Extrait de la publication...Rita Mitsouko, attendus depuis si longtemps qu’on ne les attendait...

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Fais-moi oublier

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DU MÊME AUTEUR

ROMANS

Une journée dans la vie d’Annie Moore, Presses de laRenaissance, 1993, Prix Paul Guth du premier roman.

Un animal à vif, Le Masque, 2001.Autobiographie d’une tueuse, Flammarion, 2002.Tout sur elle, Flammarion, 2003.Ma psy, mon amant, Belfond, 2004.Les Falaises du crime, Flammarion, 2005.

NOUVELLES

Exquis Cadavres, vol 1, Librio, 2001.Exquis Cadavres, vol 2, Librio, 2002.

BIOGRAPHIES

Michel Jonasz, Seghers, 1985.Véronique Sanson, Seghers, 1993.Louis Chedid, Seghers, 2005.

ENTRETIENS

Un été d’écrivains, vol 1, Librio, 2002.Fan attitude, Librio, 2002.Mes étés d’écrivains, vol 2, Belfond, 2003.Andrée Chedid, Entre Nil et Seine, Belfond, 2006.

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Brigitte Kernel

Fais-moi oublier

roman

Flammarion

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© Flammarion, 2008.ISBN : 978-2-0812-0804-9

À J et M.

Pour Corine.

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« Les curés, tant des villes que des cam-pagnes, sont priés d’avertir le peuple que leséclipses n’ont aucune influence ni morale, niphysique : qu’elles ne présagent et ne pro-duisent ni stérilité, ni contagion, ni guerre,ni accident funeste, et que ce sont des suitesnécessaires du mouvement des corps célestes,aussi naturelles que le lever ou le coucher dusoleil et de la lune. »

Gazette de France,en prévision de l’éclipse du 1er avril 1764.

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PREMIER TEMPS

Léa, Louise et nous

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Léa est tombée de ce pont. Comment tout celaa-t-il commencé ?

Nous venions de dîner, quatre amis, un lundi, enaoût. Nous avions bu, ri ensemble, sur la terrasse,nous parlions de tout, de rien, du chat roux quis’était installé en face, sur un toit, dans le dernierreflet du coucher de soleil et qui semblait nous épier,de ce reportage que nous avions tous vu sur lesfemmes sibériennes, comme si nous n’avions pasautre chose à faire ce week-end que regarder la télévi-sion. Nous avions évoqué l’actualité, le voile enFrance. Louise aimait parler actu. C’était la veille deson départ pour le Moyen-Orient, elle avait repris dupoulet massala en parlant du régime qu’elle ferait enrentrant. Elle n’était pas inconsciente, n’ignorait pasqu’elle partait en pleine guerre, elle le disait, je nesuis pas une tête brûlée, bien sûr il y a eu des journa-listes tués, je le sais, mais il ne faut pas imaginer que

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ça arrive tout le temps, les journalistes ne sont pasdes soldats qui vont au front ! Enfin quoi il ne fautpas paniquer, sinon personne ne traite plus del’actualité !

Ses yeux s’affolaient dans la pénombre. Oliviers’est levé, a placé des petites bougies rondes dans lesdeux photophores rouges que Louise et Léavenaient de nous offrir. Un vent frais s’insinuait.Louise se massait la nuque en parlant. Ce conflit, ellevoulait y aller, témoigner. Pas question de rester àParis. S’y rendre, c’était important, pour l’info. Infor-mer les auditeurs de sa radio, dire au jour le jour cequi se passait là-bas, sa profession, sa mission, etpuis, c’était peut-être le début d’une TroisièmeGuerre mondiale, qui sait ? Il faut en parler, la parolemédiatisée arrête parfois la machine... Enfin, jel’espère.

Léa l’écoutait, hochait la tête, murmurait, vivreavec un grand reporter n’est pas toujours aisé, ça mefait quand même un peu peur quand elle rejoint unpays comme celui-là, mais c’est son métier, heinLouise, mon amour, c’est ton métier ! Elles se sontembrassées, furtivement. Je n’avais jamais vu deuxfilles s’embrasser, avec la langue. Était-ce vraimentagréable ?

