Fables Et Opuscules Pédagogiques

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FÉNELON FABLES ET OPUSCULES PÉDAGOGIQUES

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Fénelon

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FNELON

FABLES ET OPUSCULES PDAGOGIQUES

SommaireLe jeune BacchusLes abeillesLe chat et les lapinsLe nourrison des muses favoris du SoleiLabeille et la mouchele rossignol et la fauvetteLe loup et le jeun moutonLe deux renardsLourse et son filsLe dpart de LyconLe hibouLes deux sourisLe fantasqueAriste et VirgileLa mdaillePrire indiscrte de Nle, petit-fils de NestorLes abeilles et les versa soieLe singeLe dragon et les renardsLe livre qui fait le braveChasse de DianeHistoire dune vieille reine et dun jeune paysanneHistoire de FloriseLe berger Clobule et la nymphe PhidileHistoire du roi Alfaroute et de ClariphileHistoire de Rosimond et de BraminteLes aventures de MlsichthonLes aventures dAristonos (et sa variante)Lassemble des animaux pour choisir un roiHistoire dAlibre, persanLes deux lionceauxLe Nil et le GangeHistoire de la reine Gisle et de la fe CorysanteHistoire dune jeune princesseVoyage suppos, en 1690Lanneau de GygsLe renard puni par sa curiositLe pigeon puni de son inquitude

Transcription daprs la nouvelle dition de 1898 classe dans un nouvel ordre par M.L.C. MICHEL ancien professeur de rhtorique.

LE JEUNE BACCHUS ET LE FAUNEUn jour, le jeune Bacchus que Silne instruisait, cherchait les Muses dans un bocage, dont le silence ntait troubl que par le bruit des fontaines et par le chant des oiseaux.Le soleil nen pouvait, avec ses rayons, percer la sombre verdure.Lenfant de Sml, pour tudier la langue des dieux, sassit dans un coin, au pied dun vieux chne du tronc duquel, plusieurs hommes, de lge dor, taient ns.Il avait mme autrefois, rendu des oracles et le temps navait os labattre de sa tranchante faux.Auprs de ce chne sacr et antique, se cachait un jeune Faune qui prtait loreille aux vers que chantait lenfant et qui, marquait Silne, par un ris moqueur, toutes les fautes que faisait son disciple.Aussitt, les Naades et les autres Nymphes du bois souriaient aussi.Ce critique tait jeune, gracieux et foltre; sa tte tait couronne de lierre et de pampre; ses tempes taient ornes de grappes de raisin; de son paule gauche, pendait sur son ct droit, en charpe, un feston de lierre: et le jeune Bacchus se plaisait voir ces feuilles consacres sa divinit.Le Faune tait envelopp, au-dessous de la ceinture, par la dpouille affreuse et hrisse dune jeune lionne quil avait tue dans les forts.Il tenait dans sa main une houlette courbe et noueuse.Sa queue paraissait derrire, comme se jouant sur son dos.Mais, comme Bacchus ne pouvait souffrir un rieur malin, toujours prt se moquer de ses expressions, si elles ntaient pures et lgantes, il lui dit dun ton fier et impatient: Comment oses-tu te moquer du fils de Jupiter? Le Faune rpondit sans smouvoir: H! comment le fils de Jupiter ose-t-il faire quelque faute?

LES ABEILLESUn jeune prince, au retour desZphyrslorsque toute la nature se ranime, se promenait dans un jardin dlicieux; il entendit un grand bruit et aperut une ruche dAbeilles.Il sapproche de ce spectacle qui tait nouveau pour lui; il vit avec tonnement, lordre, le soin et le travail de cette petite rpublique.Les cellules commenaient se former et prendre une figure rgulire.Une partie des Abeilles les remplissaient de leur doux nectar; les autres apportaient des fleurs quelles avaient choisies, entre toutes les richesses du printemps.Loisivet et la paresse taient bannies de ce petit tat: tout y tait en mouvement, mais sans confusion et sans trouble.Les plus considrables dentre les Abeilles conduisaient les autres, qui obissaient sans murmure et sans jalousie, contre celles qui taient au-dessus delles.Pendant que le jeune prince admirait cet objet quil ne connaissait pas encore, une Abeille, que toutes les autres reconnaissaient pour leur reine, sapprocha de lui et lui dit: La vue de nos ouvrages et de notre conduite vous rjouit; mais, elle doit encore plus vous instruire. Nous ne souffrons point, chez nous, le dsordre ni la licence; on nest considrable parmi nous, que par son travail et par les talents qui peuvent tre utiles notre rpublique. Le mrite est la seule voie qui lve aux premires places. Nous ne nous occupons, nuit et jour, qu des choses dont les hommes retirent toute lutilit. Puissiez-vous, tre un, jour comme nous et mettre dans le genre humain, lordre que vous admirez chez nous! Vous travaillerez, par l, son bonheur et au vtre; vous remplirez la tche que le destin vous a impos: car, vous ne serez au-dessus des autres, que pour les protger, que pour carter les maux qui les menacent, que pour leur procurer tous les biens quils ont droit dattendre dun gouvernement vigilant et paternel.

LE CHAT ET LES LAPINSUn Chat qui faisait le modeste, tait entr dans une garenne peuple de Lapins.Aussitt, toute la rpublique alarme ne songea qu senfoncer dans ses trous.Comme le nouveau venu tait au guet auprs dun terrier, les dputs de la nation lapine, qui avaient vu ses terribles griffes, comparurent dans lendroit le plus troit de lentre du terrier, pour lui demander ce quil prtendait.Il protesta dune voix douce quil voulait seulement tudier les murs de la nation; quen qualit de philosophe, il allait dans tous les pays pour sinformer des coutumes de chaque espce danimaux.Les dputs, simples et crdules, retournrent dire leurs frres que cet tranger, si vnrable par son maintien modeste et par sa majestueuse fourrure, tait un philosophe sobre, dsintress, pacifique, qui voulait seulement rechercher la sagesse de pays en pays; quil venait de beaucoup dautres lieux o il avait vu de grandes merveilles; quil y aurait bien du plaisir lentendre, et quil navait garde de croquer les Lapins, puisquil croyait en bon bramin[1]la mtempsycose[2], et ne mangeait daucun aliment qui et eu vie.Ce beau discours toucha lassemble.En vain; un vieux Lapin rus, qui tait le docteur de la troupe, reprsenta combien ce grave philosophe lui tait suspect: malgr lui, on va saluer le bramin, qui trangla du premier salut sept ou huit de ces pauvres gens.Les autres regagnent leurs trous, bien effrays et bien honteux de leur faute.Alors, dom Mitis[3]revint lentre du terrier, protestant dun ton plein de cordialit, quil navait fait ce meurtre que malgr lui, pour son pressant besoin; que dsormais, il vivrait dautres animaux et ferait avec eux une alliance ternelle.Aussitt, les Lapins entrent en ngociation avec lui, sans se mettre nanmoins la porte de sa griffe.La ngociation dure, on lamuse.Cependant, un Lapin des plus agits sort par les derrires du terrier et va avertir un berger voisin, qui aimait prendre dans un lacs[4]de ces Lapins nourris de genivre.Le berger, irrit contre ce Chat exterminateur dun peuple si utile, accourt au terrier avec un arc et des flches: il aperoit le Chat qui ntait attentif qu sa proie; il le perce dune de ses flches et le Chat expirant dit ces dernires paroles:Quand on a une fois tromp, on ne peut plus tre cru de personne; on est ha, craint, dtest; et on est enfin attrap par ses propres finesses.

1. Bramin, nom que lon donne aux prtres chez les hindous.2. Mtempsycose, doctrine qui consiste croire quaprs la mort lme dun homme passe dans le corps dun animal, suivant sa conduite et ses gots pendant la vie.3. Mitis, est ici le surnom du chat emprunt son caractre hypocrite.4. Lacs, cordelette nud coulant qui sert prendre de petits animaux.

LE NOURRISSON DES MUSES FAVORIS DU SOLEILLeSoleil, ayant laiss le vaste tour du ciel en paix, avait fini sa course et plong ses chevaux fougueux dans le sein des ondes de lHesprie.Le bord de lhorizon tait encore rouge comme la pourpre et enflam de rayons ardents quil y avait rpandus sur son passage.La brlante Canicule desschait la terre; toutes les plantes altres languissaient; les fleurs, ternies, penchaient leurs ttes et leurs tiges, malades, ne pouvaient plus les soutenir; lesZphyrsmmes, retenaient leurs douces haleines; lair que les animaux respiraient, tait semblable de leau tide.La Nuit, qui rpand avec ses ombres une douce fracheur, ne pouvait temprer la chaleur dvorante que le jour avait cause: elle ne pouvait verser sur les hommes, abattus et dfaillants, ni la rose quelle fait distiller quandVesperbrille la queue des autres toiles, ni cette moisson de pavots, qui font sentir les charmes du sommeil toute la nature fatigue.Le Soleil seul, dans le sein deTthys, jouissait dun profond repos; mais ensuite, quand il fut oblig de remonter sur son char, attel par lesHeureset devanc par l'Aurore, qui sme son chemin de roses, il aperut tout lOlympe couvert de nuages; il vit les restes dune tempte qui avait effray les mortels pendant la nuit.Les nuages taient encore empests de lodeur des vapeurs soufres qui avaient allum les clairs et fait gronder le menaant tonnerre; les Vents, sditieux, ayant rompu leurs chanes et forc leurs cachots profonds, mugissaient encore dans les vastes plaines de lair; des torrents tombaient des montagnes dans tous les vallons.Celui dont lil plein de rayons anime toute la nature, voyait de toutes parts, en se levant, le reste dun cruel orage.Mais, ce qui lmut davantage, il vit un jeune nourrisson des Muses, qui lui tait fort chr et qui la tempte avait drob le sommeil, lorsquil commenait dj tendre ses sombres ailes sur ses paupires.Il fut sur le point de ramener ses chevaux en arrire et de retarder le jour, pour rendre le repos celui qui lavait perdu.Je veux, dit-il, quil dorme: le sommeil rafrachira son sang, apaisera sa bile, lui donnera la sant et la force dont il aura besoin pour imiter les travaux d'Hercule, lui inspirera, je ne sais quelle douceur tendre qui pourrait seule lui manquer. Pourvu quil dorme, quil rie, quil adoucisse son temprament, quil aime les jeux de la socit, quil prenne plaisir aimer les hommes et se faire aimer deux, toutes les grces de lesprit et du corps viendront en foule pour lorner.

LABEILLE ET LA MOUCHEUn jour, une Abeille aperoit une Mouche auprs de sa ruche.Que viens-tu faire ici? lui dit-elle dun ton furieux. Vraiment, cest bien toi, vil animal, te mler avec les reines de lair!Tu as raison, rpondit froidement la Mouche: on a toujours tort de sapprocher dune nation aussi fougueuse que la vtre.Rien nest plus sage que nous, dit lAbeille: nous seules avons des lois et une rpublique bien police; nous ne broutons que des fleurs odorifrantes; nous ne faisons que du miel dlicieux, qui gale le nectar. te-toi de ma prsence, vilaine Mouche importune, qui ne fait que bourdonner et chercher ta vie sur des ordures.Nous vivons comme nous pouvons, rpondit la Mouche: la pauvret nest pas un vice; mais la colre en est un grand. Vous faites du miel qui est doux, mais votre cur est toujours amer; vous tes sages dans vos lois, mais emportes dans votre conduite. Votre colre, qui pique vos ennemis, vous donne la mort[1], et votre folle cruaut, vous fait plus de mal qu personne. Il vaut mieux avoir des qualits moins clatantes avec plus de modration.1. laiguillon de labeille reste ordinairement dans la blessure quil a faite, ce qui occasionne la mort de linsecte lui-mme.

