EV-54 - cahier

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Revue Trimestrielle pour une Pédagogie de la Morale e ntre-vu e s Illustration de J. Carpiaux pour Entre-vues

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R e v u e T r i m e s t r i e l l e p o u r u n e P é d a g o g i e d e l a M o r a l e

entre-vues

Illustration de J. Carpiaux pour Entre-vues

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blSiège social

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Revue trimestrielle publiée avec l’aide de l’Administration générale del’Enseignement et de la Recherche scientifique de la Communauté française(Service général des Affaires générales, de la Recherche en Education et duPilotage inter-réseaux), du Service d’Education permanente de la Communautéfrançaise (Direction générale de la Culture et de la Communication), de l’Atelierd’Art Urbain, du C.A.L. Brabant Wallon et de la Fondation Rationaliste.

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Sommaire4 Éditorial

5 1ère partie : introduction

6 Par-delà le nihilisme contemporain, la recherche de notre identitéGilbert Talbot

10 Comment le débat argumenté peut-il contribuer à une éducationdémocratique, à la fois civile et citoyenne ?Jean-François Chazerans

14 Parler “sur” la morale pour ne pas la faire ?Virginie Krier, Christophe Montfort, Christine Vallin

18 L’E.C.J.S., une éducation à la citoyennetéMichel Darnaud

22 L’heure de morale en Alsace et LorraineJeanne-Claude Mori

24 2ème partie : La culture comme travail de l'imaginairePédagogies de la créativité et formationsCathy legros

31 L'éducation de la sensibilité : condition de la formation de la personnalité démocratiqueAlain Bouillet

54 ALTER EXPO, L’AUTRE EGO : … la petite histoire ! Michel Lefevre

59 ALTER, spectacle promenade.Pistes pédagogiquesThierry Murez

61 De la salle à la scène, il n’y a qu’un pas ...Richard Crèvecoeur

68 Autour du gesteLaurence Piette

73 Réussir un voyage culturel avec de jeunes adolescentsProjet pédagogique pluridisciplinaire Pierre Tromme

78 Terre et mots ou une reconquête de créativitéMarie Dewez

80 Dossier pédagogique : analyse de tableauxChristiane Dieu, Bernard Clarinval

104 Projet : ciné d’enfants sur le thème du respectAriane Bratzlavsky, Lara Herbinia

106 Carré de Nature, carré de CulturePascal Bouchard

112 Compte-rendu d’expériences pédagogiques de prévention desassuétudes au sein de l’école technique et professionnellecommunale Pierre Paulus à Saint-Gilles Michèle Coppens

120 Lu pour vous

139 Infos diverses

148 Abonnements

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Editorial

Ce numéro double conjugue le mot "ouverture" sur plusieurs registres.Ouverture aux préoccupations de nos voisins d’abord, à leurs questions parrapport à la place de la discussion à visée philosophique dans la formationcitoyenne, à l’utilité du cours de morale en Alsace-Lorraine dansl’enseignement fondamental…

G. Talbot (Québec) nous fait part de la manière dont le travail encommunauté de recherche peut aider à poser la question de l’identité avecles grands adolescents.

En seconde partie, le mot "ouverture" se rapporte aux pratiques innovantesqui mêlent créativité, éthique et art.

Il revient à Cathy Legros d’avoir lancé le thème de cette seconde partie: "Laculture comme travail de l’imaginaire", c’est donc à elle que revient le fild’Ariane qui peut nous guider à travers ce numéro.

Cathy Legros pointe du doigt le lien qui existe entre la culture vue commeune expression créatrice, de l’ordre du symbolique, et la citoyenneté vuecomme forme nouvelle du vivre ensemble.

De nombreux(ses) collègues pratiquent ce type d’expériences pédagogiquesmêlant créativité, éthique, culture et certains d’entre eux n’ont pas eu letemps de terminer la rédaction de leur article, Entre-vues compte bien vousdonner une suite au prochain numéro.

Paraphrasant une formule que j’emprunte à je ne sais plus quel illustreprédécesseur, je dirai : "la Culture pour donner forme au Sens".

Michèle Coppens.

Déclaration universelle des droits de l’homme, J.-M. Folon

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IntroductionPartie internationale

Lors de la formation organisée en novembre 201 à Han-sur-Lesse, il nous parutintéressant, à Michel Tozzi et à moi-même, de faire connaître de manière un peu plussoutenue les préoccupations, les recherches et pratiques en cours dans divers paysqui s’intéressent à la formation philosophique et à l’éducation à la citoyenneté.

C’est ainsi que nous avons eu l’idée d’échanger des articles : Diotime publierait desarticles en provenance de Belgique et d’ailleurs (ce qu’il fait déjà d’ailleurs) et Entre-vues publierait des articles en provenance de France et d’ailleurs.

Que Michel Tozzi soit ici remercié pour son intéressante contribution à ce projet,c’est ainsi que, grâce à ses contacts, nous pouvons vous offrir, entre autres, un articlede G. Talbot, l’auteur de la découverte de Phil et Sophie ainsi que d’autres articlesreflétant les pratiques et préoccupations françaises.

Quant à Entre-vues, nous lui avons envoyé trois articles :- le sens de l’introduction de la philosophie dans le cours de morale, par Michel

Bastien,- l’éducation morale comme expérience de pensée et d’être, par G. Castorini- l’utilisation des dilemmes moraux dans la pédagogie de la morale, par Michèle

Coppens.

Ces articles seront publiés dans Entre-vues prochainement.Notre espoir à tous est que ces échanges suscitent de nouvelles rencontres etréflexions.

Michèle Coppens

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Par-delà le nihilismecontemporain,

la recherche de notre identité

Gilbert TalbotProfesseur de philosophie, Cégep de Jonquière, Québec, Canada

J’enseigne la philosophie dans uncégep québécois depuis maintenant28 ans. Je m’y adresse à des jeunesen pleine transition entrel’adolescence et le monde adulte.Cette période transitoire constitue unmoment critique essentiel pour ledéveloppement du concept de soi. Lajeunesse vit alors des expériencesdéterminantes, que l’on peutqualifier de sacrées. Tout commedans les époques antérieures et ce,depuis l’origine de l’humanité, ellecherche à satisfaire sa recherched’absolu dans les délires queprocurent les drogues, la danse et lamusique. Ce délire, selon lapsychanalyse freudienne, n’est nifolie, ni état démoniaque, comme ona trop souvent tendance à le croire. Ilest simplement une hallucination,c’est-à-dire une sorte de rêve éveillé,qui amène à la conscience lesfantasmes inconscients qui, s’ils nepouvaient s’extérioriser, entraîne-raient alors une psychose beaucoupplus dangereuse. 1 De fait, laviolence, les déséquilibres mentauxet le suicide individuel et collectif,bat de tristes records actuellementparmi les jeunes hommes québécois.Écoutez comment en parle ce prof dephilo du cégep François-XavierGarneau, à Québec :

Là où il n’y a plus de mots, il n’y aplus de vie. C’est le langage qui noussort du vide, qui sacralise certainesde nos images mentales, qui enrejette d’autres, puis qui intègre lesimages sélectionnées dans la visiondu monde en construction. C’est doncpar le langage que s’amorcera lareconstruction de l’expérience desjeunes qui passent de l’adolescenceau monde adulte.

Pour m’aider dans mon travail, j’aifait appel à l’approche de lacommunauté de recherche mise aupoint par Matthew Lipman enphilosophie pour enfants, que j’aiadapté au contexte culturelparticulier aux cégeps québécois.Le roman Phil et Sophie ou de l’êtrehumain que j’ai écrit expressémentpour le second cours de philosophiecollégiale, met en situation diffé-rentes définitions de l’humain : cellesde Descartes, Rousseau, Marx etFreud entre autres. Le dernierchapitre, nous ouvre la porte de

1 Sur le délire en psychanalyse, voir : CROUFER, Michel. Psychanalyse et délires : les déroutes du rêve, in Filigrane, no 3, 1994, pp. 119-28

2 Extrait de CHABOT, Marc. Le suicide et les hommes. Conférence prononcée à Rimouski, le 6 février 1998. Compte rendu publié dans Le Devoir, sous le titrePourquoi tand d’hommes se suicident-ils ? 14-15 mars 1998, p.A13

“Le suicide est un échec, un cas limite, une transgression. La dernière.Le suicide c’est toujours un humain qui est en train de dire : là où je suis,personne n’entend. Là où je suis, je n’ai plus de mots” 2

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l’existentialisme moderne deNietzsche à Sartre en passant parMounier et Simone de Beauvoir. C’estl’époque du nihilisme et de la mortde Dieu. C’est notre époque, celledans laquelle mes étudiants doivents’insérer ou mourir. Dans ce contexteidéologique, la question de l’Absoludemeure la question cruciale àlaquelle la jeunesse doit répondre,pour trouver son identité. Ladiscussion en communauté derecherche autour de cette questiontraversera les étapes tracées parl’histoire de la pensée : acceptationpuis rejet du Dieu transcendant (lafigure de l’autorité parentale diraitFreud), passage par le panthéisme etl’immanentisme pour en arriver aunihilisme où, du fond de l’abîmel’individu comprendra peut-êtreenfin, qu’il en revient à lui et à luiseul désormais de déterminer le sensde sa vie et de ses valeurs.

Cette approche nous éloigne de cellequ i veu t que l a j eunessed’aujourd’hui rejette toutes lesvaleurs et qu’elle soit vulgairementmatérialiste. À travers les discus-sions en communauté de recherche,les jeunes échangent sur leurspropres visions du monde, qu’ils sonten train de construire pour eux-mêmes et par eux-mêmes. Ilsparticipent à cette grande recherched’identité avec toute l’exhubérancedionysiaque, nous dirait Nietzsche.En même temps, la recherche deraisons valables amène à leursdiscussions la pondération del’apollinisme, les deux pôles del’esthétisme nietzschéen. Dans cecourt texte, je vous présenterai etdéfendrai l’idée centrale de ma thèsedoctorale en philosophie pour

enfants qui considère la communautéde recherche d’abord comme uneconstruction esthétique, dans et àtravers laquelle émergeront lesquestions philosophiques des jeunes.Bien des professeurs de philosophierefusent de discuter de la question deDieu avec leurs élèves, sous prétexteéthique du respect des croyances, ouplus rationalistes, pour contrer, selonleur dire, l’irrationalité inhérente àcette question. Il faut bien l’admet-tre, cette question fait peur, car il estvrai qu’elle peut amener un débatdes plus irrationnels, s’il n’est pasbien encadré par la communauté, sicette communauté n’est pas aguerriepar l’expérience de la critique, de lacréativité et du respect des indi-vidualités dans le groupe. Quandnous abordons cette question dansune communauté bien formée, alorsnous pouvons toucher aux pierres quiconstruiront leur nouvelle métaphorede l’Absolu. La vie avant et après lamort, la relation entre l’esprit et lamatière, la communication avec lesmorts, la réincarnation, toutes cesquestions d’actualités cruciales quise confrontent aux réponses de lascience et du nihilisme ambiant. Toutse passe comme si nous retournionsaux sources du mythe, de tous lesmythes, de toute l’humanité, à cesquestions que devaient se poserl’homme préhistorique, en train depeindre ses chefs d’oeuvres sur lesmurs des grottes d’Altamira ou deLascaux. Les philosophes devrontbien l’admettre un jour : dès ledépart, l’humanité cherche un sens àtravers l’art. Retourner aux sourcesdes vieux mythes, et par delà, pourréinterpréter pour eux-mêmes et pareux-mêmes les mystères de l’univers,pour dévoiler à nouveau le sens, tel

est le rôle difficile, mais si essentielde la communauté de recherchephilosophique.

1. De la musique avanttoute chose

C’est Paul Verlaine, qui dans sonpoème sur l’art poétique nous dit:“De la musique avant toute chose”. 3

Avant d’être mélodie, la musique estd'abord rythme et mouvement,entrecoupés de silences. Le premierrythme - le rythme cardiaque - futprobablement battu par des mainshumaines et les mouvements desautres parties du corps donnèrentprobablement les premières danses.Cette expérience esthétique trouvesa plénitude dans les danses etchansons populaires :

La chanson populaire est unesynthèse de rythme, de mouvement,de parole et de musique. PourNietzsche, la musique est l’élémentde base, qui lie l’ensemble :

3 VERLAINE, Paul: Art poétique, in, RICHER, Jean: Paul Verlaine, col. Poètes d’aujourd’hui, éd. Seghers, Paris 1967, p. 192

De la musique avant toute chose,Et pour cela préfère l’ImpairPlus vague et plus soluble dans l’air,Sans rien en lui qui pèse ou qui pose...

De la musique encore et toujours,Que ton vers soit la chose envoléeQu’on sent qui fuit d’une âme en alléeVers d’autres cieux à d’autres amours

“La chanson, écrit PierreFournier, occupe une placeimportante dans nos vies. Elle ale pouvoir de créer, detransporter et de transformer noshumeurs. Elle exprime la joie, lapeine, la colère ... Elle estporteuse d’espoir.”. 4

4 FOURNIER, Pierre. De lutte en turlutte. Une histoire du mouvement ouvrier québécois à travers ses chansons, édition du Septentrion, Québec 1998,introduction et texte à l’endos de la couverture.

5 NIETZSCHE, F. La naissance de la tragédie, trad. Geneviève Bianquis, coll. idées, nrf, Gallimard, 1949, p. 43

La chanson populaire nousapparaît d'abord comme reflet dumonde dans la musique, mélodieoriginelle en quête d'un rêve quilui convienne et qu'elle exprimedans la poésie. La mélodie estdonc l'élément premier etgénéral, qui par conséquenttolère différentes objectivations etdifférents textes. 5

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11 CF, CHABOT, Marc. N’être rien , Éditions du Loup de Gouttière, Québec, p.10

N’être rienOu si peuQue cela ne ferait plus aucun bruit

N’être rien DéfinitivementContre ShakespeareQui ne cesse de se le demander

Décider pour de bonN’être rienContre ceux qui nous veulentquelque chose

Et toujours d’après Nietzsche, c'est lecourant dionysiaque qui est àl'oeuvre lorsque, dans les époquescomme la nôtre, la chanson populairedomine. Le Dionysos de Nietzsche,c’est le dieu grec des arts lyriques, del'ivresse et de la passion. C’est leDyonisos que nous présente Euripidedans ses Bacchantes : “Ce filsrugissant et grondant (bromios) queZeus eut d’une mortelle, la princessethébaine Sémélé 6, fait partager à sesfidèles son goût pour les lacérationsde chairs vives” . Ce rituel procureune telle ivresse aux fidèles de ceDyonisos orgiastique, qu’ils entrentdans une sorte de délirehallucinatoire :

C’est ce Dyonisos qui anime toutesles passions, initie à toutes lesdrogues de tous les peuples primitifsou modernes, jusqu’à la jeunessed’hier et d’aujourd’hui. Van Gogh enest un bon exemple. Il écrivait à sonfrère Théo, en mai 1890 : “En dedans

de moi, il doit y avoir quelqu’émotiontrop forte...” Et le 27 juillet suivant,après avoir peint un long chemin desable, qui traversait une colline, sousun ciel vide, il se tirait une balledans la poitrine. On trouva ce motdans sa poche : “Mon travail à moi,j’y risque ma vie, et ma raison y asombré”. 8 L’artiste, autant par sontravail, que par l’alcool et la drogue,a sombré dans ce vide où toutesubjectivité s’annihile :

Il serait faux de conclure que tous lesartistes sont fous, ou à peu près. Ceque je veux rappeler, c’est plussimplement que tous les humains,comme le soulignait Freud,franchissent quotidiennement lafrontière entre le normal et lepathologique :

Nietzsche nous rappelle cette vieillehistoire du roi Midas. Midas avaitchassé longtemps le sage Silène, lecompagnon de Dionysos. Quand ill’eut finalement attrapé, le roi luidemanda quelle était la chose la plusdésirable pour tout être humain,pensant probablement que le demi-dieu lui confirmerait que c’était l’oret surtout sa possession. Impertur-bable, le demi-dieu ne voulut pasrépondre, mais Midas l’y força. Alorsdans un rire sardonique, il s’écria :

Voilà la question fondamentale de tousles jeunes d’aujourd’hui : peut-êtreaurait-il été mieux que je ne naissepas. Pourquoi alors continuer à vivre ?Pourquoi ne pas mourir tout de suite.

2. La question dusuicide

Dans le dernier chapitre de mon récitphilosophique, Sophie et Phil, mesdeux jeunes héros, improvisent undialogue avec la divinité, à la fin duquelSophie refuse le don de la vie que sondieu lui impose. 13 Refuser de naîtren’est-ce pas l’inverse d’un suicide ?

6 Note de l’auteur :“Fille de Cadmos, le héros fondateur de Thèbes. On constate déjà que ce Dyonisos, fils d’une mortelle, ne peut être le dieu orphique, qui,lui, préexiste à l’humanité” SOREL, R. op. cit. p.69 note 1

7 Note de l’auteur : “La frénésie qu’engendre la dévoration de la chair crue d’un animal déchiqueté tout vif peut verser dans la folie dangereuse qui avaitconduit les Bessares (i.e. les Bacchantes), non seulement à sacrifier des humains pour en goûter la chair, mais à s’entredéchirer : voir Porphyre, Del’Abstinence, II, 8 ”. Ibid. p. 70 note 3

8 Extrait parphrasé de LALONDE, Robert. “J’ai peint ce matin...”, In Le Devoir, 14-15 mars 1998, section livres, p. D4

9 Ibid. p. 21

10 FREUD, Sigmund. Cinq psychanalyses, P.U.F. Paris, 1977, note 1 pp.184-5

Hallucinées les Bacchantes croientvoir sourdre des fontaines de lait,de vin et de miel; à peine ont-elles entendu les mugissementsd’un troupeau au loin qu’ellescessent de donner le sein à desanimaux sauvages couronnés delierre et de liseron pour bondir etfondre sur les bêtes qu’ellesdéchirent...Plus encore : Dyonisos Omestès,le mangeur de viande cruepouvait être affamé de chairhumaine et entraîner ses adeptesà se livrer à l’allélophagie, l’actionde s’entremanger. 7

Que ce soit sous l'empire debreuvage narcotique dont parlentles hymnes de tous les peuplesprimitifs, ou à l'approche duprintemps qui émeut la naturetout entière d'un prodigieuxfrémissement de joie, on voits'éveil ler ces mouvementsdionysiens qui, s'intensifiant,abolissent la subjectivité del'individu jusqu'à ce qu'il s'oubliecomplètement. 9

“La frontière entre les étatspsychiques que l’on dit normauxet ceux que l’on appellepathologiques est d’une partconventionnelle et d’autre part sifluctuante que vraisemblablement,chacun de nous la franchit plusieursfois au cours d’une journée” 10

Malheureuse race d’éphémères,fils du hasard et de la peine,pourquoi m’obliges-tu à te diredes paroles qui ne te profiterontguère ? La meilleure chose aumonde est hors de ta portée : nepas être né, n’être pas, n’êtrerien. 11 En second lieu, ce quivaudrait le mieux pour toi, c’estde mourir bientôt. 12

12 La naissance de la tragédie, op. cit. p. 32

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Pour un nihiliste, le suicide est un gesteabsurde, dans le sens qu’il ne porte enlui-même aucune signification, aucunevaleur pouvant nous libérer de notreangoisse fondamentale. Cependant, le geste de Sophie est luiun geste libérateur, serein, uneréponse à la question : être ou ne pasêtre ? De fait, ce n’est pas Sophie quimeurt, puisqu’on la retrouve, après lapièce, bien vivante, parmi ses amisfêtards. Non celui qui ne revientplus, c’est dieu. C’est ainsi queNietzsche annonce le nihilisme, parla mort de Dieu. : “Le Dieu qui voyaittout, et même l’homme, il a fallu qu’ilmourût. L’homme ne souffre pas delaisser vivre un tel témoin.” 14 Dieumeurt et avec lui toute autre formed’idéal, pouvant servir de but àl’individu. Cependant, la mort deDieu ne met pas fin au nihilisme, elleen est la source. On peut toujoursinventer un autre Paradis.

3. Par-delà le nihilismecontemporain

Depuis Nietzsche, le nihilismecontemporain a évolué vers unhédonisme radical. À la fin de monlivre, M.Diogène, le prof de philo,révèle en effet aux jeunes de laclasse de Phil et Sophie cette autrefaçon de vaincre l’angoisse de notrenature divisée entre le ciel et la terre,dans le Carpe Diem 15, dans lajouissance du moment présent. Au-delà de l’absurde et de sa nostalgiede la perte de sens, au-delà de lamort de Dieu annoncée en grandespompes par Nietzsche, au-delà del’angoisse existentielle surgît l’èrecontemporaine du vide :

La recherche du sens devient unequête individuelle, pour ne pas direindividualiste, qu’on retrouve aussibien dans les activités des sectesreligieuses, que dans l’idôlatrie desvedettes en tout genre, ou dans lesexploits sexuels ou sportifs. Car telssont les dieux contemporains Marchéet Spectacle, qui exploitent tous lesmythes anciens et modernes, qui encréent de nouveaux dans l’espacevirtuel, qui unifie la planète dans latoile d’araignée de l’Internet. Danscette jungle urbaine où des sensvitaux, contradictoires, nousattendent à chaque coin de rue, lajeunesse doit développer son espritcritique, créatif et éthique pour s’yretrouver, démêler la pelote toutenmêlée des différents fils d’Ariane.La philosophie en communauté derecherche est l’un de ces moyensqu’on peut fournir aux jeunes pours’y retrouver, démêler les questionset confronter les réponses.

Alors oui, dans cette recherche il fauttuer tous les anciens dieux pourreconstruire le sens de notreexpérience. Dans cette reconstruction del’expérience, la créativité fournit lesmatériaux, la critique les structure,et l’éthique en fournit le mortier. Et de fait, ce cours sur l’Être humaindébouche, dans le curriculum du

cégep, sur un autre cours, Éthique etPolitique, dont il est la préparationimmédiate . Notre programmeprésuppose donc qu’avant touteéthique et toute politique, il fautdévelopper notre compréhension del’humain contemporain pour que lesjeunes puissent découvrir par et poure u x - m ê m e s u n f o n d e m e n tanthropologique aux valeurs surlesquelles elles et ils fonderont leurvie d’adulte.

9

Le vide de sens, l’effondrement des idéaux n’ont pas conduit comme onpouvait s’y attendre à plus d’angoisse, plus d’absurde, plus de pessimisme.Cette vision encore religieuse et tragique est contredite par la montée del’apathie de masse dont les catégories d’essor et de décadence,d’affirmation et de négation de santé et de maladie sont incapables derendre compte. Même le nihilisme “incomplet” avec ses ersatz d’idéauxlaïques a fait son temps et notre boulimie de sensation, de sexe, de plaisirne cache rien, ne compense rien, surtout pas l’abîme de sens ouvert par lamort de Dieu. 16

13 Cf Suki p. 115 le poème de Louis MacNeice : Prayer Before Birth, qui se termine ainsi :

Let them not make me a stone and let them not spill me (Ne les laisse pas faire de moi une roche et ne les laisse pas me gaspiller)Otherwise kill me (Autrement tue-moi)14 Les citations suivantes de Nietzsche sont des extraits apparaissant dans : DELEUZE, Gilles. NIETZSCHE, col. Sup “philosophes”, Presses Universitaires deFrance,, Paris, 1968, 97p15 Carpe Diem est aussi la devise libératrice du Montclair State University, alors qu’à L’université Iberoamericana c’est la vérité qui rend libre : verdad noshara libres16 LIPOVETSKY, Gilles. L’ère du vide, essai sur l’individualisme contemporain, col. les essais CCXXV, nrf Gallimard, 1983, 247p

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Comment le débat argumentépeut-il contribuer à

une éducation démocratique,à la fois civile et citoyenne ?

Jean-François Chazerans

Professeur de Philosophie, Lycée Edouard BranlyMission Académique aux TICE,

Centre Régional de Documentation Pédagogique -- Poitou-CharentesAnimateur du café-philo du Gil Bar à Poitiers (France)

Et président de Philopartous

Depuis trois ans sont introduits aulycée, niveau par niveau, des coursplutôt originaux d’une discipline quin’en est pas une, d’une trans-co-discipline : l’Education CiviqueJuridique et Sociale ou ECJS. Outrela continuité des savoirs étudiés quiprennent leur source dansl’éducation civique au collège, laraison invoquée par les responsablesde l’éducation pour justifierl’introduction d’une telle non-matièreest explicitement politique, formerdes citoyens autonomes et actifs :"Grâce à ce processus [l’ECJS] doits’épanouir, à terme, un citoyenadulte, libre, autonome, exerçant saraison critique dans une cité àlaquelle il participe activement" 1.Pour ce faire il a été introduit une

autre nouveauté qui va dans ce mêmesens d’émancipation et dans le sensde l’ECJS comme co-trans-disci-pline: la mise en avant du débatargumenté comme "support pédago-gique naturel" de préférence à dessupports plus classiques tels que parexemple le cours magistral. Cettemise en avant du débat doit bien sûrrépondre à "la demande expriméepar les lycéens lors de la consultationde 1998 sur les savoirs, de pouvoirs'exprimer et débattre à propos dequestions de société" 2 mais, ce "n'estni concession démagogique faite auxélèves ni soumission à une mode" 3.

Surtout ce choix du débat argumentéest axé explicitement sur lapromotion de l’activité et de

1 Bulletin officiel du ministère de l’Éducation Nationale, HS n°6 du 31 août 2000.

2 Id.

3 Id.

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l’autonomie du sujet. D‘abord il"permet la mobilisation, et doncl'appropriation de connaissances àtirer de différents domainesdisciplinaires : histoire, philosophie,littérature, biologie, géographie,sciences économiques et sociales,physique, éducation physique...notamment, mais non exclusive-ment." .Ensuite "Il fait apparaîtrel'exigence et donc la pratique del'argumentation." Les précisions quisuivent : "Non seulement il s'agitd'un exercice encore trop peu présentdans notre enseignement, mais au-delà de sa technique, il doit mettre enévidence toute la différence entrearguments et préjugés, le fondementrationnel des arguments devant faireressortir la fragilité des préjugés"orientent encore le débat argumentévers l’activité, l’autonomie et laresponsabisation de l’élève futurcitoyen. Par contre les restrictionsqui viennent après : "Il doit doncreposer sur des fondementsscientifiquement construits, et nejamais être improvisé mais êtresoigneusement préparé. Cela impli-que qu'il repose sur des dossiersélaborés au préalable par les élèvesconseillés par leurs professeurs, cequi induit recherche, rédaction,exposés ou prises de parolecontradictoires de la part d'élèvesmis en situation de responsabilité et,ensuite, rédaction de comptes rendusou de relevés de conclusions" 4 nevont-elles pas à l’encontre de ce quiest d’abord visé ? En bref si le choixest clair : c’est l’activité du citoyenqui est mise en avant, le texte est loinde l’être : comment le débatargumenté peut-il contribuer à une

éducation démocratique, à la foiscivile et citoyenne dans un cadreimposé aussi restreint et directif ?

La plupart des auteurs qui se sontpenchés sur la question du débat enECJS ont commencé par le distinguerde formes qui leurs semblaientexistantes. Philippe Perrenoud tentede définir ce débat comme " débatargumenté " ou " démocratique " ledistinguant du débat d’opinion ou"médiatique" et dont le modèle seraitle débat "scientifique" 5. D’autresauteurs ajoutent une autre dimensionqui sert de repoussoir : la discussiondu café de commerce 6. FrançoisGalichet quant à lui le distingue,nous pensons avec raison, dudialogue socratique 7.

A y regarder de plus près, si nouscomprenons ce qu’est le débatmédiatique c’est-à-dire le face-à-facetélévisé, ou le dialogue socratique,nous avons des difficultés à nousreprésenter ce qu’est un débatscientifique et de discussion de cafédu commerce. D’abord l’activitécollective scientifique est-elle"débat" ou "recherche" ? N’est-cepas même parce qu’il s’agit deprobable plutôt que de certitude qu’ilpeut y avoir "débat" 8 ? Pourquoidonc aussi le définir comme"scientifique" 9 ? Et pourquoi ne pasnommer un tel débat, débat"philosophique" ? Car, et il n’en estquestion nulle part, ce débatargumenté n’est-il pas en fin decompte un débat "philosophique" ?Ensuite, et cette remarque est dans lacontinuité de la précédente, de quoiest-il question lorsqu’on parle de

4 Id.

5 Philippe Perrenoud, " le débat et la raison ", Les Cahiers pédagogiques, supplément n°4, oct-nov. 1998

6 Par exemple : " Le débat argumenté " sur le site de l’université d’Aix (http://sceco.univ-aix.fr/cerpe/debatarg.htm ) ou

7 François Galichet, " les enjeux philosophiques du débat citoyen ", Les Cahiers pédagogiques, n°401, février 2002, p. 13.

8 " La nature même de la délibération et de l’argumentation s’oppose à la nécessité et à l’évidence, car on ne délibère pas là où la solution est nécessaire et l’onn’argumente pas contre l’évidence. Le domaine de l’argumentation est celui du vraisemblable , du plausible, du probable, dans la mesure où ce dernier échappeaux certitudes du calcul " (Ch. Perelman, L. Olbrechts-Tyteca, Traité de l’argumentation, Editions de l’Université de Bruxelles, 1970, p. 1).

9 " Au bout du compte, les sciences de l’éducation sont aujourd’hui très largement aux mains des didacticiens et des sociologues, après avoir été dominées, àl’origine, par les psychologues " dit Philippe Meirieu dans son débat avec Denis Kambouchner, Revue Française de Pédagogie, n°137, oct-nov-déc 2001, p. 8.

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"discussion de café du commerce" ?Est-ce de la discussion monologuéede deux poivrots ou du "café-philo"ou est-ce tout simplement du café-philo réduit à une discussionmonologuée de poivrots ? Car enfin,et il n’en est question nulle part 10, cedébat argumenté n’est-il pas undébat "philosophique de café" ?Nous considérons que nousphilosophons dans les débats quenous menons dans notre café-philodu Gil Bar à Poitiers car chacunpense par lui-même, c'est-à-direacquiert l'autonomie par rapport à cequ'il pense et par rapport à ceux quisavent, mais aussi pense avec lesautres pour s'enseigner mutuelle-ment. Si nous prêtons vraimentattention au contenu, la plupart desdébats sont des constructionscollectives qui ont leur cohérencepropre. Il ne s’agit pas de tout etde n’importe quoi, de proposincohérents mais bien d’un dialoguecollectif qui s’auto-structure et qui asa propre organisation 11. Il noussemble donc qu’un réel débat d’ECJSest un débat "philosophique", oumieux est un débat "café-philosophique", limité peut-être audomaine "politique", mais un débatphilosophique au sens plein tout demême.

Bien plus, entre les débatsscientifique, médiatique, du café ducommerce, socratique, philoso-phique, il nous semble qu’il manqueun terme. Comment se situe le débat

ECJS par rapport au débat politiquedes assemblées d’élus (AssembléeNationale, Sénat, Conseil Municipal,Conseil d’administration…) ? Aufond, personne ne le préciseexplicitement mais le débat ECJSn’est-il pas considéré de prime abordcomme débat politique desassemblées d’élus ? Par exemple,pour Jane Méjias, il y aura dans untel débat un ou deux élèves"animateurs" et le professeur quisera "régulateur" 12. Pour MFRossignol, MS Claude, C Ponsich, ily aura un président de séance, unaccesseur, 4 à 8 intervenants, 2 ou 3rapporteurs et 4 observateurs. MêmeMichel Tozzi distingue différentsrôles dans les débats : président,synthétiseur, reformulateur, secré-taire, participants et observateurs 13.

Toute l’ambiguïté du débatargumenté proposé par les textes etmis en œuvre en classe par lesenseignants est là : s’agit-ild’éduquer le citoyen à notre systèmepolitique : la démocratie repré-sentative en orientant les textes versune organisation prédéfinie, ou del’éduquer à la politique, c’est-à-direà être "adulte, libre, autonome,exerçant sa raison critique dans unecité à laquelle il participeactivement" 14 ? En théorie c’est laseconde solution qui semble visée,mais n’est-ce plutôt la première quiest mise en pratique ?

Au fond, notre système politique

n’est pas si "démocratique" qu’onvoudrait nous le faire croire. Noussommes citoyens dans unedémocratie représentative et tout lemonde semble d’accord : être citoyenc’est être élu, ou, comme l’écrivaitAristote "un citoyen au sens plein nepeut pas être mieux défini que par laparticipation à une fonctionjudiciaire et à une magistrature" 15.Mais qu’en est-il des électeurs qui nesont pas des élus ? Cette éventualitésemble impensable pour un grecmais pourtant chez nous la quasi-totalité des électeurs ne sont pas desélus et nous les considérons biencomme des citoyens au sens plein. Ils’ensuit que l’on va essayer decantonner l’éducation à lacitoyenneté à cautionner notresystème au lieu de le réfléchir, àapprendre aux élèves à déléguer leurpouvoir par le vote et, pour uneinfime minorité, à agir à la place lesautres. Il y aura les élections dedélégués, le conseil des délégués, leconseil de la vie lycéenne, le foyersocio-éducatif et la maison deslycéens… Comme si la démocratiereprésentative était le seul systèmevalable, comme si la démocratiereprésentative était indépassable.

Il est assez clair aussi que d’un côtéla politique, et c’est le sens propre dela démocratie, est le pouvoir aupeuple, qui implique égalité devantla loi (isonomie) mais aussi égalitésociale (équité) et égalité de pouvoirs(isocratie). D’un autre, et c’est ce qui

10 Dans la littérature concernant le débat et l’ECJS on trouve une seule fois nommé le café-philo dans l’article de Michel Vignard, En philosophie du tempsperdu ? in Les Cahiers Pédagogiques, n°401, février 2002, cela seulement pour servir d’exemple de concept bas de disputatio.

11 Pour de plus amples développements voir : Jean-françois Chazerans, Fait-on de la philosophie dans les cafés-philo ?, Diotime / l’Agora, n°3, septembre1999, http://www.ac-montpellier.fr/ressources/agora/ag03_039.htm ; Jean-François Chazerans et Jean-Pierre Seulin, Philosophe-t-on vraiment au café-philo ?Article à paraître dans Comprendre le phénomène café-philo - Les raisons d'un succès mondial en 30 questions. Ouvrage collectif sous la direction de YannisYoulountas. http://www.pratiques-philosophiques.net/contribu/contrib24.htm et Jean-François Chazerans et Jean-Pierre Seulin, Tout le monde peut-ilphilosopher? Article à paraître dans Comprendre le phénomène café-philo - Les raisons d'un succès mondial en 30 questions. Ouvrage collectif sous la directionde Yannis Youlountas. http://www.pratiques-philosophiques.net/contribu/contrib25.htm

12 Intervention de Jane Méjias, au cours de l'université d'autome de Paris, consacrée à l'ECJS en novembre 99 http://www2.ac-lyon.fr/enseigne/ses/ecjs/argumenter.html

13 Par exemple Kristel Godefroy et Michel Tozzi, " Enseigner le débat : quelle formation ? " in Les Cahiers Pédagogiques, n°401, février 2002.

14 Bulletin officiel du ministère de l’Éducation Nationale, HS n°6 du 31 août 2000.

15 Aristote, Les Politiques, III, 1, trad. Pellegrin, Garnier-Flammarion, 1990, p. 207.

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existe en réalité, la politique estdomination, égalité des droits, égalitédevant la loi bien sûr, mais ellerepose l’inégalité sociale (injustice),l’inégalité des pouvoirs et lahiérarchie des individus et cherche àles justifier et à justifier l’ordreétabli. La politique est lutte entre despartis, mais surtout entre des partiesde la société, des classes ou descatégories sociales. Elle est l’art degérer la cité mais aussi l’art degouverner, c’est-à-dire d’imposer sonpouvoir sur les autres.

Il en est de même pour l’introductionde l’ECJS et la mise en avant dudébat argumenté. Il y a certainementdes raisons pas très avouées d’ordrepublic (sécurité) et avouablesd’exigence démocratique (liberté etégalité) pour justifier une telleintroduction. Mais de débattre arendu les choses plus lisibles : à lalumière de cette ouverture notredémocratie se montre plus formelleque réelle. La tentation est granded’essayer de limiter le champ del’autonomie pour éviter que l’activitécritique ne s’attaque aux fondementsmême du pouvoir et de ladomination. Non seulement le débata été proposé et pratiqué dans lecadre strict de la démocratiereprésentative, bureaucratique ethiérarchique, mais, de plus, tout àété fait pour éviter de réfléchir sur lasituation de domination. Mais celan’est pas si efficace. Le " débat "libéré est libérateur et peut être aussiune façon de rompre avec un telsystème politique inégalitaire danslequel celui qui a l’autorité ou lepouvoir ne peut que chercher àmaintenir ses subordonnés dans leur

minorité en pensant et agissant à leurplace.

Cela n’est pas possible dans un débatréellement démocratique, un débatphilosophique 16, où tout le monde està égalité du point de vue de la paroleet où chacun parle pour lui-même.Lorsque nous participons à un teldébat, non seulement nous assistonsen direct à la faillite de l’opinementet de la crédulité, mais aussi à lafaillite de toutes les tentatives dedomination. Et, c’est en cela que ledébat argumenté contribue à uneéducation démocratique, à la foiscivile et citoyenne. Pour arriver àmettre en place un débat réellementdémocratique où tout le monde est àégalité du point de vue de la parole etoù chacun parle pour lui-même, pourgarantir l’activité, l’autonomie, laresponsabilisation et l’émancipationde chacun, en bref que chacun soitl’acteur de lui-même et de sa pensée,il faut d’abord mettre en place desmoyens qui permettront la faillite dela domination et empêcheront lesnouvelles tentatives, il faut ensuitefavoriser la faillite de l’opinement etde la crédulité. Nous préconisonsdans un premier temps et de façontransitoire, l’utilisation d’interve-nants extérieurs formés à une tellemanière de philosopher. Leurprésence devrait permettre auxenseignants de se décentrer, delâcher prise et de chercher às’abstenir de transmettre quoi que cesoit et, en particulier, des savoirs etdes connaissances. L’action de cetintervenant extérieur est une non-action ou plutôt un effacementprogressif afin de laisser le groupes’ériger en communauté de réflexion

et de recherche, afin de laisserémerger son discours collectif. Ils’agit proprement, et pourl’intervenant, et pour l’enseignant etpour la classe de philosopher c’est-à-dire de penser par soi-même etensemble, de dialoguer collecti-vement 17. Dans un second tempsnous préconisons un enseignementvraiment philosophique donné parles enseignants eux-mêmes. Pour cefaire il faudrait que le philosophersoit étendu dans l’enseignement àtoutes les classes terminales ycompr i s ce l l e s des LycéesProfessionnels dans un premiertemps, jusqu’à la seconde dans undeuxième temps, au collège dans untroisième temps, et à l’école dans unquatrième temps 18. Il faudrait aussiréfléchir à son extension àl’université et dans les grandesécoles. Il faudrait arriver à ce que laphilosophie ne soit plus considéréecomme une discipline à part maisqu’elle soit présente au sein même detoutes les matières, que tous lesenseignants soient philosophes etque tout le monde le soit.

16 Effectivement le débat qui se déploie dans une démocratie représentative, qui n’est pas débat mais au mieux " face à face " télévisé et au pire dialogue desourds et rapport de force et de domination, ne peut pas être philosophique. Seul le débat démocratique direct, où tout le monde est à égalité et où chacun neparle pour lui même, peut l’être.

17 Pour de plus amples développements voir : Jean-françois Chazerans, La méthode de l’intervenant en philosophie par les enfants, http://www.pratiques-philosophiques.net/contribu/contrib33.htm

18 Cela doit se doubler par la mise en place d’un horaire raisonnable pour tous les élèves (au moins 4 heures par semaine).

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Parler “sur” la morale pour ne pas la faire ?

Par Virginie Krier, professeur documentaliste, Christophe Montfort, professeur de français,

Christine Vallin, professeur d’éducation musicale au collège Jean-Mermoz de Chauffailles, Sâone-et-Loire

Pour la deuxième année, notrecollège, rattaché à une section

professionnelle, a mis en place desdiscussions philosophiques avecune classe de 5ème , un grouped’élèves volontaires de 4ème et3ème et ponctuellement une classede terminale BEP productique-mécanique. Nous sommes quatreenseignants à les animer, enbinôme pour chaque groupe.

S’il est un sujet sur lequel nous nesouhaitions pas écrire de primeabord, ni même aborder directementavec les élèves, il s’agissait bien de lamorale ! Morale injonctive du “Faiscomme cela !”. Morale qui faitl’économie d’une pensée personnelledu “Ça, c’est bien, ça c’est mal”,morale sclérosante contre laquellel’adolescent se rebellera ou àlaquelle il obéira pour son confort

immédiat et pour celui des adultes.Nos représentations allaient àl’encontre de notre souhait de libertéde pensée pour les élèves, dans lecadre de la discussion philosophique,et nous dissuadaient fortement d’allerdans cette voie.

Et puis l’idée a fait son chemin, muepeut-être par cette phrase sur laviolence à l’école, insupportable pourqui veut se mettre en positiond’acteur : “Ces actes se multiplient !Non que nous ayons plus de leaders,mais parce qu’on a plus de suiveurs” 1.Resta pourtant présent en nous cettehésitation entre la vision (utopique ?)de Gide (“ Agir sans juger si l’actionest bonne ou mauvaise. Aimer sansinquiéter si c’est le bien ou le mal.(…) Laisse à chacun le soin de sav i e ” 2) , e t l a n é c e s s i t é d e“l'acceptation commune de valeurs

1 Le Monde l’éducation, avril 2002, Jacques Fortin dans “ La violence s’immisce dans le primaire ”.

2 André Gide, dans lesNourritures terrestres.

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sans lesquelles le groupe classe estatteint sur l'essentiel : respect del'interlocuteur, refus des discrimi-nations, parole comme moyen dedénouer les conflits et d’éviter laviolence physique etc… Qui ne voitque ces règles intellectuelles etmorales sont la meilleure façon dedécouv r i r e t de p ra t ique rl'universel?” 3. Pratiquer celui-ciimpliquait d’éviter une forme demorale définie par des règles, deslois, des normes figées, et de passer àune réflexion sur l’éthique, comme“questionnement qui précèdel'introduction de l'idée de loimorale”4: réflexion constitutive de laphilosophie elle-même. Une pratiquesur plusieurs semaines nous amène àtirer quelques constats provisoireset soulève de nombreusesinterrogations.

Des attentes très(trop?) fortes

C’est dans l’institution que nousavons d’abord trouvé ces attentes.Divers courriers parvenus en salledes profs proposaient de revenir surle respect (lors d’une campagne trèsmédiatisée), sur la citoyenneté(depuis plusieurs années), sur laviolence (après les évènements du 11sep tembre ) . Demande f o r t eégalement de la part des collègues ;en effet, alors que la discussionphilosophique était rarement un sujetde conversation, elle le devintponctuellement lorsque plusieursenseignants rencontrèrent desdifficultés pour gérer les tensions enclasse de 5ème ou lors de vols dansune autre classe. Ces attentesd’adultes nous interpellèrent et firentnaître chez nous plutôt une certaineméfiance : si nous ne savions pasencore très bien comment traiter de

la morale en discussion philo, noussavions en revanche, au risque dedéplaire, que nous n’en ferions pasune énième leçon de morale qui nedirait pas son nom. Depuis le débutde l’expérience, nous avions tenté dechercher un équilibre dans laposition de l’animateur, entreobservateur et facilitateur de laparole et des idées, luttant contre lenaturel précepteur de “celui quisait”. Il aurait été malhonnête dedétourner la discussion philoso-phique et de “l’utiliser”, de la mettreau service de valeurs à transmettre,coûte que coûte.

Mais demande également de la partdes élèves : c’est ce que nous avonsnoté à travers les thèmes et lesquestions qu’ils souhaitaient aborder(pourquoi le racisme, la violence, laculpabilité, la guerre ? Est-il difficiled’accepter les différences des autres?etc...). Après relecture, nous avonsconstaté que la moitié des questionss’y rapportait.

Les attentes de l’école et de sesusagers semblent donc particu-lièrement fortes vis-à-vis d’uneréflexion philosophique de la partdes élèves, amenant sans contesteavec elles le danger potentiel pourl’intégrité du dispositif de “plaquer”des lois morales artificielles,extérieures, mais témoignant aussid’un besoin à prendre en compte.

Chroniques d’unéchec?

L’urgence nous est d’abord apparuecomme peu propice à une réflexion“sereine”. Ainsi, après les attentatsaux USA par exemple, nous avionssouhaité aborder le problème avec laclasse de 5ème sous l’angle de la

raison : “Existe-t-il une violencelégitime?”. Mais, alors qu’habituel-lement les élèves semblaient avoirintégré les règles de prise de paroleoù chacun écoute l’autre avant deparler, le dispositif vola en éclats,l’émotion envahit les discours. Si l’onconsidère les quatre aspects relevéspar Michel Tozzi, aspects que nousnous efforçons de faire coexister(aspect psychologique où la paroleconstruit, aspect de la maîtrise de lalangue à travers l’oral réflexif, aspectdémocratique où la règle libère encontraignant, aspect philosophiquepur visant à apprendre à penser parsoi-même), seule la dimensionpsychologique demeura, les autresayant volé en éclat devant l’urgence.Nous avons alors clairement clos ladiscussion philosophique pourpasser à une simple écoute de leurspeurs, de leurs questions pressantes,de leurs incompréhensions, revenantsur des faits à préciser : écoutepsychologique, affective et non plusécoute philosophique, cognitive. Letemps du discours rationnel n’étaitpas encore venu.

Autre constat d’échec lorsque nousnous sommes retrouvés devant unconsensus “bien-pensant” desélèves, évitant d’aborder l’inaccep-table, l’inconcevable. Ainsi lors de laquestion “Est-il difficile d’accepterles différences des autres?”demandée par les élèves, nous avonseu avec la classe de 5èmel’impression de tourner autour dusujet sans réussir à prendre de ladistance, avec de grandes résistancespour qu’ils apportent d’eux-mêmes lacontroverse. On revenait sans cesse àce “Non, ce n’est pas difficile, ilsuffit de le vouloir !”. Hautement“moralisateurs” entre eux, lesélèves? Oscar Brenifier 5 étantintervenu auprès de classes du

3 Philippe Lecarme, “ Pédagogue et républicain ”, à paraître.

4 Paul Ricoeur.

5 Docteur en philosophie, animateur d’ateliers de philosophie.

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collège, nous a apporté quelques“remèdes” que nous avons utiliséspar la suite. Ainsi cet élève, enfermédans des certitudes, a-t-il de lui-même pu avancer une objection à sespropres arguments en changeantmatériellement de place : Thomas 1,Thomas 2. Deux personnes en une,sans crainte de “perdre la face” 6.Importance de la formulation aussi :ainsi, Oscar a transformé unequestion consensuelle “Peut-on êtreraciste?” en une question provocante“Peut-on ne pas être raciste ?”. Pluscomplexe aussi.

Echec encore ou danger dans lessimples mots de bien, de mal ou demorale. Après les discussions, il aété demandé aux élèves de 5ème dedéfinir le mot “morale”, par écrit.Contrairement à l’habitude pourd’autres sujets, nous n’avions pascherché la conceptualisation aucours des discussions, peut-être parcrainte toujours de nos représen-tations d’adultes. Nous n’avionsapporté le mot qu’en point final. Et àla lecture, il est apparu que, enmarge des définitions sorties toutdroit du dictionnaire, la vision desélèves sur le mot “morale” n’avaitpas changé : “la morale, c’est uneéducation exemplaire”, “c’est uneleçon où l’on nous explique quelquechose”, “pour moi, lorsque l’on fait lamorale, c’est quand on me dispute”.Lacune sans doute. Lacuneimportante ? Ou le mot a-t-il peud’intérêt au regard de ce qu’ilrecouvre ? Plus généralement, laquestion de savoir “ce qu’ilsretiennent d’une discussion” se pose:est-ce évaluable, faut-il l’évaluer,est-ce seulement un problème ou unecrainte persistante de l’enseignantd’être inutile ?…Pourquoi, enfin, autour de ce sujet, laneutralité de l’adulte peut-elle

paraître si difficile à garder ? Onpeut rappeler que l’éducateur estétymologiquement celui qui vaconduire l’élève “hors” d’un état,hors de l’animalité, hors del’ignorance pour aller vers l’étatd’adulte, d’Homme. Lorsque l’ontouche à la morale, à l’éthique, donclorsque l’idée rencontre la réalité,cette définition entre en pleinecontradiction avec l’idéal avancé parAlain : “L’esprit ne doit jamais êtreobéissance. (…) Seul avec soi et librede tout ; seul avec l’autre et tous deuxlibres de tout.” 7. S’il semblerelativement aisé de renoncer dans lecadre des discussions philoso-phiques à une des missionsnaturellement inhérente à ce rôle,celui de transmettre un savoir, enrevanche il paraît beaucoup plusdifficile d’abandonner la trans-mission des valeurs. L’envie de réagirlorsque certaines de ces valeursénoncées par les élèves entrent enopposition avec les nôtres est forte.“Entre imposition et proposition, D.Hameline a habilement inventé lemot valise “propimposition”. On“propimpose” des valeurs : touteimposition de l’éducateur n’estqu’une proposition pour l’éduqué” 8.Entre Idéal et réalité, entre être etfonction, peut-on tout accepter sansrenier notre rôle d’éducateur, sansnous r en ie r nous -mêmes?Interrogation…

Trois typesd’approches

Suite à la lecture de textes de Jean-Charles Pettier sur les dilemmesmoraux, nous nous sommes appuyésavec les élèves de terminale BEPpuis avec la classe de 5ème sur unesituation assez “ordinaire” d'une

6 Goffman.

7 Alain, Propos sur l’éducation, propos LXXXIV. Paris, PUF, 1972

8 F. Carraud et M. Tozzi Etre parent avec philosophie.

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classe dans laquelle un bouc-émissaire était injustement accusé.“Que feriez-vous dans ce cas ?”invite alors à considérer les attitudespossibles. Situation ordinaire certesmais sensible puisque plusieursélèves se sont sentis concernés soitpar la place de bouc-émissaire,l’ayant vécue, soit par lestiraillements face à un groupe.Interventions nombreuses pour cetteapproche concrète qui nous ontconduits à aborder le thème du droitde chaque élève et individu, celuides valeurs qui peuvent fairecontrepoids à la pression exercée parle groupe. Qu’en auront-ils gardé ?Aurons-nous réellement respectél’aspect philosophique de nosdiscussions ? Avons-nous évitél’écueil d’une manipulation allantjusqu’à la leçon de morale faite parles élèves eux-mêmes ? “Nécessitéde poser les problèmes dans l'absolu,en rendant compte de positionsdiverses appuyées sur des principesdifférents”, met en garde Jean-Charles Pettier .

Dans deux approches différentes,nous sommes partis avec la classe de5ème et le groupe de 4ème/3ème deleurs représentations du bien et dumal, tentant par là de reconstruire etd’apprivoiser ces notions enintervenant le moins possible sur lecontenu pour éviter cette “leçon demorale” qui nous faisait grandpeur… Nous avons demandé auxélèves de noter au tableau ce qu’ilsclasseraient dans chaque colonnepuis de s’interroger entre eux sur cequi ne leur paraissait pas clair ou nesemblait pas aller “de soi”. Ainsi,l’honnêteté et d’autres valeurs oucomportements inscrits ont soulevédes polémiques (enfin !) : noussortions de l’orthodoxie. Puis nousavons demandé de réfléchir auxpoints communs reliant les termesinscrits dans chaque colonne. Lesdémarches ensuite ont différé selonles groupes. En 4ème/3ème, il s’agit

de rechercher un consensus, d’affinerla recherche autour de ces idées :autour de quelles grandes “lois”pouvons-nous tous nous retrouver ?Demandant de préciser les termespuis mettant en lumière les liensexistant entre les idées de départ, ilne resta ensuite que ces phrases : “Ilne faut pas juger les autres enfonction de ce qui ne dépend pasd’eux-mêmes” ; “il faut considérerchacun comme égal à soi” et “Il fautessayer de faire la paix dans lemonde entier”. “Pourquoi sommes-nous tous d’accord ? Parce qu’il y vade l’intérêt de tous ? Parce qu’il y vade notre intérêt personnel ? Parceque notre éducation nous y oblige ?”.Et Bertrand de citer un aristocratereprésentant pour lui le symbole du“bien”, cet aristocrate qui perdit touten défendant les valeurs révolution-naires qui lui paraissaient justes.Idée du Bien par-delà une visionsociologique des lois moralespréservant la cohésion de lasociété…

En 5ème, l’objectif fut différent :suivant davantage les interventionsdes élèves, la discussion mit envaleur les points de vue divergents :le vol, le meurtre, le mensongeapparurent pour certains fondamen-talement condamnables, pourd’autres parfois nécessaires. Ladistinction entre Idéal et réalitérevint donc, se fit à nouveau moins“tranchée”, laissant la place auxinterrogations morales sans réponsedéfinitive. “Non, il n’existe pas dedictionnaire du bien et du mal”.“Question d’éducation”. “Questionde conscience”.

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L’E.C.J.S., une éducation à la citoyenneté

Michel DARNAUD, professeur de philosophie à Cahors, docteur d’Etat

L’instauration d’un enseignement d’éducationcivique, juridique et sociale en classe de terminale

des lycées constitue non seulement une préoccupationpédagogique de participation, de développement descapacités cognitives et analytiques et d’autonomisationde l’élève en situation d’apprenant, mais aussi uneéducation à la citoyenneté, dans une dimension quitranscende le strict cadre référentiel et institutionnelde l’école. Il s’agit non seulement d’apprendre mais d’apprendre àêtre, et d’acquérir par une auto-formation un statut decitoyen responsable conscient de ses obligations légales etlégitimes au sein d’une collectivité fonctionnant sur desbases identitaires communes. Cela implique l’acceptationde l’autre comme semblable et différent à la fois. Lesfinalités d’un tel enseignement et sa démarcheapparaissent donc multiples. Il devient alors nécessaire depréciser ses objectifs pédagogiques dans le contexte d’uncursus scolaire terminal en fonction de l’horaire attribué(une heure par quinzaine).

Que peut-on attendre et exiger d’un élève de terminaleconcernant l’acquisition, non seulement de connaissancesintra ou extra-scolaires, mais surtout d’une démarcheréflexive plus ou moins occultée jusqu’alors, dans sonsystème référentiel essentiellement basé sur lareproduction d’informations et de savoir-faire ? Cela posela nécessité d’une méthodologie déterminée préalablementpar les acteurs du système instauré, à savoir lesenseignants (mais quel rôle jouent-ils précisément :

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an ima teu r, coo rd ina teu r, donneurd’informations, orienteur ?), les élèves (sont-ils toujours en situation d’apprenant oud’autonomisation ?), et les examinateurschargés d’évaluer la production (reste àpréciser les critères d’évaluation et lesattentes institutionnelles).

Cependant la méthodologie (du débatargumenté) ne constitue qu’un aspect d’unvaste processus intégrant le travail en équipe,la recherche de documents diversifiés ettransversaux (histoire, géographie, sociologie,psychologie, économie, sciences...), laco l labora t ion des documenta l i s tes ,éventuellement d’intervenants ou deconsultants extérieurs à l’établissement, dansdes cadres multiples : salle de classe, CDI,rencontres sur le terrain (hôpital, clinique,maison de retraite, laboratoire, musées,bibliothèque municipale, maison des jeunes,tribunal, centres sociaux, sportifs…).

La production d’un document-bilan finalpasse par la rédaction et la constitution d’undossier argumenté sur une questionpréalablement déterminée en commun . Resteà déterminer le mode de diffusion en classesous forme d’exposé et le processusd’évaluation, sachant que les trois facteursdéterminants concernent le contenu (c’est àdire la qualité de l’information et la maîtrisedes connaissances en relation avec larecherche effectuée), la construction dutravail et sa communication sous forme degestion de l’argumentation dans un débatalimenté et respectueux des différencesd’opinions et de jugements.

Des thèmes sont proposés aux élèves pourfaciliter cette démarche novatrice sous formede fiches d’exemples et de ressourcescomplétées par des questions possibles.Parmi celles-ci : les dons d’organes et degreffes humaines ; les droits et les libertésface à internet ; les risques alimentaires, lacouverture maladie universelle : un droit auxsoins pour tous ; les hommes politiques sont-ils des justiciables comme les autres ? faut-ildonner le droit de vote aux étrangers ? l’effetde serre et la responsabilité planétaire…Atravers ces sujets d’actualité, c’est toute unephilosophie qui s’exprime dans la finalité de

la recherche. Les textes d’accompagnementde ces travaux précisent quatre stades dansleur réalisation :

a) un questionnement impulsant lesorientations de la recherche, l’essentielétant de savoir ce que l’on veut trouver,exposer et montrer, ce qui suppose lacollecte d’informations et la réflexioncollective en conséquence. Mais il s’agit departir des attentes, des interrogations et despréoccupations des élèves, essentiellementpar rapport aux problèmes de société,comme la violence, la drogue, ladélinquance, la misère, la maladie, le sexe,le chômage...

b) une analyse critique des documents et descompétences diversifiées rassemblés, endégageant l’information de l’idéologie quipeut être sous-jacente et tendancieuse,d’autant plus séduisante que l’élève nepossède pas nécessairement les argumentscontradictoires lui permettant dedialectiser ;

c) une diversification des accès et supportsqui présente l’information sous des anglesdiversifiés selon les sources référentielles,d’où la nécessité d’une analysecomparative ;

d) une adaptation de la ressource et desapports de la recherche par rapport auquestionnement initial, ce qui renvoie auré-investissement, à l’assimilation desconnaissances et à une démarcheméthodologique.