Puis Léa a expliqué, elle, ce n’était pas son trucla guerre, la politique internationale. Ses sujets deprédilection, ceux qu’elle maîtrisait le mieux, concer-naient la condition des femmes dans le monde,

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partout, sur n’importe quel continent. Elle allaitd’ailleurs en Jordanie dans deux mois, « faire duson » chez les Bédouines ; des femmes qui tra-vaillaient pour l’association de la reine Noor. Elle atendu son menton vers le ciel, une mèche de cheveuxa glissé sur la droite, découvrant la totalité de sonfront, c’est incroyable le nombre d’étoiles, regardezle ciel !

C’était l’été, l’été parisien et ses fontaines dans les-quelles nous n’osions pas nous plonger.

Nous avions tous envie d’entrer dans nos vête-ments légers, ces tenues achetées en solde dès juillet.Olivier était dans une période lin, chemises et panta-lons. Ce lin vert d’eau, lin indigo, lin aux couleursdécalées, ça lui allait bien. J’adorais les choixd’Olivier en matière de lin, ils m’émouvaient parcequ’ils lui ressemblaient, juste sur le fil du classique,borderline comme il disait. Ses pantalons... Il lesnommait « chocolat au lait », « caramel salé »,« beurre frais ». J’adorais caresser ses cuisses et sesavant-bras lorsque le lin flottait, froissé, tout contresa peau. Sensation forte. Il n’est pas besoin de fairebeaucoup l’amour quand on s’aime vraiment. J’enétais persuadée. Nos dimanches sur ou sous lacouette jusqu’à l’extase, yeux dans les yeux, trempésde plaisir, ces promesses « toujours, à la vie, à lamort » paraissaient nous réussir. J’avais lu dans unmagazine que l’habitude dans l’acte amoureux tuaitl’amour. Je n’y croyais pas. Nous étions plus forts et

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comme ils étaient bons nos rituels, ces dimanchesaprès onze heures qui, ponctués par un bain parfuméaux huiles essentielles, nous mélangeaient.

Le poulet massala a refroidi. Personne n’a pris dedessert. Nous pensions tous à notre ligne. On a parlédu printemps qui nous avait découverts bricoleurs.Olivier et moi avions installé cette terrasse sauvagesur le toit. Des travaux d’une semaine et demie quinous avaient révélés plus habiles que nous ne l’imagi-nions. Nous sommes revenus sur cette période, cemois d’avril déjà chaud où Louise et Léa s’étaientenfin décidées à vivre ensemble. Léa riait. Ses mainsdans la nuit dessinaient son euphorie. Ses mots setélescopaient. Elle parlait vite, s’amusait du fait queLéa et Louise rime avec Thelma et Louise, vous savezque c’est mon film culte ? Il ne faudrait pas que çafinisse de la même manière.

Elle a bu cul sec un demi-verre de blanc. L’alcoolfrappait nos tempes, nous avions soudain chaud.Nous nous amusions de rien, de tout, de ce super-marché qui diffusait dans ses haut-parleurs des crisde mouettes au rayon « poisson », et des bourdonne-ments d’abeilles au rayon « fruits et légumes », decette fille, notre ancienne voisine qui travaillait autre-fois au Crazy Horse, elle était devenue la présidentede l’association des collectionneurs de cochons ;cochons jouets d’enfants, cochons en céramique ouen métal venus de tous pays.

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Louise a ébroué ses longs cheveux blonds d’unmouvement de nuque. Dans la lumière des photo-phores, sa chevelure ondulée paraissait plus épaisse.Elle ne nous écoutait plus, elle a soupiré, commelasse, lasse mais sereine, et ses mots ressemblaient auxparoles d’une chanson, on a vécu un beau printemps,Léa et moi ; un beau déménagement ; les cerisiersperdaient leurs pétales dans les rues ; c’était superbece sol parisien recouvert par endroits de pétales roses,comme des tapis ; et nous sommes déjà mi-août,déjà...

