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HOMOS ET QUARTIERS L'ENVERS DU GAYTTO DES PARCOURS PARFOIS CHAOTIQUES, TOUJOURS SINGULIERS, POUR CONQUéRIR SA PLACE DANS LA SOCIéTé ENQUÊTE JUILLET/AOUT/SEPTEMBRE 2012 / N°35 www.respectmag.com N°35 ASIATIQUES DE FRANCE L'EMERGENCE Mémoire 150 ans de présence asiatique en France Fantasmes Comme au « bon temps » du sexe colonial ? Mouvements Citoyenneté, économie : les Asiatiques sont dans la place !

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HOMOS ET QUARTIERSL'ENVERS DU GAYTTODes parcours parfois chaotiques, toujours singuliers, pour conquérir sa place Dans la société

ENQUÊTE

JUILLET/AOUT/sEpTEmbrE 2012 / N°35 www.respectmag.comN

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ASIATIQUESdE fRAncEl'EmErgEncE

Mémoire 150 ans de

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comme au« bon temps » du

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citoyenneté, économie : les

Asiatiques sont dans la place !

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Respect magazine 80/84, rue de paris - 93100 montreuilCourriel : [email protected] Internet : www.respectmag.com

Respect mag est une publication trimestrielle éditée par presscode pour l’association Insertion et Alternatives

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Entreprise sociale, le Groupe sOs développe des activités qui concilient efficacité économique et intérêt général. Créé il y a 28 ans, il répond aux besoins fondamentaux de la société : éducation, santé, insertion, logement, emploi… Le Groupe sOs compte aujourd’hui près de 10 000 salariés au sein de 283 établissements et services présents en France métropolitaine, en Guyane, à mayotte et à la réunion.

Avec le soutien de

pour un musée des histoires colonialespar Françoise Vergès (politologue), nicolas Bancel, Pascal Blanchard (historiens), marc cheb Sun (journaliste). Extrait.*

éDito

n lieu pour mettre en contexte et en conversation nos passés, où croiser les mots et les représentations des « peuples autochtones », des esclaves, des colons, des travailleurs migrants dans les colonies, des travailleurs immigrés et de leurs

enfants dans l’hexagone, des anciens combattants, des supplétifs des armées coloniales, des harkis, des rapatriés, des bagnards aux colonies, des nouveaux migrants… tous ci-toyens français, tous ceux sans qui la France ne serait pas la France. Un lieu pour inscrire l’histoire de la société française dans l’histoire globale. Un lieu innovant et nécessaire. Un lieu exemplaire.Un lieu unique dans l’univers muséal européen. Un lieu qui saura s’imposer parmi les grands musées comme une référence, tant au niveau de sa programmation que de sa fré-quentation. Un lieu en réseau avec les musées régionaux, les grands musées nationaux et les musées sur des thématiques similaires dans le monde. Un lieu de pédagogie pour les scolaires, de découverte pour les touristes, de rencontres pour tous les Français, d’expres-sion pour les artistes, d’échanges pour des mémoires qui, hier encore, ne se parlaient pas. Le musée du XXIe siècle sera le grand projet culturel, à n’en pas douter, des prochaines années, du prochain quinquennat.Nous défendons aujourd’hui la création d’un espace muséal citoyen, ouvert à tous, où chacun trouvera sa place, pourra débattre et échanger, apprendre et comprendre (...) un véritable espace vivant de nos héritages et du temps présent.*Texte intégral sur www.respectmag.com

Soutenu par Jean-christophe Attias, Esther Benbassa, Pascale Boistard, Ahmed Boubeker, Patrick chamoiseau, Alexis corbière, catherine coquery-Vidrovitch, Didier Daeninckx, Driss El Yazami, Benoît Falaize, Eric Fassin, Olivier Ferrand, Bariza Khiari, Jacques martial, Fadila mehal, Achille mbembe, Olivier Poivre d’Arvor, claudy Siar, Benjamin Stora, christiane Taubira…

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NUméRO SpéciALJUIfS dE fRAncEHier, aujourd'Hui, demain

