Extrait de "Un Art en expansion"

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Extrait de l'essai de Thierry Groensteen, intitulé "Un Art en expansion. Dix chefs-d'oeuvre de la bande dessinée moderne", paru aux Impressions Nouvelles en septembre 2015.

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  • Thierry Groensteen

    un art en expansion

    LES IMPRESSIONS NOUVELLES

    Dix chefs-duvre de la bande dessine moderne

  • extrait

  • introduction

    Jadis littrature dvasion rserve la jeunesse et tenue en haute suspi-cion par les lites culturelles, la bande dessine a mu et le regard port sur elle sest lui aussi modifi. Elle a grandement gagn en considra-tion. On la tient dsormais pour une littrature part entire, qui sest diversifie en investissant de nouveaux domaines (lHistoire, lintime, la science, la philosophie, la posie quelquefois) et en sinventant de nouvelles formes (le journal, le reportage, lessai). Elle a conquis de nouveaux publics et sest mancipe du format de lalbum traditionnel la franaise toujours dominant pour la production commerciale organise en genres et en sries pour adopter une multitude de formats et faire droit des uvres forte pagination, souvent dsignes dsor-mais comme des romans graphiques 1.

    Cette histoire est aujourdhui assez bien documente 2. Ce livre-ci voudrait apporter un autre regard sur les grandes volutions de la bande dessine dans la priode moderne, en se focalisant sur dix uvres essen-tielles dont on trouvera ici des (re)lectures minutieuses. Nous par-courrons plus dun demi-sicle de cration, en ponctionnant un seul ouvrage dans les annes soixante (La Ballade de la mer sale, dHugo

    1. Je nai pas beaucoup de got pour cette appellation. Elle a pu avoir une utilit historique, une efficacit tactique, mais elle introduit dans le domaine de la cration une catgorisation floue et, mon sens, inutile. Je ne lutilise donc quavec parcimonie et par commodit. Pour une discussion du concept de roman graphique, je renvoie mon article sur le sujet dans le Dictionnaire esthtique et thmatique de la bande dessine, publi en ligne sur le site de la revue NeuvimeArt2.0.2. Je lai moi-mme retrace dans La Bande dessine, son histoire et ses matres, Paris/Angoulme, Skira Flammarion / Cit internationale de la bande dessine et de limage, 2009.

  • Pratt), soixante-dix (Le Garage hermtique de Jerry Cornelius, de Moe-bius), quatre-vingt (Watchmen-Les Gardiens, dAlan Moore et Dave Gib-bons) et quatre-vingt-dix (LAscension du Haut Mal, de David B.), pour nous attarder davantage aux deux dernires dcennies, reprsentes par Fun Home, dAlison Bechdel, Faire semblant cest mentir, de Dominique Goblet, L o vont nos pres, de Shaun Tan, Habibi, de Craig Thompson, Building Stories, de Chris Ware, et enfin par le Grand Rcit (Alpha directions et Beta civilisations) de Jens Harder, encore inachev.

    Ces dix titres constituent, faut-il le souligner, une slection arbitraire, dans la mesure o plusieurs dizaines dautres livres de bande dessine auraient pu y figurer aussi bien.

    Mais une slection motive, chacun de ces livres ayant ouvert une brche, concrtis une avance, propos un nouveau modle de rcit ou port une tendance mergente son point de perfection. Pour le dire en quelques mots, de manire exagrment simplificatrice, Pratt a introduit le souffle romanesque dans laventure dessine, Moebius a dynamit les codes de lintrigue au profit dun feu dartifice dinventions, Moore et Gibbons ont montr que les rcits de genre taient compatibles avec la densit psychologique et avec les interrogations (politiques, socitales, mtaphysiques) les plus srieuses, David B. a invent une nouvelle rh-torique visuelle, avec des images la fois conceptuelles et dcoratives, Bechdel a amen la bande dessine sur le terrain du questionnement identitaire, Goblet a dvelopp une approche rsolument plasticienne du mdium, Tan, en se passant de texte, a produit une fable huma-niste porte universelle, Thompson a imagin un conte orientalisant dans lequel la narration dessine occidentale est fconde par la calligra-phie arabe et lart islamique, Ware a propos un objet-livre interactif en mme temps quun saisissant portrait de femme, Harder a explor de nouvelles manires dappareiller les images et dimpliquer le lecteur dans le processus de construction du sens. Les dix uvres sont passionnantes, et profondment dissemblables.

    Il sagit, enfin, dune slection internationale, puisque les auteurs sont belge, franais, britanniques, allemand, italien, amricains et australien.

    Je nai pas retenu de manga parce quil sagit ici de montrer comment une tradition volue, se remet en question, senrichit, et quun exemple

  • pris dans la production japonaise aurait ncessit une autre mise en contexte.

    Au moment de leur parution, chacun des livres dont il va tre ques-tion dans ces pages a t salu comme une incontestable russite. La plupart sont devenus (ou sont en passe de devenir) des classiques du neuvime art . Et les classiques sont, par excellence, des uvres quil convient de revisiter. Mais, avec le temps, la sidration provoque par certaines uvres pionnires smousse ; leurs innovations sont imites, cites, parodies, en un mot : banalises. Cest pourquoi il est ncessaire de restituer toute leur force aux ruptures que ces livres ont incarnes, chacun sa manire singulire.

