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Faire des exonérations de charges sociales un levier du redressement commercial et industriel de la France par Romain PEREZ et Louis-Pierre BOUZON lejourdapres.eu

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Faire des exonérations de charges sociales un levier du redressement commercial et industriel de la France

par Romain PEREZ et Louis-Pierre BOUZON

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Faire des exonérations de charges sociales un levierdu redressement commercial et industriel de la France

Romain PEREZ¹ ; Louis-Pierre BOUZON²

¹Economiste et coordinateur du Think Tank le Jour d’Après ²Nom d’emprunt. Fonctionnaire et économiste au Ministère de l’Economie et des Finances

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RÉSUMÉ

Au cœur de la politique économique de la France depuis plus de 25 ans, les exonérations de charges sociales visent à soutenir l’emploi peu qualifié, et à réduire le coin fiscal induit par un salaire minimum supérieur aux moyennes de l'OCDE. Pourtant, c’est bien le coût du travail qualifié qui détermine l’élément essentiel de la compétitivité prix d'une économie, en particulier pour les secteurs les plus exposés à la concurrence internatio-nale. La présente étude compare donc les effets de la politique

À partir d’une estimation économique dont la méthodologie est détaillée, elle montre que les mécanismes actuellement en place ont des effets limités sur l’em-ploi - et très faibles sur la compétitivité et les exportations. A l'inverse, le recen-trage des exonérations sur le secteur manufacturier le plus exposé à la concur-rence aurait des effets très sensibles tant sur l’emploi que sur nos capacités d'ex-portation. Ainsi, pour un montant d’exonération identique aux montants actuelle-ment consacrés à la baisse des charges sociales (soit 1.2% du PIB), ce scénario alternatif permettrait de créer 156 500 emplois, essentiellement qualifiés, là où la politique actuelle ne génère que 142 700 emplois peu qualifiés, soit un surplus de plus de 10 %. Surtout, l'impact sur les exportations et la compétitivité serait prati-quement décuplé, avec une hausse des exportations de l’ordre de 20,3 milliards d'euros, contre seulement 2,7 milliards du fait de la politique actuelle.

Par ailleurs, si ces exonérations ciblées étaient portées à 50 milliards d’euros, l’im-pact du dispositif serait encore accru, avec un total des emplois créés de 347 200, dont 285 300 pour le secteur industriel. Les exportations connaitraient un bond de quelques 34.2 milliards d’euros, laissant entrevoir une forte réduction du déficit commercial (de 64 % pour 2014, année de référence pour cette étude).

Cette étude explore enfin les voies légales permettant d’intégrer cette approche ciblée au cadre concurrentiel européen, qui proscrit à priori les exonérations fiscales sectorielles. Une réforme fiscale élargie permettrait d’exonérer le secteur exportateur en finançant la protection sociale par la taxation l’activité économique du seul secteur protégé. Toutefois, c’est bien sur le terrain politique qu’il appar-tient à la France de défendre son droit à marier protection sociale et ambition industrielle, et à lutter contre le dumping social de ses partenaires européens et non-européens.

actuelle d'exonération de charges à ceux de scénarios alternatifs ciblant les sala-riés du secteur ouvert de notre économie.

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Introduction

Le déficit de compétitivité est une cause reconnue de la crise économique française. Les principaux rapports publics qui ont analysé les enjeux du redressement économique de notre pays (rapport Charpin, 1992, rapport Malinvaud, 2001, rapport Attali, 2007, rapport Gallois, 2012) mettent tous l'accent sur la nécessité d’améliorer la compétitivité coût et hors coût de notre économie. La première suppose d’améliorer l’efficience productive des entreprises et d’alléger le coin fiscal, la seconde nécessite une montée en gamme de la production. Ces efforts combinés doivent en retour dynamiser le secteur exportateur, déclenchant un cercle vertueux associant une croissance tirée par la demande extérieure, l’investissement à forte valeur ajoutée et la création d’emplois qualifiés.

Dans cette perspective, les différents gouvernements ont mis l'accent depuis le début des années 90 sur la baisse des charges sociales. Chaque gouvernement a, depuis 1992, mis en place de nouveaux mécanismes³, jusqu'en 2012 avec la création du fameux Crédit d'Impôt pour la Compétitivité et l'Emploi (CICE), un avantage fiscal qui équivaut à une baisse des cotisations patronales correspondant à 6 % des rémuné-rations versées entre 1 et 2,5 SMIC. Celui-ci sera remplacé à partir de 2019 par un allégement des cotisations patronales. Les baisses de charges sociales occupent ainsi aujourd'hui « une place prépondérante au sein de l’ensemble des mesures visant à soutenir l’appareil productif », selon le Comité de Suivi des Aides Publiques aux entreprises et des Engagements (CO-SAPE), qui évaluait à la fin 2017 le coût de ces mécanismes à quelques 25 milliards d’euros.

Pourtant, les allégements de charges peinent à convaincre les investisseurs, et ne semblent pas constituer une réponse

³Une série de mesures d'exonération est prise sous les gouvernements Balladur, Rocard et Juppé. MM. Balladur, puis Juppé, qui cibleront les salaires voisins du salaire minimum (1,1, puis 1,3 smic). En juillet 1993, Edouard Balladur exonère totalement de cotisations sociales les salaires jusqu'à 1,1 smic, puis à 50 % jusqu'à 1,2 smic, avec extension progressive jusqu'à 1,6 smic. En 1995, les cotisations patronales d'assurance maladie sont aussi réduites. Alain Juppé fusionne les deux mesures en 1996, et permet, en 1997, à des entreprises de bénéficier d'allègement sur les salaires de 5 millions d'employés, ce qui abaisse le coût du travail au niveau du smic de 12 %. A partir de 1997, le gouvernement Jospin maintient l'ensemble de ces dispositifs, et en ajoute d'autres, destinés à accompagner le passage aux 35 heures. En 2003, la droite, revenue au pouvoir, poursuit cette politique, fusionnant les allègements de charge Aubry, Juppé et Balladur en "allègements Fillon", et mettant en place une réduction de cotisations sociales pour les employeurs. En 2007, l'exonération sera à nouveau augmentée, et pérennisée via la mise en place du CICE à partir de 2012.

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Introduction

suffisante au chômage de masse qui s’est installé. Fin 2017, notre pays comptait 3,5 millions de chômeurs (catégorie A) et 2,2 millions de personnes exerçant une activité réduite (caté-gories B, C), soit au total 5,6 millions personnes partiellement ou totalement exclues du marché du travail. Les travailleurs les moins qualifiés, cible prioritaire des dispositifs d'exonéra-tion de charges, forment l'essentiel du bataillon des chô-meurs.

Au niveau industriel et commercial, le différentiel de coût du travail entre la France et ses partenaires ne se réduit pas. Si bien que ces baisses des charges semblent également sans effet significatif sur le déclin rapide de l'économie française dans les échanges internationaux, la part des exportations françaises ayant diminué de respectivement 28% et 34% en Europe et dans le monde entre 2000 et 2016 (Source: UNC-TADstat).