Prochain RESpEcT MAg16 octobre en kiosque

marc cheb SunDirecteur de la rédaction - www.marc-chebsun.com

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La petite histoire ses origines sont portugaise, chinoise du

Cambodge et marrane. responsable du site de la Zulu Nation France, Jow.L est artiste, rappeur, beatmaker. Coiffé pour la photo par sara Nasri (thanks), il a croisé la route de Respect mag via asiatiques de france : l'émergence. www.alakazam-music.com

www.zulunation.fr

un numéro d’avance…Suite à une erreur technique sur le précédent numéro, Respect mag passe directement du numéro 33 au numéro 35. pas d’inquiétude, vous n’avez pas manqué le numéro 34, qui n’existe tout simplement pas. merci de votre compréhension

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Sommaire #35

L'envers du gaytto p.54

Avoir 20 ans p.65

Karin Shibata p.46

Religions p.38

Asian power p.30

06 HUMEURS

10 REncontRES 10 Blanche et Rokhaya Diallo, des filles de caractère

12 poRtRait 12 China Moses, chroniqueuse atypique

14 asiatiques de france : l'émergence 16 150 ans de présence

18 Des clichés au racisme

24 Une intégration « exemplaire » ?

30 Asian power. Citoyenneté, économie, politique... Jeux d'ombre et de lumière

35 L'irruption de la nouvelle génération

38 Comment pratiquer le tao, l'hindouisme ou le bouddhisme en France ?

43 Hip-hop : la fascination Samouraï

45 Thi Thanh et Pang Fan, made in art

48 Sexe et fantasmes : la mentalité coloniale a la vie dure

51 LES agitatEURS 53 Axiom, le rappeur qui « croit en la vie »

54 EnqUêtE : HoMoS Et qUaRtiERS 54 L'envers du gaytto

61 Rap et homophobie

62 L'homonationalisme a le vent en poupe

63 L'humour comme arme

65 avoiR 20 anS 65 Avoir 20 ans à Tunis

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Il y a un an, presque jour pour jour, le collectif Anti-Négrophobie a dévoilé, sans le vouloir, les coulisses d’une hypocrisie : la commémoration de l'abolition de l'esclavage. Nous avons été expulsés à cause de notre T-shirt brigade / Collectif Anti-Négrophobie. Cela révèle au grand jour le manque de respect que l'état français témoigne quotidiennement aux Africains et des-cendants d'Africains déportés. il s'agit clairement d'un racisme d’état. Cette arme subtile d'aliénation massive,

dépréciant tout ce qui a trait au monde noir, après avoir créé la gigan-tesque entreprise criminelle productrice d'esclaves « nègres » à la chaîne. Aujourd'hui, cette même idéologie marginalise, plus subtilement, l'ensem-ble des Noirs dans les domaines du logement, de l'emploi, de la justice... En nous agressant ce 10 mai 2011, l'état français, par l'intermédiaire de son bras armé, nous a adressé un message clair : « Contentez-vous de ronger l'os qu'on vous lance, sans jamais contester notre discours officiel censé rimer avec l'illusion du pays des droits de l’Homme. » Et quoi qu'en pensent les esprits formatés, mes acolytes et moi-même étions en possession de notre « invitation officielle », nommément adressée par l'ex-président de la république. Ce laissez-passer, provenant des plus hautes sphères de l'état, ne nous a pas épargné les désagréments causés par la suspicion envers notre couleur ébène. Ce que j'ai pu ressentir face à une telle injustice ? rien du tout. Cette expulsion est à l'image des discriminations raciales quoti-diennes qui ont jalonné mon existence. Un Noir, même en possession de sa carte nationale d'identité française, a plus de chance d'être traité comme citoyen à part que comme citoyen à part entière. En témoignent les multi-ples contrôles au faciès dont nous sommes victimes. Nous ne connaîtrons jamais le respect, ni l'égalité des droits, en dehors des sentiers de la lutte.

Franco, porte-parole du collectif Anti-négrophobie

brIgade antI-négroPhobIe

les coulisses d'une guerre invisible

queStIon à…sihem souid

agent des forces de l'ordre, auteur d'Omerta sur la police et la Suspendue de la république*.