    La notion de progrs applique au domaine de lart est un sujet rcur-rent de dissertation philosophique. La bande dessine nest pas plus per-fectible que nimporte quelle autre forme dexpression artistique ; on ne fera pas mieux que McCay, Herriman, Herg ou Franquin. Dire cela nempche pas de considrer le mdium dans son historicit ; et de remarquer que la quasi totalit des uvres que nous allons examiner ici auraient t impensables vingt, trente, cinquante ans plus tt, parce que les conditions de leur existence ntaient pas runies. Lvolution de la bande dessine depuis les annes soixante a t caractrise par un largissement progressif et constant du champ des possibles. Sans doute, chaque mdium voit continment surgir des ralisations nouvelles, des formes qui navaient pas encore t imagines. Cela dautant plus que la modernit a rig le nouveau en souverain critre de la crativit. Mais cest encore plus vrai dans le domaine qui nous occupe, celui de la bande dessine, en raison de son histoire particulire. Longtemps confisque par la presse enfantine, corsete par des standards ditoriaux, ignore par les mdias et les instances de lgitimation, et suspecte dtre intrinsquement mdiocre, infantile, sinon pernicieuse, la bande dessi-ne, dans un tel contexte, ne pouvait pas exprimer tout son potentiel lgal de formes dont la dignit artistique tait mieux tablie. Il a fallu que sautent, un un, des verrous. cet gard, le procs en rhabilita-tion entrepris par les mouvements bdphiles, laudace de quelques di-teurs clairvoyants, la leve progressive de la censure, lmergence dune critique spcialise, lessor dune scne alternative, la circulation inter-

  • nationale des uvres devenue plus intense, enfin la cration de filires denseignement spcialises permettant aux futurs auteurs/artistes de se frotter dautres disciplines et dacqurir un bagage artistique complet sont sans doute, de tous les facteurs qui ont permis et encourag cette volution, les plus dterminants.

    Cest cependant aux artistes mmes, eux dabord, quil faut rendre le mrite davoir os des propositions innovantes, davoir transgress les tabous et de stre aventurs, leurs risques et prils, sur des sentiers encore inexplors. Si, pour les auteurs de bande dessine, la libert de crer na jamais t plus grande quaujourdhui, cela tient ce que cha-cune des uvres pionnires devient ipso facto un nouveau modle pos-sible, ce qui revient dire quelle dlivre, ceux qui viennent aprs, une autorisation de faire.

    Prenons lexemple dHugo Pratt, puisque nous commencerons par lui. Interrog sur lalternance entre les squences bavardes et de longues plages muettes dans son album Pplum (1997), le dessinateur Blutch rpond sans dtour : Cest une rsurgence dHugo Pratt. Dans Fort Wheeling, il y a une scne o Chris Kenton est poursuivi par les Indiens. Il court pendant des pages et des pages, quasiment sans un mot. On lit a et on se dit Ah, cest possible 3. Avec La Ballade de la mer sale, Pratt a par ailleurs eu laudace de proposer un rcit de plus de 160 pages, soffrant ainsi la possibilit de lui donner une amplitude romanesque interdite aux bandes dessines standards. Sans lui, Eisner et quelques autres pionniers, comment aurait-on pu imaginer quon verrait un jour paratre un livre de bande dessine de 672 pages, ce qui est lexacte mesure dHabibi, de Craig Thompson ?

    Si la notion de progrs est inapproprie pour rendre compte de ces volutions, la bande dessine apparat bien, en tout cas, comme un art en expansion. Non seulement parce que les uvres quelle gnre sont de proportions de plus en plus amples, mais parce que cet art a progressive-ment pris conscience de lui-mme et de ses potentialits considrables, et quil ne cesse plus dinvestir de nouveaux territoires de lexpression.

    3. Gilles Ciment et Jean-Pierre Mercier, Entretien avec Blutch , Neuvime Art, n14, janvier 2008, pp.112-125. En ligne sur NeuvimeArt2.0. URL: http://neuvie-meart.citebd.org/spip.php?article823

  • tant donn quil sagit dun art mixte, la croise du verbal et du visuel, le processus de sa reconnaissance a emprunt deux voies oppo-ses. Dun ct, la bande dessine a forc les portes des galeries, des muses, du march de lart ; de lautre, elle a t adoube en dpit de quelques poches de rsistance par le milieu littraire. Les romanciers sen inspirent ; les concepts de roman graphique et de littrature dessine sont devenus dusage courant ; les formats se sont rappro-chs ; les adaptations de grands textes littraires se sont multiplies ; les lieux o sexercent la critique, la prescription (mdias, presse crite, bibliothques, universits) rservent de plus en plus de place aux bandes dessines.

