EUROPE Des outils d’analyse de la société La mobilisation ... · télement des services...

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Livresi Des outils d’analyse de la société Deux livres viennent apporter leurs contributions pour définir les concepts permettant de comprendre les struc- turations de nos sociétés. Le premier traite des « Rap- ports sociaux de classes ». Alain Bihr part des travaux de Marx pour intégrer les recherches des sciences sociales – notam- ment celles de Bourdieu – tout en indiquant leurs limites. Il part de cette architecture objective des classes sociales autour des rapports de production pour aller vers des défini- tions subjectives des classes qui exis- tent dans le cadre de la lutte des classes. Via les rapports sociaux – les manières d’être, de se façonner des classes sociales –, il traite à la fois de l’État, des partis politiques, de l’éman- cipation, des relations internationales – le concept de nation – et de l’auto- nomie relative de ces rapports pour éviter tout déterminisme, tout mes- sianisme. La conclusion ouvre de nou- veaux débats sur le concept même de sujet de la lutte des classes. Une façon d’aborder une double crise vécue par le mouvement ouvrier depuis la chute du Mur de Berlin – au moins – une crise du sujet justement, la classe ouvrière semble s’être éva- nouie et une crise de projet, comment transcender les classes pour ouvrir la porte à la fin des classes sociales ? Un petit livre qui traite des sujets importants pour le monde syndical. Les rapports sociaux de classes, Alain Bihr, éditions Page deux, collection Empreinte, 142 p. Le deuxième s’inscrit dans la même logique, construire des concepts pour « voir » la société. Son point de départ : les inégalités hommes/femmes. Elles perdurent dans notre société comme le montre le dernier rapport de l’INSEE « Regards sur la parité ». Pourquoi ? À quoi font-elles référence ? Se poser cette question c’est refaire tout en chemin, celui de la construction de concepts nouveaux dans les sciences sociales dû à la fois aux combats féministes et aux fémi- nistes qui avaient besoin d’un cadre théorique original. Roland Pfefferkorn passe en revue les différentes théori- sations qui permettent de rompre avec le « naturalisme » pour aboutir à la construction sociale du « sexe ». « Le deuxième sexe » de Simone de Beauvoir publié juste après la Seconde Guerre mondiale avait inauguré cette voie pour aboutir au concept de « genre » qui, avec toutes ses limites, a permis de renouveler les études sur L es peuples victimes de cette politique manifestent claire- ment le rejet de l’austérité par des luttes sociales répétées (grèves générales, manifesta- tions, occupations de places publiques). Les élections en Grèce et en France confirment ce rejet. Dans de nombreux pays, les élections partielles ou locales montrent que les gouvernements sont en difficulté. Austérité sans fin Pour les peuples les plus touchés, l’austérité c’est concrètement une baisse du niveau de vie, le déman- télement des services publics, de la santé, de l’éducation et de la protection sociale, la remise en cause des droits des salariés et de la négociation collective. L’austérité paraît sans fin, à peine les précédentes mesures sont mises en œuvre que d’autres sont annoncées. Les luttes continuent, mais elles apparaissent aussi sans fin. Ces peuples ont besoin de perspectives. Les syndicats atten- dent des manifestations concrètes de solidarité et surtout une autre orientation de la politique euro- péenne. En Allemagne, l’opinion publique apparaît majoritairement acquise à l’idée que la crise est due aux peuples « dépensiers » du Sud, que les autres pays européens doi- vent mener une politique d’aus- térité budgétaire et salariale, comme l’Allemagne l’a fait depuis 10 ans, pour devenir com- pétitifs. Sans mettre en cause les régles de fonctionnement de la zone euro, dont l’Allemage est aujourd’hui le principal bénéfi- ciaire. Initiatives Cependant, les lignes bougent comme le montrent les récentes élections régionales. Le syndica- lisme est divisé, entre les syndicats de l’industrie, sous influence de l’opinion dominante, et les syndi- cats de services (Verdi) qui défen- dent des salariés précarisés et mal rémunérés. La participation de la GEW, le syndicat des enseignants, à la manifestation de Francort du 19 mai, est significative de cette opposition à l’austérité. Une pétition intitulée « Refonder l’Europe, Stopper la marche vers la catastrophe, Maîtriser la crise par la solidarité et la démocra- tie » circule à l’initiative de syn- dicalistes allemands et du phi- losophe Habermas. La manifestation de Francfort, à laquelle participent le SNES et la FSU, a pour premier objectif de susciter le débat en Allemagne. Altersummit La CES a pour la première fois pris position contre un traité européen, celui qui, soumis à rati- fication, organise une austérité durable en Europe. La FSU participe au processus de la Joint Social Conference (http://www.jointsocialconfe rence.eu/) qui, réunie au siège de la CES à Bruxelles fin mars, ras- semble des syndicats et des asso- ciations issues du Forum social européen. Cette réunion a permis de constater que les points de vue sur les solutions altenatives se sont beaucoup rapprochés, mais qu’il manque au mouvement social un rapport de forces au niveau européen. À court terme, il faut un événement visible et rassemblant les forces les plus larges possibles. C’est pourquoi l’organisation d’un « Altersum- mit » pour une autre Europe est envisagée à l’automne. Daniel Rallet EUROPE La mobilisation s’organise Une situation nouvelle s’ouvre en Europe. Comme attendu, l’austérité a sécrété son propre échec en alimentant les déficits publics qu’elle est censée combattre. ECO/SOCIAL 18 - US MAGAZINE - Supplément au n o 720 du 26 avril 2012 © Thierry Nectoux © Macky_ch / Fotolia.com

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Livresi

Des outils d’analysede la sociétéDeux livres viennent apporter leurscontributions pour définir les conceptspermettant de comprendre les struc-turations de nos sociétés.

• Le premier traite des « Rap-ports sociaux de classes ». AlainBihr part des travaux de Marxpour intégrer les recherchesdes sciences sociales – notam-ment celles de Bourdieu – tout

en indiquant leurs limites. Il part decette architecture objective desclasses sociales autour des rapports deproduction pour aller vers des défini-tions subjectives des classes qui exis-tent dans le cadre de la lutte desclasses. Via les rapports sociaux – lesmanières d’être, de se façonner desclasses sociales –, il traite à la fois del’État, des partis politiques, de l’éman-cipation, des relations internationales– le concept de nation – et de l’auto-nomie relative de ces rapports pouréviter tout déterminisme, tout mes-sianisme. La conclusion ouvre de nou-veaux débats sur le concept mêmede sujet de la lutte des classes. Unefaçon d’aborder une double crisevécue par le mouvement ouvrierdepuis la chute du Mur de Berlin – aumoins – une crise du sujet justement,la classe ouvrière semble s’être éva-nouie et une crise de projet, commenttranscender les classes pour ouvrirla porte à la fin des classes sociales ?Un petit livre qui traite des sujetsimportants pour le monde syndical. • Les rapports sociaux de classes, AlainBihr, éditions Page deux, collectionEmpreinte, 142 p.

• Le deuxième s’inscrit dans lamême logique, construire desconcepts pour « voir » lasociété. Son point de départ :les inégalités hommes/femmes.Elles perdurent dans notre

société comme le montre le dernierrapport de l’INSEE « Regards sur laparité ». Pourquoi ? À quoi font-ellesréférence ? Se poser cette questionc’est refaire tout en chemin, celui dela construction de concepts nouveauxdans les sciences sociales dû à la foisaux combats féministes et aux fémi-nistes qui avaient besoin d’un cadrethéorique original. Roland Pfefferkornpasse en revue les différentes théori-sations qui permettent de rompreavec le « naturalisme » pour aboutir àla construction sociale du « sexe ».« Le deuxième sexe » de Simone deBeauvoir publié juste après la SecondeGuerre mondiale avait inauguré cettevoie pour aboutir au concept de« genre » qui, avec toutes ses limites,a permis de renouveler les études sur

Les peuples victimes de cettepolitique manifestent claire-ment le rejet de l’austérité

par des luttes sociales répétées(grèves générales, manifesta-tions, occupations de placespubliques). Les élections enGrèce et en France confirmentce rejet. Dans de nombreux pays,les élections partielles ou localesmontrent que les gouvernementssont en difficulté.

Austérité sans finPour les peuples les plus touchés,l’austérité c’est concrètement unebaisse du niveau de vie, le déman-télement des services publics, dela santé, de l’éducation et de laprotection sociale, la remise encause des droits des salariés et dela négociation collective.L’austérité paraît sans fin, à peineles précédentes mesures sontmises en œuvre que d’autres sontannoncées. Les luttes continuent,mais elles apparaissent aussi sansfin. Ces peuples ont besoin deperspectives. Les syndicats atten-dent des manifestations concrètesde solidarité et surtout une autreorientation de la politique euro-péenne.En Allemagne, l’opinion publiqueapparaît majoritairement acquiseà l’idée que la crise est due auxpeuples « dépensiers » du Sud,que les autres pays européens doi-vent mener une politique d’aus-térité budgétaire et salariale,comme l’Allemagne l’a faitdepuis 10 ans, pour devenir com-pétitifs. Sans mettre en cause lesrégles de fonctionnement de la

zone euro, dont l’Allemage estaujourd’hui le principal bénéfi-ciaire.

InitiativesCependant, les lignes bougentcomme le montrent les récentesélections régionales. Le syndica-lisme est divisé, entre les syndicatsde l’industrie, sous influence del’opinion dominante, et les syndi-cats de services (Verdi) qui défen-dent des salariés précarisés et malrémunérés. La participation de laGEW, le syndicat des enseignants,à la manifestation de Francort du19 mai, est significative de cetteopposition à l’austérité.Une pétition intitulée « Refonderl’Europe, Stopper la marche versla catastrophe, Maîtriser la crise

par la solidarité et la démocra-tie » circule à l’initiative de syn-dicalistes allemands et du phi-losophe Habermas.La manifestation de Francfort, àlaquelle participent le SNES etla FSU, a pour premier objectif desusciter le débat en Allemagne.

AltersummitLa CES a pour la première foispris position contre un traitéeuropéen, celui qui, soumis à rati-fication, organise une austéritédurable en Europe.La FSU participe au processusde la Joint Social Conference(http://www.jointsocialconference.eu/) qui, réunie au siège dela CES à Bruxelles fin mars, ras-semble des syndicats et des asso-ciations issues du Forum socialeuropéen. Cette réunion a permisde constater que les points de vuesur les solutions altenatives sesont beaucoup rapprochés, maisqu’il manque au mouvementsocial un rapport de forces auniveau européen. À court terme,il faut un événement visible etrassemblant les forces les pluslarges possibles. C’est pourquoil’organisation d’un « Altersum-mit » pour une autre Europe estenvisagée à l’automne. ■

Daniel Rallet

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La mobilisation s’organiseUne situation nouvelle s’ouvre en Europe. Comme attendu, l’austérité a sécrété son propreéchec en alimentant les déficits publics qu’elle est censée combattre.

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le sujet. Il a été récupéré par les Ins-titutions qui l’ont « vidé » de toutcontenu pour éviter de traiter de ladivision sexuelle du travail. Du coup,l’auteur propose, dans la suite logiquedes réflexions d’Alain Bihr, un nou-veau concept, celui de « rapportssociaux de sexe » permettant de liertoutes les luttes pour l’émancipation.La sociologie est aussi un sport decombat ! Nicolas Béniès• Genres et rapports sociaux de sexe,Roland Pfefferkorn, éditions Page deux,collection Empreinte, Lausanne, 2012, 139 p.

