Etudes et préludes - Renée Vivien

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http://www.reneevivien.com/images/page%27poemes%27_01.gif Oeuvre poétique  Les poèmes ci-dessous correspondent à dernière édition du recueil Etudes et préludes / 1909 et figurant dans "L'oeuvre poétique complète de Renée Vivien" de Jean-Paul Goujon. Vous pouvez consulter la première version du recueil "Etudes et préludes / 1901" sur le site de la Bibliothèque Nationale de France: http://gallica.bnf.fr/ - Rubrique "Recherche". Etudes et préludes A la Femme aimée Bacchante triste Sonnet : L'orgueil des lourds anneaux... Chanson : Ta voix est un savant poème... Chanson : Le couchant adoucit... Sonnet : Parle-moi...  Ta forme est un éclair... Soir Aurore sur la Mer Chanson : Le vol... Ondine

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Les poèmes ci-dessous correspondent à dernière édition du recueil Etudes et préludes / 1909 et figurant dans "L'oeuvre poétique complète de Renée Vivien" de Jean-Paul Goujon. Vous pouvez consulter la première version du recueil "Etudes et préludes / 1901" sur le site de la Bibliothèque Nationale de France: http://gallica.bnf.fr/ - Rubrique "Recherche".

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Les poèmes ci-dessous correspondent à dernière édition du recueilEtudes et préludes / 1909 et figurant dans "L'oeuvre poétique complètede Renée Vivien" de Jean-Paul Goujon. Vous pouvez consulter lapremière version du recueil "Etudes et préludes / 1901" sur le site de laBibliothèque Nationale de France: http://gallica.bnf.fr/ - Rubrique"Recherche".

Etudes et préludes

A la Femme aimée

Bacchante triste

Sonnet : L'orgueil des lourds anneaux...

Chanson : Ta voix est un savant poème...

Chanson : Le couchant adoucit...

Sonnet : Parle-moi...

 Ta forme est un éclair...

Soir

Aurore sur la Mer

Chanson : Le vol...

Ondine

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Victoire

À l'amie

Chanson : De ta robe...

L'Eternelle Vengeance

Nudité

Aube incertaine

Chanson : Comment oublier...

Lucidité

L'Odeur des Vignes

Elle écarte...

Sourire dans la Mort

Sonnet : O forme...

Chanson : Le soir verse...

Chanson : J'ai l'âme lasse...

Les Yeux gris

Naïade moderne

Sonnet : Tes cheveux irréels...

Cri

Chanson : Ta chevelure...

Sonnet : Ecoutez...

Morts inquiets

Sommeil

Sonnets : L'ombre assourdit... Sous un ciel ambigu...

Amazone

Nocturne

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À la Femme aiméee

Lorsque tu vins, à pas réfléchis, dans la brume,

Le ciel mêlait aux ors le cristal et l’airain.

 Ton corps se devinait, ondoiement incertain,

Plus souple que la vague et plus frais que l’écume.

Le soir d’été semblait un rêve oriental

De rose et de santal.

 Je tremblais. De longs lys religieux et blêmes

Se mouraient dans tes mains, comme des cierges froids.

Leurs parfums expirants s’échappaient de tes doigts

En le souffle pâmé des angoisses suprêmes.

De tes clairs vêtements s’exhalaient tour à tour

L’agonie et l’amour.

 Je sentis frissonner sur mes lèvres muettes

La douceur et l’effroi de ton premier baiser.

Sous tes pas, j’entendis les lyres se briser

En criant vers le ciel l’ennui fier des poètes

Parmi des flots de sons languissamment décrus,

Blonde, tu m’apparus.

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Et l’esprit assoiffé d’éternel, d’impossible,

D’infini, je voulus moduler largement

Un hymne de magie et d’émerveillement.

Mais la strophe monta bégayante et pénible,

Reflet naïf, écho puéril, vol heurté,

Vers ta Divinité.

 

Bacchante triste

Le jour ne perce plus de flèches arrogantes

Les bois émerveillés de la beauté des nuits,

Et c'est l'heure troublée où dansent les Bacchantes

Parmi l'accablement des rythmes alanguis.

Leurs cheveux emmêlés pleurent le sang des vignes,

Leurs pieds vifs sont légers comme l'aile des vents,

Et le rose des chairs, la souplesse des lignes,

Ont peuplé la forêt de sourires mouvants.

La plus jeune a des chants qui rappellent le râle:

Sa gorge d'amoureuse est lourde de sanglots.

Elle n'est point pareille aux autres, - elle est pâle;

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Son front a l'amertume et l'orage des flots.

Le vin où le soleil des vendanges persiste

Ne lui ramène plus le généreux oubli;

Elle est ivre à demi, mais son ivresse est triste,

Et les feuillages noirs ceignent son front pâli.

 Tout en elle est lassé des fausses allégresses.

Et le pressentiment des froids et durs matins

Vient corrompre la flamme et le miel des caresses.

Elle songe, parmi les roses des festins.

Celle-là se souvient des baisers qu'on oublie...

Elle n'apprendra pas le désir sans douleur,

Celle qui voit toujours avec mélancolie

Au fond des soirs d'orgie agoniser les fleurs.

 

Sonnet

L'orgueil des lourds anneaux, la pompe des parures,

Mêlent l'éclat de l'art à ton charme pervers,

Et les gardénias qui parent les hivers

Se meurent dans tes mains aux caresses impures.

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 Ta bouche délicate aux fines ciselures

Excelle à moduler l'artifice des vers:

Sous les flots de satin savamment entr'ouverts,

 Ton sein s'épanouit en de pâles luxures.

Le reflet des saphirs assombrit tes yeux bleus,

Et l'incertain remous de ton corps onduleux

Fait un sillage d'or au milieu des lumières.

Quand tu passes, gardant un sourire ténu,

Blond pastel surchargé de parfums et de pierres,

 Je songe à la splendeur de ton corps libre et nu.

 

Chanson

 Ta voix est un savant poème...

Charme fragile de l'esprit,

Désespoir de l'âme, je t'aime

Comme une douleur qu'on chérit.

Dans ta grâce longue et blémie,

 Tu revins du fond de jadis...

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O ma blanche et lointaine amie,

 Je t'adore comme les lys!

On dit qu'un souvenir s'émousse,

Mais comment oublier jamais

Que ta voix se faisait très douce

Pour me dire que tu m'aimais?

 

Chanson

Le couchant adoucit le sourire du ciel.

La nuit vient gravement, ainsi qu'une prêtresse.

La brise a déroulé, d'un geste de caresse,

 Tes cheveux aux blondeurs de maïs et de miel.

 Tes lèvres ont gardé le pli de la parole

Dont mon rêve attentif s'est longtemps enchanté.

Une voix de souffrance a longtemps sangloté

Dans l'ombre d'où l'encens des fleurs blanches s'envole.

 Ta robe a des frissons de festins somptueux,

Et, sous la majesté de la noble parure,

Fleurit, enveloppé d'haleines de luxure,

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Lys profane, ton corps pâle et voluptueux.

 Ta prunelle aux bleus frais s'alanguit et se pâme.

 Je vois, dans tes regards pareils aux tristes cieux,

Dans cette pureté dernière de tes yeux,

La forme endolorie et lasse de ton âme.

Là-bas s'apaise enfin l'essaim d'or des guêpiers...

Parmi les chants vaincus et les splendeurs éteintes,

 Tu frôles sans les voir les frêles hyacinthes

Qui se meurent d'amour, ayant touché tes pieds.

 

Sonnet

Parle-moi, de ta voix pareille à l'eau courante,

Lorsque s'est ralenti le souffle des aveux.

Dis-moi des mots railleurs et cruels si tu veux,

Mais berce-moi de la mélopée enivrante.

De ce timbre voilé qui m'attriste et m'enchante,

Lorsque mon front s'égare en tes vagues cheveux,

Exprime tes espoirs, tes regrets et tes voeux,

O mon harmonieuse et musicale amante!

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Et moi, j'écouterai ta voix et son doux chant.

 Je ne comprendrai plus, j'écouterai, cherchant,

Sinon l'entier oubli, du moins la somnolence.

Car si tu t'arrêtais, ne fût-ce qu'un moment,

 J'entendrais... j'entendrais au profond du silence

Quelque chose d'affreux qui pleure horriblement.

 

Sonnet

 Ta forme est un éclair qui laisse les bras vides,

 Ton sourire est l'instant que l'on ne peut saisir...

 Tu fuis, lorsque l'appel de mes lèvres avides

 T'implore, ô mon Désir !

Plus froide que l'Espoir, ta caresse cruelle

Passe comme un parfum et meurt comme un reflet.

Ah! l'éternelle faim et la soif éternelle

Et l'éternel regret !

 Tu frôles sans étreindre, ainsi que la Chimère

Vers qui tendent toujours les voeux inapaisés...

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Rien ne vaut ce tourment ni cette extase amère

De tes rares baisers !

 

Soir

La lumière agonise et meurt à tes genoux.

Viens, ô toi dont le front impénétrable et doux

Porte l'accablement des pesantes années:

Douloureuse et les traits mortellement pâlis,

Viens, sans autre parfum dans ta robe à longs plis

Que le souffle des fleurs depuis longtemps fanées.

Viens, sans fard à ta lèvre où brûle mon désir,

Sans anneaux, - le rubis, l'opale et le saphir

Déshonorent tes doigts laiteux comme la lune, -

Et bannis de tes yeux les reflets du miroir...

Voici l'heure très simple et très chaste du soir

Où la couleur oppresse, où le luxe importune.

Délivre ton chagrin du sourire éternel,

Exhale ta souffrance en un sincère appel:

Les choses d'autrefois, si cruelles et folles,

Laissons-les au silence, au lointain, à la mort...

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Dans le rêve qui sait consoler de l'effort,

Oublions cette fièvre ancienne des paroles.

 Je baiserai tes mains et tes divins pieds nus,

Et nos coeurs pleureront de s'être méconnus,

Pleureront les mots vils et les gestes infâmes.

Des vols s'attarderont dans la paix des chemins...

 Tu joindras la blancheur mystique de tes mains,

Et je t'adorerai, dans l'ombre où sont les âmes.

 

Aurore sur la Mer

... quand à mon sanglot: et que

les vents orageux l'emporte

pour les souffrances!

Psappha

 Je te méprise enfin, souffrance passagère !

 J'ai relevé mon front. J'ai fini de pleurer.

Mon âme est affranchie, et ton ombre légère

Dans les nuits sans repos ne vient plus l'effleurer.

Aujourd'hui je souris à l'aube qui nous blesse.

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O vent des vastes mers, qui, sans parfum de fleurs,

D'une âcre odeur de sel ranimes ma faiblesse,

O vent du large! emporte à jamais les douleurs !

Emporte les douleurs au loin, d'un grand coup d'aile,

Afin que le bonheur éclate, triomphal,

Dans nos coeurs où l'orgueil divin se renouvelle,

 Tournés vers le soleil, les chants et l'idéal !

 

Chanson

Le vol de la chauve-souris,

 Tortueux, angoissé, bizarre,

Aux battements d'ailes meurtris,

Revient et s'éloigne et s'égare.

N'as-tu pas senti qu'un moment,

Ivre de ses souffrances vaines,

Mon âme allait éperdument

Vers tes chères lèvres lointaines ?

 

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Ondine

 Ton rire est clair, ta caresse est profonde,

 Tes froids baisers aiment le mal qu'ils font;

 Tes yeux sont bleus comme un lotus sur l'onde,

Et les lys d'eau sont moins purs que ton front.

 Ta forme fuit, ta démarche est fluide,

Et tes cheveux sont de légers réseaux;

 Ta voix ruiselle ainsi qu'un flot perfide;

 Tes souples bras sont pareils aux roseaux,

Aux longs roseaux des fleuves, dont l'étreinte

Enlace, étouffe, étrangle savamment,

Au fond des flots, une agonie éteinte

Dans un nocturne évanouissement.

 

Victoire

Donne-moi tes baisers amers comme des larmes,

Le soir, quand les oiseaux s'attardent dans leurs vols.

Nos longs accouplements sans amour ont les charmes

Des rapines, l'attrait farouche des viols.

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 Tes yeux ont reflété la splendeur de l'orage...

Exhale ton mépris jusqu'en ta pâmoison,

O très chère! - Ouvre-moi tes lèvres avec rage:

 J'en boirai lentement le fiel et le poison.

 J'ai l'émoi du pilleur devant un butin rare,

Pendant la nuit de fièvre où ton regard pâlit...

L'âme des conquérants, éclatante et barbare,

Chante dans mon triomphe au sortir de ton lit !

 

À l'amie

Dans tes yeux les clartés trop brutales s'émoussent.

 Ton front lisse, pareil à l'éclatant vélin

Que l'écarlate et l'or de l'image éclaboussent,

Brûle de reflets roux ton regard opalin.

 Ton visage a pour moi le charme des fleurs mortes,

Et le souffle appauvri des lys que tu m'apportes

Monte vers les langueurs du soleil au déclin.

Fuyons, Sérénité de mes heures meurtries,

Au fond du crépuscule infructueux et las.

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Dans l'enveloppement des vapeurs attendries,

Dans le soir fraternel, je te dirai très bas

Ce que fut la beauté de la Maîtresse unique...

Ah! cet âpre parfum, cette amère musique

Des bonheurs accablés qui ne reviendront pas !

Ainsi nous troublerons longtemps la paix des cendres.

 Je te dirai des mots de passion, et toi,

Le rêve ailleurs et les yeux lointainement tendres,

 Tu suivras ton passé de souffrance et d'effroi.

 Ta voix aura le chant des lentes litanies

Où sanglote l'écho des plaintes infinies,

Et ton âme, l'essor douloureux de la Foi.

 

Chanson

De ta robe à longs plis flottants

Ruissellent toutes les chimères,

Et tu m'apportes le printemps

Dans tes mains blondes et légères.

 J'ai peur de ce frisson nacré

De tes frêles seins, je ne touche

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Qu'en tremblant à ton corps sacré,

 J'ai peur du charme de ta bouche.

 Je me sens grandir jusqu'aux Dieux

Quand, sous mon orgueilleuse étreinte,

Le doux bleu meurtri de tes yeux

S'évanouit, fraîcheur éteinte.

Mais quand, si blanche entre mes bras,

A mon cri d'amour qui se pâme

 Tu souris et ne réponds pas,

 Tes yeux fermés me glacent l'âme...

 J'ai peur, - c'est le remords spectral

Que l'extase ne saurait taire, -

De t'avoirpeut-être fait mal

D'une caresse involontaire.

 

L'Eternelle Vengeance

Dalila, courtisane au front mystérieux,

Aux mains de sortilège et de ruse, aux longs yeux

Où luttaient le soleil, l'orage et la nuée,

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Rêvait:

"Je suis l'esclave et la prostituée,

La fleur que l'on effeuille au festin du désir,

La musique d'une heure et le chant d'un loisir,

Ce qui charme, ce qu'on enlace et qu'on oublie.

Mon corps sans volupté se pâme et ploie et plie

Au signe impérieux des passagers amants.

Parmi ces inconnus qui, repus et dormants,

Après la laide nuit dont l'ombre pleure encore,

De leur souffle lascif souillent l'air de l'aurore,

C'est toi le plus haï, Samson, fils d'Israël !

Mon sourire passif répond à ton appel,

Mon corps, divin éclair et baiser sans empreinte,

A rempli de parfums ta détestable étreinte:

Mais, malgré les aveux et les sanglots surpris,

Ne crois pas que ma haine ait moins d'âpres mépris,

Car, dans le lit léger des feintes allégresses,

Dans l'amère moiteur des cruelles caresses,

 J'ai préparé le piège où tu succomberas,

Moi, le contentement bestial de tes bras !"

Elle le supplia sur la couche d'ivoire:

"Astre sanglant, dis-moi le secret de ta gloire."

Mais l'amant de ses nuits sans amour lui mentit.

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Et la soif des vaincus la brûla sans répit.

Elle fut le regard et l'ouïe et l'attente,

La chaude obsession qui ravit et tourmente,

Et, patient péril aux froids destins pareils,

Sa vengence épia le souffle du sommeil.

Un soir que la Beauté brillait plus claire en elle,

Par l'enveloppement de l'humide prunelle,

Par le geste des bras défaillant et livré

 Torturé tendrement, - savamment enivré

De souples seins, de flancs fiévreux, de lèvres lasses,

De murmures mourants et de musiques basses,

Sous les yeux de la femme, implacablement doux,

Dans l'ombre et dans l'odeur de ses ardents genoux,

Sans souvenir, cédant à l'éternelle amorce,

L'homme lui soupira le secret de sa force.

 

Nudité

L'ombre jetait vers toi des effluves d'angoisse:

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Le silence devint amoureux et troublant.

 J'entendis un soupir de pétales qu'on froisse,

Puis, lys entre les lys, m'apparut ton corps blanc.

 J'eus soudain le mépris de ma lèvre grossière...

Mon âme fit ce rêve attendri de poser

Sur ta grâce où longtemps s'attardait la lumière

Le souffle frissonnant d'un mystique baiser.

Dédaignant l'univers que le désir enchaîne,

 Tu gardas froidement ton sourire immortel,

Car la Beauté demeure étrange et surhumaine

Et veut l'éloignement splendide de l'autel.

Éparse autour de toi pleurait la tubéreuse,

 Tes seins se dressaient fiers de leur virginité...

Dans mes regards brûlait l'extase douloureuse

Qui nous étreint au seuil de la divinité.

 

Aube incertaine

Comme les courtisans près d'un nouveau destin,

Nous attendions l'éveil propice de l'aurore.

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Les songes attardés se poursuivaient encore,

Et tes yeux étaient bleus, - bleus comme le matin.

 Tandis que je songeais à la douceur passé,

 Tes cheveux répandaient une odeur de sommeil.

Dans la crainte de voir éclater le soleil,

Notre nuit s'éloignait, souriante et lassée.

 Tel un léger linceul de spectre, le brouillard

Matinal s'allongeait avant de disparaître,

Et le monde était plein d'un immense "peut-être".

L'aube était incertaine ainsi que ton regard.

 Tu semblais deviner mes extases troublées.

Dans l'ombre je croyais te voir enfin pâlir,

Et j'espérais qu'enfin jaillirait le soupir

De nos coeurs confondus, de nos âmes mêlées.

Nos êtres frémissaient de tressaillements sourds.

Nous espérions avoir atteint l'amour lui-même,

Sa très terrible ardeur et son éclair suprême...

Et le jour s'est levé, comme les autres jours !

 

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Chanson

Comment oublier le pli lourd

De tes belles hanches se,

L'ivoire de ta chair où court

Un frémissement bleu de veines ?

N'as-tu pas senti qu'un moment,

Ivre de ses angoisses vaines,

Mon âme allait éperdument

Vers tes chères lèvres lointaines ?

Et comment jamais retrouver

L'identique extase farouche,

 T'oublier, revivre et rêver

Comme j'ai rêvé sur ta bouche ?

 

Lucidité

L'art délicat du vice occupe tes loisirs,

Et tu sais réveiller la chaleur des désirs

Auxquels ton corps perfide et souple se dérobe.

L'odeur du lit se mêle aux parfums de ta robe.

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 Ton charme blond ressemble à la fadeur du miel.

 Tu n'aimes que le faux et l'artificiel,

La musique des mots et des murmures mièvres.

 Ton baiser se détourne et glisse sur les lèvres.

 Tes yeux sont des hivers pâlement étoilés.

Les deuils suivent tes pas en mornes défilés.

 Ton geste est un reflet, ta parole est une ombre.

 Ton corps s'est amolli sous des baisers sans nombre,

Et ton âme est flétrie et ton corps est usé.

Languissant et lascif, ton frôlement rusé

Ignore la beauté loyale de l'étreinte.

 Tu mens comme l'on aime, et, sous ta douceur feinte,

On sent le rampement du reptile attentif.

Au fond de l'ombre, telle une mer sans récif,

Les tombeaux sont encor moins impurs que ta couche...

O femme! je le sais, mais j'ai soif de ta bouche !

 

L'Odeur des Vignes

L'odeur des vignes monte en un souffle d'ivresse:

La pesante douceur des vendanges oppresse

La paix, la longue paix des automnes sereins.

Voici le champ, meurtri par les longues cultures,

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L'enclos tiède, où le fruit livre ses grappes mûres,

Comme une femme offrant l'ambre de ses deux seins.

Un spectre de Bacchante erre parmi les treilles.

Sa rouge chevelure et ses lèvres vermeilles,

Ses paupières de pourpre aux replis somptueux,

Brûlent du flamboiement des anciennes luxures,

Et, dévoilant sa chair aux sanglantes morsures,

Elle chante à grands cris le vin voluptueux.

Les baisers sans amour sur les lèvres stupides,

Les regards vacillants dans le fond des yeux vides

Sortiront, enfiévrés, de l'effort du pressoir.

L'air se peuple déjà de visions profanes,

De festins où fleurit le front des courtisanes...

Les effluves du vin futur troublent le soir...

L'odeur des vignes monte en un souffle d'ivresse:

La pesante douceur des vendanges oppresse

La paix, la longue paix des automnes sereins.

Voici le champ, meurtri par les longues cultures,

L'enclos tiède, où le fruit livre ses grappes mûres,

Comme une femme offrant l'ambre de ses deux seins.

 

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Elle écarte

"Her gentle feet tread down the weeds

"And give more place to flowers.

Elle écarte en passant les ronces des chemins.

Au geste langoureux et frôleur de sa main

Eclosent blanchement les frêles églantines...

Mais sa chair s'est blessée à tant d'âpres épines !

 J'ai vu saigner ses pieds aux buissons du chemin.

Son lent sourire tombe au sein d'or des corolles.

L'évanouissement de ses vagues paroles

Remplit de bleus échos les jardins d'aconit

Sous les rayons cruels de la lune au zénith.

Son lent sourire tombe au sein d'or des corolles.

Dans l'ombre de ses pas pleurent les liserons...

Le jasmin, diadème aux délicats fleurons,

Cet astre atténué, la chaste primevère,

Parent son front de vierge à la beauté sévère...

Là-bas pleurent d'amour les simples liserons.

Son être, où brûle encor l'ardeur des soifs divines,

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S'est blessé trop souvent aux sauvages épines, -

 J'ai vu saigner son coeur aux buissons du chemin.

Elle va gravement vers le lourd lendemain,

Inlassable et gardant l'ardeur des soifs divines...

 J'ai vu saigner son coeur aux buissons du chemin.

 

Sourire dans la Mort

Car il n'est pas juste que la lamentation

soit dans la maison des serviteurs des Muses :

cela est indigne de nous.

Psappha.

Le charme maladif des musiques moroses

Ici ne convient point à l'auguste trépas.

Venez, il faut couvrir de rythmes et de roses

La maison de l'Aède, où le deuil n'entre pas !

Que, parmi le reflux des clartés, se déploie

La pompe des parfums, des chants et des couleurs:

Avec des cris d'orgueil, d'espérance et de joie,

 Jetez à pleines mains les fleurs, les fleurs, les fleurs !

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Sonnet

O forme que les mains ne sauraient retenir!

Comme au ciel l'élusif arc-en-ciel s'évapore,

 Ton sourire, en fuyant, laisse plus vide encore

Le coeur endolori d'un trop doux souvenir.

 Ton caprice lassé, comment le rajeunir,

Afin qu'il refleurisse aux fraîcheurs d'une aurore ?

Quels mots te murmurer, et quel lys faire éclore

Pour enchanter l'ennui de l'heure et du loisir ?

De quels baisers charmer la langueur de ton âme,

Afin qu'exaspéré d'extase, pleure et pâme

 Ton être suppliant, avide et contenté ?

De quels rythmes d'amour, de quel fervent poème

Honorer dignement Celle dont la beauté

Porte au front le Désir ainsi qu'un diadème ?

 

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Chanson

Le soir verse les demi-teintes

Et favorise les hymens

Des véroniques, des jacinthes,

Des iris et des cyclamens.

Charmant mes gravités meurtries

De tes baisers légers et froids,

 Tu mêles à mes rêveries

L'effleurement blanc de tes doigts.

 

Chanson

 J'ai l'âme lasse du destin

Et je ne veux plus voir le monde

Qu'à travers le voile divin

De tes pâles cheveux de blonde.

Sur mon front, haï des sommeils

Et que le délire importune,

Répands tes doux cheveux, pareils

A des rayons de clair de lune.

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Puisque le passé pleure seul

Parmi les félicités brèves,

Fais de tes cheveux le linceul

Afin d'ensevelir mes rêves.

 

Les Yeux gris

Le charme de tes yeux sans couleur ni lumière

Me prend étrangement; il se fait triste et tard,

Et, perdu sous le pli de ta pâle paupière,

Dans l'ombre de tes cils sommeille ton regard.

 J'interroge longtemps tes stagnantes prunelles.

Elles ont le néant du soir et de l'hiver

Et des tombeaux: j'y vois les limbes éternelles,

L'infini lamentable et terne de la mer.

Rien ne survit en toi, pas même un rêve tendre.

 Tout s'éteint dans tes yeux sans âme et sans reflet,

Comme dans un foyer de silence et de cendre...

Et l'heure est monotone ainsi qu'un chapelet.

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Parmi l'accablement du morne paysage,

Un froid mépris me prend des vivants et des forts...

 J'ai trouvé dans tes yeux la paix sinistre et sage

Et la mort qu'on respire à rêver près des morts.

 

Naïade moderne

Les remous de la mer miroitaient dans ta robe.

 Ton corps semblait le flot traître qui se dérobe.

 Tu m'attirais vers toi comme l'abîme et l'eau;

 Tes souples mains avaient le charme du réseau,

Et tes vagues cheveux flottaient sur ta poitrine,

Fluides et subtils comme l'algue marine.

Cet attrait décevant qui pare le danger

Rendait encor plus doux ton sourire léger;

 Ton front me rappelait les profondeurs sereines,

Et tes yeux me chantaient la chanson des sirènes.

 

Sonnet

 Tes cheveux irréels, aux reflets clairs et froids,

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Ont de pâles lueurs et des matités blondes;

 Tes regards ont l'azur des éthers et des ondes;

 Ta robe a le frisson des brises et des bois.

 Je brûle de baisers la blancheur de tes doigts.

L'air nocturne répand la poussière des mondes.

Pourtant je ne sais plus, au sein des nuits profondes,

 Te comtempler avec l'extase d'autrefois.

La lune t'effleura d'une lueur oblique...

Ce fut terrible autant qu'un éclair prophétique

Révélant la hideur au fond de ta beauté.

 Je vis - comme l'on voit une fleur qui se fane -

Sur ta bouche, pareille aux aurores d'été,

Un sourire flétri de vieille courtisane.

 

Cri

 Tes yeux bleus, à travers leurs paupières mi-closes,

Recèlent la lueur des vagues trahisons.

Le souffle violent et fourbe de ces roses

M'enivre comme un vin où dorment les poisons...

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Vers l'heure où follement dansent les lucioles,

L'heure où brille à nos yeux le désir du moment,

 Tu me redis en vains les flatteuses paroles...

 Je te hais et je t'aime abominablement.

 

Chanson

 Ta chevelure d'un blond rose

A l'opulence du couchant,

 Ton silence semble une pause

Adorable au milieu d'un chant.

Et tu passes, ô Bien-Aimée,

Dans le frémissement de l'air...

Mon âme est toute parfumée

Des roses blanches de ta chair.

Lorsque tu lèves les paupières,

 Tes yeux pâles, d'un bleu subtil,

Reflètent les larges lumières,

Et les fleurs t'appellent: Avril !

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Sonnet

Écoutez... Celles-là sont les Musiciennes.

Leur présence est pareille à l'écho d'une voix,

Et leur souffle est dans l'air plein de légers émois,

Plein de très lents accords aux langueurs lesbiennes.

Et les voici passer, formes aériennes,

Se mêlant au silence harmonieux des bois,

Et redisant en choeur leurs amours d'autrefois,

Aux sons luxurieux de leurs lyres anciennes.

Ces choeurs, se lamentant, pleurent au fond des nuits

Et mêlent des essors, des frissons et des bruits

Aux forêts de silence et d'ombre recouvertes.

Comme pour exhaler le chant ou le soupir

On les sent hésiter, les lèvres entr'ouvertes,

Et le poète seul les entend revenir.

 

Morts inquiets

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L'éclat de la fanfare et l'orgueil des cymbales,

Réveillant les échos, se prolongent là-bas,

Et, sous l'herbe sans fleurs des fosses martiales,

Les guerriers assoupis rêvent d'anciens combats.

Ils ne s'enivrent point des moiteurs de la terre

 Tiède de baisers las et de souffles enfuis...

Seuls, ils ne goûtent point l'enveloppant mystère,

La paix et le parfum des immuables nuits.

Car leur sépulcre est plein de cris et de fumée

Et, devant leurs yeux clos en de pâles torpeurs,

Passe la vision de la plaine embrumée

D'haleines, de poussière et de rouges vapeurs.

Ils attendent, tout prêts à se lever encore,

Les premières lueurs, le clairon du réveil,

Le lourd piétinement des chevaux à l'aurore,

Les chansons du départ... et la marche au soleil !

Que le ciel triomphal du couchant leur rappelle

Les vieux champs de bataille et de gloire, en versant

L'écarlate sinistre et la pourpre cruelle

De ses reflets, pareils aux larges flots de sang !

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Que le vent, aux clameurs de victoire et de rage,

Le vent qui dispersait la cendre des foyers,

Mêle à leur tombe ardente, avec un bruit d'orage,

Le superbe frisson des drapeaux déployés !

 

Sommeil

 Ton sommeil m'épouvante, il est froid et profond

Ainsi que le Sommeil aux langueurs éternelles.

 J'ai peur de tes yeux clos, du calme de ton front.

 Je guette - et le silence inquiet me confond -

Un mouvement des cils sur la nuit des prunelles.

 Je ne sais, présageant les mortelles douleurs,

Si, dans la nuit lointaine où l'aurore succombe,

 Ton souffle n'a pas fui comme un souffle de fleurs,

Sans effort d'agonie et sans râle et sans pleurs,

Et si ton lit d'amour n'est pas déjà la tombe.

 

Sonnet

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I

L'ombre assourdit le flux et le reflux des choses.

Parmi l'accablement des parfums et des fleurs,

 Tes lèvres ont pleuré leurs rythmiques douleurs

Dans un refrain mêlé de sanglots et de pauses.

Et la langueur des lits, la paix des portes closes,

Entourent nos désirs et nos âpres pâleurs...

Dédaignant la lumière et le fard des couleurs,

Nous mêlons aux baisers le soir lassé de roses.

 Tes yeux aux bleus aigus d'acier et de crystal

S'entr'ouvre froidement, ternis comme un métal;

Le ciel s'est recouvert d'une brume blafarde.

Effleurant ton sommeil opprimé sous le faix

Des ivresses, la lune aux rayons verts s'attarde

Sur la ruine d'or de tes cheveux défaits.

II

Sous un ciel ambigu, l'olivier et l'acanthe

Mêlent subtilement leurs frissons bleus et verts,

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Et dans l'ombre fleurit, comme un songe pervers,

L'harmonieux baiser de l'amante à l'amante.

Les cheveux aux bruns roux d'automne et d'amarante

Et les pâles cheveux plus blonds que les hivers

Confondent leurs reflets. Sur les yeux entr'ouverts

Passe une joie aiguë ainsi qu'une épouvante.

Le crépuscule rose a baigné l'horizon.

Les désirs attardés craignent la trahison

Et le rire sournois de l'aurore importune.

Les doigts ont effeuillé les lotos du sommeil,

Et la virginité farouche de la lune

A préféré la mort au viol du soleil.

 

Amazone

LorL'Amazone sourit au dessus des ruines,

 Tandis que le soleil, las de luttes, s'endort.

La volupté du meurtre a gonflé ses narines:

Elle exulte, amoureuse étrange de la mort.

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Elle aime les amants qui lui donnent l'ivresse

De leur fauve agonie et de leur fier trépas,

Et, méprisant le miel de la mièvre caresse,

Les coupes sans horreur ne la contentent pas.

Son désir, défaillant sur quelque bouche blème

Dont il sait arracher le baiser sans retour,

Se penche avec ardeur sur le spasme suprême,

Plus terrible et plus beau que le spasme d'amour.

 

Nocturne

 J'adore la langueur de ta lèvre charnelle

Où persiste le pli des baisers d'autrefois.

 Ta démarche ensorcelle,

Et la perversité calme de ta prunelle

A pris au ciel du nord ses bleus traîtres et froids.

 Tes cheveux, répandus ainsi qu'une fumée,

Clairement vaporeux, presque immatériels,

Semblent, ô Bien-Aimée,

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Recéler les rayons d'une lune embrumée,

D'une lune d'hiver dans le cristal des ciels.

Le soir voluptueux a des moiteurs d'alcôve;

Les astres sont comme des regards sensuels

Dans l'éther d'un gris mauve,

Et je vois s'allonger, inquiétant et fauve,

Le lumineux reflet de tes ongles cruels.

Sous ta robe, qui glisse en un frôlement d'aile,

 Je devine ton corps, - les lys ardents des seins,

L'or blème de l'aisselle,

Les flancs doux et fleuris, les jambes d'Immortelle,

Le velouté du ventre et la rondeur des reins.

La terre s'alanguit, énervée, et la brise,

Chaude encore des lits lointains, vient assouplir

La mer enfin soumise...

Voici la nuit d'amour depuis longtemps promise...

Dans l'ombre je te vois divinement pâlir.

 

http://www.reneevivien.com/images/page%27poemes%27_01.gif Oeuvrepoétique complète

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Les poèmes ci-dessous correspondent à dernière édition du recueilCendres et Poussières / 1909 et figurant dans "L'oeuvre poétiquecomplète de Renée Vivien" de Jean-Paul Goujon. Vous pouvez consulterla première version du recueil "Cendres et poussières / 1902" sur le sitede la Bibliothèque Nationale de France: http://gallica.bnf.fr/ - Rubrique"Recherche".

 

Cendres et Poussières

Invocation

Let the dead bury their dead

Les Amazones

Sommeil

L'automne

Sonnet

Chanson

Prophétie

DésirChanson

La pleureuse

Fleurs de Séléné

Ressemblance inquiétante

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Velléité

Le Sang des Fleurs

 Ton Ame

Sur le Rythme saphique

Locusta

Lucidité

Lassitude

Devant la mort d'une amie

Les Arbres

"I've been a ranger"

Sonnet féminin

Epitaphe

 

Invocation

Les yeux tournés sans fin vers les splendeurs éteintes,

Nous évoquons l'effroi, l'angoisse et le tourment

De te baisers, plus doux que le miel d'hyacinthes,

Amante qui versas impérieusement,

Comme on verse le nard et le baume et la myrrhe,

Devant l'Aphrodita, Maîtresse de l'Erôs,

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L'orage et l'éclair de ta lyre,

O Psappha de Lesbôs !

Les siècles attentifs se penchent pour entendre

Les lambeaux de tes chants. Ton visage est pareil

A des roses d'hiver recourvertes de cendre,

Et ton lit nuptial ignore le soleil.

 Ta chevelure ondoie au reflux des marées

Comme l'algue marine et les sombres coraux,

Et tes lèvres désespérées

Boivent la paix des eaux.

Que t'importe l'éloge éloquent des Poètes,

A Toi dont le front large est las d'éternités?

Que t'importent l'écho des strophes inquiètes,

Les éblouissements et les sonorités?

La musique des flots a rempli ton oreille,

Ce remous de la mer qui murmure à ses morts

Des mots dont le rythme ensommeille

 Tels de graves accords.

O parfum de Paphôs! ô Poète! ô Prêtresse !

Apprends-nous le secret des divines douleurs,

Apprends-nous les soupirs, l'implacable caresse

Où pleure le plaisir, flétri parmi les fleurs!

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O langueurs de Lesbôs! Charme de Mytilène!

Apprends-nous le vers d'or que ton râle étouffa,

De ton harmonieuse haleine

Inspires-nous, Psappha !

 

Let the dead bury their dead

Voici la nuit: je vais ensevelir mes morts,

Mes songes, mes désirs, mes douleurs, mes remords,

 Tout le passé... Je vais ensevelir mes morts.

 J'ensevelis, parmis les sombres violettes,

 Tes yeux, tes mains, ton front et tes lèvres muettes,

O toi qui dors parmi les sombres violettes !

 J'emporte cet éclair dernier de ton regard...

Dans le choc de la vie et le heurt du hasard,

 J'emporte ainsi la paix de ton dernier regard.

 Je couvrirai d'encens, de roses et de roses,

La pâle chevelure et les paupières closes

D'un amour dont l'ardeur mourut parmi les roses.

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Que s'élève vers moi l'âme froide des morts,

Abolissant en moi les craintes, les remords,

Et m'apportant la paix souriante des morts !

Que j'obtienne, dans un grand lit de violettes,

Cette immuable paix d'éternités muettes

Où meurt jusqu'à l'odeur des douces violettes !

Que se reflète, au fond de mon calme regard,

Un vaste crépuscule immobile et blafard !

Que diminue enfin l'ardeur de mon regard !

Mais que j'emporte aussi le souvenir des roses,

Lorsqu'on viendra poser sur mes paupières closes

Les Lotus et le lys, les roses et les roses !...

 

Les Amazones

On voit errer au loin les yeux d'or des lionnes...

L'Artémis, à qui plait l'orgueil des célibats,

Qui sourit aux fronts purs sous les pures couronnes,

Contemple cependant sans colère, là-bas,

S'accomplir dans la nuit l'hymen des Amazones,

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Fier, et semblable au choc souverain des combats.

Leur regard de dégoût enveloppe les mâles

Engloutis sous les flots nocturnes du sommeil.

L'ombre est lourdes d'échos, de tièdeurs et de râles...

Elles semblent attendre un frisson de réveil.

La clarté se rapproche, et leurs prunelles pâles

Victorieusement reflètent le soleil.

Elles gardent une âme éclatante et sonore

Où le rêve s'émousse, où l'amour s'abolit,

Et ressentent, dans l'air affranchi de l'aurore,

Le mépris du baiser et le dédain du lit.

Leur chasteté tragique et sans faiblesse abhorre

Les époux de hasard que le rut avilit.

"Nous ne souffrirons pas que nos baisers sublimes

Et l'éblouissement de nos bras glorieux

Soient oubliés demain dans les lâches abîmes

Où tombent les vaincus et les luxurieux.

Nous vous immolerons ainsi que des victimes

Des autels d'Artémis au geste impérieux.

"Parmi les rayons morts et les cendres éteintes,

Vos lèvres et vos yeux ne profaneront pas

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L'immortel souvenir d'héroïques étreintes.

Loin de la couche obscène et de l'impur repas,

Vous garderez au coeur nos tenaces empreintes

Et nos soupirs mêlés aux soupirs du trépas !"

 

Sommeil

O Sommeil, ô Mort tiède, ô musique muette!

 Ton visage s'incline éternellement las,

Et le songe fleurit à l'ombre de tes pas,

Ainsi qu'une nocturne et sombre violette.

Les parfums affaiblis et les astres décrus

Revivent dans tes mains aux pâles transparences,

Evocateur d'espoirs et vainqueur de souffrances

Qui nous rends la beauté des êtres disparus.

 

L'Automne

L'Automne s'exaspère ainsi qu'une Bacchante

Ivre du sang des fruits et du sang des baisers

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Et dont on voit frémir les seins inapaisés...

L'Automne s'assombrit ainsi qu'une Bacchante

Au sortir des festins éclatants et qui chante

La moite lassitude et l'oubli des baisers.

Les yeux à demi clos, l'Automne se réveille

Et voit l'éclat perdu des clartés et des fleurs

Dont le soir appauvrit les anciennes couleurs...

Les yeux à demi clos, l'Automne se réveille:

Ses membres sont meurtris et son âme est pareille

A la coupe sans joie où s'effeuillent les fleurs.

Ayant bu l'amertume et la haine de vivre

Dans le flot triomphal des vignes de l'été,

Elle a connu le goût de la satiété.

L'amertume latente et la haine de vivre

Corrompent le festin dont le monde s'enivre,

Etendu sur le lit nuptial de l'été.

L'Automne, ouvrant ses mains d'appel et de faiblesse,

Se meurt du souvenir accablant de l'amour

Et n'ose en espérer l'impossible retour.

Sa chair de volupté, de langueur, de faiblesse,

Implore le venin de la bouche qui blesse

Et qui sait recueillir les sanglots de l'amour.

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Le coeur à moitié mort, L'Automne se réveille

Et contemple l'amour à travers le passé...

Le feu vacille au fond de son regard lassé.

Dans son verger flétri l'Automne se réveille.

La vigne se dessèche et périt sur la treille,

Dans le lointain pâlit la rive du passé...

 

Sonnet

Les algues entr'ouvraient leurs âpres cassolettes

D'où montait une odeur de phosphore et de sel,

Et, jetant leurs reflets empourprés vers le ciel,

Semblaient, au fond des eaux, un lit de violettes.

La blancheur d'un essor palpitant de mouettes

Mêlait au frais nuage un frisson fraternel;

Les vagues prolongeaient leur rêve et leur appel

Vers l'angoisse de l'air et ses langueurs muettes.

Les flots très purs brillaient d'une reflet de miroir...

La sirène aux cheveux rouges comme le soir

Chantait la volupté d'une mort amoureuse.

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Dans la nuit, sanglotait et s'agitait encor

Un soupir de la vie inquiète et fiévreuse...

Les étoiles pleuraient de longues larmes d'or.

 

Chanson

Il se fait tard... tu vas dormir,

Les paupières déjà mi-closes.

Au fond de l'ombre on sent frémir

L'agonie ardente des roses.

Car la Déesse du Sommeil,

De ses mains lentes, fait éclore

Des fleurs qui craignent le soleil

Et qui meurent avant l'aurore.

 

Prophétie

 Tes cheveux aux blonds verts s'imprègnent d'émeraude

Sous le ciel pareil aux feuillage clairs.

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L'odeur des pavots se répand et rôde

Ainsi qu'un soupir mourant dans les airs.

Les yeux attachés sur ton fin sourire,

 J'admire son art et sa cruauté,

Mais la vision des ans me déchire,

Et, prophétiquement, je pleure ta beauté !

Puisque telle est la loi lamentable et stupide,

 Tu te flétriras un jour, ah! mon lys !

Et le déshonneur public de la ride

Marquera ton front de ce mot: Jadis!

 Tes pas oublieront ce rythme de l'onde;

 Ta chair sans désir, tes membres perclus

Ne frémiront plus dans l'ardeur profonde:

L'amour désenchanté ne te connaîtra plus.

 Ton sein ne battra plus comme l'essor de l'aile

Sous l'oppression du coeur généreux,

Et tu fuiras l'heure exquise et cruelle

Où l'ombre pâlit le front des heureux.

 Ton sommeil craindra l'aurore où persiste

Le dernier rayon des derniers flambeaux:

 Ton âme de vierge amoureuse et triste

S'éteindra dans tes yeux plus froids que les tombeaux.

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Désir

Elle est lasse, après tant d'épuisantes luxures.

Le parfum émané de ses membres meurtris

Est plein du souvenir des lentes meurtrissures.

La débauche a creusé ses yeux bleus assombris.

Et la fièvre des nuits avidement rêvées

Rend plus pâles encor ses pâles cheveux blonds.

Ses attitudes ont des langueurs énervées.

Mais voici que l'Amante aux cruels ongles longs

Soudain la ressaisit, et l'étreint, et l'embrasse

D'une ardeur si sauvage et si douce à la fois,

Que le beau corps brisé s'offre, en demandant grâce,

Dans un râle d'amour, de désirs et d'effrois.

Et le sanglot qui monte avec monotonie,

S'exaspérant enfin de trop de volupté,

Hurle comme l'on hurle aux moments d'agonie,

Sans espoir d'attendrir l'immense surdité.

Puis, l'atroce silence, et l'horreur qu'il apporte,

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Le brusque étouffement de la plaintive voix,

Et sur le cou, pareil à quelque tige morte,

Blêmit la marque verte et sinistre des doigts.

 

Chanson

La mer murmure une musique

Aux gémissements continus;

Le sable met, sous les pieds nus,

Son tapis de velours magique.

Et les algues, soeurs des coraux,

Semblent, à demi découvertes,

D'étranges chevelures vertes

De sirènes au fond des eaux.

Le vent rude des mers rugueuses

Ne souffle point la guérison...

Ah! le parfum... ah! le poison

De tes lèvres, fleurs vénéneuses !

 Tu viens troubler les fiers desseins

Par des effluves de caresses

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Et l'enchevêtrement des tresses

Sur les frissons ailés des seins.

 Ta beauté veut l'attrait factice

Des attitudes et du fard:

 Tes yeux recèlent le regard.

 

La Pleureuse

Elle vend aux passants ses larmes mercenaires,

Comme d'autres l'encens et l'odeur des baisers.

L'amour ne brûle plus dans ses yeux apaisés

Et sa robe a le pli rigide des suaires.

Son deuil impartial, à l'heure des sommeils,

Gémit sur les anciens aux paupières blêmies

Et sur le blanc repos des vierges endormies,

Avec la même angoisse et des gestes pareils.

Le vent des nuits d'hiver se lamente comme elle,

Pleurant sur les pervers et les purs tour à tour,

Car elle les confond dans un unique amour

Et verse à leur néant la douleur fraternelle.

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Les jours n'apportent plus, dans leurs reflets mouvants,

Qu'un instant de parfum, de beauté, d'allégresse,

A son âme qu'un râle inexorable oppresse,

Lasse de la souffrance ardente des vivants.

Vers le soir, quand décroit l'odeur des ancolies

Et quand la luciole illumine les prés,

Elle s'étend parmi les morts qu'elle a pleurés,

Parmi les rois sanglants et les vierges pâlies.

Sous les cyprès qui semblent des flambeaux éteints,

Elle vient partager leur couche désirable,

Et l'ombre sans regrets des sépulcres l'accable

De sanglots oubliés et de désirs atteints.

Elle y vient prolonger son rêve solitaire,

Ivre de vénustés et de vagues chaleurs,

Et sentir, le visage enfiévré par les fleurs,

D'anciennes voluptés sommeiller dans la terre.

 

Fleurs de Séléné

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Elles ont des cheveux pâles comme la lune,

Et leurs yeux sans amour s'ouvrent pâles et bleus,

Leurs yeux que la couleur de l'aurore importune.

Elles ont des regards pâles comme la lune,

Qui semblent refléter les astres nébuleux.

Leurs paupières d'argent, qu'un baiser importune,

Recèlent des rayons langoureusement bleus.

Elles viennent charmer leur âme solitaire

De l'ensorcellement des sombres chastetés,

De l'haleine des cieux, des souffles de la terre.

Nul parfum n'a troublé leur âme solitaire.

L'ivoire des hivers, la pourpre de l'été

Ne les effleurent point des reflets de la terre:

Elles gardent l'amour des sombres chastetés.

Leur robe a la lourdeur du linceul qu'on déploie,

Grise sous le regard nocturne des hiboux,

Et leur sourire éteint la caresse et la joie.

Leur robe a la lourdeur du linceul qu'on déploie.

Elles penchent leurs fronts et leurs gestes sont doux

Vers les agonisants du songe et de la joie

Qui râlent sous les yeux nocturnes des hiboux.

Elles aiment la mort et la blancheur des larmes...

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Ces vierges d'azur sont les fleurs de Séléné.

Possédant le secret des philtres et des charmes,

Elles aiment la mort et la lenteur des larmes,

Et la fleur vénéneuse au calice fané.

Leurs mains ont distillé les philtres et les charmes,

Et leurs yeux pâles sont les fleurs de Séléné.

 

Ressemblance inquiétante

 J'ai vu dans ton front bas le charme du serpent.

 Tes lèvres ont humé le sang d'une blessure,

Et quelque chose en moi s'écoeure et se repent

Lorsque ton froid baiser me darde sa morsure.

Un regard de vipère est dans tes yeux mi-clos,

Et ta tête furtive et plate se redresse

Plus menaçante après la langueur du repos.

 J'ai senti le venin au fond de ta caresse.

Pendant les jours d'hiver aux carillons frileux,

 Tu rêves aux tiédeurs qui montent des vallées,

Et l'on songe, en voyant ton long corps onduleux,

A des écailles d'or lentement déroulées.

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 Je te hais, mais la souplesse de ta beauté

Me prend et me fascine et m'attire sans cesse,

Et mon coeur, plein d'effroi devant ta cruauté,

 Te méprise et t'adore, ô Reptile et Déesse !

 

Velléité

Dénoue enfin tes bras fiévreux, ô ma Maîtresse!

Délivre-moi du joug de ton baiser amer,

Et, loin de ton parfum dont l'impudeur m'oppresse,

Laisse-moi respirer les souffles de la mer.

Loin des langueurs du lit, de l'ombre et de l'alcôve,

 J'aspirerai le sel du vent et l'âcreté

Des algues, et j'irai vers la profondeur fauve,

Pâle de solitude, ivre de chasteté !

 

Le Sang des Fleurs

Ainsi que, sur les montagnes, les pâtres

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foulent aux pieds l'hyacinthe, et la fleur

s'empourpre sur la terre.

Psappha

 

Le soir s'attriste encor de ses clartés éteintes.

Des rêves ont troublé l'air pâle et languissant,

Et, chantant leurs amours, les pâtres, en passant,

Ecrasent lourdement les frêles hyacinthes.

L'herbe est pourpre et semblable à des champs de combats,

Sous le rouge d'un ciel aux tons de cornalines,

Et le sang de la fleur assombrit les collines.

Le soleil pitoyable agonise là-bas.

Sans goûter pleinement la paix de la campagne,

 Je songe avec ferveur, et mon coeur inquiet

Porte le léger deuil et le léger regret

De la muette mort des fleurs sur la montagne.

 

 Ton Ame

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Pour une amie solitaire et triste.

 Ton âme, c'est la chose exquise et parfumée

Qui s'ouvre avec lenteur, en silence, en tremblant,

Et qui, pleine d'amour, s'étonne d'être aimée.

 Ton âme, c'est le lys, le lys divin et blanc.

Comme un souffle des bois remplis de violettes,

 Ton souffle rafraîchit le front du désespoir,

Et l'on apprend de toi les bravoures muettes.

 Ton âme est le poème, et le chant, et le soir.

 Ton âme est la fraîcheur, ton âme est la rosée,

 Ton âme est ce regard bienveillant du matin

Qui ranime d'un mot l'espérance brisée...

 Ton âme est la pitié finale du destin.

 

Sur le Rythme saphique

La lune s'est couchée, ainsi que les Pléiades ;

il est minuit, l'heure passe, et je dors solitaire.

Psappha

 

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L'ombre se drapait en des voiles de veuves,

La mer aspirait le sang tiède des fleuves,

L'Aphrodita blonde au regard décevant

Riait en rêvant.

 J'entendis gémir, au profond de l'espace,

Celle qui versa la strophe ardente et lasse,

Et dont le laurier fleurit et triompha,

La pâle Psappha.

"Le rossignol râle et frémit par saccades,

Et l'ombre engloutit la lune et les Pléiades:

L'heure sans espoir et sans extase fuit

Au sein de la nuit.

"Parmi les parfums glorieux de la terre,

 Je rêve d'amour et je dors solitaire,

O vierge au beau front pétri d'ivoire et d'or

Que je pleure encor !

 

Locusta

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Nul n'a mêlé ses pleurs au souffle de ma bouche,

Nul sanglot n'a troublé l'ivresse de ma couche,

 J'épargne à mes amants les rancoeurs de l'amour.

 J'écarte de leur front la brûlure du jour,

 J'éloigne le matin de leurs paupières closes,

Ils ne contemplent pas l'accablement des roses.

Seule je sais donner des nuits sans lendemains.

 Je sais les strophes d'or sur le mode saphique,

 J'enivre de regards pervers et de musique

La langueur qui sommeille à l'ombre de mes mains.

 Je distille les chants, l'énervante caresse

Et les mots d'impudeur murmurés dans la nuit.

 J'estompe les rayons, les senteurs et le bruit.