En tant que fonctionnaire de police, qu’attendez-vous du nouveau gouvernement ?

Je souhaite qu’il travaille davantage sur les ques-tions de discrimination dans la police nationale.

même si ce type de comportement reste minoritaire, il porte at-teinte aux valeurs républicaines. On ne peut pas demander aux citoyens d’être exemplaires, de respecter leurs voisins quelles que soient leurs origines ou leurs orientations sexuelles, si nous ne le faisons pas. Je me suis battue pour que Claude Guéant mette en place une cellule de lutte contre les discriminations. Ce travail de prévention serait instauré dès l'école de police afin d’y sensibiliser les jeunes officiers. Des agents traitent, soi-disant pour rire, leurs collègues de « bougnoule ». beaucoup de bavures policières sont d'ordre discriminatoire. Les coupables sont rarement sanctionnés. souvent, celui qui dénonce est puni. On m'a saisi six mois de sa-laire après les révélations que j'ai faites. mes supérieurs parlaient de « manquement au devoir de réserve ». Le corporatisme gangrène notre police. Travailler sur ces questions permettrait de restaurer le lien entre policiers et citoyens. Je n'accepte aucun débordement. J'aime la police et je la veux exemplaire.

Propos recueillis par ludovic clerima

*éditions Le Cherche-midi

La gauche sort de 17 longues années où la droite s’est assumée dans des idées de plus en plus radicales. La nouvelle droite n’est plus celle du gaullisme. Il n’y a qu’à comparer la chiraquie, droite de Tulle, avec le sarkozysme, made in Neuilly. Aujourd’hui, sarkozy a perdu mais la droite décomplexée a gagné. Ces élections n’ont pas permis la naissance d’une gauche qui, elle-même décomplexée, parlerait des questions ethno- raciales sans, pour autant, leur accoler le thème sécuritaire. Une gau-che qui évoquerait les quartiers populaires sans renvoyer les gens à la question de leurs origines. La campagne électorale nous laisse un goût d’inachevé. mais ce nouveau quinquennat nous fait espérer l’avène-ment d’une gauche 2.0, qui saura remettre les citoyens en mouvement. Aujourd’hui le sarkozysme, qui se fondait sur le diviser pour mieux régner, a perdu. Espérons que le hollandisme se fondera sur le rassem-bler pour mieux gouverner.

Elsa ray et Bolewa Sabourin, membres de cités en mouvement

Côté gauChe

une victoire inachevée ?

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dOssieRASIATIquES DE FrAncE :

l'ÉmErgEncE

150 ans de présence p. 16 / Asian power p. 30

Culture p. 42 / Sexe et fantasmes p. 47

une grande diversité d’origines et de migrations, post-coloniale pour certains, économique ou politique pour d’autres. l'affirmation d’une créativité ancrée dans les mouvements urbains, d’une citoyenneté. la confrontation aux durs visages de l’exclusion, celle des sans-papiers notamment. l’émergence, aussi, d’un investissement qui se nourrit de débrouille, de solidarité, ou d’appétit entrepreneurial. l’amorce, enfin, d’une visibilité politique... le cheminement d’une pluralité qui se heurte au cliché du « péril jaune », un épouvantail qui revient en force au centre de nos sociétés.

marc cheb Sun

asiatiquesde francel'emerGence

responsable du site de la Zulu nation france, jow.l est artiste, rappeur, beatmaker. pHOTO : DArNEL LINDOr

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principalement structurés autour de trois communautés, les chaozhou (appelés aussi teochiu), Wenzhou et Dongbei évoluent entre refus des clichés, dynamisme économique et nouvelle citoyenneté. trois points de vue.

Quels sont les clichés que vous entendez le plus ?« Appartements-raviolis, vendeurs de nems ou de produits bas de gamme, espions »… On souhaite agir pour casser cela. La maîtrise de la langue et l’éducation permettent de combler le manque culturel de nos parents. Nous sommes leurs voix.