Radiographie des policiers...et des RépubliquesChristian Chevandier, profes-seur d’histoire contemporaine,a voulu analyser la place desPoliciers dans la ville. Naissanced’un corps, modalités d’exis-tence, carrière, structure de laprofession, relation avec la,population, comment réussir à êtregardien de la paix… quelques ques-tions qui sont traitées au fil de ce grosvolume. Un travail original qui s’appuiesur une documentation faite d’étudessociologiques, de déclaration des chefsd’État, des analyses d’auteurs anar-chistes, des archives… Pour arriver àla définition d’une identité spécifique– et en construction – forgée dans lescrises que les Républiques succes-sives ont traversées, celle desannées 30 – intéressante à rappelerpar rapport au contexte actuel deremise en cause des libertés démo-cratiques –, celles de la collaborationpendant le Régime de Vichy, de laGuerre d’Algérie, de Mai 68… Pour sor-tir de tous les clichés sur les forces depolice confrontées elles aussi à la cul-ture du résultat et à la RGPP, commeà une hiérarchie forcément tatillonneet à la privatisation. Quelques cléspour comprendre aussi la constructionde syndicats plutôt de droite révélantles failles de cette République. N. B.• Policiers dans la ville, C. Chevandier,Folio/Histoire, inédit, 1003 p.

Connaîtreles États-UnisLa construction des États-Unisd’Amérique a connu un mo-ment-clé, un moment de fon-dation. La guerre de sécession, queles Américains appellent la « guerrecivile » – dans tous les sens du terme– qui a duré de 1861 à 1865 a laissédes traces dans la « mémoire collec-tive » de même que dans les « lieux demémoire ». Les références à cetteguerre restent aujourd’hui encore trèsprésentes. Les discours d’AbrahamLincoln sont enseignés aux élèves des

Un temps, un vent d’optimismea soufflé. Enfin, la BCEcomprenait que, devant la

profondeur de la crise, de la réces-sion, il était nécessaire de rompreavec la politique d’austérité, debaisse des dépenses publiques. Lesdeux pactes devenaient contradic-toires, apparemment du moins. Larenégociation de ce fameux TSCGsemblait à portée de main. MêmeAngela Merkel changeait aussison discours.

Aggravation sociale, économique et financièreLa relance de l’économie, auniveau des pays de l’Union Euro-péenne et particulièrement de lazone euro devenue l’épicentre dela crise actuelle, est urgente pouréviter les conséquences sociales,écologiques catastrophiques dela profonde récession qui menace.Le choc de la crise est désormaisaggravé par la baisse des dépensespubliques qui a déstructuré lesservices publics et la protectionsociale, comme par la baisse ducoût du travail. Un effet de syner-gie qui se traduit par une baisse dumarché final de plus en plus pro-fonde. Les salaires se sont res-serrés autour du SMIC, la préca-risation continue de progresserainsi que le nombre de travailleurspauvres. Le chômage est à lahausse – et cette hausse se pour-suivra – en fonction des restruc-turations des entreprises et lesplans sociaux sont en cours danstous les secteurs, de l’industrie àla grande distribution en passantpar la banque et la finance. Lacrise financière continue, quant àelle, d’exercer ses effets. Lesgrandes banques sont menacéesde faillite. La quatrième banqueespagnole, « Bankia », a été natio-nalisée par le gouvernement dedroite pour socialiser les pertestandis que le Crédit Agricoleessaie de se débarrasser de safiliale grecque « Emporiki » etque les autres grandes banquesde la zone euro ont perdu unegrande partie de leur valeur bour-sière. La BCE, devant l’ampleur

de cette faillite annoncée, a décidéde leur prêter, à 1%, plus de1 000 milliards d’euros pour leuréviter de disparaître. D’ores etdéjà, la BCE ne respecte plus lestermes des traités. Mais aucungouvernement n’envisage, pourle moment, de les revoir pourtransformer la fonction de la BCEet la faire accéder à cette respon-sabilité nécessaire de prêteur endernier ressort. Hollande proposeune banque publique et Merkelde donner plus d’importance à labanque européenne d’investisse-ment...

Quand l’austérité alimente la récessionPourtant, Mario Draghi avait étémal compris. La relance passera,a-t-il déclaré le 3 mai, par desmesures comme « faciliter lesactivités des entrepreneurs » pourcréer « de nouvelles entreprises[...] et des emplois » par l’ac-croissement de la flexibilité, de lamobilité et « la justice sur le mar-ché du travail » (sic !) tout enréduisant les dépenses publiques.Autrement dit, il faut selon luidéstructurer totalement le droitdu travail, supprimer toutes lesgaranties collectives et la pro-

tection sociale pour intensifierle travail, en baisser le coût etpermettre l’augmentation du pro-fit et la compétitivité... avec ledanger d’une récession se trans-formant en dépression. Le« pacte de croissance » ainsicompris dissimule un arsenal demesures d’attaque contre tousles salariés, ayant un emploi ounon, public et privé confondus.Les mots perdent de leur senslorsque relance veut dire austé-rité ! Une manière de reconnaîtrel’absence de légitimité de la poli-tique d’austérité.

Pour une véritable relanceLa situation en Grèce indique clai-rement que cette politique ne peutni résoudre ni l’endettement public– qui ne peut que progresser poursauver les banques – ni combattrela récession qui s’installe, accen-tuée par la politique d’austéritédrastique imposée par la troïka,BCE, Commission européenne,FMI. Y compris en Allemagne,les résultats du land de RW mon-trent que la politique de la chan-celière est contestée. Une véri-table relance s’impose donc pourfaire reculer l’austérité. ■

Nicolas Béniès

DICTIONNAIRE

Relance Draghi : un leurre ?Mario Draghi, le président de la BCE, a proposé un « pacte de croissance » pour compléter le « pacte budgétaire » qui fixe désormais l’objectif de 0,5 % de déficits publics par rapport au PIB au lieu des 3 % du Traité de Maastricht.

Supplément au no 720 du 26 avril 2012 - US MAGAZINE - 19

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ECO/SOCIALRÉENCLENCHER LA MACHINE

Quelle politique économique etfiscale pour les prochains mois ?

Chômage élevé, qui devraitencore s’alourdir avec l’an-nonce de plans sociaux dans

les entreprises, salaires en berne etdéficits publics en hausse, sontles cadeaux laissés par NicolasSarkozy à son successeur. Alorsque la Commission fait déjà pres-sion par des annonces de crois-sance morose, le nouveau Prési-dent semble vouloir confirmer sesannonces de campagne.

Premières mesuresCertaines mesures veulent agirsur le pouvoir d’achat desménages modestes, comme lerelèvement de l’allocation de ren-trée scolaire de 25 % pour envi-ron trois millions de foyers. Legel des prix de l’essence pendanttrois mois serait également décidéen cas de hausse du baril. Et lenouveau Président devra impé-rativement revenir comme pro-mis sur la hausse de la TVA pré-vue en novembre, dénoncéefermement durant la campagne.Un coup de pouce au smic seraitégalement le bienvenu. Les écartsde salaires devraient être limitésde 1 à 20 dans les entreprisespubliques.Pour financer la croissance, laréforme fiscale est l’arme majeure.Elle sera présentée en Conseil desministres dès les élections législa-tives passées, et votée avant la finde la session extraordinaire au Par-lement (le 2 août). Les premièresmesures pourraient entrer envigueur rapidement, notamment lerétablissement de l’ISF : les hautspatrimoines n’auront pas le tempsde profiter de la dernière réformede l’ISF, car conformément à safeuille de route, François Hollandeentend la moduler dès le mois dejuillet, ce qui devrait apporter 2,3milliards d’euros à l’État. La modu-lation de l’impôt sur les sociétésselon la taille des entreprises (30 %ou 35 %), la révision de la réformede la taxe professionnelle et la taxa-tion accrue des banques et des

compagnies pétrolières devraients’appliquer dès cette année. Le pla-fonnement des niches fiscales à10.000 euros par an et par ménage,la soumission des revenus du capi-tal au barème de l’impôt sur lerevenu, la taxation à 75 % des reve-nus supérieurs à 1 million d’eurosne prendront effet qu’en 2013. Lasuppression de la loi TEPA et doncde la défiscalisation des heures sup-plémentaires devraient permettrede retrouver des recettes dont lapolitique de Sarkozy avait privé lebudget de la nation et financer descréations d’emplois. Ces haussesd’impôt ciblées sur les plus hautesrémunérations et les entreprisesqui font des profits ne pénaliserontpas l’activité, contrairement auxponcifs entendus sur le sujet, d’au-tant qu’il s’agit aussi de réorienterles financements, les aidespubliques et les allégements fis-caux sur les entreprises qui inves-tissent en France et exportent.

L’emploiMais c’est aussi sur la relance del’emploi que le Président devratrès vite prendre des initiatives. Àcourt terme, des contrats d’avenirmassifs pourraient être créés dèsseptembre, notamment dansl’Éducation nationale, afin d’of-frir de premières possibilités auxjeunes. Au-delà du financementde contrats aidés (nouveau« contrat de génération »), c’est lapolitique industrielle qui doit êtreune priorité. Les Régionsdevraient y avoir un rôle majeurdans l’accompagnement del’innovation et le développementdes PMI. Emploi, salaires, protectionsociale, services publics... il y aurgence à tourner la page dudémantèlement, et à reconstruireen France et en Europe des poli-tiques sociales et économiquesde développement dans le respectdu devenir de la planète. ■

Élizabeth Labaye

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écoles et ils restent structurants desrapports sociaux et de la construc-tion de la nation. L’Etat fédéral seconstruit dans cette guerre. On nesait pas suffisamment que beaucoupde membres de l’AIT, association inter-nationale des travailleurs – la Pre-mière Internationale – ont émigré auxÉtats-Unis et ont combattu pour abo-lir l’esclavage. Marx a commenté cetteguerre dans les journaux anglais et ila dressé, au nom de l’Internationale,des adresses à Lincoln. Cet ouvragereprend des textes de Marx, de Lincolnet il bénéficie d’une (longue) intro-duction de Robin Blackburn pourappréhender le conflit lui-même au-delà de Autant en emporte le vent ouLa case de l’Oncle Tom. N. B.• Une révolution inachevée. Sécession,guerre civile, esclavage et émancipationaux États-Unis, Karl Marx/Abraham Lincoln,introduction de R. Blackburn, Syllepse, 297 p.

Quel monde !Alain Joxe propose une analysedu monde qui prend en comptetoutes les dimensions de la crisesystémique actuelle, écologique,financière, économique, poli-tique, militaire… pour mettre en

garde contre les dangers qui nousguettent. Le plus important, la volontédes dirigeants – qu’ils soient politiques,économiques ou militaires – de bafouertoutes les libertés démocratiques pourasseoir un pouvoir délirant lié à unmonde de la finance qui ne raisonneque par la spéculation. La « gouver-nance insécuritaire » remplace l’Étatprotecteur, les guerres deviennentrobotisées tout en produisant du spec-tacle, le terrorisme justifie de tous lescomportements dictatoriaux. Le salutvient des résistances. Contre la financemondiale, contre les dictatures et lesdictateurs. « L’empire usuraire » estcertes victorieux mais il est vulné-rable. L’impératif de la démocratie estinscrit dans ce monde qui ne connaîtque la guerre mais des guerres sansvictoire. Elles ont donc tendance à seperpétuer. Pour habituer les popula-tions à des conflits permanents quijustifient toutes les remises en causede nos libertés fondamentales etconduit à des pertes de souverainetéà l’intérieur de l’OTAN. L’ONU n’est paslégitime et devrait être réformé pourle moins. La privatisation de la vio-lence laisse augurer d’un mondeéclaté. La barbarie est à nos portesmais elle est plus invisible que dansles années 30. Une lecture salutairemême si quelques vœux pieux setapissent ici ou là. N. B.• Les guerres de l’empire global. Spécula-tions financières, Guerres robotiques, résis-tances démocratiques, A. Joxe, La Décou-verte, 261 p.

➤➤➤ Suite de la page 19

Le président François Hollande va devoir « réamorcer la pompe » du redressementéconomique dans une situation très dégradée par la crise de la zone euro et les politiquesd’austérité menées à la hussarde.

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DOSSIERLa justice méprisée

Supplément au no 720 du 26 avril 2012 - US MAGAZINE - 21

La justice, comme toutes

les missions de l’État, a subi

les effets de la politique menée

par Nicolas Sarkozy. C’est bien

sûr les suppressions

d’emplois, la réforme de la carte

judiciaire dont le seul objectif

affiché était les réductions

budgétaires au prix d’une

dégradation du fonctionnement

de l’institution.

