Faire face aux situations d’urgence médicale de l’adulte polyhandicapé : un casse-tête...
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Motricité cérébrale 32Polyhandicap
Faire face aux situations d’urgence médicale de l’adultepolyhandicapé : un casse-tête permanent pour les équipes soignantes
dans les établissements médicosociaux
Facing emergency situations of adult multi-handicapped: A constant
headache for the caregivers in medical-social institutions
F.-A. Svendsen a,*, M.-P. Jaouen b
a Comité d’études, d’éducation et de soins auprès des personnes polyhandicapées (CESAP), 62, rue de la Glacière, 75013 Paris, Franceb IFSI, 28100 Dreux, France
Disponible sur Internet le 15 aout 2011
Résumé
L’urgence médicale, face à une personne polyhandicapée, est une situation critique qui fait craindre une évolution défavorablevers un état de détresse. Dans le secteur médicosocial, c’est une situation fréquente et source d’angoisse pour les accompagnants deproximité. Elle mobilise beaucoup d’énergie et lorsqu’elle se répète au sein d’une équipe peu étoffée, elle peut être la source d’unsyndrome d’épuisement collectif qui peut rapidement être sévère et durable. Pour éviter cette évolution désastreuse, il faut gérerl’urgence médicale de l’adulte polyhandicapé, la prévenir, et non pas la subir comme une fatalité.# 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Abstract
Emergency, for a multi-handicapped person, is a critical situation in which the risk of adverse consequences could lead to a stateof distress. In the medical-social sector, this is a recurring situation and a source of anxiety for caregivers. Managing urgentsituations is even more difficult with the adult multi-handicapped than with the children. These episodes are energy draining and,when they occur again and again, especially in a smaller team, they can provoke burn out, a state that can quickly become infective,severe and long lasting. In order to avoid this disastrous development, an emergency in an adult multi-handicapped patient must beanticipated and managed, not just endured as a fatality.# 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Mots clés : Polyhandicap ; Adulte ; Urgence médicale
Keywords: Multiple handicap; Adult; Emergency
* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected]
(F.A. Svendsen).
0245-5919/$ – see front matter # 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits résdoi:10.1016/j.motcer.2011.06.004
Le « démarrage impossible » montre son aspecttragiquement concret avec la passivité des organi-sations trop centralisées face à une interventionurgenteB. Latané et J.-M. Darley (Le témoin impassible :pourquoi n’intervient-il pas ?)
ervés.
F.-A. Svendsen, M.-P. Jaouen / Motricité cérébrale 32 (2011) 87–9788
Il est désormais reconnu que l’extrême fragilité del’équilibre somatique est constitutive de l’état depolyhandicap. Toute sa vie, le sujet polyhandicapé estexposé à un grand nombre de complications qui peuventrapidement évoluer vers un état de détresse vitale [1]. Lesétablissements médicosociaux sont fréquemmentconfrontés à de telles situations mais peu d’études ontété effectuées sur ce problème institutionnel envahissant.
1. Ampleur de la gestion des urgences au seind’une maison d’accueil spécialisée
Pour évaluer l’ampleur de ce problème chez l’adultepolyhandicapé, nous avons analysé l’ensemble desévénements critiques survenus au sein d’une maisond’accueil spécialisée (MAS) durant six années. Cela a étépossible grâce à la main courante mise en place dans leposte médical où tous les événements survenus, de jourcomme de nuit, sont consciencieusement rapportésdepuis plus de 20 ans. Mais nous n’avons analysé queles événements consignés entre 2000 et 2006 dans lamesure où ces années ont fait l’objet d’une transcriptioninformatique intégrale.
1.1. Présentation de la population étudiée
Dans cette MAS, la cohorte étudiée a été de79 sujets, composée de 27 femmes (soit 34 %) et de52 hommes (soit 66 %), âgés de 21 à 53 ans (âgemoyen = 47 ans). La grande fragilité de cette popula-tion d’étude est confirmée par la survenue d’un décèspar an dans l’institution (donc une mortalité de 1,5 %par an) (Tableau 1).
Pour bien appréhender la population étudiée, unerapide description typologique s’impose : la cohorte estuniquement composée d’adultes polyhandicapés(déficience mentale profonde sans langage oral) dontl’autonomie motrice est souvent basse :
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onfiné strictement au décubitus : 8 cas (soit 10,1 %) ;
� u ne station assise passive (en corset-siège) : 20 cas(soit 25,3 %) ;
� u ne station assise active (en fauteuil roulant) : six cas(soit 7,5 %) ;
bleau 1volution de la cohorte et de sa mortalité au cours de l’étude.