 Je suis la tendre et la pitoyable Maîtresse.

Car je possède l'art des merveilleux poisons,

Insinuants et doux comme les trahisons

Et plus voluptueux que l'éloquent mensonge.

Lorsque, au fond de la nuit, un râle se prolonge

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Et se mêle à la fuite heureuse d'un accord,

 J'effeuille une couronne et souris à la Mort.

 Je l'ai domptée ainsi qu'une amoureuse esclave.

Elle me suit, passive, impénétrable et grave,

Et je sais la mêler aux effluves des fleurs

Et la verser dans l'or des coupes des Bacchantes.

 J'éteins le souvenir importun du soleil

Dans les yeux alourdis qui craignent le réveil

Sous le regard perfide et cruel des amantes.

 J'apporte le sommeil dans le creux de mes mains.

Seule je sais donner des nuits sans lendemains.

 

Lucidité

 Tendre à qui te lapide et mortelle à qui t'aime,

 Tu fais de l'attitude un règne de poème,

O femme dont la grâce enfantine et suprême

 Triomphe dans la fange et les pleurs et le sang !

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 Tu n'aimes que la main qui meurtrit ta faiblesse,

La parole qui trompe et le baiser qui blesse,

L'antique préjugé qui ment avec noblesse

Et le désir d'un jour qui sourit en passant.

Férocité passive, hypocritement douce,

Pour t'attirer, il faut que le geste repousse:

 Ta chair inerte appelle, en râlant, la secousse.

 Tu n'as que le respect du geste triomphant.

Esclave du hasard, des choses et de l'heure,

Etre ondoyant en qui rien de vrai ne demeure,

 Tu n'accueilles jamais la passion qui pleure

Ni l'amour qui languit sous ton regard d'enfant.

Le baume du banal et le fard du factice,

Créature d'un jour! contentent ton caprice,

Et ton corps se dérobe entre les mains et glisse...

 Jamais tu n'entendis le cri du désespoir.

 Jamais tu ne compris la gravité d'un songe,

D'un reflet dont le charme expirant se prolonge,

D'un écho dans lequel le souvenir se plonge,

 Jamais tu ne pâlis à l'approche du soir.

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Lassitude

 Je dormirai ce soir d'un large et doux sommeil.

Fermez les lourds rideaux, tenez les portes closes,

Surtout ne laissez pas pénétrer le soleil.

Mettez autour de moi le soir trempé de roses.

Posez, sur la blancheur d'un oreiller profond,

Ces mortuaires fleurs dont le parfum obsède.

Posez-les dans mes mains, sur mon coeur, sur mon front,

Ces fleurs pâles, qui sont comme une cire tiède.

Et je dirai très bas: "Rien de moi n'est resté.

Mon âme enfin repose. Ayez donc pitié d'elle!

Respectez son repos pendant l'éternité."

 Je dormirai ce soir de la mort la plus belle.

Que s'effeuillent les fleurs, tubéreuses et lys,

Et que se taise, enfin, au seuil des portes closes,

Le persistant écho des sanglots de jadis...

Ah! le soir infini! le soir trempé de roses !

 

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Devant la mort d'une amie

véritablement aimée

Ils me disent, tandis que je sanglote encore:

"Dans l'ombre du sépulcre où sa grâce pâlit,

Elle goûte la paix passagère du lit,

Les ténèbres au front, et dans les yeux l'aurore.

"Mais elle a la splendeur de l'Esprit délivré,

Rêve, haleine, harmonie, éclat, parfum, lumière!

Le cercueil ne la peut contenir tout entière,

Ni le sol de chair morte et de pleurs enivré.

"Les larmes d'or du cierge et le cri du cantique,

Les lys fanés, ne sont qu'un symbole menteur:

Dans une aube d'avril qui vient avec lenteur,

Elle refleurira, violette mystique."

Moi, j'écoute parmi les temples de la mort

Et sens monter vers moi la chaleur de la terre.

Cette accablante odeur recèle le mystère

De l'ombre où l'on repose et du lit où l'on dort.

 J'écoute, mais le vent des espaces emporte

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L'audacieux espoir des infinis sereins.

 Je sais qu'elle n'est plus dans l'heure que j'étreins,

L'heure unique et certaine, et moi, je la crois morte.

 

Les Arbres

Dans l'azur de l'avril, dans le gris de l'automne,

Les arbres ont un charme inquiet et mouvant.

Le peuplier se ploie et se tord sous le vent,

Pareil aux corps de femme où le désir frissonne.

Sa grâce a des langueurs de chair qui s'abandonne,

Son feuillage murmure et frémit en rêvant,

Et s'incline, amoureux des roses du Levant.

Le tremble porte au front une pâle couronne.

Vêtu de clair de lune et de reflets d'argent,

S'effile le bouleau dont l'ivoire changeant

Projette des pâleurs aux ombres incertaines.

Les tilleuls ont l'odeur des âpres cheveux bruns,

Et des acacias aux verdures lointaines

 Tombe divinement la neige des parfums.

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"I've been a ranger"

 J. Keats

 Tu gardes dans tes yeux la volupté des nuits,

O joie inespérée au fond des solitudes!

 Ton baiser est pareil à la saveur des fruits

Et ta voix fait songer aux merveilleux préludes

Murmurés par la mer à la beauté des nuits.

 Tu portes sur ton front la langueur et l'ivresse,

Les serments éternels et les aveux d'amour;

 Tu sembles évoquer la fragile caresse

Dont l'ardeur se dérobe à la clarté du jour

Et qui te laisse au front la langueur et l'ivresse.

 

Sonnet féminin

 Ta voix a la langueur des lyres lesbiennes,

L'anxiété des chants et des odes saphiques,

Et tu sais le secret d'accablantes musiques

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Où pleure le soupir d'unions anciennes.

Les Aèdes fervents et le Musiciennes

 T'enseignèrent l'ampleur des strophes érotiques

Et la gravité des lapidaires distiques.

 Jadis tu contemplas les nudités païennes.

 Tu sembles écouter l'écho des harmonies

Mortes; bleus de ce bleu des clartés infinies,

 Tes yeux ont le reflet du ciel de Mytilène.

Les fleurs ont parfumé tes étranges mains creuses;

De ton corps monte, ainsi qu'une légère haleine,

La blanche volupté des vierges amoureuses.

 

Epitaphe

Doucement tu passas du sommeil à la mort,

De la nuit à la tombe et du rêve au silence,

Comme s'évanouit le sanglot d'un accord

Dans l'air d'un soir d'été qui meurt de somnolence.

Au fond du Crépuscule où sombrent les couleurs,

Où le monde pâlit sous les cendres du rêve,

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 Tu sembles écouter le reflux de la sève

Et l'avril musical qui fait chanter les fleurs.

Le velour de la terre aux caresses muettes

 T'enserre, et sur ton front pleurent les violettes.

 

Accueil

 

http://www.reneevivien.com/images/page%27poemes%27_01.gif Oeuvrepoétique

Accueil

 

Évocations,

1903

 

Douceur de mes chants...

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Les Solitaires

Feuilles sur l'Eau

Prolonge la Nuit

Le Toucher

La Mort d'une Bacchante

La Rançon

Sonnet

Atthis

Chanson norvégienne

L'Aurore triste

Violettes d'Automne

L'Odeur de la Montagne

La Conque

Water Liliess

La Fleur du Sorbier

La Mort de Pasppha

Lamentation

Départ

Les Chardons

Violettes blanches

Viviane

Gellô

Sonnets

Souveraines

La nuit est à nous

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Les ébauches

Gorgô

Vers le Nord

Chanson

Victoire funèbre

 Twilight

Velléda

Soir

Aigue-marines

La Fusée

Elle habite les Ruines...

La Satyresse

Danses sacrées

Les Revenants

Atthis délaissée

Les Couleurs de la Nuit

Hiver

Vers les Sirènes

Sonnet

Korinna triomphante

 To the Sunset Goddess

La Faunesse

Les Noyées

Les Couleurs

Le Bloc de Marbre

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Ressouvenir

A la Divinité inconnue

Mort matinime

Paysage mystique

 Timas

À Venise

 

Douceur de mes chants...

Douceur de mes chants, allons vers Mytilène.

Voici que mon âme a repris son essor,

Nocturne et craintive ainsi qu'une phalène

Aux prunelles d'or.

Allons vers l'accueil des vierges adorées:

Nos yeux connaîtront les larmes des retours:

Nous verrons enfin s'éloigner les contrées

Des ternes amours.

L'ombre de Psappha, tissant les violettes

Et portant au front de fébriles pâleurs,

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Sourira là-bas de ses lèvres muettes

Lasse de douleurs.

Là-bas gémira Gorgô la délaissée,

Là-bas fleuriront les paupières d'Atthis

Qui garde en sa chair, savamment caressée,

L'ardeur de jadis.

Elle chanteront les Grâces solennelles,

Les sandales d'or de l'Aube au frais miroir,

Les roses d'une heure et les mers éternelles,

L'étoile du Soir.

Nous verrons Timas, la vierge tant pleurée,

Qui ne subit point les tourments de l'Erôs,

Et nous redirons à la terre enivrée

L'hymne de Lesbôs.

 

Les Solitaires

Ceux-là dont les manteaux ont des plis de linceuls

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Goûtent la volupté divine d'être seuls.

Leur sagesse a pitié de l'ivresse des couples,

De l'étreinte des mains, des pas aux rythmes souples.

Ceux dont le front se cache en l'ombre des linceuls

Savent la volupté divine d'être seuls.

Ils contemplent l'aurore et l'aspect de la vie

Sans horreur, et plus d'un qui les plaint les envie.

Ceux qui cherchent la paix du soir et des linceuls

Connaissent la terrible ivresse d'être seuls.

Ce sont les bien-aimés du soir et du mystère.

Ils écoutent germer les roses sous la terre

Et perçoivent l'écho des couleurs, le reflet

Des sons... Leur atmosphère est d'un gris violet.

Ils goûtent la saveur du vent et des ténèbres,

Et leurs yeux sont plus beaux que des torches funèbres.

 

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Feuilles sur l'Eau

... S'il fut permis à Psappha de Lesbôs

de demander dans ses prières "que la nuit

fût doublée pour elle", qu'à mon tour j'ose

implorer une faveur pareille...

Libanios.

 

Prolonge la nuit, Déesse qui nous brûles!

Eloigne de nous l'aube aux sandales d'or!

Déjà, sur la mer, les premiers crépuscules

Ont pris leur essor.

Garde-nous pourtant, dormantes sous tes voiles,

Ayant oublié la cruauté du jour!

Que le vin de l'ombre et le vin des étoiles

Nous comblent d'amour !

Puisque nul ne sait quelle aurore se lève

Apportant le gris avenir dans ses mains,

Nous tremblons devant le grand jour, notre rêve

Craint les lendemains.

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Ah! gardant la main sur nos paupières closes,

Rappelons en vain la douceur qui nous fuit!

Déesse à qui plaît la ruine des roses,

Prolonge la nuit !

 

Le Toucher

Les arbres ont gardé du soleil dans leurs branches.

Voilé comme une femme, évoquant l'autrefois,

Le crépuscule passe en pleurant... Et me doigts

Suivent en frémissant la ligne de tes hanches.

Mes doigts ingénieux s'attardent aux frissons

De ta chair sous la robe aux douceurs de pétale...

L'art du toucher, complexe et curieux, égale

Le rêve des parfums, le miracle des sons.

 Je suis avec lenteur le contour de tes hanches,

 Tes épaules, ton col, tes seins inapaisés.

Mon désir délicat se refuse aux baisers :

Il effleure et se pâme en des voluptés blanches.

 

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La Mort d'une Bacchante

Nous ne tisserons pas les graves violettes.

Nous ferons retentir le paktis vaste et doux

A travers les forêts et les plaines muettes,

E nous arracherons les grands feuillages roux.

- Mes compagnes, la voix large des lyres chante

La mort d'une Bacchante.

La solitude a moins de regrets que l'amour,

Et le sanglot est moins déchirant que le rire.

Nous mêlerons nos bras jusqu'au déclin du jour,

Et nous parfumerons de roses et de myrrhe

Nos corps, où brûlera, comme un ferment divin,

La colère du vin.

Contemple sur ton seuil de pierre, ô sombre proie

De l'Hadès et du Styx, ô silence, ô paleur !

Notre douleur, pareille à l'éclat de la joie,

Notre joie aux yeux fous, pareille à la douleur !

Car la foule, cueillant la fleur des vignes, chante

La mort d'une Bacchante.

Vois toute la lumière, entends l'éclat du bruit !...

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Plus tard, nous couperons nos cheveux de prêtresses,

Dorés comme la lune, épais comme la nuit,

Ardents comme le soir, imprégnés de caresses;

Plus tard, nous éteindrons le suprême flambeau

Sur ton calme tombeau.

Et nous te laisserons à l'ombre pacifique,

 Toi dont la lassitude envia le sommeil

Du faune et du satyre accablés de musique,

Rassasiés de fruits et repus de soleil...

Compagnes, écoutez la pleureuse qui chante

La mort d'une Bacchante.

 

La Rançon

Viens, nous pénétrerons le secret du flot clair,

Et je t'adorerai, comme un noyé la mer.

Les crabes dont la faim se repaît de chair morte

Nous ferons avec joie une amicale escorte.

Reine, je t'élevai ce palais qui reluit,

Du débris d'un vaisseau naufragé dans la nuit...

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Les jardins de coraux, d'algues et d'anémones,

N'y défleurissent point au soufle des automnes.

Burlesquement, avec des rires d'arlequins,

à cheval sur le dos des requins.

 Tes yeux ressembleront aux torches de phosphore

A travers la pénombre où ne rit point l'aurore.

 Je suis l'être qu'hier ton sein nu vint charmer,

Qui ne sut point asses te haïr ni t'aimer,

Que tu mangeas, ainsi que mange ton escorte,

Les crabes dont la faim se repaît de chair morte...

Viens, je t'entraînerai vers l'océan amer

Et j'aimerai ta mort dans la nuit de la mer.

 

Sonnet

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 Ta royale jeunesse a la mélancolie

Du Nord où le brouillard efface les couleurs.

 Tu mêles la discorde et le désir aux pleurs,

Grave comme Hamlet, pâle comme Ophélie.

 Tu passes, dans l'éclair d'une belle folie,

Comme Elle, prodiguant les chansons et les fleurs,

Comme Lui, sous l'orgueil dérobant tes douleurs,

Sans que la fixité de ton regard oublie.

Souris, amante blonde, ou rêve, sombre amant.

 Ton être double attire ainsi qu'un double aimant,

Et ta chair brûle avec l'ardeur froide d'un cierge.

Mon coeur déconcerté se trouble quand je vois

 Ton front pensif de prince et tes yeux bleus de vierge,

 Tantôt l'Un, tantôt l'Autre, et les Deux à la fois.

 

Atthis

 Je t'aimais, Atthis, autrefois...

Psappha

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 Je reviens chercher l'illusion des choses

D'autrefois, afin de gémir en secret

Et d'ensevelir notre amour sous les roses

Blanches du regret.

Car je me souviens des divines attentes,

De l'ombre et des soirs fébriles de jadis...

Parmi les soupirs et les larmes ardentes,

 Je t'aimais, Atthis!

 J'aimais tes cheveux tramés de clairs de lune,

 Ton corps ondoyant qui se dérobe et fuit,

 Tes yeux que l'éclat de l'aurore importune,

Bleus comme la nuit.

 J'aimais le baiser de tes lèvres amères,

 J'aimais ton baiser aux merveilleux poisons,

 Jadis! Et j'aimais tes injustes colères

Et tes trahisons...

Atthis, aujourd'hui tu pâlis, et je passe

 Tel un exilé sans désir de retour,

 Toi, moins souriante, et moi, l'âme plus lasse,

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Plus loin de l'amour.

Voici que s'exhale et monte, avec la flamme

Et l'essor des chants et l'haleine des lys,

L'intime sanglot de l'âme de mon âme:

 Je t'aimais, Atthis.

 

Chanson norvégienne

Récit :

Le soir a déchaîné des sanglots de victimes.

Le fuyant crépuscule a la couleur du sang.

Le Vent du Nord s'enfuit vers le large...

Choeur :

O passant,

Ne suis pas le chemin qui longe les abîmes.

Récit :

Semblable au vague essor des oiseaux de la nuit,

Une forme apparaît en traînant ses longs voiles.

Dans ses regards se meurt le reflet des étoiles.

Le pâtre a vu briller le fantôme qui fuit

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En murmurant: "Allons vers la gloire des cimes,

 Je te révélerai mon front éblouissant.

Les glaciers sont moins purs que mes yeux."

Choeur :

O passant,

Ne suis pas le chemin qui longe les abîmes.

Récit :

"Homme, je suis pareille au plus cher de tes voeux.

Autour de ma beauté flottent des soupirs d'âmes,

Et mon corps est pétri de parfums et de flammes.

La lune sur les fjords ressemble à mes cheveux.

Ma voix garde l'écho des voluptés intimes

Qui traversent les soirs d'automne en frémissant,

Et la neige est mon lit virginal..."

Choeur :

O passant,

Ne suis pas le chemin qui longe les abîmes.

Récit :

La Vision blanchit le sentier triste et nu,

Et le fervent désir du pâtre l'accompagne.

Il foule, sans les voir, les fleurs de la montagne,

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Afin de contempler le visage inconnu.

Aveugle, les regards brûlés d'éclairs sublimes,

L'Amant a poursuivi son Rêve en pâlissant...

 Tous deux ont disparu dans la brume...

Choeur :

O passant,

Ne suis pas le chemin qui longe les abîmes.

 

L'Aurore triste

L'aurore a la pâleur verdâtre d'une morte,

Elle semble une frêle et tremblante Alkestis

Qui, les pas vacillants, vient frapper à la porte

Où l'amour l'accueillait en souriant, jadis.

Elle a quitté les flots qui roulent des étoiles,

Les jardins nébuleux où dort Perséphoné,

Ceinte de pavots blancs et vierge sous les voiles,

Et le doux crépuscule au sourire fané.

Elle a quitté l'Hadès et l'éternel automne,

Le reflet des roseaux et l'ombre des iris

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Sur l'onde sans reflux qui jamais ne frissonne.

L'aube semble une frêle et tremblante Alkestis.

Longtemps elle s'attarde au seuil de la demeure

Dont hier elle fut la parure et l'espoir,

Et contemple le monde où la volupté pleure,

Avec des yeux nouveaux qui s'attristent de voir.

 

Violettes d'Automne

L'air pleure le printemps fervent...

Les arbres souffrent dans le vent,

Sans opulence et sans couronne...

Ah! les violettes d'automne !

 Tu viens, toit que je n'aime plus,

Portant les regrets superflus,

Et plus pâle qu'une madone...

Ah! les violettes d'automne !

 Je songe à nos mauvais adieux.

Nos souvenirs sont dans tes yeux

Que la fraîcheur du jour étonne...

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Ah! les violettes d'automne !

 J'ai vu, sous des midis plus beaux,

Des roses jaillir des tombeaux

Où l'aube de l'espoir rayonne...

Ah! les violettes d'automne !

Mais notre désastreux amour

N'aura ni réveil ni retour,

Ni sanglots dans sa voix atone...

Ah! les violettes d'automne !

 Toi qui fus, par les soirs d'été,

Ma Maîtresse et ma Volupté,

L'ardeur du baiser t'abandonne...

Ah! les violettes d'automne !

 

L'Odeur de la Montagne

"Lo giorno se n'andava, e l'aer bruno

 Toglieva gli animai che sono in terra

Dalle fatiche loro..."

Dante, Inferno, canto secondo

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Le soir, désaltérant la soif de la campagne,

Coule, froidement vert comme un fleuve du Nord,

Et voici que descend l'odeur de la montagne.

Consolant la tristesse et ranimant l'effort,

La fraîcheur des sommets se répand dans la plaine.

On voit de loin, jetant des flammes sur les fleurs,

Le ver luisant et la luciole incertaine...

Et la brune déferle, éteignant les couleurs

Et noyant d'infini les pâles paysages...

L'or du couchant jaillit, tel le vin du pressoir,

Et s'attarde, empourpré, sur les divins visages

De l'ombre et de la mort, qui passent dans le soir...

 

La Conque

Passant, je me souviens du crépuscule vert

Où glissent lentement les ombres sous-marines,

Où les algues, offrant leur calice entr'ouvert,

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Etreignent de leurs bras fluides les ruines

Des vaisseaux autrefois pesants d'ivoire et d'or.

 Je me souviens de l'ombre où la nacre s'irise,

Où dorment les anneaux, étincelants encor,

Que donnaient à la mer ses époux de Venise.

Passant, je me souviens du patient travail

De ces vivants jardins aux plantes animales,

Et, parmi tant de fleurs, du vivace corail,

Dont l'heure et le courant disposent les pétales,

Rose animale et rouge éclose dans la nuit.

 Je mpe souviens d'avoir bu l'odeur de la brume

Et d'voir admiré le sillage qui fuit

En laissant sur les flots une neige d'écume.

 Je voyais chaque soir, parmi l'azur changeant

Des vagues, refleurir les astres du phosphore.

Mon lit d'amour était le doux sable d'argent.

 J'ai vu s'épanouir le nombreux médrapore

Qui bâtissait parmi de gris lambeaux empreints

De sel... Ce furent les bannières déployées.

 J'ai pleuré les beaux yeux et les cheveux éteints

Et les membres meurtris des amantes noyées

Gardant encore au bras un bracelet de fer.

Dans mon coeur chante encor la musique illusoire

De l'Océan. Je garde en ma frêle mémoire

Le murmure et l'haleine et l'âme de la mer.

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Water Lilies

Parmi les ondoiements et les éclairs douteux,

Les langoureux lys d'eau lèvent leur front laiteux.

La rivière aux flots lourds berce leur somnolence...

Ce sont d'étranges fleurs de mort et de silence.

Leur fraîcheur refroidit les flammes du soleil,

Et leur souffle répand une odeur de sommeil.

Ce sont les fleurs de mort et de mélancolie;

Elles ont caressé les bras nus d'Ophélie.

Elles aiment le saule et les roseaux, le bruit

Des feuillages, les soirs d'émeraude et la nuit.

L'accablante splendeur du jour les importune:

Elles dorment sur l'eau, pâles comme la lune.

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Aucun souffle d'amour n'atteint leur pureté.

Elles furent jadis les lotus du Léthé.

Perséphoné, tressant des couronnes de rêve,

Les cueillit, quand ses pas errèrent sur la grève

Des morts, où les reflets plus beaux que les couleurs,

Et les échos plus doux que les sons, où les fleurs

Sans parfum, sont tissés dans la trame du songe,

Où l'ivresse qui sourd des pavots se prolonge...

Et les lys ont gardé le pieux souvenir

Du pays tiède où tous les chocs vont s'amortir,

De la Déesse aux yeux de crépuscule tendre,

Dénouant ses cheveux de poussière et de cendre.

 

La Fleur du Sorbier

Paré d'aigue-marine et d'onyx et d'opale,

Le soir prestigieux sourit bizarrement,

Et, goûtant à demi la saveur du moment,

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Nous regrettons tout bas une joie idéale.

Le couchant qui blêmit et rougit tour à tour,

La campagne morbide et l'heure de tristesse

Semblent nous reprocher d'avoir, ô ma Maîtresse,

Accompli sans désir les gestes de l'amour.

Vois là-bas, tel un vol de blanches Valkyries,

Les nuages suivant leurs chemins inconnus...

Les grappes de glycine encadrent tes bras nus

Et baignent de parfums tes paupières meurtries.

 Ton regard sans lueurs paraît agoniser...

Une phalène, errant dans le jardin, se pose

Sur la fleur du sorbier, d'un or pâlement rose

Comme la fleur secrète où j'ai mis mon baiser...

 

La Mort de Pasppha

Poème dramatique en un acte

Scène I

L'école de poésie fondée par Psappha. Une statue de

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l'Aphrodita enguirlandée de roses. Par la porte ouverte,

on voit l'Egée, les jardins et les maisons de Mytilène. Le

soleil, pendant l'acte, décline et disparaît dans la mer.

Eranna de Télos chante :

"Lasse du jardin où je me souviens d'elle,

 J'écoute mon coeur appressé d'un parfum.

Pourquoi m'obséder de ton vol importun,

Divine hirondelle ?

"Tu rôdes, ainsi qu'un désir obstiné,

Réveillant en moi l'éternelle amoureuse,

Douloureuse amante, épouse douloureuse,

O pâle Prokné.

"Tu fuis tristement vers la rive qui t'aime,

Vers la mer aux pieds d'argent, vers le soleil...

 Je hais le printemps, qui vient, toujours pareil

Et jamais le même !

"Ah! me rendra-t-il les langueurs de jadis,

Le fiévreux tourment des trahisons apprises,

L'attente et l'espoir des caresses promises,

Les lèvres d'Atthis ?

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"J'évoque le pli de ses paupières closes,

La fleur de ses yeux, le sanglot de sa voix,

Et je pleure Atthis que j'aimais autrefois,

Sous l'ombre des roses..."

 

Scène II

L'Etrangère entre, hésitante. Elle est blonde. Ses regards

incertains errent autour d'elle.

Damophyla :

Vierge, que cherches-tu parmi nous?

L'Etrangère :

La Beauté.

 Je cherche la colère et la stupeur des lyres,

L'âpreté du mélos, parmi la cruauté

Des regards sans éclairs et des mornes sourires.

Damophyla :

Viens cueillir avec nous les roses de Psappha:

Elle enseigne les chants qui plaisent aux Déesses.

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Atthis :

Viens, tu verras, parmi ses ferventes prêtresses,

Celle dont le laurier grandit et triompha.

Eranna :

Ses cheveux sont pareils aux sombres violettes.

Gorgô :

Seule, elle sait tramer les musiques muettes

Des gestes et des pas.

Dika :

Son baiser est amer

Et mord, comme le sel violent de la mer.

Gurinnô :

Elle est triste ce soir. Son regard inquiète...

L'Etrangère :

Quelle angoisse l'étreint ?

Dika :

Un songe de poète...

Eranna :

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Non... Car elle est sauvage et triste tout à tour,

Et se lamente, en proie aux affres de l'amour.

 

Scène III

Psappha entre voilée. Pendant tout l'acte, elle ne

découvre point son visage. Elle s'arrête devant la

statue de la Déesse, en une attitude de désespoir.

Choeur :

Aphrodita changeante, implacable Immortelle,

 Tu jaillis de la mer, périlleuse comme elle.

La vague sous tes pas se brisait en sanglots.

Amère, tu surgis des profondeurs amères,

Apportant dans tes mains l'angoisse et les chimères,

Ondoyante, insondable et perfide. Et le flots

Désirèrent tes pieds, plus pâles que l'écume.

Atthis :

 Ta lumière ravage et ta douceur consume.

Psappha, sans entendre, noyée dans son rêve.

Fille de Kupros, je t'ai jadis parlé

A travers un songe.

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Eranna :

Comme un son de paktis indécis et voilé,

L'incertaine douceur de sa voix se prolonge...

Psappha :

 Tu m'as répondu, toi dont la cruauté

Pèse sur mon âme immuablement triste:

"Pourquoi sangloter mon nom! Quelle Beauté,

Psappha, te résiste ?

"Moi, fille de Zeus, je frapperai l'orgueil

De celle qui fuit ton baiser, ô poète!

 Tu verras errer vainement sur ton seuil

Son ombre inquiète."

 Ton venin corrompt le sourire des jours,

Déesse, et flétrit ma chair humiliée,

 Toi qui fut jadis mon rayonnant secours,

Ma prompte alliée.

Damophyla :

Le soir tombe... Déjà, vers le flambeau mouvant,

S'élance l'agonie ardente des phalènes...

Psappha :

L'amour a ployé mon âme, comme un vent

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Des montagnes tord et brise les grands chênes...

Gorgô :

Rien ne brûle en ses yeux des poèmes vécus...

Atthis :

Son regard se dérobe et pa^lit sous les voiles... Psappha.

 Je n'espère point éteindre les étoiles

De mes bras vaincus.

Elle sort lentement.

 

Scène IV

L'Etrangère :

Oh! vers quel lointain, vers quel mystère va-t-elle?

Gurinnô :

Le soir tombe... Elle va vers l'oubli de l'amour,

Vers la mort...

Eranna :

Sans espoir, sans désir de retour,

Elle atteint lentement le rocher de Leucade...

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Atthis, écoutant :

Sa voix fiévreuse pleure et râle par saccade...

Damophyla :

Vierge, la volupté de la mort est dans l'air...

Eranna :

Psappha vient de s'éteindre ainsi qu'une harmonie...

Atthis :

 J'entends, comme un écho, son appel d'agonie.

Gorgô :

Et je vois son cadavre emporté par la mer...

L'Etrangère :

O compagnes, les pleurs sont de légères choses

Qui ne conviennent point au glorieux trépas...

Chantez ! il faut remplir de rythmes et de roses

La maison du poète où le deuil n'entre pas !

Elles répandent des roses sur le seuil de Pasppha.

Leurs gémissements se mêlent à l'accord victorieux

des lyres.

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Lamentation

L'été brûle, la voix des fleuves se lamente,

La voix des sources pleure, et la voix des torrents

Gémit, car le soleil boit les flots transparents

Et tarit la fraîcheur, de sa bouche fervente.

Le voile virginal des neiges sur les monts

Se déchire, et, là-bas, dans les forêts muettes,

Le soleil a pâli les pâles violettes,

Les narcisses tournant vers l'onde leurs yeux blonds.

L'implacable soleil, qui dessèche et tourmente,

A flétri d'un baiser, parmi les longs iris,

Le printemps expirant, l'éternel Adônis...

L'été brûle, la voix des fleuves se lamente.

 

Départ

 J'ai vu s'éteindre en moi le brûlant désespoir...

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Ma bouche cessera de ravager ta bouche,

 Je ne connaîtrai plus les veilles sur la couche

De la moite Insomnie et du Désir farouche,

Car le Mer et la Mort me rappellent, ce soir...

La nuit vient assombrir tes cheveux d'asphodèle,

Et les chauves-souris ont frappé de leur aile

Bleue et longue ma porte où l'ombre vient pleuvoir...

 J'ai fait taire mon coeur que l'angoisse martèle,

Car le Mer et la Mort me rappellent, ce soir...

 

Les Chardons

Ne dissimule pas ton sourire qui tremble,

Lève sur moi tes yeux sans trouble et sans regret,

Et nous irons cueillir la fleur qui te ressemble,

Dans le champ nébuleux qui longe la forêt,

Les mystiques chardons dédaignés du profane.

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 Je préfère aux langueurs ta rigide beauté.

Car l'Epouse souillée aux yeux de courtisane

Ne doit plus asservir mon être tourmenté.

Viens, très blanche à travers la brume diaphane,

Droite dans la raideur de ta virginité.

 Tu ne seras jamais la fiévreuse captive

Qu'enchaîne le baiser, qu'emprisonne le lit,

 Tu ne seras jamais la compagne lascive

Dont la chair se consume et dont le front pâlit.

- Garde ton blanc parfum qui dédaigne le faste.

 Tu ne connaîtras point les lâches abandons

Les sanglots partagés qui font l'âme plus vaste,

Le doute et la faiblesse ardente des pardons...

Et, puisque c'est ainsi que je t'aime, ô très Chaste!

Nous cueillerons ce soir les mystiques chardons.

 

Violettes blanches

Elles sont le souvenir clair

De Celle qui mourut hier

Et qui dort entre quatre planches,

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Les violettes blanches.

Car elle les aimait jadis,

Et moi, je les préfère aux lys...

 J'éclairerai les tristes planches

De violettes blanches.

Vierges entre toutes les fleurs,

Elles ont d'intenses pâleurs...

Parez la nuit des mornes planches

De violettes blanches.

Ainsi fut Celle que j'aimais,

Qui ne refleurira jamais...

Un peu de cendre et quatre planches,

Des violettes blanches.

 

Viviane

Les yeux fixes et las devant l'éternité,

Blème d'avoir connu l'épouvante des mondes,

Merwynn songe... Un visage aux paupières profondes

Le contemple à travers les feuillages d'été.

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L'amour, comme un parfum plein de poisons, émane

Du corps de Viviane.

Des marbres violets et des infinis bleus

Ruissellent la tiédeur, et l'ombre et l'harmonie.

La lumière se meurt dans l'étreinte infinie

D'un lascif crépuscule aux reflets onduleux.

Voici que se rapproche, à pas lents, diaphane

Et longue, Viviane.

"Je te plains, ô Penseur dont le regard me fuit,

Car tu n'as point connu, toi qui vois toutes choses,

La pâleur des pavots et le rire des roses,

L'ardeur et la langueur des lèvres dans la nuit.

Pourquoi railler et fuir la volupté profane,

L'appel de Viviane ?"

Et Merwynn répondit: "Ma passive raison

Subit le charme aigu du mensonge et l'ivresse

Du péril. Ton accent persuade et caresse,

Modulant avec art l'exquise trahison.

Entre tes doigts cruels un lys meurtri se fane,

Perfide Viviane.

"Que le soleil d'amour qui ressemble au trépas

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M'emprisonne à jamais sous le réseau du rêve,

Esclave du baiser à la blessure brève,

Du frôlement des mains, de l'étreinte des bras

Insinuants et frais ainsi qu'une liane,

Des bras de Viviane !"

Le soir et la forêt recueillent le soupir

De l'Enchanteur vaincu par l'appel de l'Amante.

Il voit, tandis qu'au loin le fleuve se lamente,

Les yeux d'or des oiseaux nocturnes refleurir...

Et, triomphal parmi les astres, brûle et plane

L'astre de Viviane.

 

Gellô

Gellô fut autrefois une vierge aux cheveux

Plus doux que le reflet de la lune sur l'onde,

Et mourut sans frémir de l'angoisse profonde,

Sans avoir connu le mensonge des aveux.

Elle hait le désir qui profane l'Epouse,

Elle erre dans la nuit, inquiète et jalouse.

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Elle cueille la fleur des bouches sans baisers,

Car elle aime d'amour les vierges aux seins frêles

Et les emporte au loin sur un lit d'asphodèles

Où traînent longuement les sanglots apaisés.

 Tu ne connaîtras point les effrois de l'Epouse,

O vierge! car voici Gellô pâle et jalouse.

Bacchante de la Mort ivre de chasteté,

Elle te parera de violettes blanches,

Des jeunes frondaisons et des premières branches.

Elle t'entourera d'un printemps sans été...

 Tu ne connaîtras point les réveils de l'Epouse,

O vierge! car voici Gellô pâle et jalouse...

 

Sonnet

 J'aime la boue humide et triste où se reflète

Le merveilleux frisson des astres, où le soir

Revient se contempler ainsi qu'en un miroir

Qui découvre à demi son image incomplète.

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 J'aime la boue humide où la Ville inquiète

Détache ses lueurs, blondes sur un fond noir,

La Ville qui gémit sous un masque d'espoir

Parmi le vin, les chants et les cris de la fète.

Elle endure la foule aux pieds traînant et las.

Elle subit l'empreinte anonyme des pas:

Saignante, elle croupit sur la route inféconde.

Mais elle est l'Avenir des moissons, et les pleurs

Du printemps en feraient une terre profonde,

D'où jaillirait la grâce irréelle des fleurs.

 

Souveraines

Lilith.

D'ombres et de démons je peuplai l'univers.

Avant Eve, je fus la lumière du monde

Et j'aimai le Serpent tentateur et pervers.

 Je conçus l'Irréel dans mon âme profonde.

La Terre s'inclina devant ma royauté.

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 Jéhovat fit éclore à mon front d'amoureuse

L'astre fatal de la Beauté.

 Je ne fus pas heureuse.

 

Cassiopée.

Ma jeunesse, pareille aux flambeaux de l'autel,

Brûlait mystérieuse et chaste sous les voiles.

Les Dieux m'ont épargné le sépulcre mortel,

Mon trône éblouissant étonne les étoiles.

Dans la pourpre du ciel brille ma royauté.

L'éternité fixa sur mon front d'amoureuse

L'astre fatal de la Beauté.

 Je ne fus pas heureuse.

 

Rhodopis

Mon visage de rose ardente triompha,

Moins glorieux d'avoir créé les Pyramides

Que d'avoir attiré les lèvres de Psappha.

Mes yeux égyptiens nageaient, longs et limpides.

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La Lyre de Lesbôs chanta ma royauté.

L'Aphrodita cueillit à mon front d'amoureuse

L'astre fatal de la Beauté.

 Je ne fus pas heureuse..

 

Bethsabée.

De mon corps s'exhalaient le nard et le santal.

La splendeur d'Israël éclairait mon visage.

 J'ai vécu la langueur d'un rêve oriental,

Le meurtre et le désir riaient sur mon passage.

Le péril consacra ma blanche royauté.

La Mort fit resplendir à mon front d'amoureuse

L'astre fatal de la Beauté.

 Je ne fus pas heureuse.

 

Campaspe

Alexandre, frappé de l'orgueil de ma chair,

Voua mes seins de flamme à la gloire d'Apelle,

Afin que mon été ne connût point l'hiver

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Et que l'Art me vêtît de candeur solennelle.

L'Astarté consacra ma jeune royauté,

L'Astarté fit brûler à mon front d'amoureuse

L'astre fatal de la Beauté.

 Je ne fus pas heureuse.

 

Cléopatre.

 Je rayonnai. Je fus le sourire d'Isis,

Insondable, illusoire et terrible comme elle.

 J'ai gardé mes parfums et mes fards de jadis,

Mes parures et l'or de ma large prunelle.

Le monde, que séduit encor ma royauté

Immuable, scella sur mon front d'amoureuse

L'astre fatal de la Beauté.

 Je ne fus pas heureuse.

 

Paulina.

 J'emprisonnai les pleurs des perles sur mon sein.

Les perles ondoyaient parmi ma chevelure,

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 J'aimais la pureté de leur regard serein,

La mer les entourait de l'écho d'un murmure.

Les perles sur mon sein firent ma royauté.

Elles ont réfléchi sur mon sein d'amoureuse

L'astre fatal de la Beauté.

 Je ne fus pas heureuse.

 

Poppée.

 Je courbai l'élément et je domptai l'éclair.

Le tonnerre à mes pieds, je régnai sur l'orage.

 J'ai connu la Luxure et son relent amer.

- Oh! les nuits que l'horreur des voluptés ravage! -

Vénus me couronna d'une âpre royauté,

Vénus fit rayonner à mon front d'amoureuse

L'astre fatal de la Beauté.

 Je ne fus pas heureuse.

 

Eléonore de Guyenne.

Moi, dont le nom d'amour dissimule un parfum,

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 J'allais, parmi les fleurs et les douces paroles,

Deux bandeaux constellés sur mes cheveux d'or brun.

Sous mes pas sanglotaient les luths et les violes.

Les troubadours chantaient ma douce royauté,

Et leur lais ont posé sur mon front d'amoureuse

L'astre fatal de la Beauté.

 Je ne fus pas heureuse.

 

Elisabeth Woodville.

Mon regard fut plus frais que la lune du Nord,

D'un vert froid et voilé comme les mers anglaises.

 J'appris le goût, l'odeur, le désir de la Mort,

La fuite, l'exil gris sur les grises falaises.

La défaite insulta ma pâle royauté.

Le combat fit jaillir à mon front d'amoureuse

L'astre fatal de la Beauté.

 Je ne fus pas heureuse.

 

Lady Jane Grey.

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Les roses et le miel des vieux livres, l'assaut

Des chants m'ont fait aimer le studieux automne.

Mon sourire d'enfant éclaira l'échafaud.

Sur ma douleur pesa l'accablante couronne.

 J'espiai dans le sang l'heure de royauté.

Le Destin éteignit à mon front d'amoureuse

L'astre fatal de la Beauté.

 Je ne fus pas heureuse.

 

La Nuit est à nous...

C'est l'heure du réveil... Soulève tes paupières...

Au loin la luciole aiguise ses lumières,

Et le blême asphodèle a des souffles d'amour.

La nuit vient: hâte-toi, mon étrange compagne,

Car la lune a verdi le bleu de la montagne,

Car la nuit est à nous comme à d'autres le jour.

 Je n'entends, au milieu des forêts taciturnes,

Que le bruit de ta robe et des ailes nocturnes,

Et la fleur d'aconit, aux blancs mornes et froids,

Exhale ses parfums et ses poisons intimes...

Un arbre, traversé du souffle des abîmes,

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 Tend vers nous ses rameaux, crochus comme des doigts.

Le bleu nocturne coule et s'épand... A cette heure,

La joie est plus ardente et l'angoisse meilleure,

Le souvenir est beau comme un palais détruit...

Des feux follets courront le long de nos vertèbres,

Car l'âme ressuscite au profond des ténèbres,

Et l'on ne redevient soi-même que la nuit.

 

Les Ebauches

Le charme douloureux des ébauches m'attire,

 Telles les frêles fleurs qu'une haleine meurtrit,

Car la beauté jadis entrevue y sourit,

Harmonieusement, de son demi-sourire.

Ces visages fuyants, ces fragiles contours,

S'estompant sur la toile irréelle du rêve,

Ne laissent au regard qu'une vision brève

Dont la divinité se dérobe toujours,

L'ébauche étant la soeur fragile des ruines

Qui mêlent leur tristesse et leur hantise au soir,

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Evoquant la splendeur ancienne d'un pouvoir

Sombré dans le palais que voilent les bruines.

On sent l'accablement du vouloir entravé

Dans la ténuité morbide de l'esquisse

Dont la grâce furtive, où le regret se glisse,

A l'infini du vague et de l'inachevé.

 

Gorgô

De Gorgô pleinement rassasiée...

Psappha.

Pourquoi revenir, les seins encore avides,

 Tournant vers mon seuil tes pas irrésolus?

Pourquoi m'implorer, Gorgô? J'ai les mains vides

Et je n'aime plus.

 Je n'ai plus de chants, ni d'amour ni de haine,

 Je n'ai plus de fleurs à semer sous tes pas,

Et j'entends l'appel de ta douleur lointaine

Sans ouvrir les bras.

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 Tes yeux étaient verts comme l'eau de l'Egée,

 J'ai chanté le pli de tes lèvres, jadis...

D'où vient qu'aujourd'hui tu m'apparais changée,

Moins belle qu'Atthis?

 Telle une Ménade aux lendemains d'orgie,

Gorgô, je suis lasse à la lueur du jour.

Et je cherche l'ombre où l'on se réfugie,

Sans désir d'amour...

 

Vers le Nord

Les mouettes s'en vont vers la mer, vers le nord,

Affermissant leur vol pour la lutte et l'effort.

L'air du large frissonne et souffle dans leurs ailes...

Les mouettes s'en vont vers la mer, vers le nord...

L'air du large frissonne et souffle dans leurs ailes,

Elles vont vers le nord aux neiges éternelles,

L'ondoyant infini ruisselle sous leurs yeux...

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Elles vont vers le nord aux neiges éternelles...

Elles vont vers le rêve et le charme des cieux

Délicats et changeants comme une âme d'opale...

Ah! les lointains voilés, la neige virginale

Qui réfléchit l'azur atténué des cieux !

Elles vont vers la brume où flottent les fantômes,

Les pâles arc-en-ciel, les glaciers et les dômes

Des montagnes, les fiords aux eaux froides, l'hiver,

Les roches et la brume où flottent les fantômes...

Le vent du nord s'élève au profond de l'éther:

L'odeur de l'océan est son baiser amer.

Voici que s'affranchit et roule dans l'espace

Le vent du nord, l'esprit glorieux de l'hiver...

Et, magnifiquement ivres de l'air qui passe,

Affermissant leur vol pour la lutte et l'effort,

Les mouettes s'en vont vers la mer, vers le nord...

 

Chanson

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Du ciel poli comme un miroir

Pleuvent les langueurs enflammées,

Et nous suivons, au coeur du soir,

L'irréel essor des fumées.

 J'adore tes gestes meurtris

Et tes prunelles embrumées...

 Tu regrettes... Dans tes yeux gris

 

Victoire funèbre

Dans le mystique soir d'avril j'ai triomphé.

 J'ai crié d'une voix de victoire: Elle est morte,

Et le tombeau sur Elle a refermé sa porte.

La nuit garde l'écho de son râle étouffé.

- Quel sourire de paix sur tes lèvres muettes,

O soeur des violettes !

 J'ai brûlé de baisers les pieds blancs de la Mort,

Car elle t'épargna la souillure et l'empreinte,

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L'angoisse du désir, les affres de l'étreinte,

Les ardeurs du vouloir, l'âpreté de l'effort.

- L'amour s'est éloigné de tes lèvres muettes,

O soeur des violettes !

La Mort a désarmé les désespoirs futurs,

Elle a mêlé la nuit à tes paupières closes,

La lumière des lys à la flamme des roses,

Et les baumes très blancs et les parfums très purs

A la virginité de tes lèvres muettes,

O soeur des violettes !

La Mort qui réunit les êtres transformés,

Redevenus nouveaux et brillants d'allégresse,

Vêtus de visions, de charme et de jeunesse,

Et tels que les ont vus ceux qui les ont aimés,

Sauvera la beauté de tes lèvres muettes,

O soeur des violettes !

 

 Twilight

O mes rêves, voici l'heure équivoque et tendre

Du crépuscule, éclos telle une fleur de cendre.

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Les clartés de la nuit, les ténèbres du jour,

Ont la complexité de mon étrange amour.

Sous le charme pervers de la lumière double,

Le regard de mon âme interroge et se trouble.

 Je contemple, tandis que l'énigme me fuit,

Les ténèbres du jour, les clartés de la nuit...

L'ambigu de ton corps s'alambique et s'affine

Dans son ardeur stérile et sa grâce androgyne.

Les clartés de la nuit, les ténèbres du jour,

Ont la comlexité de mon étrange amour…

 

Velléda

Son pas a la douceur des brises sous les branches,

Et les perles de gui, les violettes blanches

Parent suavement ses cheveux aux blonds verts.

Les roses, découvrant leurs rires entr'ouverts,

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Effleurent Velléda, la jeune Druidesse.

Les chênes éternels, dont elle est la Prêtresse,

Lui dirent autrefois, d'un murmure lassé,

Ce qu'ils ont recueilli de l'ombre et du passé.

La sagesse et la paix des arbres sont en elle.

L'hiver l'ensevelit, l'été la renouvelle.

Vierge, elle aime d'amour la neige sur les bois,

Et le chant des oiseaux ruisselle dans sa voix.

Ses yeux verts ont gardé la fraîcheur des feuillages.

Sa grave solitude ignore les visages.

Les arbres seuls ont appris ses rêves fervents.

Par les terribles nuits où s'acharnent les vents,

Son être se déchire en des clameurs hautaines,

 Tordu comme le corps tourmenté des grands chênes

Que brise aveuglement le souffle des hivers,

Et ses regards d'effroi reflètent les éclairs.

D'incohérents sanglots et d'étrenges paroles

Se heurtent, sourdement, entre ses lèvres folles,

Les cris de l'ouragan se mêlent à ses cris.

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La foule écoute, avec des regards assombris,

La pâle Prophétesse aux colères divines.

La Prophétesse voit des meurtres, des ruines,

Dans le sang de l'automne et la pourpre du soir,

Des empires brisés, des temples sans espoir,

Des fuites de vaincus au profond des vallées,

Et des voiles de deuil de femmes exilées.

Sa chair froide est en proie aux livides sueurs...

A l'aube de sa mort, d'incertaines lueurs

De soleil brilleront sur l'immense détresse

De la forêt et sur la blême Druidesse,

Ceinte de lys des bois que l'orage a broyés,

Expirante, parmi les chênes foudroyés.

 

Soir

O soir, toi qui ramènes tout ce que le lumineux

matin a dispersé, tu ramènes la brebis, tu

ramènes la chèvre...

Psappha.

D'un geste très doux qui rassemble et ramène

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Les brebis le long des chemins traversés,

L'ombre réunit les troupeaux dispersés,

Là-bas, dans la plaine.

Ceux que le matin aux mille voix a fait

Errer vers la grève où le flot clair palpite

Reviennent à pas lents et sûrs vers le gîte

Où l'on dort en paix.

Auprès du foyer où se tordent les flammes,

Le soir s'est assis comme un hôte lassé...

Ah! que ne peut-il, au delà du passé,

Réunir les âmes !

 J'évoque ton front virginal et ta voix,

Eranna; tes yeux, Gurinnô triste et tendre;

 Tes cheveux, Gorgô; tes seins, Atthis... la cendre

Des nuits d'autrefois.

 Tu sais ramener les brebis et les chèvres,

O soir vigilant! Mais sauras-tu jamais

Me ramener vers la femme que j'aimais,

Vers ses douces lèvres ?

Que de souvenirs à la chute du jour!

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Et moi, dont les pieds errent depuis l'aurore,

Comment ai-je pu garder vivant encore

L'amour de l'amour ?

 

Aigues-marines

Des gouttes d'eau - de l'eau de mer -

Mêlent leur lumière fluide,

Glauque et pareille aux flots d'hiver,

A tes longs doigts d'Océanide.

Comment décrire le secret

De leurs pâleurs froides et fines?

 Ton regard vert semble un reflet

Des cruelles aigues-marines.

 Ton corps a l'imprécis contour

Des flots souples aux remous vagues,

Et tes attitudes d'amour

Se déroulent, comme les vagues.

 

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La Fusée

Vertigineusement, j'allais vers les Etoiles...

Mon orgueil savourait le triomphe des dieux,

Et mon vol déchirait, nuptial et joyeux,

Les ténèbres d'été, comme de légers voiles...

Dans un fuyant baiser d'hymen, je fus l'amant

De la Nuit aux cheveux mêlés de violettes,

Et les fleurs de tabac m'ouvraient leurs cassolettes

D'ivoire, où tiédissait un souvenir dormant.

Et je voyais plus haut la divine Pléiade...

 Je montais... J'atteignais le Silence Eternel...

Lorsque je me brisai, comme un fauve arc-en-ciel,

 Jetant des lueurs d'or et d'onyx et de jade...

 J'étais l'éclair éteint et le rêve détruit...

Ayant connu l'ardeur et l'effort de la lutte,

La victoire et l'effroi monstrueux de la chute,

 J'étais l'astre tombé qui sombre dans la nuit.

 

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Elle habite les Ruines...

Ma Fée et ma Princesse aux paupières divines

Habite les ruines.

Elle aime les lointains, les crépuscules gris

Et les chauves-souris.

Elle va, toujours lente et toujours solitaire,

Se voilant de mystère.

Elle a l'accablement des lys qui vont mourir,

Les yeux du souvenir.

Doucement, elle frappe aux somnolentes portes

Où s'attardent les mortes.

Elle écoute, le soir, hululer les hiboux

Aux chants rares et doux...

Ma Fée et ma Princesse aux paupières divines

Habite les ruines.

 

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Roses du Soir

Des roses sur la mer, des roses dans le soir,

Et toi qui vient de loin, les mains lourdes de roses!

 J'aspire ta beauté. Le couchant fait pleuvoir

Ses fines cendres d'or et ses poussières roses...

Des roses sur la mer, des roses dans le soir.

Un songe évocateur tient mes paupières closes.

 J'attends, ne sachant trop ce que j'attends en vain,

Devant la mer pareille aux boucliers d'airain,

Et te voici venue en m'apportant des roses...

O roses dans le ciel et le soir! O mes roses !

 

La Satyresse

O vierges qui goûtez la fraîcheur des fontaines,

Etres de solitude avides d'infini,

Fuyez la Satyresse aux prunelles hautaines,

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Au regard que l'éclat du soleil a terni.

Sa fauve chevelure est semblable aux crinières

Et son pas est le pas nocturne des lions.

Sa couche a le parfum du thym et des bruyères.

Elle veut l'heure intense où sombrent les rayons:

C'est l'heure qu'elle attend pour emporter sa proie,

Les seins inviolés, les fronts et les yeux purs,

Qu'elle aime et qu'elle immole à l'excès de sa joie,

Qu'elle imprègne à jamais de ses désirs obscurs.

