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Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptationréservés pour tous les pays, y compris l'U.R. S. S.

© Éditions Gallimard, 1973.

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I

Des pilotes prudents. Une odeur d'encens.Un pays où la « petite reine est reine.Disparition des classes sociales. Pékin,ville ouverte. Un pouvoir fragile. Lesanticolonels. Un pays à contre-courant.

Pourquoi la France a la cote. Savoirmarcher sur deux jambes. Une souplesseimprévue.

J'avais passé dix mois en Chine avant la guerre,comme secrétaire d'une mission de la Société des

Nations chargée de convaincre Chiang Kaï-chek deprocéder à une véritable réforme agraire.

Quel pays allais-je retrouver en y retournant trente-cinq ans plus tard? Le peuple chinois, que j'avaisconnu misérable mais ingénieux, actif, « débrouillard »,tantôt résigné et tantôt frondeur, était-il resté lemême? Ses conditions de vie s'étaient-elles profon-dément modifiées?

Débarquant à Shanghaï de l'avion de Paris avec mafille, une étudiante de dix-neuf ans, nous franchissonsdans la cohue, en pleine chaleur humide du mois

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d'août, le triple barrage des passeports, des servicesde santé et de la douane. Une aimable confusion y

règne comme dans la plupart des aéroports inter-nationaux. Au moment de nous enregistrer pour lacorrespondance de Pékin,-une jeune employée sur-menée détache par mégarde du billet de Julie, aulieu du volet Shanghaï-Pékin, le coupon de retour Shan-ghaï-Paris. Nous ne vérifions rien sur le moment, etc'est seulement lorsque nous revenons à Shanghaï àla fin de notre séjour que notre agence de voyagesm'alerte « Votre fille n'a pas de billet de retour, avez-vous encore assez d'argent sur vous pour le payer? »Petit drame, conciliabules. Impasse. Examinant alorsle ticket, tardivement, je constate que le couponShanghaï-Pékin n'a pas été détaché nous reconstituonsainsi ce qui s'est passé. Mais c'est une simple présomption.Des milliers de voyageurs ont passé depuis au mêmeguichet. Me croira-t-on sur parole? Comment va réagirla bureaucratie chinoise? Un coup de téléphone àl'aéroport, trois minutes de recherches à l'autre bout dufil et le représentant de l'agence se retourne vers moi,radieux de pouvoir me donner raison <t Ils ont retrouvéle volet intact dans votre dossier, ils vont faire l'échangeet nous le restituer, tout est en ordre. »

J'étais inquiet pour notre correspondance, car nousétions arrivés avec un retard important, en raison, nousavait-on dit, de gros orages sur Shanghaï, alors que nousy trouvons un ciel clair. Pourtant l' aérodrome N avaitété fermé. C'est courant, nous explique-t-on. Un peu debrume ou quelques mauvais nuages les vols sontinterdits. Les aéroports ne sont pas équipés d'aidessuffisantes pour la prise en charge automatique, beaucoupd'appareils datant de la dernière guerre n'ont pas lesinstruments nécessaires à l'approche sans visibilité.Les règles de sécurité sont strictes, les pilotes chinoisprudents. Aussi peut-on rarement décoller ou atterrir

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à l'heure dite. Il nous arrivera d'être informés en vol

d'une escale improvisée en raison du temps; ainsi entreSian et Nankin nous nous poserons inopinément surune base militaire à Chengchow, dans le Honan oùJulie aura tout loisir de photographier une centained'avions de chasse de fabrication chinoise récente en

rang d'oignons sur la piste. Mais on nous assure qued'ici 1976 la Chine disposera d'installations ultra-modernes, du moins à Shanghaï et Pékin, ne serait-ceque pour les trois Concorde qu'elle vient de commanderleur faible autonomie de vol ne leur permet pas detourner en rond au-dessus de l'aéroport en attendantque le temps consente à se lever.

L'avion Shanghaï-Pékin nous a attendus. On chargenos bagages, et sur le perron du hall de départ nousnous préparons à être appelés. L'appareil est devantnous, à une centaine de mètres. L'équipage monte àbord, en descend, y remonte, en redescend, dans unva-et-vient incessant d'hôtesses et d'employés dela compagnie. On allume l'éclairage intérieur de l'appa-reil, on l'éteint, on l'allume encore. Le temps s'écouleainsi de 18 à plus de 23 heures. Nous nous renseignonsau bureau d'information il ne fait pas. très beau àPékin, on attend le dernier bulletin de la météorologie.