2001 2002 2003
ombre de résidents 71 78 67écès 3 0 2
� u
ne marche précautionneuse avec aide : sept cas donttrois cécité complète (soit 8,8 %) ; � u ne marche précautionneuse sans aide : 12 cas (soit15,1 %) ;
� u ne marche libérée acquise : 26 cas (soit 32,9 %) ;Les problèmes somatiques rencontrés sont lourds :
� d
es troubles de la déglutition avérés : 12 cas (soit15,1 %) ; � u ne alimentation assistée par sonde : 13 cas (soit16,4 %) ;
� u n reflux gastro-œsophagien gravissime : 21 cas (soit26,5 %) ;
� u ne pneumopathie gravissime : 6 cas (soit 7,5 %).L’épilepsie est omniprésente (70 % des cas) :
� u
ne épilepsie réfractaire : 31 cas (soit 39,2 %) ; � u ne épilepsie équilibrée : 24 cas (soit 30,3 %) ; � u ne absence d’épilepsie : 24 cas (soit 30,3 %) ;Les problèmes orthopédiques sont lourds :
� d
es problèmes majeurs de hanches : 15 cas (soit18,9 %) ; � d es problème de rachis : 25 scolioses (soit 31,6 %) ; � u n appareillage : 32 cas dont 28 sièges moulés (soit40,5 %) ;
� l a vision est souvent altérée sous la forme detroubles sévères de la vision : 26 cas (soit 32,9 %)dont huit cécités totales documentées (10,1 %) ;
Les troubles majeurs du comportement sontomniprésents (77,2 % des cas) avec :
� d
es stéréotypies permanentes chez 32 d’entre eux(soit 40,5 %) ; � u ne agressivité contre soi-même chez 13 d’entre eux(soit 16,4 %) ;
� u ne agressivité contre l’entourage chez neuf d’entreeux (soit 11,3 %).
2004 2005 2006 Moyenne annuelle
67 68 67 691 0 0 1
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Tableau 2Évolution du recours au service hospitalier des urgences au cours de l’étude.
2001 2002 2003 2004 2005 2006 Moyenne annuelle
Nombre de résidants 71 78 67 67 68 67 69Transfert aux urgences 21 19 21 15 12 26 19
Tableau 3Évolution des motifs de transfert au service hospitalier des urgences au cours de l’étude.
Motifs du transfert 2001 2002 2003 2004 2005 2006 Moyenneannuelle
Problèmestraumatiques
11 dont7 plaies
7 dont 5 plaies 7 dont 4 plaies 5 dont4 plaies
6 dont4 plaies
15 dont 10 plaies 8,5 dont5,6 plaies
Problèmesrespiratoires
1 dont1 détresse
1 dont1 pneumonie
3 dont1 pleurésie
2 dont2 détresses
1 dont1 pneumonie
2 dont2 détresses
1,6
Problèmesdigestifs
2 dont1 hématémèse
1 dont1 hématémèse
1 dont1 hématémèse
3 1 2 dont1 hématémèse
1,6
1.2. Urgences médicales ayant nécessité l’aide duservice d’urgence hospitalier
Au cours de la période d’étude, certaines situations,devenues très problématique avec un risque importantd’évolution péjorative, ont nécessité le transfert del’adulte polyhandicapé vers le service (Tableau 2).
Le transfert dans le service des urgences de l’hôpitalgénéral est surtout motivé par trois causes principales(Tableau 3).
1.3. Urgences médicales ayant pu être traitées parla structure sans aide du service hospitalier
Si certaines situations d’urgence ont nécessité letransfert dans le service des urgences de l’hôpitalgénéral, la grande majorité des épisodes ont été régléspar les professionnels de la structure, sans aideextérieure. Pour évaluer l’ampleur de cette gestioninterne des urgences, nous avons analysé le nombred’intervention urgente traité par les infirmières. Nousappelons « intervention urgente », tout appel nécessitantque l’infirmière abandonne immédiatement ce qu’elleest en train de faire pour se rendre sans délais sur le lieude l’incident (Tableau 4).
Tableau 4Évolution du nombre d’appels urgent traités au sein de l’institution.
2001 2002 2003
Nombre de résidents 71 78 67Nombre d’appels urgents 193 195 293
Les appels urgents dans l’établissement ont étésurtout motivés par six causes principales. Pour biensaisir la prégnance des situations d’urgence médicale,nous avons relevé le nombre d’appels urgents traités parl’infirmière par rapport aux situations urgentes traitéespar les professionnels de proximité, sans interventionimmédiate de l’infirmière. Pour cela, nous avonsdistingué les appels urgents rapportés aux situationsurgentes enregistrées. La différence entre les deuxchiffres traduit les situations qui ont été géréesdirectement par les professionnels de proximité, enattendant l’arrivée différée de l’infirmière (Tableau 5).
2. Commentaires sur les résultats de cette étudeanalysant la gestion des urgences dans cettemaison d’accueil spécialisée
Tout d’abord, on voit que cette MAS est le refletassez fidèle des différentes structures qui accueillent desadultes polyhandicapés :
� la
taille de la structure est légèrement plus importanteque la moyenne des autres MAS (69 adultes présentsen moyenne) alors que la taille moyenne est de l’ordrede 50 individus ;2004 2005 2006 Moyenne annuelle
67 68 67 69325 206 272 247
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� l ’âge des adultes polyhandicapés correspond à ce quel’on observe depuis l’allongement de l’espérance devie des personnes polyhandicapées, avec unemoyenne de 47 ans. Et tout laisse à penser que dansles années à venir on va observer un vieillissement decette population ; � u ne plus forte proportion d’hommes (66 % de lacohorte) est un reflet assez fidèle de ce que l’on observedans les institutions pour adultes polyhandicapés.