Un exemple

A partir de ces quatre facteurs, les élèves d’une terminalescientifique du lycée Clément Marot de Cahors ont établi unchoix parmi les thèmes proposés officiellement, plusparticulièrement ceux qui concernaient le domaine scientifique:dons d’organes et de greffes humaines. La difficulté principalea consisté à cerner une problématique à travers la multituded’interrogations plus ou moins pré-déterminées mais suscitéessouvent par l’avancement des recherches, portant sur les aspectséthique, politique, économique, religieux, moral, médical...

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Le rôle de la philosophie

Dans ce contexte, quel rôle peut jouer laphilosophie dans la didactisation de l’ECJS,qui constitue un enseignement théorique etpratique débouchant sur une prise deconscience de la réalité citoyenne et de sonexigence éthique ? Comment concilierexigence sociale, morale et éthique, si ce n’esten se décentrant et en acceptant autrui commeconstitutif de ma propre identité dans unerelation duelle, dans la mesure ou il m’obligeà m’extérioriser, à connaître, à comprendre età m’interroger sur le sens des valeurs quiconstituent l’humanité et la société ? L’éthiqueest une sagesse pratique dont la finalitéconsiste à donner un sens à sa vie afin detrouver le bonheur.

Il s’agit alors de concilier les exigenceslégales et les particularités individuelles, c’est-à-dire rechercher ce qui peut être nécessairepour bien vivre et vivre ensemble utilement.Cela exige connaissance, réflexion etengagement responsable dans la mesure oùles conséquences de nos actes ont été l’objetde délibération. La philosophie, basée sur larecherche de la vérité et du sens, peutapporter des éléments de méthodologie où setrouvent privilégiés le questionnement, ledialogue, et la clarification des finalités del’éducation civique : responsabilisation etengagement, prise en compte des réalitéssociales au niveau politique, juridique,religieux, économique, intégration etassimilation à une culture, respect du droit àla différence et tolérance. L’éthique nécessiteici une rationalisation de la conduitecitoyenne, une prise de décision concernantles problèmes de société. La philosophie vaproblématiser les définitions donnéesscientifiquement et introduire une délibé-ration individuelle, éthique, concernant lessystèmes de représentation, par exemple dubonheur, du plaisir, du normal, du progrès, dela mort, du corps (biologique ou fantasmé ) : labiotechnologie, la science, la médecine d’uncôté, les conséquences éthiques et sociales del’autre. L’homme est-il de nature corporelle,spirituelle, les deux complémentairement ?

La consultation des "lois" concernant la bio-éthique a étédéterminante et a permis d’établir un plan : - les dons d’organes légaux

a) au niveau législatif ; b) du point de vue biologique et des techniques

médicales ; c) concernant les personnes vivantes et/ou

décédées;- les ventes d’organes et l’illégalité

a) les trafics avec les pays défavorisés ; b) les conséquences au niveau médical ; c) les moyens de répression ;

- les méthodes d’avenir a) prélèvement sur les animaux ; b) clonage ; c) reconstitutions artificielles ;

- et en conclusion, outre l’aspect technico-scientifique etsociologique, le problème de l’identité personnelle et del’autonomie de la personne humaine, le respect du corps,vivant et/ou décédé.

Bien que sommaire, ce plan présente l’avantage de préciser lespré-requis, les finalités, la répartition des domainesd’investigation et du travail en sous-groupes, la mise en placed’un dispositif méthodologique et pédagogique. L’élémentessentiel reste cependant le travail en équipe, la capacitéd’investissement dans la recherche d’une documentationprogressivement élaborée sous formes de références jusque làignorées, occultées ou banalisées, notamment à travers la pressenationale, hebdomadaire et les mensuels littéraires,scientifiques, politiques ou économiques. L’utilisation d’internetmontre ses possibilités et ses limites, au-delà de l’activitéludique de la recherche informelle, dans la mesure où lacollecte d’informations doit déboucher sur une productionconceptualisée et argumentée collectivement. La participationet le statut nouveau d’élèves acteurs-auteurs, d’enseignants etde documentalistes oeuvrant différemment et complé-mentairement instaurent un ensemble de relations privilégiées,valorisées et valorisantes, qui montrent à quel pointl’acquisition d’un savoir passe par un savoir-être.L’apprentissage à la recherche dans le cadre de l’ECJSconstitue un apprentissage à être pour devenir.

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Le débat argumenté

Le second moment dans l’ECJS concerne l’exposition enclasse et soulève le problème d’une “méthodologie dudébat argumenté” permettant une didactisation de l’oralréflexif et ses conséquences sur l’enseignement de laphilosophie en terminale : quelles en sont les modalités etles conséquences en terme d’apprentissage duphilosopher ? Il est intéressant de remarquer que si laphilosophie amène questionnement , problématique etconceptualisation, réciproquement, l’éducation civiqueapporte les thèmes d’actualité sociétaux, et unemotivation au dialogue en ce sens qu’il stimule davantageles élèves, et les autonomise dans la mesure où ils setrouvent responsabilisés éthiquement et engagés dans unprocessus didactique d’exposition. L’homme-citoyen esten situation existentielle et la vie sociale constituel’essence de son être. Les valeurs qui constituent sonexistence sont les valeurs de la société .

L’élève de terminale sera sensibilisé davantage auxproblèmes d’actualité politique, économique, sportive,médicale… qu’à ceux soulevés par la philosophie, alorsqu’il est possible pourtant de mieux les appréhender parl’intermédiaire des thèmes soulevés par l’ECJS. Le débatnécessite argumentation, connaissance et exposition,mais aussi motivation de la classe, en fonction de pré-requis permettant l’échange. Ceux-ci constituent laculture sociale, référentielle, issue des médias,notamment. C’est en partant du questionnement et duvécu des élèves que l’échange peut s’opérer, sedévelopper et se répercuter dans l’intégration ou pas dela démarche et de la culture philosophiques. Dans unpremier temps, l’essentiel concerne l’apprentissage del’échange démocratiquement argumenté et laparticipation à une communauté de réflexion au profit dela recherche de la vérité et de la réfutation des préjugéset des présupposés. Dans la classe, les élèves se trouventà égalité d’intervention et de liberté d’expression parrapport au respect, à la tolérance, à l’ouverture au monde. Ils découvrent que le débat argumenté ne relève pas del’affectif, du sentiment, de l’émotion, mais de larationalité et de la rationalisation des problèmes. C’est ence sens que l’on peut parler d’universalisation ou decommunauté de pensée. Ils découvrent la différence entreune généralisation démobilisatrice parce qu’imperson-nelle et une implication responsable. La finalité del’exposé et du débat concernent à la fois la participationet l’acquisition de connaissances, permettant un ré-investissement non seulement scolaire mais surtoutéthique.

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L’heure de morale en Alsace et Lorraine

Jeanne-Claude Mori, institutrice

En 1801, un accord intervient à Paris entre lesreprésentants de Bonaparte et le pape Pie VII,

lequel reconnaît la République Française. Le Clergéest alors rémunéré par l’Etat. Ce concordat estappliqué jusqu’à la séparation des Eglises et de l’Etaten 1905, sauf en Alsace et en Lorraine. En effet, en1905, ces deux régions sont sous dominationAllemande lorsqu’elles redeviennent françaises, ellessont donc toujours soumises au concordat de 1801.Ainsi, l’enseignement de la religion à l’école se faittoujours en Alsace et en Lorraine. Les élèves qui nesuivent pas cet enseignement participent au cours demorale.

Ce caractère d’exception n’apparaît pas dans lesinstructions officielles. Cette absence de directiveautorise, en quelques sorte officieusement, l’utilisation decette heure de morale à des fins diverses… Etantremplaçante durant sept ans, j’ai pu en observer !

- Certains enseignants donnent des cours de soutienscolaire, en lecture ou en maths, aux élèves en difficulté.- Ce petit effectif d’élèves peut aussi permettre un accèsplus facile à la B.C.D, à l’atelier informatique…- D’autres enseignants donnent des leçons de choses surla vie des insectes, l’alimentation de l’homme (commentdoit-on se nourrir ?), la propreté à table, cela peut mêmealler jusqu’au thème de la vaccination.- Enfin, il y a ceux qui abordent la morale en faisantréfléchir les enfants sur des thèmes transversaux tels querespecter, communiquer, tolérer…

Mes pratiques actuelles sont de ce quatrième type. Demanière générale, j’essaie d’utiliser des supports initiauxvariés (bande dessinée, affiche, texte métaphorique,sketch à jouer par les enfants…).

Un exemple

Voici l’exemple d’une séquence que j’ai menée avec ungroupe d’enfants de CE2 et de CM1 à partir de l’afficheci-dessous : " Coopérer ça enrichit la vie " (1) .

Les enfants découvrent l’affiche, la partie écrite étantdans un premier temps cachée. Après un tempsd’observation, ils décrivent ce qu’ils voient. Ceci prête àdébat et fait émerger le thème, la nécessité de coopérer.Les enfants découvrent alors l’affiche dans sa globalité. Jeleur demande ensuite de raconter des histoires vécuesconcernant ce thème.

Durant toute la séquence, je prends note de ce qui est dit;j’en fais un résumé que j’écris au tableau :

"Si tu coopères, tu seras gagnant. Eneffet si tu agis dans ton coin, que tuveux toujours " tirer la ficelle " à toi, tun’arriveras pas à obtenir ce que tu veux.Dans la vie, il faut faire des concessionspour pouvoir s’entendre, vivre avec lesautres. Coopérer, ça enrichit la vie ! "

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Les enfants recopient le texte et l’illustrent : ils sedessinent en train de coopérer ou/et ne pas coopérer ;dans ce cas ils en font apparaître les conséquencesnéfastes.

Cette approche du cours de morale est sans doutediscutable. Les objectifs de ces cours n’étant pasofficiellement définis, je restais dans le vague et j’en aidonc fait ma propre interprétation. Par ailleurs jem’interroge…

Les cours de morale ne viennent-ils pas en partieconcurrencer les cours d’éducation civique (qui euxapparaissent clairement dans les instructions officielles)?

Dans ce cas quels sont les intérêts et les limites de cescours de morale?Faut-il imposer des valeurs ou les proposer ?N’y a-t-il pas un risque de confrontation des valeursvéhiculées, par le biais de ces cours de morale, avec lesvaleurs données par les parents ? Si oui, alors jem’interroge sur la pertinence de ces cours.

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En répertoriant ici les différentes méthodologies favorisant la créativité quiont été développées dans la formation continuée des professeurs demorale du secondaire en Communauté française, j’ai voulu enrichir,compléter et détailler la rétrospective de la recherche en éducationmorale que j’avais établie dans le numéro 39-40 d’Entre-vues (déc. 98)ainsi qu’introduire, en les situant dans leur contexte, les approchescomplémentaires proposées dans ce numéro et souligner lesconvergences entre créativité éthique et artistique. Mon propos visaitaussi essentiellement à en éclairer la portée à la lumière d’unecompréhension plus appropriée de la nature et du rôle de la culturedans une société démocratique en reprenant le point de vue adoptédans un article que j’avais rédigé en 2000 pour " Chemins de traverse ",volume 2.1

La culture comme travail de l'imaginairePédagogies de la créativité et formations

Cathy legros

I. Une nouvelledéfinition de la culture

Dans un petit livre polémique, LeCercle ouvert 2, Roland de Bodt définitla Culture comme : "l'ensemble desproductions imaginaires, desreprésentations du monde, desconstructions symboliques, desexpressions du langage et descomportements de vie individuels etcollectifs qui y sont liés". Cette acception, loin de réduire ledomaine culturel à l'activitéartistique, englobe "tout ce qui relèvedes sentiments, des peurs, des

espoirs, des attentes, des déceptionsde la pensée. Tout ce qui nourrit lesspéculations individuelles surl'avenir. Tout ce qui forme le substratculturel déterminant dans lesattitudes et les choix individuels etcollectifs".

C'est par ce travail de l'imaginaire,que le citoyen devient acteur de savie, qu'il s'autorise à "penserl'avenir" et s'investit du pouvoir"d'inventer les formes futures de ladémocratie qui permettront de faireface aux défis scientifiques,économiques et sociaux".

1. La culture comme travail de l’imaginaire dans Chemins de traverse, volume 2, Synergies Enseignement – culture, Culture – Enseignement, Ministère de laCommunauté française, déc. 2000, pp. 102, 107.

2. Roland de Bodt, Le Cercle ouvert, Lettre ouverte au Parlement de la Communauté française, Racines, Bruxelles, 1998.

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Dans cette perspective, culture etcitoyenneté sont donc des termessynonymes indissociables qui serecouvrent et se conjuguent.

II. Culture citoyenne,formation continuéedes professeurs demorale et transversalité

Le décret de 1997 sur les missionsprioritaires de l'école prendexplicitement en compte cettedimension éthique et citoyenne de laculture : il stipule quels sont lesobjectifs de l'action éducative ent e r m e s d ' a t t i t u d e s e t d ecomportements d'autonomie, deresponsabilité et de solidarité.Déclaration de principe qui, pourdevenir effective, impliquerait lamise en œuvre, à travers toutesles disciplines, d'une pédagogiedes droits de la personneinstituant "la singularité culturelle etimaginaire de chacun et le respect dudroit d'autrui comme facteuressentiel du développement de laliberté et de l'autodétermination".Cette pédagogie humaniste, encoreloin d'être transversale à toutes lesdisciplines, est intégrée par lesprofesseurs de morale dont leProgramme de cours, conçu en 1969,vise précisément l'éducation à cesvaleurs fondamentales de ladémocratie comprises dans leuracception à la fois affective, réflexiveet comportementale. Éducation auxvaleurs gravitant autour d'unquestionnement plus systématiquesur le sens depuis l'introduction,dans ce programme, en 1999, denotions de philosophie.

Si les élèves du cours de morale sontconstamment exercés à "créer pour

s'affirmer, créer pour s'engager",c’est dans la mesure où lesenseignants de morale ont été formésà répercuter une démarchestructurée de formation de lapersonne et du citoyen. Lors desformations continuées pilotées parl’inspection, ces enseignants ont eneffet expérimenté et enrichi de leursapports personnels les outils de lapédagogie humaniste. Les 54numéros que compte actuellement larevue trimestrielle, Entre-vues3

témoignent de la fécondité de cesrecherches, de ces échanges et deces réflexions autour de laphilosophie, de l'éthique et del'éducation à la citoyenneté.

Pour rappel, au départ : la"Cla r i f i ca t i on des va leurs" ,méthodologie issue de la psychologiehumaniste de Rogers, a progres-sivement généré un modèleholistique de développementpersonnel: "l'Arbre en Éventail".Avec ses trois "branches" cognitive,affective et active, ses "racines" deperception et de sensibilité, et son"tronc" édifiant l'identité, le liensocial et l'ouverture au monde.Il visualise la progression et lesdifférents paramètres à prendre encompte dans l’éducation morale, :• qui doit commencer, condition

sine qua non, par élaborer larelation d’altérité impliquant lareconnaissance de la singularité etle respect des différences ;

• pour activer ensuite la pluralitédes choix éthiques individuels etcollectifs en cohérence avec lesactes qu’ils impliquent ;

• en développant la faculté depenser et de juger, la réflexionphilosophique à visée d’univer-salité, l’esprit critique et la rigueurintellectuelle ;

3 Créée en 89 par l'inspection de morale, Entre-vues s'est constituée en a.s.b.l. d'éducation permanente dont l'objet est en priorité la poursuite de l'édition de larevue trimestrielle et d'autres publications pédagogiques, mais aussi l'organisation de formations. Le n∞39/40 d'Entre-vues établit une rétrospective desdifférentes étapes de la recherche pédagogique que nous avons menée : voir e.a. l’article de synthèse : "Histoire d'une révolution copernicienne et d'unerecherche pédagogique dans l'enseignement du cours de morale en Communauté Française de Belgique". Déc. 98, pp.10, 43

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• afin de s’engager dans laconstruction d’une sociétédémocratique basée sur les droitsde l’homme.

Il me tient à cœur de rappeler quel'initiation des professeurs de moraledu secondaire à la méthode et auxexercices de la Clarification desvaleurs se fit grâce à Liliane Klipper,une enseignante d'une écoled'application du réseau flamand,sans doute plus ouvert auxpsychopédagogies expérientiellesanglo-saxonnes que le nôtre,imprégnée d’un rat ionalismethéorique et abstrait hérité deDescartes.

Liliane Klipper proposait aussi àcette époque des exercices decommunication pour permettre auxprofesseurs formés d'organiser unaccueil qui intègre les élèves entrantdans l’enseignement secondaire dansun climat de convivialité propice àl'instauration d'une vie participative.Cette formation à l'accueil a étéintégrée par le Ministère del'Éducation à la formation en coursde carrière des enseignants de toutesles disciplines. Elle est animée parChristian Staquet, ex-professeur demorale qui a aménagé, adapté etréfléchi l'accueil conçu par LilianeKlipper 4. Et nous constatons avecp la i s i r que " l ' accue i l " e s tactuellement intégré dans le projetd'établissement et organisé en débutd'année scolaire dans de nombreusesécoles de la Communauté française.

Une autre piste de travail quipourrait bénéficier à tous les niveauxet dans tous les secteurs del’éducation est celle que Majo

Hansotte a ouvert pour lesenseignants de morale en formationcontinuée 5: un modèle didactiquearticulant 4 intelligences citoyennesqui permettent d'organiser desdémarches transdisciplinaires pourdévelopper les compétences qui ysont liées.

La responsabilisation éthique desadultes et des jeunes, constitutifsd'une culture citoyenne, est tropsouvent négligée à l'école au profitdes seuls objectifs de socialisation.Pourtant elle permettrait d'assumeret de répondre au déficit de sens etde valeurs dans la sociétécontemporaine désenchantée par ladéconstruction des idéologies etdémobilisée par un pluralismed'indifférence. Dans cetteperspective ont été expérimentésformations et outils qui sontmalheureusement réservés le plussouvent aux seuls professeurs demorale et à leurs étudiants alorsqu’ils pourraient servir tous lesenseignants, voire d'autres secteursde l'éducation concernés, commecelui de la Santé dans lequel j'aianimé une formation à laClarification des valeurs 6.

Parmi le foisonnement d’outils deformation auxquels nous avons eurecours, j’ai choisi de présenter pluspa r t i cu l i è remen t ceux qu iappartiennent au domaine de lacréativité artistique.

III. Pédagogies de lacréativité

L'implication des élèves dans desprocessus de production artistique, àtravers la seule contrainte deconsignes précises et structuréesconcernant le cadre formel del'exercice et non son contenu, ontpour effet de libérer la pensée etl'imagination et de leur renvoyer uneimage positive de leurs ressourcessouvent méconnues, inexploitées.Engagement qui peut entraîner unetransformation positive profonde deleur personnalité, d'autant plusqu ' e l l e s ' accompagne d 'uneperception sensible génératrice deprésence au monde et de conscience,qu'elle permet d'avoir prise et d'agirsur le réel, d'être reconnu par lesautres et d'établir avec eux deséchanges coopératifs.

Or c'est souvent en marge du cadrescolaire que des initiativesmusicales, théâtrales, littéraires sontproposées, que sont accordés dessoutiens à des projets dontl'organisation dépend du dynamismedes directions d'école, du bénévolatd'enseignants motivés ou eux-mêmesformés à l'animation dans cesdomaines. Il faudrait dès lorss'interroger, voire s'inquiéter face àce symptôme paradoxal quiconsiste à reléguer à lapériphérie de l'action éducativela dimension symbolique quidevrait en être le centrenévralgique parce qu'elle fondetoute culture.

L'inspection du cours de morale pourle secondaire a voulu communiqueraux professeurs le désir et les

4 Il en rend compte dans une publication : "Accueillir les élèves, Une rentrée sereine et positive", Chronique sociale, Lyon, 1999.

5 Cette formation animée par Majo Hansotte a été publiée par Entre-vues n∞45 / juin 2000 : “ Comment dire le Juste et l'Injuste. Le principe Justice et lesintelligences citoyennes. Repères théoriques - Modèle méthodologique - Démarches didactiques".

6 Pour une équipe de formateurs de l'Observatoire de la Santé du Hainaut, Compte-rendu de la formation, exercices et dispositifs à tire d’exemples dans "Education à la justice, éducation à la santé : de nouvelles pratiques citoyennes ", éditions Entre-vues.

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moyens de s'aventurer de plain-pieddans le champ de l'imaginaire avecleurs élèves. Voici quelquesexemples des formations organiséesen ce sens, animées par desformateurs / créateurs issus dumilieu socioculturel.

1. Techniques théâtrales deformation et de création

Le théâtre, parce qu'il met en jeu nonseulement la pensée rationnelle,mais aussi l'émotion, le corps, lavoix, le geste, c'est-à-dire la totalitéde l'être humain, constitue unpuissant levier de développementde la personnalité.

Le numéro spécial d'Entre-vuesn∞19 sur le théâtre (septembre1993) dresse un panorama de laplace attribuée à la formation,l'animation et la création théâtralesainsi qu'à l'utilisation de spectacles-documents dans le cadre du cours demorale. Il établit également lessynergies transdisciplinaires et lescollaborations avec le secteursocioculturel qui se sont instituées àcette occasion.

Le premier article de ce numérospécial - "Avantages d'une formationà la pratique théâtrale" par HélèneBeauchamps, professeur audépartement de théâtre à l'Universitédu Québec à Montréal - plaide pourl'intégration d'une pratique théâtraleactive dans la formation de tous lesenseignants et étudiants, quelle quesoit la discipline envisagée. Il établitle relevé des acquis essentiels sur leplan des attitudes morales et descomportements sociaux deresponsabilité et de solidarité liés autravail en équipe ainsi que sur le

plan des capacités d'analyse, desynthèse et d'esprit critique requispar l'évocation d'une situation,l'intériorisation d'un rôle et larésolution des conflits représentés.Acquis dépassant de loin lescompétences liées au cours defrançais et à la maîtrise d'une langueet d'une culture littéraire.

C'est dans cette perspective que nousavons introduit dans la formationcontinuée des professeurs de moralenon seu lemen t l ' e xp res s i onc o r p o r e l l e , l e s t e c h n i q u e sd'improvisation classiques et les jeuxde rôle (simulation et mises ensituation) mais aussi deux techniquesplus spécifiques d'utilisationpédagogique du théâtre, le drama etle théâtre-forum, qui utilisentchacune un répertoire d'exercices etde jeux dramatiques repris à laformation d'acteurs.

Dans le drama, il s'agit decomprendre et d'explorer desévénements et des situations de viequi mettent en jeux différents typesde comportements et de personnages(développement de l'empathie). Cetteméthode a été élaborée en Angleterreoù elle constitue un cours quis'inscrit comme tel dans le cursusscolaire.

Dans le théâtre-forum, il s'agit demettre en scéne une situationd'injustice qui se termine par unéchec, représentative d'un problèmeéthique rencontré dans la sociétécontemporaine, de rejouer ensuite ce"modèle" en incitant les spectateursà inventer sur scène, dansl'improvisation avec les acteurs, dessolutions susceptibles d'êtrereportées dans la réalité

(développement de l'engagementcitoyen) 7.

Les professeurs de morale ont étéformés - en drama par un enseignant

anglais, David Morton, invité parJacqueline Sottiaux (COCOF),puis par un collègue, ChristianStaquet, formé en Angleterre, puisj'ai moi-même assuré certainesformations ;

- en théâtre-forum, par PhilippeDumoulin (fondateur du ThéâtreBrocoli, responsable du Théâtredu Public).

Quelques enseignants ont renducompte dans Entre-vues desexploitations originales qu'ils ontmises au point 8, dans le cadre descours ou d'ateliers-théâtre dumercredi après-midi.

Le plus fréquemment, ils utilisentces techniques dans leurs classescomme exercices pédagogiques pourfaire imaginer aux élèves des jeuxde rôle exploratoiresLa maîtrise de ces techniques leurpermet aussi de sortir de la classe.Ainsi, à l'Athénée Royal SaintGhislain, Annie Préaux, suite à unatelier qu'elle a animé le mercrediaprès-midi, a mis sur pied, avecl'aide de la Compagnie du Brocoli,un spectacle-forum concernant leproblème de rejet vécu par une jeunealgérienne, spectacle présenté lorsde la fête de printemps devant unpublic de jeunes et d'adultes d'unecentaine de personnes. En 1998-99,dans le cadre d'une introduction à lamise en place d'une médiation parles pairs suscitée par le "cercle de laréussite", elle avait déjà animé pourtous les élèves de l'école un théâtre-

7 C'est une des techniques du théâtre de l'opprimé inventé par le brésilien Augusto Boal et codifiée dans Jeux pour acteurs et non-acteurs, La Découverte,1991 et Stop! C'est magique, Hachette-Littérature, 1980.

8 Exemples : Le Nom d'Oury et Le Théâtre-forum en ballade dans Entre-vues n°12 ; Oser penser la mort dans Entre-vues n°33 ; ou encore : Entre-vues n°4 etn° 8.

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forum sur une situation de conflit,suscitant ainsi une prise deconscience déterminante, débou-chant sur un engagement pour lasolidarité et le respect.

Pareilles initiatives ont égalementété menées en collaboration et avecle soutien des animateurs d'autresCompagnies de Théatre-Action quiamènent à susciter l'expression desélèves sur une question lesconcernant directement à travers lacréation d'un spectacle. A titred'exemples : - en collaboration avec la

Compagnie du Campus : "Il nes'est rien passé" et "La Classe" àl'l'ITC Oscar Bossaert(Koekelberg), "Banc public" et"Aigre-doux" à l'Athénée Royalde Braine l'Alleud. Les élèvescréateurs-acteurs de deux écolesdifférentes ont même eu l'occasionde jouer les uns pour les autres ;

- en collaboration avec le Théâtredes Rues, "L'amour, c'est quoiencore?" à l'Athénée Royal dePéruwelz.

Quant à la Compagnie du P'titThomas, il s'agit d'une troupe-amateur de théâtre-forum créée en89 par une douzaine de professeursde morale. Formée et accompagnéepar P. Dumoulin, elle a mis sur piedquatre spectacles écrits collecti-vement ou par une des membres de latroupe : "Le Grand Méchant Look" ;"Sida, tu l'as, tu t'en vas" ; "Dis-leVincent" (exclusion d'un séropositif)et "Partir" (mourir dans la dignité àl'hôpital) 9. Elle a ainsi pu porter ledébat non seulement dans desécoles secondaires mais aussi

devant d'autres publics concernéspar ces sujets : Maisons de laCulture, Ecoles supérieuresd'infirmières, Centres de Planningfamilial, Médecins désireux de créerune unité de soins palliatifs,...

2. Ateliers créatifs,approches de l’art, del'imaginaire et dusymbolique

La stimulation de l'imaginationcréatrice comme "puissance cons-tructive et formative qui met enœuvre l'élaboration du sens"constitue une visée essentielle del'éducation morale et citoyenne. D'oùla nécessité de formations àl'utilisation des outils et desméthodologies 10.

En mettant en œuvre différentsmodes d'expression (collage, brico-lage, masques, dessins, saynètes,... ),le CEMEA a animé des stages de 3jours pour les professeurs de morale :"Initiation aux méthodes actives.Animation des débats et desdiscussions. Expression etCommunication".

Ferdinand Loos, ex-professeur defrançais et formateur au G.R.E.P.E ((Centre de Recherche et d'Expéri-mentation en Psychopédagogie del'Expression), acteur et metteur enscène, a animé pour les professeursde morale de nombreux stages(initiation et perfectionnement)visant des "techniques d'expressioncorporelle et verbale favorisant lacréativité et la communication avecl'autre pour aboutir à une créationcollective et individuelle".

Des stages d'initiation et deperfectionnement ont été animés parMyriam Mallié, conteuse etformatrice, afin de sensibiliser lesprofesseurs à l'impact du langagesymbolique, de les initier au"raconter des contes traditionnels"(travail de la présence au corps et dela voix) et à l'écriture de contespersonnels.

Peggy Snoeck, professeur de moraledans l'enseignement primaire etformatrice à l'École des Parents etdes Éducateurs, a animé desj ou rnées pédagog iques su rl'exploitation des contes et desmy thes ( ex . : P romé thée , l eMinotaure) par la méthode PRODAS(Programme de développementaffectif et social).11

Frédérique Van Acker, professeur demorale, a animé des journéespédagogiques pour les professeurs demorale dans différents musées : d’ArtAncien et Moderne, du Cinquan-tenaire à Bruxelles, d’Art Moderne etContemporain et d’Art wallon àLiège, des Beaux-Arts à Tournai.Ces animations qui exercent à unautre regard non-discursif etanalytique et font appel à laperception sensible ont été publiéesdans le numéro spécial 43/44(déc.99) "Approche sensible del’imaginaire. Deuxième partie :Rendez-vous au musée ".

Avec Marie Dewez, ex-professeur demorale actuellement formatriceindépendante, c'est dans la terre queles enseignants ont partagé le plaisird'exprimer leur créativité. Elle aanimé deux stages d'écriture à partir

9 Pour les comptes-rendus des différents scénarios, voir Entre-vues n°2, n°3, spécial théâtre n°19, n°26.

10 Voir le numéro spécial 43/44 d'Entre-vues (décembre 99), "Pour une écoute sensible de l'imaginaire", qui attire l'attention sur la portée éducative descontes et des mythes (articles des écrivains Henri Gougaud, Henry Bauchau, Jacqueline Kelen, ....). Ce numéro présente également des pistes d'exploitationpédagogique. Voir aussi un dispositif de leçons dans Entre-vues n° 41/42 : "Labyrinthe, conte et mandala pour découvrir les droits de l'homme" par ChristineDoclot.

11 Outre de nombreux articles dans la revue Entre-vues (n° 29-30, juin 1996), Peggy Snoeck est l’auteur de " La fleur des contes " et " Le cadeau des contes "aux Editions Cedil-Entre-vues, ainsi que d’une " Morale du bonheur " (Editions du Cedil).

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d'un travail alternant sculpture dansl'argile comme support etdéclencheurs d'expression, tempsd'écriture et moments d'échanges.

Récemment, dans le cadre de la miseen œuvre du nouveau programme demorale introduisant des notions dephilosophie, Annie Préaux, profes-seur de morale particulièrementimaginative, a animé plusieurs stagesrésidentiels sous forme d'atelierscréatifs autour des questionsphilosophiques : Suis-je seul aumonde? Quel sens je donne à ma vie?Dans quelle société je veux vivre?Joignant la pratique littéraire,artistique et théâtrale pour s'engagerdans la réflexion philosophique, elleutilise tous les révélateurs etincitateurs de l'imaginaire, images,métaphores, masques, récits, contessymboliques, qui prendront voix etformes dans la narration, l'écriture,le dessin, le collage, le bricolage, lagestuelle corporelle, les scénarios etles jeux de rôles. Ils sont intégrésdans une progression cohérenteallant de l'expression à laconceptualisation, la probléma-tisation et l'argumentation autour del'approfondissement d'une mêmequestion.12

Qu'il s'agisse d'entrer dans l'activitéphilosophique par les chemins de sapropre histoire, de jouer un colloquedes ph i l o sophes , l e p rocèsd'Antigone, ou de rédiger une fictionsous la forme d'un conte ou d'unmythe, Nicole Grataloup et MichelSoubiran, professeurs de philosophieen France et animateurs du GFEN-Secteur philosophie (Groupe françaisd'Éducation nouvelle), ont animé enstages résidentiels des ateliers pour

les professeurs de morale à partir deces propos i t ions d 'exerc icespermettant de passer de l'opinion auconcept et de l'expérience à ladistanciation et à la réflexioncritique13.

3. Les ateliers d’écriture

Les ateliers d'écriture mettent enœuvre des dispositifs structurésd'expression de soi, de narration etd'échanges intersubjectifs. L'enjeude ces exercices de communication,loin d'être seulement des outilsludiques d'accrochage motivationnel,constituent des moyens privilégiés deconstruction de l'identitépersonnelle et du lien social. Car"chacun construit sa propre identitéet son propre texte" dans la rencontreavec les autres et un espace communde signification14. Dimensionamplifiée ou modulée dans différentsateliers que nous avons organisés.Exemples: le stage animé par MajoHansotte et publié dans Entre-vuesn∞35 (septembre 97), "Des motspour oser la démocratie", et le staged'écriture philosophique (octobre 99)animé par Michel Tozzi, didacticiende la philosophie et Maître deConférence en Sciences de l'Edu-cation à l'Université de MontpellierII, qui a exercé les enseignants àl'aphorisme, à la correspondancephilosophique, au dialogue intérieur,aux modalités d'articulation de l'oralet de la discussion philosophique...15

12 Annie Préaux, Philosophie et créativité, trois ateliers, stage pédagogiques, Esneux, juin 1987 et Dispositifs d’animation, stage pédagogique, Esneux, juin1998. Dans Entre-vues n°35 (sept.97) et Entre-vues n°41-42 (juin 99).

13 Ces ateliers GFEN ont été publiés dans Entre-vues n°24 (décembre 94), Entre-vues n°41/42 (juin 99) et Entre-vues n° 43/44.

14 Yves Béal, Ecriture et citoyenneté dans "Construire ses savoirs, Construire sa citoyenneté", Groupe français d'Education Nouvelle, cité par Entre-vues n° 34,p. 53

15 Cette animation et les textes produits par les enseignants ont été publiés par Entre-vues, notamment n°39/40 (décembre 99).

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IV. Conclusion

S'engager et engager les élèves dansdes procédures d'expression, decommunication et d'argumen-tation rencontre directement lesexigences d'une éducation à lacitoyenneté. Cela signifie oser uneparole personnelle pour constituer sapropre identité dans la relation avecles autres, construire le lien social,questionner les règles instituées,déconstruire les discours imposés,dénoncer l'injustice, l'exploitation etl'exclusion, résister aux structuressociales établies, raconter sa vie,nommer le tort subi et la souffrancevécue, élaborer ensemble des projetsrespectueux des droits de chacun,s'engager dans la réflexion avec lesautres pour aboutir à un consensusou à un dissensus, débattre ouargumenter autour des problèmes desociété, imaginer des utopiesanticipatrices ou réparatrices. C'estainsi que chacun peut apprendre àdevenir sujet de droit, capable des'auto-instituer et de s'inscrire dansun espace public d'échanges, dediscussions et de coopération.L'apprentissage de la démocratie sejoue, comme le montre MajoHansotte 16, dans l'apprentissage de lalangue et de l'énonciation.

Qu'il s'agisse de "dire le juste etl'injuste" ou de toutes les démarchesde productions artistiques que nousavons évoquées, l'émergence del'acte créateur est suscité par laconfrontation aux résistances d'unematière, aux contraintes d'une forme-cadre structurée par les consignesparticulières à chaque méthodologieet aux exigences qui organisent leséchanges interactifs. Paradoxalementce sont ces obstacles quidéclenchent le travail del'imaginaire porteur de liberté et

d'autonomie. Et ce travail, enengageant la singularité de lapersonne, ouvre sur lareconnaissance mutuelle d'unealtérité inaliénable, fondementmême de toute culture.

Les nombreuses f o rma t i onsorganisées depuis 17 ans ont forgé,dans le creuset du cours de morale,cette clef opérative qui permetd'œuvrer sur le terrain même desclasses à la construction d'uneculture citoyenne. Mon souhait :que cette expérience puisse êtreutilisée par tous les partenaires del'action éducative.

16 Entre-vues n°45 (juin 2000) : "Comment apprendre à dire le juste et l'injuste", Majo Hansotte et un collectif d'enseignants.

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L'éducation de la sensibilité :condition de la formation de la personnalité démocratique

Alain Bouillet

Introduction :

J’évoquerai le “retour” du sensibleà l’occasion et à travers la récentereconnaissance officielle en France(sous le Ministère de Jack Lang) -conjointement à l’intelligence concep-tuelle - d’une intelligence concrèteet d’une intelligence sensible,discrètement flanquées d’ailleurs,d’une intelligence sociale… puis jequestionnerai les conditions et lesmodalités de l’éclosion et dudéveloppement de cette intelligence

sensible, c’est-à-dire les possibles etle souhaitable d’une éducation“de” ou “à” la sensibilité, ou, pourle dire autrement d’une “éducationesthésique”. Pourquoi esthésique,direz-vous ?

C’est à Paul Valéry qui l’on devrait laréapparition de l’adjectif substantivé“esthétique” et il nous a paru judi-cieux de le reprendre à notre compte.

Parce qu’esthésique s’entend diffé-remment selon les milieux auxquelson s’adresse.

1 Le CERFEE, Centre de Recherches surles Formes d’Education et d’Enseignement,analyse de manière réflexive et critique lesformes d’éducation et les formesd’enseignement, instituées ou non, queprennent les processus d’éducation et lespratiques d’enseignement. Il s’intéresse àl’articulation, au passage des unes auxautres, plus particulièrement au rapportentre éducation et pédagogie sous l’anglede la socialisation démocratique. Lesrésultats de l’équipe de recherche sontpubliés dans la Revue du CERFEE crééeen 1988.

2 Ce numéro 17 (2001) des Cahiers duCERFEE peut être obtenu pour 15,25 _l’exemplaire à l’adresse des Services desPublications, Université Paul Valéry, Routede Mendes, F-34199 Montpellier CEREX5 , France. Tel 00 334 67 14 24 06/24 60,Fax 00 334 67 14 23 32

3 Séminaire du 3 mars 2002 pour leCREAS (Centre de Ressources Educativepour l’Action Sociale) à l’Université deMons, par Alain Bouillet, Maître deConférence au Département des Sciencesde l’Education de l’Université Paul Valéry– Montpellier IV.

" Morale, éthique et sensibilité ", tel est l’intitulé de la journée d’étude du 6 avril 2002qui s’est déroulée au Département des Sciences de l’Education de l’Université PaulValéry – Montpellier III, organisée par le CERFEE (Centre d’étude et de recherche surles formes d’éducation et d’enseignement 1) à l’occasion de la sortie du numéro 17de leur revue annuelle " A la recherche d’une éducation esthésique: rudiments,affinités, enjeux "2. Numéro piloté par Alain Bouillet, Maître de Conférences.A la demande de Michel Tozzi, directeur des Cahiers du CERFEE, j’ai présenté unecommunication " Education morale et sensibilité " qui suivait celle de Pierre Bouilletintroduisant leur dernier numéro 17 où apparaissaient de nombreuses convergences.O stupéfaction et bonheur ! Au pays de Descartes, dans le monde universitairemême qui se prévaut d’un rationalisme pur et dur, je rencontrais un groupe dechercheurs en affinités avec nous : ils analysaient et promouvaient la place de lasensibilité dans les pratiques d’enseignement ; ils insistaient sur son rôle déterminantdans la formation d’une personnalité démocratique, malheureusement rarementprise en compte par l’institution scolaire.Nous présentons ici un plaidoyer 3 d’Alain Bouillet en ce sens. Il nous apporte desarguments décisifs pour fonder et étayer nos pratiques pédagogiques construites surle lien indissociable de la formation morale et citoyenne avec l’éducation affective.

Dans le prochain numéro d’Entre-vues, vous trouverez le sommaire du numéro 17 desCahiers du CERFEE accompagné de quelques commentaires pour susciter votredésir d’y recourir.Je ne doute pas que cette collaboration est prometteuse d’autres synergies entre leCERFEE et Entre-vues.

Cathy Legros.

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Tantôt pour les esprits philo-s o p h i q u e s , i l é v o q u e t r o pimmédiatement les modalités d’uneinterrogation portant sur le “Beau”(comme catégorie “esthétique”justement) et l’art (particulièrementl’art pictural) laissant ainsi de côtéles autres arts et les autres sens.

Tantôt dans une acception pluscourante, il évoque le “salon” - nonpas au sens de Diderot – mais plutôtau sens de “salon de coiffure” oud’art capillaire : voire l’“institut” -l’institut de beauté – si l’on envisageplus généralement les soins duvisage et du corps.

Les deux acceptions participent biend’une référence identique, mais ont,l’une comme l’autre l’inconvénientde se focaliser sur le “beau” (dans laprésentation de soi au monde, commedans la représentation du monde àsoi-même ou à d’autres), ignorant parlà même des pans entiers del’expérience sensible et des savoirsqu’elle engendre.

Esthésique, du fait de son absencemomentanée de connotations, neprivilégie pas un sens par rapport àun autre et permet donc ainsi d’enréférer à la sensibilité lato sensu.

Pour enfin dire pourquoi et en quoi ilm’apparaît désormais évident quel’esthésique – en corrélation avecl’éthique et le politique (c’est-à-direles deux autres modalitésd’interrogation des formes degouvernement sociétaire) – doit êtreimpérativement prise en compte dansune réflexion visant à instaurer ladémocratie en acte et commentl’éducation de la sensibilité peutcontribuer à la formation d’unevéritable personnalité démocratique,formation qui me semble êtrel’objectif primordial d’une véritablesocialisation démocratique.

Je souhaiterais organiser monpropos en deux moments :

1. Un moment de constatation etde problématisation (que l’onpourrait qualifier, pour rester dansle domaine de la sensibilité, de“mise en jambes” au sens proprepour les sportifs, mais égalementau sens figuré pour les autres, ouencore de “mise en bouche” pourles gastronomes). Moment quivisera à situer, à contexter, àinterroger, à problématiser le sensde cette recrudescence d’intérêtporté au sensible et à la sensibilitédepuis, disons, une vingtaine ouune trentaine d’années -phénomène que je qualifiais àl’instant de “retour du sensible”.Recrudescence d’intérêt qui – jem’efforcerai de le montrer – estlié, pour le dire vite, à la montéede l’individualisme dans lessociétés à vocation démocratique(corrélativement d’ailleurs à celle,croissante, de l’uniformatisation,de l’aplatissement et del’anesthésie de la sensibilité ; (cequi, peut-être, nous amènera àréévaluer le processus éducatifdans le sens de la “résistance”(enseigner, c’ est aussi résister…mais pas n’importe comment, ni àn’importe quoi. Résister, c’est bienautre chose qu’être pathologi-quement néophobe ou mêmeviscéralement réactionnaire…).Cette constatation permettra depréciser ce qu’il en est desrapports entre “sensibilité” et“démocratie”, rapports quipeuvent conduire à supposerqu’une éducation à la citoyennetéet à la civilité ne sauraient sepasser d’une éducation à ou de lasensibilité ou pour le direautrement, que la seconde(entendre : l’éducation esthésique)pourrait contribuer à l’émergence,à la mise en place, à la mise enœuvre, à la stabilisation des

principes qui concourent à laréalisation de la première(entendre : la démocratie, qui mesemble directement dépendre dela formation d’une réellepersonnalité démocratique).

2. Un second moment dequestionnement, qui permetted’interroger le pourquoi et lecomment d’une éducation dela sensibilité et de profilerquelques pistes de réflexionrelativement à la question desenjeux, des urgences et du sensd’une nécessaire éducation àl’orée de ce troisième millénaire.

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Premier moment

Dans ce premier moment,plusieurs questions apparaissent :1. Qu’en est-il, tout d’abord, de ce

que l’on pourrait appeler le “retourdu sensible” ?

2. Qu’en est-il, également, desrapports entre “sensibilité” et“démocratie” ? (rapports quipeuvent conduire à supposer que,dans l’objectif de la formationd’une personnalité démocratique,une éducation à la citoyenneté et àla civilité ne sauraient se passerd’une éducation à ou de lasensibilité).

1. Qu’en est-il, toutd’abord, de ce que l’onpourrait appeler le “retourdu sensible” ?La question de l’intérêt pour les sens,la sensation, la sensibilité estrémanente dans l’histoire de lapensée philosophique ; elle est liée,entre autres, à la question de laconnaissance : comment savons-nousce que nous savons ? et quel est ledegré de fiabilité de ce savoir ?(Thématique bien connue descandidats à l’épreuve de philosophiedu Baccalauréat : “En quoi nos senscontribuent-ils à notre connaissancedu monde ? Et en quoi noustrompent-ils sur celle-ci ?).Mais l’intensité de cet intérêt estcyclique et certaines périodes del’histoire de la pensée philosophiques’y sont intéressées plus que d’autres.Tout particulièrement, à la fin duXVIIIème siècle, en France,Condillac (“Traité des sensations”-,Diderot (“Lettre sur les aveugles”),D’Alembert, Condorcet, etc. vonts’efforcer de problématiser cettequestion et, d’ailleurs, simulta-nément – ce n’est pas un hasard –vont travailler à la surrection et à ladiffusion de l’idée d’ “individu” ainsiqu’à celle de “démocratie”.

On ne peut donc rester insensible àla recrudescence des signes quiviennent témoigner d’un engouementcertain pour les sens, le sensoriel, lasensibilité i.e. depuis, à peu près, lesvingt, vingt-cinq dernières années duvingtième siècle (1975 – 2000) pourle dire vite.

1.2 Citons, pêle-mêle et plutôt àtitre de symptôme que pour endresser une liste complète :1.2.1 – Le développement desrencontres, sessions ou stages, seproposant de vous initier (contreespèces sonnantes et trébuchantes)aux mystères, à l’art ou à la science,c’est selon, de la dégustation(œnologique), de la gastronomie, deremédier au manque de considé-ration que vous portez à votre corps,etc.

Cette inflation d’offres destinées àéveiller ou à éveiller votre sensibilitévise évidemment à vous informer survous-même, à révéler ou à susciterles besoins latents nés d’unesensibilité retrouvée, mais égalementà vous éduquer, c’est-à-dire àcanaliser les effets de cetteredécouverte : il faut savoir que,désormais les professionnels del’éducation ne sont plus seuls : la“grande distribution” s’est donnéepour mission “d’éduquer leconsommateur” mais évidemment,cette révélation de soi-même à soi-même, pour votre propre bien, estfaite dans l’objectif d’épanouir vosbesoins certes, mais de préférencevos besoins solvables.Il s’agit de vendre et de fairevendre…

1.2.2 – Cependant, cet engouementpour le sensible a également trouvéson répondant en d’autres lieux, lieuxde sapience et de théorie, tradition-nellement voués à la recherche.

On a vu, et il faut s’en féliciter,plusieurs universités et institutions

de r eche rche p res t i g i euses(EPHESS, CNRS, etc.) prendre trèsau sérieux cette thématique de lasensibilité et ouvrir des ensei-gnements, instaurer des séminaires,multiplier les colloques relatifs à lachose sensible.

Moi-même, au Département des Sciences del’Education de l’Université de ParisX Nanterre d’abord, puis à celui del’Université Paul Valéry,

j’ai initié dans les années 80 unerecherche visant à ce que soient prisen compte les rapports entre savoirsintelligibles et savoirs sensibles et, àl’Université Paul Valéry deMontpellier, depuis sept ans, existeun enseignement consacré à“l’éducation de la sensibilité” où l’ons’efforce de faire reconnaîtrel’existence d’une culture du sens, etd’interroger les modalités et lesprocessus de la production, de latransmission et de l’appropriationdes savoirs sensibles que celles-cisoit ou non – et le plus généralement,il faut bien le reconnaître, elles ne lesont pas -le résultat d’une éducationscolaire.

Ces différentes activités ontcontribué à produire et faire publierun foisonnement d’articles, denuméros thématiques de revues,d’ouvrages divers, de colloques, delittérature grise concernant les sens,le sensible, la sensibilité, son usageet son éducation et ceci à travers desapproches multi référentielles :A n t h r o p o l o g i e , S o c i o l o g i e ,Psychologie, Psychosociologie,Psychanalyse, Economie, … etmême en Sciences de l’Education !

1.2.3 – En outre, dernièrement,notre Ministre de l’EducationNationale, dans sa Conférence depresse du 20 Juin 2000, ainsi quedans celle du 14 Décembre dernier –réaffirmant la vocation traditionnelle

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de l’école dans le développement del’intelligence conceptuelle parl’intermédiaire de la maîtrise dulangage – insistait pour quel’ “honnête élève” du XXI ème siècle(projection contemporaine del’honnête homme du XVIII ème)puisse se voir offrir, par cette mêmeinstitution, la possibilité dedévelopper “toutes les formesd’intelligence” en précisant, je cite :

“qu’en plus de l’intelligenceconceptuelle, l’école doit favoriserl’éclosion de l’intelligence concrète etde l’intelligence sensible, (…) Elledoit (…) lui permettre d’exercer son“intelligence sociale” en leconduisant à se montrer respectueuxd’autrui, à prendre goût à l’initiative,à la responsabilité, au travail enéquipe. C’est ainsi que l’école peutjudicieusement préparer l’enfant à savie de futur citoyen. (…) “ p.4

Texte remarquable, pour plusieursraisons :- d’une part, parce que ces diffé-

rentes formes d’intelligence y sontapparemment traitées à égalité(même si une étude attentiverévèle que, parmi ces quatreformes d’intelligence : laconceptuelle, la concrète, lasensible, la sociale, … (peut-être,d’ailleurs, y en a-t -il d’autres ?)seule cette dernière – qui dans lasuite du texte ne réapparaîtra plus– prend, comme on dit, des“guillemets” (du moins dans laversion scripturale car, à moinsd’être formellement précisésverbalement ou gestuellement àl’oral, les guillemets nes’entendent pas …),

- et d’autre part, parce que le lien yest explicitement marqué entre ledéveloppement articulé etparitaire de celles-ci (Il va de soique ces trois formes d’intelligences’entrelacent, s’imbriquent, senourrissent mutuellement. “est-il

écrit à la p.5) et la préparation del’enfant à sa vie de futur citoyen.Le texte revient d’ailleurs avecinsistance sur les rapports entrel’intelligence sensible – même si,malheureusement, la sensibilitéici nommée y apparaît par troprestreinte à la sensibilité artistique– et le développement de lapersonnalité, plus particuliè-rement de la personnalitédémocratique.

Je poursuis ma citation :“Tout concourt à montrer et àdémontrer que l’éclosion del’imaginaire est une exigence depremier rang. (N.d.r. c’est moi quigraisse)

(…) l’enfant ne peut reconnaître unépanouissement harmonieux etéquilibré que si son intelligencerationnelle et son intelligence sensiblesont éduquées à parité.

(…) l’éveil de la sensibilité peut-êtreun merveilleux sésame pour les autresformes de l’intelligence : la musiqueintroduit au calcul, le théâtre à lalecture, et les arts plastiques ne sontpas sans lien avec la géométrie et laperspective (…)

(N.d.r. il y a vingt ans, JacquesPuisais, Directeur de l’Institut duGoût, subodorait déjà l’existenced’une relation positive entre ledéveloppement d’une éducation augoût et le développement parallèledes capacités de l’élève dans desdisciplines plus traditionnellementscolaires.)

“La pratique d’un art est un puissantantidote à l’absence de motivation, àl’ennui, à la vacuité de l’esprit.” etc.,etc. p.11 et 12.

Il faudrait évidemment s’engagerdans une exégèse méticuleuse de cetexte programmatique qui brosse àgrands traits les multiples promesses

d’une éducation de la sensibilité et,par exemple, se demander si : “Lapratique d’une art” ne pourrait pasêtre également autre chose qu’unpuissant antidote “à l’ennui” et à “lavacuité de l’esprit”… En passant, onpourrait en profiter pour revenir surles connotations à priori péjorativesde l’ennui et de la vacuité, en sesouvenant que :

- le philosophe Gaston Bachelardpensait qu’il était bon que les enfantss’ennuient, cela développe etrenforce, disait-il, leur imaginaire,- et que, en grec ancien, skholadzo(d’où nous vient l’école, la skholê) :c’est avoir ou prendre du loisir, êtreoisif, inoccupé ; se reposer dequelque occupation ; consacrer sonloisir à ;

Enfin, en conclusion de ce chapitre,la conférence ministérielle profile unenfant préparé à vivre mieux ensociété parce que mieux préparé aux“règles de vie commune et de lacivilité, qui sont à l’opposé de la loidu plus fort, soient très tôt diffusées,explicitées, traduites en actes àl’école.” p.18

Alors,Je ne puis que me réjouir de laconjonction de ces différentssymptômes parce qu’ils vont dans lemême sens, longtemps souhaité, dela reconnaissance- de l’intelligence sensible,- des savoirs sensibles,- et de la culture des sens- et de leur lien direct- sinon decausalité - avec la réalisation d’unesociété de civilité.

et simultanément,

Je ne peux que m’en inquiéter, cartous ces phénomènes d’engouementsoudain, d’adhésion unanime, dereconnaissance aussi emphatiqueque tardive, sont le plus souvent lerésultat d’une médiation specta-

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culaire, participent de lamarchandisation du monde et l’onrisque encore une fois de voirnégliger le nécessaire travaild’élaboration de cette question auprofit de quelques slogans surfeurspour débat télévisuel.

“Ne pas rire, ne pasdétester, ne pas déplo-rer, mais comprendre”écrivait Spinoza.

J’ajouterai, pour mon compte propre : - ne pas se réjouir immodérément

ou s’enthousiasmer inconsidé-rément,

- mais plutôt, s’efforcer decomprendre pourquoi :

- à un moment donné,- dans telle conjoncture et telle

société,- une notion vient soudain- faire irruption,- et précipiter des aspirations et des

énergies latentes (qui peut-être netrouvaient plus à s’investirailleurs ?)

- engendrant par là-même demultiples effets dans desdomaines extrêmement divers.

Mais,

1.3 - Que penser de cette résur-gence, de cette reviviscence, decet intérêt proliférant pour lesensible et la sensibilité ?Et comment l’interpréter ? Il y a, biensûr, plusieurs hypothèses. Jen’évoque ici que celles qui mesemblent les plus importantes.

1.3.1 – Il semble d’abord que l’onsoit en présence d’un phénomènenon isolé, s’inscrivant dans unensemble de “retours” (Par exemple,dans les années soixante – soixante-dix aux Etats-Unis, s’était observé leretour au “corps” qui, du “Criprimal” à l’ “Aérobic” a travaillé lemarché de la misère relationnelle

dans l’expansion d’une société del’apparence.)Alors : Mouvement cyclique ? Phasesalternantes, comme le propose lesocio économiste Sorokin ?Réappar i t i on con jonc tu re l l eprogrammée ? Nouvelle innovationde la “société spectaculairemarchande” (Cfr de même que l’oneut le retour des “sixties”, puis des“seventies”,etc…) tentant de doperles défaillances de la consommationdes économies occidentales ?

Si l’on devait retenir cette hypothèse,il faudrait alors pouvoir en fairel ’ h i s t o i r e , en ana ly se r l e sdéterminants, en mesurer les impactsréels.

1.3.2 – Peut-être, secondehypothèse, serait-on en présenced’un processus de régressionnécessaire, ainsi qu’il en va pour toutprocessus réellement formatif outransformateur ?

Retour au sens, retour par les sens,retour vers les sens, retour versl’essentiel ? Tentative illusoire derevenir à l’utopie harmonieuse d’unparadis perdu ou apparition d’unepériode hédoniste venant contre-balancer “l’ère du soupçon” de lapériode 1960-1980 ? Ou bien pour ledire comme le sociologue MichelM a f f e s o l i , r é a p p a r i t i o n d u“rugissement du sensible” après le“surgissement de l’entendementcritique” ?

1.3.3 - Cependant – ce sera matroisième hypothèse – il ne faut pasnon plus oublier que le vingtièmesiècle aura été le siècle de la prise deconscience du caractère mortel (etmortifère) des civilisations et,simultanément, celui de la hantise del’effacement, de la perte et de l’oubli.Soit, corrélativement, de la mémoire,du recueillement, de la conservation.Mais, peut-être, sont-ce là les deuxfaces d’un même phénomène ?

Et, prenant l’exemple du goût (maisce n’est pas le dernier des sens àengendrer une telle pratique…), onpourrait se demander si les tentativesd’éducation ou de rééducation augoût ne seraient pas à la cuisine ceque le travail de recensionethnologique est à bien des culturesétudiées : la mise frénétique enparoles d’une culture déjà morte.

Question : Ne serions-nous pas en train,vieux réflexecannibale, d’incorporermétaphor iquementune culture tradition-nelle qui meurt sousnos yeux, dernièretentative pour nousapproprier sa sagesse ?

2. Quid, à présent, desrapports entre sensibilité etdémocratie ?

2.1 - Il me faut là faire un détourpar cette réflexion du philosopheLuc Ferry qui pointe le fait que nousserions, pense-t-il, en ce début deXXIè siècle, confrontés à unerevendication d’autonomie jusque làinédite dans l’histoire de l’humanité.

“Globalement, écritLuc Ferry, dans lessociétés libéralessociales-démocratesqui sont les nôtres,l’exigence de liberté,entendue comme lafaculté de se donner sapropre loi, n’a jamaisété quoi qu’on en diseici ou là, aussi forte”.(Ferry, p.11.).