L’objectif est de réduire le nombre de procédures, en même temps que l’accès libreet gratuit à la justice. Si le pouvoir a reculé sur la réforme particulièrementimpopulaire de la suppression du juge d’instruction, il est resté dans une logiquedu tout répressif, instrumentalisant chaque fait divers tragique pour faire adopterdes « lois de circonstances » sans le recul nécessaire à ce type de démarche.

Mais c’est aussi le mépris des plus hautes autorités gouvernementales que les personnelsde justice ont dû aussi subir. Le mépris d’abord de l’indépendance de la justice, indépendancequi est une garantie essentielle dans toute démocratie, condition nécessaire à l’égalité detous face à la justice. Les interventions n’ont pas cessé, dans des affaires que nous avonstous en tête et pour les nominations, souvent au mépris des avis du Conseil supérieur dela magistrature. Les magistrats n’ont pas échappé à la démarche qui voulait faire d’eux desacteurs serviles de la politique gouvernementale. Les promotions étaient trop souvent larécompense de cette servilité plutôt que celle du mérite et de la valeur professionnelle quepourtant le pouvoir prétendait promouvoir.Même les avocats n’ont pas été épargnés... Désormais les anciens ministres auraient lapossibilité de devenir avocats sans aucune condition, oubliant que le métier d’avocat, c’estcomme le métier d’enseignant... cela s’apprend. C’est une injure pour ceux qui l’exercentque de laisser penser qu’il est possible de l’exercer sans formation.Si l’Éducation nationale est à reconstruire, ce dossier montre que la justice l’est aussi.

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Dossier coordonné par Carole Condat, Catherine Gourbier et Daniel Robin ; réalisé par Marylène Cahouet,Catherine Gourbier, Matthieu Niango et Marcello Rotolo

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La nécessaire indépendancedu pouvoir judiciaire

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R Magistrature assise, magistrature debout

Vers la mort du juge d’instruction ?

Les juges peuvent être juge d’instruction,juge des enfants, juge d’application despeines, juge d’instance, vice-président et

président du Tribunal de Grande Instance(TGI), conseiller et président de la Courd’Appel, voire auditeur, conseiller et présidentde la Cour de Cassation.

Manifester la véritéLe juge d’instruction, désigné par le présidentdu TGI, a pour mission de faire « tout acteutile à la manifestation de la vérité », il estsaisi, soit par le parquet (voir supra), soit parles victimes qui se constituent partie civile.Il ne peut donc pas s’autosaisir. Sachantque le parquet est subordonné au ministre dela Justice et que pour certaines infractionsles victimes ne sont pas connues il y a doncdes affaires qui vont lui échapper. Il n’in-tervient que pour des affaires pénales com-plexes soit environ 10 % des infractionspénales constatées. Le juge d’instructiondepuis la loi du 15 juin 2000 doit demanderau juge des libertés et de la détention leplacement d’un suspect en détention pro-visoire. Il dispose néanmoins de pouvoirs

d’enquêtes extrêmement étendus : audi-tions, comparutions au besoin avec leconcours de la force publique, désignationsd’experts, perquisitions, réquisitions, sai-sies... Il instruit à « charge et à décharge »(article 81 du Code de Procédure Pénale), cequi est à l’opposé du système accusatoireanglo-saxon, son but est de faire éclater la

vérité et non de prouver obligatoirement laculpabilité du « mis en examen ». Il estlibre d’enquêter comme il l’entend.

Une liberté qui dérangeCette liberté dérange, en 2009, N. Sarkozypropose de supprimer le juge d’instruction,Le Comité qu’il met en place reprend cetteproposition, les pouvoirs du juge étant trans-mis au parquet, lequel resterait soumis auministre de la Justice. L’indépendance desjuges, si une telle mesure était adoptée, nesera plus qu’un lointain souvenir. Devant letollé soulevé, le projet est abandonné en2010. Les juges d’instruction instruisant desaffaires dérangeantes pour le pouvoir enplace, une mort douce est programmée parrestrictions : voilà ce que dit David de Fas,juge d’instruction à Nîmes et représentantsyndical dans l’édition du Midi Libre du19 avril 2012 : « Le gouvernement actuel aéchoué dans sa volonté de supprimer le juged’instruction en raison notamment d’uneforte hostilité de la population, mais il sem-blerait qu’il ait décidé de les asphyxier »(en ne remplaçant pas les départs).Plus que jamais la vigilance s’impose enverstoutes réformes qui porteraient atteinte à l’in-dépendance de la justice : à cet égard, le rôledu juge d’instruction est emblématique. ■

Il y a deux catégories de magistrats : assis (dit du siège) et debout (dit du parquet). Les magistrats assis sont les jugescar ils rendent la justice « assis ». Lors des procès, ils conduisent les débats et prennent les décisions. Ils sont théoriquement

indépendants de leur hiérarchie et représentent 75 % des effectifs. Leur inamovibilité est gage de leur indépendance etde leur impartialité. Les magistrats debout prennent la parole debout, lors des procès, ils représentent et défendent les intérêts

de la société, ils sont subordonnés à la hiérarchie et au ministre de la Justice, ils ne sont pas inamovibles.

Réforme de la cartejudiciaire

Engagée en 2007 « afin d’éviterla dispersion des hommes ou des moyens susceptiblesd’assurer la continuité duservice judiciaire » la réformede la carte judiciaire estachevée en 2010.

2007-2010La contestation du mondejudiciaire est forte face à une réforme menée au pas de charge et sans concertation. Lesmagistrats sont en grèvedès le 29 novembre 2007.

29/11/2007 17Dix-sept tribunaux de grande instance(TGI) ont été fermés. Il s’agit des TGI de Marmande, Abbeville, Saumur,Dole, Lure, Avranches, Hazebrouck,Tulle, Montbrison, Saint-Dié, Rochefort,Dinan, Guingamp, Morlaix, Riom,Bernays et Saint-Gaudens.

La France compte819 juridictionscontre 1 206 avantla réforme. 401juridictions ont étéfusionnées avec unejuridiction voisine.

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Son but est de faire éclater la vérité et non de prouverobligatoirement la culpabilité de l’accusé

Une mort douce est programmée par restrictions

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Institués en 1806, les conseils deprud’hommes sont les « juges du droitdu travail », autrement dit, ils ontcompétence pour les litiges entreemployeurs et salariés. Les conseillersélus par les salariés et les employeurssont issus du monde du travail.

Cette institution a toujours été regardéecomme un exemple de bonne admi-nistration de la justice. Par nature, le

conseil des prud’hommes cherche d’abord àconcilier les parties, juge assez rapidement, etse prononce très souvent en faveur du salarié.Son coût est peu élevé, puisque les conseillersne perçoivent pas de traitement, et sont prati-quement bénévoles, même s’ils bénéficientde mesures leur permettant d’exercer libre-ment leur mandat. En somme seuls les frais defonctionnement liés aux greffes et aux locauxen constituent le coût réel.

Conséquences gravesMais sous la pression inavouée du patronat,le gouvernement depuis 2007 organise l’as-phyxie de la justice prud’homale. En cinq ans, 61 conseils des prud’hommesont été supprimés. Les conséquences sontgraves : la centralisation des dossiers et lemanque de greffiers entraînent une explosion

des délais d’instruction des affaires (on passede six mois à deux ans), et dans certains cas ceretard affecte même la notification des juge-ments(1), empêchant les salariés de faire valoirleurs droits. À cela s’ajoute la nouvelle « pré-détermination » du temps d’activité du juge,sans prise en compte des spécificités de chaquedossier. Les conseillers sont ainsi inévitable-ment submergés. Cette forfaitisation a minima

méprise la qualité des décisions et l’égalitéde traitement entre les différentes juridictions.

Décourager le salariéEn amont de la saisine du juge, la nouvelleorganisation cherche à décourager le salarié.Les frais de déplacements liés à la suppres-sion des conseils de prud’hommes de proxi-mité et l’atteinte au principe de la gratuité del’accès à la justice (obligation d’un timbrefiscal de 35 euros : plus de 95 % des deman-deurs à l’instance sont des salariés), sontdes obstacles majeurs pour ces derniers, leplus souvent privés d’emploi et de salaire. D’autres projets de réforme sont en cours,préconisant de nouvelles atteintes graves surle fonctionnement paritaire, l’oralité desdébats, et la remise en cause de l’élection desconseillers au suffrage universel. L’ensemblecherche à complexifier la procédure aux finsque les salariés ne puissent se passer desservices d’un avocat dont le coût en décou-ragera certains. La justice prud’homale est donc peu à peuasphyxiée et mise au pas, pour protéger lesprincipaux bénéficiaires : des employeurspeu scrupuleux. ■

(1) Par exemple, au conseil des prud’hommes deCompiègne, 800 dossiers sont en attente, alors quecette juridiction n’est capable de traiter que 300 dos-siers par an. En outre, 140 jugements n’ont pasété notifiés. Le Parisien, 16 février 2012

Plus de 1 800 agents ont été concernés par la réforme. Ils devaientbénéficier d’un pland’accompagnement social.

Plus de 1 800Le rapport parlementaire sur le budget de la justice pour 2011 évalue à 427 millionsd’euros le seul coût desinvestissements immobiliers liésà la réforme de la cartejudiciaire.

427 millions d’euros314 postes de fonctionnaires du ministère de la Justice ont étésupprimés en 2010 alors que l’activitéjudiciaire s’accroît.

314Il faut désormais 4 heures aux habitantsde Haute-Corrèze (Bort,Ussel) pour l’aller-retourau tribunal de grandeinstance de Brive dont ils dépendent.

4 heuresLe ministère de la Justicea reconnu que le délai moyende traitement des affairesciviles s’était dégradé. Ainsi à Libourne, le délaimoyen de traitementdes dossiers est de 6,7 mois.

6,7 mois

Réformes

Les conseils des Prud’hommes asphyxiés !

Jury populaire« La justice » a diverses approches : longtemps il n’y a eu que la pénale, qui punit les méchants,et la civile, qui donne raison à l’un ou l’autre. En France, la Révolution a fait passer le pouvoir dujuge, symbolisé par Saint-Louis sous son chêne, sous le pouvoir de la loi, que le juge doit appliquer.Elle pouvait cependant être qualifiée de justice de classe. Guizot disait qu’il n’y avait pas de meilleursdéfenseurs de la propriété que les propriétaires eux-mêmes. Il a fallu être moins manichéen quandle patrimoine mondial s’est enrichi de principes fondamentaux tels que le «droit à un procès régu-lier», que sous l’explosion de la demande, la fonction judiciaire est devenue service public, et quel’origine sociale des juges s’est diversifiée.Sont apparues les juridictions modernes prud’homale et administrative, et la pratique et la jurisprudencedes tribunaux ont évolué, telle qu’annoncée par le célèbre « bon juge de Château-Thierry », et illus-trée maintenant par des procédures qui sévissent jusque dans les allées du pouvoir. Mais cela fait que la crise de société se traduit aussi par une crise de la justice.D’abord le coup de frein : l’introduction des jurys populaires, pour privilégier le primitivisme sécu-ritaire sur le droit protecteur, et la menace sur le juge d’instruction, obstacle à la toute-puissancedu pouvoir politique par le bras du procureur.Et puis le sort de tous les services publics : le manque de moyens entraînant lenteur des procédures,mutilation du débat, alourdissement bureaucratique des procédures, avec de surcroît l’abolition dela conquête qu’avait été sa gratuité, par l’exigence d’une taxe de 35 euros sur toutes les demandeset de 150 euros pour les appels, le tout pour dissuader d’y recourir. À politique de rigueur, justice derigueur... donc en perte de rigueur. Roland Weyl, avocat à la Cour, cabinet Weyl-Porcheron

D’autres projets de réforme sont

en cours,préconisant de

nouvelles atteintesgraves sur

le fonctionnementparitaire

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Mort annoncée de la justice des mineursCe n’est pas un scoop : l’ordonnancede 1945 concernant la justice desmineurs ne cesse d’être remise en causedepuis une dizaine d’années.Elle est le fruit d’une longue histoire.