Un tel contraste entre les objectifs affichés par la politique de baisses des charges sociales et les résultats obtenus sou-lèvent des interrogations de trois ordres:

D’abord sur l’effectivité des engagements pris. Ces allége-ments s'inscrivent en effet dans le contexte d'une hausse générale de la pression fiscale sur les ménages et sur les entreprises, les administrations publiques étant confrontées à des difficultés budgétaires structurelles. Ces allégements de charges ont-ils permis un réel abaissement du coût du travail, ou relèvent-t-ils davantage d’une atténuation partielle et ciblée de la hausse générale des cotisations ?

Ensuite, il convient de s’interroger sur la pertinence du choix de baisser les charges. La question des coûts de production serait-elle finalement secondaire par rapport aux enjeux de la compétitivité hors prix ?

Enfin, sur la pertinence des modalités de la baisse des charges en France. Si les difficultés de la France à l'exportation sont bien liées à un problème de coût de production, l’absence de

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Selon l'INSEE, les actifs ayant un niveau d’étude inférieur au baccalauréat constituaient plus de 61% des chômeurs en 2012, mais seulement 45% des personnes ayant un emploi. Leur taux de chômage était de 15%, contre 5% pour ceux ayant fait des études supérieures

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Introduction

résultat des politiques de baisse de charges pourrait-elle s’ex-pliquer par une inadéquation des mécanismes mis en place? La priorité a été donnée historiquement à la baisse des charges sur les bas salaires, et ce indépendamment du sec-teur concerné. Les efforts ont été dispersés entre les secteurs, indépendamment du niveau de concurrence, et ont exclu le travail qualifié, qui est un facteur essentiel de la compétitivité prix. Ce double phénomène de dispersion entre secteur proté-gé et ouvert, et de discrimination à l'encontre du travail quali-fié, a-t-il réduit la portée de la politique de baisse de charge ? Un recentrage de ces exonérations sur les travailleurs du sec-teur ouvert, indépendamment de leur niveau de qualification, pourrait-il à contrario "muscler" la portée de ces dispositifs?

Cette étude vise à répondre essentiellement à la dernière question soulevée. En effet, la première question trouve sa réponse dans son énoncé: effectivement la hausse des cotisa-tions sociales l’a emporté sur les exonérations, et ces der-nières ne sont donc que des mécanismes de compensation partielle et ciblée. La seconde question, quoique pertinente dans son principe, fait l’objet d’une littérature économique abondante (NATIXIS 2016, 2017 : Trésor Eco., 2014). Les expor-tations françaises demeurent particulièrement sensibles à la compétitivité coût de nos entreprises du fait de leur position-nement sur le moyen haut-de-gamme. La dernière question en revanche, qui concerne les modalités même des mécanismes d’exonération de charges, est peu documentée et suscite un débat chronique.

Notre étude vise donc analyser les effets des baisses des charges sociales selon leurs modalités de mise en œuvre, en comparant différents scénarios. Après avoir rappelé les effets généraux d’une baisse de charge et souligné les limites de l’ap-proche française (1), elle compare trois scénarios sur la base d'une méthodologie commune (2 et 3). Elle analyse enfin les options légales pour rendre les exonérations ciblées compa-tibles avec le cadre concurrentiel posé par le Traité de Rome, et interprété rigoureusement par la Commission européenne (4).

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1. Renforcement de la compétitivité ou soutien à l’emploi peu qualifié ? Les ambiguïtés de la politique d’exonération de charges en France

a. Les effets économiques d’une baisse des charges sociales sur le facteur travail

Schématiquement, il est possible de décomposer les effets sta-tiques d’une baisse de charges sociales en trois effets principaux (Plane, 2012): un effet de substitution entre facteurs travail et capital, un effet de compétitivité lié à la répercussion de la baisse des coûts sur les prix, et un effet de revenu résultant de la baisse du pouvoir d’achat induite par les mesures budgétaires néces-saires au financement des exonérations de charges.

Effet de substitution. La baisse du coût du travail doit conduire les entreprises à substituer du travail au capital, ce dernier étant rendu relativement moins attractif que le premier. Notons que cet effet de substitution peut s’opérer aussi entre catégories de tra-vailleurs, dès lors que la baisse de coût ne concerne qu’une caté-gorie de salariés. L’entreprise peut substituer des travailleurs peu qualifiés aux travailleurs qualifiés si par exemple la baisse des charges cible les bas salaires.

L’effet de substitution est à la fois direct et indirect (Germain, 1997). Les prix des biens intensifs en travail baissant proportion-nellement plus que ceux des biens intensifs en capital, les consommateurs privilégient les premiers ce qui induit une hausse de la demande indirecte de travail par rapport au capital.

Cet effet de substitution est controversé parce que la substituabi-lité des facteurs de production est variable selon les secteurs, et, surtout, selon les niveaux de qualification de travail. Ainsi l’OFCE (Plane, 2012) estime élasticité de substitution entre travail et capital à 0,9 au niveau du SMIC, à 0,3 à deux fois le SMIC, et à zéro

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au-delà, soit une moyenne de 0,3 pour l’ensemble de l’emploi en France (voir la note méthodologique 2.b).

Effet de compétitivité. La baisse du coût du travail allège les coûts de production. Elle place les entreprises face à un choix straté-gique: baisser le prix de leurs produits ou augmenter leurs marges. Ce choix dépend d’une multiplicité de facteurs, tels que les exigences financières des actionnaires et des créanciers, l’élasticité de la demande pour les produits en fonction des prix, et surtout le degré de concurrence dans le secteur d’activité concer-né. C’est la baisse des prix de production liée à la baisse des charges qui génère l’effet de compétitivité, avec une hausse de la demande intérieure et surtout extérieure, la production locale voyant ses avantages comparatifs augmenter vis-à-vis de la concurrence internationale.

L'effet de compétitivité est lui-même discuté car il est fonction du positionnement prix et hors prix des exportateurs nationaux. La littérature économique (NATIXIS, 2016, 2017; Trésor Eco., 2014) tend cependant à mettre en lumière la sensibilité importante des exportations françaises aux évolutions des coûts de production - ainsi qu'aux variations de change. Cette sensibilité explique une part essentielle de la dégradation de la position commerciale de la France suite à l'appréciation de l'euro à partir de la période 2004 2005.

Effet de revenu. La baisse des charges peut-être financée soit par une baisse des dépenses publiques, soit par une hausse compen-satoire des impôts. Ce déplacement de l’effort budgétaire peut concerner les ménages aussi bien que les entreprises, et peut donc affecter le pouvoir d’achat des uns ou les coûts et les marges des autres. L’effet de revenu est par nature récessif affectant par exemple la consommation si la baisse des charges est financée à travers une hausse de la TVA, ou l’investissement, si la baisse des charges s’accompagne d’une baisse des subventions aux entre-

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prises ou d’une hausse de l’impôt sur les sociétés.

b. Le pari perdu de la baisse des charges sur le travail peu qualifié

La complexité des effets d'une baisse des charges met en lumière l’importance des modalités de sa mise en œuvre.

La France a retenu une approche ciblant les bas salaires, au béné-fice de l’ensemble des secteurs. Cette approche s'appuie essen-tiellement sur l’effet de substitution. C’est en effet sur les bas salaires que l’élasticité de substitution est la plus forte (voir 1.a et 2b). A l’inverse, elle n’accorde qu’une importance limitée à l’effet de compétitivité et aux entreprises les plus intégrées au com-merce international. Elargir les mécanismes d’exonération à l’en-semble de l’économie revient en effet mécaniquement à réduire la part des exonérations bénéficiant au secteur ouvert de l’écono-mie, et donc à amoindrir l'effet de compétitivité. Surtout, le ciblage des bas salaires n’intéresse guère les entreprises à forte ajoutée qui sont exposées à la concurrence internationale et dépendent essentiellement des travailleurs qualifiés.