Chacune des salles d'attente où trône une statue de

Mao en plâtre blanc verni d'une mince couche dematière plastique qui lui donne le ton de l'ivoire,encadrée par des panneaux couverts de citations de-ses œuvres en lettres d'or sur fond cramoisi, est brasséepar les pales de grands ventilateurs électriques quitombent en panne à tour de rôle. Un ouvrier mécanicienpasse les réparer régulièrement, pendant qu'une hôtessenous distribue de l'eau chlorée. Il fait 33 degrés. Lasalle est comble. Nous nous asseyons où nous pouvons,sous un ventilateur à l'arrêt. Deux jeunes Chinois quise prélassaient dans l'air frais d'un appareil en marche

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se lèvent, sourient et nous invitent par gestes à prendreleur place.

Les premiers Chinois que nous voyons portent despantalons amples et légers en coton bleu, vert foncé,ou kaki des chemisettes blanches ouvertes, amples,les pans flottant au-dessus du pantalon les femmes,des vareuses légères kaki, quelques jupes lâches, maisle plus souvent de vastes pantalons. Tous ont aupoignet la même grosse montre avec un braceletélastique en lames d'acier coulissantes. Ils sont bienportants, nourris, découplés, offrent des visages har-monieux, amicaux.

Un peu avant minuit un haut-parleur nous annonceen chinois, anglais, français que nous ne parti-

rons que le lendemain matin. Nos bagages restent àbord, on nous assigne un hôtel à quelques minutes demarche de l'aéroport.

L'établissement équivaut à un deux étoiles deprovince en France. On nous donne des chambresavec salle de bains deux pièces banales meublées dunécessaire, résilles grillagées aux fenêtres. Précautionsupplémentaire, au sol des bâtons d'encens en spiralesque des serviteurs viennent allumer. Ils brûlent toutela nuit, écartant les moustiques qui auraient pu péné-trer avec nous. Nous constatons au réveil que nousavons été épargnés. Pendant tout notre séjour, avecou sans grillage aux fenêtres, avec ou sans bâtonnetsd'encens, même quand nous coucherons à la dureau milieu des paysans, nous ne serons jamais incommo-dés par le moindre insecte.

Au lavabo, l'eau chaude est prévue, mais elle ne semontre pas. Au mur, Mao en couleurs. Sur le lit, undrap recouvert d'une natte en paille fine. Ayantégaré le chapeau de mon imperméable, je ressors del'hôtel après minuit accompagné d'hôtesses qui lecherchent avec acharnement dans la nuit jusque sur

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les pistes de l'aéroport où le vent aurait pu l'emporter.Elles tiennent à confirmer la réputation qu'a méritéela Chine révolutionnaire où rien ne se perd, rien ne seprend. Je retrouverai le chapeau le lendemain matinaccroché à une patère du vestibule.

On nous réveille à 6 heures, pour un départ annoncéà 8 h 15. On nous offre le petit déjeuner au restaurantde l'aéroport. Pâtes fines dans du bouillon, serviesdans un bol que l'on approche tout près du visage, ontriture les pâtes avec les baguettes, on aspire vigou-reusement en émettant force reniflements et gargouillis.On ajoute dans une soucoupe en porcelaine des mor-ceaux de mandarine dans du sirop. On nous verse duthé vert, l'eau bouillante coule dans un verre, les

feuilles parfumées flottent à la surface, puis s'infusenten s'enfonçant, une résille en paille fine entoure leverre et permet de boire le breuvage brûlant commel'aiment les Chinois. Le goût est amer mais certainesdes mille variétés de thé vert, tel celui de Lin Tan dansla région de Hangchow, sont préférées au thé au jasmin.Les jeunes serveuses sont accortes et prévenantes, etn'acceptent aucun pourboire, pratique réputée insépa-rable du système capitaliste d'exploitation de l'hommepar l'homme.