En 1810, la responsabilité pénale est à 16ans. Elle passe à 18 ans en 1908. La loide 1912 instaure les tribunaux pour

enfants ainsi que la liberté surveillée. Lesmoins de treize ans ne peuvent être condam-nés car ils bénéficient d’une présomptionabsolue d’irresponsabilité. Progressivementaussi, l’idée s’affirme que tout jeune est édu-cable et rééducable. L’ordonnance de 1945reconnaît la spécificité de la délinquance desmineurs et la nécessité de la prendre encharge positivement : « La France n’est pasassez riche d’enfants pour qu’elle ait le droitde négliger tout ce qui peut en faire desêtres sains », proclame son préambule.

Un être en devenirLe jeune n’est pas un adulte en miniaturemais un être en devenir, pris en charge pardes professionnels tels que des éducateursou des assistants sociaux. Des juridictionsspécifiques sont créées comme les tribu-naux pour enfants. Priorité est donnée àl’éducatif : le jeune qui doit avant tout êtreprotégé, y compris de lui-même, bénéficiede mesures éducatives. C’est le sens aussi de

l’ordonnance de 1958 relative à la protectionde l’enfance et de l’adolescence en dangerqui prévoit notamment l’intervention pré-ventive du juge pour enfants et la mise enœuvre de mesures éducatives au bénéfice dujeune dont la santé, la moralité, l’éduca-tion ou encore la sécurité sont menacées.Premier durcissement pénal vers les années

1980. Les mesures répressives se multiplientau détriment des mesures préventives et édu-catives alors que le budget de la ProtectionJudiciaire pour la Jeunesse (PJJ) voit sonbudget éducatif diminuer. Les années les plusfortes se font sentir avec la loi Perben de2002 avec notamment la généralisation del’incarcération à partir de 13 ans dans lesÉtablissements Pénitentiaires pour Mineurs,ou les Centres Éducatifs Fermés. Le jugepour enfants voit son rôle diminuer au profitdu parquet. La loi LOPSI 2, en 2007, aggravecette politique : baisse de la responsabilitépénale à 10 ans, comparution immédiate,suppression de l’excuse de minorité, généra-lisation des peines planchers aux 16 ans.

Dangereux glissementEn 2011, la loi supprime de fait ce qui restait dela spécificité de la justice des mineurs en opé-rant un dangereux glissement vers la justice desadultes, notamment par la création d’un tribu-nal correctionnel pour les récidivistes âgés de16 à 18 ans dans lequel le juge pour enfant esten minorité, dispositif en parfaite contradictionavec le Comité des droits de l’enfant et laConvention internationale des droits de l’enfantsignée par la France : « toute personne demoins de 18 ans ne doit ni être jugée commedes adultes ni par des tribunaux pour adultes ».Les jeunes, certains jeunes : ennemis publicsnuméro un ? ■

Les mesures répressivesse multiplient au détrimentdes mesures préventiveset éducatives

Vocabulaire

Personnel de l’administration pénitentiaire qui intervienten prison et à l’extérieur. Il aide les magistrats à la prisede décision judiciaire et à la mise à exécution desdécisions pénales. Il prépare la personne détenue à sasortie et à sa réinsertion.

Juge des libertéset de la détention (JLD)Magistrat du siège du tribunal de grande instance, ayantrang de président ou de vice-président, désigné par leprésident de la juridiction. Créé par la loi du 15 juin 2000,ce juge possède diverses attributions en matière d’atteinteà la liberté individuelle.

L’US : Peux-tu nous décrire ton parcours et quel était ton métierlorsque tu as commencé à l’exercer ?Je suis entrée par concours en 1982 à l’Éducation Surveillée (ancêtre dela PJJ : ndlr) et j’ai ensuite été formée pendant deux ans à L’Écolenationale de la PJJ. J’ai d’abord exercé en Foyer éducatif d’hébergementpuis en unité éducative en milieu ouvert à Rouen, qui est toujours monaffectation actuelle.En 1982, nous suivions à la fois les mesures d’assistance éducative (pré-vention) et les mesures pénales et judiciaires. L’engagement militant étaitfort, sous tendu par la confiance en l’ordonnance de 1945 sur la justicedes mineurs et le temps (parfois plusieurs années) donné pour concevoirle jeune dans sa globalité (relationnel, famille, école) et mettre en placedes projets très individualisés.

L’US : Et le métier aujourd’hui ?Il est radicalement différent, la prévention a disparu. Le temps du suivides jeunes s’est considérablement raccourci en raison des procédures

rapides de jugement. On n’a plus le temps de déployer notre compétence,le flux des jeunes est continu, il faut afficher très vite qu’ils ne com-mettent plus de délits. Le travail n’est pas fait en profondeur, à causeaussi du manque d’autres professionnels dans les équipes (psycho-logues, assistantes sociales). Et pourtant il existe des mesures enattente dans certains services.On devient plus des contrôleurs que des éducateurs et les jeunes nousperçoivent comme ça.

L’US : Tu es aussi syndicaliste, quels seraient les remèdes à cette situation ? Il nous faut du temps pour nouer des vraies relations avec les jeunes, desmoyens ambitieux en éducateurs, psychologues et assistantes sociales(il n’y a plus de recrutement d’AS aujourd’hui). Il faut récupérer l’aspectprévention et les mesures de protection des jeunes.On assiste à une perte de savoir-faire, nous sommes centrés sur des acteset non des individus. Cette situation engendre une vraie souffrance au tra-vail des éducateurs.

Trois questions à Maria Ines, éducatrice à la protection judicaire de la jeunesseet syndiquée au SNPES-PJJ (Syndicat national des personnels de L’éducation et du social PJJ)

Conseiller d’insertionet de probation (CEF)

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Entre 2000 et 2010 la part du budget de lajustice consacrée à l’administration péni-tentiaire est passée de 30 à 40 % (chiffres

arrondis). Deux organes indépendants nousrenseignent sur l’état des prisons en France :L’Observatoire International des Prisons(le dernier rapport date de décembre 2011)et le rapport annuel du Contrôleur généraldes lieux de privation de liberté (le rapportsur 2011 a été rendu public en février 2012).Que pointent-ils ?

Surpopulation carcéraleLe taux de mortalité par suicide reste iden-tique depuis 2003 (14,6 pour 100 000 détenussoit 6 fois plus que pour les hommes libres).La surpopulation carcérale est une réalité,les derniers chiffres du ministère de la Justiceavec 67 171 détenus au 1er avril 2012 font étatd’une augmentation de 4,7 % par an et d’untaux d’occupation de 117,3 %. La consé-quence directe est que le nombre de peines enattente a atteint 85 000. La loi votée en février2012 prévoit d’augmenter le nombre deplaces de prison à hauteur de 80 000 à l’ho-

rizon 2017 (au lieu de moins de 58 000aujourd’hui). Mais pour autant ce ne réglerani le problème de traitement digne des déte-nus (pour lesquels la France est régulière-ment condamnée par la Cour européenne desdroits de l’homme), ni le problème desmanques d’effectifs des surveillants (25 873au 1er janvier 2011 soit 2,6 détenus par sur-veillant alors que ce ratio est de 1,3 au Dane-mark par exemple : souvent un surveillant estseul sur une coursive, soit pour une centainede détenus).

Traiter dignementLe Contrôleur général a rappelé que dans uncontexte sécuritaire les détenus sont traitésnon seulement en conséquence des actescommis mais surtout par rapport à leurdangerosité supposée, « si on traite les genscomme des bêtes fauves, elles deviennent desbêtes fauves. Alors si on ne traite pasdignement les personnes privées de libertédurant leur temps d’enfermement, dans quelétat sortiront-elles ? ». La question contientmalheureusement la réponse. ■

Quelle réinsertionaprès la prison ?

Le service pénitentiaire d’insertion et deprobation (SPIP), service de l’administra-tion pénitentiaire, a été créé en 1999, fusionentre les comités de probation et d’assis-tance aux libérés, nommé maintenant lemilieu ouvert/hors détention, et les servicessociaux éducatifs (SSE) qui concernent lemilieu fermé des établissements péniten-tiaires. Il existe actuellement un peu moinsde cent SPIP. Leurs missions sont définiespar le code de procédure pénale et ontnotamment pour but de favoriser la réin-sertion des personnes majeures, d’assurer lesuivi des mesures judiciaires de milieuouvert, de proposer aux magistrats des amé-nagements de peine, de prévenir les effetsdésocialisants de l’incarcération, de main-tenir les liens familiaux et sociaux de la per-sonne détenue, et d’aider les sortants deprison après avoir préparé leur retour à la vielibre. En milieu fermé, le SPIP assure le lienentre l’intérieur et l’extérieur. En milieuouvert, il travaille avec les magistrats etles autorités locales.Comme dans les autres services publics, lajustice souffre des insuffisances budgétaireset des réformes imposées. En 2008, à plu-sieurs reprises, les personnels UGSP-CGT etSNEPAP-FSU appellent à se mobiliser contreun projet de réforme de la pénitentiaire. En2011, face aux propos de Nicolas Sarkozy surle laxisme de la justice, ce sont tous lescorps de professionnels de la justice (dont lesagents du SPIP) qui font grève dénonçantl’enlisement de la justice, la complexité crois-sante des lois et le manque de moyens. Parailleurs, si la lutte contre la récidive fait l’ob-jet de discours politiques, c’est trop sou-vent pour justifier des mesures répressives.Oui, « la lutte contre la récidive est un objec-tif essentiel » déclare le SNEPAP-FSU. « Elledoit (…) avoir comme objectif une réinté-gration citoyenne dans la société des per-sonnes. Elle repose sur une prise en chargequi nécessite entretiens individuels, travailinterdisciplinaire. Mais cela impose que lespersonnels des SPIP, avant une formationrenforcée, soient acteurs de leur métier etqu’on leur donne les moyens d’accomplirleurs missions. »

Si on traite les genscomme desbêtes fauves,ellesdeviennent des bêtesfauves

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Défenseur de droitsCréé par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, leDéfenseur des droits reprend les missions duMédiateur de la République, du Défenseur des enfants,de la Commission nationale de déontologie de lasécurité (CNDS) et de la Haute autorité de lutte contreles discriminations et pour l’égalité (HALDE). Il estnommé par décret pris en Conseil des ministres.

Peine plancherLe concept de « peine plancher » n’est pasun terme juridique : il désigne la règle quiempêche le juge, dans certaines situationsdéfinies par la loi et dès lors que la culpabi-lité du prévenu ou de l’accusé est reconnue,de prononcer une peine dont le quantumserait inférieur à un seuil minimal.

Détention provisoirePrivation de liberté prononcée à titre excep-tionnel contre une personne mise en examendès la phase d’instruction. Il s’agit d’une mesuregrave, qui consiste à incarcérer une personneencore présumée innocente. C’est la raison pourlaquelle elle est entourée de diverses garanties.

La place de la prison en France

Être emprisonnépour quoi faire ?

Longtemps l’emprisonnement n’a pas été considéré comme une peine, ce n’étaitqu’un moment et un lieu d’attente du procès, et du châtiment. On ne connaît alors(au moins pour le droit laïque) que la prison préventive et non la prison répressive.Il faut attendre le code pénal de 1791 pour que les peines d’emprisonnementfigurent parmi l’échelle des peines encourues. La prison est depuis devenue la peinesymbole de la répression pénale.

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L’US : Le Syndicat de la magistrature dénonce régulière-ment le manque de moyens de la Justice. Quelle est lasituation actuelle ?Matthieu Bonduelle : Catastrophique. Dans son dernier rapport(2010), la Commission européenne pour l’efficacité de la jus-tice classe la France au 37e rang des États du Conseil de l’Eu-rope pour le budget alloué à sa justice. Pour le nombre de fonc-tionnaires, elle est 39e sur 45. Elle compte deux fois moins dejuges et trois fois moins de procureurs que ses voisins. Cette fameuse question des « moyens », lassante à force dedevoir être posée, est trop souvent dépouillée de sa dimensionidéologique. Il s’agit pourtant de l’application à la justice –comme aux autres services publics – des principes néolibérauxdu New Public Management, au cœur de la « réforme de l’État »entreprise dans les années 1990 et qui porte depuis 2007 ledoux nom de « révision générale des politiques publiques ». Lesconséquences en sont multiples : augmentation des délais dejugement, allongement des trajets imposés aux justiciables,explosion de la durée des audiences, non-paiement des heuressupplémentaires des fonctionnaires, défense pénale toujoursplus inégalitaire, peines exécutées tardivement, réduction del’aide aux victimes, mesures socio-éducatives ineffectives...