Son passage flétrit la fraîcheur des fontaines,

Son haleine corrompt les songes d'infini

Et verse le regret des luxures hautaines

Au rêve que l'odeur des baisers a terni.

 

Danses sacrées

De leurs tendres pieds les femmes de la Crète

Ont pressé la fleur de l'herbe du printemps...

 Je les vis livrer à la brise inquiète

Leurs cheveux flottants.

Leurs robes avaient l'ondoiement des marées.

Elles ont mêlé leurs chants de clairs appels

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En rythmant le rire et les danses sacrées

Autour des autels.

 

Les Revenants

Dans les miroirs j'ai vu des reflets de visages,

Un vent mystérieux a gonflé les rideaux,

Le soir frémit encor de tragiques passages,

L'horreur de l'Invisible a pénétré mes os.

La mémoire de l'ombre évoque une Etranglée

Aux yeux d'effroi, qui porte, ainsi que des rougeurs

De baisers trop fervents sur la chair martelée,

L'empreinte sans pitié de cruels doigts vengeurs.

Une Noyée attend le reflux, et j'écoute,

 Tandis que se prolonge un patient travail

De remous, l'eau de mer qui pleure goutte à goutte

De ses cheveux mêlés d'écume et de corail.

Oh! la beauté funèbre aux visages des Mortes!

Elles glissent, ainsi qu'un rayon nébuleux,

Sous leurs voiles légers, laissant au seuil des portes

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D'irréelles lueurs de clairs de lune bleus.

L'heure des Revenants fait tressaillir les cloches.

Ils songent tristement, leurs sanglots ont le bruit

D'une vague tardive expirant sur les roches.

Ils souffrent de passer inconnus dans la nuit.

Leurs impuissantes mains ont de vagues caresses.

A travers l'Autrefois, ils reviennent, liés

Par le ressouvenir des anciennes tendresses,

Et frôlent les vivants qui les ont oubliés.

 

Atthis délaissée

Poème dramatique en un acte

Une maison à Mytilène

Atthis, seule, déroulant un papyrus.

"Celle qui te fuit te suivra pas à pas,

 Tu verras venir la Beauté qui refuse

 Tes dons, apportant des présents délicats,

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Furtive et confuse.

"Celle dont l'orgueil repousse ton amour

Subira la crainte et l'angoisse brûlante,

Et tu connaîtras, dans l'ardeur du retour,

Ses lèvres d'amante."

Elle ne sème plus les roses sur mon seuil...

Qu'importe maintenant à Psappha la promesse

De l'Aphrodita douce et terrible? Mon seuil

A perdu le parfum des roses, et je tresse

De mes mains sans ferveur des guirlandes de deuil.

Car, seuls, les iris noirs, les violettes noires

Se fanent à mon front dépouilléde ses gloires...

Psappha ne sème plus les roses sur mon seuil.

Elle tresse des fleurs.

L'ingénieux Erôs, le tisseur de chimères,

Brode les souvenirs dans une trame d'or...

 Tel qu'un amer baiser sur des lèvres amères,

Le passé me possède et me meurtrit encor.

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Oppressée, elle ouvre la porte, et le verger apparaît.

Voici l'ancien verger que le pommier ombrage

Comme hier, où le vent console des chaleurs,

Murmurant à travers les branches et les fleurs,

Où le sommeil descend et coule du feuillage.

Elle contemple un instant les arbres en fleurs,

puis se détourne avec une mélancolie croissante.

 Tu me brûles, Erôs... Mon coeur est lourd du poids

Des sons évanouis et des splendeurs fanées.

On entend la voix de Psappha qui chante :

"Je t'aimais, au long des lointaines années,

Atthis, autrefois..."

Le chant s'éloigne et meurt peu à peu.

Atthis, comme en rêve.

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"Je t'aimais au long des lointaines années..."

 Je mourrai d'une mort éternelle, et demain

La tombe pèsera sur mes paupières closes.

Comme l'essor des voix et la pourpre des roses,

 Je périrai, - j'irai par les portes d'airain...

La maison de l'Hadès me recevra demain,

Car je n'ai point cueilli les immortelles roses

De Piéria, - je fus la volupté d'un jour.

Mon âme aura le sort des choses passagères...

Obscure, j'errerai sans fleurs et sans amour

Parmi les Morts pareils à des ombres légères...

Mais toi, qui ne crains pas le silence et la nuit,

Psappha! tu cueilleras les flammes des étoiles.

Le temps t'épparaîtra comme l'eau qui s'enfuit

Sous l'éclair de la rame et sous l'éclair des voiles...

De myrte et de laurier Phoibos te couronna...

Des voix confuses s'élèvent au dehors.

... La voix de Gurinnô, le rire d'Eranna...

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Choeur des vierges :

"Va vers le jardin clair où tu reposes,

Pare tes cheveux de verdure et de fleurs,

Choisis les parfums, Dika, tisse les roses,

Mêle les couleurs.

"Et, si tu veux plaire aux sereines Déesses,

Apporte aux autels les souffles de l'été...

Elles souriront, ainsi que leurs prêtresse,

A ta piété.

"Offre à l'Artémis les sombres violettes,

A l'Aphrodita la pourpre des iris,

A Perséphoné, vierge aux lèvres muettes,

La langueur des lys."

Atthis.

Voici l'ode nouvelle à sa nouvelle amante...

C'est Dika, dont les mains sont douces, qu'elle chante,

Dika, dont les cheveux ont la rougeur du soir...

Aède aux rythmes d'or, divine Disparue,

 Tes vers ont réfléchi, tel un ardent miroir,

Ma jeunesse oubliée et ma beauté décrue...

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Certes, mon amour fut étrangement amer

Sur tes lèvres, Psappha, car tu chantas hier :

"Tu hais ma pensée, Atthis, et mon image...

Cet autre baiser, qui te persuada,

 Te brûle, et tu fuis, haletante et sauvage,

Vers Androméda."

Et moi qui fus jadis la lumière et la flamme,

 Je ne suis aujourd'hui qu'un reflet de ton âme...

La voix de Psappha dans le lointain :

"Je ne trahis point l'invariable amour...

Mon coeur identique et mon âme pareille

Savent retrouver, dans la clarté du jour,

L'ardeur de la veille.

"Car j'étreins Atthis sur les seins de Dika,

Et, dans le parfum que l'air d'automne emporte,

L'âme, que longtemps ma douleur invoqua,

De Timas la morte.

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"Pour l'Aphrodita j'ai dédaigné l'Erôs,

Car je n'ai de joie et d'angoise qu'en elle.

 Je ne change point, ô vierges de Lesbôs,

 Je suis éternelle."

 

Les Couleurs de la Nuit

Contemple les couleurs des ténèbres... Tes yeux

Sauront, mieux que les miens, interpréter les cieux.

 J'ai vu le violet des nuits graves et douces,

Le vert des nuits de paix, la flamme des nuits rousses.

 J'ai vu s'épanouir, rose comme une fleur,

La lune qui sourit aux rêves sans douleur.

 J'ai vu s'hypnotiser, à des milliers de lieues,

La méditation subtile des nuits bleues.

En écoutant pleurer les hiboux à l'essor

Mystérieux, j'ai vu ruisseler les nuits d'or.

 

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Hiver

Les pampres du printemps et le vin de l'automne

Ont perdu le parfum qui jadis me fut cher:

 Je veux l'haleine chaste et le silence amer,

Les brumes et la glace et l'ombre de l'hiver.

 Je ne tresserai plus l'irréelle anémone,

 Je n'écouterai plus le rythme monotone

Des oiseaux dans les bois que l'octobre couronne

D'opales, de rubis et de l'or souverain.

Mais je m'inspirerai du tragique refrain

Du vent qui jette au ciel ses révoltes d'airain,

Qui rôde en sanglotant près de l'âtre serein,

Comme Dante implorant la paix du monastère.

O neiges où la soif du blanc se désaltère !

 Toute virginité recèle le mystère,

La crainte, et l'infini du rêve solitaire.

 J'écarterai les fruits des jardins de l'été,

Car l'incomplète ivresse au regard hébété

Ne verse point l'oubli comme le pur Léthé,

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Car la neige où la soif du blanc se désaltère

Seule éteindra l'ardeur de mon anxiété...

Dans le noble infini du rêve solitaire,

 J'oublirai la ferveur des amours de l'été...

 

Vers les Sirènes

Vous craignez le désir, ô compagnons d'Ulysse !

Aveugles et muets, l'âme close au péril

De la voix qui ruisselle et du rire subtil,

Vous rêvez des foyers qui recueillent l'exil

Aux pieds lassés. Moi seul, ô compagnons d'Ulysse,

Moi seul ai dédaigné la fraude et l'artifice,

Moi seul ose l'amour et le divin péril.

Dénouant leurs cheveux fluides, les Sirènes,

Ceintes de la langueur et du regret des morts,

S'approchent, un reflet de perles sur leurs corps.

Elles chantent... Leux voix se mêle aux clairs accords

Des vagues et du vent... J'entrevois les Sirènes...

Elles chantent l'amour qui corrode les veines

Comme un venin, et fait pleurer les yeux des morts...

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O lâches compagnons d'Ulysse! Pour une heure

 Je donne l'existence humaine! Pour un chant

Vaguement répété par la mer au couchant,

Pour un visage à peine entrevu, se penchant

Sur le miroir brisé des ondes, - pour une heure,

 J'accepte le silence où le néant demeure,

Le silence où périt la mémoire du chant...

 

Sonnet

Sur les marbres massifs plane la paix de l'air.

La nature, qui hait la fièvre et le factice,

Décore les tombeaux, passive protectrice,

De rosée au printemps et de neige en hiver.

Le souffle égal des Morts s'en va vers le ciel clair.

Ils rêvent gravement: leur sottise et leur vice

Sont devenus de l'herbe et des fleurs sans malice;

Le lys pur a puisé ses parfums dans leur chair.

Une chauve-souris parfois rôde et s'égare

D'un vol supplicié, tortueux et bizarre,

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Ainsi qu'une âme en peine errant près des autels.

Ayant seuls la pudeur et l'orgueil de se taire,

Ces vivants de la veille, inquiets et cruels,

Sont devenus sereins et bon comme la terre.

 

Korinna triomphante

Ivre du vin des chants ainsi qu'une Bacchante,

Elle a loué la terre et les Dieux tour à tour,

La femme aux yeux d'amant, Korinna triomphante.

Sa voix a déchaîné les angoisses d'amour:

Les flammes du soleil ont brûlé dans ses veines.

Elle a chanté les jours aux rayons fabuleux,

L'écume de la mer où flottent les sirènes,

Et le lit de Léda parsemé d'iris bleus,

L'Ouranos aux palais d'opales et de jades

Où le soir vit fleurir les divines Pléiades.

Elle a chanté l'Hadès au fleuve illuminé

D'étoiles, et la paix des demeures funèbres

Où, lune de l'hiver, règne Perséphoné,

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Elle a chanté l'Hadès où languissent les fleurs,

Elle a chanté l'effroi des êtres et des choses

Devant l'Aphrodita qui verse les douleurs

Et mêle le poison au coeur simple des roses,

L'Aphrodita, multiple ainsi que l'arc-en-ciel,

Vers qui monte l'essor des lyres inquiètes...

Elle a chanté Daphné dont les blondeurs de miel

Parfument le silence où rêvent les Poètes,

Fugitive éternelle aux lèvres sans amour !

- Ivre du vin des chants ainsi qu'une Bacchante,

Elle a loué la terre et les Dieux tour à tour,

La femme aux yeux d'amant, Korinna triomphante.

 

 To the Sunset Goddess

 Tes cheveux sont pareils aux feuillages d'automne,

Déesse du couchant, des ruines, du soir!

Le sang du crépuscule est ta rouge couronne,

 Tu choisi les marais stagnants pour ton miroir.

L'odeur des lys fanés et des branches pourries

S'exhale de ta robe aux plis lassés: tes yeux

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Suivent avec langueur de pâles rêveries:

Dans ta voix pleure encor le sanglot des adieux.

 Tu ressembles à tout ce qui penche et décline.

Passive, et comprimant la douleur sans appel

Dont ton corps a gardé l'attitude divine,

 Tu parais te mouvoir dans un souffle irréel.

Ah ! l'ardeur brisée, ah! la savante agonie

De ton être expirant dans l'amour, ah! l'effort

De tes râles! - Au fond de la joie infinie,

 Je savoure le goût violent de la mort...

 

La Faunesse

Ses lèvres ont ravagé les grappes meurtries

Et bu le baiser rouge et cruel du Désir.

Elle ne connaît point les blanches rêveries,

Ni l'amour que les bras ne sauraient point saisir.

Ses regards ont fané la volupté des lignes,

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Les roses de la chair, le marbre des contours.

Ses pas ont saccagé les vergers et les vignes,

Et les vierges ont fui devant ses yeux d'amour.

Erôs l'agite, et Pan la sert et la protège.

Parfois, elle s'éloigne, et, lasse de l'Eté,

Elle appelle les vents sans parfum et la Neige.

 

Les Noyées

Voici l'heure de brume où flottent les noyées,

Comme des nénuphars aux pétales flétris.

Leurs robes ont l'ampleur des voiles déployées

Qui ne connaîtront plus la douceur des abris.

D'étranges fleurs de mer étrangement parées,

Elles ont de longs bras de pieuvres, et leur corps

Se meut selon le rythme indolent des marées;

Les remous de la vague animent leurs yeux morts.

Semblable aux algues d'ambre et d'or, leur chevelure

Fluide se répand en délicats réseaux,

Et leur âme est pareille aux conques où murmure

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L'harmonie indécise et mouvante des eaux.

Elles aiment les nuits d'agonie et d'orage

Dont l'haleine engloutit les vaisseaux, et celui

Qui va mourir les voit à l'heure du naufrage,

Quand le dernier rayon de lune s'est enfui.

Elles tendent leurs mains fébriles d'amoureuses,

Elles tendent leurs mains en un geste d'appel,

Et leur lit nuptial aux profondeurs heureuses

S'entr'ouvre, parfumé d'un clair parfum de sel.

Elles aiment les nuits où persistent encore

L'ivresse et la langueur du jour, les nuits d'été

Brûlantes de senteurs, d'astres et de phosphore,

Où le rêve s'enfuit vers l'âpre volupté,

Où Psappha de Lesbôs, leur pâle souveraine,

Chante l'Aphrodita qui corrompt les baisers

Et qui mêle au désir la stupeur et la haine

L'Aphrodita qui vient des flots inapaisés,

L'Aphrodita puissante, aux colères divines,

Dont elle apprit jadis les solennels accents,

L'insatiable amour des lèvres féminines,

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Des seins nus et des corps vierges et frémissants...

 

Les Couleurs

Eloignez de mes yeux les flamboiements barbares

Du Rouge, cri de sang que jettent les fanfares.

Eteignez la splendeur de Jaune, cri de l'or,

Où le soleil persiste et ressurgit encor.

Ecartez le sourire invincible du Rose,

Qui jaillit de la fleur ingénument déclose,

Et le regard serein et limpide du Bleu, -

Car mon âme est, ce soir, triste comme un adieu.

Elle adore le charme atténué du Mauve,

Pareil aux songes purs qui parfument l'alcôve,

Et la mysticité du profond Violet,

Plus grave qu'un chant d'orgue et plus doux qu'un reflet.

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Versez-lui l'eau du Vert, qui calme le supplice

Des paupières, fraîcheur des yeux de Béatrice.

Entourez-la du rêve et de la paix du Gris,

Crépuscule de l'âme et des chauves-souris.

Le Brun des bois anciens, favorable à l'étude,

Sait encadrer mon silence et ma solitude.

Venez ensevelir mon ancien désespoir

Sous la neige du Blanc et dans la nuit du Noir.

 

Le Bloc de Marbre

 Je dormais dans le flanc massif de la montagne...

Ses tiédeurs m'enivraient. Auprès de mon sommeil

Sourdait l'ardent effort des fleurs vers le soleil.

 Je dormais. Je semblais un astre dans la nuit,

Et l'ondoyant avril que l'amour accompagne

 Tremblait divinement sur l'or de la campagne,

Sans rompre mon attente obscure dans la nuit.

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Blancheur inviolée au fond de l'ombre éteinte,

 J'ignorais le frisson du nuage, et le bruit

Des branches et des blés sous le vent qui s'enfuit

En sifflant... Je dormais au fond de l'ombre éteinte,

Lorsque tu m'arrachas à mon calme éternel,

O mon maître! ô bourreau dont je porte l'empreinte!

Dans la douleur et dans l'effroi de ton étreinte,

 Je vécus, je perdis le repos éternel...

 Je devins la Statue au front las, et la foule

Insulte d'un regard imbécile et cruel

Ma froide identité sans geste et sans appel,

Pâture du regard passager de la foule.

Et je suis la victime orgueilleuse du temps,

Car je souffre au delà de l'heure qui s'écoule.

Mon angoisse domine altièrement la houle

Gémissante qui meurt dans l'infini du temps.

 Je te hais, créateur dont la pensée austère

A fait jaillir mon corps en de fiévreux instants,

Et dont je garde au coeur les rêves sanglotants...

 Je connais les douleurs profondes de la terre,

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Moi qui suis la victime orgueilleuse du temps.

 

Ressouvenir

 J'ai bu le vin brûlant de tes lèvres, Atthis...

Ah! l'enveloppement tenace des étreintes,

Et la complicité des lumières éteintes,

Les rougeurs de la robe et les langueurs du lys !

Dans ta robe ondoyante, imprécise et fluide,

 Tu me parais une algue, et ton parfum amer

Evoque savamment ta nudité d'hier

Où ruisselaient tes blonds cheveux de Néréide.

 

A la Divinité inconnue

 J'aspire auprès de toi le silence et le charme

Des nuits où la douleur se plaît à demeurer,

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 Toi qu'on ne voit jamais essuyer une larme,

Mais dont parfois j'entends la grande âme pleurer.

Le miroir réfléchit tes chastes attitudes,

Et tu fuis le factice et le faste et le fard.

 Tes lèvres ont gardé le pli des solitudes

Et l'accent des bonheurs qui nous viennent trop tard.

Le décor de ton deuil est la chambre sereine

Où meurt languissamment le bruit lointain des eaux.

Les souffles de la mer n'ont soulevé qu'à peine

Le soir perpétuel sous l'ombre des rideaux.

Vers toi le songe pur de mon âme s'élève,

Mon angoisse ne cherche point à s'apaiser,

Car tu m'es inconnue et n'existes qu'en rêve.

C'est pourquoi je t'adore au-dessus du baiser.

 

Mort maritime

Placez le filet et la rame et les voiles,

Pêcheurs, au-dessus de ce tombeau marin

Où dort Pélagôn, fils errant des étoiles

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Et fils du Destin.

Ce Mort a connu les hasards de l'orage,

Le tourment des flots, les monstres de la mer,

La faim qui déchire et la soif qui ravage

Et le pain amer.

Mais le vent du large a gonflé sa poitrine

D'un souffle pareil à l'haleine des Dieux,

Et les pieds d'argent de Téthys la Divine

Ont ravi ses yeux.

Il a bu l'odeur et la couleur des vagues,

Le baiser du sel qui ranime et qui mord;

Il a vu flotter, ondoyantes et vagues,

Les brumes du Nord.

Placez le filet et la rame et les voiles,

Pêcheurs, au-dessus de ce tombeau marin

Où dort Pélagôn, fils errant des étoiles

Et fils du Destin.

 

Paysage mystique

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Il est un ciel limpide où s'éteint le zéphyr,

Où la clarté se meurt sur les champs d'asphodèles,

Et là-bas, dans le vol de leur dernier soupir,

Vient l'âme sans espoir des Amantes fidèles.

Là-bas, la rose même a d'étranges pâleurs,

Les oiseaux n'ont qu'un chant égal et monotone,

Les terrestres parfums ont délaissé les fleurs,

Le soleil a toujours un sourire d'automne.

Elles passent, les yeux vaguement azurés,

Dans l'azur virginal de leur beauté première,

Effleurant de leur pas harmonieux les prés

Que leurs blancs vêtements parsèment de lumière.

Et le mouvant miroir de la source confond

Dans un même reflet les larges chevelures...

Les lueurs du couchant se mêlent à leur front :

Mais les baisers sont morts sur leurs lèvres très pures.

Elle ont recueilli la flamme de l'autel

Qui brûle sous les yeux de la chaste Déesse,

Et gardé de l'Amour ce qu'il a d'éternel:

Le divin souvenir, le rêve et la tristesse.

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 Timas

Déesse de la Mort, pâle Perséphoné,

Dont l'Hadès recueillit les langueurs léthéennes,

Déesse dont le front semble un printemps fané,

Dont la voix est l'écho des voix élyséennes,

Déesse de la Mort, pâle Perséphoné,

Ouvre d'un geste lent ta chambre nuptiale,

Où l'éternel soupir des Morts vient s'apaiser,

A l'ombre de Timas, la vierge liliale

Qui n'a jamais connu le désir du baiser:

O Déesse, ouvre-lui ta chambre nuptiale!

Vois son manteau tissé d'étrange pourpre et d'or.

Sa parure dépasse en beauté les parures

Des reines de l'Egypte au fabuleux trésor...

Les vierges ont coupé leurs belles chevelures

Pour lui faire un manteau d'étrange pourpre et d'or.

 

A Venise

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 Tout s'élargit. Le soir qui tombe est magnifique

Et vaste. Comme un Doge amoureux de la mer,

Parmi l'effeuillement des roses, la musique

Des luths, l'or qui flamboie ainsi qu'un rouge éclair,

Moi, j'irai, dominant le cortège mystique,

Et, somptueusement, j'épouserai la mer.

 J'épouserai la mer, la souveraine amante.

Le parfum et le sel de son royal baiser

Irriteront la soif de ma bouche brûlante,

Et, tel un souvenir qui ne peut s'apaiser,

S'élèvera le vent des espaces qui chante

 Je verrai tressaillir l'ombre des hippocampes.

Les algues s'ouvriront comme s'ouvrent les fleurs,

Et le phosphore, aux bleus rayonnements de lampes,

Allumera pour moi de vivantes pâleurs :

Afin de couronner mes cheveux et mes tempes,

Les algues flotteront, plus belles que les fleurs.

Ainsi, laissant flotter mon corps à la dérive,

 Je mêlerai mon âme à l'âme de la mer,

 Je mêlerai mon souffle à la brise furtive.

Se dissolvant, légère et fluide, ma chair

Ne sera plus qu'un peu d'écume fugitive.

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Dans la pourpre du soir j'épouserai la mer.

 

Accueil

 

http://www.reneevivien.com/images/page%27poemes%27_01.gif Oeuvre

poétique

 

Les poèmes ci-dessous correspondent à dernière édition du recueilSapho publiée chez A. Lemerre en 1909. Cette version revue et corrigéepar Renée Vivien figure dans "L'oeuvre poétique complète de Renée

Vivien" éd. Albin Michel.

Vous pouvez consulter la première version du recueil "Sapho/1903" surle site de la Bibliothèque Nationale de France: http://gallica.bnf.fr/

*

 

Sapho

Ode à l’Aphrodita

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Ode à une Femme aimée

 Je t’aimais, Atthis

 Tu m’oublies…

 Tu hais ma pensée

Pour Androméda

 Tout est blanc

Atthis aux cheveux de crépuscule

Mes yeux ont vu fuïr

Dors entre les seins

 Je ne change point

Que le vent du soir emporte mon sanglot

 Je t’ai possédée

La lune parut

Ainsi qu’une pomme

Lasse du jardin

 Jamais une vierge

A qui m’interroge

L’automne est pareil

Demain tu mourras

Et blessée

Mes lèvres ont soif de ton baiser amer

La vierge Timas

O toi le plus beau des astres

Gurinnôes

Va jusqu'au jardin

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Dans les lendemains

La fraîcheur se glisse

Le grave couchant

Persuasion

 J’écoute en rêvant

 J’enseignai les chants

 Je te vis cueillir

 Je demeurerai vierge

Lyre

Nuit de pourpre

Eros, de tes mains prodigue

 

Ode à l’Aphrodita

Accueille, immortelle Aphrodita, Déesse,

 Tisseuse de ruse à l’âme d’arc-en-ciel,

Le frémissement, l’orage et la détresse

De mon long appel.

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 J’ai longtemps rêvé : ne brise pas mon âme

Parmi la stupeur et l’effroi de l’éveil,

Blanche Bienheureuse aux paupières de flamme,

Aux yeux de soleil.

 Jadis, entendant ma triste voix lointaine,

 Tu vins l’écouter dans la paix des couchants

Où songe la mer, car la faveur hautaine

Couronne les chants.

 Je vis le reflet de tes cheveux splendides

Sur l’or du nuage et la pourpre des eaux,

 Ton char attelé de colombes rapides

Et de passereaux.

Et le battement lumineux de leurs ailes

 Jetait des clartés sur le sombre univers,

Qui resplendissait de lueurs d’asphodèles

Et de roux éclairs.

Déchaînant les pleurs et l’angoisse des rires,

 Tu quittas l’aurore immuable des cieux.

Là-bas surgissait la tempête des lyres

Aux sanglots joyeux.

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Et toi, souriant de ton divin visage,

 Tu me demandas : « D’où vient l’anxiété

A ton grave front, et quel désir ravage

 Ton corps tourmenté ?

« Qui te fait souffrir de l’âpre convoitise ?

Et quelle Peithô, plus blonde que le jour

Aux cheveux d’argent, te trahit et méprise,

Psappha, ton amour ?

« Tu ne sauras plus les langueurs de l’attente.

Celle qui te fuit te suivra pas à pas.

Elle t’ouvrira, comme la Nuit ardente,

L’ombre de ses bras.

« Et tremblante ainsi qu’une esclave confuse

Offrant des parfums, des présents et des pleurs,

Elle ira vers toi, la vierge qui refuse

 Tes fruits et tes fleurs.

« Par un soir brûlant de rubis et d’opales

Elle te dira des mots las et brisés,

Et tu connaîtras ses lèvres nuptiales,

Pâles de baisers. »

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Ode à une Femme aimée

L’homme fortuné qu’enivre ta présence

Me semble l’égal des Dieux, car il entend

Ruisseler ton rire et rêver ton silence,

Et moi, sanglotant,

 Je frissonne toute, et ma langue est brisée :

Subtile, une flamme a traversé ma chair,

Et ma sueur coule ainsi que la rosée

Apre de la mer ;

Un bourdonnement remplit de bruits d’orage

Mes oreilles, car je sombre sous l’effort,

Plus pâle que l’herbe, et je vois ton visage

A travers la mort.

***

 

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 Je t’aimais, Atthis, autrefois

Le soir fait fleurir les voluptés fanées,

Le reflet des yeux et l’écho de la voix…

 Je t’aimais, au long des lointaines années,

Atthis, autrefois.

 

… Tu m’oublies…

L’eau trouble reflète, ainsi qu’un vain miroir,

Mes yeux sans lueurs, mes paupières pâlies.

 J’écoute ton rire et ta vox dans le soir…

Atthis, tu m’oublies.

 Tu n’as point connu la stupeur de l’amour,

L’effroi du baiser et l’orgueil de la haine ;

 Tu n’as désiré que les roses d’un jour,

Amante incertaine.

 

Atthis, ma pensée t’est haïssable, et tu fuis vers Androméda.

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 Tu hais ma pensée, Atthis, et mon image.

Cet autre baiser, qui te persuada,

 Te brûle, et tu fuis, haletante et sauvage

Vers Androméda.

 

Pour Androméda, elle a une belle récompense

Pour Androméda, l’éclair de tes baisers,

 Tes voiles de vierges et tes langueurs d’amante

Et le lent soupir de tes seins apaisés,

Atthis inconstante !

Pour Androméda, les chants, les soirs d’or brun,

Et l’ombres des cils sur l’ombre des prunelles,

Les nuits de Lesbos, où s’exalte un parfum

De fleurs éternelles.

Pour moi, le sommeil enfiévré sous les cieux

Où meurt la Pléiade, et les graves cadences,

L’hiver de ta voix, le néant de tes yeux,

 Tes pâles silences.

 

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Les étoiles autour de la belle lune voilent

aussitôt leur clair visage lorsque, dans son

plein, elle illumine la terre de leurs d’argent.

 Tout est blanc, la lune ouvre sa plénitude,

A ses pieds gémit l’Océan tourmenté :

Sereine, elle voit fleurir la solitude

Et la chasteté.

Les astres devant la Séléné divine,

Ont voilé leur face, et la clarté, neigeant

Du ciel virginal et candide, illumine

La terre d’argent.

 

Voici maintenant ce que je chanterai bel-

lement afin de plaire à mes maîtresses

Atthis aux cheveux de crépuscule, blonde

Et lasse, Eranna, qui dans l’or des couchants

Ranimes l’ardeur de la lyre profonde

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Et des nobles chants,

Euneika trop belle et Gurinnô trop tendre,

Anectoria, qui passais autrefois,

Lorsque je mourais de te voir et d’entendre

 Ton rire et ta voix,

Dika, dont les mains souples tissent les roses,

Et qui viens offrir aux Déesses les fleurs

Neigeant du pommier, ingénument décloses,

Parfums et pâleurs,

Pour vous j’ai rythmé les sons et les paroles,

Pour vous j’ai pleuré les larmes du désir,

 J’ai vu près de vous les ardentes corolles

Du soir défleurir.

 Triste, j’ai blâmé l’importune hirondelle ;

Par vous j’ai connu l’amer et doux Eros,

Par votre beauté je deviens immortelle,

Vierges de Lesbos.

 

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(Vers) moi tout récemment l’Aube aux sandales d’or…

Mes yeux ont vu fuir l’Aube aux sandales d’or :

Ses pieds ont brillé sur le mont taciturne

Et sur la forêt où se recueille encor

Le rêve nocturne.

 

Dors sur le sein de ta tendre maîtresse

Dors entre les seins de l’amante soumise,

O vierge au regard d’éphèbe valeureux,

Et que l’Hespérôs nuptial te conduise

Vers le rêve heureux !

 

Envers vous, belles, ma pensée n’est point

changeante

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 Je ne change point, ô vierges de Lesbos !

Lorsque je poursuis la Beauté fugitive,

 Tel le Dieu chassant une vierge au peplos

 Très blanc sur la rive.

 Je n’ai point trahi l’invariable amour.

Mon cœur identique et mon âme pareille

Savent retrouver, dans le baiser d’un jour,

Celui de la veille.

Et j’étreins Atthis sur les seins de Dika.

 J’appelle en pleurant, sur le seuil de sa porte,

L’ombre, que longtemps ma douleur invoqua,

De Timas la morte.

Pour l’Aphrodita j’ai dédaigné l’Eros,

Et je n’ai de joie et d’angoisse qu’en elle :

 Je ne change point, ô vierges de Lesbos,

 Je suis éternelle.

 

Viens, Déesse de Kuprôs, et verse délicatement dans

les coupes d’or le nectar mêlé de joies

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Fille de Kuprôs, dont le regard foudroie,

Délicatement de tes mains verse encor

Le nectar mêlé d’amertume et de joies

Dans les coupes d’or.

… quant à mon sanglot : et que les vents

orageux l’emportent pour les souffrances

Que le vent du soir emporte mon sanglot

Vers l’accablement des cités et des plaines ;

Qu’il l’emporte, afin de la mêler au flot

Des douleurs lointaines.

Qu’il l’emporte, ainsi qu’un pitoyable appel,

Plus grave et plus doux que la vaine parole…

Que, dans l’infini, mon sanglot fraternel

Apaise et console.

 

Et certes j’ai couché dans un songe avec la fille de Kuprôs

 Je t’ai possédée, ô fille de Kuprôs !

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Pâle, je servis ta volupté cruelle…

 Je pris, aux lueurs du flambeau d’Hespérôs,

 Ton corps d’Immortelle.

Et ma chair connut le soleil de ta chair…

 J’étreignais la flamme et l’ombre et la rosée,

 Ton gémissement mourrait comme la mer

Lascive et brisée.

Mortelle, je bus dans la coupe des Dieux,

 J’écartai l’azur ondoyant de tes voiles…

Ma caresse fit agoniser tes yeux

Sur ton lit d’étoiles…

Depuis, c’est en vain que la nuit de Lesbos

M’appelle, et que l’or du paktis se prolonge…

 Je t’ai possédée, ô fille de Kuprôs,

Dans l’ardeur d’un songe.

 

Et certes j’ai parlé en songe avec la fille de Kuprôs

Un clair souvenir se rythme et se prolonge

Comme un son de lyre indécis et voilé…

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Fille de Kuprôs, je t’ai jadis parlé

A travers un songe.

 

La lune paraissait dans son plein, et les

femmes se tinrent debout, comme autour

D’un autel

La lune parut dans son plein, et les femmes

Se tinrent debout, comme autour d’un autel :

Les rayons étaient fervents comme des flammes

Au reflet cruel.

Elles attendaient… Et, rompant le silence,

La voix d’une vierge amoureuse chanta,

Et toutes sentaient la mystique présence

De l’Aphrodita.

 

 Telle une douce pomme rougit à l’extrémité

de la branche, à l’extrémité lointaine :

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les cueilleurs de fruits l’ont oubliée ou, plutôt,

ils ne l'ont pas oubliée, mais ils n’ont pu l’atteindre

Ainsi qu’une pomme aux chairs d’or se balance,

Parmi la verdure et les eaux du verger,

A l’extrémité de l’arbre où se cadence

Un frisson léger,

Ainsi qu’une pomme, au gré changeant des brises,

Se balance et rit dans les soirs frémissants,

 Tu t’épanouis, raillant les convoitises

Vaines des passants.

La savante ardeur de l’automne recèle

Dans ta nudité les ambres et les ors.

 Tu gardes, ô vierge inaccessible et belle,

Le fruit de ton corps.

 

Pourquoi, fille de Pandion, aimable hirondelle, me … ?

Lasse du jardin où je me souviens d’Elle,

 J’écoute mon cœur oppressé de parfum.

Pourquoi m’obséder de ton vol importun,

Divine hirondelle ?

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 Tu rôdes, ainsi qu’un désir obstiné,

Réveillant en moi l’éternelle amoureuse,

Douloureuse amante, épouse douloureuse,

O pâle Procné !

 Tu fuis sans espoir vers la rive qui t’aime,

Vers la mer aux pieds d’argent, vers le soleil.

 Je hais le Printemps qui vient, toujours pareil

Et jamais le même !

Ah ! me rendra-t-il les langueurs de jadis,

L’ardente douleur des trahisons apprises,

L’attente et l’espoir des caresses promises,

Les lèvres d’Atthis ?

 J’évoque le pli de ses paupières closes,

La fleur de ses yeux, le sanglot de sa voix,

Et je pleure Atthis que j’aimais autrefois,

Sous l’ombre des roses.

 Je crois qu’une vierge aussi sage que toi ne

verra dans aucun temps la lumière du soleil..

 Jamais une vierge aussi sage que toi

Ne verra fleurir la lumière éternelle

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Contemplant sans fin la nature et la Loi

Qui pèse sur elle.

 Tu sais le secret de l’accord et du chant,

 Tes yeux ont sondé la mer d’or des étoiles,

Sur ton front bleuit, comme au front du couchant,

La brume des voiles.

Pallas Athéné, dont la divine loi

Règne en souriant sur l’aurore éternelle,

Ne vit point de vierge aussi sage que toi

Rêver devant elle…

 

Inscription à la base d’une statue

Vierges, quoique muette, je réponds…

A qui m’interroge, ô vierges, je réponds

D’une voix de pierre à l’accent inlassable :

« Mon éternité, sous les astres profonds,

M’attriste et m’accable.

« Sereine, je vois ce qui change et qui fuit.

 Je fus consacrée à la vierge brûlante,

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Aithopia, sœur de l’amoureuse nuit,

Par sa tendre amante,

« Arista. J’ouis l’ardeur de leur soupir,

Par les nuits d’été dont le souffle m’effleure

De regrets… Je suis l’immortel souvenir

Des baisers d’une heure. »

 

… Toi et l’Eros, mon serviteur…

O toi dont le trône aux lueurs d’arc-en-ciel

Brille sur l’Hadès et sur la Terre sombre,

Aphrodita pâle au sourire cruel,

Resplendis sur l’ombre.

L’Eros qui t’implore et te suis pas à pas

Elève vers toi son regard doux et grave :

Il pleure en t’ouvrant vainement ses deux bras,

L’Eros, ton esclave.

 

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 Je n’espère point toucher le ciel de mes bras étendus.

 Je n’espère point toucher de mes deux bras

Etendus le ciel où s’amassent des voiles ;

La nuit pourpre vient et je n’espère pas

Cueillir les étoiles.

Psappha, pourquoi la bienheureuse Aphrodita… ?

L’automne est pareil aux étés où ta lyre

S’éveilla, tremblante, et frémit, et chanta…

O Psappha, dis-nous pourquoi jaillit le rire

De l’Aphrodita.

Quel sombre dessein réjouis la Déesse

A qui plaît l’effroi des cri inapaisés,

Qui répand sur nous la farouche détresse,

L’horreur des baisers ?

Les rayons maudits d’une fatale aurore

Virent autrefois l’implacable Beauté

Fleurir dans sa force inexorable, éclore

Dans sa cruauté.

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O Psappha, voici que s’éteint la Pléiade.

Le vent clame, ainsi qu’une lyre de fer,

Un chant prophétique et sinistre, et Leucade

Assombrit la mer.

 

Morte, un jour tu demeureras couchée [dans la tombe],

et nul souvenir de toi ne persistera ni alors ni plus tard :

car tu ne cueilles point les roses de Piéria, mais, obscure,

tu erreras dans la maison de l’Hadès, inconnue parmi les Mortsaveugles.

Demain tu mourras d’une mort sans étoiles.

La nuit cachera ton rire d’autrefois

Sous l’azur et sous la pourpre de ses voiles,

Sous les linceuls froids.

 Tu n’as point cueilli les roses immortelles

De Piéria, Gorgô, charme d’un jour !

 Jamais ne brûla dans tes pâles prunelles

L’éclair de l’amour.

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L’Hadès te prendra dans sa vague demeure,

Le chant de ta voix ne persistera pas,

Ni le souvenir de ton parfum d’une heure.

Demain tu mourras.

Et tu passeras ombre parmi les ombres,

 Tu ne sauras point l’orgueil des lendemains,

Sans rayons de gloire à tes paupières sombres,

Sans fleurs dans tes mains.

 Tes pas erreront faiblement sur la rive

Des femmes sans fards et des passants obscurs,

La Maison des Morts sur ta forme plaintive

Fermera ses murs.

Sous l’azur et sous la pourpre de ses voiles,

La Nuit cachera ton rire d’autrefois…

Demain tu mourras d’une mort sans étoiles

Sous les linceuls froids.

 

Ainsi que, sur les montagnes, les pâtres foulent aux

pieds l’hyacinthe, et la fleur s’empourpre sur la terre

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… Et blessée ainsi qu’une frêle hyacinthe,

Douloureuse Atthis, tu te souviens encor.

 Tes tristes cheveux pleurent, dans l’ombre éteinte,

Une cendre d’or.

Les pâtres, chantant sur le mont solitaire,

 Jettent vers le soir leurs rythmes frémissants,

Et la pourpre fleur ensanglante la terre,

Aux pieds des passants.

 

 Tu nous brûles

Mes lèvres ont soif de ton baiser amer,

Et la sombre ardeur qu’en vain tu dissimules

Déchire mon âme et ravage ma chair :

Eros, tu nous brûles…

 

C’est ici la poussière de Timas que l’azur sombre

du lit nuptial de Perséphona reçut,

m orte avant l’hymen. Lorsqu’elle périt,

toutes ses compagnes, d’un fer fraîchement aiguisé,

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coupèrent la force de leurs désirables chevelures

La vierge Timas au printemps sans été

Mourut dans l’orgueil de sa blancheur première.

Parfumons de fleurs, de chants, de piété,

Sa douce poussière.

Oh ! le souvenir de ce corps lilial

Que Perséphona, voluptueuse et sombre,

Reçut dans l’azur de son lit nuptial

Paré de fleurs d’ombre !

Lorsqu’elle périt, ses compagnes d’hier

Coupèrent là-bas leurs cheveux désirables,

Bleus comme la nuit et blonds comme l’hiver,

Roux comme les sables.

 

De tous les astres le plus beau…

O toi le plus beau des astres, Hespéros,

Fleur nocturne éclose au verger des étoiles,

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 Tu viens ranimer les ardeurs de Lesbos

Sous l’azur des voiles.

 Tu jettes le trouble aux espaces sereins.

Le Désir renaît aux yeux las des Amantes,

Il meurtrit leurs flancs, il ravage leurs seins,

Leurs lèvres brûlantes.

Verse tes lueurs sur l’ombre des baisers…

Par les longs étés, l’âmes de Mytilène

Exhale vers toi ses cris inapaisés,

Sa fervente haleine.

Dans la pourpre et l’or sombres du firmament,

Ecoute la mer amoureuse et stérile

Qui, le soir, endort de son gémissement

La langueur de l’Ile.

 

Mnasidika est plus belle que la tendre Gurinnô

Gurinnô qui pleure à l’ombre de mon seuil

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N’a point tes accents où l’Eros passe et chante,

O Mnasidika ! ni le splendide orgueil

De tes seins d’amante.

Elle n’a point l’or fondu de ton regard,

Ni la pourpre fleur de tes paupières closes,

Ni ta chair où l’ambre et la myrrhe et le nard

Parfument les roses.

Mais elle a connue la grave volupté,

L’effroi de l’amour et l’effort des chimères…

Une nuit, j’ai bu, d’un baiser irrité,

Ses lèvres amères.

 

Et toi, ô Dika ! ceins de guirlandes ta

chevelure aimable, tresse les tiges de

fenouil de tes tendres mains, car les

vierges aux belles fleurs sont de beaucoup

les premières dans la ferveur des

Bienheureuses : celles-ci se détournent

des jeunes filles qui ne sont point couronnées

Va jusqu’au jardin clair où tu te reposes,

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Pare tes cheveux de verdure et de fleurs,

Choisis les parfums, Dika, tisse les roses,

Mêle les couleurs.

Et si tu veux plaire aux sereines Déesses,

Entoure l’autel des souffles de l’été…

Elles souriront, ainsi que leurs prêtresses,

A ta piété.

Porte à L’Artémis les sombres violettes,

A l’Aphrodita la pourpre des iris.

A Perséphona, vierge aux lèvres muettes,

La langueur des lys.

 

Quelqu’un, je crois, se souviendra dans

l’avenir de nous

Dans les lendemains que le sort file et tresse,

Les êtres futurs ne nous oublieront pas…

Nous ne craignons point, Atthis, ô ma Maîtresses !

L’ombre du trépas.

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Car ceux qui naîtrons après nous dans ce monde

Où râlent les chants jetteront leur soupir

Vers moi, qui t’aimais d’une angoisse profonde,

Vers toi, mon Désir.

Les jours ondoyants que la clarté nuance,

Les nuit de parfums viendront éterniser

Nos frémissements, notre ardente souffrance

Et notre baiser.

 

L’Eros qui délie mes membres aujourd’hui

me dompte, être fatal, amer et doux

Aujourd’hui l’Eros fatal, amer et doux

L’Eros qui ressemble à la Mort, me tourmente,

Maîtrise mes flancs et brise mes genoux

Dans l’angoisse ardente.

 

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L’or est fils de Zeus ; ni la mite ni le ver

ne le peuvent détruire

L’or est fils de Zeus, cruel comme les Dieux.

Il épanouit sa puissance fatale,

Frère du soleil qui dévore les cieux

De gloire brutale.

 

L’aurore Vénérable…

Vois se rapprocher l’Aurore Vénérable,

Apportant l’effroi, la souffrance et l’effort,

Et le souvenir dont la langueur accable,

La vie et la mort.

 

Alentour la brise murmure fraîchement

à travers les branches des pommiers, et des

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feuillages frissonnants coule le sommeil

La fraîcheur se glisse à travers les pommiers,

Le ruisseau bourdonne au profond des verdures,

 Tel le chant confus qui remplit les guêpiers

Aux légers murmures.

L’herbe de l’été pâlit sous le soleil.

La rose, expirant sous les âpres ravages

Des chaleurs, languit vers l’ombre, et le sommeil

Coule des feuillages.

 

Et le sommeil aux yeux noirs, enfant de la nuit

Le grave couchant éteint l’or des lumières…

Le Sommeil aux yeux noirs, enfant de la Nuit,

De la verte Nuit pitoyable aux paupières,

Apaise le bruit.

Et l’âme des lys erre dans son haleine…

Mais il ne sait point contenter le soupir

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De l’ardent mer aux pieds de Mytilène,

Lasse de désir.

 

…la servante de l’Aphrodita, lumineuse comme l’or

Persuasion, Peithô, blonde suivante

De l’Aphrodita, viens dans le pâle essor

Des colombes, viens, lascive et suppliante,

Claire comme l’or.

 Ta voix éloquente a l’accent d’une lyre

Implorant en vain l’ardeur et le retour

D’un fiévreux Passé… Ta voix qui pleure attire

Vers le grave Amour.

 

Pures Kharites aux bras de rose, venez filles de Zeus.

O filles de Zeus, Grâces aux bras de rose,

Venez, apportant les parfums de jadis,

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Le frisson des voix, du rythme et de la pause,

Et l’or du paktis.

Vous dont la langueur divine se repose

Dans l’éclair de l’aube et la flamme du jour,

Venez en dansant, Grâces aux bras de rose,

Riant à l’amour.

 

…une vierge à la voix douce

 J’écoute en rêvant… La fraîcheur de ta voix

Coule, comme l’eau du verger sur la mousse

Et vient apaiser mes douleurs d’autrefois,

Vierge à la voix douce.

 

L’Eros aujourd’hui a déchiré mon âme, vent qui dans la montagne s’abatsur les chênes

L’Eros a ployé mon âme, comme un vent

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Des montagne tord et brise les grands chênes…

Et je vois périr, dans le flambeau mouvant,

L’essor des phalènes.

 

 J’instruisis Hérô de Guara la [vierge] légère à la course.

 J’enseignai les chants à la vierge aux pieds d’or

Dont les voix ressemble à la voix de la source,

Et dont les beaux pieds semblent prendre l’essor,

Légers à la course.

 J’enseignai les chants où brûlent les parfums,

Où pleurent l’angoisse et l’effroi des attentes,

Quand le crépuscule assombrit les ors bruns

Des rives ardentes.

 J’enseignai les chants qui montent vers l’autel

D’où l’Aphrodita tourmente l’amoureuse

Et qui font pâlir le sourire cruel

De la Bienheureuse.

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… une vierge très délicate cueillant des fleurs

 Je te vis cueillir le fenouil et le thym

Et la fleur du vent, la légère anémone,

O vierge ! et je vis ton sourire enfantin

Où l’aube frissonne.

Mon corps vigoureux comme un jeune arbrisseau

Frôla longuement ta chair tendre et brisée…

 Tu levas sur moi tes yeux plus frais que l’eau

Et que la rosée.

Le fatal Eros et l’amoureux Destin

Et l’Aphrodita dont je suis la prêtresse

Nous virent cueillir le fenouil et le thym,

Atthis, ma Maîtresse.

 

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 Je serai toujours vierge

 Je demeurerai vierge comme la neige

Sereine, qui dort là-bas d’un blanc sommeil,

Qui dort pâlement, et que l’hiver protège

Du brutal soleil.

Et j’ignorerai la souillure et l’empreinte

Comme l’eau du fleuve et l’haleine du nord.

 Je fuirai l’horreur sanglante de l’étreinte,

Du baiser qui mord.

 Je demeurerai vierge comme la lune

Qui se réfléchit dans le miroir du flot,

Et que le désir de la mer importune

De son long sanglot.

 

Dominant, comme lorsque l’aède de Lesbos domine les étrangers…

Dominant la Terre où résonne ta lyre,

Dresse-toi, splendide Aède de Lesbos

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Qui seule as connu la lumière et le rire

Divin de Paphôs.

Psappha, verse-nous au profond de l’espace,

Dédaignant le sort des êtres passagers,

Le frémissement de ton chant qui surpasse

Les chants étrangers.

 

… car il n’est pas juste que la lamentation

soit dans la maison des serviteurs des

Muses : cela est indigne de nous.

Compagnes, voici la Maison du Poète

Où la Mort se tait, où le deuil n’entre pas ;

Na gémissez plus dans l’angoisse inquiète

Du commun trépas.

Parsemez de fleurs aux haleines légères

Le seuil où pleuraient les chants graves et doux ;

Arrêtez le flot des larmes passagères

Indignes de nous.

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La lumière… qui ne détruit point la vue…

Pareille à une fleur d’hyacinthe

Nuit de pourpre, ainsi qu’une fleur d’hyacinthe,

 Ta lumière éclôt dans le verger des cieux.

 Ton parfum est chaste, et ta douceur éteinte

Console les yeux.

 

…Psappha… appelle l’amour doux et amer

et qui donne la douleur… [Elle] le

nomme le tisseur de chimères

Eros, de tes mains prodigues de douleurs

 Tu répands l’angoisse, et tes lèvres amères

Ont le goût du sel et le parfum des fleurs,

 Tisseur de chimères.

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*

En effet, comme l'indique Jean-Paul Goujon dans la biographie:"Tesblessures sont plus douces que leurs caresses" éd. Albin Michel, RenéeVivien remaniait régulièrement ses textes. Je cite :"Renée Vivien nous

montre qu'elle est une femme de lettre accomplie. Faut-il ajouter uneépigraphe ? modifier un vers ?... Lettres, billets, télégrammes et notesse multiplient et s'entrecroisent. ... Vallée, qui éprouvait de la sympathiepour Vivien, accueillait sans mauvaise grâce le déluge d'instructions,parfois contradictoires, dont il était accablé pour chaque édition ouréédition. Après la mort de Vivien, il entretint le souvenir de l'écrivain...renseignant Le Dantec et devenant entin le maître d'oeuvre des deuxéditions des poésies complètes publiées par Lemerre en 1923-1924 eten 1934."

 

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http://www.reneevivien.com/images/page%27poemes%27_01.gif Oeuvrepoétique

Accueil

 

La Vénus des Aveugles,

1904

 

Incipit Liber Veneris Caecorum

La Fourrure

Arums de Palestine

Reflets d’Ardoise

After Glow

L’Aurore vengeresse

Donna m’apparve

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Péché des Musiques

A la perverse Ophélie

Chanson pour Elle

La Nuit latente

Sonnet de Porcelaine

Les Succubes disent...

Céres Eleusine

Sonnet à une Enfant

 Treize

Naples

 Telle que Viviane

La Vierge au Tapis

Chanson pour mon Ombre

La Madone aux Lys

Les Emmurées

Les VdAs

Les Mangeurs d’herbe

A la Florentine

Le Dédain de Psappha

Paysage d’après El Greco

Le Labyrinthe

Les Oripeaux

Les Lèvres pareilles

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Faste des Tissus

Litanie de la Haine

Virgo Hebraïca

Pour Une

Intervalle crépusculaire

Chevauchée

La Dogaresse

Les cygnes sauvages

Les Morts aveugles

Les Vendeuses de Fleurs

La Douve

Explicit Liber Veneris Caecorum

 

Incipit Liber Veneris Caecorum

Le feuillage s’écarte en des plis de rideaux

Devant la Vénus des Aveugles, noire

Sous la majesté de ses noirs bandeaux.

Le temple a des murs d’ébène et d’ivoire

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Et le sanctuaire est la nuit des nuits.

Il n’est plus d’odeurs, il n’est plus de bruits

Autour de cet autel dans la nuit la plus noire.

Nul n’ose imaginer le visage inconnu.

La Déesse règne en l’ombre éternelle

Où les murs sont nu, où l’autel est nu,

Où rien de vivant ne s’approche d’Elle.

Dans un temple vaste autant que les cieux

La Déesse Noire, interdite aux yeux,

Se retire et se plaît dans la nuit éternelle.

