Face à Face Louis Michel/Philippe Lamberts

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02 FAIT DU JOUR > LES GRECS AU BORD DU GOUFFRE 03 LES GRECS AU BORD DU GOUFFRE > FAIT DU JOUR www.dhPbe I VENDREDI 24 FÉVRIER 2012 I LA DERNIÈRE HEURE - LES SPORTS LA DERNIÈRE HEURE - LES SPORTS I VENDREDI 24 FÉVRIER 2012 I www.dhPbe COMMENTAIRE Logique n’est pas grec Des files, des bousculades. Dans l’attente d’une consultation médicale. Des scènes qu’on imagine difficilement voir naître en Grèce. On ne noircit pourtant pas le tableau. Une femme sort d’un centre de soins, furieuse, proférant (ce qu’on traduit assez rapidement comme) des insultes à l’encontre des médecins volontaires qui ne peuvent, avec leurs maigres moyens, réaliser des miracles. Les soins de santé, désormais, se dispensent à la chaîne à Athènes. Et beaucoup pleurent un certain paradis perdu. C’était mieux avant. Pour les Grecs, c’est sûr. Un job garantissait un accès quasi gratuit aux soins de santé. C’était aussi l’époque, nous confie un jeune pragmatique, où la population contractait un prêt pour… partir en vacances. Insouciance oubliée. Aujourd’hui, après un an de chômage, l’accès aux soins de santé devient payant. C’est d’une logique imparable : pas d’emploi = pas d’argent = intérêt à avoir le cœur et le corps solides. Sinon, il reste l’option, nous glisse-t-on encore, d’emprunter de l’argent pour payer ses traitements médicaux. C’est ironique, bien sûr. CQFD : ainsi naissent les files devant les centres de charité. PAR CHARLOTTE VANBEVER 1 1 er mars. Date à laquelle les ministres européens des Finances feront le point sur la situation grecque. Les avis des Athéniens sur le su- jet divergent rarement. Car si l’un et l’autre ne sont pas forcé- ment favorables aux diktats des puissances financières euro- péennes, beaucoup s’accordent à dire que le cœur du problème réside dans la politique grecque. En avril prochain, des élections anticipées se tiendront en Grèce, alors que le parti (de droite) du Premier ministre en place, Lucas Papademos, ne récolterait mê- me pas ¼ un quart des voix. Un peu court pour être majoritaire. Ces législatives, c’est sous le si- gne des extrêmes qu’elles se présentent. Les Grecs n’ont plus confiance ni en la droite ni en la gauche. Les trois partis très à gauche, dont le communiste KKE, dépassent ensemble (“mais qui s’allieraient difficilement”, nous dit un protestataire) dans les sondages les 35 % de voix fa- vorables. L’extrême droite en récolterait 5 %. Soit de nouvelles complications en vue… Ch. V. Législatives des extrêmes EN 6 MOIS, le nombre de repas servis a doub lé 8 Le plus grand centre de charité d’Athènes distribue désormais aussi vêtements et médicaments ENVOYÉE SPÉCIALE EN GRÈCE CHARLOTTE VANBEVER A Il est un peu plus de midi à Athènes. Sous une pluie bat- tante, quelques sans-abri affi- chent leur misère. Les autres se cachent. Mais pas dans les pa- roisses. La majorité d’entre elles, dans le centre de la ville, est ver- rouillée. On se demande alors où cette dizaine de milliers de nouveaux errants (20.000, selon les plus pessimistes) trouvent refuge à Athènes. Réponse : derrière une porte bleue. Un bâtiment de fortune, siège du Fonds de charité de la ville. Dans la cour de ces bu- reaux établis voici 7 ans, on sert, désormais trois fois par jour, des repas pour la population dans le besoin. C’est, aujourd’hui, le plus important centre d’aide aux plus démunis d’Athènes. Son directeur, George Aposto- lopoulos, ne s’en réjouit pas. D’autant plus qu’il est arrivé à la tête de cette fondation il y a 6 mois, quand la situation est de- venue plus catastrophique et désespérée que tragique… “En- tre 2010 et 2011, le centre a ac- cueilli 50 % de gens en plus. Mais ces 6 derniers mois, c’est une aug- mentation de 200 % du nombre de nécessiteux qu’on a constatée.” Soit, chaque jour, environ 2.500 Athéniens dans le besoin. SANS AUCUNE RESSOURCE, ces vic- times de la crise calment d’abord, un peu, leur estomac. Par du pain, des tomates, du poulet et du fromage, principa- lement, que la fondation, sous l’égide de la municipalité d’Athènes, mais aussi l’Église or- thodoxe, met à leur disposition. “Sans oublier les donations de cer- taines personnes et de quelques compagnies.” Le rush, l’heure à laquelle les Athéniens se bousculent pour un bol de soupe, c’est