En effet, l’individualisme, du moinsdans ses formes contemporaines,

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éclôt et prolifère sur le compost duthéologico-politique de l’ultimesiècle de ce second millénairechrétien :

- crépuscule des dieux,- effritement des traditions,- délitage des communautés

vernaculaires,- conscience de la finitude

humaine, et, avec la troisièmegrande blessure narcissiqueapportée par S. Freud,

n.d.l.r ;-1- nous-nous, êtres humains… - nesommes pas, sur notre planèterésidentielle – la Terre-, ni le centre etencore moins les maîtres de l’univers ;cette première vexation cosmologiqueest due à Nicolas Copernic (même sil’intuition en était venue bienlongtemps avant aux Pythagoriciens) ;

- 2- nous ne sommes pas nés de lacuisse de Jupiter, nous sommes lerésultat d’une longue suite detransformations et issus de la sérieanimale. Ses acquisitions ultérieuresne sont pas parvenues à effacer lestémoignages de cette descendance :C’est à Charles Darwin, ainsi qu’à sesprécurseurs que l’on doit cetteseconde blessure du narcissismehumain, la vexation biologique).

- 3- l’atteinte la plus douloureusevient sans doute de la troisièmeblessure, la vexation psychologique.“Le moi n’est pas maître dans sapropre maison” écrit Freud (dans“Une difficulté de la psychanalyse”Essais de Psychanalyse appliquée.Trad. Marie Bonaparte. Nosprocessus psychiques sont en eux-mêmes inconscients, ne sont pasaccessibles au Moi, et ne sont soumisà celui-ci que par le biais d’uneperception incomplète.)

- à savoir, l’intuition de la toutepuissance de l’inconscient, qui faitque le Moi ne serait même pas maître

en sa propre maison… …sommes-nous donc entrés, commele suppose Luc Ferry, dans “l’ère del’interrogation indéfinie” :

“Plus les questionssurgissent, moins ilnous est aisé d’yrépondre, écrit lephilosophe, démunisque nous sommes detout critère préétabli”(Ferry, p.15).

Faute d’un recours à une quelconqueextériorité ou d’un impossible retouraux formes antérieures de lasubjectivité,C’est en nous-mêmes, “dans, par etpour l’humanité” précise Ferry, qu’ilnous faudra chercher – sans pourautant espérer les trouver – lesréponses aux questions que l’avancéedes sciences et des techniques nemanquera pas de nous obliger à nousposer dans de multiples domaines(Cf. celles de la bioéthique, dès àprésent).

Et plus particulièrement, pour ce quinous intéresse,- celles qui concernent les

conditions démocratiques defixation des bornes de la libertéindividuelle,

- celles qui interrogent lesrenoncements individuels quipermettent de réguler, au moindrecoût, le vivre-ensemble,

- celles qui, in fine, déterminent leslimites du pouvoir de l’homme surl’homme.

Du moins si l’on ne veut pas qu’ellesle soient par le simple jeu du“laisser-faire” des puissancesmercantiles et idéologiques.

On appréciera – ou l’on discutera – lalucidité et la pertinence dudiagnostic, mais comment en serait-on arrivé là ?

2.2. - Luc Ferry distingue troisâges dans le développement de toutecivilisation :

- celui où le groupe humain tient seslois de la référence à une divinitéou à une entité extérieure (cf.Moïse et les tables de la Loi) : leslois lui sont alors imposées del’extérieur.

- Puis, à la mort des dieux, legroupe a recours, fait référence àla tradition : “On fait comme cela,parce que chez nous, on a toujoursfait comme cela” ;

- enfin, dans la phase contem-poraine, on assiste à la montée del’individualisme :- où le désir des individus

devient premier,

- où l’objectif est de parvenir àl’expression de sa proprepersonnalité, à la réalisation età l’épanouissement de soi

- où la seule règle demeure cellequi consiste à se référer à sapropre subjectivité, à prendreen compte la réalité de sesdésirs (Cf.D.Bell : “Aujourd’huila psychanalyse a remplacé lamorale et l’anxiété a pris laplace de la culpabilité.”)

Soit, comme le disent lesphilosophes, un âge où l’on seraitpassé :- d’une loi transcendante, existant

extérieurement au groupe

- à des règles immanentes,produites à l’intérieur du groupe etpar les membres qui le composent

2.3 - A ces trois périodes,qui règlent les rapports de chacunavec les autres et le groupe,etqui définissent les modalités du“vivre-ensemble”,

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?

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correspondraient pour Luc Ferrytrois âges de l’éthique :

- l’excellence aristocratique :par exemple, le monde desanciens grecs (tel qu’Aristote leprofile dans : Le politique, Lamétaphysique ou L’éthique àNicomaque). C’est la “nature” -entre guillemets – qui fixe la fin del’homme. Un modèle qui, biensûr, engendre des inégalitéssociales qui désormaisapparaissent intolérables à notreéthique contemporaine.

- le mérite démocratique, quirompt avec la téléologie naturelle,qui invente la notion deperfectibilité comme capacité às’arracher à toute détermination“naturelle” ou “historique” etdéploie la notion de bonne volontécontre celle de finalité.

C’est en partie sur cette notion quereposent encore aujourd’hui, pourvous comme pour moi, nos activitéséducatives.

Enfin, ce qu’il appelle- l’authenticité contemporaine

où l’on assiste à l’affrontement dela norme extérieure (à la foiscontraignante et structurante) etde l’expression de sa proprepersonnalité.

Quelles sont les caractéristiques decette authenticité ?

- Le primat des idéologieshédonistes et narcissiques (sous laforme de la trop fameuseinjonction paradoxale : “beyourself”)

et, simultanément,- un surcroît de compréhension, de

tolérance et de respect de l’autre.

L’altérité devient le mot d’ordreincontournable et incontestable, la

valeur sûre entre toutes de ce débutde XXIè siècle, avec son corollaire :le droit à la différence (n.d.r. un droitaux modalités duquel il faudrait bienréfléchir afin d’éviter les pièges del’antiracisme différentialiste).

(A première vue ces deux caracté-ristiques : narcissisme et hédonisme,conduisant la “sculpture de soi”d’une part - le mot est de Nietzsche,mais il a été repris par Michel Onfray- et la prise en compte de l’autre,d’autre part, apparaissent plutôtantithétiques.Sauf à considérer avec Michel Onfray– faisant sien l’un des aphorismes dumoraliste Chamfort –que ledéveloppement de l’un (la sculpturede soi) peut ne pas se faire audétriment de l’autre - la prise encompte d’autrui - : “Jouir et fairejouir, sans faire de mal, ni à toi ni àpersonne, voilà je crois le fondementde toute morale”Ainsi se formule le contrat hédonistesynallagmatique où, pour reprendreet paraphraser la formule deBakounine : “La sensibilité d’autruiétendrait la mienne à l’infini”).

Soit, voici comment et par où, nousnous trouverions actuellement dansune situation de revendicationinédite d’autonomie.

2.4 - Que doit-on ou que peut-on penser de cette situation ?Faut-il redouter cette disjonction ?Doit-on déplorer cette déréliction ?Doit-on la subir, y demeurerindifférent ou plutôt s’en féliciter ?

La rupture d’avec la tradition del’humanisme métaphysique, si l’onpeut la déplorer, peut être égalementvécue comme une situation positive,voire : une chance, et cela, en dehorsde toute considération qui fait,qu’encore une fois :- tout retour à un état de fait oud’esprit antérieur est désormaisimpensable.

Car du coup, le possibledémocratique apparaît aujourd’huisous la forme du paradoxe suivant :

- Si désormais, la cohésion du groupesocial doit résider dans l’interindividualité (peut-être même dansl’intersubjectivité) et non plus dansla transcendance d’une réalitécosmique, d ’ordre divin outraditionnel, communément partagée(D’ailleurs, reste-t-il seulementquelque chose à partager sinonl’accélération entropique de l’état dela planète ?) ;

- Si la référence à un ordre du mondeextérieur à l’homme s’est peu à peuévanouie pour laisser la place àl’intériorité du microcosme de toutun chacun (un microcosme qui, peut-être, ne renverrait plus à aucunmacrocosme ?) ainsi qu’à l’épanouis-sement de celui-ci ;

- Si l’on pense qu’être démocrate,c’est croire non seulement aux vertusdu pluralisme, mais surtout en lacapacité qu’auraient les hommes defaire si peu que ce soit leur propreh i s t o i r e en t enan t compte ,néanmo ins , de ce que l apsychanalyse nous apprend quant àl’invalidation de notre volonté,

alors : comment devient-il possiblede fonder exclusivement à partir desoi des valeurs qui vaillent aussipour les autres,

ou pour le dire en des termes plusphilosophiques,

Question : “Commentfonder dans l’imma-nence radicale desv a l e u r s à l asub jec t i v i t é , l eu rtranscendance pour lesautres et pour nous-mêmes.” (Ferry, op. cit.p.28-29),

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Comment fixer pour le groupe deslois qui s’imposent à lui, etauxquelles il consent, à partir del’expérience que chacun peut fairede l’expansion – comme de lalimitation – de sa subjectivité et del’expression de sa sensibilité ?

Je vous propose de laissermomentanément cette question ensuspens… Question, vous lesubodorez, de toute premièreimportance, et qui vaut pour toutessortes de groupes :

- les groupes sociaux à l’évidence,qui sont ceux que j’évoquais,

- mais également cette sorteparticulière de groupes que sontles couples dans la mesure où elleinterroge la possibilité même dudésir de vivre-ensemble

Car, si nos sensibilités divergent, sinos goûts s’opposent, alors :“Qu’avons-nous encore à faireensemble ?”

Et, pour prendre un exemple …sensible :

Comment dépasser (mais : faut-il ladépasser ?) la répulsion primaire quis’origine de l’odeur de l’autre, dansles couples comme dans lesgroupes ? Et au prix de quelsrenoncements ?“Partager ses différences”…jolislogan programmatique. Mais quefaire de nos répulsions ?Si je prends cet exemple olfactif,c’est pour que l’on n’oublie pas que,dans l’Histoire des civilisations, laplupart des exclusions individuelleset sociales – qu’elles visent desindividus, des groupes ou des ethnies– ont toujours trouvé à se fonder surl’odeur de l’autre…que l’on a dans lenez, ou que l’on ne peut pas“blairer”.

“Qui veut noyer son chien, l’accusede la rage”, mais qui veut exclurel’autre prétend qu’il ne sent pasbon…

On connaît maintenant la réponse“technique” des sociétés occi-dentales dites “développées” à cettequestion : “Comment continuer àvivre-ensemble” ? Pour ce quiconcerne l’olfaction, ce fut :désodoriser. Et subtilement favoriserl’anesthésie uniformisée etgénéralisée comme versioncontemporaine d’une communautéintrouvable : anesthésie olfactive,anesthésie gustative, anesthésieauditive (par l’excès sonore ou son“aplatissement”), etc.

Il me faut à présent aborder un tempsde questionnement …

En allant interroger le pourquoi et lecomment d’une éducation de lasensibilité ?

… temps de questionnement qui vapermettre ensuite de profilerquelques pistes de réflexion.

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Deuxième moment

1. Pourquoi une éducationà la sensibilité ?

vaste question.Mais il y a sans doute sous cettein t e r r oga t i on l ég i t ime deuxquestionnements préalables :

- La sensibilité peut-elle êtreéduquée ? Et si oui,

- Doit elle l’être, et comment ? Cetteseconde interrogation supposantbien des sous-entendus.

Reprenons dans l’ordre …

1.1 - La sensibilité peut-elle êtreéduquée ?

Dire qu’elle peut l’être,

- c’est renvoyer à la condition mêmede notre éducation, c’est-à-dire ànotre inachèvement , à notrecondition d’être inachevé à lanaissance (Cf.G.Lapassade : L’entréedans la vie.)

et- c’est suggérer la possibilité d’unprogrès de nos potent ia l i téssensorielles dans l’ordre qualitatif etquantitatif.

De multiples exemples viennentattester que nos registres perceptifssont limités, mais pourraient, dumoins pour certains d’entre eux, êtreétendus.

1.1.1 - soit, et c’est le plus fréquent,par un travail d’entraînement etd’affinement : (C’est le cas, parexemple, pour le spectre gustatif :Abaissement des seuils de saturationd’une solution qui nous fait dire que“c’est salé” ou “c’est sucré”. Travaildes papilles et des choanes dansl’expérience de dégustation).

1.1.2 - soit par absorption decertaines substances qui agissent surdes structures physiologiques (Ex :Ingestion de carotène par les pilotesde la chasse britannique pendant laguerre 39-45 pour activer certainescellules rétiniennes et augmenterainsi l’acuité visuelle nocturne ; prisede psychotropes pour délierl’imaginaire chez de nombreuxécrivains : Baudelaire, Michaux,Burroughs,…etc.) ou par le fameux“dérèglement systématique de tousles sens” cher à Rimbaud…qui n’est,comme chez Antonin Artaud, qu’unautre mode de règlement en réponseà l’anesthésie déjà naissante de lasociété du XIXè siècle…

1.1.3 - soit encore par addition,adjonction de machines ou deprothèses (Ex : l’oreille électroniquede Tomatis ; le microscope, letélescope, etc.) qui nous permettentde parer aux limitations physiques ouphysiologiques de nos sens.

1.1.4 - Mais il faudrait égalementprendre en compte, et ce dernierexemple nous y invite, les pratiquesde rééducation sensorielle liées auxdisfonctionnement ou à la défaillanced’un sens.

(C’est une banalité de dire que l’êtrehumain a tendance à prendreconscience de ce qu’il a, et de cequ’il pourrait en faire, quand,justement, cela vient à lui manquer.Peut-être est-ce pour cette raison quela voie privilégiée de l’étude dessens, de la sensitivité, de lasensorialité, s’est de tout tempseffectuée en direction de l’examenattentif – et souvent compatissant –de ceux qui en étaient privés. Eneffet, de Denis Diderot (“Lettre surles aveugles à l’usage de ceux quivoient”.1749) à Hervé Guibert (“Desaveugles”1985), ceux qui sont privésd’un sens (surtout la vue, parfoisl’ouie, rarement le goût et l’odorat :les agueusies et les anosmies sont

souvent des troubles passagers) n’ontcessé de questionner ceux qui l’ont,et ceci de deux façons :

- D’une part : Comment font-ils pours’en passer ?

On sait que la réponse à cettequestion est presque toujours àchercher du côté de la normephysiologique et sociale (Car laquestion n’est pas : “Comment font-ils pour s’en passer ?” mais :“Comment les aveugles font-ils pourse passer de la vue dans un mondeconstruit par et pour des voyants”).Et de s’émerveiller de leur capacité àdévelopper – à éduquer ? – demanière substitutive leurs autressens (Le tact, la kinesthésie pour lesaveugles ; la gestuelle, le langage dessignes pour les sourds-muets, etc.).

- Et, d’autre part : En quoi cetteprivation affecte-t-elle leur capacitéà connaître le monde qui lesentoure ? De quoi les prive-t-elle ?(évidemment on ne s’interroge jamaisà savoir ce qu’ils gagnent…) et quese passerait-il si, d’un coup ilsvenaient à recouvrir leur sensdéfaillant ou manquant ?

Bel exemple de paradoxe éducatif oµcelui qui, de fait, se trouve privé del’usage d’un sens, est pris commeéducateur, comme maître, par celuiqui en jouit.

Ce qui me permet, en passant, d’oserune question : Le maître serait-ilcelui chez qui, l’autre – le disciple oul’élève – pense qu’il sait quelquechose de plus parce que, justement,quelque chose vient à lui manquer ?(Penser au statut des aveugles et desfous dans les sociétés archaïques etdans de multiples civilisations.)

1.1.5. – Mais ce n’est pas tant lasensorialité qui m’intéresse que lasensibilité.

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La sensibilité ?- terme équivoque, ambigu (maiscette ambiguïté fait son charme et sapuissance d’évocation)

(Par sensibilité, on entend le plussouvent,- 1 - Une faculté, une aptitude,humaine, à s’émouvoir (à se laisserémouvoir), à ressentir des émotions.

Ce premier sens se présente : - soit avec une connotation positive :il témoigne alors de la capacité àdévelopper envers autrui desréactions affectives (sympathie,empathie), de la capacité àmanifester de la compassion ou –comme aime à la dire le philosopheMichel Onfray puisant dans Littré – àcondouloir. Toujours dans uneacception positive, il qualifieégalement la finesse del’appréhension sensible d’unindividu, que cette appréhension soitesthésique (capacité à affiner l’usagede ses sens) ou plus précisémentesthétique (i.e. s’intéressant plusparticulièrement à ce que cette partiede la philosophie nomme : le beau).- Mais il peut également apparaîtreavec une connotation négative : cellequi à travers le “il est tropsensible…” nomme : La sensiblerie,soit une certaine inconsistanceaffective et émotive du sujet dans lamaîtrise de ses réaction.

- 2 - Dans un sens courant, decoloration plus technique, on parleraégalement de la sensibilité d’unemachine, c’est-à-dire de sa capacité,liée à son réglage, d’enregistrerfinement des états ou des écarts, desvariations (d’intensité vibratoire,lumineuse, thermique, pondérale,et…).

Mais on entendra bien qu’entre : la délicatesse dans le discernementde nuances qualitatives voisines (del’ordre de l’esthésique, justement :dégustation oenologique, saisie et

analyse de la subtilité d’unassaisonnement culinaire, distinctionde nuances colorées, finessed’appréciation tactile d’un tissu…)et la capacité métaphoriquementnommée “sensibilité”d’un appareil àindiquer de faibles variations dansl’appréhension d’un phénomène,

il n’y a pas de telles différences qu’onne puisse pas interroger les rapportsentre ces deux acceptions).

(n.d.r. Encore qu’un regard, deschoanes et des papilles, munis d’uncerveau, d’une expérience élaboréeet relayés par un langage affinésoient mieux à même de pouvoir,dans un vin, discerner desspécificités, des qualités et desnuances, qu’une machine ne saurait,pour l’instant le faire. ( Cfr M. Serreset le défi fait au Maître) .

que je proposerai d’entendre commeétant l’exercice des sens dans uncontexte et une culture donnés.

Et, je ne m’intéresserai pas :

- à la vue mais au regard ;- non à l’ouïe mais à l’écoute ;- je considérerai la dégustation et la

sapience (le savoir goûter) plusque le goût

- l’olfaction et la sagacité (le savoirhumer) plus que l’odorat,

- le tact - dans son acception première(Sensibilité qui permet au contactde certaines surfaces d’appréciercertains caractères : le lisse, lerugueux, le sec et l’humide,etc…).- comme dans celle, métaphorique(Appréciation intuitive et délicatede ce qu’il convient de dire, defaire ou d’éviter dans les relationssociales) qui nomme le respect desdistances qui règlent la civilité,plus que le toucher.

Ce ne sont donc pas principalementles sens (les organes des sens dans

l’acception physiologique du terme),ni même les sensations qui ferontl’objet des diverses réflexions quiparcourent cette conférence.

Et si cette sensibilité,

- a, à l’évidence, un support physio-logique et biologique,

- si on ne saurait la penser sans uneanalyse des “mécanismes” de lasensation,

- elle est évidemment en relationétroite avec une culture donnée.

Ou, pour le dire comme MichelOnfray : “Le cerveau n’est pas seul, ilest en perpétuelle interaction avec lemonde : fait par lui et faisant lemonde, dans une gigue sans fin.”.

Peut-être pourrait-on dire, que lasensibilité est l’expression desmodalités de la mise en œuvre dessens et des savoirs qui résultent decelle-ci, dans une culture, unesociété, un langage et une époquedonnés ?

Ceci dit, deux questions vont d’abordtravailler mon propos :

- La sensibilité doit-elle êtreéduquée ?

et- Que peut-on entendre par :

éduquer la sensibilité ?

1.2 – La sensibilité doit-elle êtreéduquée ?

Dire que la sensibilité doit êtreéduquée, c’est laisser sous-entendredeux choses.

D’abord qu’elle ne le serait pas parp r inc ipe (p r inc ip i e l l emen t ) ,o r i g ine l l emen t , na t i vemen t ,spontanément (la sensibilité dechacun et chacune d’entre vous n’estpas le résultat d’un état de “nature”,mais bien celui d’un travaild’engrammage complexe mettant en

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œuvre de multiples facteurs sur demultiples scènes. Tous les goûts – etles dégoûts – ne sont pas dans lanature, ils sont dans la culture,entendu au sens large

et ensuite,

que l’imprégnation ou la socialisationprimaire de cette sensibilité – qui seconstruit localement, principalementau sein de la famille – doit pouvoirêtre confrontée à celles des autres,dans la mesure où l’on estnécessairement amené à lesrencontrer, de telle façon que cetteconfrontation ne soit pas génératricede méprise, de rejet, d’exclusion,voire…pire. Ce qui requiert untravail d’éducation et de formationqui puisse amener à comprendre lesraisons de l’état de la sensibilitéd’autrui, corrélativement les raisonsde l’état de sa propre sensibilité (lesdeux moments compréhensifs n’étantpas indépendants) et peut-êtremême, à devoir et à vouloir réformer,re-former ou transformer sa propresensibilité (sans parler de celle del’autre…).

Je reprends ces deux “sous-entendus” afin de les mieux faireentendre…

1.2.1 – D’abord, qu’elle ne le seraitpas spontanément. Autrement dit,qu’il existe un potentiel sensoriellatent qui demanderait à être éveillé,à s’exercer et à être exercé, déployé,canalisé dans une certaine direction,pour se structurer et se former etceci, encore une fois, dans un milieu,une culture et un langage donné.

La question de cet éveil, dedéploiement, de cette formationincite à aller ré-interroger desdispositifs aussi complexes quel’engrammage, l’imprégnation, lasocialisation primaire, l’éducationfamiliale ou encore l’éducationscolaire et à tenter de comprendre

leurs positions et leurs rôlesréciproques.

Car, la transmission est d’abord unehistoire sans paroles, qui ne doit quepeu au discours, à l’injonction ou àl’interdiction. Elle se fait sansprogramme, sans projet et sansprincipe, sans même l’interventionconsciente de l’adulte, simplementparce que l’on naît et grandit dansune culture où tout objet est porteurde sens, où tout geste est symbolique,où toute relation est policée etcodée :

- en ouvrant les yeux un enfant voitles formes esthétiques de sa tribu(pas seulement les objets d’art, maistout l’environnement matériel etcomportemental : gestes, mouve-ments, rapports, enveloppescorporelles et matérielles, espaces,formes et structures qui définissentet peuplent son environnementproche ou plus éloigné…

Celles-ci travaillent à construire sonregard. (voir Anne Sauvageot) :- en prêtant l’oreille, il entend leschants et les sons de sa langue, lepaysage sonore dans lequel ilévolue ;

- les odeurs de corps, de cuisine, derituels, …viennent travailler sanarine ;

- l’introjection de certains alimentsprésents et usités dans son groupe deréférence élabore ses goûts et sesdégoûts ;

- le rapport au corps des autres,(enveloppe, proximité, distance,…)aux objets de son environnementproche, au climat qui est celui dulieu où il vit, éduque son tact,…(n.d.r. Quid du sixième sens, celuiqui synthétise et interprète ? cf. Ladame à la Licorne ; Serres, Valabregaet Hannah Arendt.)

On peut envisager de situer sur unaxe, allant du moins conscient auplus conscient, trois formes detransmissions :

la socialisationl’éducation

la pédagogie

et proposer d’en donner la définitionsuivante :

“Par les processus desocialisation, tout ungroupe, par son simplemode de vie et d’être,“façonne” les jeunes etles intègre à sa culture”

Par l’éducation, desadultes, conscients del eu r fonc t i on desocialisation, veulenttransmettre aux jeunesleurs valeurs et leurssavoirs ;

Par la pédagogie, desadultes – et souventdes adultes spécialisésdans cette fonction –mettent en place desmilieux, dispositifs oustratégies spécifiquespour réaliser cette fin.”(Y. Fumat. La sociali-sation primaire peut-elle être démocratique ?,Cerfee n°15, 1998,p.54.).

Encore faudrait-il ajouter que, mêmeà l’occasion des formes éducative etpédagogique, où sont censéesprésider la raison, la conscience et lavolonté, tout ce qui se transmet estloin d’être toujours de l’ordre duconscient… et souvent, ce qui s’esttransmis, ne relève pas de la volontéou de la conscience du

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transmetteur…ni même de celui àqui cela a été transmis.

En fait, les diverses figures del’apprendre sont souvent totalemententrelacées, intriquées et “les troismodes de transmission – habitudesles plus passives, interventionséducatives, et temps plusmanifestement pédagogiques – serelaient, se renforcent, se confirmentmutuellement pour donner à l’enfantson “identité sociale”. (Y. Fumat.Op.cit.p.57)

En outre, il faudrait se garder depenser que l’apprentissagecommence à la crèche ou à l’écolematernelle, mais prendre consciencedu fait qu’il a été transmis bien avantdans la famille. Car l’imprégnationcommence “in utéro”, se poursuit paret dans le “holding maternel”,s’accomplit dans un “bain delangage” et d’interactions commu-nicationnelles verbales et nonverbales, d’abord subi, puis peu àpeu partagé, le tout au sein del’habitus sensible de la famille :Habitus corporel, olfactif, culinaire,vestimentaire, spatial, kinesthésique,acoustique et sonore, etc.

Tout enfant reçoit donc quotidien-nement une éducation au “rôlesocial” qui sera le sien et tel est bienle premier socle, infra verbal, de lasocialisation comme apprentissagedu vivre ensemble, socle quidemeure dans un non-dit complet.

Les rôles sociaux sont perçuscomme : “mais comme un donnénaturel immuable (…) La socia-lisation primaire se fait parl’inscription d’habitudes passivestrès liées à la fréquence, larégularité, la quotidienneté desimpressions reçues.” (Y.Fumat.Op.Cit. p.55.)

(Comment se fait plus précisément

cette accession aux rôles sociaux sil’on reprend la division proposée desmodes de transmission ?

- S’agit-il d’un façonnementimpersonnel et inconscient ?

- S’agit-il d’une éducation volon-taire et plus consciente ?

ou bien- S’agit-il d’une pédagogie qui

explicite véritablement ses fins etses moyens ?

“Tous les niveaux existent et parfoiscoexistent, poursuit Yvelyne Fumat,mais il est important de repérer (…)le niveau premier, le socle originelinfra verbal qui reste dans un non-ditcomplet et qui par là-même estd’autant plus prégnant. Tout commeles formes langagières ouesthétiques, les rôles sociaux sontperçus non pas dans leursspécificités culturelles et arbitraires,mais comme un donné naturelimmuable (…) La socialisationprimaire se fait par l’inscriptiond’habitudes passives très liées à lafréquence, la régularité, laquotidienneté des impressionsreçues.” (Y.Fumat.Op.Cit. p.55.)

Les premiers temps de lasocialisation correspondent auxprocessus anonymes et diffus quePierre Bourdieu définit paropposition aux formes plus élaboréesde la transmission. “Aussilongtemps que le travail pédagogiquen’est pas clairement institué commepratique spécifique et autonome etque c’est tout un groupe et unenvironnement symboliquementstructuré qui exerce, sans agentsspécialisés ni moments spécifiés uneaction pédagogique anonyme etdiffuse, l’essentiel du modusopérandi qui définit la maîtrisepratique se transmet dans lapratique, à l’état pratique, sansa c c é d e r a u n i v e a u d udiscours.”(Pierre Bourdieu. Esquissed’une théorie de la pratique p.190.)

et,“Toute une régulation des émotions,des gestes signifiant les distances,des marques de la soumission, se meten place précocement. L’individu sesocialise par des modificationscorporelles profondes, inhibitionsdes émotions, habitudes posturales,contrôles moteurs) qui polissent sesmanières, lui donnent réserve etretenue, discernement des gestes àfaire et à ne pas faire. Des“manières” identiques serontpartagées par un groupe ou un sous-groupe, mais par ailleurs chaquegeste à l’origine impulsif sera lestéd’un poids social, comportera uneorientation vers l’autre, unesignification pour autrui. Identitépartagée et différences creusées, lesdeux aspects de la “sociabilité” sontprésentes dans tout rite de politesse”;renchérit Yveline Fumat).

Mais cette socialisation primaire,cette imprégnation, cet engrammagedu sensible – localement nécessaireet suffisant pour subsister et évoluerdans le système des codes quirégissent le monde de l’entre-soi,comment vient-il se confronter,s’articuler ou se heurter aux autresformes de sensibilité ?

Et surtout aux formes de lasensibilité des autres : autresindividus, autres clans ; autrestribus, autres groupes sociaux,…

… mais également à celles qui sontrequises – et souvent imposées par lacommunauté – ne serait-ce que pourque s’établisse un “vivre ensemble”a minima conflictuel, une sorte de“plus petit dénominateur commun”de la civilité et du savoir)vivre, d’unepart à l’école, et plus tard dans lesdivers espaces collectifs etrelationnels de l’univers économiqueet social ?

Et l’on sent bien que pour ce faire, ilserait nécessaire de prendre de la

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distance – une distance réflexivecritique – avec les processus qui ontcontribués à nous faire tels que noussommes.

Mais comment peut-on devenirconscient de l’engrammage de sasensibilité ?

Comment peut-on simplement lareconnaître pour ce qu’elle est : unrésultat, et dans l’aspect local etcontingent des dispositifs qui l’ontproduite telle qu’elle nous présente àautrui ?Sans pour autant l’ériger commenorme, voire être tenté de l’imposercomme telle aux autres ?

Et, dans la mesure où le dispositifd’engrammage ne permet que peu –et quasiment jamais … - laconscience de l’engrammage, où cetravail de conscientisation etd’élaboration de l’origine et de l’étatde sa propre sensibilité peut-il êtreconduit et mené à bien ?

Il me faudra revenir sur cettequestion qui me paraît essentielle etqui, me semble, vous être adresséedirectement.

1.2.2 – C’est pourquoi, me semble-t-il, dire que la sensibilité doit êtreéduquée, c’est également sous-entendre que :

- si l’on s’en tient tout simplement àl’imprégnation, elle ne le serait passuffisamment ou du moins, pascomme elle devrait l’être pour qu’unerencontre avec autrui produise dansle meilleur des cas,

- autre chose qu’une compulsion àl’identique, visant à rechercher enl’autre ce qui nous ressemble et nouscorrespond en tous points, dansl’aspiration illusoire que ceconfortement, cet isolat dereconnaissance, nous protège detoute néophilie perturbante venue de

l’extérieur ;

et dans le pire,- soit - si la notion de respect del’autre est encore active – lareconnaissance de “différences”indépassables chacun étant dès lorsconduit à passer son chemin “endouceur”,

- soit - quand les jugements de valeurconduisent à l’exclusion - le rejet puret simple d’autrui.

1.2.3 – Mais, il ne faudrait pasoublier que, si éveiller la sensibilité,c’est devoir rendre sensible (et savoirse rendre sensible) à d’autresmondes, à d’autres cultures, àd’autres manières d’être, de vivre etde penser – désirables, désirés ouimposés – quelles qu’en soient lesraisons, c’est également me semble-t-il, se mettre – ou être mis – en état derésister à leur disparition, à leurdégradation, à leur envahissementpar d’autres univers sensibles. (Cettedimension est présente, plus oumoins explicitement dans denombreuses recherches. Je réévoquerai cette question à propos destravaux de Jacques Puisais.)

Question : Dire que lasensibilité doit êtreéduquée, ce seraitdonc être en mesure denommer des finalités,de définir des objectifs,de préciser desmodèles, etc.

Et, dire que l’on “éveille”, que l’on“déploie” ou que l’on “épanouit lespotentialités” me paraît alorsnotoirement insuffisant si l’on neprécise pas pourquoi, vers quoi etcomment et si l’on ne demeure pasrésolument attentif à ces questions.

2. Que peut-on entendrepar : éduquer lasensibilité ?

2.1 – Eduquer la sensibilité, n’estdonc pas seulement s’efforcer deréaliser un développement plus oumoins approfondi d’une “dotationinitiale en capital sensoriel” (pourdiscourir comme certains écono-mistes, ce qui a l’avantage decontourner momentanément laquestion de l’inné), dans une culturedonnée – développement qui viseraità parfaire l’achèvement de l’êtrehumain, lequel - ce malheur estégalement sa chance – vient aumonde inachevé.

Ni même de s’appliquer pour que cedéveloppement, ce déploiement de lasensorialité, respecte un équilibreentre les différents sens, équilibre(ou déséquilibre), qui ne peut seconcevoir en dehors des paramètresde la dite culture (ainsi, la cultureoccidentale privilégie les sens dulointain : la vue et l’ouïe, et tient enméfiance les sens de la proximitéauxquels d’autres civilisations oud’autres groupes sociaux ont fait uneplace plus importante).

Non plus que, revenant sur unedichotomie remontant au moins à laphilosophie platonicienne, on décidede valoriser également le sensible etl’intelligible, de reconnaître la réalitédes savoirs sensibles dont du coup, ilfaudrait aussi interroger, puis étudierles dispositifs de production,d’appropriation et de transmissionqui, pour leur plus grande part,échappent aux pédagogies scolaireset universitaires. Et, de là, prendreconscience de l’existence d’unevéritable culture des sens. (culture qui trouve à s’exercer demultiples façons, par exemple :- connaître et reconnaître au

toucher l’essence, la qualité et lefil d’un bois ;

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- saisir à l’œil, ainsi qu’au tact – enressentant la résistance qu’iloppose via le manche de la truelleà la main qui le “touille” - ledegré de fluidité ou de compacitéd’un mortier et, dans l’instant,savoir s’il faut rajouter du sable deque l l e na tu re , de que l l eg r a n u l o m é t r i e , e n q u e l l equantité ?), de la chaux, du ciment(en quelles proportions ?) de l’eau(jusqu’à quand ?), en fonction dequelle utilisation (maçonnerie depierres dures, de briques, detuiles, de parpaings ? ou mortier àjoints, à enduits, et…).

Et l’on pourrait continuer ainsi surdes registres et en des domainestraditionnellement mieux consi-dérés : la (haute) cuisine etl’œnologie, par exemple. Mais là, jelaisserai Michel Serres et MichelOnfray – les hédonistes ont du goût ets’en donnent les moyens…- vousdistiller les charmes chromatiques,olfactifs et gustatifs du ChâteauYquem…)

2.2 – Eduquer la sensibilité, c’estévidemment – ce qui n’est déjà passimple – la prise en compte de toutesces dimensions. Mais il me semblequ’il s’agit - à l’heure où la notiond’éducation à la citoyenneté tend àdevenir une thématique à la modepour émissions télévisuelles en“prime time” - de bien autre choseencore.

Rien moins que l’une des conditionsqui permettraient la réalisation d’un“vivre ensemble” démocratique…

Et ceci m’invite à revenir, mais parun autre biais, sur la question de lasocialisation et de l’engrammage dela sensibilité.

3. Socialisation etengrammage de lasensibilité.

3.1 – Si, avec les anthro-pologues, on entend par“socialisation” : un ensemble deprocessus par lesquels les “jeunes”(mais également les adultes)acquièrent des comportements, dessavoir-faire, des valeurs, desattitudes qui leur permettront d’êtreintégrés et reconnus dans leur grouped’appartenance sociale.

Et si l’on constate que, ce faisant, lescréations culturelles enserrentl’individu dans réseau de marques etde signes (manières de se présenter,de s’exposer, de s’habiller, de senourrir, de s’approcher du corpsd’autrui, de regarder et d’êtreregardé, de s’environner d’odeurs etde sons, etc.), réseau, maillage,d’autant plus imprégnant, struc-turant, efficient, qu’il n’est pas repérécomme tel (les “jeunes” acquièrentces comportements ou ces savoir-faire, sans que le plus souvent, on l’avu il y a un instant, il n’y aitnécessairement, de la part du groupeconcerné, volonté d’éduquer, encoremoins acte délibéré d’enseigner.),alors il faudra bien reconnaître que,avec et en-dehors de la famille c’esttout l’environnement social qui est,incessamment, sans relâche, facteurde socialisation.

3.2 – Et si quelques uns de cesprocessus sont parfois explicites(et mêmes institués pour certainsd ’ en t r e eux : l e s ép reuves“initiatiques”, formalisées commedans les sociétés dites “archaïques”,ou plus informelles, comme dans nossociétés contemporaines sans pourautant, d’ailleurs, être toujoursexplicités,…)

… la plupart d’entre eux relève d’uneformation diffuse, insinuante,

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i nd i r ec t e , impercep t ib l e e tindiscernable, allant de l’impré-gnation la plus latente à“l’éducation” familiale la plusporteuse “d’habitus”, c’est-à-dire lamoins explicitée, soit la moinsexplicitée, soit la moins explicitable.

“Rien ne paraît plus ineffable, plusincommunicable, plus irremplaçable,plus inimitable, et par là plusprécieux, écrit Pierre Bourdieu, queles valeurs incorporées, faites corps,par la transsubstantiation qu’opère lapersuasion clandestine d’unepédagogie impl ic i te capabled’inculquer toute une cosmologie,une éthique, une métaphysique, unepolitique, à travers des injonctionsaussi insignifiantes que : “tiens-toidroit, ne tiens pas ton couteau de lamain gauche”. Toute la ruse de laraison pédagogique réside préci-sément dans le fait d’extorquerl’essentiel sous l’apparence d’exigerl’insignifiant” (Pierre Bourdieu.Esquisse d’une théorie de lapratique.p.190.)

(Et là – dans ce que vient d’évoquerPierre Bourdieu – “ça parle”, on setrouve déjà dans l’univers de laparole échangée … mais laformulation du principe ou duconseil vient bien après l’imitationdes aînés et le façonnement tacitedes manières. Et si Bourdieu parlede “pédagogie implicite” c’est parune sorte de détour qui signifie quela volonté pédagogique n’est pasencore manifeste à elle-même, mêmesi la transmission est effective.

Il serait préférable, écrit YvelyneFumat : “de dire que la pédagogie estune socialisation explicite, plutôt quela socialisation est une pédagogieimplicite.” - (La socialisationprimaire peut-elle être démo-cratique ?, CERFEe n°15,p.59. Maisceci resterait à discuter.)

Les Anglais nomment cet aspect dela socialisation primaire “shadowtraining”, c’est-à-dire, des modalitésd’engrammage implicites, souter-raines, occultées, rhizomiques.

Car, vous le savez, il n’y a pas deprocessus de socialisation qui prenneplace hors d’un espace économiquedéterminé.

Ce qui veut dire que ces modalitésd’engrammage- sont l’objet d’enjeux de program-mation et deviennent effectivementprogrammées- quand des logiques mercantiles ouidéologiques mettent en place desdispositifs- qui visent à structurer, orienter,canaliser, disposer la sensibilité desci toyens-producteurs-consom-mateurs, afin d’en récupérer lesprofits monétaires ou symboliques,mais qui simultanément travaillent –volontairement ou non, on aura sansdoute l’occasion de discuter de lasuspicion de manipulation… - àrendre homogène, uniforme, etconstantes des perceptions sensiblesdu monde, que celles-ci soient del’ordre du regard, de l’écoute, del’odorat, du goût, etc.

3.3 – Un exemple ? Prenons legoût, l’un des sens le plus sujet à laformation par la mise en œuvre dep rocessus imp l i c i t e s desocialisation.

On aime les frites, la mayonnaise, lesbiscuits, les tripes, les bananes avecdu ketchup ou l’on déteste lesépinards, les endives, les abats, lepoisson, la peau du lait (mais il n’y aplus, depuis longtemps, de peau surle lait…), le fromage, etc…

Cependant, le “chacun ses goûts !”n’est entendable comme fin de nonrecevoir – et n’a évidemment de sensque si :- d’une part, “chacun” a pu être

confronté avec toute la palette duregistre sensoriel gustatif, c’est-à-dire mis en disposition de pouvoirchoisir, car on ne saurait éprouverle besoin de ce qu’on ne connaîtpas et…

- d’autre part, s’il est en mesure depouvoir dire – ou du moins de “sedire” - d’où lui viennent ses goûtset ses dégoûts, pourquoi il aime oun’aime pas…Travail que jequalifiais tout à l’heure, pour fairebref, de “conscientisation”.

Mais la progression de la “junkfood”, de la “néfaste food”, cettenourriture de la génération “bouffe-mou”,- celle des enfants de Mars, Cadburyet Rowntree Mackintosh, les troistrust anglais de la confiserie queGraham Green surnomme les“éducateurs secrets de la nationbritannique”,- celle des adeptes de la “vagabondfeeding” qui ne savourent ni necroquent, mais aspirent, suçotent,tètent ou mâchouillent les mamellessiliconées de la société deconsommation de masse - respon-sable de l’obésité de près de 40% dela population féminine des Etats-Unis - obligent à aller questionnerplus avant ces conduitesalimentaires. (qui sont le symptômed’un intense désarroi, semblentcomporter - écrit Pierre Aimez - “unemême ligne d’horizon prégénital etperverse”. Leur nature régressive etleur contenu narcissique suggèrentqu’à l’échelon du groupe social – etdu modèle civilisateur – il soitpossible d’y voir “les signes d’unvaste retour du refoulé et laréaffirmation des valeurs corporellesinfantiles primordiales.”)

Régression, infantilisation ? Le“progrès”, pensé, conçu, produit etentretenu par des intérêts puissantsque l’industrie défend le plussouvent avec une énergie farouche va

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vers l’indifférenciation. (“Le corpsse dédifférencie, comme lanourriture, écrit Michel Serres :infantile elle court vers son amontlacté ; sucré ; il remonte à son début,mammifère. (…) La mollesse alorsflotte à l’entour des corps gloutons,“l’homo insipiens” se dessine àcontours flous, gonfle et se faitmonstre, perd ses formes, non pasgros, mais enveloppé dans lagrossesse, redevenu embryon.”).

3.4 - Cet exemple de“socialisation”, de normalisation etd’indifférenciation du goût- abandonné à l’emprise des

industries agro-alimentaires, deschaînes de fast-food (mais aussi,faut-il le redire ? – à l’acceptationpar les consommateurs d’un modede vie soumis aux impératifs de“l’horreur économique”)

- d’autant plus efficace qu’il opèreimplicitement (le plus souventmême, sous couvert des discoursde la modernité, du progrès et dela “libération”)

- met, a contrario, l’accent sur celledes dimensions de l’éducation quime paraît être la plus essentielledans la mesure où elle est enrelation directe avec ce que l’onpourrait appeler la formation d’unepersonnalité démocratique.

Je veux parler de ces objectifs quedevrait se fixer toute éducation - ettout particulièrement l’éducation dela sensibilité - visant à développerchez chaque individu :- la conscientisation et le retour

réflexif sur soi,- l’esprit critique,- la capacité à penser par soi-même,- la vigilance et la résistance.Soit contribuer à former desindividus singuliers, différenciés,autonomes et responsables à la foisd’eux-mêmes et envers autrui.

Car la démocratie – plus que toutautre mode de gouvernement redoute

l’uniformité, l’homogénéité l’indiffé-renciation et le clônage,la dépendance, l’anesthésie etl’asservissement.Et se doit de demeurer vigilante àtout retour du refoulé.

Il y a ainsi, me semble-t-il, dans letravail que conduit quelqu’un commeJacques Puisais concernantl’éducation au goût quelque chosequi pourrait s’interpréter comme unerésistance à l’emprise des “fast-food”- ainsi qu’à une grande partie del’industrie agro-alimentaire -emprisedont on connaît les multiplesstratégies économiques et symbo-liques, (par exemple, lesanniversaires, qui font le “bonheur”des enfants, de la famille, descopains… et de l’entreprise) dans leprojet d’engrammage programmé despapilles, qui plus est des jeunespapilles. :”Il fallait les éveiller avantqu’ils ne s’endorment complètementdans la bouillie confortable descrèmes glacées” (J.Puisais : “Le goûtet l’enfant”).

Un exemple a contrario permettra dese rendre compte qu’il n’y a pas –quoi qu’on en dise – de fatalité àl’œuvre, de bien comprendre ce quepeut être une éducation de lasensibilité et ce qui peut s’entendrepar résistance.

A Saulieu (Yonne), au restaurant de“La Côte d’Or” (trois roses auMichelin) – où l’art du célèbregastrosophe Bernard Loiseau opèreégalement sur ses propres enfants –dont le goût s’éduque – donc s’affine– au contact du Colvert au chouxrouge, des Jambonnettes degrenouilles à la purée d’ail et au jusde persil, du Sandre à la fondued’échalotes ou du Soufflé de pommesvertes au gingembre accompagné desorbet de pamplemousse -, ceux-ci,parfois indisciplinés comme tous lesenfants (l’éducation du goût nedispense pas de l’expression d’une

certaine excitabilité…), blêmissentet rentrent dans le rang quand, à lasuite d’une quelconque désobéis-sance, leur père menace de lesemmener – mise en demeuresuprême – au “fast food” local… “Situ n’es pas sage, je t’emmènerai auMacdo… !”

Que l’on n’aille pas s’imaginer àpartir de cet exemple que seul le luxede la “haute-cuisine” aurait la vertude délivrer des tentations quefomente l’empire de la “junk food” :“Qu’importe le niveau de vie et leschoix éducatifs” écrit JacquesPuisais. “Nous connaissons tous desfamilles aisées où la table se révèled’une pauvreté sensorielle affligeanteet, inversement, des famillesmodestes où l’on sait varier lessaveurs.(…) Le luxe, ce peut-êtreaussi l’ambiance, la couleur de lanappe (ou des sets de table), aussibien que l’assaisonnement de lasalade ou des légumes”.

Et l’on sent combien cette résistanceest nécessaire dans un domainecomme celui de la sensibilité, sidifficilement verbalisable, c’est-à-dire si peu protégé par le travail demise à distance que permet toutemise en discours.

Alors, j’évoquais juste avant cetexemple, l’accusation de “manipu-lation” que l’on formule un peurapidement et souvent sans trop deréflexion, à l’encontre des médiaaudio-visuels, des fast-food, et autresengrammateurs de nos perceptionssensibles.

Qu’est-ce à dire ?

Peut-on réellement dire que, au seindu Conseil d’Administration del’entreprise MacDonald, il y ait uneréelle volonté, réfléchie et pensée,d’uniformisation systématique dugoût du consommateur. Autrementdit, sommes-nous en présence d’une

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volonté de “MacDonalisastion dumonde” comme l’écrit Paul Aries ?(ARIES Paul : “Les fils de McDo. LaMc Donalisation du Monde”.Paris ;L’Harmattan ;1997,224p

La réponse n’est pas simple :- parce que, pour qu’il y ait

manipulation, il est nécessairequ’une intelligence soit à l’œuvre(ainsi, il n’est pas certain que “latélévision”, par la pratique de sesmontages, de ses mixages image etson, etc. “manipule” le regard destéléspectateurs… que celui-ci ensoit “formé”, c’est une autrehistoire)

et donc, à la question précédente, laréponse est :- sans doute : non, si on l’entend au

sens où je parle d’éducationvolontaire et consciente de lasensibilité ;

- mais certainement : oui, si l’onréfléchit au fait que les stratégiesde conquête et de conservationd’un marché passent parl’uniformatisation, la standardi-sation, la stabilisation de celui-civia ce que l’on pourrait appeler unphénomène d’addiction duconsommateur, phénomène qui leconduit soit à ne plus pouvoir sepasser du produit, soit à refusertout produit autre qui ne seconformerait pas auxcaractéristiques de celui-ci. Etqu’en l’occurrence, en netravaillant pas à diversifier – àéduquer – la palette gustative duconsommateur (ce qui ne va pas desoi, ce qui ne se fait passpontanément), ce type denourriture va dans le sens durenforcement de la néophobie decelui-ci, dans le sens de la fixationsur un type de nourriture lié à ungoût spécifique duquel leconsommateur ne souhaite pass’extraire.

En ce sens la stratégie n’est pas trèsdifférente de celle des producteursde cigarettes américaines visant àr endre l e s consommateu r sdépendants de leurs produits paradjonction de substances, qui lesempêchent de s’en défaire.)

Avec cet exemple, refermonsmomentanément la parenthèse dugoût et amorçons la conclusion enproposant quelques pistes deréflexion.

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4. Quelques pistes deréflexion…

On se contentera donc ici, d’indiquerquelques pistes de réflexion prenantacte de cette analyse, pistes dont onsent bien en les énonçant quechacune d’entre elles requiert d’êtrepesée et développée dans ses tours etdétours afin d’en pouvoir saisir laportée et les limites, que celles-cisoient heuristiques ou pédagogiques.

4.1 – Première piste : La premièrepiste s’efforce de définir…

…l’éducation à la sensibilitéentendue, a minima, comme travailpréalable de “re-visitation” desengrammages sensibles.

Il y a, sous-jacente à cette formu-lation d’une “re-visitation” (quelleque soit la manière dont on peutl’entendre), l’idée que l’éducation (onpense ici à l’éducation instituée, etplutôt dans le sens de ce qu’elledevrait être, ou pourrait être…)

Devrait travailler : avec et contre lesengrammages du sensible

- avec et pendant qu’ils opèrent(dans la mesure où ils sontconstitutifs de la structure de lapersonnalité et de l’identitésociales dans un moment oùl’enfance est particulièrementmalléable),

et- préventivement (ex ante) et

curativement (ex post) contre (carils sont l’objet privilégié del’emprise des processus desocialisation normalisants)

La question est ici desavoir comment l’idéed’éducation pourraitrencontrer – et/ou noncoexister avec – cellede socialisation.

L’intérêt d’une éducation esthésiquepourrait être,

- quand et si cela paraissaitsouhaitable, de prendre d’abordconscience (c’est-à-dire : avant deprendre le contre-pied : décoderavant de dénoncer) des modalités,de l’étendue des engrammagesimplicites à l’œuvre,

- non pas avec l’arrière-pensée d’enfaire le procès systématique,

- mais, dans un premier temps, deles conscientiser, de les fairepasser du latent au manifeste, desles connaître et de pouvoir s’yreconnaître.

Mais comment ?

D’abord en se mettant, ordi-nairement, à la “question”. C’est-à-dire en proposant un programmeéducatif – qui, me semble-t-il-viserait :- à aller interroger notre “auto” et

notre “hétéropoïèse”,- à questionner, dans ses résultats

comme dans son procès deproduction, le “produit psycho-social” que nous sommes devenus,

- à enquêter sur l’origine de nos“habitus”, de nos engouements, denos “goûts pour” et de nos“dégoûts de”, de nos “j’aime” etde nos “je n’aime pas”, de nospréférences et de nos résistances.

Ce travail pourrait évidemment êtreconçu comme relevant, de façonprivilégiée, du domaine de larecherche : entendre de la recherchedes “chercheurs”, la recherche insti-tuée, la recherche avec un grand “R”.Mais, ce sur quoi j’insiste c’est sur lefait que chacun peut – et doit – enmatière de sensibilité, s’engager surla voie de savoir d’où il vient, de quoiil est fait, quelle est sa carted’identité sensible, quels sont sestolérances et ses limites, qu’est cequi les explique

Corrélativement, ce retournement duquestionnement sur nous-mêmesdevrait également nous donner lacuriosité d’aller interroger les raisonsdes goûts et des dégoûts, desengouements et des répulsions desautres ; autres qui, de ce fait,n’apparaîtraient peut-être pluscomme aussi inquiétants au regardde notre “normalité” naturalisée,mais plutôt comme des constructionsdifférentes, ayant suivi un autreparcours ; parcours qui pourrait biennous questionner sur ce que nousserions devenus nous-mêmes si nousl’avions suivi.

Interrogations, sans a priori,délestées des prénotions qui lesencombrent, qui devront multiplierleur angle d’approche et recevoir desréponses croisées, tant anthropo-logiques, que sociologiques oupsychanalytiques.

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Et l’on concevra sans difficultés quele groupe – du moins le petit groupe– soit le milieu privilégié pourconduire un tel travail deconfrontation et de conscientisation.

Mais quel intérêt y a-t-il à conduireune telle investigation ? Les réponses– il y en a sans doute plusieurs – vonttoutes dans la direction de cette“illusion éducative” que je l’espèrenous partageons dans cetteassemblée – à la fois motrice etleurrante, comme la plupart desillusions – qui conduit à penser qu’ilpourrait y avoir quelque rapportentre “savoir” et “changer” dans lesens où “savoir” (par exemple : d’oùl’on vient) pourrait contribuer à“changer” (par exemple : ce qu’onest…).

Le caractère abrupt de cetteformulation suppose, évidemment, demultiples développements qui netrouvent pas ici leur place. Et enparticulier le fait que lapsychanalyse nous ait appris que : cen’est pas parce que l’on sait que l’onchange.

4.2 – Dans la toile d’araignée dulangage …

La seconde piste prend acte du faitque conscientiser passe parl’acquisition de la capacité à dire, àdécrire - décrire ses sensations, sesperceptions sensibles, ses sentiments… ; que décrire, c’est avant tout êtrecapable de nommer ; et que nommers’apprend peut-être, de façonprivilégiée, en communiquant avecautrui…

Car, l’expression langagière de lasensibilité ne va pas de soi. “Nouspercevons seulement le monde, écritNietzsche, dans la limite de nos sens,à travers la grille de nos imagesmentales, puis à travers la toiled’araignée du langage.”

Les manières de voir, d’entendre, degoûter, de sentir, de toucher,acquises le plus souventimplicitement se disent avechésitation, difficulté et sans douteune certaine crainte. On l’entendsouvent dire “Des goûts et descouleurs on ne dispute pas.”Qu’en est-il alors des écoutes, destouchers, des effluves ? Les motsmanqueraient-ils pour les dire ? Lelangage courant serait-il inadéquat,informe, inapproprié à dire lesensible ?

Si le sensible ne se laisse pasaisément capturer dans la toiled’araignée du langage et si c’est avecde multiples réticences et encoreplus de précautions que l’on s’efforcede le nommer, cela tient à plusieursraisons.

4.2.1 – Du fait de l’inadéquation dulangage courant au sensible…

D’une part, du fait de laméconnaissance d’un langagespécifique, de l’inadéquation, del’inappropriation du langage courant,du retard ou du décalage des motspar rapport à la sensation, on seraitdans l’incapacité, ou la difficulté denommer le sensible, d’exprimer defaçon langagière – verbalement oupar écrit, sa sensibilité.

- Le Philosophe Michel Serresdéfend – dans une langue superbe –l’idée que la sensation s’endormirait“sous la narcose des paroles”.Quand le langage est là, la sensibilitén’y serait plus. Et le sensible nepourrait à la rigueur s’énoncer quepar l’intermédiaire de la métaphoreou du discours poétique.

- Mais, sans prendre le contre-piedsystématique de cette thèse qui, parailleurs, a de multiples intérêts, onpeut penser qu’il s’agirait plus d’unequestion de niveau que d’unequestion de nature. A l’évidence,

c e r t a i n s m o t s , c e r t a i n e sconstructions syntaxiques, travaillentà l’exaltation des sens. Le langagepermet de nommer, c’est-à-dired’opérer des distinctions, dereconnaître des différences, derepérer le singulier là où ne seprésente que l’indifférencié ; ilimplique un raffinement du plaisirdes sens. Peut-être même, nommercontribue-t-il à engendrer ou àrévéler la sensation latente quin’existerait pas consciemment si elledemeurait innommée. (cf. le travailde dégustation œnologique).

4.2.2 - …et des réticences ànommer : la peur de la perte.

D’autre part, il faut égalementprendre en compte les résistances oules réticences à nommer le sensible.Il est fréquent, en effet, de rencontrerde telles manifestations de refus,lorsque le moment vient de devoirnommer ou décrire : impressions,sentiments et sensations.

En dehors de l’inadéquationspécifique signalée précédemment –inadéquation qui peut se doublerd’un sentiment de maladresse oud’embarras, de défaut dansl’expression – il y aurait commel’intuition confuse que cela s’y feraitau risque de s’y perdre ou, du moins,d’y perdre quelque chose ou quelquepart de soi.

Perte de spontanéité, d’intensité oud’authenticité de la sensation, craintede sa dissipation ou de sonévanescence ? Nommer, décrire, ceserait prendre le risque de nouscouper de toute relation fusionnelleavec ce qui nous émeut. Direcontribuerait à faire fuir l’émotion ence qu’elle a pour nous de plus intime.

Qu’il y ait perte, j’en suis bienpersuadé.Mais, ce qui se perd, ce que, parexemple , l ’ en f an t pe rd en

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immédiateté (d’autres diraient en“naturel”), il le gagne en sensibilité.

Car la sensibilité n’estpas de l’ordre du“donné”, mais de celuide l’acquis.

Ce qui se perd, c’est du “gagné sur”.Sur quoi ?Sur le chaos émotionnel, surl’informulé ou l’innommé de lasensation.C’est le passage de la sensation bruteà la sensation élaborée ; et si toutdiscours sur le perçu, le ressenti,éloigne de la sensation brute, c’estqu’il travaille à son élaboration.

Il y a donc bien perte – immédiate oudifférée.Il y a bien nécessaire séparationd’avec un connu, ou un reconnu, pouraccéder à quelque chose d’autre.

Mais ne serait-ce pas le rôle del’éducation que d’aider à en gérer ledeuil ?