Les Aveugles se sont traînés à ses genoux

Pourtant, et, levant leur paupière rouge,

Semblent adorer un dieu sans courroux,

Et nul ne gémit et nulle ne bouge,

Mais, dans cette extase où meurt le désir,

Où la main se tend et n’ose saisir,

Une larme a coulé sous la paupière rouge.

 

La Fourrure

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 Je hume en frémissant la tiédeur animale

D’une fourrure aux bleus d’argent, aux bleus d’opale ;

 J’en goûte le parfum plus fort qu’une saveur,

Plus large qu’une voix de rut et de blasphème,

Et je respire avec ne égale ferveur,

La Femme que je crains et les Fauves que j’aime.

Mes mains de volupté glissent, en un frisson,

Sur la douceur de la Fourrure, et le soupçon

De la bête traquée aiguise ma prunelle.

Mon rêve septentrional cherche les cieux

Dont la frigidité m’attire et me rappelle,

Et la forêt où dort la neige des adieux.

Car je suis de ceux-là que la froideur enivre.

Mon enfance riait aux lumières de givre.

 Je triomphe dans l’air, j’exulte dans le vent,

Et j’aime à contempler l’ouragan face à face.

 Je suis une file du Nord et des Neiges, -- souvent

 J’ai rêvé de dormir sous un linceul de glace.

Ah ! la Fourrure où se complaît ta nudité,

Où s’exaspérera mon désir irrité ! –

De ta chair qui détend ses impudeurs meurtries

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Montent obscurément les chaudes trahisons,

Et mon âme d’hiver aux graves rêveries

S’abîme dans l’odeur perfide des Toisons.

 

Arums de Palestine

O ma Maîtresse, je t’apporte,

Funèbres comme un requiem,

Lys noirs sur le front d’une morte,

Les arums de Jérusalem.

Ils éclosent parmi les râles

De l’amour que l’aube détruit,

Et les succubes aux doigts pâles

Ont respiré leur chair de nuit.

Seule, ton âme ténébreuse

Sut les aimer et les choisir,

Etrange et stérile amoureuse

Qui t’abandonnes sans désir.

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O ma Maîtresse, je t’apporte,

Funèbres comme un requiem,

Lys noirs sur le front d’une morte,

Les arums de Jérusalem.

 

Reflets d’Ardoise

Vois, tandis que gauchit la bruine sournoise,

Les nuages pareils à des chauves-souris,

Et là-bas, gris et bleu sous les cieux bleus et gris,

Ruisseler le reflet pluvieux de l’ardoise.

O mon divin Tourment, dans tes yeux bleus et gris

S’aiguise et se ternit le reflet de l’ardoise.

 Tes longs doigts, où sommeille une étrange turquoise,

Ont pour les lys fanés un geste de mépris.

La clarté du couchant prestigieux pavoise

La mer et les vaisseaux d’ailes de colibris…

Vois là-bas, gris et bleu sous les cieux bleus et gris,

Ruisseler le reflet pluvieux de l’ardoise.

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Le flux et le reflux du soir déferlent, gris

Comme la mer, noyant les pierres et l’ardoise.

Sur mon chemin le Doute aux yeux pâles se croise

Avec le Souvenir, près des ifs assombris.

 Jamais, nous défendant de la foule narquoise,

Un toit n’abritera nos soupirs incompris…

Vois là-bas, gris et bleu sous les cieux bleus et gris,

Ruisseler le reflet pluvieux de l’ardoise.

 

After Glow

 Je poursuis mon chemin vers le havre inconnu.

Les Femmes de Désir ont blessé mon cœur nu.

Dans la perversité de leur inquiétude

Elles ont outragé ma calme solitude.

Elles n’ont respecté ni l’ordre ni la loi

Que j’observais, avec un très exact effroi.

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Obéissant au cri de leurs aigres colères,

Elles ont arraché mes prunelles trop claires.

Et, voyant que j’étais debout en mon orgueil,

Elles ont déchiré mes vêtements de deuil

**

Entrelaçant pour moi les lys de la vallée,

Les Femmes de Douceur m’ont enfin consolée.

Elles m’ont rapporté la ferveur et l’espoir

Dans leur robe, pareille à la robe du soir.

 Je sens mourir en moi la tristesse et la haine,

En écoutant leur voix murmurante et lointaine.

Voyant planer sur moi l’azur des jours meilleurs,

 Je les suivrai, j’irai selon leurs vœux, ailleurs.

Puisque ces femmes-là sont la rançon des autres,

Quels jours dorés et quels soirs divins seront nôtres !…

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L’Aurore vengeresse

L’Aube, dont le glaive reluit,

Venge, comme une blanche Electre,

La fiévreuse aux regards de spectre,

Dupe et victime de la nuit…

Vers l’horreur des étoiles noires

Montent les funèbres accords…

Sur la rigidité des morts

Veillent les lys expiatoires.

L’ombre aux métalliques reflets

Engourdit les marais d’eau brune,

Et voici que s’éteint la lune

Dans le rire des feux follets.

 Ta chevelure est une pluie

D’or et de parfums sur mes mains.

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 Tu m’entraînes par les chemins

Où la perversité s’ennuie.

 J’ai choisi, pour ceindre ton front,

La pierre de lune et l’opale,

L’aconit et la digitale,

Et l’iris noir d’un lac profond.

Volupté d’entendre les gouttes

De ton sang perler sur les fleurs !…

Les lys ont perdu leurs pâleurs

Et les routes s’empourprent toutes…

 

Donna m’apparve

Sopra candido vel cinta d’oliva

Donna m’apparve, sotto verde manto,

Vestita di color di fiamma viva.

Dante, Purgatorio, canto trentesimo.

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Lève nonchalamment tes paupières d’onyx.

Verte apparition qui fus ma Béatrix.

Vois les pontificats étendre, sur l’opprobre

Des noces, leur chasuble aux violets d’octobre.

Les cieux clament les De Profundis irrités

Et les Dies irae sur les Nativités.

Les seins qu’ont ravagés les maternités lourdes

Ont la difformité des outres et des gourdes.

Voici, parmi l’effroi des clameurs d’olifants,

Des faces et des yeux simiesques d’enfants,

Et le repas du soir sous l’ombre des charmille

Réunit le troupeau stupide des familles.

Une rébellion d’archanges triompha

Pourtant, lorsque frémit le paktis de Psappha.

Vois ! l’ambiguïté des ténèbres évoque

Le sourire pervers d’un Saint Jean équivoque.

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Péché des Musiques

 Je n’ai point contemplé le mirage des formes,

 Je n’ai point désiré l’oasis des couleurs,

 J’ai su me détourner de la saveur des cormes

Et des mûres de pourpre et des figues en fleurs.

Mes doigts n’ont point pétri le moelleux des étoffes.

 J’ai fui, comme devant un reptile couché,

Devant les sinuux discours des philosophes.

Mais, ô ma conscience obscure ! j’ai péché.

 Je me suis égarée en la vaste Musique,

Lupanar aussi beau que peut l’être l’enfer ;

Des vierges m’imploraient sur la couce lubrique

Où les sons effleuraient lascivement leur chair.

 Tandis que les chanteurs, tel un Hindou qui jongle,

Balançaient en riant l’orage et le repos,

Plus cruels que la dent et plus aigus que l’ongle,

Les luths ont lacéré mes fibres et mes os.

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 Tordus par le délire impétueux du spasme,

Les instruments râlaient leur plaisir guttural,

Et les accords hurlaient le noir enthousiasme

Des prêtres érigeant les bûchers de santal ;

Des clochettes troublaient le sommeil des pagodes,

Et des roses flamants poursuivaient les ibis...

 Je rêvais, à travers le murmure des odes,

Les soirs égyptiens aux pieds de Rhodopis.

Au profond des palais où meurt la lune jaune,

Les cithares et les harpes ont retenti...

 Je voyais s’empourprer les murs de Babylone

Et mes mains soulevaient le voile de Vashti.

Eranna de Télos m’a vanté Mytilène.

Comme un blond corps de femme indolemment couché,

L’Ile imprégnait la mer de sa divine haleine...

Voici, ma conscience obscure ! j’ai péché...

 

A la perverse Ophélie

Les évocations de ma froide folie

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Raniment les reflets sur le marais stagnant

Où flotte ton regard, ô perverse Ophélie !

C’est là que mes désirs te retrouvent, ceignant

D’iris bleus ton silence et ta mélancolie,

c’est là que les échos raillent en s’éloignant.

L’eau morte a, dans la nuit, les langueurs des lagunes,

Et voici, dispensant l’agonie et l’amour,

L’automne aux cheveux roux mêlés de feuilles brunes.

L’ombre suit lentement le lent départ du jour.

Comme un ressouvenir d’antiques infortunes,

Le vent râle, et la nuit prépare son retour.

 Je sonde le néant de ma froide folie.

 T’ai-je noyée hier dans le marais stagnant

Où flotte ton regard, ô perverse Ophélie ?

Ai-je erré, vers le soir, douloureuse, et ceignant

D’iris bleus ton silence et ta mélancolie,

 Tandis que les échos raillent en s’éloignant ?

L’eau calme a-t-elle encor les lueurs des lagunes,

Et vois-tu s’incliner sut ton défunt amour

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L’automne aux cheveux roux mêlés de feuilles brunes ?

Ai-je pleuré ta mort dans l’énigme du jour

Qui disparaît, chargé d’espoirs et d’infortunes ?...

-- O rythme sans réveil, ô rire sans retour !

 

Chanson pour Elle

L’orgueil, endolori s’obstine

A travestir ton coeur lassé,

 Ténébreux comme la morphine

Et le mystère du passé.

 Tu récites les beaux mensonges

Comme on récite les beaux vers.

L’ombre répand de mauvais songes

Sur tes yeux d’archange pervers.

 Tes joyaux sont des orchidées

Qui se fanent sous tes regards

Et les miroitantes idées

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Plus hypocrites que les fards.

 Tes prunelles inextinguibles

Bravent la flamme et le soleil...

Et les Présences Invisibles

Rôdent autour de ton sommeil.

 

La Nuit latente

Le soir, doux berger, développe

Son rustique solo...

 Je mâche un brin d’héliotrope

Comme Fra Diavolo.

La nuit latente fume, et cuve

Des cendres, tel un noir Vésuve,

Voilant d’une vapeur d’étuve

La lune au blanc halo.

 Je suis la fervente disciple

De la mer et du soir.

La luxure unique et multiple

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Se mire à mon miroir...

Mon visage de clown me navre.

 Je cherche ton lit de adavre

Ainsi que le calme d’un havre,

O mon beau Désespoir !

Ah ! la froideur de tes mains jointes

Sous le marbre et le stuc

Et sous le poids des terres ointes

De parfum et de suc !

Mon âme, que l’angoisse exalte,

Vient, en pleurant, faire une halte

Devant ces parois de basalte

Aux bleus de viaduc.

Lorsque l’analyse compulse

Les nuits, gouffre béant,

Dans ma révolte se convulse

La fureur d’un géant.

Et, lasse de la beauté fourbe,

De la joie où l’esprit s’embourbe,

 Je me détourne et je me courbe

Sur ton vitreux néant.

 

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Sonnet de Porcelaine

Le soir, ouvrant au vent ses ailes de phalène,

Evoque un souvenir fragilement rosé,

Le souvenir, touchant comme un Saxe brisé,

De ta naïveté fraîche de porcelaine.

Notre chambre d’hier, où meurt la marjolaine,

N’aura plus ton regard plein de ciel ardoisé,

Ni ton étonnement puéril et rusé...

O frisson de ta nuque où brûlait mon haleine !

Et mon coeur, dont la paix ne craint plus ton retour,

Ne sanglotera plus son misérable amour,

Frêle apparition que le silence éveille !

Loin du sincère avril de venins et de miels,

 Tu souris, m’apportant les fleurs de ta corbeille,

Fleurs précieuses des champs artificiels.

 

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Les Succubes disent...

Quittons la léthargie heureuse des maisons,

Le carmin des rosiers et le parfum des pommes

Et les vergers où meurt l’ondoiement des saisons,

Car nous ne sommes plus de la race des hommes.

Nous irons sous les ifs où s’attarde la nuit,

Où le souffle des Morts vole, comme une flamme,

Nous cueillerons les fleurs qui se fanent sans fruit,

Et les âcres printemps nous mordront jusqu’à l’âme.

Viens : nous écouterons, dans un silence amer,

Parmi les chuchotis du vêpre à l’aile brune,

Le rire de la Lune éprise de la Mer,

Le sanglot de la Mer éprise de la Lune.

 Tes cheveux livreront leurs éclairs bleus et roux

Au râle impérieux qui sourd de la tourmente,

Mais l’horreur d’être ne ploiera point nos genoux

Dans nos yeux le regard des Succubes fermente.

Les hommes ne verront nos ombres sur leurs seuils

Qu’aux heures où, mêlant l’ardeur denos deux haines,

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Nous serons les Banshees qui présagent les deuils

Et les Jettatori des naissances prochaines.

Nos corps insexués s’uniront dans l’effort

Des soupirs, et les pleurs brûleront nos prunelles.

Nous considérerons la splendeur de la Mort

Et la stérilité des choses éternelles.

 

Céres Eleusine

La nuit des vergers bleus d’acanthes,

Des jardins pourpres d’aloès,

Attend l’Evohé des Bacchantes

Et les mystères de Cérès.

Dans le temple aux flammes païennes,

Le soir, accroupi comme un sphinx,

Contemple les Musiciennes,

Evocatrices de Syrinx.

Une étrange et pâle prêtresse,

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Délaissant l’autel de Vénus,

Apporte à la Bonne Déesse

Les daturas et les lotus.

Car la blonde enlace la brune,

Et les servantes d’Ashtaroth,

Aux vêtements de clair de lune,

 Te narguent, Deus Sabaoth.

Les nonnes et les courtisanes,

Mêlant la belladone au lys,

Chantent les Te Deum profanes

Et les joyeux De profundis.

 

Sonnet à une Enfant

 Tes yeux verts comme l’aube et bleus comme la brume

Ne rencontreront pas mes yeux noirs de tourment,

Puisque ma douleur t’aime harmonieusement,

O lys vierge, ô blancheur de nuage et d’écume !

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 Tu ne connaîtras point l’effroi qui me consume,

Car je sais épargner au corps frêle et dormant

La curiosité de mes lèvres d’amant,

Mes lèvres que l’Hier imprégna d’amertume.

Seule, lorsque l’azur de l’heure coule et fuit,

 Je te respireri dans l’odeur de la nuit

Et je t reverrai sous mes paupières closes.

Portant, comme un remords, mon orgueil étouffant,

 J’irai vers le Martyre ensanglanté de roses,

Car mon coeur est trop lourd pour une main d’enfant.

 

 Treize

Ashtaroth, Belzébuth, Bélial et Moloch

Fendent la nuit d’hiver, massive comme un roc,

De leurs iles et de leur souffle de fournaise,

Et, sur les murs lépreux de Suburra, Moloch

De son pouce sanglant trace le nombre : treize.

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Ashtaroth, Belzébuth, Bélial et Moloch

Ont tracé sur les murs lépreux le nombre : treize.

Ashtaroth, Bélial, Moloch et Belzébuth,

Protecteurs souriants des hyènes en rut,

Vantent aux Khéroubim la majesté du spasme.

Ainsi qu’un alchimiste anxieux, Belzébuth

Mélange savamment le parfum au miasme.

Ashtaroth, Bélial, Moloch et Belzébuth

Hument, comme un parfum délicat, le miasme.

Ashtaroth, Belzébuth, Moloch et Bélial

Versent le vin fumeux du festin nuptial.

Ils ont paré le front de l’Epouse niaise…

Archange ennemi des naissances, Bélial

Sur les ventres féconds trace le nombre : treize.

Ashtaroth, Belzébuth, Moloch et Bélial

Sur les ventres gonflés tracent le nombre : treize.

Car Bélial, Moloch, Belzébuth, Ashtaroth

Font surgir, sous les yeux scandalisés de Loth,

Les marbres de Sodome et les fleurs de Gomorrhe.

Et mariant l’amante à la vierge, Ashtaroth

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Ressuscite les nuits qui font haïr l’aurore.

Car Bélial, Moloch, Belzébuth, Ashtaroth

Font triompher Sodome et claironner Gomorrhe.

 

Naples

Le temple abandonné de la Vénus latine

Se recule et s’estompe à travers les embruns,

Et le déroulement rituel des parfums

Ne tourbillonne plus vers l’Image Divine.

Les roses, sur le marbre enfiévré par leur sang,

N’ont plus leur rouge ardeur de rire et de rapine :

Le souffle violent de la Vénus latine

Ne traversera plus les soirs en frémissant.

Par les fentes d’azur de ces mur en ruine,

 Je contemple les prés, le soleil et la mer.

Les algues ont rempli de leur idole amer

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Le temple abandonné de la Vénus latine.

Les patientes mains du soir ont lamé d’or

Les bleus italiens de la chaude colline,

Où, délaissant l’autel de la Vénus latine,

Les mouettes ont pris leur lumineux essor.

De ses yeux éternels, la Déesse illumine,

Comme autrefois, la terre et l’infini des flots.

La mer salue encore de chants et de sanglots

Le temple abandonné de la Vénus latine.

 

 Telle que Viviane

 

Le blond zodiaque détruit

Ses énigmatiques algèbres,

Et les cygnes noirs de la nuit

Glissent sur un lac de ténèbres.

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 Tu me tends, d’un geste onduleux,

 Tes mains où le lotus se fane.

A travers les feuillages bleus

 Tu souris, comme Viviane.

 Je retrouve les chers poissons

Sous la langueur de ta parole,

Et les anciennes trahisons

 Te nimbent, comme une auréole.

L’éclair des astres vient dorer

Le gris pervers de ta prunelle.

Ah ! comment ne point t’adorer

D’être perfide et d’être belle ?

 

Les Iles

La mer porte le poids voluptueux des Iles…

Le lapis lazuli des ondes infertiles

Sollicite le frais recueillement des Iles.

Iles d’hiver, ô fleurs de la nacre et du nord !

Lorsque l’ombre a tressé les roses de la mort,

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Les Iles ont jailli de la nacre et du nord.

Elles flottent ainsi que des perles d’écume…

Des blancheurs de bouleaux, des bleuités de brume

Se balancent, parmi les perles de l’écume.

Et voici, sous les violettes du couchant,

Lesbos, regret des Dieux, exil sacré du chant,

Lesbos, où fleurit la gloire du couchant.

Les parfums ténébreux qui font mourir les vierges

Montent de ses jardins et de l’or de ses berges

Où s’éteignent les voix amoureuses des vierges.

Leucade se souvient, et les fleurs d’oranger

Mêlent leur blanc frisson aux tiédeurs du verger…

Psappha pleurait Atthis sous les fleurs d’oranger…

Les âmes sans espoir sont pareilles aux Iles,

Et, malgré les langueurs de leurs armes fébriles,

Elles gardent l’orgueil solitaires des Iles.

Elles ont l’horizon, les algues et les fleurs.

L’isolement divin rafraîchit leurs douleurs

Et leur verse la paix des algues et des fleurs.

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La Vierge au Tapis

Pâle et mélancolique ainsi qu’une malade,

Un tapis fondu languit sous tes pieds.

Plus majestueux qu’un temple de jade,

Les magnolias et les tulipiers

Ont laissé pleuvoir la nuit de leur voûte.

 Tramé dans un soir aux bleus inconnus

Par de brunes mains que l’été veloute,

Un fragile tapis languit sous tes pieds nus.

Le tapis déployé sous tes pieds de malade

Déroule ses plis fanés, mariant

L’ombre d’une rose ou d’une grenade

Sanglante, à des blancs lépreux d’Orient.

Et ses verts d’eau morte et de pré funèbre

S’éteignent, plus doux qu’un rêve terni,

 Tandis que l’automne exalte et célèbre

Monna Lisa souriant à San Giovanni.

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Chanson pour mon Ombre

Droite et longue comme un cyprès,

Mon ombre suit, à pas de louve,

Mes pas que l’aube désapprouve.

Mon ombre marche à pas de louve,

Droite et longue comme un cyprès.

Elle me suit, comme un reproche,

Dans la lumière du matin.

 Je vois en elle mon destin

Qui se resserre et se rapproche.

A travers champs, par les matins,

Mon ombre suit, comme un reproche.

Mon ombre suit, comme un remords,

La trace de mes pas sur l’herbe

Lorsque je vais, portant ma gerbe,

Vers l’allée où gîtent les morts.

Mon ombre suit mes pas sur l’herbe,

Implacable comme un remords.

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La Madone aux Lys

 J’ai bu, tel un poison, vos souffles éplorés,

Vos sanglots de parfums, lys fauves, lys tigrés !

Dédiez au matin votre rose sourire,

Lys du Japon, éclos aux pays de porphyre.

 Ténèbres, répandez vos torpeurs d’opiums,

Vos sommeils de tombeaux sur les chastes arums.

Lys purs qui fleurissez les mystiques images,

Sanctifiez les pelouses et feuillages.

Lys de Jérusalem, lys noirs où la nuit dort,

Exhalez froidement vos souvenirs de mort.

Vastes lys des autels où l’orgue tonne et prie,

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Brûlez dans la clarté des cierges de Marie.

Sollicitez l’avril, ses pipeaux et ses voix,

O muguets, lys de la vallée et des grands bois.

O lys d’eau, nymphéas des amantes maudites,

Anémones, lys roux des champs israélites,

Soyez la floraison des douleurs de jadis

Pour la vierge aux yeux faux que j’appelai mon Lys.

 

Les Emmurées

L’ombre étouffe le rire étroit des Emmurées.

Leur illusoire appel s’étrangle dans la nuit.

Leur front implore en vain la brise qui s’enfuit

Vers l’Ouest, où les mers sommeillent, azurées.

Leur cécité profonde ignore les marées

Des couleurs, les reflux de la fleur et du fruit ;

Leur surdité n’a plus le souvenir du bruit,

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Et la soif a noirci leurs lèvres altérées.

Leur chair ne blondit point sous l’ambre des soleils,

Lourde comme la pierre aux éternels sommeils,

Que la neige console et que frôlent les brises.

S’éteignant dans l’oubli du silence vainqueur,

Leur mort vivante a pris des attitudes grises…

La rouille des lichens a dévoré leur cœur.

 

Les Oliviers

Et je regrette et je cherche…

Psappha

 

Les oliviers, changeants et frais comme les vagues,

Recueillent gravement tes murmures légers,

Psappha, Divinité des temples d’orangers,

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Dont le chant surpassa le chant des étrangers…

La montagne a des plis musicalement vagues…

 Tes lèvres ont l’inflexion d’un rire amer.

Lasse d’éloges faux, lasse de calomnies,

 Tu te hâtes vers l’ombre aux roses infinies ;

Sous tes doigts doriens pleurent les harmonies ;

 Tes regards ont le bleu complexe de la mer.

Les vierges se reflètent, tiédeur parfumée,

L’une dans l’autre, ainsi qu’en un vivant miroir.

 Tu regrettes et tu cherches, parmi l’or noir,

Des yeux et des cheveux assombris par le soir,

Atthis, la moins fervente, Atthis, la plus aimée…

 

Les Mangeurs d’herbe

C’est l’heure où l’âme famélique des repus

Agonise, parmi les festins corrompus.

Et les Mangeurs d’herbe ont aiguisé leurs dents vertes

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Sur les prés d’octobre aux corolles larges ouvertes,

Les prés d’un ton de bois où se rouillent les clous…

Ils boivent la rosée avec de longs glouglous.

L’été brun s’abandonne en des langueurs jalouses,

Et les Mangeurs d’herbe ont défleuri les pelouses.

Ils mastiquent le trèfle à la saveur du miel

Et les bleuets des champs plus profonds que le ciel.

Innocents, et pareils à la brebis naïve,

Ils ruminent, en des sifflements de salive.

Indifférents au vol serré des hannetons,

Nul ne les vit jamais lever leurs yeux gloutons.

Et, plus dominateur qu’un fracas de victoires,

S’élève grassement le bruit de leurs mâchoires.

 

A la Florentine

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Entre tes seins blêmit une perle bizarre.

 Tu rêves, et ta main curieuse s’égare

Sur les algues de soie et les fleurs de satin.

 J’aime, comme un péril, ton sourire latin,

 Tes prunelles de ruse où l’ombre se consume

Et ton col sinueux de page florentin.

 Tes yeux sont verts et gris comme le crépuscule.

Insidieusement ton rire dissimule

La haine délicate et le subtil courroux.

 Tes cheveux ont les bruns ardents des rosiers roux,

Et ta robe au tissu mélodieux ondule

Ainsi qu’une eau perfide où chantent les remous.

Les pieuvres du printemps guettent les solitudes ;

Le musical avril prépare ses préludes ;

Le gouffre des matin et l’abîme des soirs

S’entrouvrent ; les désirs, pareils aux désespoirs,

M’entraînent vers les sanglotantes lassitudes

Que la perversité parsème d’iris noirs.

 

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Le Dédain de Psappha

Vous n’êtes rien pour moi.

Pour moi, je n’ai point de ressentiment,

mais j’ai l’âme sereine.

Psappha

Vous qui me jugez, vous n’êtes rien pour moi.

 J’ai trop contemplé les ombres infinies.

 Je n’ai point de l’orgueil de vos fleurs, ni l’effroi

De vos calomnies.

Vous ne saurez point ternir la piété

De ma passion pour la beauté des femmes,

Changeantes ainsi que les couchants d’été,

Les flots et les flammes.

Rien ne souillera les fonts éblouissants

Que frôlent mes chants brisés et mon haleine.

Comme une Statue au milieu des passants,

 J’ai l’âme sereine.

 

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Paysage d’après El Greco

Parmi le boréal silence, le zénith

Irradie âprement aux jardins d’aconit.

Enigmes et remords, les yeux des Nyctalopes

Reflètent la perplexité des horoscopes,

Et les musiciens, frères des Séraphim,

Ecoutent murmurer la harpe d’Eloïm.

De glauques nénuphars charment le regard fixe

D’une perverse Ondine éprise d’une Nixe.

Et l’écho jette au vent le rire des sabbats,

L’effroi des lits pareils à des champs de combats.

Les tentes d’écarlate où dorment les bourrasques

Crèvent sur le repos seigneurial des vasques.

 Trouant l’opacité démente, le zénith

Irradie âprement aux jardins d’aconit.

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Le Labyrinthe

 J’erre au fond d’un savant et cruel labyrinthe…

 Je n’ai pour mon salut qu’un douloureux orgueil.

Voici que vient la Nuit aux cheveux d’hyacinthe,

Et je m’égare au fond du cruel labyrinthe,

O Maîtresse qui fus ma ruine et mon deuil.

Mon amour hypocrite et ma haine cynique

Sont deux spectres qui vont, ivres de désespoir ;

Leurs lèvres ont ce pli que le rictus complique :

Mon amour hypocrite et ma haine cynique

Sont deux spectres damnés qui rôdent dans le soir.

 J’erre au fond d’un savant et cruel labyrinthe,

Et mes pieds, las d’errer, s’éloignent de ton seuil.

Sur mon front brûle encor la fièvre mal éteinte…

Dans l’ambiguïté grise du Labyrinthe,

 J’emporte mon remords, ma ruine et mon deuil.

 

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Les Oripeaux

 Je ne danserai pas sur ton tréteau banal,

Avec tes histrions et tes prostituées.

Lorsque fermente en moi la tristesse du vin,

 J’erre, exagérant mon verbe de pitre,

Mentant comme un prêtre et comme un devin

Ma loquacité pérore et chapitre

Devant la foule aux remous de troupeau

Que le sifflement des fifres taquine.

De mes vers, pareils à des oripeaux,

 J’ai drapé follement tes membres d’arlequine.

Découvre à l’air des nuits tes seins prostitués.

Sur les murs la foule a groupé ses fresques.

Mes gestes fiévreux sont accentués

Par l’explosion des tambours burlesques.

 Je tourne mes yeux sottement épris

Vers ton corps lascif, que l’amour efflanque.

Car nous endurons un égal mépris,

O toi la danseuse ivre, ô moi la saltimbanque.

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Des souffles cauteleux éteignent les quinquets…

 Tels des haillons, sous leur clinquant de rimes,

Puant la sueur et les vieux bouquets,

Mes vers ont gardé tes chaleurs intimes.

Mes vers sont pareils à des oripeaux.

Ah ! ce beuglement d’affreuses musiques

D’orgues, cette odeur de crasse et de peaux !

Ce spectacle effronté de nos âmes publiques !

 

Les Lèvres pareilles

L’odeur des frézias s’enfuit

Vers les cyprès aux noirs murmures…

La brune amoureuse et la nuit

Ont confondu leurs chevelures.

 J’ai vu se mêler, lorsque luit

Le datura baigné de lune,

Les cheveux sombres de la nuit

Aux cheveux pâles de la brune.

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La fin balsamique du jour,

Blonde de frelons et d’abeilles,

Perçoit, dans un baiser d’amour,

La beauté des lèvres pareilles.

L’odeur des frézias s’enfuit

Vers les cyprès aux noirs murmures…

La brune amoureuse et la nuit

Ont confondu leurs chevelures.

 

Faste des Tissus

Estompe ta beauté sous le poids des étoffes,

Plus souples que les flots, plus graves que les strophes.

Elles ont la caresse et le rythme des mers,

Et leur frisson s’accorde au blanc frisson des chairs.

Revêts le violet des antiques chasubles,

Parsemé de l’éclair des ors indissolubles.

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L’encens apaise encor leurs plis religieux ;

Elles aiment les Purs et les Silencieux.

Evoque, Océanide aux changeantes prunelles,

Le vert glauque où frémit l’écume des dentelles.

 Jadis la gravité du velours se plia

Sur les seins de pavot et de magnolia.

Le satin froid, où la ligne se dissimule,

Gris comme l’olivier fleuri du crépuscule,

Et la moire, pareille au sommeil de l’étang,

Où stagnent les lys verts et les reflets de sang,

Le givre et le brouillard des pâles broderies,

Où les tisseuses ont tramé leurs rêveries,

Parèrent savamment ta savante impudeur

Et ton corps où le rut a laissé sa tiédeur.

Ressuscite pour moi le lumineux cortège

De visions, et sois l’arc-en-ciel et la neige,

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Sois la vague, ou la fleur des bocages moussus,

O Loreley, selon la couleur des tissus.

Mes rêves chanteront dans l’ombre des étoffes,

Plus souples que les flots, plus graves que les strophes.

 

Litanie de la Haine

La Haine nous unit, plus forte que l’Amour.

Nous haïssons le rire et le rythme du jour,

Le regard du printemps au néfaste retour.

Nous haïssons la face agressive des mâles.

Nos cœurs ont recueilli les regrets et les râles

Des Femmes aux fronts lourds, des Femmes aux fronts pâles.

Nous haïssons le rut qui souille le désir.

Nous jetons l’anathème à l’immonde soupir

D’où naîtront les douleurs des êtres à venir.

Nous haïssons la Foule et les Lois et le Monde.

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Comme une voix de fauve à la rumeur profonde,

Notre rébellion se répercute et gronde.

Amantes sans amant, épouses sans époux,

Le souffle ténébreux de Lilith est en nous,

Et le baiser d’Eblis nous fut terrible et doux.

Plus belle que l’Amour, la Haine est ma maîtresse,

Et je convoite en toi la cruelle prêtresse

Dont mes lividités aiguiseront l’ivresse.

Mêlant l’or des genêts à la nuit des iris,

Nous renierons les pleurs mystiques de jadis

Et l’expiations des cierges et des lys.

 Je ne frapperai plus aux somnolentes portes.

Les odeurs monteront vers moi, sombres et fortes,

Avec le souvenir diaphane des Mortes.

 

Virgo Hebraïca

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 Tu m’apportes l’ardeur des nuits de Palestine.

Sur ton front, serein comme un feu d’autel,

Brûle, sceau mystique, empreinte divine,

La gloire de ta race, ô fille d’Israël !

 Ton corps a les parfums du corps de Bethsabée,

Pâleur de lotus et de nénuphar.

Un saphir frémit, tel un scarabée,

Sur tes cheveux pareils aux cheveux de Tamar.

Et tes bras arrondis semblent porter l’amphore,

Ainsi que les bras nus de Rébecca.

Devant l’ennemi que ton peuple abhorre

 Ta bouche a proféré le cri mortel : raca.

La soif d’Agar a fait trembler tes lèvres noires.

Debout, et bravant la lune au zénith,

 Tu m’appris le chant rouge des victoires,

Le rire de Jahel, les baisers de Judith.

 Tu m’apportes l’ardeur des nuits de Palestine.

Sur ton front, serein comme un feu d’autel,

Brûle, sceau mystique, empreinte divine,

La gloire de ta race, ô fille d’Israël !

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Pour Une

Quelqu’un, je crois, se souviendra dans

L’avenir de nous.

Mon souci.

Psappha

Dans l’avenir gris comme une aube incertaine,

Quelqu’un, je le crois, se souviendra de nous,

En voyant brûler sur l’ambre de la plaine

L’automne aux yeux roux.

Un être parmi les êtres de la terre,

O ma Volupté ! se souviendra de nous,

Une femme, ayant à son front le mystère

Violent et doux.

Elle chérira l’embrun léger qui fume

Et les oliviers aussi beaux que la mer,

La fleur de la neige et la fleur de l’écume,

Le soir et l’hiver.

Attristant d’adieux les rives et les berges,

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Sous les gravités d’un soleil obscurci,

Elle connaîtra l’amour sacré des vierges,

Atthis, mon Souci.

 

Intervalle crépusculaire

 Tes yeux sous tes cheveux sont comme des poignées

De rayons à travers des toiles d’araignées.

 Ton sourire d’été, que l’aube colora,

Est pareil au sourire orgueilleux de Sara.

Mon regard s’hypnotise à cette fauve boucle

Où le divin saphir épouse l’escarboucle.

 Tes parfums indiens, tes onguents et tes fards

Etonnent la candeur simple des nénuphars.

La haine de l’amour et l’amour de la haine

Se partagent mon cœur et mon âme incertaine.

La bienfaisante Mort montre d’un pâle index

La colline lunaire où blondit le silex.

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Au lointain s’exaspère et s’exalte un arpège.

 Je veux purifier mon âme dans la neige…

Vois, plus belle que le puéril Adonis,

Mourir Adonéa dans un linceul de lys.

 

Chevauchée

Les Ondines, ceignant les roseaux bleus du fleuve,

Ont des chansons de vierge et des sanglots de veuve.

Leurs gemmes sont les pleurs lumineux du passé.

Le Griffon s’alanguit en un songe lassé ;

Sur ses paupières a pesé la somnolence,

Et ses ongles d’onyx ont rayé le silence.

Ouvre tes ailes, prends l’essor, ivre du vin

Des automnes et des couchants, Monstre divin,

Sombre lion ailé, plus beau que la Chimère !

Chastement dédaigneux de la grâce éphémère,

 Tu flattes ta hideur orgueilleuse, qui dort

D’un noir sommeil parmi les neiges de la Mort.

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 Tes regards jaunes ont défié la lumière,

Et sur ton col, où ne fume point de crinière,

Une glauque nageoire ondule vers les flots.

Fuyant la lâcheté des antiques sanglots,

 Je tresserai les fleurs vertes du sycomore…

Emporte-moi jusqu’aux limites de l’aurore !

 

La Dogaresse

UN ACTE EN VERS

SCENE PREMIERE

 

Le palais des Doges. Fenêtres ouvertes sur la lagune. On entend delointains accords de luths et de mandolines.

GEMMA

O Venise ! J’ai l’âme ivre des sérénades :

La musique a brûlé mes lèvres et mon front.

Les barques où, parmi la pourpre des grenades,

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Rougit le rose frais des pastèques, s’en vont

Sous la brise du soir ivre de sérénades.

VIOLA

Le crépuscule, las de regrets et d’espoir,

Mire ses roux cheveux et ses yeux d’un bleu noir…

Il m’apparaît ainsi qu’une femme fantasque,

Une femme voilée et riant sous le masque,

Que tente l’amoureuse aventure du soir.GEMMA

Mon cœur se ralentit, obscurément fantasque,

Selon le glissement des gondoles… Le soir

S’approche, souriant à demi sous son masque.

Les luths s’interrompent brusquement

VIOLA

Ah ! les luths se sont tus !GEMMA, écoutant

Voici, dans le couloir,

Un bruit de soie et d’or…On entend un frisson de robe. Voici laDogaresse…

L’ombre de son regard mystérieux m’oppresse

Comme l’eau morte aux pieds rayonnants de la mer.VIOLA, comme ensonge

L’eau morte aux plis dormants…GEMMA, la rappelant à la réalité

Voici la Dogaresse…VIOLA, comme en songe

La contemplation des lagunes l’oppresse.

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 Je redoute la froideur pâle de sa chair

Et de ses yeux…Elle recule comme saisie par un pressentiment.

 

SCENE II

La Dogaresse entre. Elle va vers la fenêtre. Pendant tout l’acte, ses yeux

restent fixés sur l’eau du canal.

 

LA DOGARESSE

 J’ai trop contemplé des lagunes.

 J’ai trop aimé leurs eaux sans remous, leurs eaux brunes ;

Elles m’attirent comme un désastreux appel…

 Je ne défaille plus sous le charme cruel

Des accords et des chants… L’eau morte a pris mon âme.

GEMMA

Les luths qui suppliaient, ainsi qu’un vaste appel,

Les voix qui s’exaltaient, plus vives qu’une flamme,

Ne font plus tressaillir le palais, telle une âme.

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LA DOGARESSE

 J’ai fait taire les luths… Le silence des eaux

A plus de volupté que les sons les plus beaux…

Ah ! silence éternel où s’enlise mon âme !…

VIOLA, dans un cri d’effroi :

Oh ! ne contemplez pas les lagunes !

LA DOGARESSE, à Viola :

Dis-moi,

N’as-tu point vu, sur l’eau sans clartés et sans voiles,

Un mystère d’azur et d’étranges étoiles ?

Vers la nuit, n’as-tu point frissonné, comme moi,

D’un immense désir dans un immense effroi ?

GEMMA, s’approchant de la fenêtre :

Le ciel bariolé détruit ses mosaïques,

Il s’effrite, il s’effondre…

LA DOGARESSE

O graveViola,

N’as-tu point frissonné quand le soir révéla

Les verts hallucinants et les bleus magnétiques

De l’eau morte, les bleus d’abîmes et les verts

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S’insinuant en nous comme un songe pervers ?…

Ah ! l’eau morte !…

VIOLA

Mais la stupeur de l’automne ivre !

Le couchant qui s’affirme en des clameurs de cuivre

Et qui s’éteint, plus doux qu’un musical soupir !

Les murs où, comme un sphinx, le soir vient s’accroupir…

Les vignes de la nuit, fiévreuses et funèbres,

Où sourd confusément le vin noir des ténèbres !GEMMA

On croit voir refluer votre ondoyant manteau

Sur un rythme pareil au roulis d’un bateau.

LA DOGARESSE, comme hallucinée

L’onde nocturne m’a dévoilé ce mystère :

Une mort amoureuse et pourtant solitaire,

Un silence oublieux où dorment les sanglots,

Un sommeil violet dans la pourpre des flots…

GEMMA

Détournez vos regards fébriles !…

LA DOGARESSE

L’eau m’appelle…

L’eau m’attire…

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GEMMA, suppliante

Madone…

VIOLA

Oh ! vous êtes plus belle

Qu’au matin nuptial et bleu de Séraphim

Où riaient, à travers l’encens de la nef grise,

La harpe d’Azraël et le luth d’Eloïm,

Où les cloches jetaient leurs lys d’or sur Venise !La Dogaresse sortlentement

GEMMA

La lumière qui meurt à l’Occident se brise,

Et le soir s’engourdit en son verger d’azur.

VIOLA

Au fond de ma tristesse il sommeille une joie.

UNE VOIX DE FEMME, du dehors

Elle se noie !

VOIX DE LA FOULE.

Elle se noie !

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VIOLA, dans un grand cri

Elle se noie !

Mon âme se débat comme en un rêve obscur…

GEMMA

Comme elle, qui s’en va vers la mer, j’agonise…

L’eau replie en rampant ses mille anneaux d’azur

Sur celle que j’aimais…

VIOLA

Les lagunes l’ont prise.

 

Les cygnes sauvages

CHANSON NORVEGIENNE

CHŒUR

Comme un vol de cygnes sauvages,

Battements d’ailes vers le Nord,

Passe le vol des blancs nuages,

Chassés par la bise qui mord.

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RECIT

Viens, nous respirerons les parfums de la neige.

Les brumes auront le bleu de tes regards froids.

 Tes cheveux sont la nuit des sapins, et ta voix

Est l’écho des sommets que la tempête assiège.

CHŒUR

Comme un vol de cygnes sauvages,

Battements d’ailes vers le Nord,

Passe le vol des blancs nuages,

Chassés par la bise qui mord.

RECIT

Les yeux lointains des loups guetteront ton sommeil.

Le vent victorieux et la mer magnanime

Rafraîchiront ton front où l’espoir se ranime :

 Tu te réjouiras de la mort du soleil.

CHŒUR

Comme un vol de cygnes sauvages,

Battements d’ailes vers le Nord,

Passe le vol des blancs nuages,

Chassés par la bise qui mord.

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RECIT

Viens, l’écho des sommet que la tempête assiège

Vibre dans la candeur farouche de ta voix…

Viens, nous effeuillerons les rires d’autrefois,

Viens, nous respirerons les parfums de la neige.

CHŒUR

Comme un vol de cygnes sauvages,

Battements d’ailes vers le Nord,

Passe le vol des blancs nuages,

Chassés par la bise qui mord.

RECIT

A travers une nuit plus sainte que la mort,

 Tu glisses pâlement, tel un cygne sauvage,

O Svanhild ! et l’on voit sur on profond visage

L’héroïque blancheur des Neiges et du Nord.

CHŒUR

 Je prendrai comme les nuages

Chassés par la bise qui mord,

Et comme les cygnes sauvages,

Mon élan vers le ciel du Nord.

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Les Morts aveugles

Les Morts aveugles sont assis dans les tombeaux,

Ils ouvrent leurs yeux larges et stupides

Devant la lueur rouge des flambeaux,

Et leurs yeux béants sont des gouffres vides…

Dardant vers la nuit leurs regards stupides,

Les Morts aveugles sont assis dans les tombeaux.

 Je viendrai m’accroupir sur la pierre lépreuse

Où la fièvre suinte en âcres moiteurs.

 Tel qu’un faux soupir de fausse amoureuse,

Le jour éteindra ses rayons menteurs.

Dans l’ombre exhalant ses lourdes moiteurs,

 Je viendrai m’accroupir sur la pierre lépreuse.

Mais je retrouverai mes regards d’autrefois,

 Je te reverrai de mes yeux d’aveugle.

Comme un mâle en rut qui brame et qui beugle,

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 Je ferai crier tes os sous mon poids…

Et, tournant vers toi ma prunelle aveugle,

L’amour rallumera mes regards d’autrefois.

 Tu viendras t’accroupir sur la pierre lépreuse

Et geindre parmi les âcres moiteurs,

Et tes faux soupirs de fausse amoureuse

Ressusciteront nos baisers menteurs.

Dans l’ombre exhalant de lourdes moiteurs,

Nous nous accroupirons sur la pierre lépreuse.

 

Les Vendeuses de Fleurs

Elles attendent, dans l’or bleu d’un réverbère,

Quand la nuit des cités tragiques délibère

Au pied d’un réverbère.

Elles attendent… Et, frissonnant de dégoût,

Les Fleurs, sous leurs doigts gris, leur haleine d’égout,

Ont blêmi de dégoût.

L’âpre fraternité de leurs petites haines

Epie en frémissant les Vendeuses obscènes

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Que menacent leurs haines.

Les violettes ont une âme de venin…

Les lilas, affectant un sourire bénin,

Composent leur venin.

Les Vendeuses, mâchant des relents de rogommes,

Roulent leurs yeux pareils aux yeux rouges des hommes

Où luisent les rogommes.

Maléfiques, les Fleurs distillent l’opium

Et le haschisch de leurs parfums… Le simple rhum

S’aiguise d’opium.

Les Fleurs font miroiter leurs gloires orgiaques

Dans la boue, et font rire, au creux sombre des flaques,

Les rêves orgiaques.

Les Fleurs ont recueilli les miasmes du Sud.

Leur mémoire, profonde ainsi qu’un soir Talmud,

Sait les poisons du Sud.

Les Vendeuses, avec des rires d’hystériques,

 Jettent, en éructant leurs impudents cantiques,

Des appels d’hystériques,

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Et leur bave sanglante a souillé le trottoir…

Les Vendeuses, avec des clameurs d’abattoir,

Roulent sur le trottoir.

 

La Douve

L’aube a des pas furtifs de louve

Et des yeux de chacal…

De mes mains j’ai creusé la douve ;

 J’ai bâti, sans vassal,

La tour aux murs noirs qui t’encloître.

 Ton épouvante voit s’accroître,

Pareil à l’enflure d’un goitre,

Mon amour féodal.

Que m’importe ton regard triste,

Moiré, tel un pigeon ?

Qu’importe à mon trouble égoïste

Le rosier sans bourgeon ?

 Je suis aussi lâche qu’un homme

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Et je t’ordonne et je te somme

De languir en mes baisers comme

En un étroit donjon.

Et je maintiendrai sur ton sexe

Mon droit de suzerain :

 Tu briseras ton front complexe

Contre mon front d’airain.

Lasse de voir tomber la brume

D’un ciel malade d’amertume,

Dans l’ombre où l’espoir se consume,

 Tu périras de faim.

 

Explicit Liber Veneris Caecorum

Dans le frais clair-obscur bleuissent des lumières :

Viens rêver de la Mort… J’adore tes paupières.

Les siècles ont glissé sur nos fronts endormis,

Plus légers et plus doux que des rires amis…

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Et le ruissellement des feuilles de pivoine

Pleut dans notre cercueil d’onyx et de sardoine.

Large comme l’amphore aux mains de Rébecca,

 Ton flanc pâlit parmi les pleurs d’harmonica.

Autour de nous s’attarde un souffle de miracles :

C’est l’heure où se répand la paix des tabernacles.

Les cyprès et les ifs aux silences dévots

Gardant l’urne d grès où dorment les pavots.

Chère, la mort aux mains ouvertes et prodigues

Accueille indulgemment le poids de nos fatigues,

La Mort qui se détache, ainsi qu’un bas-relief,

Aux murs de ce tombeau plus vaste qu’une nef.

Dans la bénignité du soir et des lumières,

Viens rêver de la Mort aux divines paupières.

Accueil

 

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http://www.reneevivien.com/images/page%27poemes%27_01.gif Oeuvrepoétique

Accueil

 

Kitharèdes,

1904

 

Korinna

Myrtis

 Télésilla

Eranna

Ode à la Force

Damophyla de Pamphylie

 Telesippa

Nossis

A Eros

Epitaphe sur Rhinthon

A Héra

Sur l’image de Sabaithis

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Sur le réseau de Samytha

Sur une image d’Aphrodita

Praxilla

Poème d’Amour

Anyta de Tegee

Anyta de Mytilène

Sur un dauphin

Moiro

Sur les Nymphes de l’Anigros

Charixéna

Kléobulina

 

Korinna

Pour tes… Hermès lutte un jour contre Arès.

Grondant à la vérité fortement de colère…

Et lui, s’étant montré, à la vérité détruisit la ville

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… est battu par des haches

Grondant en vérité d’une forte colère,

L’Arès un jour lutta contre l’Hermès ailé,

Pour ton rire, Aphrodite immortellement claire

Qui disposais ton corps sur le lit étoilé.

Les héros combattaient auprès des héroïnes,

Une pourpre de meurtre embrasait le Levant :

Mais toi, tu fis chanter les écailles divines,

Indifférence au choc des haches, et rêvant.

Les glorieux vaincus ensanglantaient l’argile :

La lance de l’Arès brûla, comme un éclair.

S’étant montré, terrible, il détruisit la ville.

Et toi, tu souriais de voir briller la mer.

 

Et quelqu’un chantant de façon douce…

La terre est comme un vase étrusque,

Fond rouge et dessin noir :

Dans la plaine où l’ombre s’embusque,

Déméter vient s’asseoir ;

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La flèche du couchant s’émousse

Sur les lichens et sur la mousse.

Quelqu’un, chantant de façon douce,

A traversé le soir.

La nuit hésite sur le porche

D’onyx et de lapis,

Et la résine de sa torche

A des parfums d’iris.

Du crépuscule vert émerge

Quelqu’un chantant comme une vierge,

Et le mélilot de la berge

Connaît ton pas, Myrtis.

 Tes doigts caressent le kithare,

Cherchant le rythme exact :

Sous la langueur du toucher rare

Surgit l’hymne compact.

 Tu te plais au beau simulacre

De la victoire et du massacre,

Et, plus rayonnant que la nacre,

Brille ton corps intact.

La terre est comme un vase étrusque,

Fond rouge et dessin noir :

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Dans la plaine où l’ombre s’embusque,

Déméter vient s’asseoir ;

La flèche du couchant s’émousse

Sur les lichens et sur la mousse.

Quelqu’un, chantant de façon douce,

A traversé le soir.

 

Est-ce que tu dors sans interruption ?

En vérité, tu n’étais point avant, Korinna…

Dors-tu docilement dans le lit des années,

Musicienne dont la harpe résonna

 Jusqu’au Temple très noir des sombres Destinées ?

N’étais-tu pas, avant, l’ardente Korinna ?

Se peut-il que l’Hadès aveugle te possède,

Et dont les yeux riaient du rire des bluets

Et des blés mûrs ?… O toi qui fus la Kitharède,

Dors-tu parmi les morts et leurs paktis muets ?

Les champs, que le soleil d’été martèle et frappe,

 Te virent cependant, dans ta jeune beauté,

Dénouer tes cheveux où saignait une grappe

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Et célébrer la vigne où s’empourpre l’été !

Un souffle olympien soulevait ta poitrine,

 Tu chantais, et l’ardeur de ton vers étonna

La Parthène rigide et chryséléphantine…

En vérité, dors-tu, toi qui fus Korinna ?

 

… devant chanter de belles récompenses pour

les femmes de Tanagra aux blancs péplos : et ma

ville s’est grandement réjouie de mes chants au

babil harmonieux.

Des roses ont neigé sur la plaine éblouie.

Dans l’air résonne encore un triomphe subtil ;

Ma ville s’est hier grandement réjouie

De mes chants de femme à l’harmonieux babil.

Les échos de ma lyre animaient les silences

 J’étais déjà pareille aux rigides Paros,

Et mes strophes étaient vos belles récompenses,

Vierges ceintes de fleurs, femmes aux blancs péplos.

 J’ai loué la valeur des graves héroïnes

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Que l’immortelle main de Pallas consacra.

La foule aimait en moi les Piérides divines,

Et ma gloire épousait ta gloire, ô Tanagra.

 

 Thespia, de belle race, hospitalière, aimée des Muses…

Effeuillons les lauriers noirs comme tes prunelles,

 Thespia ! moissonnons le myrte et le cerfeuil,

Car, pour glorifier tes paupières très belles,

Les Piérides tressaient leurs roses sur ton seuil.

Les pâtres te louaient, femme de belle race,

Et t’apportaient les fruits dorés de la saison.

Les étoiles brillaient, moins claires que ta face :

 Tu fus hospitalière en ta noble maison.

Dans tout le glorieux pays, depuis l’aurore,

Les Aèdes ont célébré tes sourcils bruns.

La phorminx aux mains des Kitharèdes t’honore

Pour ta sagesse et ton sourire et tes parfums.

 

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… Et je blâme aussi la mélodieuse Myrtis

de ce que, étant femme, elle entra en rivalités avec Pindare.

Oh ! les flots empourprés que frappent les rameurs,

Et la Mort qui grimace à travers les murailles !

Pourquoi, Myrtis, jeter les sanglantes clameurs

Des buccins dominant le fracas des batailles ?

La gloire est un flambeau que le silence éteint.

O Myrtis, la victoire est une courtisane,

Et celui qui la frappe est celui qui l’étreint.

Le sage a le dégoût de son baiser profane.

