bulletin des Transports et de la logistique : « réserves du destinataire », 1999, n° 2795.
62
Donc en droit international la Convention de Genève du 19 mai 1956 dites CMR pose des
règles de constatation des dommages, a défaut il n’y a pas forclusion, mais présomption de
livraison conforme pouvant être combattue par tous les moyens. C’est possible (via une
expertise judiciaire) mais plus difficile à mesure que le temps passe130.
Contrairement au droit interne ou l’absence de réserves aura pour effet de priver le
destinataire du droit d’invoquer la faute du transporteur.
Ainsi que ce soit en droit interne ou international il est important que le destinataire prenne
des réserves dans les délais prévus, pour conserver toute sa capacité d’invoquer la faute du
transporteur et le faire priver des limitations de responsabilité dont il dispose.
Cependant il existe des circonstances dans lesquelles la responsabilité est partagée et donc
aussi la réparation du dommage.
Paragraphe II : Le partage de responsabilité
Lorsque le dommage résulte lui-même d’une faute du créancier, le transporteur est en principe
exonéré. Mais il peut commettre à son tour une faute dans l’exécution de ses propres
obligations. Dans ce cas, le dommage à deux causes, imputables à l’une et à l’autre des parties
au contrat. La responsabilité doit donc en principe être partagée. Ce partage n’est pas la
conséquence d’une pluralité de causes de dommage, mais plutôt d’une pluralité de fautes. Si
l’on parvient à une responsabilité divisée, ce n’est point parce qu’un cas excepté a causé le
dommage en union avec la faute du transporteur mais parce que ce cas excepté est lui-même
révélateur d’une faute du créancier.
La jurisprudence ne fait en principe aucune difficulté à partager la charge de la réparation
lorsque les fautes que chacun a commises dans l’accomplissement de sa mission, l’ont été de
manière totalement indépendante. Les sphères de diligence étant seulement juxtaposées l’une
à l’autre, le cumul des fautes ne rencontre aucun obstacle131.
Dans ce partage de responsabilité (généralement par moitié). Chacun verse sa part pour la
totalité du dommage, le chargeur ne bénéficiant pas de limitations d’indemnité et le
transporteur ne pouvant invoquer les siennes en raison de son incurie. Cette situation, assez
fréquente, se rencontre surtout en matière de chargement, où les deux parties ont leur rôle à
jouer, comme l’illustre l’arrêt ci-dessous.
130 Bulletin des Transports et de la logistique : « CMR, un vice visible peut en cacher un autre », 2002, n° 2924. 131 Alain SERIAUX : « La faute lourde », 2e édition ECONOMICA, 1998, page 161.
63
« Une société dépose, en vue de sa vente, une machine-outil de découpe laser chez un
professionnel spécialiste de ce type d’opération. Son propriétaire confie l’acheminement à un
commissionnaire qui recourt à un transporteur. Celui-ci prend en charge l’appareil dans les
locaux du dépositaire mais, en cours de route, suite à un freinage brutal, il bascule vers
l’avant et subit d’importants dégâts : la livraison est refusée par le destinataire.
Le Tribunal de commerce de Nantes condamne le commissionnaire et le transporteur, en
revanche il met totalement hors de cause le chargeur.
Le transporteur fait appel, car s’agissant d’un envoi de plus de trois tonnes, le transporteur
n’a pas à s’occuper du chargement. Ainsi un mauvais sanglage ne saurait-il engager sa
responsabilité, sauf s’il est prévu ou si les équipements sont défectueux ».
Toutefois, même si le chargement incombe au donneur d’ordre, le transporteur n’est pas délié,
pour autant, de toute obligation : il a le devoir de donner toutes indications concernant la
sécurité routière. Si le chargement s’avère potentiellement dangereux, il doit demander sa
réfection ou refuser la prise en charge. Au plan conservation de la marchandise, il est tenu de
procéder à une vérification extérieure et de porter des réserves, si besoin est. En l’espèce, tel
était le cas : en l’absence de calage, la marchandise risquait de « verser » un premier coup de
frein un rien brutal. En acceptant un chargement qui violait les règles de prudence les plus
élémentaires, le transporteur avait donc commis une faute lourde.
Pour autant, elle n’excluait pas celle du chargeur qui s’était dispensé de tout calage et
arrimage. La responsabilité est donc partagée par moitié.
On retrouve cette solution dans d’autres affaires notamment un arrêt de la Chambre
commerciale rendu 19 novembre 1996132 ainsi qu’un arrêt rendu par la Cour d’appel d’Aix-
en-provence le 17 juin 1993133.
A rapporter aussi ce jugement rendu par le Tribunal de commerce du Mans, le 11 mars 2002.
Le juge avait retenu que pour le contrat type général de plus de trois tonnes, l’obligation de
donner des indications quant à la répartition équilibrée de la charge appartient au transporteur.
Par ailleurs, le voiturier est tenu à un double contrôle du chargement : au plan sécurité, où il
doit demander sa réfection ou refuser la prise en charge, et au plan conservation de la
marchandise via un contrôle extérieur (des réserves étant émises en cas de vice apparent)134.