Quelles sont vos actions ?surtout du soutien scolaire et de la communication. Les jeunes nés en France

ASSOCIATION DES JEUNES CHINOIS DE FRANCE, CRÉÉE EN 2009

mArYLINE ZHENG

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comme moi ont besoin d’un coup de pouce. Leurs parents ne peuvent pas souvent les aider. Les études supérieures sont l’un des problèmes majeurs. À 18 ans, les parents demandent aux enfants d’entrer dans la vie active ou d’aider à gérer les affaires familiales. J’ai envie de remédier à cette désaffection pour l’enseignement supérieur. Il y a un manque d'information. Nous compensons par l'expérience, mais l’éducation est la voie royale pour s’intégrer et monter dans l’échelle sociale.

des manifestations contre l’insécurité ont eu lieu en juin 2010 à Belleville. on entendait peu parler de ces agressions avant… Il y a eu un ras-le-bol. La génération de mes parents n’osait pas en parler. Ce n’est pas une situation si nouvelle, même si la fréquence et la brutalité ont augmenté. Les jeunes générations s’expriment et se montrent.

Quelles sont les victimes de ces agressions ? Tout le monde est touché, les jeunes comme les vieux...

et les agresseurs ?Je refuse d’alimenter la haine. C’est le fait de délinquants, de voyous. La manifestation n’était pas contre les autres communautés. On voulait juste défendre notre tranquillité contre la délinquance en général.

Quelle est la priorité pour les jeunes ? réussir ses études, sortir de la ghettoïsation professionnelle (restaurateur, tenancier de bar-tabac), occuper les professions libérales et intellectuelles telles que le journalisme, la magistrature… Cela se produira avec les générations à venir. Les élites politiques asiatiques émergent doucement.

recueilli par maral Amiri

Depuis le XiXe siècle, des chinois vivent dans les territoires d’outre-mer. notamment à la réunion, où les sinwa, originaires du sud de la chine, sont imprégnés d’une culture créole et française. pour la plupart commerçants, ils entretiennent peu de liens avec la chine, même si certaines associations militent désormais pour la promotion et la transmission de la culture chinoise sur l’île. schéma similaire à tahiti, où les hakkas se fondent dans une société polynésienne à caractère pluriethnique.

charles cohen

Et les chinois d'outre-mer ?

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Tournage du film Shanghaï-Belleville.

une mosaique surun socle commun

CHINOIS DE FRANCE

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150 ANs DE prEsENCEdoSSier

ASIATIquES DE FrAncE :

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Pourquoi créer le Conseil représentatif des associations asiatiques de France ?Après 40 années de présence sur le territoire national, nous avons acquis une certaine maturité politique. Nous

sommes Français. Nous avons compris comment fonctionne la république. Nous voulons être plus actifs et mieux représentés. Depuis que la Chine est un pays fort, nous entretenons des échanges économiques intenses. beaucoup de Français pensent que cette relation est préjudiciable à leur industrie, d’où la tension qui existe sur ces sujets. Les Chinois essaient de corriger ce « déséquilibre » afin de ne pas avoir une « mauvaise réputation. »

La discrimination est-elle une réalité ?La discrimination est évidente. L’insécurité au quotidien alarmante, notamment dans les zones urbaines. Nous observons, depuis deux ou trois ans, une montée effroyable du nombre d’agressions dont sont victimes les Chinois. surtout à paris. On les croit riches. Comme s’il y avait toujours un butin à amasser après une agression. C’est un terrible préjugé.

La communauté chinoise est-elle unie ?Il existe un socle civilisationnel commun mais la réalité quotidienne est très différente. La Chine est une mosaïque, une fédération d’ethnies. malgré 2 000 ans de confucianisme, personne ne se ressemble.

existe-t-il des mariages mixtes ? On en constate beaucoup entre Asiatiques et Français. Chez les Chinois de Chine populaire, la mixité est rare. On voit plus de mélange chez les migrants de l’Asie du sud comme les Vietnamiens ou les Cambodgiens.

des progrès à faire en matière de vivre ensemble ?Les choses évoluent dans le bon sens. Il faut laisser le temps aux gens de s’installer. On l’observe chez les primo-arrivants. Ils ne sont pas volontairement fermés, juste pas assez stables socialement. Tant qu’ils ne se sentent pas établis, ils auront besoin de rester dans la communauté.