L’état de cette population d’adultes polyhandicapésest conforme à ce que l’on observe dans la plupart desMAS :
� a
u niveau neurologique, la moitié de la population(55 %) présente des troubles moteurs massifs, l’autremoitié (45 %) est surtout affectée de troubles sévèresdu comportement ; � l e niveau d’autonomie motrice est très caractéristiquedes MAS : un tiers de la population est totalementdépendant physiquement (35,4 %) et confinés au lit, untiers capable de transferts (31,4 %) et assis en fauteuilroulant et le dernier tiers a une autonomie motrice(32,9 %) avec troubles massifs de comportement ;
� l es troubles somatiques sont sévères avec des troublesavérés de la déglutition, des reflux gastro-œsophagienmassifs et des pneumopathies gravissimes ;
� l ’épilepsie est quasi-constante (70 % des cas) etréfractaire aux thérapeutiques dans plus de la moitiéde ces cas ;
� l es problèmes orthopédiques sont importants (40 %des cas) ;
� l es troubles majeurs de la vision touchent un tiers dessujets (31,6 % des cas) ;
� l es troubles majeurs de comportement sont omnipré-sents, touchant plus des trois quarts des sujets (77,2 %).
La fragilité de cette population est de ce faitimportante. La mortalité annuelle, au cours des sixannées d’étude, a été de 1,5 % par an et ce taux rejointcelui de la plupart des études qui évaluent la mortalitéde l’adulte polyhandicapé à 2 % par an [2–4]. Parconséquent, il n’est pas surprenant que les profession-nels qui accompagnent les adultes polyhandicapés dansles établissements médicosociaux soient fréquemmentconfrontés à des situations d’urgence qui peuvent mettreen jeu la vie du patient.
Au total, on peut déduire de notre étude que, dansune MAS accueillant des adultes polyhandicapés :
� l
e transfert dans un service d’urgences hospitalièressurvient en moyenne une à deux fois par mois. C’estF.-A. Svendsen, M.-P. Jaouen / Motricité cérébrale 32 (2011) 87–97 91
donc un événement mensuel qui doit être prévu etorganisé ;
� l’ appel d’urgence nécessitant que l’infirmière laissetout tomber pour se porter au secours d’un adultepolyhandicapé survient en moyenne une à deux foispar jour. C’est donc un événement quotidien qui doitêtre prévu et organisé ;
� la situation urgente gérée directement par lesprofessionnels de proximité en attendant l’arrivéedifférée de l’infirmière survient trois ou quatre foispar jour. C’est donc un événement pluri-quotidien quidoit être prévu et organisé.
Enfin, il faut insister sur le fait que cette institution a eula chance de bénéficier d’une équipe soignante complèteet compétente, que ce soit au niveau médical qu’auniveau paramédical, éducatif et rééducatif, avec unintense travail transdisciplinaire. Il n’est pas certain quetous les établissements médicosociaux puissent tous, parles temps qui courent, bénéficier d’un tel encadrement.
3. Discussion sur la gestion des urgences dans lesétablissements médicosociaux par lesprofessionnels de terrain
La survenue d’une urgence médicale est un tempsfort de la vie d’un établissement médicosocial. Lagestion d’une telle situation nécessite de savoirrépondre aux demandes les plus diverses, de savoiragir efficacement et rapidement, tout en prenant letemps d’expliquer, et éventuellement de savoir dirigersans attendre vers un service hospitalier adapté qui n’estpas toujours prêt à faire face à cette situation.
Or, les décideurs nous expliquent volontiers que lasituation d’urgence dans les établissements médicoso-ciaux est aisée à résoudre, avec le schéma suivant :
Reconnaissance des signes ! Appel des secours !Arrivée des secours ! Transfert à l’hôpital ! Soins àl’hôpital!Retour dans l’institution dans l’état antérieur.
Si ce schéma est parfois opérant pour quelquessituations simples, il faut insister sur le fait que lagestion de la situation d’urgence chez l’adulte poly-handicapé est le plus souvent beaucoup plus complexeet présente des pièges qu’il faut savoir repérer.
4. Les difficultés de l’urgence médicale del’adulte polyhandicapé dans un établissementmédicosocial
Face à un adulte polyhandicapé, la tâche dessoignants confrontés à une urgence médicale n’estpas simple.
4.1. La reconnaissance des signes de détresse chezl’adulte polyhandicapé pose des problèmesparticuliers
Comment reconnaître de façon certaine l’urgencemédicale de l’adulte polyhandicapé ? Si les causes del’urgence sont les mêmes que pour n’importe quellepersonne, les signes d’appel sont totalement brouillés.Ce n’est pas la pathologie qui est compliquée, c’est leterrain qui ne nous livre pas facilement les symptômesdont nous avons besoin. Il y a, en particulier, uneintrication effroyable de signes neurologiques etpsychiatriques. Cette ambiguïté sémiologique est àl’origine de très nombreux retards diagnostiques.
Il y a aussi la pauvreté des infrastructures soignantesde certains établissements d’adultes. Comme la présencemédicale y est très intermittente, la gestion de l’urgencerepose alors sur une équipe éducative qui n’a pas toujoursreçu une formation pour en reconnaître les signes. Tropde décideurs demeurent persuadés que l’adulte poly-handicapé est stabilisé et qu’il n’a aucun souci médical.C’est une immense erreur. La mortalité de l’adultepolyhandicapé est identique à celle de l’enfant poly-handicapé. Sa vulnérabilité est donc aussi importante.
4.2. La procédure d’appel aux secours recèle sespropres pièges
De nombreuses institutions pour adultes polyhandi-capés ont souvent pour seule consigne : en cas denécessité, appelez le Centre 15 ! Ce dernier se trouvesubmergé par les appels et doit identifier les urgencesavérées au milieu d’un bruit considérable d’urgencesressenties.