L’US : Quelles ont été les conséquences de la réforme dela carte judiciaire ? M. B. : Cette « réforme », entreprise en 2007, tient davantage dusaccage, puisqu’elle a consisté à créer 14 juridictions et... à en sup-primer 401, dont plus d’un tiers des tribunaux d’instance (178 sur473) qui traitent les contentieux de proximité (conflits locatifs, sur-endettement, tutelles...). Dans certaines régions, notamment enBretagne, cette réforme « ni faite mais à faire » si j’ose dire a crééde véritables déserts judiciaires. Conséquences : on a éloigné la jus-tice du peuple ; on a déplacé des personnels dans des conditions sou-vent inacceptables et provoqué de la souffrance au travail ; on a gas-pillé de l’argent. Nous demandons depuis plusieurs années qu’unecommission d’enquête parlementaire l’évalue, en vain. Mais noussavons que des juridictions flambant neuves ont été fermées, tan-

dis que d’autres, qui étaient hébergées gratuitement dans deslocaux communaux, ont été transférées dans des préfabriquésloués très cher.

L’US : En quoi le quinquennat qui s’achève a-t-il particu-lièrement mis à mal l’indépendance de la justice ? M. B. : On ne compte plus les petites phrases de responsablespolitiques, chef de l’État en tête, conspuant telle ou telle déci-sion judiciaire en violation de la séparation des pouvoirs. Laritournelle est connue : il n’y a pas de justice, vive le gouver-nement ! On ne peut davantage recenser ici les multiples mani-festations de la reprise en main des parquets par l’exécutif,qu’il s’agisse de contrôler la carrière des procureurs ou de pilo-ter les affaires sensibles. Mais le plus simple est encore deligoter les magistrats avec des textes : loi du 9 mars 2004 pourasseoir l’autorité du garde des Sceaux sur les procureurs géné-raux, loi sur les « peines-planchers » du 10 août 2007 pour entra-ver la liberté d’appréciation des juges, réforme constitutionnelledu 23 juillet 2008 pour recomposer le Conseil supérieur de lamagistrature (CSM) à l’avantage de la majorité au pouvoir…

L’US : Le problème de l’indépendance semble structurel…M. B. : En réalité, notre justice n’a jamais été indépendante,parce que le pouvoir politique n’a jamais voulu qu’elle le soit.En gros, la carrière des procureurs dépend à 100 % du gouver-nement – puisque le CSM n’a pas le dernier mot – et celle desjuges à 95 % – puisque c’est le garde des Sceaux qui a l’initia-tive de leur nomination.

L’US : Travaillant essentiellement seul, critique vis-à-visde son administration, souffrant de manque de moyens,désintéressé sur le plan matériel, le juge d’instructionressemble à un professeur…M. B. : En effet. C’est sans doute pour cela que Nicolas Sarkozyveut le supprimer !

L’US : Qu’attends-tu du prochain quinquennat en matièrede justice ? M. B. : Beaucoup ! Et nous n’avons pas l’intention de baisserla garde. La question n’est pas seulement de savoir commentrompre avec le sarkozysme, mais comment rompre avec tout cequi a fait obstacle à l’avènement d’une justice pleine et entièredans ce pays. Nous avons formulé près de 200 propositions, onpeut les retrouver sur notre site : www.projetjustice2012.org

L’US : Tu as quelque chose à ajouter ?M. B. : Nous ne lâcherons rien ! ■

Entretien

« Rompre avec tout ce qui a fait obstacle à une justice pleine et entière »Matthieu Bonduelle, président du Syndicat de la Magistrature et juge d’instruction à Bobigny, dresse un bilan des années Sarkozy en matière de Justice.©

DR

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Judiciarisation : phénomène par lequelune société a tendance à recourir deplus en plus aux voies judiciaires (police,tribunaux) pour régler des problèmes quipourraient l’être autrement (conflits,criminalité, etc.).

Ce néologisme traduit une réalité incon-tournable, depuis quelques années, demanière croissante, la société est sous

le coup d’un envahissement par le procèsou par la menace du procès. Que ce soitdans le domaine de la médecine (les chirur-giens reculent devant certaines opérations,non par doute thérapeutique mais par peurdes taux d’assurances pratiqués pour couvrirles éventuels procès), de l’enseignement,des droits issus de la culture (propriété intel-lectuelle), d’internet, des droits sociaux etcivils, etc. La société dans son ensemble setrouve confrontée à un processus dans lequel« un traitement juridique ou judiciaire sesubstitue à un autre mode de régulationsociale »(1).

Réguler la sociétéLongtemps la famille, le groupe (les corpo-rations, le village) ont été les vecteurs decette régulation, la société industrielle a misen place de nouveaux instruments, l’école, lessyndicats, l’émergence d’un corps politiquesoumis aux décisions du peuple par le biaisd’élections. La prise de pouvoir du judiciairesur les questions de société s’est accomplieparallèlement à une décrédibilisation du poli-tique, considéré comme inapte à représenterle Peuple. En même temps, le juge est amenéà intervenir dans des conflits institutionnels(affaires politico-financières, scandale dusang contaminé), individuels alors que lesinstruments destinés à canaliser les conflitséchouent. Le Conseil d’État revendique son

droit à une action « politique » et juge de plusen plus en parfaite opportunité. Le politiquelui-même est de plus en plus tenté d’interve-nir dans la définition du droit pénal en fixantles peines encourues en fonction des délitscommis (loi Perben II de 2004), en corsetantle pouvoir d’appréciation du juge, à qui ondemande pourtant de plus en plus souvent deréguler la société.

Puissance de la loi ?Cette évolution en France déroute et interroge,la France est un pays « légocentrique », héri-

tier du droit écrit Romain et dévoué à latoute-puissance de la Loi. L’évolution indi-quée s’est faite d’abord dans des pays anglo-saxons de « common law » où le droit, plussouple, est souvent le fait des juges.Parallèlement, à ce recours accru au juge, sedéveloppent des institutions de médiation direc-tement inspirées de l’« ombudsman » scandi-nave : médiateur de la République devenu leDéfenseur des droits en 2011, médiateur del’Éducation nationale, des opérations de bourseou du service universel postal... Mais cettecréation ne s’est pas accompagnée de pou-voirs décisionnaires octroyés à ces institutions.Ce double mouvement pendulaire (demandeau juge et au médiateur) s’accompagne d’uneforte défiance vis-à-vis des organismes repré-sentatifs dont les syndicats. La tentation juri-dique individuelle est le corollaire d’un affai-blissement relatif de ces derniers, laminéspar une crise économique durable et ram-pante, jointe à un fort désir du politique delimiter leur action. En ce sens le mouvementinitié depuis 2008 de limitation du droit degrève qui s’est accompagné d’une forte judi-ciarisation de la grève est tout-à-fait repré-sentatif des évolutions en cours.Le recours au juge a alors clairement marquéses limites. ■

(1) Jean Jean-Paul « La judiciarisation des ques-tions de société », Après-demain n° 398, oct.-nov. 1997, p. 21.

L’action juridique du SNES : une nécessité non une finalitéL’action juridique a une place spécifique dans ce dossier consacré à la justice, les militants qui l’ani-ment sont avant tout en contact avec leurs collègues dans une démarche d’aide et de soutien. Nous avons affaire aux magistrats de l’ordre administratif qui ne sont pas soumis au statut spé-cial de la magistrature : fonctionnaires d’État avec un statut particulier, ils composent les tribu-naux administratifs et les cours administratives d’appel ainsi que le Conseil d’État ; nous avons commeadversaire l’État, qu’il soit représenté par le recteur ou le ministre. Le juge administratif doit intervenir pour faire appliquer des règles auxquelles l’administration essayed’échapper, que ce soit par manque de connaissances, ou sciemment pour réaliser des économiesen termes de budget ou de postes. Les multiples recours engagés ont fait progresser par exemple la situation des TZR (établissementde rattachement, frais de déplacements et affectation dans d’autres disciplines). À notre demandele Conseil d’État a annulé le cahier des charges de la formation des stagiaires de mai 2010. L’action juridique est par essence limitée, les règles peuvent être peu claires, les situations injustesmais légales, les jugements défavorables, elle reste indissociable de l’action revendicative sanslaquelle elle ne peut pas prendre toute sa place.

Enjeux

Vers une société encadrée par les juges ?

La prise de pouvoir du judiciaire sur les questions de société s’estaccomplie parallèlement à une décrédibilisation du politique

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28 - US MAGAZINE - Supplément au no 720 du 26 avril 2012

MÉTIER

NON-TITULAIRES

Le ministère se hâte lentement

Par une telle fusion, le ministère a visédeux objectifs : poursuivre le mouvementde dénaturation des séries technologiques

tertiaire et économique et sociale, accompagnerle mouvement des suppressions de postes.La réforme des lycées a porté de rudes coupsaux séries technologiques en termes de conte-nus plus généralistes et de réductions horaires,de la Seconde (passage d’IGC à PFEG) à laTerminale. Ce faisant, elle a rendu encoreplus illisibles les spécificités propres à chaquesérie dans le cycle terminal.

Spécificité des formationsLa redynamisation des flux impose de redon-ner de la lisibilité par un affichage clair desspécificités propres aux formations techno-logiques tertiaires et économique et sociale.Cette lisibilité doit se faire en terme d’offre surdeux enseignements d’exploration distinctsmais aussi en terme de contenus. Les contenusde PFEG doivent retrouver une dimensiontechnologique gage d’attractivité, ceux deSES une dimension macroéconomique etsociologique. Cela n’exclut pas l’ouverturepermise par les concepts économiques abor-dés dans le cycle terminal selon une archi-tecture propre aux deux séries. C’est par une meilleure connaissance del’identité de ces formations que nous com-battrons auprès des élèves de fin de Troi-sième la perception d’une voie technologique« de relégation et d’échec », image faussepuisqu’elle est contredite par les chiffres entermes de réussite du plus grand nombre, de

poursuite d’études et d’insertion. Nous devonscontinuer à démontrer que l’on peut arriveraux mêmes exigences intellectuelles par dif-férentes voies et structures des séries.

Complémentarité des enseignementsNous devons combattre l’idée d’une rivalitéentre ces deux types de formation qui seraitrésolue par la fusion, mais au contrairedéfendre celle d’une différenciation, d’unecomplémentarité mise au service des élèvespour leur permettre des choix plus ouverts etéclairés en fin de Seconde. Rien ne sera résolu par la fusion, bien aucontraire ! Elle aura des répercussions aussipréjudiciables pour les professeurs d’écono-mie-gestion que pour ceux de SES : elle faci-litera la récupération d’heures par les établis-sements, la réduction du nombre de groupes

avec des effectifs encore plus surchargés. Elleaura un impact sur les postes. Loin d’en « sau-ver », ce dispositif aidera à en supprimer. Laperte de lisibilité induite par le processus defusion accompagnera ce processus. En aval, lesséries ES et STMG en seront fragilisées demême que la reconnaissance des enseignantsau niveau de leurs qualifications propres obte-nue par les concours de recrutement.

Pour toutes ces raisons, dans lesétablissements concernés, les col-lègues doivent se mobiliser enmettant en avant nos demandes,

informer sur les dangers d’une telle fusionet voter contre sa mise en place dans lesconseils d’administration qui doivent obli-gatoirement se prononcer. ■Sylvie Obrero

(1) Principes fondamentaux de l’économie et de la gestion

La loi a été publiée le 13 mars dernierprès d’un an après la fin des négociations.Un décret paru le 4 mai fixe les règles

générales d’organisation des recrutementsréservés, il convient désormais que le minis-tère de l’Éducation nationale élabore sespropres textes pour qu’enfin une premièresession puisse s’organiser.