Chante le soir, l’ampleur des collines et l’air

Pacifique, le temple où pâlit la pensée,

Et le flot qui frémit, plus troublant que la chair…

 Ta voix consolera l’Aphrodite blessée.

Car la voix d’une femme, ô Myrtis, doit savoir

Moduler lentement ses langueurs incertaines,

Elle doit s’allier au silence du soir

Et se mêler au frais murmure des fontaines.

 

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Myrtis

Le soir nuançait l’or d’Hellas

De pourpre égyptienne :

 J’offris la coupe d’Hypocras

A la Musicienne…

Elle errait en riant, auprès

Des aloès et des cyprès

Et des roches aux bleus de grès,

Myrtis l’Ionienne.

Elle évoquait les bords du Styx,

Les asphodèles jaunes,

Où les sphinx aux ongles d’onyx

S’étirent près des Faunes,

Et dans la strophe, comme un choc

De boucliers d’or contre un roc

Où le marbre sommeille en bloc,

Luttaient les Amazones.

La mélodieuse Myrtis

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Aux paupières divines,

Livre ses cheveux de maïs

Aux brises des collines.

Elle ressuscite, à travers

La blancheur de ses nobles vers,

Vigoureux comme les hivers,

L’âme des héroïnes.

 J’offris la coupe d’hypocras

A la Musicienne,

Dont le vers mêle aux ors d’Hellas

La pourpre égyptienne,

A la vierge qui passe auprès

Des aloès et des cyprès

Et des roches aux bleus de grès,

Myrtis l’Ionienne.

 

 Télésilla

Cette Artémis, ô vierges, fuyant Alphéos…

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Cette Artémis, fuyant le désir mâle, ô vierges,

 Tourna vers le lointain du sud ses yeux lassés.

Et ses pieds fugitifs illuminaient les berges,

Foulant avec dégoût les couples enlacés.

Ses longs rayons aigus perçaient l’ombre des rives

Et dardaient les venins, les terreurs et les maux,

Sur les hommes en rut et les femmes passives,

Luttant et se mêlant comme les animaux.

Car son orgueil se plaît aux jeux chastes et rudes

De la course à travers le ravin et le pré ;

Elle cherche l’effroi des larges solitudes

Où nul souffle mortel ne trouble l’air sacré.

 

Eranna

Pompilos, poisson qui envoies aux matelots

une heureuse navigation, puisses-tu escorter du

côté de la poupe ma tendre Maîtresse !

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Pour que le vent soit doux comme ma caresse,

O poisson de bon augure, Pompilos,

Escorte la nef de ma tendre maîtresse,

Orgueil de Lesbos.

Nage assidûment du côté de la poupe,

Et vois rayonner son visage divin…

Ses yeux sont des fleurs, ses lèvres, une coupe

De miel et de vin…

Escorte, jusqu’à la rive de Phocée,

Ma Maîtresse au front couronnée de cerfeuil…

Les thrènes, devant sa maison délaissée,

Gémissent leur deuil…

Pour que le vent soit doux comme ma caresse,

O poisson de bon augure, Pompilos,

Escorte la nef de ma tendre maîtresse,

Orgueil de Lesbos.

 

De tes enfantines mains, ces traits

Ces dessins, labeur de tes mains enfantines,

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Evoquent le seuil fleuri de mélilot,

Où les chants venus des lointaines collines

 Traînaient leurs sanglots.

Les vierges d’Hellas cachent leur clair visage,

Etoiles devant la lune dans son plein,

Devant tes pieds nus, devant ton doux langage,

 Ton rire serein.

Ces lettres, labeur de tes mains enfantines,

Ont le charme vain et tendre d’un écho…

Dans l’ample Lydie aux limpides collines

S’attarde Myrô.

 

Excellent Prométhée, il y a aussi des humains qui t’égalent en habileté :qui que ce soit qui véritablement ait dessiné cette vierge, si l’on eûtajouté aussi la voix, c’était Agatharchis tout entière.

Celle qui grava ces paupières décloses

Ainsi que des fleurs, ces beaux doigts sans anneau,Ce corps puéril, plus tendre que les roses,

Plus souples que l’eau,

Eût-elle ajouté la voix qui sollicite

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Et qui persuade, ainsi que le paktis,

Elle eût évoqué la splendeur d’Aphrodite

Et d’Agatharchis.

 

Vous qui parlez peu, femmes aux cheveux

blancs, vous, fleurs de la vieillesse pour les mortels…

Femmes aux cheveux blancs que l’hiver caresse,

Vous que réjouit l’intimité du feu

Et du crépuscule, ô fleurs de la vieillesse,

Vous qui parlez peu,

Vous avez la paix candide des années,

Vous êtes le chœur des vivants souvenirs :

Douces, vous tressez les couronnes fanées

Des anciens désirs.

Vous vous attardez, comme autrefois, aux porches

Où Phoibos blondit la mousse et les lichens,

Et vous allumez en souriant les torches

Rouges des hymens.

Vous aimez l’automne aux yeux bruns et la rouille

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Des portes où le vent laisse un parfum salin :

Vous filez, au chant de votre humble quenouille,

La neige du lin.

La vierge respecte et craint votre sagesse,

Et votre saut est lent comme un adieu,

Femmes aux cheveux blancs, fleurs de la vieillesse,

Vous qui parlez peu…

 

De ce côté, le vain écho traverse à la nage (le

fleuve) vers l’Hadès ; le silence (demeure) chez

les morts, et l’ombre s’empare des yeux.

Le vain écho nage aveuglément vers l’ombre

Où les plus beaux chœurs ne sont qu’un remous bref,

Où le souvenir le plus cher plonge et sombre

Ainsi qu’une nef.

Lasse, la pleureuse, ivre de somnolence,

Auprès d’une stèle épuise ses transports ;

La cruche de deuil est vide, et le silence

Règne chez les morts.

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La myrrhe, fumant dans l’or des cassolettes,

Ne réjouit plus les jardins d’aloès ;

Les vierges sans voix tressent les violettes

Blanches de l’Hadès.

Les baromos se sont tus sous les acanthes…

Rouillés et pareils à des miroirs ternis,

Les flots du Léthé reflètent les Amantes

Aux bras désunis.

Perséphoné tisse en des trames funèbres

Les fils brisés des espoirs et des adieux.

Elle seule veille et songe, et les ténèbres

S’emparent des yeux.

 

Doux fut ce labeur d’Erinna…

Le couchant rougit, de son faste

Cruel, ton bleu péplos,

Qui, dans ses plis, à l’ampleur chaste

Et simple du Paros,

Et tes cheveux de Néréide,

Dont Psappha chantait l’or fluide,

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 Tremblent sous le vent qui les ride,

Eranna de Télos.

Les nefs aux frissons de fantômes

Dardent leurs mâts pointus ;

Les aromates et les baumes

Concentrent leurs vertus ;

 Tandis que s’empourpre la plaine,

Pâle, tu suspends ton haleine,

Et tes yeux cherchent Mytilène

Dont les chœurs e sont tus.

Au-delà des rouges collines

S’irisent les embruns :

 Tu souris aux mains enfantines

Que baignent les parfums,

Aux mains qui, par les soirs d’opales,

Gravaient ces lettres musicales,

Gazouillant comme les cigales

Ivres de verts parfums.

Les pipeaux qu’un satyre affûte

S’argentent, et le bruit

D’eaux et de feuilles de la flûte

Susurre et coule et fuit.

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 Ton âme d’amoureuse écoute

Les voix errantes sur la route,

Et, prophétique, elle redoute

L’approche de la nuit.

 

Cependant elle n’est point perdue pour la

mémoire des hommes, ni cachée sous

l’aile ombreuse de la nuit noire.

L’heure ardente et solennelle,

Et Psappha, se penchant

Vers Eranna, pleure comme elle

L’Adonis du couchant.

Parmi l’éclair des bandelettes

Et les tiédeurs des cassolettes,

La Tisseuse de Violettes

 Trame les fleurs du chant.

Au lointain, l’aimable hirondelle

Pointe et darde son vol,

Et les prés ont la sauterelle

Pour humble rossignol.

La vague meurt dans une étreinte ;

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Sur la montagne, l’hyacinthe

Ensanglante de pourpre éteinte

La matité du sol.

Psappha tourne vers sa disciple

Son regard vaste et doux,

Profond comme le soir multiple

Sur l’onde sans remous.

Elle parle, et l’ombre révère

La beauté de son front sévère :

Quelqu’un, dans l’avenir larvaire,

Se souviendra de nous.

 

Ode à la Force

Fille de l’Arès, Constance belle et rude,

 Tes yeux, où l’effroi du passé brûle encor,

Sont pareils aux yeux noirs de la solitude

Sous ton réseau d’or.

Dans un ciel massif tu demeures, mortelle,

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L’infini dans tes regards extasiés,

Que Sélanna règne ou que Phoibos attelle

Ses fougueux coursiers.

Un pâle troupeau d’âmes crépusculaires,

Réprimant les pleurs et les lâches sanglots,

 T’obéit, ô toi qui brises les colères

Lascives des flots.

 Tu vois sans terreur la tempête qui fume

Et le sang futur empourprer le Levant,

 Toi qui sais dompter le tonnerre et l’écume

Et le cri du vent.

Le Temps détruira les Dieux, mais le Temps même

Ne changera pas ton sourire d’airain :

 Tu sais opposer à l’Ananké suprême

 Ton mépris serein.

O toi l’Invaincue, ô toi l’Inaccessible,

 Tes paupières ont le doux pli de la mort ;

 Tu sembles rêver, telle en son lit paisible

La vierge qui dort.

 Tes Tempes sans fleurs ont dédaigné la palme.

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Le couchant a moins de paix que ton orgueil,

Et le rocher moins de grandeur et de calme

Que ton grave seuil.

Semblable à la nuit où s’éteignent les flammes

Et les roux éclairs de l’astre révolté,

Enseigne aux héros l’endurance des femmes

Et leur loyauté.

 

Damoyla de Pamphylie

L’ombre bleuit les monts sacrés

D’où Phoibé, lente, émerge.

Ses rayons coulent sur les prés

Comme l’eau sur la berge.

Pareil aux Pommes d’Or, le fruit

Du clair verger frissonne et luit ;

Damophyla parle à la nuit :

« Je serai toujours vierge.

« Psappha me brûle de ses yeux.

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 Je toucherai, comme elle,

De mes bras étendus, les cieux

Que l’or des nuits constelle.

 Je verrai l’avant des vaisseaux

Sillonner la pourpre des eaux,

Et les Muses aux beaux travaux

Me rendront Immortelle. »

Elle dit, le front détourné,

Car l’être solitaire

Garde en son cœur prédestiné

Le songe et le mystère ;

L’herbe a des bleus froids de lapis

Que percent des éclairs d’iris,

Et, triomphante, l’Artémis

Illumine la terre.

 

 Télèsippa

 Télésippa à Anagoras

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 Tissons l’hyacinthe et l’iris

En des trames confuses ;

 Je chanterai, sur le paktis,

L’Aphrodite et ses ruses.

Lève tes paupières sans fard

D’où coule un limpide regard :

Nous avons une bonne part

Dans les présents des Muses.

Ceins ton front chaste de lotos,

Ainsi qu’une danseuse

 Tanagréenne au blanc péplos.

De ta voix d’amoureuse

Chante le mélos, de ta voix

Défaillante comme autrefois…

Divine écaille, sous nos doigts

Deviens harmonieuse.

 

Nossis

Nossis à l’Etrangère

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Etranger, si tu navigues vers Mytilène aux

beaux chœurs pour y cueillir la fleur des

grâces de Sappho, dis-lui qu’une femme de

Locres, chère aux Muses et à elle aussi,

Enfanta d’autre (chants) pareils et que mon

Nom est Nossis. Va.

Etrangère aux yeux noirs qui vas vers Mytilène

Où l’on cueille la fleur des grâces de Sappho,

Ecoute ! je te parle et suis à bout d’haleine…

Lorsque tu reviendras, fidèle comme Echo,

Parle-nous de la ville indolemment couchée,

 Telle une courtisane aux voiles de byssus,

Qui s’allonge sur la couche molle, jonchée

De roses, de fenouil, d’iris et de crocus.

Vierge, dis à Sappho qu’une femme répète

Les odes où s’attarde un sourire d’Atthis,

Qu’elle a chanté les vers du souverain Poète :

Etrangère, apprends-lui que mon nom est Nossis.

Dis-lui qu’en appelant sa caresse inconnue,

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 J’ai sangloté d’amour sous mes cheveux épars,

Que je la vois, pareille à l’Aphrodite nue,

Dis-lui que je l’attends et que je l’aime… Pars !

 

Epitaphe sur Rhinthon

Rien n’est plus doux qu’Eros, et tout ce qui

est heureux vient après. J’ai craché de ma

bouche même le miel. Et voici ce que dit

Nossis ; Celle que Kupris n’a point aimée

ne sait pas quelles fleurs sont les roses.

 

Vierges et femmes, rien n’est plus doux que l’amour.

Les Kharites aux bras blancs, et les jeunes Heures,

Les Piérides au front ardent comme le jour,

Et l’Aurore aux pieds nus, lui sont inférieures.

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 Je dédaigne le vin, je méprise le miel,

 Je ne veux que le goût des baisers à ma bouche ;

Ni les frissons de l’eau ni les remous du ciel

N’égalent l’ondoiement de ta chair sur ma couche.

Celle qui dédaigna le rire de Kupris

Et qui n’a point connu son lit de Violettes

A le front gris des Mots. Ainsi parle Nossis

Dont l’Eros enduisit de cire les tablettes.

Celle qui ne craint point à l’égal du trépas

Les aubes sans caresse et les nuits ans murmure,

O Déesse aux yeux bleus ! celle-là ne sait pas

Quelles fleurs sont les roses de ta chevelure !

 

Epitaphe sur Rhinthon

Et, ayant ri aux éclats, tourne-toi vers moi et

dis-moi une parole amicale. Je suis Rhinthon

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de Syracuse, chétif rossignol des Muses, mais

des bouffonneries tragiques nous avons cueilli

notre lierre personnel.

 J’ai ployé sous le poids accablant de la lyre,

Et j’ai pleuré jadis des vers sans lendemain :

Murmure une parole amicale, et d’un rire

Réjouis mon silence, et passe ton chemin.

Moi, qui fus un chétif rossignol des Piérides,

 J’ai chanté le printemps au lumineux retour ;

La lune me baigna de ses remous limpides,

 J’ai vécu fervemment mes bleus minuits d’amour.

 Je vis blondir Phoibé radieusement nue…

Aujourd’hui je sommeille au pied des aloès

Et des rudes cactus : et mon ombre inconnue

Erre dans la forêt muette de l’Hadès.

 J’allumai pour l’hymen la torche qui flamboie,

Mes pampres ont orné le glorieux autel…

Un peu de cendre obscure… et pourtant de ma joie

 Tragique je cueillis mon lierre personnel…

 

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A Héra

Déesse vénérable, toi qui souvent descendant

du haut du ciel, contemples le sanctuaire

parfumé de Lacinium, reçois le vêtement du

lin le plus fin que, avec son illustre fille Nossis

tissa pour toi Theuphilis, fille de Kléocha.

Bienheureuse Héra, la Très-Belle et l’Auguste,

Qui daignes contempler de tes regards puissants

Le glorieux naos que parfumes l’encens,

Levant ton front d’ivoire où le béryl s’incruste,

Accepte en souriant cette robe de lin

Que les mains de Nossis tissèrent sous l’acanthe,

Nossis aux beaux sourcils, dont les cheveux d’amante

S’empourprent à l’égal du couchant et du vin.

 

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Sur l’image de Sabaithis

Elle est reconnaissable même d’ici. Voyez

de Sabaithis c’est l’image par le corps et

l’âme magnanime. Regarde cette sérénité ;

 je crois voir aussi sa douceur. Réjouis-toi

beaucoup, femme heureuse.

Ceux qui ne l’ont point vue admirent Sabaithis.

Lointaine, on la contemple en sa beauté présente :

Voici ses bras de rose et ses yeux de lapis

Et ses cheveux dorés que la brise tourmente.

Passant, arrête-toi devant ce frais regard

Que la claire sagesse anime de sa flamme,

Et dans ces traits, plus doux que le miel et le nard,

Reconnais la splendeur visible de son âme.

Garde la douce paix sur ton front, et souris

En ta double splendeur de vierge et d’amoureuse,

Immortelle au milieu des rosiers défleuris…

Salut à ton triomphe, ô femme bienheureuse !

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Sur le réseau de Samytha

Il a paru qu’Aphrodite avait reçu avec joie,

en offrande ce réseau de cheveux de Samytha.

car il est ingénieusement travaillé, et a une

douce odeur de nectar, de ce (nectar) dont elle

oint aussi le bel Adonis.

Dans l’ombre, d’où l’autel paré de flamme émerge

L’offrande a réjoui la blanche Aphrodita :

Ce réseau, parfumé des cheveux d’une vierge,

Ce réseau qui ceignit le front de Samytha.

Le filet, savamment tissé par ses compagnes,

A l’odeur du nectar que tu versas jadis,

O Déesse ! en l’azur des célestes montagnes,

Sur le corps puéril et souple d’Adonis.

Comme le mélilot et l’iris de la berge,

Ce filet réjouis la claire Aphrodita,

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Car il est parfumé des cheveux d’une vierge,

Car il ceignit le front doré de Samytha.

 

Sur une image d’Aphrodita

Kallo, ayant dessiné une image sur cette

planche, l’a offerte à la demeure de la blonde

Aphrodita, que cette image représente.

Combien elle est doucement figurée ! Vois

comme y fleurit la grâce. Réjouis-toi : car elle

n’a aucun reproche dans sa vie.

La Déesse a jaillit des mains de la mortelle,

Ressuscitant son rire immortellement clair,

Plus blanche que l’écume et les embruns, et telle

Que la virent jadis le soleil et la mer…

La Déesse a jailli des mains de la mortelle.

Car ainsi la voulut et la rêva Kallo,

Qui jadis vit monter jusqu’à son apogée

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Hespéros, et plus tard, dans un tremblant halo,

Le char de Sélanna descendre vers l’Egée ;

La Déesse a fleuri le songe de Kallo.

Les patientes mains qui pétrirent l’argile

Achevèrent enfin leur labeur triomphal.

 Tu t’échappas, Kupris, dont l’haleine distille

L’ambre artificiel et le miel végétal,

Des patientes mains qui pétrirent l’argile.

La statue a surgi de l’ivoire et de l’or…

Et frissonnants, autour de ta forme divine,

Les passereaux, de l’aube ont pris leur prompt essor.

L’Aphrodita, debout et chryséléphantine,

Illumine les flots gris de ses cheveux d’or.

Et les regards levés sur la Déesse nue,

La vierge est morte, ayant accompli son désir,

Car les penseurs brûlés de la fièvre inconnue

Qui réclament le songe impossible à saisir,

Meurent, les yeux levés sur la Déesse nue.

 

… une femme de Locres… enfanta

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d’autres (chants) pareils…

CeMoi, la Kitharède de Locres

Dont la voix triompha,

Dans le jour de safrans et d’ocres

Qui trace son alpha,

Et dans le couchant d’écarlate

Où l’âme des oeillets éclate

En véhémences d’aromate,

 Je suis chère à Psappha.

La Prêtresse unique et multiple

Vint hier me choisir

Pour amoureuse et pour disciple

D’angoisse et de plaisir,

En me disant : « Vers les soirs tièdes,

Chante à la façon des Aèdes

La compagne que tu possèdes

Et qui fut ton désir.

« Dors sur le sein de ta maîtresse,

Comme moi près d’Atthis,

Lorsque la Nuit aux yeux bleus tresse

Ses couronnes d’iris… »

Par les tremblantes accalmies,

Ma voix aux craintes raffermies

Reprend les beaux chœurs des Amies,

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Et mon nom est Nossis.

 

… chère aux Muses et à elle aussi…

O Lesbos, je suis chère à Psappha l’Immortelle.

Elle entend, dans l’Hadès, mes fugaces accords

Et la vierge de mon désir lui semble belle.

Elle sourit parmi le nuage des Morts,

Quand je viens, attisant les tièdes cassolettes,

Cueillir ses violettes.

 Je t’ai cherchée, ô fleur des Kharites ! ô toi

Qu’on désire à travers les formes adorées,

Dans le mélos ployé sous une exacte loi

Et dans les flots sereins d’une mer sans marées,

Dans le rêve des gris oliviers, dans le chant

Funèbre du couchant.

 Je n’ai point écouté les faiseurs de mensonges

Dont le souffle a terni la clarté de ton nom :

 Je suis venue avec mes parfums et mes songes,

En répandant le lait de la libation,

Et je t’ai dit : « Voici les roses que je tresse,

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Et voici ma jeunesse. »

Seule dans mon orgueil d’amour, j’ai méprisé

Les silences amers, les rires et les blâmes,

Et, pieuse disciple, à ton autel brisé,

 J’ai rallumé l’ardeur expirante des flammes :

 J’ai tissé le fenouil, la rose et le cerfeuil

En guirlandes de deuil.

N’as-tu point dit, jadis, devant les cieux d’opale,

Caressant Eranna courbée à tes genoux,

Et mêlant tes cheveux noirs à ses cheveux pâles :

« Quelqu’un, dans l’avenir, se souviendra de nous.

Les Muses, à qui plaît la voix des amoureuses,

Nous firent glorieuses. »

 

… mon nom est Nossis.

Que mon salut te suive au-delà de la mer

Et des couchant de pourpre, ô femme qui navigues

Vers Mytilène aux murs vivants comme une chair,

Vers la Rive couchée en ses roses prodigues,

Qui recueille les noms jeunes et le printemps.

Des hymnes consentants.

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Eranna de Télos s’attarde dans la ligne

Féminine de la crique, sa brève voix

Chante plaintivement le petit chant du cygne.

Parfois, ressuscitant les baisers d’autrefois,

Elle erre, les cheveux défaits, sous l’aile ombreuse

De sa nuit d’amoureuse.

Pars, Etrangère, annonce à l’ardente Sappho

Qui jaillit des Temps bleus, unique Fleur des Grâces,

Que, lente, j’ai tissé des strophes sans défaut

Lorsque sur le métier retombaient mes mains lasses,

Et dis, en apportant les couronnes d’iris,

Que mon nom est Nossis.

 

Praxilla

Adonis

 J’abandonne à la vérité la lumière très

belle du soleil, ensuite les astres brillants et

le visage de la lune, et aussi les concombres

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de la saison et les pommes et les poires.

 Je quitte en gémissant la lumière très belle

Du soleil, et la grotte où l’azur vient pleuvoir,

Les prés où la cigale attend la sauterelle,

Les pipeaux de l’aurore et les flûtes du soir.

 J’abandonne le rire attentif de la Lune,

L’éloge de la foule et l’accueil des amis,

Des vierges dénouant leur chevelure brune

Dans le jardin nocturne aux parfums endormis.

Les fils enchevêtrés des lueurs et des ombres

Ne m’enlaceront plus de leurs tissus légers,

L’ardeur des grappes et la fraîcheur des concombres

Ne m’attireront plus vers les brillants vergers.

 Je ne cueillerai plus les pommes ni les poires,

 Je ne mirerai plus mes yeux noirs dans le flot

Qui me taquine avec des appels illusoires,

 Je ne m’étendrai plus parmi le mélilot…

Mais dites : « Praxilla ne meurt pas tout entière,

Car ses chants font s’unir les lèvres et les mains,

Et son âme s’attarde en un peu de poussière

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Sous les beaux oliviers qui bordent les chemins. »

 

Poème d’Amour

O toi qui jettes un beau regard à

travers les fenêtres, vierge par la

tête, femme par en bas…

O toi qui savamment jettes un beau regard,

Bleu comme les minuits, à travers les fenêtres,

 Je te vis sur la route où j’errais au hasard

Des parfums et de l’heure et des rires champêtres.

Le soleil blondissait tes cheveux d’un long rai,

 Tes prunelles sur moi dardaient leur double flamme ;

 Tu m’apparus, ô nymphe ! et je considérai

 Ton visage de vierge et tes hanches de femme.

 Je te vis sur la route où j’errai au hasard

Des ombres et de l’heure et des rires champêtres,

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O toi qui longuement jettes un beau regard,

Bleu comme les minuits, à travers les fenêtres.

 

Anyta de Tégée

Sur une offrande d’Echécratidas

Reste ici, homicide (lance) de bois de

cornouiller, et ne répands plus le triste

meurtre des ennemis autour de ton ongle

d’airain : mais fixée dans la haute demeure

en marbre de l’Athéna, dis la bravoure du

Crétois Echécratidas.

Quittant l’air troublé que laboure

Le glaive aux éclairs froids,

Redis au peuple la bravoure

Du valeureux Crétois.

Repose en paix, ô rouge lance !

Evoque, dans la somnolence

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De ces murs au grave silence,

Les combats d’autrefois.

Dans l’ombre que l’encens parfume,

Près de l’autel serein,

 Tu regrettes le sang qui fume,

Et le choc souverain ;

Sur la plaine où le jour s’efface,

Mélancoliquement tenace,

 Tu ne dresses plus la menace

De son ongle d’airain.

Ici, le soir fumeux attriste

De son rire fané

Le sanctuaire d’améthyste

Et de jaspe veiné.

Repose dans la ténèbre ample

Et pacifique de ce temple,

Où la vierge aux bras blancs contemple

L’image d’Athéné.

 

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Anyta de Mytilène

A Pan aux cheveux hérissés et aux nymphes

protectrices des bergeries, Theudotos, qui

fait paître les brebis, offrit ce présent sous son

lieu d’observation. C’est parce que, un jour

qu’il était grandement fatigué par l’été

desséchant, elles le reposèrent, lui ayant

présenté dans leurs mains une eau douce

comme le miel.

D’invisibles pipeaux charment ma solitude.

Le soir voit défleurir le mélilot des prés.

O nymphes aux yeux verts, et toi, Pan au poil rude,

 Je vous offre ces fruits que l’automne a dorés.

Lorsque j’ai convoité la fraîcheur des fontaines,

Etendu sur la roche et las des longs chemins,

Vous m’avez apporté l’eau des sources lointaines,

O nymphes ! dans le creux frissonnant de vos mains.

 Je n’ai plus redouté l’aridité des sables,

Bouclier d’or où se double l’airain du ciel,

Car j’ai bu longuement, dans vos mains pitoyables,

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L’eau claire qui me fut plus douce que le miel.

 

Moi, Hermès, j’étais debout près du jardin

ouvert aux vents, au croisement de trois

chemins, près de la mer blanchissante,

offrant aux hommes fatigués une halte

dans leur route : et une source pure leur

verse une eau fraîche.

Ici, dans le verger où se croisent les vents,

Près du sable blanchi par le sel et l’écume,

 J’accorde le repos, loin des étés fervents,

Sur l’herbe aux frissons doux que le cerfeuil parfume.

Nul vent ne fait trembler les beaux pommiers fleuris,

La charmante langueur du mélilot s’exhale,

Et, baignant l’aloès et le vert tamaris,

La fontaine jaillit, riante et virginale.

Moi, l’Hermès dont les yeux suivent les flots d’étain,

Sur mon socle de pierre aux bords moussus, j’écoute

Le chant de l’eau plus clair que le pipeau lointain,

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Et les pâtres lassés font halte dans leur route.

 

Ce lieu est à Kupris, puisqu’il lui fut toujours

cher de voir du continent la mer brillante,

afin qu’elle puisse accorder une navigation

heureuse aux matelots ; et tout autour, la mer

tremble, voyant la radieuse statue.

Sur les rocs ont erré les pieds nus de Kupris.

Elle aime à contempler, du haut de la falaise,

Les ondes déployant leurs violets d’iris

Dont l’immortel ennui s’exaspère et s’apaise.

Sur les flots ont erré les pieds nus de Kupris.

La vague a reconnu la voix de la Déesse

Qui jaillit autrefois du délicat embrun,

Blonde sous le jour blond que la tiédeur oppresse,

Et respirant l’iode ainsi qu’un frais parfum.

La vague a reconnu la voix de la Déesse.

Son image a dompté le courroux de la mer.

Elle accorde la paix et le soleil aux voiles,

Et, souriant aux nefs de son visage clair,

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Elle fait resplendir les nuits belles d’étoiles.

Son image a dompté le courroux de la mer.

 

… appelant l’âme chère de Philainis, qui

avant le mariage, marcha vers l’onde verte

du fleuve de l’Achéron.

La vierge Philainis traversa les Eaux vertes

De l’Achéron, sans voir les flambeaux de l’hymen,

Et les lys sont tombés d’entre ses mains ouvertes.

Sur la stèle de deuil pleure le cyclamen.

Avant de voir brûler les flambeaux de l’hymen,

La vierge Philainis traversa les Eaux vertes.

Dans les prés où la lune efface le soleil,

La vierge Philainis tresse les asphodèles.

Perséphona, fermant les yeux noirs du sommeil,

Rouit le lin parmi ses compagnes fidèles,

Et parfois, en rêvant, cueille les asphodèles

Dans les prés où la lune efface le soleil.

 

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A. - Pourquoi, ô Pan agreste, assis près de la

fontaine où vont les brebis, joues-tu de

ce chalumeau harmonieux ?

B. - Afin que sur ces monts couverts de rosée

les génisses paissent, broutant les épis à

la belle chevelure

A

 Tu respires l’odeur de l’herbe et de la terre,

Et ta flûte s’exhale en des frisons légers…

Pan rustique, pourquoi demeurer solitaire,

Assis dans le bois sombre à l’écart des bergers ?

 

B

 Je taille les pipeaux où traîneront mes lèvres,

Moi, dieu de l’hyacinthe et de l’épi barbu…

Et mes simples chansons attireront les chèvres

Vers l’ombre et la rosée où les Nymphes ont bu.

 

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Sur un dauphin

 

 Jamais plus réjoui des ondes propres à la

navigation, je ne lancerai mon cou, bondissant

du fond de l’eau, ni je ne soufflerai avec force

de mes belles lèvres le long des tolets du

navire, charmé de mon torse. Mais la fraîcheur

empourprée de la mer m’a poussé sur la terre

ferme, et je gis sur ce rivage délicat.

Le souffle de la mer, adouci par le soir,

Ne réjouira plus mes lèvres et mes joues,

Et je ne verrai plus, le long des belles proues,

Mon image, comme en le métal d’un miroir.

 Je ne monterai plus des profondeurs marines,

 Je ne m’ébrouerai plus au soleil du matin,

 Je ne me plairai plus au sourire enfantin

De l’aurore, jouant avec ses cornalines.

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O passant, j’ai quitté le transparent émail

Des flots, où le vent pleure en d’étranges syllabes,

Où grouille obscurément la détresse de crabes,

A travers le soir gris que bleuit le corail.

Car le bondissement des courants implacables

M’a jeté sur la rive aux longs varechs flottants.

voici la Mort au front paré d’algues, - j’attends,

Hors d’haleine et couché sur le velours des sables.

 

Moiro

Offrandes à l’Aphrodite

Sois placée sous le portique d’or de

l’Aphrodita, ô grappe, pleine de la sève de

Dionysos : ta mère, t’ayant fait naître sur

le sarment aimable, ne produira plus sur ta

tête sa feuille de nectar.

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O grappe, que l’ardeur des soirs ensanglanta

De chauds reflets, repose en ta pourpre moiré

Sous le portique d’or de la Maison sacrée

Où, les yeux triomphants, règne l’Aphrodita.

 Tu bleuissais parmi les fauves chevelure

Des Bacchantes, ô grappe à l’haleine de miel,

Par les soirs opulents, où la terre et le ciel

N’étaient plus qu’un verger bourdonnant de murmures.

La vigne, qui berçait ton odorant sommeil,

Ne te courbera plus sous l’étreinte des vrilles,

Et tu n’offriras plus aux brunes jeunes filles

 Ta coupe où débordait la sève du soleil.

 

Sur les Nymphes de l’Anigros

Nymphes de l’Anigros, vierges du fleuve,

qui, divines, foulez constamment ces

profondeurs de vos pieds de rose,

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réjouissez-vous et soyez favorables à

Kléonumos, qui vous éleva sous les pins,

ô Déesses, ces belles statues de bois.

Vierges de l’Anigros, nymphes aux pieds de rose,

Vous, dont la forme ondoie au gré du flot changeant,

Et qui faites briller les écailles d’argent

Des lumineux poissons, nymphes aux pieds de rose,

Venez, vous qui riez à travers les roseaux !

Car, sous les pins taillés comme une vigne enclose,

Votre image sculptée a réjoui les eaux.

O nymphes qui riez à travers les roseaux !

 

Charixéna

 Tu goûtas l’amour sous l’érable

Qu’un soir fana,

O très antique, ô vénérable

Charixéna.

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 Ta flûte murmura ses peines,

Et résonna

Comme la brise dans les chênes,

Charixéna.

L’ombre, sur ton épaule nue

Qui frissonna,

Apportait la fièvre inconnue,

Charixéna.

 Ta bouche de Musicienne

S’abandonna

Dans l’ardeur d’une nuit ancienne,

Charixéna.

 

Kléobulina

Quand, d’un geste, le soir fait taire

La flûte et la syrinx,

 Tu sais embrumer de mystère

 Tes prunelles de lynx.

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 Tandis que la ténèbre englobe

Les plis fugitifs de ta robe,

L’énigme prompte se dérobe

Sur tes lèvres de sphinx.

L’ombre fait vaciller la flamme

De tes yeux d’un bleu noir.

 Ta voix où s’attendrit ton âme,

Vague comme l’espoir,

Et qui pactise avec la rude

Et pitoyable solitude,

Sait imiter l’incertitude

De la mer et du soir.

 

Accueil

 

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Les poèmes ci-dessous correspondent à dernière édition du recueil Àl'heure des mains jointes publié chez A. Lemerre en 1909 et figurantdans "L'oeuvre poétique complète de Renée Vivien" de Jean-PaulGoujon.

Vous pouvez consulter la première version du recueil "A l'heure desmains jointes" / 1906 sur le site de la Bibliothèque Nationale de France:http://gallica.bnf.fr/

 

À l'heure des mains jointes

À l’Heure des Mains jointes

Psappha revit

Ainsi je parlerai…

Supplication

Nous irons vers les Poètes

Paroles à l’Amie

Qu’une vague l’emporte

 Jardin abandonné

Confidence devant le soir

Sur la Place publique

 Je t’aime d’être faible…D’après Swinburne

 Je connais un étang

En débarquant à Mytilène

Mon Ami le Vent

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Mes Victoires

Où donc irai-je ?…

Refrain

A la Bien-Aimée

L’offrande

Sans Fleurs à votre Front

Sous la Rafale

 Je pleure sur Toi…

Le jardin matinal

Au Dieu pauvre

Eminé

L’Amour borgne

Ils pleurent vers le Soir…

Viviane

Elle passe

Bonheur crépusculaire

Pénitentes Espagnoles

Dans le Havre

La Soif impérieuse

 Je fus un Page épris

La Palme

Le Ténébreux Jardin

Nous nous sommes assises

Départ

Mensonge du Soir

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Vers Lesbos

Viens, Déesse de Kupros

Nuit Mauresque

Attente

Les Souvenirs sont des Grappes…

Vous pour qui j’écrivis

Par les Soirs futurs

Pilori

Vaincue

Intérieur

Voici mon Mal

 Toi, notre Père Odin

 

À l’Heure des Mains jointes

 J’ai puérilisé mon cœur dans l’innocence

De notre amour, éveil de calice enchanté.

Dans les jardins où se parfume le silence,

Où le rire fêlé retrouve l’innocence,

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Ma Douce ! je t’adore avec simplicité.

 Tes doigts se sont noués autour de mon cœur rude.

Et un balbutiement pareil au cri naïf 

De l’inexpérience et de la gratitude,

 Je te dirai comment, lasse de la mer rude,

 Je bénis l’ancre au port où s’amarre l’esquif.

 Tes cheveux et ta voix et tes bras m’ont guérie.

 J’ai dépouillé la crainte et le furtif soupçon

Et l’artificiel et la bizarrerie.

 J’abrite ainsi mon cœur de malade guérie

Sous le toit amical de la bonne maison.

 J’ai la sécurité pourtant un peu tremblante

De celle dont les yeux, d’avoir pleuré, sont lourds,

Et je me réjouis de l’herbe et de la plante

Dans ces jardins aux bleus midis, - un peu tremblante

D’avoir trop redouté l’aspect des mauvais jours.

A l’heure sororale et douce des mains jointes,

 J’ai contemplé, sereine, un visage effacé,

 Tels les convalescents aux fraîches courtepointes,

La fièvre disparue… A l’heure des mains jointes,

 Je t’ai donné les derniers lys de mon passé.

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Psappha revit

La lune se levait autrefois à Lesbos

Sur le verger nocturne où veillaient les amantes.

L’amour rassasié montait des eaux dormantes

Et sanglotait au cœur profond des sarbitos.

Psappha ceignait son front d’auguste violettes

Et célébrait l’Eros qui s’abat comme un vent

Sur les chênes… Atthis l’écoutait en rêvant,

Et la torche avivait l’éclat des bandelettes.

Les rives flamboyaient, blondes sous les pois d’or…

Les vierges enseignaient aux belles étrangères

Combien l’ombre est propice aux caresses légères,

Et le ciel et la mer déployaient leur décor.

… Certaines d’entre nous ont conservé les rites

De ce brûlant Lesbos doré comme un autel.

Nous savons que l’amour est puissant et cruel,

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Et nos amantes ont les pieds blancs des Kharites.

Nos corps sont pour leur corps un fraternel miroir.

Nos compagnes, aux seins de neige printanière,

Savent de quelle étrange et suave manière

Psappha pliait naguère Atthis à son vouloir.

Nous adorons avec des candeurs infinies,

En l’émerveillement d’un enfant étonné

A qui l’or éternel des mondes fut donné…

Psappha revit, par la vertu des harmonies.

Nous savons effleurer d’un baiser de velours,

Et nous savons étreindre avec des fougues blêmes ;

Nos caresses sont nos mélodieux poèmes…

Notre amour est plus grand que toutes les amours.

Nous redisons ces mots de Psappha, quand nous sommes

Rêveuses sous un ciel illuminé d’argent :

« O belles, envers vous mon cœur n’est point changeant »

Celles que nous aimons ont méprisé les hommes.

Nos lunaires baisers ont de pâles douceurs,

Nos doigts ne froissent point le duvet d’une joue,

Et nous pouvons, quand la ceinture se dénoue,

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Etre tout à la fois des amants et des sœurs.

Le désir est en nous moins fort que la tendresse.

Et cependant l’amour d’une enfant nous dompta

Selon la volonté de l’âpre Aphrodita,

Et chacune de nous demeure sa prêtresse.

Psappha revit et règne en nos corps frémissants ;

Comme elle, nous avons écouté la sirène,

Comme elle encore, nous avons l’âme sereine,

Nous qui n’entendons point l’insulte des passants.

Ferventes, nous prions : « Que la nuit oit doublée

Pour nous dont le baiser craint l’aurore, pour nous

Dont l’Eros mortel a délié les genoux,

Qui sommes une chair éblouie et troublée… »

Et nos maîtresses ne sauraient nous décevoir,

Puisque c’est l’infini que nous aimons en elles…

Et puisque leurs baisers nous rendent éternelles,

Nous ne redoutons point l’oubli dans l’Hadès noir.

Ainsi, nous les chantons, l’âme sonore et pleine.

Nos jours sans impudeur, sans crainte ni remords,

Se déroulent, ainsi que de larges accords,

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Et nous aimons, comme on aimait à Mytilène.

 

Ainsi je parlerai…

O Si le Seigneur penchait son front sur mon trépas,

 Je lui dirais : « O Christ, je ne te connais pas.

« Seigneur, ta stricte loi ne fut jamais la mienne,

Et je vécus ainsi qu’une simple païenne.

« Vois l’ingénuité de mon cœur pauvre et nu.

 Je ne te connais point. Je ne t’ai point connu.

« J’ai passé comme l’eau, j’ai fui comme le sable.

Si j’ai péché, jamais je ne fus responsable.

« Le monde était autour de moi, tel un jardin.

 Je buvais l’aube claire et le soir cristallin.

« Le soleil me ceignait de ses plus vives flammes,

Et l’amour m’inclina vers la beauté des femmes.

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« Voici, le large ciel s’étalait comme un dais.

Une vierge parut sur mon seuil. J’attendais.

« La nuit tomba… Puis le matin nous a surprises

Maussadement, de ses maussades lueurs grises.

« Et dans mes bras qui la pressaient elle a dormi

Ainsi que dort l’amante aux bras de son ami.

« Depuis lors j’ai vécu dans le trouble du rêve,

Cherchant l’éternité dans la minute brève.

« Je ne vis point combien ces yeux clairs restaient froids,

Et j’aimai cette femme, au mépris de tes lois.

« Comme je ne cherchais que l’amour, obsédée

Par un regard, les gens de bien m’ont lapidée.

« Moi, je n’écoutai plus que la voix que j’aimais,

Ayant compris que nul ne comprendrait jamais.

« Pourtant, la nuit approche, et mon nom périssable

S’efface, tel un mot qu’on écrit sur le sable.

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« L’ardeur des lendemains sait aussi décevoir :

Nul ne murmurera mes strophes, vers le soir.

« Vois, maintenant, Seigneur, juge-moi. Car nous sommes

Face à face, devant le silence des hommes.

« Autant que doux, l’amour me fut jadis amer,

Et je n’ai mérité ni le ciel ni l’enfer.

« Je n’ai point recueilli les cantiques des anges,

pour avoir entendu jadis des chants étranges,

« Les chants de ce Lesbos dont les chants se sont tus.

 Je n’ai point célébré comme il sied tes vertus.

« Mais je ne tentai point de révolte farouche :

Le baiser fut le seul blasphème de ma bouche.

« Laisse-moi, me hâtant vers le soir bienvenu,

Rejoindre celles-la qui ne t’ont point connu !

« Psappha, les doigts errants sur la lyre endormie,

S’étonnerait de la beauté de mon amie,

« Et la vierge de mon désir, pareille aux lys,

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Lui semblerai plus belle et plus blanche qu’Atthis.

« Nous, le chœur, retenant notre commune haleine,

Ecouterions la voix qu’entendit Mytilène,

« Et nous préparerions les fleurs et le flambeau,

Nous qui l’avons aimée en un siècle moins beau.

« Celle-là sut verser, parmi l’or et les soies

Des couches molles, le nectar rempli de joies.

« Elle nous chanterait, dans son langage clair,

Ce verger lesbien qui s’ouvre sur la mer,

« Ce doux verger plein de cigales, d’où s’échappe,

Vibrant comme une voix, le parfum de la grappe.

« Nos robes ondoieraient parmi les blancs péplos

D’Atthis et de Timas, d’Eranna de Télos,

« Et toutes celles-là dont le nom seul enchante

S’assembleraient autour de l’Aède qui chante !

« Voici, me sentant près de l’heure du trépas,

 J’ose ainsi te parler, Toi qu’on ne connaît pas.

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« Pardonne-moi, qui fus une simple païenne !

Laisse-moi retourner vers la splendeur ancienne

« Et, puisque enfin l’instant éternel est venu,

Rejoindre celles-là qui ne t’ont point connu. »

 

Supplication

Vois, tandis que gauchit la bruine sournoise,

Les nuages pareils à des chauves-souris,

Et là-bas, gris et bleu sous les cieux bleus et gris,

Ruisseler le reflet pluvieux de l’ardoise.

O mon divin Tourment, dans tes yeux bleus et gris

S’aiguise et se ternit le reflet de l’ardoise.

 Tes longs doigts, où sommeille une étrange turquoise,

Ont pour les lys fanés un geste de mépris.

La clarté du couchant prestigieux pavoise

La mer et les vaisseaux d’ailes de colibris…

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Vois là-bas, gris et bleu sous les cieux bleus et gris,

Ruisseler le reflet pluvieux de l’ardoise.

Le flux et le reflux du soir déferlent, gris

Comme la mer, noyant les pierres et l’ardoise.

Sur mon chemin le Doute aux yeux pâles se croise

Avec le Souvenir, près des ifs assombris.

 Jamais, nous défendant de la foule narquoise,

Un toit n’abritera nos soupirs incompris…

Vois là-bas, gris et bleu sous les cieux bleus et gris,

Ruisseler le reflet pluvieux de l’ardoise.

 

Nous irons vers les Poètes

L’ombre nous semble une ennemie en embuscade…

Viens, je t’emporterai comme une enfant malade,

Comme une enfant plaintive et craintive et malade.

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Entre mes bras nerveux j’étreins ton corps léger.

 Tu verras que je sais guérir et protéger,

Et que mes bras sont forts pour mieux te protéger.

Les bois sacrés n’ont plus d’efficaces dictames,

Et le monde a toujours été cruel aux femmes.

Nous le savons, le monde est cruel pour les femmes.

Les blâmes des humains ont pesé sur nos fronts,

Mais nous irons plus loin. Là-bas, nous oublierons…

Sous un ciel plus clément, plus doux, nous oublierons…

Nous souvenant qu’il est de plus larges planètes,

Nous entrerons dans le royaume des poètes,

Ce merveilleux royaume où chantent les poètes.

La lumière s’y meut sur un rythme divin.

On n’a point de soucis et l’on est libre enfin.

On s’étonne de vivre et d’être heureux enfin.

Vois, élevés pour toi, ces palais d’émeraude

Où le parfum s’égare, où la musique rôde,

Où pleure un souvenir qui s’attarde et qui rôde.

Mon amour, qui s’élève à la hauteur du chant,

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Louera tes cheveux roux plus beaux que le couchant…

Ah ! ces cheveux, plus beaux que le plus beau couchant !

Les douleurs se feront exquises et lointaines,

Au milieu des jardins et du bruit des fontaines,

O mauresques jardins où dorment les fontaines.

Nous bénirons les doux poètes fraternels

En errant au milieu des jardins éternels,

Dans l’harmonie et le clair de lune éternels…

 

Paroles à l’Amie

 Tu me comprends : je suis un être médiocre,

Ni bon, ni très mauvais, paisible, un peu sournois.

 Je hais les lourds parfums et les éclats de voix,

Et le gris m’est plus cher que l’écarlate ou l’ocre.

 J’aime le jour mourant qui s’éteint par degrés,

Le feu, l’intimité claustrale d’une chambre

Où les lampes, voilant leurs transparences d’ambre,

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Rougissent le vieux bronze et bleuissent le grès.

Les yeux sur le tapis plus lisse que le sable,

 J’évoque indolemment les rives aux pois d’or

Où la clarté des beaux autrefois flotte encor…

Et cependant je suis une grande coupable.

Voici : j’ai l’âge où la vierge abandonne sa main

A l’homme que sa faiblesse cherche et redoute,

Et je n’ai point choisi le compagnon de route,

Parce que tu parus au tournant du chemin.

L’hyacinthe saignait sur les rouges collines,

 Tu rêvais et l’Eros marchait à ton côté…

 Je suis femme, je n’ai point droit à la beauté.

On m’avait condamnée aux laideurs masculines.

Et j’eus l’inexcusable audace de vouloir

Le sororal amour fait de blancheurs légères,

Le pas furtif qui ne meurtrit point les fougères

Et la voix douce qui vient s’allier au soir.

On m’avait interdit tes cheveux, tes prunelles,

Parce que tes cheveux sont longs et pleins d’odeurs

Et parce que tes yeux ont d’étranges ardeurs.

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Et se troublent ainsi que les ondes rebelles.

On m’a montrée du doigt en un geste irrité,

Parce que mon regard cherchait ton regard tendre…

En nous voyant passer, nul n’a voulu comprendre

Que je t’avais choisie avec simplicité.

Considère la loi vile que je transgresse

Et juge mon amour, qui ne sait point le mal,

Aussi candide, aussi nécessaire et fatal

Que le désir qui joint l’amant à la maîtresse.

On n’a point lu combien mon regard était clair

Sur le chemin où me conduit ma destinée,

Et l’on a dit : « Quelle est cette femme damnée

Que ronge sourdement la flamme de l’enfer ? »

Laissons-les au souci de leur morale impure,

Et songeons que l’aurore a des blondeurs de miel,

Que le jour sans aigreur et que la nuit sans fiel

Viennent, tels des amis dont la bonté rassure…

Nous irons voir le clair d’étoiles sur les monts…

Que nous importe, à nous, le jugement des hommes ?

Et qu’avons-nous à redouter, puisque nous sommes

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Pures devant la vie et qu nous nous aimons ?…

 

Qu’une vague l’emporte

La marée, en dormant, prolonge un souffle égal,

L’âme des conques flotte et bruit sur les rives…

 Tout m’est hostiles, et ma jeunesse me fait mal.

 Je suis lasse d’aimer les formes fugitives.

Debout, je prends mon cœur où l’amour fut hier

Si puissant, et voici : je te jette à la mer.

Qu’une vague légère et dansante l’emporte,

Que la mer l’associe à son profond travail

Et l’entraîne à son gré, comme une chose morte,

Qu’un remous le suspende aux branches de corail,

Que le vouloir des vents contraires le soulève

Et qu’il roule, parmi les galets, sur la grève.

Qu’il hésite et qu’il flotte, un soir, emprisonné

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Par la longue chevelure des algues blondes,

Que le songe de l’eau calme lui soit donné

Dans le fallacieux crépuscule des ondes…

Et que mon cœur, soumis enfin, tranquille et doux,

Obéisse au vouloir du vent et des remous.

 Je le jette à la mer, comme l’anneau des Doges,

L’anneau d’or que les flots oublieux ont terni,

Et qui tomba, parmi les chants et les éloges,

Dans le bleu transparent, dans le vert infini…

L’heure est vaste, les morts charmantes sont en elles,

Et je donne mon cœur à la mer éternelle.

 

 Jardin abandonné

Ma douce, entrons dans le jardin abandonné,

Dans le jardin sauvage, exquis et funéraire

Où l’autrefois se plaît à roder, solitaire

Et farouche, tel un vieux roi découronné.

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Entrons dans le jardin qu’un vent d’automne accable,

Où le silence est lent comme une femme en deuil,

Où les ronces d’hier font un mauvais accueil

A qui n’apporte point le regret adorable.

Dans le jardin où nul ne promène jamais

Son importun loisir et sa mélancolie,

Parmi les fleurs sans fraîche odeur et qu’on oublie,

 Taisons-nous, comme au temps lointain où je t’aimais.

Assises toutes deux, amèrement lassées,

Sous les vieux murs que les brouillards lents font moisir,

Et n’ayant plus en nous l’espoir ni le désir,

Evoquons la douceur des tristesses passées.

Ici, les jeunes pas se font irrésolus,

Ici, l’on marche avec des fatigues d’esclave

En goûtant ce qu’il est de tristement suave

A sourire en passant à ce qu’on n’aime plus.

Puisque ici l’herbe seule est folle et vigoureuse,

Attardons-nous et rassemblons nos souvenirs.

 Te souviens-tu des soirs dorés, des longs loisirs,

Et des contentements de ton cœur d’amoureuse ?

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O mon amour ! quel beau passé nous fut donné

Cependant ! Respirons sa bonne odeur de rose

Dans ce jardin où le souvenir se repose,

Dans le calme du beau jardin abandonné…

 

Confidence devant le soir

Oui, je le crois, je suis calme, je suis heureuse.

L’aube a dû rafraîchir mes tempes de fiévreuse.

Viens, je te conterai mon passé, si tu veux.

Et je te parlerai d’abord de ses cheveux.

Ses cheveux la nimbaient, virginale auréole.

Elle ne savait pas que la douceur console.

Ses cheveux blonds étaient plus pâles qu’un reflet,

Et je l’ai poursuivie ainsi qu’un feu follet.

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Ecoute.. Tu le sais, ô charme de mes heures !

Les premières amours ne sont pas les meilleures.

Cet irritant baiser qui me rongeait la chair

Mordait plus âprement que le sel de la mer.

 Ton rêve se marie au mien lorsque je pense,

Et jamais je ne fus tranquille en sa présence.