Par ailleurs, il est essentiel de bien se fairecomprendre du Centre 15 lors de ce premier appelqui va tout déclencher. Trop souvent, l’appel porte surles symptômes et ne mentionne pas la fragilitéparticulière de l’adulte en détresse. L’appel est alorstraité comme s’il s’agissait d’un adulte ordinaire. Laréaction du régulateur est de demander quel âge à lapersonne (car, pour lui, la MAS c’est comme unemaison de retraite). Il est nécessaire que celui quiappelle parvienne à faire comprendre que l’on parlebien d’une personne adulte et jeune. Et ensuite quel’aide est demandée pour une raison bien précise.
4.3. À l’arrivée des secours, les choses nes’arrangent pas
Lorsque par bonheur, une équipe mobile de secoursarrive, l’incompréhension se poursuit, et on peut mêmedire qu’elle est double :
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� d
’une part, l’irruption de l’équipe mobile d’urgence,équipée comme des cosmonautes, entraîne unesidération dans l’institution médicosociale. Beaucoupde structures ne sont pas habituées à côtoyer ceshommes tout de blanc vêtus qui, immédiatement,mettent de l’oxygène, placent des appareils électroni-ques qui font « bip-bip » ; � d ’autre part (mais on le dit moins), l’équipe mobiled’urgence est elle-aussi en état de sidération. L’urgencede l’adulte polyhandicapé diffère tellement de cequ’elle rencontre habituellement, qu’elle n’a plus sesrepères.
Il faut alors avoir à l’esprit que, d’une façongénérale, l’équipe des urgences est en difficulté face àl’adulte polyhandicapé, car les procédures et lesprotocoles habituels sont inopérants. Elle ne sait pascomment communiquer avec cette personne. Elle est endifficulté pour l’examiner. Heureusement, il y a ledossier médical, mais il est souvent épais et peuutilisable en situation d’urgence. C’est pourquoi, lors dela situation d’urgence médicale, il faut aider lesurgentistes et leur conseiller de prendre le temps derecueillir les observations des professionnels deproximité. Enfin, en cas de doute, il faut suggérertrès fort qu’une hospitalisation doit être réalisée pourque des examens puissent faire avancer la compréhen-sion du problème.
4.4. À l’arrivée à l’hôpital, les problèmes perdurent
À l’arrivée à l’hôpital, les problèmes s’accumulent.En effet, les solutions que l’hôpital propose à un adultepolyhandicapé sont minces.
Tout d’abord, l’hospitalisation se fait non pas dansun unique service de pédiatrie qui a généralementl’habitude de travailler avec le médicosocial, mais dansun nombre considérable de services d’adultes. Ceux-cisont souvent démunis devant un adulte polyhandicapé etn’ont pas l’habitude de travailler avec des équipesexternes ou de négocier avec des parents.
De plus, outre les problèmes strictement médicaux,souvent très difficiles à résoudre au niveau diagnostic,de l’exploration ou du traitement, il y a à gérer lesproblèmes du quotidien (communication, alimentation,installation).
Enfin, il y a le difficile problème des décisions àprendre : jusqu’où aller dans les explorations, qu’est-cequi a déjà été fait, qu’est-ce qui a déjà été prévu pour cepatient ? Là encore, les services hospitaliers ont besoinqu’on les aide.
4.5. Le retour dans la structure ne signifie pas la findes problèmes
Le retour dans la structure est une fête et unsoulagement pour tout le monde (crois-t-on). Car, onpense que l’adulte polyhandicapé revient dans son étatantérieur : ce qui n’est pas exact. Ce séjour à l’hôpitalnous apporte son lot de petits cadeaux : escarres divers,déstabilisation psychologique. Mais surtout, un séjour àl’hôpital (surtout s’il se répète) est un signe indéniabled’une aggravation de la fragilité de cet adulte, ce dontl’entourage de proximité est consciente mais refusesouvent d’admettre.
De plus, le retour dans l’institution de l’adultepolyhandicapé est souvent prématuré. En effet, leproblème aigu n’est généralement pas complètementéteint (un problème pulmonaire par fausse routenécessite une quinzaine de jours de traitement mais lepatient revient généralement au bout de quelquesjours). Le séjour hospitalier est trop souventraccourci pour des considérations de managementhospitalier.
5. Recommandations face à la situationd’urgence de l’adulte polyhandicapé
L’urgence est une situation d’une richesse inouïe,mais c’est une situation qui agresse. Réelle ousimplement ressentie par l’entourage, elle requiertprécision et rapidité de la part des professionnels pouranalyser les signes, en apprécier la gravité et enfinchoisir les gestes à exécuter (ou à éviter). Il faut sortirde l’idée que l’adulte polyhandicapé n’est pasmalade, qu’il n’a besoin que d’un lieu de vie. Unepopulation victime de 2 % de décès annuels est unepopulation à haut risque. Il faut se préparer àl’urgence. Il y a tout un travail préparatoire àl’urgence à élaborer en équipe.