LE ROSSIGNOL ET LA FAUVETTESur les bords toujours verts du fleuveAlphe, il y a un bocage sacr, o trois Naades, rpandent grand bruit, leurs eaux claires et arrosent les fleurs naissantes: lesGrcesy vont souvent se baigner.Les arbres de ce bocage ne sont jamais agits par les vents qui les respectent; ils sont seulement caresss par le souffle des doux Zphyrs.Les Nymphes et les Faunes, y font, la nuit, des danses au son de la flte de Pan.Le soleil ne saurait percer de ses rayons, lombre paisse que forment des rameaux entrelacs de ce bocage.Le silence, lobscurit et la dlicieuse fracheur, y rgnent le jour comme la nuit.Sous ce feuillage, on entendPhilomle[1]qui chante dune voix plaintive et mlodieuse ses anciens malheurs, dont elle nest pas encore console.Une jeune Fauvette, au contraire, y chante ses plaisirs et elle annonce le printemps tous les bergers dalentour.Philomle mme, est jalouse des chansons tendres de sa compagne.Un jour, elles aperurent un jeune berger quelles navaient point encore vu dans ces bois; il leur parut gracieux, noble, aimant les Muses et lharmonie: elles crurent que ctaitApollon, tel quil fut autrefois, chez le roiAdmte, ou du moins, quelque jeune hros du sang de ce dieu.Les deux oiseaux, inspirs par les Muses, commencrent aussitt chanter ainsi:

Quel est donc ce berger ou ce dieu inconnu qui vientorner notre bocage? Il est sensible nos chansons; ilaime la posie: elle adoucira son cur et le rendra aussiaimable quil est fier.

Alors, Philomle continua seule:

Que ce jeune hros croisse en vertu, comme une fleurque le printemps fait clore! quil aime les doux jeuxde lesprit! Que les Grces soient sur ses lvres! que lasagesse de Minerve rgne dans son cur!

La fauvette lui rpondit:

Quil gale Orphe par les charmes de sa voix etHercule par ses hauts faits! quil porte dans son curlaudace dAchille, sans en avoir la frocit! quil soitbon, quil soit sage, bienfaisant, tendre pour les hommeset aim deux! que les Muses fassent natre en lui toutes les vertus!

Puis les deux oiseaux inspirs reprirent ensemble:

Il aime nos douces chansons; elles entrent dans son cur, commela rose tombe sur nos gazons, brls par le soleil.Que les dieux le modrent et le rendent toujours fortun!quil tienne en sa main la corne dabondance! que lge dorrevienne par lui! que la sagesse se rpande de son cur sur tousles mortels! et que les fleurs naissent sous ses pas!

Pendant quelles chantrent, les Zphyrs retinrent leurs haleines; toutes les fleurs du bocage spanouirent: les ruisseaux, forms par les trois fontaines, suspendirent leurs cours; lesSatyreset les Faunes, pour mieux couter, dressaient leurs oreilles;choredisait ces belles paroles tous les rochers dalentour; et toutes lesDryadessortirent du sein des arbres verts, pour admirer celui que Philomle et sa compagne venaient de chanter.1. Philomle, cruellement maltraite par Tre, son beau-pre, fut mtamorphose en rossignol.

LE LOUP ET LE JEUNE MOUTONDes Moutons taient en sret dans leur parc; les chiens dormaient et le berger, lombre dun grand ormeau, jouait de la flte avec dautres bergers voisins.Un Loup, affam, vint par les fentes de lenceinte, reconnatre ltat du troupeau.Un jeune Mouton, sans exprience et qui navait jamais rien vu, entra en conversation avec lui:Que venez-vous chercher ici? dit-il au glouton.Lherbe tendre et fleurie, lui rpondit le Loup.Vous savez que rien nest plus doux que de patre dans une verte prairie, maille de fleurs, pour apaiser sa faim et daller teindre sa soif dans un clair ruisseau: jai trouv ici lun et lautre.Que faut-il davantage? jaime la philosophie qui enseigne se contenter de peu.Est-il donc vrai, repartit le jeune Mouton, que vous ne mangez point la chair des animaux et quun peu dherbe vous suffit? si cela est, vivons comme frres et paissons ensemble.Aussitt, le Mouton sort du parc dans la prairie, o le sobre philosophe le mit en pices et lavala.Dfiez-vous des belles paroles des gens qui se vantent dtre vertueux.Jugez-en par leurs actions, et non par leurs discours.

LES DEUX RENARDSDeux Renards entrrent la nuit, par surprise, dans un poulailler; ils tranglrent le coq, les poules et les poulets: aprs ce carnage, il apaisrent leur faim.Lun, qui tait jeune et ardent, voulait tout dvorer; lautre, qui tait vieux et avare, voulait garder quelque provision pour lavenir.Le vieux disait:Mon enfant, lexprience ma rendu sage; jai vu bien des choses depuis que je suis au monde. Ne mangeons pas tout notre bien en un seul jour. Nous avons fait fortune; cest un trsor que nous avons trouv, il faut le mnager.Le jeune rpondait:Je veux tout manger pendant que jy suis et me rassasier pour huit jours: car, pour ce qui est de revenir ici, chansons! il ny fera pas bon demain; le matre, pour venger la mort de ses poules, nous assommerait.Aprs cette conversation, chacun prend son parti.Le jeune mange tant, quil se crve et peut peine aller mourir dans son terrier.Le vieux, qui se croit bien plus sage de modrer ses apptits et de vivre dconomie, veut, le lendemain, retourner sa proie, et est assomm par le matre.Ainsi, chaque ge a ses dfauts: les jeunes gens sont fougueux et insatiables dans leur plaisirs, les vieux sont incorrigibles dans leur avarice.

LOURSE ET SON FILSUne Ourse avait un petit Ours qui venait de natre.On ne reconnaissait en lui aucune figure danimal: ctait une masse informe et hideuse.LOurse, toute honteuse davoir un tel fils, va trouver sa voisine la Corneille, qui faisait grand bruit, par son caquet, sous un arbre.Que ferai-je, lui dit-elle, ma bonne commre, de ce petit monstre? Jai envie de ltrangler.Gardez-vous-en bien, dit la causeuse: jai vu dautres Ourses, dans le mme embarras que vous. Allez lchez doucement votre fils; il sera bientt joli, mignon et propre vous faire honneur.La mre crut facilement ce quon lui disait en faveur de son fils.Elle eut la patience de le lcher longtemps.Enfin, il commena devenir moins difforme et elle alla remercier la Corneille en ces termes:Si vous neussiez modr mon impatience, jaurais cruellement dchir mon fils, qui fait maintenant tout le plaisir de ma vie.Oh! que limpatience empche de biens et cause de maux!

LE DPART DE LYCONQuand la Renomme, par le son clatant de sa trompette, eut annonc aux divinits rustiques et aux bergers du Cynthe le dpart de Lycon, tous ces bois, si sombres, retentirent de plaintes amres.cho les rptait tristement, tous les vallons dalentour.On nentendait plus le doux son de la flte ni celui du hautbois.Les bergers mmes, dans leur douleur, brisaient leurs chalumeaux[1].Tout languissait: la tendre verdure des arbres commenait seffacer; le ciel, jusqualors si serein, se chargeait de noires temptes; les cruels Aquilons faisaient dj frmir les bocages comme en hiver.Les divinits, mmes les plus champtres, ne furent pas insensibles cette perte: les Dryades sortaient des troncs creux des vieux chnes, pour regretter Lycon.Il se fit une assemble de ces tristes divinits, autour dun grand arbre qui levait ses branches vers les cieux et qui couvrait de son ombre paisse, la terre, sa mre, depuis plusieurs sicles.Hlas! autour de ce vieux tronc noueux et dune grosseur prodigieuse, les Nymphes de ce bois, accoutumes faire leurs danses et leurs jeux foltres, vinrent raconter leur malheur.Cen est fait! disaient-elles, nous ne reverrons plus Lycon: il nous quitte; la fortune ennemie nous lenlve; il va tre lornement et les dlices dun autre bocage plus heureux que le ntre. Non, il nest plus permis desprer dentendre sa voix, ni de le voir tirant de larc et perant de ses flches les rapides oiseaux.Pan lui-mme accourut, ayant oubli sa flte; les Faunes et les Satyres suspendirent leurs danses.Les oiseaux mme ne chantaient plus: on nentendait que les cris affreux des hiboux et des autres oiseaux de mauvais prsage.Philomle et ses compagnes gardaient un morne silence.Alors Flore[2]et Pomone parurent tout coup, dun air riant, au milieu du bocage, se tenant par la main: lune, tait couronne de fleurs et en faisait natre sous ses pas, empreints sur le gazon; lautre, portait, dans une corne dabondance, tous les fruits que lautomne rpand sur la terre, pour payer lhomme de ses peines.Consolez-vous, dirent-elles cette assemble de dieux consterns: Lycon part, il est vrai; mais il nabandonne pas cette montagne consacre Apollon. Bientt, vous le reverrez ici, cultivant lui-mme nos jardins fortuns: sa main y plantera les verts arbustes, les plantes qui nourrissent lhomme et les fleurs qui font ses dlices. Aquilons, gardez-vous de fltrir jamais, par vos souffles empests, ces jardins o Lycon prendra des plaisirs innocents. Il prfrera la simple nature au faste et aux divertissements dsordonns; il aimera ces lieux; il les abandonne regret.A ces mots, la tristesse se change en joie; on chante les louanges de Lycon; on dit quil sera amateur des jardins, comme Apollon a t berger, conduisant les troupeaux dAdmte: mille chansons divines remplissent le bocage et le nom de Lycon, passe de lantique fort jusque dans les campagnes les plus recules.Les bergers le rptent sur leurs chalumeaux, les oiseaux mmes, dans leurs doux ramages, font entendre je ne sais quoi qui ressemble au nom de Lycon.La terre se pare de fleurs et senrichit de fruits.Les jardins, qui attendent son retour, lui prparent les grces du printemps et les magnifiques dons de lautomne.Les seuls regards de Lycon quil jette encore, de loin, sur cette agrable montagne, la fertilisent.L, aprs avoir arrach les plantes sauvages et striles, il cueillera lolive et le myrte, en attendant que Mars lui fasse cueillir ailleurs des lauriers.1. Chalumeau, se dit, en posie, de toutes sortes de fltes et dinstruments vent qui composent une musique champtre.2. Flore, desse des fleurs.

LE HIBOUUn jeune Hibou, qui stait vu dans une fontaine et qui se trouvait plus beau, je ne dirai pas que le jour, car, il le trouverait fort dsagrable, mais, que la nuit, qui avait de grands charmes pour lui, disait en lui-mme:Jai sacrifi aux Grces; Vnus a mis sur moi sa ceinture dans ma naissance; le tendres Amours, accompagns des Jeux et des Ris, voltigent autour de moi pour me caresser. Il est temps que le blond Hymne me donne des enfants, gracieux comme moi; ils seront lornement des bocages et les dlices de la nuit. Quel dommage que la race des plus parfaits oiseaux se perdit! Heureuse, lpouse qui passera sa vie me voir!Dans cette pense, il envoie la Corneille, demander de sa part, une petite Aiglonne, fille de lAigle, reine des airs.La Corneille avait peine se charger de cette ambassade:Je serai mal reue, disait-elle, de proposer un mariage si mal assorti. Quoi lAigle, qui ose regarder fixement le soleil, se marierait avec vous, qui ne sauriez seulement ouvrir les yeux tandis quil est jour! cest le moyen que les deux poux ne soient jamais ensemble; lun sortira le jour et lautre la nuit.Le Hibou, vain et amoureux de lui-mme, ncouta rien.La Corneille, pour le contenter, alla enfin demander lAiglonne.On se moqua de sa folle demande.LAigle lui rpondit:Si le Hibou veut tre mon gendre, quil vienne aprs le lever du soleil, me saluer au milieu de lair.Le Hibou, prsomptueux, y voulut aller.Ses yeux furent dabord blouis; il fut aveugl par les rayons du soleil et tomba, du haut de lair, sur un rocher.Tous les oiseaux se jetrent sur lui et lui arrachrent ses plumes.Il fut trop heureux de se cacher dans son trou et dpouser la Chouette, qui fut une digne dame du lieu.Leur hymen fut clbr la nuit et ils se trouvrent, lun et lautre trs beaux et trs agrables.Il ne faut rien chercher au-dessus de soi, ni se flatter sur ses avantages.