Cet amoindrissement est d'autant plus dommageable que les exo-nérations de charges ont été en partie financées par des hausses de charges sur les salaires les plus élevés, et donc sur l’emploi qualifié. Sur la période 1998 - 2016, le montant total des cotisa-tions a ainsi progressé régulièrement passant de 15.6 à 16.7 % du PIB , alors qu’elle diminuait légèrement en Allemagne sur la période (de 14.3% à 14.1%) et qu’elle restait stable dans la zone OCDE, aux alentours de 9%. Les charges ayant baissé aux alen-tours du SMIC, cette hausse du revenu des cotisations a donc mé-caniquement été reportée sur les salaires les plus élevés. Ainsi, la France a abaissé le coût du travail non qualifié, au bénéficie prin-cipalement de son secteur abrité, et augmenté le coin fiscal pesant sur le travail qualifié, au détriment de ses entreprises

5 Source OECDstat

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exportatrices.

Plane (2012) montre d’ailleurs, dans une estimation ex ante du CICE, que celui-ci aurait un effet bien plus fort en termes de subs-titution que de compétitivité, ce dernier étant des plus modestes et comparable à l'effet revenu associé à cette mesure. L’effet de substitution entre le capital et le travail lié à la baisse du coût du travail conduirait à l’horizon de cinq ans suivant la mise en place de la mesure à la création de 128 000 emplois, alors que l’effet de compétitivité ne permettrait que de créer 50 000 emplois à l’hori-zon 2018 (figure 1). Le CICE créerait au total en 2018, seulement 152 000 emplois - essentiellement dans le secteur des services à faible valeur ajoutée - permettant une baisse du taux de chômage de 0,6 point.

Figure 1: les effets du CICE sur l'emploi (Source: Plane, 2012)

D'autres études ex-post souligneront que cet effet substitution

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attendu n’aura finalement pas été à la hauteur des espérances gouvernementales. Ainsi, le Comité de suivi du Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), chargé du suivi et de l'évalua-tion des aides publiques aux entreprises, effectuera une revue détaillée des premières années de mise en œuvre du dispositif en 2016, mandatant trois équipes de chercheurs (TEPP, LIEPP et OFCE). Ces dernières concluront que le dispositif aura essentiel-lement permis un redressement des marges des entreprises mais aura eu des effets incertains sur l'emploi, de l'ordre de 50 000 à 100 000 emplois peu qualifiés créés ou sauvegardés sur la période 2013-2014, associé à "un impact négatif sur l'emploi des cadres" (France Stratégie, 2016). Surtout, l'effet du dispositif aura été pratiquement imperceptible sur le front de la compétitivité, avec une "absence d'effet de court terme sur les exportations", et à terme à un effet positif du CICE sur les exportations compris entre 1,5 et 5,0 milliards d'euros.

Dans l’ensemble, si un consensus devait être dégagé des évalua-tions des mécanismes d’exonération, il conclurait aux effets limi-tés des mécanismes d’exonération de charges ciblant les bas salaires. Ainsi, les études les plus récentes (Jamet, 2005 ; Gafsi et al. 2004 ; Brunel et al, 2009, Gilles et al., 2016 ; Carbonnier et al., 2016), estiment que ces mécanismes ont permis de créer ou de sauvegarder moins de 200 000 emplois, ce qui implique une sub-vention moyenne supérieure à 100 000 euros par emploi créé. En 2017, Comité de suivi des aides publiques aux entreprises et des engagements (COSAPE, 2017) concluait dans son évaluation des exonérations générales de cotisations à une possible décrois-sance des rendements des dispositifs d’allégement de charges, la première vague d’exonérations (1992-98) ayant permis de créer ou de sauvegarder environ 350 000 emplois et la seconde vague (1998-2008) ayant eu des effets « sans doute plus faibles ». Dans l’ensemble, les effets du dispositif français demeuraient « débat-tus » tant par les experts que par les élus selon le COSAPE. Et aucune étude ne conclut à un impact véritablement fort, en parti-

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culier en proportion des ressources publiques consacrées aux allègements de charges sur les bas salaires.

c. La difficile remise en cause de l’approche française

Ce contraste entre les ambitions et les résultats obtenus, en par-ticulier sur le front commercial, met en lumière l’existence d’un "paradoxe de compétitivité" français. La baisse des charges est défendue au nom de la compétitivité, mais menée dans la pratique dans un but social, celui de protéger les salariés les moins quali-fiés des effets induits par le salaire minimum. Elle est défendue comme un instrument de baisse des coûts salariaux, mais se tra-duit dans les faits par une hausse du coût du travail qualifié – les hausses de cotisation des uns servant à financer les exonérations des autres -, c’est-à-dire des coûts de production du secteur ouvert de notre économie.

Ce paradoxe est pointé du doigt en particulier pour les respon-sables de l’industrie. Confrontés au dilemme des délocalisations et au dumping social des partenaires commerciaux de la France, ceux-ci dénoncent les répercussions d’une fiscalité mal ajustée sur l’attractivité du site France. Et en particulier la relation entre la sur-taxation du travail qualifié et l’affaiblissement continu de l’appareil productif national.

Ce propos sera étayé en 2015 par une étude (Koléda, 2015) prépa-rée pour le compte du Think Tank de l’Union des Industries et Mé-tiers de la Métallurgie, la Fabrique de l’Industrie. Celle-ci confir-mera empiriquement les observations des industriels, montrant à partir d’un modèle macroéconomique que le recentrage des exo-nérations sur le secteur exportateur pourrait augmenter significa-tivement les effets des exonérations, sur le PIB, l’investissement, et surtout, la balance commerciale. Ainsi l’allocation de 10 mil-liards d’exonération vers ce secteur se traduirait par une hausse du PIB de 0,63 % (contre 0,16 % avec l’approche actuelle), et par

6 Modèle MNSESIS, dont le développement a été assuré par l’équipe ERASME et �nancé par la DG recherche de la Commission européenne.

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par une amélioration du solde de la balance commerciale de 0,36 % du PIB (contre 0,22 % dans le scénario actuel) (voir tableau 1).

Tableau 1 : synthèse des principaux résultats de Koléda (2015)

Source : Koléda, 2015

Toutefois, les auteurs concluront à la nécessité de privilégier une approche alternative, ciblant les salaires intermédiaires dans tous les secteurs (scénario 2), au nom du respect du droit euro-péen de la concurrence. Estimant que le ciblage du secteur expor-tateur serait assimilé à une aide publique par Bruxelles, ils recommanderont de maintenir une approche par catégories sala-riées, les exonérations sur les salaires intermédiaires permettant de renforcer les industries et la compétitivité prix.

