EXTENSION ET INSUFFLATION -...

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Bull.soc.fr.hist.méd.sci.vét., 2012, 12 : 177-206 177 EXTENSION ET INSUFFLATION : LES SOINS DE L'ÉPAULE DU CHEVAL CHEZ LES HIPPIATRES ANTIQUES Par Louise SEPHOCLE* Valérie GITTON-RIPOLL**, François VALLAT*** *Doctorante en Lettres Classiques, Université de Brest L’Hermitage, 29600 Plourin-les-Morlaix [email protected] **Maître de conférences en latin, UFR Lettres Université de Toulouse 2 Le Mirail, 5 allée Antonio-Machado 31058 Toulouse cedex 9 [email protected] ***Docteur vétérinaire, Docteur en Histoire 38 rue Jacques Schlosser, 77500 Chelles [email protected] Communication présentée le 17 novembre 2012 Sommaire : Les hippiatres de l'Antiquité tardive décrivent le traitement des affections de l’épaule du che- val. Les textes originaux et leur traduction sont reproduits en annexe. La pertinence des moyens de dia- gnostic est examinée. On tente une interprétation des préparations à usage externe, de la réduction chirurgi- cale par la rota ainsi que de l’insufflation sous-cutanée de l’épaule, procédé qui s’est perpétué jusqu’à nos jours comme traitement traditionnel. Mots-clés : hippiatre, Antiquité, cheval, luxation, épaule, insufflation, rota Title: Extension and Inflating: the Therapy of the Shoulder and Antique Hippiatres Summary: The Late Antiquity hippiatres describe the treatment of ailments of the horse's shoulder. The original texts and their translations are reproduced in the annex. The relevance of the means of diagnosis is discussed. Preparations for external use, surgical reduction by the rota, and subcutaneous insufflation of the shoulder traditional treatment sometimes still in use nowadays are presented. Keywords: hippiatre, Antiquity, horse, dislocation, shoulder, insufflation, rota Introduction Le Corpus Hippiatricum Graecorum Le Corpus Hippiatricum Graecorum (CHG), compilation des écrits d’hippiatres grecs de la fin de l’Antiquité, présente toutes sortes d’affections et de remèdes concernant les chevaux. L’édition du CHG a été menée par Eugen Oder et Carl Hoppe au XX e siècle. Le premier volume a été édité en 1924 et le second en 1927, chez Teubner, à Leipzig 1 . La collection primitive des Hippiatrica con- tenait les textes de sept auteurs principaux, 1 CHG I et II, 1924-1927.

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    EXTENSION ET INSUFFLATION : LES SOINS DE L'ÉPAULE DU

    CHEVAL CHEZ LES HIPPIATRES ANTIQUES

    Par Louise SEPHOCLE*

    Valérie GITTON-RIPOLL**, François VALLAT***

    *Doctorante en Lettres Classiques, Université de Brest

    L’Hermitage, 29600 Plourin-les-Morlaix

    [email protected]

    **Maître de conférences en latin,

    UFR Lettres

    Université de Toulouse 2 Le Mirail, 5 allée Antonio-Machado

    31058 Toulouse cedex 9

    [email protected]

    ***Docteur vétérinaire, Docteur en Histoire

    38 rue Jacques Schlosser, 77500 Chelles

    [email protected]

    Communication présentée le 17 novembre 2012

    Sommaire : Les hippiatres de l'Antiquité tardive décrivent le traitement des affections de l’épaule du che-

    val. Les textes originaux et leur traduction sont reproduits en annexe. La pertinence des moyens de dia-

    gnostic est examinée. On tente une interprétation des préparations à usage externe, de la réduction chirurgi-

    cale par la rota ainsi que de l’insufflation sous-cutanée de l’épaule, procédé qui s’est perpétué jusqu’à nos

    jours comme traitement traditionnel.

    Mots-clés : hippiatre, Antiquité, cheval, luxation, épaule, insufflation, rota

    Title: Extension and Inflating: the Therapy of the Shoulder and Antique Hippiatres

    Summary: The Late Antiquity hippiatres describe the treatment of ailments of the horse's shoulder. The original texts and their translations are reproduced in the annex. The relevance of the means of diagnosis is

    discussed. Preparations for external use, surgical reduction by the rota, and subcutaneous insufflation of the

    shoulder traditional treatment sometimes still in use nowadays are presented.

    Keywords: hippiatre, Antiquity, horse, dislocation, shoulder, insufflation, rota

    Introduction

    Le Corpus Hippiatricum Graecorum

    Le Corpus Hippiatricum Graecorum

    (CHG), compilation des écrits d’hippiatres

    grecs de la fin de l’Antiquité, présente toutes

    sortes d’affections et de remèdes concernant

    les chevaux.

    L’édition du CHG a été menée par Eugen

    Oder et Carl Hoppe au XXe siècle. Le premier

    volume a été édité en 1924 et le second en

    1927, chez Teubner, à Leipzig1.

    La collection primitive des Hippiatrica con-

    tenait les textes de sept auteurs principaux,

    1 CHG I et II, 1924-1927.

    mailto:[email protected]

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    dans l’ordre alphabétique grec : Apsyrtos,

    Anatolios, Eumélos, Théomnestos, Hippocrate,

    Hiéroklès et Pélagonius. Il s’agit en réalité

    d’extraits de leurs œuvres grecques ou latines

    rédigées parfois sous forme de lettres, au-

    jourd’hui perdues à l’exception du traité de

    Pélagonius2. Le texte latin de Chiron nous est

    parvenu séparément3. Les « morceaux choisis »

    des Hippiatrica ont été regroupés, à la fin de

    l’Antiquité4, non par auteur, mais par maladie,

    ce qui suppose un travail préalable de classe-

    ment. Enfin, Végèce a écrit dans le dernier

    quart du IVe siècle, en plus de son célèbre traité

    d’art militaire Epitome Rei Militaris, un ma-

    nuel pour les éleveurs cultivés : Digesta Artis

    Mulomedicinalis. Il s’y réfère surtout à la Mu-

    lomedicina Chironis5 et donne très peu de ren-

    seignements sur le sujet retenu ici.

    Le problème qui agite les spécialistes porte

    sur la chronologie des auteurs. Apsyrtos, con-

    sidéré jusqu’à présent comme le fondateur de

    l’hippiatrie antique, était daté par G. Björck

    entre 150 et 250 ap. J.-C6. Ce choix s’appuyait

    sur Théomnestos qui, dans son passage sur le

    tétanos7, explique qu’il accompagne

    l’empereur depuis la Pannonie jusqu’à Milan,

    ville où doit être célébré le mariage du souve-

    rain. On a admis qu’il s’agissait de l’empereur

    Licinius, alors âgé de plus de soixante ans, qui

    épousa la sœur de Constantin en 313, à Milan

    précisément. Comme Théomnestos ajoute qu’il

    suit lui-même l’empereur en tant qu’ami (« ὡj

    fίloj »), Anne-Marie Doyen-Higuet, à la suite

    de G. Björk, pense que « cette amitié entre les

    deux hommes exclut une différence d’âge trop

    importante8 ». Aussi propose-t-elle de situer sa

    période d’écriture entre 313 et 324. L’année

    324 correspondant à la disgrâce de l’empereur

    Licinius, il aurait été ensuite préjudiciable à

    Théomnestos de « se prévaloir de la faveur

    impériale9 ».

    2 IHM, 1892; GITTON-RIPOLL à paraître.

    3 ODER, 1901.

    4 MCCABE, 2007, p. 105.

    5 Sur Végèce : VIRÉ, 2007.

    6 BJÖRCK, 1944, p. 7-12.

    7 CHG I, 1924, p. 183.

    8 DOYEN-HIGUET, 2006, p. 27.

    9 ibid.

    Par ailleurs, Théomnestos est indiscuta-

    blement postérieur à Apsyrtos qu’il cite à plu-

    sieurs reprises non sans le réinterpréter10

    comme dans ce passage sur la gale :

    « En effet, Apsyrtos nomme cette maladie

    en fonction de la région malade, la morve

    sous-cutanée. Je partage cet avis concernant le

    nom […]11. »

    En admettant cette hypothèse, la période

    d’écriture de Théomnestos conserve un degré

    d’imprécision lié à l’âge auquel il aurait ac-

    compagné l’empereur.

    Sous le titre kef£laion kj perˆ êmou

    paqÒntoj[« chapitre 26 sur la souffrance de

    l’épaule »] le Corpus Hippiatricum Graecorum

    (manuscrit de Berlin)12 réunit les prescriptions

    des hippiatres Hiéroklès, Apsyrtos, Théomnes-

    tos et Hippocrate. La première partie du cha-

    pitre concerne divers types de luxations (les

    « déboîtements ») de l’épaule, ainsi que les

    remèdes appropriés à chacun d’eux, en particu-

    lier l’insufflation.

    Nous fonderons d’abord cette étude sur

    l’ensemble des articles présents dans le CHG

    consacrés à la luxation de l’épaule :

    Manuscrit de Berlin : Aspyrtos p. 125 « De la luxation de l’épaule et de l’os de la

    hanche » ; Théomnestos « Sur le même su-

    jet » p. 126 ; Hippocrate13, « De la luxation

    de l’épaule » p. 127 ; Hiéroklès, « Sur la

    souffrance chronique de l’épaule » ; Hip-

    pocrate, « Autre chose sur le déboîtement

    de l’épaule » ; Apsyrtos, « De la syno-

    mie » ; Hiéroklès, « Sur la synomie et

    l’épine dorsale » ; Apsyrtos, « Sur la mai-

    greur et la souffrance chronique de

    l’épaule ».

    Manuscrit de Cambridge : Hiéroklès, « De la luxation de la cuisse et si son ligament

    est rompu » p. 158.

    10 Voir par exemple CHG I, 24, 3, sur le déplace-

    ment de la nuque où la reprise du texte d’Apsyrtos

    est manifeste.

    11 CHG I, 69, 16-17, p. 273.

    12 CHG I, p. 125-129.

    13 Il s’agit d’Hippocrate l’hippiatre, sans relation

    avec le père de la médecine, Hippocrate de Cos

    (c. – 460 - – 377).

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    Manuscrit de Paris : Hippocrate, « De la claudication de l’épaule et de l’avant-

    bras » p. 41.

    Pélagonius cite Columelle et Apsyrtos aux-

    quels il est donc lui aussi postérieur, et nous

    savons pour les mêmes raisons que Végèce

    succède à Pélagonius. La période de rédaction

    de ce dernier se situerait, en raison de motifs

    qui ne seront pas exposés ici, dans la seconde

    moitié du IVe siècle, époque incluant entre

    autres le règne de l’empereur Julien dit

    l’Apostat (361-363)14.