LES DEUX SOURISUne souris, ennuye de vivre dans les prils et dans les alarmes cause de Mitis et de Rodilardus[1], qui faisait grand carnage de la nation souriquoise, appela sa commre qui tait dans un trou de son voisinage.Il mest venu, dit-elle, une bonne pense. Jai lu, dans certains livres que je rongeais ces jours passs, quil y a un beau pays nomm les Indes, o notre peuple est mieux trait et plus en sret quici. En ce pays-l, les sages, croient que lme dune souris a t autrefois lme dun grand capitaine, dun roi, dun merveilleux fakir et quelle pourra, aprs la mort de la souris, entrer dans le corps de quelque belle dame, ou de quelque grand pandiar[2]. Si je men souviens bien, cela sappelle mtempsycose. Dans cette opinion, ils traitent tous les animaux avec une charit fraternelle: on voit des hpitaux de souris quon met en pension et quon nourrit comme des personnes de mrite. Allons ma sur, partons pour un si beau pays, o la police est si bonne et o lon fait justice notre mrite.La commre lui rpondit:Mais, ma sur, ny a-t-il point de chats qui entrent dans ces hpitaux? Si cela tait, ils feraient en peu de temps bien des mtempsycoses: un coup de dent ou de griffe ferait un roi ou un fakir, merveille, dont nous nous passerions trs bien. Ne craignez point cela, dit la premire; lordre est parfait dans ce pays-l: les chats ont leurs maisons, comme nous, les ntres et ils ont aussi leurs hpitaux dinvalides, qui sont part.Sur cette conversation, nos deux Souris partent ensemble; elles sembarquent dans un vaisseau qui allait faire un voyage de long cours, en se coulant le long des cordages, le soir de la veille de lembarquement.On part; elles sont ravies de se voir sur la mer, loin des terres maudites o les chats exeraient leur tyrannie.La navigation fut heureuse; elles arrivent Surate, non pour amasser des richesses, comme les marchands, mais pour se faire bien traiter par les Indous.A peine furent-elles entres dans une maison destine aux souris, quelles y prtendirent les premires places.Lune prtendait se souvenir davoir t autrefois un fameux bramin sur la cte de Malabar; lautre protestait quelle avait t une belle dame du mme pays, avec de longues oreilles.Elles firent tant les insolentes, que les souris indiennes ne purent les souffrir.Voil une guerre civile.On donna, sans quartier, sur ces deux franguis[3], qui voulaient faire la loi aux autres; au lieu dtre manges par les chats, elles furent trangles par leurs propres surs.On a beau aller loin pour viter le pril; si on nest modeste et sens, on va chercher son malheur bien loin: autant vaudrait-il le trouver chez soi.1. Noms de chats.2. Pandiar, savant docteur.3. Les Orientaux donnaient, cette poque, tous les Europens le nom defrancsou defranguis.

LE FANTASQUEQuest-il donc arriv de funeste Mtanthe?Rien au dehors, tout au dedans.Ses affaires vont souhait; tout le monde cherche lui plaire.Quoi donc? cest que sa rate fume.Il se coucha, hier, les dlices du genre humain; ce matin, on est honteux pour lui, il faut le cacher.En se levant, le pli dun chausson lui a dplu: toute la journe sera orageuse et tout le monde en souffrira.Il fait peur, il fait piti: il pleure comme un enfant, il rugit comme un lion.Une vapeur, maligne et farouche, trouble et noircit son imagination, comme lencre de son critoire barbouille ses doigts.Nallez pas lui parler des choses quil aimait le mieux il ny a quun moment: par la raison quil les a aimes, il ne les saurait plus souffrir.Les parties de divertissement quil a tant dsires lui deviennent ennuyeuses, il faut les rompre.Il cherche contredire, se plaindre, piquer les autres; il sirrite de voir quils ne veulent point se fcher.Souvent, il porte ses coups en lair, comme un taureau furieux, qui, de ses cornes aiguises, va se battre contre les vents.Quand il manque de prtexte pour attaquer les autres, il se tourne contre lui-mme: il se blme, il ne se trouve bon rien, il se dcourage; il trouve fort mauvais quon veuille le consoler.Il veut tre seul et ne peut supporter la solitude.Il revient la compagnie et saigrit contre elle.On se tait: ce silence affect le choque.On parle tout bas: il simagine que cest contre lui.On parle tout haut: il trouve quon parle trop et quon est trop gai pendant quil est triste.On est triste: cette tristesse lui parat un reproche de ses fautes.On rit; il souponne quon se moque de lui.Que faire?tre aussi ferme et aussi patient quil est insupportable et attendre, en paix, quil revienne demain, aussi sage quil tait hier.Cette humeur trange sen va comme elle vient.Quand elle le prend, on dirait que cest un ressort de machine qui se dmonte tout coup; il est comme on dpeint les possds; sa raison est comme lenvers: cest la draison elle-mme, en personne.Poussez-le, vous lui ferez dire en plein jour quil est nuit; car il ny a plus, ni jour, ni nuit, pour une tte dmonte par son caprice.Quelquefois, il ne peut sempcher dtre tonn de ses excs et de ses fougues.Malgr son chagrin, il sourit des paroles extravagantes qui lui ont chapp.Mais, quel moyen de prvoir ces orages et de conjurer la tempte?Il ny en a aucun; point de bons almanachs pour prdire ce mauvais temps.Gardez-vous bien de dire:Demain, nous irons nous divertir dans un tel jardin;lhomme daujourdhui ne sera point celui de demain; celui qui vous promet maintenant disparatra tantt: vous ne saurez plus o le prendre pour le faire souvenir de sa parole; en sa place, vous trouverez un je ne sais quoi, qui na ni forme, ni nom, qui nen peut avoir et que vous ne sauriez dfinir deux instants de suite de la mme manire.tudiez-le bien, puis dites-en tout ce quil vous plaira: il ne sera plus vrai, le moment daprs, que vous laurez dit.Ce je ne sais quoi, veut et ne veut pas; il menace, il tremble; il mle des hauteurs ridicules avec des bassesses indignes.Il pleure, il rit; il badine, il est furieux.Dans sa fureur la plus bizarre et la plus insense, il est plaisant, loquent, subtil, plein de tours nouveaux, quoiquil ne lui reste pas seulement une ombre de raison.Prenez bien garde de ne lui rien dire qui ne soit juste, prcis et exactement raisonnable; il saurait bien en prendre avantage et vous donner adroitement le change; il passerait dabord, de son tort au vtre et deviendrait raisonnable, pour le seul plaisir de vous convaincre que vous ne ltes pas.Cest un rien qui la fait monter jusques aux nues; mais ce rien, quest-il devenu? il sest perdu dans la mle; il nen est plus question: il ne sait plus ce qui la fch, il sait seulement quil se fche et quil veut se fcher; encore mme, ne le sait-il pas toujours.Il simagine souvent que tous ceux qui lui parlent, sont emports et que cest lui qui se modre, comme un homme qui a la jaunisse, croit que tous ceux quil voit sont jaunes, quoique, le jaune, ne soit que dans ses yeux.Mais, peut-tre quil pargnera certaines personnes auxquelles il doit plus quaux autres et quil parat aimer davantage?Non, sa bizarrerie ne connat personne: elle se prend sans choix tout ce quelle trouve; le premier venu lui est bon pour se dcharger: tout lui est gal, pourvu quil se fche; il dirait des injures tout le monde.Il naime plus les gens, il nen est point aim; on le perscute, on le trahit; il ne doit rien qui que ce soit.Mais attendez un moment, voici une autre scne.Il a besoin de tout le monde; il aime, on laime aussi; il flatte, il sinsinue, il ensorcelle tous ceux qui ne pouvaient plus le souffrir; il avoue son tort, il rit de ses bizarreries, il se contrefait; et vous croiriez que cest lui-mme, dans ses accs demportement, tant il se contrefait bien.Aprs cette comdie, joue ses propres dpends, vous croyez bien quau moins, il ne fera plus le dmoniaque.Hlas! vous vous trompez: il le fera encore ce soir, pour sen moquer demain, sans se corriger.

ARISTE ET VIRGILEVirgiletant descendu aux enfers, entra dans ces campagnes fortunes, o les hros et les hommes, inspirs des dieux, passent une vie bienheureuse sur des gazons toujours maills de fleurs et entrecoups de mille ruisseaux.Dabord, le berger Ariste1, qui tait l au moment des demi-dieux, savana vers lui, ayant appris son nom.Que jai de joie, lui dit-il, de voir un si grand pote2! Vos vers coulent plus doucement que la rose sur lherbe tendre; ils ont une harmonie si douce, quils attendrissent le cur et quils tirent les larmes des yeux. Vous en avez faits pour moi et pour mes abeilles, dontHomremme, pourrait tre jaloux. Je vous dois, autant quau Soleil et Cyrne3, la gloire dont je jouis. Il ny a pas encore longtemps que je les rcitais, ces vers si tendres et si gracieux, Linus4, Hsiodeet Homre. Aprs les avoir entendus, ils allrent tous trois boire de leau du fleuveLth5pour les oublier, tant ils taient affligs de repasser dans leur mmoire, des vers si dignes deux, quils navaient pas faits. Vous savez que la nation des potes est jalouse. Venez donc parmi eux prendre votre place.Elle sera bien mauvaise cette place, rpondit Virgile, puisquils sont si jaloux. Jaurai de mauvaises heures passer dans leur compagnie; je vois bien que vos abeilles, ntaient pas plus faciles irriter que le cur des potes.Il est vrai, reprit Ariste; ils bourdonnent comme les abeilles; comme elles, ils ont un aiguillon perant, pour piquer tout ce qui enflamme leur colre.Jaurais encore, dit Virgile, un autre grand homme mnager ici; cest le divinOrphe. Comment vivez-vous ensemble?Assez mal, rpondit Ariste. Il est encore jaloux de sa femme, comme les trois autres de la gloire des vers; mais pour vous, il vous recevra bien, car vous lavez trait honorablement et vous avez parl beaucoup plus sagement qu'Ovide, de sa querelle avec les femmes de Thrace qui le massacrrent. Mais ne tardons pas davantage; entrons dans ce petit bois sacr, arros de tant de fontaines, plus claires que le cristal: vous verrez que toute la troupe sacre se lvera pour vous faire honneur. Nentendez-vous pas, dj, la lyre dOrphe? coutez Linus, qui chante le combat des dieux contre les gants. Homre se prpare a chanter Achille qui venge la mort de Patrocle par celle dHector. Mais, Hsiode est celui que vous avez le plus craindre; car de lhumeur dont il est, il sera bien fch que vous ayez os traiter avec tant dlgance, toutes les choses rustiques, qui ont t son partage.A peine Ariste eut achev ces mots, quils arrivrent dans cet ombrage frais, o rgne un ternel enthousiasme qui possde ces hommes divins.Tous se levrent; on fit asseoir Virgile, on le pria de chanter ses vers.Il les chanta dabord avec modestie et puis avec transport.Les plus jaloux sentirent malgr eux, une douceur qui les ravissait.La lyre dOrphe, qui avait enchant les rochers et les bois, chappa de ses mains et des larmes amres coulrent de ses yeux.Homre oublia pour un moment, la magnificence rapide de lIliade et la varit agrable de lOdysse.Linus crut que ces beaux vers avaient t faits par son pre Apollon; il tait immobile, saisi et suspendu par un si doux chant.Hsiode, tout mu, ne pouvait rsister ce charme. Enfin, revenant un peu lui, il pronona ces paroles pleines de jalousie et dindignation:O Virgile! tu as fait des vers plus durables que lairain et que le bronze. Mais je te prdis quun jour, on verra un enfant qui les traduira en sa langue et qui partagera, avec toi, la gloire davoir chant les Abeilles.1. Virgileest le prince des potes latins, etAristeest un berger dont Virgile a parl dans lesGorgiques, lun de ses pomes.2. Les mots pote, pome, sont dans cette dition de 1898 orthographis avec un trma.3. Cyrnetait la mre dAriste4. Linus, pote inspir, fils dApollon et dune Muse.5. Lun des Fleuve des Enfers, dont les eaux faisaient perdre tous les souvenirs