En réalité, les salaires intermédiaires se trouvent essentiellement dans les secteurs abrités de notre économie, si bien que le dispo-sitif proposé n’aurait que des bénéfices marginaux en comparai-son du scénario ciblant le secteur exportateur (voir tableau 1). Ainsi, l’investissement et le solde de la balance commerciale pro-fiteraient peu de ce nouveau ciblage, et le niveau général des

Scénario 1: ciblage bas salaire

Scénario 2: ciblage salaires intermédiaires

PIB (%) 0.16 0.26

Inves�ssement (% PIB) -0.01 0.01

Solde Bco (% PIB) 0.22 0.26

Emploi total 73'000 73'000

Dont industrie 22'000 30'000

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des créations d’emplois serait identique. Cette difficulté met en lumière les contraintes légales qui entourent les politiques secto-rielles d’exonération et méritent d’être débattues plus avant (voir la partie 4).

Par ailleurs, cette étude a suscité de vives critiques engageant sa crédibilité scientifique. D’abord, parce qu’elle était indirectement financée par l’industrie, donc possiblement orientée. Ensuite, parce qu’elle n’a fait l’objet d’aucune revue par les pairs de nature académique. Enfin, parce que certaines des hypothèses du modèle retenu seraient a priori biaisées, notamment celles concernant le comportement de marge des employeurs, les possi-bilités de rattrapage salarial ou encore les les élasticités de la demande d’emploi aux variations du coût du travail.

Pourtant, ces critiques demeurent peu convaincantes sur le fond. Elles reposent sur l’affirmation d’un consensus des économistes concernant le caractère optimal des baisses de charges sur les bas salaires, quel que soit le scénario alternatif considéré. Ce consensus voudrait aussi que les exonérations sur les salaires intermédiaires, même ciblées sur le secteur exportateur, seraient inefficientes, compte tenu du rattrapage salarial et des hausses de marge induites.

Aucune de ces deux assertions ne fait cependant l’objet d’un consensus véritable. La littérature économique est dans l’en-semble mesurée, pour ne pas dire sceptique, quant à l’efficacité des exonérations visant les bas salaires, estimant ses bénéfices faibles au regard du coût disproportionné qu’elle génère.

À l’échelle sectorielle, les élasticités de création d’emplois par rapport aux variations de coût sont particulièrement lacunaires est incertaines. Et pour cause : la France n’a pas d’expérience en matière de baisse sectorielle de charge. Ainsi les économistes ne peuvent raisonner qu’en terme théorique sur les possibles effets

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d’exonérations ciblées. Ils ne disposent pas de base empirique solide pour affirmer par avance qu’une baisse des charges sur les salaires intermédiaires, en particulier dans le secteur ouvert de notre économie, se traduirait nécessairement par un rattrapage salarial et/ou une hausse du taux de marge. Seule l’expérimenta-tion permettrait d’apporter des éléments de quantification précis quant à l’incidence fiscale d’une réorganisation de la politique de baisse des charges.

Dans ce contexte, il apparaît essentiel de réouvrir le débat sur la baisse des charges, en apportant une évaluation indépendante des effets que pourrait avoir un ciblage de tout ou partie des exo-nérations en direction du secteur ouvert de notre économie.

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2. Scénarios alternatifs de baisse de charges sociales, et éléments de méthodologie

a. Scénarios à l'étude

Dans la perspective d’évaluer les effets de l’approche française et de politiques alternatives, nous considérons trois scénarios dis-tincts :

Scénario de référence (S1 : approche actuelle), se tradui-sant par une exonération des charges pour l’ensemble des secteurs sur les seuls salaires compris entre 1 et 2,5 SMIC. Nous retiendrons comme hypothèse une exonération équi-valente à 25 milliards d’€ (COSAPE, 2017).

Scénario de compétitivité (S2 : équivalent compétitivité), ciblant les baisses de charges sur les secteurs exportateurs les plus performants en terme d'exportations additionnelle par euro d'exonération sociale. Sur la base de la méthodolo-gie présentée ci-après, ont été ainsi classés les différents secteurs exportateurs (voir annexe 1 pour le classement complet). Cette approche permet de distinguer un groupe d'exportateurs manufacturiers particulièrement sensibles aux baisses de charges (voir tableau 2).

Le montant total des exonérations est inchangé à 25 mil-liards d’euros, puisqu’il s’agit de tester une politique alter-native à la politique actuelle sans répercussion pour les finances publiques. Compte tenu du nombre limité d'em-plois concernés par ces secteurs, ces exonérations per-mettent de réduire de 40% le coût total du travail concerné.

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Tableau 2: les secteurs visés par les exonérations de charges (scénario 2)

Scénario de compétitivité renforcée (S3 : compétitivité ren-forcée), qui reprend l'approche du scénario 2 (baisse des charges pour l'ensemble du secteur manufacturier et élar-gissement à tous les salaires) mais accroît l’enveloppe des baisses de charges à 50 milliards d'euros, de sorte à inclure tout le secteur manufacturier, et la part des services et de l'agriculture dédiés à l'exportation. Ainsi, les services et l'agriculture bénéficient dans ce scénario du même niveau d'exonération de charges par emploi, mais au prorata de la production exportée.

b. Eléments de méthodologie

Nos estimations sont faites dans le cadre du Tableau Economique d’Ensemble de l’INSEE, sur la base d’une division de l'économie en 38 branches pour l'année 2014 (dernière année pour laquelle un jeu complet de données est mis à la disposition du public).

Pour estimer l'impact des différents scénarios d'exonérations, nous avons d'abord évalué l'impact de la baisse des charges sur

Exportations supplémentaires par md €

d'exonération (en mds €)

Emplois supplémentaires par md € d'exonération

(en milliers)

Industrie pharmaceutique 1.8 12.4

Fabrication de matériels de transport 1.3 11.0

Fabrication de produits informatiques, électroniques et optiques

1.3 13.0

Fabrication d'équipements électriques 0.9 12.3

Fabrication de textiles, industries de l'habillement, industrie du cuir et de la chaussure

0.9 19.7

Industrie chimique 0.9 8.5

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les coûts directs (baisse du coût de production dû à la réduction des coûts salariaux) et indirects (baisse du coût des intrants utili-sés), et ce branche par branche.

Nous avons pris ensuite en compte les trois effets analysés précé-demment :

Effet substitution. Nous considérons ainsi que les entre-prises substituent du travail au capital proportionnellement à la baisse du coût relatif. Nous retenons deux élasticités différentes conformément à la littérature (Plane, 2012) : une élasticité (0,45) pour les exonérations concernant les bas salaires, et une autre (0,3) pour les exonérations concernant l'ensemble des salaires. En effet, cette élastici-té décroit avec le niveau de qualification, pour s'annuler au-delà de deux fois le SMIC, travail et capital étant alors des facteurs de production complémentaires (figure 2).

Figure 2: Élasticité de l’emploi au coût relatif du travail selon le niveau de salaire brut et en fonction des déciles de salaires (source: Plane, 2012)

Sources: INSEE DADS 2010 hypothèses OFCE

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Nous calculons l’effet de substitution sur l'emploi en asso-ciant cette élasticité à la baisse du coût salarial pour chaque branche, et en retenant un taux de marge de 25 % pour l’industrie et de 50 % pour les services.

Avec Nsi: emplois de substitution dans la branche i; wi: coût salarial dans i; ei(N/w/r): l'élasticité de l'emploi au coût relatif du travail; et Tmi le taux de marge du secteur

Effet compétitivité. L'effet de compétitivité se calcule en deux temps: d'abord en estimant la variation des exporta-tions et de la production résultant de la baisse du coût du travail, puis, sur la base du ratio d'emplois par euro de pro-duction, est déduit le nombre d'emplois créés.