132 Bulletin des Transports et de la Logistique, 1996, page 834. 133 C. A. Aix-en-Provence, 17 juin 1993, Bulletin des Transports et de la Logistique. 134 Tribunal de commerce Le Mans, 11 mars 2002, Bulletin des Transports et de la logistique, 2002, n° 2945.
64
Dans cette affaire, le Tribunal se fonde essentiellement sur l’obligation « sécuritaire » du
transporteur alors que la sûreté des usagers de la route ne semblait pas directement menacée.
Toutefois, il note aussi l’absence de réserves et considère que cette carence, face à un défaut
de sanglage apparent, constitue une faute lourde. Les limites d’indemnité du contrat-type ne
sont plus applicables, ce qui n’empêche pas le juge d’opérer un partage de responsabilité par
moitié avec l’expéditeur, celui-ci n’ayant donné aucune indication sur la spécificité des
marchandises fragiles. L’article 7-1 du contrat type stipule qu’il appartient au transporteur de
« fournir au donneur d’ordre des indications nécessaires au respect des prescriptions su
Code de la route en matière de sécurité de la circulation » et « de vérifier que le chargement,
le calage ou l’arrimage ne compromettent pas cette sécurité et, dans le cas contraire,
demander qu’ils soient refaits dans des conditions satisfaisantes ou refuser la prise en charge
des marchandises » ; qu’en l’espèce, il apparaît que le voiturier n’a pas vérifié le calage et
l’arrimage des marchandises puisque les palettes sont tombées dès que la porte s’est ouverte ;
que le voiturier n’a émis aucune réserve sur le document de transport lors de l’enlèvement des
marchandises alors que les palettes n’étaient pas sanglées ; qu’il s’agit d’une faute lourde
excluant toute limitation de responsabilité, que le Tribunal retiendra donc la responsabilité de
la société de transport et, par voie de conséquence, celle du commissionnaire de transport,
cependant il convient d’opérer un partage de responsabilité par moitié.
Après les incidences de la faute lourde sur la limitation de responsabilité ne se limite pas
seulement au fait qu’elle fait disparaître cette limitation de responsabilité, en effet il y’a
d’autres conséquences qui viennent sanctionner le transporteur convaincu de faute lourde.
SECTION II : LES AUTRES INCIDENCES DE LA FAUTE LOURDE
65
Ces conséquences les plus importantes venant sanctionner la faute lourde sont d’une part la
déchéance du droit à la prescription et à la forclusion (Paragraphe I), et d’autre part les
conséquences liées à l’assurance des marchandises (Paragraphe II).
Paragraphe I : La déchéance du droit à la prescription et à la forclusion
Cette déchéance du droit à la prescription et à la forclusion est admise en cas de faute dolosive
ou de fraude de la part du transporteur (A), mais elle est cependant refusée juste en cas de
faute lourde (B)
A) La faute dolosive et la fraude du transporteur
Du côté du transporteur, l’écoulement du temps fait naître à son profit deux droits subjectifs :
le droit de ne plus être inquiété par une action en justice. Il s’agit d’une prérogative très
importante, qui s’analyse en un avantage concédé par le législateur en échange de la
responsabilité de plein droit.
En transport routier international, le dol ou la faute considérée comme telle par la loi de la
juridiction saisie a un double effet : priver le transporteur des limites d’indemnités et, faire
passer la prescription d’un à trois ans.
En présence d’une faute, dolosive ou considérée comme telle du transporteur, celui-ci doit
être sanctionné par la perte de son droit à la prescription ou à la forclusion.
Lorsque la faute n’a pas empêché le destinataire d’émettre des réserves ou d’agir dans les
délais. Le droit positif semble s’orienter en ce sens. Les conventions internationales adoptent
cette solution. Pour la forclusion, l’article 57 § 2d de la CIM l’écarte lorsque « l’ayant droit
fournit la preuve que le dommage a pour cause un dol… du chemin de fer » ; pour la
prescription, le délai d’un an à trois ans dans la CMR (article 32 § 1) et d’un à deux ans dans
la CIM.
Cette conception existe-t-elle exclusivement au plan international ? On aurait pu le penser en
observant que le droit interne ne fait référence qu’à la notion de fraude. Celle-ci n’a-t-elle pas
été définie comme une tromperie du transporteur dans le but d’éviter que le destinataire fasse
des réserves ou que l’ayant droit à réparation agisse en justice dans les délais impartis par la
loi ?
66
La jurisprudence française s’est ralliée à une conception large de la fraude, elle est unanime à
mettre sur le même plan la faute intentionnelle accomplie au cours de l’exécution du contrat
de transport et l’abus de confiance de l’ayant droit à la marchandise qui, trompé laisse passer
les délais pour émettre des réserves ou agir en justice. Dans les deux cas, c’est l’intention
malveillante du transporteur qui est prise en considération. Ainsi en matière de transport
terrestre l’intention de nuire n’est pas toujours recherchée avec précision, au profit d’une
simple prise en considération de la mauvaise foi lato sensu, un arrêt de la Cour d’appel de
Paris du 11 juillet 1978135, retient l’infidélité au sens de l’article 108 du code de commerce
chez un déménageur qui, alors qu’il s’était engagé à fournir des cartons ou des couvertures,
avait logé les meubles en vrac dans un container. La « volonté malveillante » n’était pas
certaine ; mais la volonté consciente des obligations suffit, pour les magistrats, à établir la
fraude. Cette négligence consciente n’est pas caractéristique d’une intention de nuire. Pourtant
le tribunal retient cette dernière.
