Extrait de la publication…mati re grasse, pas de p tes, ni de pur e. Para-doxalement,une ducation...

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Extrait de la publication

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  • Vincent Wackenheim

    Coucou

    l e d i l e t t a n t e-, rue du Champ-de-l’Alouette

    Paris e

    le dilettante, rue Racine

    Paris e

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  • © le dilettante, 2005.ISBN 2-84263-095-5

    Couverture : Philippe Roux

    978-2-84263-476-6

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  • pourVincent Baudet

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    Voilà : je suis gardien d’immeuble, gardienremplaçant. Ou concierge, c’est selon. Pour unmois, le mois de juillet. Appointé. Rue Vaneau,dans le 7e, à Paris. Dans ma loge on peut avoirsimultanément : 3 livres, 1 télé (petite), 4 bibe-lots (ou 2 bibelots et 2 vases), 1 coucou (lemien), 2 tableaux. Sans parler du fauteuil, face àla porte, à gauche de la fenêtre, tout le reste seplie, se glisse, se roule, s’escamote.

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    Un rêve de gosse, cette loge, Robinson Crusoëchez les Lilliputiens, du concentré de concoursLépine, section ameublement. Une chambre debonne, mais au rez-de-chaussée, et sans la bonne,le monde à l’envers. On aurait pu la décorer,bonbonnière Louis XV, boudoir Napoléon III,guitoune de station-service, cabane au Canada,confessionnal saint-sulpicien. Au choix.

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    Ce qui peut paraître extravagant : je suis deve-nu le gardien de mon propre immeuble, celuique j’habite depuis plus de quinze ans. Occu-pation des lieux strictement bourgeoise, bon-jour-bonsoir, à Noël les étrennes des concierges,sobrement glissées dans une enveloppe doublée.Le syndic a eu besoin au débotté d’un gardien-remplaçant. Une occasion à saisir, pourquoi pasmoi ? Quelques congés à rattraper, l’exotismeà portée de main, une configuration idéale.Question immobilité, difficile de rêver mieux,pour moi qui ai horreur des voyages. J’ai dit oui.Ad majorem immeubili gloriam. Sur le pavé,l’aventure. Les autres habitants ont-ils seule-ment compris que le propriétaire du 3e droite estdevenu leur concierge (on dit gardien), c’est-à-dire à leur service, même la nuit ? L’important,pour eux, c’est qu’on soit sûr qu’il y ait ungardien à demeure (on dit concierge !), dispo,corvéable, dévoué corps et âme (même si on ditle gardien, on pense mon gardien, comme monavocat, mon confesseur, mon banquier, mon fruits-et-légumes-pas-cher).

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    Si la question venait à se poser, genre hypo-thèse de travail : évidemment impossible d’avoirdes enfants dans ces conditions-là. Ou à larigueur de tout petits enfants – il faudra lesempêcher de grandir. Ne pas les nourrir, ou trèspeu, des aliments pauvres, lait allégé, 0% dematière grasse, pas de pâtes, ni de purée. Para-doxalement, une éducation pauvre, mais hors deprix.

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    Au 4e étage il y aurait, paraît-il, dixit leconcierge, un appartement «du tonnerre », un deceux qu’on voit dans les magazines qui neservent à rien. Le propriétaire n’est presquejamais là, il voyage beaucoup, ce serait à visiter,ça vaut le coup d’œil, c’est à vous couper lesouffle, sans parler de la vue. Les clés sont sage-ment accrochées au tableau, à portée de tenta-tion.

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    Je lis Pintades, de René Ehni, pour me donnerdu courage, et puis Paludes, pour comprendreenfin Pintades.