Les variations des exportations sont estimées branche par branche sur la base des élasticités à l’exportation fournie par la littérature (CEPII, 2014). Notons que les estimations des élasticités varient sensiblement selon les auteurs et surtout selon le niveau de décomposition sectorielle consi-déré. Il y a toutefois un consensus des économistes pour souligner que les exportations françaises demeurent sen-sibles aux variations de coût de production du fait de leur positionnement sur le moyen/haut de gamme, avec des élasticités variant entre 0.6 et 0.9, selon les secteurs et les estimations.

Avec Xi: les exportations de la branche i; Pxi, le prix des exporta-tions de la branche i; ei(X/P) l'élasticité des exportations de la branche au prix; et Tmi le taux de marge de la branche i

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Et,

Avec Nc: emplois de compétitivité dans la branche i; Xi: les expor-tations de la branche i; Ni l'emploi dans i et Yi la production de la branche i.

Nous retenons pour hypothèse que l'élasticité des importa-tions au coût des exportations est nulle, ce qui est admis dans la littérature (NATIXIS, 2016) mais mérite quelques explications. En effet, une baisse du coût de production favorise la production locale au désavantage des importa-tions, toutefois cet effet se trouve amoindri par la faible substituabilité de la production locale à la plupart des pro-duits importés. Surtout, les exportations progressent, entrainant avec elles une hausse de la consommation de produits intermédiaires importés. Les deux effets se com-pensant, l'élasticité des importations au baisse du coût du travail n'est pas nulle, mais suffisamment faible pour être négligée.

Effet revenu. L'effet revenu est calculé au prorata du coût des exonérations pour les finances publiques. Nous rete-nons comme hypothèse que le financement des exonéra-tions transite par une hausse de la TVA. Cette hausse de la TVA a, selon l'OCDE (2013), un effet multiplicateur réduit de 0.3, et une répercussion sur l'emploi de l'ordre de 8000 em-plois par milliard de TVA supplémentaire prélevé.

L'estimation est forcément approximative car nous n'utili-sons pas de modèle d'équilibre général, ni de modèle macroéconomique complet. Cependant, elle semble accep-table car conforme aux préconisations du modèle Mésange (Klein, 2010). Surtout, la méthodologie retenue est iden-tique pour les trois scénarios, si bien qu'elle ne biaise pas leur comparaison.

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3. Analyse des résultats: le recentrage des exonérations de charges sociales induirait un choc de l'offre pour l'indus-trie française

a. Scénario de référence (S1)

Dans ce scénario, qui simule la distribution actuelle des exonéra-tions, la répartition des exonérations suit peu ou prou celle des effectifs salariés. Ainsi, près de 70 % des exonérations sont allouées au secteur des services et un quart à l’industrie, confor-mément aux résultats obtenus par Plane (2012) dans le cadre de l'évaluation du CICE (tableau 3).

Tableau 3: synthèse des résultats du scénario de référence (S1)

L’essentiel des résultats obtenus est dû à l’effet de substitution entre travail et capital, qui induit une création brute d’emplois de 171 600 salariés (voir tableau 3). L’effet compétitivité est en revanche négligeable, avec 23 100 créations d’emploi et un impact commercial équivalent à moins de 0,5 % des exportations fran-çaises (+2.7 milliards d'euros). La faiblesse de cet effet de compé-titivité tient au "saupoudrage" des exonérations sur l'ensemble des secteurs de l'économie, qui ne permet de réduire les coûts salariaux que de 2.2%.

Le total des créations d'emplois résultant des trois effets asso-ciés aux exonérations s’élève à 142 700, résultat en ligne avec les

Coût FIPUExporta�ons supplémentaires

(en mds €)Emplois créés (en milliers) -

hors effet revenu

Agriculture 0.98 0.17 27.60

Industries 6.30 1.81 39.80

Services 17.70 0.70 127.30

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estimations faites pour le CICE (voir 1.b). L’essentiel de ces créa-tions d’emploi correspond à des emplois peu qualifiés dans le sec-teur des services.

Il est à noter que le coût net des exonérations est moindre que le montant brut annoncé par les autorités. Ainsi, près de 15 % des exonérations (3,3 milliards sur 25) sont récupérés indirectement via les cotisations sur les emplois créés et à travers l’impôt sur les sociétés lié aux marges supplémentaires des entreprises (voir le tableau 4).

Tableau 4: décomposition des effets du scénario de référence(S1)

b. Scénario de compétitivité (S2)

Le scénario S2 est radicalement différent du précédent, concen-trant les exonérations de charges sur le secteur industriel, à priori plus sensible aux évolutions des coûts de production du fait de son exposition à la concurrence internationale. Les secteurs ma-nufacturiers retenus sont ceux dont les exportations révèlent la plus grande sensibilité aux variations du coût du travail (voir 2.a).

Sur le front de l’emploi, l’effet total de S2 est d'une magnitude comparable au scénario précédent, avec cependant un total de création supérieur de 10 %. Surtout, la nature des emplois créés diffère sensiblement entre les deux scénarios. Ces créations

EFFET TOTALEFFET

COMPETITIVITEEFFET

SUBSTITUTIONEFFET REVENU

Total coût brut FIPU (mds €)

25.0

Total coût net FIPU (mds €)

21.7

Impact exportations (mds €)

2.7Impact

exportations2.7

Impact exportations

0.0Impact

exportations0.0 

Impact emplois (en milliers)

142.7Impact

emplois23.1

Impact emplois

171.6Impact

emplois52.0

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résultent de l’effet de compétitivité pour les industries concer-nées et se concentrent à 80 % sur ces secteurs. Ainsi, les 208 000 emplois créés dans représentent une hausse de l’emploi de 12 % pour les secteurs concernés par les exonérations.

De plus, l’impact de ce recentrage sur les industries se traduit par un bond des exportations de plus de 20 milliards d’euros, soit une hausse de 3,5 % des exportations totales pour l'année de réfé-rence (2014) et de 5,2 % pour les exportations industrielles. Un tel rebond des exportations se traduirait par une baisse du déficit commercial de la France correspondant à 37.8% du déficit pour l'année considérée dans ces travaux (2014).

Notons que l’impact sur les finances publiques est logiquement moins favorable que dans le premier scénario, car les exonéra-tions ciblent ici le secteur industriel qui, par hypothèse (voir 2b), a un taux de marge moindre que le secteur des services. Ainsi les revenus obtenus à travers le surplus de l'impôt sur les sociétés sont amoindris.

Tableau 5: décomposition des effets du scénario S2

Sur le plan sectoriel, l'essentiel des 25 milliards d'exonération se concentre sur la fabrication d'équipements électriques, électro-niques, informatiques et équipements (9.9 milliards d'€); sur la fabrication de matériels de transport (6.9 milliards d'euros €); et

EFFET TOTALEFFET

COMPETITIVITEEFFET

SUBSTITUTIONEFFET REVENU

Total coût brut FIPU (mds €)

25.0

Total coût net FIPU (mds €)

22.8

Impact exportations (mds €)

20.3Impact

exportations20.3

Impact exportations

0.0Impact

exportations0.0 

Impact emplois (en milliers)

156.5 Impact emploi 122.6Impact emploi

88.6 Impact emploi 54.7

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sur l'industrie chimique (4.2 milliards d'€). Les autres secteurs inclus (Fabrication de textiles, industries de l'habillement, indus-trie du cuir et de la chaussure; industrie pharmaceutique) obtiennent 3.8 milliards d'euros d'exonération. Ces différents secteurs représentent 787 500 emplois, soit 4% de l'emploi total, mais assurent 49.1% des exportations françaises. Ainsi, l'effet des exonérations se trouve démultiplié du fait du faible nombre de salariés concerné, permettant de réduire de 40% le coût du tra-vail, ce qui induit des baisses considérables de coût de produc-tion, s'échelonnant entre 9.5% (industrie chimique) et 21.2% (Fa-brication de produits informatiques, électroniques et optiques), avec une moyenne de 14.3% (voir tableau 6).