L’inexécution volontaire de ses obligations par le transporteur, qui suppose la conscience du
risque de dommage, peut donc être à elle seule constitutive d’infidélité.
Dans ce cas, le délai d’un an fait place au délai de prescription de droit commun (10 ans en
matière commerciale), ce qui est beaucoup plus sévère que le droit international. Cependant la
jurisprudence n’accepte pas de faire tomber ces droits en cas de faute lourde.
B) Les effets de la faute lourde sur la prescription et la forclusion
Le droit positif connaît un certain nombre de cas dans lesquels le délai de prescription ou de
forclusion est écarté si le transporteur a commis une faute lourde.
Telle est, en premier lieu, la solution retenue lorsque le délai en question est d’origine
purement contractuelle136. La faute lourde écarte les clauses limitatives de responsabilité dans
le temps. De telles clauses sont rares et sont désormais réputées non écrites par l’article 1792-
5 du Code civil.
En droit des transports terrestres interne, les contractants peuvent choisir de recourir à la CMR
comme la loi régissant le contrat de transport, puisque les contrats types sont supplétifs. Dans
ce cas il est possible de penser que le juge pourra prononcer l’extension du délai de
135 Bulletin des Transports 1978, n° 501. 136 Civ. 3e 18 décembre 1967, Bulletin, civ. III, n° 249.
67
prescription d’un à trois ans tel que prévu dans l’article 32 § 1 de la Convention de Genève,
en cas de faute équivalente au dol et qui est la faute lourde en droit français.
Peut on envisager d’étendre cette solution aux délais légaux de prescription ou de forclusion ?
Cela dépendra de la force impérative attribuée aux dispositions légales.
L’article 32 § 1 de la CMR dispose que « Les actions auxquelles peuvent donner lieu les
transports soumis à la présente Convention sont prescrites dans le délai d’un an. Toutefois,
dans le cas de dol ou de faute considérée, d’après la loi de la juridiction saisie, comme
équivalente au dol, la prescription est de trois ans ». La faute équivalente au dol est bien sûr la
faute lourde. Un arrêt de la Cour d’appel de Lyon du 27 juin 1980137 a accepté de passer à la
prescription triennale en présence d’une faute lourde du transporteur.
Il s’agit d’hypothèses exceptionnelles. Cependant tôt où tard la question de l’assimilation de
la faute lourde au dol en matière de prescription et de forclusion se posera un jour avec un peu
plus d’insistance. Puisque cette assimilation à déjà lieu pour faire tomber la limitation de
responsabilité, elle pourrait aussi se faire pour faire tomber le délai de prescription et de
forclusion.
Cependant dans l’état actuel des choses, la faute lourde n’a, en transport interne, aucune
incidence sur le délai de prescription annale et sur le jeu de la forclusion.
Il existe une autre conséquence de la faute lourde sur la responsabilité du transporteur que les
incidences sur la prescription et la forclusion, c’est les conséquences au niveau de l’assurance
et plus spécialement la clause syndicale vol138.
Paragraphe II : La conséquence sur l’assurance (la clause syndicale vol)
Il faut savoir avant de s’étendre sur la clause syndicale que la faute intentionnelle ou dolosive
le second alinéa de l’article L 113-1 du Code des assurances dispose que « l’assureur ne
répond pas des pertes et dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de
l’assuré ». Cela n’exclut pas cependant la garantie de la faute dolosive lorsqu’elle est
commise par un préposé de l’assuré. La clause syndicale stipule d’une part l’installation de
dispositif antivol (A), et d’autre part, des mesures de prévention (B)
A) L’installation de dispositif antivol
137 Bulletin des Transports, 1980, n° 504. 138 Bulletin des Transports, 1990, n° 2382.
68
Une grande partie des décisions de justice sanctionnent le transporteur pour faute lourde,
concernant le vol de marchandises. En réaction les assureurs ont introduit des clauses
spécifiques, dites « clauses syndicales », dans les polices couvrant la responsabilité du
transporteur. La clause syndicale impose au transporteur un certain nombre de prescriptions
constituant des mesures préventives au vol de marchandises.
Si ces mesures ne sont pas suivies par le transporteur, la garantie de l’assureur est réduite
voire supprimée. La clause vol s’inscrit ainsi « dans l’évolution plus générale du rôle des
assureurs qui, après avoir été de simples répartiteurs d’indemnité, exhortent désormais les
assurés à respecter certaines mesures de prévention139 ».
La clause syndicale est stipulée dans le cadre de l’assurance couvrant la responsabilité civile
du transporteur. L’assurance de responsabilité est « une assurance de dommages, à caractère
indemnitaire dont l’objet est la dette de responsabilité de l’assuré envers le tiers victimes140 ».
L’assurance responsabilité civile couvre la responsabilité contractuelle du transporteur pour
les dommages causés aux marchandises transportées qui lui ont été confiées et qu’il a prise en
charge.
La clause syndicale peut être incluse à la fois dans les garanties « tous risques » et dans les
garanties « événements caractérisés » si le vol y est prévu. Elle constitue ainsi le fond
commun des polices de responsabilité dans la couverture du risque de vol.