Ce qui rend cette situation d’urgence si singulière,c’est que :
� e
lle est fréquente et grave chez l’adulte polyhandi-capé en raison de sa fragilité ; � l es signes d’appel évocateurs de l’état d’urgence sonttrès souvent atypiques et une parfaite connaissance del’état habituel de cet adulte est primordiale pour lesapprécier ;
� l es signes d’interrogatoire font cruellement défauten raison de l’absence de communication nonambiguë. L’appréciation de la situation d’urgencerepose alors uniquement sur les éléments
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d’observation fournis par l’entourage et sur l’exa-men clinique.
5.1. Bien distinguer l’urgence ressentie de l’urgenceavérée
La reconnaissance des signes d’appel traduisant unesituation urgente chez l’adulte polyhandicapé esttoujours très difficile. Cette difficulté explique qu’ilpuisse souvent se produire un retard de diagnostic. Àl’inverse, cela explique aussi que l’on observe parfoisune agitation incongrue face à une « fausse urgence »qui peut entraîner des alertes abusives. Au niveau del’institution médicosociale, ces situations engendrentune grande consommation d’énergie, de temps etd’argent.
L’urgence dans une institution médicosocialecomporte deux modalités : l’urgence avérée et l’urgenceressentie. Mais, que l’urgence soit avérée ou ressentie,elle doit être traitée. Le premier objectif de l’accompa-gnement soignant consiste à réduire au maximum lenombre des urgences ressenties pour être plusdisponible pour les urgences avérées. Cet objectifn’est possible que par la précision de l’observation desprofessionnels de proximité, l’importance de lacouverture soignante de la structure et la qualité dela formation soignante dispensée dans la structure.
Pour limiter les urgences ressenties, il est indispen-sable de former les équipes médicosociales à lareconnaissance des signes de détresse (tous lesprofessionnels devraient avoir passé leur diplôme depremiers secours). C’est le meilleur moyen de lever unegrande part d’ambiguïtés et diminuer le stress inutile.
5.2. Bien travailler l’appel au secours
Une parfaite collaboration avec les services hospi-taliers est essentielle, en particulier avec le service desurgences. Il faut que l’appel soit jugé rapidementrecevable, ce qui n’est pas facile pour un régulateursubmergé par un grand nombre d’appels. Or, il y a entreles institutions médicosociales et le centre de régulationtrès peu de « mots clefs » alors même qu’il est essentielde faire percevoir rapidement la pertinence de l’appel.
Pour être en phase avec les services hospitaliers, leplus efficace est certainement de faire une démarchepour leur présenter la structure. Il est très utile de fairevenir l’équipe hospitalière dans l’institution pour unevisite pendant laquelle on discutera des dossiers chaudspour lesquels il est possible qu’on ait besoin un jourd’un coup de main de leur part. Ainsi, au moment del’appel aux services d’urgence, il n’y aura pas besoin de
longs discours et les secours appropriés serontdépêchés.
5.3. Bien accompagner l’arrivée des secours
À l’arrivée de l’équipe de secours, lorsqu’on seconnaît bien, les choses se simplifient. L’équipe desurgentistes sait qu’elle peut compter sur l’équipe del’institution pour avoir accès au dossier, pour aider àla communication avec l’adulte polyhandicapé, pourobtenir des éléments de comparaison entre l’étatactuel et l’état habituel du résident.
L’établissement doit avoir prévu à l’avance, pourchaque personne polyhandicapée, un dossier simple,précis, directement utilisable et régulièrement actualisé,qui a pour objectif de faciliter la compréhension desurgentistes. Il doit comprendre :
� u
n résumé très succinct du dossier médical ainsi que letraitement en cours, et avec un espace libre pour noterles éléments qui motivent l’appel urgent en cours ; � u n dossier de vie quotidienne indiquant les modes decommunication, les principes d’installation, lesmodalités d’alimentation ;
� le s coordonnées permettant de joindre les différentsacteurs de l’accompagnement ;
� le s renseignements administratifs avec carte vitale etautorisation des parents.
Si la collaboration est authentique entre l’hôpital etl’établissement, l’hospitalisation devient moins systé-matique. Un certain nombre d’urgences peuvent mêmeêtre traitées dans la structure avec la promesse que lesurgentistes peuvent revenir si les choses n’évoluent pasfavorablement. C’est tout bénéfice pour tout le monde :la personne polyhandicapée, l’institution, l’hôpital etles finances publiques.
5.4. Bien accompagner les équipes hospitalières ausein de l’hôpital
Mais il y a des urgences où le transfert à l’hôpitals’impose. Dans ce cas, il est essentiel de bien avoirprévu la façon réelle d’accompagner le résident lors del’hospitalisation [5]. L’adulte polyhandicapé n’est pasun « colis postal » qu’il suffit d’adresser à l’hôpital.
Il faut être conscient que l’hôpital est un lieu à risquepour l’adulte polyhandicapé :
� le
s soignants hospitaliers connaissent mal cet adultepolyhandicapé et surtout ils n’ont pas de moyen decomparaison par rapport à son état « ordinaire » ;F.-A. Svendsen, M.-P. Jaouen / Motricité cérébrale 32 (2011) 87–9794
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ace à ce tableau déroutant, l’hôpital n’est pasnaturellement mobilisé pour être actif. Pour lessoignants hospitaliers, la nécessité thérapeutique estmoins impérieuse que pour l’équipe institutionnelle.Ils ne conçoivent pas bien l’investissement qui est faitsur cet adulte polyhandicapé. L’abstention sera plusvolontiers envisagée ; � l ’hôpital a, de plus en plus, pour mission de traiter lesaccidents aigus pas les pathologies chroniques. Face àl’adulte polyhandicapé, ils leur manque un outilessentiel : le temps.