L'avion décolle avec seulement un léger retard. Unehôtesse distribue éventails de bambou, servietteséponges froides, friandises et chewing-gum. Il y a deuxclasses dans notre appareil, et nous constaterons qu'ilen sera toujours ainsi. Plutôt que première et touriste,il serait plus exact de les dénommer classe ordinairesoixante places à l'avant et classe officielle vingtplaces à l'arrière où les fauteuils, ni plus ni moinsconfortables, sont réservés à de hauts fonctionnaires,le plus souvent des militaires. Notre avion est un vieilAntonov quadrimoteur à hélices et pistons. Ni clima-tisation ni pressurisation. Point fixe avant de prendre

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la piste. 22 secondes pour le décollage. Vitesse aujugé 450 km/h. Distance de Pékin 1 000 kilomètresNous volerons à 2 000 mètres et prendrons exactement

2 h 15 pour y parvenir. On nous sert à deux reprises dela citronnade glacée dans des tasses en plastique vert.Une musique sur bande magnétique joue des airs mar-tiaux. Les bouches d'aération fonctionnent, l'air est

frais et la température douce. Les hôtesses s'affairentgaiement, nous offrent pommes et poires, allumettes,cigarettes, nous font passer serviettes froides et chaudes.

Nous roulons maintenant sur la route de Pékin, large,rectiligne et superbement goudronnée, avec le repré-sentant de l'agence de voyages chinoise Lu-Tsin-Chequi nous a accueillis à l'aéroport, et notre interprèteHsiao. La voiture est polonaise, genre Opel.1950. Onmarche lentement, prudemment, on ne dépasse guèreles 60 km/h. Nous constaterons que les chauffeursofficiels sont bien habillés, gants blancs, maintien mili-taire, font preuve de sang-froid, ne parlent pas de langueétrangère. Ils partagent une caractéristique avec leschauffeurs de taxi souvent des femmes ils répugnentà rétrograder les vitesses, restent en prise directe quitteà faire peiner le moteur dans les montées, et mêmeaprès un coup de frein. S'ils ne calent pas c'est d'extrêmejustesse. Recommandation qui leur est faite pour éco-nomiser l'essence? Méconnaissance de la mécanique?Les deux hypothèses ne s'excluent pas, la seconde sevérifiera lorsqu'il nous arrivera de tomber en panne etde voir le chauffeur mettre le nez sous le capot puis serelever visiblement intrigué, attendant que « ça se passe »ou que tombe du ciel un spécialiste plus compétent.

Sur la trentaine de kilomètres qui séparent l'aéroportdu centre de la ville, on a reboisé sur deux rangéesdenses et parallèles de chaque côté de la route, près decent mille arbres ont été plantés il y a une dizained'années eucalyptus, acacias, saules, peupliers, ormes,

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micocouliers il est 11 heures du matin, il fait 30 degrés,c'est la température que nous aurons presque constam-ment, plus sèche dans le Nord, plus humide au sud duYang-Tsé. Derrière cette double rangée d'arbres quiprocure ombre et fraîcheur, c'est la rase campagnechamps de maïs, blé, millet, sorgho, coton, un peu desoja, de riz, de petits, étangs verdâtres couverts delotus, des cultures maraîchères peu de monde dans leschamps quelques bêtes de somme, ânes et mulets.

De même qu'au-dessus des aéroports de Shanghaiet de Pékin se remarquait l'absence presque totale detrafic aérien, et qu'on voyait au sol fort peu d'avions etde modèle ancien, nous notons sur cette grande artèreà proximité de la capitale la rareté du trafic automobile.Mais l'animation est intense bicyclettes de plus en plusnombreuses à mesure qu'on approche de la ville, nuéesde bicyclettes solides et lourdes, bicyclettes d'hommes,que montent aussi les femmes. Beaucoup de piétonsaussi, mais surtout des charrettes à bras tirées par descoolies à pied ou des cyclo-pousses, des brouettes, descharrettes tirées par des ânes, des mulets, des chevaux,avec un système d'attelage très particulier qui consisteà répartir les animaux de trait sur deux rangs deuxdevant et un au second rang, ou un devant, deux ausecond rang, ou encore trois devant et un au secondrang, etc. Bêtes curieusement appareillées, un très vieuxcheval blanchi sous le harnais et uri jeune mulet, ou unpoulain tout fringant et un âne vieillissant. Le conduc-teur est souvent affalé sur son siège, somnolent et parfoisil y a sur la charrette, au sommet du chargement, unautre paysan qui dort.

Que transportent ces charrettes? Du fumier, beaucoupde fumier, presque- toujours du fumier, de l'engraishumain, de la fumure de porc, quelquefois des engraischimiques, quelquefois des bonbonnes d'eau dansles provinces nous verrons souvent du charbon empilé

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La Chine comme si vous y étiez.

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à claire-voie, des grains, des sacs de céréales. Des mil-liers de charrettes s'échelonnent sur la route. On croise

aussi quelques autobus, aux arrêts stationnent des filesd'attente, souvent des enfants qui rentrent de l'école.Quelques camions enfin, qui transportent plus souventdes hommes que des marchandises, pour la plupartdes militaires entassés et parfois des civils qu'onconduit à leur lieu de travail.