Flatteuse, elle savait m’entourer de ses bras,

Mais bientôt je compris qu’elle ne m’aimait pas.

Et je sus m’arracher au piège de sa grâce.

 J’ai pleuré très longtemps… Malgré soi l’on se lasse.

Ma vie était pareille au printemps défleuris.

 Je me suis dit un soir : « Mes yeux se sont taris. »

Ainsi, je reconnus que son cœur était double,

Si bien qu’enfin je pus la contempler sans trouble.

 J’évoque sans regret ces beaux jours très anciens,

Plus menteurs et plus doux que les songes païens.

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Car ici je me crée une âme nonchalante,

Et l’instant fuit, ayant les pieds blancs d’Atalante.

Avec un langoureux bonheur je me détends…

O charme de tes yeux, des parfums et du temps !

Il me semble que j’ai parlé dans le délire

 Tout à l’heure… Oublions ce que je viens de dire.

 

Sur la Place publique

Les nuages flottants déroulaient leur écharpe

Dans le ciel pur, de la couleur des fleurs de lin.

 J’étais fervente et jeune et j’avais une harpe.

Le monde se paraît, suave et féminin.

Dans la forêt, des gris violets d’amarante

Réjouissaient mes yeux larges ouverts. J’entendais

Rire en moi, comme au fond d’un passé, l’âme errante

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Et le cœur musical des pâtres irlandais.

La sève m’emplissait d’une multiple ivresse

Et je buvais ce vin merveilleux, à longs traits.

Ainsi j’errais, portant ma harpe et sa promesse,

Et je ne savais pas quel trésor je portais.

Un matin, je suivis des hommes et des femmes

Qui marchaient vers la ville aux toits bleus. J’ai quitté

Pour les suivre les bois pleins d’ombres et de flammes

Et j’ai porté ma harpe à travers la cité.

Puis, j’ai chanté debout sur la place publique

D’où montait une odeur de poisson desséché,

Mais, dans l’enivrement de ma propre musique,

 Je ne percevais point la rumeur du marché.

Car je me souvenais que les arbres très sages

M’avaient parlé, dans le silence des grands bois.

A mon entour sifflaient les âpres marchandages

Mêlés aux quolibets des compères sournois.

Dans la foule criant son aigre convoitise

Une femme me vit et me tendit la main,

Mais, emportée ailleurs par l’appel d’une brise,

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Celle-là disparut au tournant du chemin.

 Je chantais franchement : ainsi chantent les pâtres.

Autour de moi, le bruit de la vile cessait,

Et, comme le couchant jetait ses lueurs d’âtres,

 Je vis que j’étais seule et que le jour baissait.

 Je me mis à chanter sans témoins, pour la joie

De chanter, comme on fait lorsque l’amour vous fuit,

Lorsque l’espoir vous raille et que l’oubli vous broie.

La harpe se brisa sous mes mains, dans la nuit.

 

 Je t’aime d’être faible…

 Je t’aime d’être faible et câline en mes bras

Et de cherche le sûr refuge de mes bras

Ainsi qu’un berceau tiède où tu reposeras.

 Je t’aime d’être rousse et pareille à l’automne,

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Frêle image de la Déesse de l’automne

Que le soleil couchant illumine et couronne.

 Je t’aime d’être lente et de marcher sans bruit

Et de parler très bas et de haïr le bruit,

Comme l’on fait dans la présence de la nuit.

Et je t’aime surtout d’être pâle et mourante,

Et de gémir avec des sanglots de mourante,

Dans le cruel plaisir qui s’acharne et tourmente.

 Je t’aime d’être, ô sœur des reines de jadis,

Exilée au milieu des splendeurs de jadis,

Plus blanche qu’un reflet de lune sur un lys…

 Je t’aime de ne point t’émouvoir, lorsque blême

Et tremblante je ne puis cacher mon front blême,

O toi qui ne sauras jamais combien je t’aime !

 

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D’après Swinburne

A Paule Riversdale,

En souvenir d’une épigraphe de « l’Etre Double ».

Le Sweet for a little even to fear, and sweet,

O love, to lay sown fear at love’s fair feet,

Shall not some fiery memory of his breath

Lie sweet on lips that touch the lips of death ?

 Yet leave me not ; yet, if thou wilt, be free.

Love me no more, but love my love of thee;

Love where thou wilt, and live thy life, and I,

One thing I can end, one love cannot – die.

… Yet once more ere thou hate me, one full kiss ;

Keep other hours for others, save me this…

… Why am I fair at all before thee, why

At all desired ? Seeing thou art fair, not, I.

I shall be glad of thee, O fairest head,

Alive, alone, without thee, living, dead…

Swinburne, Poems and Ballads, Erotion

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Se peut-il que je sois chérie et désirée,

Douce, puisque toi seule es belle et non point moi ?

 Je te supplie, avec les ferveurs de ma foi,

Les bras chargés de fleurs que ton sourire agrée…

Oui, pourquoi suis-je belle à tes yeux ? Et pourtant

Ne m’abandonne point… Si tu le veux, sois libre,

Mais garde-moi ce rire où l’âme flotte et vibre,

Ce regard, et ce geste à demi consentant…

Ne me contemple point, puisque toi seule es belle.

Douce, ne m’aime point, mais aime mon amour

Impétueux et sombre ainsi qu’au premier jour

Où je m’abîmai toute en l’extase cruelle.

Cependant, une fois encore, comme hier,

Maîtresse, accorde-moi le baiser de ta bouche.

 Je me réjouirai de toi dans un farouche

Cri nuptial, dans un chant de triomphe amer.

 Je ne saurai me taire, ô le plus beau des visages !

 Je ne pleurerai point, si tel est ton vouloir.

Nous marcherons, les pas accordés vers le soir,

Plus graves au milieu des monts tristes et sages.

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Vivante ou morte, je me souviendrai de toi,

De tes lèvres et du clair dessin de tes joues,

Du mouvement suave et lent dont tu dénoues

 Tes cheveux, de ton col, de tes seins en émoi.

Si tu le veux, prodigue à d’autres d’autres heures,

Ma Maîtresse ! mais garde-moi cette heure-ci,

Epanouie ainsi qu’une grenade, ainsi

Qu’une rose, quand de ton souffle tu l’effleures.

Il est doux, pour un peu de temps, avant la mort,

O chère ! de trembler, d’espérer et de craindre ;

Il est doux, ayant bu l’extase, de s’éteindre

Avec lenteur, ainsi qu’un automnal accord…

 

 Je connais un étang

… il est, au cœur de la vallée, un étang que

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l’on nomme l’Etang mystérieux.

 Je connais un étang qui somnole, blêmi

Par l’aube blême et par le clair de lune ami.

Un iris y fleurit, hardi comme une lance,

Et le songe de l’eau s’y marie au silence.

Aucun souffle ne fait balancer les roseaux.

Le ciel qui s’y reflète a la couleur des eaux.

Le flot recèle un long regret lascif et tendre,

Et le silence et l’eau trouble semblent attendre,

Là, les larges lys d’eau lèvent leur front laiteux.

Les éphémères d’or y meurent, deux à deux…

 Je choisirai, pour te louanger, les paroles

Qui coulent comme l’eau parmi les herbes folles.

Les lys semblent offrir leur coupe bleue au jour :

C’est l’élévation des calices d’amour.

Les éphémères font songer, tournant par couples,

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A des femmes valsant, ondoyantes et souples.

Les lotus léthéens lèvent leur front pâli…

Ma Loreley, glissons lentement vers l’oubli.

Dans un royal adieu, tenons-nous enlacées

Et mourons, comme les libellules lassées.

 Je te dirai : « Voici l’Etang mystérieux

Que ne connaîtront point les hommes curieux.

« Viens dormir au milieu des lys d’eau… L’iris tremble,

Et nous nous étreignons, nous qui mourrons ensemble… »

… Je connais un étang qui somnole, blêmi

Par l’aube blême et par le clair de lune ami.

Et, sous l’eau de l’étang, qui mire les chimères,

Des femmes vont mourir, comme des éphémères…

 

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En débarquant à Mytilène

Au fond de mon passé, je retourne vers toi,

Mytilène, à travers les siècles disparates,

 T’apportant ma ferveur, ma jeunesse et ma foi,

Et mon amour, ainsi qu’un présent d’aromates…

Mytilène, à travers les siècles disparates,

Du fond de mon passé, je retourne vers toi.

 Je retrouve tes flots, tes oliviers, tes vignes,

Et ton azur où je me fonds et me dissous,

 Tes barques, et tes monts avec leurs nobles lignes,

 Tes cigales aux cris exaspérés et fous…

Sous ton azur, où je me fonds et me dissous,

 Je retrouve tes flots, tes oliviers, tes vignes

Reçois dans tes vergers en couple féminin,

Ile mélodieuse et propice aux caresses…

Parmi l’asiatique odeur du lourd jasmin,

 Tu n’as point oublié Psappha ni ses maîtresses…

Ile mélodieuse et propice aux caresses,

Reçois dans tes vergers un couple féminin…

Lesbos aux flancs dorés, rends-nous notre âme antique …

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Ressuscite pour nous les lyres et les voix,

Et les rires anciens, et l’ancienne musique

Qui les rendit si poignants les baisers d’autrefois…

 Toi qui gardes l’écho des lyres et des voix,

Lesbos aux flancs dorés, rends-nous notre âme antique…

Evoque les péplos ondoyants dans le soir,

Les lueurs blondes et rousses des chevelures,

La coupe d’or et les colliers dans le miroir,

Et la fleur d’hyacinthe et les faibles murmures…

Evoque la clarté des belles chevelures

Et des légers péplos qui passaient, dans le soir…

Quand, disposant leurs corps sur tes lits d’algues sèches,

Les amantes jetaient des mots las et brisés,

 Tu mêlais tes odeurs de roses et de pêches

Aux longs chuchotements qui suivent les baisers…

A notre jour, jetant des mots las et brisés,

Nous disposons nos corps sur tes lits d’algues sèches…

Mytilène, parure et splendeur de la mer,

Comme elle versatile et comme elle éternelle,

Sois l’autel aujourd’hui des ivresses d’hier…

Puis Psappha couchait avec une Immortelle,

Accueille-nous avec bonté, pour l’amour d’elle,

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Mytilène, parure et splendeur de la me .

 

Mon Ami le Vent

 Je t’aime et te salue, ô mon ami le vent

Qui rôdes à travers les champs gras où l’on sème,

Et qui viens te pencher sur la mer, en buvant

Les flots dont l’âcreté ravive ta soif blême…

Rien ne saurait combler le vide de mes bras,

Et mes jours impuissants ont des torpeurs mauvaises…

 J’aspire aux infinis que l’on n’atteindra pas…

Quand m’emporteras-tu vers les rudes falaises ?

Quand m’emporteras-tu vers les gris horizons,

Vers les récifs et vers les îles désolées

Où les plantes n’ont point les magiques poisons ?

Que cherchent en vain les princesses exilées ?…

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Quand m’emporteras-tu vers l’éternel hiver

Où nul essor de blancs goélands ne s’élance,

Où les soirs ont glacé le tourment de la mer,

Où rien d’humain ne vit au milieu du silence ?

 

Mes Victoires

I

 Tel un arc triomphal, plein d’ocres et d’azurs,

Les horizons du soir s’ouvrent larges et purs.

Quand passerai-je, avec mes Victoires dans l’âme,

Sous l’arc édifié pour celui qu’on acclame ?

L’arc mémorable et vaste enferme le couchant

En sa courbe pareille au rythme fier d’un chant.

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Quand passerai-je, ayant sur moi comme un bruit d’ailes

Que font, dans l’air sacré, mes Victoires fidèles ?

Certes, l’heure n’est point aux poètes, et moi

 Je n’ai que ma jeunesse et ma force et ma foi.

L’arc triomphal est là, clair parmi les nuits noires.

Quand passerai-je, sous l’aile de mes Victoires ?

 

II

 Je le sais, - aujourd’hui cela fait moins de mal, -

 Je ne passerai point sous un arc triomphal.

Et je n’entendrai point la voix ivre des femmes

Qui sanglotent : « Voici l’offrande de nos âmes… »

Résignée, et songeant aux défaites passées,

 J’aurai sur moi le bruit de leurs ailes lassées…

Comme un arc triomphal plein d’ocres et d’azurs,

Les horizons du soir s’ouvrent larges et purs…

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Où donc irai-je ?…

Nul flot ne bouge, nul rameau ne se balance…

Le gris se fait plus gris, le noir se fait plus noir,

Et le chant des oiseaux ne vaut pas le silence…

Où donc irai-je, avec mon cœur, par ce beau soir ?

Dans le ciel du couchant triomphal, les nuages

Roulent, lourds et dorés comme des chariots…

 Je suis lasse des jours, des voix et des visages

Et des pleurs refoulés et des muets sanglots…

 Toi qui ressembles aux royales amoureuses,

Revis auprès de moi les bonheurs effacés…

A l’avenir chargé de ses roses fiévreuses

 Je préfère la pourpre et l’or des temps passés…

Soyons lentes, parmi les choses trop hâtives…

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Il ne faut rien chercher… Il ne faut rien vouloir…

Allons en pleine mer, sans aborder aux rives…

Me suivras-tu, vers l’infini, par ce beau soir ?…

 

Refrain

 

Des parfums de cytise ont amolli la brise

Et l’on s’attriste, errant sous le ciel transparent…

Le soleil agonise… Et voici l’heure exquise…

Dans le soir odorant, l’on s’attarde en pleurant…

 Tu reviens, frêle et rousse, ô ma belle ! ô ma douce !…

Comme en rêve, je vois tes yeux lointains et froids,

 Telle une eau sans secousse où le regret s’émousse…

Sous leur regard je crois revivre l’autrefois.

O chère ombre ! moi-même ai brisé mon poème…

 Je ne dois plus te voir, dans le calme du soir…

Regarde mon front blême et sens combien je t’aime…

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L’ombre, doux voile noir, couvre mon désespoir…

Une rose inexprimable a fleuri sur le sable,

Et tandis qu’alentour se fane le beau jour

 Je pleurerai, semblable à ceux que l’heure accable :

« Seul n’a point de retour l’impatient amour… »

 

A la Bien-Aimée

Vous êtes mon palais, mon soir et mon automne,

Et ma voile de soie et mon jardin de lys,

Ma cassolette d’or et ma blanche colonne,

Mon par cet mon étang de roseaux et d’iris.

Vous êtes mes parfums d’ambre et de miel, ma plume,

Mes feuillages, mes chants de cigales dans l’air,

Ma neige qui se meurt d’être hautaine et calme,

Et mes algues et mes paysages de mer.

Et vous êtes ma cloche au sanglot monotone,

Mon île fraîche et ma secourable oasis…

Vous êtes mon palais, mon soir et mon automne,

Et ma voile de soie et mon jardin de lys.

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L’offrande

Pour lui prouver que je l’aime plus que moi-même,

 Je donnerai mes yeux à la femme que j’aime.

 Je lui dirai d’un ton humble, tendre et joyeux :

« Ma très chère, voici l’offrande de mes yeux. »

 Je donnerai mes yeux qui virent tant de choses.

 Tant de couchants et tant de mers et tant de roses.

Ces yeux, qui furent miens, se posèrent jadis

Sur le terrible autel de l’antique Eleusis,

Sur Séville aux beautés pieuses et profanes,

Sur la lente Arabie avec ses caravanes.

 J’ai vu Grenade éprise en vain de ses grandeurs

Mortes, parmi les chants et les lourdes odeurs.

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Venise qui pâlit, Dogaresse mourante,

Et Florence qui fut la maîtresse de Dante.

 J’ai vu l’Hellade où pleure un écho de Syrinx,

Et l’Egypte accroupie en face du grand Sphinx,

 J’ai vu, près des flots sourds que la nuit rassérène,

Ces lourds vergers qui sont l’orgueil de Mytilène.

 J’ai vu des îles d’or aux temples parfumés,

Et ce Yeddo, plein de vox frêles de mousmés.

Au hasard des climats, des courants et des zones,

 J’ai vu la Chine même avec ses faces jaunes…

 J’ai vu les îles d’or où l’air se fait plus doux,

Et les étangs sacrés près des temples hindous.

Ces temples où survit l’inutile sagesse…

 Je te donne tout ce que j’ai vu, ma maîtresse !

 Je reviens, t’apportant mes ciels gris ou joyeux.

 Toi que j’aime, voici l’offrande de mes yeux.

 

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Sans Fleurs à votre Front

Vous n’avez point voulu m’écouter… mais qu’importe ?

O vous dont le courroux vertueux s’échauffa

Lorsque j’osai venir frapper à votre porte,

Vous ne cueillerez point les roses de Psappha.

Vous ne verrez jamais les jardins et les berges

Où résonna l’accord puissant de son paktis,

Et vous n’entendrez point le chœur sacré des vierges,

Ni l’hymne d’Eranna ni le sanglot d’Atthis.

Quant à moi, j’ai chanté… Nul écho ne s’éveille

Dans vos maisons aux murs chaudement endormis.

 Je m’en vais sans colère et sans haine, pareille

A ceux-là qui n’ont point de parents ni d’amis,

 Je ne suis point de ceux que la foule renomme,

Mais de ceux qu’elle hait… Car j’osai concevoir

Qu’une vierge amoureuse est plus belle qu’un homme,

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Et je cherchai des yeux de femme au fond du soir.

O mes chants ! nous n’aurons ni honte ni tristesse

De voir nous mépriser ceux que nous méprisons…

Et ce n’est plus à la foule que je m’adresse…

 Je n’ai jamais compris les lois ni les raisons…

Allons-nous-en, mes chants dédaignés et moi-même…

Que nous importent ceux qui n’ont point écouté ?

Allons vers le silence et vers l’ombre que j’aime,

Et que l’oubli nous garde en son éternité…

 

Sous la Rafale

De la nuit chaotique un cri d’horreur s’exhale.

Venez, nous errerons tous trois sous la rafale…

Les gouffres lanceront vers nous leurs noirs appels.

Nous passerons, ô mes compagnons éternels !

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L’éclair nous épouvante et la nuit nous désole…

O vieux Lear, comme toi je suis errante et folle,

Et ceux de ma famille et ceux de mes amis

M’ont repoussée avec des outrages vomis.

Comme toi, Dante, épris d’une douleur hautaine,

 Je suis une exilée au cœur gonflé de haine.

En dépit du tonnerre et du froid et du vent,

Nul n’a voulu m’ouvrir les portes du couvent…

Mon père, le roi fou, mon frère, le poète,

Voyez mes yeux et ma chevelure défaite.

Des gens du peuple, en nous apercevant tous trois,

Se signeront avec d’inconscients effrois.

Malgré mes mains sans sceptre et mon front sans couronne,

 Je te ressemble, ô Lear que le monde abandonne !

Malgré la pauvreté de mon obscur destin

Et de mes vers, je te ressemble, ô Florentin !

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Ecoutez le tonnerre aux éclats de cymbale…

Nous errerons jusqu’à l’aube sous la rafale.

 

 Je pleure sur Toi…

A Madame M…

 

Le soir s’est refermé, telle une sombre porte,

Sur mes ravissements, sur mes élans d’hier…

 Je t’évoque, ô splendide ! ô fille de la mer !

Et je viens te pleurer, comme on pleure une morte.

L’air des bleus horizons ne gonfle plus tes seins,

Et tes doigts sans vigueur ont fléchi sous les bagues ;

N’as-tu point chevauché sur la crête des vagues,

 Toi qui dors aujourd’hui dans l’ombre des coussins ?

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L’orage et l’infini qui te charmaient naguère

N’étaient-ils point parfaits, et ne valaient-ils pas

Le calme conjugal de l’âtre et du repas

Et la sécurité près de l’époux vulgaire ?

 Tes yeux ont appris l’art du regard chaud et mol

Et la soumission des paupières baissées.

 Je te vois, alanguie au fond des gynécées,

Les cils fardés, le cerne agrandi par le kohl.

 Tes paresses et tes attitudes meurtries

Ont enchanté le rêve épais et le loisir

De celui qui t’apprit le stupide plaisir.

O toi qui fus hier la sœur des Valkyries !

L’époux montre aujourd’hui tes yeux, si méprisants

 Jadis, tes mains, ton col indifférent de cygne,

Comme on montre ses blés, son jardin et sa vigne

Aux admirations des amis complaisants.

Abdique ton royaume et sois la faible épouse

Sans volonté devant le vouloir de l’époux…

Livre ton corps fluide aux multiples remous,

Sois plus docile encore à son ardeur jalouse.

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Garde ce piètre amour, qui ne sait décevoir

 Ton esprit autrefois possédé par les rêves…

Mais ne reprends jamais l’âpre chemin des grèves,

Où les algues ont des rythmes lents d’encensoir.

N’écoute plus la voix de la mer, entendue

Comme en songe à travers le soir aux voiles d’or…

Car le soir et la mer te parleraient encor

De ta virginité glorieuse et perdue.

 

Le jardin matinal

Viens, les heures d’amour sont furtives et rares…

Le jardin matinal est plein d’oiseaux bizarres.

Chère, je te convie à ce royal festin.

 Je ne veux pas jouir seule de ce matin.

L’aube heurte le ciel comme une porte close.

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Viens boire la rosée au cœur blond de la rose.

Bois la rosée ainsi qu’une fraîche liqueur.

Mon cœur est une rose et je t’offre mon cœur…

L’aube a des tons de nacre et des reflets de perle.

La joie est simple et rien n’est aussi beau qu’un merle.

Savourons cette ardeur un peu triste et pleurons

De sentir la clarté première sur nos fronts.

Viens, ma très chère… A l’est le ciel fardé chatoie,

L’herbe est douce aux pieds nus comme un tapis de soie…

Sans nous préoccuper de l’hostile destin,

Rendons grâces au ciel clément pour ce matin.

 

Au Dieu pauvre

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 Je t’adore, Dieu pauvre entre les Immortels,

Et j’ai tressé pour toi ces roses purpurines,

Parce que tu n’as point de temples ni d’autels,

Et que nul tiède encens ne flatte tes narines.

Nul ne te craint et nul n’implore ta bonté…

Ceux qui t’honorent sont pauvres, car tu leur donnes,

Ayant ouvert tes mains vides, la pauvreté ;

Et ton souffle est plus froid que celui des automnes.

Moi qui subis l’affront et le courroux des forts,

 Je t’apporte, Dieu pauvre et triste, ces offrandes :

Des violettes que je cueillis chez les morts

Et des fleurs de tabac, qui s’ouvraient toutes grandes…

Dans un coffret de jade aux fermoirs de cristal,

Dieu pauvre, je t’apporte humblement mon cœur sombre,

Car je ne sais aimer que ce qui me fait mal,

Eprise, d’un fantôme et le l’ombre d’une ombre…

 Je ne demande rien à ta Divinité

Sans parfums et que nul prêtre n’a reconnue…

Nul roi n’a jamais craint de t’avoir irrité

Et n’a pleuré devant ta châsse froide et nue.

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Mais moi qui hais la foule à l’entour des autels,

Moi qui raille l’espoir cupide des prières,

 Je te consacre, ô le plus doux des Immortels,

Ce chant pieux fleuri sur mes lèvres amères.

 

Eminé

Le couchant répandra la neige des opales,

Et l’air sera chargé d’odeurs orientales.

Les caïques furtifs jetteront leur éclair

De poissons argentins qui traversent la mer.

Ce sera le hasard qu’on aime et qu’on redoute…

A pas lents, mon destin marchera sur la route.

 Je le reconnaîtrai parmi les inconnus

Malgré les ciels changés et les temps survenus…

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Mon cœur palpitera, comme vibre une flamme…

Et mon destin aura la forme d’une femme,

Et mon destin aura de profonds cheveux bleus…

Il sera le fantasque et le miraculeux.

Involontairement, comme lorsque l’on pleure,

 Je me répéterai : « Toute femme a son heure :

« Aucune ne sera pareille à celle-ci :

Nul être n’attendra ce que j’attends ici. »

Celle qui brillera dans l’ombre solitaire

M’emmènera vers le domaine du mystère.

Près d’elle, j’entrerai, pâle autant qu’Aladin,

Dans un prestigieux et terrible jardin.

Mon cher destin, avec des lenteurs attendries,

Détachera pour moi des fruits de pierreries.

 Je passerai, parmi le féerique décor,

Impassible devant des arbres aux troncs d’or.

Et je mépriserai le soleil et la lune

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Et les astres en fleur, pour cette femme brune.

Ses yeux seront l’abîme où sombre l’univers

Et ses cheveux seront la nuit où je me perds.

A ses pieds nus, pleurant d’extases infinies,

 Je laisserai tomber la lampe des génies…

 

L’Amour borgne

 Je t’aime de mon œil unique, je te lorgne

Ainsi qu’un Chinois l’opium :

 Je t’aime aussi de mon amour borgne,

Fille aussi blanche qu’un arum.

 Je veux tes paupières de bistre,

Et ta voix plus lente qu’un sistre ;

 Je t’aime de mon œil sinistre

Où luit la colère du rhum.

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 Je te suis du regard, lubrique comme un singe,

Ivre comme un ballon sans lest.

 Ton âme incertaine de Sphinge

Flotte entre le zist et le zest.

Et je halète vers l’amorce

Des seins vibrants, du souple torse

Où la grâce épouse la force,

Et des yeux verts comme l’ouest.

 Ton visage s’estompe à travers les courtines ;

Et tu médites, un fruit sec

Entre tes lèvres florentines

Où s’apaise un sourire grec.

 Je meurs de tes paroles brèves…

 Je veux que de tes dents tu crèves

Mon œil où se brouillent les rêves,

Comme un ara, d’un coup de bec.

 

Ils pleurent vers le Soir…

Le jardin et le calme et la lumière basse,

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Et tous mes souvenirs qui pleurent vers le soir…

La douceur d’être seule et triste et de m’asseoir

Dans l’ombre, de ne plus sourire et d’être lasse…

Parmi les frondaisons rôdent d’anciens soupirs,

Et le bonheur lui-même est incertain et tremble.

 Je suis une qui se recueille et je rassemble

Mes souvenirs, mes souvenirs, mes souvenirs…

Ils se glissent, ainsi que des ombres furtives,

Les mains vides et les yeux éteints, en des prés

Sans odeurs et que nul printemps n’a diaprés.

Leurs pas ne laissent point d’empreinte sur les rives.

Ils ne contiennent plus leurs sanglots étouffants.

D’aucuns, aux yeux ternis, telles de vieilles lames,

Pleurent en se voilant, comme pleurent les femmes ;

D’autres pleurent sans honte, ainsi que les enfants.

 Je suis seule, je ne suis plus une amoureuse,

Et je n’adore plus un sourire enchâssé

Par le couchant : je me cherche dans mon passé,

Et j’évoque le temps où j’étais moins heureuse.

… Plus légers qu’un oiseau, plus frêles qu’un hochet,

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Voici les souvenirs lointains de mon enfance.

Ils courent, leurs rubans sont couleur d’espérance,

Leurs jupes ont encore une odeur de sachet.

Et maintenant, voici les souvenirs funèbres,

Ils passent, dédaigneux du rêve et de l’effort

Et couronnés es violettes de la mort ;

Leurs vêtements de deuil se mêlent aux ténèbres.

 Je rêve sans ardeur, tels les pâles reclus…

La Loreley que j’ai cruellement aimée

S’évanouit ainsi qu’une blonde fumée

Et je sens aujourd’hui que je ne l’aime plus.

Puis, un souvenir rit, et son rire chevrote…

Ce rire de vieille où se fêle la gaîté !..

Dans le jardin, que baigne un silence attristé,

L’ombre verte se creuse à l’égal d’une grotte.

 Je n’ai plus de ferveur, je n’ai plus de désirs,

 Je ne veux que la paix du jardin et de l’heure…

Il me semble qu’hier j’étais un peu meilleure…

Qu’on me laisse pleurer avec mes souvenirs…

 

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Viviane

Une odeur fraîche, un bruit de musique étouffée

Sous les feuilles, et c’est Viviane la fée.

Elle imite, cachée en un fouillis de fleurs,

Le rire suraigu des oiseaux persifleurs.

Souveraine fantasque, elle s’attarde et rôde

Dans la forêt, comme en un palais d’émeraude.

L’eau qui miroite a la couleur de son regard.

Elle se voile des dentelles du brouillard.

Parfois, une langueur monte de l’herbe et plane :

Les violettes ont salué Viviane.

Sa robe a des lueurs de perles et d’argent,

Son front est variable et son cœur est changeant.

Son pouvoir féminin s’insinue à la brune :

Elle devient irrésistible au clair de lune.

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Des pâtres ont cru voir, de leurs yeux ingénus,

Des serpents verts glisser le long de ses bras nus.

A minuit, la plus belle étoile la couronne ;

Parfois elle est cruelle et parfois elle est bonne.

Et Viviane est plus puissante que le sort ;

Elle porte en ses mains le sommeil et la mort.

Plus que l’espoir et plus que le songe, elle est belle.

Les plus grands enchanteurs sont des enfants près d’elle.

Près d’elle, la mémoire est un rêve aboli.

Son magique baiser est plus froid que l’oubli.

Ses cheveux sont défaits et le soleil les dore.

Chaque matin, elle est plus blonde que l’aurore.

Ondoyante, elle sait promettre et décevoir.

Vers le couchant, elle est rousse comme le soir.

A l’heure vague où le regret se dissimule,

Elle a les yeux lointains et gris du crépuscule.

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Lorsque le fil ambré du croissant tremble et luit

Sur les chênes, elle est brune comme la nuit.

Des rois ont partagé son palais et sa table,

Mais nul n’a jamais vu sa face véritable.

Elle renaît, elle est plus belle chaque jour,

Et ses illusions trompent le simple amour.

Elle erre, comme un vent d’avril, sous la ramée,

Et vous reconnaissez en elle votre aimée.

Elle est celle qu’on ne rencontre qu’une fois.

Ecoutez… Nulle voix n’est pareille à sa voix.

Elle approche, et ses doigts effeuillent des corolles.

Vous tremblez… Vous avez oublié les paroles…

Mais vous savez – le bois merveilleux l’a chanté –

Qu’elle vous appartient depuis l’éternité.

Elle a changé de nom, de voix et de visage ;

Malgré tout, vous l’ave reconnue au passage.

Elle réveille en vous tous les anciens désirs.

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A l’ombre de ses pas brillent des souvenirs.

Vous l’avez pressentie et vous l’avez rêvée

Longuement, et surtout vous l’avez retrouvée.

Elle trame pour vous des jardins et des ciels,

Et vous vous endormez en ses bras éternels.

 

Elle passe

 

Le ciel l’encadre ainsi que ferait une châsse,

Et je vivrais cent ans sans jamais la revoir.

Elle est soudaine : elle est le miracle du soir.

L’instant religieux brille et tinte. Elle passe…

 Je suis venue avec la foule des lépreux

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Dès l’aurore, ayant su que je serais guérie.

Ils regardent vers elle avec l’idolâtrie

En pleurant à voix basse. Et je pleure avec eux.

Un rayon d’espérance illumine l’espace,

Car ses pieds nus ont sanctifié le chemin.

Voyez ! un grand lys blanc est tombé de sa main…

Les sanglots se sont tus brusquement. Elle passe.

De nous tous qui pleurions elle a fait ses élus,

Et parmi nous aucun ne pleure ni ne doute.

Elle ne reviendra plus jamais sur la route,

Mais je la vis passer et je ne souffre plus.

 

Bonheur crépusculaire

 Tes sombres anneaux d’améthyste

S’animent et tremblent un peu

Sous la jaune lueur du feu…

Au-dehors la clarté persiste.

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Accueillons le songe, donneur

D’enchantements et de féeries…

Mêlons nos âmes attendries

Et parlons de notre bonheur.

Parlons du bonheur, ma très chère,

Comme l’on parle d’un ami,

Evoquant, en l’âtre endormi,

Sa ressemblance familière…

Les choses semblent nous servie

Dans un empressement docile…

Chuchotons : « Mon âme tranquille

N’a plus de rêves d’avenir. »

Le bonheur se fait mieux comprendre

Par les intimités d’hiver,

Lorsque flotte et pleure dans l’air

L’âme du crépuscule tendre.

Le bonheur est tissé d’oubli ;

Il ne connaît pas l’espérance ;

Il ressemble à la délivrance

Après le labeur accompli.

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Et c’est le bonheur d’être assises

 Toutes deux, auprès du foyer,

Et de voir le feu rougeoyer

En tes calmes prunelles grises.

C’est de taire les vains aveux

Et d’oublier les autres femmes,

En regardant luire les flammes

A travers tes profonds cheveux.

C’est de voir s’embraser l’automne

Dans l’âtre aux multiples reflets

Où croulent des tours, des palais,

Des façades et des colonnes…

Dans mon cœur qui frissonne un peu,

Un sanglot d’autrefois persiste…

Vois comme le bonheur est triste,

Les soirs d’hiver, auprès du feu…

 

Pénitentes Espagnoles

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Le repentir songeur n’use plus leurs genoux.

Parmi les champs malsains et les villes malades

Elles dansent, ainsi que de noires Ménades.

Parfois le vent du soir éteint leurs cierges roux.

Elles ont coupé leurs chevelures altières ;

Le cilice a mordu leurs seins endoloris

Leurs psaumes, soupirés ou jetés à grands cris,

S’accompagnent du son rauque des grelottières.

Pourtant, il dort au fond de leurs yeux espagnols

Des souvenirs qui sont comme un jardin mauresque

Où le jet d’eau retrace une blanche arabesque,

Où s’exaltent les voix de mille rossignols.

Et c’est en vain que ces lascives pénitentes

Lancent publiquement leurs clameurs de remords…

 Jusqu’au jour où les vers rongeront leurs yeux morts,

Leur chair n’oubliera pas ses langueurs consentantes.

Leurs flancs meurtris sont prêts encore aux pâmoisons,

Et leur bouche d’amante ouvre sa rose tiède,

Car le vent de Grenade et le vent de Tolède

Mêlent leurs sourds parfums au bruit des oraisons.

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Elles ne verront point, de leurs yeux de fiévreuses,

Le ciel où l’on n’a plus de souvenirs d’amour,

D’où, froide en sa blancheur, l’éternité du jour

Chasse les voluptés aux ferveurs ténébreuses.

Elles n’entreront point au ciel limpide et clair,

Mais, dans la nuit ardente où pleurent les damnées,

L’amour, ressuscitant du tombeau des années,

Saura leur alléger les tourments de l’enfer.

 

Dans le Havre

Lasse comme les flot, lasse comme les voiles,

 J’entre dans le doux port plein d’embruns et d’étoiles.

Depuis des temps j’ai vu les plus divins climats

Et je dors en ce havre où sommeillent des mâts.

Mon esprit s’est tourné vers des rêves plus sages,

 Je désapprends enfin l’ardeur des longs voyages.

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 Tant de rires dorés viennent vous décevoir

Que l’on se sent moins de jeunesse vers le soir…

En vain j’ai côtoyé les terres trop charmantes

Qui déçoivent, ainsi que le font les amantes.

 J’y croyais découvrir des océans d’or bleu,

Des fleuves d’escarboucle et des roses de feu,

Mais je sus que d’aucuns mentaient en parlant d’elles,

Et que le rêve seul les rendait aussi belles…

Donc je reviens trouver la bonne paix. Ici,

Le soleil est moins vif, le ciel s’est adouci.

Dans le doux havre où se reflètent les étoiles,

 Je verrai sans regret partir les autres voiles.

 

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La Soif impérieuse

 J’étais hier la voyageuse solitaire.

 J’allais, portant au cœur une âpre anxiété…

 J’avais besoin de toi comme d’un flot d’été,

D’un flot purifiant où l’on se désaltère.

Aujourd’hui, mon silence a des bonheurs pensifs.

O très chère ! et mon âme est une coupe pleine,

Le monde est beau comme un verger de Mytilène :

 Je ne crains plus le soir qui pleure sous les ifs.

 J’avais besoin de toi comme d’une eau courante

Que l’on écoute et qui berce votre chagrin

Dans un ruissellement musical et serein…

 J’entendis ta voix claire ainsi qu’une eau qui chante.

 Ta voix coulait, murmure et cadence à la fois,

Chère, et ce fut dans mon être le bleu nocturne,

Et, je sentis alors mon chagrin taciturne

S’attendrir… J’écoutais l’eau pure de ta voix.

Depuis lors, la lourdeur des blancs midis m’enchante,

Et ma soif ne craint plus le soleil irrité…

 J’avais besoin de toi comme d’un flot d’été,

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 J’avais besoin de toi comme d’une eau qui chante…

 

 Je fus un Page épris

 

C’est l’heure où le désir implore et persuade…

Le monde est amoureux comme une sérénade,

Et l’air nocturne a des langueurs de sérénade.

Les ouvriers du soir, tes magiques amis,

Ont tissé d’or léger ta robe de samis

Et semé d’iris bleus la trame du samis.

Il me semble que nous venons l’une vers l’autre

Du fond d’un autrefois inconnu qui fut nôtre,

D’un pompeux et tragique autrefois qui fut nôtre.

Sur mes lèvres persiste un souvenir charmant.

Qui peut savoir ? Je fus peut-être ton amant…

O ma splendeur ! Je fus naguère ton amant…

Une ombre de chagrin un peu cruel s’obstine,

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Amenuisant encor ta bouche florentine…

Ah ! ton sourire aigu de Dame florentine !

Mon souvenir est plus tenace qu’un espoir…

L’âme d’un page épris revit en moi ce soir,

D’un page qui chantait sous ton balcon, le soir…

 

La Palme

A mon réveil, ce fut le miracle du monde,

Le ciel aux bleus de songe et les flots d’or vivant,

La Méditerranée… Et j’allais en rêvant,

 Tant la paix de l’aurore était sage et profonde,

Que pour nous seules l’univers était vivant,

Et que nous étions l’âme et le centre du monde.

M’étant perdue au fond du jardin matinal,

 Je détachai pour toi du palmier cette palme

Que la terre nourrit de sève forte et calme.

Là-bas, où l’air sonore est un vibrant cristal,

 Très chère, tu prendras entre tes mains la palme

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Que j’ai rompue, en le mystère matinal.

Car j’ai choisi, pour t’encadrer, ô la plus belle !

La volupté de ce décor italien,

De ce ciel dont le rire est moins doux que le tien,

De cette mer qui voit la lune émerger d’elle…

Vois, le prestigieux décor italien

Est seul digne de t’encadrer, ô la plus belle !

Et toi, sachant que rien n’égale la beauté,

Ni la puissance, ni la foi, ni le génie,

Souris, victorieuse, inconnue, infinie,

Parfaite en ta douceur comme en ta cruauté,

Plus grande que l’effort le plus fier du génie,

O femme pâle en qui triomphe la beauté !

 

Le Ténébreux Jardin

Les heures ont éteint le feu de mes vertèbres,

Et leur morne lourdeur a pesé sur mon front…

Voici que les lointains trop clairs s’attendriront

Et la nuit m’ouvrira son jardin de ténèbres.

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Solitaire, tandis que le temps coule et fuit,

 Je cueillerai les fleurs du regret et du songe.

Reconnaissante au doux charme qui se prolonge,

 J’offrirai le parfum de mon âme à la nuit.

Les poèmes ont des lignes trop régulières,

Les musiques, un son trop clair, trop cristallin…

 Je frapperai bientôt aux portes du jardin

Qui s’ouvriront pour moi, larges et familières.

Car la nuit m’aime : elle a compris que je l’aimais…

Et, sachant que je suis résignée et lointaine,

Elle m’apporte, ainsi qu’en un coffret d’ébène,

La tristesse des autrefois et des jamais…

La nuit me livrera ses lys noirs et ses roses

Noires et ses violettes aux bleus obscurs,

Et je m’attarderai dans l’angle de ses murs

 Tels que ceux des cités royalement encloses…

Peu m’importe aujourd’hui le caprice du sort…

La nuit s’ouvre pour moi comme un jardin de reine

Où je promènerai ma volupté sereine

Et mon indifférence à l’égard de la mort.

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Nous nous sommes assises

Ma douce, nous étions comme deux exilées,

Et nous portions en nous nos âmes désolées.

L’air de l’aurore était plus lancinant qu’un mal…

Nul ne savait parler le langage natal…

Alors que nous errions parmi les étrangères,

Les odeurs du matin ne semblaient plus légères.

…Lorsque tu te levas sur moi, tel un espoir,

 Ta robe triste était de la couleur du soir.

Voyant tomber la nuit, nous nous sommes assises,

Pour sentir la fraîcheur amical des bises.

Puisque nous n’étions plus seules dans l’univers,

Nous goûtions avec plus de langueur les beaux vers.

Chère, nous hésitions, sans oser croire encore,

Et je te dis : « Le soir est plus beau que l’aurore. »

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 Tu me donnas ton front, tu me donnas tes mains,

Et je ne craignis plus les mauvais lendemains.

Les couleurs éteignaient leurs splendide insolence ;

Nulle voix ne venait troubler notre silence…

 J’oubliai les maisons et leur mauvais accueil…

Le couchant empourprait mes vêtements de deuil.

Et je te dis, fermant tes paupières mi-closes :

« Les violettes sont plus belles que les roses. »

Les ténèbres gagnaient l’horizon, flot à flot…

Ce fut autour de nous l’harmonieux sanglot…

Une langueur noyait la cité forte et rude,

Nous savourions ainsi l’heure en sa plénitude.

La mort lente effaçait la lumière et le bruit…

 Je connus le visage auguste de la nuit.

Et tu laissas glisser à tes pieds nus tes voiles…

 Ton corps m’apparut, plus noble sous les étoiles.

C’était l’apaisement, le repos, le retour…

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Et je te dis : « Voici le comble de l’amour… »

 Jadis, portant en nous nos âmes désolées,

Ma Douce, nous étions comme deux exilées…

 

Départ

La lampe des longs soirs projette un rayon d’ambre

Sur les cadres dont elle estompe les vieux ors.

L’heure de mon départ a sonné dans la chambre…

La nuit est noire et je ne vois rien au-dehors.

 Je ne reconnais plus le visage des choses

Qui furent les témoins des jours bons et mauvais…

Voici que meurt l’odeur familière des roses…

La nuit est noire, et je ne sais pas où je vais.

Devrais-je regretter cet autrefois ?… Peut-être…

Mais je n’appartiens point aux regrets superflus…

 Je marche devant moi, l’avenir est mon maître,

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Et, quel que soit mon sort, je ne reviendrai plus.

 

Mensonge du Soir

Or, par un soir pareil, je crus être poète…

 J’avais rêvé, dans le silence trop exquis,

De soleils possédés et de lauriers conquis…

Et ma vie est semblable aux lendemains de fête.

 Tout me fait mal, l’été, le rayon d’un fanal

Rouge sur l’eau nocturne, et le rythme des rames,

Les rosiers d’un jardin et les cheveux des femmes

Et leur regard, tout me fait mal, tout me fait mal.

Venez à moi, mes deux amours, mes bien-aimées…

 Je vous entourerai de vos anciens décors,

 Je vous rendrai vos fleurs, vos gemmes et vos ors,

Et je rallumerai vos torches consumées.

Vous fûtes ma splendeur et ma gloire et mon chant,

 Toi, Loreley, clair de lune, rire d’opale

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Et toi dont la présence est calme et vespérale,

Et l’amour plus pensif que le soleil couchant.

O vous que mes désirs et mes pleurs ont parées,

 Toi que j’aimais hier, toi que j’aime aujourd’hui,

Allons vers les palais d’où les reines ont fui,

Et vers les faibles mers qui n’ont point de marées.

Le dernier frisson d’or s’est tu dans les guêpiers…

 Toi, pâle comme Atthis, et toi, ceinte de roses

Comme Dika, marchons sur les routes moroses

Qui n’ont point su arder l’empreinte de nos pieds.

Le présent despotique est comme un maître rude

Qui tourmente l’esclave au sommeil harassé…

Mes chères, descendons la pente du passé

En sentant que le soir est plein de lassitude.

 Je songe à l fatigue, à l’ennui des retours

Qui suivent les départs vers les terres charmantes…

Allons ainsi jusqu’au futur, ô mes amante !

Sachant que nous avons vécu nos plus beaux jours.

 

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Vers Lesbos

ElTu viendras, les yeux pleins du soir et de l’hier…

Et ce sera par un beau couchant sur la mer.

Frêle comme un berceau posé sur les flots lisses,

Notre barques sera pleine d’ambre et d’épices.

Les vents s’inclineront, soumis à mon vouloir.

 Je te dirai : « La mer nous appartient, ce soir. »

 Tes doigts ressembleront aux longs doigts des noyées.

Nous irons au hasard, les voiles déployées.

Levant tes yeux surpris, tu me demanderas :

« Dans quel lit inconnu dormirai-je en tes bras ? »

Des oiseaux chanteront, cachés parmi les voiles.

Nous verrons se lever les premières étoiles.

 Tu me diras : « Les flots se courbent sous ma main…

Et quel est ce pays où nous vivrons demain ? »

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Mais je te répondrai : « L’onde nocturne est blême,

Et nous sommes encor loin de l’île que j’aime.

« Ferme tes yeux lassés par le voyage et dors

Comme en ta chambre close aux rumeurs du dehors…

« Telle, dans un verger, une femme qui chante,

Le bonheur nous attend dans cette île odorante.

« Couvre ta face pâle avec tes cheveux roux.

L’heure est calme et la paix de la mer est sur nous.

« Ne t’inquiète point… Je suis accoutumée

Aux risques de la mer et des vents, Bien-Aimée… »

Sous la protection du croissant argentin,

 Tu dormiras jusqu’à l’approche du matin.

Les plages traceront au loin la grise marge

De leurs sables… Tes yeux s’ouvriront sur le large.

 Tu m’interrogeras, non sans un peu d’effroi.

Des chants mystérieux parviendront jusqu’à toi…

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 Tu me diras, avec des rougeurs ingénues :

« Rien n’est aussi troublant que ces voix inconnues.

« Leur souffle harmonieux évente mon front las :

Mais l’aube est sombre encore et je ne comprend pas.

« Notre mauvais destin saura-t-il nous rejoindre

Au fond de ce matin craintif que je vois poindre ? »

 Je te dirai, fermant tes lèvres d’un baiser :

« Le bonheur est là-bas… Car il faut tout oser…

« Là-bas, nous entendrons la suprême musique…

Et, vois, nous abordons à l’île chimérique… »

 

Viens, Déesse de Kupros

Viens, Déesse de Kupros, et verse

délicatement dans les coupes d’or le

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nectar mêlé de joies.

Psappha

Mon orgueil n’a connu que le blâme et l’affront,

Et l’impossible gloire au loin rit et chatoie…

Puisque le noir laurier ne ceindra point mon front,

Remplis la coupe d’or et verse-moi la joie !

 Je me couronnerai de pampre, vers le soir.

Grâce au vin bienfaisant qui chante dans les moelles,

 Je me verrai marcher vers l’azur et m’asseoir

Parmi les Dieux, devant le festin des étoiles.

Verse le vin de Chypre et le vin de Lesbos,

Dont la chaude langueur sourit et s’insinue,

Et, l’heure étant sacrée au roux Dionysos,

Prends le thyrse odorant et danse, ardente et nue.

 Je bois l’été, le chant des cigales, les fruits,

Les fleurs et le soleil dans le creux de l’amphore ;

Car la nuit du festin est brève entre les nuits

Et le pampre divin se flétrit dès l’aurore.

 

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Nuit Mauresque

La nuit est façonnée avec un art subtil

Ainsi qu’un merveilleux palais de Boabdil.

La fontaine redit ses rythmes monotones

Et les ifs argentés sont de blanches colonnes.

Dans le jardin, roi morne et conquérant lassé.

Se recueille et s’attarde et veille le passé.

Le ciel, où la lumière est éclatante et noire,

Est un plafond de cèdre et de nacre et d’ivoire.

Par cette nuit d’amour, mon désir est moins près

Des jets d’eau radieux et purs que des cyprès.

Pourtant j’aime l’élan des rossignols, et j’aime

Ces fontaines qui sont plus belles qu’un poème.

Viens dans ces murs, où ton caprice me céda,

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Ma maîtresse de tous les temps, Zoraïda !

Faisons revivre, au fond de ces tièdes allées,

Les languides ghuzlas et les femmes voilées.

Et rêvons un amour insensé, frémissant

De victoire fatale et de fièvre et de sang.

Ma maîtresse ! tandis que l’instant se prolonge,

Errons, les doigts unis, dans l’Alhambra du songe.

 

Attente

En cette chambre où meurt un souvenir d’aveux,

L’odeur de nos jasmins d’hier s’est égarée…

Pour toi seule je me suis vêtue et parée,

Et pour toi seule j’ai dénoué mes cheveux.

 J’ai choisi des joyaux… Ont-ils l’heur de te plaire ?

Dans mon cœur anxieux quelque chose s’est tu…

Comment t’apparaîtrai-je et que me diras-tu,

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Amie, en franchissant mon seuil crépusculaire ?

Des violettes et des algues vont pleuvoir

A travers le vitrail violet et vert tendre…

 Je savoure l’angoisse idéale d’attendre

Le bonheur qui ne vient qu’à l’approche du soir.

En silence, j’attends l’heure que j’ai rêvée…

La nuit passe, traînant son manteau sombre et clair…

Mon âme illimitée est éparse dans l’air…

Il fait tiède et voici : la lune s’est levée.

 

Les Souvenirs sont des Grappes…

Voici l’heure amoureuse où chante la Sirène…

Les souvenirs sont des grappes que l’on égrène.

Le silence est pareil à l’écho d’une voix,

Et je me tourne, avec les regards d’autrefois,

Vers celles qu’aujourd’hui mon baiser importune,

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Celle qui fut ma Loreley, ma fleur de lune.

Pendant le jour je puis l’oublier, mais la nuit,

 Très blonde, elle se lève et son visage luit…

Et je me sens alors moins forte, moins sereine…

Voici l’heure amoureuse où chante la Sirène...

Ses yeux changeants et frais sont le reflet de l’eau…

Quand je rêve, tout le passé me semble plus beau.

Quand je rêve, tout le passé se transfigure…

 Je la vois dénouant sa froide chevelure.

Lorsque mon cœur est plein de l’ardeur du couchant,

 Je ne sais plus combien son rire fut méchant.

Le croissant fend l’éther ainsi qu’une carène…

Voici l’heure amoureuse où chante la Sirène.

Lorsque l’ombre montante emplit mon cœur lassé,

 Je sens que nul bonheur ne vaut l’amer passé,

 Je sais combien sont faux les baisers que tu donnes,

O chère ! mais je sais que les larmes sont bonnes.

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Le passé rare est un trésor enseveli..

Parfois, je ne crains rien au monde sauf l’oubli.

Les souvenirs sont des grappes que l’on égrène.

Voici l’heure amoureuse où chante la Sirène…

 

Vous pour qui j’écrivis

Vous pour qui j’écrivis, ô belles jeunes femmes !

Vous que, seules, j’aimais, relirez-vous mes vers

Par les futurs matins neigeant sur l’univers,

Et par les soirs futurs de roses et de flammes ?

Songerez-vous, parmi le désordre charmant

De vos cheveux épars, de vos robes défaites :

« Cette femme, à travers les sanglots et les fêtes,

A porté ses regards et ses lèvres d’amant. »

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Pâles et respirant votre chair embaumée,

Dans l’évocation magique de la nuit,

Direz-vous : « Cette femme eut l’ardeur qui me fuit…

Que n’est-elle vivante ! Elle m’aurait aimée… »

 

Par les Soirs futurs

Non ! par les soirs futurs de roses et de flammes,

Mystérieux ainsi que les temples hindous,

Nul ne saura mon nom et nulle d’entre vous

Ne redira mes vers, ô belles jeunes femmes !

Nulle de vous n’aura le caprice charmant

De regretter l’amour d’une impossible amie,

Et d’appeler tout bas, désireuse et blêmie,

L’impérieux baiser de mes lèvres d’amant.