Paris au mois d’août,Il n’y avait plus de fleurs de cerisier,Plus grand monde sous les arbres.

Plus grand monde dans les rues de la capitale, saufnous, nous quatre, Louise et Léa, ce couple nouveau,et Olivier et moi dans notre huitième millésime.Mon chien était mort d’un œdème pulmonaire unan plus tôt, la date anniversaire approchait, 31 août.J’étais moins triste, chacun évitait de m’en parler. Çam’avait fait étrangement souffrir de perdre monlabrador.

L’été à Paris a toujours été pour moi une gourman-dise. Travailler en août, un régal ! Personne dans lesrues, la vie à vélo. On m’avait confié une belletranche de travail à la radio : minuit-quatre heures,

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un roman à lire en direct, mis en ondes par un réali-sateur que j’aimais bien, Charles. Lectrice, c’estsympa comme boulot. C’est simple, un plaisir quede se balancer dans les textes des autres, leur donnerencore plus de relief par le ton, par le style de votrevoix, la particularité de vos intonations, de votredébit. Un métier. Un beau métier. Je lisais. Pour centcinquante mille auditeurs, au dernier sondage. Jerevois le regard du directeur des programmes alorsqu’il commentait mes résultats. Bien, beau score,continuez comme ça, faites encore monterl’audience. Merci, merci, oui, je vais essayer mon-sieur. Je ne lui avais évidemment pas dit que si leChanteur prenait mes chansons, je lâcherais ce job,trop envie de passer mes soirées avec Olivier. Nousétions décalés. Il dormait quand je rentrais, se levaitalors que j’étais en plein sommeil. Lire. Douze ansde lecture radiophonique. Sans aucune lassitude,toujours avec gourmandise. Ça allait de Bel Ami oudu Horla de Maupassant, à Marie Nimier, La Caresse,Fred Vargas, L’Homme à l’envers en passant par Flau-bert, Dumas, Modiano. Modiano, celui qui faisaitgénéralement monter l’audience.

Ce soir-là, dans ce dernier été avant le nouveaumillénaire, on parla finalement peu de boulot. Nousavons surfé de l’actualité mondiale à l’absence desRita Mitsouko, attendus depuis si longtemps qu’onne les attendait plus. Nous nous sommes souvenusde chansons, de celles que l’on n’oublie jamais, elles

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ont marqué notre adolescence. Je n’ai pas osé dire àLouise et Léa que j’écrivais pour le Chanteur, ilm’avait commandé trois textes. Superstitieuse, je pré-férais garder le secret. Rien n’était fait. J’avais peurdu jugement, du manque d’entrain des autres. Onvous respecte, on dit oui à votre travail d’auteur sivous êtes chanté, joué, publié, reconnu, mais si celareste une recherche de vous à vous et que vous netrouvez pas de porte-voix, alors on vous classe ducôté des amateurs.

Olivier s’est enthousiasmé en évoquant le cinémabollywoodien. Il venait de le découvrir, son journallui avait commandé un dossier sur les stars des stu-dios de Bombay. Il était enchanté, j’adore, c’estDallas parfumé aux fleurs, aux danses et aux saris,c’est kitsch, j’aime le super-kitsch, pas vous ? Louisen’en avait jamais vu. Olivier a promis, quand turentres Louise, on organise une soirée Bollywood àla maison, j’ai des cassettes extraordinaires, entracteet encas comme cela se fait en Inde ! Léa a applaudi,c’est super, ça marche ! Louise hochait la tête à laverticale, polie, elle remerciait, oui, bien sûr, c’estsympa comme idée Olivier. Était-elle vraiment heu-reuse d’imaginer passer une soirée devant la télé et lemagnétoscope, au cœur de ce monde rose et bleuindigo brodé de fils d’or ? Sans doute eût-elle préféréregarder un film de le veine de Satyajit Ray, pas unBollywood...

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N° d’édition : L.01ELKN000150.N001Dépôt légal : janvier 2008

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