en plein après-midi, à 15 h. 1.000 repas sont alors servis. “Et ce sont prin- cipalement des Grecs qui se pré- sentent. Au fil du temps, on a ap- pris à les connaître. Beaucoup sont pensionnés. D’autres sont ce qu’on appelle les nouveaux pauvres, des Athéniens qui avaient de l’argent et un boulot et ont tout perdu. On voit aussi de plus en plus de fa- milles nombreuses où les parents doivent nourrir leurs enfants…” Dans son bureau, George croule sous la paperasse. Classés selon leurs besoins, seuls les Athéniens remplissant les critè- res de pauvreté bénéficient d’un droit d’accès au centre pendant six mois. L’Église orthodoxe, elle, “offre des repas à tous les nécessiteux”, sans sélection. Entre ces murs-ci, sur l’une des principa- les artères d’Athènes, mais aussi, plus confidentiellement, dans d’autres parties de la ville. Et “dire qu’il y a encore deux ans, ces distributions de nourriture étaient principalement à destina- tion des sans-papiers issus du Moyen-Orient”LE CONSTAT est terrible. La fon- dation répond, pour l’instant, aux besoins vitaux de ces Athé- niens ”qui n’ont plus un euro en poche ou même plus de toit au- dessus la tête”. Mais pour com- bien de temps ? “On a peur que ça explose ! Déjà, on aurait besoin de locaux plus vastes”, se plaint George Apostolopoulos. Dans les escaliers de l’établis- sement, dans le couloir menant à la cour extérieure, des centai- nes de caisses, débordant de vê- tements, sont entassées. Parce que la fondation, qui compte 60 employés à temps partiel, a élargi ses activités de charité. Et : Dans une des artères principales d’Athènes, derrière une porte bleue, sont entreposées des centaines de caisses de vêtements et, 3 fois par jour, on y distribue de la nourriture. © JC GUILLAUME Une aide de 130 milliards d’euros a été accordée à la Grèce, dans la nuit de lundi à mardi, en échange de la mise en place d’un plan d’austérité sans précédent. POUR Il est évidemment facile de dire qu’on en demande trop aux Grecs. Mais cette population a vécu longtemps avec trop peu de règles. On ne peut pas laisser un pays faire ce qu’il veut sur le plan fiscal. En Belgique, par exemple, il n’est pas rare d’avoir un taux d’imposition de plus de 50 %. Les dirigeants grecs n’ont pas eu le courage de dire la vérité aux gens. Ils ont vécu pendant des années au-dessus de leurs moyens. Ils n’ont pas assez conscien- tisé le pays sur la nécessité de la rigueur. Ils doivent en assumer les conséquences aujourd’hui. Je comprends la réaction hostile des pays (NdlR : de l’Allemagne avant tout) à qui on demande d’aider les mauvais élèves de la classe alors qu’eux-mêmes ont bien géré leur baraque et qu’ils ont osé dire la vérité à la population. C’est un peu comme la fable de La Cigale et la FourmiLa Grèce ne pouvait pas continuer comme cela dans la mauvaise gestion. Elle doit prendre les mesures qui s’imposent. Même si c’est douloureux. Mais, vous savez, aucun politique n’impose l’austérité pour le plaisir. D’ailleurs, je pense que la solution idéale aurait été l’émission d’obligations européennes qui auraient permis en partie d’épon- ger la dette souveraine des pays et de financer de grands travaux, de grands secteurs. C’est la position que le groupe libéral au Parlement européen défend. Cela aurait peut-être permis d’avoir un plan de sortie de crise plus soft… Pour conclure, je voudrais m’interroger sur la société consumériste actuelle. Si le pouvoir d’achat pose problème aujourd’hui, c’est en grande partie parce que de nouveaux besoins sont apparus : les GSM, les iPad, les vacances, etc. Je ne critique pas cela. Mais il faudrait peut-être com- mencer à réinitier un autre mode de consommation et se reconcentrer sur les priori- tés. LOUIS MICHEL, DÉPUTÉ EUROPÉEN MR CONTRE Premièrement, je constate que c’est déjà la troisième fois que ce plan d’aide – le deuxième pour la Grèce – est approuvé ! On peut s’interroger sur la crédibilité de décideurs qui décident mais n’exécutent pas… Et cela aussi bien dans le chef des Grecs que des dirigeants européens. Pour les premiers, à cause de promes- ses non tenues – parce que le parti socialiste local (le Pasok) veut préserver un système clientéliste qui ferait rougir le PS wallon… Pour les seconds, parce qu’ils restent englués dans une sorte de rancœur morale. Ils se disent que les Grecs ont