Les Chinois sont-ils victimes de « clichés positifs » ?Ils bénéficient incontestablement d’un capital de sympathie. Les raisons en sont assez simples : pour eux, la France est une terre de liberté. Ils lui sont très reconnaissants. C’est là qu’ils souhaitent planter leurs racines. De plus, les Asiatiques possèdent une valeur fondamentale : le travail. Dans leur esprit, ce n’est pas une aliénation, mais une émancipation. La conjugaison de ces deux facteurs fait que les choses se passent plutôt bien. Cependant, la Chine fait toujours peur. On parle de « péril jaune » (cf. l’affaire d’espionnage chez renault). sans compter que les médias entretiennent les clichés.

recueilli par maral Amiri

CHENVA TIEU

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ENTRE BUSINESS, VIE ASSOCIATIVE ET ImPLICATION POLITIQUE à L’UmP

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La réalité aujourd’hui ?Les Dongbei sont arrivés récemment. Une majorité de femmes d'un certain âge, venues des grandes villes. Elles fuient le chômage – officiellement inexistant en Chine – qui frappe l'industrie textile et sidérurgique, principal employeur des femmes. Elles arrivent avec, en tête, l'histoire des Wenzhou, des paysans qui ont réussi. sauf que personne ne les accueille. Elles se retrouvent souvent dans une grande précarité, nounous dans des familles chinoises d'expatriés ou de gens

PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION CHINOIS DE FRANCE-FRANçAIS DE CHINE

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qui connaissent ces réseaux. Elles font la vaisselle et le ménage 24 h sur 24, veillent sur les enfants, les emmènent à l'école. En échange, elles sont nourries, logées, parfois blanchies, et gagnent un peu d'argent, environ 700 euros. sur cette somme, elles envoient l'équivalent du salaire moyen mensuel chinois à leur famille restée au pays, aux alentours de 200 euros. Elles laissent croire qu’elles sont devenues riches, ce qui suscite de nouvelles vocations, et ne racontent pas la réalité de leur condition en France. Certaines bossent dans des magasins, des restaurants chinois, aux postes les plus durs, jadis beaucoup plus souvent occupés par les Africains et les pakistanais. Les Wenzhou, présents depuis longtemps, ont acquis la nationalité française.

Qu’en est-il de la prostitution ?Les femmes se font aborder en permanence et n'en peuvent plus. Comme le souligne ma femme : « Pour eux, on est toutes des prostituées. On cuisine des raviolis et on file notre argent à la mafia ». Je ne dis pas que la mafia n'existe pas, mais tous les Corses ne sont pas des bandits. C’est pareil pour les Chinois.

La mafia, adossée aux bars-tabac ?Des rumeurs sans fondement. C'est juste du travail, de l'entraide, de la mise en commun d'argent. Le bar-tabac est un des secteurs très rentables. Les Chinois

sont fumeurs et joueurs ! L'un d'eux s'y est mis et ça a créé un effet boule de neige chez les autres. pour tenir un bar-tabac, il faut la nationalité française. Donc, ça concerne une petite frange des Chinois. seuls ceux installés en France depuis un moment, et qui n'ont pas nécessairement investi dans les études, profitent de l'expérience de la famille. C'est rassurant et ça facilite les choses.

Les agressions à Belleville ?Les tensions ne sont pas intercommunau-taires. Il y a un problème social. C'est un quartier très pauvre et en même temps très bobo. Il y a une vraie fracture entre un belleville populaire et un autre, plus riche. Les manifestations ? Tout est parti d'une pétition. Les manifs ont fait bouger les choses, on ne peut pas le nier. mais je ne cautionne pas tout. Notamment l'aspect sécuritaire. Une prise de conscience a pourtant eu lieu. Les Chinois se sont rendu compte qu'ils devaient mieux se faire connaître, aller à la rencontre des gens... mais ils ne savent pas comment. Lors des premières manifestations, en 2010, l'ambassade de Chine a mis son grain de sel et imposé ses relais. En 2011, une manif anniversaire a eu lieu, mais l'am-bassade n'est plus intervenue. Les faits de délinquance ont repris, et les associa-tions se sont aperçues qu'elles avaient été manipulées par les relais de l'ambassade.