    Cette reconnaissance par la littrature est peut-tre plus visible que lautre, parce que cest dans les rseaux littraires que le commen-taire sexerce le plus abondamment. lire ce qui scrit couramment aujourdhui, on a limpression que, pour beaucoup, la qualit dune bande dessine est indexe sur son degr de littrarit. Je minscris en faux contre cette ide, et jespre russir montrer ici que, dans lap-prciation dune bande dessine, tous les paramtres sont galement importants. Art du dessin autant que du rcit, art graphique autant que littraire, la bande dessine tire sa force de la mobilisation conjointe, concerte, intelligente, de lensemble de ses ressources.

    Les dix livres que nous allons relire ensemble ne permettent pas dta-blir le catalogue complet de ces ressources et de toutes les manires dont on peut les faire jouer. Du moins suffisent-ils montrer que la bande dessine peut servir les ambitions les plus dissemblables, parcourir toute la gamme des motions humaines, se plier aux exigences esthtiques les plus affirmes. Cette poigne de chefs-duvre parlent pour lensemble du Neuvime Art.

  • circonstancesN Rimini, Hugo Pratt (1927-1995) a dbut dans le mtier en 1945 mais, jusqu la Ballade, lessentiel de sa carrire sest droule en Argentine, o il a vcu de 1949 1962. L, il a notamment collabor avec le plus grand scnariste de sa gnration, Hector Oes-terheld. Il sest rd aux codes de la bande des-sine daventures en abordant diffrents genres : le rcit de guerre (Ernie Pike), le western (Sergent Kirk, Wheeling), laventure dans la jungle (Ann de la jungle).

    son retour en Italie, il travaille pour la presse enfantine, plus particulirement le Corriere dei Piccoli.

    Dans la ville de Gnes o il habite cette poque, Pratt rencontre Florenzo Ivaldi, un promoteur immobilier millionnaire qui sintresse la bande dessine. Ensemble, ils vont crer une revue du nom de SgtKirk (dont les aventures seront republies cette occasion). La direction en est confie un historien et critique de cinma, Claudio Bertieri.

    Sgt Kirk est imprime 3 000 exemplaires et prsente un aspect plus luxueux quaucune revue de bande dessine jusque-l. Pratt signe plusieurs couvertures, laquarelle, aux compositions audacieuses. Sa grande contribution indite la revue est la Ballade, prpublie de juil-let 1967 (lauteur a tout juste quarante ans) fvrier 1969, du n 1 au n 20 (avec des interruptions aux numros 2, 3 et 16). Cest galement

    Hugo PrattLa BaLLade de La mer saLetitre original : Une ballata del mare salato

  • dans Sgt Kirk que Pratt entamera une autre de ses sries marquantes, Les Scorpions du dsert.

    En France, la Ballade sera propose aux lecteurs du quotidien France Soir sous la forme dun feuilleton, entre le 3 juillet 1973 et le 16 janvier 1974. Elle connat aussi une publication partielle (51 planches) dans la revue dtude Phnix, en 1974 (numros 38 41).

    Lalbum parat fin 1975 aux ditions Casterman et reoit, en janvier 1976, le prix de la meilleure BD raliste lors de la troisime dition du festival dAngoulme (ctait dj une case tire de Corto Maltese qui avait servi de visuel pour laffiche du premier festival, deux ans plus tt).

    Mais, ds avant cette dcouverte tardive du grand rcit inaugural par le public franais, le personnage de Corto Maltese tait rapparu dans Pif gadget, partir de 1969, pour une srie de quelque vingt-et-uns rcits de 20 planches chacun. On le retrouvera dans ( Suivre) en 1980 et, plus tard, dans un magazine son nom, Corto, lexistence plus ph-mre. Il vivra des aventures Venise, en Irlande, en Afrique, en Russie, en Amrique du sud et en Orient, simposant comme lun des hros mythiques de la bande dessine moderne.

    argumentLe rcit se droule en Mlansie (groupe dles de lOcan Pacifique au nord, nord-est de lAustralie) de novembre 1913 janvier 1915.

    Les capitaines Corto et Raspoutine font de la contrebande entre les Antilles et le Brsil. Ils travaillent pour le compte dun chef dont la vri-table identit est mystrieuse, mme pour eux, et qui se fait appeler le Moine . La base arrire du Moine et de sa bande est lle dEscondida.

    Au dbut de laventure, Corto Maltese a t abandonn en pleine mer par son quipage, qui sest rebell contre son capitaine. Raspoutine survient point nomm pour le sauver. Le pirate a dj recueillis deux trs jeunes gens, une fille, Pandora, et son cousin, Can. Pendant que Raspoutine attaque un navire marchand hollandais, Corto surveille les deux prisonniers sur un autre catamaran. Une terrible tempte les jette sur un rivage de Nouvelle Guine, o ils tombent aux mains des Papous

  • Senek 1. Aprs stre vads, Corto et ses jeunes otages retrouvent Ras-poutine bord dun sous-marin allemand. Ils reviennent Escondida.