4.3 – Communiquer pourconscientiser ses perceptionssensibles…

“Des goûts et des couleurs, on nedispute pas…”, mais, peut-être,pourrait-on se mettre à en discuter !Emmanuel Kant défendait l’idée queles gens qui n’ont pas de goût nediscutent pas : Ils ne jugent, pensait-il que d’après l’agrément ou ladistraction que procure une œuvre.Chacun juge pour soi (“J’aime” ou“je n’aime pas”) et les choses enrestent là ; Mais on peut doublementinverser cette proposition :

- d’abord en disant que : les gensqui ont du goût, ont du goût pour lacommunication parce que le “goûtest une sorte de sens critique, quime permet intuitivement de fairele partage entre les sensations qui

n’appartiennent qu’à moi d’unepart, et, d’autre part, le sentimentque m’inspire une œuvre et que jepourrais avoir en commun avecd’autres, quelles que soient lesdifférences de nature ou d’originesociale qui me séparent de cesautres” (Canivez, p.121).

- et qu’ensuite, de la pratique de lacommunication, du travail quiconsiste à repérer ses perceptionssensibles, à les affiner en lesnommant, à s’efforcer de lesdéplier, de les expliquer à autrui,d’aller au-delà des jugementshâtifs et des fins de non recevoir,on peut penser qu’ainsi pourraitnaître le désir de partager sesgoûts avec l’autre, d’encomprendre, sans exclusion, lesdivergences et les différences.

Et, ce faisant, dépassant la crainte oula difficulté à nommer, de fairel’épreuve – d’éprouver – le plaisirdes noces du langage et du sensible.

Et l’on voit apparaître l’enjeupolitique de l’éducation esthésiquequi serait ainsi :- de mettre en place des dispositifs

où il deviendrait possible,- de cultiver le sens d’une

communauté qui existerait en secherchant,

- de cultiver le goût pour unecommunauté fondée sur ladiscussion, sur la recherche d’unaccord à travers des divergencesexposées, confrontées, comparées,discutées et élaborées en commun

- et où verbaliser consisterait àbaliser par le verbe des mondespartiellement étrangers à nosconcepts familiers .

Resterait :- à se doter d’un langage qui

viendrait, non pas suffoquer lasensibilité, non pas l’anesthésier,non pas s’y substituer, encoremoins la mettre en pièces, mais

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tout au contraire : L’exhaler,l’exalter, la déployer, lui faire “laqueue de paon”, la séduire ?

et- à réfléchir à : comment rendre un

tel langage désirable à ceux pourqui “dire” (ou écrire) la sensationa le goût amer de la perte ?

(Cf. M. Serres : le recours à unlangage plus abstrait pour dire lesensible.)

4.3 – De la “sculpture de soi” àla prise en compte de l’autre.

La troisième piste se proposed’explorer la complexité du rapportentre : notre sensibilité- dans l’acception “être sensible” etla nécessaire prise en compted’autrui.

Pour la langue française, le terme“sensibilité” recouvre une multitudede signifiés ; mais, “être sensible”indique presque toujoursl’occupation d’une position limite parrapport au groupe de référence,position stigmatisée – et secrètementenviée – par celui-ci. Le terme“sensibilisation”, désormais fréquentdans le vocabulaire des enseignantset des formateurs énonce bien cetravail :(l’époque étant à l’inflation de celui-ci, dans le souci non plus de“transmettre des savoirs stables”,mais de contribuer à l’émergenced’un “désir de savoir” et, sans doute,dans l’incapacité où ils se trouvent,de fait, de faire autre chose que de la“sensibilisation”…)

- de mise sous-tension, travaild’aiguisage de la curiosité pour undomaine qui, à priori, ne retenait pasautrement notre attention ;

- travail de mise à l’affût, de mise “àvif”, en état d’une plus granderéceptivité vis-à-vis de ce à quoi,soudain, on pourrait être confronté.

Etre sensibilisé, c’est être en étatd’alerte, - focalisé sur quelque choseq u i p o u r r a i t a d v e n i r e t ,simultanément, réceptif à tout ce quipeut traverser le champ oùprésentement l’on se trouve. Etat quiconnote :

- l’attente et l’aguet,- la centration et l’évagation,- la tension et la disponibilité,- le ponctuel comme le diffus.

Or la démocratie, plus qu’un autremode de “vivre ensemble” - du moinsdans ses modalités contemporaines –implique la prise en compte del’altérité et la pose en terme d’égalitéet de reconnaissance réciproques.

Et l’altérité suggère l’altruisme, maisne saurait aller sans tenir compte del’altération.

L’autre n’est pas moi-même (alterego) et, si son altérité m’attire (encorefaudrait-il que je sache pourquoi…),j’hésite cependant à aller à sarencontre car, si j’entrevois ce que jepourrais bien y gagner, je subodorequ’en retour cela devra se payer dequelque chose que je vais devoir yperdre.

Rencontrer l’autre, c’est donc devoirgérer une situation où l’on est amenéà “baisser la garde”, à s’ouvrir,s’abandonner, être ou devenirréceptif à autrui, se rendre disponibleà la rencontre, soit accepter de seconfronter à l’inquiétante étrangetéde l’autre.

Et, qui dit rencontrer, dit tenterl’expérience (ex-perire), c’est-à-dire :se risquer, se mettre en péril. Cecisuppose que, paradoxalement, dansle même moment, cettesensibilisation soit entendue commemise sous tension d’un dispositifd’alerte sensible qui puisse informerdu seuil de supportabilité de notrepropre altération. La sensibilité

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apparaît alors comme mise en état devigilance.

C’est peut-être en ce sens qu’il fautégalement entendre ce que l’on al’habitude d’appeler : “Activitésd’éveil”. L’enseignant, qui déjà sedoit d’être un passeur est en outre unéveilleur.

Et c’est bien le rôle de l’éveilleur quede contribuer à former des veilleurs,des vigiles – non seulement desvigiles de l’esprit - mais égalementdes vigiles du sensible, de lasensibilité.

4.4 - L’éducation de lasensibilité : un luxe nécessaire

Enfin, l’éducation de la sensibilitéest souvent vécue comme un luxe, unsuperflu ; mais c’est à mon avis unluxe nécessaire, un superfluindispensable, parce qu’elle est sansdoute, sinon au commencement, dumo ins in t imemen t l i ée audéveloppement des autres facultés.Souvenons nous de Rousseau dans“L’Emile” : “Les premières facultésqui se forment et se perfectionnent ennous sont les sens. Ce sont donc lespremiers qu’il faudrait cultiver (…)Exercer les sens, n’est pas seulementen faire usage, c’est apprendre à bienjuger par eux. C’est apprendre pourainsi dire à sentir, car nous ne savonsni toucher, ni voir, ni entendre quecomme nous avons appris.” Ceconstat de la fin du XVIII siècle peutà présent, en 2001, s’entendrecomme une urgence.

Et peut-être cette urgence était-elledéjà inscrite quand à l’orée de “Lirele Capital”, Louis Althusser écrivait :“Aussi paradoxal que puisse semblerce mot, nous pouvons avancer quedans l’histoire de la culture humaine,notre temps risque d’apparaître unjour comme marqué par l’épreuve laplus dramatique et la plus laborieusequ i s o i t , l a découve r t e e t

l’apprentissage du sens des gestes lesplus simples de l’existence : voir,écouter, parler, lire.”

Pour ne pas conclure…

En fait - ceci dit sans dramatisationexcessive – Je pense que nousn’avons plus vraiment le choix (lechoix : un autre mot pour direl’ignorance qu’en fait, les jeux sontdéjà faits).

Car s’il faut discuter des finalités,des modalités, de la nécessité, del’urgence d’une éducation à lasensibilité, qu’elle soit ou non encoreconsidérée comme un luxe parrapport à d’autres “disciplines”jugées plus prioritaires, il ne faut pasoublier- qu’on le reconnaisse ou qu’on

l’ignore,- que l’on s’en félicite ou qu’on le

désapprouve,

que l’éducation de la sensibilité sefait quotidiennement, à chaqueinstant, sans même que l’on y prennegarde. (Or, comme l’énonçait déjàHéraclite : “Une connexion latentes’avère plus forte qu’un lienmanifeste”.)

Cette éducation informelle, parallèlen’est sans doute pas ignorée parl’enseignement de masse qui tente,en catastrophe, de remédier à cettesituation.

Et qui, de fait, se trouve dansl’obligation de faire de nécessitévertu : Faute de pouvoir instruire enprofondeur et dans la durée, parmanque de moyens, introduit parexemple les artistes à l’école, metl’accent sur l’énergie productive,l’expression libératrice, l’ouverture àl’autre, se propose même dedévelopper la créativité.

(“La pédagogie compte sur lesperceptions quand elle craint

d’échouer dans la transmission desconnaissances” écrit EmmanuelWallon dans le Monde del’Education.)

Or, si cela permet aux élèves detisser des rapports entre savoir etémotion, ce n’est par contre passuffisant pour décrypter les messagesqui les assaillent de toutes parts.

Il semble donc aujourd’huisouhaitable, possible et urgent devouloir réexaminer, sous l’angle de lasensibilité, l’interdépendance etl’articulation qui existent entre lestrois approches traditionnelles de lasociété démocratique, à savoir : lesapproches politique, éthique etesthétique.

Et de s’efforcer de comprendre enquoi et comment l’éducation de lasensibilité peut, pour chacun d’entrenous – dans le cadre de ce qu’àprésent on appelle : “éducation à lacitoyenneté” - contribuer àl’émergence et au renforcement d’undésir de lien social tel que s’appliqueà le penser l’idéal démocratique.

“La liberté s’apprend, écrit RenéPasseron. La création aussi. Acondition qu’apprendre et, donc,enseigner soient des tâches éclairéespar cette partie de l’éthique quis’applique aux conduites créatrices :la “poïétique”, (ainsi nommée parPaul Valéry dès 1937”), et il ajoute :

“Il suit de là qu’unepédagogie pleinementconsciente de sesresponsabilités dansl’instruction des enfantset des adolescents nesaurait éviter d’êtreune pédagogie de lacréativité”.

Et, ajouterai-je, une pédagogie de laconscientisation, de l’élaboration et

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de la transmission des savoirs etsavoir-être sensibles entenduecomme ap te à déve loppe rsimultanément des capacités decuriosité et de vigilance accrues.

Car, si penser aujourd’hui unevéritable éducation à la sensibilité –et la mettre en œuvre – peut devenirsouhaitable, possible, urgent,

- c’est dans la mesure où seracapable de prendre consciencequ’à notre insu, de multiplesdispositifs, latents, implicite,informels, travaillent enpermanence, incessamment, àstructurer notre écoute, notreregard, notre goût, notre odorat,…

- et que, pour le moins, dans unpremier temps, il faudrait sedonner des lieux où la“sensibilité” qui en résulte puissese confronter à d’autres, où cetimplicite puisse trouver às’expliciter, s’analyser, se décoder.

Travail interminable, à conduire, mesemble-t-il encore une fois, depréférence en groupe.

S’il y a urgence, priorité, c’est enpremier lieu à devoir comprendre dequoi, comment et par qui notresensibilité est tissée.

Faute de quoi,- et même si l’époque semble êtredevenue rétive à l’analyse,

- si la vigilance ne s’en mêle pas, sil’on n’y prend garde,

c’est de toute façon “le marché” - oul’idéologie – qui gagnera.

En terminant cet exposé, je voudraisredire,

- parce que dans les circonstancesactuelles cela résonne me semble-t-ilcomme impératif

qu’enseigner c’est aussi résister,

et- vous inviter à entendre, et à oeuvrerafin de faire entendre – commel’écrivait Malcom de Chazal – que :“Sensibilité flagellée dans l’enfancemène à l’intolérance de l’âge mûr” etque “La plupart des intolérants serecrutent parmi les ignorants de soi.”(“Sens Plastique”, Gallimard)

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PROJET THEÂTRE A L’ECOLE :

• Dans le cadre du cours de morale, nos 6 classes detroisième secondaire ont créé et monté une vaste etambitieuse exposition - spectacle "ALTER" dans un décorinédit : un labyrinthe de 140 m2 au sol, composé de 60portes-cloisons peintes ou garnies d’affiches.

• Alter, la conscience du monde, emmène les visiteurs chezsept personnages, souvent des adolescents, dont l’existencenous rappelle la fragilité du bonheur et l’immense besoinde respect des êtres humains.

• ALTER EGO, L’AUTRE EXPO est le titre de ce projet, ladécouverte de la différence, sept personnages ensouffrance, dans des vies complètement différentes, qui serévèlent et vous interrogent. Les acteurs interviennent,témoignent, interpellent, accusent, jouent devant vous.

Présentée en 2002 dans notre établissement , elle estaujourd’hui disponible en location "clé sur porte" . Vouspourrez ainsi profiter de l’infrastructure déjà créée (décor,costumes, bande son, …) et y ajouter le jeu théâtral de vosélèves afin de présenter "ALTER" dans votre établissement

Le projet , une pédagogie del’action…

Dans nos classes de morale, il est de tradition entroisième année de porter à bout de bras un projet un peuplus conséquent que celui des années précédentes. Il estvrai que la pédagogie du projet est un moyen que moncollègue Thierri Murez et moi – même utilisons trèsrégulièrement dans toutes nos classes. Cette habitudemaison nous a beaucoup aidés dans cette aventure horsdu commun . Nos élèves y sont habitués et leur motivation

est rapidement effective. C’est une chance. Maisl’enthousiasme d’un premier essai peut être aussifortement productif. A vous d’essayer !

La mise en route…

En fait, le projet ALTER EGO commence en classe parune invitation à créer une activité originale autour d’unthème imposé par le professeur : l’autre. Le nombre declasses (6) et d’élèves (150) ne permettent pas de partir "

ALTER EXPO, L’AUTRE EGO : …la petite histoire !

Par Michel LEFEVRE professeur de morale à l’Athénée Royal d’Ath.

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tous azimuts " dans de multiples sujets différents. Leprofesseur explique donc que le thème est imposé par luicar il faut une cohérence générale de tous les travaux etque lui-même est le fil rouge entre les 6 groupes, le garantd’une cohésion efficace d’un projet fort. Il convainc enexpliquant que l’ " union fait la force " et que le résultatn’ en sera que meilleur. Il justifie le thème choisi par sarichesse de contenu et sa diversité possible. (Les élèvesacceptent facilement cette façon de procéder).

Première séance … 50 minutes debonheur.

A la fin du cours qui précède l’action, je demande auxclasses de réfléchir au mot : " autre " sans à priori . Lebut de ce premier travail individuel est de chercher lesfacettes possibles du mot et de venir au cours suivantavec le fruit de sa réflexion ( par écrit). De retour enclasse, rappel du thème et précisions sur l’objectif de laleçon ; imaginer ensemble des activités mettant enlumière le thème retenu. On fait un tour de table , façonbrainstorming, et un secrétaire volontaire note tout, mêmele farfelu, l’irréel, le rêvé, … Pour ce faire , une heure decours est consacrée. C’est une expérience très gaie car latechnique permet une liberté totale d’expression. Un vraifeu d ‘artifices d’inventivité ! (Et dire que certainspensent que les élèves ne veulent plus rien faire en classeet n’ont pas d’idées originales !!!)

En fin de leçon, on possède donc une liste très fournied’idées d’actions sur le thème de l’ "autre". Le professeurramasse la liste afin de préparer la séance n°2.

Voici un aperçu de ce qu’une classe de 3ème avait produiten fin de première séance. La question était : de quelautre parle-t-on ?

• L’ autre sans papier, le migrant, l’élève étranger le jourde la rentrée scolaire , l’ autre seul, malade, vieux, quia peur de mourir, de la vérité, de souffrir, de dire, quia peur de la maladie, qui a peur de ne pas être à lahauteur, etc…

• L’autre emprisonné, voleur, délinquant qui me faitpeur, qui n’obéit à rien ni à personne, qui se défend,qui dit la vérité, qui ose combattre le pouvoir, qui serebelle, qui défend la cause qu’il pense juste, etc…

• L’autre qui souffre du handicap, du regard de l’autre,de l’injustice, du racisme, de la guerre, de faire lepremier pas, de sa différence, de sa maladie, de laviolence, de sa religion, de sa couleur, des inégalités,etc…

• L’autre qui dort dans la rue, qui est maltraité, quitravaille pour survivre, que je hais, qui vit dans laguerre, qui m’énerve, a ses opinions, a peur, etc,…

Séance n°2 : on trie !

Cette étape de 50 minutes est cruciale car elle fixe lethème général final du projet. Le professeur veille à biencanaliser les différentes pressions en recentrant vers lesobjectifs définis au début de l’activité. On ne pourraévidemment pas revenir en arrière et les débats pour le trisont souvent très animés : chacun défendant ses idées !Attention de ne pas élire le même " autre " que la classequi précède.

Une fois le sujet choisi par la classe, le professeurpropose de passer à l’approfondissement du thème :chacun reviendra au cours suivant avec des informations,des idées, des témoignages, d’ éventuelles personnesressources, des partenaires d’action, des articles depresse, des bouquins, des vidéos, etc...

Séance n°3 : on re-trie !

Durant deux ou trois fois 50 minutes, selon la taille dugroupe, les élèves , à tour de rôle vont présenter auxautres leurs trouvailles et les proposer au débatdémocratique en ayant à l’esprit que le but du débat estde créer et de construire ensemble une scène théâtraled’environ 10 à 15 minutes. Cette scène s’intégrant elle-même dans un parcours spectacle qui s’appellera : "Alter,l’autre ego". A la fin du travail, on aura en main unefarde de documents sur le sujet choisi et la trame de lascène. Le professeur aura, quant à lui, un regard global decet exercice afin que toutes les scènes créées dans lessous-groupes forment, assemblées, un spectacle cohérentet performant.

Séquence n° 4 : on écrit, on répète,on construit !

Durant les vacances de fin d’année, mon collègue et moi– même, avons pris les fameuses fardes de documentsthématiques et avons écrit , grâce à elles , les différentesscènes en ayant soin de respecter les scénarios inventéspar les élèves. Il aurait été également possible de réaliserce travail en classe mais le temps nous manquait. Nousétions déjà en janvier et la première du spectacle était enmai. Dès la rentrée, nous avons lu notre travail devant les

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différents jurys scolaires en apportant des changementsquand nous avions dévié du sujet. Puis , ce fut larecherche des acteurs, des techniciens , des décorateurs,des régisseurs, etc… Une quarantaine d’acteurs seproposèrent car nous avions 5 équipes qui devaient"tourner", à raison d’une chaque jour de la semaine. Lesrôles distribués, les répétitions pouvaient commencer.Chaque pause de midi, la machine "Alter" se mettait enroute : répétitions théâtrales ici, tapissiers et décorateursdans les caves. Ailleurs, des peintres et des dessinateurssous la houlette d’une talentueuse collègue d’artsplastiques, Me Malaise qui prit en charge la directionartistique du projet.

Il est vrai qu’en coulisse, depuis plusieurs mois, lesouvriers de l’athénée, menuisiers chevronnés, avaientœuvré pour mettre en place la charpente autoportante decloisons de 140 m au sol qui constituait la structure duspectacle et qui avait été étudiée dans le bureau d’unarchitecte, parent d’ élève.

Notons que sans cette équipe de talent, rien d’aussiabouti n’aurait été possible. Je me dois également denoter que l’investissement financier très important d’Alteravait pu être réalisé grâce à des appuis financiers de"théâtre à l’école", de l’Amicale des anciens de l’Athénéeet du soutien total de notre préfet Monsieur Aupaix.Qu’ils en soient tous encore remerciés !

On lança enfin les invitations pour la première et lesaffiches sur les murs de l’école firent monter un peu plusla pression.

Séquence n° 5 : on joue !

Puis vint le temps du stress et du public que l’on attendde la coulisse. L’adrénaline de l’entrée en scène.L’angoisse de la première phrase à dire.

Nous n’allons pas rappeler ici l’extraordinaire apportpédagogique du théâtre en milieu scolaire, d’autres l’ontdéjà fait, mais sachez que cette aventure hors du communfut pour nous, enseignants, un cadeau de choix mais, futsurtout, pour nos élèves, une expérience unique,inoubliable. Je vous propose de lire leurs réactions.

Emotion ! Par quel autre terme pourrais – je désigner"Alter Expo, l’autre Ego" si ce n’est par ce mot sisimple et pourtant, pour moi, si riche de significations.L’émotion qui vibrait en mon cœur entre chaqueréplique qui sortait de ma bouche, lors de chaqueregard que m’adressait le public. Cette émotion quel’on sentait presque palpable dans nos petites cellulesexigües où mes camarades et moi retenions notresouffle.Ce continuel balancement entre l’angoisse de latenture qui s’écarte et l’indéfinissable joie qui suit le"c’est déjà fini" était devenu pour moi un véritabledopant, un réveil – matin qui me faisait envisager lajournée avec plaisir. Bref, "Alter Expo, l’autre Ego" restera gravé dansma mémoire comme un véritable festival desentiments, une profonde révélation sur une partieencore méconnue de moi-même. Peut être sur monautre Ego ?

©Gaëlle Chantrain, la sœur de Radia.

C’était super de se retrouver ensemble sur ce projet.C’était dur d’étudier nos textes et de répéter le mercrediaprès les cours mais ça en valait la peine. Il régnaitune bonne ambiance dans le groupe. C’est uneaventure inoubliable.

©Céline De Meester, Alter, la conscience du monde.

Ce projet nous a permis de faire connaissance avec desélèves que nous ne connaissions pas. On avait souventle trac mais on se rassurait entre nous. Nous nesommes pas prêts de l’oublier.

©Anais Carion, l’avocat du petit Ludovic.

"Je n’ai pas envie de faire ça !" pensais-je avant lespectacle mais après la première représentation, mavision avait changé. J’ai beaucoup aimé ce projet ducours de morale car je sentais que je jouais de mieux enmieux mon rôle. Mon plus beau cadeau étaient lesapplaudissements du nombreux public. Je ne suis pasprêt d’oublier Alter. Merci à tous ceux qui ont participé.

©Lionel Hache , l’amoureux de Radia.

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Alter était pour moi une expérience très enrichissante qui m’apermis d’entrevoir des réalités bien tristes que nous côtoyons auquotidien sans parfois même réagir. Alors ne restons pas indifférents: comprenons l’autre et acceptons-le sans le juger.

©Baugnies Florine, Nadira

Je trouve cette expérience très enrichissante qui m’a permis de prouver queje pouvais m’adresser devant plusieurs personnes. Avec cette pièce dethéâtre, j’ai su prendre mon stress en main. J’ai beaucoup aimé cette pièceet je crois que ça nous a fait réfléchir ainsi que les personnes qui nous ontécoutés.De plus, ce que j’ai beaucoup aimé, ce sont les personnes qui nous ont applaudiset félicités car pour moi, c’est une preuve que nous avons réussi ce que nousvoulions faire.Je crois que cette pièce de théâtre restera gravée dans ma tête ! !

©Libre Fedora , Ludovic

Les trois semaines que nous avons passées pour la pièce ont été très importantespour moi, une bonne ambiance régnait au sein du groupe, nous avons eul’occasion de discuter de certains problèmes évoqués dans la pièce.Le thème était effectivement très enrichissant, lors de certaines représentations,certaines personnes du public avaient les larmes aux yeux, je crois que les gensont beaucoup réfléchi durant le spectacle ; ils se sont posé un tas de questions:,telles que : comment aurais-je pu ne pas y réfléchir avant ?Pour finir, je tiens à remercier les professeurs et autres personnes qui ontcontribué à ce projet et qui ont donné beaucoup de bonheur au public maiségalement à nous, jeunes acteurs. Il faut également féliciter les acteurs d’unjour car certains n’avaient jamais touché au monde du spectacle, ça a permis àd’autres de vaincre leur peur, de parler devant beaucoup de monde.

©Peremans Marine, Nadira

Je fais du théâtre en dehors de l’école donc je n’ai pas découvert une nouvelleexpérience mais j’ai vraiment bien aimé : on lie de nouvelles connaissances, ons’amuse après la pièce, on stresse un peu avant et on se donne à fond pendant !Si c’était à refaire, je le referais ! !

©Rousseau Joséphine, Mme Pognon

Les quelques jours que j’ai passés pour la pièce étaient super !Notre groupe s’entendait bien, il y avait une bonne ambiance : même un peu detrop d’ailleurs !!Mon rôle, je l’aimais bien, même si je ne devais rien dire, car jouer un enfantsoumis à travailler dès son jeune âge, ce n’est pas facile : je devais restersérieuse!

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La pièce en elle-même nous a faitcomprendre ce qui se passe dans la tête desgens différents comme les étrangers, lesadolescents, …Plusieurs personnes en ont été émues.

©Laëtitia Christiaens, Behram

J’ai beaucoup aimé jouer dans cette pièce dethéâtre. Le sujet de la pièce était très bienchoisi et il a fait réfléchir tout le monde sur"l’autre ego ". Il y avait une très bonneambiance, ce qui rendait la pièce encoremeilleure.Avant de jouer, tout le monde avait le tracmais après on voyait que les genss’intéressaient à la pièce alors ça allaitmieux. En tout cas, ces trois semainespendant lesquelles on a joué et ces 50spectacles, je ne les oublierai jamais.

©Coulier Alicia, Julia

Les trois semaines que nous avons passées àjouer dans la pièce de théâtre "Alter", nousont fait découvrir des amitiés. Les professeursde morale et même de dessin nous ont apprisbeaucoup de choses sur les autres en montantcette pièce. Le plus beau moment pour moi,c’était avant chaque pièce car nous étionstous stressés et nous nous encouragions !Donc pour moi, cette pièce était trèsamusante à faire, ça n’a jamais été uneobligation.

©Charlotte Verplancken, Alter.

"Alter ego" : un parcours - spectacle grave,sans concessions à la facilité, dans l'enfer desautres (jeunes, proches ou lointains), que nosegos engendrent ou cultivent...Parcours -labyrinthe des différences, des souffrances. Par groupes de 15-20 personnes, noussommes invités à découvrir des huis clossuccessifs qui troublent, agressent,oppressent...et donnent à réfléchir. Les jeunes

acteurs surgissent de décors hyperréalistes,envahis de bruitages ou de musiquessuggestives. Ils disent avec force et émotiondes textes qui résonnent justes, vrais. Et nousparviennent, parmi tant d'autres, les voix del'adolescent mal-aimé, incompris et rebelle;de l'élève immigré victime du racismeambiant; de l'enfant du tiers-monde esclavede la puissante multinationale...Tranches devies d'une société pratiquant les rejetsculturels, ethniques, économiques, . Impossible de rester indifférent à la réalité de"l'autre". Aucun temps mort qui relâcheraitl'attention du spectateur - participant,évoluant d'un lieu à l'autre. Merci à tous ceux, concepteurs, réalisateurs,acteurs pour avoir questionné et (r)éveillé nosconsciences grâce à ce spectacle interactifrigoureux. Merci pour leur travail collectif original etremarquable.

©JP Heule professeur - spectateur

Dans cette pièce je jouais le rôle du juge(dans le troisième compartiment). Pour mapart cette pièce m’ a agréablement plu car jene m’attendais pas à une telle réussite autantdu point de vue du groupe que de moi-même(sans aucune prétention). Car j’avoueque grâce à cette pièce de théâtre j’aidécouvert une autre facette de moi-même .Désormais, j’ai plus de facilités àm’exprimer devant un groupe et même dansla vie de tous les jours . J’ai aussi moins peuret plus de confiance en moi. Le théâtre m’aappris à vaincre ma timidité . De plus,maintenant, le monde du théâtre m’ est unpeu moins inconnu et j’ai l’intention decontinuer dans cette lancée et faire partied’une troupe de théâtre. C’est une expérienceque je souhaite à tout le monde car le théâtreest une très belle manière de communiquer etde faire passer un message.

Vive le théâtre !

©De Neve Thomas, le juge

Quel beau mot de conclusion : que vive le théâtre ! M.Lefèvre.

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ALTER, spectacle promenade.Thierry Murez

Pistes pédagogiques.A l’intention des professeurs de morale, de la 6ième primaire à la 3ième secondaire.

1. Pistes diverses. Avec les 7 personnages.2. Le drama.3. Réécriture.

1. Pistes diverses. Avec les 7personnages.

Dans la scène 2, la photo de Samy, une discussion surles discriminations, les préjugés serait proposée auxspectateurs. - Avez-vous été victime ou témoin de comportements

discriminatoires ?- Pensez-vous que les enfants adoptés sont victimes de

discriminations ?- Pensez-vous que certains peuples sont supérieurs à

d’autres ?L’enseignant peut prolonger l’activité avec le catalogue del’exposition "tous parents, tous différents".

Dans la scène 3, la chambre de Julie, on pourrareprendre une discussion sur : l’amitié, le bonheurmatériel ou spirituel, la boulimie et l’anorexie, l’absencedes parents pour cause de travail, donner un sens à savie…Autres questions pour un débat :- Julie vous apparaît-elle comme un personnage

sympathique ou peu sympathique ou antipathique ?- Dans cette situation de vie, qui peut changer quoi ?

(travail en groupe souhaitable)- Avec qui vous voudriez communiquer plus et plus

souvent dans votre habitat actuel ? Pourquoi, etqu’est-ce qui vous en empêche ? (par écrit aupréalable, sur trois colonnes)

Dans la scène 4, la chaise de Jean-Lou, l’enseignantpeut proposer des mises en situation comme unetraversée de la classe les yeux bandés. On se demandera:- L’école et ses abords est-elle conçue pour les élèves en

chaise roulante ?on peut dresser une carte de la mobilité et del’accessibilité dans l’école et la soumettre au conseil departicipation !- Y a-t-il des handicapés à l’école (sourds-muets) et quel

accueil leur est-il réservé ?On peut réaliser des interviews d’handicapés, élèves ouparents d’élèves.

Dans la scène 5, Radia la rebelle, l’enseignant a toutintérêt à inviter un,e, psychologue pour discuter desituations difficiles dans la classe ou dans les familles. - Comment faut-il réagir face aux comportements

difficiles (cf cas vécus) ?- Quand commence quand finit l’originalité ?

(vêtements, perçing, …)

Dans la scène 6, Behram au travail, la porte est grandeouverte pour étudier le travail des enfants dans le monde.Une vaste recherche de documents sera entreprise sur lesthèmes des produits propres. Oxfam vend quelques livreset bandes dessinées très utiles pour comprendre ladimension du problème. Dès lors il faut revoir le texte dela convention internationale sur les droits de l’enfant.Dans le décor de cette scène, la classe peut revenir poury lire les textes.

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Les élèves pourraient interroger des parlementaireslocaux ou des bureaux de partis politiques pour connaîtreles actions, les idées des différents représentantspolitiques…

Dans la scène 7, Ludovic le martyr, on peut partir sur :- Faut-il éduquer les jeunes pour devenir des parents

responsables ?- Que propose notre société dans ce sens ?ou- Jusqu’où pouvons-nous supporter , tolérer la pauvreté?ou- Notre société protège-t-elle vraiment tous les enfants ?

La présence d’un magistrat serait évidemmentenrichissante ainsi que celle d’un membre d’unplanning familial.

Dans la scène 8, les papiers de Nadir, l’enseignant peutproposer à chacun de raconter et d’écrire le scénario d’unpréjugé : un patron veut engager des vendeurs…, un étranger n’apas de billet de transport…, un nouveau dans la classe, ilne parle pas le français…Le film " La promesse " sera un écho à cette scène.

Pour le thème des enfants soldats, renseignez-vous auGRIP, tel. 02 241 84 20.

2.Le drama.

Les techniques du drama répondent parfaitement à ladétresse des personnages mis en scène. Soit par écrit, soità l’oral, les visiteurs peuvent "répondre" aux personnagesen choisissant d’écrire une lettre à l’un d’eux. -A quiécrivez-vous et pourquoi ?On peut aussi créer un nouveau personnage, un témoin,une amie, un parent qui téléphonera au personnageinterprété par l’acteur lui-même ou, à défaut, par un autreélève. De cette conversation, un partage du vécu desélèves sera prévu en classe.On peut aussi prévoir la rencontre de deux personnages :la visite imprévue, mais alors il faut jouer avec les acteurstitulaires. Par exemple, une ancienne institutrice de Julievient lui rendre visite.(scène 3).

Donc le drama en résumé : 1 la lettre.2 L’appel téléphonique.3 La visite imprévue.

3.Réécriture.

Sans promouvoir l’angélisme, on proposera de réécrirel’une des 7 scènes ci-dessus présentées. Que ce soit lascène de Berham au travail, de Julie dans sa chambre oude Nadir le réfugié, recomposons l’existence dupersonnage avec des circonstances favorables pour sonépanouissement.Nous comparons ensuite avec le texte d’origine : quellessont les modifications apportées ? Pouvez-vous justifierces modifications et que vont-elles permettre aupersonnage ?Quelle morale avez-vous défendue dans votre réécriture ?Est-ce une morale réaliste ?

Ces pistes pédagogiques seront, nousle supposons en tout cas, comprises parles enseignants de la morale sansdevoir "créer" véritablement ici desleçons d’école normale ! Lesprofesseurs de morale de l’athénéed’Ath sans à votre disposition pourtoutes informations complémentaires. Bonne lecture et bon spectacle.

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De la salle à la scène,il n’y a qu’un pas...

Richard Crèvecoeur

En septembre de cette annéescolaire 1999-2000, Cathy

(faut-il encore présenter MadameLegros, Inspectrice du cours demorale ?) me contacta pour mesuggérer une représentation de“No Limits” à l’Athénée RoyalJean Absil.

Il ne me fallut pas de longues heuresde réflexion avant de lui donner uneréponse positive et ce, pourdifférentes raisons :- la proposition de Cathy ne se

limitait pas à cette uniquereprésentation et le projet, dansson ensemble, ne manquait pasd’intérêt ;

- la pièce était produite par latroupe du Théâtre du Public enqui j’ai entière confiance (je parlepar expérience) ;

- à l’école concernée, les activitésextra et para-scolaires ne sont pasexceptionnelles ; aussi, n’est-il pasnécessaire d’introduire auprès dela direction une demande formuléesur une quinzaine de feuillets detrois couleurs différentes nid’attendre six mois pour recevoir

une réponse. Ce détail peutparaître dérisoire, pourtant, biendes initiatives sont tuées dansl’œuf à cause de telles tracasseriesadministratives (qu’il s’agisse del’organisation ou de l’obtention desubsides pour réaliser une activitédans laquelle intervient unélément extérieur à l’école).

Au départ, le projet, presqueentièrement supporté financièrementpar Entre-vues, devait être mené àterme par trois écoles et porté par desprofesseurs, éducateurs, élèves,membres du CPMS, travailleurssociaux et toute autre personne(même extérieure au cadre scolaire)intéressée par le sujet.

Il comprenait trois étapes :- représentation de la pièce “No

Limits” devant un public au profilapproprié,

- formation dont l’objectif serait laréalisation d’un travail artistiqueengagé,

- présentation du résultat devant lesautres participants et échange devues.

No Limits

Cette pièce est définie par le Théâtredu Public comme “un outil deprévention de la violence à l’école”.Elle est présentée sous forme dethéâtre-forum : le public ne secontente pas d’assister à unereprésentation mais, à un certainmoment, devient acteur. En effet,après la première partie du spectacleoù les comédiens jouent une histoire,le joker intervient, met en évidencele fait qu’il n’y ait pas de quoi êtresatisfait de la manière dont elle setermine et fait une proposition auxspectateurs : “nous allons rejouer lamême histoire mais, lorsque vous ledésirerez, vous pourrez interromprele jeu, prendre la place d’unpersonnage de votre choix et, enimprovisant, jouer ce que cepersonnage aurait dû dire ou fairepour améliorer la situation”. De cettemanière, celui qui assiste à ce typede spectacle ne se contente pasd’interpréter une situation maisparticipe à l’action, cherche àmodifier une réalité qu’il estimeinacceptable. Ainsi, comme le fait

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remarquer le Théâtre du Public, leforum développe le sens critique duspectateur, le stimule, l’enrichit et leprépare à être acteur de sa proprevie.

L’histoire est celle d’un professeur etd’un élève de l’enseignementsecondaire. Tous deux doivent réagirface à des situations où la violenceest largement présente. Le premier,en adaptant son enseignement auxconditions de travail qui ne cessentde se dégrader. Le deuxième, témoinde l’agression de son professeur, ense réfugiant dans le silence.

Le questionnement provoqué par lareprésentation ne se limite pas àl’événement proposé sur scène. Cettefiction est en effet le point de départd’une multitude d’interrogations...Quels moyens l’école et les pouvoirspublics mettent-ils en place pouréradiquer la violence ou, du moins,s’en prémunir ? Qu’est-ce qui est àl’origine de toute cette violence ?Quels en sont les vraies victimes etles vrais coupables ?

Après discussion avec Cathy et lePréfet de l’Athénée, notre choix s’estporté sur les élèves de troisième pourassister le 25 novembre à “NoLimits”. En les retrouvant quelquesjours plus tard au cours de morale,j’ai eu droit à une foule decommentaires élogieux tant à proposdu contenu de la pièce qu’au sujetdes prestations des acteurs. Le thèmeles avait particulièrement intéresséset plusieurs ont exprimé le regret dene pas avoir osé monter sur scène carils avaient “des choses à dire”... cequ’ils ne se sont pas privés de faireen classe. Ont été ainsi évoqués etdébattus les problèmes de respon-sabilité, de solidarité, d’attitude àadopter dans différentes situationsainsi que les moyens d’éviter lesconflits. Les collègues et éducateursqui étaient présents au spectacle ont,eux aussi et à plusieurs reprises,

remis sur le tapis les problèmes deviolence lors de discussions à la salledes profs.

Détail technique non négligeable : lecoût de la représentation s’élevait à40.000 francs. 15.000 francs nousfurent offerts par “Théâtre à l’École”,5.000 par la CoCof, 10.000 par leMinistre Hazette et 10.000 par Entre-vues. Permettre à plus de cent élèvesd’assister à une représentationthéâtrale sans bourse délier, celamérite d’être mis en évidence car,malheureusement, très exceptionnel.

Formation

À ce stade, il fallait choisir une desclasses ayant assisté au spectacle ettrouver des participants bénévolespour suivre la formation prévue.

Pour désigner la classe quicorrespondait le mieux au profil quenous avions défini, cela ne posaaucun problème : après une courteréunion en présence de Doudou(Philippe Dumoulin, acteur etdirecteur du Théâtre du Public),d’Isabel (Isabel Cue, actrice etanimatrice), du Proviseur et du Préfetde l’athénée, il fut décidé que la3ème Secrétariat-Tourisme convien-drait particulièrement à ce typed’activité. Sans être des élèves “àproblèmes” issus d’un milieudéfavorisé, ces jeunes semblaientavoir une expérience de vie plusproche des réalités que la plupart desélèves des autres classes et avoir étéconfrontés à des situations parfoispénibles ou, du moins, complexes.En outre, le problème de la violence,sous différents aspects (famille, jobétudiant, rue), n’était pas étranger àla plupart d’entre eux. Sans oublierque l’aménagement de leur horaireen fonction de cette formation n’étaitpas trop compliqué à réaliser. Lesateliers seraient répartis de la

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manière suivante : 10 jeudis après-midi (en lieu et place du cours demorale) et une semaine complète, ycompris la représentation.

En ce qui concerne la réaction deséventuels participants “non étudi-ants”, on s’était fait quelquesillusions : soit (pour le personnel del’école) que leur horaire ne leurpermettait qu’exceptionnellementd’assister aux ateliers aux datesfixées, soit (pour les rares personnescontactées à l’extérieur) que ce typede formation ne présentait pas grandintérêt à leurs yeux ou empiétait surd’autres activités jugées plusimportantes.

L’expérience fut donc menéeexclusivement avec les élèves. Deuxou trois professeurs seulementassistèrent à quelques ateliers pourrassurer ou conseiller lesparticipants.

De quoi disposions-nous exactementpour mener à bien notre projet (pourrappel, notre objectif était laréalisation d’un travail artistiqueengagé sous forme d’oeuvre écrite,expression corporelle, théâtre,etc...)?- un thème : la violence (sous toutes

ses formes);- un point de référence : la pièce

“No Limits”;- un potentiel humain : les 16 élèves

du cours de morale en 3ème SeTo;- un lieu de travail confortable : la

salle de spectacle de l’école (avecscène et coulisses);

- du temps : 10 après-midi et unesemaine presque complète (60heures en tout);

- une animatrice (Isabel) quej’assisterais en fonction de monhoraire;

- aucun souci financier (l’asblEntre-vues soutenait totalement leprojet);

- aucune contrariété (direction oucollègues);

- aucun impératif de rendement(liberté de produire ce qui nousplairait).

Bref, et il estimportant de lesouligner, lesconditions étaientidéales.

Très rapidement, nous apprîmes quenous étions la seule école àentreprendre cette activité. Commeon ne devait plus compter sur uneprésentation des productionsrespectives, il fut décidé que lespectacle serait présenté (le 12 mai)devant l’ensemble des élèves ayantassisté à la pièce du Théâtre duPublic, soit une bonne centaine dejeunes composant les classes detroisième.

Les animations commencèrent le 13janvier et le travail se termina à ladate prévue. Tout s’est donc déroulécomme convenu, à part deux atelierssupprimés (pour raison de santé etd’indisponibilité) et une journée peuproductive (les locaux habituel-lement utilisés étaient réservés àd’autres activités).

Dès la première séance Isabel futbien accueillie au sein du groupe (14filles et deux garçons de 15 à 18 ans).Les participants se montrèrentcurieux et prirent part activement àchacune des activités proposées. Lesexercices étaient très “physiques” etla vitalité naturelle de ces jeunes nedemanda qu’à s’exprimer.

Lors du deuxième atelier, après unrappel des exercices faitsprécédemment, le travail portaprincipalement sur des textes(articles de presse) traitant de laviolence : chacun des deux groupesformés devait, après lecture et brèveanalyse, proposer à l’autre soninterprétation du texte en

improvisant des situations sur scène.Je fus agréablement surpris deconstater que les jeunes, dégagés desbarrières que les adultes érigentautour d’eux pour se protéger,exprimaient avec une aisancesurprenante ce qu’ils ressentaient. Labonne humeur était à l’ordre du jouret, bien qu’il fallut maintes foisrépéter les directives (comme enclasse !), le résultat fut trèssatisfaisant.

C’était trop beau pour durer ! Dès letroisième atelier, l’ambiancecommença à se dégrader. Plusieursparticipants arrivèrent en retard, letravail ne fut pas exécuté avecsérieux (bavardage, rires, manque deconcentration, mauvaise volonté), lesdix minutes de break devinrent unedemi-heure passée aux toilettes,certains cherchèrent des excusespour se soustraire aux activités et,d’une manière générale, ilsmanifestèrent le désir de changer desujet (“travailler trois fois sur lemême thème, c’est vraiment pasamusant surtout que “jouerl’agressivité” ne représente aucunintérêt pour nous puisque c’est ainsiqu’on s’exprime habituellement !”).Ce fut franchement décourageant deles sentir décrocher si vite et...inquiétant de réaliser qu’il allaitfalloir porter le projet jusqu’au boutalors qu’ils affichaient déjà un totalmanque d’intérêt pour le sujet. Isabelse résolut à revoir sa méthode pour laprochaine séance et se demanda si,malgré le nombre restreint departicipants, un deuxième animateurne serait pas nécessaire. Il fut aussidécidé que je la seconderais aumaximum et que, chaque fois quecela serait possible, nous scinderionsl’équipe en deux de manière à nousoccuper chacun d’un groupe en lesalternant au milieu de l’animation.Cette méthode fut adoptée à laséance suivante : tandis qu’Isabelentraînait 8 élèves à l’improvisation,je faisais un travail de réflexion sur

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base de textes avec les 8 autres. Ilsse firent encore un peu tirer l’oreillepour certains exercices (“encore laviolence !”) mais les résultats enimprovisation furent intéressants.

Les séances suivantes furent aussiinéga les . Cer ta ins j ours , l aparticipation était excellente.D’autres, ils se montraient inca-pables de “laisser au vestiaire” leurspréoccupations généralement extra-scolaires, d’accepter une certainediscipline de travail et de surmonterun manque d’enthousiasme pour toutce qui, dans leur esprit, s’apparentaitau mot “travail”. Maintes fois, ilfallut les rappeler à l’ordre, et tournerlonguement la manivelle avant qu’ilsse décident à démarrer.

Après tous ces exercices d’entraî-nement à l’expression verbale oucorporelle et à l’improvisation, unemise au point s’avéra nécessaire.Qui est “partant” pour jouer devantun public ? Qui va se charger de larégie son et des lumières ? Qui vas’occuper du matériel de scène, desaccessoires, des costumes ? Isabelproposa un squelette de scénarioinspiré par les impros des séancesprécédentes. Il fallut alors définir lesscènes, créer les personnages etrépartir les rôles en fonction de lapersonnalité et des dispositions desparticipants. Les jeunes semontrèrent encore très dissipés etpeu disciplinés car cela leurparaissait trop “théorique”. Mais dèsque commença le travail sur scène,leur comportement changea du toutau tout : ils se prirent au jeu et,malgré quelques rares rappels àl’ordre, l’ambiance devint vraimenttrès agréable. C’était de l’action qu’illeur fallait, du concret. Les textes àanalyser et à interpréter, c’étaitencore trop “scolaire”. Les exercices,si amusants soient-ils, ils n’enpercevaient pas l’intérêt et necomprenaient pas pourquoi il fallaitsi souvent les reprendre. Les

préliminaires, c’est pour les intellos;eux, ce qui les intéresse, c’est lepassage à l’acte. Il est difficile deleur faire comprendre à quel point untravail de qualité demande beaucoupde réflexion et d’apprentissage. Seulel’expérience sur le terrain peut leurrévéler qu’un ouvrage bâclé ne donneque des résultats médiocres.

Lors de la dernière animation (quiprécédait la semaine réservée àl’élaboration du spectacle) on réalisaenfin que le travail préparatoiren’avait pas été vain, que nos jeunesavaient acquis quelque chose et quemaintenant ils voulaient allerjusqu’au bout. D’ailleurs, certainspensaient déjà au jour du spectacle,s’inquiétaient du public qui seraitprésent, demandaient si certainespersonnes extérieures à l’écolepourraient venir les voir jouer. Un telétat d’esprit n’est pas présent si onn’éprouve pas le désir de bien faire,de ne pas décevoir.

Quelques petits problèmes d’occu-pation des locaux bouleversèrent unpeu le planning mais cela futsuffisant pour semer le trouble dansl’esprit des jeunes, ce qui eut pourconséquence imméd ia t e unrelâchement de l’enthousiasme.Derrière leurs roulements demécaniques ou leurs déhanchementsprovocateurs, il y a tant de fragilitéchez ces jeunes : leur déterminationvacille dès qu’un grain de sables’installe dans les rouages de leurvie. Leurs repères sont tropincertains et précaires pour leurpermettre de s’y accrocher enconfiance. Isabel dut alors reprendrela barre, les sermonner, leur fairecomprendre que la réussite duspectacle était entre leurs mains etque, s’ils étaient applaudis ou hués,ils en seraient seuls responsables (là,elle a fait mouche). Elle mit aussil’accent sur le fait que le temps étaitlimité et que l’indolence, le manqued’implication et de sérieux dont ils

faisaient à nouveau preuve risquaientd’être lourds de conséquences.

Le lendemain, il était évident que laleçon avait porté ses fruits : quandmon horaire me permit de lesrejoindre, je les retrouvai tous sur leplateau, en costume et travaillantavec sérieux et énergie. Chaquescène (qu’il conviendrait plutôtd’appeler “image” ou “tableau” car,l’expression verbale n’étant pas leurplus gros atout, le travail fut plutôtété centré sur le visuel) fut jouée,modifiée, retravaillée en fonction desdirectives d’Isabel mais, surtout, àpartir des propositions de tous lesparticipants. Il nous a paru importantqu’ils ressentent qu’ils étaient lesvéritables créateurs de ce qu’ilsproduisaient.

La veille de la représentation,Doudou fit son apparition. Lesdifférents tableaux furent soumis àson oeil critique et les acteurs tinrentcompte de ses remarques judicieusesen ce qui concerne la mise en scène.La proximité du moment de vérité eutpour conséquence que certainscommencèrent à craindre que lespectacle ne soit pas apprécié par lepublic et l’exprimèrent ouvertementalors que d’autres masquaient leurinquiétude en adoptant une attitudedésinvolte ou agressive ; d’autresencore ne pouvaient cacher leurexcitation et voulaient déjà êtredemain.

Et le grand jour arriva ! Le matin,Doudou et Isabel reprirentdifférentes scènes pour fairequelques mises au point. On fit undernier filage puis on libéra lesjeunes afin qu’ils se détendent unpeu avant le spectacle. À 14 heures,ils étaient tous présents mais...Axelle était de mauvaise humeur (sasoirée d’anniversaire d’hier ne s’estpas bien passé), Sylvie avait desproblèmes d’asthme, Valérie,stressée, souffrait de violents maux

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de tête et les autres n’étaient pasdans un état plus reluisant... Doudoudut leur faire faire des exercices devoix et de relaxation, les écouter, lesrassurer, les encourager... Cesadolescents qui, quelques jours plustôt, “assuraient” devant leurscopains, semblaient tous, tout à coup,avoir besoin d’un père, d’une oreilleattentive, d’un regard bienveillant,d’une voix apaisante et réclamaientdes signes d’intérêt, des marquesd’affection !!!

Âmes sensibles,s’abstenir...

C’est le nom que nos artistes en herbedonnèrent à leur création.

Il s’agit de théâtre-action, puisque laparole est donnée à des acteurs“occasionnels” (ils n’ont jamais faitde théâtre et n’en feront peut-êtreplus jamais) qui mettent en scène desproblèmes auxquels ils sontconfrontés dans leur vie quotidienne

Très brièvement, le spectacle proposeau public trois scènes où les jeunesvivent des situations imprégnées deviolence, d’injustice ou d’incom-préhension. La première se passe enrue : un dealer fournit de la drogue àtrois jeunes filles désoeuvrées ; deuxcopines de ces dernières inter-viennent; arrivent deux policiers, cequi provoque la fuite du dealer et des3 filles; les “deux copines” sontinjustement arrêtées et une d’elle estviolemment malmenée par la policelors de l’interrogatoire. La deuxièmescène se déroule à la maison : lesparents de la “copine” malmenéesont scotchés à la TV lorsque rentreleur fille ; le père, sans emploi, réagitviolemment lorsque sa fille lui confiece qui vient de lui arriver ; la mère,effacée, sous la coupe de son mari, nelui est d’aucune aide. La troisième

scène se passe à l’école où les jeunes“subissent” dans des conditionsdéplorables les cours d’un prof“coincé”, intolérant et sans aptitudepédagogique et d’un autre, “cool” etcompréhensif ; aucun des deux profsn’obtient des résultats vraimentsatisfaisants; un ministre plein debonne volonté écoute les récri-minations des élèves et des profs etfait des promesses qu’il devra revoirà cause de son budget.

Pendant une bonne demi-heure, nosdouze comédiens d’occasion ontoccupé la scène devant un publiccomposé de quelques profs,éducateurs et parents mais,principalement, d’une centaine dejeunes de leur âge qui les ontapplaudis à s’en faire des ampoulesaux mains. Bien sûr, le rythme étaitun peu trop rapide, ils ont oubliéquelques directives de dernièreminute, certains tableaux étaientmoins bons que lors des répétitionsmais... ils l’ont fait ! Et surtout, cequ’ils ont produit a été apprécié.Quel plaisir aussi pour nous de leurtransmettre les commentairesélogieux de leurs copains de classe :“C’était top, hein, M’sieur !” ; “Ilsjouaient tellement bien qu’on ne les apas reconnus directement...” ; “Despièces comme ça, on en veut bientous les jours !” ; etc.

Après le spectacle, la salle, la scèneet les coulisses sont remises en ordre.Le matériel est rassemblé ettransporté dans la camionnette duThéâtre du Public. Certains doiventrentrer au plus vite et nous quittent àregret avec des yeux qui cachent malle flot des émotions qui lesenvahissent encore... Les autres nousaccompagnent, Isabel, Doudou etmoi, au bistrot du coin. Et là, ils sontintarissables : chacun a milleanecdotes à raconter, à croire que lespectacle a duré de nombreusesheures. Cela va du petit détailtechnique aux réactions du public en

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passant par leurs craintes et autressentiments éprouvés avant, pendantet après la représentation. Toussemblent très satisfaits del’expérience et prêts à recommencer.

Bilan

Une semaine plus tard, en classe,nous avons dressé le bilan de cetteactivité.

Il en ressort que :- à quelques rares exceptions près,

ce ne sont pas les séancespréparatoires qui laissent lesmeilleurs souvenirs : les jeunestrouvent que les exercices étaienttrop répétitifs et généraient unecertaine lassitude, ils recon-naissent cependant la nécessitéd’un entraînement aux techniquesqu’il est indispensable demaîtriser avant de monter sur lesplanches ;

- la semaine précédant le spectacle,en revanche, est inoubliable :“l’ambiance était excellente, on atravaillé dans la bonne humeur,c’était dynamique, on a appris à seconnaître...” ;

- Isabel a été appréciée par tous etils reconnaissent qu’ils lui doiventbeaucoup mais les avis concernantsa méthode de travail sont parfoisdiamétralement opposés (parexemple : certains ont estiméqu’elle était trop directive alorsque d’autres auraient préféré êtredavantage pris en charge).L’intervention de Doudou n’alaissé personne indifférent : lesjeunes l’ont trouvé très“professionnel” et considèrentqu’il a apporté au groupe et à lapièce le “petit je ne sais quoi” quirend les choses plus faciles. Ils ontregretté que leur prof (la personnequi fait le lien avec le système

scolaire, donc, d’une certainemanière, les rassure) ne soit pasprésent durant toute la semaineprécédant le spectacle ;

- l’organisation n’a pas étécritiquée: contrairement à cequ’ils craignaient, ils ont puassister normalement aux cours,n’ont pas dû prester d’heuressupplémentaires et ont eu dutemps libre en suffisance. Ils onttoutefois regretté le choix de lapériode durant laquelle l’activitéavait été programmée car lesexamens avaient lieu troissemaines seulement après lareprésentation;

- le résultat final les satisfaitpleinement : cela va de “c’étaitpas mal du tout” à “c’était génial”et à “tout le monde a adoré” ; sil’occasion se présentait, àl ’unanimi té , i l s re fe ra ien tl’expérience ; et quand on leurdemande ce que ça leur a apporté,ils répondent :

- parler un peu plus avec les autres,voir comment ils se comportent etdécouvrir ainsi qui ils sontvraiment; réaliser qu’on peuttravailler ensemble;

- apprendre à se connaître soi-même; se sentir bien, à l’aise dansune activité dont on ignorait tout,se libérer de la timidité, sedécoincer, se surpasser;

- découvrir une discipline nouvelleet intéressante; éprouver duplaisir, s’amuser;

- apprendre ce qui se passe en rueou ailleurs en le jouant;

- faire comprendre aux genscertaines choses, s’exprimer...

En conclusion

Mettre sur pied un tel projet est toutà fait réalisable dans le cadrescolaire mais aussi au sein den’importe quelle associationrassemblant des jeunes (et des moinsjeunes) qui ont envie de découvrirune activité qui va leur permettre des’exprimer.

Disposer d’un local, ne pas êtrepressé par le temps et bénéficier d’unbudget confortable, c’est appréciable; mais être partiellement privé d’unde ces éléments n’est pas une raisonsuffisante pour renoncer. Travaillerdans une relative urgence peutrendre très productif et ne pas jouirde moyens financiers importantsforce à faire appel à l’imagination. Laréussite dans des conditions qui nesont pas idéales n’en est que plusvalorisante.

Toutefois, quand on n’a aucuneexpérience en la matière, on nes’improvise pas metteur en scène et,sans connaître les techniques, lestrucs et ficelles du métier, on risquede ne faire que du bricolage. Uneanimation réalisée par un pro meparaît donc indispensable. D’autantque cet échange (synergie entre lemonde du spectacle et celui del’école ou de la rue) est trèsconstructif. Pour les deux milieux,c’est une découverte et uneentreprise où chacun aura quelquechose à apporter à l’autre.

Se lancer dans l’aventure ne serapour personne un investissement àfonds perdus. Même si le résultatfinal n’est pas digne des plus grandschefs-d’œuvre, il y a de très forteschances pour qu’il soit quand mêmevécu comme une réussite.

L’organisateur du projet éprouveraune énorme satisfaction d’avoir menél’entreprise à terme. Et les jeunes,

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surtout pour ceux qui ont vécu deséchecs dans leur vie, auront lesentiment d’avoir été au bout dequelque chose. Ils se seront prouvésà eux-mêmes qu’ils étaient capablesde construire, de produire, de créer,d’exprimer ce qu’ils contenaient aufond d’eux-mêmes. Ils seront étonnéset rassurés par le regard des autressur leur travail, par lareconnaissance de leur valeur (undes rares regrets formulés par mesjeunes est de n’avoir pas eul’occasion de jouer leur pièce àl’extérieur).

Pour certains, plus démunis, plusblessés affectivement, l’expériencesera positive grâce au simple fait quedes “gens” se soient occupé d’eux,les aient pris en considération, leuraient témoigné de l’intérêt et procuréun peu de chaleur humaine.

À d ’ a u t r e s ( j e m e b a s eprincipalement sur les confidencesde mes élèves), cela permettrad’apprendre à se connaître, à sedépasser, à “rencontrer” les autres, àles apprécier, à se situer par rapportà eux, à réaliser quelque choseensemble, à casser cette solitudequ’on croit avoir vaincue parce qu’onest membre d’un groupe qui tue letemps en rue...