Elle s’applique non seulement en cas de vol de la marchandise mais aussi lorsque le
chargement est dérobé avec le véhicule. La Cour de cassation, dans une décision du 11
octobre 1988, a jugé que « les juges du second degré ont, sans dénaturer la clause litigieuse,
estimé qu’en cas de vol concomitant du contenant et du contenu, l’assureur était fondé à se
prévaloir de cette clause 141». La limitation d’indemnité s’appliquant à la marchandise et au
véhicule, la clause garantie aussi le vol de camion.
Le régime de la clause syndicale est défini par un certain nombre de mesures que le
transporteur doit respecter et mettre en œuvre, pour bénéficier de la couverture de sa
responsabilité en cas de vol. Ces mesures sont des règles de prévention dont la première, la
139 MATHET (J.-P.) : « Assurance de la responsabilité du transporteur », Juris-Classeur, Responsabilité Civile et assurances, Fascicule 550-20, 2002, page 12. 140 BOURLON (G.) : « Le vol de marchandises en transport terrestre », Mémoire Master 2 Droit Maritime et des Transports, Aix-Marseille III, CDMT, 2003 141 Cass. Com. 11 octobre 1988, Bulletin des Transports 1989, page 97.
69
plus élémentaire consiste à imposer l’équipement le d’un « dispositif antivol » (article 2.1.1
clause 2002). Cette clause précise que ce sont des dispositifs antivol qui doivent être adoptés
par le transporteur. A ce titre, il faut que l’antivol puisse empêcher le déplacement mais aussi
les tentatives d’effraction de véhicule et/ou du matériel de transport, en plus du système
d’origine installé par le constructeur, le transporteur doit prévoir des « antivols fixés au pivots
d’attelage des remorques ou des semi-remorques dételées », des « bâches armées de
maillages empêchant toutes coupures ou déchirures » et des « cadenas dont l’anse, en acier
cémenté, à un diamètre minimum de 9 mm ». La clause 2002 est venue préciser la description
des dispositifs antivol auxquels le transporteur doit avoir recours (système d’origine, antivol
d’attelage, bâches armées, cadenas).
Il existe d’autres mesures stipulées par la clause syndicale déterminées par la durée de
stationnement (B).
B) Les autres mesures de préventions liées au stationnement
Le stationnement est défini comme « toute immobilisation de véhicule routier en un lieu
quelconque avec ou sans la présence du conducteur » la clause syndicale s’applique alors « à
tout stationnement du véhicule, quel qu’en soit le lieu », sans avoir à se référer à la notion
correspondante du Code de la route, qui implique l’absence du chauffeur du véhicule142. La
clause syndicale du 16 décembre 2002 suit le même principe que les précédentes versions : les
règles à suivre sont graduées en fonction du temps de stationnement. La durée est divisée en
deux tranches de plus ou moins 2 heures143. Il faut souligner que des dispositions spécifiques
à l’Italie ont disparu : l’intégralité de la clause s’applique quel que soit le lieu de survenance
du vol. Il faut aussi noter la variabilité des précautions à appliquer, en fonction de la
spécificité du transport. La clause distingue ainsi plusieurs types de transport (marchandises
sensibles, en conteneurs, transports de véhicules, remorques dételées, transport sous bâche,
sous-traitance ou affrètement) qui font l’objet de règles de prévention particulières pour
chacun d’entre eux. Ces mesures particulières doivent, dans tous les cas, être cumulées avec
les règles générales classiques. Elles sont susceptibles d’être complétées par des dispositifs
complémentaires de protection, avec un gardiennage et la nécessité de stationner dans un
endroit clos, y compris lorsque la durée ne dépasse pas 2 heures.
142 Cass. Civ. 1er « Satif contre Société Sica Cornouaille », Bulletin des Transports 1989, page 620. 143 Article 3. 1 et 3.
70
La clause conditionne la garantie de la responsabilité du transporteur au respect des
dispositions vues précédemment. Le niveau d’indemnisation dépend de la combinaison entre
la durée du stationnement et l’application des mesures requises par la clause. Par exemple le
transporteur peut être déchu de la garantie de sa responsabilité dans deux situations :
Si le véhicule n’est pas équipé d’un antivol, s’il n’a pas donné à ses préposés, avant la
survenance du sinistre, des instructions écrites relatives à la prévention des risques de vol des
véhicules et des marchandises transportées. Ces consignes doivent reprendre les mesures
prescrites par la clause. Toutefois, le principe est nuancé par la jurisprudence, qui ne tient pas
rigueur au transporteur de ne pas avoir donné d’instructions à son chauffeur si celui-ci
applique spontanément les précautions contre le vol.
En dehors de ces cas ou la garantie de la responsabilité du transporteur est exclue, il existe des
circonstances réduisant cette garantie.
Dans le cadre d’un stationnement de moins de deux heures, le transporteur utilisateur de
bâches peut prétendre à une indemnisation de 80%. Mais pour obtenir une garantie de 85%,
des dispositifs complémentaires de protection contre le vol sont nécessaires. Le taux
d’indemnisation peut même tomber jusqu’à 60% pour certaines marchandises sensibles en cas
de stationnement d’une durée de plus de deux heures dans un endroit non clos, en présence du
chauffeur. La clause syndicale de 2002 impose au transporteur d’avantages de vigilance.