    Can et Pandora se rvlent des prises prcieuses, puisquils appar-tiennent une trs riche famille britannique darmateurs installe en Australie, qui ne manquera pas de payer une forte ranon. Tout au long de lhistoire, Corto va chercher prserver la vie des deux jeunes gens. Le Moine, lui, est boulevers par la prsence de la jeune fille, sans quon comprenne pourquoi.

    Cependant le Royaume-Uni a dclar la guerre lAllemagne. Le Moine soutient les Allemands, dont il ravitaille les bateaux et sous-ma-rins, travaillant notamment la main dans la main avec le lieutenant Slt-ter.

    Lle est agite par diverses luttes dinfluence et de pouvoir, sous leffet de deux leviers qui sont lappt de lor (le Moine est suppos avoir amass un trsor, dont chacun veut sadjuger la plus grande part possible) et les vises indpendantistes des indignes, qui rvent dune Grande Mla-nsie.

    Dans un moment dgarement, le Moine prcipite Corto du haut dune falaise et le laisse pour mort. Il quitte ensuite lle pour une mis-sion bord du sous-marin de Sltter, laissant Escondida aux mains de Raspoutine. Can en profite pour faire schapper Pandora, avec laide de Tarao, navigateur maori expriment. De son ct, Crnio, le fidjien qui a la confiance du Moine, envoie un contre-torpilleur japonais par le fond.

    Quand le Moine revient, il comprend que lvasion de Pandora menace la scurit de lle, et dcide de labandonner dfinitivement. De fait, un dtachement no-zlandais (sous uniforme britannique) prend bientt possession dEscondida. Can et Pandora ont retrouv leur oncle Rinald Groovesnore. Grce leur tmoignage favorable, aucune charge nest retenue contre Corto. Ce dernier obtient, au moyen dun chantage, que Raspoutine ait galement la vie sauve. Tous deux bnficieront dun sauf-conduit. Sltter, lui, est condamn tre fusill. Il laisse une lettre

    1. Dans les ditions italiennes de La Ballade de la mer sale, ces cannibales sexpriment, trangement, en dialecte vnitien.

  • qui rvlera Corto la vritable identit du Moine : celui-ci nest autre que Thomas Groovesnore, le pre de Pandora et loncle de Can.

    *Depuis lpoque romantique, la forme appele ballade dsigne un pome narratif en strophes ayant pour sujet une lgende ou un pisode historique. Hugo Pratt utilise ce terme gnrique, inusit dans la bande dessine, pour ses connotations littraires et potiques. Son rcit contient (p. 60 2) une allusion Samuel T. Coleridge et son fameux ouvrage The Rime of the Ancient Mariner, que Can lit dans une traduction intitule La Ballade du vieux marinier (bien que ce long pome soit plus connu en franais comme La Complainte du vieux marin, et quelquefois comme Le Dit du vieux marin).

    En reprenant son compte lappellation gnrique de ballade, Pratt a peut-tre voulu se revendiquer dune filiation avec Coleridge. Corto Maltese pourrait tre prsent comme un marinier encore jeune, par opposition au capitaine charg dans du clbre pome. Ce dernier, maudit pour avoir tu un albatros, avait perdu son quipage dans un naufrage ; Corto nous apparat en fcheuse posture, abandonn au milieu de locan par son quipage qui sest mutin contre lui (pour une histoire de femme). Le vieux marin avait vu un vaisseau fantme lui apparatre, avec la mort son bord ; Corto, lui, voit surgir le catamaran command par Raspoutine, qui lui sauve la vie 3. Improbable appari-tion, qui tombe pic.

    Enfin, on ne saurait nier que Raspoutine possde une dimension spectrale, avec sa barbe de jais, ses cheveux mal coups, ses joues creuses et son regard fivreux. En outre, homonymie et ressemblance font de lui un double du clbre mystique, gurisseur et homme dinfluence russe (1869-1916) que lon a souvent diabolis (du reste, Raspoutnyi signifie : dbauch). La nature du lien entre ce personnage historique et

    2. Toutes les rfrences la pagination renvoient ldition originale en langue fran-aise, publie par les ditions Casterman en 1975.3. Il rencontrera la Mort, et sentretiendra avec elle, dans un autre album, Les Helv-tiques (1988).

  • son avatar fictionnel reste nigmatique. Le vrai Raspoutine a encore trois ans vivre au jour o dbute laventure de la Ballade.

    Son double dessin, sil endosse pour loccasion le rle du sauveur, est un personnage qui fait peu de cas de la vie humaine en gnral et dont on comprend vite quil est habitu semer la mort (il abat froide-ment lquipage dun cargo charbonnier hollandais). Corto ne tardera pas le qualifier de boucher (p. 17).

    Lgende ou pisode historique : le rcit de Pratt tient naturellement un peu des deux, Raspoutine, avec ses connotations ambigus, pouvant ici servir demblme ce mlange des genres. Comme conteur, le matre vnitien sest toujours montr un adepte de lambivalence, rendant dli-brment incertain le rgime de croyance qui lie le lecteur ses ouvrages. Sur ce point, il se sentait proche de Jorge Luis Borges : On trouve chez Borges et moi le mme procd : un mlange inextricable de vrits et de mystifications, de personnages rels et de personnages fictifs 4. Et quand il racontait sa propre vie, il se plaisait galement brouiller les pistes, intriquer le vrai et le faux.

