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Laurent Graff

Il ne vous restequ’une photo à prendre

l e d i l e t t a n t e, rue Racine

Paris e

le dilettante, rue Racine

Paris e

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© le dilettante, 2007ISBN 978-2-84263-141-3

Couverture : Atelier Civard

978-2-84263-256-4

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J’ai cessé de prendre des photos il y a vingtans, après la mort de M. J’avais à l’époqueun Mamiya 35 mm de bonne tenue; je fai-sais uniquement de la couleur. Je remplissaisdes albums entiers. Partout où nous allions –dès que son état de santé le permettait, nouspartions en escapade –, j’emportais monappareil. Je fixais sa présence et en tirais uneimage, comme pour arrêter ou ralentir letemps, l’empêcher, comme des bâtons dansles roues. Chaque photo était une carteabattue dans la bataille que nous livrions. M.est morte un jeudi, le 7 septembre. J’ai rangémon appareil et je ne l’ai plus ressorti.

La photographie, aujourd’hui, a perdubeaucoup de son âme avec l’avènement des

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appareils numériques. Les photos n’ontplus ce caractère crucial et définitif qu’ellesavaient du temps de la photographie ar-gentique. Bonne ou mauvaise, une photoétait irrévocable et était décomptée de lapellicule. Le développement du film révé-lait de manière implacable, dans l’ordrechronologique, images réussies et imagesratées ; impossible d’échapper à la sen-tence et aux statistiques. Même s’il étaittoujours permis de multiplier les photos etde renouveler la pellicule, chaque prise devue avait une valeur unique, et représentaitun petit miracle. La dernière photo avaitun statut distinct, une saveur particulière.Bien souvent, elle était bâclée, expédiée,pour en finir au plus vite ; mais parfois,elle était, au contraire, retardée, soignée,calculée, pour finir en beauté. Alors, onrembobinait.

À la mort de M., il restait quelquesphotos dans l’appareil. Je les ai prises enfourrant le boîtier sous un oreiller, commeon vide une bouteille dans un évier, pres-sant le déclencheur en aveugle.

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Vingt ans se sont écoulés : l’équivalentd’une enfance et d’une adolescence. Je nepossède aucune image de ces deux décen-nies. Pourtant, j’ai bien vécu. J’ai fait dema peine un domaine privé, un territoireintime. J’ai érigé des défenses, délimité uncarré protégé, fondé une cité interdite àl’abri de murailles infranchissables, dresséun temple. J’ai perpétué ma peine en cesmurs. J’ai eu des maîtresses, nombreuses,que je voyais de loin en loin ; j’en ai aimécertaines, de manière périphérique, sansjamais toucher au cœur. Je me suis main-tenu à distance, repoussant les incursions,pas toujours tendrement. Je suis resté seul.

J’ai voulu tuer le désir. J’ai pratiqué lesexe avec frénésie. J’ai cherché à connaîtretoutes les femmes : petites, grandes, grosses,maigres, jeunes, vieilles, blondes, brunes,blanches, noires. Aucune ne devait man-quer à l’appel, il me les fallait toutes, aumoins une de chaque, un échantillon, unspécimen. Heureusement, l’exhaustivitéde ma quête avait ses limites et n’entraitpas dans des détails ou des combinaisons

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sans fin. Je ne pensais pas y arriver, j’aiatteint mon but. J’ai épuisé ma curiosité,réduit mon désir à une expression simple :un besoin fonctionnel ponctuel se mani-festant à intervalles plus ou moins réguliers,assez espacés. Aujourd’hui, une paisiblemaîtresse me contente. Je le vis dans lasérénité.

J’ai gagné de l’argent. Trop pour un seulhomme. L’aisance que procure beaucoupd’argent m’a rapidement embarrassé etennuyé. Je ne savais qu’en faire. Le luxe mecomplexait. Participer à des œuvres cari-tatives aurait fait de moi un acteur ; je netiens pas à jouer un rôle, si minime soit-il,dans la marche du monde. Je me suisdébarrassé de cet argent du mieux que j’aipu, dans des investissements à long terme,et j’ai évité par la suite d’en gagner plusqu’il ne m’en fallait.