    Stavros Lazaris a récemment renouvelé la

    datation d’Apsyrtos, non sans remettre en

    cause celles de l’ensemble des auteurs des

    Hippiatrica. À son avis, Apsyrtos aurait vécu

    dans le second quart du IVe siècle, c’est-à-dire

    entre 325 et 350. Il s’appuie sur l’identification

    de l’un des correspondants de l’hippiatre, un

    certain Ursus qui serait Flavius Ursus, consul

    prior en 33815. De sorte que Théomnestos au-

    rait plutôt écrit vers la fin de la première moitié

    du IVe siècle, entre 340 et 350. Cette interpréta-

    tion ne fait pas encore l’unanimité.

    Luxation de l’épaule, définitions

    Rappelons, pour les non-cliniciens, que si

    l’entorse est un déplacement momentané des

    surfaces articulaires normalement au contact,

    le terme de luxation s’applique au déplacement

    anormal et permanent de celles-ci. On oppose

    les luxations complètes aux luxations incom-

    plètes dans lesquelles les extrémités osseuses

    restent en partie au contact16.

    Chez le cheval, l’épaule ou articulation sca-

    pulo-humérale n’est unie que par une capsule

    articulaire lâche et peu résistante. « Mais les

    muscles épais et puissants qui [l’] entourent

    remplissent à merveille le rôle de ligaments et

    rendent très difficile la séparation des surfaces

    […]17. » (Fig. 1)

    De nos jours, la luxation de l’articulation

    scapulo-humérale est devenue très rare chez les

    équidés. Sans doute l’était-elle un peu moins

    lorsqu’on utilisait ces animaux dans l’industrie

    14 GITTON-RIPOLL, 2005.

    15 LAZARIS, 2010, p. 17-18.

    16 LITTRÉ, 1844, p. 79.

    17 BOULEY, NOCARD, 1883, p. 113.

    et les transports où la violence des trauma-

    tismes répondait à l’importante énergie ciné-

    tique de certains véhicules. Résumant sa

    propre expérience, Léon Lafosse en a le pre-

    mier énuméré les symptômes :

    « Luxation complète : raccourcissement [du membre].

    L. incomplète : allongement du membre, à moins qu’il n’y ait fracture de la cavité

    glénoïde.

    L. en avant : enfoncement au-dessus de l’extrémité inférieure du scapulum.

    L. en arrière : enfoncement au-dessous de l’extrémité inférieure du scapulum.

    L. en dehors : tumeur formée par le sommet de l’humérus, enfoncement au-dessus.

    L. en dedans : tumeur formée par l’angle inférieur du scapulum, enfoncement en

    dessous18. »

    « Ces variétés sont très difficiles à distin-

    guer. En outre, les épaisses couches muscu-

    laires qui entourent la jointure scapulo-

    humérale rendent l’exploration difficile, et il

    n’est pas rare de voir des praticiens des plus

    distingués prendre une fracture de l’extrémité

    supérieure de l’humérus pour une luxation

    scapulo-humérale19. »

    « C’est surtout en avant que l’articulation

    se luxe : les mouvements du membre sont de-

    venus impossibles, ou tout du moins très […]

    limités. Le pied pose sur le sol par toute

    l’étendue de sa face plantaire, et quand la

    douleur du début est calmée, quand le membre

    n’a pas subi de raccourcissement, l’appui peut

    se faire comme à l’état normal ; mais la

    marche est impossible ; le membre est porté en

    avant tout d’une pièce par la progression du

    tronc, la pince du sabot traînant sur le sol20. »

    Toute fracture associée des surfaces articu-

    laires rendait, jusqu’à une époque récente, la

    cure impossible. On pouvait tenter une difficile

    18 LAFOSSE, 1861, t. 2, p. 633.

    19 PEUCH, TOUSSAINT, 1877, t. 2, p. 81.

    20 BOULEY, NOCARD, 1883, p. 114.

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    Fig. 1 : Face latérale du membre thora-

    cique droit. Muscles superficiels. E : pointe

    de l’épaule (saillie de l’angle scapulo-

    huméral). La flèche au-dessus du garrot

    montre l’implantation du trocart adoptée

    par certains hippiatres antiques pour in-

    suffler l’épaule. Ils devaient éviter de léser

    le cartilage de prolongement de la scapula.

    Adapté de : J.-C.-H. REVERCHON, Anatomie

    du Cheval – Ostéologie et Myologie, P.,

    Mme Huzard, Lyon, l’auteur, à l’École royale

    vétérinaire, 1825, atlas gd. in-f°,

    17 lithographies, 1er dessin, détail.

    Fig. 2 : Face médiale du membre thora-

    cique droit : les os et le muscle biceps.

    Le glissement du tendon de celui-ci dans la

    coulisse de l’humérus est facilité par une

    synoviale, siège éventuel d’inflammation

    (bursite bicipitale).

    Adapté de J. Wortley AXE, The Horse, its

    treatment in health and disease, with a com-

    plete guide to breeding, training and man-

    agement, London, The Gresham Publishing

    Company, 1906, 9 vol., t. 5, p. 293.

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    réduction de la luxation, sur le patient couché

    (cf. infra). Ensuite, les moyens de contention

    de l’articulation, bien que rivalisant

    d’ingéniosité, restaient aléatoires (suspension

    de l’animal, emplâtres, ou encore « ferrements

    de Bourgelat pour contenir les épaules »)21.

    Si les hippiatres antiques avaient une bonne

    connaissance du squelette sec, ils ignoraient,

    au moins à les lire, bien des aspects de

    l’anatomie articulaire du cheval. De même,

    alors que la réduction des luxations chez

    l’homme était documentée22, on verra à quel

    point nos auteurs furent avares de détails sur

    les techniques employées sur les grands ani-

    maux. Les difficultés qu’ils rencontraient

    étaient pourtant importantes. Sans la myoréso-

    lution fournie de nos jours par l’anesthésie, la

    puissance musculaire des équidés opposait une

    résistance considérable à l’opérateur. En outre,

    il manquait à celui-ci l’idée précise du dépla-

    cement des surfaces articulaires qui lui aurait

    permis d’adapter la manœuvre à chaque cas.

    Or, quand les hippiatres antiques parlent de

    luxation ou de « déboîtement » de l’épaule, ils

    fournissent trop peu d’indications pour per-

    mettre le diagnostic différentiel. Sans doute

    ignoraient-ils que l’articulation est le siège

    d’accidents plus courants : la bursite du tendon

    bicipital, la paralysie des muscles sus- et sous-

    épineux, et plus généralement l’arthrite.

    Dans la bursite du tendon bicipital, la

    douleur et la tuméfaction se localisent dans la

    bourse séreuse du biceps chargée de faciliter le

    glissement entre le tendon de ce muscle et la

    gouttière correspondante de la tête humérale

    (Fig. 2). Un traumatisme de la pointe de

    l’épaule est à l’origine de l’accident. Au début,

    la douleur empêche toute flexion de

    l’articulation, et le membre s’avance en fau-

    chant. Par la suite, l’épaule reste comme figée,

    même à l’exercice et la musculature s’atrophie

    faute de mobilisation du membre antérieur.

    Comme les douleurs chroniques de n’importe

    quelle articulation peuvent conduire à ce résul-

    tat, il est facile d’accuser à tort une lésion de

    l’épaule quand le problème se situe par

    21 PEUCH, TOUSSAINT, 1877, t. 2, p. 82-85.

    22 En particulier dans la collection hippocratique

    LITTRÉ, 1844, p. 80-95.

    exemple dans la profondeur du pied (maladie

    naviculaire)23.

    La paralysie des muscles sus- et sous-

    épineux fait suite à une lésion du nerf su-

    prascapulaire, conséquence d’une contusion de

    l’avant de l’épaule. Les muscles commandés

    par ce nerf, situés contre la face latérale de la

    scapula, diminuent de volume faute de stimula-

    tion, donnant un aspect décharné à la région

    comme dans l’accident précédent24. Autrefois

    on parlait d’écart de l’épaule25 car on pensait

    que ce type de paralysie faisait suite à un effort

    violent éloignant le bras de la poitrine, avec

    dilacération du nerf.

    L’arthrite scapulo-humérale a des causes

    multiples, entre autres les fractures d’origine

    traumatique des reliefs osseux extérieurs à

    l’articulation : l’épine scapulaire et le sommet

    du trochiter de l’humérus. Si l’articulation

    conserve sa stabilité, il n’en résulte pas moins

    une arthrite et une boiterie persistantes. De nos

    jours, l’exérèse chirurgicale des séquestres

    osseux et la corticothérapie laissent seuls espé-

    rer une guérison.

    Les traumatismes les plus violents sont res-

    ponsables de la fracture du col de la scapula.

    La tuméfaction hémorragique et inflammatoire

    qui englobe rapidement le foyer de fracture

    complique le diagnostic. Très défavorable, le

    pronostic s’assombrit encore si le nerf su-

    prascapulaire est sectionné par un about os-

    seux. On a vu cependant des sujets dociles

    supporter assez longtemps un appareil

    d’immobilisation pour récupérer.

    C’est donc en gardant ces données en mé-

    moire qu’il faut envisager les textes anciens

    reproduits en annexe.

    Dénominations et diagnostics antiques

    Dans son article sur la luxation de l’épaule,

    Théomnestos distingue deux cas, bien mis en

    évidence par la structure « εἰ μὲν… ἐὰν δὲ »

    (« si d’une part…si d’autre part… »).

    Le premier fait état de la « sortie de

    l’épaule de sa position naturelle » et paraît le

    23 ADAMS, 1962, p. 117.

    24 Ibid., p. 115-117.

    25 SOLLEYSEL [1664], 1744, t. 1, p. 132, parle aussi

    d’effort de l’épaule ou d’entre-ouverture.

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    moins grave, au vu du remède prescrit (un

    simple onguent) : εἰ μὲν κατὰ φύσιν ἐκβῇ τῆς

    θέσεως (« si l’épaule sort de sa position natu-

    relle »).

    Le second cas évoque « une luxation », sans

    autre précision : ἐὰν δὲ ἐκβολὴ [ékbolê] ᾖ

    (« mais s’il y a déboîtement »). Il ne s’agit pas

    d’un déplacement modéré de la tête humérale,

    mais plus de l’expulsion de celle-ci de la cavité

    glénoïde, « un déboîtement » réel. Le terme

    technique employé ici signale la luxation au

    plus fort de sa signification, alors que dans le

    premier cas l’expression n’appartenait pas au

    vocabulaire médical.

    Si Théomnestos semble distinguer luxation

    incomplète et luxation complète de l’épaule

    (les mots employés proviennent respec-

    tivement des verbes ἐkbaίnw [ékbaïnô] et

    ἐkbάllw [ékballô] qui ont un sens similaire, à

    savoir « sortir » et « jeter hors de, faire sortir »,

    avec une idée de violence plus marquée pour le

    second), il n’y associe pas la notion de lésion

    ligamentaire. Son prédécesseur Apsyrtos avait

    cependant envisagé les luxations de façon plus

    précise : lorsque l’articulation faisait entendre

    un craquement - pour nous évocateur de frac-

    ture - il était sûr que la réduction serait impos-

    sible.