Atteindre ne serait-ce qu’un seul deces objectifs ne vaut-il pas qu’on sedonne un peu de peine pour pousserles jeunes sur les planches ?

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Autour du gesteLaurence Piette

Danser, c’est éprouver le plaisir du geste, de l’équilibre,de l’énergie, de l’harmonie avec son corps, avec celui

de l’autre, avec la musique.

Mais danser, c’est avant cela, pour cela, se libérer des contraintes–particulièrement "scolaires"- d’immobilité, de réserve, de"sagesse" ; c’est se libérer de la prépondérance de l’esprit sur lecorps, de la raison sur la sensation ; c’est se libérer del’obligation du "bien-faire", du "faire-beau", du "faire aussibien".Danser, c’est oser…être.Danser, c’est oser…plus ou moins.Et comment oser plus…que moins ?

Voici deux dispositifs de protection qui permettent de tempérerle regard de l’autre :• soit en le camouflant :

Tendre un drap blanc à travers la pièce. Placer le public d’uncôté, le danseur de l’autre. Installer une lampepuissante derrière lui. Il apparaîtra au spectateuren ombre chinoise. Il ne verra que sa propresilhouette projetée sur la toile.

• soit en le concentrantUtiliser un cadre ou construire un petit théâtre detable: dresser une boîte en carton, découper lafaçade comme des rideaux de théâtre et percer lefond de manière à laisser passer les poignets (sion utilise du tissu comme fond, on gagne en souplesse)

L’attention du spectateur se concentre sur des gestes qui sontcomme isolés de soi.

Enfin, n’oublions pas le "costume" qui, en renforçant ladistance, voire l’anonymat, favorise une expression encore malassumée : Masques (neutres) et gants (souples en fin caoutchouc)peuvent ainsi libérer davantage. Ils peuvent être dessinés, aumarqueur noir, de lignes d’expression ou de symboles.

Du mot au geste…de la main…Supports : Chanson de J.J.Goldman, " nos mains " (voir annexe) Chanson de Quilapayun, " la mano " (voir annexe)Imaginer un geste pour chaque terme, chaque imageLes enchaîner en respectant le rythme.

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Du geste au mot…Support : Danse extraite du film "Soleil denuit" par Barichnykov sur unechanson de VissotskiInterpréter la danse selon lesmots du danseur "je veux pousserun cri"Imaginer quel est son cri, sasouffrance, son exigence.

(Contexte du film : Un danseurrusse, réfugié à l’Ouest, estramené à Moscou à la suite d’unaccident d’avion : Le pouvoirtente de le forcer à danser ànouveau, comme un fils prodigue,dans le cadre classique du balletrusse. Sa danse est sa révolte dedanseur libre, l’explication qu’ildonne de son refus à son anciennepartenaire chargée par le KGB dele ramener sur scène.)

Du geste aumouvement…Supports : Photos de danseurs, extraites de"BEJART, Danser le XXè S.,Fonds Mercator, Anvers, 1977(voir annexe)Prendre chacun une photo dedanse et isoler un geste.Le mettre en mots, y associer unevaleur : l’interpréter, lui trouverun sens (autant "signification"que direction").Le placer dans un contexte :imaginer un "avant" et un "après".Rechercher des partenaires pourformer, avec leur photo, uneséquence de gestes : Le regroupement peut êtreimposé, aléatoire ou libre etréfléchi : dans tous les cas, ilfaudra créer ensemble unelogique de mouvement,l’expliquer, imaginer les gestesintermédiaires.S’approprier le mouvement : le

faire soi-mêmedécider de son ampleur, de savitesse, de sa répétition…décider s’il nécessite d’être seulou à plusieursdécider s’il est placé sur unemusique (deux ou trois extraitspeuvent être proposéspréalablement)Le montrer.Confronter les interprétations ;celle des danseurs et du public.

Du mot au geste…Supports : Photos de danseursCartons portant des valeursCartons portant des sentiments. Le petit dictionnaire "sentiments"des éditions Syros est précieux : ilfournit des images dans lesdéfinitions

Exemple : "Ténacité" : colle forte.Une petite personne volontaire etobstinée qui serre les dents, lespoings…on se débat comme unbeau diable…avec la vigueurd’une étiquette adhésive qui secramponne à son support.)Choisir une valeur ou unsentiment ; y associer un geste(que l’on crée ou que l’on voit enphoto –cf. annexe)

…au mouvement…Sur quelques musiques choisies,laissez-vous aller…et danser Passer le relais pour continuer legeste entamé.

Quelques morceaux choisis :T. Albinoni, Adagio en sol mineurJ. Pachelbel, canon et gigue en rémajeurO Respighi, Antiche Danze edArie, transcription de L.Roncelli,Passacaglia.Maestoso.J-S Bach, "Allemanda" de la"Partita I en si mineur, BWV1002.

Jean-Jacques Goldman Nos mainsParoles et Musique: Jean-JacquesGoldman 1997 "En passant"

Sur une arme les doigts nouésPour agresser, serrer les poingsMais nos paumes sont pour aimerY a pas de caresse en fermant les mains

Longues, jointes en prièreBien ouvertes pour acclamerDans un poing les choses à soustraireOn ne peut rien tendre les doigts pliés

Quand on ouvre nos mainsSuffit de rien dix fois rienSuffit d'une ou deux secondesA peine un geste, un autre mondeQuand on ouvre nos mains

Mécanique simple et facileDes veines et dix métacarpiensDes phalanges aux tendons docilesEt tu relâches ou bien tu retiens

Et des ongles faits pour grifferPoussent au bout du mauvais côtéCelui qui menace ou désigneDe l'autre on livre nos vies dans leslignes

Quand on ouvre nos mainsSuffit de rien dix fois rienSuffit d'une ou deux secondesA peine un geste, un autre mondeQuand on ouvre nos mains

Un simple geste d'humainQuand se desserrent ainsi nos poingsQuand s'écartent nos phalangesSans méfiance, une arme d'échangeDes champs de bataille en jardin

Le courage du signe indienUn cadeau d'hier à demainRien qu'un instant d'innocenceUn geste de reconnaissanceQuand on ouvre comme un écrinQuand on ouvre nos mains.

[19087] http://www.paroles.net - Texte soumis aux Droits d'Auteur - Réservé à un usage privé ou éducatif.

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LA MAIN(Eduardo Carrasco - Patricio Wang)

La main dans l'épi La main cachée dans la semence La main jointe en gerbe La main-amour dans la main amie

La main qui ouvre la fenêtreLa main qui se promène dans les étoiles La main rude ouvrant les tracesLa main d’Eve dans les pommes

La main-alouette sur la harpe La main-harpie de l'injustice A main-brulante dans la caresseLa main d’adieu sur la lettre

La main ailée de la victoire La main levée dans la bataille La main écrite sur le murLa main aveugle de l'histoire

La main armée ouvrant la voie La main dans la chevelure La main-griffe sur le cou La main blessée dans l’échec..

Vivante dans la lumière

La main jointe dans la prière La main adroite dans la poterie La main libre qui enfante La main ouverte et solidaire

La main généreuse qui sème La main franche sur la poitrine La main érigée dans son droit La main qui lie et males et femelles

La main qui a déplacé la collineLa main sœur de ton frère La main-soleil main dans la main La main ciel et horizon

LA MANO(Eduardo Carrasco - Patricio Wang)

La mano dentro de la espigala mano oculta en la semillala mano junta hecha gavillala mano amor en mano amiga.

La mano que abre la ventanala mano que anda en las estrellasla mano ruda abriendo huellasla mano de Eva en la manzana.

La mano alondra sobre el arpala mano arpía en la injusticiala mano incendio en la cariciala mano adiós sobre la carta.

La mano alada en la victoriala mano alzada en la batallala mano escrita en la murallala mano ciega de la historia.

La mano armada abriendo el pasola mano sobre los cabellosla mano garra sobre el cuellola mano herida en el fracasoviva en la luz.

La mano junta en la plegariala mano diestra en la vasijala mano libre que prohíjala mano abierta y solidaria.

La mano pródiga que siembrala mano franca sobre el pechola mano erguida en su derechola mano que une a macho y hembra.

La mano que ha movido el montela mano hermana de tu hermanola mano sol mano con manola mano cielo y horizonte.

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Créer soi-même pour donnerun support de création…

• Sur le thème du "livre-liberté", "l’écolesource de possibles"

À partir de Goldman, Envole–moi :

"…J’m’en sortirai, je te le jureA coup de livres, je franchirai tous ces murs…Envole-moi, envole-moiRemplis ma tête d’autres horizons, d’autresmots"

Imaginer des emplois pour le livre, en rapportavec le texte

• sur le thème de l’autoportrait,l’auto-louange

Découper dans des magazines, deséléments représentatifs de soi : desgoûts, des symboles, des richessesintérieures…pour se dire……A la manière d’Arcimboldo(1527-1593), L’automne, Taschen, 1993

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Fondation Reine PaolaPremier prix pour l'Enseignement de la Communauté Française2001-2002 décerné à Martine Graindorge, Pierre Tromme,Marc Lamboray, Michelle Weber et Colette Fraiture, enseignantsà l'Athénée Royal d'Aywaille pour le "Projet Troisièmes"

Introduction

Depuis 12 ans, 3 professeurs de l'Athénée royal d'Aywaillemènent un projet pluridisciplinaire centré sur un voyage culturelen Italie.Martine Graindorge (histoire), Marc Lamboray (français) etPierre Tromme (morale) se sont engagés dans cette activité eny apportant leurs particularités et les spécificités de leur cours.Ils ont été rejoints ponctuellement par quelques collègues quirenforçaient l'équipe.Couler les énergies des élèves volontaires pour former ungroupe soudé capable de relever les défis d'un tel voyageexige une organisation qui implique souvent l'école. Lequalificatif d'activité extra-scolaire ne recouvre pas ce que noustentons de faire. Intégrer notre action dans la démarchepédagogique générale de notre établissement nous tient àcœur.Vous lirez ci-dessous les articulations de notre projet tel qu'il aété présenté en janvier 2002 au concours "Reine Paola pourl'enseignement secondaire"

Qu'est-ce que ce prix ?

D'après la circulaire du 5/11/2002, le but de ce prix est de faireconnaître certaines réalisations remarquables du mondeéducatif et de voir celles-ci appliquées ou étudiées dansd'autres établissements afin de valoriser la qualité du travail desenseignants.Le règlement stipule entre autres règles que le prix est attribuéà un enseignant ou à un groupe d'enseignants.La réalisation distinguée aura été caractérisée entre autres parla formation, l'éveil à la culture générale, le développement dessavoirs, des savoir-faire et des savoir-être, les relations avec lesparents, le développement de la communauté scolairecomme communauté de vie etc.. Seront préférés des projetsdont le caractère pluridisciplinaire contribue à l'implicationsociale des élèves et à l'encouragement d'une solidaritéactive, à l'association de la construction des connaissances àla formation aux valeurs et au développement de lapersonnalité, à la réflexion personnelle et à l'éveil de l'espritcritique, au développement harmonieux du savoir, de lamorale, du sens artistique et esthétique, à l'utilisation desmoyens d'expressions ainsi que de l'affectivité, à l'ouverture aumonde et à l'accroissement des chances de groupesdéfavorisés. Le projet devra fonctionner depuis au moins deuxannées scolaires.

Pourquoi avoir été candidat à ce prix ?

La réponse est aussi simple qu'est connue la situation desporteurs de projets dans l'enseignement de notre communauté.Vouloir faire bouger le monde scolaire, communiquerprofondément un certain nombre de valeurs à des élèves, baserdes démarches pédagogiques sur l'engagement de ceux-ci,partager des enthousiasmes, baser une démarche éducativesur la culture, l'art et la beauté, apprendre au hasard desexpériences d'un groupe à s'enrichir des contacts avec lesautres, à s'ouvrir l'esprit, sortir de son cadre quotidien et goûter leplaisir de partager ensemble des moments exceptionnels faitsde défis, de craintes, de lumière, de satisfaction, de découverte,bref de vie induit bien des complications dans la vie scolaire !Conscients que tout ce qui précède appartient au projet quenous menons, mais aussi conscients d'un manque dereconnaissance de nos démarches au sein de notre école etdésireux de rencontrer quelque part, parfois une mise en valeurde notre projet et une considération pour notre travail, nousavons déposé notre candidature au Prix Reine Paola.

En effet, comment mener à bien un projet s'il faut chaqueannée se justifier, contrer des attaques ou des suspicions, sebattre pour garder la spécificité d'une démarche sans êtresystématiquement rattrapé par la rigidité de l'organisation d'uneécole ? Si l'équipe de départ n'avait été suffisamment soudée etenthousiaste, si elle n'avait goûté le bonheur de relever desdéfis, en partenaires, avec les élèves impliqués qui ont souventpartagé le bonheur de la réussite, cela aurait été impossible.

La réussite au sein de l'institution scolaire ! Les élèves sont habitésde tant de qualités et de richesses souvent méconnues dans lecadre d'un parcours classique qu'il est rassurant de découvrirces trésors de compétences (c'est à la mode !) à l'occasiond'activités, légèrement décalées par rapport au cursus habituelimposé, mais basées sur la créativité, la sensibilité, la solidarité,l'action. Dès lors, dans les cas malheureux et trop fréquents oùl'échec scolaire vient sanctionner une année de cours, laréussite sur le plan de l'épanouissement personnel et collectifacquise, ou plus exactement ressentie dans le cadre d'un projetde longue haleine, compense quelque peu la déception et metl'importance de la "formation humaine" en évidence.

Enfin, il nous semblait que les caractéristiques du "ProjetTroisièmes" rencontraient parfaitement les critères de sélectionénoncés plus haut.

Le Projet Troisièmes

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Réussir un voyage culturel avec de jeunes adolescents

Projet pédagogique pluridisciplinaire destiné aux classes de troisièmes de l’enseignement secondaire.

Pierre Tromme

Pour présenter le contenu du"PROJET TROISIEMES", ilconvient d’en retracer brièvement lagenèse.Tout a commencé il y a 11 ans,lorsque des élèves ont, à la suited’une leçon sur la Renaissance,demandé à partir à Florence.

Nous n’étions cependant disposés àorganiser ce voyage scolaire qu’à lacondition d’éviter les faiblessesconstatées lors d’expériences quinous avaient déçus : nous ne voulionspas que, reposant sur des critèresélitistes, il soit destiné à unesélection d’élèves ; nous voulionsassurer la prépondérance de soncaractère formatif sur le divertis-sement ; les visites culturellesdevraient être accessibles etprofitables à une majorité ; enfin,nous voulions éviter que nos élèvesse conduisent en touristes tonitruantset irrespectueux.

En conséquence, nous avons acceptél’idée d’organiser ce voyage mais à lacondition qu’il corresponde à unensemble de critères : il devrait êtreune occasion

- de développer descontacts entre lessections générales,techniques et professionnelles denotre école, et de valoriser lesqualités et possibilités de chacun ;

- de découvrir une autre cultureavec tout le respect qu’elle mérite;

- de développer la curiosité,l’autonomie, l’humanisme, lac i t oyenne té , l a t o l é rance ,l’ouverture sur le monde, lasolidarité ;

- de se cultiver réellement par ladécouverte personnelle desrichesses artistiques, humaines etnaturelles de la région visitée.

- enfin, de se divertir ensemble,non plus dans les relationsprofesseurs/élèves mais dans unenouvelle relation où des adultespartageraient une expérience etdes découvertes avec desadolescents.

Pour atteindre tous ces objectifs, ilnous fallait largement dépasser la

simple organisation d’un voyagescolaire et développer un véritableprojet, couvrant une année scolaire,demandant de la part de tous lesparticipants un réel engagement etun grand dynamisme.

Le projet, qui fait maintenant partieintégrante du "projet d’école" estpour les élèves des diverses sectionsde troisième, le couronnement ducycle inférieur, et la transition versles exigences de l’enseignementsupérieur (autonomie, esprit critique,humanisme, tolérance)

Seul critère de sélection : la véritablevolonté de s’impliquer dans toutesles phases du projet, la réelleacceptation, sans aucune arrière-pensée, de toutes les conditionspréétablies.En aucun cas le problème financierne doit être discriminatoire, c’estpourquoi un fonds de solidarité estcréé, permettant à tous les enfantsqui en font le choix de participer auprojet.

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Comment sontrencontrées les différentesexigences de notre projet?

- LE VOYAGE.Afin d’éviter des dérives vers desdestinations plus ludiques, ils’effectue toujours dans une villed’art italienne.Cette destination donne à de jeunesadolescents un premier contact avecnos racines culturelles et nouspermet de partager avec eux des"coups de cœur" qui nous ontparticulièrement enchantés.

Nous avons voulu faire des élèves devéritables partenaires dans l’élabo-ration et la réalisation du programme:

- Chaque élève joue à son tour lerôle de guide auprès de sescondisciples. Toutes les compétencessont ainsi mises en lumière (lesélèves des sections profes-sionnelles et techniques sontplutôt attirés par la gastronomie,les techniques et matériaux deconstruction, les élèves dessections générales choisissent des"visites" plus axées sur l’art etl’histoire)

Chacun se trouvant à son tour "envedette", ils découvrent la tolérance,le respect mutuel et la recon-naissance des aptitudes de chacunau-delà des différences, et enfin lasolidarité devant une épreuvepartagée.C’est aussi un excellent moyen pourles élèves de dépasser les clichéstouristiques (ex. Pise a plus à offrirqu’une tour penchée).

- Des élèves réalisent des reportagesphotographiques, vidéo, et radio-phoniques, non seulement desvisites culturelles mais aussi desanecdotes de la vie quotidienne dugroupe, les aspects pittoresques dela vie locale.

Elément essentiel de notre voyage,ils obligent les élèves à poservéritablement leur regard sur lessites visités, sur leurs compagnons devoyage ou encore sur les autochtones. - Les reportages vidéo et

photographiques dont ilsapprennent ainsi les techniquesdemandent de leur part,imagination, sensibilité mais aussirespect pour les autres(condisciples et autochtones) et ladécouverte qu’ils font de nosdifférences et ressemblancesinduit la tolérance.

- Les reportages radiophoniques,réalisés grâce à la complicitéd’une radio locale, demandent,également un apprentissagedifficile : rédaction toujours enurgence d’un "billet" faisant lecompte rendu de la journéeécoulée et diffusé chaque soir endirect

Les élèves connaissent le stress du"direct-radio" et apprennent à sesurpasser dans l’art de l’écriture etde la lecture. Notons que aucunesélection n’est faite en fonction d’unequelconque excellence, tous lesélèves peuvent participer.

- Un grand jeu de découverte estorganisé et les mène à travers laville visitée : ils doivent identifierdes sites à l’aide de photosinsolites, de puzzles, d’énigmeshumoristiques. Notre objectif estde les ramener aux sitesdécouverts ensemble ou de leurfaire découvrir ceux qu’il nous fautbien, par manque de temps,écarter de notre programme. Lavision insolite qui leur est offerteles oblige, ici encore, à regardervraiment ce qu’ils auraient pusimplement voir, et ce, sans qu’ilsaient l’impression d’être "cultivésde force".

Ce jeu, ainsi que les moments deliberté qui leur sont accordés sont

ponctués de rendez-vous, notifiésdans un carnet de bord qui ne lesquitte pas, véritable outil d’infor-mations pratiques et culturelles.Ils apprennent alors la lecture decartes et de plans.

Nous évoquerons brièvement lesactivités conviviales qui " soudent "notre groupe et construisent lessouvenirs (anniversaires fêtésensemble, moments de détente sur laplage ou promenades nocturnes,chants de réveil.)

- LES " HEURES-PROJET "

Depuis quelques années, nous avonsintroduit, avec l’accord des autoritésde l’école deux heures dans l’horairedes élèves et des professeursconcernés (en supplément del’horaire normal et en completbénévolat).

Elles sont destinées d’une part àpréparer minutieusement lesdiverses tâches administratives,pratiques et culturelles liées auprojet, et d’autre part à favoriser lacohésion du groupe et à donner auxparticipants la conscience de l’effortqu’ils doivent accomplir pour menerà bien, ensemble leur " projet-troisièmes ".

- LES EXCURSIONS ETCONFERENCES

Il s’agit de deux excursions faites àLiège (pour nous, la ville la plusproche), en fait, essais d’ensei-gnement modulaire.Lors de chacune de ces excursions,une demi-journée est consacrée àune conférence donnée par unprofesseur d’histoire de l’art"Initiation à la lecture de lapeinture" et "Regard sur l’archi-tecture : fonctions, formes et styles" ;l’autre demi-journée est consacrée àla visite d’une bibliothèque,d’édifices, d’expositions temporaires,

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applications des formations reçues.Notre objectif : faire découvrir très tôtaux participants le caractèreréellement culturel du projet ; unepremière découverte du déplacementen groupe, selon nos critères, dans unmilieu sécurisant (ville et langueconnues) et surtout l’apprentissagede la méthode d’observation et de "lecture " des œuvres d’art.

- LA "SOIREE DES TROISIEMES"

SPECTACLE DE VARIETES destinéà l’origine à diminuer le coût duvoyage, elle est apparue commel’occasion d’établir une véritablesolidarité entre les élèves puisqu’ilest admis que chacun y participeselon ses capacités et que lesbénéfices sont partagés en fonctiondes besoins.Geste anonyme qui permet à certainsd’entre eux de faire le voyage endépit de moyens limités.Ce spectacle serait une activitébanale s’il était préparé et organisépar les professeurs, mais notreéquipe, poursuivant d’autresobjectifs a choisi d’encadrer lesélèves dans la préparation de leur"Fête des troisièmes" : ils effectuenttoutes les démarches préliminaires ets’occupent de toute la réalisationartistique, technique et pratique duspectacle.

Cette activité a donc comme but lacohésion du groupe, l’apprentissagede l’autonomie, la mise en valeur desaptitudes et des talents de chacun etleur valorisation (chaque fonction estessentielle à la réussite del’ensemble du projet).Dans ce cadre, la "surprise de profs"numéro gardé secret jusqu’au jour duspectacle donne au groupe lesentiment de partager réellement uneexpérience particulière avec leursprofesseurs et non une activitéscolaire parmi d’autres.

- L’EXPOSITION ET SOUPER DE FIND’ANNEE

Au retour, les têtes, les appareilsphotos et les cassettes vidéos sontpleins de souvenirs. Le projet se clôture par uneexposition des photos, non desmeilleures d’entre-elles mais detoutes celles qui nous sont confiées.Pour que chacun puisse fairereproduire les photos qui l'ont séduitet que leurs propriétaires puissent lesrécupérer dans l'ordre et sans conflit,nous avons mis au point un systèmeoriginal permettant la réimpressiontrès rapide de n'importe quel clichéexposé. Nous réalisons avec cematériau une grande mosaïque quimontre aux parents, amis et élèves lamultiplicité des regards posés aucours de ce voyage, qui démontreaussi que la beauté de l’ensemblenaît de cette multiplicité et non de laqualité exceptionnelle de l’un d’entreeux. La soirée est enfin clôturée parla projection du montage réalisé àpartir de leurs reportages vidéo.

- CONCLUSION

La plupart de ces réalisationssemblent aisées, mais nous avonsvoulu les faire gérer par les élèveseux-mêmes, afin que ceux-ci mettenten valeur leur potentialité dans desdomaines parfois délaissés à l'écoleet qu'ils puissent poser sur eux-mêmes un regard positif, quel quesoit leur choix ou leur niveaud'études.Notre équipe a au cours de ces dixdernières années conçu, élaboré etsans cesse perfectionné le projet.Chaque année, des collèguesenthousiastes lui sont venus en aideactivement, de même que dedynamiques collègues retraités,établissant ainsi de fructueuxcontacts entre les adolescents et lesaînés.

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Remarques etcommentaires

Le "Projet Troisième" continue. Lapremière réunion de cette année2002-2003 a eu lieu ce 20 septembreet nous comptons le clôturer le 27juin !

Le fait de mener ce projet avec desélèves qui ont fait un pas vers lui, quise sont engagés pour participer à uneaventure commune est particulierdans notre enseignement obligatoiretrès uniformisé. C'est respecterchacun de considérer que del'énergie peut être mise dans telle outelle direction. Le choix des élèvesest très souvent dicté par un rapportentre l'intérêt que présente le projetet leurs intérêts personnels

Maintenir une excellente cohésionentre les élèves de troisième, ceuxqui partent et ceux qui ont choisi derester nous semble essentiel. Dans cebut les activités de préparation tellesque les excursions à Liège, lesconférences sur la peinture etl'architecture, la "Fête des Troisi-èmes", le souper etc… sont ouvertesà tous les élèves qui le souhaitent.Nous sommes également attentifs àce point dans nos cours.

Nous essayons d'évaluer toutes lesactivités organisées auprès desélèves et des parents. Ils sont trèsmajoritairement enchantés et consi-

dèrent que le surcroît de travail etd'activité ne nuit pas à la réussitescolaire, ni n'explique les échecs.

Le fait d'évoluer au sein d'un projetpédagogique pluridisciplinaire esttrès enrichissant pour lesorganisateurs, mais aussi bien sûrpour les participants. Inutile devanter ici l'intérêt de la multiplicitédes angles d'attaque d'un mêmesujet. Je voudrais pourtant attirerl'attention sur l'apport remarquableque toutes les formations enpédagogie humaniste organiséesgrâce à C. Legros a eu pour le coursde morale en général et pour saspécificité dans le cadre d'activitéscomme ce "Projet Troisièmes". La cohésion de groupe, la sensibilitéà l'art, le respect, l'empathie setravaillent aussi bien en classe qu'endehors, dans la vie !Des techniques comme l'analysed'images, la compréhension de lagrammaire de l'image, le déchiffragedu message d'un film que nousaimons souvent pratiquer avec nosélèves trouvent ici dans la réalisationde reportages des prolongementspratiques. L'ouverture d'esprit qui consiste à sepencher sur une société, sur unetechnique architecturale ne peut quepermettre une meilleure compré-hension des autres, mais aussi unemeilleure compréhension de nous-mêmes qui mène vers l'ouverture.Que dire aussi des techniques

d'expression, de la créativité, del'inventivité…Quelle occasion aussi d'identifiernotre héritage culturel, de nous situerphilosophiquement, esthétiquementpar rapport à lui. De mettre desimages sur la naissance del'humanisme…Et que dire surtout des rapports avecles élèves ? De cette impression deremplir pleinement son rôle deprofesseur puisque ici l'engagementest total et bilatéral et qu'au fil dutemps la discipline devientcompagnonnage, que les rapportsévoluent totalement dans le cadred'une éducation à l'autonomie à laresponsabilisation.

Notre espoir serait que ce type defonctionnement soit reconnu commefaisant partie d'un cursus scolairenormal et que son organisation soitfacilitée. Le bénévolat et l'énergiequ'implique ce genre de projetpourraient être avantageusementintégrés aux plages horaires desélèves et des professeurs concernés.Enfin, considérant que l'ensei-gnement actuel fonctionne souventsur base de démarches intéressantes,passionnées et gratuites, qu'on leslaisse vivre si les passionnés qui lesmènent le veulent bien, et qu'onn'alourdisse pas leurs efforts desmille tracasseries gratuites,bénévoles et inutiles habituelles.Oser, bouger devraient être nos défis.

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Terre et motsou une reconquête de créativité

Marie Dewez

Terre

Il y a une vingtaine d’années, jepasse la soirée chez une amie et monregard est sans cesse capté par lespetites figurines en terre disperséesdans son appartement, sculpturesfaites de ses mains qui font ressurgirle souvenir enfui des minusculespersonnages en bougie fondue que jecréais enfant et le bonheur oublié dedonner vie avec mes mains. Ce soir-là, je reçois de cette amie un bloc deterre soigneusement emballé deplastique pour préserver son humidité."Essaie chez toix" me dit-elle. Je laremercie mais m’en retourne un peuperplexe : que vais-je faire de cetteargile ? Je ne suis pas une artiste,moi !

Des semaines plus tard, un soird’automne, un soir sans projet précis,la présence de la terre me revient enmémoire. Je débarrasse la table deses objets familiers et je libère laterre de son cocon. Je la touche, je la

réchauffe, je la pétris, je la modèle,une forme émerge du néant unefemme couchée sur le dos … En moi,une joie profonde, totale, le tempsqui n’existe plus et un étonnementravi de ce qui est en train de sepasser là.

Je teste plusieurs fois dans les moisqui suivent que la magie de cesinstants peut se reproduire. Dutemps pour moi, un bloc de terre, lesilence et mes mains …

Un long moment passe encore avantque je n’ose m’inscrire à un staged’une semaine de modelage. Je faisde petites sculptures chez moi pourmon plaisir, c’est vrai, mais me croireassez artiste pour modeler avecd’autres, c’est une toute autrehistoire!

Bonheur de découvrir un atelier, lesoutils, les créations des autres, deconsacrer toute une semaineuniquement à la joie de créer.

Depuis quelques années, j’anime des ateliers " Terre etmots ", stages de création par l’argile et l’écriture.Si j’entreprends d’expliquer d’où m’est venue cette idéeet comment ce projet a pris forme, je dois remonterbien loin dans le temps et suivre une piste pour la terre,une autre pour les mots.

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Les encouragements de l’animatriceme donnent l’audace de m’inscrire encours du soir à l’Académie desBeaux-Arts. C’est très émue que jefranchis la porte de cette institution.Je vais devenir élève de MadyAndrien et, du haut de mes trenteans, je suis aussi impressionnéequ’en rentrant à l’école gardienne.Les 4 années qui suivent, plusieursfois par semaine, je dépose mamallette d’enseignante, j’empoignema besace à outils et je file vers legrand atelier de sculpture, universmagique, lieu d’apprentissage, derencontres et de liberté.

Mots

La reconquête de la créativité par lesmots commence pour moi bien plustard. Créativité bien cadenassée parmes expériences scolaires, lesdevoirs obligatoires, les sujetsimposés, le "beau langage", ledécorticage maniaque de la poésie,les remarques , c lassements ,jugements en tous genres … en unmot, la contrainte si dévastatrice decréativité.

A l’école, j’étais "bonne élève" aucours de français mais je n’y trouvaisaucun plaisir. De plus, issue demilieu populaire et fréquentant uneécole bourgeoise, je me sentaishandicapée du langage. Donc,l’écriture, les mots ce n’était pas pourmoi … à l’exception d’un journal,compagnon de vie depuis la trentainedans lequel j’écris "juste pour moi","comme cela vient", "avec mesmots", "sans style".

Un jour, je retrouve une amie perduetrès longtemps de vue qui me parled’un atelier d’écriture et mecommunique son enthousiasme.L’expression " atelier " me plait : pasun cours, pas une classe, pas uneécole, un atelier.

Je m’inscris à un stage de 5 joursintitulé "Ecrire une nouvelle" enessayant de calmer la petite serpentepersifleuse en moi qui ricane "Voilàque tu te prends pour une écrivaine!"

Magnifique découverte ! Jeux, joie,création, partage, imagination,émotion, jubilation, liberté.

C ’ e s t u n e c h o s eétrange que d’écrire.Tout l’inconnu que desoi-même on tire.

R. Bodart

Et me vient l’envie de partager cebonheur et cette profondeur et jepropose des ateliers d’écriture et unjour, la terre s’allie aux mots pourcréer "Terre et mots".

Enseignante

Pendant toute une partie de cecheminement, je suis professeur demorale laïque dans le secondaire etcela demande pas mal de créativitéd’essayer de passionner au fil dessemaines des adolescents qui parfoispréfèreraient être partout ailleurs !

Cette situation professionnelle medonne l’opportunité de participer àde nombreuses formations proposéespar Cathy Legros, inspectrice.

Une vraie mine de découvertes, unapport d’air frais, un soutien audéveloppement personnel, des rires,des émotions, des amitiés …

Tout cela me nourrit et m’aide àrevivifier les cours que je donne etme soutient dans ma reconquête decréativité jusqu’au jour où les limitesimposées par l’institution scolaire mepèsent trop et je quitte l’école …pour devenir animatrice ou

enseignante autrement, autre part.

J’ai la grande chance maintenant departager outils, valeurs, émotions,connaissances avec des personnesqui ont choisi d’être là, qui sontheureuses d’apprendre, qui trouventque le temps passe trop vite, qui neveulent surtout pas manquer uneséance, qui remercient … un vraibaume au cœur pour une ex-enseignante du secondaire !

Et, cerise sur le gâteau, Cathy Legrosme propose d’animer des journées"Terre et mots" pour les professeursde morale !

Les journées "Terre et mots"

Ces journées commencent par unmoment de relaxation, d’enracine-ment et d’éveil du corps de façon à ceque chacun soit bien là, présent danssa globalité, conscient de son corpset disponible.

Un premier déclencheur de créativitéest alors proposé.Pour l’écriture, ce peut être un débutde phrase, une contrainte formelle,une photo, une carte postale, …Pour la terre, un thème, un mot, unesituation, …

Parfois, il est proposé d’écrire sur cequi a été créé en terre par soi ou parun autre participant, parfois il estproposé de symboliser dans l’argilece qui est apparu dans un texte.

Le silence est demandé pendant lestemps de création, ces moments sontsuivis d’échanges pendant lesquelsles textes sont lus et les œuvres deterre admirées.

Les blessures infligées à l’artiste quiest en chacun de nous datentsouvent de l’enfance. Il s’agit donc de

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repartir de choses très simples, à laportée de tous, sans jugement,d’établir un climat de confiance, desoutien et de liberté et de renforcerl’estime de soi et de ses créations.

Si un déclencheur de créativité, uneconsigne, un thème ne conviennentpas, il est conseillé de les transformer,d’inventer ses propres règles.

Il n’y a pas d’obligationen art parce que l’artest libre.

W. Kandinsky

Chacun a des choses à exprimer,chacun a son expérience de la vie, safaçon de voir le monde, ses formesd’expression privilégiées.

Ces journées permettent d’expéri-menter deux formes d’expressionparmi bien d’autres et peut-être d’ytrouver plaisir.

Lors des journées "Terre et mots", lesprofesseurs de morale peuventconstater qu’il est matériellementpossible d’amener en classe un blocde terre, quelques chiffons, des sets detable en plastique, quelques outils et decréer facilement la magie d’un atelier.Certains d’entre eux se sont lancésdans l’aventure …

Reconquête de créativité pour eux etleurs élèves.

Je veux écrire pour dire sans interrompre le silenceJe veux écrire pour contempler le fil de ma vieJe veux écrire pour m’amuser un peuJe veux écrire pour donner un début de vie à chacune de mes lubiesJe veux écrire pour que tu saches tout ce que je n’ai pas osé te direJe veux écrire pour ne pas oublier de me souvenir encoreJe veux écrire pour raconter un histoire qui ferait rêver les vieilles damesJe veux écrire pour voir de belles images, de belles couleursJe veux écrire pour me surprendreJe veux écrire pour que ce soit plus clair, plus silencieux, plus permanentJe veux écrire pour prendre du recul et en même temps être complètementdedansJe veux écrire parce que. Point final. Je voudrais rattraper tout ce que je n’aipas écrit.

Extraits d’un texte collectif d’atelier

Je sculpterai à mains nues la terre grasse et douce, je la lisserai de mesdoigts humides en caresses

Je sculpterai en terre, en bois, en pierre un univers comme Dieu lui-mêmen’a pas idée

Je sculpterai la figure de proue d’un navire en partance pour les îles, femmeaux jambes serpentines parfumée d’embruns

Je sculpterai un trou dans ma purée puis j’y mettrai ma sauce commequand j’étais petite

Je sculpterai avec un ange accroché à mon épaule pour guider mes mains

Je sculpterai une vache grandeur nature avec un pis gonflé et je la mettraidans mon jardin

Je sculpterai une main. C’est ce que je préfère, avec son visage. Cela en dittant une main …peut-être plus que les mots

Extraits d’un texte collectif d’atelier

Bibliographie

CAMERON, J. Libérez votre créativité , Dangles , 1995BING, E. …et je nageai jusqu’à la page, Ed. des Femmes, 1976REVAULT J-Y. Ecrire pour se guérir, Ed. Trois Fontaines, 1998REVAULT J-Y. La thérapie par l’écriture, Ed. Trois Fontaines, 1998PROGOFF I. Le journal intime intensif, Ed. de l’Homme, 1984MALLIE M. ET LEMAÎTRE P. A vos plumes, Casterman, 1996BON F. Tous les mots sont adultes, Fayard, 2000PARE A. Le journal, instrument d’intégrité personnelle et professionnelle,

Centre d’intégration de la personne de Québec, 1987

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Ce dernier présente la genèse de la grille d’analyse,l’élément le plus original des outils mis à la disposition desélèves, dans le texte qui suit.

La nécessité d’une grille d’analyse nous est apparue commeévidente : sans elle, les élèves auraient risqué de "tirer entous sens", de manquer d’inspiration (et de méthode)", deconcentrer leur attention sur des détails sans intérêt, dereproduire telles quelles les informations puisées dans ladocumentation.

Romaniste de formation et ancien professeur dansl'enseignement secondaire, j’avais déjà élaboré des grillesd'analyse destinées à établir des "fiches de lecture" (en fait,analyses relativement approfondies d'œuvres romanesques).Il me paraissait qu'il fallait trouver une sorte dequestionnaire universel par où tout roman pourrait "passer",afin de dégager les caractéristiques individuellesdu roman, mais aussi de le situer dans l'histoiredu roman, des idées, des techniques littéraires.Les grilles, j'en ai l'habitude !

Pour élaborer cette grille picturale, je suis partide deux éléments de la linguistique saussurienne: l'opposition signifiant / signifié et la notion de"motivation" entre sant et sé. La distinction entresignifiant et signifié est évidente en linguistique,elle l'est moins en matière picturale puisque le "sujetreprésenté" (ce qu'on pourrait assimiler au signifié) estintimement lié à la forme de présentation (lignes, plans,couleurs, clarté, etc.…) qu'on peut assimiler au signifiant.Cette relation quasi nécessaire entre signifiant pictural etsignifié pictural (qu'on pourrait aussi appeler "le représenté"et le "représentant") m'a rappelé la notion de motivation.Cette notion n'apparaît cependant pas de façon explicitedans ma grille, mais elle doit en quelque sorte se sentir aumoment où les élèves peuvent se laisser aller à exprimerleurs impressions personnelles face au tableau. Je pars en

effet du postulat qu'un œuvre picturale, même "abstraite",représente toujours quelque chose.

Ce que j'appelle le "représentant", c'est l'ensemble desmoyens picturaux mis en œuvre (couleurs, valeurs, lignes,plans) dans la représentation, cette dernière étant la relationentre le "représentant" et le "représenté". J'ai ainsi ouvertdeux grands chapitres, outre les chapitres de présentation(époque, pays, peintre, "carte d'identité" du tableau), lechapitre que j'appelle "stylistique" (et que j'aurais pu aussiappeler "morphologique ") et le chapitre que j'appelle"sémantique". Mais le chapitre " sémantique " ne pouvaitpas se réduire au simple énoncé du " représenté ". Le sensd’un tableau relève d’une confrontation de l’œuvre commereprésentation avec l’univers du sens (qu’il soit culturel,affectif, notionnel ou psychanalytique) ; je symboliserais cesurgissement du sens comme ceci :

Enfin, et c'est pour moi essentiel, il m'est apparu qu'unepremière approche analytique est nécessaire à une synthèseenrichissante : le premier regard posé sur un tableau est unmagma, un écheveau d'impressions et de sentiments, voirede sensations, sans doute assez riches, mais tellement mêlés,tellement intriqués qu'il est quasi impossible de les traduireen mots. Parler d'un tableau, c'est - comme pour tout -dérouler sur le temps du langage un conglomératd'impressions, c'est déplier une boulette de papier, c'est ex-pliquer ce qui est compliqué.

représentant représenté

signifiant signifié

la signification

la représentation

Les auteurs, leur motivation : Christiane DIEU est professeur de français et d’histoire àl’Athénée royal de Braine-le-Comte où elle enseigne le français et l’histoire en classede troisième. Confrontée à une demande émanant de ses élèves (faire, au cours desexercices d’ "élocution", des exposés sur l’analyse d’un tableau, en lieu et place des

traditionnelles présentations de romans – demande formulée à la suite du passage enclasse d’histoire d’une cassette vidéo portant sur l’analyse d’un tableau), elle a fait

appel à la collaboration de son mari, Bernard CLARINVAL, ancien professeur à l’EcoleDecroly, pour l’élaboration de documents nécessaires à la réussite de cette opération.

Dossier pédagogique :analyse de tableaux

Bernard Clarinval

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1. Une expérience pédagogique

J'enseigne l'histoire et le français dans des classesde troisième, où je peux jeter des ponts entre cesdeux cours. A l'époque où cette expérience a commencé, leprogramme d'histoire couvrait, notamment, l'époquedes ducs de Bourgogne. A cette occasion, j'aiprésenté à la classe une vidéo, enregistrée dans lasérie d'émissions "Palettes", diffusée sur ARTE ; ils'agissait de l'analyse du tableau de Van Eyck LaVierge au Chancelier Rolin. Cette présentation adonné lieu à divers développements historiques et -inévitablement - artistiques.

Mes élèves savaient, par ailleurs, qu'ils allaient devoirfaire un exposé pour le cours de français dans le courantde l'année. Impressionnés par l'émission, ils m'ontdemandé de pouvoir présenter l'analyse d'un tableau deleur choix plutôt que d'une œuvre littéraire. L'idéem'intéressait, d'autant qu'elle s'harmonisait avec l'espritdu programme du second cycle. Cependant sa réalisationdemandait une préparation particulière.

Il fallait d'abord dresser la liste des œuvres dignesd'intérêt, dans le but d'ouvrir le champ à toute l'histoirede la peinture occidentale et d'établir, en fin de parcours,une ligne du temps et une synthèse générale de l'histoirede la peinture. Mais il fallait surtout établir une grilled'analyse permettant aux élèves d'organiser leurrecherche et de présenter une étude structurée etpertinente. Il fallait enfin leur donner les élémentsconceptuels qui leur permettraient de mener à bien leurtâche.Avant leur exposé, les élèves me remettaient unepréparation écrite que je pouvais corriger et où je pouvaisfaire certaines suggestions pour enrichir le contenu del'exposé. A la fin de tous les exposés, la classe a établi laligne du temps où étaient inscrites les œuvres présentées,et une synthèse a été réalisée à partir des seules œuvresabordées.

Cette expérience a suscité un vif intérêt de la part desélèves et j'ai appris que plusieurs parents avaient observéchez leurs enfants un regain d'activité à cette occasion.

2. Lesobjectifs

2.1. l'expressionécrite et orale

La tâche proposéeaux élèves comportela présentation dedeux "produits finis": un texte

préparatoire à l'exposé (ce texte n'est pas seulementconstitué de notes, il doit être rédigé) et un exposé oral.Comme il apparaîtra plus loin, les consignes sont assezdirectives : les élèves ne peuvent se laisser aller àl'expression de leur sensibilité qu'après avoir cherché lesinformations nécessaires et mené une analyse dirigée.Cette directivité est davantage une aide qu'une exigence: la correction et la richesse de l'expression viennentd'autant plus facilement que les élèves savent de quoi ilsparlent, et l'expérience montre qu'ils en "savent" d'autantplus que les questions posées sont précises et, en quelquesorte, contraignantes.

2.2. l'apprentissage à la recherche dansdes documents écrits

Une partie de l'exposé devra s'appuyer sur unedocumentation trouvée, consultée et réappropriée. Deuxsources sont consultées : les livres de la bibliothèquecommunale (encyclopédies, monographies sur lespeintres, livres d'art, etc.) et les données que peut fournirle réseau Internet. Il s'agira de faire le tri, d'éliminer lesinformations inutiles et de focaliser l'attention sur lesdonnées pertinentes et intéressantes.Le plan de l'exposé impose souvent d' "éclater" lesinformations glanées dans la documentation. En outre,l'élève sera amené à reformuler les données trouvées.

2.3. la sensibilité artistique et sonexpression intelligente

Mais l'objectif n'est pas seulement culturel ou"linguistique", il consiste aussi à éveiller la sensibilité

L'analyse de tableau

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artistique. Un tableau n'est pas seulement le témoignaged'une époque ou l'illustration d'une notion culturelle,c'est surtout une source d'émerveillement, unélargissement de la sensibilité, une ouverture dans unmonde nouveau, car peu exploité en classe, c'est enfin,comme pour une œuvre littéraire, l'intrusion dansl'intimité de la création. Nos élèves éprouvent souvent la difficulté d'exprimerleur sentiment face à une œuvre non verbale : si untableau parle à la sensibilité, il le fait avec des couleurs,des formes, des espaces - mais sans passer par la parole.C'est pourquoi j'ai non seulement conçu une grilled'analyse, mais j'ai aussi élaboré un lexique permettantde trouver le mot juste: les sentiments, les couleurs, lestons et les nuances, etc. portent des noms, variés, que lesélèves doivent s'approprier.

2.4. Combler une lacune ?

Il y a sans doute une lacune à combler, l'absence de coursd'histoire de l'art dans l'enseignement secondaire. Certes,l'opération que j'ai menée ne cherche pas, à proprementparler, à combler cette lacune, et mon but n'a pas été dedévier le cours de français de ses objectifs premiers. Aucontraire, l'analyse des tableaux reste une activitéd'expression tant écrite qu'orale, et la correction,l'élégance et la variété constituent une part essentielle dece qui est exigé. Mais cette expérience m'a montré que lapertinence du propos (immédiatement vérifiable parl'observation du tableau, ce qui n'est pas le cas d'œuvreslittéraires inconnues des auditeurs) est une source derichesse expressive, et la situation de l'exposé en classesuscite d'elle-même l'exigence de la précision. Reste que la présentation de tableaux situés dans leurcontexte culturel permet de fixer de façon sensiblecertaines notions générales, dont l' analogon se retrouve,notamment, dans la littérature. Hugo et Delacroix ontévoqué tous deux, "à la romantique" la souffrance desGrecs sous la domination turque: le romantisme s'incarneet se révèle à l'écho l'un de l'autre.

3. Le déroulement de l'opération

3.1. la préparation en classe

a. L'occasion.La motivation à une telle opération ne peut venir, à monsens, qu'à partir d'un fait de la vie de la classe. Comme leprogramme d'histoire a changé (de l'antiquité à l'an mil),il est désormais inutile de partir d'un élément de ce cours(à moins de disposer d'une analyse d'une représentation

picturale de l'antiquité). Mais les occasions peuvent seprésenter en d'autres circonstances : visite de muséed'art, observation d'un tableau illustrant / évoquant /accompagnant une œuvre poétique, visite d'un peintre enclasse, conversation sur la peinture, etc. Il estrecommandé, en toutes circonstances, de lier l'opération"analyse de tableau" à un fait vécu en classe en débutd'année scolaire : cette opération doit se dérouler sur unedurée assez longue.

b. La grille d'analyseSi une analyse réelle (comme dans une émissiontélévisée) est présentée à la classe, il est relativementfacile de dégager par induction la grille d'analyse. Il estpossible aussi de faire soi-même une analyse (plus"systématique") et d'en faire induire la grille. De toutefaçon, les élèves doivent être conscients de la nécessitéd'une grille d'analyse.

Il s'agit de voir de quels éléments un tableau estconstitué, et la notion de signifiant et de signifié peutd'ailleurs être évoquée à cette occasion. Un tableau estune forme visuelle constituée de plans, de lignes, desurfaces et de couleurs, elles-mêmes plus ou moinslumineuses, plus ou moins brillantes, plus ou moinsvariées, plus ou moins contrastées, etc. Il représentetoujours quelque chose, soit par la ressemblance visuelleavec des "objets" connus ou reconnaissables, soit parl'effet qu'il produit sur le spectateur. Il provoque un effetsupposé sur un spectateur plus ou moins "cultivé" (= plusou moins au courant de données de la culture ambiante,du savoir historique, religieux, idéologique, scientifique,etc.). Il provoque enfin un effet inattendu sur lespectateur "naïf" et simplement sensible.

Un tableau est aussi l'œuvre d'un peintre, qui appartientà une époque, un courant artistique, mais qui est lui-même un être humain habité par des goûts, des dégoûts,des passions, des mélancolies, des croyances, et pour quila création constitue le suc de la vie.

Tout cela sera systématisé afin de faire l'inventaire le pluscomplet de l'œuvre. Le plan d'analyse sera d'autantmieux suivi qu'il aura fait l'objet d'une discussion enclasse, illustrée de préférence par l'examen de certainspoints à partir de tableaux vus en classe.

Pour faciliter l'exploitation (et la préparation) en classede la grille, un commentaire - destiné au professeur - estprésenté en annexe.

Il ne faut pas oublier qu'une analyse est une préparationà une synthèse. Dissoudre pour reconstituer. L'œuvre

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montrera davantage son originalité qu'elle sera passée parune grille à allure universelle; l'impression ressentieaprès analyse est souvent, sinon toujours - de l'aveumême des élèves - différente de celle qui est venue aupremier moment, et combien plus riche.

c. Le choixLa liste des œuvres a été élaborée à partir d'une visionlarge de l'histoire de la peinture. Une classe de 25 élèvescouvrira ainsi, et sans devoir imposer les choix, un champimportant de l'histoire de la peinture. Le choix est libre,toutefois, il doit être fixé le plus tôt possible : puisque toutle monde devra présenter la préparation écrite à la mêmedate, il est nécessaire de le faire dans la semaine de lapréparation en classe.

3.2. la préparation à domicile, l'exposéécrit, l'exposé oral

Les élèves disposeront d'un temps égal pour lapréparation écrite (qui doit être remise à la même datepour tout le monde). Le temps idéal est d'un mois et demi.Il va de soi que le professeur devra rappeler à plusieursreprises la date finale et aider les élèves au cours de leurtemps de préparation. Les consignes devront être reditesà plusieurs reprises et quelques contrôles seront opérésde façon systématique. Cependant, l'ambiance de cetteopération doit rester celle d'une fête qui se prépare.L'exposé écrit sera corrigé au plus vite afin d'apporterl'aide parfois nécessaire au succès de l'opération. Lasimple évaluation est en effet insuffisante pour permettreà l'élève de progresser et de réussir son exposé oral.L'élève est mis au courant de son jour de passage (et leprofesseur ne manquera pas de prendre les précautionsnécessaires pour faire face aux absences éventuelles) .L'exposé devra se faire à l'aide d'une reproductionpolychrome de l'œuvre assez grande pour pouvoir êtrevue de tous (cette reproduction est à la charge de l'élève)et, idéalement, une reproduction en taille réduite(photocopie noir et blanc) pour chaque élève de la classe.Le présentateur disposera du tableau de la classe pour yscotcher la reproduction et pour dessiner des schémaséventuels.La créativité (qui n'est pas la première instance sollicitéedans cette opération, mais qui ne devrait jamais en êtreexclue) peut être suscitée par la consigne d'apporter unaccompagnement musical - et/ou tout autre apport créatifde l'élève.Pendant l'exposé, les autres élèves sont invités à prendredes notes, qui seront utilisées en fin de parcours.

3.3. l'exploitation culturelle

a. La ligne du temps.Quand tous les élèves sont "passés", le professeur invitela classe à établir une ligne du temps, sur laquellefigureront les seuls tableaux étudiés. Cette ligne du tempspeut aussi être confectionnée en classe au fur et à mesureque les exposés oraux se déroulent.

b. La synthèse de l'histoire de la peintureJ'ai présenté une synthèse d'histoire de la peinture quidépasse certainement ce qu'une classe peut aborder enun cycle annuel d'exposés. Ce texte peut servir de based'inspiration pour d'autres textes qui "serreraient"davantage ce que la vie réelle de la classe a permisd'aborder. La synthèse peut aussi être rédigée par laclasse. Elle peut aussi servir de matière à étudier,notamment en vue de faciliter l'acquisition de notionsculturelles générales ( la Renaissance, le baroque, leclassicisme, le romantisme, le symbolisme, …),"réutilisables" dans d'autres circonstances et, parfois,dans d'autres cours .

4. Les exigences et l'évaluation

Le tableau d'évaluation ci-joint devrait être connu desélèves dès le début de la phase active de l'opération. Illeur permet de s'autoévaluer et de doser leurs efforts.A chaque stade de l'opération, le travail sera évalué et lanote sera inscrite sur la feuille d'évaluation. L'élève seraainsi conscient des exigences de cette tâche.La note finale sera reportée dans les résultats de ladernière période de cours où cette opération aura eu lieu(troisième ou quatrième bulletin).

5. Table des matières

- Grille d'analyse de tableau (3 pages) - à distribuer auxélèves quand la grille aura été esquissée en classe.

- Commentaires sur le plan d'analyse (6 pages) :document destiné au professeur.

- Liste de peintre et d'œuvres (9 pages) : à distribuer auxélèves au moment de leur choix de tableau.

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Analyse de tableau

Le présent document est destiné à te guider pourpréparer ton exposé sur le tableau de ton choix : ilcontient les éléments que tu dois aborder. Aide-toid'encyclopédies, de livres sur le peintre et son époque[à la Bibliothèque communale, par exemple] et surtoutde ta propre sensibilité, de ta propre réflexion et de tonobservation. Certains points sont obligatoires, d'autres,facultatifs. Certains points ne pourront être abordés quepar une recherche dans ta documentation (D ), d’autrespar ta réflexion personnelle (§ ).

I Le peintre et sonépoque D

1.1. l’époque et le pays :- pays D- époque historique et mouvement

artistique (se limiter à l’essentiel)D

1.2. le peintre.Ce qu'on sait de sa carrière d'artiste,(sa vie privée ne doit pas êtreabordée, sauf nécessité - par exemplesi "ton" tableau représente le portraitde la femme du peintre ou si cetteœuvre est marquée par un événementpersonnel). §Ce qu’on sait de l’origine du tableau(était-ce une commande – de qui ? –était-ce un tableau destiné à la vente?La création de ce tableau est-elle liéeà un événement précis, notamment dela vie du peintre ? …). §

Brueghel le Vieux, Paysage à la chute d'Icare (1550 ??) Musée d'Art ancien Bruxelles.

Analyse v. p.102

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II La "carte d'identité "du tableau D

- endroit où se trouve actuellementle tableau (musée, collection,église,...), quelle en était la placeprimitive ? D

- date de la création de l’œuvre(date certaine ou supposée ?) §

- éléments matériels :- support (mur, plafond, bois, toile,papier, ...)- pigments (couleurs), liant (cired'abeille, blanc d'œuf, huile,acrylique) ou autre type decoloration (aquarelle, encre deChine, sanguine, plomb, fusain...)ou technique (collage, …) D

- dimensions, nombre de panneauxs'il s'agit d'un diptyque, triptyque,polyptyque... et forme extérieure(carré / rectangle en "portrait" /rectangle en "paysage" / ovale /"tondo" / mur, voûte, coupole, … )D et §

- genre (religieux, mythologique,historique, portrait [de groupe, decouple, d'individu], paysage,marine, nature morte, anecdote,peinture abstraite, peinturesymboliste... ) § et D

- sujet : titre (s'il en a un) Le titreest-il du peintre lui-même ? S'ils'agit d'un sujet tiré de l'histoire,de la mythologie, ou d'uneanecdote connue, dire deux motssur l'épisode représenté. S'il s'agitd'un sujet intime, "privé", d'unpaysage, d'un intérieur, etc., situerbrièvement ce sujet dans le tempset l'espace (si possible).Attention, il ne s’agit ici que d’une"carte d’identité " : le chapitre IV,analyse sémantique du tableau,est prévu pour les développementsplus poussés. D

III Analyse "stylistique"(ou "morphologique")du tableau §

3.1. structure du tableau(celle-ci apparaît plusfacilement quand on voitle tableau en "noir etblanc ")

- "architecture" (= ± dessinpréparatoire) du tableau (y a-t-ilsymétrie, asymétrie, désordrevolontaire ou apparent, etc.,lignes de force, composition,disposition des plans,...) §

- caractéristiques de l’espacereprésenté (par exemple : espaceavec profondeur/relief ou espace“aplati” - espace intérieur/extérieur/complexe [avec intérieuret extérieur] – étendu/réduit –proche/éloigné …) §

- perspective (un ou plusieurspoints de fuite ?), situation de laligne d’horizon (visible ou non,haute ou basse), cadrage ( frontal /latéral / en plongée / en contre-plongée – plan rapproché / éloigné- complet / tronqué)

- type d'espace : espace "théâtral "* / composé ** / imaginaire*** /naturel**** / … §* ou "scénique" ** où le peintrea disposé les éléments (person-nages, objets, …) selon un ordreprécis*** que le peintre a conçu dans satête, sans modèle **** provenantexclusivement de la nature, sans"préparation "

- réalisme (ou non) dans le "rendu"des objets, fleurs, plantes, arbres,animaux [vivants ou morts],personnages humains, costumes :travail précis, simple esquisse,déformation ou idéalisation ? Les“objets” sont-ils nettementdélimités (individualisés) ou non ?