J’ai voyagé. Tantôt seul – la solitudes’accorde bien avec certains paysages –,tantôt accompagné, parce qu’il est agréablede se promener au côté de quelqu’un, deparler en dînant. J’ai fait l’expérience du

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monde dans sa diversité et sa vastitudeun peu comme j’ai testé les femmes ; j’ai,d’ailleurs, souvent associé les deux, profi-tant de mes voyages en solitaire pour goûterà de nouveaux paradigmes féminins. J’aiadmiré, j’ai contemplé, j’ai arpenté, je mesuis non pas imprégné, mais dissous, fon-du, donné au monde, et prêté à tout. J’aimangé du serpent, des criquets, du chien,des larves d’insectes, accompagnés d’alcoolstout aussi extraordinaires. J’ai fréquentétoutes sortes de lieux et côtoyé toutes sortesd’individus. Mes seules limites étaient dictéespar la préservation pragmatique, tant phy-sique que psychologique, de mon être.

Oui, j’ai bien vécu. Je pourrais en ter-miner là, mourir demain, je n’aurais rien àredire. Mon amour de la vie a depuis long-temps intégré la mort. Il y a une chose quime ferait plaisir : j’aimerais être surpris.

*

J’ai rencontré Clara au supermarché.Nous étions dans la queue ensemble à la

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caisse, elle était devant moi. Les hommesessaient toujours de faire rire les femmes.Une femme qui rit, c’est un peu unefemme qui jouit. Il y a celles qui, timide-ment, sourient plus qu’elles ne rient, leslèvres pincées, les paupières clignotantes ;celles qui rient ouvertement mais avec déli-catesse, sans grand bruit, le visage rayon-nant, des étincelles dans les yeux ; cellesqui rient aux éclats, grimacières, en setenant le ventre ; il y a aussi celles qui n’ontpas du tout le sens de l’humour et qui fontla gueule. J’ai fait un peu le pitre et Clara ari doucement.

Nous avons pris une consommation à lacafétéria du centre commercial, avec nosCaddies remplis à côté de nous. Nous noussommes séparés sur le parking une heureplus tard – je craignais pour mes produitssurgelés. C’était jeudi, en fin d’après-midi ;samedi soir, nous étions amants.

Clara possédait un joli tempérament etune belle énergie ; les mamelons très sen-sibles, capable d’orgasmes multiples,femme fontaine dans les bons jours, elle se

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révéla habile au doigter anal, par contre semontra piètre suceuse, et ce, irrémédiable-ment, de manière atavique. Peu à peu, elles’imposa. Elle devint une maîtresse régu-lière, puis unique. Je supprimai mes autrescontacts, vidai mon répertoire, non sanséprouver une certaine délivrance. Je trouvaiun peu de paix et de calme. Jusqu’à ce jour,la compagnie de Clara me satisfait pleine-ment. J’apprécie sa simplicité, sa pondéra-tion, son humeur stable et son hédonismeculinaire. Nous passons ensemble de doucesheures ; nous nous séparons sans douleurpour retrouver nos vies célibataires. Nousnous voyons une à deux fois par semaine,juste ce qu’il faut. En général, après unepetite sortie, nous allons ensuite chez moi.Nous nous embrassons très peu.

Nous parlons rarement et toujours defaçon succincte de notre vie passée. Je saisque Clara a été mariée et a deux grandsenfants, l’un vit au Canada, l’autre enNormandie. Il y a quelques années, elle aeu une infection pulmonaire, assez sérieuse ;elle a pratiqué le tennis. Nous discutons

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plutôt du film que nous venons de voir, decuisine, d’un prochain week-end, pourquoipas Rome, ou Budapest, ou Athènes ? Ilarrive aussi que nous ne parlions pas dutout, sans aucune gêne ; nous regardons lesgens autour de nous en mangeant ; parmoments, nous nous sourions légèrement ;je sers le vin. Nous payons chacun notretour. Clara préfère que je conduise.

Elle n’est pas très jolie ; non, elle n’est pasbelle même, on peut dire ; mais elle n’estpas désagréable à regarder ; disons qu’elle adu charme. Elle s’habille de manière cohé-rente, des tissus toujours légers, fluides, quis’accordent élégamment avec sa silhouette.Au final, elle dégage une certaine grâce.

Une chose m’épate vraiment chez elle :sa mémoire des chiffres. Je n’ai jamais vu ça!C’est prodigieux ! Elle vous ressort desnuméros de téléphone du bout du monde,des prix, des codes, des dates, des trucs quetout le monde a oubliés, que personne n’amême un instant consignés, c’est stupéfiant!