Ainsi les précautions à respecter et le mode de règlement des sinistres ne dépendent plus
seulement de la durée de stationnement mais aussi des spécificités du transport à couvrir.
Nous remarquons aussi que la garantie intégrale du vol a disparu au profit d’un taux maximal
de 95%. Or pour prétendre à une indemnisation de ce niveau, les mesures à suivre sont
draconiennes. Si l’on reprend le transport sous bâche, le véhicule doit être équipé d’un antivol
et pourvu de bâches armées. Il doit stationner dans un endroit clos, être gardienné et muni
d’un dispositif complémentaire de protection contre le vol144.
Donc il apparaît à la lumière de ces développements, que l’assureur fait peser sur le
transporteur un certains nombres de mesures à respecter pour pouvoir bénéficier de
l’assurance responsabilité en cas de vol et en limitant le dédommagement à 95% maximum,
l’assureur fait supporter au transporteur une partie du préjudice liés au vol de marchandises.
144 BOURLON (G.) : « Le Vol de marchandises en transports terrestre », mémoire Master 2 Droit Maritime et des Transports, Université Aix-Marseille III, CDMT, 2003
71
Nous avons affirmé dans les premières lignes de notre mémoire, qu’en dépit de quelques
variantes, la responsabilité du transporteur appartient au système des responsabilités de plein
droit. On pouvait s’attendre à la disparition du rôle de la faute dans ce système de
responsabilité.
Cependant il n’en est rien. La faute joue encore à l’heure actuelle un rôle substantiel au sein
de la responsabilité née de la mauvaise exécution du contrat de transport.
La recherche de cette faute du transporteur, n’entraîne pas un changement de nature de cette
responsabilité, mais permettra de classifier la nature de la faute afin de mettre en vigueur la
responsabilité du transporteur.
Dans le droit du transport terrestre, la faute lourde permet d’engager la responsabilité pleine
et entière du transport, cependant il a fallu appréhender cette notion de faute lourde dans son
ensemble et d’une part s’arrêter sur la définition donnée à cette notion par la jurisprudence de
la Cour de cassation. Jurisprudence qui a connu quelques soubresauts avec l’affaire
Chronopost qui a nourri un important débat doctrinal. Et d’une part confronter cette notion de
faute lourde à d’autres notions que sont : la faute légère, la notion de dol, ou même la notion
de faute inexcusable qui est nécessaire nous le rappelons pour faire tomber la limitation de
responsabilité du transporteur maritime, aérien et depuis peu, le transport ferroviaire
international.
A la lumière de ces confrontations il apparaît clair que l’analyse de l’élément intellectuel de la
notion de faute lourde conduit à remettre partiellement en cause une gradation par trop
approximative dans l’appréciation de cette notion.
Tel est en particulier le cas lorsqu’il s’agit d’établir une distinction entre faute lourde, faute
inexcusable et faute dolosive (lato sensu). On a pu ainsi constater, d’une part qu’il n’existe
73
aucune différence de nature entre ces trois catégories de fautes lorsqu’elles sont appréciées in
concreto, d’autre part que les notions de faute lourde et faute inexcusable tendent à se
confondre lorsqu’elles sont appréciées in abstracto.
La jurisprudence a fait de la faute lourde un instrument privilégié, justement parce que très
souple, pour assurer aux créanciers du transporteur, en cas de faute grave, à la fois une
réparation intégrale et un droit d’action aussi permanent dans le temps que possible.
Ce souci de sanction, justifié par le désir de protéger les cocontractants du transporteur et de
réaliser ainsi une meilleure justice contractuelle a conduit la jurisprudence a faire une
appréciation in abstracto de la faute lourde, et permet ainsi d’écarter plus souvent la limitation
légale de réparation dont bénéficient certains transporteurs.
Les victimes réclament une indemnisation intégrale ; elles prétendent en outre que l’atteinte
portée à leurs intérêts ne peut souffrir la prescription ou la forclusion. Pour écarter ces
obstacles, la loi n’a prévu qu’un seul chemin : la faute extrêmement grave du transporteur. Et
jusqu’à présent la jurisprudence n’a jamais accepté que cette faute lourde puisse faire tomber
la prescription ou la forclusion en dehors du cas de transport international de marchandises.
Aujourd’hui, la notion de faute lourde se dégage plus du comportement des transporteurs que
de la violation d’une obligation essentielle du contrat.
Ces fluctuations de la notion de faute lourde ne cessent d’être instructive.
Lorsqu’elle est retenue par la jurisprudence à des conséquences non seulement sur la
responsabilité du transporteur, avec la limitation de responsabilité qui tombe, mais aussi sur
l’assurance responsabilité du transporteur.
En effet avec la clause syndical vol, les assureurs entendent se prémunir contre les
transporteurs qui ne seraient pas près de prendre toutes les précautions pour éviter les vols de
marchandises.
La faute lourde peut donc avoir des conséquences néfastes pour le transporteur indélicat, qui
peut se retrouver à payer une bonne partie de la réparation subit par l’ayant droit de la
marchandise.