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Tableau 6: détails sectoriels du scénario 2 (S2)

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6.101 Production par branche à prix courants

6.208 Emploi intérieur total

par branche en nombre de personnes

5.401 Exportations de biens et de services par

produit à prix courants

Allocation des

exonérations

Baisse coût production (effet

direct)

Baisse coût production (effet

indirect)

Fabrication d'équipements

électriques, électroniques,

informatiques ; fabrication de

machines

80.2 323.5 82.3 9.9 14.1% 3.9%

Fabrication de produits

informatiques, électroniques et

optiques

23.2 82.8 28.1 3.2 17.2% 3.9%

Fabrication d équipements électriques

20.4 83.5 18.5 2.5 12.9% 3.9%

Fabrication de machines et

équipements n.c.a.36.7 157.2 35.7 4.2 13.0% 3.9%

Fabrication de matériels de

transport114.0 196.2 97.8 6.9 6.6% 3.9%

Autres secteurs 106.9 267.8 103.0 8.2

Fabrication de textiles, industries de

l'habillement, industrie du cuir et de la

chaussure

15.9 107.0 20.1 1.7 11.5% 1.7%

Industrie chimique 65.9 115.0 54.7 4.4 7.8% 1.7%

Industrie pharmaceutique

25.1 45.9 28.2 2.1 11.7% 1.7%

TOTAL 301.1 787.5 283.2 25.0 11.5% 2.9%

% TOTAL ECONOMIE FRANCAISE

9.3% 4.0% 49.1%

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c. Scénario de compétitivité renforcée (S3)

Le scénario S3 s'inscrit dans la logique du précédent, mais inclut toutes les branches manufacturières, et vise la part exportatrice des services et de l'agriculture, en prévoyant pour ces derniers des exonérations au prorata de la part de la production exportée (voir note méthodologique 2.b).

En terme d’emploi, l’impact est soutenu, de l’ordre de 347 200 créations nettes d’emploi, dont 261 600 emplois créés du fait de l'effet de compétitivité. Ces créations se concentrent sur l'indus-trie qui crée 285 300 emplois, soit une hausse de près de 17% de l'emploi industriel en France (voir tableau 7).

L’impact sur les exportations est encore plus spectaculaire, représentant une hausse de près de 6 % des exportations totales, et de 11 % des exportations industrielles. Sur la base du déficit commercial de 2014, ce rebond des exportations repré-sente une réduction de 63.6% du déficit commercial.

Naturellement, le coût budgétaire augmente en conséquence, avec un montant brut de 50 milliards d'€ correspondant à un doublement des exonérations versées. En net toutefois, ce coup de s’élève à 43,8 milliards d'€, soit un surcoût de 22,1 milliards par rapport aux dépenses publiques consacrées actuellement aux exonérations de charges sociales. Il reste que ce surcoût, correspondant à 1,1 % du PIB, n’est pas à priori insurmontable pour les finances publiques, et doit être rapporté aux bénéfices substantiels de cette mesure, qui se traduirait par une baisse de près de 60 % du déficit commercial (voir tableau 10), toutes choses étant égales par ailleurs.

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Tableau 7: décomposition des effets du scénario S3

Sur le plan sectoriel, l'essentiel de l'effort budgétaire reste concentré sur les industries qui absorbent 65% des exonérations, ce qui est logique compte tenu du fait que l'ensemble des emplois dans les secteurs manufacturiers sont couverts, alors que seuls ceux impliqués dans les activités d'exportation sont inclus pour les services et l'agriculture. Les baisses de coût de production sont aussi marquées, oscillant entre 7.1% dans l'agriculture et 15% dans les services (voir tableau 8).

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EFFET TOTALEFFET

COMPETITIVITEEFFET

SUBSTITUTIONEFFET REVENU

Total coût brut FIPU (mds €)

50.0

Total coût net FIPU (mds €)

43.8

Impact exportations (mds €)

34.2Impact

exportations34.2

Impact exportations

0.0Impact

exportations 0.0

Impact emplois (en milliers)

347.2 Impact emploi 261.6Impact emploi

190.7 Impact emploi 105.1

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Tableau 8: détails sectoriels du scénario 3 (S3)

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6.101 Production par branche à prix

courants

6.208 Emploi intérieur total par branche

en nombre de personnes

5.401 Exportations de

biens et de services par

produit à prix courants

Allocation des

exonérations

Baisse coût production

(effet direct)

Baisse coût production

(effet indirect)

AGRICULTURE, SYLVICULTURE ET

PECHE88.2 750.5 15.3 0.7 6.0% 1.1%

INDUSTRIES 892.7 2'990.7 430.6 32.5 10.2% 2.6%

SERVICES PRINCIPALEMENT

MARCHANDS1'966.7 13'559.1 130.7 16.8 14.5% 0.5%

Commerce de gros et de détail, transports,

hébergement et restauration

683.3 6'119.0 36.9 4.7 15.5% 0.5%

Information et communication

181.2 808.3 14.6 1.9 14.7% 1.1%

Activités financières et d'assurance

214.9 783.9 11.8 1.1 11.2% 0.1%

Activités scientifiques et

techniques ; services

administratifs et de soutien

490.5 3'936.4 63.7 9.1 16.4% 0.5%

Autres services 396.7 1'911.5 3.7 0.0 0.0% 0.5%

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d. Synthèse des résultats

La comparaison des différents scénarios met en évidence le rôle stratégique des industries et de certains services exportateurs dans l'optimisation des politiques d'exonération de charges sociales. En terme de création d'emplois, l'écart entre une poli-tique visant les bas salaires et celle orientée vers l'ensemble des salaires de l'industrie est réduit (même si le contenu des emplois créés diffère), mais il est très significatif en terme de compétitivi-té (voir tableau 9).

Tableau 9: les effets d'une baisse de 1 milliards d'€ de charges sociales par secteur

La comparaison des différentes simulations souligne en effet le gain que pourrait tirer notre pays et son économie en réorientant les exonérations de charges vers le secteur exportateur :

Une hausse substantielle des exportations (de 3,5% (S2) est à 5,9 % (S3) du total des exportations), synonyme de baisse très significative du déficit commercial (de 38 % à 64 % - voir tableau 10). Cette estimation de la réduction du déficit commercial repose sur l’hypothèse d’une élasticité négli-geable des importations au coût des exportations (voir note méthodologique 2.b).