Elle s’est établie dans mon existence unpeu comme un commerçant de quartier

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dont la proximité est bien agréable etcommode. Elle est devenue en quelquesorte indispensable à ma vie locale.

J’ai réservé notre séjour à Rome dansune agence Jet tours. Ils étaient en trainde changer de système informatique, nousavons effectué la réservation manuellement.L’employée qui s’est occupée de moi a rem-pli tant bien que mal un formulaire à cases,avec d’infinies hésitations, s’excusant pourle temps qu’elle me faisait perdre – « Lecode voyage, où je vais pouvoir trouverça ? » –, elle n’avait plus l’habitude. « Nenous envoyez pas au bout du monde ; àRome, ça suffira. » Il n’y a pas si longtempsencore, je l’aurais sans doute invitée àdéjeuner : « Vous êtes obligée d’accepter, sivous voulez que je vous excuse. »

Deux mois plus tôt, nous avions passé unweek-end à Londres. Pour la circonstance,Clara s’était acheté un appareil photo jetablevingt-quatre poses, plus trois offertes. Elletenait à « immortaliser notre passage dansla capitale britannique ». Le résultat fut

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catastrophique, c’était une collection deflous artistiques et de doigts qui traînent etde mèches de cheveux qui volent devantl’objectif. Elle m’avait prévenu, la photon’était pas son fort. En effet, j’ai pu leconstater : c’était le moins qu’on puissedire. «Ah ! Il y a quelque chose, dans celle-là ! ironisais-je. Un mouvement, un élan,une envolée lyrique… » Et je décrivais descourbes avec mes doigts. «C’est ça, moque-toi ! » Elle était très déçue.

Visiter en couple une grande ville étran-gère est un vrai plaisir. Encore faut-il pourcela être accompagné d’une bonne mar-cheuse, bien chaussée, hors menstrues,aimant manger et boire, pas trop portéesur les musées, appréciant à l’occasionune petite halte sur un banc dans un parc.Éviter les râleuses, les traînardes, les asthé-niques, les intellectuelles, les danseuses etautres accros de la vie nocturne, les blondesà balconnet trop voyantes. Se munir d’unguide pratique de format moyen, pouvantêtre rangé dans un sac à main de femme,par exemple.

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Notre séjour à Londres s’était idéale-ment déroulé, jusqu’à l’avion qui était àl’heure à l’aller comme au retour. Nousavions même participé malgré nous à unemanifestation pacifiste antiaméricaine lelong de la Tamise ; j’avais poliment refuséune pancarte que l’on me proposait de bran-dir, un portrait de George Bush affubléd’une petite moustache hitlérienne – « No,thanks. Next time ! » Nous nous étionspromis de « nous refaire un week-end », àl’automne. Notre choix s’est fixé assez vitesur Rome, que nous ne connaissions nil’un ni l’autre. C’est seulement aprèsavoir réservé le voyage que m’est venue àl’esprit – je n’y avais tout bonnement paspensé avant – la locution latine Tous leschemins mènent à Rome.

*

Tous les chemins mènent à Rome. Ces motsne m’ont pas quitté. Ainsi, j’allais à Romepoussé par une nécessité, conduit par unchemin. Ce destin qui se révélait, revêtait

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un caractère personnel et anecdotique,mais aussi, plus largement, transcendant etuniversel. La ville de Rome devenait unedestination globale, un but désigné, unpoint de fuite et de rencontre essentiel. J’aitoujours eu la conviction qu’il existe de parle monde des parcours, des routes et deslieux privilégiés, chargés de sens et em-preints d’harmonie. Dans cette géographieocculte, la vie apparaît comme un moyende locomotion à bord duquel nous évoluonsau gré des chemins.

J’avais réservé une chambre à l’hôtelFontana, en face de la fontaine de Trevi.L’avion a atterri à l’aéroport Fiumicinoà l’heure prévue. Une voiture de l’hôtelnous attendait. Un homme s’est présentéà nous dans l’aérogare en déclarant d’em-blée qu’il était notre chauffeur, sans mêmes’être assuré de notre identité. Il connaissaitnos noms ; nous l’avons suivi. Sur l’auto-route, ça roulait parfaitement bien ; puis,en ville, il y eut à peine quelques ralentis-sements. Intrigué, je demandai à notrechauffeur comment il nous avait reconnus

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à l’aéroport. Dans un anglais approximatif,il répondit seulement qu’il avait vu nosphotos.