La faute lourde se révèle donc être un instrument efficace dans les mains des juges pour
sanctionner, mais aussi réparer la faute du transporteur et du fait qu’elle n’a pas de définition
légale, elle est souvent fluctuante.
74
ANNEXE I : Clause syndicale vol 2002
Clause additionnelle - Conditions de garantie des risques de vol - Transports publics de
marchandises par route
75
Préambule
La présente clause de garantie fait partie intégrante du contrat d'assurances et demeure régie
par les conditions générales et particulières de celui-ci.
Il appartient à l'assuré d'apporter la preuve qu'il a satisfait au respect des règles de prévention
énoncées ci-après.
Article 1 - Définitions
1.1. Par véhicule routier, on entend tout véhicule ou attelage automobile, remorque ou semi-
remorque même dételée.
1.2. Par matériel de transport, on entend tout conteneur ou caisse mobile chargé ou non sur
un moyen de transport approprié.
1.3. Par marchandises sensibles, on entend toute marchandise attractive nécessitant la mise
en oeuvre de mesures de prévention.
1.4. Par stationnement, on entend toute immobilisation du véhicule routier et/ou du matériel
de transport en un lieu quelconque avec ou sans la présence du conducteur.
1.5. Par gardiennage, on entend une surveillance active et permanente du véhicule routier
et/ou du matériel de transport permettant de déceler toute tentative de vol et d'y faire face
sans délai.
1.6. Par dispositifs antivols, on entend tout système de protection contre le vol empêchant le
déplacement ou l'effraction du véhicule routier et/ou du matériel de transport :
dispositifs antivols installés d'origine par le constructeur ou figurant aux Conditions
particulières du contrat d'assurance ;
antivols fixés aux pivots d'attelage des remorques ou des semi-remorques dételées ;
bâches armées de maillages empêchant toutes coupures ou déchirures ;
76
cadenas dont l'anse, en acier cémenté, a un diamètre minimum de 9 mm.
1.7. Par dispositif de protection complémentaire contre le vol, on entend tout système qui
renforce la protection du véhicule routier et/ou du matériel de transport, du chargement et qui
figure aux Conditions particulières du contrat d'assurance.
1.8. Par endroit clos, on entend une enceinte clôturée de grillages ou de murs d'une hauteur
minimum de 1,80 m et dont les portes ou portails d'accès sont verrouillés et fermés à clé ou
condamnés au moyen d'un cadenas tel que défini à l'article 1.6.
Article 2 - Règles de prévention
Quand un vol de marchandises est commis alors que le véhicule routier et/ou le matériel de
transport sont laissés en stationnement, la garantie des risques de vol est acquise, selon les
règles et les modalités fixées à l'article 3, lorsque l'ensemble des conditions suivantes a été
respecté :
2.1. Règles générales de prévention
2.1.1. Le véhicule routier et/ou le matériel de transport sont équipés des dispositifs antivols
tels que définis à l'article 1.6 ;
2.1.2. Les dispositifs antivols sont mis en oeuvre, les portes et portières du véhicule routier
sont fermées à clé, les glaces entièrement levées, tous autres accès étant verrouillés et fermés
à clé ou cadenassés, aucune clé ne devant rester à bord en l'absence du conducteur ; la seule
mise en place de plombs ou de scellés ne répond pas à ces exigences ;
2.1.3. Outre le respect des règles générales de prévention énoncées ci-dessus, la garantie n'est
acquise, lorsque le stationnement, en l'absence du conducteur, est supérieure à deux heures,
qu'à la condition que le véhicule routier et/ou le matériel de transport aient été remisés dans
un endroit clos.
2.2. Règles spécifiques de prévention
Outre le respect des règles générales de prévention énoncées à l'article 2.1, la garantie n'est
acquise,
77
2.2.1. pour le transport de marchandises sensibles, qu'à la condition que le dispositif de
protection complémentaire contre le vol tel que défini à l'article 1.7 ait été mis en oeuvre,
2.2.2. pour les marchandises transportées en conteneurs ou caisses mobiles, qu'à la condition
que ces derniers étaient fermés à clé ou cadenassés,
2.2.3. pour le transport de véhicules roulants, qu'à la condition que le conducteur ait été en
possession des clés de tous les véhicules au moment du vol et qu'un système antivol
d'immobilisation ait été mis en oeuvre sur le premier véhicule accessible au déchargement,
2.2.4. pour les remorques ou semi-remorques dételées, qu'à la condition que des antivols
aient été fixés à leurs pivots d'attelage,
2.2.5. pour les véhicules routiers et/ou le matériel de transport bâchés, qu'à la condition que
les bâches soient armées de maillages empêchant toutes coupures ou déchirures, mises en
place et soigneusement fixées,
2.2.6. en cas de recours à la sous-traitance ou à l'affrètement, qu'à la condition que l'assuré ait
vérifié le respect par son cocontractant des deux dispositions suivantes :
a) le transporteur sous-traitant ou affrété est autorisé à exercer l'activité de transporteur public
de marchandises par route ou celle de loueur de véhicules industriels conformément à la
réglementation en vigueur ;
b) le transporteur sous-traitant ou affrété a souscrit un contrat d'assurance en cours de validité
au moment du transport auprès d'un assureur notoirement connu et solvable couvrant sa
responsabilité vis-à-vis de la marchandise.