péché. Donc, qu’ils doivent payer. Et plus ça fait mal, meilleur c’est… Deuxièmement, les conditions liées à ce prêt – il s’agit bien d’un prêt, pas d’un don – sont économiquement contre-productives. Atteindre un tel niveau d’austérité empêche toute perspective de relance économique dans le pays. Certes, la Grèce a été gérée en dépit du bon sens par la classe politique. Il est évident que les vacances ne peuvent pas durer éternellement. Et dire que l’on va ramener la Grèce sur le bon chemin sans douleur est faux. Mais si on demande des efforts à la population, il faut tenir compte de trois choses. Un : ces efforts doivent remettre le pays sur pied. Deux : ils doivent être justes, tout le monde doit y contri- buer selon ses moyens. Trois : ils doivent être décidés de manière légitime. Or, aucun de ces trois éléments n’est rencontré… Les efforts sont inefficaces, injustes (quid des armateurs ou de l’Église orthodoxe ?) et illégitimes puisque la Grèce adopte un plan d’austérité avec un fusil sur la tempe… Ce qu’il faudrait, c’est un Plan Marshall pour la Grèce. Par exemple, investissons (via des obligations européennes) de manière mas- sive dans les énergies renouvelables. Qui ? Les pays européens les plus riches (Belgique, Allemagne, Pays-Bas, Finlande, etc.). Pas par solidarité envers le peuple grec. Mais dans notre propre intérêt… C’est ce que les États-Unis avaient fait après la Seconde Guerre mondiale. Ils savaient qu’ils devaient choyer l’Europe, leur principale cliente… La logique est la même. PHILIPPE LAMBERTS, DÉPUTÉ EUROPÉEN ÉCOLO “Ils sont inquiets POUR LEUR AVENIR” 8 Nikos Aliagas, animateur de TF1, nous confie ses impressions sur la crise de son pays A Surtout connu pour ses émis- sions de divertissement en France, Nikos Aliagas a été pré- sentateur du Journal de 20 heu- res en Grèce. Il se confie sur la crise qu’est en train de traver- ser son pays. “Le pays vit une crise financière sans précédent évidemment. Mais c’est aussi une crise éthique, identitaire. La Grèce est un enfant de l’Europe et, en même temps, elle se retrouve dé- sabusée et très suspicieuse vis-à- vis de l’Europe. On les traite de vo- leurs, des pires mots. Je pense que l’Allemagne ne peut pas continuer dans ce registre et dans ce ton. Oui, il y a eu des erreurs dans le passé, comme il y en a eu dans tous les pays qui doivent de l’ar- gent. La Grèce ne représente que 3 % du PIB. Elle est devenue aussi un laboratoire politique pour les partenaires européens et les par- tenaires puissants de l’Union européenne. On ne peut pas les montrer du doigt comme ça, ça créera des tensions, une suspi- cion. Aujourd’hui en Grèce, il y a 150.000 fonctionnaires qui vont perdre leur emploi dans les pro- chains mois. À l’échelle de la France, cela ferait 1 million d’em- plois. Si ça arrive en France, ce se- rait la révolution. Il faut se mettre à leur place. Oui, les partenaires européens savaient que les critè- res étaient plus faibles lors de leur adhésion mais cela arrangeait tout le monde à l’époque. Arrê- tons de diaboliser un pays et sur- tout une population qui va souf- frir dans les années à venir. Il manque aujourd’hui une vraie vi- sion de l’Europe. Il faut reconsidé- rer la lecture de cette construction européenne.” RÉGULIÈREMENT en contact avec ses proches vivant là-bas, Nikos confie : “Ils sont à la fois très inquiets pour l’avenir, pour leurs enfants et leur éducation. Ce sont des gens diplômés. Ils dési- rent partir à l’étranger. Il y a une nouvelle immigration qui est en train de naître. La matière grise quitte le pays. Et pas seulement, la main-d’œuvre également. Ils se sentent profondément désolés et désabusés de se faire traiter de voleurs. Il faut rappeler que l’ar- gent, on ne le donne pas à la Grèce, on le lui prête. Avec des taux d’intérêt importants.” S. Lag. : En vacances à Athènes il y a quelques années, Nikos Aliagas prend la pose dans le port de la ville. © REPORTERS PHOTO NEWS JOHANNA DE TESSIÈRES distribue désormais également de quoi se vêtir et des médica- ments, fournis par les firmes pharmaceutiques. “Un médecin prodigue ici les premiers soins.” Le centre compte aussi trois infir- miers. Et un supermarché de fortune. “On y entrepose les pro- duits de première nécessité à desti- nation des familles pauvres.” Elles sont 700, environ. Pour l’ins- tant. Ch. V.