Il arrive encore trop fréquemment que les soignantshospitaliers, désarmés devant l’adulte polyhandicapé etinquiets de la perspective d’une surcharge de travailréclamée par ce sujet dépendant, adoptent vis-à-vis delui, de sa famille ou du personnel des établissements, uncontact froid, une attitude de rejet ou de dévalorisation.Pour éviter ces situations douloureuses pour tout lemonde et ajuster les relations, trois mesures sontnécessaires :
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ospitaliser l’adulte polyhandicapé pour un motifprécis et non pour soulager l’institution d’unesituation ressentie comme difficile à gérer en raisond’un manque de moyens ; � t oujours veiller à ce que l’hospitalisation s’effectueavec un accompagnateur qui connaît cet adultepolyhandicapé. Sa présence est nécessaire commepoint de repère pour la personne polyhandicapée etpour l’équipe hospitalière qui sera bien heureused’avoir une personne pouvant les renseigner. De plus,cette personne sera le lien avec la structure et avec lafamille. Enfin, la présence d’un accompagnateur, quiest au fait du projet élaboré en partenariat avec lesparents, pourra renseigner l’équipe hospitalière sur cequi se construit autour de cet adulte ;
� f ournir à l’hôpital, le plus tôt possible, le matérieladapté à l’adulte polyhandicapé (depuis les affairespersonnelles jusqu’à la mousse d’installation de nuitet la cuillère adaptée).
Au cours de l’hospitalisation de l’adulte polyhandi-capé, l’établissement médicosocial doit être partenairedes soins, cela en parfaite collaboration avec la famille[6]. Il doit se tenir à la disposition du service hospitalierpour communiquer tout renseignement utile, voiremême participer avec les parents aux entretiens trèsimportants sur la poursuite des soins (comme lesquestions éthiques sur les soins déraisonnables). Enfin,il doit contribuer à la préparation du retour dansl’institution qui sera d’autant mieux adaptée que laconcertation sera efficace.
5.5. Bien accompagner le retour de l’adultepolyhandicapé dans son institution
La continuité de l’information est un élémentessentiel d’une hospitalisation réussie. Il est bien utilede prévoir une fiche de liaison en sortie d’hospitalisa-tion, afin de remédier au flou qui entoure parfois lesmesures à mettre en place après une hospitalisation [7].
5.6. Quelques pièges à éviter
Il faut bien cerner la situation d’urgence. Pour cela, ilfaut particulièrement soigner l’interrogatoire de l’entou-rage de l’adulte polyhandicapé : de là viennent la quasi-totalité des erreurs. . . Pour analyser valablement lasituation d’urgence, il est indispensable de pouvoirs’appuyer sur un entourage de proximité qui connaissecet adulte de très longue date. En effet, c’est toujours àpartir de la comparaison avec l’état habituel de l’adultepolyhandicapé que l’on peut détecter le plus tôt possibleles atteintes graves qui peuvent le mettre en danger.S’appuyer sur l’observation d’un entourage qui connaîtmal l’adulte équivaut pour lui à une véritable « perte dechance » de s’en tirer au mieux par le fait qu’il augmenteles difficultés de décodage des troubles. Il faut donc faireattention au turnover des professionnels de la structuremédicosociale et on peut même affirmer qu’un pro-fessionnel de proximité qui change, c’est une mined’informations sur l’adulte polyhandicapé qui disparaît.
Il ne faut pas s’accrocher à un diagnostic, mêmebrillant, en oubliant d’évaluer la gravité de l’état vital del’adulte polyhandicapé.
Il ne faut pas décider à partir des examenscomplémentaires. Dans les faits, le seul bilan incon-tournable est l’examen clinique soigneux de l’adultepolyhandicapé, qui n’est vraiment contributif que si onle connaît dans son « état habituel ».
Il faut avoir conscience de ses limites et ne pashésiter à demander conseil. Le décodage des troubles del’adulte polyhandicapé est tellement complexe qu’il n’ya pas de honte à avoir.
Il ne faut pas engueuler l’administrateur de garde, lemédecin ou quiconque du mauvais déroulement desopérations, même si on a raison. Cela est inutile et ne faitque compliquer les choses. Face à l’urgence, lesadministrateurs et les soignants sont obligés de travaillerensemble.
6. La prévention des situations d’urgence
Pour être gérée sans perte de temps et avec lemaximum d’efficacité, la situation d’urgence ne doit pas
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être organisée au fur et à mesure des épisodessuccessifs. Elle ne peut pas reposer sur l’improvisation.Elle doit être prévue dans le fonctionnement del’institution et doit apparaître dans le projet d’accompa-gnement, de jour comme de nuit.
Bien sûr, ce n’est pas au moment de l’urgence queces questions pourront être débattues. Mais aprèschaque épisode d’urgence, il est bon de réfléchir, sansculpabiliser, sur ce qu’on aurait pu faire de mieux (ensachant bien qu’on ne pourra malheureusement jamaistout éviter ou anticiper). Il faut également travaillerrégulièrement le problème de la gestion des urgences àchaque fois que l’équipe se modifie (en particulier àl’arrivée d’un nouveau directeur, de nouveaux chefs deservice, d’une nouvelle équipe médicale).