    Corto, Raspoutine, le Moine, Sltter, Pandora, Can, Tarao La Ballade de la mer sale est une histoire sans hros, une histoire entrecroi-sant les destins de personnages multiples, ce quon appelle volontiers aujourdhui un rcit choral .

    La couverture de ldition franaise, qui met en avant le seul Corto Maltese, est trompeuse, intresse . Casterman a souhait promouvoir un personnage popularis par Pif Gadget et dont les aventures avaient dj fait lobjet de cinq albums cartonns publis depuis 1973. Dans le premier numro de Sgt Kirk, la page douverture tait plus fidle les-prit de luvre : sa composition runissait la plupart des protagonistes et place en position centrale les deux jeunes gens, Can et Pandora. Corto napparaissait quen position secondaire.

    la lecture du livre, il est difficile de nier que Corto est le personnage le plus saillant : notre sympathie est vite acquise ce marin nimb de mystre, auquel sa nonchalance et sa bienveillance confrent une sorte

    4. Hugo Pratt, Le Dsir dtre inutile, entretiens avec Dominique Petitfaux, Robert Laffont, 1991, p. 202.

  • daura naturelle. Pour Pratt, le personnage principal tait cependant plutt Pandora, lunique figure fminine, point fixe (elle est prison-nire) qui naturellement aimante lattention de tous les hommes qui sagitent autour delle. Aucun nest insensible son charme (si Escondida est une le au trsor , le trsor cest elle). Entre Corto et elle se noue une relation de sduc-tion mutuelle, mme si lun et lautre lutteront pour ne pas donner libre cours leur inclination.

    Page titre parue dans Sgt Kirk, non reprise dans ldition franaise.

    []

  • circonstancesFranklin Christenson Ware nat le 28 dcembre 1967 Omaha, dans le Nebraska. Sa mre et lui sont abandonns par son pre (qui sert sur un sous-marin de lUS Navy) alors quil est g de moins dun an. Sa mre est rdactrice au journal local, le Omaha World-Herald. Ware se familiarise donc trs jeune avec lodeur de lencre et le bruit des rotatives. De 1985 1990, il tudie la peinture, la sculpture et la gravure luniversit dAustin (Texas).

    Sa premire publication est un strip qui parat dans le journal estu-diantin The Daily Texan de fin 1986 jusqu 1991, tantt chaque jour, tantt chaque semaine. Remarqu par Art Spiegelman, Ware collaborera deux numros de la revue davant-garde RAW, en 1990 et 1991.

    Cette anne-l, le jeune dessinateur sinstalle Chicago. Il y entame bientt une collaboration rgulire au New City, hebdomadaire culturel indpendant. En 1993 parat, chez Fantagraphics, le premier numro de The Acme Novelty Library, revue dauteur quil conoit entirement seul.

    En 2000, le roman graphique Jimmy Corrigan, the Smartest Kid on Earth (Pantheon Books) lui vaut une renomme internationale. Les innovations formelles, lampleur du rcit, loriginalit du travail sur le temps et sur la traduction des motions, la mise en relief de la place de limaginaire dans la vie quotidienne, signalent lattention gnrale

    CHris WareBuiLding stories

  • limportance historique de ce livre exceptionnel. La version franaise parat en novembre 2002 aux ditions Delcourt.

    Plusieurs autres livres suivront (Quimby the Mouse, lanthologie Acme, deux volumes de carnets), cependant quen 2005 dbute la publi-cation en feuilleton de deux nouveaux romans graphiques : Rusty Brown et Building Stories.

    Cest sous la forme surprenante dune bote de grand format (29,5 x 42,2 x 4,7 cm) que parat Building Stories chez Pantheon en 2012, puis chez Delcourt en 2014, sous un titre inchang.

    Collaborateur rgulier du New Yorker, maquettiste recherch, invit des plus grands muses amricains, Chris Ware est lauteur le plus en vue de la bande dessine amricaine contemporaine.

    argumentBuilding Stories se prsente sous la forme de fragments. La bote contient 14 lments imprims de format, dampleur et dapparence trs dispa-rates, livrs sans prsance chronologique, sans mode demploi 1.

    1. Afin de faciliter la comprhension de la suite du texte, il me parat utile de convenir dun code permettant de dsigner, sous une forme condense, les quatorze documents runis dans ce livre-bote. Puisquils ne sont pas numrots, je propose de leur attribuer chacun une lettre (lordre alphabtique ne prjugeant pas ici de lordre de lecture).A dsignera le plateau cartonn, articul en quatre volets;B, l album cartonn de 30 pages, 21,5 x 24 cm avec un dos dor et une couverture reprsentant la fleuriste crivant dans son journal ; la page de titre porte la mention Le 23 septembre 2000 ;C, le 16-pages agraf, 21 x 28 cm, dont la premire case figure un tlphone ;D, le 16-pages agraf, 21 x 28 cm, dont la premire case reprsente limmeuble, avec le couple du premier assis sur les marches ;E, lalbum cartonn toil, 23,5 x 31 cm, avec une couverture verte sans image ;F, le 4-pages format gant, non agraf, avec un gaufrier de 20 cases en premire page et un bb grandeur nature en pages centrales ;G, le cahier de 20 pages format gant, non agraf, souvrant sur une immense case carre et les mots Bon sang ;H, le cahier horizontal pais, agraf, 7,6 x 24,8 cm, figurant la fleuriste et son chat, de nuit ;I, le 20-pages agraf, 23 x 30,5 cm, dont la premire page a pour titre Dconnexion ;J, le dpliant horizontal en accordon, avec la fillette la capuche rose ;