    « En effet, il y a déboîtement, chaque fois

    que le condyle que nous appelons cheville fait

    craquer le ligament attaché à l’omoplate ou à

    la hanche. […] En effet, elle ne reste pas re-

    mise en place, mais glisse, puisqu’elle n’a plus

    de lien26. »

    Il estimait en revanche les réductions envi-

    sageables dans les simples distensions liga-

    mentaires.

    « Cependant on le soigne chaque fois qu’il

    y a extension du ligament et relâchement de

    l’épaule27. »

    Aussi pouvons-nous d’ores et déjà avancer

    deux hypothèses concernant les luxations de

    l’épaule que prétendaient soigner les hippiatres

    sans recourir à la réduction : soit leur diagnos-

    tic ne correspondait pas à une luxation com-

    plète, soit ils utilisaient abusivement le mot

    ἐkbolῆj (ékbolês, luxation) pour désigner, au

    vu du caractère peu invasif du remède prescrit,

    26 CHG, Berol., 26, 3.

    27 Ibid.

    une bursite bicipitale ou une arthrite de

    l’épaule. Notons également que dans un autre

    article, dont l’intitulé contient encore ἐkbolῆj

    (ékbolês), Hippocrate a bien employé à deux

    reprises le verbe ἐkbάllw (ékballô), cette fois

    associé à un remède chirurgical, les sétons de

    bois de figuier et de laine28. Le même auteur

    évoque ailleurs l’arrachement brutal du liga-

    ment « qui se trouve dans l’articulation29 »,

    formation anatomique évidemment imaginaire,

    mais preuve qu’il croyait avoir affaire à une

    véritable luxation.

    Hiéroklès30 suit de près Apsyrtos31 sans le

    citer lorsqu’il évoque la luxation de l’épaule

    avec rupture incurable du ligament. Pélago-

    nius, pour sa part, distingue bien les cas où la

    douleur reste légère, et la luxation proprement

    dite32.

    Plus conforme à ce que nous connaissons,

    la souffrance chronique de l’épaule se rap-

    proche, sous la plume d’Hippocrate, de

    l’arthrite actuelle, tout comme l’echedermia

    d’Apsyrtos évoque l’amyotrophie succédant la

    lésion du nerf suprascapulaire. Hiéroklès re-

    prend mot pour mot Apsyrtos pour lequel

    l’echedermia « maigreur de l’épaule » est as-

    sociée à une souffrance chronique de

    l’articulation : « On parle d’echedermia chez le

    cheval quand il souffre de l’épaule depuis

    longtemps33. »

    La synomie (ou synomiase, Apsyrtos), en

    revanche, fait suite à une course effrénée ou au

    transport d’un fardeau excessif (Hiéroklès34),

    avec une atteinte simultanée des deux épaules,

    comme l’indique la formation du mot avec sύn

    [sunn] « en même temps, ensemble » et ðmoj

    [ômos] « épaule ». Cet accident est inconnu

    des littératures moderne et contemporaine.

    Pour finir, l’allusion à une tuméfaction de

    l’ars qui peut s’infiltrer et durcir évoquerait

    volontiers, malgré la brièveté du passage,

    l’anti-cœur des anciens maréchaux, localisa-

    28 CHG, Berol., 26, 13.

    29 CHG, Paris, 184-204.

    30 CHG, Cant. 21, 4.

    31 CHG, Berol., 26, 18.

    32 Pélagonius, 4, 1 et 3.

    33 CHG, Berol., 26, 18.

    34 CHG, Berol., 26, 17.

  • Bull.soc.fr.hist.méd.sci.vét., 2012, 12 : 177-206

    183

    tion au poitrail du charbon symptomatique35, à

    vrai dire sans rapport avec la pathologie de

    l’épaule.

    Les causes invoquées

    Ces lésions sont attribuées à diverses cir-

    constances. La distension articulaire peut faire

    suite au heurt d’un char en pleine course (Ap-

    syrtos36), à une charge de cavalerie, à un

    voyage éprouvant (Théomnestos37).

    En outre Apsyrtos précise que la luxation

    de l’épaule survient davantage pour les che-

    vaux montés38 : en effet, le déséquilibre du

    cavalier redouble en quelque sorte la violence

    que subit l’épaule et aggrave la luxation.

    L’écart de l’épaule est déjà mis en cause. Il

    vient d’un mouvement violent de côté, causé

    par exemple par une frayeur subite, et bien

    souvent synonyme de chute pour le cavalier

    (πτοηθέντα διά τινα αἰτίαν) 39.

    Après Apsyrtos et Théomnestos, les auteurs

    négligent les conditions d’apparition des luxa-

    tions scapulo-humérales, se privant en

    l’occurrence d’un moyen utile pour différen-

    cier les lésions de l’épaule de celles du pied,

    principal écueil diagnostique, on l’a dit.

    Des symptômes équivoques

    Quant aux symptômes, Apsyrtos parle d’un

    cheval qui « traîne le sabot, ou bien parce

    qu’elle [l’épaule] est désunie d’en haut,

    l’articulation penche quand il marche40 »,

    tandis que Théomnestos se fie davantage à

    l’examen articulaire : « et si tu remarques que

    l’épaule ou une autre articulation est abî-

    mée…41 ». Il ne dit pas pour autant comment

    détecter la luxation au regard de la déformation

    locale.

    35 Ibid.

    36 CHG, Berol., 26, 5.

    37 CHG, Berol., 26, 6.

    38 CHG, Berol., 26, 5.

    39 CHG, Berol., 26, 5.

    40 CHG, Berol., 26, 3.

    41 CHG, Berol., 26, 7.

    Hippocrate, enfin, se contente de reprendre

    Apsyrtos : « voici les symptômes : il ne se

    porte pas en avant et il ne mobilise pas son

    bras, mais traîne sa jambe et la laisse beau-

    coup tomber vers le bas42, » symptômes

    vagues pour assurer un diagnostic rétrospectif.

    Remèdes préconisés

    Chaque hippiatre propose au moins deux

    traitements de la « luxation » de l’épaule, selon

    sa gravité. De plus Apsyrtos, Théomnestos,

    Hiéroklès, Chiron, Pélagonius et Végèce ten-

    tent l’insufflation.

    1 - La saignée

    Apsyrtos a recours à la saignée, remède ha-

    bituel qui détourne les humeurs de

    l’articulation accidentée, en l’occurrence, il

    l’utilise pour la luxation du boulet, avec l’idée

    que l’animal sera d’autant plus handicapé que

    l’articulation enflera43. Hippocrate et

    Théomnestos adoptent le même remède44, le

    premier faisant entrer le sang tiré dans la com-

    position de l’onguent qu’il utilise aussitôt.

    2 - Les onguents

    Différents onguents sont prescrits, comme

    dans de nombreuses affections chirurgicales.

    Apsyrtos n’en fait pas mention, mais

    Théomnestos et Hippocrate en conseillent un,

    qu’ils appliquent après la saignée. Chez Hip-

    pocrate45, il s’agit d’un révulsif dont les vertus

    supposées sont sans doute redevables de la

    douleur associée qui réduit les mouvements.

    On retrouve les ingrédients habituels des

    onguents : huile additionnée de vin ou de vi-

    naigre, sang provenant de la saignée (Hippo-

    crate46). L’onguent préconisé par Théomnestos

    est plus curieux : sang, huile, œufs, moût cuit,

    oignons crus broyés, escargots. À cela s’ajoute

    un emplâtre composé d’une huile apparem-

    ment spéciale - elle est qualifiée de « tonwtikù

    » [tonôtikô] qui retend la peau - et de bdellium,

    une gomme-résine provenant d’un arbre

    42 CHG, Berol., 26, 8.

    43 CHG, Berol., 26, 6.

    44 CHG, Berol., 26, 8 ; CHG, Berol., 26, 7.

    45 CHG, Paris, p. 41.

    46 CHG, Berol., 26, 8.

  • Bull.soc.fr.hist.méd.sci.vét., 2012, 12 : 177-206

    184

    d’Orient, utilisée notamment comme excitant

    résolutif47.

    Pélagonius, pour une douleur légère, se

    contente de lotionner la région d’huile et de

    vin48.

    3 - Les sétons

    C’est encore Apsyrtos qui prescrit

    l’introduction sous la peau d’« agrafes de ta-

    maris » à hauteur de l’épaule, technique redé-

    finie par Théomnestos qui l’utilisait aussi dans

    la luxation de l’encolure. Il s’agit sans doute

    d’un séton fait de branches de tamaris tressées,

    dont les extrémités sortant de la peau étaient

    réunies en boucles et dont la mobilisation en-

    tretenait la suppuration pour drainer les hu-

    meurs49. Hippocrate renouvelle la formule en

    préconisant la pose de chevilles en bois de

    figuier doublées de laine, dont on peut penser

    qu’elles ont été choisies, comme le tamaris,

    pour leur caractère irritant50. On est toutefois

    loin des vertus inflammatoires de l’ellébore

    utilisé plus tard par les maréchaux.

    4 - La réduction

    Si Apsyrtos mentionne à deux reprises la

    réduction de la luxation, il n’en précise pas les

    modalités : « Il faut repousser l’articulation de

    l’épaule dans sa position naturelle. » Quant à

    Chiron, qui s’adresse comme la plupart des

    hippiatres à un lecteur au fait de la pratique, il

    cite sans les décrire la rota et la machina51. On

    le sait, la machina, qui a connu plusieurs va-

    riantes dans l’Antiquité, n’est autre que notre

    travail52.

    En revanche, la forme exacte de la rota

    nous reste inconnue. Outre la signification de

    roue, comme celle du chariot, le mot désigne

    47 CHG, Berol., 26, 6-7. Excitant : agent stimulant

    les tissus organiques, propre à les rendre plus

    prompts dans l’exercice de leur fonction. Résolu-

    tif : qui résout les engorgements.

    48 Voir le texte en annexe.

    49 CHG, Berol., 26, 4.

    50 CHG, Berol., 26, 13.

    51 Chiron 283 in ODER, 1901, p 187. La machina est

    décrite par Columelle, VI, XIX.

    52 GITTON-RIPOLL, 2007, p. 266.

    un instrument de torture. Il ne peut s’agir dans

    ce cas que d’un treuil, analogue, au moins dans

    le principe, à celui dont Hippocrate de Cos

    avait donné la description dans Des articula-

    tions 53, et qui a donné lieu à différentes inter-

    prétations54

    (Fig. 3).

    Figure 3 : reconstitution de l’appareil (ou

    « banc ») d’Hippocrate pour réduire la

    luxation coxo-fémorale. LITTRÉ, 1844,

    p. 301.