Article 3 - Règles relatives au stationnement - Modalités de règlement des sinistres
3.1. Stationnement de courte durée
Lorsque la durée du stationnement est inférieure à 2 heures, la garantie est acquise aux
conditions suivantes :
78
3.1.1. Lorsque l'assuré apporte la preuve que les règles générales et spécifiques de prévention
fixées à l'article 2 ont été respectées, la garantie est acquise à 80 % du montant de l'indemnité
déterminée par l'application des Conditions générales et particulières du contrat d'assurance.
3.1.2. Lorsque l'assuré apporte la preuve que, outre le respect des règles générales et
spécifiques de prévention fixées à l'article 2, un dispositif de protection complémentaire
contre le vol avait été mis en place, la garantie est acquise à 85 % du montant de l'indemnité
déterminée par l'application des Conditions générales et particulières du contrat d'assurance.
3.1.3. Lorsque l'assuré apporte la preuve que, outre le respect des règles générales et
spécifiques de prévention fixées à l'article 2, le véhicule routier et/ou le matériel de transport
stationnaient dans un endroit clos, la garantie est acquise à 95 % du montant de l'indemnité
déterminée par l'application des Conditions générales et particulières du contrat d'assurance.
3.2. Stationnement de longue durée
Lorsque la durée du stationnement est supérieure à 2 heures, la garantie est acquise aux
conditions suivantes :
3.2.1. Lorsque l'assuré apporte la preuve que les règles générales et spécifiques de prévention
fixées à l'article 2 ont été respectées et que, en cas de stationnement dans un endroit non clos,
le conducteur était présent à bord, la garantie est acquise à 60 % du montant de l'indemnité
déterminée par l'application des Conditions générales et particulières du contrat d'assurance.
3.2.2. Lorsque l'assuré apporte la preuve que, outre le respect des règles générales et
spécifiques de prévention fixées à l'article 2, le véhicule routier et/ou le matériel de transport
stationnaient dans un endroit clos, la garantie est acquise à 80 % du montant de l'indemnité
déterminée par l'application des Conditions générales et particulières du contrat d'assurance.
3.2.3. Lorsque l'assuré apporte la preuve que, outre le respect des conditions fixées à
l'article 3.2.2., le véhicule routier et/ou le matériel de transport faisaient l'objet d'un
gardiennage, la garantie est acquise à 90 % du montant de l'indemnité déterminée par
l'application des Conditions générales et particulières du contrat d'assurance.
3.2.4. Lorsque l'assuré apporte la preuve que, outre le respect des conditions fixées à
l'article 3.2.3., un dispositif de protection complémentaire contre le vol avait été mis en place,
79
la garantie est acquise à 95 % du montant de l'indemnité déterminée par l'application des
Conditions générales et particulières du contrat d'assurance.
Article 4
Le montant des dommages restant à la charge de l'assuré selon les modalités fixées à
l'article 3 est, dans tous les cas, opposable par l'assureur aux tiers lésés.
Clause du 16 décembre 2002
N.B. : Le modèle de clause est établi et diffusé à titre seulement indicatif ; les sociétés
peuvent convenir de conditions différentes.
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REMOND-GOUILLOUD (M.) : « Le contrat de transport », Dalloz, 1993, page 58. RODIERE (R.), note sous chambres réunies, 11 mars 1960, Dalloz 1960, page 277. SERIAUX (A.), Dalloz 1997, jurisprudence, page 121. VINEY (G.) : « Remarques sur la distinction entre faute intentionnelle, faute inexcusable et faute lourde, Dalloz 1975, Chroniques, pages 62. RECUEIL ET BULLETIN Bulletin de la logistique et des transports Droit Maritime Français La semaine juridique Lamy Transport Recueil Dalloz SITE INTERNET www.courdecassation.fr
83
www.lexinter.net www.aufildudroit.com www.isabellecorbier.com www.wilkpedia.org www.aesplus.com www.yveslevy-cabinet.avocat.fr
INDEX ALPHABÉTIQUE (Les chiffres renvoient aux pages) A
84
ASSURANCES
- Clause syndicale vol : 66 - Dispositif antivol : 67 - Stationnement : 69
C CAS EXCEPTE
- Définition : 5 CLAUSES LIMITATIVES DE RESPONSABILITE
- définition : 2 ; 20 ; 22 ; 27 D DECLARATION DE VALEUR
- Définition : 6 - Effet : 7
DECLARATION D’INTERET SPECIAL
- Définition : 26 - Effet : 27
DOL
- V. Faute dolosive F
85
FAUTE
- Légère : 34 ; 35 ; 38 FAUTE LOURDE
- Breach of contract : 15 - Critère objectif : 27 - Appréciation in concreto : 31 - Appréciation in abstracto : 33 - Forclusion : 66 - Prescription : 66
FAUTE INEXCUSABLE
- Aérienne : 43 - Maritime : 45 - Notion : 47 - Appréciation in abstracto : 49
FAUTE DOLOSIVE
- Dol : 20 ; 28 - Prescription : 64 - Forclusion : 64
FORCE MAJEURE
- Définition : 6 - Effet : 38
L LIMITATION DE RESPONSABILITE
- V. Clause limitative de responsabilité
86
O OBLIGATION - Essentielle : 15 ; 19 ; 25 R RESERVES
- Destinataire : 61 RESPONSABILITE
- De plein droit : 4 ; 6 - Partagée : 62 - Totale : 60
V VOL
- Marchandises : 9 - Négligence fautive : 9 - Stationnement : 11 - Faute grossière de manutention : 12 - Faute de conduite : 12
TABLES DES MATIERES
Sommaire ........................................................................................Erreur ! Signet non défini. INTRODUCTION...........................................................................Erreur ! Signet non défini. PARTIE I : LA NOTION DE FAUTE LOURDE ..........................Erreur ! Signet non défini.