En effet, le véritable traitement de l’urgence c’est laprévention. Mais pour que cette prévention soit efficace,il est absolument nécessaire de se pencher sur cinqproblématiques.
6.1. La place de la permanence des soins
La permanence des soins dans les établissementsmédicosociaux est essentielle, tant pour assurer lagestion des situations d’urgence que surtout pourprévenir les évolutions défavorables. Elle permet :
� u
n décodage et une dédramatisation des situations ; � u ne assistance permanente autorisant une réponseprécoce et rapide ;
� u ne diminution des hospitalisations (toujours dom-mageables pour tout le monde).
Or, l’évolution actuelle de l’accompagnement del’adulte polyhandicapé se fait vers une diminution dessoins. L’enquête menée par le groupe polyhandicapFrance (GPF), le Centre ressource multihandicap et leComité d’études, d’éducation et de soins auprès despersonnes polyhandicapées (CESAP) en 2004 a montréque les équipes s’appauvrissent en professionnels dusoin médical, rééducatif et psychiatrique [8]. Cetteenquête montre également le glissement de certainspostes budgétés non couverts vers d’autres catégoriesprofessionnelles qui permettent certes d’utiliser lesmoyens attribués, mais peut-être pas d’assumer lesmêmes fonctions, et de ne pas l’assurer avec toute lasécurité nécessaire. Il faut donc revoir les fonctionssoignantes dans les établissements médicosociaux pouradultes polyhandicapés et assurer au minimum uneassistance infirmière permanente (de jour mais aussi denuit).
6.2. L’importance de la transmission del’information
Qu’une hospitalisation s’avère nécessaire ou non, ilfaut toujours veiller à une bonne transmission del’événement :
� a
uprès des collègues (dans le cahier de transmissionde l’infirmerie) avec une observation détaillée dessignes pertinents (qu’ils soient positifs ou négatifs).Un rapport écrit bien rédigé est souvent la solution àbien des problèmes ultérieurs ; � a uprès de l’entourage de proximité, y compris auprèsde l’équipe de nuit, afin que tout le monde soit enpossession des consignes à appliquer, ce quidiminuera d’autant leur légitime anxiété ;
� il est également indispensable d’avoir prévu àl’avance la façon de prévenir la famille et de lasoutenir en cas d’évolution dramatique.
6.3. La place des protocoles
Dans les établissements médicosociaux, l’absence deprésence médicale permanente impose à l’équipe defaire face à des situations médicales par ses propresmoyens. La délégation non souhaitable, mais qui existede fait, entre le médecin et l’institution doit être gérée.Cependant, elle ne saurait autoriser l’équipe qui assurel’accompagnement soignant de l’adulte polyhandicapéà accomplir des actes juridiquement interdits.
Pour résoudre ce problème, le législateur insistebeaucoup sur la nécessité de l’écrit. On assiste ainsi,dans les établissements, au remplacement progressif dela présence médicale par un « médecin de papier » sousforme de protocoles de soins, préalablement écrits,datés et signés par le médecin.
Ces protocoles ont pour but d’aider l’entourage deproximité à se repérer. Mais ces protocoles ne doiventpas servir au moment de la situation d’urgence. Ilsdoivent être inscrits dans la tête des membres del’équipe, avant la survenue de la situation critique. Ilsont pour fonction de permettre que les dispositionssoient prises, au niveau de l’ensemble de l’institution.Car la gestion de l’urgence est un exercice qui nes’improvise pas. Ce qui veut dire que toutes leséventualités auront été envisagées, discutées, répétéesavant que ne survienne la situation d’urgence.
Mais le professionnel doit toujours garder à l’espritque ces protocoles ne sont que des indications généraleset que chaque situation doit être analysée. En effet, il nefaut pas confondre le protocole et la réalité de l’urgence.Un protocole ne remplacera jamais une connaissance
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individuelle de la chaîne de l’urgence, une confianceentre les parents et les professionnels, ainsi qu’entrel’équipe soignante et l’équipe de direction.
6.4. La place de la formation sur l’urgence dansl’institution
Rien n’est plus instructif que les situationsd’urgence. Son langage doit être très simple et neréclamer aucune traduction. Dans l’accompagnementsoignant que nécessite l’adulte polyhandicapé, laformation aux situations d’urgence est indispensable,que ce soit :
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our les professionnels de l’établissement médico-social. La formation devrait relever de la marchequotidienne d’une MAS et recouvrir tous les aspectsdu travail quotidien des professionnels de proximité,afin d’assurer une meilleure compréhension dessituations, des traitements et des conduites (appren-tissage des gestes de sauvetage, diagnostic des étatsdouloureux, etc.). Bien que le programme deformation aux premiers secours soit précis, rienn’empêche d’enrichir les cas concrets par dessituations adaptées à l’établissement (par exemple :comment faire une manœuvre de Heimlich sur unadulte polyhandicapé assis en siège moulé et atteintd’une scoliose très importante). Mais, surtout, il y anécessité de former tout le personnel de l’établisse-ment (même le personnel éducatif, administratif et lesservices généraux). Le fait d’avoir une équipe où toutle monde est formé permet de disposer de ressourceshumaines importantes capables de réagir rapidementen cas d’urgence ; � p our les professionnels de l’hôpital qui doivent êtreinformés des spécificités de l’adulte polyhandicapé.Les établissements médicosociaux ont un rôle à jouerà ce niveau [9].