recueilli par maral Amiri

Le Belleville de Show chun Leequartier de Belleville, paris. liwei, jeune chinois débarqué de croatie, fait la connaissance d’un autre clandestin, M. Zhou, qui s'échappe de l'atelier où il travaille. les deux hommes partent à la recherche de gine, mystérieuse-ment disparue alors qu'elle tentait de rejoindre l'angleterre. avec Shanghaï-Belleville (sortie prévue à l’automne 2012), la documentariste taïwanaise show chun lee, en france depuis 20 ans, signe son premier long-métrage. « Je filme la vie des clandestins à Paris depuis 1997. Aujourd'hui, je n'arrive plus à faire entrer une caméra chez eux, ils ont peur des réseaux mafieux et des médias. la fiction est le seul moyen de continuer mon travail. » Dans son film, des femmes se prostituent pour faire vivre leur famille restée en chine et croisent les « pokémons », des jeunes à l'aise avec leur double culture, mais aussi des mafieux, des fantômes et des ouvriers sans-papiers... un peu cliché ? « non, assure alice Yin, qui joue le rôle de Meiline. le scénario fait écho à une réalité. Bien sûr, nous ne sommes pas tous clandestins, mais ces derniers vivent des situations très dures. Ils se cachent ». anthony pho, alias liwei, espère que Shanghaï-Belleville sera diffusé en chine. « Beaucoup croient encore que la France, c’est l’Eldorado, alors que c’est bien la galère à l’arrivée ».

maral Amiri

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Les histoires d'a finissent mal, en général. mai Lam N'Guyen-Conan a tout pour démentir les paroles enragées de la Ringer. La preuve par son livre : français, je vous ai tant aimés. L'impossible intégration ?*

France, terre d’amour ?

MAI lAM n'GUyEn-ConAn

Avec un titre pareil, impossible de ne pas filer la métaphore amoureuse. le pitch : son kif à elle, ça a longtemps été la Fran-ce. Mais un jour, elle s'est lassée. Marre d'aimer à sens unique et de penser que, même pas réciproque, ça reste de l'amour. Pourtant, tout avait assez bien commencé. Arrivée à sept ans en France, la jeune Mai lam n'a pas eu d'autre choix… Tombée en amour pour son pays d'accueil ! « La libé-ration de Saïgon a poussé mes parents à partir ». ils accostent comme réfugiés de guerre en normandie, à Hérouville saint-Clair. Coïncidence ? Une fois débarqués, le topo est le suivant : partie avec rien, elle reçoit tout, trop. « Une générosité incroya-ble s'est organisée. Je suis allée en vacances, j'en ai des souvenirs merveilleux. J'ai dé-couvert la nourriture française. J'ai même

vécu en famille d'accueil, pour “m'intégrer” davantage ». la blessure originelle. il a fallu beaucoup de temps pour mettre un mot sur cette plaie. « On m'a séparée en deux pour “me donner toutes les chances”. Le français, c'est ce qui était bien, le vietnamien, c’était le mal. » Alors oui, pour se construire com-me ça, prière de s'accrocher.

on ne naît pas français, on le devientRésultat : Mai lam n'a quasiment pas de relations avec sa famille de sang. « On n'est pas vraiment proches. Je ne comprendrai ja-mais pourquoi on m'a séparée d'eux. Ça fai-sait partie du plan de générosité. Même si c'était trop, même si ça n'était pas logique, il fallait dire merci. » la jeune fille apprend à – mot terrible – « gommer les saillances

ethniques ». Pur produit républicain, elle fait sciences Po, voie royale pour futurs administrateurs et autres entreprenants de choc. et c'est dans le marketing qu'elle trouvera son chemin. Au bout de l'absurde, la relation avec cette France, qui la veut et la refuse, finit par l'épuiser. Assez de se ca-cher pour manger vietnamien, malade du poids de cette dette, d'avoir à se sentir rede-vable de tant de bienveillance. « J'avais un rapport obsessionnel à mon identité, à ma double culture. Je me suis rendu compte que je ne serai jamais la Française telle qu'on la voulait. Le fameux débat sur l'identité na-tionale a marqué une rupture. » Un séjour au Viêtnam sera nécessaire pour la remet-tre sur pied. « J’ai eu besoin de me retrouver moi-même pour m'apaiser ». Ce voyage lui permet de renouer avec son pays d'origine, sans l'idéaliser pour autant.