LA MDAILLEJe crois, Monsieur, que je ne dois point perdre de temps, pour vous informer dune chose trs curieuse et sur laquelle vous ne manquerez pas de faire bien des rflexions.Nous avons, en ce pays, un savant nomm M. Wanden, qui a de grandes correspondances avec les antiquaires dItalie.Il prtend avoir reu, par eux, une mdaille antique, que je nai pu voir jusquici, mais dont il a fait frapper des copies qui sont trs bien faites et qui, se rpandront bientt, selon les apparences, dans tous les pays o il y a des curieux.Jespre, que dans peu de jours, je vous en enverrai une.En attendant, je vais vous en faire la plus exacte description que je pourrai.Dun ct, cette mdaille qui est fort grande, reprsente un enfant dune figure trs-belle et trs-noble; on voitPallasqui le couvre de son gide[1], en mme temps, les troisGrcessment son chemin de fleur;Apollon, suivi des Muses, lui offre sa lyre;Vnusparat en lair, dans son char attel de colombes, qui laisse tomber sur lui, sa ceinture; laVictoirelui montre dune main, un char de triomphe et de lautre, lui prsente une couronne.Les paroles sont prises d'Horace:Non sine dis animosus infans[2]Le revers est bien diffrent.Il est manifeste que cest le mme enfant; car on reconnat dabord le mme air de tte; mais, il na autour de lui, que des masques grotesques et hideux, des reptiles, venimeux comme des vipres et des serpents, des insectes, des hiboux, enfin, des Harpies sales, qui rpandent de lordure de tous cts et qui dchirent tout avec leurs ongles crochus.Il y a une troupe de Satyres, impudents et moqueurs, qui font les postures les plus bizarres, qui rient et qui montrent du doigt la queue dun poisson monstrueux, par o finit le corps de ce bel enfant.Au bas, on lit ces paroles, qui comme vous savez, sont aussi dHorace: Turpiter atrum desinit in piscem[3].Les savants se donnent beaucoup de peine, pour dcouvrir en quelle occasion cette mdaille a pu tre frappe dans lantiquit.Quelques-uns soutiennent, quelle reprsenteCaligula, qui, tant fils de Germanicus, avait donn dans son enfance, de hautes esprances pour le bonheur de lempire, mais qui, dans la suite, devint un monstre.Dautres veulent, que tout ceci ait t fait pourNron, dont les commencements furent si heureux et la fin si horrible.Les uns et les autres conviennent, quil sagit dun jeune prince blouissant qui promettait beaucoup et dont toutes les esprances ont t trompeuses.Mais il y en a dautres, plus dfiants, qui ne croient point que cette mdaille soit antique.Le mystre que fait M. Wanden pour cacher loriginal, donne de grands soupons.On simagine voir quelque chose de notre temps figur dans cette mdaille: peut-tre, signifie-t-elle de grandes esprances qui se tourneront en de grands malheurs: il semble, quon affecte de faire entrevoir, malignement, quelque jeune prince, dont on tche de rabaisser toutes les bonnes qualits par des dfauts quon lui impute.Dailleurs, M. Wanden nest pas seulement curieux, il est encore politique, fort attach au prince dOrange[4], et on souponne que cest dintelligence avec lui quil veut rpandre cette mdaille dans toute les cours de lEurope.Vous jugerez bien mieux que moi, Monsieur, ce quil en faut croire.Il me suffit de vous avoir fait part de cette nouvelle, qui fait raisonner ici, avec beaucoup de chaleur tous nos gens de lettres et de vous assurer, que je suis toujours, votre trs-humble et trs-obissant serviteur.BAYLE[5].DAmsterdam, le 4 mai 1691.1. Pallasest la mme queMinerve. On la reprsentait en guerrire avec un bouclier quon appelaitgide.2. Enfant courageux, grce la protection des dieux.3. Il se termine en un hideux poisson.4. Leprince dOrange, stathouder ou chef du gouvernement de Hollande, tait alors en guerre avec la France.5. Clbre rudit, n en France, mais qui passa presque toute sa vie en Hollande, o il professa la philosophie.

PRIRE INDISCRTE DE NLE, PETIT-FILS DE NESTOR. Entre tous les mortels qui avaient t aims des dieux, nul ne leur avait t plus cher que Nestor[1]; ils avaient vers sur lui, leurs dons les plus prcieux; la sagesse, la profonde connaissance des hommes, une loquence douce et insinuante.Tous les Grecs lcoutaient avec admiration et, dans une extrme vieillesse, il avait un pouvoir absolu sur les curs et sur les esprits.Les dieux, avant la fin de ses jours, voulurent lui accorder encore une faveur, qui fut de voir natre un fils de Pisistrate[2].Quand il vint au monde, Nestor le prit sur ses genoux et levant les yeux au ciel: Pallas! dit-il, vous avez combl la mesure de vos bienfaits; je nai plus rien souhaiter sur la terre, sinon que vous remplissiez, de votre esprit, lenfant que vous mavez fait voir. Vous ajouterez, jen suis sr, puissante desse, cette faveur toutes celles que jai reues de vous. Je ne demande point de voir le temps o mes vux seront exaucs; la terre ma port trop longtemps; coupez, fille de Jupiter, le fil de mes jours.Ayant prononc ces mots, un doux sommeil se rpand sur ses yeux, il fut uni avec celui de la mort et, sans effort, sans douleur, son me quitta son corps glac et presque ananti par trois ges dhomme quil avait vcus.Ce petit-fils de Nestor sappelait Nle.Nestor, qui la mmoire de son pre avait toujours t chre, voulut quil portt son nom.Quand Nle fut sorti de lenfance, il alla faire un sacrifice Minerve, dans un bois proche de la ville de Pylos, qui tait consacr cette desse.Aprs que les victimes, couronnes de fleurs, eurent t gorges, pendant que ceux qui lavaient accompagn, soccupaient aux crmonies qui suivaient limmolation, que les uns coupaient du bois, que les autres faisaient sortir le feu des veines des cailloux, quon corchait les victimes et quon les coupait en plusieurs morceaux, tous tant loigns de lautel, Nle tait demeur auprs.Tout dun coup, il entendit la terre trembler; du creux des arbres, sortaient daffreux mugissements; lautel paraissait en feu et, sur le haut des flammes, parut une femme dun air si majestueux et si vnrable, que Nre en fut bloui.Sa figure tait au-dessus de la forme humaine: ses regards taient plus perants que les clairs; sa beaut navait rien de mou ni deffmin: elle tait pleine de grce et marquait de la force et de la vigueur.Nle, ressentant limpression de la divinit, se prosterne terre: tous ses membres se trouvent agits par un violent tremblement; son sang se glace dans ses veines; sa langue sattache son palais et ne peut plus profrer aucune parole; il demeure interdit, immobile et presque sans vie.Alors, Pallas lui rend la force qui lavait abandonn.Ne craignez rien, lui dit cette desse; je suis descendue du haut de lOlympe pour vous tmoigner le mme amour que jai fait ressentir votre aeul Nestor: je mets votre bonheur dans vos mains, jexaucerai tous vos vux; mais, pensez attentivement ce que vous me devez demander.Alors, Nle, revenu de son tonnement et charm par la douceur des paroles de la desse, sentit au dedans de lui, la mme assurance que sil net t que devant une personne mortelle.Il tait lentre de la jeunesse: dans cet ge o, les plaisirs quon commence ressentir, occupent et entranent lme tout entire, on na point encore connu lamertume, suite insparable des plaisirs; on na point encore t instruit par lexprience. desse! scria-t-il, si je puis toujours goter la douceur de la volupt, tous mes souhaits seront accomplis.Lair de la desse tait auparavant gai et ouvert; ces mots, elle en prit un froid et srieux:Tu ne comptes, lui dit-elle, que ce qui flatte les sens; eh bien, tu vas tre rassasi des plaisirs que ton cur dsire.La desse aussitt disparut.Nle quitte lautel et reprend le chemin de Pylos.Il voit, sous ses pas, natre et clore des fleurs dune odeur si dlicieuse, que les hommes navaient jamais ressenti un si prcieux parfum.Le pays sembellit et prend une forme qui charme les yeux de Nle.La beaut des Grces, compagnes de Vnus, se rpand sur toute les femmes qui paraissent devant lui.Tout ce quil boit devient nectar, tout ce quil mange devient ambroisie; son me se trouve noye dans un ocan de plaisirs.La volupt sempare du cur de Nle, il ne vit plus que pour elle; il nest plus occup que dun seul soin, qui est, que les divertissements se succdent toujours les uns aux autres et quil ny ait pas un seul moment o ses sens ne soient agrablement charms.Plus il gote les plaisirs, plus il les souhaite ardemment.Son esprit samollit et perd toute sa vigueur; les affaires lui deviennent un poids dune pesanteur horrible; tout ce qui est srieux lui donne un chagrin mortel.Il loigne de ses yeux les sages conseillers qui avaient t forms par Nestor et qui taient regards comme le plus prcieux hritage que ce prince et laiss son petit-fils.La raison, les remontrances utiles, deviennent lobjet de son aversion la plus vive et il frmit si quelquun ouvre la bouche devant lui pour lui donner un sage conseil.Il fait btir un magnifique palais, o on ne voit luire que lor, largent et le marbre, o tout est prodigue pour contenter les yeux et appeler le plaisir.Le fruit de tant de soins pour se satisfaire, cest lennui, linquitude.A peine a-t-il ce quil souhaite, quil sen dgote: il faut quil change souvent de demeure, quil coure sans cesse de palais en palais, quil abatte et quil rdifie.Le beau, lagrable ne le touchent plus; il lui faut du singulier, du bizarre, de lextraordinaire: tout ce qui est naturel et simple lui parat insipide et il tombe dans un tel engourdissement, quil ne vit plus, quil ne sent plus que par secousses, par soubresauts.Pylos, sa capitale, change de face.On y aimait le travail; on y honorait les dieux; la bonne foi rgnait dans le commerce; tout y tait dans lordre et le peuple mme, trouvait dans les occupations utiles qui se succdaient sans laccabler, laisance et la paix.Un luxe effrn prend la place de la dcence et des vraies richesses; tout y est prodigu aux vains agrments, aux commodits recherches.Les maisons, les jardins, les difices publics changent de forme; tout y devient singulier; le grand, le majestueux, qui sont toujours simples, ont disparu.Mais, ce qui est encore plus fcheux, les habitants, lexemple de Nle, naiment, nestiment, ne recherchent que la volupt: on la poursuit aux dpens de linnocence et de la vertu; on sagite, on se tourmente pour saisir une ombre vaine et fugitive de bonheur et lon en perd le repos et la tranquillit; personne nest content, parce quon veut ltre trop, parce quon ne sait rien souffrir ni rien entendre.Lagriculture et les autres arts utiles sont devenus presque avilissants: ce sont ceux que la mollesse a invents, qui sont en honneur, qui mnent la richesse, et auxquels on prodigue des encouragements.Les trsors que Nestor et Pisistrate avaient amasss sont bientt dissips; les revenus de ltat deviennent la proie de ltourderie et de la cupidit.Le peuple murmure, les grands se plaignent; les sages seuls, gardent quelque temps le silence: ils parlent enfin et leur voix respectueuse se fait entendre Nle.Ses yeux souvrent, son cur sattendrit.Il a encore recours Minerve: il se plaint la desse de sa facilit exaucer ses vux tmraires; il la conjure de retirer ses dons perfides: il lui demande la sagesse et la justice.Que jtais aveugle! scria-t-il; mais je connais mon erreur, je dteste la faute que jai faite; je veux la rparer, et chercher dans lapplication mes devoirs, dans le soin de soulager mon peuple, et dans linnocence et la puret des murs, le repos et le bonheur que jai vainement cherchs dans les plaisirs des sens.1. Nestor, roi de Pylos, le plus g des hros de lIliade et le plus clbre par sa sagesse et son loquence.2. Un des sept fils de Nestor.