Impression ou non de relief et/oude profondeur ? _ Impression quece tableau dans son ensemble estune reproduction (mêmedéformée) de la réalité ou, aucontraire, le résultat d’unecomposition pensée ? D et §

- mouvement ou immobilité : touttableau représente un “moment”,mais ce moment peut être plus oumoins “fixe” (comme dans unpaysage, p. ex.) ou, au contraire,inclus dans une action, unehistoire, un mouvement : dans cedernier cas, le tableau représente-t-il (ou suggère-t-il) un mouvementet/ou une histoire ? Si oui,comment ? § L’exécution del’œuvre a-t-elle été rapide oulente? D

3.2. couleurs et luminosité§ et D

- couleurs : couleurs dominantes(s’il y en a), couleurs pures oumélangées, brillantes ou mates,chaudes ou froides ; palette richeou réduite, harmonie oudysharmonie des couleurs ; "flouartistique" ou contraste fort. §

- contour ou coloration ? Danscertains tableaux, le contour desobjets est nettement délimité parune ligne dessinée, dans d’autres,c’est la couleur qui constitue lessilhouettes (ou les " masses ").Qu’en est-il dans ton tableau ? §

- technique de la pose des couleurs(à-plat, touches juxtaposées,superposées, nuances ou absencede nuances, utilisation de labrosse, du pinceau, du couteau, del'estompe, du pistolet, techniquedu collage...) D

- luminosité § : Intensité de la lumière : le tableauest-il plutôt clair ou plutôt

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sombre? ou, s’il contient des zonesclaires et des zones sombres, lescontrastes sont-ils “ forts ”, voireviolents, ou sont-ils estompés ? Ya-t-il des ombres ? DD'où vient la lumière, quelle est lasource de la lumière (soleil, lune,lumière artificielle, …) ? Est-elledans le tableau [p. ex. , le soleil estpeint dans le tableau, une bougieest représentée,...] ou hors dutableau [p. ex. , dans une salle, lalumière semble venir d'unefenêtre], et si elle est hors dutableau, d’où semble-t-elle venirpar rapport au spectateur ? D

IV Analyse"sémantique *" dutableau § et D

(* sémantique : tout ce qui concernela signification, le sens, le symbolismeéventuel, l'idée évoquée, la "leçon"morale ou religieuse suggérée par letableau, ou même simplementl'impression suscitée [sérénité/inquiétude, plaisir/malaise, etc.] )

4.1.1. Quel est le sujet dutableau ? Attention, ne te contente pas de dire,un peu bêtement, “ Eh bien, c’est uneVierge à l’Enfant, puisque c’est sontitre ! ”. Décris ce que tu vois etrecherche dans ta documentation.Quelle est la "fonction" du tableau ?(à quoi "sert"-il ? : à orner, àenseigner, à impressionner, à plaire,à faire penser, rêver, prier, méditer...?) D et §

4.1.2. A quoi ce tableau fait-ilallusion? Ce qui est évoqué par le tableau est-il censé être connu de tout le mondeou d’un public cultivé ? Que faut-ilsavoir pour comprendre ce tableau ?(p. ex. : faut-il connaître la Bible, lamythologie, l’histoire de telle ou telleépoque, le symbolisme courammentassocié à telle ou telle repré-sentation, etc. ? Faut-il connaître unpeu d’histoire de l’art ?) Si lacompréhension de ce tableaurequiert une certaine culture, cetableau peut-il quand même êtreapprécié sans cette culture ? D

4.1.3a. S’il s’agit d’un épisode historique,(y compris de l’histoire sainte, de lamythologie, ou de tout autre récit),raconte cet épisode. Montre ce quel’artiste a choisi de représenter (quelmoment de l’épisode, pourquoi cemoment ?) L’artiste a-t-il étésoucieux de "vérité historique" ou a-t-il commis des anachronismes ? D

b. S’il s’agit d’un paysage, d’unenature morte, d’un portrait ou de toutautre sujet représenté "pour lui-même", cherche à décrire le sujetreprésenté et à “deviner” la raisonqui a amené le peintre à vouloir lereprésenter (beauté [ou laideur] dusujet lui-même, effet pittoresque,sensualité, étrangeté, intérêtdocumentaire …). §

c. S’il s’agit d’un tableau à valeursymbolique (y compris un tableauabstrait), essaie de dégager le(s)symbole(s) représenté(s) ou cachés.§ et D

Ensuite, tu choisiras entre le point4.2 et le point 4.3. § §

4.2 - Que "dit" le tableauen plus de son titre ? Ce titre te satisfait-il, et sinon, quelautre titre donnerais-tu au tableau ?Quel en est le symbolisme éventuel ?Développe et justifie. Dou - Que suggère le tableau ? Quepeut-on deviner des intentions del'auteur? Développe et justifie. D

4.3. Impression générale(sur n'importe quelspectateur) : sérénité / théâtralité (emphase) –majesté / modestie – harmonie(ordre) / désordre – douceur /violence – force / mollesse –réalisme / idéalisation (ousymbolisme) – "santé" / morbidité –joie / tristesse – clarté / mystère –complexité / simplicité… Développeet justifie. DIncitation à la rêverie / ~ à lacontemplation / ~ à la réflexion / ~ àla piété / ~ à la révolte / ~ àl'admiration / ~ à l'horreur (audégoût) / ~ à la pitié / ~ àl'attendrissement / ~ au trouble / ~au rire / ~ à la perplexité ...Développe et justifie. D

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1. le peintre et son époque

Pays : remarque : donner de préférence le nom du pays à l’époque dupeintre (par exemple, ne pas dire " Belgique " pour un peintre flamandou wallon du XVième siècle, il faut dire " Flandres ", idem pour l’Italieà la Renaissance : Florence, Rome, Naples, Venise, etc.).

Époque historique et mouvement artistique : l’époque historiqueest le siècle, le mouvement artistique correspond au courant généralauquel le peintre se rattache Les commentaires éventuels doivent êtretrès limités (les caractéristiques des mouvements apparaîtront ensynthèse, après tous les exposés).

Le peintre : Ce qui est essentiel, c’est tout ce qui, dans la vie dupeintre, pourrait éclairer la compréhension du tableau. La formation dupeintre et les influences qu’il a subies sont évidemment essentielles pourla compréhension de la part plastique (ou symbolique) de l’œuvre.Certains éléments biographiques (parfois très personnels) peuventdonner un éclairage sur le "contenu" de l’œuvre. Il faut éliminer tout cequi n’apporte aucun élément d’information sur le tableau.L’ "origine" du tableau, point facultatif, n’est intéressante à aborder quesi l’on sait de source sûre si le tableau était une commande (plus oumoins contraignante pour l’artiste, comme par exemple LeCouronnement de la Vierge d’Enguerrand Quarton, dont le contenuthéologique était précisé par les commanditaires, ou comme certainsportraits [voir par exemple La Ronde de nuit de Rembrandt, qui étaitune commande collective de miliciens de la garde bourgeoise quisouhaitaient individuellement faire bonne figure sur un tableau pas troporiginal, alors que Rembrandt en a fait un chef d’œuvre qui "noie" lesindividualités]). Il est en effet intéressant de voir l’écart entre lacommande et l’originalité du créateur. Par ailleurs certains peintres ontproduit des œuvres destinées à la vente, sans savoir qui les achèterait,avec le risque de ne pas pouvoir "se" vendre.

Commentaires sur la grille d’analyse

È

V Ton appréciation dutableau § §

Exprime de façon NUANCEE (pasde "génial" ou de "beuark"... !) TONsentiment à l'égard du tableau.

Notamment (mais ceci n'est paslimitatif !) :

Ce tableau t'a-t-il appris quelquechose ? Et quoi ? T'a-t-il fait rêver,t'a-t-il ému(e ) ? T’a-il intrigué(e),scandalisé(e), amusé(e) ? Pourquoi ?A-t-il suscité d'autres sentiments entoi ? (peur, révulsion, ennui,inquiétude, trouble, ou apaisement,émerveillement, enthousiasme,f a s c i n a t i o n , é t o n n e m e n t ,enchantement, attendrissement…)

Te servirais-tu de ce tableau commed’une source d’inspiration pourécrire un poème, en faire l’arrière-plan de ton écran d’ordinateur, lefaire reproduire sur un T-shirt (ou surun autre support) ? A quel morceaude musique l’associerais-tu ?

A-t-il de la valeur (non marchande !!)à tes yeux ? Aimerais-tu l'avoir cheztoi ? Préfères-tu le voir dans unmusée ou dans une église, ou dansun autre lieu public (siège de banqueou de poste, station de métro, gare,école, hôtel de ville, centre culturel,café, maison de jeunes... ) ?

Le fait d'avoir été obligé(e) del'analyser a-t-il modifié ta premièreimpression ? (Quelle était-elle,qu'est-elle devenue [ou qu'est-ellerestée] ?)

L'as-tu (tout simplement) aimé ?

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2. la " carte d’identité " dutableau

Il ne s’agit que d’identifier le tableau, commeon le fait dans les catalogues de musées oud’expositions.

- Endroit où se trouve le tableau : enprincipe, tous les tableaux de la liste sontidentifiés sur ce point-là , mais il peutarriver que certains tableaux aient étéreproduits en plusieurs exemplaires par lemême peintre. (La Descente de Croix deRubens ne se trouve pas seulement à lacathédrale d’Anvers : il peut y avoirplusieurs versions de la même main).

- Date de création de l’œuvre : ladécennie suffit amplement (et même lesiècle pour les œuvres très anciennes) ; iln’est cependant pas inintéressantd’indiquer si le tableau est une œuvre dejeunesse, de maturité ou de vieillesse.

- Éléments matériels : le support estévidemment indispensable : la techniquede la fresque sur mur n’a rien à voir aveccelle de la peinture à l‘huile sur toile. Lespigments sont secondaires. En revanche, leliant doit être connu, pour raisontechnique. (Idem pour les autrestechniques).

- Dimensions : de préférence encentimètres.

- Genre : se contenter de dire à quel genreappartient l’œuvre, sans confondre genre etécole ou mouvement (voir "vocabulaire dela peinture").

- Sujet : se limiter à l’essentiel, puisque lapartie "sémantique " est prévue pour deplus longs développements.

3. analyse "stylistique " dutableau

L’analyse stylistique (ou formelle, ou"morphologique") du tableau requiert del’élève le maximum d’objectivité ; il s’agit derelever les caractéristiques purementpicturales, techniques de l’œuvre. Cetteanalyse se justifie par la nécessité deconfronter la forme au "contenu", l’unen’allant pas sans l’autre.

3.1. Structure du tableau (le mot "structure " se réfère aussi bien audessin sous-jacent à l’œuvre qu’au choix dedisposition des plans, à l’illusion dumouvement et à celle de la profondeur et durelief). Pour ne pas effrayer les élèves, onpeut dire aussi "disposition ", "mise enplace", "dessin préparatoire ".

"Architecture" du tableau : la notion d’"architecture" s’explique par le fait qu’unpeintre dispose d’une surface à peindre etqu’il doit la "remplir" entièrement, il doitdonc avoir une idée préalable de ladisposition des surfaces à peindre.Généralement, il dessine un schéma général,celui-ci n’est pas nécessairement figuratif,mais plutôt "abstrait". Des lignes de force(contours, axes, lignes de mouvement, lignesde tension ; voir lignes de force) sont parfoisconçues avant même que le sujet soit abordé.Ce sont celles-ci (si elles existent) qu’il fautretrouver. Le système structurel du tableaupeut être conçu sur la base d’un (ouplusieurs) axe de symétrie, ou, au contraire,n’obéir à aucun schéma de base.

Les deux Annonciations (à gauche, Andreadel Sarto, à droite El Greco) sont disposéessur des schémas totalement différents : celuid’Andrea del Sarto est fondé sur la symétrie,légèrement modifiée, des deux personnagesagenouillés ; celui du Gréco se construit surl’opposition des deux univers, terrestre de laVierge à genoux, et céleste de l’ange debout.Leurs schémas de base font apparaître deuxtypes d’espace : le premier est fermé (maiss’ouvre au sommet du tableau), le second estouvert sur l’horizon.

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Caractéristiques de l’espace représenté : Caractéristiques d’"étendue" : étendu (en hauteurou largeur) ou réduit / proche ou éloigné (parexemple un portrait de buste est proche, unpaysage est éloigné) / espace avec profondeur ourelief (par exemple un paysage) et espace "aplati"(par exemple Guernica de Picasso).

Perspective : Ce point ne doit être abordé que sila question de la perspective (point de fuite uniqueou non) est pertinente au tableau (sans intérêt pourun portrait de buste par exemple). Idem pour lecadrage. Intéressant si le cadrage est inhabituel(non frontal, "tronqué", …).

Type d’espace : la caractérisation du typed’espace n’a de sens que si l’espace estrelativement vaste.

Exemple d’espace "théâtral" : conçu comme s'ils'agissait d'une scène de théâtre (suppose unehistoire)

Exemple d’espace composé : conçu avec desmodèles humains ou avec des objets (sans histoire)

Exemple d’espace imaginaire : (les modèles nesont pas nécessairement exclus, mais l'espacereprésenté est imaginaire)

Exemple d’espace naturel : d'après nature

Réalisme (ou non) dans le "rendu" : Les"objets" peuvent avoir été représentés avec unsouci de réalisme plus ou moins important. Deux"écarts" par rapport au réalisme : la "négligence"(maladresse vraie ou feinte) (voir, par exemple, lespeintres expressionnistes, cubistes, du groupeCobra, etc.) et l’idéalisation (faire plus beau que laréalité : voir, par exemple l’idéalisation des visagesféminins des peintres de la Renaissance).

Mouvement ou immobilité : Il va de soi qu’untableau ne peut pas reproduire un mouvement,mais seulement le suggérer, si le but du peintre estde le faire. L’immobilité est évidente : un paysagecalme (sans tempête) est immobile par définition.

Le Serment des Horace de Jean-Louis David

Les bergers d’Arcadie de Nicolas Poussin

L’Agneau mystique de Van Eyck

Le Boulevard des Capucines de Monet(à noter : contre-plongée)

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Le mouvement peut concerner latrajectoire de certains objets, corpsvivants, etc. et être suggéré par desartifices (bras lancés en avant, positiondéséquilibrée de certains personnages,drapé flottant, etc.). Il peut aussi concernerune histoire plus ou moins longue : lepeintre peut la traiter comme s’il s’agissaitd’une bande dessinée (les épisodes sontplus ou moins délimités) ou comme un"concentré " de divers épisodes.

Dans son Martyre de Saint Liévin, Rubensa concentré sur le tableau la scène detorture (arrachement de la langue del’évêque), l’annonce symbolique de labéatification de Saint Liévin ainsi quecelle de la vengeance du Ciel.

3.2. Couleurs et luminosité : Untableau, c’est de la couleurdisposée sur une surface.Celle-ci peut être plus oumoins claire.

Couleurs : Caractériser les couleurs, c’esten un premier lieu, "oublier " le dessin etne voir que les couleurs. En premier lieu,il y a la "palette " (ensemble de toutes lescouleurs utilisées) : celle-ci peut être trèsriche ou, au contraire, très limitée.Certaines couleurs peuvent êtredominantes, c’est évidemment le cas descamaïeux, tableaux réalisés sur la based’une seule couleur dont le peintreexploite les nuances. Parfois, les couleurssont contrastées, avec des juxtapositions

de couleurs opposées ou complémentaires.Parfois, le contraste est adouci, parfois, ilest violent. L’artiste peut chercher àprovoquer un effet d’harmoniechromatique. Parfois, au contraire, l’artistecherche à choquer par des couleurscriardes.Il faudra aussi caractériser les couleurs surle plan de leur brillance (brillant ou mat).

Contour ou coloration ? Certainspeintres sont avant tout des dessinateurs,qui colorient des espaces délimités parune ligne plus ou moins bien visible.D’autres sont au contraire des coloristespour qui la couleur est plus importante quele dessin. Il faut bien regarder les contours:ceux-ci peuvent être nettement délimitéspar une ligne, d’autres sont déterminés parla "tache" de couleur elle-même.

Technique de la pose des couleurs : Sil’élève dispose d’informations précises surla technique de la pose des couleurs, ilpeut montrer avec quel type de pinceau(ou couteau, ou autre chose) la couleur aété posée. Parfois, l’artiste s’efforce defaire oublier qu’il a utilisé un pinceau (onne voit aucune trace du pinceau, la couleura été soigneusement étalée). Parfois, aucontraire, le peintre veut faire voir lestraces de son pinceau. D’autres éléments peuvent apparaître,comme le type de touche (cela va de l’aplat– souvent à la brosse -, au point, commepar exemple chez les pointillistes).

Ce tableau d’Adami est constitué d’aplatsde couleurs appartenant à la mêmegamme, il s’agit d’une sorte de camaïeu.

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Le tableau suivant, de Seurat, est constituéde minuscules points de couleurs.

Luninosité : Le tableau peut être plus oumoins clair, ou faire apparaître descontrastes entre lumière et ombre.

Dans Le Flûtiste, Rik Wouters a accentuél’effet de clarté en ne peignant que lestaches colorées, et en laissant apparaître lefond blanc de la toile.

Dans Saint Josephcharpent ier , LaTour a utilisé uneb o u g i e p o u réclairer les visagesde Saint Joseph etde Jésus ; le restedu tableau estplongé dans lesténèbres. L’effetgénéral s’appelleclair-obscur.

4. Analyse sémantique dutableau : A défaut d’un autre mot, nous avons choisile mot "sémantique" qui doit être comprisdans son sens le plus général.(signification, symbolisme, idée, "leçon",impression globale, etc.)

4.1.1. Le sujet : Attention, le titre n’est pas toujourssuffisant pour déterminer le sujet del’œuvre. Une peinture représente toujoursquelque chose, même s’il s’agit d’unepeinture abstraite. Mais ce qui estreprésenté n’est pas nécessairement la"chose" peinte ; parfois, l’idée qui secache derrière la chose est plusimportante.

Ainsi, dans I locked my door upon myself,Khnoppf ne représente pas seulement unefemme assise dans un intérieur, il montresurtout (et le titre de l’œuvre le suggère) unêtre solitaire et rêveur : le sujet du tableauest donc la rêverie et l’isolement.

La "fonction" d’un tableau n’est pastoujours évidente : il vaut mieux, à cepropos, s’abstenir d’en parler qued’émettre des hypothèses fantaisistes. Lemieux, c’est de se référer à ladocumentation. Les tableaux dont lafonction est claire sont surtout religieux et"politiques" (propagande, impression demajesté, représentation flatteuse d’unprince, etc.). D’autres tableaux peuventavoir aussi une fonction agressive(provoquer le public).

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4.1.2. Ce point nécessite uneréférence à la documentation : le sujet peint peut être tiré d’une sourceécrite (mythologie, histoire sainte, histoire,œuvre littéraire) ou d’une source picturale(par exemple, L’Olympia de Manet faitallusion aux peintures de nu dans latradition de la Renaissance).

Manet connaissait très bien la peinture dela Renaissance italienne, et en particuliercelle du Titien. Son Olympia représenteune courtisane moderne, mais faitexplicitement allusion à La Vénus d’Urbinode Titien. Evidemment, il faut savoir cela –seule la documentation permet de lasavoir.De même, la documentation seule permetde savoir que l’Olympia représentée estune prostituée de luxe, entretenue par desamants généreux, comme cela se faisait àl’époque.

Mais il est évident que si l’on ignore cettesource picturale de l’œuvre, ainsi que lecontexte social de l’œuvre, le simple faitde la voir permet de l’apprécier sur le planpictural.

4.1.3.pas de commentaire. Penser toujours àjustifier.

4.2. et 4.3.pas de commentaire. Penser toujours àjustifier.

5. Appréciationpersonnelle :

Prière de ne pas répondre aux questions dece chapitre comme s’il s’agissait d’unformulaire. (genre oui / non) .

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Liste de peintres et d'œuvres

Époque gothique et byzantine (avant le XVièmesiècle )

ANONYME une icône byzantine

ANDREÏ ROUBLEV La Trinité (Galerie Tretyakov –Moscou)

CIMABUE Maestà (église Santa Trinità à Florence)

DUCCIO Maestà (cathédrale de Sienne)

GIOTTO Vie de Saint François d'Assise (église SantaCroce à Florence)

XVième siècle (quattrocento – primitifs flamandset allemands)

- Italie

MASACCIO La distribution des aumônes (Chapelle Brancacci– égl. Sta Maria del Carmine – Florence)

PIERO DELLA FRANCESCA La légende de la croix(fresques à l’église S. Francesco à Arezzo) (depréférence, en partie)

La flagellation du Christ (Galerie nationale desMarches – Urbino)

SANDRO BOTTICELLI La Naissance de Vénus (Galerie desOffices - Florence)

Allégorie du Printemps (Galerie des Offices -Florence)

FRA ANGELICO Annonciation (Couvent San Marco à Florence)

PAOLO UCELLO Bataille de San Romano (Galerie des Offices -Florence)

DOMENICO GHIRLANDAIOPortrait de Giovanna Tornabuoni(Collection Thyssen - Bornemisza – Lugano,Suisse)

LEORNARDO DA VINCI La Cène (Sta Maria delle Grazie -Milan)

La Joconde (Le Louvre - Paris)

Vierge aux rochers (Le Louvre - Paris)

ANDREA MANTEGNA Prière au Jardin des Oliviers (Muséedes Beaux-Arts – Tours)

RAPHAËL (RAFFAELLO SANZIO) La belle Jardinière (LeLouvre – Paris)

La Madone de Foligno (Vatican)

L'École d'Athènes (Vatican)

- Flandre

JAN VAN EYCK Le portrait des Arnolfini (National Gallery –Londres)

L'Agneau mystique (cathédrale Saint Bavon -Gand)

HUGO VAN DER GOES La mort de la Vierge (Musée Groeninge- Bruges)

HANS MEMLING La châsse de Sainte Ursule (Hôpital St Jean àBruges)

Le Mariage mystique de Sainte Catherine(Hôpital St Jean à Bruges)

ROGIER VAN DER WEYDEN Descente de Croix (Musée duPrado - Madrid)

Saint Luc peignant la Vierge (Musée del’Ermitage – St Pétersbourg)

Retable du Jugement dernier (Hospices deBeaune)

GERARD DAVID Le jugement de Cambyse (Musée Groeningen -Bruges)

- France

ENGUERRAND QUARTON Le couronnement de la Vierge (Muséemunicipal - Villeneuve lès Avignon)

JEAN FOUQUET Étienne chevalier avec Saint Étienne (StaatlicheMuseum - Gemäldegalerien - Berlin)

XVIième siècle (cinquecento – Renaissance -maniérisme)

-Italie

MICHELANGELO BUONAROTTI Fresques de la Chapelle sixtine(Vatican)

VERONESE Le Repas chez Simon (Musée de l'Académie -Venise)

LE TITIEN Bacchus et Ariane (Prado - Madrid)

Vénus d'Urbino (Galerie des Offices - Florence)

GIORGIONE Trois philosophes (Kunsthistorisches Museum -Vienne)

La Tempête (Musée de l'Académie - Venise)

LE PARMESAN Vierge à l'Enfant (Madone au long cou) (Galeriedes Offices - Florence)

JACOPO PONTORNO La Visitation (Chartreuse de Carmignano)

Certains tableaux de cette liste sont reproduits sur les sites Internet suivants : http://www.artchive.com,http://sunsite.dk/cgfa, http://gallery.euroweb.hu, http://abcgallery.com

Les tableaux reproduits dans le présent document sont présentés sous le nom du tableau.

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ARCIMBOLDO diverses allégories ("portraits" composésd'objets, fruits, fleurs...) (Le Louvre – Paris)

BRONZINO Portrait de Guidobaldo della Rovere (Galleriapalatina - Florence)

-Pays-Bas & Flandre

JEROME BOSCH Le Jardin des délices (Musée du Prado - Madrid)

Le Portement de la Croix (Musée royal desBeaux-Arts - Gand)

PIETER BRUEGHEL La chute d'Icare (Musée d’Art ancien -Bruxelles)

Le Dénombrement de Bethléem (Musée d’Artancien - Bruxelles)

Chasseurs dans la neige (KunsthistorischesMuseum - Vienne)

-Allemagne

LUCAS CRANACH Judith et la Tête d’Holopherne(Kunsthistorisches Museum- Vienne)

Adam et Ève (Galerie des Offices – Florence)

ALBRECHT DÜRER Autoportrait (plusieurs versions dansdifférents musées dont une à la Pinacothèque deMunich)

Adoration des Mages (Galerie des Offices -Florence)

St Jean et St Pierre – St Paul et St Marc (deuxpanneaux) (Pinacothèque – Munich)

HANS HOLBEIN Les Ambassadeurs (National Gallery - Londres)

-Espagne

EL GRECO L'Enterrement du Comte d'Orgaz (Église SanTomé - Tolède)

Vue de Tolède (Metropolitan Museum of Arts –New York)

-France

FRANÇOIS CLOUET Diane de Poitiers au bain (NationalGallery - Washington)

XVIIième siècle (seicento – "Gouden eeuw"–"Seglo d’oro" - Baroque / Classicisme)

-Italie

LE CARAVAGE La Conversion de Saint Paul (Eglise Ste Marie duPeuple - Rome)

La Mort de la Vierge (Le Louvre – Paris)

-France

LE NAIN (LES FRERES -) Famille de Paysans (Le Louvre - Paris)(ce dernier est probablement de Louis Le Nain)

GEORGES DE LA TOUR Marie-Madeleine repentante (LeLouvre – Paris)

Tricheur à l’as de carreau (Le Louvre – Paris)

NICOLAS POUSSINL'Inspiration du Poète (Le Louvre – Paris)

Les Bergers d'Arcadie (Le Louvre – Paris)

CLAUDE LORRAIN Ulysse remet Chryséis à son père (LeLouvre - Paris)

PHILIPPE DE CHAMPAIGNE Portrait de Richelieu (aurectorat de Paris)

HYACINTHE RIGAUD Portrait de Louis XIV (Château deVersailles)

-Espagne

FRANCISCO DE ZURBARÁN Saint Bonaventure (LeLouvre - Paris)

BARTOLOME MURILLO La Sainte Famille (Prado - Madrid)

Jeune Mendiant (Le Louvre – Paris)

DIEGO VELÁZQUEZ La Forge de Vulcain (Prado – Madrid)

La Reddition de Breda (Prado – Madrid)

Les Menines (Prado – Madrid)

-Flandres (Pays-Bas catholiques [= Belgique]

PIETER-PAUL RUBENS La Descente de Croix (cathédrale NotreDame - Anvers)

L'Enlèvement des filles de Leucippe(Pinacothèque – Munich)

Portrait d'Hélène Fourment (Musée royal desBeaux-Arts - Anvers)

Le Combat des Amazones (Pinacothèque deMunich)

Le Martyre de Saint Liévin (Musée d’Art ancien -Bruxelles)

Vénus au Miroir (Collection du Prince - Vaduz –Liechtenstein)

JACOB JORDAENS Le Roi boit (Musée royal d’Art ancien -Bruxelles)

Allégorie de la Fécondité (Musée royal d’Artancien – Bruxelles)

ANTOON VAN DYCK Portrait de Charles Ier Roid'Angleterre (Le Louvre – Paris)

-Hollande (Provinces Unies)

REMBRANDT VAN RIJN La Ronde de Nuit (Rijksmuseum -Amsterdam)

La fiancée juive (Rijksmuseum – Amsterdam)

Le philosophe (Le Louvre – Paris)

La leçon d'anatomie (Mauritshuis – La Haye)

FRANS HALS La Compagnie de Saint Georges (FransHalsmuseum - Haarlem)

La Bohémienne (Le Louvre – Paris)

VERMEER VAN DELFT La Dentellière (Le Louvre – Paris)

L’Astronome (Le Louvre – Paris)

L'Atelier (Kunsthistorisches Museum - Vienne)

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XVIIIième siècle

-France

ANTOINE WATTEAU Pierrot (Gilles) (Le Louvre – Paris)

Pèlerinage à l’île de Cythère (Le Louvre – Paris)

FRANÇOIS BOUCHER Diane au Bain (Le Louvre – Paris)

JEAN SIMÉON CHARDIN Le Bénédicité (Musée de l’Ermitage –St Pétersbourg)

La Pourvoyeuse (Le Louvre – Paris)

JEAN HONORÉ FRAGONARD L'Escarpolette (WallaceCollection – Londres)

Jeune fille lisant (National Gallery of Art -Washington)

- Angleterre

THOMAS GAINSBOROUGH La Promenade matinale (NationalGallery - Londres)

JOSHUA REYNOLDS Portrait d'un officier : General SirBanastre Tarleton (National Gallery - Londres)

WILLIAM HOGARTH La marchande de crevettes (NationalGallery – Londres)

-Italie

GIAMBATTISTA TIEPOLO La rencontre d'Antoine et Cléopâtre(Musée de l’Académie - Venise)

CANALETTO Vue sur le Canal Grande (Musée de l’Académie -Venise)

FRANCESCO GUARDI Vues de Venise (Musée de l’Académie- Venise)

PIETRO LONGHI Spectateurs (Musée de l’Académie – Venise)

XIXième siècle (néoclassicisme – romantisme –réalisme – impressionnisme – symbolisme &préraphaélites)

-France

.LOUIS DAVID Le Serment des Horace (Le Louvre - Paris)

JEAN AUGUSTE INGRES La Grande Odalisque (Le Louvre -Paris)

.EUGENE DELACROIX Mort de Sardanapale (Le Louvre -Paris)

Le Massacre de Scio (Le Louvre - Paris)

La Liberté guidant le Peuple (Le Louvre - Paris)

THEODORE GÉRICAULT Le Radeau de la Méduse (Le Louvre -Paris)

GUSTAVE COURBET L'Atelier du peintre (Musée d'Orsay - Paris)

JEAN-BAPTISTE COROT Souvenir de Mortefontaine (Le Louvre- Paris)

HONORÉ DAUMIER Les Voyageurs de 3ième classe (MoMA- New York)

JEAN-FRANÇOIS MILLET L'Angélus (Musée d'Orsay - Paris)

.ÉDOUARD MANET Olympia (Musée d’Orsay – Paris)

Le Déjeuner sur l'herbe (Musée d'Orsay - Paris

CLAUDE MONET Impression soleil levant (Musée Marmotan -Paris)

La Gare Saint-Lazare ( Fogg Art Museum –Cambridge [Massachussets])

La Cathédrale de Rouen (plusieurs versions, dontMusée des Beaux Arts de Rouen)

Les Nymphéas (plusieurs versions dans différentsmusées)

AUGUSTE RENOIR Le Moulin de la Galette (Musée d'Orsay– Paris)

EDGAR DEGAS La Classe de danse (Musée d'Orsay - Paris)

Le Tub (Musée d'Orsay - Paris)

L’Orchestre de l’Opéra (Musée d’Orsay – Paris)

PAUL CÉZANNE Les grandes Baigneuses (Smithsonian Museum -Washington)

Nature morte aux pommes et oranges (Muséed'Orsay - Paris)

Les Joueurs des cartes (Musée d’Orsay – Paris)

GEORGES SEURAT Un dimanche à la Grande Jatte (ArtInstitute - Chicago)

PAUL GAUGUIN La vision après le sermon ou Jacob et l’Ange(National Gallery - Edimbourg)

La Orana Maria (MoMA - New-York)

ODILON REDON Deux jeunes filles en fleurs (Museum of fine Arts– Houston, USA)

GUSTAVE MOREAU Orphée (Musée d’Orsay)

WILLIAM BOUGUEREAU Le Printemps (Joslyn Art Museum –Omaha – Nebraska, USA)

-Espagne

FRANCISCO GOYALa Maja nue / La Maja habillée (Prado – Madrid)

Le 3 avril 1808 (Prado - Madrid)

-Angleterre

WILLIAM TURNER Pluie, vapeur, vitesse (National Gallery- Londres)

WILLIAM BLAKE The great red Dragon and the Womanclothed with the Sun (National Gallery -Washington)

DANTE-GABRIELE ROSSETTI Le Rêve éveillé (AshmaleanMuseum - Oxford)

EDWARD BURNE-JONES The Golden Stairs (Tate Gallery –Londres)

LAWRENCE ALMA TADEMA A favourite Custom (TateGallery – Londres)

JOHN-WILLIAM WATERHOUSE Hylas and the Nymphs(Manchester City Art Gallery - Manchester)

ALFRED SISLEY Bateau dans une inondation (Musée d’Orsay –Paris)

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-Pays-Bas

VINCENT VAN GOGH Chambre à Arles (Musée d’Orsay –Paris)

Autoportrait à l'oreille coupée (Musée Van Gogh– Amsterdam)

Église d'Auvers-sur-Oise (Musée d'Orsay -Paris)

La Nuit étoilée (MoMA – New York)

- Suisse

ARNOLD BÖCKLIN L’Ile des morts (Museum der BilendenKünste - Leipzig)

- Belgique

FERNAND KHNOPFF L’Art ou Les Caresses ou le Sphynx(Musée royal d’art moderne – Bruxelles)

- Russie

ILYA REPINE Le Retour inattendu (Galerie Tretyakov –Moscou)

XXième siècle (expressionnisme – cubisme –surréalisme – art abstrait - art brut & CoBrA - etc.)

-Espagne

PABLO PICASSO Les Demoiselles d'Avignon (MoMA - New-York)

Guernica (Musée de la Reine Sophie - Madrid)

SALVADOR DALÍ Prémonition de la Guerre civile (PhiladelphiaMuseum of Art – Philadelphie)

Persistance de la mémoire ("montres molles")(MoMA - New-York)

JOAN MIRÓ Femme et oiseau dans la nuit (Galerie Brusberg– Berlin)

ANTONI TAPIES Crâne et flèches (Fondation Tapiès - Barcelone)

-Belgique

.JAMES ENSOR L'Entrée du Christ à Bruxelles (Musée royal desBeaux-Arts – Anvers)

Masques (Musée royal d’Art moderne –Bruxelles)

CONSTANT PERMEKE Les fiancés (Musée royal d’Artmoderne - Bruxelles)

RENÉ MAGRITTE Les Valeurs personnelles (San Francisco Museumof Modern Art – San Francisco)

L'Empire des lumières (Collection PeggyGuggenheim – New-York)

PAUL DELVAUX Le Songe (Collection Claude Spaak – Paris)

L'Écho (Collection privée)

Le Musée Spitzner (Collection privée)

PIERRE ALECHINSKY Le monde perdu (MNAM -CentrePompidou, Beaubourg - Paris)

-France

FERNAND LÉGER Les Constructeurs (Musée Fernand Léger - Biot)

GEORGES BRAQUE Formes musicales (PhiladelphiaMuseum of Arts - Philadelphie)

Le guéridon ou nature morte au violon (MNAM–Centre Pompidou, Beaubourg - Paris)

MARCEL DUCHAMP Nu descendant un escalier(Philadelphia Museum of Art – Philadelphie)

HENRI MATISSE Nu bleu (Kunsthalle - Bâle)

La Danse (Musée de l’Ermitage – StPertersbourg)

ROBERT DELAUNAY La Tour Eiffel (Musée Guggenheim -New-York)

NICOLAS DE STAËL Marée basse (Galerie Beyeler – Bâle)

JEAN DUBUFFET L’Hourloupe (MNAM – Beaubourg – Paris)

-Italie

GIUSEPPE PELLIZZA DA VOLPEDO Il quarto Stato (CivicaGalleria d’Arte Moderna – Milan)

GIACOMO BALLA Dynamisme d’un chien en laisse (Albright KnoxArt Gallery, Buffalo, New York)

GIORGIO DE CHIRICO Intérieur métaphysique (CollectionMattioli – Milan)

-Allemagne

EMIL NOLDE Le Veau d'or (Fondation Nolde - Seebüll)

ERNST KIRCHNER Autoportrait avec modèle (MuséeDahlem - Berlin)

GEORGE GROSZ Metropolis (Collection Thyssen Bornemisza -Lugano, Suisse)

OTTO DIX Les sept péchés capitaux (Musée de Karlsruhe)

-Autriche

GUSTAV KLIMT Le Baiser (Österreichische Galerie - Vienne)

OSKAR KOKOSCHKA La fiancée du vent (Kunsthalle - Bâle)

EGON SCHIELE Autoportrait (Cabinet de l’Albertine – Vienne)

-Pays-Bas

PIET MONDRIAN New York City I (MoMA – New York)

-Angleterre

FRANCIS BACON Etude d’après le portrait d’Innocent X deVelazquez (Tate Gallery – Londres)

DAVID HOCKNEY Mr and Mrs Clark and Percy (Tate Gallery -Londres)

-Danemark

ASGER JORN Kyotosmorama (MNAM Beaubourg – Paris)

-Norvège

EDVARD MUNCH Le Cri (Nasjonalgaleriet – Oslo)

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-Suisse

PAUL KLEE Ad Parnassum (Kunstmuseum – Berne)

-Russie

KAZIMIR MALEVITCH Carré noir sur fond blanc (+ autres "suprématismes ") Musée de l’Ermitage – StPétersbourg

WASSILY KANDINSKY Composition IV (Musée de l’Ermitage– St Pétersbourg)

MARC CHAGALL Double portrait au verre de vin (MNAM –Beaubourg – Paris)

-États-Unis

.EDWARD HOPPER Nighthawks (Museum of fine Arts -Chicago)

ANDREW WYETH Winter 1946 (North Carolina Museum of Art)

JACKSON POLLOCK Number 26A (MNAM - Beaubourg -Paris)

MARK ROTHKO Rouge Magenta, noir, vert sur orange (MOMA -New York)

ANDY WARHOL Marilyn Monroe (Galerie Kimiko & Powers –Denver [Colorado])

ROY LICHTENSTEIN Whaam ! (Tate Gallery – Londres)

JASPER JOHNS Untitled – 1972 (Museum Ludwig – Cologne)

-Mexique

DIEGO RIVERA Rêverie d’été dans le parc d’Alameda (Hôtel duPrado – Mexico)

FRIEDA KAHLO L’amour embrase l’univers (Collection J. C.Chacel, Mexico)

-Cuba

WIFREDO LAM Oigoun, dieu de la ferraille (Collection privée)

-Chili

ROBERTO MATTA Onze formes du doute – kaléidoscope aquarium(Musée royal d’art moderne – Bruxelles)

-Colombie

FERNANDO BOTERO Musicos

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Un exemple d'analyse d'œuvre picturale :

La liberté guidant le peuple de Delacroix

1. le peintre et sonépoque

1.1. l'époque et le pays

Ce tableau a été réalisé en 1830 àParis, juste après la Révolution dejuillet. Nous sommes en pleineépoque romantique. Le romantismepictural se signale, comme leromantisme littéraire et musical, parl'expression de sentiments exaltés etla représentation, ou de l'univers dela nature brute, ou d'événementsforts pouvant susciter des réactionsaffectives diverses, allant del'exaltation à l'horreur.

1.2. le peintre

Eugène DELACROIX (1798 - 1863)a vécu essentiellement à Paris où il asuivi une formation néoclassique,dont il s'est vite détourné, paradmiration pour la peinture en pleinepâte de Rubens.

2. Carte d'identité dutableau

- au Louvre- 1830, date sûre- toile- huile- dimensions: 260 x 325 cm - soit

un rapport de 100 / 125, donc plus"ramassé" que la section d'or(100/161)

- genre historique et allégorique- sujet: apparition de l'allégorie de

la Liberté, (une femme brandis-sant un drapeau tricolore) sur unebarricade prise d'assaut par deshommes armés, venant de toutesles classes sociales.

- Titre: la Liberté guidant le peuple,titre donné par E.D. lui-même.

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3. Analyse "stylistique"

3.1. Structure

- Malgré le désordre apparent qui estressenti au premier regard (et qui estlié au fait représenté : un momentdans une insurrection, la conquêted'une barricade), ce tableau estcomposé avec le souci de la clarté etun certain classicisme. Il se divise enzones qui s'opposent morpho-logiquement et sémantiquement : lazone horizontale du premier plan, quireprésente le monde des morts et lepouvoir oppresseur, opposée à lazone supérieure, qui représente laconquête de la liberté. La zonesupérieure est construite, à partirde deux grandes lignes de force,comme une pyramide dont le sommetest le poing de la femme qui tient ledrapeau. D'autres lignes de forceparcourent le tableau, toutesconcrétisées par des armes, tenuesen lignes obliques. De part et d'autrede la pyramide, deux zones trèscontrastées : celle des insurgés"adultes" (zone relativement foncée,plan rapproché) et celle de lacathédrale Notre Dame au loin (zonerelativement claire et plan éloigné) :nous avons affaire à une sorte decontraposto, disposition permettantd'éviter la monotonie dans le tropgrand respect de la symétrie.

- L'espace représenté est complexe :il comporte des zones de proximité,des zones d'éloignement, voire uneouverture sur le ciel et les lointains.Cet espace n'est donc pas "aplati",mais néanmoins, il se réserve deszones de resserrement, opposées auxzones d'extension.

- E.Delacroix ne s'est pas soucié deslois de la perspective : la perspective(= la représentation du proche vs. del'éloigné) obéit à la composition dutableau : A la rigueur, on pourraittrouver un point de fuite situé dans la

zone claire située devant NotreDame. S'agirait-il là d'un symbole ?Le cadrage est résolument frontal,mais l'œil du peintre se placerelativement bas, ce qui donne unelégère sensation de contre-plongée etforce le regard à s'élever.

- Il s'agit incontestablement d'unescène, et l'espace, même s'il contientdes éléments "naturalistes" (ND deParis et les maisons de l'île de laCité), peut être qualifié de"scénique".

- Les personnages, vêtements, objets(armes, notamment) sont rendusparfois avec une grande minutie (lesspécialistes en armes ont puaisément identifier les différentsmodèles des armes, des uniformes,etc.), mais la pâte, assez généreusedu peintre (qui d'ailleurs lecaractérise), a permis d'éviter lechromo : la délimitation des objetsest claire, mais dépend de la couleurplus que du dessin. Même siDelacroix a cherché à donner uneimpression de reportage, on nepeut s'empêcher de voir dans cetableau l'effet d'une compositionpensée, même si l'exaltation dusentiment y joue un rôle de premierplan. Les dessins préparatoires sonttrès nombreux et montrent quel'artiste a composé son tableau. Undétail : la femme représentant laLiberté a été inspirée par desmodèles classiques (sculptures dePhidias, par exemple et la Victoire deSamothrace a un air de connivenceavec le buste de la Liberté). Pourtant,si la femme dépoitraillée est unevraie allégorie, elle a été représentéesans soin particulier (les couleurs deses seins donnent une impression de"sale") : la critique de l'époque n'apas manqué de souligner letraitement (trop) réaliste del'allégorie. (Mais nous sommes enplein romantisme, rappelons-le)

- Le tableau représente un moment

dans un mouvement : l'avant-planmontre qu'une première étape a déjàété franchie : les lignes ennemies (lagarde royale) ont été abattues :l'impression de victoire presquecomplète est même renforcée par latenue humiliante du personnage del'avant-plan situé à gauche : on lui aenlevé son pantalon, il est plus quemort, mort sans sépulture, mortcomme Hector, tiré par les chevauxd'Achille (la référence est attestée).Le peuple tout entier s'apprête àfranchir la barricade : l'ennemisupposé devrait se situer dans leprolongement des yeux des jeunesgens debout (à gauche) le spectateurdu tableau n'est donc pas visé. Enfait, le spectateur ne fait pas partiede la scène, malgré sa frontalité : niinsurgé, ni menacé par l'insurrection,il assiste au fait majeur du tableau :l'apparition de la Liberté. Person-nage ambigu (elle participe àl'insurrection, puisqu'elle tient unfusil, mais elle n'en fait pas partiecomme "revendicatrice"), c'est unefemme appartenant au mondesymbolico-allégorique : dénudementà la grecque, bonnet phrygien,drapeau curieusement tenu, commepour faire des effets de jeu dedrapeau, les autres insurgés neparaissent d'ailleurs pas s'apercevoirde sa présence, si ce n'est lepersonnage à demi couché à platventre qui se relève pour la voir,peut-être avant de mourir. Lemouvement lui-même est suggéré parl'esquisse de gestes en train de sefaire : marche en avant du jeunegarçon, bras tenant un sabre prêt às'abaisser, etc. mais le mouvement leplus impressionnant est collectif : lamasse, où se mêlent tant d'hommes,s'avance, en vrai peuple souverain.La victoire est proche, déjà ledrapeau tricolore est hissé sur la tourde ND.

- L'exécution d'une telle œuvre ademandé pas mal de préparations etde retouches (la plus importante,

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révélée par les rayons infrarouges estcelle qui concerne la position duvisage de la liberté, prévueinitialement de face), mais l'œuvre aété terminée pour pouvoir paraître ausalon d'octobre.

3.2. couleurs et luminosité

- La palette de Delacroix est riche,dans les tons terreux, mais lescouleurs signifiantes se situent dansles variantes du bleu, du blanc et durouge (rouge : bonnet phrygien, châledu mourant ; bleu vêtement dumourant ; blanc: ceinturons etinsignes royaux) : l'effet symbolique(ou allusif) se retrouve dans plusieursdétails Le drapeau tricolore est doncéclaté dans tout le tableau.

- L'artiste est avant tout coloriste : onl'a d'ailleurs toujours (et à juste titre)opposé à Ingres, son contemporain.Ce sont les taches (ou zones) decouleur qui délimitent les silhouetteset non le dessin (celui-ci étaitd'ailleurs exécuté directement aupinceau).

- Les couleurs ont été posées parlarges touches superposées, donnantun effet de profondeur chromatique.

- Les zones claires et les zonessombres sont nettement délimitéespar la grande silhouette de la Liberté.Le contraste clair / obscur s'estompeau profit de contrastes chromatiquesparfois violents.

- La lumière semble venir de derrièrela Liberté, ce qui accentue à la foissa silhouette et son rôle symbolique.La Liberté semble ainsi éclairer lemonde ambiant. L'ombre est bienprésente pour jouer son rôle decréateur de contrastes.

4. Analyse"sémantique"

4.1.1. le sujet

Nous savons que Delacroix n'étaitpas de tempérament révolutionnaireet que son adhésion à la révolution dejuillet s'inspirait davantage de lasympathie (voire de la pitié pour lesvictimes, quelles qu'elles fussent)que de la réflexion. Delacroix étaitun romantique apolitique, on diraitaujourd'hui un homme plus attiré parl'humanitaire que par le politique. Lesujet du tableau dépasse etl'anecdote (l'épisode aurait pu sepasser à un autre moment qu'en 1830- et, malgré le rappel constant descouleurs françaises, pouvait avoir eulieu dans un autre pays) et le slogan :ce qui guide le peuple, ce n'est pasl'antiroyalisme, ni le patriotisme ni la"préférence nationale", c'est laLiberté. On ne peut donc pas décelerde message "hic et nunc", qui auraitfait de ce tableau un simpletémoignage historique, mais pasl'œuvre transhistorique etatemporelle qu'il a été depuis sacréation. Tout romantique qu'il est,ce tableau vise au classicisme le plusexigeant (sa forme le laissaitdeviner), qui parle à l'humanitéentière par delà les frontières et lessiècles.

Ainsi, la Liberté guide le peuple:La Liberté est représentée par cettefemme allégorique (doublementallégorique : elle porte des symboles,elle vient de l'univers classique de lasculpture grecque), qui, malgré soncaractère extra-humain, s'insèredans le tableau avec bonheur : si lecoloris de sa poitrine est si "sale",c'est pour insérer cette femme dansl'insurrection et dans le peupleinsurgé. Oserais-je ici uneinterprétation personnelle ? Plusqu'une déesse antique, la Liberté dece tableau me donne une impression

maternelle : les seins nus sontdavantage ceux d'une mère que ceuxd'une épouse ; cette déesse de laliberté est aussi un être maternel, etla proximité de Notre Dame, mère deDieu, revêtue elle aussi du drapeautricolore, semble apporter un écho àcette Liberté, mère du peuple.

Quant au peuple, il est représentépar la diversité des costumes, eux-mêmes témoins de la diversité desclasses sociales : on voit ainsi unouvrier provincial, un étudiant, unpolytechnicien et un gavroche venutout exprès des quartiers pauvres.Chacun s'est revêtu de piècesvestimentaires qui ne lui apparte-naient pas à l'origine : la révolutionrévèle son caractère de carnavalsacré : le peuple se reconnaît dans lemélange et accepte, pour cette causesuprême, d'oublier pour un temps lesdistinctions sociales.

Enfin, ce tableau, peut-être par soncôté à la fois solennel et populaire,donne l'impression qu'il ne parle pasde la victoire salace et moqueuse surdes emmerdeurs : on est loin desCRS - SS. On est dans la légitimité.Le peuple, tout bigarré qu'il est, nes'amuse pas, et sa cause revêt dèslors un caractère sévère et sacré.

4.1.2. le rapport avec la culture

Ce tableau fait allusion à laRévolution de juillet 1830. Il n'estpas inintéressant de savoir que cetterévolution libérale et bourgeoise s'estélevée contre les pratiques decensure de Charles X contre lapresse, qu'elle a donné lieu à uncompromis politique symbolisé parl'accession au trône de Louis-Philippe, le rétablissement dudrapeau tricolore comme symbole dela France et un régime bourgeois etlibéral.

Il est aussi intéressant de savoir queDelacroix avait une culture à la fois

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littéraire et picturale : les maîtresanciens et les événements de juillet1830 lui étaient connus. On se doutecependant que les connaissances"humanistes" lui ont été plus utilesque celles provenant de l'actualité.Ignorer les événements de 1830occulte certains aspects vesti-mentaires, la valeur affective dudrapeau tricolore, remplaçant leblanc de la Restauration, maisn'empêche pas de sentir la valeursymbolique et affective du tableau.

4.1.3. l'épisode représenté

L'épisode représenté est en réalitéentièrement imaginaire : Delacroix arassemblé sur un espace rela-tivement neutre (et où exactement sesituerait-il à Paris ?) un épisodesomme toute peu réaliste : labarricade est généralement le faitdes insurgés qui se défendent contrela police ou la troupe, or on voit ici la"conquête" d'une barricade par lepeuple. L'épisode est d'ailleursmarqué par la présence de cetteLiberté allégorique qui donne autableau tout son sens. L'épisodereprésenté n'existe donc que dansl'imaginaire artistique du peintre.En gros, toutes les classes sociales dela France se sont réunies pourabattre la tyrannie et pour instaurer(restaurer) la liberté. L'artiste ad'abord été soucieux d'un message àportée universelle avant de chercherà représenter fidèlement un épisodehistorique.

4.2. titre / suggestivité

"La Liberté guidant le peuple" est untitre qui, de lui-même, orientel'esprit du spectateur. "Attention",semble dire Delacroix, "il ne s'agitpas de glorifier la Révolution commetelle, il s'agit d'une "leçon" demorale politique : la révolution n'a delégitimité que si elle est guidée parun haut principe que personnen'oserait contester, ici, en

l'occurrence, la liberté". J'ai évoquéplus haut l'idée de maternité, et j'yrevins un instant : si une mère oseencourager ses gredins de fils à serévolter (les garçons sont facilementprêts à en découdre et à s'amuserdans la bataille), c'est qu'il y a euune raison majeure pour le faire. Unemaman, qui veille à la survie de sesgarçons, n'accepterait que ses filss'engagent dans l'action risquée de larévolution que si la "cause" ladépasse elle-même, ou si - parextraordinaire - elle en est lesymbole vivant.

Ce que suggère le tableau, c'est à lafois une certaine liberté (révolte,permissivité, légèreté, voire plaisir)et une certaine solennité : lalégitimité au service de lapermissivité, tous les ingrédients dulibéralisme sont simultanémentprésents, le sourire de la libération etle sérieux de la légitimité.

4.3. impression générale

- Théâtralité plus que sérénité,encore qu'au-delà du tragique del'épisode, on ressente quelque chosequi ressemble à de l'apaisement.- majesté, mais en milieu populaire(c'est la rencontre typiquementromantique entre le sublime et legrotesque, chère à Victor Hugo)- ordre dans le désordre apparent- violence engendrant la douceur- force- réalisme (dans le détail) etidéalisation dans la composition,symbolisme allégorique- impression de santé en général,malgré l'apparition de la mort, elle-même salvatrice (les morts n'ont pasune tête de salaud)- ni joie ni tristesse, impression desérieux- clarté- complexité du tableau au serviced'un contenu simple et fédérateur- incitation à l'admiration et àl'exaltation.

5. Mon appréciation du tableau

Ic i , le professeur devrai t se"mouiller". Il devrait faire sentir queson impression personnelle a, nonseulement, accompagné son analysede l'œuvre, mais l'a aussi soutenue.

Je tiens ce tableau pour une ported'entrée dans un univers exalté quime rappelle mon adolescence. En levoyant, j'ai l'impression de respirerdavantage et de vivre intensément unmoment de choix. La liberté n'est paspour moi mon guide, mais j'auraistendance à la considérer comme unesœur.

Je ne pourrais pas voir ce tableauailleurs que dans son milieu actuel(un musée prestigieux).J'associerais ce tableau à laSymphonie fantastique de Berlioz,autre grand romantique français.J'ai, au cours de mon analyse, eul ' impres s i on d ' en r i ch i r mape rcep t i on de l 'œuvre pa rl'impression d'avoir eu affaire à unereprésentation forte et sacrée de lafemme.

Ce tableau laisse comme unemusique en moi.

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Données :Pierre Brueghel l'ancien : 1525/1530 ? - 1569. A vécu dans le Brabant flamand.A très certainement connu JérômeBosch son célèbre aîné (connujusqu'en Espagne)Fixé à Bruxelles. A voyagé en Italie(probablement > Sicile).Aucune influence de la renaissanceitalienne, sinon l'humanismelittéraire.Technique proche des primitifs,mais différences importantes : pas deglacis, pas de "miniature" dans legrand tableau, inspiration populaire(fêtes, proverbes)

Date : ??? vraisemblablement aprèsson voyage en Italie – 1556 ou1565/66 sont des hypothèses

Emplacement actuel : Muséed'Art ancien à Bruxelles.

Dimensions : 73 _ 112 cm (un peuplus "ramassé" que la section d'or :100/153, la section _ étant de100/161.

Technique : huile sur toile

Données importantes pourl'analyse sémantique (4.12) :

Extrait des Métamorphoses d'Ovide(VIII 212 > 235) Pour s'échapper dulabyrinthe qu'il avait construit,Dédale, accompagné de son filsIcare, cherche à sortir par les airs. Al'aide de cire il se fixe des plumes surles bras, ainsi qu'à Icare, et parvientà s'envoler.

S'élevant d'un coup d'ailes, il[Dédale] vole le premier et craint

pour son compagnon [Icare, son fils],comme l'oiseau qui fait sortir de sonnid élevé ses tendres petits et lesentraîne dans l'air. Il l'exhorte à lesuivre, il lui enseigne l'art quicausera sa perte ; il remue lui-mêmeses ailes et retourne la tête pourregarder les ailes de son fils. Lepêcheur qui cherche à prendre despoissons à l'aide de son roseautremblant, le berger qui s'appuie surson bâton et le laboureur sur lemanche de sa charrue les ont vus ;stupéfaits, ils ont cru que ces êtrescapables de traverser les airs étaientdes dieux. Et déjà ils avaient à leurgauche Samos, l'île de Junon, à leurdroite se trouvaient Lébinthos etCalymné féconde en miel. C'est alorsque l'enfant se livra à la joie d'un volaudacieux et abandonnant son guide,se laissa attirer par le ciel et s'élevaplus haut. L'approche de la chaleurdévorante du soleil amollit la cireodorante qui retient les plumes ; lacire avait fondu. Icare agit ses brasdépouillés. Privé des ailes aveclesquelles il ramait dans l'air, il n'y

trouve plus d'appui. Sa bouche quicrie le nom de son père s'enfoncedans l'eau azurée à laquelle il adonné son nom. Mais le malheureuxpère, qui n'était plus père, s'écriait :"Icare, Icare, où es-tu ? En quel payste chercher ? Icare !" criait-il. Ilaperçut des plumes sur l'eau.Maudissant son art, il enferma dansun tombeau le corps de son fils, et laterre où il avait été enseveli reçut sonnom.

Deux proverbes flamands :

La charrue ne s'arrêtepas pour un hommequi meurt.

Ni la bourse, ni l'épéene se donnent à unfou.

II. Préparation d'une analyse - type à partir de Paysage à la chute d'Icare de Pierre Brueghel l'Ancien.

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III. Conclusions et avis

3.1. sur le planpédagogique

Arrivés au terme de cetteprésentation, nous pouvons tirerquelques conclusions sur les planspédagogique et culturel.

Nous sommes d'emblée dans unepédagogie active, qui ne semble pastrop s'éloigner des sentiers battus ducours de français. Analogiquement,d'autres opérations du même"acabit" peuvent s'imaginer, comme- par exemple - une opérationcinéma, musique, etc.… L'essentielest de faire en sorte que cetteopération se passe dans uneambiance et de travail etd'enthousiasme : la vie active aura tôtfait de rappeler à nos adolescents lespesanteurs du réel. Autant qu'ilsgardent de cette opération lesouvenir d'une rencontre avec labeauté.

Les exigences devraient êtrerencontrées comme desencouragements plutôt que commedes sources de soucis et d'angoisse :ni ma femme ni moi n'avons à aucunmoment envisagé cette opérationcomme un concours éliminatoire oula source d'une cotation "certifiante"(j'ai même dû faire un effortd'imagination pour évoquer celaaujourd'hui devant vous).

Reste que cette opération doit êtremenée dans un esprit de justice :malgré tout, la culture (et enparticulier, la culture plastique) estassez chère, beaucoup plus que laculture venant des livres. Il n'est pasquestion d'aborder une telleopération si l'on sent qu'elle risqued'entraîner une gêne provenant d'unecause sociale ; autant y renoncer oulimiter fortement les aspectsdocumentaires.