coming out de la diversitéFinalement apaisée, ayant retrouvé son unité, Mai lam dresse un portrait sans concession d'un être à qui on ne dicte pas son appartenance. « Ce n'est pas un bouquin à la Rachida Dati. En réalité, le titre est un contrepied. Le discours amoureux sur l'inté-gration m'est devenu insupportable, je l'ai repris à mon compte pour le détourner. L'in-tégration n'est pas un processus linéaire, une route à suivre pour les plus méritants, avec un début et une fin. Ça évolue chaque jour. Ce que je souhaite, c'est pouvoir dépas-sionner ce concept. » Pari réussi. À ceux qui crieront à l'impudeur, ce récit à forte teneur biographique va loin dans le parcours de la jeune femme, pour mieux tendre à l'uni-versel. et ça fonctionne vraiment, faites le test, vous verrez.

dolorès Bakèla

*Paru en avril dernier aux éditions Michalon.

enseignante, chargée de mission pour des projets culturels, mai Lam a pas mal bougé. Paris-Hanoï (entre autres), arles désormais. Là, elle travaille pour l'École de photographie, organisatrice de Rencontres d'art bien connues. en août prochain, elle partira rejoindre son époux, en poste à Jérusalem. Ses deux bambines sous le bras. mai Lam se réenracine où elle veut, quand elle veut, pour le temps qu'elle veut. une femme libre, quoi.

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Racines mobiles

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enQUeTe HoMoS ET QUArTIErS

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le “guérir”. Ce qui vous casse le cerveau. En banlieue, on va vous casser la gueule. Quant au harcèlement homophobe dans l'entreprise, il peut vous conduire à la dépression. Et là, ce ne sont pas les jeunes de banlieue qui sont en cause », analyse louis-Georges Tin, initiateur de la Journée mondiale contre l’homophobie et président du Conseil représentatif des associations noires (Cran).

Violences« Le fait que la société française n’accorde pas les mêmes droits aux homosexuels accrédite l’idée qu’ils sont inférieurs », estime Caroline Mécary. Animatrice du réseau d'aide aux victimes d'agression et de discrimination (ravad), l'avocate a ainsi défendu

pour SoS Homophobie « un jeune homosexuel laissé pour mort dans un parc à Vitry-sur-Seine (94). Et Cynthia et Priscilla, qui ont dû déménager de leur cité d’Épinay-sur-Seine (91) après avoir été harcelées ». Insultes, coups… et viols, parfois. Aujourd’hui président du Paris foot gay, brahim naït-balk a

vécu un cauchemar. Il a 22 ans lorsqu'il emménage aux 3 000 à la Courneuve (93). « Le bruit a couru que j’étais PD. Un soir, j’ai été interpellé par cinq ou six jeunes de 25-30 ans. Ils m'ont agressé sexuellement dans une cave. Après ça, d’autres garçons m'ont interpellé, souvent ». Derrière l’homophobie affichée, la misère sexuelle. Porter plainte ? Pas question. « J’habitais le même quartier que mes agresseurs, répond-il. Je ne voulais pas que mon homosexualité se sache. Et au fond, je me disais que je méritais ce qui m’arrivait ».