Ce peuple qui défile ainsi sur la route, il est de taillemoyenne, bien proportionné, solide, râblé. Il donne uneimpression de force et de santé. Nous voyons surtoutdes hommes jeunes ou d'âge moyen, vêtus très simple-ment, nous sommes au cœur de l'été et chacun porteune chemisette ouverte à manches courtes, un pantalonde coton bleu marine très bouffant aux hanches et plusserré aux chevilles. Contrairement à la Chine d'autre-

fois on ne voit guère de pieds nus, presque tous cespaysans sont chaussés d'espadrilles en bon état etd'apparence confortable. Ils sont nets et propres, rieursou souriants, détendus. Ceux que nous voyons arrêtésau bord de la route discutent paisiblement entre eux,paraissent échanger des plaisanteries. Nous distinguonsau travail dans les champs quelques vieux avec de grandschapeaux de paille à bords très vastes qui les protègentdu soleil. On n'aperçoit plus que de très rares vieillesfemmes aux pieds minuscules, mutilés par les bande-lettes qu'elles portaient enfants dans la Chine impériale.On ne rencontre plus que très peu de vieillards portantle bouc ou la touffe de poils au menton type Ho Chi-Minh. La génération actuelle est glabre, porte les che-veux courts de coupe sobre, la nuque rasée, les pattestrès hautes, parfois au-dessus même de l'oreille. Lacoiffure des femmes, ce sont des nattes tressées, descouettes, avec une raie au milieu, les cheveux très

noirs, luisants et le front dégagé, les tresses sur le côté.Mais il y a quelques variantes, par exemple retombant

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sur le front, à mi-hauteur ou jusqu'aux sourcils, unefrange bien peignée, alignée, comme ratissée sur unemoitié du front.

Autrefois on remarquait dans les villes et les villagesdes personnages très soignés, vêtus avec recherche etdistinction, opulence même, entourés de leurs serviteurs,et on voyait aussi des mendiants squelettiques en hail-lons et des coolies décharnés aux pieds nus. Les classessociales ont été dénombrées par Mao lui-même il yavait les « compradors », les collaborateurs de la coloni-sation. Ils achetaient au rabais les produits du travaildu peuple chinois pour le compte des grands négociantsétrangers installés à même le sol de Chine sur des terri-toires arrachés par les « traités inégaux », et ils préle-vaient leur commission au passage. Il y avait la«bour-geoisie nationale » qui vivait des revenus de ses terres,et aussi du négoce et de l'administration de l'Empire.Elle seule accédait à la culture et approvisionnait lanation en professions libérales et en fonctionnaires.

Dans les campagnes régnaient les propriétaires fon-ciers, rapaces, arrogants, disposant de la force arméepour imposer leur loi et faire respecter leurs privilèges.Assimilés à eux, bien que nettement au-dessous les« paysans richesqui possédaient un peu de terre etn'étaient pas mécontents du système. En dessous,la petite bourgeoisie artisans des villes et petits com-merçants. Et tout en bas de l'échelle les ouvriers et

le prolétariat agricole, en général analphabète, lui-mêmedivisé en « paysans moyens et moyen-pauvres », quiarrivaient tout juste à survivre et, ne disposant d'aucuneréserve, étaient à la merci de la sécheresse et des inon-

dations, réduits périodiquement à la famine et à l'exodeen longues théories misérables vers d'autres provincesplus favorisées, où ils seraient recueillis par des membresde leur clan familial et enfin la masse des paysanspauvres (70 de la population rurale), objets vendus

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avec la terre, simples travailleurs agricoles et valets deferme, ne possédant rien et n'étant même pas attachésà une exploitation par un lien contractuel, souventréduits à la mendicité.

Ce sont ces classes, tout droit sorties du systèmeféodal, que la révolution agraire issue de la guerre delibération s'est efforcée de faire disparaître. Le résultatest visible à l'œil nu. C'est un nivellement de la condition

chinoise, qui ne s'est fait ni par le bas ni par'le haut,mais plutôt à l'échelon du paysan moyen fortementamélioré.