Vous chercherez l’amour, fraîches et parfumées,

 Tournant vers l’avenir vos pas irrésolus,

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Et nulle d’entre vous ne se souviendra plus

De moi, qui vous aurais si gravement aimées…

 

Le pilori

Pendant longtemps, je fus clouée au pilori,

Et des femmes, voyant que je souffrais, ont ri.

Puis, des hommes ont pris dans leurs mains une boue

Qui vint éclabousser mes tempes et ma joue.

Les pleurs montaient en moi, houleux comme des flots,

Mais mon orgueil me fit refouler mes sanglots.

 Je les voyais ainsi, comme à travers un songe

Affreux et dont l’horreur s’irrite et se prolonge.

La place était publique et tous étaient venus,

Et les femmes jetaient des rires ingénus.

Ils se lançaient des fruits avec des chansons folles,

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Et le vent m’apportait le bruit de leurs paroles.

 J’ai senti la colère et l’horreur m’envahir.

Silencieusement, j’appris à les haïr.

Les insultes cinglaient, comme des fouets d’ortie.

Lorsqu’ils m’ont détachée enfin, je suis partie.

 Je suis partie au gré des vents. Et depuis lors

Mon visage est pareil à la face des morts.

 

Vaincue

Le couchant est semblable à la mort d’un poète…

Ah ! pesanteur des ans et des songes vécus !

Ici, je goûte en paix l’heure de la défaite,

Car le soir pitoyable est l’ami des vaincus.

Mes vers n’ont pas atteint à la calme excellence,

 Je l’ai compris, et nul ne les lira jamais…

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Il me reste la lune et le proche silence,

Et les lys, et surtout la femme que j’aimais…

Du moins, j’aurai connu la splendeur sans limite

De la couleur, de la ligne, de la senteur…

 J’aurai vécu ma vie ainsi que l’on récite

Un poème, avec art et tendresse et lenteur.

Mes mains gardent l’odeur des belles chevelures.

Que l’on m’enterre avec mes souvenirs, ainsi

Qu’on enterrait avec les reines leurs parures…

 J’emporterai là-bas ma joie et mon souci…

Isis, j’ai préparé la barque funéraire

Que l’on remplit de fleurs, d’épices et de nard,

E dont la voile flotte en des plis de suaire…

Les rituels rameurs sont prêts… Il se fait tard…

Sous la protection auguste de tes ailes,

O Déesse ! j’irai vers les prés sans avril…

 Je partirai, parmi les odes fraternelles,

Sur un fleuve plus large et plus noir que le Nil.

Et que mon cœur soit lourd dans ta juste balance,

Lorsque j’arriverai près du trône fatal

Où le silence noir est plein de vigilance

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Et que servent les Dieux à têtes de chacal.

Isis, fais-moi rejoindre, au fond des plaines nues,

Les poètes obscurs qui savent les affronts

Et qui passent, chantant leurs strophes inconnues

Dans le soir éternel qui pèse sur leurs fronts…

 

Le Monde est un Jardin

Le monde est un jardin de plaisir et de mort,

Où l’ombre sous les bleus feuillages semble attendre,

Où la rose s’effeuille avec un bruit de cendre,

Où le parfum des lys est volontaire et fort ?

Parmi les lys nouveaux et les roses suprêmes,

Nous mêlons nos aveux à d’antiques sanglots…

Le monde est le jardin où tout meurt, les pavots

Et les sauges et les romarins et nous-mêmes.

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Des rires sont cachés partout ; l’on sent courir

Au ras du sol les pieds invisibles des brises,

Et nous nous promènerons dans ce jardin, éprises

Et ferventes, sachant que nous devons mourir…

Nous allons au hasard de nos rêves, j’effleure

 Ton col, et tes yeux sont comme un lac endormi.

Le soleil nous regarde avec des yeux d’ami,

Et nous ne songeons point à la fuite de l’heure.

Nous marchons lentement et notre ombre nous suit…

Le vent bruit avec un long frisson de traîne…

Nous qui ne parlons pas de notre mort certaine,

Avons-nous oublié l’approche de la nuit ?…

 

Intérieur

Dans mon âme a fleuri le miracle des roses.

Pour le mettre à l’abri, tenons les portes closes.

 Je défends mon bonheur, comme on fait des trésors,

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Contre les regards durs et les bruits du dehors.

Les rideaux sont tirés sur l’odorant silence,

Où l’heure au cours égal coule avec nonchalance.

Aucun souffle ne fait trembler le mimosa

Sur lequel, en chantant, un vol d’oiseaux pesa.

Notre chambre paraît un jardin immobile

Où des parfums errants viennent trouver asile.

Mon existence est comme un voyage accompli.

C’est le calme, c’est le refuge, c’est l’oubli.

Pour garder cette paix faite de lueurs roses,

O ma Sérénité ! tenons les portes closes.

La lampe veille sur les livres endormis,

Et le feu danse, et les meubles sont nos amis.

 Je ne sais plus l’aspect glacial de la rue

Où chacun passe, avec une hâte recrue.

 Je ne sais plus si l’on médit de nous, ni si

L’on parle encor… Les mots ne font plus mal ici.

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 Tes cheveux sont plus beaux qu’une forêt d’automne,

Et ton art soucieux les tresse et les ordonne.

Oui, les chuchotements ont perdu leur venin,

Et la haine d’autrui n’est plus qu’un mal bénin.

 Ta robe verte a des frissons d’herbes sauvages,

Mon amie, et tes yeux sont pleins de paysages.

Qui viendrait nous troubler, nous qui sommes si loin

Des hommes ? Deux enfants oubliés dans un coin ?

Loin des pavés houleux où se fanent les roses,

Où s’éraillent les chants, tenons les portes closes…

 

Voici mon Mal

Parmi mes lys fanés je songe que c’est toi

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Qui me fis le plus grand chagrin d’amour, Venise !

 Tu m’as trahie autant qu’une femme et conquise

En me prenant ma force, et mon rêve et ma foi.

… Je ne cherche plus rien dans Venise : l’ivresse

Des beaux palais n’est plus en moi ; le chant banal

Des gondoliers me fait haïr le Grand Canal,

Et je n’espère plus aimer la Dogaresse.

Voici mon mal : il est négligeable et profond.

Rendue indifférente à la beauté que j’aime,

 J’erre, portant le deuil éternel de moi-même,

Parce que je n’ai pas de lauriers à mon front.

 

 Toi, notre Père Odin

Le vent d’hiver s’élance, audacieux et fort,

Ainsi que les Vikings aux splendides colères.

La tempête a soufflé sur les pins séculaires,

Et les flots ont bondi… Venez, mes Dieux du Nord !

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Vos yeux ont le reflet des lames boréales,

Les abîmes vous sont de faciles chemins,

Et vous êtes grands et sveltes comme les pins,

O maîtres des cieux froids et des races loyales !

Mes Dieux du Nord, hardis et blonds, réveillez-vous

De votre long sommeil dans les neiges hautaines,

Et faites retentir vos appels sur les plaines

Où se prolonge au soir le hurlement des loups !

Venez, mes Dieux du Nord aux faces aguerries,

 Toi, notre père Odin, toi dont les cheveux d’or,

Freya, sont pleins d’odeurs, et toi, valeureux Thor,

 Toi, Fricka volontaire, et vous, mes Valkyries !

Ecoutez-moi, mes Dieux, pareils aux clairs matins !

 Je suis la fille de vos Skaldes vénérables,

De ceux qui vous louaient, debout auprès des tables

Où les héros buvaient l’hydromel des festins.

Venez, mes Dieux puissants ! car notre hiver est proche,

Nous allons rire avec les joyeux ouragans,

Nous abattrons le chêne épargné par les ans,

Et les monts trembleront jusqu’en leur cœur de roche !

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Nous poserons nos pieds triomphants sur les mers,

Et nous réjouirons de la danse des vagues ;

Pour nous s’animeront les brumes, formes vagues,

Et pour nous nous brilleront les sillons de l’éclair.

Les mouettes crieront vers nous et vers l’otage

Que nous apporterons dans le creux de nos mains.

Nous entendrons le choc des combats surhumains

Et le cri des vaincus sur le blême rivage.

Voici, mes Dieux, que vous riez comme autrefois

Et que l’aigle tournoie au-dessus de son aire !

Nous avons déchaîné la meute du tonnerre,

Ce terrible troupeau qui reconnaît vos voix !

La terre écoutera nos farouches musiques,

Et les cieux révoltés ploieront sous notre effort.

Venez à moi qui vous attends, mes Dieux du Nord !

 Je suis la fille de vos Skaldes héroïques.

 

Accueil

 

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Accueil

Flambeaux éteints,

1907

 

Flambeaux éteints

Voici ce que je chanterai

Les Roses sont entrées

Paroles soupirées

Sois Femme…

La Lune s’est noyée

Elle demeure en son palais

La Flûte qui s’est tue

Caravanes

Les Etres de la Nuit

Fête d’Automne

A mon Amie H.L.C.B.

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Flambeaux éteints

Les êtres de la nuit et les êtres du jour

Ont longtemps partagé mon âme, tour à tour.

Les êtres de la nuit m’ont fait craindre le jour.

Car les êtres du jour sont triomphants et libres,

Nulle secrète horreur ne fait vibrer leurs fibres,

Ils ont le regard clair de ceux qui naissent libres.

Les êtres de la nuit sont lents, passifs et doux,

Leur âme est comme un fleuve obscur et sans remous,

Leurs gestes sont furtifs et leurs rires sont doux.

Mais les êtres du jour ont des prunelles claires,

De ce bleu que voient seuls les aigles dans leurs aires.

Le jour fait resplendir ces prunelles trop claires.

Ce sont les yeux aigus des héros et des rois

Du Nord qu’on entend rire au fond des palais froids,

Et des reines dont l’âme a dominé les rois.

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Les êtres de la nuit sont craintifs, mais dans l’ombre

Un phosphore inconnu luit en leur regard sombre :

Les êtres de la nuit ne vivent que par l’ombre.

Les êtres de la nuit sont faibles et charmants :

Ils trompent, et ce sont les fugitifs amants,

Les amantes aux cœurs perfides et charmants.

Ils détournent, dans le baiser, leur froide bouche,

Et leur pas se dérobe ainsi qu’un vol farouche.

On ne boit qu’un baiser décevant sur leur bouche.

Il faut craindre l’attrait des êtres de la nuit,

Car leur corps souple glisse entre les bras et fuit,

Et leur amour n’est qu’un mensonge de la nuit.

 

Fête d’Automne

L’adorable repos, les brèves accalmies,

Vous seules me les donnâtes, ô mes amies !

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Voyant paraître enfin la lune à l’arc d’argent,

 Je me repose et me désennuie, en songeant…

Vous fûtes la douceur de mes heures mauvaises,

Le baume oriental qui trompe les malaises,

Et vous m’avez conduite en un verger païen

Où l’âme ne regrette et ne désire rien.

Vos fûtes le parfum du soir sur mon visage,

Et la volupté triste, et la tristesse sage.

Au hasard du Destin, vous fûtes tour à tour

La sereine tendresse et le mauvais amour.

 Je vous prends et je vous respire, mes aimées,

Ainsi qu’une guirlande aux fraîcheurs embaumées.

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Vus avez su tourner vers vous tous mes désirs,

Et vous avez rempli mes mains de souvenirs ;

 Je vous le dis, à vous qui m’avez couronnée :

« Qu’importent les demains ? Cette nuit m’est donnée !

« Qu’importe désormais ce qui passe et qui fuit ?

Nul vent n’emportera l’odeur de cette nuit. »

Vous avez dénoué mes cheveux, ô maîtresses

Qui mêliez en riant des roses à mes tresses !

Si bien que je n’ai plus sangloté de ne voir

A mon front ni léger pampre ni laurier noir.

La gloire m’a souri dans les aubes dorées

Puisque ma gloire est de vous avoir adorées.

Vous m’avez enseigné dans les jardins, sachant

Qu’ainsi je vous louerais, l’amertume du chant.

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Et d’une voix parfois troublée et parfois claire,

O femmes ! j’ai chanté dans l’espoir de vous plaire.

 

Les Roses sont entrées

Ma brune aux yeux dorés, ton corps d’ivoire et d’ambre

A laissé des reflets lumineux dans la chambre

Au-dessus du jardin.

Le ciel clair de minuit, sous mes paupières closes,

Rayonne encor… Je suis ivre de tant de roses

Plus rouges que le vin.

Délaissant leur jardin, les roses m’ont suivie…

 Je bois leur souffle bref, je respire leur vie.

 Toutes, elles sont là.

C’est le miracle… Les étoiles sont entrées,

Hâtives, à travers les vitres éventrées

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Dont l’or fondu coula.

Maintenant, parmi les roses et les étoiles,

 Te voici dans ma chambre, abandonnant tes voiles,

Et ta nudité luit.

Sur mes yeux s’est posé ton regard indicible…

Sans astres et sans fleurs, je rêve l’impossible

Dans le froid de la nuit.

 

Paroles soupirées

Vois, tandis que gauchit la bruine sournoise,

Les nuages pareils à des chauves-souris,

Et là-bas, gris et bleu sous les cieux bleus et gris,

Ruisseler le reflet pluvieux de l’ardoise.

O mon divin Tourment, dans tes yeux bleus et gris

S’aiguise et se ternit le reflet de l’ardoise.

 Tes longs doigts, où sommeille une étrange turquoise,

Ont pour les lys fanés un geste de mépris.

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La clarté du couchant prestigieux pavoise

La mer et les vaisseaux d’ailes de colibris…

Vois là-bas, gris et bleu sous les cieux bleus et gris,

Ruisseler le reflet pluvieux de l’ardoise.

Le flux et le reflux du soir déferlent, gris

Comme la mer, noyant les pierres et l’ardoise.

Sur mon chemin le Doute aux yeux pâles se croise

Avec le Souvenir, près des ifs assombris.

 Jamais, nous défendant de la foule narquoise,

Un toit n’abritera nos soupirs incompris…

Vois là-bas, gris et bleu sous les cieux bleus et gris,

Ruisseler le reflet pluvieux de l’ardoise.

 

Sois Femme…

 Très chère, sois plus femme encore, si tu veux

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Me plaire davantage et sois faible et sois tendre,

Mêle avec art les fleurs qui parent tes cheveux,

Et sache t’incliner au balcon pour attendre.

Ce qu’il est de plus grave en un monde futile,

C’est d’être belle et c’est de plaire aux yeux surpris,

D’être la cime pure, et l’oasis, et l’île,

Et la vague musique au langage incompris.

Qu’un changeant univers se transforme en ta face,

Que ta robe s’allie à la couleur du jour,

Et choisis tes parfums avec un art sagace,

Puisqu’un léger parfum sait attirer l’amour.

Immobile au milieu des jours, sois attentive

Comme si tu suivais les méandres d’un chant,

Allonge ta paresses à l’ombre d’une rive,

Etre sous les cyprès à l’ombre du couchant.

Sois lointaine, sois la Présence des ruines

Dans les palais détruits où frissonne l’hiver,

Dans les temples croulants aux ombres sibyllines,

Et souffre de la mort du soleil et de la mort.

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Comme une dont on hait la race et qu’on exile,

Sois faible et parle bas, et marche avec lenteur.

Expire chaque soir avec le jour fébrile,

Agonise d’un bruit et meurs d’une senteur.

Etant ainsi ce que mon rêve t’aurait faite,

Reçois de mon amour un hommage fervent,

O toi qui sais combien le ciel est décevant

Aux curiosités fébriles du poète!

Et je retrouverai dans ton unique voix,

Dans le rayonnement de ton visage unique,

 Toute l’ancienne pompe et l’ancienne musique

Et le tragique amour des reines d’autrefois.

 Tes beaux cheveux seront mon royal diadème,

Mes sirènes d’hier chanteront dans ta voix.

 Tu seras tout ce que j’adorais autrefois,

 Toi seule incarneras l’amour divers que j’aime.

 

La Lune s’est noyée

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Seule, je sais la mort de Madonna la Lune,

De la Lune aux cheveux si blonds et si légers,

Aux yeux furtifs et dont les voiles ouvragés

Glissaient avec un si doux frisson dans la brume…

Hier soir, quand j’errais au loin, je l’aperçus.

 Je l’aperçus penchée et pleurant, sous l’yeuse,

Ainsi qu’une fantasque et plaintive amoureuse

Se lamentant des chers baisers trop tôt déçus.

Comme pour un festin, elle s’était parée,

Elle s’était parée avec ses colliers d’or.

Un hibou, s’élevant dans un craintif essor,

La frôla doucement de son aile égarée.

La Lune s’inclina. Telle aux soirs de jadis,

Aux longs soirs de jadis tremblants sur l’eau dormante

Elle mirait son front capricieux d’amante…

Et soudain j’entendis un froissement d’iris.

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 J’écartai les roseaux frémissants et tenaces,

 Tenaces à l’égal de frêles bras liés.

La Lune reposait, avec ses beaux colliers.

Au loin se répandait un thrène de voix basses.

La Lune diffusait une faible splendeur,

Une splendeur mourante, au fond des herbes glauques.

Et voici que, soudain, ayant tu ses chants rauques,

Un crapaud se posa froidement sur son cœur.

 Je vais pleurant la mort de la Lune, ma Dame,

De ma Dame qui gît au fond des nénuphars.

Il n’est plus de clarté dans ses cheveux épars,

Et ses yeux ont perdu l’azur vert de leur flamme.

Quel lit recueillera mon frileux désespoir,

Mon désespoir d’amant fidèle et de poète ?

O vous tous que le bruit de mes pleurs inquiète,

La Lune s’est noyée au fond de l’étang noir !

 

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Elle demeure en son palais

LElle demeure en son palais, près du Bosphore,

Où la lune s’étend comme en un lit nacré…

Sa bouche est interdite et son corps est sacré,

Et nul être, sauf moi, n’osa l’étreindre encore.

Des nègres cauteleux la servent à genoux…

Humbles, ils ont pourtant des regards de menace

Fugitifs à l’égal d’un éclair roux qui passe…

Leur sourire est très blanc et leurs gestes sont doux…

Ils sont ainsi mauvais parce qu’ils sont eunuques

Et que celles que j’aime a des yeux sans pareils,

Pleins d’abîmes, de mers, de déserts, de soleil,

Qui font vibrer d’amour les moelles et les nuques.

Leur colère est le cri haineux de la douleur…

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Et moi, je les excuse en la sentant si belle,

Si loin d’eux à jamais, si près de moi… Pour elle,

Elle les voit souffrir en mordant une fleur.

 J’entre dans le palais baigné par l’eau charmante,

Où l’ombre est calme, où le silence est infini,

Où, sur les tapis frais plus qu’un herbage uni,

Glissent avec lenteur les pas de mon amante.

Ma sultane aux yeux noirs m’attends, comme autrefois.

Des jasmins enlaceurs voilent les jalousies…

 J’admire, en l’admirant, ses parures choisies,

Et mon âme s’accroche aux bagues de ses doigts.

Nos caresses ont de cruels enthousiasmes

Et des effrois et des rires de désespoir…

Plus tard une douceur tombe, semblable au soir,

Et ce sont des baisers de sœur, après les spasmes.

Elle redresse un pli de sa robe, en riant…

Et j’évoque son corps mûri par la lumière

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Auprès du mien, dans quelque inégal cimetière,

Sous l’ombre sans terreur des cyprès d’orient.

 

La Flûte qui s’est tue

MJe m’écoute, avec des frissons ardents,

Moi, le petit faune au regard farouche.

L’âme des forêts vit entre mes dents

Et le dieu du rythme habite ma bouche.

Dans ce bois, loin des aegipans rôdeurs,

Mon cœur est plus doux qu’une rose ouverte ;

Les rayons, chargés d’heureuses odeurs,

Dansent au son frais de la flûte verte.

Mêlez vos cheveux et joignez vos bras

 Tandis qu’à vos pieds le bélier s’ébroue,

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Nymphes des halliers ! Ne m’approchez pas !

Allez rire ailleurs pendant que je joue !

Car j’ai la pudeur de mon art sacré,

Et, pour honorer la Muse hautaine,

 Je chercherai l’ombre et je cacherai

Mes pipeaux vibrants dans le creux d’un chêne.

 Je jouerai, parmi l’ombre et les parfums,

 Tout le long du jour, en attendant l’heure

Des chœurs turbulents et des jeux communs

Et des seins offerts que la brise effleure…

Mais je tais mon chant pieux et loyal

Lorsque le festin d’exalte et flamboie.

Seul le vent du soir apprendra mon mal,

Et les arbres seuls connaîtront ma joie.

 Je défends ainsi mes instants meilleurs.

Vous qui m’épiez de vos yeux de chèvres,

O mes compagnons ! allez rire ailleurs

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Pendant que le chant fleurit sur mes lèvres !

Sinon, je suis faune après tout, si beau

Que soit mon hymne, et bouc qui se rebiffe,

 Je me vengerai d’un coup de sabot

Et d’un coup de corne et d’un coup de griffe !

 

Caravanes

C’est le soir. On entend passer les caravanes.

Rythmiques, les chameaux allongent leurs pas lourds.

La clochette à leur cou jette des refrains sourds.

Smyrne dort, du sommeil repu des courtisanes.

Dans un jardin créé par les mains de la nuit

De fabuleux jasmins déroulent leurs lianes,

Et mes rêves s’en vont, comme des caravanes,

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Vers l’inconnu charmant où l’amour les conduit.

Mes rêves, défilant en lentes caravanes,

Mes grands rêves chargés du poids de tant d’espoirs,

S’en vont, au bruit lointain des cloches, dans les soirs,

Vers la maîtresse brune aux voiles diaphanes.

Orientalement immuable, elle attend

Sans rêve et sans désir, comme font les sultanes,

Et peut-être, entendant passer mes caravanes,

Ses yeux les suivront-ils dans leur marche, un instant.

Des palmiers surchargés de dattes, de bananes,

M’attendent en l’espace aux rares tamaris.

 J’y connaîtrai l’espoir déçu de l’oasis

Que cherche vainement la soif des caravanes.

Mais je sais que là-bas, loin des ferveurs profanes,

Beauté captive aux longs loisirs pleins de regret,

Ma Sultane repose en ce palais sacré

Où mes rêves s’en vont, comme des caravanes.

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Les Etres de la Nuit

L’espoir de vivre ailleurs des jours clairs m’abandonne

Et je célèbre ici la fête de l’automne.

Au-dessus de ma porte, avec un regret doux

Et chantant, je suspends les guirlandes d’or roux

Qu’une femme au regard que nulle mort n’étonne

Vint tresser, en pleurant sur la mort de l’automne…

Ma maîtresse d’hier, nous ne fûmes jamais

Un couple harmonieux… Autrefois, je t’aimais..

 Je goûte en ce baiser que ta bouche me donne

L’odeur de l’herbe humide et des feuilles d’automne,

L’odeur lourde des lourds raisins, et cette odeur

De pavots morts que jette au loin le vent rôdeur…

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Seule dans mon jardin fané je me couronne

De feuillages et de violettes d’automne…

 

Fête d’Automne

L’espoir de vivre ailleurs des jours clairs m’abandonne

Et je célèbre ici la fête de l’automne.

Au-dessus de ma porte, avec un regret doux

Et chantant, je suspends les guirlandes d’or roux

Qu’une femme au regard que nulle mort n’étonne

Vint tresser, en pleurant sur la mort de l’automne…

Ma maîtresse d’hier, nous ne fûmes jamais

Un couple harmonieux… Autrefois, je t’aimais...

 Je goûte en ce baiser que ta bouche me donne

L’odeur de l’herbe humide et des feuilles d’automne,

L’odeur lourde des lourds raisins, et cette odeur

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De pavots morts que jette au loin le vent rôdeur…

Seule dans mon jardin fané je me couronne

De feuillages et de violettes d’automne…

 

Accueil

 

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Accueil

 

Sillages,

1908

Invocation

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Malédiction sur un Jardin

Sonnet pour la Lune

Amata

Vêtue

Dans un Verger

 J’ai jeté mes Fleurs…

Elle passa

Regard en arrière

Devant l'été

Dans un Chemin de Violettes

A une Ombre aimée

En jetant l'Ancre

Hymne à la Lenteur

Réconciliées

Chair des Choses

Glas

Pour l’une, en songeant à l’autre

Enseignement

Petit Poème érotique

Elle règne

Union

Devant le couchant

Pareilles

Ami le Vent

Pendant qu’elle dormait

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Revenue

Profession de Foi

Mon Cœur est lourd

La Maison du Passé

Allons dans le soir

Sur le rythme saphique

Entre dans mon Royaume

 Thrène

Nuptiale

Conte de Fée

Quelques Sonnets imitant les Sonnets de Shakespeare

 

A mon Amie H.L.C.B.

 

Invocation

Dans l’Hadès souterrain où la nuit est parfaite

 Te souviens-tu de l’île odorante, ô Psappha ?

Du verger où l’élan des lyres triompha,

Et des pommiers fleuris où la brise s’arrête ?

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 Toi qui fus à la fois l’amoureuse et l’amant,

 Te souviens-tu d’Atthis, parmi les ombres pâles,

De ses refus et de ses rires, de ses râles,

De son corps étendu, virginal et dormant ?

 Te souviens-tu des hauts trépieds et de leurs flammes ?

De la voix d’Eranna, s’élevant vers la nuit,

Pour l’hymne plus léger qu’une aile qui s’enfuit,

Mais que ne perdra point la mémoire des femmes ?

Ouvre ta bouche ardente et musicale… Dis !

 Te souviens-tu de ta maison de Mytilène,

Des cris mélodieux, des baisers dont fut pleine

Cette demeure où tu parus et resplendis ?

Revois la mer, et ces côtes asiatiques

Si proches dans le beau violet du couchant,

Que, toi, tu contemplais, en méditant un chant

Sans faute, mais tiré des barbares musiques !

Le Léthé peut-il faire oublier ces vergers

Qui dorment à l’abri des coups et des vents maussades,

Et leurs pommes, et leurs figues, et leurs grenades,

Et le doux tremblement des oliviers légers ?

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Peut-il faire oublier le pas lassé des chèvres

Vers l’étable, et l’odeur des vignes de l’été ?

Dors-tu tranquillement là-bas, en vérité,

 Toi dont le nom divin est toujours sur nos lèvres ?

 Toi qui fus la prêtresse et l’égale des Dieux,

 Toi que vint écouter l’Aphrodite elle-même,

Dis-nous que ton regard est demeuré suprême,

Que le sommeil n’a pu s’emparer de tes yeux !

Parmi les flots pesants et les ombres dormantes,

 Toi qui servis l’Eros cruel, l’Eros vainqueur,

L’Eros au feu subtil qui fait battre le cœur,

As-tu donc oublié le baiser des amantes ?

Les vierges de nos jours égalent en douceur

Celles-là que tes chants rendirent éternelles,

Les vignes de Lesbos sont toujours aussi belles,

La mer n’a point changé son murmure berceur.

Ah ! rejette en riants tes couronnes fanées !

Et, si jamais l’amour te fut amer et doux,

Ecoute maintenant et reviens parmi nous

Qui t’aimons à travers l’espace et les années !

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Malédiction sur un Jardin

Fane-toi, beau jardin dont j’aimais les odeurs,

Où s’attardaient, plaintifs et las, les vents rôdeurs.

Que périssent demain tes miels et tes odeurs !

Et que d’infâmes vers rongent le cœur des roses !

Que penchent les pavots et les pivoines closes !

O jardin, que le soir fasse mourir tes roses !

Vienne le vent mauvais qui tuera ces jasmins

Qu’elle cueillit hier, en passant, de ses mains

Qui restaient pâles dans la pâleur des jasmins !

Voici que monte et que s’accroît le flot des herbes

Furieuses autant que les vagues acerbes…

Que monte la marée invincible des herbes !

Et que ce flot tenace étrangle les grands lys

Pareils à sa blancheur et qu’elle aimait jadis !

Que soit anéanti le dernier de ces lys !

Que le passant dénonce et détruise ces ronces,

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Dont l’accueil est pareil aux plus rudes semonces,

En maudissant le mal infligé par ces ronces !

 Jardin, pourquoi serais-tu beau, jeune et charmant,

 Toi qui ne reçois plus mes pas fiévreux d’amant

Et qui n’abrites plus son jeune corps charmant ?

 Je t’abandonne aux yeux futurs, je te délaisse !

Puisque tu ne plais plus à la belle maîtresse

Qui t’aimait, à mon tour, jardin, je te délaisse…

Beau jardin où nos pas ne s’égareront plus,

Reçois des étrangers les longs soins superflus !

Fane-toi, beau jardin ! Elle ne m’aime plus.

 

Sonnet pour la Lune

Protectrice de ce qui s’efface et qui fuit,

Souveraine des bois, des sommets et des rives,

 Toi qui prêtes un songe illusoire aux captives

Que le malheur inné de leur race poursuit,

 Toi dont le regard froid et mystique traduit

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Le pâle amour de nos âmes contemplatives,

 Toi qui fais miroiter l’argent vert des olives,

 Toi qui daignes sourire aux filles de la nuit,

 Toi qui règnes sur les grenouilles, sur les lièvres,

Sur les eaux, les marais où sommeillent les fièvres,

Les fleuves et les mers que tu sais engourdir,

Lève-toi ! Je t’épie à l’ombre d’une berge !…

Mon cœur n’a plus que le vide de son désir,

Et j’aime vainement l’étoile la plus vierge !

 

Amata

« Je ne veux que le sourire de ta bouche… »

Dis, que veux-tu de moi qui t’aime, ô mon souci

Et comment retenir ton caprice de femme ?

Prends mes anneaux… Prends mes colliers… Et prends aussi

Ce que j’ai de plus rare et de plus beau : mon âme.

Si mon très grand désir t’importune, ce soir

 Je me refuserai la douceur de ta couche

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Et je dissimulerai mon fiévreux désespoir,

Car je ne veux que le sourire de ta bouche.

 Ton vouloir est mon vœu, mon désir est ma loi,

Et si quelque étrangère apparaît plus aimable

A tes regards changeants, prends-la, réjouis-toi !

Moi-même dresserai le lit doux et la table…

O toi que je verrai dans les yeux de la mort !

Que ne peux-tu me demander, à moi qui t’aime ?

 Je mets entre tes doigts insouciants mon sort,

O toi, douceur finale, ô toi, douleur suprême !

 

Vêtue

I

 Ta robe participe à ton être enchanté,

O ma très chère !… Elle est un peu de ta beauté.

La respirer, c’est ton odeur que l’on dérobe.

 Ton cœur intime vit dans les plis de ta robe,

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L’odeur de nos baisers anciens est dans ses plis…

Elle se ressouvient de nos divins oublis.

En mon être secret je suis presque jalouse

De l’étoffe qui suit ton corps et qui l’épouse.

 J’ose te l’avouer, en un soir hasardeux

Où l’on s’exprime enfin… Nous t’aimons toutes deux.

D’avoir été si près de ta douceur suprême,

 Ta robe est ma rivale, et cependant je l’aime…

 

II

 Tu n’aimes déjà plus ta robe de jadis,

Soyeuse et longue ainsi qu’un irréel iris.

Mais moi je l’aime et je la veux et je la garde.

Pour moi, le passé reste et l’autrefois s’attarde.

 J’adore ces chers plis du voile transparent

Qui n’enveloppe plus ton corps indifférent.

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Garde-moi, parfumée ainsi qu’une momie,

 Ta robe des beaux jours passés, ô mon amie !

 

Dans un Verger

PERSONNAGES

PSAPPHA -- ERANNA -- L’ETRANGERE -- ATTHIS -- DIKA -- DAMOPHYLA

 

CHOEUR DES VIERGES

GURINNO -- GORGO -- EUNEIKA -- MEGARA -- ANAGORA -- TELESIPPA

Un verger de Mytilène, vers la fin d’un après-midi d’été.

Les vignes, chargées de grappes, se déroulent jusqu’à la mer. Le soleilbrûle.

Au lever du rideau, Eranna tire quelques sons du paktis, mais ses mainsretombent. Epuisée par la chaleur, elle parle d’une voix faible.

SCENE PREMIERE

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Eranna, reposant le paktis contre un tronc d’olivier.

O vierges, le soleil est à son apogée.

Maître implacable, il règne et pèse sur l’Egée.

 Je suis lasse et ne sais plus tirer du paktis

L’ode à l’Aphrodita ni l’hymne à l’Adonis.

Atthis, s’éventant avec effort

 Tu nous brûles, soleil !

Dika

O soleil, tu nous brûles !

Damophyla

Vers le soir tombera la paix des crépuscules,

Il le faut espérer enfin, car nous souffrons

De ce pesant soleil abattu sur nos fronts.

Euneika

Voici que monte, ainsi qu’un éclat de cymbales,

Infatigablement le long cri des cigales.

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Gurinno

Grandement fatigués par l’été desséchant,

Les bergers sur la route ont suspendu leur chant.

Eranna

Puisque le dur soleil est le maître des choses,

Se tournant vers Dika

 Tissons, Dika, les brins de fenouil et les roses,

 Toi qui seule entre nous sais parer les autels…

Atthis

L’Aphrodita sourit aux fleurs que tu lui donnes

Et tes guirlandes sont chères aux Immortels.

Eranna

De tes très tendres mains tresse-leur des couronnes,

Dans ce verger, si doux à l’abri du soleil,

Où des feuillages tombe et coule le sommeil.

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Au loin se répandait un thrène de voix basses.

 

SCENE II

Une voyageuse, les vêtements couverts de poussière entre, timide,hésitante et regardant autour d’elle.

Atthis

Une étrangère approche à pas lents.

Eranna

Elle est belle.

Dika

Ses yeux ont le regard jeune et fier des vainqueurs.

Damophyla

La nouvelle venue est digne de nos chœurs…

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Atthis

Elle s’approche, lente et lasse.

Eranna

Allons vers elle.

Se levant et s’approchant de l’étrangère

 Toi qui viens à travers les vignes de l’été,

Réjouis-toi de ta jeunesse et ta beauté !

Et que, reconnaissant le rythme aux strictes lois,

Le sarbitos docile obéisse à tes doigts

Imprégnés de fenouil, de roses et de menthe.

Avec un intérêt croissant

 Tes voiles sont de pourpre et tes parfums sont doux.

Vierge pareille aux fleurs, que cherches-tu de nous ?

L’étrangère

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 Je porte le salut de ma ville natale

A Psappha de Lesbos, illustre par ses chants.

Eranna

Salut ! Ici le cri strident de la cigale

S’adoucit, plus lointain, sous les rameaux penchants,

Et le repos est doux sur une couche molle.

Nos chœurs alterneront le chant et la parole

Pour te plaire et la brise est plus aimable ici.

Dika, apportant à la voyageuse une amphore et une coupe

Il n’est rien de plus doux que l’eau fraîche. Voici

L’eau de la source pure au flanc de la montagne.

Gurinno

 Je t’apporte un rayon de miel, ô ma compagne !

Plus frais que le nectar et plus doré que l’or.

Damophyla

Console ta fatigue, allonge ta paresse

Dans ce verger où de beaux chants ont pris l’essor

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Plus rapides que les oiseaux de la Déesse.

Mégara

Veux-tu, pour rafraîchir ton front las, un coussin

D’un travail de Lydie aux couleurs délicates ?

Dika

Et veux-tu des iris plus beaux sur un beau sein ?

 Télésippa

Voici du mélilot.

Euneika

Voici des aromates.

Voici des fruits dorés ;

Eranna, détachant le paktis d’un geste solennel

Et voici le paktis

Qui célèbre l’hymen et pleure l’Adonis.

On le suspend devant l’autel aux jours de fête.

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Plus doux que le sommeil, plus fort que la tempête,

Lui seul calme le front de l’Eros irrité.

Il se répand sur la montagne et sur la berge

Et fait frémir de joie et d’orgueil la cité.

Le voici… Chante-nous avec son aide, ô vierge !

Les hymnes rituels de ton pays lointain

Qui pleurent une mort ou comblent un festin.

L’étrangère

Plus tard je chanterai pour vous plaire, ô très belles !…

 Je suis lasse d’avoir erré… Mais grâce aux Dieux

 Je me repose enfin parmi vos chœurs heureux.

Une pause

Parlez-moi de Psappha, mes compagnes nouvelles ;

Dites-moi ce que sont ses cheveux et ses yeux,

Afin qu’en vieillissant je bénisse les Dieux

D’avoir cueilli la fleur de ses grâces… J’écoute,

 Tel un pâtre lassé par l’ardeur de la route

Se réjouit du bruit des feuilles et de l’eau.

Avec une curiosité brûlante

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Elle est ardente et jeune et son visage est beau ?

Dika

Ses cheveux sont plus noirs encore que l’aile ombreuse

De la nuit noire.

Atthis

Et son langage est lent et doux,

Car elle parle ainsi qu’une triste amoureuse.

Gurinno, interrompant

 Tout ce qui l’environne est lumineux et doux,

Les étoiles, autour de la lune divine,

Voilent leur clair visage alors qu’elle illumine

La terre… Ainsi paraît celle-là parmi nous.

Son front est couronné de graves violettes.

Gorgo

Elle prête sa voix aux Déesses muettes.

Dika

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 Je dirai ses yeux bleus, comparables à l’eau.

Mégara

Moi je comparerai très bien à l’arbrisseau

 Jeune et souple son corps virginal…

 

Eranna

A quoi puis-je

Comparer cette voix très glorieuse, orgueil

De Piéria dont le doux Lesbos est le seuil,

Et qui charme le cœur de ceux qu’Eros afflige ?

Beaucoup plus mélodieuse que ce paktis

Qu’Hermès tira de la tortue au temps jadis,

Et que le messager du printemps, immortelle

Comme eux-mêmes, elle a chanté devant les Dieux.

La persuasion s’étonne devant elle…

Après une légère pause

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Et que dirai-je encor de la voix éternelle ?

Divine et s’élevant à la hauteur des cieux,

Dédaignant la louange ou le blâme des hommes,

Elle résonne, et nous, les chants jeunes, nous sommes,

Selon sa volonté, tourmentés ou joyeux.

Parfois elle caresse, et parfois se courrouce,

Et parfois se lamente, au hasard du mélos.

Elle est incomparable…

L’étrangère, se tournant vers Eranna

O vierge à la voix douce,

Quel est ton nom ?

Eranna

 Je suis Eranna de Télos.

L’étrangère

O toi dans ses beaux chœurs l’unique et la première !

« Désormais une vierge aussi sage que toi,

Dit-elle, en aucun cas ne verra la lumière… »

Et ces mots très lointains sont venus jusqu’à moi…

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Se rapprochant d’Eranna

Vierge, demeure ainsi, debout et face à face,

Dévoilant la douceur qui sourit dans tes yeux.

Chère à Psappha, chère à Lesbos et chère aux Dieux,

Fleuris dans ta splendeur, ô gloire de ta race !

Eranna

Les mots que tu me dis sont bienveillants et doux…

Avec une humilité altière

Le désir de Psappha me rendit glorieuse.

Quelqu’un, dans l’avenir, se souviendra de nous,

 Je le crois…

L’Etrangère

Réjouis ton cher cœur d’orgueilleuse !

Car ton nom sera grand dans l’avenir lointain,

Puisque tu t’es mêlée aux chœurs blonds des Piérides.

 Tu joignis au laurier le fenouil et le thym

Et doux est ton labeur, ô vierge aux yeux limpides !

Ce très noble labeur, noblement accompli !

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Le sort des chants obscurs entassés dans l’oubli

N’est pas le tien. Salut !

Eranna

Si je suis éternelle,

Si mon laurier naissant grandit et triompha,

C’est qu’il fleurit à l’ombre illustre de Psappha

Et mon éternité splendide me vient d’elle.

Mais, vous toutes sur qui tomba son beau regard,

Dites à l’étrangère, ô belles ! votre part

Dans la gloire de la Poétesse divine

Et vos beaux noms.

Euneika

 Je vins jadis de Salamine

Et je suis Euneika.

Gorgo

Moi, Gorgo.

Dika

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Moi, Dika.

Atthis

 Je suis la bienheureuse Atthis qu’elle invoqua

Lorsque la douce lune illuminait la terre.

Se tournant vers l’Etrangère

 Te souvient-il, toi que l’amour d’elle conduit

Vers nous ? Elle chantait : « Il est plus de minuit,

O belle ! l’heure passe et je dors solitaire… »

Eranna

 Très désirable Atthis, vierge à la douce voix

Qu’Apollon attentif a lui-même écoutée !

Redis avec orgueil que Psappha t’a chantée

Alors qu’elle t’aimait aux longs jours d’autrefois.

Gurinno, pâle encor de ta vaine tendresse,

Et Gorgo, qui la rassasias pleinement,

 Toi dont elle vanta le savoir et l’adresse,

Louez les Dieux de ce qu’elle fut votre amant !

Dites que ses beaux chants vous firent éternelles,

Que celle qui chanta votre aimable pâleur,

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Votre forme pareille aux lys d’or, ô très belles !

Ayant conne le lit d’azur des Immortelles

Le quitta pour l’amour de vos bouches en leur,

Qu’elle chanta ses chants pareils à la colère

Du vent sur la montagne en l’espoir de vous plaire.

Se tournant vers Damophyla

Damophyla, dis à celle qui vient vers nous

Apportant le salut de sa ville avec elle,

Que ton chant, composé sur le divin modèle,

Honora l’Artémis aux traits cruels et doux,

Et que tu célébras ses flèches sur les berges,

L’ombre de ses forêts, le beau chœur de ses vierges,

 Toi-même étant promise à la virginité.

Damophyla, se tournant vers l’Etrangère

Salut !

L’étrangère

Réjouis-toi jusqu’à l’éternité,

O gracieuse, et que ton doux nom soit chanté !

Que ta gloire traverse, à la nage, l’espace

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Du Fleuve, traversant le vaste flot des morts !

Car toujours tu gardas le souci des accords,

Des choses nobles et belles, et de ta race.

Se tournant vers le chœur

Vierges, grâce à l’Eros et grâce aux beaux travaux

Que fit pour vous Psappha, vous êtes glorieuses.

Eranna

Voyez, ô chœur sacré des belles amoureuses !

Le soir descend sur les oliviers et les eaux.

L’étrangère

Salut au soir, dont la lumière d’hyacinthe

Ne blesse point les yeux !…

Eranna

Vers la montagne éteinte

S’entoure d’ombre ainsi que d’un long voile noir.

Damophyla

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C’est l’heure où les troupeaux retournent vers l’étable

Et les bergers vers le foyer et vers la table.

Mégara

L’enfant lasse revient vers la mère.

L’étrangère

O doux soir,

 Tendre soir, fils de Zeus !

Eranna

O soir, ô vénérable !

 Toi qui fais oublier le dur labeur du jour,

Ramène-nous vers le festin et vers l’amour

Et rallume la torche et prépare la table !

Gurinno

Voici que se prépare enfin la belle nuit,

Entre des bras très blancs qu’elle nous soit doublée !

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Eranna, se tournant vers l’autel de l’Aphrodita

 J’invoque la Déesse en mon âme troublée,

Celle qui triomphe à l’approche de la nuit,

Celle qui sait tisser les trames de la ruse !

Damophyla

Qu’elle amène vers moi la belle qui me fuit,

Que je veux attirer, qui raille et qui refuse

Mes présents… Qu’elle vienne encore maintenant

Vers mon constant amour ! Que je sois délivrée

De mes cruels soucis !

Atthis

Qu’elle me soit livrée

Cœur et corps, celle qui me traite injustement,

Celle qui me trahit et me dompte, qui brise

Mon âme même par la détresse et méprise

Ma beauté pour un être inférieur et vil !

Eranna

Reçois, fille de Zeus, Déesse au cœur subtil,

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Répandu sur ton cher autel, ce lait de chèvres,

Et ce miel, et ce vin qui ressemble au nectar.

Si jamais ton doux nom a fleuri sur nos lèvres,

Viens parmi nous, ayant attelé ton beau char !

On entend au dehors une lamentation orientale, terrible et prolongée

C’est la voix de Psappha, qui pleure et lamente…

Se tournant vers l’autel

Déesse, souviens-toi de Psappha

Gorgo

Sois clémente !

La terrible lamentation se prolonge

Eranna

O vierges, déchirez vos tuniques de lin.

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Car Psappha meurt… L’Eros a fondu sur son âme.

Atthis

Comparable au tonnerre est le courroux divin.

Eranna

Comparable à l’éclair est sa terrible flamme.

Atthis

L’amour parle à travers un songe.

Gurinno

L’amour ment.

Gorgo, sans l’entendre

L’amour n’est pas heureux.

Dika

L’amour n’est pas clément.

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Eranna

Prends pitié de nos cœurs tourmentés, ô Déesse !

Lesbos est le plus beau d’entre les beaux autels

Et Psappha t’a louée en des chants éternels.

Kupris, ne courbe point son front sous la détresse !

 

SCENE III

Psappha entre. Elle est voilée de voiles noirs très épais.

Psappha

L’Eros a brisé mon âme, comme un vent

Des montagnes tord et brise les grands chênes.

Eranna

 Ton cœur n’a point pitié des maux que tu déchaînes !

Eros, être fatal, amer et décevant !

Le Chœur

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Eros, suprême Eros !

Eranna

De vos lèvres amères,

Amantes, célébrez le tisseur de chimères !

 Je maudis ta douceur, Eros cruel et beau !

Le chœur

Eros !

Eranna

Soudain un feu subtil court sur ma peau,

 Je voudrais te louer, mais ma langue est brisée.

Le Chœur

Eros !

Eranna

Un tremblement m’agite toute…

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Le Chœur

Eros !

Psappha sort lentement

L’étrangère

Elle s’en va vers toi qui guéris et consoles,

Pâle Perséphona !

Eranna

 Je n’ai plus de paroles.

L’ombre de la douleur s’empare de mes yeux.

Hadès est fort, et vous êtes jaloux, ô Dieux !

Damophyla

Vierges, n’invoquons plus l’irritable Déesse

Qui se plaît à dompter nos cœurs par la détresse.

Elle est différente, aveugle, ingrate…

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Eranna, se relevant

O toi

Qui railles la pitié, la justice et la foi,

Aphrodita changeante, implacable Immortelle

 Tu jaillis de la mer, périlleuse comme elle.

La vague sous tes pas se brisait en sanglots.

Amère, tu surgis des profondeurs amères,

Apportant dans tes mains l’angoisse et les chimères,

Ondoyante et perfide, en tout semblable aux flots.

Sur ces dernières paroles, une messagère entre, essoufflée, très pâle

La messagère

O vierges, elle expire à l’ombre de Leucade !

Réunissez vos chœurs… O lamentation

Sur Psappha, sur Lesbos, sur nous et sur Leucade !

Chantant avec fureur son invocation,

Et sanglotant ainsi que rit une Ménade,

Elle atteignit la roche et se précipita.

Le Chœur

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O lamentation !

Quelques-unes, très bas

Eros !

D’autres, plus bas encore

Aphrodita !

Elles se prosternent, le front dans la poussière

Damophyla

Psappha la délicate a subi la colère

Des Dieux qui, souriants, poursuivent leur dessein.

Déchirez vos péplos et frappez votre sein,

O vierges !

Eranna

Elle expire et que pouvons-nous faire ?

Coupez vos beaux cheveux en leur force…

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Le Chœur

O Psappha !

Damophyla

O toi dont le laurier grandit et triompha

Parmi nous, se peut-il que tu meures, Psappha !

O toi que nous aimions, ô l’illustre, ô Psappha !

L’étrangère

Se levant soudain au milieu du chœur prosterné

Vierges, souvenez-vous, en vos âmes confuses !

La commune douleur sur le commun trépas

Respecte la maison des serviteurs des Muses,

Cette auguste maison où le deuil n’entre pas.

Ne pleurez plus ! Ceignez vos jeunes fronts de roses,

De celles-là qui sont heureusement écloses,

Et la douleur n’ayant point fait baisser vos yeux,

Chantez comme l’on chante en la maison des Dieux !

Les vierges, obéissant à l’ordre, ceignent leurs fronts de roses

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tressées,de laurier et de thym et ressaisissent leurs paktis. Le rideautombe.

 

 J’ai jeté mes Fleurs…

C’est en vain que, pour moi, ma raison s’évertue,

Car je n’aime que ce qui me raille et me tue…

Et ma grande douleur terrible, la voici :

Partout je redirai : Je ne suis pas d’ici.

 Je n’ai rien calculé, je suis née ivre et folle.

Au hasard, j’ai semé mon âme et ma parole.

 J’ai donné mes baisers et mes fleurs et mes lais,

Et je n’ai point compris que je me dépouillais…

 J’aime le vent qui fait les pires catastrophes,

L’encens mortel, les soirs fiévreux, le vin des strophes.

Si je ne puis mourir d’une très douce mort

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Où je m’exhalerais sans cris et sans effort,

Que retombe sur moi l’effroi d’un beau désastre,

L’écroulement d’un temple ou la chute d’un astre !

Et que je disparaisse au regard des humains,

Ayant jeté mes fleurs au hasard des chemins.

Que, si la Destinée est à ce point clémente,

La nuit m’ensevelisse et le vent me lamente !

Et dans ce long repos qu’aucun mot ne traduit,

Que je dorme parmi les choses de la nuit.

 

Elle passa

 J’étais pareille à la voyageuse recrue,

Lasse enfin des courants et des vents et du sort

Et qui n’aspire plus qu’au bon sommeil du port…

Miraculeusement vous m’êtes apparue…

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Et vous ressembliez à tout ce qui m’est cher,

Aux jardins de juillet dans leur douceur croissante,

Aux parfums respirés au détour d’une sente,

Aux lys graves, aux clairs de lune sur la mer.

Semblable à celles-là qu’une langueur accable,

Sachant que vous étiez mon fragile avenir,

 Je vous regardais vivre et briller et fleurir.

O lys parfait, ô clair de lune irréprochable !

 J’oubliai que je viens d’errer sur des chemins

 Trop rudes… Malgré moi je me suis arrêtée…

Et cependant, ô belle à la voix enchantée !

 Je pleure de sentir mon cœur entre vos mains.

 

Regard en arrière

 J’admirais autrefois les splendides vainqueurs

Vers qui monte la flamme extatique des cœurs.

Mais je n’aime aujourd’hui que les vaincues très calmes

Dont le sang fier ternit la verdure des palmes.

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Moi qui compte à pas lents le chemin du retour,

 J’aimais hier la gloire évidente du jour.

Mais je sers aujourd’hui la nuit, ma souveraine,

Qui seule inspire une âme orgueilleuse et sereine.

Parmi le peuple, hier encor je contemplais

D’un regard ébahi le fronton des palais.

 Je n’aime maintenant que les grandes ruines

Où tardent, en pleurant, les présences divines.

 Je me tais, je m’enfuis et d’un geste lassé

 Je drape sur mon cœur la pourpre du passé.

Qu’un hasard guide enfin mon désespoir tranquille

Vers l’eau d’une oasis ou les berges d’une île,

Où je puisse dormir, mon voyage accompli,

Dans la sécurité profonde de l’oubli.

 

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Devant l’été

Voici l’été… Les jours sont trop longs, mon amie,

L’ombre tarde… On attend l’heure du grand repos,

Des lys plus odorants, de la cloche endormie,

De la grande fraîcheur des feuilles et des eaux.

 Je m’attriste de la clarté qui se prolonge.

Mon cœur est l’ennemi des midis éclatants,

Et malgré que les jours soient beaux comme un beau songe,

Cette heure qui me plaît, je l’attends trop longtemps.

 Je le sais, le beau jour dore ta chevelure

Large et blonde et qui se réjouit du soleil,

Mais je préfère à tout cette tristesse pure

Et cet ennui final qui mènent au sommeil.

 J’adore ton visage et je préfère l’ombre

Mystérieuse où je ne puis que l’entrevoir…

 Je préfère à ton clair regard ton regard sombre.

Belle, tu m’apparais plus belle vers le soir.

Dans l’espoir de cette heure où tout désir s’émousse,

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Oublions la splendeur dure des jours trop longs.

Dans le désir et le regret de la nuit douce

Par ces longs soirs d’été trop lumineux, allons...