TabousPour Franck Chaumont, jour-naliste et ancien directeur de communication de ni putes ni

soumises, aucun doute : il existe une communauté homosexuelle à deux vitesses. « D’un côté, les homos des centres-villes ; de l’autre ceux des banlieues, des cités [où] on se planque par peur, écrasé par mille pressions – familiales, culturelles et sociales » (3). Ces homosexuel(le)s, défend-il, « vivent dans des quartiers où

n « enfer » qui fascine. Depuis près de dix ans, journaux et télé-

visions pointent régulièrement l’homophobie « en banlieue ». rentrée 2009, l’engouement atteint son paroxysme. Deux livres passionnent les rédactions : Homo-Ghetto, gays et lesbiennes dans les cités : les clandestins de la République, de Franck Chaumont (1), et Un homo dans la cité. La descente aux enfers puis la libération d’un homosexuel de culture maghrébine, de brahim naït-balk (2). Témoignage après témoignage se dessine le calvaire des homos « de cités », qui seraient victimes de l’homophobie la plus terrible. Épineuse réalité ou déformation médiatique ? Aucune étude sérieuse n’a été menée. En 2005 et 2006, SoS Homophobie a, certes, consacré un chapitre aux banlieues dans ses rapports. Un focus réalisé grâce à 27 témoignages récoltés en 2004 (soit 2 % des cas), et 37 l’année suivante (soit 3 % ). Pas vraiment significatif. Mais « spécifique » selon l’association : en banlieue, 46 % des actes homophobes impliquent des agressions physiques, contre 12 % pour l’ensemble des cas. « L’homophobie n’est pas moins violente dans les couches dominantes de la société, elle est moins visible. Dans le XVIe, des parents qui apprennent l’homosexualité de leur fils l’envoient chez le psychiatre pour

« Mes parents ne me posent pas de questions… Je n’ai donc pas eu à mentir ! » MOHAMED

entre homophobie et racisme, pression sociale, exotisme et volonté d’émancipation, les homos des quartiers populaires tracent leur route. Des parcours parfois chaotiques, toujours singuliers, pour conquérir sa place dans la société.

L’enversdu gaytto

DouBLe DiSCRimiNaTioN

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SPECTAClE

L’humour comme armeHomos sur scène ou à la ville, des humoristes bousculent les stéréotypes et secouent leur public.

as de quartier pour les clichés ! Depuis trois ans, Majid berhila et Hugues

Duquesnes incarnent « Les lascars gays ». Sujet explosif, désamorcé avec humour par les deux comédiens. à l’origine de leur spectacle ? Une rencontre… et des préjugés. « Dans une soirée, il y avait un mec qui nous matait sévèrement. On s’est dit : “il va y avoir bagarre”. En fait il m’a tapé sur l’épaule en me disant : “Il est pas mal ton blouson”. C’était un lascar gay. Un personnage très attachant », raconte Hughes Duquesnes. Quelque temps après, le spectacle est sur pied. Malgré la réticence des programmateurs, tétanisés à l’idée de faire se rencontrer homos et banlieusards. Dans le public pourtant, la mixité est là. les univers se mélangent. « On bouleverse les codes et les étiquettes, les gens sont surpris », expliquent les humoristes. S’ils campent des lascars gays, les deux comédiens n’abordent pas frontalement la question de l’homosexualité en banlieue. leurs personnages refont le monde et discutent amour, musique ou politique. Sans prise de tête. « Des mecs

de banlieues comme ça, qui le vivent bien, j’en connais », confie Majid berhila. Tout en rappelant qu’ils sont « victimes de la double peine », parce que gays et banlieusards. Du vécu ? « Ça, ça fait partie de notre vie personnelle, esquivent les comédiens. On s’en fout de savoir si on est gays, si on est lascars… ».

Barrièresà l’inverse, l’humoriste Shirley Souagnon a choisi de révéler son homosexualité, mais n’aborde jamais le thème dans son spectacle Sketch’up. « Je n’en ressens pas le besoin, dit-elle simplement. Quoique je commence à avoir des histoires assez marrantes à raconter, donc je vais sûrement finir par en parler ! » Un frein, l’orientation sexuelle ? « Non, surtout dans le milieu du spectacle, répond-elle. Après, dans ma vie, il m’est arrivé de susciter quelques réactions homophobes… mais pas plus que des réflexions racistes ». Métisse, lesbienne… Shirley Souagnon fait sauter les frontières. « La société crée beaucoup de barrières, estime-t-elle. Mais par le rire, je crois qu’on peut tous se mettre d’accord ».

aurélia Blanc

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« Par le rire, on peut tous se mettre d'accord. »SHIRLEy SOUAGNON

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