Nous pénétrons peu à peu dans Pékin grande bour-gade plate, des maisons basses de pierraille ou de pisésans étage qui nous présentent leur face aveugle puis-qu'elles se tournent vers une cour intérieure, séparéespar des murets, des allées, des jardinets habitat quin'a pas changé depuis des siècles. Dans les faubourgs,dans la banlieue, quelques immeubles type H. L. M.ne dépassant guère quatre étages. De grands parcs pro-tégés par des murs de pierre ou de ciment abritent desconstructionsde deux ou trois étages relativementrécentes destinées à la hiérarchie militaire et aux admi-

nistrations. Les édifices modernes sont rares le nouveau

ministère des Affaires étrangères en pierres de tailletype 1935 en France, quelques hôtels, quelques hôpi-taux et les constructions réalisées en 1958 au moment

du « Grand Bond en avant », telle la gare principaledont les Pékinois sont fiers, alliance du style staliniennéo-gothique imitation américaine 1930 avec toituresrelevées en pagode, sans classe, élégance, harmonie,mais solide et sans prétention. De même les vastesbâtiments qui bordent l'immense square central oùse sont déroulées les grandes manifestations du régime,la place Tien An-Men, antichambre de la Cité Interditedes palais impériaux protégée par une enceinte demurailles infranchissables. Ce qui caractérise aussi

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Pékin c'est la largeur des rues, des avenues, des boule-yards, que l'on traverse" difficilement- en raison de lacirculation intense de bicyclettes et de charrettes detoute dimension à traction humaine ou animale.

Par rapport aux villes chinoises que j'ai connuesautrefois, il n'y a plus ce grouillement de minusculeséchoppes et de marchands ambulants qui rivalisaient'd'ardeur vocale et d'invention pour retenir l'attention

du passant. Le commerce est collectivisé, il y a de grandsmagasins d'État il subsiste encore quantités de petitesépiceries, de tout petits bazars, des étals de boucher,des légumes que l'on vend en plein,air. Mais le commer-çant qui sert la clientèle n'est pas propriétaire de sonmagasin, il est le salarié d'une coopérative de quartierseuls les tout petits commerces tels que marchands deglaces ou cyclo-pousses sont encore privés mais étroi-tement réglementés et soumis à l'octroi d'un permis dela municipalité. Le marché permanent en plein vent,avec ses enseignes lumineuses, coloriées, qui donnaientà la rue chinoise, surtout la nuit, une gaieté indescrip-tible, a disparu ou perdu l'essentiel de son pittoresqueet de sa vie.

L'immensité des avenues, la dispersion de ces pe-tites maisons silencieuses et calmes, l'absence de con-centrations humaines dans la rue, contribuent à donner

l'impression que Pékin n'est pas une ville peuplée, bienqu'elle ait sept millions d'habitants, et qu'elle doit êtrefacile à tenir en main, en raison même de sa faible

'densité. Le soir nous nous promènerons dans des ruesanciennement commerçantes, où par ces grandeschaleurs la population prend le frais dehors, mais ja-mais nous ne nous sentirons dans une foule. Nous per-cevrons une certaine animation parce qu'il n'y a riend'autreà faire le soir que déambuler sagement, maisnous n'assisterons à aucune algarade ou discussionviolente. Nous verrons plusieurs fois des bicyclettes

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s'entrechoquer d'autant plus fréquemment la nuitqu'elles roulent sans phare dans les avenues faiblementéclairées les victimes roulent à terre, se relèvent

aussitôt, s'époussettent, redressent leur guidon, échan-gent quelques paroles paisibles et s'en vont gentiment.Quelquefois l'un d'entre eux reste sur place, ahuri,mais il reprend vite ses esprits. Un attroupements'assemble, parce que les Chinois ont un côté badaudtrès développé, et dès qu'un incident se produit, onvoit surgir avec une rapidité déconcertante beaucoupde monde de nulle part. Mais nous n'éprouverons unevéritable sensation de foule qu'en deux occasions, queje rapporterai plus loin.

Une heure après avoir quitté l'aéroport de Pékin,nous arrivons à l'hôtel Tsin-Tao. Il n'y a guère que troisou quatre grands hôtels pour étrangers à Pékin. LeTsin-Tao a environ deux cent cinquante chambresavec salles de bains, il a été construit vers 1958 terneet sans personnalité, il est bien tenu et le service estefficace. Il y a un restaurant chinois, fade, au rez-de-chaussée, et au dernier étage un restaurant pourétrangers. Dans le hall nous rencontrons des Améri-cains, des Australiens, des Sud-Américains, des Yougo-slaves, tous en voyage d'études, et des participants detoutes nationalités à un colloque médical et à unecompétition sportive.