    Fig 4 : Essai de reconstitution de la rota. Le che-

    val une fois abattu sur le côté sain, le membre anté-

    rieur à traiter est détaché des autres. Un pieu enfon-

    cé en terre (A) sert de point fixe à l’appareil. Le

    sternum et l’ars étant protégés par une peau de

    mouton (B), une lanière fixée au-dessus du genou

    (C) s’enroule autour de l’essieu de la roue (D). La

    traction s’exerce en agissant sur la jante (original).

    53 Hippocrate, Des articulations in LITTRÉ, 1844,

    p. 301.

    54LITTRÉ, 1844, p. 40-47.

  • Bull.soc.fr.hist.méd.sci.vét., 2012, 12 : 177-206

    185

    Pour en revenir à l’épaule luxée du cheval,

    celui-ci est d’abord couché pour être traité.

    Une lanière serrée sur une bonne partie de la

    longueur du membre thoracique est fixée par

    une extrémité au treuil au moyen duquel va

    s’effectuer l’extension (Fig.4). On suppose que le sternum, protégé d’une peau de mouton, est

    arrêté par un pieu planté en terre, sur lequel

    s’exercera la contre-extension. L’essieu de la

    roue sur lequel s’enroule la lanière est tourné

    doucement en manipulant la jante, jusqu’à ce

    que se fasse entendre un craquement signalant,

    au dire de l’auteur, la réussite de la manœuvre.

    Le membre, une fois fixé en extension par un

    bandage (ou peut-être lié sur une planche ma-

    telassée comme dans le texte hippocratique),

    l’épaule est fouettée à l’aide de baguettes pour

    préparer l’insufflation qui va suivre. Pélago-

    nius, sans plus d’explications, ne parle pour sa

    part que d’une manœuvre « habituelle »55.

    Si en chirurgie humaine, le « banc

    d’Hippocrate » a longtemps gardé des adeptes

    comme Ambroise Paré, la rota a été totalement

    oubliée des maréchaux et ensuite des vétéri-

    naires. Il ne reste que les respectables vêleuses

    artisanales pour rappeler l’existence de cet

    instrument. La réduction des fractures chez les

    grands animaux fait plus logiquement appel

    aux plates longes tirées par des aides selon des

    angles indiqués par le praticien, suivant le dé-

    placement des surfaces articulaires. Le treuil

    n’aurait d’autre avantage, en l’absence

    d’anesthésie profonde, que d’abolir la contrac-

    ture des muscles s’opposant à la remise en

    place.

    Après la réduction, Apsyrtos fait maintenir

    l’articulation qui tend à se déplacer à nou-

    veau : « Il faut lier comme pour les fractures

    pendant quatorze jours. » Les moyens sont

    donc analogues à ceux que nécessite

    l’immobilisation des fractures, familiers une

    fois de plus du praticien antique, mais pas de

    nous. La durée précise de quatorze jours est

    corroborée par Chiron qui préconise de garder

    l’animal debout – et certainement suspendu –

    dans un travail pour une durée équivalente

    (quinze jours). Concernant une luxation vraie,

    ce court délai laisse incrédule. Hiéroklès, avec

    plus de vraisemblance, affirme que s’il est

    possible de « replacer l’os dans sa cavité » en

    cas de luxation coxo-fémorale avec « rupture

    55 Pélagonius, 44, 3, texte en annexe.

    du ligament », aucun moyen ne saurait ensuite

    l’y maintenir. L’immobilisation des rayons

    proximaux des membres dans les grandes es-

    pèces posera toujours d’insurmontables obs-

    tacles aux vétérinaires.

    5 - L’insufflation

    Alors que les tentatives, même désespérées,

    de réduction des luxations nous semblent légi-

    times, l’insufflation de l’épaule, adoptée par

    six des hippiatres connus56 a de quoi sur-

    prendre. Apparaissant après le Ier siècle dans la

    source commune à tous ces auteurs (Columelle

    n’en fait pas mention), il s’agit d’un procédé

    latin. Cette manœuvre élémentaire, spectacu-

    laire autant que cruelle, avait surtout

    l’avantage d’en imposer au propriétaire de

    l’animal, ce qui n’incite guère le lecteur actuel

    à l’indulgence. Rien dans nos connaissances ne

    saurait la justifier.

    Premier dans l’ordre chronologique, Apsyr-

    tos réserve le procédé aux cas de synomie et

    d’echedermia après échec des traitements mé-

    dicaux. Sur le cheval couché, la région scapu-

    laire est d’abord battue à l’aide de baguettes

    entourées de laine, dans l’intention de libérer la

    peau du plan sous-jacent sans en blesser la

    surface. Il incise celle-ci à deux doigts du gar-

    rot, (Fig. 1) et pratique l’insufflation par une

    canule introduite dans l’orifice. Un comparse

    souffle dans ce tuyau tandis qu’il frictionne la

    peau en direction de la pointe de l’épaule, afin

    que l’air diffuse autour de l’articulation.

    L’ouverture est aussitôt obstruée avec de la

    laine grasse. Si la suppuration apparaît, on

    retire le bouchon les deux premiers jours, mais

    sans pratiquer la moindre irrigation. On laisse

    la plaie se refermer, avec des risques infectieux

    inadmissibles de nos jours. En cas de « mai-

    greur » (d’amyotrophie) de l’épaule, l’incision

    se pratique « le long de la naissance de

    l’épaule, vers le milieu du coccyx » une locali-

    sation sur laquelle toutes les hypothèses sont

    permises. Une fois la peau tendue par le gaz,

    elle est mouchetée de piqûres – qui ne traver-

    saient sans doute pas le cuir, sans quoi le gaz

    sous-cutané se serait échappé – avant de rece-

    voir un mélange de vinaigre et de sel.

    Théomnestos n’envisage l’insufflation que

    dans la luxation confirmée. Après avoir abattu

    le cheval, il commence lui aussi par dilacérer

    56 Apsyrtos, Théomnestos, Hiéroclès, Chiron, Péla-

    gonius, Végèce (II, 45, 4).

  • Bull.soc.fr.hist.méd.sci.vét., 2012, 12 : 177-206

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    le conjonctif sous-cutané en fouettant la région

    à l’aide de baguettes. L’incision est cette fois

    pratiquée à trois doigts « sous la tubérosité

    osseuse » sans doute sous la saillie externe de

    la tête humérale (trochiter) (Fig. 5 et 6). Déjà

    facilitée par la désorganisation préalable du

    conjonctif, l’insufflation s’accompagne d’un

    massage circulaire qui étend la poche d’air. La

    région ballonnée fait l’objet de mouchetures

    serrées à la lancette.

    S’inspirant d’Apsyrtos, Hiéroklès

    n’entreprend l’insufflation que dans l’arthrite

    chronique. Sur le cheval à terre, il frappe

    l’épaule avec « une férule ou une sandale plate

    entourée d’un morceau d’étoffe délicat».

    L’incision se fait à la lancette « vers le milieu

    du coccyx » ce qui pourrait s’interpréter de

    plusieurs façons si Jérôme (inconnu de nous

    par ailleurs) ne précisait dans le texte lui-

    même : « à quatre doigts du garrot ».

    Pélagonius fait passer l’insufflation de

    l’épaule avant la cautérisation. Il introduit l’air

    par une ponction pratiquée en avant du garrot,

    près de la crinière. Le trocart, dirigé verticale-

    ment, ne doit pas être enfoncé de plus de huit

    doigts (environ 15 cm) afin d’épargner le carti-

    lage de prolongement de la scapula, au risque

    d’occasionner un classique mal de garrot

    (Fig. 1).

    Ce n’est qu’une fois terminée l’insufflation que

    la région est frappée à l’aide d’une baguette

    souple afin de répartir l’air.

    Il est difficile d’apprécier l’utilité des on-

    guents et des cataplasmes de sel, de vinaigre

    ou d’huile appliqués après l’opération. Leur

    objectif reste aussi obscur que celui de

    l’insufflation elle-même. Si Columelle57 estime

    que l’huile et les cataplasmes gras empêchent

    les mouches de pondre sur les plaies, ce ne

    peut être le cas ici, vu l’étroitesse de

    l’ouverture cutanée. Les topiques étaient-ils

    destinés à évacuer l’œdème ? Théomnestos et

    Aspyrtos insistent seuls sur ce point : « fais

    évacuer [le tout] avec beaucoup d’eau chaude

    et jour après jour jusqu’à ce qu’il ne soit plus

    boiteux58 ».

    57 Columelle, Rei rusticae, VI, XIV, 2-3.

    58 CHG, Berol., 26, 7.

    Fig. 5 : en haut, saignées pour le déboîtement de

    l’épaule ; en bas, insufflation de l’épaule. Ma-

    nuscrit médiéval. B.N., ms grec 2244, in : LAI-

    GNEL-LAVASTINE (dir.), Histoire générale de la

    médecine […], t. 1, P., Albin Michel, 1936, pl. en

    regard de la p. 652.

    6 - La cautérisation

    Hippocrate de Cos décrivait déjà avec soin

    la cautérisation des luxations récidivantes de

    l’épaule chez l’homme59. C’est dire combien le

    recours à ce moyen était naturel, et il serait

    vain cette fois d’accuser les hippiatres de bru-

    talité. D’ailleurs, seuls en font mention Apsyr-

    tos et Hippocrate l’hippiatre. Lorsque la syno-

    mie résiste à tout traitement, les deux épaules

    sont brûlées à l’aide de cautère arrondis (Ap-

    syrtos). De même, sur l’arrachement du « li-

    gament », la cautérisation du renflement de

    59 Hippocrate, Des articulations in LITTRÉ, 1844,

    p. 106-113.

  • Bull.soc.fr.hist.méd.sci.vét., 2012, 12 : 177-206

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    Fig. 6 : ponction au trocart de l’épaule en partie déclive (à gauche) en vue de l’insufflation sous-cutanée

    (à droite), permettant de plus, selon Jacques de Solleysel, d’introduire par le même orifice « des tranches de lard

    gras » puis de drainer l’huile et le pus produits dans la cavité ainsi formée.

    l’articulation avec des sondes droites repré-

    sente un dernier recours60.

    L’insufflation après les hippiatres antiques

    Les pratiques des hippiatres de l’Empire

    romain tardif trouvèrent une nouvelle actualité

    lorsqu’on relut leurs ouvrages. Un manuscrit

    français anonyme61 du XIVe siècle en témoigne

    qui, entre autres, s’inspire des Hippiatrica pour

    « venter l’espaule » luxée62 (Fig. 5).

    L’Égyptien Abû Bakr Ibn Badr (c. 1333),

    familier lui aussi les textes antiques, donne une

    60 CHG, Paris, p. 41.

    61 Inc. « Ci se commence la cirurgie des chevaux

    […] » manuscrit B.N., fr. 2001, XIVe s., fol. 3v-25,

    cité in : POULLE-DRIEUX, 1966, p. 45.