LES ABEILLES ET LES VERS A SOIEUn jour les Abeilles montrent jusque dans lOlympe, au pied du trne de Jupiter, pour le prier davoir gard aux soins quelles avaient pris de son enfance, quand elles le nourrirent de leur miel sur le mont Ida[1].Jupiter voulut leur accorder les premiers honneurs entre tous les petits animaux; mais Minerve, qui prside aux arts, lui reprsenta quil y avait une autre espce qui disputait aux Abeilles la gloire des inventions utiles.Jupiter voulut en savoir le nom.Ce sont les Vers soie, rpondit-elle.Aussitt le pre des dieux ordonna Mercure de faire venir sur les ailes des doux Zphyrs des dputs de ce petit peuple, afin quon pt entendre les raisons des deux parties.LAbeille ambassadrice de sa nation reprsenta la douceur du miel, qui est le nectar des hommes, son utilit, lartifice avec lequel il est compos; puis elle vanta la sagesse des lois qui policent la rpublique volante des Abeilles.Nulle autre espce danimaux, disait lorateur, na cette gloire, et cest une rcompense davoir nourri dans un antre le pre des dieux. De plus, nous avons en partage la valeur guerrire, quand notre roi anime nos troupes dans les combats. Comment est-ce que ces Vers, insectes vils et mprisables, oseraient nous disputer le premier rang? Ils ne savent que ramper, pendant que nous prenons un noble essor, et que de nos ailes dores nous montons jusque vers les astres.Le harangueur des Vers soie rpondit:Nous ne sommes que de petits vers, et nous navons ni ce grand courage pour la guerre, ni ces sages lois; mais chacun de nous montre les merveilles de la nature et se consume dans un travail utile. Sans lois, nous vivons en paix, et on ne voit jamais de guerres civiles chez nous, pendant que les Abeilles sentre-tuent chaque changement de roi. Nous avons la vertu de Prote pour changer de forme: tantt nous sommes de petits vers composs de onze anneaux entrelacs avec la varit des plus vives couleurs quon admire dans les fleurs dun parterre. Ensuite nous filons de quoi vtir les hommes les plus magnifiques jusque sur le trne, et de quoi orner les temples des dieux. Cette parure si belle et si durable vaut bien du miel qui se corrompt bientt. Enfin nous nous transformons en fve, mais en fve qui sent, qui se meut, et qui montre toujours de la vie. Aprs ces prodiges, nous devenons tout coup des papillons avec lclat des plus riches couleurs. Cest alors que nous ne cdons plus aux Abeilles pour nous lever dun vol hardi jusque vers lOlympe. Jugez maintenant, pre des dieux!Jupiter, embarrass pour la dcision, dclara enfin que les Abeilles tiendraient le premier rang, cause des droits quelles avaient acquis depuis les anciens temps.Quel moyen, dit-il, de les dgrader? je leur ai trop dobligation; mais je crois que les hommes doivent encore plus aux Vers soie.1. Montagne de lle de Crte, sur laquelle Jupiter avait t cach de son pre, allait par la chvre Amalthe et nourri par les abeilles.

LE SINGEUn vieux Singe malin tant mort, son ombre descendit dans la sombre demeure de Pluton, o elle demanda retourner parmi les vivants.Pluton voulait la renvoyer dans le corps dun ne pesant et stupide, pour lui ter sa souplesse, sa vivacit et sa malice; mais elle fit tant de tours plaisants et badins, que linflexible roi des Enfers ne put sempcher de rire et lui laissa le choix dune condition.Elle demanda entrer dans le corps dun perroquet.Au moins, disait-elle, je conserverai par l quelque ressemblance avec les hommes, que jai si longtemps imits. tant singe, je faisais des gestes comme eux; et tant perroquet, je parlerai avec eux dans les plus agrables conversations.A peine lme du Singe stait introduite dans ce nouveau mtier, quune vieille femme causeuse lacheta.Il fit ses dlices; elle le mit dans une belle cage.Il faisait bonne chre, et discourait toute la journe avec la vieille radoteuse, qui ne parlait pas plus sensment que lui.Il joignait son nouveau talent dtourdir tout le monde je ne sais quoi de son ancienne profession: il remuait sa tte ridiculement; il faisait craquer son bec; il agitait ses ailes de cent faons, et faisait de ses pattes plusieurs tours qui sentaient encore les grimaces de Fagotin1.La vieille prenait toute heure ses lunettes pour ladmirer.Elle tait bien fches dtre un peu sourde, et de perdre quelquefois des paroles de son Perroquet, qui elle trouvait plus desprit qu personne.Ce Perroquet gt devint bavard, importun et fou.Il se tourmenta si fort dans sa cage, et but tant de vin avec la vieille, quil en mourut.Le voil revenu devant Pluton, qui voulut cette fois le faire passer dans le corps dun poisson, pour le rendre muet: mais il fit encore une farce devant le roi des ombres; et les princes ne rsistent gure aux demandes des mauvais plaisants qui les flattent.Pluton accorda donc celui-ci quil irait dans le corps dun homme.Mais comme le dieu eut honte de lenvoyer dans le corps dun homme sage et vertueux, il le destina au corps dun harangueur ennuyeux et importun, qui mentait, qui se vantait sans cesse, qui faisait des gestes ridicules, qui se moquait de tout le monde, qui interrompait les conversations les plus polies et les plus solides, pour dire des riens ou les sottises les plus grossires.Mercure2, qui le reconnut dans ce nouvel tat, lui dit en riant:Ho! ho! je te reconnais; tu nes quun compos du Singe et du Perroquet que jai vu autrefois. Qui tterait tes gestes et tes paroles apprises par cur sans jugement, ne laisserait rien de toi. Dun joli singe et dun bon perroquet, on nen fait quun sot homme.Oh! combien dhommes dans le monde, avec des gestes faonns, un petit caquet et un air capable, nont ni sens ni conduite!1. Nom quon donnait aux singes que les charlatans et les faiseurs de tours se servaient pour amuser la foule, et quon appliquait quelquefois aux faiseurs de tours eux-mmes.2. Messager des dieux, et charg par Jupiter de conduire les mes des morts dans les Enfers.

LE DRAGON ET LES RENARDSUn Dragon gardait un trsor dans une profonde caverne; il veillait jour et nuit pour le conserver.Deux Renards, grands fourbes et grands voleurs de leur mtier, sinsinurent auprs de lui par flatteries.Ils devinrent ses confidents.Les gens les plus complaisants et les plus empresss ne sont pas les plus srs.Ils le traitaient de grand personnage, admiraient toutes ses fantaisies, taient toujours de son avis, et se moquaient entre eux de leur dupe.Enfin il sendormit un jour au milieu deux; ils ltranglrent, et semparrent du trsor.Il fallut le partager entre eux: ctait une affaire bien difficile, car deux sclrats ne saccordent que pour faire le mal.Lun deux se mit moraliser: quoi, disait-il, nous servira tout cet argent? un peu de chasse nous vaudrait mieux: on ne mange point du mtal, les pistoles sont de mauvaise digestion. Les hommes sont des fous daimer tant ces fausses richesses: ne soyons pas aussi insenss queux.Lautre fit semblant dtre touch de ces rflexions, et assura quil voulait vivre en philosophe comme Bias[1], portant tout son bien sur lui.Chacun fait semblant de quitter le trsor: mais ils se dressrent des embches et sentre-dchirrent.Lun deux en mourant dit lautre, qui tait aussi bless que lui:Que voulais-tu faire de cet argent? La mme chose que tu voulais en faire,rpondit lautre.Un homme passant apprit leur aventure, et les trouva bien fous.Vous ne ltes pas moins que nous, lui dit un des Renards; vous ne sauriez, non plus que nous, vous nourrir dargent, et vous vous tuez pour en avoir. Du moins, notre race jusquici a t assez sage pour ne mettre en usage aucune monnaie. Ce que vous avez introduit chez vous pour la commodit fait votre malheur. Vous perdez les vrais biens, pour chercher les biens imaginaires.1. Lun desSept Sagesde la Grce, n Prine en Ionie vers lan 570 avant Jsus-Christ. Cette ville, se trouvant assige par lun des gnraux de Cyrus, roi de Perse, tait sur le point dtre force. Les habitants se disposrent labandonner, et chacun prparait ce quil avait de plus prcieux pour le sauver. Bias seul nemportait rien. On lui en demanda la raison:Cest, dit-il, que je porte tout avec moi. (Omnia mea mecum porto) voulant de cette manire dmontrer quil ntait pas attach aux autres biens que ceux quil regardait comme ses plus prcieux: sa sagesse et sa pense. En fait, Bias connaissait Cyrus et savait quil voulait fonder un empire et ne rien dtruire.

LE LIVRE QUI FAIT LE BRAVEUn Livre qui tait honteux dtre poltron cherchait quelque occasion de saguerrir.Il allait quelquefois par un trou dune haie dans les choux du jardin dun paysan, pour saccoutumer au bruit du village.Souvent mme il passait assez prs de quelques mtins, qui se contentaient daboyer aprs lui.Au retour de ces grandes expditions, il se croyait plus redoutable quAlcide1aprs tous ses travaux.On dit mme quil ne rentrait dans son gte quavec des feuilles de laurier, et faisait lovation.Il vantait ses prouesses ses compres les livres voisins.Il reprsentait les dangers quil avait courus, les alarmes quil avait donnes aux ennemis, les ruses de guerre quil avait faites en expriment capitaine, et surtout son intrpidit hroque.Chaque matin il remerciait Mars et Bellone2de lui avoir donn des talents et un courage pour dompter toutes les nations longues oreilles.Jean Lapin, discourant un jour avec lui, lui dit dun ton moqueur:Mon ami, je te voudrais voir avec cette belle fiert au milieu dune meute de chiens courants. Hercule fuirait bien vite, et ferait une laide contenance. Moi? rpondit notre preux chevalier, je ne reculerais pas, quand toute la gent chienne viendrait mattaquer.A peine eut-il parl, quil entendit un petit tournebroche3dun fermier voisin, qui glapissait dans les buissons assez loin de lui.Aussitt il tremble, il frissonne, il a la fivre; ses yeux se troublent, comme ceux de Pris quand il vit Mnlas qui venait ardemment contre lui.Il se prcipite dun rocher escarp dans une profonde valle, o il pensa se noyer dans un ruisseau.Jean Lapin, lui voyant faire le saut, scria de son terrier;Le voil, ce foudre de guerre! Le voil, cet Hercule qui doit purger la terre de tous les monstres dont elle est pleine!

1. Alcide ou Hercule, hros, fils de Jupiter.2. Mars, Bellone, dieu et desse de la guerre.3. Chien ainsi appel de lusage auquel on lempolyait.