Recrutements réservésLes personnels éligibles(1) ne pourront se pré-senter qu’à un seul recrutement réservé parannée civile et, malgré la demande du SNESet de la FSU, une seule modalité de sélection(concours réservé ou examen professionnel)sera organisée pour la titularisation dans uncorps donné (certifiés, CPE ou CO-Psy).Lors du comité technique ministériel du16 avril, la DGRH du ministère annonce unepublication des décrets et des arrêtés dans le

courant de l’été, et l’organisation de quatresessions à partir de 2013 et jusqu’en 2016.10 000 agents seraient concernés.Le SNES a obtenu que les commissionsconsultatives paritaires, les CCP élues enoctobre dernier, soient réunies par les recteurspour examiner le recensement nominatif deséligibles. Cette opération est déterminantepour obtenir un nombre de postes égal aunombre des ayants droit. Les CCP doiventaussi être saisies du recensement des contrac-tuels dont le CDD doit « automatiquement »être transformé en CDI à la date du 13 mars2012. Il est urgent que ceux qui ne l’ont pasfait adressent leur fiche syndicale de recen-sement à la section académique. ■

Anne Féray, Vincent Lombard

(1) Un prochain supplément à L’US reviendrasur les conditions à remplir.

FUSION PFEG(1)/SES EN SECONDE : La circulaire de rentrée 2012 parue en avril dernier rend possible dans les établissements la fusion des deux enseignements exploratoires PFEG et SES en Seconde au sein d’un même enseignement d’exploration, dans le cadre d’une expérimentation.

Refuser une fausse solution

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opération de communication. Il peut êtredemandé aux enseignants d’attester en avoirpris connaissance, mais pas de la signer.

Procédure disciplinaireAu JORF du 5 mai est paru le décretn° 2012-640 réformant la procédure disci-plinaire applicable aux candidats du bacca-lauréat. À partir de la session 2012, les« auteurs ou complices d’une fraude ou d’unetentative de fraude » ne relèvent plus de lacommission disciplinaire des universités,mais d’une commission académique. LeSNES a dénoncé une tentative de remise encause du statut du bac comme premier gradeuniversitaire, d’autant qu’aucun bilan n’aété fait des prétendus dysfonctionnementsde la session 2011 dont le ministère se pré-vaut pour qualifier la procédure universi-taire de trop longue et de mauvaise qualité.Au terme de débats animés, le ministère acédé sur l’entrée dans la commission d’unétudiant et d’un lycéen élus au CA de l’uni-versité et au CAVL, le vote à bulletinssecrets, et a donné aux rectorats un délai dedeux mois après la fin de la session pourstatuer sur tous les cas, mais a refusé la miseen place d’une procédure de recours autre quele tribunal administratif.

Les problèmes cruciaux sont ailleurs et n’ontpas été réglés : difficultés liées aux délaistrès courts de correction alors que le vivier decorrecteurs diminue avec les suppressionsde postes (en particulier en histoire-géogra-phie du fait de la juxtaposition cette année desépreuves en Première et Terminale S),absences de mesures pratiques pour luttercontre la triche, etc. Le SNES continuera à défendre une autreorganisation du bac et en particulier pour lasession 2013. ■

Romain Gény, Valérie Sipahimalani [email protected]

BACCALAURÉAT

Session sous tension

INDEMNITÉS DE JURY, DE CONCOURS ET DE FORMATION

Nouveaux textes et provocations

Les écrits du baccalauréat commencent le18 juin, la session s’achève le 11 juillet, etles convocations pour les jurys commen-

cent à arriver dans les établissements. Le SNEScontinue de dénoncer les contraintes inhé-rentes à une organisation prévue sur à peineplus de trois semaines. Dans ce contexte tendu,nous faisons ici le point sur les textes decadrage parus récemment.Au BO n° 15 du 12 avril 2012, la circulaire2012-059 décrit et encadre l’organisation desépreuves, depuis les règles d’élaboration dessujets jusqu’à l’organisation matérielle deleur déroulement dans les centres d’examen.Si ce texte ne pose pas en soi de problème, ilest accompagné d’une « charte de déontolo-gie » qui, elle, est contestable : on y sent lapression forte que vont subir les agents cetteannée. Se voulant une réponse aux dysfonc-tionnements de la session 2011, elle est adres-sée aux personnels concepteurs de sujets oumembres de jury, et fait planer une ambiancede suspicion d’autant plus détestable qu’ils nesont en rien responsables des problèmes rele-vés l’an passé (fuites chez des prestatairesextérieurs, triche des candidats). N’ayantaucun caractère juridique plus contraignantque les obligations réglementaires des fonc-tionnaires, cette charte est avant tout une

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LES 3C(1) : AVENIR DES CDI ?

Suite à l’abrogation au 1er septembre 2011des textes régissant les rémunérations destravaux de jury, le ministère a publié en

mai seulement, les textes qui en fixent les

montants pour la session 2012 des examens etla session 2013 des concours. Ces montantssont fixes, sans mécanisme de revalorisation.Pour le bac, si la copie reste rémunérée à 5 €

et si le taux de rémunération des oraux estreconduit à l’identique, le ministère inscritdans les arrêtés le retrait d’une fraction desHSA lorsqu’un enseignant « s’absente » pourparticiper à un jury d’examen ou de concours.Le SNES conteste cette mesure de caractèrevexatoire et interviendra pour sa suppression.En ce qui concerne les concours de recrute-ment, la rémunération de l’oral est en baisse. Quant aux activités de formation, on voit appa-raître des fourchettes de rémunération en fonc-tion de la spécificité de la formation ou del’intervention. Pour catégoriser le niveau decomplexité, on distingue « sensibilisation et ini-

tiation » (de 25 € à 40 € de l’heure), « appro-fondissement », « expertise », « conférencesoccasionnelles » (de 40 € à 100 €), « confé-rences exceptionnelles » (de 100 à 175 €). Cesappellations seront donc sujettes à des inter-prétations diverses. La marge de manœuvredans les fourchettes dépendra bien entendudu budget alloué aux formations.Élaborés sans discussion, ces arrêtés laissententières les questions auxquelles nous sommesconfrontés. Le SNES demande leur remise àplat dès maintenant. ■

Erick Staëlen, [email protected]

Arrêté du 13 avril au JO du 2 mai 2012 ; arrêtés du7 mai au JO du 10 mai. Pour les jurys de BTS :arrêté de l’enseignement supérieur annoncé sousquinzaine.

La circulaire de rentrée 2012 officialise ce projet, inspiré du modèle desLearning Center, porté avec zèle par l’IG EVS. Les CDI deviendraient alorsuniquement des lieux de ressources pour les établissements, mais aussi pourl’environnement local. Dans ce nouvel espace, les élèves pourraient en touteautonomie accéder aux « connaissances ». Quid dans ces conditions du rôlepédagogique des professeurs documentalistes ? Pour forcer cette évolution,un vade-mecum doit être envoyé dans tous les établissements scolaires.

Le SNES dénonce cette dérive vers le modèle anglo-saxon du LearningCenter, qui n’a fait l’objet d’aucune concertation, et demande l’abandon dece projet qui est une tentative de passage en force pour remodeler lesmissions des professeurs documentalistes.

Pour s’informer : www.snes.edu/Du-CDI-au-3C.html

(1) Centres de Connaissances et de Culture

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EMMANUEL, MARIE, SANDRINE ET LES AUTRES... Pour l’État, l’Éducation nationale est le premier employeur d’agentsnon titulaires, ils représentent 5 % de l’ensemble des personnels du second degré ; qu’ils soient enseignants,personnels d’orientation ou de vie scolaire, agents d’entretien ou qu’ils remplissent d’autres tâches tout aussiessentielles, ces personnels sont précaires : embauchés avec un CDD, sans formation, peu ont pu obtenir lagarantie de réemploi avec un CDI ; ils font pourtant le même métier que nous, nous les côtoyons tout au long del’année scolaire. Pour tenter de comprendre et d’approcher les doutes et les angoisses qui sont le lot quotidien deces collègues, certains ont accepté de témoigner, mais nous avons changé les prénoms.

Emmanuel ne peut pas se permettred’être reconnu : il est à la merci durectorat qui lui propose, ou non, un

poste. Dans ces conditions, impossible de nepas accepter la première proposition durectorat ; à chaque rentrée, l’angoisse est lamême, depuis plus de dix ans : obtiendra-t-il un poste d’enseignant, sera-t-il en mesurede vivre décemment, avec sa femme et sestrois enfants ? Emmanuel est diplômé desBeaux Arts (bac +5) ; en 2000, à la recherched’un emploi, il fait son entrée dans l’Édu-cation nationale en tant qu’enseignant d’Artsplastiques : il accepte, car il a besoin d’unsalaire, un travail à temps partiel à 80 km dechez lui (le rectorat lui laisse entendre ques’il rend ce service, il sera mieux traitél’année suivante, obtiendra un poste prèsde chez lui...). Cette année-là, jeune, sansaucune formation, sans tuteur, il estconfronté à un « monde à part », comme ille dit lui-même : il enseigne dans une ZEPdure, connaît des difficultés importantesqu’il assume seul, ne rentrant chez lui qu’àla fin de la semaine : un salaire à tempspartiel ne permet pas d’absorber les fraisde route... Le remplacement s’achève à la

fin du deuxième trimestre ; on lui proposealors une vacation pour finir l’année scolaire,avec toujours moins de droits...

Précarité : terre de non-droitsEmmanuel obtient un poste l’annéesuivante, mais ce répit sera de courte durée ;une opération médicale et une convales-cence le mettent sur la touche quelquesmois, les personnels de la DEPP(1) changent,et Emmanuel n’est plus connu des services...C’est un nouveau parcours du combattantqui l’attend, avec son lot de chômage, d’at-tente, d’incertitude. Dix ans plus tard,Emmanuel n’est pas moins précaire : aucunegarantie de réemploi, aucune assurance surl’avenir, et des rentrées d’argent modestes etincertaines. « J’ai parfois l’impression d’êtreun hors-la-loi, dit-il, je suis intérimairedepuis plus de dix ans ! Je n’accepte pasl’utilisation que l’Éducation nationale fait degens comme moi : si elle embauche desprécaires de façon ponctuelle, comme unealternative exceptionnelle, là je comprends ;mais aujourd’hui, ça fait système. On nousfait rentrer par la petite porte, mais on nenous reconnaît pas : il faut reconnaître ceuxqui ont fait l’affaire pendant des années,

les embaucher de façon définitive : sinon,c’est de la maltraitance de la part de l’ins-titution ! »Maltraitance car le précaire doit rester àdisposition et attendre un poste : impossiblede chercher du travail ailleurs. Maltraitancecar il est mal payé (le traitement minimaljuste au-dessus de 1 200 euros net par moisest rarement perçu complet toute l’année ;les rectorats systématisent en effet l’arrêtdu contrat de l’agent précaire avant lescongés, pour ne pas avoir à le payer pendantles vacances : « j’arrête toujours mesremplacements avant les vacances car le

Aucune garantie de réemploi, aucune assurance sur l’avenir

Nos collègues sans visage

PORTRAIT P R É C A I R E S D A N S L ’ É D U C A T I O N N A

EN CHIFFRES

1 million d’agents non titulairesdans la Fonction publique (FP)

2/3 des non-titulaires de la FP sont

des femmes

16,8 % des agents de la FP

sont non titulaires en 2009

32,1 % d’augmentation des effectifsde non-titulaires dans la FP

entre 1998 et 2009

Sources : Site FSUhttp://actu.fsu.fr/La-precarite-dans-la-Fonction

Site ministère de la FP :http://www.fonction-publique.gouv.fr/

Que font-ils ? En 2009, dans la fonction publique d’État (FPE),les non-titulaires sont recrutés pour les besoinssuivants :• missions particulières de service public (AED, en-

seignants et chercheurs temporaires...) : 32 % ;• offre d’une expertise ou de compétences

techniques particulières, plutôt dans l’admi-nistration : 19 % ;

• occupation d’emplois vacants : 49 %Sources : site ministère de la FP :www.fonction-publique.gouv.fr

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titulaire revient en juin. Je ne suis pas payéen juillet et en août, je touche le chômagealors, versé souvent avec un mois et demi deretard, ce qui crée une tension financière.Comment fait un précaire seul pour payerson loyer ? ».