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Mon avis sur le dernier plan d'aide accordé à la Grèce, radicalement opposé à celui de Louis Michel... A vous de jugez!

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02 FAIT DU JOUR > LES GRECS AU BORD DU GOUFFRE 03LES GRECS AU BORD DU GOUFFRE > FAIT DU JOUR

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COMMENTAIRE

Logique n’estpas grecDes files, des bousculades. Dansl’attente d’une consultationmédicale. Des scènes qu’onimagine difficilement voir naîtreen Grèce. On ne noircit pourtantpas le tableau. Une femme sortd’un centre de soins, furieuse,proférant (ce qu’on traduit assezrapidement comme) des insultesà l’encontre des médecinsvolontaires qui ne peuvent, avecleurs maigres moyens, réaliserdes miracles. Les soins de santé,désormais, se dispensent à lachaîne à Athènes. Et beaucouppleurent un certain paradisperdu. C’était mieux avant. Pourles Grecs, c’est sûr. Un jobgarantissait un accès quasigratuit aux soins de santé.C’était aussi l’époque, nousconfie un jeune pragmatique, oùla population contractait un prêtpour… partir en vacances.Insouciance oubliée. Aujourd’hui,après un an de chômage, l’accèsaux soins de santé devientpayant. C’est d’une logiqueimparable : pas d’emploi = pasd’argent = intérêt à avoir lecœur et le corps solides. Sinon, ilreste l’option, nous glisse-t-onencore, d’emprunter de l’argentpour payer ses traitementsmédicaux. C’est ironique,bien sûr. CQFD : ainsinaissent les files devantles centres de charité.

PAR CHARLOTTE VANBEVER

11er mars. Date à laquelleles ministres européens

des Finances ferontle point sur la situation

grecque.