  • Sous cette forme inhabituelle et droutante, nous prenons connaissance de lhistoire des personnes habitant un mme immeuble de Chicago, compos dun rez-de-chausse semi-enterr et de trois tages. La maison a pour propritaire une femme ge qui a toujours vcu l et qui hait ses locataires. Ltage suprieur est habit par une jeune femme clibataire et handicape (lune de ses jambes a t ampute sous le genou). Elle vit des heures vides en compagnie de son chat, et na pas de vie amoureuse. Elle travaille temps partiel dans un magasin de fleurs du quartier. Les deux femmes, la jeune et la vieille, sont lune comme lautre en proie un fort sentiment de frustration. Ltage intermdiaire est occup par un couple sans enfants, qui ne parvient plus communiquer et parat sur le point de se sparer. Limmeuble, centenaire, a conserv la mmoire de ses occupants prcdents, et fait part au lecteur de ses propres rflexions. Certaines squences consistent en rtrospections ou en anticipations qui clairent le destin des personnages, et particulirement celui de la jeune femme infirme qui, dans une priode ultrieure de sa vie, se mariera et aura une fille.

    *Il a t signal un peu partout que le titre a une double accep-tion. Building Stories peut se lire comme les histoires dun btiment ou comme des histoires en construction . Remarquons que laction de construire des histoires vaut ici la fois pour lauteur et, de manire dif-frente, pour le lecteur, qui doit trouver son chemin travers ce puzzle narratif. Lexposition au storytelling passe par un storybuilding.

    Mais storey, en anglais qui scrit story aux tats-Unis , a galement le sens dtage. Ds lors, une troisime lecture du titre serait les tages dun btiment , ce qui nest pas absurde puisqu chaque tage corres-pond ici un arc narratif, lhistoire de son ou de ses occupant(s).

    K, la page 33 x 45,8 plie en deux souvrant sur Il y a peu ;L, le dpliant horizontal en accordon figurant une scne de neige ; M, le numro du journal The Daily Bee, 4 grandes pages plies en deux ;N, le petit fascicule BRANFORD couverture rouge, 13,6 x 19,7 cm.

  • Limmeuble qui sert de dcor, et presque de personnage part entire, sinspire beaucoup de celui o lauteur a lui-mme vcu de 1995 2001, et quil a reprsent dans ses carnets (cf. lAcme Novelty Date-Book volume 2, p. 162) avec cette lgende : Our Apartment Buil-ding 2 . Building Stories possde donc un ancrage mmoriel : non celui des pripties (quoique certaines puisent videmment dans lexprience personnelle de lauteur), mais, avant tout, celui du lieu.

    Par ailleurs, larchitecture intresse Ware de longue date, comme le montrent son got pour les perspectives axonomtriques et la longue squence de Jimmy Corrigan ressuscitant les splendides pavillons de la World Columbian Exhibition de 1893. LArt Institute de cette mme ville a dailleurs prsent fin 2014 une exposition intitule The Comic Art and Architecture of Chris Ware montrant ct ct les dessins de lartiste et les documents darchives dont il sest servi.

    Dans une page de ses carnets date de 1995, Ware avait copi une clbre phrase de Goethe : Larchitecture est de la musique gele . En ajoutant ce commentaire : Cest l, je pense, la cl esthtique du dveloppement des cartoons comme forme artistique. partir de ce moment, il a commenc creuser lanalogie formelle entre la compo-sition dune page de bande dessine et larchitecture de la faade dun immeuble 3.

    Le projet de Chris Ware a volu avec le temps. Autant quon sache, il sagissait au dbut de conter lhistoire dun immeuble et de ses habitants, un peu la manire de Georges Perec dans La Vie mode demploi ceci prs que cet immeuble-ci est de dimension beaucoup plus modeste que celui situ au 11 de la rue Simon-Crubellier. Sans doute Ware sest-il galement souvenu de Will Eisner, dont lalbum A contract with God and other tenement stories (1978) runissait des histoires sur les habi-tants dun immeuble de Brooklyn construit vers 1920 ; plus tard, The Building (1987), du mme auteur, donnait la parole quatre fantmes

    2. Lintress ma prcis dans un change de correspondance quil na toutefois pas recopi prcisment son ancien domicile : la maison dans laquelle nous vivions tant plus grande, plus profonde, construite dans dautres matriaux et peuple par des per-sonnes compltement diffrentes .3. Je suis ici Daniel Raeburn, Chris Ware, New Haven, Yale University Press, Mono-graphics , 2004, pp. 25-26.