Sans visage et sans voixEmmanuel aime pourtant son métier, ill’exerce depuis des années essentiellement enZEP, et dit : « je me sens utile pour lesjeunes, et j’ai l’impression d’être dans uneréalité que ne côtoie pas la plupart des

Portrait réalisé par Véronique Ponvert

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Témoignages• Marie : AED depuis 5 ansJ’ai 34 ans, je suis mariée et j’ai deux enfants ; je suis actuel-lement en master 2 d’enseignement en école primaire. Évidem-ment, suivre des études est compliqué quand on travaille 38heures par semaine, et élever une famille est difficile en gagnant1 0 8 0 euros net par mois...Pour moi, la précarité, c’est ne pas subvenir à ses besoins et nepas réussir à boucler les fins de mois, malgré une activitéprofessionnelle et la volonté de s’en sortir. C’est aussi de ne pasavoir de certitudes sur l’avenir (contrat à durée déterminée :fin du contrat après 6 ans de service). C’est enfin ne jamaispouvoir dire non à la hiérarchie, ne pas être libre.

• Sandrine, AVS depuis 2 ans et demiJ’ai 46 ans, je suis séparée ; j’ai été embauchée par l’inter-médiaire de Pôle emploi, en tant qu’AVS, avec un CUI (contratde 6 mois, renouvelable quatre fois) ; depuis janvier, j’ai unnouveau contrat (signé avec le rectorat), je ne sais même pasde quelle nature il est ! C’est un contrat de 30 heures (untemps partiel imposé), et je touche 854 euros net par mois ! Jesuis obligée de faire de l’aide aux devoirs pour m’en sortir, jene peux pas vivre avec un tel salaire. Je n’ai aucun droit auniveau de l’Éducation nationale : je n’ai reçu aucune forma-tion pour accompagner le handicap, pourtant je m’occuped’une enfant handicapée qui a besoin de moi. Pour moi, laprécarité, c’est l’instabilité et la peur du lendemain ; à nos âges,on n’a pas le droit de se tromper.

QUELQUES CHIFFRESBilan social du ministère

de l’Éducation nationale, janvier 2010

78 000 assistantsd’éducation ou pédagogiques

22 250 contractuels enseignants (hors vacataires)

Âge moyen (enseignants) : 39 ans

50 % des contractuelsenseignants rémunérés

à un indice inférieur ou égal à 372 (net mensuel : 1 400 €)

81 % des hommes non titulairesexercent à temps complet

72 % des femmes (pour 96 %

et 86 % chez les titulaires)

gens ». Pourtant, il regrette de ne pouvoirs’investir davantage, faire des projets d’uneannée sur l’autre avec ses classes : « je souffredu manque de stabilité, de cohésion et delien entre collègues : au bout du compte, lesélèves sont pénalisés car il n’y a aucunecontinuité pédagogique » ; il explique qu’iln’est pas libre, qu’il ne peut pas exprimerson refus des réformes, qu’il ne peut pas –trop – s’opposer à la hiérarchie ; il confieaussi son difficile positionnement dans lasalle des profs, le mépris qu’il ressent descollègues, parfois, et l’indifférence, souvent.Indifférence bien compréhensible puisqu’il nefait que passer... les collègues précaires sesuccèdent, et bien souvent, les collègues titu-laires ignorent tout de leur situation.Emmanuel est syndiqué : au départ, il pensaitque le syndicat ne défendait que les titu-laires, mais la rencontre avec des syndica-listes du SNES lui a démontré le contraire.« Je me sens mieux protégé, car le cadrecollectif est très important, il m’a mêmepermis de faire grève. Je sais que le SNEStravaille à moyen et long terme pour lesnon-titulaires. » Un travail de longuehaleine, qu’il faut poursuivre, sans relâche,pour tordre le cou de façon définitive à laprécarité. ■

(1) DEPP : Direction de l’éducation de la prospective et de la performance

Quel type de contrat ?Pour en savoir plus, voir site du SNES

• Enseignants (maître auxiliaire, contractuel, vacataires) :www.snes.edu/-Reglementation-obligations-et-.html

• Non-enseignants (AED(1), AVS(2), AP(3)) :www.snes.edu/-Le-Memo-Assistants-d-Education-AED-.html

• Non-titulaires :www.snes.edu/-Non-Titulaire-.html

(1) AED : Assistant d’éducation, (2) AVS : Auxiliairede vie scolaire ; (3) AP : Assistant pédagogique

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CATÉGORIES

Àl’automne 2011 est paruLe manifeste pour unesanté égalitaire et soli-

daire : l’un des auteurs, AndréGrimaldi (professeur à la Pitié-Salpétrière), est bien connu pourson engagement en faveur duservice public hospitalier,d’une éthique médicale auservice des plus vulné-rables, d’une baisse duprix des médicaments, dudéveloppement de la préven-tion et de l’augmentation desrecettes de la Sécurité socialepar une réforme fiscale et uneCSG progressive.Depuis vingt ans (1), les statis-tiques ont introduit un indicateurde renoncement aux soins.D’autre part, l’allongement del’espérance de vie ne s’accom-pagne pas d’une plus grandedurée de vie en bonne santé.

La santé en campagneLa campagne présidentielle n’aété marquée qu’en incidentes pardes ouvertures sur les questions

vées, lesd é p a s s e -

ments d’honorairesseront encadrés. Uneloi-cadre sur lesquestions liées auvieillissement a étéannoncée.La reprise de laquestion de la perte

d’autonomie estdonc une bonne chose.

Rappelons que le but, pour nous,est la diminution du reste à chargedes personnes concernées et des

familles, le reste à chargemoyen étant supérieur

au montant de laretraite moyenne

en France(1 214 €). Il

faut veiller à cequ’un cinquième

risque ne dérive pas,par une espèce dep s e u d o - l o g i q u e ,

vers une cinquièmebranche : l’essentiel du finan-

cement solidaire de la dépen-dance relève et doit continuer derelever de l’assurance maladie.

Pour une santé solidairePour la démocratie sanitaire, sou-tenons l’idée d’états générauxdécentralisés et battons-nous pourun service public de la médecinede proximité et la restauration del’hôpital public. ■

Jean-Paul Beauquier

(1) Santé protection sociale, IRDES(Institut de recherche et de documen-tation en économie de la santé), 1992.

INTRA 2012. La vérification des vœux et barèmes des collègues demandeurs de mutation est un moment essentiel de la chaîne des opérations d’affectation : il s’agit, au sein des instances paritaires, de vérifier et d’établir la situation et le droit de chacun.

Une étape vraiment essentielleL

es erreurs de l’administration sont trèsnombreuses ; elles peuvent frapperjusqu’au tiers des collègues.

Dans l’ensemble des académies, lesgroupes de travail de vérification desvœux et barèmes, émanations des com-missions paritaires, se tiennent en cetteseconde quinzaine de mai. Un travailconsidérable y est conduit par les com-missaires paritaires qui font corriger denombreuses erreurs ou oublis de l’admi-nistration. Ces corrections sont notam-ment facilitées lorsque les élus des per-sonnels disposent des fiches syndicalesde suivi individuel, accompagnées de laphotocopie du formulaire de confirma-tion et des pièces justificatives.Il s’agit en premier lieu d’établir, enconfrontant les documents de l’adminis-tration avec les éléments apportés par lescollègues demandeurs de mutation, que lasituation et les droits de chacun sont plei-nement pris en compte par les servicesrectoraux, dans le respect des textes com-muns organisant la gestion des mutations.

Il s’agit aussi, à partir de l’étuded’exemples individuels concrets, d’obtenirdes améliorations collectives en pesantpour une meilleure application des textes,profitable à tous.

Droits des personnelsCes groupes de travail, enfin, établissent lesdroits des collègues victimes de la sup-pression de leur poste, en vue des opéra-tions de réaffectation par mesure de cartescolaire qui se dérouleront en juin pro-chain lors du mouvement intra lui-même.Les sections académiques du SNES mobi-lisent des militants nombreux et expéri-mentés pour répondre à vos demandes :permanences téléphoniques, courriels etcourriers, sites web académiques… Lessyndiqués et les collègues qui nous ontenvoyé la fiche de suivi individuel (et signél’autorisation qui y figure) recevront uneinformation personnalisée : barème, affec-tation proposée, suivi TZR... ■

Christophe Barbillat, Lionel [email protected]

de santé : l’hôpi-tal n’est pas une entre-prise, la convergence public-privé doit être supprimée.Retenons trois engagements duprogramme du nouveau Prési-dent en matière de protectionsociale : le cinquième risque(dépendance) relèvera de laSécurité sociale, la tarificationdes soins sera réformée pourmettre fin à la compétition entrehôpital public et cliniques pri-

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SANTÉ

Protection sociale : les urgences

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Supplément au no 720 du 26 avril 2012 - US MAGAZINE - 33

HORS-CLASSE DES CERTIFIÉS ET CPE

CAPA en cours

Les commissions paritaires aca-démiques sont actuellementconsultées sur les proposi-

tions des recteurs pour l’accès descertifiés et CPE à la hors-classe.Sont promouvables à la hors-classe tous les collègues ayantatteint le 7e échelon de la classenormale au 31/12/2011. Il n’y adonc pas besoin de faire acte decandidature. Chaque recteur défi-nit un barème lui permettant declasser les promouvables selondes priorités académiques et dedésigner les promus. Ce barèmeacadémique s’appuie obligatoire-ment sur la note globale des per-sonnels. S’ajoutent ensuite deséléments relatifs au « mérite », telqu’il est vu par le ministère, c’est-à-dire l’avis des chefs d’établis-sement et des IPR qui peuventêtre modérés parfois par l’an-cienneté de carrière.

L’inégalité des avisOn a pu constater malheureuse-ment depuis 2005 que les inéga-lités entre établissements et dis-ciplines dans une mêmeacadémie sont essentiellementdues à l’appréciation de ce« mérite », en dehors de touteconsidération pour l’ensemblede la carrière et des élémentsobjectifs la constituant (la nota-tion et la qualification assuréepar des titres et diplômes).Que signifie le « mérite » quandon constate qu’une grande partiedes collègues en fin de carrièrene sont pas inspectés depuis plusde cinq ans ? Si bien évidemmentles retards d’inspection pèsenttrès lourds les effets en sont sou-vent cumulatifs sur toute la car-rière avec la prise en compte desmodes d’avancement aux 10e et11e échelons. Aux inégalités entreacadémies avec un barème met-tant trop en avant le poids desavis hiérarchiques, s’ajoute le

volume du contingent acadé-mique qui ne permet pas toujoursde promouvoir la totalité des col-lègues promouvables au 11e éche-lon, ce qui rend particulièrementscandaleux des promotions attri-bués au 10e voire 9e échelon.

Les élus du SNESDans les CAPA, les élus duSNES défendent des critères plustransparents et plus justes queceux imposés par les recteurs.L’objectif est qu'aucun collèguene parte à la retraite sans avoiratteint l’échelon terminal de lahors-classe.Pour une défense efficace,envoyez à votre section acadé-mique votre fiche syndicale desuivi individuel (http://www.snes.edu/Acces-a-la-Hors-Classe-des.html) accompagné de tousles documents que vous jugerezutiles. ■

Erick Staëlen, Xavier [email protected]

La définition du temps de tra-vail des CPE est récente. En1970, leur décret statutaire

crée ce nouveau corps et l’axesur les missions éducatives etpédagogiques qui en font encoretoute sa richesse. Le passé n’aalors pas tout à fait disparu,temps où les CPE, corvéables àmerci, voyaient leurs horairestrès extensibles. C’est seulementen 1982 que les 39 heures heb-domadaires donnent un véritablesouffle à ces personnels dontl’identité professionnelle est ren-forcée par la circulaire qui pré-cise leurs missions et leursconditions d’exercice. En 1996,leurs permanences de vacancessont réduites et cadrées. En2002, c’est dans la lutte quel’ARTT (Aménagement etRéduction du Temps de Travail)institue les 35 heures !