    62 Ibid., p. 106.

    description plus circonstanciée du traitement

    de « la dépression scapulaire », terme dési-

    gnant soit une luxation vraie, soit la fonte mus-

    culaire de l’épaule. À noter que cette fois les

    mouchetures traversent la peau, faisant des

    ouvertures par lesquelles l’air s’échappe.

    L’opération n’a d’autre résultat que le décol-

    lement sous-cutané dans la région scapulaire :

    « […] Si cette méthode [les applications

    émollientes] ne suffit pas, on a recours à la

    chirurgie. Il faut réaliser une incision à la

    lame de bistouri un peu au-dessus de l’épaule ;

    l’incision doit juste être suffisante au passage

    d’un doigt, puis on introduit un tube creux, on

    souffle dans la lésion, et on dirige l’air insufflé

    de la plaie chirurgicale vers la pointe de

    l’épaule, en s’aidant de ses doigts, de façon à

    décoller la peau de l’endroit où elle est dépri-

    mée, puis on verse dans l’ouverture un peu

    d’huile d’olive ou de naphte, selon la saison,

    hiver ou été. Ensuite, vous nettoyez toute la

  • Bull.soc.fr.hist.méd.sci.vét., 2012, 12 : 177-206

    188

    zone gonflée à l’aide du bistouri et d’une

    pince, et vous ponctionnez à différents endroits

    pour en faire sortir tout l’air contenu. Ensuite,

    vous massez la zone décollée et la laissez repo-

    ser jusqu’au deuxième jour. Après cela, prenez

    un papier enduit d’huile, vous l’appliquez sur

    la pointe de l’épaule et sur toute la zone opé-

    rée. Répétez chaque jour pendant trois jours

    l’application de feu, puis, après cela, refroidis-

    sez la zone avec de l’huile de sésame et du

    minium, ou avec de la céruse, ou bien avec

    l’onguent vinaigré qui convient à cette réfrigé-

    ration. Continuez jusqu’à ce que la peau forme

    des croûtes, s’assèche, et que les poils se re-

    forment à cet endroit. Voilà tous les traite-

    ments de la dépression scapulaire63. »

    Six siècles plus tard, l’insufflation se re-

    trouve chez Jacques de Solleysel qui n’évoque

    même pas la réduction. Après avoir « broyé »

    avec brutalité l’épaule à l’aide d’une brique, il

    finit de détacher la peau des fascias muscu-

    laires sous-jacents à travers l’orifice par lequel

    entreront l’air et des tranches de lard ! « [O]n

    fait une ouverture au milieu du bas de

    l’épaule, et on introduit la spatule de fer pour

    détacher la peau par tout l’épaule d’avec la

    chair jusqu’à la crinière, ensuite, souffler toute

    l’épaule par l’ouverture qu’on a fait, puis in-

    troduire des tranches de lard gras […] et les

    faire couler entre cuir et chair jusqu’au haut

    de l’épaule […] L’épaule enflera beaucoup, il

    faut s’attendre à cela, et tous les jours faire

    couler la matière par le trou […]64 » (Fig. 6) L’écuyer affirme qu’après les soins associant

    insufflation et pose de sétons, le cheval « gué-

    rira de lui-même65 ».

    Pour les vétérinaires du XIXe siècle cepen-

    dant, la méthode risquait d’entraîner de regret-

    tables complications. « Si l’on peut citer un

    petit nombre de cures obtenues à l’aide de ces

    procédés empiriques, il est certain que leur

    effet est susceptible de déterminer une inflam-

    mation très forte, qui peut se terminer par

    gangrène [sic]. […] Il est donc préférable de

    tâcher d’utiliser le cheval, et de l’user tel qu’il

    est, plutôt que de l’exposer à un danger beau-

    63 HAKIMI, 2006, p. 124.

    64 SOLLEYSEL [1664], 1771, t. 1, p. 138-139.

    65 Ibid.

    coup plus grand que celui qu’il court en de-

    meurant boiteux66. »

    En l’absence d’infection, le pronostic était

    bénin, toutefois : un emphysème sous-cutané

    limité se résorbe spontanément et dans de brefs

    délais67.

    Une pratique empruntée à la boucherie

    On est tenté de revenir aux auteurs médi-

    caux antiques pour trouver l’origine de l’idée

    surprenante d’insuffler l’épaule. Si nous

    n’avons connaissance d’aucune manœuvre

    analogue en médecine humaine, la notion de

    pneuma (souffle vital) privilégiée par Galien

    (c. 129-199 de n. è.) pourrait représenter une

    piste de solution. Avec les humeurs, le pneuma

    concourait à l’équilibre de la santé. En simpli-

    fiant beaucoup la théorie galénique, l’air inspi-

    ré dans les poumons se transformait dans le

    cœur en pneuma, lequel se répandait dans

    l’organisme entier68. L’air des poumons, expiré

    sans avoir traversé le cœur, bénéficiait-il déjà

    d’une vertu vitale capable de favoriser la gué-

    rison ? Galien nommait bien pneuma l’air ex-

    piré (par la toux, en cas de fausse route alimen-

    taire) : « S’il [le larynx] laisse entrer en lui

    pendant le repas quelque aliment, aussitôt

    s’ensuivent toux et étouffement, jusqu’à ce que,

    chassé par le pneuma [nous soulignons], il

    soit remonté à la surface69. » L’insufflation de

    l’épaule aurait pu, dans ces conditions, transfé-

    rer un peu de l’énergie vitale de l’opérateur à

    la région anatomique atteinte. La qualité de

    l’haleine elle-même était susceptible de retirer

    tout bénéfice à la manœuvre car, au moins

    selon Chiron, le souffleur ne devait pas être à

    jeun. Il s’agit cependant d’une hypothèse

    qu’aucun texte ne vient confirmer. Admettons

    en outre que si les avantages de l’insufflation

    avaient été généralement reconnus, on n’aurait

    pas manqué d’appliquer ce procédé facile à

    d’autres affections du cheval et même de

    l’homme, ce qui n’a pas été le cas.

    Plus qu’au pneuma, il semble donc raison-

    nable de s’en remettre à une autre explication

    qui résulte cette fois d’une constatation pro-

    66 HURTREL d’ARBOVAL, t. 2, 1838, p. 99.

    67 CADÉAC, 1905, p. 134-135.

    68 PETIT, 2009, p. 144, note 3.

    69 Ibid., p. 36.

  • Bull.soc.fr.hist.méd.sci.vét., 2012, 12 : 177-206

    189

    saïque : l’analogie de la méthode chirurgicale

    et de l’insufflation sous-cutanée des bêtes

    mortes, pratique qui remonte sans doute à la

    préhistoire. Dans la plupart des civilisations,

    les bouchers l’ont adoptée pour faciliter le

    dépeçage, et leurs gestes ressemblent en tous

    points à ceux des hippiatres antiques. Par une

    incision du cuir, une canule est introduite sous

    la peau. Tandis qu’un protagoniste souffle dans

    le tuyau ou actionne un soufflet, un autre

    frappe le corps à l’aide d’un bâton pour aider

    la dilacération des tissus et la progression de

    l’air. Ceux qui connaissent l’Afrique auront

    certainement vu pratiquer le procédé sur les

    marchés. Il persista dans les abattoirs français

    jusqu’aux années 1950, à la grande désappro-

    bation des vétérinaires inspecteurs. Outre la

    facilité du dépouillement, les professionnels de

    la viande, qui disposaient de pompes élec-

    triques puissantes, cherchaient à emprisonner

    de l’air dans les interstices des muscles pour

    donner aux carcasses un aspect rebondi favo-

    rable à la vente. Le danger des inoculations

    bactériennes associées au soufflage a fini par

    en avoir raison70. On pourrait penser que les

    hippiatres antiques aient eux aussi cherché à

    restaurer le volume de l’épaule en injectant de

    l’air entre les muscles, mais l’idée doit être

    abandonnée : la faiblesse du souffle de

    l’opérateur n’aurait pu venir à bout de la résis-

    tance des fascias, assurément trop forte.

    Des raisons peu avouables

    Du soufflage des carcasses à l’insufflation à

    des fins thérapeutiques, la relation semble inat-

    tendue. Mais il faut bien l’admettre, un hip-

    piatre latin pris un jour au dépourvu a certai-

    nement imaginé d’employer ce bizarre expé-

    dient dans la boiterie de l’épaule. Si l’on ne

    peut parler de trait de génie, au moins ses suc-

    cesseurs se sont-ils empressés de reprendre une

    aussi providentielle trouvaille. Pourquoi, en

    effet, ne pas pallier la fonte musculaire de

    l’épaule par l’insufflation, et redonner – un

    temps – du volume à la région ? N’a-t-on pas

    prétendu que la méthode, appliquée à

    l’ensemble du corps d’animaux vivants, favori-

    sait leur engraissement71 ? Naïve ou malhon-

    70 PIETTRE, 1952, t. 1, p. 56-57.

    71 « On utilisait autrefois l’insufflation d’air sous la

    peau pour engraisser les animaux. Beaud et

    Viaud ont constaté qu’après avoir été affecté

    nête, la démarche était somme toute compré-

    hensible. En Angleterre où prospérèrent les

    conseils de Solleysel, un chirurgien s’indignait

    au XVIIIe siècle des souffrances inutiles qu’il

    voyait toujours infliger aux chevaux : « forer

    l’épaule avec un fer chaud pour ensuite insuf-

    fler celle-ci est un traitement à la fois cruel et

    absurde72 ».

    Le procédé n’en a pas moins duré. En 1962

    encore, on insufflait les épaules frappées de

    bursite bicipitale dans les écuries anglaises de

    Haymarket : « Les entraîneurs de chevaux de

    course injectent souvent de l’air sous la peau

    de l'épaule suivant une croyance selon laquelle

    cette dernière serait ‘trop tendue’. C’est un

    procédé ridicule car le véritable motif de la

    boiterie est souvent une maladie

    laire73. »

    Conclusion

    Comparer le savoir-faire des hippiatres an-

    tiques sur un sujet précis – les lésions scapulo-

    humérales – souligne la filiation des auteurs et

    révèle le poids de la tradition. Quant à

    l’inutilité de l’insufflation sous-cutanée, elle

    rappelle une constante de la médecine vétéri-

    naire (pour ne pas dire de la médecine tout

    court) avant l’avènement de la thérapeutique

    contemporaine. Il importait au praticien appelé

    à traiter un cas de ne pas se dérober, même s’il

    ne connaissait aucun moyen efficace d’en venir

    à bout. Sommé d’agir, la méthode qu’il em-

    ployait devait au moins flatter les croyances et

    emporter la conviction de son client. S’il est à

    nos yeux dérisoire de « gonfler une épaule », la

    simplicité du procédé autant que son côté spec-

    d’emphysème sous-cutané généralisé, un cheval,

    a pris un embonpoint qu’il n’avait pas habituel-

    lement. » CADÉAC, 1905, p. 135. La source de la

    première affirmation n’est pas communiquée. Au-

    cun des ouvrages du XVIIIe au XIXe siècle consul-

    tés sur l’élevage des bestiaux ne mentionne une

    quelconque relation entre insufflation et engrais-

    sement.