Nous nous garâmes peu avant piazza diTrevi et nous gagnâmes l’hôtel à pied.Nous découvrîmes alors la fontaine, monu-mentale, grandiose, avec ses colonnes etses bas-reliefs, ses statues émergeant d’unsocle rocheux accidenté, creusé de mini-dépressions, où jaillissait l’eau en cascade.Des touristes en nombre s’agglutinaientautour du bassin, se faisaient photogra-phier en train de jeter une pièce demonnaie dans l’eau, le dos tourné à lafontaine. Nous nous faufilâmes avec nosbagages dans le sillage de notre chauffeur,qui se retourna pour s’assurer qu’on étaittoujours là – ça suit ? La façade de l’hôtelavait vue sur la fontaine ; au dernier étageculminait une verrière qui abritait la salledu petit déjeuner. La réception donnaitquasiment sur la rue, à l’image d’une petiteboutique de quartier.

L’employée de l’agence Jet tours m’avaitcertifié, à propos de l’hôtel Fontana, qu’ils

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avaient eu «de bons retours ». «C’est déjàça ! », lui avais-je répondu. Le comptoir dela réception était enclavé dans un étroit cou-loir aux couleurs sombres menant à l’ascen-seur. Notre chauffeur échangea quelquesmots en italien avec le réceptionniste ets’éclipsa. « Bonjour monsieur ! Madame !Vous avez fait bon voyage ? Vous pouvezm’appeler Marcello. » Marcello, fine mous-tache noire et cheveux gominés, parlait unfrançais tout à fait correct, avec un irrésis-tible accent charmeur. Clara et moi-mêmedevions tomber pendant ces trois jours sousle charme des Italiens et de leur incompa-rable élégance. Je remplis une fiche de ren-seignements que Marcello rangea ensuitedans une pochette plastique dans laquellese trouvait déjà une photocopie de monpasseport. Je me souvins alors que l’em-ployée de Jet tours m’avait demandé unepièce d’identité ; je lui avais fourni monpasseport. L’agence aura communiqué unecopie à l’hôtel.

Des bagages encombraient le couloirdevant l’ascenseur, des touristes en partance,

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sans doute. Nous prîmes possession de notrechambre, au deuxième étage. La pièce étaitpetite mais agréablement décorée, la sallede bains un peu ancienne – le carrelageétait cassé par endroits et craquait sous lespieds. Je testai le matelas et notai en mêmetemps le bruit incessant de la fontaine quipénétrait par la fenêtre ouverte, derrière dehauts rideaux. La vue était splendide. Clarame rejoignit et s’accouda sur le rebord dela fenêtre à mes côtés. Nous jouissions d’unobservatoire privilégié, englobant toute laplace, surplombant de manière souverainel’activité grouillante qui régnait autourde la fontaine. On distinguait bien lestrois rues – tre vie – qui convergeaient versla place.

Clara alla à la salle de bains. Je restaià la fenêtre à contempler le spectacle.Comme un décor de scène, la fontainemasque le mur du Palazzo Poli sur lequelelle s’appuie, s’offrant au public dans uneffet théâtral grandiloquent. Au centre,campe Neptune ; devant lui, deux tritonsaux côtés de chevaux, l’un représentant la

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tempête, l’autre, la mer au repos. Les dimen-sions imposantes de l’ouvrage se trouventaccentuées par la relative exiguïté de laplace. Selon la tradition, jeter une piècede monnaie dans le bassin est un gage deretour dans la Ville éternelle, une espèced’assurance-vie. Les touristes en profitentau passage pour faire un vœu, en supplé-ment, un petit bonus, on ne sait jamais.On ne manque pas d’immortaliser le gesteen prenant une photo. On se place dos àla fontaine, sa pièce à la main, prêt à lalancer par-dessus son épaule, solennel,poseur, à l’instar des célébrités politiquesdéposant leur bulletin de vote dans l’urnesous les flashes des journalistes ; en gé-néral, les passants s’arrêtent gentiment letemps de la mise au point et du déclic. Jeremarquai dans la foule un photographeprofessionnel, équipé d’un appareil nu-mérique et d’une imprimante portative enbandoulière, qui proposait ses services auxtouristes.

Nous sortîmes. Il faisait incroyablementbeau et chaud. Nous avions quitté Paris le

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