3.2. sur le plan culturel

Il me reste, avant de vous donner laparole, à évoquer l'étonnant progrèsculturel que cette opération peutentraîner. L'image est reine dansnotre civilisation, et cela depuislongtemps (on peut dire depuis quela photo a pu être reproduite parl'imprimerie). Mais les médias"paresseux" entraînent les élèves àun affaiblissement de l'espritcritique, à une déperdition de lamémoire, à un flou dans lescatégories de la pensée.

Cependant, l'image, et en particulier,l'image produite par l'être humain,possède des pouvoirs que l'espritpeut dominer : on peut lacomprendre, la lire, l'analyser, luifaire avouer ce qu'elle cherchait àcacher.

Ainsi, dominant ce qui pourrait nousdominer, nous rendons hommage à laforce et à la liberté de la pensée.

La parole est à vous.

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Projet : ciné d’enfants sur le thème du respect 1

Ariane Bratzlavsky, Opérateur culturel, AVA asblLara Herbinia, Professeur de morale à l’Athénée Royal de Jette

Constat de base :En ce début du millénaire, à l’heure d’un réel progrèsdans les techniques de communication et surtout del’audiovisuel, il s’avère indispensable de donner auxenfants la possibilité de découvrir des moyensd’expression qui permettent de rêver, raconter,communiquer, s’exprimer à partir d’images et de sons, ducorps et du décor, de lumières, de couleurs, mais qu’ils’agit aussi de démystifier et de maîtriser en comprenantcomment on les fabrique.

Naissance du thème : le respectLorsque Madame Bratzlavsky (réalisatrice cinéastediplômée de la Cambre en 1991) m’a contactée afin departager ses diverses expériences dans l’éducation àl’image avec des jeunes de tous milieux, Jacques Lang,ministre français de l’éducation, lançait une campagneaudiovisuelle pour le respect à l’école. Les élèves endiscutaient beaucoup et affirmaient qu’ "en Belgique, onne faisait jamais rien!!!" Ce fut l’occasion de leur proposercette réalisation de film d’animation sur le thème duRESPECT, avec l’aide de Mme Bratzlavsky.

Objectifs :Il s’agissait ici de réaliser deux films vidéo, sur une même thématique "le Respect",mise en images et en sons par des élèves de 2ème année qui suivent le cours demorale, et de faire se rencontrer ensuite tous les participants et des élèves desautres classes pour visionner ensemble les réalisations.Ils vont ainsi découvrir le travail en équipe, avec ses joies et ses contraintes, lerespect de l’autre et la tolérance nécessaire au bon fonctionnement de l’activité.Le cinéma d’animation, art collectif, fait appel au sens critique, au sens del’observation, à l’intuition, à l’organisation et à l’imagination, à travers toutes lestechniques d’expression possibles : écriture, image, son, éclairage, décor, jeud’acteur, montage, et à travers toutes les techniques des arts plastiques.En un temps réduit, et avec peu de moyens, les enfants découvrent qu’ils peuventcréer et donner vie, ensemble et avec l’aide d’adultes, à des scènes qu’ils ontimaginées et écrites. Ils sont amenés à prendre en charge l’écriture d’unscénario, la conception des personnages, accessoires et décors, la mise enimage et la réalisation de la bande-son (textes, bruitages et musiques), avec desmatériaux de construction peu coûteux, à la portée de tous.

Intégrer l’Art dans l’école, c’est aussi permettre à des jeunes de sedévelopper dans leurs dimensions psychomotrices, affective, sociale,cognitive et éthique. Valoriser nos élèves, découvrir leurs talents cachés,c’est leur permettre de voir le beau dans l’Homme et en soi ; c’estsusciter le goût d’acquérir des savoirs et des compétences culturelles…

1 Cette activité s’inscrit dans un programme soutenu par la Communauté Française Wallonie-Bruxelles visant àpromouvoir les activités culturelles dans l’enseignement.

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Débroussaillage :Très enthousiastes, les élèves auraient bien commencétout de suite mais ils se rendirent vite à l’évidence qu’ilsne savaient pas par où commencer. "Qu’est-ce que le respect ou l’irrespect ? Une simpleaffaire d’école ou de famille ?" (cacophonie de réponsesqui ne respectait déjà pas la parole de l’autre, çacommençait bien !).Après avoir mis des mots, des expériences, desimpressions tout autour de ce mot qui englobe tellementde valeurs, ces élèves de 2ème étaient prêts à imaginerleur scénario (par groupe de 4 ou 5). Au fur et à mesurede l’écriture, ils se sont rendu compte que travaillerensemble n’était point facile et demandait beaucoup detolérance vis-à-vis des "autres".L’apprentissage difficile du consensus…

La main à la pâte :Les scénarios terminés, les différents groupes seprésentèrent oralement leur histoire et s’applaudirentchaleureusement. Ensuite, ils apportèrent du carton, desrevues, du bois, de la plasticine, de la peinture…et semirent à la tâche…La réalisation des décors ne fut pas une mince affaire : ilfaut être très soigneux car la caméra ne rate aucun défaut,initiation "douloureuse" pour certains de nos artistes enherbe.Pour ce qui est de la bande-son, chacun apporta sa petitetouche personnelle (cd, bruitages), il y eut beaucoup defous rires et différents essais, mais tous (même les plustimides) se prirent au jeu et devinrent presque aussiexigeants que de véritables professionnels.

Résultats-CommentairesAprès s’être étonnés, impatientés, émerveillés…dans unlaps de temps assez restreint (nous avons commencé leprojet début janvier, nous l’avons terminé fin mai, àraison de deux heures/ semaine), les élèves sont très fiersdu résultat obtenu. Ils ont véritablement appris ce qu’étaitun travail de groupe porté par l’implication de chacun. Ilsespèrent également que ce projet devienne un outil deréflexion, de discussion dans d’autres classes, d’autresécoles voire même une campagne officielle de lacommunauté française pour le Respect.

"Ce projet nous a plu car il laisse libre court àl’imagination, il nous permet de voir d’autres horizons. Etpuis le respect est une chose importante dans la vie de tousles jours : cela évoque une chance de s’intégrer malgré nosdifférences et d’avoir les mêmes droits que les autres."

Sébastien, Frédéric, Quentin, Raphaël.

" Au départ, le projet a été dur à mettre en route car il fautmettre beaucoup de nous-même mais c’est beau de créer deschoses avec son imagination."

Pornthipha, Jennifer

"Cela change du reste des cours, on peut montrer notrecréativité. On a découvert des talents qu’on n’avait encorejamais vus. Et grâce à un travail de précision qui demandedu temps et de la patience, on a fait un film génial !"

Nicolas, Annick, Emilie, Jérôme

"Il a fallu beaucoup travailler à la maison comme enclasse mais quand on voit le résultat, ça en valait la peine!L’art permet de s’épanouir, de communiquer différemmentavec les autres."

Gaëlle

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Ariane BratzlavskyOpérateur culturel

AVA asblAv. des coccinelles 104 A/17

1170 Bruxelles

Lara HerbiniaProfesseur de morale à l’Athénée Royal de Jette

Rue Lévis-Mirepoix, 1001090 Jette

NB : Le résultat de ce travail est visible sur une cassette VHS.

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Carré de Nature,carré de Culture

Voici un article paru dans la revue AUTREMENT en 2001, Entre-vues a choisi de vous le présenter car il nous parle de laFondation 93, sorte de " Laboratoire d’Utopie Culturelle et Sociale" qui veut questionner les pratiques et agir à la confluence del’art, de la science et de l’éducation.

Pascal Bouchard nous présente aussi l’expérience pédagogiqueet culturelle " Carré de Nature, carré de Culture " qui consiste àconduire une démarche philosophique et culturelle avec desélèves de 12 à 16 ans en échec scolaire (les classes SEGPA),expérience menée par la Fondation 93 depuis 1997.

Il nous présente ensuite l’expérience " Chercheurs d’art et descience " à destination des publics d’école primaire.

Fondation 93, moded’emploi.

La Fondation 93, centre de culturescientifique et technique, s’attacheen priorité à travailler en directiondes publics " difficiles ", ceux pourqui l’accès à la vie culturelle n’estpas un simple problèmed’opportunité ou d’information. Ils’agit, pour l’association, decontribuer à une transformationculturelle et sociale du monde enoffrant une série de repères

permettant de participer à uneréflexion et à un débat sur lessciences et les techniques et lesrapports qu’elles entretiennent avecla société, et singulièrement avec lesautres pratiques culturelles.Les principaux partenaires financiersde la Fondation 93 sont le conseilgénéral de la Seine-Saint-Denis, lesvilles cofinançantes de la Seine-Saint-Denis, les ministères del’Education nationale, de laRecherche, de la Culture, de laJeunesse et des Sports.

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Trois pôles d’activité

Le "centre ressources", ouvert auxporteurs de projets publics, fonctionneavant tout sur le mode d’une"ingénierie culturelle" spécialiséedans les sciences et techniques. Saconsultation – gratuite – permet deconstruire une action.

Production d’expositions etévénements.Le refus d’être un lieu d’exposition aconduit la Fondation 93 à n’imaginerque des productions itinérantes,telles que les "valises exposition" surdes grands thèmes scientifiques etdiffusées dans de nombreux pays.Des "expositions de rue" ou desproductions et coproductionsd’œuvres théâtrales, audiovisuelles,littéraires, graphiques viennentcompléter cette démarche.

Animations directes pour jeunepublic.Sous le label "Passeport découverte",de 5000 à 6000 collégiens et lycéensde la Seine-Saint-Denis participentchaque année (et depuis quinze ans)à des parcours scientifiques ettechniques : à partir d’une questioninitiale, des enquêtes, des visites etdes débats les conduisent à produireune restitution (expositions, vidéos,rencontres...) destinée à un publicextérieur au groupe.

Des expériences sont menées, tellesque "Carré de nature, carré deculture", associant philosophes etenseignants en SEGPA, les "projetspresse" permettant aux jeunes élèvesde s’initier à l’écriture journalistiqueen réalisant des dossiers publiés parla presse professionnelle (Le Mondede l’éducation, Libération, Télé-rama…) ou des émissions de radio(diffusées par RFI).

Depuis 1996, "Chercheurs d’art et descience" propose aux élèves deprimaire de découvrir les grandsrécits scientifiques du monde(origines de l’homme, de l’univers, dela vie) dans une pratique associantateliers artistiques et scientifiques.

Fondation 9370, rue Douy-Delcupe

93100 MontreuilTel. : 01 49 88 66 33Fax : 01 49 88 66 55

E-mail :[email protected]

Web :www.fondation93.org

Carré de nature, carréde culture

Ou du bon usage de laphilosophie en SEGPATable ronde à la Fondation 93,15 février 2001

La Fondation 93 présentela genèse et le cadre duprojet

Ils ont entre 12 et 16 ans et rentrentdans la vie avec un solide bagaged’échecs. Les classes de SEGPA quiles accueillent changent régulière-ment de nom, elles ne sont plus "detransition" ou "d’enseignementspécialisé", mais "professionnellesadaptées", comme on rebaptiseaujourd’hui la "misère" en "fracturesociale". La Seine-Saint-Denis estbien pourvue dans cette catégoriescolaire.

En 1997, la Fondation 93 "Atelierdes sciences1" a proposé à cesclasses de faire de la philosophie, enpartant du principe que, face à desélèves en difficulté, les opérationsculturelles proposées devaient être

1 La Fondation 93 " Atelier des sciences ", créée en 1982, est un centre de culture scientifique et technique, partenaire du conseil général de Seine-Saint-Denis, soutenu par les ministères de la Culture, de l’Education nationale, de la Recherche et de la Jeunesse et des Sports.

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les plus ambitieuses possible ; laqualité, voire l’expérimental, commeréponse aux situations les plusdéfavorisées. En quatre ans, 71professeurs d’enseignement spécia-lisé des collèges de Seine-Saint-Denis ont, avec la Fondation 93,répondu " chiche ! " à ce pari2.

L’opération de partenariat entrel’école et l’association se nomme"Carré de nature, carré de culture ".Chaque classe dispose d’un parrain"philosophe qui, en quatre séances auminimum, propose aux jeunes dedébattre de l’opposition entre naturelet culturel, et de confronter cetantagonisme à un mot clé. Pourl’année scolaire 1999-2000, ladémarche s’articule autour du mot"apprendre", les années précédentesles mots "violence" puis "amour"avaient servi de guide à la pensée desparticipants. Pour cette saison 2000-2001, nous avons choisi de les faires’interroger sur la notion "Identités,moi, les autres".

Une réunion de lancement del’opération rassemble les différentspartenaires du projet (philosophes etenseignants). Outre un échange surla démarche globale de l’opération,cette rencontre doit permettre uneréflexion et une prise en compte desaspects techniques spécifiques desprojets que souhaitent mener lesenseignants.

Elle est, avant tout, pour le tandemphilosophe-enseignant l’occasiond’une première prise de contactpermettant d’ébaucher des hypo-thèses de travail. L’une des quatrerencontres doit se faire à l’extérieurde l’établissement, dans un lieu enIle-de-France, proposé par lephilosophe. Cette sortie, outre sonaspect ludique, doit favoriserl’expression des jeunes.

Une deuxième visite est laissée àl’initiative du groupe. Son choix doitêtre fait en fonction du thème et de larecherche particulière que la classe achoisi de conduire.

A l’issue de l’année scolaire, laFondation 93 livre à chaque classeun carré de bois de 3 mètres de côté,un beau carré, de beau bois, à chargepour le groupe d’y inscrire sonparcours philosophique comme ondemanderait à des élèves determinale de le faire sur une pageblanche. Cette réalisation se nourritdu déroulement du parcours. Il luipermet de "mettre en scène" le débatqui s’est instauré durant l’opération.Il est aussi le moyen de rendrecompte de l’inventivité de la classe.

Si sa conception et sa réalisation sontdes phases importantes, le choix dupublic auquel le carré va être présentéest primordial. Ce public peut être latotalité de l’établissement, une seuleclasse, les parents des élèves,l’ensemble des professeurs, leshabitants de la commune, etc.

Comme pour toutes les opérations dela Fondation 93 "Atelier dessciences" menées en collaborationavec le milieu scolaire, les enseignantsrestent totalement responsables duprocessus pédagogique et du rapportà leurs élèves. La Fondation 93"Atelier des sciences", pour sa part,coordonne la mise en œuvre del’ensemble du parcours et assure une

fonction "ressources" à destinationdes enseignants ainsi que l’interfaceavec les philosophes.

Pourquoi la philo enSEGPA?

Marie-Christine Nevoux, profes-seur de SEGPA au collège Jean-Zayde Bondy, a renouvelé l’expériencetrois fois : La philo est un outilprécieux, car c’est le pilier central dela pensée. Or, ce qui est absent dansl’enseignement, c’est ce travail sur lapensée. Le philosophe conduit l’élèveà sortir de la pensée spontanée et luipermet de conceptualiser, d’argumenter.Avec les gamins de SEGPA, on estdans une situation de démission de lapensée et cela fait des années qu’ilsont cette image. La simple venued’un philosophe les autorise àpenser: il porte un regard différentqui bouleverse d’un coup l’imagequ’ils veulent bien nous donner etqu’on veut bien leur rendre.

Jean-Piere Zarader, professeuragrégé de philosophie à Paris, estintervenu deux fois à Clichy-sous-Bois et au Blanc-Mesnil : J’ai étémoi-même très surpris et le premierplaisir a été le mien en constatantque ces gamins étaient capables defaire de la philo au même niveauqu’une classe prépa. Il faut êtrecapable de traduire leur langage,leurs affects, en concepts. A partirdu thème de l’amour, leur montrerque derrière la recherche du plaisirparticulier, il y a l’universel qui seréalise. J’affirme que l’on peut fairede la philo avec n’importe qui, c’est-à-dire sans pré requis préalables,mais pas dans n’importe quellesconditions : par exemple, il faut quela violence soit hors de l’établis-sement. Je ne peux pas parler si l’onme menace avec un couteau. Il estvrai que dans le cas de cette

2 Ces 71 classes de Seine-Saint-Denis ont fait tache d’huile à Poitiers en 1998 et à Clermont-Ferrand en 1999. Depuis trois ans, la Fondation 93 mèneégalement l’expérience avec l’équipe pédagogique des détenus mineurs de la maison d’arrêt de Villepinte.

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expérience l’intervenant est présentécomme un philosophe, il est précédéd’une aura, d’une image positive quiparle à leur imaginaire. Or il ne peuty avoir d’enseignement sans désir.Le philosophe n’est qu’un médiateurentre les grands textes et les élèves etnous avons lu et commenté des textesde Platon et Schopenhauer.

M.-C.N. : Cette expérience est unevraie situation d’enseignement oùchaque intervenant a sa place."Qu’est-ce qu’un philosophe ?" ademandé un élève. Voici la réponsedu philosophe qui intervenait dans laclasse : C’est quelqu’un qui se posedes questions, mais qui ne les oubliepas." Et il a renvoyé la question à laclasse : "Avez-vous des questionsque vous n’oubliez jamais ?" Là, onavait franchi un cap, ils ont pu parlerd’eux-mêmes. Je me souviens de laquestion d’une gamine : "Est-ce queje suis vraiment algérienne ?" Entant qu’enseignante de la classe, j’aipu travailler sur des obstacles àl’apprentissage. On est dans un vraidialogue où tout le monde est autravail et où tout le monde est obligéde se repositionner, y compris lephilosophe. Par la philo, on arrive àrepenser la place d’une classe et lesens des apprentissages scolaires.

Quelle est la pédagogiedu projet et qu’apporte laspécificité de laphilosophie ?

J.-P.Z. : La philo, c’est la boîte à outils.Les élèves se servent de ces outils et lesréinvestissent dans plein de matières, enmaths ou en français, dans l’écoute del’autre. La notion de projet se construitautour, en travaillant sur la pensée. C’estla seule manière de donner aux élèves lapossibilité de se l’approprier en enfaisant émerger le sens. Un projet vienttoujours des adultes, mais les élèves lefont et le transforment dans la mesure oùils le pensent.

M.-C.N. : Ainsi, dans le projet del’an dernier sur le thème "apprendre",nous avons eu l’idée (le professeur detechnologie et moi-même) de leurfaire construire une vraie yolegrandeur nature, de 6,90 m. Ce n’étaitpas le projet de quelques enseignantsfarfelus qui avaient envie de se faireplaisir, ce n’était pas seulement unprojet de technologie qui sort del’ordinaire, mais un aller-retourdialectique autour de la notiond’apprendre où tout le mondeacceptait d’être dans l’apprentissageet où tout le monde s’aventurait dansune construction que personne nemaîtrisait bien : on a avancé parpaliers. La première concertationavec la philosophe a porté sur ce quel’on pourrait faire découvrir auxélèves de ce qu’ils avaient apprissans s’en rendre compte. Puis, elle apermis de faire avancer la construc-tion du bateau, d’autant que leprofesseur de technologie a aussi euenvie de se poser des questions, quel’on a eu recours à d’autres classesdites "normales" du collège et que leregard de tous s’est modifié. Mêmecelui de l’Institution lors de la mise àl’eau à Nogent-sur-Marne puis lorsdes Fêtes de la mer à Brest où lesélèves étaient invités. Ne parlonspas de la fierté des gamins quichantaient à tue-tête des chansons demarins bretons, eux qui n’avaientpratiquement jamais vu la mer. Exitle rap. Ils ont appris à s’ouvrir à uneautre culture, celle de la Bretagne :ils ont accepté de se dégager de cequ’ils étaient pour s’ouvrir à uneréférence commune. La philosopheleur a lu un texte de Lévi-Strauss, surle relativisme culturel, et ce textedifficile, ils l’ont compris.

Pourquoi deux visitesextérieures ?

Daniel Véron : L’ensemble est unprojet cohérent et construit. Il nes’agit pas d’un gadget pour sortir lesélèves, mais d’offrir la possibilitéd’un cadre qui fasse réfléchir. Ainsi,la première année, sur le thème de"nature et culture", le philosophe afait sa première intervention dans lejardin suspendu au-dessus de la gareMontparnasse, ce qui permettaitd’introduire les questions du débat.

M.-C.N. : Pour le thème de laviolence auquel on avait rajouté unaspect : la violence et le corps, noussommes allés au Mémorial juif del’île de la Cité, en y associant leprofesseur d’histoire. L’année de laconstruction de la yole, nous sommesallés au Salon nautique. "C’est encoreplus beau qu’à la maison", a dit unélève, ce qui nous a permis d’aborderégalement le luxe et le rêve.

J.-P.Z. : Moi, je suis arrivé sur lethème "apprendre" dans un projetdéjà cadré qui ne nécessitait pas desortir. La professeur de techno avaitfilmé le stage d’apprentissage d’unegamine en boulangerie. Mon travaila été de réagir sur ces images avecles élèves.

D.V. : Peu importe le lieu,l’important c’est la façon dont il a étéchoisi et comment il est exploité etintégré dans le projet.

J.-P.Z. : Oui, tout à fait. Le regarddu philosophe permet de décrypter leréel et donc de faire découvrir larichesse du réel. Et puis surtoutd’essayer de communiquer auxélèves la jouissance qu’il y a àpenser. D’ailleurs les élèves ne s’ytrompent pas, ils abandonnent lelangage des banlieues Avec moi, audébut de chaque nouvelle séance, ilsreprenaient les notions abordées.

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Quels sont les textes quiont été étudiés etcomment ?.

M.-C.N. : Le mythe de la cavernefait partie des textes référents. Nous,nous l’avons lu puis dessiné et enfinjoué à l’aide d’un drap noir. Lephilosophe a démarré avec les

marionnettes des"Guignols de l’info"pour s’interroger surle réel et la manièrede le nommer, pourterminer sur laconnaissance. Plusgénéralement et plusclassiquement, les

textes sont commentés et les élèvesont leur classeur philo, mais ils neprennent aucune note.

Ce projet a déjà quatreans et s’étend à d’autresrégions, quels sont lesdysfonctionnementsobservés ?

D.V. : Les réalisations ne sont pastoujours aussi abouties ou aussispectaculaires. Il y a aussi unemarge d’erreur qu’il faut accepter.D’ailleurs, le carré mis à ladisposition des équipes poursymboliser leur travail est difficile àutiliser. Certains n’y arrivent pas.C’est un objectif qui fixe un cadre,qui clôt et matérialise l’expérience.Ainsi, sur le thème de la violence, lesélèves de la SEGPA du collègeRoger-Martin-du-Gard d’Epinay-sur-Seine ont construit dans leur carré unarbre à palabres : des feuilles rougespour les violences négatives (sebattre, agresser), des feuilles bleuespour les violences positives(défendre, survivre) et des feuillesjaunes pour les droits. Les règles dedépart tentent de définir la place dechacun et de permettre des

interactions. L’enseignant connaîtson public et est censé gérer laclasse, le philosophe a des outils et leprojet est celui de la classe. Il y a uncas où ça ne marche jamais : quandl’enseignant et sa classe nefonctionnent pas ensemble, c’est-à-dire quand l’établissement a malconçu la SEGPA, qui devient uneclasse dépotoir.

J.-P.Z. : Le problème et les limitesde ce projet ne sont-ils pas qu’ondonne aux jeunes le goût de quelquechose dont ils vont être privés ? Peut-être la notion de choix restera-t-elle ?

M.-C.N. : Je pense que cela va bienau-delà du quantifiable. Ce projetleur apporte la possibilité de changerleur rapport au savoir et, du mêmecoup, aux autres.

Alain Berestetsky, directeur de laFondation 93, conclut : Le succès de"Carré de nature, carré de culture"pose fortement la question del’ambition des propositions d’actionculturelle en direction des publicsscolaires dits sensibles ; au fil desséances, les élèves sont invités àsortir de l’instantané dans lequel ilsfonctionnent pour contribuer àl’élaboration d’une pensée collective.Le parrain philosophe déminepatiemment le champ des certitudespour transformer celles-ci eninterrogations. Cette mise enrelation, que chacun fait à l’autre parl’écoute et la parole, est entretenuepar un dispositif de débat qui pacifiemomentanément la violenceomniprésente dans le parcoursindividuel des élèves. Ils acceptentde se dévoiler autour de conceptsdont l’enjeu purement scolaire et lanotation qui y est attachée leursemblent absents. La philosophiepour ce qu’elle représentehabituellement d’interdit pour cesjeunes devient pour eux un véritable

pari, donc un véritable but.Opération de "contrebande" oùl’enseignant joue pleinement sonrôle, "Carré de nature, carré deculture" transmet "en douce" de laconnaissance et de la méthode, touten restant une pure opérationd’action culturelle. Nous essayonsmodestement d’atteindre ce point denon-retour qui devrait être le but quese fixe toute action culturellecréative, qu’elle soit scientifique,artistique ou autre.

Chercheurs d’art et descience

Tout d’abord, l’opération "Chercheursd’art et de science" semblait un peufolle : comment raconter à des élèvesde CM2 ou de 6ème les grandeshistoires de nos origines et autresnotions complexes habituellementréservées aux étudiants del’université ? Mais le pari des artistes,des scientifiques et des enseignantslancés dans cette aventure pourpassionner les élèves est réussi.

A l’origine

L’opération baptisée "Chercheurs d’artet de science" fut initiée durantl’année scolaire 1996-1997 par laFondation 933 en partenariat avecl’Ecole nationale d’arts de Cergy et leMuséum national d’histoire naturelle.Elle s’engageait à raconter à des élèvesde CM2 ou de 6ème les grandeshistoires de nos origines, l’histoire ducosmos, celle de la vie sur Terre oucelle des origines de l’homme, grâce àla collaboration entre artistes,scientifiques et enseignants pourpassionner les élèves et leur permettred’aborder des notions complexeshabituellement réservées auxétudiants de l’université.

3 Cf. page 331 de la présentation de la Fondation 93.

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Quatre ans plus tard, "Chercheursd’art et de science" s’est développée.Des opérations similaires, mises enœuvre par des partenaires divers(CCSTI, FOL, services municipaux,écoles d’arts…), ont été lancées dansd’autres académies comme à Annecy,Cergy, Clermont-Ferrand, Lons-le-Saunier, Lyon, Perpignan, Poitiers…Elles ont prouvé que, loin d’être lefait d’un savoir-faire ou d’un tour demain spécifique à la Fondation 93,l’opération était facilement trans-posable. Les nouveaux partenairesl’ont enrichie et l’ont adaptée à leurspublics, à leur région.

Un récit et un débat

Un(e) comédien(ne) vient dans laclasse raconter une histoire à proposde la vie sur Terre ou de l’origine del’homme. Ce récit a été écrit par unécrivain comme Pierre Pelot, et unscientifique comme Michel VanPraët, professeur au Muséumnational d’histoire naturelle, ouPascal Picq, maître de conférencesau Collège de France. Cette lecturedure environ vingt minutes enprésence du scientifique et del’artiste qui parrainent la classe toutau long de l’année. Elle est suivied’un débat entre les élèves et lesintervenants.

Une visite sur le terrain

Par la suite, les élèves, toujoursaccompagnés de leurs deux parrains,visitent soit la grande galerie del’Evolution, soit le musée del’Homme ou tout autre lieu traitantdu sujet. Cette visite, qui suit lalecture, est guidée par le parrainscientifique de la classe et complèteles réponses apportées lors du débatinitial, tout en suscitant de nouvellesquestions.

Définition du sujet detravail

A l’issue de ces deux premières phasesde découverte du sujet, l’enseignant,ses élèves et les deux parrains(scientifique et artiste) définissent leprojet de la classe. Comment aborderl’histoire : la transition animauxmarins-animaux terrestres ; lanaissance et l’évolution des plantes oucelle des hommes ; l’évolution desanimaux dans le futur … ? Et commentrestituer ses connaissances : expositionde peintures, sculptures ou dessins,installation, film vidéo … ? Le choixest libre, mais les trois partenaires(enseignants et sa classe, artiste etscientifique) doivent valider le projet.

Les ateliers

Une dizaine d’ateliers scientifiqueset artistiques, dans les classes et/ousur le terrain (Muséum par exemple),sont organisés. Ils sont animésconjointement par l’enseignant et lesdeux parrains (scientifique et artiste).Lors de ces ateliers, les élèvesapprofondissent leurs connaissancesscientifiques et construisent leurprojet de restitution finale. A l’issuede ce travail, la restitution est validéepar les deux parrains qui garantis-sent la cohérence du propos tant dupoint de vue scientifique que dupoint de vue artistique.

Présentation du travail

Le travail de la classe est présenté enfin d’année à un public extérieur à laclasse (autres groupes d’élèves,parents, exposition publique…).Lors de cette présentation, les élèvesdoivent expliquer au public leurdémarche et leurs choix dereprésentation.

Alain Berestetsky, directeur de laFondation 93, note, à l’issue de cettebrève présentation, qu’on avaguement l’impression d’avoirinventé l’eau tiède, tellement cetteopération repose sur des basessimples : offrir aux enfants quiveulent découvrir le monde quelquesrepères et quelques éléments deréponse à la question des origines.Donner au récit une place centrale.Faire travailler l’art et la scienceensemble en les plaçant à égalité.Donner, à l’issue du parcours, lapossibilité à chacun des élèvesd’exprimer publiquement ce qu’il aressenti et retenu. Définir, enfin,avec précision la place et le rôle dechacun des partenaires (enseignants,artistes, scientifiques et élèves).

Chercheurs d’art etde sciences

Un dossier complet aété publié en février2001 par les Cahierspédagogiques (n°391).

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Compte-rendu d’expériences pédagogiques de prévention

des assuétudes au sein de l’école technique etprofessionnelle communale Pierre Paulus à Saint-Gilles

Michèle Coppens

Cette école technique et professionnelle, en discrimination positive,accueille plus ou moins 350 élèves, principalement issus del’immigration. L’établissement est ponctuellement confronté à certainsproblèmes liés aux assuétudes.Dès 1997, l’école entame des projets dans le cadre de la prévention destoxicomanies.L’opération menée en 2000-2001 est donc la suite de cette action menéeen partenariat avec Infor-Drogues et quelques autres écoles (l’Institut dela Providence et l’Ecole Sainte Marie ainsi que le Lycée Guy Cudell).

Le projet : organiser un événement festif,marquant et mobilisateur pour une réflexiondurable autour du thème "Dépendance(s) /Autonomie(s)".

Les objectifs : - Faire réfléchir les jeunes et les adultes aux différents

mécanismes susceptibles d’engendrer de ladépendance (amour, alimentation, bandes, discours,drogues, G.S.M., idéologies, internet, modes, marques,télévision, travail).

- Initier une réflexion en groupe sur les facteurspersonnels et contextuels favorisant l’autonomie àl’égard de ce qui nous rend dépendants.

- Le projet s’intègre dans le Projet d’Etablissement de P.Paulus à savoir "la prévention et l’insertion sociale etprofessionnelle" dans le sens où il impliquedirectement les jeunes dans une réflexion-expressionautour de la thématique Dépendances / Autonomies.

Les actions :- Cibler les classes du premier degré encadrées par des

professeurs volontaires. Toutefois, chaque professeurdésireux de s’investir avec une classe peut choisir untravail de réflexion - action avec sa classe.

- C’est ainsi que les élèves de 6ème P. Moniteurs, ayantréalisé un carnet de B.D. lacunaires (en 1999-2000),exploiteront cet outil dans les classes participantes auprojet 2001-2002.

- Une évaluation et une synthèse de cette enquêteexpression sera réalisée en collaboration avec le P.M.S.

- Le thème sera abordé par les enseignants dansdifférentes matières (voir annexes) durant une semainede façon à exploiter de manière croisée différentesfacettes de la thématique.

- L’organisation d’une journée "Evénement" (qui sedéroulera simultanément dans trois des écolesparticipantes) afin de permettre une présentation dutravail aux autres écoles participantes ainsi qu’aux

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1 Merci à Christiane Dehouck qui m’a accueillie et m’a fourni sa documentation, ses photos, son cahier des " traces " qui m’ont permis de reconstituer cesexpériences aux multiples facettes.

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parents. Cette journée sera organisée à P. Paulus surbase d’une expérience "démocréativité" déjà menée ausein de l’école.

Les outils exploités : La vidéo, les peintures, les graffitis, les collages, lesscénarios, la photo, le théâtre, le journal.

Le déroulement :Ce projet trouve son origine dans un groupe de réflexionconstitué par des enseignants : le groupe "Circulaire" enréférence à la circulaire envoyée par Pierre Hazette auxécoles de la C.F. (celle-ci concernait la prévention desassuétudes) mais en référence aussi au fait qu’au sein dece groupe, la parole "circulait" librement etabondamment ! Très vite, la question s’est posée de savoircomment dépasser le stade des discussions pour arriver àmener des actions concrètes sur le terrain de l’école etaussi la question de savoir comment intéresser etmobiliser les jeunes.

C’est alors qu’Infor-Drogues leur a proposé une piste deréflexion – action autour de la thématique Dépendances /Autonomies. Une équipe de professeurs et d’éducateursvolontaires s’est constituée et un professeur de scienceset de mathématiques, Christiane Dehouck, coordonne leprojet au sein de l’établissement.

Avec l’aide de la médiatrice scolaire, une information etune préparation a lieu avec les élèves par l’intermédiairedes délégués. Des réunions de concertation sontorganisées au sein de l’école avec Infor-Drogues.

Le démarrage de la " réflexion – action " avec les élèvespourrait se situer à l’issue d’un brainstorming sur lesdépendances quand des élèves proposent d’organiser unévénement festif.

En parlant des différentes formes de dépendances, lesélèves évoquent des dépendances auxquelles on ne pensegénéralement pas : les marques, la mode. C’est ainsi quel’idée a germé d’organiser une parodie de défilé demode où chacun pourrait exprimer sa réflexion en créantun costume composé d’images, de symboles évoquant demanière forte et créative le thème.

C’est ainsi que sont nées une série de personnificationsdes diverses dépendances et des moyens de s’en libérer :amour, médicaments, G.S.M., cigarette, chocolat, argent,etc.

Le défilé fut présenté à la Maison du Livre à Saint-Gillesen mai 2002.Il fut un événement réussi tant pour les élèves et lesprofesseurs que pour les visiteurs.Préparer un tel défilé a permis certainement d’être créatifcar il fallait tout faire : imaginer, négocier les idées,façonner les costumes et chapeaux, écrire les textes deprésentation.

Un exemple : le mot "préservatif" fut classé par les élèvesdans la colonne des "autonomies" mais personne ne sedécidait à s’en emparer afin d’en faire quelques chose decréatif pour le défilé. C’est finalement une jeune filleenceinte qui s’est décidée à en faire un chapeau et touss’y sont mis pour l’aider à concrétiser l’idée.

C’est au-travers d’actes comme celui-là, minimalistes enapparence, que l’on peut mesurer la transformation desreprésentations des jeunes à propos, ici, de la sexualité ;réaliser ce chapeau avec des préservatifs est devenu unacte libérateur pour le groupe qui l’a fait et peut- êtreaussi pour ceux qui l’ont vu, car ce sont des jeunes quiparlent, servent d’exemple à d’autres jeunes.

Une autre réalisation originale des élèves de la 3ème à la6ème consistait en un "Patchwords" de mots quiparlaient d’autonomie et de dépendance sur un supportde tissus et de perles.

Il y eut également une exposition qui proposait unesérie de panneaux illustrant à travers différents thèmes, lamême recherche autour de "dépendance/autonomies".

Cette expo fut le fruit d’une réflexion collective des élèveset le fil rouge en fut le non-jugement : "dire qu’une telleattitude est bonne ou mauvaise ne fait pas avancer laréflexion ; car dans ce domaine il n’y aura jamais decertitude tant la dualité dépendance / autonomie fait toutsimplement partie de la condition humaine."

Cette exposition invite chacun à revisiter son quotidiensous cet angle binaire. Même les produits les plusaccrocheurs (tabac, alcool, drogues illégales) présententune facette d’autonomie : " faire comme les grands ".

Par contre, la voiture, le G.S.M., la mode apparaissentsouvent comme des produits, symboles de liberté etd’autonomie alors qu’ils nous rendent aussi dépendants.Il n’y a pas de produits de consommation qui sont à l’abride la dépendance et tout le monde est concerné (autantles adultes que les jeunes) semble être le messagedominant que ces jeunes ont voulu faire passer.

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Cette expérience, plutôt que de ressasser les mêmesconstats d’échecs paralysants et démobilisateurs, apermis aux professeurs et aux élèves de se mettre autravail.

Non seulement ils ont cerné les dépendances, ils les ontexprimées mais ils se sont exprimés et en travaillant cetteexpression de façon diversifiée, ils sont devenus desacteurs culturels.

Ils ont agi et cela a parlé à d’autres jeunes qui sont venusvoir leurs réalisations.

"En voyant cela, j’ai compris que j’étaismoi aussi dépendante au chocolat".

"Je ne me rendais pas compte que lanourriture pouvait aussi faire partie desdépendances".

"On est tous consommateurs de cesproduits, mais à des degrés différents"

"Cela a changé notre vie dans l’école,on avait de l’enthousiasme, on s’estentraidé, on était fiers de nous."

C’est le plus important peut-être, que ces actions donnentdu sens à l’école et du bonheur d’être ensemble.

En 2002, la réflexion s’est poursuivie et l’objectif fut cettefois la réalisation d’une fresque murale dans le préaude l’école.

Après une réflexion commune entre le Centre scolaire P.Paulus et Infor-Drogues l’idée d’aménager le préaus’imposa : le lieu n’était pas agréable, l’acoustique trèsmauvaise rendait les récréations peu relaxantes.La section Construction métallique - soudage réalisa despanneaux d’insonorisation et les plaça sur le plus grandmur du préau avec le projet de les recouvrir d’uneimmense fresque.Christiane Dehouck fit appel à la Fondation JacquesGueux et l’artiste Jihef se mit à travailler avec une équipede 6 jeunes, différente chaque jour. Les élèvesparticipants étaient tous volontaires.

La préparation :

Le groupe " Circulaire " s’est réuni à plusieurs reprisespour réfléchir à l’articulation entre ce projet " fresque " etle travail accompli durent les années précédentes.

Des lignes directrices ont ainsi pu être établies : entendrel’avis des élèves sans jugement tout en ayant un échangesur les valeurs et les principes à mettre en avant dans leprojet ; pouvoir retravailler certaines idées dans le groupeclasse avec les professeurs relais ; discuter des critères deréalisation (faisabilité des différentes propositions, limitede temps, souci d’harmonie à préserver à traversl’ensemble de la fresque) ; rappeler qu’avant d’être unprojet artistique, il s’agit d’un projet de prévention quidoit permettre à la fois l’expression mais aussi laréflexion; éviter les idées exprimant une opinion troptranchée, privilégier au contraire les idées d’ouvertureafin de favoriser la réflexion des spectateurs.

En bref, les critères de sélection seront artistiques et enrapport avec l’objectif : transmettre la vision des jeunesde l’école (par rapport à leurs autonomies et à leursdépendances) et créer un véhicule de réflexion : " un murqui génère la parole ".

Trois thèmes récurrents sont apparus dans lespropositions des élèves.Le cannabis, choisi par un seul groupe d’élève, aprovoqué des débats au sein de l’équipe éducative :notamment un dessin représentant un jeune qui fume arencontré l’opposition de certains enseignants, à quoi lesjeunes ont répondu qu’on fume ou non, le cannabis est unsujet de préoccupation pour tous, tous ont un choix à fairesur cette question et il n’est donc pas salutaire del’ignorer.

Les jeunes ayant réalisé ce graffe l’ont mis en balanceavec le sport qu’ils ont qualifié du mot " bien " en arabe.

Un autre graffe représente la dépendance à la vitesse cardeux jeunes, dont un de l’école, se sont tués en faisant descourses de voiture la nuit.

Sur le plus grand mur, il y a un graffe sur l’école,représentée en quelque sorte comme une " mécaniquequi broie ".

Eparpillés sur les 3 murs, on peut lire en arabe les mots :"Tolérance", "Egalité", "La connaissance est lumière,l’ignorance est obscurité", " Quoi qu’il advienne, l’avenirnous appartient", "Nique les pas contents" et les jeunesont signé.

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Les graffes témoignent non seulement des préoccupationsdes jeunes mais interpellent également les enseignants.Certains doutaient que le graffe soit un bon moyen pourexprimer des réflexions sur les assuétudes, d’autresregrettaient l’assimilation possible au tag souvent associéau vandalisme. D’autres encore s’interrogeaient sur lerespect du travail accompli.

Cela a-t-il changé des choses dans l’ambiance del’école ?

Pour Christiane Dehouck, cela ne fait pas de doute car lesélèves ont été responsabilisés par rapport àl’aménagement de l’espace préau, on constate qu’il y amoins de crachats, de canettes écrasées sur lesplafonds…

"Ce mur suscite beaucoup de dialoguesentre les jeunes et nous, du respect etune reconnaissance ".

Lors du vernissage, un éducateur a faitune démonstration de danse Hip Hop, iln’en fallait pas plus pour lancer l’idéed’un nouveau projet : un atelier Hip Hopsur le temps de midi….

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w120 Lu pour vous … Lu pour vous … Lu pour vous … Lu pour vous …

Interview de Brigitte Guilbau,auteur du livre "Les voix du Silence.",consacré en août 2002 par le prix Condorcet Aron,récompensant la recherche en pédagogie.Par Chloé Rocourt.

Déjà auteur en 1995 de "Voyage en pays oblique", textes etpoèmes sur la maltraitance, Brigitte Guilbau est professeur de

français, d'histoire et de morale dans le degré inférieur à l'Instituttechnique Henri Maus de Namur. En septembre 2002, les éditions Luc Pire publient son deuxièmeouvrage,"Les voix du silence", oeuvre à visée pédagogique.

- Quelle est l'origine de ce projet pédagogique?C'est en 1995 que j'arrive à l'ITCF Henri Maus et cette même année, j'aila chance de participer au fantastique projet que fut "Le train des 1000".Projet citoyenneté lancé par la Ville de Namur et ayant pour objectif defaire partir 1000 jeunes sur les lieux de mémoire des camps deconcentration d'Auschwitz et de Birkenau, à l'occasion du 50èmeanniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale.En préparant ce voyage avec les élèves, j'ai réalisé à quel point ils ne serendaient vraiment pas compte de ce qu'ils allaient aller voir! En adécoulé l'idée d'un vaste projet pédagogique d'éducation à lacitoyenneté à l'état pure.

- C'est-à-dire?J'entends par là, permettre aux personnes que rien ne prédispose à serencontrer, de se découvrir des valeurs communes, de s'apprécier et dese respecter; le rejet et la méfiance étant le résultat de l'ignorance. Dansun premier temps, mon but était de réunir des jeunes et des moins jeunesdans un projet commun, les réunir physiquement pour qu'ils aillent lesuns vers les autres et puis ensemble, vers d'autres encore. C'est ainsique se sont retrouvés réunis des jeunes de l'enseignement général,technique et professionnel, de l'ensemble des cours philosophiques, dela 3ème à la 7ème année! Le thème central était "TOUT COMMENCEQUAND LE PRINCIPAL DÉFAUT D'UN HOMME EST D'ÊTRE NÉ." Suite à cela, les expériences, les découvertes, les échanges se sontenchaînés et multipliés au fil des années scolaires et j'ai pu constaterque beaucoup de documents sont proposés aux niveaux primaire etnormalien, aux scientifiques, mais que très peu convenaient auxadolescents, à cet âge fragile de la construction des valeurs. C'est ainsique pour appuyer les préparations de fond des projets successivementmenés, j'ai commencé à écrire.Je tiens ici à préciser une chose, mon but n'est en aucune façon deremplacer des témoignages irremplaçables mais au contraire, d'y amenerles jeunes, dans le respect de leur construction mentale.

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121Lu pour vous … Lu pour vous … Lu pour vous … Lu pour vous …

- Il existe pourtant de nombreuses sourcesdiversifiées?Oui, tout a fait, mais j'ai remarqué en parlant avecles jeunes, qu'on les avait fait réagir en leurmontrant soit des images de charniers, soit des filmssanguinolents ou encore des témoignages écrits. Or,le but recherché n'était pas atteint, pour la simple etunique raison que leurs réactions dépassentrarement le stade du fictionnel, le goût du morbide,le sensationnel et qu'il n'y a pas vraimentd'authentique prise de conscience, ex: ce n'est pasun tas de 1000 hommes mais 1000 fois un êtrehumain! J'aurais tendance à dire qu'il y a rarementempathie, historicisme (analyse de l'actualité parrapport au passé).C'est ainsi que j'ai réalisé que les élèvesn'accrochaient pas aux textes historiques ouscientifiques, aux témoignages. Il fallait donc que ladémarche soit différente, que celle-ci incite lesjeunes à aller d'eux-mêmes vers le témoignage oul'histoire et non l'inverse!Et c'est en tant que professeur de français et decours philosophique que j'ai tenté de mettre au pointun document qui englobe les différentesc o m p é t e n c e s t r a n s v e r s a l e s p r o p r e s àl'enseignement.

- Comment t'y es-tu prise pour éviter lesécueils des autres méthodes?Il fallait que le but et le public visés soient biendéfinis dès le départ puisqu'il s'agit d'ouvrir le débatet de susciter les interrogations. Il était égalementessentiel que chaque texte proposé aborde un thèmeprécis.

- Quelle différence y a-t-il entre les textes que tuproposes et les autres, ayant moins d'impact?C'est délicat et les termes difficiles à trouver! Lestémoignages, comme je l'ai déjà dit, sontirremplaçables lorsqu'on aborde ces thèmes. Lestextes proposés se veulent complémentaires, ilsdoivent permettre aux professeurs, à leurs élèves ouà toute personne intéressée par une démarchecitoyenne, d'aborder ce sujet très difficile en passantpar la préparation intellectuelle et émotionnelleindispensable à une prise de conscienceauthentique. Le public cible étant évidemment desadolescents de 14 à 16 ans, sur les bancs de l'écoleet non des adultes avertis et en demande!

- Donc l'objectif de ces écrits est de préparerle terrain?Exactement, le terrain de la conscientisation!

- Penses-tu y être parvenue au travers de tonouvrage?J'utilise ces textes depuis 4 ans. Je sais toute leurportée.

- Mais en quoi ces textes sont-ils plus"efficaces" que les autres?Je ne sais pas répondre. Je ne dis pas qu'ils sontmieux que d'autres, mais l'expérience que j'en aifaite, dans de multiples circonstances, m'a donné lacertitude qu'ils passent, qu'ils marquent, qu'ilsdisent et qu'ils remplissent efficacement le rôled'ouverture au dialogue, à la réflexion, à laconscientisation.Ce sont des tremplins à l'ouverture d'esprit vers toutle reste.

- Doivent-ils s'accompagner d'uneméthodologie spécifique?Ils sont destinés aux professeurs de français, descience humaine, de cours philosophiques, de la3ème à la 7ème année. Chaque page contient desinformations pour l'enseignant et en fin de livre, unebibliographie et une vidéographie très sélectivepermet à tout un chacun de se constituer une valisepédagogique à moindre frais.

- As-tu accompagné tes textes d'exemples?Volontairement non. Je fais confiance auxcompétences des collègues, à leur sensibilité et cedans leurs domaines respectifs. Sur chaque page il ya un texte et des photos à rapprocher. Le but étantde t rava i l l e r l es mots de vocabula i re ,l'introspection…

- Autour de quel thème tournent les "voix" deton bouquin?Ce sont les voix qui ses sont tues, celles qui ne sontjamais revenues, celles qui ne peuvent plustémoigner.

- D'où viennent-elles alors?De mes perceptions sur ce qui n'est plus, et qui, àcause de la folie des hommes, n'aurait pas pusubsister, n'avait aucune chance. Ceci dit, rien n'estinventé. Je ne suis que la main qui retranscrit ce quel'oreille a recueilli et ce que le cœur a ressenti. Lestextes retracent le périple de quelqu'un, du début àla fin. Le souci premier est qu'au-delà du récit, onne soit aucunement enfermé dans un lieu, uneépoque, une individualité; donc parfois la voix estcelle d'une femme, d'un homme, d'un enfant, car aufond, c'est la même histoire.

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122 Lu pour vous … Lu pour vous … Lu pour vous … Lu pour vous …

- D'un point de vue scolaire, peut-onprendre tes textes et les travailler, auhasard d'une page ouverte?C'est assez délicat. Tout est dans unelogique. Notamment celle de vies voléesau nom d'une norme arbitraire, c'est ainsique toutes les voix sont différentes etpourtant elles se font suite, ce qui les unic'est l'innommable parcours…Alors, prendre un page au hasard,pourquoi pas, tout dépend de l'usagequ'on en fera, un appui ou un outil à partentière.

- Quand sort ton livre?Il sort normalement début octobre, auxéditions Luc Pire, disponible en librairieet grandes surfaces. Je voulais que lejeune ait entre les mains un bel outil livre,c'est pourquoi il sera de très belle qualité,pas cher et d'un format de 20 cm sur 22pour l'esthétisme et l'utilité.

- Tu as déjà d'autres projets?Oui, bien sur, dans un tout autre registre.

EXTRAITS:

"Les photos, prises à Auschwitz et Birkenau sont principalement des"

close-up ", des détails d'ambiance qui sont autant de regards posés.

Bref, ce recueil est intimiste et c^st dans cet objectif que vous devez

l'utiliser, de cette manière que vous parcourrez ensemble un des

camps de la haine, un des territoires de la Mémoire, symbole de tous

les autres.

Parce que si ça s'est passé là-bas, hier , Ça se passe aujourd'hui,

ailleurs, Ça pourrait se passer chez nous, demain.

Hier istkein warum, évoqué par Primo Lévi, c'est la terrible dimension

du pédagogue face aux jeunes qui abordent cette page de notre

Mémoire collective.

Hier istkein warum, c'est Auschwitz qui vous engloutit dès votre entrée.

Hier istkein warum, c'est Auschwitz qui nous renvoie vers nous-mêmes.

Hier istkein warum, c'est le trou noir,de nos certitudes, l'absolue réalité,

l'immonde qui s'est passé, hier et ne cesse de s'enfanter.

Je devais, nous devrions tous, avoir la simplicité de reconnaître notre

vulnérabilité d'homme devant ceux que nous souhaitons former à la

citoyenneté.

Je me suis trouvée dépositaire d'une histoire qui ne m'appartient pas

mais dans la lignée de laquelle je suis inscrite.

Défendre la vie, c'est l'aimer ..."

A toi

Petite au regard perdu.

Symbole d'hommes sans vertu.

Petite fille, petit enfant,

Assassiné par des plus grands.

Mon ventre crie,

Mes tripes hurlent

Sous ton regard où tout bascule.

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Lu pour vousInterview de Xavier De Schutter,

pour la parution de son dernier livre :

"LES METAMORPHOSES DU DIVIN – Essai de théographie",Espace de Libertés, Editions du CAL, Collection Laïcité, 2002,400 pages, 29 illustrations.Par Gilberto Castorini.

L’auteur, philologue classique et historien des religions, signe avec ce livreune étude remarquable dont on sort enrichi. Loin d’un exposé

chronologique, il ouvre de multiples perspectives sur le divin à travers lestemps et les régions. Cette phénoménologie des religions, combinée à uneanalyse historique comparée, nous invite littéralement à mettre entreparenthèses nos convictions pour traverser ces métamorphoses qui ponctuentle chemin de l’humanité.En guise d’invitation à la lecture, nous avons pu poser quelques questions à X.De Schutter. Il ne s’agit pas d’une synthèse de son essai. Plus modestement,l’interview que nous reprenons ici est un échantillon de ce parcours intimementobjectif et ouvert que nous propose l’auteur.

E.V. : Qu’est-ce qui vous a poussé à consacrer un livre au divin et, plusprécisément, à ses métamorphoses ? XDS : Depuis que je m’intéresse à l’histoire des religions (depuis près de vingt ans),

je n’ai cessé de comparer les multiples façons dont l’homme a conçu le divin.L’histoire de l’idée que l’homme s’est faite du divin résume des millénaires

d’efforts au cours desquels l’imagination s’est montrée particulièrement prolixepour forger une représentation adéquate de l’indicible. Combien de fois Dieu

n’a-t-il pas changé de nom, de visage, d’attributs pour s’adapter auxexigences toujours nouvelles de ses adorateurs versatiles ? Avec quelleastuce n’a-t-il pas usé de son étonnante faculté de métamorphose pour sauversa crédibilité menacée ! Il fut tour à tour Mère tellurique et génitrice, Père

céleste et cosmocrate, Verbe conjugué à tous les temps, celui qui était, est etsera, Souffle créateur, Esprit, Amour, Rédempteur, Juge, tantôt Unique, tantôtmultiple, voire triple, etc. Il accepta de se personnifier en revêtant tous lesmasques dont les hommes l’affublèrent. Il ne répugna pas à se faire minéral,végétal, animal, il se fit homme, éternel enfant, adulte au faîte de sa puissance

immortelle ou vieillard à la barbe chenue...

Dieu est un être protéiforme dont la faculté de métamorphose n’est restreinteque par les limites de l’imagination humaine. Comme le serpent faisant peau

neuve, il ne cessa de muer et chaque nouvelle mue engendra une nouvellefigure archétypale parfaitement adaptée à l’époque qui la vit et la fitnaître. Il est l’Immuable en perpétuelle mutation.inte

rvie

w

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Quiconque, croyant ou non, embrassant du regard lesmillénaires durant lesquels Dieu modifia sa silhouette,doit reconnaître que l’humanité s’est dépassée et a conçudes rêves sublimes chaque fois qu’elle a tentéd’accomplir cet exploit spirituel qui consiste à s’éleverjusqu’au divin. Voilà pourquoi l’histoire desmétamorphoses divines constitue à mon avis un champprivilégié d’investigation pour la connaissance que

l’homme peut acquérir sur lui-même.

EV : Quelles sont les premièrestraces du divin dans l’histoirehumaine ? XDS : Il faut bien distinguer d’une partles premières traces de la religion etd’autre part les premières traces dudivin. En ce qui concerne les plusanciennes traces archéologiques du

comportement religieux, elles remontent vraisem-blablement à l’Homo erectus : à en croire les découvertesde crânes soigneusement perforés en leur occiput, il n’estpas exclu que l’Homo erectus se livrait déjà à des ritesd’anthropophagie funéraire et rendait un culte au crânede ses ancêtres il y a plus de 300.000 ans. Il est en toutcas certain que l’Homme de Néanderthal enterrait sesdéfunts et leur adressait des offrandes il y a environ100.000 ans. La mort fut sans doute le premier mystèrequi engagea l’homme sur la voie de la religion : l’Homoreligiosus fut initialement un Homo sepeliens (du latinsepelire : enterrer dans une sépulture).

Quant à l’apparition du divin dans la pensée religieuse, leproblème est différent. Il est évident que nous ignoronsquand l’idée de Dieu ou des dieux a traversé pour lapremière fois l’esprit de nos aïeux préhistoriques. Lesrécits mythiques que les hommes du paléolithique seracontaient, à coup sûr, le soir au retour de la chasse etautour du feu, sont évidemment perdus à jamais. Il nousfaut donc renoncer à reconstituer une " protomythologie "de l’homme préhistorique. Toutefois, à défaut dedocuments écrits, l’Homo sapiens sapiens nous a livré despreuves incontestables de la richesse de son mondeimaginaire. Les plus anciennes traces archéologiqueslaissées par Dieu sur terre se confondent avec lespremières manifestations de l’art : il s’agit des gravures,statuettes et peintures vieilles de plus de 30.000 ans. Et,surprise, le divin y revêtait initialement tantôt l’aspectd’une grosse femme, la fameuse déesse stéatopyge (" auxfesses grasses ") qui symbolisait l’abondance, tantôt celuid’animaux en qui il est tentant de reconnaître les ancêtresdes divinités zoomorphes qui survécurent au sein despanthéons antiques. Tout porte à croire que les grandesfigures divines qui peuplent les panthéons étaient déjà en

gestation dans le silence des âges préhistoriques avantd’apparaître avec éclat dans les mythes de l’Antiquité.

EV : Est-il vrai que le monothéisme est unévénement relativement récent dans le parcoursspirituel des hommes ?XDS : Si l’origine des dieux -au pluriel- se perd dans lanuit des temps préhistoriques, l’origine du Dieu uniquepeut être avancée avec plus de précision car,contrairement aux religions polythéistes, lesmonothéismes se réclament toujours d’un fondateurhistorique. Pour l’aînée d’entre elles, il s’agit de Moïse,qui vécut durant la première moitié du 14e siècle, et desgrands prophètes bibliques, dont l’action s’échelonneentre le 9e et le 6e siècles avant notre ère. Cemonothéisme ne se borne pas à l’affirmation del’existence d’un seul Dieu, mais suppose en outre lanégation des dieux païens, considérés comme devulgaires idoles. Ainsi défini, le monothéisme esteffectivement un tard venu dans l’histoire des religions.