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    J’imagine une vie à deux, je rêve d’une épousemagnifiquement ordonnée, tendance maniaque,qui saurait tout plier, repasser, ranger, rapetisser,empiler. Une petite femme, s’entend, peut-êtreune femme-enfant, une femme-jivaro, la femme-loge.Pas de poitrine opulente, plus de rires à gorgedéployée. Des pensées resserrées, des gestes me-surés, des envies rentrées. De petits seins, sipossible alignés l’un en dessous de l’autre,comme un feu rouge. Pour dîner : Never morethan six, disait Jacky Kennedy – ici ce sera : nevermore than two, à quatre on friserait l’apoplexie, laclaustrophobie galopante. Ou la mort, peut-être,la haine de l’autre, sûrement.

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    Une loge de gardien, c’est une caravane sansles voyages, une cabine de bateau à quai, oubliéle mal de mer. Chaque chose à sa place, donc, etpar voie de conséquence, à chaque place, unechose : ça vaut pour les êtres humains. Au rayonavantages : ça ne pousse pas à la consommation,on n’achète rien, on n’a pas la place. Ce n’est pasmoi qui contribuerai à sortir du récessif ! Maisque de tentations inutiles en moins ! Les douzevolumes d’une encyclopédie juridique sousreliure mobile ? On n’y pense même pas. Unepaire de bergères ? Un Voltaire ? Des dalmatiensen faïence grandeur nature ? Vade retro. Untrumeau? Un deux-corps ? Chimères ! On sortdes Puces les mains vides, la tête haute, le sourireaux lèvres, minimaliste, japonais. Altier, on toiseles marchands. À la rigueur, les timbres, ou lesimages pieuses (ou les diamants, si on peut). J’aiquand même accroché un coucou au mur, maisc’est pour mon travail, pour l’inspiration, pourles réductions : y penser, toujours, n’en parler,jamais – j’y reviendrai.

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    J’imagine, le soir, une jeune femme dans maloge (loge : ça fait théâtre et velours rouge), pourun dernier verre. Pratique, je l’embrasse sur labouche, elle m’embrasse sur la bouche, d’undiscret déclic de la main je transforme le canapé-lit en lit, ni vu ni connu, on appelle ça un clic-clac, moderne, sans bavure, la dame bascule, etmoi itou. Le canapé déplié remplira tout l’espacede son envahissante mécanique (les ressorts del’amour !), en un tour de main cette loge s’estfaite lupanar, conforme à l’idée modeste qu’onse fait communément d’un lupanar, de nosjours, inutile de rêver à Salammbô, le sol n’estplus que lit, oreillers, matelas, édredon, le frigo àportée de main, et pour cause, la salle de bainspas loin, pas loin du tout, comme un vide-pochesdans une voiture.

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    Il y a une fraternité des concierges, un espritde corps, la franc-maçonnerie des loges. La gar-dienne du 22 s’ennuie. Son mari fait le taxi la

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  • nuit, le jour il dort, debout vers 16 heures, untantinet tyrannique, à cause des 20 m2 – catalyse.Elle m’emmène dans son estivale tournée d’ar-rosage. Je jette un coup d’œil par les fenêtres desappartements, je vois ma rue d’un peu plus haut,au fur et à mesure des étages, la vie me paraîtdifférente, simple question de point de vue.J’aperçois aussi les fenêtres de mon apparte-ment : je suis moins ému qu’on imaginerait – ilfaudrait que j’accroche des rideaux. Je redes-cends sans trop tarder dans ma loge, service,service, éviter le sentiment.

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    Gardien d’immeuble, c’est assez chien, ça ason charme, pourvu que l’ascenseur ne tombepas en panne, juste cette nuit, la nuit avec lajeune femme dans le canapé-lit déployé. Lelendemain matin est plus difficile : la cuisine estdans la pièce, la pièce dans la cuisine, la salle debains minuscule, le bain réduit à une douche, etl’intimité à la portion congrue. Comment ima-giner une Joséphine prendre place, même petite,dans ma micro-vie ? Joséphine, je ne dis pas ça

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  • pour Bonaparte, s’entend, j’aurais pu dire uneLouise, tout pareil.