87
CHAPITRE I : LA DEFINITION DE FAUTE LOURDE .......Erreur ! Signet non défini. Section I : L’élément subjectif : la négligence fautive............Erreur ! Signet non défini.
Paragraphe I : Le Vol de marchandise ................................Erreur ! Signet non défini. Paragraphe II : La faute grossière de conduite ou de manutentionErreur ! Signet non défini.
Section II : L’élément objectif : la violation d’une obligation essentielle.Erreur ! Signet non défini.
Paragraphe I : L’état antérieur de la jurisprudence .............Erreur ! Signet non défini. Paragraphe II : La remise en cause de la jurisprudence par l’arrêt Chronopost.Erreur ! Signet non défini.
A) L’arrêt Chronopost du 22 octobre 1996.....................Erreur ! Signet non défini. B)L’arrêt Chronopost du 9 juillet 2002 ou le retour de la notion de faute.....Erreur ! Signet non défini.
CHAPITRE II : LES LIENS ENTRE FAUTE LOURDE ET DOLErreur ! Signet non défini.
SECTION I : La faute lourde un moyen d’étendre la notion de dolErreur ! Signet non défini.
Paragraphe I : L’assimilation de la faute lourde au dol.......Erreur ! Signet non défini. Paragraphe II : La faute lourde comme preuve du dol ........Erreur ! Signet non défini.
SECTION II : L’existence de la faute lourde en dehors du dolErreur ! Signet non défini. Paragraphe I : Faute lourde, faute légère : différence de gradeErreur ! Signet non défini. Paragraphe II : Le peu de différence entre faute lourde et faute légèreErreur ! Signet non défini.
PARTIE II : LES CONSEQUENCES DE LA FAUTE LOURDE DANS LE DROIT DES TRANSPORTS ...............................................................................Erreur ! Signet non défini.
CHAPITRE I : LA FAUTE LOURDE SANS INCIDENCE SUR LA LIMITATION DE RESPONSABILITE....................................................................Erreur ! Signet non défini.
SECTION I : De la faute lourde à la faute inexcusable ..........Erreur ! Signet non défini. Paragraphe I : L’évolution juridique en matière maritime et aérienneErreur ! Signet non défini.
A) En matière aérienne....................................................Erreur ! Signet non défini. B) En matière maritime ...................................................Erreur ! Signet non défini.
Paragraphe II : La Notion de faute inexcusable ..................Erreur ! Signet non défini. A) L’appréciation in concreto de la faute inexcusable....Erreur ! Signet non défini. B) L’appréciation in abstracto retenu par la jurisprudenceErreur ! Signet non défini.
Section II : Le rapprochement entre faute lourde et faute inexcusableErreur ! Signet non défini.
Paragraphe I : La faute inexcusable ou l’aggravation de la faute lourdeErreur ! Signet non défini. Paragraphe II : La faute inexcusable : une variante de la faute lourdeErreur ! Signet non défini.
CHAPITRE II : LA FAUTE LOURDE ECARTANT LA LIMITATION DE RESPONSABILITE....................................................................Erreur ! Signet non défini.
SECTION I : La responsabilité totale du transporteur ............Erreur ! Signet non défini. Paragraphe I : La responsabilité pleine et entière ...............Erreur ! Signet non défini.
A) Le principe de la responsabilité pleine.......................Erreur ! Signet non défini. B) L’incidence des réserves du destinataire sur la responsabilitéErreur ! Signet non défini.
88
Paragraphe II : Le partage de responsabilité .......................Erreur ! Signet non défini. Section II : Les autres incidences de la faute lourde ...............Erreur ! Signet non défini.
Paragraphe I : La déchéance du droit à la prescription et à la forclusion...........Erreur ! Signet non défini.
A) La faute dolosive et la fraude du transporteur............Erreur ! Signet non défini. B) Les effets de la faute lourde sur la prescription et la forclusionErreur ! Signet non défini.
Paragraphe II : La conséquence sur l’assurance (la clause syndicale vol).........Erreur ! Signet non défini.
A) L’installation de dispositif antivol .............................Erreur ! Signet non défini. B) Les autres mesures de préventions liées au stationnementErreur ! Signet non défini.
CONCLUSION ...............................................................................Erreur ! Signet non défini. ANNEXE I : Clause syndicale vol 2002.........................................Erreur ! Signet non défini. BIBLIOGRAPHIE ..........................................................................Erreur ! Signet non défini. INDEX ALPHABÉTIQUE.............................................................Erreur ! Signet non défini.
89