CHASSE DE DIANEIl y avait dans le pays des Celtes, et assez prs du fameux sjour des druides, une sombre fort dont les chnes, aussi anciens que la terre, avaient vu les eaux du dluge, et conservaient sous leurs pais rameaux une profonde nuit au milieu du jour.Dans cette fort recule tait une belle fontaine plus claire que le cristal, et qui donnait son nom au lieu o elle coulait.Diane allait souvent percer de ses traits des cerfs et des daims dans cette fort pleine de rochers escarps et sauvages.Aprs avoir chass avec ardeur, elle allait se plonger dans les pures eaux de la fontaine, et la naade se glorifiait de faire les dlices de la desse et de toutes les Nymphes.Un jour, Diane chassa en ces lieux un sanglier plus grand et plus furieux que celui de Calydon.Son dos tait arm dune soie dure, aussi hrisse et aussi horrible que les piques dun bataillon.Ses yeux tincelants taient pleins de sang et de feu.Il jetait dune gueule bante et enflamme une cume mle dun sang noir.Sa hure monstrueuse ressemblait la proue recourbe dun navire.Il tait sale et couvert de la boue de sa bauge o il stait vautr.Le souffle brlant de sa gueule agitait lair tout autour de lui, et faisait un bruit effroyable.Il slanait rapidement comme la foudre; il renversait les moissons dores, et ravageait toutes les campagnes voisines; il coupait les hautes tiges des arbres les plus durs pour aiguiser ses dfenses contre leurs troncs.Ses dfenses taient aigus et tranchantes comme les glaives recourbs des Perses.Les laboureurs pouvants se rfugiaient dans leurs villages.Les bergers, oubliant leurs faibles troupeaux errants dans les pturages, couraient vers leurs cabanes.Tout tait constern; les chasseurs mmes, avec leurs dards et leurs pieux, nosaient entrer dans la fort.Diane seule, ayant piti de ce pays, savance avec son carquois dor et ses flches.Une troupe de Nymphes la suit, et elle les surpasse de toute la tte.Elle est, dans sa course, plus lgre que les Zphyrs, et plus prompte que les clairs.Elle atteint le monstre furieux, le perce dune de ses flches au-dessous de loreille, lendroit o lpaule commence.Le voil qui se roule dans les flots de son sang; il pousse des cris dont toute la fort retentit, et montre en vain ses dfenses prtes dchirer ses ennemis.Les Nymphes en frmissent.Diane seule savance, met le pied sur sa tte, et enfonce son dard; puis se voyant rougie du sang de ce sanglier, qui avait rejailli sur elle, elle se baigna dans la fontaine, et se retire charme davoir dlivr les campagnes de ce monstre.

HISTOIRE DUNE VIEILLE REINE ET DUNE JEUNE PAYSANNEIl tait une fois une Reine si vieille, si vieille quelle navait plus ni dents ni cheveux; sa tte branlait comme les feuilles que le vent remue; elle ne voyait goutte mme avec ses lunettes, le bout de son nez et celui de son menton se touchaient; elle tait rapetisse de la moiti, et toute en un peloton, avec le dos si courb, quon aurait cru quelle avait toujours t contrefaite.Une Fe, qui avait assist sa naissance, laborda et lui dit:Voulez-vous rajeunir? Volontiers, rpondit la Reine: je donnerais tous mes joyaux pour navoir que vingt ans. Il faut donc, continua la Fe, donner votre vieillesse quelque autre dont vous prendrez la jeunesse et la sant. A qui donnerons-nous vos cent ans?La Reine fit chercher partout quelquun qui voult tre vieux pour la rajeunir.Il vint beaucoup de gueux qui voulaient vieillir pour tre riches; mais quand ils avaient vu la Reine tousser, cracher, rler, vivre de bouillie, tre sale, hideuse, puante, souffrante, et radoter un peu, ils ne voulaient plus se charger de ses annes; ils aimaient mieux mendier et porter des haillons.Il venait aussi des ambitieux, qui elle promettait de grands rangs et de grands honneurs.Mais que faire de ces rangs? disaient-ils aprs lavoir vue; nous noserions nous montrer tant si dgotants et si horribles.Mais enfin il se prsenta une jeune fille de village, belle comme le jour, qui demanda la couronne pour prix de sa jeunesse; elle se nommait Pronnelle.La Reine sen fcha dabord; mais que faire? quoi sert-il de se fcher? elle voulait rajeunir.Partageons, dit-elle Pronnelle, mon royaume; vous en aurez une moiti et moi lautre: cest bien assez pour vous, qui tes une petite paysanne. Non, rpondit la Fille, ce nest pas assez pour moi; je veux tout. Laissez-moi mon bavolet1avec mon teint fleuri; je vous laisserai vos cent ans avec vos rides, et la mort qui vous talonne. Mais aussi, rpondit la Reine, que ferais-je, si je navais plus de royaume? Vous ririez, vous danseriez, vous chanteriez comme moi, lui dit cette Fille.En parlant ainsi, elle se mit rire, danser et chanter.La Reine, qui tait bien loin den faire autant, lui-dit:Que feriez-vous en ma place? vous ntes point accoutume la vieillesse. Je ne sais pas, dit la paysanne, ce que je ferais; mais je voudrais bien lessayer, car jai toujours ou dire quil est beau dtre reine.Pendant quelles taient en march, la Fe survint, qui dit la paysanne:Voulez-vous faire votre apprentissage de vieille reine, pour savoir si ce mtier vous accommodera? Pourquoi non? dit la Fille.A linstant les rides couvrent son front; ses cheveux blanchissent; elle devient grondeuse et rechigne; sa tte branle et toutes ses dents aussi; elle a dj cent ans.La Fe ouvre une petite bote, et en tire une foule dofficiers et de courtisans richement vtus, qui croissent mesure quils en sortent, et qui rendent mille respects la nouvelle reine.On lui sert un grand festin, mais elle est dgote et ne saurait mcher; elle est honteuse et tonne; elle ne sait ni que dire ni que faire; elle tousse crever elle crache sur son menton; elle a au nez une roupie gluante, quelle essuie avec sa manche; elle se regarde au miroir, et se trouve plus laide quune guenuche2.Cependant la vritable Reine tait dans un coin, qui riait et qui commenait devenir jolie; ses cheveux revenaient, et ses dents aussi; elle reprenait un bon teint frais et vermeil, elle se redressait avec mille petites faons; mais elle tait crasseuse, court vtue, et faite comme un petit torchon qui a tran dans les cendres.Elle ntat pas accoutume cet quipage, et ses gardes, la prenant pour quelque ervante de cuisine, voulaient la chasser du palais.Alors Pronnelle lui dit:Vous voil bien embarrasse de ntre plus reine, et moi encore davantage de ltre; tenez, voil votre couronne, rendez-moi ma cotte grise.Lchange fut aussitt fait; et la Reine de revieillir, et la paysanne de rajeunir.A peine le changement fut fait, que toutes deux sen repentirent; mais il ntait plus temps.La Fe les condamna demeurer chacune dans sa condition.La Reine pleurait tous les jours.Ds quelle avait mal au bout du doigt, elle disait:Hlas! si jtais Pronnelle, lheure que je parle, je serais loge dans une chaumire, et je vivrais de chtaignes; mais je danserais sous lorme avec les bergers au son de la flte. Que me sert davoir un beau lit o je ne fais que souffrir, et tant de gens qui ne peuvent me soulager?Ce chagrin augmenta ses maux; les mdecins, qui taient sans cesse douze autour delle, les augmentrent aussi.Enfin elle mourut au bout de deux mois.Pronnelle faisait une danse ronde le long dun clair ruisseau avec ses compagnes, quand elle apprit la mort de la Reine: alors elle reconnut quelle avait t plus heureuse que sage davoir perdu la royaut.La Fe revint la voir, et lui donna choisir de trois maris: lun vieux, chagrin, dsagrable, jaloux et cruel, mais riche, puissant, et trs-grand seigneur, qui ne pourrait, ni jour ni nuit, se passer de lavoir auprs de lui; lautre, bien fait, doux, commode, aimable et dune grande naissance, mais pauvre et malheureux en tout; le dernier, paysan comme elle, qui ne serait ni beau ni laid, qui ne laimerait ni trop ni peu, qui ne serait ni riche ni pauvre.Elle ne savait lequel prendre, car naturellement elle aimait fort les beaux habits, les quipages et les grands honneurs.Mais la Fe lui dit:Allez, vous tes une sotte. Voyez-vous ce paysan? voil le mari quil vous faut. Vous aimeriez trop le second; vous seriez trop aime du premier; tous deux vous rendraient malheureuse: cest bien assez que le troisime ne vous batte point. Il vaut mieux danser sur lherbe ou sur la fougre que dans un palais, et tre Pronnelle au village, quune dame malheureuse dans le beau monde. Pourvu que vous nayez aucun regret aux grandeurs, vous serez heureuse avec votre laboureur, toute votre vie.