    72 “[B]oring up the shoulder with a hot iron, and

    afterwards inflating it, is both a cruel and absurd

    treatment.” BARTLET, 1759, p. 228.

    73 “The Race horse trainers often inject the skin

    over the shoulder with air because of a belief that

    it is “too tight”. This is a ridiculous procedure for

    the true cause of the lameness often is navicular

    disease.” ADAMS, 1962, p. 117.

  • Bull.soc.fr.hist.méd.sci.vét., 2012, 12 : 177-206

    190

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    (3-5.) Ἀψύρτου περὶ ἐκβολῆς ὤμου καὶ κοτύλης.

    (3.) Ἄψυρτος Ἀπελλᾷ Λαοδικεῖ ἱπποϊατρῷ . ὅσοι λέγουσιν ἐν τοῖς ὤμοις ἐκβολὴν καὶ

    τοὺς γόμφους ἐν τοῖς ὀπισθίοις μέρεσι τεθεραπευκέναι, οὐκ ἔγνωσαν οὗτοι τὸ συμβεβηκός.

    ἐκβολὴ γὰρ ἐστίν, ὅταν ἐκραγῇ τὸ ἐχόμενον νεῦρον ἐκ τῆς ὠμοπλάτης ἢ κοτύλης ὁ κόνδυλος,

    ὃν λέγομεν γόμφον. τούτων δὲ οὐκ ἔστι θεραπεία οὐδεμία. ἐντιθέμενα γὰρ εἰς τάξιν οὐ μένει,

    ἀλλ᾽ ὀλισθαίνει μὴ ἔχοντα τὸ συναφές. θεραπεύεται δέ, ὅταν γένηται ἔκτασις τοῦ νεύρου καὶ

    χάλασμα τοῦ ὤμου, καὶ περιπατῶν ἐπισύρῃ τὸν ὄνυχα, ἢ ἄνωθεν παρηγμένον ἐκνεύῃ τὸ ἄρθρον

    βαδίζοντος.

    (4.) ἔστι δὲ ἡ θεραπεία τοιαύτη: δεῖ ἀνώσασθαι κατὰ φύσιν τὸ ἄρθρον τοῦ ὤμου, καὶ πόρπακας

    ἐντιθέναι ¢ντιπόρπους μυρικίνους, καὶ καταβρέχειν ὀξελαίῳ, προκαταντλοῦντα ὕδατι θερμῷ,

    ἄχρις οὗ ἀποπέσωσιν οἱ πόρπακες, καὶ τότε θεραπεύειν τὰ ἕλκη τῇ λιπαρᾷ. ὑγιοῦς δὲ

    γενομένου, καίειν αὐτὸν ἐπὶ τὸ ἄρθρον γραφῇ στρογγύλῃ ἐγκεχιασμένῃ, καὶ ἔσται ὑγιής.

    (5.) τὰ δ᾽ ἐν τοῖς ὀπισθίοις μέρεσιν δυσεπίτευκτά εἰσι καὶ μένει χωλά, ἀτροφεῖ δὲ τὸ ἰσχίον καὶ

    παραξηραίνεται, καὶ τὴν ὁπλὴν ἐπισύρων ἐπιτρίβει. συμβαίνει δὲ τοῦτο, ὅταν τροχάζων

    ὀλισθήσῃ καὶ πεσὼν διασυρῇ, καὶ ὃ λέγουσι βατραχίσῃ. ἔσθ᾽ ὅτε δὲ καὶ συνέκρουσεν ἐν τῷ

    πεδίῳ πρὸς ἕτερον ἱππάζων, καὶ οὕτως ἔκτασις ἐγένετο τοῦ νεύρου καὶ σπασμὸς τοῦ ὤμου,

    εὐχερῶς δὲ γίνεται τοῖς νωταγωγοῖς. συμβαίνει δὲ λακτίζοντα εἰς τὸν τοῖχον ἢ λίθον ἢ ξύλον ἤ

    τι τοιοῦτο ἢ pτοηθέντα διά τινα αἰτίαν ἐκτινάξαι τὸ σφυρόν, ὃ γίνεται εἰς τὸ κατὰ φύσιν

    αὐτόματον. εὐθὺς δὲ δεῖ φλεβοτομεῖν ἀναγκαίως ἐκ τοῦ μεσοκυνίου, καὶ δεσμεύειν ὥσπερ καὶ

    τὰς θραύσεις μέχρις ἡμερῶν τεσσαρεσκαίδεκα, στερεώσαντα δὲ καίειν ἐμπλέκοντα μανδάκῃ.

    ἐὰν δὲ μὴ φλεβοτομηθῇ, ὑποτρέχει ὁ ἰχὼρ καὶ τὸ αἷμα, τοῦ τόπου διάστασιν εἰληφότος, καὶ

    ἄμορφον γίνεται παρὰ φύσιν τῇ περιοχῇ τὸ σφυρὸν καὶ μᾶλλον χωλεύει.

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    D’Apsyrtos, sur le déboîtement de l’épaule et de l’os de la hanche

    3. Apsyrtos salue l’hippiatre Apelle de Laodicée. Tout ceux qui disent avoir soigné le

    déboîtement des épaules et les articulations dans l’arrière-train, ne savent pas ce qui est arrivé.

    En effet, il y a luxation, chaque fois que le condyle que nous appelons cheville74 fait craquer le

    ligament75 attaché à l’omoplate ou à la hanche. Et il n’existe absolument aucune traitement pour

    y remédier. En effet, elle ne reste pas remise en place, mais glisse puisqu’elle n’a plus de lien.

    En revanche, on le soigne, chaque fois qu’il y a extension du ligament et relâchement de l’épaule

    et chaque fois que, quand il se promène, il traîne le sabot ou bien, chaque fois que, parce qu’elle

    est désunie, l’articulation penche quand il marche.

    4. Et voici le traitement : il faut repousser l’articulation de l’épaule dans sa position naturelle, et

    placer des anneaux76 de tamaris agrafés contre l’épaule et arroser d’un mélange de vinaigre et

    d’huile, en ayant au préalable arrosé l’articulation avec de l’eau chaude, jusqu’à ce que les

    anneaux tombent, et il faut alors soigner les plaies avec un emplâtre gras.

    Et quand le cheval est guéri, il faut le brûler77 sur l’articulation avec un cautère arrondi en forme

    de x et il sera guéri.

    5. Cependant, les déboîtements auxquels on remédie le plus difficilement se trouvent dans les

    parties postérieures78, et elles restent boiteuses : l’ischion s’atrophie et sèche légèrement et,

    comme le cheval traîne son sabot, il l’use par le frottement. Et c’est ce qui arrive chaque fois

    que, dans sa course, il glisse et, en tombant, se distend, ce qu’on appelle aussi se distendre

    comme une grenouille79. Il arrive aussi, qu’en conduisant, un aurige heurte un autre char dans la

    plaine, et il est arrivé que l’extension du ligament et le spasme de l’épaule se soit produit de cette

    façon ; cependant, elle se produit facilement pour les chevaux montés. En outre, il arrive que, en

    ruant contre un mur, ou une pierre, ou un arbre, ou quelque chose de ce genre ou parce qu’il a

    pris peur pour une raison quelconque, il heurte violemment son pied80, lequel se trouve

    spontanément en place. Il faut aussitôt faire une saignée nécessairement au paturon et le lier

    comme on le fait aussi pour les fractures pendant quatorze jours et quand on l’a guéri, le

    cautériser en forme de grille81. Mais si l’on n’a pas fait de saignée, le pus et le sang restent sous

    la peau, l’endroit affecté subissant un écartement82, le pied devient informe contrairement à sa

    nature à cause de l’enveloppe qui se forme et le cheval boite davantage.

    74 Il s’agit à la fois des articulations scapulo-humérale et coxo-fémorale. 75 Le verbe kr£zw [krazô] employé ici est poétique et non classique. Il signifie « crier », par analogie avec le bruit

    de craquement d’une fracture, il dénoterait la rupture du ligament. 76 PÒrpax [porpax] appartient encore au registre poétique : il désigne l’anneau ou la poignée par lesquels le soldat

    tenait son bouclier. Dans le cas présent, il s’agit à n’en pas douter de sétons, thérapeutique pratiquée jusqu’au

    XIXe siècle en médecine humaine et vétérinaire, qui consiste à soulever et percer la peau de part en part pour in-

    troduire une bandelette de linge, un ruban de fil, ou un morceau de corde. La suppuration locale qui survenait

    évacuait, croyait-on, les humeurs. Ici, le tamaris est utilisé comme corps étranger. 77 Feux ou cautérisation actuelle. 78 Apsyrtos quitte maintenant les luxations scapulo-humérales pour celles de l’articulation coxo-fémorale. 79 On appréciera l’imagination des Anciens pour trouver des métaphores propres à illustrer concrètement les faits

    à l’intention du lecteur étranger à l’hippiatrie. Ce n’est pas sans rappeler la métaphore qu’emploie Théomnestos

    pour désigner la fourchette : b£tracoj [batrachos] « la grenouille ». 80 Il est difficile de localiser la partie anatomique du cheval désignée par le terme sfurόn [sphuron]. Chez Oppien

    (Cynégétiques), il signifie assez clairement « le paturon ». Ici, on traduira faute de mieux par « pied » pour dé-

    signer à la fois le boulet, le paturon, et le sabot. Mesokύnion [mésokunion] est à proprement parler le paturon

    depuis Simon d’Athènes (Sur l’extérieur et le choix des chevaux, 5). Au moins la ruade situe-t-elle la lésion à

    un membre postérieur. 81 Visiblement, Apsyrtos aborde le cas d’une luxation du boulet. Sa notice ne porte pas sur la seule luxation sca-

    pulo-humérale. 82 L’écartement est ici provoqué par la poche de sang sous-cutanée, séparant la peau de l’articulation.

    CHG, Hipp. Berol., XXVI, 3-19 : Sur l’affection de l’épaule

  • Bull.soc.fr.hist.méd.sci.vét., 2012, 12 : 177-206

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    (6-7.) Θεομνήστου εἰς τὸ αὐτό.