Un impact plus fort sur les créations d’emplois sur le plan quantitatif mais surtout qualitatif. Sur le plan qualitatif en effet, le recentrage se traduit logiquement par la substitu-

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Exportations supplémentaires par mds € d'exonération (en mds €)

Emplois supplémentaires par mds € d'exonération (en milliers)

Agriculture 0.18 28.12

Industries 0.29 6.32

Services 0.04 7.19

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tion d’emplois qualifiés a priori mieux rémunérés aux em-plois de services moins rémunérés et peu qualifiés. Sur le plan quantitatif, l’impact est plus fort aussi, de plus 10 % entre S1 et S2, et de plus de 112 % entre S1 et S3 (pour un coût budgétaire double il est vrai).

Une dynamique industrielle nouvelle. Alors que le S1 s’ac-compagne d’un saupoudrage de ressources publiques et d’une baisse des coûts de production pratiquement invisible (de 2.2 % en moyenne), le recentrage permettrait de massi-fier l’impact sur quelques secteurs, et de créer un véritable choc de l’offre sectoriel. Avec des baisses de coûts de pro-duction supérieure à 20 % dans certains secteurs clés, il est à espérer non seulement une hausse rapide des exporta-tions, mais surtout un accroissement marqué de l’investis-sement industriel à moyen terme. Ainsi, le recentrage parti-cipe d’une logique de rétablissement de l’attractivité du site France pour des secteurs qui continuent de former l'essen-tiel de notre force de frappe à l’exportation. Il permettrait d’envoyer un signal clairement perceptible aux investis-seurs français, mais également étrangers et multinatio-naux, sur l'avantage fiscal associé à l’investissement sur notre territoire.

Tableau 10: comparaison des trois scénarios

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S1 Scénario de référence

S2 compétitivité

S3 compétitivité renforcée

Total coût brut FIPU (milliards €) 25.0 25.0 50.0

Total coût net FIPU (milliards €) 21.7 22.8 43.8

Impact emplois (milliers emplois) 142.7 156.5 347.2

Impact emplois industrie et services aux industries

39.8 208.4 285.3

Impact exportations (milliards €) 2.7 20.3 34.2

% exportations base 2014 0.5% 3.5% 5.9%

% déficit commercial base 2014 5.0% 37.8% 63.6%

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4. Quel cadre légal pour permettre un centrage des exoné-rations sur le secteur ouvert de notre économie ?

Les exonérations fiscales de nature sectorielle relèvent du droit européen des aides publiques. A ce titre, elles sont strictement encadrées par les articles 107 et 108 du Traité de Rome, qui posent le principe de l'interdiction, sauf exception, des "aides d'Etat", qui peuvent être positives (subventions) ou négatives (exonérations). Cette interdiction par le droit européen vise à garantir le caractère impartial des Etats Membres dans le jeu concurrentiel sur le marché unique, une aide étant susceptible d’introduire une distorsion. Les entreprises bénéficiaires sont avantagées par rapport aux entreprises étrangères qui n’en béné-ficient pas.

Le contrôle des aides d’Etat est effectué par la Commission euro-péenne, et vise à la fois les aides existant déjà, et les nouvelles. Ces dernières doivent faire l’objet d’une notification de l’Etat Membre concerné à la Commission, qui a deux mois pour invalider cette aide si nécessaire. La Commission affirme son ambition de voir les aides réduites au maximum, et s’efforce d’encadrer stric-tement les exemptions, en particulier depuis 2012, suite à son initiative de "modernisation de la politique en matière d'aides d’État". Cette initiative a permis de restreindre fortement les libertés des Etats Membres en matière d’aide à la recherche et à l'innovation, à la création d'emplois, à la croissance économique et à la cohésion sociale.

Ainsi, il ne fait guère de doute qu’une exonération de charges sociales au bénéfice du secteur manufacturier et de quelques groupes d’exportateurs de services serait jugée par la Commis-sion incompatible avec le Traité de Rome. Et ce, même si l’on est en droit de s’interroger sur le caractère loyal du jeu concurrentiel dans un espace économique aussi disparate en termes d’obliga-tions pour les employeurs (figure 3),), tant en termes de charges

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sociales que de rémunération minimale. Politiquement, il serait aisé, et certainement nécessaire pour le maintien des droits des travailleurs français, de défendre une autre vision de la concur-rence, assurant des conditions équitables pour les employeurs, avec une harmonisation des taux de cotisation et des revenus minimum. Et de considérer les exonérations sectorielles comme des mesures de compensation au dumping social dans certains Etats de l’Union Européenne et en dehors.

Figure 3: les charges sociales en Europe (% PIB)

Source : OECDstat

Toutefois, la religion de la Commission européenne sur les aides publiques est bien connue. Elle a déjà pris position contre les exo-nérations sectorielles de charges sociales. Ainsi, elle a exigé en 1999 du gouvernement belge qu’il abroge le mécanisme de réduc-tion de cotisations sociales sur les emplois ouvriers qu’il avait introduit en 1981 dans le cadre de son programme Maribel. La Commission européenne avait jugé que le dispositif s’apparentait

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à une forme de « concurrence déloyale ». La loyauté supposant visiblement pour Bruxelles d’aligner ses exigences sociales sur le moins disant social européen – ou d’accepter de voir mourir ses entreprises industrielles.

Serait-il possible d’établir un mécanisme d’exonération ciblé sur le secteur ouvert qui n’ait l’apparence d’une aide sectorielle ? Par exemple en liant les exonérations de charges sociales au niveau de dépenses en recherche et développement ? Ces dépenses étant plus élevées dans les entreprises industrielles et dans le reste du secteur exportateur, elles pourraient constituer un critère per-mettant de discriminer utilement l’allocation d’exonérations au nom du soutien à l’innovation. Cependant, un mécanisme de sou-tien à l’innovation sous forme d’exonérations de charges sociales semble devoir se heurter aussi au véto européen, les conditions de soutien à l’innovation étant particulièrement strictes depuis 2012. Il ne pourrait vraisemblablement s’appliquer qu’aux personnels directement impliqués dans les activités de recherche et dévelop-pement - comme c’est le cas dans le dispositif Jeune Entreprise Innovante mis en place en 2004 en France .

Il ne reste fondamentalement que l’option d’une refonte fiscale plus large pour permettre de mieux protéger le secteur exporta-teur des excès fiscaux qui ont contribué à son affaiblissement. Il s’agirait de généraliser la baisse des cotisations à l’ensemble des secteurs (ouvert et fermé), et compenser la baisse correspon-dante de revenus par des impôts sectoriels portant seulement sur la partie protégée de notre économie. Il pourrait s’agir de taxes sur le chiffre d’affaires propres à chaque secteur, inspirée de la Taxe Télécom , qui n’aurait pas d’incidence sur le niveau général de la taxation à l’échelle sectorielle (la nouvelle taxe correspondant au niveau des cotisations sociales perçues dans le système actuel). Cette substitution fiscale n’affecterait ni la rentabilité des entre-prises, ni le pouvoir d’achat des ménages, et permettrait acces-soirement d’amplifier les bénéfices des exonérations ciblées en Le dispositif « Jeune entreprise innovante » (JEI) a pour objectif de soutenir l’e�ort de recherche et d’innovation des jeunes PME les plus innovantes (dont les dépenses en R&D représentent au moins 15% de leurs dépenses totales), en leur octroyant une exonération des charges sociales relatives aux emplois hautement quali�és impliqués dans la R&D. La taxe télécoms — ou taxe Copé — est une taxe assise sur le Chi�re d’A�aires des opérateurs de télécommunica-tions de France — SFR, Orange, Free et Bouygues Telecom —, instaurée en mars 2009. Son taux et ses recettes correspondantes ont progressé pour atteindre 1.3% en 2015.