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    Quelles sont exactement les fonctions d’ungardien? Pas simple. La distribution du courrierdans les boîtes aux lettres, oui, garder le courrier,l’été, non. Ou moyennant finance, un geste, legardien m’a bien expliqué, il y a comme un tarif– c’est inné, on comprend vite. On est en périodede vacances, il ne faudrait pas, ce sont ses mots« saloper la clientèle », en cassant, par exemple,les prix (il oublie si vite que la clientèle, c’estmoi…). Grand seigneur, il me laisse le bénéficedes à-côtés, sans commission.

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    D’abord, les premiers jours, on distribueconsciencieusement le courrier du matin, unpetit paquet de lettres dans chaque boîte, c’estun jeu, ne pas se tromper, les journaux, les lettresrecommandées, en cas de procuration, c’est

  • toujours intéressant. À chacun son dû, c’estpropre, c’est net, on joue à la marchande, j’ail’impression de servir enfin à quelque chose surterre. Puis on distribuera le courrier après l’avoirlu, un peu plus tard dans l’après-midi, beaucoupplus tard, par-ci, par-là, les cartes postalesd’abord, facile, et les lettres, on apprend à lesouvrir avec délicatesse, c’est un nouveau jeu,vapeur, coton, cutter. Pour finir on le lit le lende-main, on en garde un peu pour le week-end,quand on est bien tranquille, pour mieux lesavourer tout à loisir. On le fera disparaître, bienobligé, on est forcé de le détruire, après. On abien essayé de les ouvrir proprement, ces lettres,rien à faire, ça se déchire comme un rien, lavapeur gondole les enveloppes, la colle dégou-line, l’encre pâlit piteusement. C’est comme ça.Ce qui est agaçant, ce sont les paquets. Ils sontattendus. «Des calissons d’Aix, j’en attends unegrosse boîte, vous me préviendrez ?, c’est de lapart de ma belle-sœur, elle habite Bruxelles…»On est bien obligé de les distribuer, les calissons,on met un petit mot assez sec, comminatoire,dans la boîte aux lettres, du genre «Prière venirchercher paquet à la loge – urgent » – à cause dela place, réduite, et du dépit, énorme.

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    La journée je vis dans un train-couchettes àl’arrêt, mais en première classe, et avec deuxfenêtres sur rue, une télé et un minibar. Je reçoisune carte postale : les vrais gardiens sont au cam-ping, et en caravane, question d’habitude.

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    Gardien : bien sûr ça n’est pas une situationen soi. Notez bien : gardien, pas concierge, vrai-ment ça n’a rien à voir, semble-t-il, pas très clair,on me l’a expliqué pourtant, je l’ai tout de suiteoublié, Dieu reconnaîtra les siens, c’est unequestion de statut. De toutes les façons, mieuxvaut avoir une activité en parallèle – par exempletrafiquer, c’est un minimum. Ou indic, c’estpareil. On sent vite ces choses-là. On travaille à lacommission – des deux côtés cela va sans dire –les heures de repassage pour la dame du 2e, laplace de parking, le-petit-plombier-pas-cher, onpeut même imaginer le pire, ou le meilleur.

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    La glace sans tain c’est vraiment bien, uneinvention du Diable. On voit qui entre, qui sort,sans être vu. Inutile d’organiser mon poste deguet, tout est déjà prêt, le fauteuil rehaussé, laposition optimale, ergonomique, j’en conclus quele gardien, la gardienne et moi-même sommesde la même taille, du même moule, du mêmeacabit – inquiétant, rassurant. On peut donc com-mencer à observer, la chasse est ouverte, toutel’année.

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    Dans la vraie vie : je suis Responsable Produc-tion /Qualité d’une entreprise qui fabrique et quivend (insuffisamment) des coucous de traditionfrançaise.