Les avis des Athéniens sur le su-jet divergent rarement. Car sil’un et l’autre ne sont pas forcé-ment favorables aux diktats despuissances financières euro-péennes, beaucoup s’accordentà dire que le cœur du problèmeréside dans la politique grecque.En avril prochain, des électionsanticipées se tiendront en Grèce,alors que le parti (de droite) duPremier ministre en place, LucasPapademos, ne récolterait mê-me pas ¼ un quart des voix. Unpeu court pour être majoritaire.Ces législatives, c’est sous le si-gne des extrêmes qu’elles seprésentent. Les Grecs n’ont plusconfiance ni en la droite ni en lagauche. Les trois partis très àgauche, dont le communisteKKE, dépassent ensemble (“maisqui s’allieraientdifficilement”,nous dit un protestataire) dansles sondages les 35 % de voix fa-vorables. L’extrême droite enrécolterait 5 %. Soit de nouvellescomplications en vue…

Ch. V.

Législativesdes extrêmes EN 6 MOIS, le nombre

de repas servis a doub lé8 Le plus grand centre de charité d’Athènes

distribue désormais aussi vêtementset médicaments

ENVOYÉE SPÉCIALEEN GRÈCECHARLOTTE VANBEVER

A Il est un peu plus de midi àAthènes. Sous une pluie bat-tante, quelques sans-abri affi-chent leur misère. Les autres secachent. Mais pas dans les pa-roisses. La majorité d’entre elles,dans le centre de la ville, est ver-rouillée. On se demande alorsoù cette dizaine de milliers denouveaux errants (20.000, selonles plus pessimistes) trouventrefuge à Athènes.

Réponse : derrière une portebleue. Un bâtiment de fortune,siège du Fonds de charité de laville. Dans la cour de ces bu-reaux établis voici 7 ans, on sert,désormais trois fois par jour, desrepas pour la population dans lebesoin. C’est, aujourd’hui, le

plus important centre d’aideaux plus démunis d’Athènes.

Son directeur, George Aposto-lopoulos, ne s’en réjouit pas.D’autant plus qu’il est arrivé à latête de cette fondation il y a 6mois, quand la situation est de-venue plus catastrophique etdésespérée que tragique… “En-tre 2010 et 2011, le centre a ac-cueilli 50 % de gens en plus. Maisces 6 derniers mois, c’est une aug-mentation de 200 % du nombre denécessiteux qu’on a constatée.”

Soit, chaque jour, environ2.500 Athéniens dans le besoin.

SANS AUCUNE RESSOURCE, ces vic-times de la crise calmentd’abord, un peu, leur estomac.Par du pain, des tomates, dupoulet et du fromage, principa-lement, que la fondation, sousl’égide de la municipalité

d’Athènes, mais aussi l’Église or-thodoxe, met à leur disposition.“Sans oublier les donations de cer-taines personnes et de quelquescompagnies.”

Le rush, l’heure à laquelle lesAthéniens se bousculent pourun bol de soupe, c’est en pleinaprès-midi, à 15 h. 1.000 repassont alors servis. “Et ce sont prin-cipalement des Grecs qui se pré-sentent. Au fil du temps, on a ap-pris à les connaître. Beaucoup sontpensionnés. D’autres sont ce qu’onappelle les nouveaux pauvres, desAthéniens qui avaient de l’argentet un boulot et ont tout perdu. Onvoit aussi de plus en plus de fa-milles nombreuses où les parentsdoivent nourrir leurs enfants…”

Dans son bureau, Georgecroule sous la paperasse. Classésselon leurs besoins, seuls lesAthéniens remplissant les critè-res de pauvreté bénéficient d’undroit d’accès au centre pendantsix mois.

L’Église orthodoxe, elle, “offredes repas à tous les nécessiteux”,

sans sélection. Entre cesmurs-ci, sur l’une des principa-les artères d’Athènes, maisaussi, plus confidentiellement,dans d’autres parties de la ville.Et “dire qu’il y a encore deux ans,ces distributions de nourritureétaient principalement à destina-tion des sans-papiers issus duMoyen-Orient”…

LE CONSTAT est terrible. La fon-dation répond, pour l’instant,aux besoins vitaux de ces Athé-niens ”qui n’ont plus un euro enpoche ou même plus de toit au-dessus la tête”. Mais pour com-bien de temps ? “On a peur queça explose ! Déjà, on aurait besoinde locaux plus vastes”, se plaintGeorge Apostolopoulos.