    (6.) Ἐὰν ἐν τῇ ἐλασίᾳ ὁδοιπορίᾳ ἵππος ἢ ἄλλο τι ὑποζύγιον ὦμον κατεαγῇ ἢ ἐκτραπῇ καὶ

    χωλαίνῃ, εἰ μὲν κατὰ φύσιν ἐκβῇ τῆς θέσεως, θεραπεύειν αἵματος ἀφαιρέσει ἀπὸ αὐτοῦ τοῦ

    ὤμου, καὶ δέχεσθαι τὸ αἷμα εἰς ἀγγεῖον, καὶ μιγνύναι ἐν αὐτῷ ἔλαιον καὶ ᾠὰ τρία, ἕψημα καὶ

    βολβοὺς ὠμοὺς καλῶς λεανθέντας καὶ κοχλίας μικροὺς νʹ, καὶ ἀναχρίειν θερμῷ καλῶς, καὶ

    χρῆσθαι ἀνακολλήματι, ὅπερ

  • Bull.soc.fr.hist.méd.sci.vét., 2012, 12 : 177-206

    195

    De Théomnestos, sur la même chose

    6. Si lors d’une charge de cavalerie ou d’un voyage, le cheval ou un autre animal de trait sous le

    joug se fracture ou se déboîte l’épaule ou est boiteux, si l’épaule sort de sa position naturelle, il

    faut soigner par une saignée de l’épaule et récupérer le sang dans un vase et mélanger dedans de

    l’huile et trois œufs, du moût cuit et broyer convenablement des oignons crus et cinquante petits

    escargots et oindre de haut en bas convenablement au chaud et il faut utiliser un emplâtre qui

    sera exposé à la fin de mon article.

    7. Mais s’il y a luxation, il faut insuffler l’épaule et l’immobiliser et procéder de la manière

    suivante : si tu remarques que l’épaule ou une autre articulation est abîmée, fais coucher

    l’animal et frappe avec une baguette l’endroit souffrant, afin que la peau se détache en laissant

    un vide en dessous. Et alors, incise avec un phlébotome83 à trois doigts sous la tubérosité

    osseuse de manière à faire entrer un petit chalumeau, et à enfoncer le chalumeau à l’intérieur,

    pendant que quelqu’un d’autre souffle dedans et, pendant que tu repousses l’air de l’intérieur

    avec la main en cercle jusqu’à la peau, il te faut aussi pratiquer des mouchetures serrées sur une

    partie de la peau avec une lancette, et appliquer un cataplasme de sel blanc et de vinaigre et

    frotter avec son sang et oindre le cheval tant qu’il est couché. Et qu’il y ait un setier de sel et un

    setier et demi de vinaigre. Et le troisième jour, fais évacuer le tout avec beaucoup d’eau chaude

    et jour après jour jusqu’à ce qu’il ne soit plus boiteux. Puis, quand il est guéri, il faut l’employer

    progressivement dans les travaux. Et oins-le d’onguent au bdellium allongé avec de l’huile qui

    retend la peau84. Mais ce soin réussit surtout en été.

    D’Hippocrate, sur la luxation de l’épaule

    8. Si, au niveau des articulations des épaules et des bras, il y a boiterie, en voici les signes : le

    cheval n’avance pas en se portant en avant et ne bouge pas son bras, mais il traîne la jambe et il

    la laisse beaucoup tomber. Soigne-le en conséquence : il faut l’oindre de vin et d’huile, saigner

    le bras et laver pendant dix jours, puis oins tout le corps pendant un seul jour avec de la crasse

    huileuse de jeune enfant additionnée de vin et de vinaigre.

    83 Phlébotome : lancette à saigner. 84 La peau avait été amollie par les traitements précédents, elle a donc besoin d’un onguent spécial.

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    (9-11.) Ἱεροκλέους περὶ ὤμου χρονίου.

    (9.) Ἐὰν χρονία ᾖ ἡ ἀλγηδὼν τοῦ ὤμου, χρηστέον τῇ Ἀψύrτου ὑφηγήσει. ἔστι δὲ αὕτη:

    κατικλίναντα τὸν ἵππον χρὴ κροτῆσαι τὸν ὦμον νάρθηκι ἢ σανδαλίῳ λεπτῷ, ἁπαλόn τι ῥάκος

    τῷ σανδαλίῳ περιβαλόντα. ἐὰν δὲ ἀποστῇ κρουομένη ἡ βύρσα, τρυπᾶν δεῖ παρὰ βύρσαν τῷ

    σχαστηρίῳ παρὰ τὴν ἔκφυσιν τοῦ ὤμου εἰς τὸν κόκκυγα μέσον,

    (Ἱερώνυμος δέ φησιν ἀπὸ δακτύλων τεσσάρων τῆς ἀκρωμίας) καὶ οὕτως διώσαντας τὴν σμίλην

    ὑποδέρειν αὐτόν, εἶτ ἐνθέντας αὐλίσκον ἐμφυσᾶν εὐρώστως, καὶ κατάγειν τῇ χειρὶ τὸ

    ἐμφύσημα κύκλῳ τοῦ ὤμου μέχρι τῆς νύμφης, καὶ κατακεντεῖν τὴν βύρσαν τῷ σχαστηρίῳ, καὶ

    καταπάσαντα ἁλσὶ λεπτοῖς καὶ ὄξει, ἀποτρίβειν σὺν τῷ αἵματι, καὶ καταχρίειν αὐτὸν

    ἐγκατακείμενον. ἔστω δὲ τῶν ἁλῶν πλῆθος τοῦ δὲ ὄξους ἡμικοτύλια

    τρία. (Ἱερώνυμος δέ φησιν ἀπὸ δακτύλων τεσσάρων τῆς ἀκρωμίας) καὶ οὕτως διώσαντας τὴν

    σμίλην ὑποδέρειν αὐτόν, εἶτ ἐνθέντας αὐλίσκον ἐμφυσᾶν εὐρώστως, καὶ κατάγειν τῇ χειρὶ τὸ

    ἐμφύσημα κύκλῳ τοῦ ὤμου μέχρι τῆς νύμφης, καὶ κατακεντεῖν τὴν βύρσαν τῷ σχαστηρίῳ, καὶ

    καταπάσαντα ἁλσὶ λεπτοῖς καὶ ὄξει, ἀποτρίβειν σὺν τῷ αἵματι, καὶ καταχρίειν αὐτὸν

    ἐγκατακείμενον. ἔστω δὲ τῶν ἁλῶν πλῆθος τοῦ δὲ ὄξους ἡμικοτύλια τρία.

    (10.) τρίτῃ δὲ ἡμέρᾳ ἐξαντλεῖν αὐτὸν ὕδατι θερμῷ καὶ ἐφεξῆς καθ ἡμέραν, χρῆσθαι δὲ καὶ

    καταχρίσματι, ἀνιέντα ἐλαίῳ, τῷ διὰ βδελλίου μαλάγματι συγκειμένῳ. εἰ δὲ μή, οἴνῳ καὶ ἐλαίῳ

    ἀνατρίβειν, τηροῦντα ἀνεῳγότα τὰ κεντήματα, μέχρις ἂν μὴ χωλεύῃ. ὑγιεῖ δὲ γενομένῳ χρῆσαι

    ἐν τοῖς ἔργοις ἐκ προσαγωγῆς καὶ κατὰ λόγον. ἐν θέρει δὲ ἡ θεραπεία ἁρμόττει, ὡς τῷ γε

    χειμῶνι δυσχερῶς κατορθοῖ, ἐνίοτε δὲ καὶ βλάπτει.

    (11.) ὅταν γε μὴν ἐπ ἀμφοτέροις γένηται τοῦτο τοῖς ὤμοις, καλοῦσιν αὐτὸ συνωμίασιν, τὸν

    μέντοι τρόπον τὸν αὐτὸν θεραπεύεται. ἐν δὲ τῷ ἀγκῶνι τοῦ ὤμου παρὰ τὴν μασχάλην συμβαίνει

    γίνεσθαι οἴδημα ἐξ αὐτομάτου, ὅπερ φασί τινες ἐξ ὠμότητος. πρόσφατον μὲν οὖν θεραπεύεται

    καυστικῷ καταχριόμενον. ὅταν δὲ στεατωθῇ καὶ σκληρὸν γένηται, ἐκτμηθὲν qεραπεύεται ὡς τὰ

    λοιπά.

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    De Hiéroklès, sur la souffrance chronique de l’épaule

    9. S’il y a souffrance chronique de l’épaule, il faut se servir des conseils d’Apsyrtos. Et les voici :

    il faut, faisant coucher le cheval, que tu frappes son épaule avec une férule ou bien avec une

    sandale plate85, en fixant autour de la sandale un morceau d’étoffe délicat. Et si le cuir frappé se

    décolle, il faut percer à travers la peau avec une lancette vers la naissance de l’épaule jusqu’au

    milieu du coccyx86 (mais Jérôme dit que c’est à quatre doigts du garrot87) et ayant enfoncé ainsi le

    bistouri, lui enlever un peu de peau, puis placer une canule à l’intérieur, insuffler avec force, et

    faire descendre l’air soufflé avec la main en rond autour de l’épaule jusqu’à la nymphe88, et piquer

    le cuir avec la lancette, et saupoudrer de sel fin et d’huile, essuyer avec son sang, et l’oindre alors

    qu’il est couché. Qu’il y ait abondance de sel, une assiette, et trois demi-cotyles de vinaigre.

    10. Et le troisième jour, le baigner d’eau chaude et chaque jour à la suite, et se servir d’un

    onguent, en allongeant, avec de l’huile, celui au bdellium. Sinon, oindre avec du vin et de l’huile,

    en surveillant les piqûres ouvertes, jusqu’à ce qu’il ne boite plus. Et, après sa guérison, l’utiliser

    progressivement dans les travaux et de façon raisonnable. Et le traitement convient pendant l’été

    parce qu’il réussit difficilement en hiver et cause parfois du tort à l’animal.

    11. Chaque fois que cela arrive aux deux épaules, on appelle cela la synomie, on la soigne

    cependant de la même façon. Et dans l’articulation de l’épaule, il arrive qu’il y ait un gonflement

    le long de l’aisselle spontanément, dont certains disent qu’il provient de l’indigestion de

    l’alimentation. Donc, lorsque cela est arrivé récemment, on le soigne en oignant le cheval avec un

    baume caustique. Mais quand il est devenu graisseux et qu’il se durcit, on le soigne en le coupant,

    comme le reste.