1. Sorte de coiffure que portent les villageoises dans certains pays.2. Petite guenon.

HISTOIRE DE FLORISEUne paysanne connaissait dans son voisinage une fe.Elle la pria de venir une de ses couches o elle eut une fille.La Fe prit dabord lenfant entre ses bras, et dit la mre:Choisissez; elle sera, si vous voulez, belle comme le jour, dun esprit encore plus charmant que sa beaut, et reine dun grand royaume, mais malheureuse; ou bien elle sera laide et paysanne comme vous, mais contente dans sa condition.La paysanne choisit dabord pour cet enfant la beaut et lesprit avec une couronne, au hasard de quelque malheur.Voil la petite fille dont la beaut commence dj effacer toutes celles quon avait jamais vues.Son esprit tait doux, poli, insinuant; elle apprenait tout ce quon voulait lui apprendre, et le savait bientt mieux que ceux qui le lui avaient appris.Elle dansait sur lherbe, les jours de fte, avec plus de grce que toute ses compagnes.Sa voix tait plus touchante quaucun instrument de musique, et elle faisait elle-mme les chansons quelle chantait.Dabord elle ne savait point quelle tait belle: mais, en jouant avec ses compagnes sur le bord dune claire fontaine, elle se vit; elle remarqua combien elle tait diffrente des autres; elle sadmira.Tout le pays, qui accourait en foule pour la voir, lui fit encore plus connatre ses charmes.Sa mre, qui comptait sur les prdictions de la Fe, la regardait dj comme une reine, et la gtait par ses complaisances.La jeune fille ne voulait ni filer, ni coudre, ni garder les moutons; elle samusait cueillir des fleurs, en parer sa tte, chanter et danser lombre des bois.Le Roi de ce pays-l tait fort puissant, et il navait quun fils, nomm Rosimond, quil voulait marier.Il ne put jamais se rsoudre entendre parler daucune princesse des tat voisins, parce quune fe lui avait assur quil trouverait une paysanne plus belle et plus parfaite que toutes les princesses du monde.Il prit la rsolution de faire assembler toutes les jeunes villageoises de son royaume au-dessous de dix-huit ans, pour choisir celle qui serait la plus digne dtre choisie.On exclut dabord une quantit innombrable de filles qui navaient quune mdiocre beaut, et on en spara trente qui surpassait infiniment toutes les autres.Florise (cest le nom de notre jeune fille) neut pas de peine tre mise dans ce nombre.On rangea ces trente filles au milieu dune grande salle, dans une espce damphithtre, o le roi et son fils les pouvaient regarder toutes la fois.Florise parut dabord, au milieu de toutes les autres, ce quune belle anmone paratrait parmi des soucis, ou ce quun oranger fleuri paratrait au milieu des buissons sauvages.Le Roi scria quelle mritait sa couronne.Rosimond se crut heureux de possder Florise.On lui ta ses habits du village; on lui en donna qui taient tout brods dor.En un instant elle se vit couverte de perles et de diamants.Un grand nombre de dames taient occupes la servir.On ne songeait qu deviner ce qui pouvait lui plaire pour le lui donner avant quelle et la peine de le demander.Elle tait loge dans un magnifique appartement du palais, qui navait, au lieu de tapisseries, que de grandes glages de miroir de toute la hauteur des chambres et des cabinets, afin quelle et le plaisir de voir sa beaut multiplie de tous cts, et que le prince pt ladmirer en quelque endroit quil jett les yeux.Rosimon avait quitt la chasse, le jeu, tous les exercices du corps, pour tre sans cesse auprs delle; et comme le roi son pre tait mort bientt aprs le mariage, cait la sage Florise, devenue reine, dont les conseils dcidaient de toutes les affaires de ltat.La Reine, mre du nouveau roi, nomme Gronipote, fut jalouse de sa belle-fille.Elle tait artificieuse, maligne, cruelle.La vieillesse avait ajout une affreuse difformit sa laideur naturelle, et elle ressemblait une Furie.La beaut de Florise la faisait paratre encore plus hideuse, et lirritait tout moment: elle ne pouvait souffrir quune si belle personne la dfigurtElle craignait aussi son esprit, et elle sabandonna toutes les fureurs de lenvie.Vous navez point de cur, disait-elle souvent son fils, davoir voulu pouser cette petite paysanne; et vous avez la bassesse den faire votre idole: elle est fire comme si elle tait ne dans la place o elle est. Quand le roi votre pre voulut se marier, il me prfra toute autre, parce que jtais la fille dun roi gal lui. Cest ainsi que vous devriez faire. Renvoyez cette petite bergre dans son village, et songez quelque jeune princesse dont la naissance vous convienne.Rosimond rsistait sa mre; mais Gronipote enleva un jour un billet que Florise crivait au Roi, et le donna un jeune homme de la Cour, quelle obligea daller porter ce billet au Roi, comme si Florise lui avait tmoign toute lamiti quelle ne devait avoir que pour le Roi seul.Rosimond, aveugl par sa jalousie et par les conseils malins que lui donna sa mre, fit enfermer Florise pour toute sa vie dans une haute tour, btie sur la pointe dun rocher qui slevait dans la mer.L, elle pleurait nuit et jour, ne sachant par quelle injustice le Roi, qui lavait tant aime, la traitait si indignement.Il ne lui tait permis de voir quune vieille femme qui Gronipote lavait confie, et qui lui insultait tout moment dans cette prison.Alors Florise se ressouvint de son village, de sa cabane et de tous ses plaisirs champtres.Un jour, pendant quelle tait accable de douleur, et quelle dplorait laveuglement de sa mre, qui avait mieux aim quelle ft belle et reine malheureuse, que bergre laide et contente dans son tat, la vieille qui la traitait si mal vint lui dire que le Roi envoyait un bourreau pour lui couper la tte, et quelle navait plus qu se rsoudre la mort.Florise rpondit quelle tait prte recevoir le coup.En effet, le bourreau, envoy par les ordres du roi, sur les conseils de Gronipote, tenait un grand coutelas pour lexcution, quand il parut une femme qui dit quelle venait de la part de cette reine, pour dire deux mots en secret Florise avant sa mort.La vieille la laissa parler elle, parce que cette personne lui parut une des dames du palais; mais ctait la Fe qui avait prdit les malheurs de Florise sa naissance, et qui avait pris la figure de cette dame de la reine mre.Elle parla Florise en particulier, en faisant retirer tout le monde.Voulez-vous, lui dit-elle, renoncer la beaut qui vous a t funeste? Voulez-vous quitter le titre de reine, reprendre vos anciens habits, et retourner dans votre village?Florise fut ravie daccepter cette offre.La Fe lui appliqua sur le visage un masque enchant: aussitt les traits de son visage devinrent grossiers, et perdirent toute leur proportion, elle devint aussi laide quelle avait t belle et agrable.En cet tat, elle ntait plus reconnaissable, et elle passa sans peine au travers de tous ceux qui taient venus l pour tre tmoins de son supplice.Elle suivit la Fe, et repassa avec elle dans son pays.On eut beau chercher Florise, on ne la put trouver en aucun endroit de la tour.On alla en porter la nouvelle au roi et Gronipote, qui la firent encore chercher, mais inutilement, par tout le royaume.La Fe lavait rendue sa mre, qui ne let pas connue dans un si grand changement, si elle nen et t avertie.Florise fut contente de vivre laide, pauvre et inconnue dans son village, o elle gardait des moutons.Elle entendait tous les jours raconter ses aventures et dplorer ses malheurs.On en avait fait des chansons qui faisaient pleurer tout le monde; elle prenait plaisir les chanter souvent avec ses compagnes, et elle en pleurait comme les autres: mais elle se croyait heureuse en gardant son troupeau, et ne voulut jamais dcouvrir personne qui elle tait.

LE BERGER CLOBULE ET LA NYMPHE PHIDILEUn Berger rveur menait son troupeau sur les rives fleuries du fleuve Achlos1.Les Faunes et les Satyres2, cachs dans les bocages voisins, dansaient sur lherbe, au doux son de sa flte.Les Naades3, caches dans les ondes du fleuve, levrent leurs ttes au-dessus des roseaux pour couter ses chansons.Achlos lui-mme, appuy sur son urne penche4, montra son front, o il ne restait plus quune corne depuis son combat avec le grand Hercule: et cette mlodie suspendit pour un peu de temps les peines de ce dieu vaincu.Le Berger tait peu touch de voir ces Naades qui ladmiraient; il ne pensait qu la bergre Phidile, simple, nave, sans aucune parure, qui la fortune ne donna jamais dclat emprunt, et que les Grces5seules avaient orne et embellie de leurs propres mains.Elle sortait de son village, ne songeant qu faire patre ses moutons.Elle seule ignorait sa beaut.Toutes les autres bergres en taient jalouses.Le Berger laimait et nosait le lui dire.Ce quil aimait le plus en elle, ctait cette vertu simple et svre qui cartait les amants, et qui fait le vrai charme de la beaut.Mais la passion ingnieuse fait trouver lart de reprsenter ce quon noserait dire ouvertement: il finit donc toutes ses chansons les plus agrables, pour en commencer une qui pt toucher le cur de cette Bergre.Il savait quelle aimait la vertu des hros qui ont acquis de la gloire dans les combats: il chanta, sous un nom suppos, ses propres aventures; car en ce temps, les hros mmes taient bergers, et ne mprisaient point la houlette.Il chanta donc ainsi:Quand Polynice alla assiger la ville de Thbes, pour renverser du trne son frre tocle6, tous les rois de la Grce parurent sous les armes, et poussaient leurs chariots contre les assigs. Adraste7, beau-pre de Polynice, abattait les troupes de soldats et les capitaines, comme un moissonneur, de sa faux tranchante, coupe les moissons. Dun autre ct, le devin Amphiaras8, qui avait prvu son malheur, savanait dans la mle, et fut tout coup englouti par la terre, qui ouvrit ses abmes pour le prcipiter dans les sombres rives du Styx9. En tombant, il dplorait son infortune davoir eu une femme infidle. Assez prs de l, on voyait les deux frres fils dOedipe, qui sattaquaient avec fureur: comme un lopard et un tigre qui sentre-dchirent dans les rochers du Caucase, ils se roulaient tous deux dans le sable, chacun paraissant altr du sang de son frre. Pendant cet horrible spectacle, Clobule, qui avait suivi Polynice, combattit contre un vaillant Thbain, que le dieu Mars rendait presque invincible. La flche du Thbain, conduite par le dieu, aurait perc le cou de Clobule, qui se dtourna promptement. Aussitt Clobule lui enfona son dard jusquau fond des entrailles. Le sang du Thbain ruisselle, ses yeux steignent, sa bonne mine et sa fiert le quittent: la mort efface ses beaux traits. Sa jeune pouse, du haut dune tour, le vit mourant, et eut le cur coeur perc dune douleur inconsolable. Dans son malheur, je le trouve heureux davoir t aim et plaint: je mourrais comme lui avec plaisir, pourvu que je puisse tre aim de mme. A quoi servent la valeur et la gloire des plus fameux combats? quoi servent la jeunesse et la beaut, quand on ne peut ni plaire, ni toucher ce quon aime?La Bergre, qui avait prt loreille une si tendre chanson, comprit que ce Berger tait Clobule, vainqueur du Thbain.Elle devint sensible la gloire quil avait acquise, aux grces qui brillaient en lui, et aux maux quil souffrait pour elle.Elle lui donna sa main et sa foi.Un heureux hymen les joignit: bientt leur bonheur fut envi des bergers dalentour et des divinits champtres. Il galrent, par leur union, par leur vie innocente, par leurs plaisirs rustiques, jusque dans une extrme vieillesse, la douce destine de Philmon et de Baucis10.

1. Fleuve et dieu-fleuve de la Grce antique.2. Divinits champtres mi-hommes mi-boucs.3. Divinits des fontaines et des fleuves.4. Dans la mythologie grecque, les fleuves sont reprsents sous la figure dhommes demi couchs, et les bras appuys sur une urne qui verse de leau.5. LesGrcestaient au nombre de trois, nommes Agla, Thalie et Euphrosyne et accompagnaient habituellement Vnus.6. Fils dOedipe, roi de Thbes, qui se disputrent le trne, et aprs une longue guerre, se turent lun lautre dans un combat singulier.7. Roi dArgos.8. Fils dApollon. Il stait cach pour ne pas se rendre la guerre de Thbes, o il devait prir; mais sa femme dcouvrit Polynice le lieu de sa retraite.9. Fleuve qui faisait neuf fois le tour des Enfers.10. PhilmonetBaucistaient deux pauvres villageois phrygiens qui furent le modle des poux. Jupiter, qui ils donnrent lhospitalit, transforma leur cabane en un temple dont ils furent les ministres. Parvenus une extrme vieillesse, ils furent mtamorphoss, au mme instant, Philmon en chne, et Baucis en tilleul. Ils avaient demand Jupiter de mourir ensemble.