Cela dit, quasiment toutes les religions polythéistesrecelaient en elles des germes monothéistes : partout, ontrouve des clercs, des philosophes, des mystiques etmême des rois qui se sont détournés de bonne heure descroyances communes et ont hardiment placé le divin sousle signe de l’unité. Cependant, ces ébauches demonothéisme avant la lettre restèrent, pour les unes, sanslendemain et, pour les autres, s’arrêtèrent à mi-chemin etn’aboutirent qu’à une forme mitigée hésitant entre unpolythéisme réduit et un monothéisme inachevé. C’est parexemple le cas de la réforme monothéiste que le pharaonAkhénaton tenta, en vain, d’imposer à l’Egypte. C’estaussi le cas du culte impérial qui, dans la Rome antique,assimilait l’empereur au " Soleil invaincu " et que l’onpeut résumer en une formule : un seul maître dans le cielet un seul maître sur terre. Disons que l’institutionimpériale évolua en une monarchie absolue de droit divinjustifiée par un monothéisme solaire. Par ailleurs, lesvelléités monothéistes s’exprimèrent également dansl’hénothéisme antique : il s’agit de la volonté de mettre del’ordre dans la pléthore des acteurs divins et d’en réduirele nombre. L’hénothéisme consiste à élire un (hénos) dieuet à le placer au-dessus des autres divinités réduites austatut de divinités subalternes. Ainsi, le prophète iranienZarathoustra promut Ahura Mazda au rang de divinitésuprême sans pour autant chercher à éliminer les autresdieux. De même, le panthéisme stoïcien affirma qu’undieu suprême, en l’occurrence Zeus, est répandu à traversl’univers où il se manifeste en revêtant des aspects variésauxquels correspondent les dieux de la traditionpolythéiste, ceux-ci n’étant en quelque sorte que desémanations de celui-là. Ce sont autant de manifestations

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d’un monothéisme relatif et rudimentaire. On en trouveencore d’autres exemples dans les philosophies monistesparmi lesquelles je citerais le taoïsme (qui définit le Taocomme "un Etre indéterminé dans sa perfection, unique,immuable, omniprésent"), l’hindouisme (selon lequelseule existe la Réalité suprême, l’Un ou le Brahman, quitranscende le monde des apparences), ou encore lapensée moniste des philosophes présocratiques oud’Aristote (qui considéraient que tout procède de l’Un,"principe sans principe"). Le paganisme finissant avaitévolué en un monothéisme confus et éclectique où semêlaient l’hénothéisme, le transcendantalisme monistedes néo-platoniciens et le panthéisme cosmique desstoïciens, autant de courants qui s’enrichissaientmutuellement sous la poussée des aspirations mystiquesd’une époque à la recherche d’une nouvelle définition deDieu. Pour le dire en un mot, la prise de conscience del’unité fondamentale du monde divin malgré la diversitéde ses manifestations a précédé la foi monothéiste desreligions du Livre. Mais gardons à l’esprit que l’Un desphilosophes n’est pas l’Unique de la foi judéo-christiano-islamique.

EV : On a souvent tendance à voir dans laspiritualité orientale une "philosophie" ou une"sagesse" et dans la spiritualité de l’Occidentchrétien une "pratique" ou une "croyance". Quepensez-vous de cette distinction ?XDS : Méfions-nous de ce genre de simplification. Deuxremarques permettront de nuancer cette opposition entreun "Orient sage" et un "Occident croyant". Tout d’abord,quiconque a posé le pied en Orient a constaté que lepeuple s’y livre à une adoration quasiment fétichisted’innombrables idoles : l’Homo religiosus de Chine, duJapon ou d’Inde possède son panthéon, ô combienbigarré, et se livre à des rites plus ou moins sclérosés etrépétitifs. L’homme de la rue, celui de New Delhi ou deLhassa, ignore tout des hautes spéculationsmétaphysiques des sages retranchés dansleur monastère ou leur ashram. Il s’adresse àses idoles pour leur demander assistancedans le cours de la vie quotidienne. Quelledifférence entre cette "orthopraxie" et la foidu charbonnier si souvent décriée enOccident ?

Inversement, il serait facile de fournir denombreux exemples de chrétiens (ou dejuifs, ou de musulmans) dont la penséereligieuse a donné naissance à uneauthentique sagesse. Songez auxhésychastes orthodoxes, à Maître Eckhart,aux kabbalistes, aux soufis, etc. Il serait

absurde de réduire leur quête spirituelle à une simple"croyance".

EV : Le christianisme a mis longtemps à s’imposercomme religion officielle de l’empire en balayantles anciennes croyances polythéistes. Commentexpliquez-vous son succès qui en fait aujourd’huila religion la plus répandue sur la planète ? XDS : C’est une question difficile. Le christianisme esteffectivement resté religio illicita -on pourrait traduirepar " secte suspecte "- durant près de quatre siècles avantde s’imposer à Rome et à Byzance. Les causes de cesuccès sont diverses. J’en distinguerais au moins sept.

1° Il tirait de sa prétention à l’universalité (tel est le sensdu terme catholicos) une vitalité prosélyte que lejudaïsme, religion nationaliste réservée au seul peupleélu, ignorait volontairement. Le christianisme, c’est ensomme du judaïsme adressé à tous les peuples. Lacomparaison avec le mithriacisme est tout aussiéclairante. Le culte du dieu perse fut le grand rival duchristianisme durant les premiers siècles de notre ère,mais le mithriacisme ne pouvait prétendre à la mêmeuniversalité car, issu du milieu militaire auquel ilempruntait une large part de ses symboles, il excluaitde ses initiations la gent féminine. Par contre, lechristianisme s’adressait non seulement aux deuxsexes, mais en outre n’hésitait pas à se diffuser danstous les milieux sociaux et s’adressait aussi aux faibles,aux opprimés, aux esclaves.

2° Non moins importante pour sa diffusion parmi lesintellectuels de l’empire fut sa capacité de récupérer àson profit toute l’armature philosophique des Grecs eten particulier -grâce à l’œuvre de saint Paul- dudualisme platonicien. Jésus fut un juif dont la penséefut hellénisée. C’est en opérant cette (géniale) synthèse

du judaïsme et de l’hellénisme que lechristianisme acquit sa force de persuasion.

3° Reprenant à son compte le messianismejuif, il répondait aux espérances apoca-lyptiques de cette époque troublée : leMessie tant attendu, le Sauveur annoncédepuis si longtemps était enfin venu. Jésusconféra au thème messianique du Royaumedes cieux une actualité inédite. Le Verbes’était fait chair et avait connu la Passionpour sauver l’humanité. Il offrait aux âmesinquiètes une réponse réconfortante auxaspirations à l’immortalité en leurpromettant la résurrection.

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4° Certes, l’Antiquité avait connu d’autres divinités -agricoles ou solaires- qui mouraient et renaissaient etdont l’alternance de vie et de mort laissait entrevoir àleurs adeptes l’espoir de renaître eux aussi, mais leChrist se distinguait par un trait hautement original :c’est par amour qu’il avait accepté d’être conduit ausupplice ; le sacrifice du Dieu Rédempteur avait étévolontaire. Le christianisme proposait à l’individul’adoration d’un Père rempli d’amour et de miséricordeà son égard. Cela, le paganisme ne l’avait pas imaginé.

5° Un autre élément conférait à la passion du Christ uncaractère inédit : son enracinement dans l’histoire. Lapassion des dieux païens se perd dans la nuit destemps mythiques rebelles à toute datationchronologique. En revanche, les événements rapportéspar les Evangiles eurent lieu sous le règne de Tibère,dans un passé encore tout frais, et les premierschrétiens avaient d’abord été les compagnons duChrist. Pour le dire autrement, c’est l’incarnation duVerbe qui fait du christianisme une religion sui generis: en se faisant chair, Dieu s’est totalement engagé dansla condition humaine. L’idée que le Tout Autre ait pupasser entre les cuisses d’une femme (vierge, il estvrai) pour endosser notre condition humaine est uniquedans l’histoire des métamorphoses divines. Etcertainement pas étrangère à son succès.

6° La victoire des chrétiens ne fut assurée que lorsqu’ilsparvinrent à rallier à leur cause le pouvoir temporeldes empires romain et byzantin. La conversion deConstantin en 313 est fondamentale à cet égard. Apartir de cette date, le christianisme (qui comptait déjàbon nombre de martyrs) sut tirer profit de cet appuiautoritaire. Le Dieu que Jésus avait présenté commecelui des humbles et des faibles s’imposa en devenantl’allié des puissants. Ce n’est d ’ailleurs pas le moindreparadoxe d’une religion prônant l’amour entre leshommes de devoir une large part de son triomphe à unepolitique alliant l’autel et le trône, la croix et l’épée.

7° Enfin, la diffusion du christianisme hors d’Europe estlargement liée à l’européanisation de la planète à partirdu 16e siècle : les explorateurs, conquistadores etautres colons répandirent la culture européenne, nonseulement ses langues mais aussi sa religion, sur toutela surface de la terre. Savez-vous que, en termesdémographiques, les cinq premiers pays chrétiens dumonde sont, par ordre décroissant, le Brésil, leMexique, les Etats-Unis, l’Italie et les Philippines ? Unseul est européen : désormais, l’avenir duchristianisme ne se joue plus dans le Vieux Monde.

EV : On distingue, habituellement, trois religionsdu Livre : le judaïsme, le christianisme et l’Islam.Est-ce exact ? XDS : Il est pratique de regrouperces trois religions sous le mêmelabel car toutes trois sontabrahamiques : entre Yahvé, Dieule Père et Allah, il y a certes desdifférences notoires, mais il y aaussi une continuité, une véritableparenté (qui, soit dit en passant,rend encore plus absurde lesconflits religieux entre cescommunautés !). Cependant, il nefaut pas en conclure que ce sont làles seules religions du Livre.Prenez le sikhisme, par exemple :cette religion, née au 16e siècle àla suite d’un syncrétisme entrel’hindouisme et l’islam, mérite,plus que toute autre, le titre de "religion du Livre ". En effet, ledernier des gourous qui dirigeaientla communauté sikh disparut au18e siècle sans laisser desuccesseur et depuis lors le gourouéternel des sikhs est le gourouGranth, c’est-à-dire leur Livre saintconservé dans le Temple d’Ord’Amritsar au Punjâb. J’ai eu lachance d’assister à deux reprises àun rituel sikh (une fois à Bruxelleset une fois en Inde) : tout le culte serésume à la lecture et aux soinsapportés aux 1430 pages et aux3384 hymnes du Granth. Lesfidèles le couvrent de pétales defleurs, l’éventent avec des plumesde paon et l’enrobent de tissus précieux... Plus qu’unereligion du Livre, c’est presque une "bibliocratie" ! Parailleurs, l’hindouisme et le bouddhisme possèdent euxaussi leur recueil de textes sacrés. En Inde, on considèremême que le Véda (sorte d’Ancien Testament del’hindouisme) a été entendu à l’aube des temps par lesprophètes rishis qui se sont bornés à le répéter tel un écho.

EV : Les guerres de religion ponctuent l’histoire.Le dialogue entre les religions vous semble-t-ilpossible ou bien l’intolérance est-elle enracinéedans la pensée religieuse ?XDS : A priori, nous pouvons émettre l’hypothèse qu’ontrouvera des hommes de bonne volonté au sein de chaquereligion. En théorie, le dialogue devrait donc être possible.

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Dans la pratique, force nous est de constater que les religionsont tendance à s’enfermer dans un monologue plutôt qu’àchercher un réel dialogue, source d’enrichissement puisqu’ilsuppose la remise en question de soi.

La capacité d’ouverture au dialogue dépend, me semble-t-il, de deux facteurs. Le premier facteur est la façon dontle fidèle vit sa religion et interprète les textes : soit avecélévation d’esprit et en recourant à une lecturesymbolique, soit en prenant les textes au pied de la lettrecomme le font les fondamentalistes, c’est-à-dire enoubliant que le langage religieux est avant tout un langagesymbolique. Dans ce cas, le croyant enferme Dieu dansune définition figée, aussi rigide qu’un carcan. Lesymbole, par nature équivoque, devient alors signeunivoque. Il y a là appauvrissement. Un appauvrissementqui me fait songer à cette phrase de Goethe : " Tel estl’homme, tel est son Dieu : c’est pourquoi Dieu se fit sisouvent ridicule ". Prenons un exemple précis : le jihad.Il se laisse interpréter de deux façons : tel musulman yverra un appel à la guerre sainte contre les infidèles dansle but d’étendre ce que les musulmans appellent le dar-el-islam (la maison de l’islam), mais tel autre musulmaninterprétera le jihad comme une lutte intérieure contre lesmauvais penchants que l’on a en soi. Le jihad sera doncsoit une justification de la violence, soit une quêtespirituelle. Autrement dit, la même religion sera tantôtouverte tantôt fermée à l’autre.

Par ailleurs -c’est le second facteur-, il me semble quecertaines religions sont plus enclines au dialogue qued’autres. Parmi les religions ouvertes au dialogue, jeciterais surtout les anciens polythéismes. Il ne seraitjamais venu à l’esprit d’un polythéiste, grec ou romain parexemple, de contester l’existence des dieux mésopo-tamiens, égyptiens, celtes ou autres. Les polythéistes,habitués à la diversité d’un divin multiple, gardaientlarges ouvertes les portes de leur panthéon et étaienttoujours prêts à y accueillir des dieux étrangers. Hérodoteet Jules César en fournissent deux bons exemples : lepremier, lors de son voyage au bord du Nil, identifiachaque dieu égyptien à son " correspondant " grec, et lesecond identifia les dieux gaulois à leur " correspondant" romain. Ce syncrétisme antique fut en somme l’ancêtrede l’œcuménisme contemporain : son but était derapprocher les hommes en rapprochant leurs dieux. C’estainsi que le perse Mithra fut honoré jusqu’au Danube eten Angleterre, que l’égyptienne Isis avait ses temples àAthènes ou à Rome, et que les hindous ne virent aucuninconvénient à faire de Bouddha ou de Jésus un énièmeavatar de Vishnou. Quant aux Aztèques, ils avaient érigéà Tenochtitlan un temple spécialement dédié aux dieuxdes peuplades soumises à leur autorité. Les Romains

avaient même mis sur pied un rite destiné à se concilierles dieux étrangers en leur promettant à Rome deshonneurs supérieurs à ceux dont ils bénéficiaient jusquelà dans leur terre natale... J’ai rencontré au Guatemalades paysans d’origine maya qui adressaient leurs prièressimultanément au Christ et aux anciens dieux(officiellement déchus) : c’étaient des "chrétienspolythéistes" ! Et j’ai été hébergé dans l’Himalaya par despaysans qui honoraient sur leur autel familial Shiva auxcôtés du Dalai-Lama. Je leur ai demandé s’ils étaienthindous ou bouddhistes et ils m’ont répondu : "noproblem, Shiva and Bouddha : same, same "...

A l’opposé, les religions monothéistes et prophétiquessont généralement moins souples. La révélationprophétique a ceci de particulier qu’elle impose unecertaine vérité comme la Vérité indiscutable puisqued’origine céleste. On ne remet pas en question la parolede Dieu ! De même, la prétention à l’exclusivité du Dieumonothéiste implique la négation de tout autre définitiondu divin : Dieu a tendance à excommunier ses rivauxdans le but d’asseoir son monopole et sa suprématie. D’oùmonologue plutôt que dialogue. C’est cette prétentionmonarchique du Dieu unique qui a si souvent poussé lesmonothéistes à persécuter les païens (et les hérétiques) età s’affronter entre eux en d’incessantes croisades. Voilàpourquoi la religion a si souvent élevé des murs entre leshommes et voilà pourquoi la biographie mouvementée deDieu offre quelques-unes des pages les plus sombres del’histoire humaine. Des pages écrites, notons-le, par sesadorateurs les moins éclairés.

Cela dit, il me semble important de préciser que la majoritédes guerres dites de religion ont rarement des causesreligieuses. Leurs causes, inavouées car inavouables, sontplutôt d’ordre économique, politique, territorial,stratégique, etc, et la religion n’est jamais que l’idéologie(la superstructure idéologique, comme disait Marx) quijustifie l’action belliqueuse et fanatise les foules.

EV : Le rapport de l’humain au monde varie enfonction de la représentation que les hommes sefont du divin. Quelles observations l’historien desreligions fait-il à ce propos ?XDS : C’est ici que le clivage entre polythéisme etmonothéisme me semble le plus important. Dans laconception polythéiste, le divin se décompose en unemultitude de dieux particuliers qui siègent à mêmel’univers perceptible. Les dieux sont des élémentscomposants de ce monde qu’ils habitent : ils sontimmanents. Le polythéisme est le chant de la saintetéprimitive de la nature. Le caractère sacré du monde, de cemonde-ci et non d’un hypothétique au-delà, voilà ce

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qu’exprime l’essence des dieux antiques présents aucœur même des éléments et vivant en intimité avec lesforces de la nature. Le polythéiste n’a donc pas besoin derecourir à l’âme pour entrer en contact avec les dieux. Sessens les perçoivent directement dans le vent, les arbres,les fleurs, la pluie, les sommets des montagnes, etc. Il vitdans une sorte de communauté avec les dieux qui sont letrain naturel du monde. Le polythéiste reconnaît le divindans les réalités quotidiennes qui, du coup, s’en trouventsacralisées. C’est d’ailleurs pour cela que le divin y estperçu multiple plutôt qu’unique. En effet, le monde estcomplexe et ne peut se réduire à l’unicité (sauf dans lapensée moniste). Or, les dieux sont le monde lui-même.Donc le divin est multiple.

Au contraire, dans la conception monothéiste, la nature estdésacralisée : les prophètes bibliques ont proclamé latoute transcendance du Créateur, entité métaphysique (etnon pas physique !), abstraite, radicalement Tout Autre,étrangère à la nature. Certes, Dieu est créateur du monde,mais il reste étranger à ce monde matériel. Il est permis dese demander si le manque de respect à l’égard de lanature, dont on mesure aujourd’hui l’ampleur, ne trouvepas son origine dans cette attitude monothéiste qui situe ledivin dans un au-delà inaccessible... De surcroît, ledualisme qui imprègne la pensée monothéiste et surtout lechristianisme, a engendré une attitude négative à l’égarddu corps et de la sexualité, une attitude radicalementopposée à celle des conceptions polythéistes qui ontdivinisé ou sacralisé (comme dans le tantrisme) l’amourphysique au lieu de rêver d’un Amour désincarné promisà ceux qui mériteront le Ciel. Alors que les Evangilesdisent : " Dieu est Amour (Agapè) ", les polythéistesdisaient : " l’Amour (Eros) est dieu " ! Le tout est dedécider si le Royaume est ou n’est pas de ce monde. Laspiritualité éthérée des monothéistes, exclusivementtournée vers le Ciel, a eu tendance à couper l’homme deses racines terrestres, à refouler le contact vital avec laTerre, à repousser avec horreur l’instinct et la matière carelle ne veut voir dans l’ici-bas qu’une préparation à la "vraie vie " qui attend l’âme enfin débarrassée par la mortde son encombrante enveloppe charnelle. C’est un autreparadoxe du christianisme : il cumule l’idée d’un Dieuincarné, totalement engagé dans la condition humaine etle rejet d’une authentique incarnation sexuée. Le résultatest une incarnation non charnelle, une "incarnationdésincarnée"!...

EV : Lorsqu’on lit Platon - sa théorie desréminiscences – on devine l’influence de l’Orientsur la pensée occidentale. Quels sont, d’aprèsvous, les principaux héritages orientaux del’Occident ?

XDS : Les contacts entre le bassin méditerranéen etl’Inde sont attestés depuis au moins la civilisation del’Indus qui prospéra entre 2500 et 2000 avant notre ère.L’expédition d’Alexandre le Grand jusqu’aux portes del’Inde n’a fait que renforcer ces contacts qui sont peut-être –mais pas forcément- à l’origine de la croyance en lamétempsycose que partageaient de nombreuxphilosophes grecs, de Pythagore à Platon en passant parEmpédocle ou les orphiques. En tout cas, il est certainque Plotin, lointain disciple de Platon et fondateur dunéo-platonisme au 3e siècle de notre ère, s’intéressait à laphilosophie hindoue. Le plotinisme présente denombreuses et profondes affinités avec le brahmanisme etles spéculations des Upanishads. Dans les deux cas, ils’agit d’une introversion mystique visant à prendreconscience de l’identité fondamentale entre le noyauessentiel de l’individu et celui de l’univers. Dans les deuxcas, le monde phénoménal dans lequel nous vivonsprocède de l’Un : l’Un crée le monde de la multiplicitépar autodifférenciation et le monde est appelé à remonterà sa source par un effort de simplification oud’unification. De même, l’influence de l’hindouisme surles moines hésychastes du Moyen Age byzantin esthautement probable : ces moines combinaient ascèse,répétition inlassable des prières et techniquesrespiratoires afin d’entrer en contact avec le Dieuintérieur et de se " déifier " (par un processus de théôsisou déification). Or, toutes ces pratiques évoquent de prèsla discipline hindoue qui combine la répétition d’unmantra et les exercices respiratoires du yoga dans le butde se fondre dans la divinité.

Par ailleurs, l’influence de l’Orient sur l’Occident n’ajamais été plus importante qu’à l’heure actuelle. Déjà au19e siècle, l’influence du bouddhisme culmina dansl’œuvre du philosophe athée Schopenhauer (à l’époque oùle savant Eugène Burnouf posait les premiers jalons de labouddhologie scientifique). Depuis lors, surtout depuisl’élaboration d’une "contre-culture" appréciée par lajeunesse en butte à l’american way of life, le succèsrencontré par le yoga, le tai-chi-chuan, le zen ou le Dalaï-Lama témoigne d’un engouement des Occidentaux,croyants déçus ou non-croyants, qui semblent demanderà l’Orient d’insuffler une nouvelle jeunesse à leurspiritualité en perte de vitesse. Le bouddhisme a en effettout pour plaire à notre Occident déchristianisé :philosophie adogmatique, il propose une méthode pour selibérer de la souffrance et atteindre le bonheur ici-bassans l’intervention d’un Dieu extérieur. L’ampleur duphénomène est telle qu’il n’est pas absurde de parler d’unbouddhisme occidental du "Nouveau véhicule",Navayâna.

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Lu pour vousL’apprenti philosophe.

Directeur de collection : Oscar BrenifierÉditions Nathan : 6 Euros

Sept titres parus : " L’art et le beau ", " Conscience, Inconscient et sujet ", " Raison et sensible "," Opinion, connaissance et vérité ", " État et société ", " Liberté et déterminisme ", " Temps,Existence et mort ".Il est possible de commander les ouvrages par correspondance aux Éditions Alcofribas Nasier -2, Passage Flourens 75017 Paris (France) — Tél. 33 1 30 76 06 24E-mail : [email protected]

L’apprenti philosophe est une collection d’ouvrages qui représente uneinnovation particulière pour l’enseignement de la philosophie : l’élève y estprésent. Cet élève qui pour beaucoup d’enseignants n’est qu’un interlocuteurabstrait, réduit à un statut d’auditeur plutôt passif, un élève dont lacaractéristique principale est de véhiculer l’opinion en ce qu’elle a de plusbanal, avec lequel il n’est pas vraiment utile ni instructif de dialoguer.

L’élève de l’apprenti philosophe a un nom : il s’appelle Victor. Au fil desouvrages, il s’entretient de différents thèmes ou notions avec Héloïse, figurede type socratique qui ne fait jamais que questionner notre élève, et luidemander de s’expliquer sur des points obscurs ou de rendre compte descontradictions de ses paroles.

Chaque ouvrage est composé de huit dialogues courts, qui abordent quelquesaspects spécifiques de la thématique à traiter. En marge, des notes sontinsérées, qui commentent à la fois les difficultés de Victor, et ses réussites. Lestypes de difficultés sont répertoriées : en gros une quinzaine, celles que l’onrencontre en permanence, entre autres dans les copies d’élèves : glissement desens, exemple inexpliqué, certitude dogmatique, etc. Les réussites sont cellesque l’on attend d’un traitement philosophique : suspension du jugement,articulation d’une problématique, définition d’un concept, etc.

Au fur et à mesure des propos de Victor, des problématiques importantesémergent, qui sont identifiées en marge. Elles sont accompagnées de citationsd’auteurs qui lui font écho, de manières différentes ou contradictoires. Cecipermet d’établir un lien entre les réflexions de l’élève et des éléments variésde culture philosophique, en montrant que la philosophie ne tombe pas duciel, mais procède d’un processus relativement naturel de questionnement etd’analyse. Les auteurs font ainsi écho à Victor, de manière plus précise etapprofondie.

Dans la deuxième partie, un choix de textes classiques est proposé,accompagnés de trois questions d’approfondissement, et réponses, afin depermettre à l’élève de vérifier sa compréhension des auteurs en question.Chacun de ces textes est destiné à illustrer une des problématiques identifiées.L’ouvrage s’organise ainsi autour de vingt à trente problématiques générales,ensemble censé cerner les enjeux principaux des notions affichées en titre.

Le cheminement proposé, qui constitue le cœur de l’ouvrage, tente de montrerque discuter est un art, que penser est un art, et en tant que tel cela setravaille et s’explique. En essayant d’éviter à la fois l’écueil du simple débatd’opinions, et celui d’une érudition abstraite et magistrale.

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Lu pour vousDans son numéro Hors série 37 (juin, juillet 2002),consacré à l’art,Sciences Humaines s’interroge sur les acteurs qui construisent l’œuvre d’art dans un articleintitulé " L’art est en nous ".

Son auteur, Nicolas Journet, passe en revuecertaines caractéristiques de l’œuvre d’artcomme le fait d’être un objet fabriqué,transformé par l’homme mais dont le but neserait pas utilitaire mais esthétique, c’est-à-dire gratuit par définition.

A ces caractéristiques minimales, il convientévidemment d’en ajouter d’autres, liées avanttout au contexte historique et géographique,dont la signification principalementreligieuse de l’art occidental de la fin del’Antiquité jusqu’à la Renaissance.

Toutefois, il ne faut pas voir le messagereligieux ou sacré comme la seule caracté-ristique de l’œuvre d’art puisqu’une pipezoulou ou une statuette d’art africainapparaît à nos yeux d’occidentaux, elleaussi, comme une œuvre d’art. C’est donc,selon l’auteur, que la raison qui fait que nousreconnaissons quelque chose comme uneœuvre d’art ne se trouve pas dans l’œuvreelle-même, mais bien en nous. Ainsi l’art aune histoire, c’est dire qu’il change au coursdu temps.

L’art a aussi la caractéristique d’être uneactivité en train de se faire, avec ses acteurs,ses règles, ses institutions, c’est l’objet d’étudede la sociologie de l’art.

Pas d’art non plus sans créateur, nisans spectateur.En disant que l’art est une question de goût,Kant formulait la vision moderne de l’artselon laquelle la valeur de l’art n’est inscritenulle part ailleurs que dans l’œil de celui qui

la regarde. Mais alors du goût de qui s’agit-il et comment comprendre que les goûtspuissent s’imposer à d’autres?

Faut-il pour cela que l’art ait la capacité dediffuser de nouvelles idées dans la société ousuffit-il que le spectateur juge simplementqu’il s’agit d’une œuvre d’art ?Avec la naissance de l’art du portrait enFlandre au 15ème siècle, l’artiste peut à sontour penser que son œuvre et son style sontuniques. Et au 19ème siècle, l’artiste sedonne comme mission d’exprimer sonintériorité pour la soumettre au jugement duspectateur amateur plutôt qu’à l’expert. Audébut du 20ème siècle, ce mouvementconduira à l’art non figuratif, fait desensations pures. Toujours dans le mêmeordre d’idées, en exposant son urinoir dansun salon de New-York, Duchamp profaneradeux conventions très anciennes: l’originalitéet le caractère unique de l’œuvre d’art. Etcela se poursuivra en un continueldépassement de toutes les conventions dugenre: supports, matière, authenticité..

D’autres bouleversements s’exerceront enparallèle sur le goût du spectateur: susciterl’intérêt par la surprise ou le dégoût quifiniront par prendre le pas sur la beauté ;Ce qui pourrait expliquer les difficultés quele public entretient avec l’art contemporainqui paraît à la fois trop libre et trop sectairecar restreint à la satisfaction de l’artiste et dequelques initiés.

Toutefois, même s’il est déroutant l’auteurnous rappelle que l’art contemporain n’en

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reste pas moins de l’art étant donné que lemonde de l’art existe toujours avec sesrègles, ses acteurs, ses marchés… De plusles conventions artistiques n’ont guèreévolué : l’œuvre d’art doit toujours êtrerare et authentique.

Même si les artistes ne constituent plusune avant-garde structurée, ils peuventconnaître une ascension rapide mais aussiune carrière courte ; ils ont le choix entrela carrière de créateur indépendantsoumis au marché et celle de prestatairede services pour le vaste secteur de laculture.

Qui fixe la valeur de l’art ?Le marché semble plus que jamais roi,laissant musée et public loin derrière.Toutefois, l’art n’est pas une marchandisecomme les autres : sa valeur esthétique estincertaine, son utilité résiduelle nulle.Ce qui conduit à la spéculation et à laconfusion des genres : les musées vendent,les financiers collectionnent…

Quant au public, que dit-il ?Depuis 20 ans, la fréquentation desmusées ne cesse de croître même si 20%des Européens n’ont jamais mis les piedsdans une exposition artistique.

Quel est ce public ? Toujours les mêmes amateurs déjàcultivés, semble-t-il, d’après certainesétudes sociologiques.

Y aurait-il deux cultures, deuxformes d’expression totalementétrangères l’une à l’autre ?Selon J.Ph Domecq, la faute en revientaux artistes et à leurs promoteurs qui fontperdre tout repère esthétique au public,mais également aux acteurs économiquesincompétents en matière d’art.Finalement, on pourrait se demander si lejugement de l’art est si libre et désintéresséque le prétendait Kant ou si l’admirationpour l’art ne serait pas fortementconditionnée par la place qu’elle nousprocure dans l’échelle des valeursculturelles et sociales à laquelle nousaspirons comme le soutient P. Bourdieu.

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Lu pour vousLe rejet de l’art contemporain, pourquoi ?

Dans cet article, N. Heinich s’interroge sur lesaspects déroutants de l’art contemporain.

Il semble que dans l’artcontemporain la question de

la beauté cède le pas à d’autresinterrogations telles que : est-cede l’art ou de la fumisterie ?C’est la question de l’authen-ticité qui est ainsi soulevée.D’autres questions se posent àpropos de la valeur des actesaccomplis par l’artiste : a-t-ilvraiment "travaillé ", s’est-ilmontré sincère ou cynique ?

Interrogations sur les œuvres elles-mêmes : transgressent-elles lesvaleurs morales, le droit; faut-ilsubventionner ce type d’œuvre? Onpeut constater que l’art contem-porain repose en grande partie surl’expérimentation de toutes lesformes de rupture avec ce qui aprécédé, rupture que l’on interprètesoit comme subversion critique soitcomme recherche d’originalité et denotoriété à peu de frais. L’auteurrappelle toutefois que l’art moderneavait lui aussi expérimenté des

transgressions plastiques des règleshéritées de l’art classique comme laperspective, la figuration…

L’art contemporain, quant à lui,transgresse non seulement les cadresesthétiques mais aussi les cadresdisciplinaires, les cadres moraux,voire juridiques.

Si le paradigme dominant du19ème au 20ème siècle futl’expression de l’intériorité del’artiste comme gage d’authenticité( l’œuvre doit manifester son lienavec la personnalité de l’artiste, sespensées, ses sensations…), uneautre direction apparaît après la finde la deuxième guerre mondiale.

Marcel Duchamp et Yves Klein ensont les pionniers car ils mettentl’exigence d’intériorité à l’épreuvenotamment par les monochromes etpar les anthropométries (empreinteslaissées par des corps nus recouvertsde peinture) ; le passage par la

George and the Dragon, Tony Cragg, 1984Photo dans “Sciences Humaines” hors série n°37 • juin-juillet-août 2002

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main de l’artiste est supprimé : ce sont aussi les dimensionsde la subjectivité et de l’authenticité qui se trouvent ainsiremises en question.

Elimination des contenus (dans les monochromes, leminimalisme) ; déconstruction des contenants (dans l’artvidéo, les installations, les performances) ; transgressiondes frontières entre l’art et le monde ordinaire (dans lenouveau réalisme, l’hyperréalisme) ; transgression desfrontières du musée (dans le Land Art, les performances) ;transgression des frontières de l’authenticité ( dans le tasde charbon) ; transgression des frontières morales, desfrontières du droit (dans les performances en forme devandalisme, l‘exposition d’objets volés…).

Tous ces mouvements de transgression en arrivent àinverser les critères de la valeur artistique : en lieu et placedes critères de qualité technique et de maîtrise des codesesthétiques, on s’intéresse à des critères basés sur lamaîtrise des limites à ne pas franchir, à l’objet d’art commeconcept (est-ce de l’art ou non ?).

Selon l’art contemporain, la valeur artistique résidedavantage dans l’ensemble des connexions établies autouret à partir de l’objet. C’est pourquoi les récits de fabrication,les légendes biographiques, les traces de performances,l’écheveau des interprétations, tout cela contribuedavantage à faire l’œuvre que la matérialité même del’objet. Cela conduit à des débats épiques à propos duregistre dans lequel classer une œuvre : registre de latradition classique ou moderne ou registre de l’artcontemporain.

Ainsi à propos de l’urinoir (Fountain), que M. Duchampprésenta au Salon des indépendants en 1917(considérécomme un symbole de l’art contemporain) s’inscrit dans ceregistre plus par l’ensemble des objets, discours, images,actions suscités par l’initiative de M. Duchamp qui aremplacé l’objet fabriqué par l’artiste par un gesteinstituant comme œuvre d’art un objet jusqu’alors privé decette appellation.

Ainsi, si désormais n’importe quel objet ordinaire peut êtretraité comme une œuvre d’art à condition que ce traitementsoit le fait d’un " artiste ", cela signifierait alors quel’œuvre d’art n’est rien d’autre que ce qui est produit par unartiste qui se définit lui-même comme celui qui a lacapacité de faire une œuvre d’art ! Cfr la phrase : " Ce sontles regardeurs qui font les tableaux " (M. Duchamp).

Cette tripartition en genres (genre classique, genremoderne, genre contemporain) permettrait d’après l’auteur,N. Heinich, de comprendre la violence des querelles autourde l’art contemporain.

Ce ne seraient plus des goûts ou des degrés de qualité quis’affrontent mais des définitions sur ce que doit être l’artlorsqu’il prétend être de l’art.

Résumé de Michèle Coppens

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Lu pour vousArt, histoire et enseignement.Par Marie-Christine Baquès,Hachette, Ressources Formation, 2001,158 pages.

L’auteur, maître de conférences à l’IUFM d’Auvergne,présente 4 bonnes raisons qui ont motivé son écriture :l’art vu comme un héritage donnant accès à laconstruction d’une identité citoyenne ; l’omniprésence del’image dans la civilisation moderne incitant lesenseignants à s’en servir comme levier de motivationdans les classes ; l’attention croissante portée audomaine des représentations sociales et des imagesqu’elles véhiculent ;enfin le discours sur l’art devenantde plus en plus un discours sur la compréhension dusocial et donc porteur d’historicité.

L’auteur se demande si l’on peut enseigner à partir del’œuvre d’art et dans des disciplines qui ne sont pasartistiques comme l’histoire.

Si l’oeuvre d’art relève de plusieurs champs disciplinaires(histoire de l’art, arts plastiques, histoire, philosophie,…), plusieurs approches sont donc possibles.

Cet ouvrage s’attache à faire le point sur lesinterrogations théoriques autour de l’œuvre d’art, puissur son statut pour l’enseignement de l’histoire.M.Ch.Baquès présente également l’évolution du statutde l’œuvre d’art dans la société et dans l’enseignement.

Elle propose également une méthodologie (constructiond’un dispositif d’apprentissage) et des outils (analyse detableaux) pour aborder l’œuvre d’art dans le cadre d’uncours d’histoire, méthodologie et outils pouvant tout àfait s’adapter à d’autres disciplines enseignées.

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§Infos

Au Théâtre-Poème (30, rue d'Écosse, 1060Bruxelles), le mardi 25 février 2003, à 20h30,mercredi 26, à 10h et 20h30, jeudi 27, à 19h,vendredi 28, à 20h30, samedi 1er mars, à 17het 20h30, dimanche 2, à 16h.PAF : 12,50 euro, étudiants et seniors : 7,50 euro,groupes scolaires : 6,25 euro par élève.

Le Philosophe amoureuxun impromptu en un acte de Jacques Sojcher

par Anouchka Vingtier et Dominique Rongvauxmise en scène : Monique Lenoble

Pierre, 30 ans, est assistant de philosophie. Sophie, 19 ans,est étudiante en première année. Elle est allergique à laphilosophie, tout du moins au professeur qui parle avec desmots compliqués de l’amour, de l’Éros philosophos.Sophie vient trouver Pierre dans son bureau pour luidemander des explications sur le cours… dont elle necomprend rien, ce qui la rend furieuse. Elle provoquePierre, lui proclamant l’inutilité de la philosophie. Ce n’estpas le Banquet et le Phèdre de Platon qui vont luiapprendre quelque chose sur elle, sur la passion amoureusequ’elle a vécue, sur le sens de la vie.Devant cette contestation d’une étudiante déçue par laphilosophie, Pierre critique la subjectivité… lenombrilisme de Sophie, qui ramène tout à elle-même.Pierre va alors lui expliquer le Banquet et le Phèdre ou dumoins quelques scènes de ces deux dialogues.Leur joute dépasse la traditionnelle discussion de textesphilosophiques… Ce n’est pas impunément que Sophieporte le nom de " Sophia "… de la sagesse et que Pierre estun philosophe, un amant de la sagesse.Petit théâtre " de chambre " (le lieu fermé d’un bureau endésordre) Le Philosophe amoureux est aussi une sorted’initiation à la philosophie… et une mise en garde contrele philosophe séducteur.

Jacques Sojcher

Destiné aux élèves pour qui il constitue une introductionplaisante à la philosophie, Le Philosophe amoureux peutêtre présenté toute l'année scolaire, aux dates et heuresconvenant le mieux aux professeurs dans lesétablissements scolaires ou dans les locaux du Théâtre-Poème (6,25 euro par élève, gratuit pour les professeurs).Renseignements et réservations : 02 538 63 58

Une matinée pédagogique sera organisée le 26/02/03 parCathy Legros en présence de J.Sojcher au Téâtre-Poème.

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Info

sYouri le rhinocéros

par Isabelle Lecomte-Depoorterillustrations Laurent CrickxCollection Jeunesse (Albums)200232 pages, 40 illustrations Prix : 9.00 Euros

“Ce matin, en prenant son bain, Youri le rhinocéros a le cafard. Il se senttriste. Il regarde son reflet onduler à la surface de l’eau claire et voit qu’ilest tout gris. Youri n’aime pas le gris.” Et Youri se prend à rêver des millecouleurs de la savane, rêver à être dans la peau d’un autre. Son ami Zoolo,le petit oiseau, a peut-être une idée pour l’aider... Saura-t-il lui rendre sonsourire... ?

L’auteur, Isabelle Lecomte-Depoorter, traite avec beaucoup d’émotion, lescomplexes qu’on peut parfois avoir quand on se trouve “trop ceci” ou “pas assezcela”, tout en s’adressant aux petits (3-6 ans). Ce texte très sensible est accompagné des dessins tout en douceur de LaurentCrickx. Sous son pinceau, le rhinocéros prend des traits très en rondeur, et sonami, le petit oiseau Zoolo, incarne la bienveillance. À chaque nouvelle double-page, dans des pastels colorés et lumineux, c’est l’univers de la savane africainequi prend corps autour de Youri... et l’on ressent presque le soleil de plomb dansla crinière du lion endormi...

Notes sur l'auteur / les auteurs : Isabelle Lecomte-Depoorter est historienne de l’art. Elle commence son travaild’écriture au sein du magazine De Facto et sera par la suite l’auteur de beauxlivres (Ommegang, éd. Glénat, 1999 ; Le Pop Art (éd. Flammarion, coll “Toutl’art”, 2001). Elle a déjà publié : Mon éléphant chéri d’amour à moi (ill.Antonio Nardone, éd. Naba, 1998) et Albert et Zoé au musée de Tervuren (ill.Antonio Nardone, éd. Naba, 1998).

Laurent Crickx vit à Bruxelles. Il est diplômé en Recherche graphique etpicturale (spécialité Illustration/ Bande dessinée) et il aborde le livre de jeunessecomme une synthèse de ses passions pour l’écriture et le dessin. Youri lerhinocéros est son premier livre publié.

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Un site pour dire : … des mots & des maux.

- "Tes cours sont-ils prêts ?" "Bon horaire cetteannée?" "Classes difficiles ?" "Ils sont toujours encongé !" "Ils n’ont que 22h semaine, et ils seplaignent !" "Pas trop de copies à corriger ?" "Tadirection n’est pas trop contraignante ?"

Nous avons tous, un jour où l’autre entendu une de cesphrases. Méprisée par les uns (dont certains élèves etleurs parents), ignorée et négligée par les autres, lieu parexcellence du savoir et de l’apprentissage envahit par laviolence verbale (injures racistes,…) et physique,profession la plus touchée par les maladies liées austress, il est temps que l’enseignement, véritablevocation, retrouve ses lettres de noblesse ! Nous avonssouhaité leur rendre, à notre manière, un petit hommage.

Un lieu de discussion, forum et chat, sur le site de psyonline, leur est réservé afin qu’ils puissent échanger leursexpériences, faire part de leur colère, de leur résignation, de leur enthousiasme, de leurs souhaits ou de leurssentiments sur la question. Echangez vos points de vue, vos expériences, vos regrets comme vos souhaits,apprenez-nous à mieux vous connaître...

Pour en savoir plus,rendez-vous sur le site www.psyonline.be. ou contactez Sophie Legros au 0496.83.43.89. Ce site est unnouveau site internet, qui est bien plus qu’un site puisqu’il vous parle de votre moi le plus intime. C’est une mined’informations sur les ressortssecrets de nos actes et de nosparoles. C’est l’accès à ce vastecontinent méconnu que l’on nommeinconscient. Mais Psyonline nevous transmet pas que du savoir.C’est aussi la possibilité deconfronter votre expérience, soitvia un forum de discussions soit viale chat (dialogue en direct).

Info/Divers:Journée pédagogique

le 7/02/03autour de l'exposition

ALTER, L'AUTRE EXPO.Si vous êtes intéressé

contactez C. Legros au 0477/5736030

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InfosAmour de la philosophie –Philosophie de l’amour

C’est déjà devenu une tradition, novembre aramené les Rencontres Philo, organisées par le

Centre d’Action Laïque du Brabant wallon, Entre-Vues, les Extensions de l’ULB (sections de Wavre etde Genappe) qui ont été rejoints cette année par lesAmis de la Morale Laïque de La Hulpe et par MoraleLaïque et Humanisme de Rixensart sur le thème«Philosophie de l’amour, amour de la philosophie».

Ces deuxièmes Rencontres Philo viennent de s’achever,avec un succès renouvelé. Une centaine de personness’étaient donné rendez-vous pour la conférence-débat cejeudi 14 novembre à la Maison communale de La Hulpeainsi que pour la journée de réflexion ce vendredi 15novembre à la Ferme de La Ramée à Jodoigne.

Ces journées ont débuté à La Hulpe par la rencontre entreDidier Eribon, Philosophe français et Historien des idées,et Jacques Sojcher, Philosophe et Professeur à l’ULB.Promenade en philosophie, échanges et convivialité : leton était donné et la soirée s’est terminée tardivementdevant l’abondance des questions.

Didier Eribon, biographe de Michel Foucault, a avancél’affirmation de l’amour comme critique de la raisonpsychanalytique en s’appuyant sur les philosophes,Michel Foucault et Roland Barthes.

En partant des Fragments d’un discours amoureux deRoland Barthes et de la Volonté de savoir de MichelFoucault, il s’est interrogé sur les deux types d’approchenon-psychanalytique de la subjectivité que ces deuxauteurs ont tenté de mettre en place.

Les Rencontres Philo 2002

Didier EribonAli Serghini

Robert Joly, Baudouin Decharneux

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Le lendemain, plus de 80 personnes se sont retrouvéesprès de Jodoigne pour poursuivre les débats commencésla veille autour des thèmes «Amour de la philosophie etphilosophie de l’amour».

Après le chaleureux accueil de Michel Herpigny,Président de la Régionale,

Ali Serghini, Président d’Entre-Vues,a présenté les différents conférenciers.

Robert Joly, Professeur honoraire des Universités deMons et de Bruxelles a commencé la table ronde de lamatinée par la question : L’amour est-il une inventionchrétienne ? Selon lui, cette croyance est fausse. Leschrétiens ont cru que l’amour du prochain a été, sinoninventé, du moins porté à sa perfection par lechristianisme et ils l’ont tellement répété que beaucoupd’incroyants les suivent encore sur ce point. Il ne s’agitpourtant qu’un désir de la foi, qui n’a jamais cherché à sevérifier d’une manière objective. Toutes les culturesanciennes attestent l’amour du prochain et notamment lepaganisme grec et romain, bien avant le christianisme,même la charité universelle et l’amour des ennemis.Enfin, pour Robert Joly, la charité chrétienne a deslimites étroites : elle ne prépare en rien l’évolution versles droits sociaux, qui sont de la tradition des Lumières.

Didier Stampart, Conférencier ULG, nous a parlé destroubadours : «Entre philosophie et langage del’amour». Il a consacré son mémoire de licence enPhilologie romane aux troubadours et à «la tornada,parole et présence».

La philosophie de l’amour est entièrement la philosophied’un être de mots : les lois d’amour sont des loislinguistiques ou poétiques. La poésie, jeu et joie, aborde

le domaine du sacré et au-delà du langage, c’est laphilosophie de l’être aimant et en marche vers son idéal.

Amour et désir

Luc Richir, Psychanalyste, s’est posé la question : ledésir serait-il fondamentalement destructeur ? Ilvient un moment où il s'oppose à son objet : quand ilcesse de le confondre avec un idéal. C'est alors qu'ildécouvre le vide de sa cause. Dans la fin' amor, si l'accentest mis avec tant d'insistance sur le prix de la Dame, c'estqu'elle est par principe menacée de déchoir, de perdre lavaleur qu'on lui suppose, qu'on lui jalouse. En fait, elleest néant. Comme dieu.

L’après-midi, quant à elle, a été consacrée aux ateliers deréflexion donnant ainsi la possibilité aux participants des’exprimer plus longuement.

«L’enfant philosophe», atelier a été animé par MartineNolis et Hélène Schidlowsky de l’asbl Philomène,association pour la promotion et l’étude de la philosophieavec les enfants. Hélène Schidlowsky, Professeur de

Robert JolyLuc Richir

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Les Rencontres Philo 2002

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Philosophie, a expliqué l’aspect théorique de la démarchephilosophique avec les enfants (méthode conçue parMatthew Lipman : la communauté de recherche, lieu oùchacun pense, lieu de dialogues) tandis que Martine Nolisabordait l’aspect plus pratique.

«Amour du prochain» était le thème retenu dans ledeuxième atelier, où il fut difficile d’échapper auxquestions du rapport à dieu. Robert Joly, dont la scienceest sans fin, et Baudouin Decharneux , évoquant sesexpériences africaines, ont réussi à conclure ensembleque l’amour du prochain est à la fois un engagementpersonnel (de proximité) qui se double nécessairementd’un engagement citoyen (politique).

Dans l’atelier « Amour, ami ou ennemi ? », Luc Richirs’est interrogé sur l’amour et le désir avec les différentsparticipants, prolongeant ainsi les échanges de lamatinée. Avec son expérience et son savoir, chacun aainsi contribué à enrichir les débats.

Nous vous fixons, dès à présent, rendez-vous l’année prochaine pour prolongerces discussions philosophiques, sur unthème qui reste à arrêter mais qui nedevrait pas manquer, comme cetteannée et l’année passée, de vouspassionner.

Les Actes des Rencontres Philo 2001,Pourquoi la philosophie ?,

sont disponibles pour la somme de 4 €à la Régionale CAL BW

Renseignements : 010 22 31 91

De gauche à droite : Martine Nolis, Marianne Remacle et Cathy Legros

Ali Serghini et Robert Joly

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ATELIER DE LA DOLCE VITARUE DE LA CHARITÉ 37A1210 BRUXELLES

ESPACE ENTRE-VUESRUE DU COMMERCE 851040 BRUXELLES

Exposition de dessins et de textes illustrésaccompagnés d’animations littéraires et musicales

Espace entre-vuesEn septembre, à côté de l’ATELIER DE LA “DOLCE VITA”,se crée l’ESPACE ENTRE-VUES qui se veut un lieu de rencontreslittéraires, philosophiques, musicales, interculturelles etartistiques. Des présentations théâtrales, des contes, desexpositions de dessins, de sculptures et de peintures serontrégulièrement programmées et d’évidentes synergies avecla “DOLCE VITA” se mettent d’ores et déjà en place autour dece premier évènement.

Présentation des activités :

Exposition

Animations littéraires

Animations musicales

Présentation

Programmation **

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Espace entre-vues“ Le peuple ancien dans un monde nouveau;

le peuple nouveau issu de l’ancien, telle est l’histoire que je veux raconter”

L’expression est de Gertrude Stein, égérie incontournable deslettres américaines dans l’entre-deux-guerres. Cette formule estidéale pour illustrer la démarche qui a animé “Espace Entre-Vues”dans l’idée, la conception et la mise sur pied de l’exposition et desanimations qui la sous-tendent.

ExpositionL’exposition représente 19 portraits et 13textes illustrés d’écrivains américains telsque Steinbeck, Fitzgerald, Hemingway,Faulkner, Auster, etc … et réalisés etchoisis par Serge VAN BRABANT.

Animations littérairesNouvelles et fictionsD’aucun connaissent ou se souviennent de certaines de leursoeuvres majeures, romans étonnamment modernes qui ont marquéle siècle tels que Les raisins de la colère, Gatsby le magnifique, Levieil homme et la mer, Le bruit et la fureur, pour n’en citer quequelques-uns…Mais c’est oublier que ces auteurs ont expriméleurs sentiments les plus émouvants et révélé leur personnalité laplus attachante et la plus profonde dans leurs nouvelles. Ce sontcertains de ces récits et fictions, révélateurs, parfois surprenants,toujours captivants, ces extraordinaires “histoires courtes” quevous découvrirez lors des soirées d’animation et qui serons contéespar Claude LEGUERRIER et Cathy LEGROS

Lecture de textesL’auteur, Serge VAN BRABANT, a aussi soigneusementsélectionné de courts extraits des oeuvres qui seront luspendant les animations littéraires et musicales.

Adaptation théâtraleUne adaptation théâtrale de la nouvelle “Les Neiges duKilimandjaro” de Ernest Hemingway sera interprétéepar Christian MAQUET, auteur de l’adaptation.

Animations musicalesPierre LEGROS, assurera, en excellentenfant du jazz et à la trompette, l’illustrationmusicale. Il s’inspirera de l’oeuvre de FrancisScott Fitzgerald “Les enfants du Jazz” qu’iltransposera au gré des auteurs rencontrés. Ilétablira aussi un parallélisme entre lesinterprètes et les écrivains au cours d’unesoirée spécialement dédiée à l’évènement.

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PrésentationCes animations seront précédées d’une courte présentation“panoramique” des lettres américaines par Serge VANBRABANT, auteur du choix des textes et des dessins.

Programmation

Dimanche 12 janvier 2003 à l’ESPACE ENTRE-VUES- Inauguration et vernissage de 14 à 19 heures.- A 16 heures, présentation de l’exposition par Serge VAN BRABANT, auteur des

dessins, des illustrations et du choix des textes, suivie d’une animation littéraire etmusicale.

Samedi 18 janvier 2003 à l’ESPACE ENTRE-VUES- Exposition à partir de 16 heures.- Présentation par Serge VAN BRABANT, l’auteur, suivie d’une animation littéraire.- A 18 heures, interprétation théâtrale de la nouvelle d’Hemingway “Les Neiges du

Kilimandjaro” adaptée et interprétée par Christian MAQUET.

Lundi 10 février 2003 à la “DOLCE VITA”- Vernissage de 18 à 20 heures.

Mardi 11 février 2003 à la “DOLCE VITA”- à 20h30, “Fictions et nouvelles” contées par Claude LEGUERRIER, Cathy

LEGROS et quelques autres…

Mardi 18 février 2003 à la “DOLCE VITA”

- à 20h30, interprétation théâtrale de la nouvelle d’Hemingway “Les Neiges duKilimandjaro” adaptée et interprétée par Christian MAQUET.

Vendredi 21 février 2003 à la “DOLCE VITA”- à 20h30, “Les Enfants du Jazz”, animation musicale interprétée par Pierre LEGROS

accompagné par quelques autres musiciens, lecteurs et raconteuses…

Réservations : 0477 57 36 03

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entre-vues2003 : 21,50 €

à verser au compte 635-2188501-38 de entre-vues - CAL - Campus de laPlaine ULB - CP 236 - avenue Arnaud Fraiteur - B - 1050 Bruxellesen mentionnant en communication : "Abonnement/Cotisation 2003"

Prix de vente frais de port inclus

Revue trimestrielle 2003. Abonnement/Cotisation ........................ 21,50€

Numéros trimestriels toujours disponibles

tous les numéros depuis 1990 : 1990: n°5 à 8; 1991: n°9 à 12; 1992: n°13 à 16;1993: n°17 à 20; 1994: n°21 à 24; 1995: n°25 à 28; 1996: n°29-30 et 31-32; 1997:n°33 à 36; 1998: n° 37-38 ; 39-40 et 1999 : 41-42; 43-44; 2000: n°45 et 46-47;2001: n°48-49, 50, 51; 2002: n°52, 53, 54-55

Entre-vues par numéro (n°5 à 28) .......................................................4,46€

par numéro double (n°29-30 et 31-32) ...............................................8,43€

les numéros 33, 34, 35 et 36 hors abonnement...................................6,94€

le numéro double 37-38 ...................................................................12,15€

le numéro double 39-40 ...................................................................12,15€

le numéro double 41-42 ...................................................................12,15€

le numéro double 43-44 ...................................................................12,15€

le numéro 45 (Dire le juste et l'injuste) ..............................................8,43€

le numéro 46-47 (La violence) ...........................................................9,42€

le numéro 48-49 ..............................................................................12,15€

le numéro 50 ....................................................................................12,15€

le numéro 51 ......................................................................................8,43€

le numéro 52 ......................................................................................8,43€

le numéro 53 ......................................................................................8,43€

le numéro 54-55...............................................................................12,15€

Entre-vues par année complète de 1990 à 1995 (4 numéros) ..........11,16€

l’année 1996 (2 numéros doubles 29-30 et 31-32) ...........................11,40€

l’année 1997 (n°33 à 36)..................................................................15,00€

l’année 1998 (2 numéros doubles : 37-38 et 39-40) .........................17,35€

l’année 1999 (2 numéros doubles : 41-42 et 43-44) .........................17,35€

l'année 2000 (2 numéros : 45 et 46-47)............................................13,63€

l'année 2001 (numéros 48-49, 50 et 51)...........................................17,35€

l'année 2002 (numéros 52, 53, 54-55)..............................................17,35€

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Essais, dossiers et outils pédagogiques toujours disponibles

Atelier d’écriture La nature du mal dans l’Homme ?................................ 8,68€

Dossier pédagogique Apprendre à philosopher au cours de morale ......... 7,44€

La fleur des contes ................................................................................. 9,42€

Le cadeau des contes ............................................................................. 9,42€

Réflexion pédagogique ........................................................................... 3,72€

Grains de sagesse................................................................................... 4,96€

Contes de la femme intérieure................................................................ 8,68€

Dossier pédagogique Someday, éducation à la paix ..................................5,21€

La civilisation tributaire de sa passion du bien-être ..............................11,90€

Perte de l'Universel par Laurent Berger ................................................19,83€

La formation du jugement moral : réflexions d'A.M. Roviello ..................0,99€

Pièce de théâtre Partir .............................................................................5,45€

Pièce de théâtre La vague ....................................................................... 6,94€

à partir de 10 exemplaires groupés, l’exemplaire .............................. 3,47€

Numéro spécial Dilemmes moraux .......................................................... 3,97€

K7 vidéo VHS Dilemmes moraux .......................................................... 11,40€

Jeu des stades moraux............................................................................ 4,21€

Dossier pédagogique L’arbre en éventail ............................................... 12,27€

Leçon La rumeur .....................................................................................5,21€

Leçon Petites annonces............................................................................5,21€

Pour toute commande,

envoyez un virement au compte 635-2188501-38 d’Entre-Vues

(CAL – Campus de la Plaine ULB - CP 236

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Essais, dossiers et outils pédagogiques r Atelier d’écriture La nature du mal dans l’Homme ?.................... 8,68€

r Dossier pédagogique Apprendre à philosopher au cours de morale ..................................................................... 7,44€

r La fleur des contes ..................................................................... 9,42€

r Le cadeau des contes ................................................................. 9,42€

r Réflexion pédagogique ............................................................... 3,72€

r Grains de sagesse....................................................................... 4,96€

r Contes de la femme intérieure.................................................... 8,68€

r Dossier pédagogique Someday, éducation à la paix ......................5,21€

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r Perte de l'Universel par Laurent Berger ....................................19,83€

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r Pièce de théâtre La vague ........................................................... 6,94€

r à partir de 10 exemplaires groupés, l’exemplaire ................... 3,47€

r Numéro spécial Dilemmes moraux .............................................. 3,97€

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r Jeu des stades moraux................................................................ 4,21€

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