    85 Apsyrtos préfère une « baguette entourée d’un flocon de laine ». 86 Cf. M.-T. CAM, 2010. Le coccyx n’est pas ici l’os du bassin, mais désignerait « les muscles du bras qui se rejoignent

    en forme de bec d’oiseau au bas de l’épaule », coccyx signifiant l’oiseau « coucou ». Le repère anatomique paraît ce-

    pendant fort vague. Avec la précision de Jérôme, il pourrait s’agir du sommet du garrot. Il faut donc comprendre que

    l’hippiatre doit en tout cas bien se garder d’abîmer le cartilage de prolongement de la scapula. On trouvera chez

    Aspyrtos (CHG I, Berol., 14, 3) une autre mention du coccyx qui nous conforte dans l’idée que ce repère anatomique

    se situe plutôt au-dessus de l’épaule : Apsyrtos indique « au niveau de la synomie » (c’est-à-dire ici, non la maladie

    mais le point d’attache des deux épaules). 87 Cette parenthèse fait référence à l’article d’Apsyrtos sur la synomie reproduit plus bas, CHG, Berol., 16, 15, dans

    lequel il évoque un intervalle de deux doigts à partir du garrot, et non de quatre. 88 Là encore, utilisation d’un terme non technique, employé par métaphore : il signifie le « creux sous la lèvre » ou

    encore une « niche dans un mur ». Il s’agit probablement du point creux du défaut de l’épaule où les deux muscles se

    rejoignent, le contexte indiquant bien l’idée d’extrémité d’un endroit avec l’utilisation de la préposition μέχρι [mé-

    chri]. Il s’agit une fois de plus d’un repère anatomique extérieur.

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    (13.) ἄλλο Ἱπποκράτους περὶ ὤμου ἐκβολῆς.

    Ἐὰν ἵππου ὦμος ἐκβληθῇ ἤ τινος τῶν ὑποζυγίων, ῥῖψον αὐτὸν ἐπὶ τὸ ἔδαφος, ἵνα ὁ

    ἐκβεβλημένος ὦμος ἐπάνω ᾖ, καὶ δήσας τὸν πόδα, καὶ πρὸς δένδρον ἀποτείνας, ποκάριον

    ἐπιτίθει τῷ στήθει ... καὶ τρυπήσας τὸ δέρμα τοῦ ὤμου, μέχρις ἡμερῶν τεσσάρων βάλλε

    ἐπιούρους συκίνους, εἶτα ἐν οἴνῳ καὶ ἐλαίῳ βρέχε πολλῷ, pεριθεὶς τοῖς ἐπιούροις ἔρια, καὶ μετὰ

    τέσσαρας ἡμέρας λῦσον, εἶτα ἐκσύρας τοὺς ἐπιούρους, πάλιν βρέχε τοῖς αὐτοῖς.

    (15-16.) Ἀψύρτου περὶ συνωμίας.

    (15.) Πρῶτον μὲν ἐν ὕδατι θερμῷ κατάντλησον πολλῷ, εἶτα ἐγκαταφύσησον οἴνῳ καὶ ἐλαίῳ

    θερμῷ τρῖψον, καὶ τῇ ἄλλῃ ἀπὸ τῶν ὤμων ἄφελε αἷμα μὴ πολύ, ἀλλὰ ὅσον κοτύλας ἕξ, μὴ εἰς

    μείζονα ἀρρωστίαν ἐμβάλῃς. καὶ ὡσαύτως ὡς œμπροσθεν κατάντλει τῷ ὕδατι καὶ τρῖβε. ἐὰν

    μὲν οὖν ἀπ' αὐτῆς τῆς θεραπείας ὑγιὴς γένηται, εἰ δὲ μή γε, λαβὼν σχαστήριον, σχάσον παρὰ

    τὴν ἀκρωμίαν τὸ δέρμα διαμπερές, διαλιπὼν ἀπὸ τῆς ἀκρωμίας δύο δακτύλους.

    (16.) εἶτα ἐνθεὶς αὐλίσκον, ἐμφύσα, καὶ ἔπαγε τὸ δέρμα ἐπὶ τὸ ἄρθρον τῶν ὤμων, ἵνα πάντοθεν

    ὁμαλῶς ἀποστήσῃς. εἶτα ἐξελὼν τὸν αὐλίσκον, μότωσον τὴν τομὴν ἐρίῳ πιναρῷ, εἶτα

    ἐγκατάντλει ὕδατι θερμῷ, προσέχων, ἵνα μή τι παραρρυῇ τοῦ ὕδατος. εἶτα ἐὰν πῦον γένηται,

    πρόσεχε, ἵνα ἀποκλεισθῇ ἡμέρας δύο, τῇ δὲ τρίτῃ ἐξάγαγε τὸ ἔριον, καὶ ἔα ἀποκλείεσθαι.

    τὴν δὲ λοιπὴν θεραπείαν πρόσφερε, ὡς γέγραπται. εἰ δὲ μή γε, καῦσον αὐτὸν καυτηρίοις

    στρογγύλοις εἰς τοὺς ὤμους.

    (17.) Ἱεροκλέους περὶ συνωμίας καὶ ῥάχεως.

    Ἐὰν ἀλγήσῃ τὴν συνωμίαν ἀπὸ δρόμου ἀμέτρου ἢ φορτίου, ἢ τοὺς ὤμους ὡς συνδεδεμένους

    ἔχῃ, καὶ τὸν τράχηλον πρὸς κατάβασιν ἀλγῇ, καταντλείσθω ὕδατι θερμῷ, καὶ ῥοϊζέσθω. ποίει δὲ

    αὐτῷ ἀνακολλήματα ἀλεύρου κριθίνου χοίνικα, ὄξους δριμέος τὸ ἀρκοῦν, μάννης στατῆρα, ᾠὰ

    δύο, ἀνακόψας εἰς τὸ αὐτό, καὶ κατάχριε τοὺς ὤμους καὶ τὸν τράχηλον. ἐὰν δὲ μὴ ἀνύῃ ἡ

    θεραπεία, καῦσον καυτηρίοις ὀρθοῖς, εἶτα χρῖσον ἅλατι καὶ ἐλαίῳ καὶ πάλιν γλοιῷ ἐπὶ ἡμέραις

    ἑπτά. ἐὰν δὲ ἐκπέσωσιν αἱ ἐσχάραι, χρῶ τῷ ὀροβίνῳ, καθὼς εἴθισται.

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    Autre chose d’Hippocrate, sur la luxation de l’épaule

    13. Si l’épaule du cheval ou d’un équidé, parmi ceux qu’on place sous le joug, est déboîtée,

    abats-le à terre, afin que l’épaule déboîtée se trouve au-dessus, et lie-lui le pied, étends-le contre

    un bâton89, applique une petite toison sur son poitrail et ayant percé la peau de l’épaule, pose des

    chevilles en bois de figuier90 pendant quatre jours, puis mouille-le de beaucoup de vin et d’huile,

    après avoir entouré les chevilles de laine, détache les chevilles après quatre jours, puis ayant

    retiré les chevilles, mouille encore la plaie avec les mêmes ingrédients.

    D’Apsyrtos, sur la synomie91

    15. D’abord, trempe-le dans beaucoup d’eau chaude, puis en vue de l’insuffler, frotte-le avec du

    vin et de l’huile chauds, et le lendemain, retire du sang des épaules, pas beaucoup, mais

    l’équivalent de six cotyles, de peur de trop l’affaiblir. Et de la même façon que pour les

    antérieurs, baigne-le d’eau et frotte-le. Soit d’une part il guérit à partir de ce traitement, sinon,

    prends une lancette et coupe la peau le long du garrot de part en part, en laissant à partir du

    garrot l’intervalle de deux doigts92.

    16. Puis, insérant une canule, souffle dedans, et pousse la peau contre l’articulation des épaules,

    afin que tu la détaches partout de manière égale. Ensuite, enlevant la canule, garnis la coupure de

    laine grasse, puis baigne-le d’eau chaude, prenant garde qu’aucune eau ne s’infiltre dedans.

    Ensuite, s’il survient du pus, veille à ce que la blessure ne se referme pas pendant deux jours,

    mais le troisième, enlève la laine, et laisse-la se refermer. Poursuis le reste du traitement comme

    il a été indiqué.

    De Hiéroklès, sur la synomie et l’épine dorsale

    17. S’il souffre de la synomie à cause d’une course effrénée ou d’un fardeau à porter, ou bien

    qu’il a les épaules comme liées, et qu’il souffre de l’encolure dans une descente, qu’il soit baigné

    d’eau chaude et conduit à l’abreuvoir. Fais-lui des emplâtres de trois cotyles de farine d’orge, du

    vinaigre piquant, une statère de grains d’encens, deux œufs, ayant tout écrasé ensemble, oins et

    les épaules et l’encolure. Mais si le traitement n’en vient pas à bout, brûle l’articulation avec des

    cautères droits, puis oins avec du sel et de l’huile et de nouveau avec de la crasse huileuse

    pendant sept jours. Et si les croûtes tombent, utilise un emplâtre de vesce noire, comme

    d’habitude. Si cela ne va pas, brûle-le sur les épaules avec des cautères arrondis.

    89 Il s’agit d’une attelle le long de laquelle le membre est lié et immobilisé. Une peau de mouton sert de rembour-

    rage. 90 On a affaire ici à des sétons, autre version des anneaux de tamaris rencontrés chez Apsyrtos. 91 Étymologiquement, la synomie est un mot composé : sύn-ὦmoi [sunn-ômoï] signifiant les deux épaules. 92 Cf. Hiéroklès, CHG, Berol., 26, 9. 92 Il s’agit d’une attelle le long de laquelle le membre est lié et immobilisé.

    Une peau de mouton sert de rembourrage. 92 Sans doute s’agit-il ici d’une autre version des anneaux de tamaris rencontrés chez Apsyrtos. 92 Étymologiquement, la synomie est un mot composé : sύn-ὦmoi [sunn-ômoï] signifiant les deux épaules. 92 Cf. Hiéroklès, CHG, Berol., 26, 9.

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    (18-19.) Ἀψύρτου περὶ ἐχεδερμίας καὶ ὤμου χρονίου.

    (18.) Ἄψυρτος Ἐπιφανίῳ ἱπποϊατρῷ χαίρειν. ἐσπουδακότα σε περὶ τὴν τῶν ἵππων χρῆσιν

    ἀναγκαῖον εἰδέναι: ἐχεδερμία λέγεται ἐν τῷ ἵππῳ, ὅταν ᾖ χρονίως τὸν ὦμον ἀλγῶν. θεραπεύεται

    δὲ οὕτως: δεῖ κατακλίναντα αὐτὸν κροτῆσαι τὸν ὦμον νάρθηκι ἢ ῥάβδῳ ῥάκει ἐρίου

    περιεστρεμμένῳ πρὸς ἀπόστασιν τῆς βύρσης, εἶθ' οὕτως τρυπᾶν παρὰ βύρσαν τῷ σχαστηρίῳ

    παρὰ τὴν ἔκφυσιν τοῦ ὤμου εἰς τὸν κόκκυγα μέσον, καὶ τότε διωθεῖσθαι τὴν σμίλην καὶ

    ὑποδέρειν αὐτήν, εἶτα ἐντιθέναι αὐλίσκον καὶ ἐμφυσᾶν εὐρώστως, καὶ κατάγειν ταῖς χερσὶ τὸ

    ἐμφύσημα κύκλῳ τοῦ ὤμου μέχρ