  • posts lentre dun gratte-ciel flambant neuf, qui se souvenaient de leur vie dans lancien immeuble dmoli pour lui faire place.

    Mais la narration sest progressivement focalise sur le personnage de la jeune unijambiste, laquelle, puisque lauteur ne lui a pas donn de nom, je ferai dsormais rfrence comme la fleuriste . Huit des quatorze fragments composant Building Stories lui sont peu prs int-gralement ddis. Si le projet a conserv jusquau bout une dimension chorale, une autre ambition semble stre peu peu impose, celle de proposer un portrait intime et extensif dun personnage fminin.

    Il faudra, au terme de notre lecture, revenir sur le sens de cet trange objet conu par Chris Ware. Prcdant toute interprtation, deux l-ments factuels peuvent tre nots ds prsent. Tout dabord, lauteur a toujours aim solliciter une participation active du lecteur. Cette partici-pation est au cur mme de sa conception du mdium, Ware professant que la grande diffrence entre le cinma et la bande dessine est que le spectateur de cinma est relativement passif, alors que le lecteur de BD sinvestit beaucoup plus dans la construction mme du sens. Quand on regarde un film, cest comme si on coutait de la musique enregistre, alors que quand on lit une BD, cest comme si lon lisait une partition. Cest nous, lecteurs, de faire jaillir la musique de cette partition 4 .

    Est-ce pour stimuler cette participation cognitive et motionnelle que lauteur va jusqu suggrer au lecteur de se livrer des manipulations trs concrtes ? Dans Jimmy Corrigan dj, plus dune page linvitait factieusement plier, dcouper, recoudre le livre, fabriquer des petits thtres, des robots, des meubles, etc. On doute, cependant, que beau-coup de ceux qui ont achet lalbum ont pu se rsoudre suivre ces instructions et le mettre en pices ! Mais avec Building Stories, Ware ne nous laisse plus le choix : la manipulation est une condition de la lec-ture. Non seulement il nous appartient de dfinir un ordre entre les frag-ments pars lintrieur de la bote, mais il y a des manipulations addi-tionnelles auxquelles certains dentre eux obligent, telles que : ouvrir les volets du plateau cartonn (A), retourner le cahier C parce que les pages

    4. Propos rapports dans Table ronde , Humoresques n 10 : Lhumour graphique fin de sicle, Presses universitaires de Vincennes, 1999.

  • 6 et 7 sont imprimes dans lautre sens, ou dplier les imprims oblongs en accordon (J et L).

    La deuxime observation est que, comme il est prcis lintrieur du couvercle de la bote, des parties de cette uvre sont initialement parues dans The New Yorker, The New York Times, McSweeneys Quarterly Concern, The Manchester Guardian, Nest et The Chicago Reader , liste laquelle il convient dajouter The Acme Novelty Library, la revue de lau-teur. Building Stories a donc t publi par morceaux, sur une priode de sept ans, dans des organes de presse de formats varis et contraignants. On conoit la difficult que pouvait reprsenter lhomognisation de toutes ces livraisons disparates et leur intgration dans un mme ouvrage. Cette difficult, Ware lavait pourtant dj affronte et surmonte pour Jimmy Corrigan, dont les squences avaient t prpublies, pour les-sentiel, dans les diffrents numros de lAcme Novelty Library, dont il singniait lui-mme varier les formats !

    En fait, la bote ne sest pas impose comme une solution pour com-patibiliser des matriaux htroclites, irrductibles une mise en livre. Elle correspond au projet propos par Ware son diteur Pantheon Books ds 2006, soit six ans avant la ralisation effective de lobjet. Lins-piration lui serait venue des botes de jeu de son enfance, mais gale-ment de la Bote-en-valise de Marcel Duchamp, muse portatif ralis 20 exemplaires entre 1936 et 1941, qui runissait les uvres principales de linventeur du ready made : en tout 70 lments, rpliques en minia-ture, photographies ou reproduction en couleurs.

    Remarquons enfin que la bande dessine a toujours t caractrise par une potique du fragment et du discontinu : la prpublication en feuilleton dans la presse a t le lot dune grande partie de la production, et une majorit dalbums eux-mmes sinscrivent au sein dun ensemble plus englobant qui est la srie. Tout se passe comme si Chris Ware avait fait le choix de renchrir sur une particularit du mdium, en portant cette logique de la fragmentation un degr superlatif.

    Du reste, les quatorze lments dont se compose Building Stories ne se diffrencient pas seulement les uns des autres par leurs caractristiques physiques. Dun fragment lautre, ce ne sont pas uniquement le format et lamplitude la fois physique et temporelle qui varient, mais aussi le mode doccupation de lespace, les procds narratifs (narration

  • La fleuriste devenue automobiliste et mre : un tournant inattendu (dernire page de B).