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    Disons-le tout de go, ma situation profession-nelle (je veux dire : celle qui figure sur ma carte

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  • de visite et ma feuille de paie) n’est pas si en-viable, ni particulièrement rassurante : j’ai unmois, ce mois de juillet, pour proposer à maDirection générale un «plan significatif de réduc-tion des coûts » de ces foutus coucous. Je seraisma mère, je serais inquiète pour mon fils.

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    Significatif, m’a-t-on dit, c’est écrit dans laNote de Direction générale, ici les mots ont unsens : ça doit frôler les 50 % (ce qui signifie dé-passer, c’est un langage convenu, on s’y faitassez vite), c’est le rôle du Responsable Pro-duction / Qualité, n’est-ce pas, vous devez êtrenotre cost killer (CK), mon cher, ils m’ontdésagréablement tapoté l’épaule, comme pourvoir s’il y avait encore de la ressource, costkiller, ils l’avaient lu dans une revue de mana-gement, ça les a favorablement impressionnés,cost killer, l’actionnaire-repreneur a été tout desuite d’accord – et ravi, avec aux lèvres le grandsourire béat de l’actionnaire-repreneur, quandil est ravi, ce qui peut arriver. En clair : fabri-quer un coucou à moins cher, 50 % moins

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  • cher, il faut gagner de la marge, partout où il ya – justement – du gras. Des coucous, on n’envend plus tant que cela, ce serait plutôt maigre,un coucou, sans rire. C’est un problème demarché, la clientèle se fait rare, à l’heured’Internet (a dit le Directeur commercial, l’airde celui qui sait de quoi il parle, il a connecté safemme pour Noël, un beau cadeau, elle enrêvait, il l’a fait). Et puis trouver du gras sur uncoucou, ça frise l’incongruité sémantique. Dugras sur un chapon, une poularde de Bresse,voire une carpe, passe encore – mais sur uncoucou ! Déjà pas capable d’avoir un nid à lui !Et mauvaise réputation avec ça. Bref uncoucou c’est famélique de construction. Alors50 % !

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    Ce qui est agaçant : tous ces gens qui passentdans la rue et qui jettent un œil machinal par lafenêtre ouverte. On ne leur en veut pas, c’estobligé, c’est le lieu qui veut ça, un appel d’air.«Comme c’est petit », dit-il à son épouse.«Comme vous êtes laid », ai-je lancé. Ils partent

  • sans rien dire, penauds, embarrassés, ils enparleront dans la voiture. Je pense au père Goriotdans son cagibi sous l’escalier. Lui au moinsavait ses filles (croyait-il).

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    Un cost killer en herbe dans une loge deconcierge : la vie moderne. Ça tombe bien, ceremplacement, cette double casquette, ça plai-rait à un chasseur de têtes. Je m’installe pour unmois dans une loge de 13 m2, où tout invite à laréduction : comment faire pour vivre, survivre,s’épanouir ? Être gardien, c’est le début del’ascèse. En plus, pas de bibliothèque, pas delivres inutiles (sauf Paludes, et puis Pintades),juste une toute petite télé : la liberté, mais sur-veillée. Le lieu idéal pour envisager avec sérieuxet méthode une solide et construite politique deréduction des coûts sur cinq ans. Si ça nemarche pas ici, il ne restera que la Trappe. À latrappe !, aurait dit le DRH, qui n’en manquepas une.

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  • CE e TITRE DU DILETTANTE A ÉTÉ

    ACHEVÉ D’IMPRIMER À EXEMPLAIRES

    LE NOVEMRE PAR L’IMPRIMERIE

    FLOCH, À MAYENNE (MAYENNE). IL A ÉTÉ

    TIRÉ, EN OUTRE, EXEMPLAIRES SUR

    VERGÉ ÉDITION, NUMÉROTÉS À LA MAIN

    ET EXEMPLAIRES HORS COMMERCE

    MARQUÉS H.C. L’ENSEMBLE DE CES EXEM-

    PLAIRES CONSTITUE L’ÉDITION ORIGINALE

    DE «COUCOU », DEVINCENTWACKENHEIM.

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