� p our les parents car ils doivent gérer les urgencesquand elles surviennent à domicile. Trop souvent,certains parents renoncent à reprendre leur enfant leweek-end de peur que ne survienne un problèmemédical.
6.5. Établir un lien privilégié avec les structureshospitalières
L’accueil hospitalier de l’adulte polyhandicapé ne sefait pas de façon naturelle. Il doit être préparé pour êtreharmonieux. Il nécessite que l’équipe hospitalière etl’équipe de l’établissement se connaissent bien. Descontacts préalables doivent avoir été réalisés. Une
connaissance mutuelle permet une réponse plus adaptéelors des quelques urgences médicales nécessitant l’aidede l’hôpital. Pour gérer ces urgences, l’hôpital et lemédicosocial ont absolument besoin l’un de l’autre[10].
Quand aux « conventions » entre les hôpitaux et lesétablissements médicosociaux, elles ne remplacerontjamais les contacts directs et les collaborations sincères.Au-delà des conventions signées, il s’agit surtout de lavolonté des équipes de se donner les moyens detravailler ensemble.
7. Conclusion
La situation d’urgence médicale de l’adulte poly-handicapé constitue toujours un traumatisme pour lapersonne elle-même, ses parents ou accompagnants.Que faire pour humaniser et rendre plus positif etperformant cet événement ? La situation d’urgence faceà l’adulte polyhandicapé ne s’improvise pas. Elle doitêtre préparée, prévue et doit mobiliser de façoncohérente l’ensemble de l’institution. Faire reposer lagestion des urgences sur les seuls soignants est uneillusion et la source de bien des drames.
En fait, trois facteurs principaux expliquent les« ratés des urgences » :
� p
remièrement, une insuffisance des infrastructuressoignantes des établissements médicosociauxaccueillant des adultes polyhandicapés. Il faudraitune reconnaissance pour cet adulte d’avoir droit auxmêmes soins que tout autre, et pas uniquement à unhébergement éducatif ; � d euxièmement, une situation d’urgence difficile àrepérer et dont l’alerte repose sur les professionnelsde proximité dont la formation en ce domaine estparfois insuffisante. Il faut une formation del’ensemble de l’équipe et que l’ensemble de l’ins-titution participe aux situations urgentes, seul moyenpour aboutir à une collaboration institutionnelleefficace ;
� t roisièmement, une situation d’urgence toujoursdifficile à gérer. Il y a donc une nécessité impérieusede tisser des liens personnalisés avec les centreshospitaliers, et tout particulièrement le service desurgences.
Dans une institution médicosociale, le décès d’unadulte polyhandicapé engendre une émotion légitime.Mais, lorsque ce décès survient au décours d’unesituation d’urgence aiguë, la souffrance des accompa-gnants est considérablement amplifiée. Cela peut
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engendrer un état de crise profonde et remettre en causetout le fonctionnement de l’institution [11].
Déclaration d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflitsd’intérêts en relation avec cet article.
Références
[1] Derles X, Chen T-P, Desbiez M, Taillardat M. Le polyhandicapaggravé : une prise en charge spécifique. Perspectives Sanitaireset Sociales 2003;170:33–5.
[2] Eyman R, Grossman H, Chaney R, Call T. The life expectancy ofprofoundly handicapped people with mental retardation. N EnglJ Med 1990;323(9):584–9.
[3] Monfort-Laval Y. Mortalité des sujets déficients mentaux pro-fonds polyhandicapés : facteurs de risque, causes de décès[thèse]. Paris: Faculté de Médecine Saint-Antoine; 1980.
[4] Strauss D, Shavelle R. Life expectancy of adults with cerebralpalsy. Dev Med Child Neurol 1998;40:369–75.
[5] Desguerre I, Farges C, Lesage F. Prise en charge du polyhandi-cap en situation d’urgence. Actes des Journées AP–HP Poly-handicap du 13 au 15 novembre 2008;64–5.
[6] Desguerre I, Bied-Charreton X. Relation, complémentarité etarticulation entre secteur sanitaire et secteur médico-social :cohésion et/ou incompréhension. Actes des Journées AP–HPPolyhandicap 2005. Paris: CTNERHI; 2005. p. 111–4.
[7] Leseney JC. Le rôle du médecin dans les établissements médico-sociaux. Actes du Colloque Médical de l’UNAPEI du 28 mars2008 : handicap mental et soins, l’affaire de tous. Paris: UNA-PEI; 2008. p. 52–60.
[8] Boutin AM. Le sanitaire au sein du médico-social : comment etavec quels moyens ? Actes des Journées AP–HP Polyhandicap2005.. Paris: CTNERHI; 2005. p. 101–8.
[9] Heron B. Organisation des soins de la personne polyhandicapéeen milieu hospitalier. Actes des Journées AP–HP Polyhandicap2005. Paris: CTNERHI; 2005. p. 109–10.
[10] Bied-Charreton X. Accueil des polyhandicapés en défaillancesaiguës en milieu hospitalier : point de vue des institutions. Actesdes Journées AP–HP Polyhandicap du 13 au 15 novembre2008;64–5.
[11] Bied-Charreton X. Soins d’urgence aux personnes handicapéesmentales à l’âge adulte. État de la recherche en déficiencementale. Paris: AIRHM 1988; p. 361–74.