Dans les escaliers de l’établis-sement, dans le couloir menantà la cour extérieure, des centai-nes de caisses, débordant de vê-tements, sont entassées. Parceque la fondation, qui compte 60employés à temps partiel, aélargi ses activités de charité. Et

: Dans une des artères principales d’Athènes, derrière une porte bleue, sont entreposées des centaines de caisses de vêtements et, 3 fois par jour, on y distribue de la nourriture. © JC GUILLAUME

Une aide de 130 milliards d’euros a été accordée à la Grèce, dans la nuit de lundià mardi, en échange de la mise en place d’un plan d’austérité sans précédent.

POUR

Il est évidemment facile de dire qu’on en demande trop auxGrecs. Mais cette population a vécu longtemps avec trop peu derègles. On ne peut pas laisser un pays faire ce qu’il veut sur leplan fiscal. En Belgique, par exemple, il n’est pas rare d’avoir untaux d’imposition de plus de 50 %. Les dirigeants grecs n’ont paseu le courage de dire la vérité aux gens. Ils ont vécu pendant desannées au-dessus de leurs moyens. Ils n’ont pas assez conscien-tisé le pays sur la nécessité de la rigueur. Ils doivent en assumerles conséquences aujourd’hui.Je comprends la réaction hostile des pays (NdlR : de l’Allemagneavant tout) à qui on demande d’aider les mauvais élèves de laclasse alors qu’eux-mêmes ont bien géré leur baraque et qu’ilsont osé dire la vérité à la population. C’est un peu comme la fablede La Cigale et la Fourmi…La Grèce ne pouvait pas continuer comme cela dans la mauvaisegestion. Elle doit prendre les mesures qui s’imposent. Même sic’est douloureux. Mais, vous savez, aucun politique n’imposel’austérité pour le plaisir.D’ailleurs, je pense que la solution idéale aurait été l’émissiond’obligations européennes qui auraient permis en partie d’épon-ger la dette souveraine des pays et de financer de grands travaux,de grands secteurs. C’est la position que le groupe libéral auParlement européen défend. Cela aurait peut-être permis d’avoir

un plan de sortie de crise plus soft…Pour conclure, je voudrais m’interroger surla société consumériste actuelle. Si lepouvoir d’achat pose problèmeaujourd’hui, c’est en grande partie parce

que de nouveaux besoins sontapparus : les GSM, les iPad,les vacances, etc. Je necritique pas cela. Mais ilfaudrait peut-être com-mencer à réinitier unautre mode deconsommation etse reconcentrersur les priori-tés.

LOUIS MICHEL, DÉPUTÉ EUROPÉEN MR

CONTRE

Premièrement, je constate que c’est déjà la troisième fois que ceplan d’aide – le deuxième pour la Grèce – est approuvé ! On peuts’interroger sur la crédibilité de décideurs qui décident maisn’exécutent pas… Et cela aussi bien dans le chef des Grecs quedes dirigeants européens. Pour les premiers, à cause de promes-ses non tenues – parce que le parti socialiste local (le Pasok) veutpréserver un système clientéliste qui ferait rougir le PS wallon…Pour les seconds, parce qu’ils restent englués dans une sorte derancœur morale. Ils se disent que les Grecs ont péché. Donc, qu’ilsdoivent payer. Et plus ça fait mal, meilleur c’est…Deuxièmement, les conditions liées à ce prêt – il s’agit bien d’unprêt, pas d’un don – sont économiquement contre-productives.Atteindre un tel niveau d’austérité empêche toute perspective derelance économique dans le pays. Certes, la Grèce a été gérée endépit du bon sens par la classe politique. Il est évident que lesvacances ne peuvent pas durer éternellement. Et dire que l’on varamener la Grèce sur le bon chemin sans douleur est faux.Mais si on demande des efforts à la population, il faut tenircompte de trois choses. Un : ces efforts doivent remettre le payssur pied. Deux : ils doivent être justes, tout le monde doit y contri-buer selon ses moyens. Trois : ils doivent être décidés de manièrelégitime. Or, aucun de ces trois éléments n’est rencontré… Lesefforts sont inefficaces, injustes (quid des armateurs ou de l’Égliseorthodoxe ?) et illégitimes puisque la Grèce adopte un pland’austérité avec un fusil sur la tempe…Ce qu’il faudrait, c’est un Plan Marshall pour laGrèce. Par exemple, investissons (via desobligations européennes) de manière mas-sive dans les énergies renouvelables. Qui ?Les pays européens les plus riches (Belgique,Allemagne, Pays-Bas, Finlande, etc.). Pas parsolidarité envers le peuple grec. Maisdans notre propre intérêt… C’estce que les États-Unis avaient faitaprès la Seconde Guerremondiale. Ils savaient qu’ilsdevaient choyer l’Europe,leur principale cliente… Lalogique est la même.