Charge de travail excessiveAujourd’hui, face à une charge detravail excessive en lycée comme

au collège, ces avancées socialeset syndicales restent une préoc-cupation. Les textes actuels sontparfois mal interprétés avec desgestions à la minute pour aug-menter la couverture horaire, sanscontrepartie ni rattrapage desdépassements. Les réunions, les conseils, lesrencontres avec les famillescompressent le reste des activi-tés, les tensions au travail sontde moins en moins supportables(Cf. enquête du Carrefour santésocial 2011).

1 CPE pour 250 élèves Pour répondre à cette surchargede travail, il faut réduire leseffectifs à suivre à un CPE pour250 élèves. Cette revendicationlégitime se heurte à la politiquede restriction du nombre defonctionnaires et à une concep-tion managériale du métier où leCPE, « chef du service », asso-cié étroitement à l’équipe depilotage de l’établissement,

déléguerait aux AED et autrescontrats précaires une grandepartie de l’accompagnementéducatif ; un CPE par établis-sement peut alors suffire.Cette conception économe s’op-pose à celle des personnels, axéesur le suivi des élèves aux côtésdes équipes pédagogiques et édu-catives, et oublie la nécessité d’unsuivi éducatif de qualité par desprofessionnels qualifiés.

Pour une NBIEn attendant un plan de pro-grammation des recrutementsqui n’oublie pas les CPE, lenouveau mandat adopté à Reimsde reconnaissance de la chargede travail par une NouvelleBonification Indiciaire (NBI) àchaque CPE ayant plus de 250élèves, doit être lui aussi portéavec force. ■

Valérie Héraut

TEMPS DE TRAVAIL DES CPE

Un enjeu de métier

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MICHEL RENAULT estdécédé à la fin de la semainedernière. Issu d’une familleouvrière du Nord, il fut trèstôt militant du SNES. Secré-taire du S1 du CPR de Lille, ilentra au bureau du S2 de laSomme après sa réussite àl’agrégation des lettresmodernes et son affectationau lycée mixte d’Amiens, en1961. Après la création del’académie d’Amiens, il parti-cipa avec Michel Clausse à lacréation du S3 et fut, à toutjuste 30 ans, en 1966, le pre-mier secrétaire académique.Il le demeura après la créa-tion du nouveau SNES jus-qu’en 1975, tout en siégeantà la CA nationale dont il pré-sida souvent les séances,comme celles des congrès,avec calme et autorité.Nommé en classe prépara-toire, il fut, quelques annéesplus tard, élu à la CAPN deschaires supérieures.

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tains groupes humains. Mais caricare signi-fie aussi « charger une arme à feu »... À lafaveur de la Révolution française, la carica-ture devient une arme capable de toucher lepeuple (par un langage dépouillé de réfé-rences trop savantes) et de blesser les puis-sants (images du roi-cochon et de la reine-prostituée).À propos du journal satirique La Carica-ture, fondé par Charles Philippon en 1830,Pierre Larousse écrit : « de toutes les armesadoptées par les républicains [...], la plus

redoutable peut-être, la plus cruelle et laplus efficace fut la moquerie »(3). En cari-caturant le roi Louis-Philippe en Gargantua(Daumier) ou en poire (Philippon)(4), lesdessinateurs s’engagent politiquement etsont traînés devant les tribunaux, voire enprison.

De Charlie Hebdoaux Guignols de l’Info…Selon le contexte politique et le dessinateur,la caricature est plus ou moins mordante :simple dessin d’humour quand elle joue surl’insolite ou l’absurde, elle peut passer à l’at-taque ou à l’opposition, quitte à perdre sonintention comique pour lui préférer la polé-mique : le dessin devient pamphlétaire, voirecontestataire (en mai 1968 par exemple).L’engagement est alors complet et assumé :la caricature offre un outil pour « peser » surl’opinion publique, voire une véritable armede propagande.Pour être efficace, la caricature doit êtrecomprise dès le premier coup d’œil, quitte àdéployer une certaine polysémie (cf. les des-sins de Plantu). Le dessinateur doit utiliser descodes communs avec son public, établir unecertaine connivence avec lui. La caricature

Une campagne présidentielle est unmoment privilégié pour la caricature poli-tique. Celle-ci se manifeste principale-

ment à travers la presse écrite depuis son essorau XIXe siècle, favorisée en cela par la libertéd’expression permise sous la IIIe République.Mais la satire politique passe aujourd’hui parla télévision ou les chroniques radiodiffusées,tandis que les images satiriques circulent en« temps réel » grâce à l’Internet.

Le portrait-chargeLa caricature est l’expression de la satiredans les arts visuels (peinture, statuaire) ouencore dans le dessin de presse. Proche ducomique ou du grotesque, elle s’en différen-cie dès l’origine : le mot caricatura est utiliséen 1646 dans le cadre d’une réflexion sur lalaideur opposée à la beauté parfaite. Étymo-logiquement, « caricaturer, c’est donc char-ger : donner du poids (carico, en italien) oudu relief, appuyer ou insister, exagérer »(2).On distingue ainsi le « portrait-charge »,qui utilise la déformation physique pourmoquer des idées ou des individus, et la« caricature de situation » dans laquelle desévénements réels ou imaginaires mettent enrelief les mœurs ou le comportement de cer-

DE LA MENACE EXTRÉMISTE À LA RENGAINE DU « TOUS POURRIS », les campagnes présidentielles sont l’occasionde critiquer et railler les candidats. La caricature politique est un outil de contestation de 1848 à nos jours…C’était le sujet d’une exposition et d’un colloque organisés au lycée Claude-Fauriel à Saint-Étienne(1). Déformationdes traits, animalisation, parodie ou autres exagérations, les procédés visuels demeurent, mais qu’en est-il aujour-d’hui de leur portée politique ? Des historiens parlent de « dépolitisation »…

De la censure au rire de masse,la caricature a-t-elle perdu de son efficacité ?

La caricature politiqueFENÊTRE SUR

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Page 18: EUROPE Des outils d’analyse de la société La mobilisation ... · télement des services publics, de la santé, de l’éducation et de la protection sociale, la remise en cause

Supplément au no 720 du 26 avril 2012 - US MAGAZINE - 35

politique est, de fait, en phase avec le journalqui la publie, donc avec son lectorat. S’agit-il pour autant de prêcher à des convaincus ?Quel est le poids de la ligne éditoriale, voirede l’autocensure ? Dans le cas du « pre-mier » Charlie Hebdo (1969-1982), la libertéde ton semble totale et les trois électionsprésidentielles successives (1969, 1974,1981) ne donnent pas lieu à une ligne édito-riale fixe. Certes, le journal est « naturelle-ment » contestataire face à des candidats oudes gouvernements de droite. Pourtant, sil’arrivée de la gauche au pouvoir a « accéléréde quelques mois la fin de Charlie Hebdo »(5),la désaffection de son lectorat est liée à unecertaine banalisation du « ton CharlieHebdo », mais aussi à une nouvelle généra-tion de lecteurs « qui n’a pas connu mai 68,moins politisée et plus désabusée »... La criseéconomique et le libéralisme des annéesVGE sont passés par là… À l’époque déjà !À la télévision, la caricature politique peut setraduire par des marionnettes : celles duBébête Show sur TF1 (1981-1993) et desArènes de l’Info sur Canal+ en 1983. Rebap-tisée Guignols de l’Info en 1990, cette émis-sion a su accompagner l’évolution de lasociété française, mais ne participe-t-ellepas à la désinformation, voire à la dépoliti-sation du débat ? Avoir sa marionnette auxGuignols est devenu un label de notoriétépour un homme politique, dans une sociétédu rire de masse...

Berlusconi, Sarkozy : même combat ?Dans son spectacle « Didier Porte fait rire lesmasses »(6), l’auteur évoque la dépressiond’un humoriste en cas de non-réélection deNicolas Sarkozy... Une façon de rappeler –s’il en était besoin – que ce dernier a donnédu grain à moudre à toute une profession :surmédiatisé, omniprésent dans la vie poli-tique et sociale, il a donné un sujet quotidiend’inspiration oscillant, selon les médias etles événements, entre l’instrumentalisation etla réaction épidermique (anti-sarkozysme).Quant aux dessinateurs étrangers, ils en ont

profité pour pourfendre l’arrogance – pré-tendument ? – française en réutilisant lessymboles habituels (le coq, Napoléon, etc.).Outre l’homme lui-même, c’est la mise enavant de sa vie privée qui est ici ciblée par lacaricature(7). Contrairement à tant de prési-dents de la IIIe République dont l’image étaittrop « lisse » pour déchaîner la satire, certainshommes politiques actuels sont de bons« clients » pour la presse : Silvio Berlusconiou encore DSK battent probablement desrecords ! ■ Franck Thénard-Duvivier

1. « À la charge, citoyens », 22-23 mars 2012,http://www.prepas42.org/web/actus/calendrier/2011_colloque_caricature.html.

2. Bertrand Tillier, À la charge ! La caricature enFrance de 1789 à 2000, Éd. de l’Amateur, 2005,p. 15.

3. Pierre Larousse, Grand Dictionnaire universeldu XIXe siècle, t. 3, 1867, p. 397.

4. Voir Fabrice Erre, Le règne de la poire. Cari-catures de l’esprit bourgeois de Louis-Philippe ànos jours, Champ Vallon, 2011.

5. Stéphane Mazurier, Bête, méchant et hebdo-madaire. Une histoire de Charlie Hebdo (1969-1982), Buchet Chastel, 2009, p. 481.

6. Ses prochaines dates sur www.didierporte.fr.

7. Voir Guillaume Doizy et Didier Porte, Prési-dents, poils aux dents ! 150 ans de caricaturesprésidentielles, Flammarion, 2012, p. 208.

Coco et Bauer, dessinateurs de presse(1)

Trois questions à...

L’US : La campagne présidentielle2012 était-elle un « bon cru » pourles dessinateurs de presse ?Coco : Oui, c’est un cru excellent.Tant qu’on a des choses à dire et àdénoncer, la présidentielle reste unmoment particulièrement intense pournous.

Bauer : Comme d’habitude la cam-pagne apporte son petit lot de sur-prises, ça a commencé avec une trèsgrosse avec DSK... Souvenez-vous !

L’US : Qu’est-ce qu’un « bon » dessin selon vous ?Coco : Un dessin qui fait rire, et réagir. Un dessin qui ose. Un dessin qui choque et inter-pelle. Une alliance fine de texte et de dessin font en général un bon dessin de presse.

Bauer : Un dessin sert à foutre un grand coup de pied au cul aux idées reçues et bienprémâchées par nos dirigeants.

L’US : Quels sont les médias actuels de la caricature politique : la presse, la radio, latélévision ?Coco : Les trois ! À la télévision, il y a moins de dessins qu’avant mais cela existe encore(dans les émissions de Ruquier sur France 2 et de Vermuss sur LCP). La presse évi-demment. La radio aussi, mais c’est moins évident de décrire un dessin (France Info) :la caricature politique passe par d’autres moyens, comme la chronique.

Bauer : Les trois existent encore, mais difficilement. À la radio, on a vu l’éviction de DidierPorte et de Stéphane Guillon. La presseécrite a du mal à se maintenir à flot finan-cièrement, donc à nous embaucher et nouspayer... Quand à la télé, c’est clairementle parent pauvre de la profession : mis àpart les Guignols de l’Info (dont je nesuis pas un grand fan), il reste quoi ?Anne Roumanoff chez Drucker ? Quellecatastrophe ! Le métier de polémistedevient bien difficile, on se bat au milieudu politiquement correct et de la bien-séance... Et pourtant, les militants et leslecteurs nous soutiennent et nous récla-ment. Ils ont besoin d’impertinence enréaction a tout ce qu’on nous donned’aseptisé et de moralisateur. ■

1. www.bauer-presse.fr et www.leblogdecoco.fr

Coco et Bauer lors du colloque à Saint-Étienne©

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