Nous dînons ce premier soir chez un diplomateétranger qui a réuni pour nous les meilleurs observa-teurs des principaux pays non-communistes entrete-nant des relations officielles avec Pékin. Le complotdu dauphin de Mao Tsé-toung, le maréchal Lin Piao,et sa fin tragique n'étaient pas encore connus, maisdéjà toute l'attention se portait sur les rapports deforce entre Chou En-laï et l'armée. Un problème d'âgese pose au sommet de la hiérarchie politique. La Chineest dirigée par une gérontocratie à deux personnages

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Mao, qui approche de ses quatre-vingts ans, règne surl'idéologie, décide de toutes les orientations importantes,mais ne gouverne pas. Chou En-laï, soixante-quatorzeans, cumule toutes les fonctions du pouvoir exécutifet dirige à lui seul le Parti et le gouvernement. Or,jusqu'à ce qu'éclate l'affaire Lin Piao, la plupart desrouages importants de l'administration du haut enbas de l'échelle, et dans les provinces les plus reculéescomme dans la capitale, étaient fermement contrôlés parl'armée c'était le prix qu'avait dû payer Mao à LinPiao pour rétablir l'ordre, au terme de la révolutionculturelle qu'il avait lui-même déclenchée afin de dé-truire les structures du Parti dont s'était emparéà son détriment son adversaire idéologique le présidentde la République Liu Chao-chi. Alors comment l'ar-mée toute-puissante accepterait-elle sans broncherde se laisser décapiter et de se soumettre à Chou En-laï,qui tout au long de ces années difficiles avait plié commele roseau sans jamais rompre, s'imposant par sa seuleintelligence et sa capacité de survivre à toutes lesrévolutions de palais, mais sans aucun des titres degloire ou des états de service qui auraient pu lui valoirl'audience des militaires? D'autant que ceux-cine s'étaient qu'en partie, certains disaient en appa-rence, dessaisis de l'autorité qu'ils exerçaient dans lepays comme présidents ou membres influents des comi-tés révolutionnaires qui contrôlent toute la hiérarchieadministrative provinces, districts, communes popu-laires et brigades de production (anciens villages) etcomme directeurs d'usines, de coopératives et d'en-treprises de toute taille et de toute nature.

C'était là l'énigme numéro 1 de la Chine et qui lais-sait entrevoir à quel point ce pouvoir, pourtant si fer-mement exercé par Chou En-laï, était en réalité pré-caire. Encore fallait-il comprendre ce qu'avait signifiéla prééminence de l'Armée populaire de Libération,

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« munie de la pensée de Mao Tsé-toung ». Il ne fautpas s'imaginer autre différence avec la Chine quej'avais connue que l'armée au pouvoir, c'est unecaste de « colonels » couverts de galons et de décorations,imposant une discipline de fer et jouissant de privi-lèges exorbitants. Il serait plus exact de penser entermes de francs-tireurs et de partisans dont le compor-tement continuerait à s'inspirer de l'idéal de la Résis-tance. L'armée a toujours été entre les mains du Parti.En 1968 les galons ont été supprimés les marquesextérieures du respect nesont plus exigées.

La doctrine maoïste commande que l'armée vive par,avec et pour le peuple, en contraste avec les anciens« seigneurs de la guerre ». Ce fut le secret de la victoirede l'Armée rouge. Les soldats et les gradés de l'Arméepopulaire de Libération, issus eux-mêmes des massespaysannes, doivent donner partout l'exemple du tra-vail, de l'honnêteté, de la frugalité et des vertus du par-fait petit révolutionnaire maoïste. L'armée étant entreles mains du Parti, et le Parti, au moment de la révo-lution culturelle, s'étant lui-même scindé en deux

« lignes », la ligne orthodoxe restée fidèle à la pensée deMao et la ligne « révisionniste, contre-révolutionnaireet antiprolétarienne du traître et rénégat Liu Chao-chi », qui s'orientait vers la dictature d'une techno-structure d'où aurait pu émerger une classe nouvelle

dont Mao ne voulait à aucun prix, la guerre entre lesdeux factions s'est déroulée dans le sein même de l'ar-

mée, entre les maoïstes « purs », champions de la pri-mauté idéologique, et les « professionnalistes » pourlesquels il était plus important d'avoir une arméefortement hiérarchisée et équipée d'armements mo-dernes que d'entretenir l'imagerie révolutionnaire. SiMao finalement l'emporta, ce fut grâce au « soutienindéfectible » de l'homme le plus influent dans l'armée,

son compagnon d'armes Lin Piao, qui eut droit en

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