HISTOIRE DU ROI ALFAROUTE ET DE CLARIPHILEIl y avait un roi nomm Alfaroute, qui tait craint de tous ses voisins et aim de tous ses sujets.Il tait sage, bon, juste, vaillant, habile; rien ne lui manquait.Une fe vint le trouver, et lui dire quil lui arriverait bientt de grands malheurs, sil ne se servait pas de la bague quelle lui mit au doigt.Quand il tournait le diamant de la bague en dedans de sa main, il devenait dabord invisible; et ds quil le retournaiten dehors, il tait visible comme auparavant.Cette bague lui fut trs commode, et lui fit grand plaisir.Quand il se dfiait de quelquun de ses sujets, il allait dans le cabinet de cet homme, avec son diamant tourn en dedans; il entendait et il voyait tous les secrets domestiques, sans tre aperu.Sil craignait les desseins de quelque roi voisin de son royaume, il sen allait jusque dans ses conseils les plus secrets, o il apprenait tout sans tre jamais dcouvert.Ainsi il prvenait sans peine tout ce quon voulait faire contre lui; il dtourna plusieurs conjurations formes contre sa personne, et dconcerta ses ennemis qui voulaient laccabler.Il ne fut pourtant pas content de sa bague, et il demanda la fe un moyen de se transporter en un moment dun pays dans un autre, pour pouvoir faire un usage plus prompt et plus commode de lanneau qui le rendait invisible.La fe lui rpondit en soupirant:Vous en demandez trop! craignez que ce dernier don ne vous soit nuisible.Il ncouta rien et la pressa toujours de le lui accorder.Eh bien! dit-elle, il faut donc, malgr moi, vous donner ce que vous vous repentirez davoir.Alors elle lui frotta les paules dune liqueur odorifrante.Aussitt il sentit de petites ailes qui naissaient sur son dos.Ces petites ailes ne paraissaient point sous ses habits; mais quand il avait rsolu de voler, il navait qu les toucher avec la main; aussitt elles devenaient si longues, quil tait en tat de surpasser infiniment le vol rapide dun aigle.Ds quil ne voulait plus voler, il navait qu retoucher ses ailes: dabord elles se rapetissaient, en sorte quon ne pouvait les apercevoir sous ses habits.Par ce moyen, le roi allait partout en peu de moments: il savait tout, et on ne pouvait concevoir par o il devinait tant de choses; car il se renfermait et paraissait demeurer presque toute la journe dans son cabinet, sans que personne ost y entrer.Ds quil y tait, il se rendait invisible par sa bague, tendait ses ailes en les touchant, et parcourait des pays immenses.Par l, il sengagea dans de grandes guerres, o il remporta toutes les victoires quil voulut; mais comme il voyait sans cesse les secrets des hommes, il les connut si mchants et si dissimuls, quil nosait plus se fier personne.Plus il devenait puissant et redoutable, moins il tait aim; et il voyait quil ntait aim daucun de ceux mme qui il avait fait les plus grands biens.Pour se consoler, il rsolut daller dans tous les pays du monde chercher une femme parfaite quil pt pouser, dont il pt tre aim, et par laquelle il pt se rendre heureux.Il la chercha longtemps; et, comme il voyait tout sans tre vu, il connaissait les secrets les plus impntrables.Il alla dans toutes les cours: il trouva partout des femmes dissimules, qui voulaient tre aimes, et qui saimaient trop elles-mmes pour aimer de bonne foi un mari.Il passa dans toutes les maisons particulires: lune avait lesprit lger et inconstant; lautre tait artificieuse, lautre hautaine, lautre bizarre; presque toutes fausses, vaines et idoltres de leur personne.Il descendit jusquaux plus basses conditions, et il trouva enfin la fille dun pauvre laboureur, belle comme le jour, mais simple et ingnue dans sa beaut, quelle comptait pour rien, et qui tait en effet sa moindre qualit; car elle avait un esprit et une vertu qui surpassaient toutes les grces de sa personne.Toute la jeunesse de son voisinage sempressait pour la voir; et chaque jeune homme et cru assurer le bonheur de sa vie en lpousant.Le roi Alfaroute ne put la voir sans en tre passionn.Il la demanda son pre, qui fut transport de joie de voir que sa fille serait une grande reine.Clariphile (ctait son nom) passa de la cabane de son pre dans un riche palais, o une cour nombreuse la reut.Elle nen fut point blouie; elle conserva sa simplicit, sa modestie, sa vertu et elle noublia point do elle tait venue, lorsquelle fut au comble des honneurs.Le roi redoubla sa tendresse pour elle, et crut enfin quil parviendrait tre heureux.Peu sen fallait quil ne le fut dj, tant il commenait se fier au bon cur de la reine.Il se rendait toute heure invisible, pour lobserver et pour la surprendre; mais il ne dcouvrait rien en elle quil ne trouvt digne dtre admir.Il ny avait plus quun reste de jalousie et de dfiance qui le troublait encore un peu dans son amiti.La fe, qui lui avait prdit les suites funestes de son dernier don, lavertissait souvent, et il en fut importun.Il donna ordre quon ne la laisst plus entrer dans le palais, et dit la reine quil lui dfendait de la recevoir.La reine promit avec beaucoup de peine dobir, parce quelle aimait fort cette bonne fe.Un jour la fe, voulant instruire la reine sur lavenir, entra chez elle sous la figure dun officier, et dclara la reine qui elle tait.Aussitt la reine lembrassa tendrement.Le roi, qui tait alors invisible, laperut, et fut transport de jalousie jusqu la fureur.Il tira son pe, et pera la reine, qui tomba mourante entre ses bras.Dans ce moment, la fe reprit sa vritable figure.Le roi la reconnut, et comprit linnocence de la reine.Alors il voulut se tuer.La fe arrta le coup, et tcha de le consoler.La reine, en expirant, lui dit:Quoique je meure de votre main, je meurs toute vous.Alfaroute dplora son malheur davoir voulu, malgr la fe, un don qui lui tait si funeste.Il lui rendit la bague, et la pria de lui ter ses ailes.Le reste de ses jours se passa dans lamertume et dans la douleur.Il navait point dautre consolation que daller pleurer sur le tombeau de Clariphile.

HISTOIRE DE ROSIMOND ET DE BRAMINTEIl tait une fois un jeune homme plus beau que le jour, nomm Rosimond, et qui avait autant desprit et de vertu que son frre an Braminte tait mal fait, dsagrable, brutal et mchant.Leur mre, qui avait horreur de son fils an, navait dyeux que pour voir le cadet.Lan, jaloux, invente une calomnie horrible pour perdre son frre: il dit son pre que Rosimond allait souvent chez un voisin, qui tait son ennemi, pour lui rapporter tout ce qui se passait au logis, et pour lui donner le moyen dempoisonner son pre.Le pre, fort emport, battit cruellement son fils, le mit en sang, puis le tint trois jours en prison, sans nourriture, et enfin le chassa de sa maison, en le menaant de le tuer sil revenait jamais.la mre pouvante nosa rien dire; elle ne fit que gmir.Lenfant sen alla pleurant, et ne sachant o se retirer, il traversa sur le soir un grand bois: la nuit le surprit au pied dun rocher; il se mit lentre dune caverne, sur un tapis de mousse o coulait un clair ruisseau, et il sy endormit de lassitude.Au point du jour, en sveillant, il vit une belle femme, monte sur un cheval gris, avec une housse en broderie dor, qui paraissait aller la chasse.Navez-vous point vu passer un cerf et des chiens?lui dit-elle.Il rpondit que non.Puis elle ajouta:Il me semble que vous tes afflig. Quavez-vous? lui dit-elle. Tenez, voil une bague qui vous rendra le plus heureux et le plus puissant des hommes, pourvu que vous nen abusiez jamais. Quand vous tournerez le diamant en dedans, vous serez dabord invisible; ds que vous le tournerez en dehors, vous paratrez dcouvert. Quand vous mettrez lanneau votre petit doigt, vous paratrez le fils du roi, suivi de toute une cour magnifique; quand vous le mettrez au quatrime doigt, vous paratrez dans votre figure naturelle.Aussitt le jeune homme comprit que ctait une fe qui lui parlait.Aprs ces paroles, elle senfona dans le bois.Pour lui, il sen retourna aussitt chez son pre, avec impatience de faire lessai de sa bague.Il vit et entendit tout ce quil voulut, sans tre dcouvert.Il ne tint qu lui de se venger de son frre, sans sexposer aucun danger.Il se montra seulement sa mre, lembrassa, et lui dit toute sa merveilleuse aventure.Ensuite, mettant lanneau enchant son petit doigt, il parut tout coup comme le prince fils du roi, avec cent beaux chevaux, et un grand nombre dofficiers richement vtus.Son pre fut bien tonn de voir le fils du roi dans sa petite maison; il tait embarrass, ne sachant quels respects il devait lui rendre.Alors Rosimond lui demanda combien il avait de fils.Deux, rpondit le pre. Je les veux voir, faites-les venir tout lheure, lui dit Rosimond; je les veux emmener tous les deux la cour pour faire leur fortune.Le pre, timide, rpondit en hsitant:Voil lan que je vous prsente. O est donc le cadet? je le veux voir aussi, dit encore Rosimond. Il nest pas ici, dit le pre. Je lavais chti pour une faute, et il ma quitt.Alors Rosimond lui dit:Il fallait linstruire, mais non pas le chasser. Donnez-moi toujours lan; quil me suive. Et vous, dit-il, parlant au pre, suivez deux gardes qui vous conduiront au lieu que je leur marquerai.Aussitt deux gardes emmenrent le pre; et la fe dont nous avons parl layant trouv dans une fort, elle le frappa dune verge dor, et le fit entrer dans une caverne sombre et profonde, o il demeura enchant.Demeurez-y, dit-elle, jusqu ce que votre fils vienne vous en tirer.Cependant le fils alla la cour du roi, dans un temps o le jeune prince stait embarqu pour aller faire la guerre dans une le loigne.Il avait t emport par les vents sur des ctes inconnues, o, aprs un naufrage, il tait captif chez un peuple sauvage.Rosimond parut la cour comme sil et t le prince quon croyait perdu, et que tout le monde pleurait.Il dit quil tait revenu par le secours de quelques marchands, sans lesquels il serait pri.Il fit la joie publique.Le roi parut si transport, quil ne pouvait parler, et il ne se lassait point dembrasser ce fils quil avait cru mort.La reine fut encore plus attendrie.On fit de grandes rjouissances dans tout le royaume.Un jour, celui qui passait pour le prince dit son vritable frre:Braminte, vous voyez que je vous ai tir de votre village pour faire votre fortune; mais je sais que vous tes un menteur, et que vous avez, par vos impostures, caus le malheur de votre frre Rosimond: il est ici cach. Je veux que vous parliez lui, et quil vous reproche vos impostures.Braminte, tremblant, se jeta ses pieds, et lui avoua sa faute.Nimporte, dit Rosemond, je veux que vous parliez votre frre, et que vous lui demandiez pardon. Il sera bien gnreux sil vous pardonne. Il est dans mon cabinet, o je vous le ferai voir tout lheure. Cependant je men vais dans une chambre voisine, pour vous laisser librement avec lui.Braminte entra, pour obir, dans le cabinet.Aussitt Rosimond changea son anneau, passa dans cette chambre, et pus il entra par une autre porte de derrire, avec sa figure naturelle, dans le cabinet, o Braminte fut bien honteux de le voir.Il lui demanda pardon, et lui promit de rparer toutes ses fautes.Rosimond lembrassa en pleurant, lui pardonna, et lui dit:Je suis en pleine faveur auprs du prince; il ne tient qu moi de vous faire prir, ou de vous tenir toute votre vie dans une prison; mais je veux tre aussi bon pour vous que vous avez t mchant pour moi.Braminte, honteux et confondu, lui rpondit avec soumission, nosant lever les yeux ni le nommer son frre.Ensuite Rosimond fit semblant de faire un voyage secret, pour aller pouser une princesse dun royaume voisin: mais, sous ce prtexte, il alla voir sa mre, laquelle il raconta tout ce quil avait fait la cour, et lui donna, dans le besoin, quelque petit secours dargent; car le roi lui faisait prendre tout celui quil voulait; mais il nen prenait jamais beaucoup.Cependant il sleva une furieuse guerre entre le roi et un autre roi voisin, qui tait injuste et de mauvaise foi.Rosimond alla la cour du roi ennemi, entra, par le moyen de son anneau, dans tous les conseils secrets de ce prince, demeurant toujours invisible.Il profita de tout ce quil apprit des mesures des ennemis: il les prvint et les dconcerta en tout; il commanda larme contre eux; il les dfit entirement dans une grande bataille, et conclut bientt avec eux une paix glorieuse, des conditions quitables.Le roi ne songeait qu le marier avec une princesse hritire dun royaume voisin, et plus belle que les Grces.Mais un jour, pendant que Rosimond tait la chasse dans la mme fort o il avait autrefois trouv la fe, elle se prsenta lui:Gardez-vous bien, lui dit-elle dune voix svre, de vous marier, comme si vous tiez le prince; il ne faut tromper personne: il est juste que le prince pour qui lon vous prend revienne succder son pre. Allez le chercher dans une le o les vents que jenverrai enfler les voiles de votre vaisseau vous mneront sans peine. Htez-vous de rendre ce service votre matre, contre ce qui pourrait flatter votre ambition, et songez rentrer en homme de bien dans votre condition naturelle. Si vous ne le faites, vous serez injuste et malheureux; je vous abandonnerai vos anciens malheurs.Rosimond profita sans peine dun si sage conseil.Sous prtexte dune ngociation secrte dans un tat voisin, il sembarqua sur un vaisseau, et les vents le menrent dabord