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terme de création d’emplois, en favorisant les embauches dans le secteur protégé.

Une telle manœuvre pourrait être perçue par les autorités euro-péennes de la concurrence comme un moyen détourné de réduire les coûts de production du secteur ouvert de notre économie, les taxes sur le chiffres d’affaires ne s’appliquant pas aux secteurs identifiés comme stratégiques. Mais elle serait difficilement parable, les Etats Membres restant pleinement compétents en matière de « création fiscale ». Cette réforme fiscale ne devrait faire l’objet d’aucune notification en lien avec les articles 107 et 108 du Traité de Rome et ne pourrait être assimilée à une aide publique. Dès lors, elle permettrait de transférer le financement de la protection sociale vers le secteur abrité de notre économie sans enfreindre le cadre concurrentiel européen.

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Conclusion

La France a fait le pari de la baisse des charges sur le travail peu qualifié. Agissant comme un filet de protection et comme un antidote à un salaire minimum plus élevé qu’ailleurs, les exonérations de charges "à la française" ont une fonction sociale évidente.

Cependant, cette approche n’est optimale ni sur le plan écono-mique – elle est même sans effet significatif pour notre com-pétitivité - ni sur le plan social. Dans le contexte d'une écono-mie fragilisée par la hausse généralisée de la fiscalité, elle n'a pas permis de lutter efficacement contre le chômage de masse des moins qualifiés, et de réduire significativement le coût du travail pour les entreprises les plus exposées à la concurrence internationale.

A l'inverse, cibler ces exonérations précisément sur le secteur le plus ouvert de notre économie permettrait de réduire nota-blement le coût du travail, à tous les niveaux de qualification considérés, pour les secteurs les plus sensibles à ces baisses de coûts. Ce recentrage s'accompagnerait, selon nos estima-tions, d’un rebond des exportations et de la production indus-trielle. Ainsi, il formerait le fondement d’un choc de l’offre attendu, synonyme de reprise de l'investissement.

Cette réorientation stratégique appelle plus généralement à repenser les politiques de baisses de charges et d'impôt comme un moyen de sanctuariser le secteur exportateur de notre économie. Et à remettre la séquence économique dans sa logique naturelle - c’est en effet par le redressement com-mercial que pourront s'opérer la reprise de l’investissement et le retour au plein emploi. L’essentiel des dispositifs allégeant les prélèvements obligatoires des entreprises doit réduire le coin fiscal qui pèse sur la compétitivité nationale, c’est-à-dire sur nos exportateurs de biens et de services et leurs sous-trai-tants directs. C’est par cet enchaînement que la politique d’exonération est susceptible d’induire des gains d'efficience économique sensibles.

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Conclusion

Il reste que cette ré-orientation stratégique est rendue déli-cate du fait des règles concurrentielles de l’Union économique et monétaire, et de la lecture particulièrement restrictive qui en est fait par la Commission Européenne. Une exonération d’impôt ou de charges à l’attention d’un secteur est par nature anti-concurrentielle pour Bruxelles, même si, dans la réalité, elle vient en compensation du dumping social pratiqué par certains Etats Membres. Ce dumping, qui s’observe en Europe dans tous les domaines de la fiscalité susceptibles d’affecter la compétitivité et l’attractivité d’un pays, ne pose pas de pro-blème aux autorités de la concurrence européennes. Ce qui leur pose problème, c’est d’introduire des exemptions de nature sectorielle à des règles fiscales générales.

Donc, la question de l’allègement des charges pesant sur le secteur ouvert, qui est centrale dans la séquence du redresse-ment commercial et industriel, nécessite une réorganisation fiscale touchant l’ensemble des secteurs de notre économie. Elle suppose en effet une généralisation de l’exonération de charges à tous les secteurs, et la mise en place de substituts fiscaux aux cotisations sociales pour les secteurs abrités de notre économie qui pourront ainsi assumer le financement patronal de la protection sociale en France. Mais elle impli-quera aussi que s’engage un combat politique essentiel pour notre pays, dans la mesure où il doit lui permettre de faire reconnaitre par l’Europe le droit à préserver son système social et ses intérêts industriels en différenciant le finance-ment de la protection sociale selon les secteurs.

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Références

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France Stratégie, 2016. Comité de suividu Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi Rapport 2016.

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NATIXIS, 2016. Flash économie: Dépréciation du taux de change: deux conditions pour qu’elle soit efficace. 18 octobre 2016 - 1120

NATIXIS, 2017. Flash économie: Comprendre les effets d’une dévaluation. 1 mars 2017 - 279

OCDE, 2013. Études économiques de l'OCDE : France 2013

Plane, M., 2012. "Évaluation de l'impact économique du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE)", Revue de l'OFCE, n°126, février 2012.

Trésor Eco., 2014. La lettre, n° 122 Janvier 2014. Quel positionnement « hors-prix » de la France parmi les économies avancées ?

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Annexe 1: efficience des baisses de charges sociales par branche

Exportations supplémentaires par mds €

d'exonération (en mds €)

Emplois supplémentaires par mds € d'exonération (en

milliers)

Agriculture, silviculture et pêche 0.2 28.1

Industries extractives 0.8 10.6

Production et distribution d'électricité, de gaz, de vapeur et d'air conditionné

0.0 3.9

Production et distribution d'eau ; assainissement, gestion des déchets et

dépollution0.1 7.9

Fabrication de denrées alimentaires, de boissons et de produits à base de tabac

0.2 11.1

Cokéfaction et raffinage 2.2 9.9Fabrication de produits informatiques,

électroniques et optiques1.3 13.0

Fabrication d équipements électriques 0.9 12.3Fabrication de machines et équipements n.c.a. 0.8 12.0

Fabrication de matériels de transport 1.3 11.0

Fabrication de textiles, industries de l'habillement, industrie du cuir et de la chaussure

0.9 19.7

Travail du bois, industries du papier et imprimerie 0.2 9.7

Industrie chimique 0.9 8.5Industrie pharmaceutique 1.8 12.4

Fabrication de produits en caoutchouc, en plastique et d'autres produits minéraux non

métalliques0.3 9.6

Métallurgie et fabrication de produits métalliques, hors machines et équipements

0.3 9.4

Autres industries manufacturières ; réparation et installation de machines et d'équipements

0.3 8.4

Construction 0.0 5.9Commerce ; réparation d'automobiles et de

motocycles0.0 6.3

Transports et entreposage 0.1 5.9Hébergement et restauration 0.0 8.0

Édition, audiovisuel et diffusion 0.0 3.6Télécommunications 0.1 3.5

Activités informatiques et services d'information 0.1 3.7

Activités financières et d'assurance 0.0 3.8Activités immobilières 0.0 5.1

Activités juridiques, comptables, de gestion, d'architecture, d'ingénierie, de contrôle et

d'analyses techniques0.0 4.2

Recherche-développement scientifique 0.1 6.2Autres activités spécialisées, scientifiques et

techniques0.1 7.5

Activités de services administratifs et de soutien 0.1 8.0

Agriculture 0.18 28.12Industries 0.29 6.32

Services 0.04 7.19

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