PHILIPPE LAMBERTS, DÉPUTÉ EUROPÉEN ÉCOLO

“Ils sont inquietsPOURLEURAVENIR”8 Nikos Aliagas, animateur de TF1, nousconfie ses impressions sur la crise de son pays

A Surtout connu pour ses émis-sions de divertissement enFrance, Nikos Aliagas a été pré-sentateur du Journal de 20 heu-res en Grèce. Il se confie sur lacrise qu’est en train de traver-ser son pays. “Le pays vit unecrise financière sans précédentévidemment. Mais c’est aussi unecrise éthique, identitaire. La Grèceest un enfant de l’Europe et, enmême temps, elle se retrouve dé-sabusée et très suspicieuse vis-à-vis de l’Europe. On les traite de vo-leurs, des pires mots. Je pense quel’Allemagne ne peut pas continuerdans ce registre et dans ce ton.Oui, il y a eu des erreurs dans lepassé, comme il y en a eu danstous les pays qui doivent de l’ar-gent. La Grèce ne représente que3 % du PIB. Elle est devenue aussi

un laboratoire politique pour lespartenaires européens et les par-tenaires puissants de l’Unioneuropéenne. On ne peut pas lesmontrer du doigt comme ça, çacréera des tensions, une suspi-cion. Aujourd’hui en Grèce, il y a150.000 fonctionnaires qui vontperdre leur emploi dans les pro-chains mois. À l’échelle de laFrance, cela ferait 1 million d’em-plois. Si ça arrive en France, ce se-rait la révolution. Il faut se mettreà leur place. Oui, les partenaireseuropéens savaient que les critè-res étaient plus faibles lors de leuradhésion mais cela arrangeaittout le monde à l’époque. Arrê-tons de diaboliser un pays et sur-tout une population qui va souf-frir dans les années à venir. Ilmanque aujourd’hui une vraie vi-

sion de l’Europe. Il faut reconsidé-rer la lecture de cette constructioneuropéenne.”

RÉGULIÈREMENT en contactavec ses proches vivant là-bas,Nikos confie : “Ils sont à la foistrès inquiets pour l’avenir, pourleurs enfants et leur éducation. Cesont des gens diplômés. Ils dési-rent partir à l’étranger. Il y a une

nouvelle immigration qui est entrain de naître. La matière grisequitte le pays. Et pas seulement,la main-d’œuvre également. Ils sesentent profondément désolés etdésabusés de se faire traiter devoleurs. Il faut rappeler que l’ar-gent, on ne le donne pas à laGrèce, on le lui prête. Avec destaux d’intérêt importants.”

S. Lag.

: En vacances à Athènes il y a quelques années, Nikos Aliagas prendla pose dans le port de la ville. © REPORTERS

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distribue désormais égalementde quoi se vêtir et des médica-ments, fournis par les firmespharmaceutiques. “Un médecinprodigue ici les premiers soins.” Lecentre compte aussi trois infir-miers. Et un supermarché defortune. “On y entrepose les pro-duits de première nécessité à desti-nation des familles pauvres.” Ellessont 700, environ. Pour l’ins-tant.

Ch. V.