  • la premire ou la troisime personne, squence muette, jeux sur la temporalit) et mme le style graphique. Ce dernier aspect concerne particulirement les parties M et N, contrepoint factieux se droulant dans le monde des abeilles, lesquelles sont dessines de manire beau-coup plus stylise, caricaturale, que les humains, et charrient quelques rminiscences discrtes : Branford, labeille mle, porte des gants blancs comme Mickey, tandis que Betty, sa femme, a un nud rose sur la tte, comme Minnie. (De mme, Quimby the Mouse citait les premiers temps du cinma danimation amricain.)

    Revenons au personnage principal, celui de la fleuriste. Toute tenta-tive pour mettre en perspective les lments que nous possdons sur sa vie et en dgager un rcit cohrent ne peut tre quune reconstitution a posteriori, puisque nous avons pris connaissance de ces lments dans le dsordre. Mais le commentateur na dautre choix que de sautoriser trahir le caractre volontairement clat du dispositif voulu par Chris Ware, sil veut rendre la narration intelligible.

    Comme le savent ses lecteurs, Chris Ware ne se signale pas par une vision particulirement primesautire de lexistence. Les mmes senti-ments de solitude irrmdiable, dinadaptation au monde, de tristesse, dabandon et de drliction qui taient exprims dans Jimmy Corrigan imprgnent aussi Building Stories 5. La locataire du premier tage gche sa vie auprs dun bon rien et passe lessentiel de son temps ruminer lchec de son couple. La propritaire de limmeuble (une vieille dame dont le tlphone rouge fait assez clairement cho celui qui reliait Jimmy sa mre) ne vit plus que dans ses souvenirs. Il nest pas jusqu Branford, la meilleure abeille du monde (the best bee in the world, autre renvoi ironique au smartest kid qutait Jimmy), qui culpabilise en raison de son impuissance fconder la reine de son essaim. Mais cest le personnage de la fleuriste qui donne le ton, et la majorit des pisodes sont vus travers le prisme de son temprament dpressif.

    5. Avec son auto-ironie coutumire, lauteur crit sur lune des faces de la bote : Que vous souffriez de la solitude seul(e) ou avec quelquun, ce livre ne peut quentrer en rsonance avec le sentiment crasant de vie gche, doccasions manques et de rves de cration briss qui frappe le public littraire des classes moyennes et aises

  • []

  • taBLe des matires

    Introduction 7

    Hugo Pratt, La Ballade de la mer sale 13

    Moebius, Le Garage hermtique de Jerry Cornelius 39

    Alan Moore et Dave Gibbons, Watchmen (Les Gardiens) 69

    David B., LAscension du Haut Mal 103

    Alison Bechdel, Fun Home 131

    Dominique Goblet, Faire semblant cest mentir 149

    Shaun Tan, L o vont nos pres 167

    Craig Thompson, Habibi 191

    Chris Ware, Building Stories 215

    Jens Harder, Le Grand Rcit : Alpha, Beta, [Gamma] 251

    Coda 275

    Ce livre connat des prolongements sur le site de lauteur, www.editionsdelan2/groensteen, rubrique Un art en expansion.

  • Un Art en expansion propose un retour sur un demi-sicle de cration en bandes dessines, une priode qui a vu le neuvime art se diversifier considrablement, aborder de nouveaux domaines, inventer de nouvelles formes, se mtisser avec dautres arts et smanciper du format de lalbum traditionnel.

    Dix uvres-phares de la modernit sont passes au crible dune relecture attentive qui en dtaille les enjeux et en fait ressortir le caractre novateur. Dix jalons essentiels dans lexpansion dun art qui a progressivement pris conscience de lui-mme et de ses potentialits.

    Dans lordre chronologique de parution, ce sont La Ballade de la mer sale de Hugo Pratt, Le Garage hermtique de Jerry Cornelius de Moebius, Watchmen dAlan Moore et Dave Gibbons, LAscension du Haut Mal de David B., Fun Home dAlison Bechdel, Faire semblant cest mentir de Dominique Goblet, L o vont nos pres de Shaun Tan, Habibi de Craig Thompson, Building Stories de Chris Ware, Alpha directions et Beta civilisations de Jens Harder.

    Sappuyant sur sa connaissance intime de la bande dessine, Thierry Groensteen les dcortique avec gourmandise, cueillant les dtails significatifs et les mettant en rseau pour dployer tout lventail des significations et des rsonances culturelles.

    Spcialiste de rputation internationale, Thierry Groensteen travaille aujourdhui comme directeur de collection pour Actes Sud et charg de mission la Cit internationale de la bande dessine et de limage. Il est lauteur de nombreux ouvrages sur la bande dessine, parmi lesquels Systme de la bande dessine (PUF, 1999), Un objet culturel non identifi (LAn 2, 2006), La Bande dessine, mode demploi (Les Impressions Nouvelles, 2008), La Bande dessine, son histoire et ses matres (Skira/Flammarion, 2009) et Bande dessine et narration (PUF, 2011).

    Diffusion / Distribution : Harmonia MundiEAN 9782874493003

    ISBN 978-2-87449-300-3288 pages 23

    SEPTEMBRE 2015

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    un art en expansionDix chefs-duvre de la bande dessine moderne