Moi, je me baignerai dans cette ombre illusoire

De tes cheveux et de tes seins et de tes bras

En songeant à la paix, la douceur et la gloire

D’un beau soir violet qui ne s’achève pas.

 

Dans un Chemin de Violettes

Dans l’air la merveilleuse odeur de violettes,

Nos doigts entrelacés et nos lèvres muettes.

Les rosiers roux ont la couleur de tes cheveux

Et nos cœur sont pareils… Je veux ce que tu veux.

 Tout le jardin autour de nous, ma bien-aimée,

Et la brise embaumant ta face parfumée.

Nulle n’a la splendeur de tes cheveux flottants

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Ni le charme de ton sourire, ô mon printemps !

De tout mon cœur avide et chantant je te loue.

Nulle n’a le contour précieux de ta joue,

Nulle n’a ce regard incertain qui me plaît,

Mêlé de gris aigu, de vert, de violet.

Dans l’énorme univers nulle ne te ressemble,

C’est pourquoi près de toi mon désir brûle et tremble.

 Je le sais, ton regard n’a pas de loyauté

Et ta bouche a menti… Que j’aime ta beauté !

Règne sur moi toujours, préférée et suprême…

Que tes plus petits pas sont charmants… Que je t’aime !

 

A une Ombre aimée

L’espoir de vivre ailleurs des jours clairs m’abandonne

Et je célèbre ici la fête de l’automne.

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Au-dessus de ma porte, avec un regret doux

Et chantant, je suspends les guirlandes d’or roux

Qu’une femme au regard que nulle mort n’étonne

Vint tresser, en pleurant sur la mort de l’automne…

Ma maîtresse d’hier, nous ne fûmes jamais

Un couple harmonieux… Autrefois, je t’aimais..

 Je goûte en ce baiser que ta bouche me donne

L’odeur de l’herbe humide et des feuilles d’automne,

L’odeur lourde des lourds raisins, et cette odeur

De pavots morts que jette au loin le vent rôdeur…

Seule dans mon jardin fané je me couronne

De feuillages et de violettes d’automne…

 

En jetant l'Ancre

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I

Sur le Mode majeur

 Je sens croître l’ennui des livres vieux et sages,

Donnez-moi, donnez-moi des mâts et de codages !

 Je ris en jetant l’ancre ! Au hasard du vent fou,

Du flot capricieux, j’irai je ne sais où.

Mon corps est moins pesant et mon âme s’allège,

Car je ne reviendrai jamais… Où donc irai-je ?

Puisqu’on y voit des ciels et des aspects nouveaux,

 Tous les pays que l’on ne connaît pas sont beaux.

Les paysages sont changeants comme les nues.

Qui dira le splendeur des terres inconnues ?

 Je me souviens qu’au fond des soirs longs et songeurs

 Je lisais les très beaux récits des voyageurs.

Ils avaient vu là-bas tant d’admirables choses !

Leurs morts s’illuminaient, rouges apothéoses.

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 Je les envie. Et je m’abandonne, comme eux,

Aux perfides courants des fleuves hasardeux.

Qu’on détache l’amarre et qu’on hisse les voiles

Dès que s’allumeront les premières étoiles !

Le ciel est doux, l’heure est favorable. A mon tour,

 J’irai vers ces pays de terreur et d’amour.

Et je dis mes adieux aux choses familières,

Aux doux prés, aux maisons, à leurs bonnes lumières.

 Je m’en vais sans pleurer, pour ne plus revenir.

Mais j’emporte avec moi le latent souvenir.

Dans le fond ténébreux et dormant de mon âme

S’élève, chaque nuit, un visage de femme.

II

Sur le Mode mineur

 J’ai vu trop d’océans. J’ai trop vu de pays.

Le regard s’éteint presque en mes yeux éblouis.

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Sachant que la bonté du sort m’est enfin due,

 Je retournerai vers celle que j’ai perdue.

 Toute autre forme n’est qu’un remous de la mer,

Et je ne me souviens de rien qui me fut cher.

Ces autres ont passé sur mon chemin, mais elle !

De mon âme elle a fait sa maison éternelle.

Nul bonheur de là-bas ne m’a fait oublier

Qu’entre ses frêles bras elle a su me lier.

*

**

Unique, elle demeure en mon âme éternelle.

C’est pourquoi, malgré moi, je retourne près d’elle.

 Je la verrai toujours ainsi que je la vis,

Avec les mêmes yeux ignorants et ravis.

A travers les hasards des courants et de l’heure

Et des vents et des ciels, elle existe et demeure…

 

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Hymne à la Lenteur

Parmi les thyms chauffés et leur bonne senteur

Et le bourdonnement d’abeilles inquiètes,

 J’élève en autel d’or à la bonne Lenteur

Amie et protectrice auguste des poètes.

Elle enseigne l’oubli des heures et des jours

Et donne, avec le doux mépris de ce qui presse,

Le sens oriental de ces belles amours

Dont le songe parfait naquit dans la paresse.

Daigne nous inspirer le distique touchant

Qui réveille en pleurant la mémoire dormante,

O Lenteur ! toi qui rends plus suave un beau chant

Mélancolique et noble et digne de l’amante !

Inspire les amours, toi qui sais apaiser,

Retenir plus longtemps et rendre plus vivace

Et plus suave encore un suave baiser,

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Et révèles la gloire entière de la face.

Nous ployons devant toi nos dociles genoux,

La contemplation nous étant chère encore…

Puisque nous t’honorons, demeure parmi nous,

 Toi que nous adorons, ô Lenteur que j’adore !

 

Réconciliées

Mon éternel amour, te voici revenue.

Voici contre ma chair, ta chair brûlante et nue.

Et je t’aime, et j’ai tout pardonné, tout compris ;

 Tu m’as enfin rendu ce que tu m’avais pris.

 Je puis enfin dormir, dans l’ombre de ta couche,

Puisque j’ai reconquis ton regard et ta bouche.

 J’oublie en tes doux bras qu’il fut des jours haïs,

Que tu m’abandonnas et que tu me trahis.

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Qu’importe si jadis le caprice des heures

Sut t’entraîner vers des amours inférieures ?

Qu’importe un être vil ? Son nom soit effacé !…

 Je ne me souviens plus de ce mauvais passé.

 Je ne m souviens plus que de ta face pâle

Lorsque tu fis le don suprême, dans un râle…

Et voici, comme hier, ton corps entre mes bras…

Ordonne, je ferai tout ce que tu voudras.

Comment ne point bannir toute ancienne querelle

Et ne point pardonner, en te voyant si belle ?

Comment ne pas t’étreindre et ne pas abolir

Le souci, l’amertume et le long souvenir,

Et n’aimer point la nuit qui voit nos chairs liées,

Et mourantes d’amour et réconciliées ?…

 

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Chair des Choses

 Je possède, en mes doigts subtils, le sens du monde,

Car le toucher pénètre ainsi que fait la voix.

L’harmonie et le songe et la douleur profonde

Frémissent longuement sur le bout de mes doigts.

 Je comprends mieux, en les frôlant, les choses belles,

 Je partage leur vie intense en les touchant.

C’est alors que je sais ce qu’elles ont en elles

De noble, de très doux et de pareil au chant.

Car mes doigts ont connu la chair des poteries,

La chair lisse du marbre aux féminins contours

Que la main qui les sait modeler a meurtris

Et celle de la perle et celle du velours.

Ils ont connu la vie intime des fourrures,

 Toison chaude et superbe où l’on plonge les mains,

Et l’odorant secret des belles chevelures

Où la brise du soir effeuilla des jasmins.

Semblables à ceux-là qui viennent des voyages,

Mes doigts ont parcouru d’infinis horizons,

Ils ont éclairé, mieux que mes yeux, des visages

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Et m’ont prophétisé d’obscures trahisons.

Ils ont connu la peau subtile de la femme,

Et ses frissons cruels et ses parfums sournois…

Chair des choses ! j’ai cru parfois étreindre une âme

Avec le frôlement prolongé de mes doigts…

 

Glas

Dans la pourpre et dans l’or d’un silence hautain,

 J’entends sonner ici l’heure de mon destin.

Sa lamentation traverse la lumière,

Elle sonne en pleurant, exacte et régulière.

Avec la voix des sorts qui ne pardonnent pas,

Elle annonce, elle dit et redit : Tu mourras.

O routes sans raisins et sans roses suivies !

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O décombres brumeux du palais de nos vies !

Moi, j’ai vécu les yeux aveuglément ouverts

Dans l’incompréhensible et terribles univers.

 J’ai porté la douleur des autres et la mienne,

 J’ai revêtu le deuil et chanté l’antienne,

 Je fus humiliée à la face des cieux,

 J’ai vu m’abandonner ce que j’aimais le mieux,

Et j’ai vu m’échapper l’amour comme la gloire.

 Tout s’accomplit enfin… Sonne, ô mon heure noire !

Sonne, dans un ciel gris et dans un vent mauvais,

Et proclame d’en haut que j’ai trouvé la paix.

 

Pour l’une, en songeant à l’autre

 Je vous admire et je vous sais indiscutable

Autant qu’une statue en face de la mer.

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Vos regards ont ce bleu périlleux qui m’est cher,

Vos cheveux d’or brûlé sont plus doux que le sable

Vous éclatez ainsi qu’un hymne triomphal.

L’eurythmie elle-même a décidé vos poses.

 J’aime, pour vos cheveux, ces rubis et ces roses

Rouges, pour votre corps ce lourd manteau ducal.

Maintes et maintes fois, relisant votre face,

 Je vous admire, ainsi qu’un poème éternel.

Vous êtes évidente à la façon du ciel,

Gloire de votre terre et fleur de votre race.

Oui, vous êtes pareille, avec la cruauté

De vos regards d’azur, de vos hanches profondes,

A celle qui posa ses pieds nus sur les ondes,

Et je célèbre en vous l’implacable beauté.

Vous êtes despotique, invincible, éternelle,

Et vous caprices ont l’autorité du vent.

 Jamais nul ne dira trop haut ni trop souvent :

Elle est belle ! Car vous êtes belle, très belle.

 Je vous sais belle ainsi. Pourquoi faut-il alors,

O parfaite ! qu’auprès de vous je me souvienne

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D’un visage blêmi comme une image ancienne,

Et de pâles cheveux sans rayons et sans ors ?

Pourquoi faut-il que ce chant d’éloges alterne

Avec un long sanglot sur le mode mineur,

Qui célèbre sans fin – ainsi le veut mon cœur –

Les yeux moins lumineux, la chevelure terne ?

Mes jours auprès de vous sont plus clairs et meilleurs.

Vous n’avez jamais eu le geste qui repousse,

Et vous êtes plus belle et vous êtes plus douce…

Pourquoi faut-il qu’on aime ailleurs ? Toujours ailleurs ?

 

Enseignement

 Tu veux savoir de moi le secret des sorcières ?

 J’allumerai pour toi leurs nocturnes lumières,

Et je t’apprendrai l’art très simple des sorcières.

Les sorcières ne sont vivantes que la nuit.

Elles dorment pendant le jour. Leur regard fuit.

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N’étant habitué qu’à l’ombre de la nuit.

Les sorcières ont des âmes calmes et noires,

Les astres leur sont moins étranges que les foires.

Le feu des mondes luit en leurs prunelles noires.

On les craint, on les chasse, on ne les aime pas.

Elles ont fui l’auberge et le commun repas.

Elles n’ont point compris, on ne les comprend pas.

Cependant elles sont très simples… On doit naître…

Pour les comprendre, il faut quelque peu les connaître

Et savoir qu’elles ont le droit d’être et de naître…

Chacun parle très haut du bien et du mal.

L’on sait que c’est un tort grave d’être anormal,

Leur cœur inoffensif n’a point conçu le mal.

Mais ces femmes sont les maudites étrangères.

Car dans un monde épais leurs âmes sont légères,

Et ses lois leurs seront à jamais étrangères.

Elles touchent à peine, - et si peu ! le sol franc.

Elles n’aiment que le tout noir ou le tout blanc

Ou la nuance dont le reflet n’est pas franc.

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Par leurs regards, par leurs sourires équivoques,

La pourpre sombre et l’or terne des vieilles loques

Revêtent, sur leur corps, des splendeurs équivoques.

Elles savent cacher au dur regard du jour

Leur cœur, leur haine triste et leur si triste amour,

Leur âme indifférente à la beauté du jour.

Peu leur importe si, plus tard, enfin vaincues

Par les pouvoirs du jour, leurs musiques vécues

S’éteignent, ainsi qu’un faible appel des vaincues…

Peu leur importe, - tout leur est indifférent

Car l’univers n’est qu’un luth docile qui rend,

Selon la main, un doux sanglot indifférent.

Elles vivent dans un songe las, solitaires

Comme la lune, ayant choisi, parmi les terres,

Celles où meurent le mieux les âmes solitaires.

 

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Petit Poème érotique

Et je regrette et je cherche Psappha

Et je regrette et je cherche ton doux baiser.

Quelle femme saurait me plaire et m’apaiser ?

Laquelle apporterait les voluptés anciennes

Sur des lèvres sans fard et pareilles aux tiennes ?

 Je le sais, tu mentais, ton rire sonnait creux

Mais ton baiser fut lent, étroit et savoureux,

Il s’attardait, et ce baiser atteignait l’âme,

Car tu fus à la fois le serpent et la femme.

Mais souviens-toi de la façon dont je t’aimais…

Moi, ne suis-je plus rien dans ta chair ? Si jamais

 Tu sanglotas mon nom dans l’instant sans défense,

Souviens-toi de ce cri suivi d’un grand silence.

 Je ne sais plus aimer les beaux chants ni les lys

Et ma maison ressemble aux grands nécropolis.

Moi qui voudrais chanter, je demeure muette.

 Je désire et je cherche et surtout je regrette…

 

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Elle règne

SONNET

Le soir était plus doux que l’ombre d’une fleur.

 J’entrai dans l’ombre ainsi qu’en un parfait asile.

La Voix, récompensant mon attente docile,

Me chuchota : «Vois le palais de la Douleur.»

Mes yeux las s’enchantaient du violet, couleur

Unique, car le noir dominait. Immobile,

La Douleur demeurait assise, très tranquille.

 J’admirais l’unité de sa grande pâleur.

Mon cœur se resserrait dans un étau funeste,

Et j’allai m’éloigner, lorsqu’elle me dit : Reste,

Aussitôt j’entendis prolonger une sanglot.

Dans la salle du trône, un clair de lune blême

Envahissait la nuit, comme un rocher le flot,

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Et la Douleur régnait, implacable et suprême.

 

Union

Notre cœur est semblable en notre sein de femme,

 Très chère ! Notre corps est pareillement fait.

Un même destin lourd a pesé sur notre âme,

Nous nous aimons et nous sommes l’hymne parfait.

 Je traduis ton sourire et l’ombre sur ta face.

Ma douceur est égale à ta grande douceur,

Parfois même il nous semble être de même race…

 J’aime en toi mon enfant, mon amie et ma sœur.

Comme toi j’aime l’eau solitaire, la brise,

Les lointains, le silence et le beau violet…

Par la force de mon amour, je t’ai comprise :

 Je sais exactement quelle chose te plaît.

Voici, je ne suis plus que tienne, je suis toi-même.

 Tu n’as point de tourment qui ne soit mon souci…

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Et que pourrais-tu donc aimer que je n’aime ?

Et que penserais-tu que je ne pense aussi ?

Notre amour participe aux choses infinies,

Absolu comme sont la mort et la beauté…

Voici, nos cœurs sont joints et nos mains sont unies

Fermement dans l’espace et dans l’éternité.

 

Devant le couchant

 Je subis la langueur du jour déjà pâli…

 Je suis très lasse, et je ne veux plus que l’oubli.

Si l’on parle de moi, l’on mentira sans doute.

Et mes pieds ont été déchirés par la route.

Certes, on doit trouver plus loin des cieux meilleurs,

Des visages plus doux… Je veux aller ailleurs…

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 Je vous l’ai dit, je suis affaiblie et très lasse…

 Tel, le dernier rayon du soir dernier s’efface…

Ma douleur m’apparaît très lourde et très légère

Oubliez-moi qui suis une âme passagère.

 Je suis venue ici, je ne sais pas pourquoi,

Et j’ai vu des passants se détourner de moi.

Sans vous comprendre et sans que vous m’ayez comprise,

 J’ai passé parmi vous, noire dans l’ombre grise.

Sans hâte et sans effroi, je rentre dans la nuit…

Avec tout ce qui glisse, avec tout ce qui fuit,

 Je pars comme on retourne, allégée et ravie

De pardonner enfin à l’amour et la vie.

 

Pareilles

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Le regard clair et la voix limpide, j’entame

Un hymne triomphal à ma Divinité,

A l’Amour parfois doux et souvent irrité,

Car, en ce jour, je me réjouis d’être femme !

Et loué soit le sort en ses obscurs desseins

De ceci : que nos cœurs sont pareils, ma maîtresse !

Car nous aimons la grâce et la délicatesse,

Et ma possession ne meurtrit pas tes seins…

Malgré la véhémence agressive et farouche

De tout désir, et sa latente cruauté

Qui m’attire vers les replis de la beauté,

Ma bouche ne saurait mordre âprement ta bouche.

 Je crois n’avoir jamais pu te blesser, ainsi

 T’aimant, ni dans ton cœur ni même en mes pensées,

Moi qui n’ai su rythmer les strophes cadencées

Que pour te plaire, ô mon cher et cruel souci !

 

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Mon Ami le Vent…

Mon vieil ami le vent, entre dans ma demeure

Et joins ta voix à ma voix lamentable et pleure…

Pleurons le jour, pleurons le soir, pleurons la nuit.

Pleurons avec la voix des femmes malheureuses

Sur la jeunesse morte et sur l’amour qui fuit

Malgré les bras tendu des tristes amoureuses.

Pleurons les jougs mauvais qui pèsent sur les fronts

Et sur tous et sur tout, ô mon ami, pleurons !

Pleurons sur le sort mauvais des âtres et des choses.

Plaignons les yeux que nul rayon d’or ne ravit,

Les vieux livres brûlés, la lente mort des roses…

O vent, mon ami cher, plaignons tout ce qui vit !

Qu’on s’éloigne de la grand’salle où l’ombre flotte,

Et que nul ne m’entende, alors que je sanglote

Ainsi que fait le vent, dans les coins endormis.

Et le chêne s’écroule au loin, la vitre tremble…

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Nous nous aimons et nous sommes de vieux amis

Car nous pleurons ensemble.

 

Pendant qu’elle dormait

Vous avez entr’ouvert vos lèvres cette nuit

Et j’ai cru que c’était pour des paroles basses,

Mais vous avez laissé retomber vos mains lasses…

Vous avez soupiré, c’était à peine un bruit.

Moi je vous regardais, je regardais cet ambre

Rouge et or profond que sont vous doux cheveux…

 Je tenais dans mes mains le plus cher de mes vœux,

L’Amour lui-même était présent dans notre chambre.

 Je ne m’endormirais plus pour voir votre sommeil

Semblable au rocher calme où le vent dur s’émousse…

Dans l’émerveillement d’une nuit aussi douce,

 J’ai cru que jamais ne renaîtrait le soleil.

 Jamais parlé, mais vous vous êtes retournée,

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Car le sommeil s’était emparé de vos yeux,

Vous dormiez, bienheureuse à la façon des Dieux,

Et vous ne m’aimiez plus… j’étais abandonnée…

 

Revenue

Voici, je t’ai reprise et je t’ai reconquise…

 J’attendais ici, pour le fêter, ton retour…

Que tu parais exquise, en ce fauteuil assise !

 Je t’aime mieux qu’au jour premier de notre amour.

 Tu n’as pas su comprendre et j’ai paru moins tendre.

Ce fut l’éloignement de moi, de ton amant !

 Je suis lasse d’attendre et je viens te reprendre,

Et c’est l’enivrement de l’unique moment.

Irréelle et suprême à l’égal d’un poème,

La splendeur du revoir a dépassé l’espoir…

Et te voici toi-même, ô la femme que j’aime !

Et tu reviens t’asseoir près de moi dans le soir…

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Profession de Foi

 J’aime l’avril et l’eau, l’arc-en-ciel et la lune,

 J’aime tout ce qui change et qui trompe et qui fuit.

Mon rire est inconstant autant que la fortune,

Et je mens, car je suis la fille de la nuit.

Et la nuit reconnaît en moi sa fille tendre.

Elle me fait venir dans les bois endormis

Et me donne l’ouïe exquise pour entendre,

Comme en un songe aigu, les pas des ennemis.

La nuit me fut toujours magnifique et clémente,

 J’appris d’elle les noirs chemins où l’on peut fuir,

Elle amortit le bruit de mes pas sur la menthe

Où l’ombre est douce autant qu’un léger souvenir.

 J’obtins d’elle le doux mépris de ce qui presse,

Le regard détourné, la sainte horreur du bruit…

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Etant comblée ainsi, j’adore ma Déesse

Inconnaissable et noire et parfaite, la Nuit.

 

Mon Cœur est lourd

Mon cœur est lourd, mon cœur est lourd dans ma poitrine.

Le soir tombe… Que l’on m’enterre avec mon cœur.

L’amour me fut celui qui dompte et qui domine,

Il parut dans ma vie en ennemi vainqueur.

Moi, j’attendais de lui la concorde divine,

L’hymne parfait chanté par les astres en chœur.

O mon palais détruit et mon temple en ruine !…

Femmes, je n’ai pas su triompher de mon cœur.

Car toujours, en vivant, un destin nous domine,

Et mon destin, ce fut ce dur amour vainqueur.

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Voici pourquoi mon cœur est lourd dans ma poitrine…

Que l’on m’enterre avec tout le poids de mon cœur…

 

La Maison du Passé

I

Sur le Mode majeur

 Toi qui m’as oubliée aujourd’hui, qui fus mienne

Cependant, viens dans la maison aérienne

Du songe et du passé.

Il y demeure un soir doux au regard lassé.

Les chambres aux plafonds creusés comme les dômes

S’y peuplent de fantômes.

 J’y retrouve là-bas des livres oubliés

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Les sachets odorants encore et les colliers,

Les choses familières.

 Je ne sais quoi de triste obscurcit les lumières

Pourtant… Et dans l’air traîne en funèbre parfum,

Car on attend quelqu’un.

Reviens dans la maison du passé, mon amie !

Cette chambre, qui fut si longtemps endormie,

S’éveillera pour toi.

Et l’on n’y reconnaît que ton ordre, ta loi

Que nul ne contredit et que nul ne transgresse,

Mon maître et ma maîtresse !

Reconnais ton odeur d’ambre mêlé d’iris.

 Toute chose dans la demeure de jadis

Porte la chère empreinte…

Le foyer s’est éteint, la lampe s’est éteinte

Dans la chambre sans fleurs où je t’ouvre les bras,

 Toi qui ne viendra pas !

II

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Sur le Mode mineur

Miraculeusement, te voici revenue,

En cherchant, à travers la bleuâtre avenue,

La maison du passé.

Entre dans la maison chère au désir lassé

Et vois, sous les plafonds creusés comme des dômes,

Son peuple de fantômes.

Rentre dans la maison qui t’accueille, où j’attends…

Rien n’est changé, sauf les tons d’or moins éclatants

Et les roses fanées.

Et me voici, pareille à travers les années

Pour t’accueillir, en ce dur instant de retour

Avec le même amour.

 

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Allons dans le soir

Le soir ranime un peu le parfum de ces fleurs.

Si vous voulez bien, admirons-les ensemble.

Mon cœur est affranchi de ses vieilles douleurs

Et ma sérénité ne veille, ni ne tremble.

Il est tant de beauté sur la terre. Voyez,

Elle est belle, comme en sa naissance première.

Voici que, sous nos pas, des astres dévoyés

 Jettent, superbement, leurs éclats de lumière.

Voici descendre enfin sur nous la belle nuit

Si douce à qui se meurt, à qui se désespère,

Où notre âme, fluide ainsi qu’une eau, s’enfuit

Sans ancres et sans mâts et sans points de repère.

Pour ceux qui sont lassés de l’azur et du jour,

Le soir est un asile, un sanctuaire, un temple.

… Pourquoi me parlez-vous d’amour, toujours d’amour ?

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 Je suis tranquille et suis assise et je contemple.

 

Sur le rythme saphique

Pour moi ce qu’on désire

 Je l’ai méprisé.

Sappho

Pour moi, ni l’amour triomphant, ni la gloire,

Ni le souffle vain d’hommages superflus.

Mais la paix d’un coin dans une maison noire

Où l’on n’aime plus.

 Je sais qu’ici-bas jamais rien ne fut juste,

 Je fus patiente en attendant la mort.

 J’ai tu ma douleur, et quoiqu’il fût injuste

 J’ai subi mon sort.

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Pour moi, ni l’accueil bienveillant ni les fêtes,

Mais l’apaisement d’un très profond soupir,

Le silence noir qui succède au défaites

Et le souvenir.

 

Entre dans mon Royaume

Entre dans mon royaume, envahis mon empire.

La grande salle a des colonnes de porphyre…

Nous y célébrerons les lumineux festins

Et nous réjouirons avec les morts hautains

Et les mortes charmantes.

Les princesses et les reines et les amantes,

Paradant et riant comme en leurs plus beaux jours,

Revêtiront pour nous leurs glorieux atours.

Regarde, les voici, très grandes, très sereines,

Celles qui furent Reines.

Le long cortège des sibylles et des rois

Se déroule, portant la pourpre d’autrefois.

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N’as-tu point reconnu, fantômes sous la lune,

Rosemonde très blonde, Anne Boleyn très brune

Et Bess aux cheveux roux ?

Vois, devant ton regard orgueilleusement doux,

Passer, chantant, pleurant ou riant, toutes celles

Qui régnèrent, que l’on aima, qui furent belles.

Les fontaines ont des flammes parmi leurs jets

Pour charmer tes sujets.

Un grand prêtre ceindra ton front de la couronne.

Devant cette assemblée illustre, entends : j’ordonne

Qu’ici tout, désormais, te demeure soumis,

Que tes vœux soient mes vœux, mes amis tes amis,

O volonté royale !

Franchis le seuil de cette ancienne cathédrale

Que j’ai bâtie avec mes songes dans le soir.

On a paré la nef pour mieux te recevoir.

Entre nous, sous le plafond semblable au creux d’un dôme,

Reine dans mon royaume.

 

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 Thrène

A.

Femmes, pour revêtir ce corps dans le tombeau

Avez-vous su tisser un linceul assez beau ?

B.

Avec un soin pieux nous l’avons embaumée,

Cette morte qui fut pour nous la sœur aimée.

A.

 Joignez les mains, priez pour l’âme qui s’enfuit,

Et s’éloigne, très triste et seule, dans la nuit…

B.

Nous pleurons sur la mort de celle qui fut belle

Et pour qui nous tramons ce linceul de dentelle…

A.

Prouvez-lui votre amour et votre loyauté

En servant dans la mort sa dernière beauté !

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B.

 Tissons pour cette morte adorable et chérie

Un voile comparable au voile de Marie…

A.

Disposez avec art ses cheveux sur son front,

Sachant qu’à votre tour d’autres vous pareront.

B.

Nous cueillons, en pleurant, les tristes asphodèles…

Dieu bienfaisant, donnez à cette âme des ailes !

 

Nuptiale

Elle viendra tantôt, cette femme que j’aime !

Son voile aux plis flottants a de nobles ampleurs…

Vous qui savez chanter, chantez un beau poème…

Et parsemez de fleurs et de fleurs et de fleurs

Le chemin lumineux de la femme que j’aime.

Elle viendra vers moi, très blanche dans le soir,

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Cette femme que j’aime entre toutes les femmes !

Elle a le don de se vêtir et se mouvoir

Et de marcher sans brui ainsi que font les âmes..

Combien son pas léger est charmant dans le soir !

Qui dira la beauté de Celle qui s’approche

Et m’apporte son cœur entre ses tendres mains ?

Son visage est parfait, son corps est sans reproche,

Son regard ne craint pas l’ombre des lendemains.

Elle sait que je l’aime, elle vient et s’approche…

Vierges qui l’attendez, éteignez les flambeaux,

Disposez autour d’elle ainsi qu’une parure

L’ombre douce qui rend les visages plus beaux,

Le regard plus profond et la ligne plus pure…

 Je l’entends… Elle vient… Eteignez les flambeaux.

 

Conte de Fée

Une princesse attend, dans un cachot sans jour.

Elle expie on ne sait quel criminel amour.

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On sait uniquement qu’elle est prédestinée.

Elle est belle… Elle est jeune… Elle est l’infortunée.

Cependant le malheur n’a point courbé son front.

La nuit se fait… Bientôt les bourreaux entreront.

Elle n’écoute pas alors que le glas pleure,

Elle sait pourtant qu’ils entreront tout à l’heure.

Elle se voilera des ses profonds cheveux.

Et les bourreaux diront simplement : Je le veux.

Mais elle, détournant ses regards et sa bouche,

Demeurera sous leurs baisers, calme et farouche.

L’amour et les tourments la briseront en vain.

Elle mourra, dans la hauteur de son dédain.

Elle fut la puissante et très adorée

Et nul ne pleurera sur sa tombe ignorée.

On l’ensevelira dans la nuit. En tremblant,

Une femme mettra sur son cœur un lys blanc.

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Quelques Sonnets imitant les Sonnets de Shakespeare

 

I

Sonnet irrégulier

No, Time, thou shalt not boast that I do change.

Shakespeare, sonnet CXXIII

O temps ! ô conquérant ! te voici vaincu, toi

L’invincible, toi qui gardes un front tranquille !

 Tu te vantes que tout change. Certes. Mais moi

Pourtant, dans l’univers mouvant, reste immobile.

Fais en vain écrouler sous mon regard tranquille

 Tes beaux temples bâtis selon l’exacte loi

Et montre, dans un soir de flammes et d’effroi,

 Ton cortège de roi détrônés qui défile !

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O temps mauvais, redis en vain les serments faux,

Erige vainement les pompeux échafauds

Des tout-puissants d’hier ! Car mon âme demeure.

Donc, je célèbre ici mon éternel amour.

 J’ai dominé l’espace et la durée et l’heure,

O temps vaincu ! Je l’aime autant qu’au premier jour.

 

II

Sonnet irrégulier

Or on my frailties why are frailer spies ?

Shakespeare, Sonnet CXXI

Il vaut mieux être vil que d’être estimé vil.

Quels sont ces espion de ma pauvre nature

Dont je suis à la fois la dupe et la pâture

Et dont l’arrêt prescrit l’irrévocable exil ?

Quels sont ces espions en effet ? Que faut-il

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Faire pour contenter ceux-là ? Quelle pâture

Leur jeter ? Quels sont-ils ? Et de quelle nature,

Ceux-là qui m’ont jugé, disant que je suis vil ?

Pour moi je ne connais ni leurs noms ni leurs faces,

Mais je les sais petits et trompeurs et voraces

Et n’ayant que l’amour des gloires et du bien.

Moi qui vis au milieu des hommes et des femmes

Pourtant, et ne devrais plus m’ébahir de rien,

 Je demeure étonné devant ces pauvres âmes.

 

III

Sonnet

Ne m’accuse jamais de mensonge, ô ma Douce !

 Je ne t’ai pas menti. Je ne te mens jamais.

 Je ne fus point toujours irréprochable, mais

Ce blâme immérité de toi, je le repousse.

Certes, je crains ta voix lorsqu’elle se courrouce,

 Je crains mortellement cette voix que j’aimais,

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La voix à qui je dois obéir désormais,

Et, lorsqu’elle a dicté, mon courage s’émousse.

Mais, sous ton regard clair qui pénètre mes reins,

Plutôt que de mentir, ô l’être que je crains !

Lorsqu’il fallait parler, je me suis abstenue.

 Je dis la vérité, comme au temps du trépas ;

Et devant ton regard voici mon âme nue,

Devant ce regard clair qui ne pardonne pas.

 

IV

Sonnet irrégulier

 To me, fair friend yon never can be old.

Shakespeare, sonnet CIV

 Tu ne vieilliras point à mes yeux, ô très belle !

 Jamais tu ne perdras ce rythme de ton corps

Parfait et ressemblant aux plus nobles accords,

Et tu demeureras dans mes yeux, éternelle.

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En ce temps si lointain de ta beauté décrue,

 Je te verrai toujours comme aux temps de jadis,

Virginalement blonde et longue autant qu’un lys,

 Telle qu’au soir lointain où tu m’es apparue.

 Toi que j’aime, ne crains donc plus le temps futur,

Ni le front moins laiteux, ni le regard moins pur,

Ni, dans le sablier, le glissement des sables.

Malgré l’aspect futur que tu revêtiras

Et les rides, et les rides inévitables !

Dans mes fidèles yeux tu ne vieilliras pas…

 

V

Pendant qu’Elle chantait en s’accompagnant

Sonnet précieux

How oft, when thou, my music, music sweetly play’st…

Shakespeare, sonnet CXXVIII

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Sous tes doigts lents et doux naît la lente musique

Et mon cœur est pareil aux cordes sous tes doigts.

Soumis, il accompagne et commente ta voix

Et comme eux il subit le servage rythmique.

En esclave, je sers le vouloir despotique

De tes accents réglés selon les justes lois,

Et je pleure, à ton gré, les baisers d’autrefois,

A ton gré, je gémis et supplie et réplique.

Instrument dont l’écho se prolonge et ravit,

O bois mort, plus heureux que la bouche qui vit,

 Toi le confident cher des soucis et des fièvres !

Obéis comme moi, le serviteur, l’amant.

Pourquoi préfères-tu ces cordes à mes lèvres,

Puisque aussi bien tu les fais vivre infiniment ?

 

VI

Sonnet

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O, for my sake do you with Fortune chide,

 The guilty goddess of my harmful deeds.

Shakespeare, sonnet CXI

Ah ! ne me blâme plus, mais blâme mon destin

De tout ce que je fis de laid et de coupable !

Car lui seul enfonça mes pieds nus dans le sable

Où je m’abîme, avec un appel au lointain.

Ne me blâme donc plus de ce regard hautain

Qui pèse ma pensée et me juge et m’accable !

On a menti… Je suis le jouet de la fable,

Et l’on raille en parlant de moi dans un festin.

 Ton regard clair me trouble et me décontenance…

Oui, je le sais, j’eus tort en mainte circonstance,

Et, très pieusement, je rougis devant toi.

Mais partout la douleur m’a traquée et suivie.

Ne me blâme donc plus ! Plutôt, console-moi

D’avoir si mal vécu ma lamentable vie.

 

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Accueil

http://www.reneevivien.com/images/page%27poemes%27_01.gif Oeuvrepoétique

Accueil

Pour ma soeur,

1909

 

Invocation

 Je te dédie avec mes pleurs ce lourd poème

O ma petite sœur, ô sœurette que j’aime !

 Je te le donne avec les larmes de ce cœur

Qui fut mien, et qu’emplit maintenant la rancœur…

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 Je te le donne, avec les larmes de mon âme

Avec le souvenir de mon cœur d’enfant, femme…

 Toi seule en l’autrefois fus ce que plus j’aimais…

Et c’est pourquoi mon cœur t’appartient à jamais !

Moi qui gardais en moi la solitude amère,

Lorsqu’on parlait de toi, c’est pour ton bien…

Si je détourne ainsi de toi ma face blême

Si je m’éloigne ainsi de toi, c’est que je t’aime.

 

Accueil

http://www.reneevivien.com/images/page%27poemes%27_01.gif Oeuvrepoétique

Accueil

DANS UN COIN DE VIOLETTES,

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1910

 

Sous la Protection des Violettes

Amour

Inspiration

Les Sept Lys de Marie

Mon Paradis

Ressouvenir

Invocation à la Lune

La Promesse des Fées

Présence

Résurrection

Oiseaux dans la Nuit

Notre Heure

Etonnement devant le jour

La Lune consolatrice

Absence

A l’Ennemie aimée

 Terreur du mensonge

Sanctuaire d’Asie

L’Aile brisée

Mains sur un Front de Malade

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Pour mon Cœur

Pour le Lys

Emerveillement

Amour méprisable

Amour, toi le Larron…

Veillée heureuse

Prière aux Violettes

 

Sous la Protection des Violettes

 Je place sous la protection des violettes

Mes adorations très humblement muettes…

O vous les violettes !

Vous qui savez, par la puissance du parfum,

Evoquer telle voix, et tel long regard brun…

Puissance du parfum !

Exaucez le grand cri de celle qui vous aime

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Et sachez parfumer ma vie et mon poème

Sachant que je vous aime.

 Je suis lasse des lys, je suis lasse des roses,

De leur haute splendeur, de leurs fraîcheurs écloses,

De toute la beauté de grands lys et des roses.

Votre odeur s’exaspère en l’ombre et dans le soir,

Violettes, ô fleurs douces au désespoir,

Violettes du soir !

 

Amour

Mirage de la mer sous la lune, ô l’Amour !

 Toi qui déçois, toi qui parais pour disparaître

Et pour mentir et pour mourir et pour renaître,

 Toi qui crains le regard juste et sage du jour !

 Toi qu’on nourrit de songe et de mélancolie,

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Inexplicable autant que le souffle du vent

Et toujours inégal, injuste trop souvent,

 Je te crains à l’égal de ta sœur la folie !

 Je te crains, je te hais et pourtant tu m’attires

Puisque aussi le fatal est proche du divin.

Voici qu’il m’est donnée de te connaître enfin,

Et je mourrais pour l’un de tes moindres sourires !

 

Inspiration

L’esprit souffle… Et le vent emporte les paroles

Qui vacillent ainsi que les musiques folles.

Inexplicable autant que l’amour et la foi,

O l’Inspiration ! reviens bientôt vers moi !

Reviens comme le vent qui chante et se lamente,

Reviens comme une haleine implacable ou démente !

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Reviens comme le vent qui m’inspira l’amour,

Et je t’accueillerai, dans l’instant du retour,

Avec l’emportement et l’angoisse démente

Qu’inspire le retour d’une infidèle amante !

 

Les Sept Lys de Marie

Le Sept Lys ont fleuri devant l’antique porche.

Chacun d’entre eux est plus long et plus droit qu’une torche,

Leurs pistils sont pareils à des flammes de torche.

Les Sept Lys ont fleuri miraculeusement

Dans le silence auguste et dans l’ombre, au moment

Où s’élève le Christ, miraculeusement…

Sous l’imposition des mains saintes du prêtre

Dans l’ombre et dans l’encens on les vit apparaître…

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Le peuple vit alors sourire le vieux prêtre…

Et tous les contemplaient avec des yeux d’amour.

Le prêtre dit, portant ses regards à l’entour :

« Mes frères, contemplons les fleurs du Saint-Amour ! »

Leur parfum s’exhalait vers la Divine Image.

 Tous ont compris le sens du glorieux Message

Sur l’autel où Marie écoute le Message

Et les Lys répandaient une paix autour d’eux

Et l’Hostie avait moins de rayonnement qu’eux,

La transparente Hostie était moins blanche qu’eux…

Apparaissez encore, ô Sept Lys de Marie,

Au moment où la foule à genoux pleure et prie !

Apparaissez encore en l’honneur de Marie !

 

Mon Paradis

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Mon Paradis est un doux pré de violettes

Où le chant régnera sur des âmes muettes.

Mon ciel est un beau chant parmi les violettes.

Mon Ciel est la très calme éternité du soir

Où le regard se fait plus profond pour mieux voir

Et c’est l’Eternité dans le ciel d’un beau soir…

Mon Paradis est une éternelle musique.

Qui s’exhale divine allégresse rythmique…

Mon Paradis est le règne de la musique…

Car ce sera, là-haut, le triomphe du chant,

Le règne de la paix dans le Ciel du couchant,

Où rien ne survit plus que l’amour et le chant.

 

Ressouvenir

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O passé des chants doux ! ô l’autrefois des fleurs !…

 Je chante ici le chant des anciennes douleurs.

 Je le chante, sans pleurs et sans haine à voix basse,

Comme on se bercerait d’une musique lasse…

Profond, irrépressible, autant que le soupir,

S’échappe de mon cœur le mauvais souvenir…

 Je vois s’abandonner mon âme lente et lasse

Au charme des bruits doux, de la lumière basse.

Que vont envelopper les anciennes douleurs ?…

O l’autrefois des chants ! ô le passé des fleurs !

 

Invocation à la Lune

O Lune chasseresse aux flèches très légères,

Viens détruire d’un trait mes amours mensongères !

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Viens détruire les faux baisers, les faux espoirs,

 Toi dont les traits ont su percer les troupeaux noirs !

 Toi qui fus autrefois l’Amie et la Maîtresse,

Incline-toi vers moi, dans ma grande détresse !…

Dis-moi que nul regard n’est divinement beau

Pour qui sait contempler le grand regard de l’eau i...

O Lune, toi qui sais disperser les mensonges,

Eloigne le troupeau serré des mauvais songes !

Et, daignant aiguiser l’arc d’argent bleu qui luit,

Accorde-moi l’espoir d’un rayon dans la nuit !

O Lune, toi qui sait rendre l’âme à soi-même

Dans sa vérité froide, indifférente et blême !

O toi, victorieuse adversaire du jour,

Accorde-moi le don d’échapper à l’amour !

 

La Promesse des Fées

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Le vent du soir portait des chansons par bouffées,

Et, par lui, je reçus la promesse des Fées…

Avec des mots très doux, les elfes m’ont promis

D’être immanquablement mes fidèles amis.

Mais n’attachez jamais votre âme à leurs paroles,

Un Elfe est tôt enfui, souffle vif d’ailes folles !...

Leur vol tourbillonnait, vague comme un parfum.

Cependant tous semblaient obéir à quelqu’un.

La première portait sur son front découvert

Une couronne d’or… Son manteau semblait vert.

Et la couronne d’or, brûlant comme la flamme,

Rayonnait au-dessus d’un visage de femme.

 

Malgré l’étonnement d’un cœur audacieux,

 Je ne pus endurer la splendeur de ses yeux…

Car j’entendais un bruit d’étreintes étouffées…

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Aussi j’ai voulu fuir l’amour fatal des Fées…

Mais, devant ce bonheur mêlé d’un si grand mal,

Ne regrettais-je pas un peu l’amour fatal !

 

Présence

 Ta présence me donne une heure de jeunesse,

Il me semble que mon mal se ralentit, puis cesse,

Car c’est toi mon bonheur et c’est toi ma jeunesse !

O parfum de ta robe ! O fraîcheur de ton front !

 Jamais les cruels temps futurs n’obscurciront

Cette douce clarté de tes yeux, de ton front !

 Tu m’apportes ta voix, ta présence et ton rire,

Et je t’attends, je te contemple, et je t’admire.

En moi rayonne encor la splendeur de ton rire !

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Sous le rayonnement solaire de tes yeux,

O jeune et belle autant que le furent les dieux !

Il me semble oublier mon cœur qui se fait vieux !

 

Résurrection

Et je t’aime ! Et voici que s’épand dans mes moelles

Miraculeusement la clarté des étoiles,

Belle que je choisis pour Reine des étoiles !

Me voici revenue à la vie, à l’amour

Qui transfigure en or les choses d’alentour,

Au charme du poème, au rire de l’amour.

 Tantôt je m’enfonçais dans l’horreur des ténèbres

Et je portais en moi des visions funèbres

Ah ! l’horreur, ah ! l’horreur tenace des ténèbres !

Mais voici le matin… Nous voici toutes deux

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Vivantes… C’en est fait de mes songes hideux.

Comme par le passé, Chère, nous sommes deux.

O bonheur de me voir revenue à la vie !

Car l’aurore s’est faite en mon âme ravie ;

Miraculeusement, je vois rire la vie !…

Voici que l’univers me donne moins d’effroi,

 Très chère, puisque enfin me voici près de toi,

Et je n’ai plus d’angoisse et je n’ai plus d’effroi !

 

Oiseaux dans la Nuit

Cette nuit, des oiseaux ont chanté dans mon cœur..

C’était la bonne fin de l’ancienne rancœur…

 J’écoutais ces oiseaux qui chantaient dans mon cœur.

Dans ma grande douleur, la nuit me fut clémente

Et tendre autant que peur se montrer une amante.

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Ce fut la rare nuit qui se montra clémente.

Dans ton ombre, j’ouïs le chant de ses oiseaux.

Et je dormis enfin… Mes songes furent beaux

Pour avoir entendu le chant de ces oiseaux…

 

Notre Heure

Ecoute le doux bruit de cette heure que j’aime

Et qui passe et qui fuit et meurt en un poème !

Ecoute ce doux bruit tranquille et passager

Des ailes de l’Instant qui d’envole, léger !

 Je crois que ma douleur n’est que celle d’un autre…

Et cette heure est à nous comme une chose nôtre…

Car cette heure ne peut être à d’autres qu’à nous,

Avec son doux parfum et son glissement doux…

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Elle est pareille à la chanson basse qui leurre

Et qui vient de la mer… Ah ! retenir notre heure !

O triste enchantement de se dire : Jamais

 Je ne retrouverai cette heure que j’aimais !

 

Etonnement devant le jour

Mes yeux sont éblouis du jour que je revois !

L’ayant cru défier pour la dernière fois.

Mes yeux sont étonnés de revoir cette aurore,

Ainsi, moi qui souffris autant, je vis encore !

 Je vis encor, je souffre et peux encor souffrir…

Sans exhaler mon cœur dans un dernier soupir !

Mais comment puis-je ainsi voir la lumière en face,

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Moi dont le cœur est lourd et dont l’âme est si lasse ?

O mon destin mauvais… Je suis devant l’amour

Un adversaire nu… Voici venir le jour !…

Moi donc l’être est plus las que le dernier automne

Qui se meurt sur les lacs, je vis… Et je m’étonne !

 

La Lune consolatrice

Et voici que mon cœur s’épanouit et rit…

Moi qui longtemps souffris, me voici consolée

Par ce noir violet d’une nuit étoilée,

Moi qui ne savais point que la lune guérit !

Moi qui ne savais point que la lune console

De tout le chagrin lourd, de toute la rancœur !

Sa consolation illumine le cœur

D’un rayon éloquent autant qu’une parole.

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Et d’un rayon furtif comme un furtif bienfait

Elle se glisse au fond torturé de mon âme,

Elle se glisse avec une douceur de femme.

Et c’est insinuant comme un obscur bienfait.

Comme un obscur bienfait s’insinue, elle glisse…

 Tout le ciel émergeant de l’ombre est radieux.

Eternellement chère à mon cœur, à mes yeux,

Sois louée à jamais, Lune consolatrice !

 

Absence

O Femme au cœur de qui mon triste cœur a cru,

 Je te convoite, ainsi qu’un trésor disparu.

 Je te maudis, mais en t’aimant… Mon cœur bizarre

 Te cherche, Emeraude admirablement rare !

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Que je suis exilée ! Et que pèse le temps,

Malgré le beau soleil des midis éclatants !

Retombant chaque soir dans un amer silence,

 Je pleure sur le plus grand des maux : sur l’absence !…

 

A l’ennemie aimée

Ses mains ont saccagé mes trésors les plus rares,

Et mon cœur est captif entre tes mains barbares.

 Tu secouas au vent du nord tes longs cheveux

Et j’ai dit aussitôt : Je veux ce que tu veux.

Mais je te hais pourtant d’être ainsi ton domaine,

 Ta serve… Mais je sens que ma révolte est vaine.

 Je te hais cependant d’avoir subi tes lois,

D’avoir senti mon cœur près de ton cœur sournois…

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Et parfois je regrette, en cette splendeur rare

Qu’est pour moi ton amour, la liberté barbare…

 

Essentielle

Ainsi, l’on se contemple avec des yeux sacrés

Devant l’autel des mers et sur l’autel des prés…

 Toi dont la chevelure en plis d’or illumine,

 Tu m’as fait partager ton essence divine…

Et tu m’as emportée au fond même du ciel,

O toi que l’on adore, ô l’Etre Essentiel !

 Tes yeux ont le regard que n’ont point d’autres femmes…

Et ce fut, pour nous, comme une rencontre d’âmes.

Mon cœur nouveau renaît de mon cœur d’autrefois…

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Que dire de tes yeux ? Que dire de ta voix ?

O ma splendeur parfaite, ô ma Toute Adorée !

La mer était en nous, unie à l’empyrée !

 

 Terreur du mensonge

Oui, j’endure aujourd’hui le pire des tourments,

 Tu m’as menti… Tu m’as trompé… Et tu me mens !…

Mensonge caressant qui glisse de ta bouche !

O serment que l’on croit, ô parole qui touche !

O multiples douleurs qui s’abattent sur vous

Ainsi qu’un petit vent pluvieusement doux !…

Comme un lilas ne peut devenir asphodèle,

 Jamais tu ne seras ni franche ni fidèle.

 Tu seras celle-là qui se dérobe et fuit

Plus sinueusement qu’un démon dans la nuit.

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O toi que j’aime encor ! L’horreur de ton mensonge

Est dans mon cœur amer… Il me mord, il me ronge…

 Je suis lasse d’avoir suivi les noirs chemins…

Col frêle qu’on voudrait prendre entre ses deux mains !

 

Sanctuaire d’Asie

 J’abriterai dans mon sanctuaire d’Asie

Mon éternel besoin d’ombre et de poésie.

Là-bas, guettant les mille et trois Dieux aux pieds d’or,

Des prêtres, jour et nuit, veillent sur leur trésor.

Oui, désespérément, je fixe mon exode

Vers ce refuge énorme et sombre de pagode,

Où, dressant vers le ciel les lotus léthéens,

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Les étangs dorment leurs sommeils paludéens.

 

L’Aile brisée

Elles est venue avec ses cheveux et sa robe,

Sa robe de beau pourpre et ses beaux cheveux d’or !

Et mon âme aussitôt a pris un prompt essor

Dans l’ivresse du cher instant que l’on dérobe !..

Mon cœur lourd est léger comme une bulle d’or,

Puisque je la revois près de moi revenue !

Et comme en un miracle, apparue, advenue,

Une aile de chimère a repris son essor !

 

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Mains sur un Front de Malade

C’est l’imposition fraîche et lente des mains

Sur mon front que remplit l’horreur des lendemains,

O bénédiction suave de ses mains !

Les douces mains de femmes ont des gestes de prêtre

Et répandent en vous la paix et le bien-être,

La consolation que vient donner le prêtre !

Elles n’apprennent point le geste qui guérit,

Elles l’ont toujours su… Dans l’horreur de la nuit

Cette imposition très calme nous guérit…

Apaise mon grand mal, de tes mains secourables,

 Tandis que l’heur glisse aux sabliers des sables,

Car le bienfait me vient de tes mains secourables !

Donne-moi ta fraîcheur et donne-moi ta paix !

Et calme le démon qui sur moi se repaît,

En signant sur mon front le geste de la paix !

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Pour mon Cœur

Mystérieux, amer et terrible, ô mon cœur,

Eloigne enfin de toi la haine et la rancœur !

Sache combien est grand ce bienfait qu’on te donne

De pouvoir pardonner, ô mon cœur ! et pardonne !

Ne garde plus l’amer souvenir des joies dues !

Et qu’il soit comme un mot effacé sur les nues !

Sois léger et sous doux comme l’ombre d’une aile,

O mauvais cœur, tenace et méchant et fidèle !

O mon cœur ! exhalant, dans un vaste soupir,

Le pardon retenu, sache enfin t’attendrir !…

 

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Pour le Lys

O Toi, Femme que j’aime ! O Lys irréprochable !

 Très chère qu’on ne peut approcher qu’à genoux,

Lève sur moi tes yeux si doux et ton front doux !

Et que le repas soit comme la Sainte Table.

Réveille, avec ta voix, mes rêves somnolents.

Voyant mon front fiévreux, accablé par les rêves,

 Toute droite, dans la pourpre et l’or tu te lèves,

 Toujours silencieuse, ave tes gestes lents.

O l’Image divine ! O la Femme que j’aime !

Qui fais que je m’éveille avec la face au jour

Et qui, par le pouvoir immense de l’amour,

As fait que le matin m’est apparu moins blême.

O puissance ! ô beauté de la Femme que j’aime !

 

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Emerveillement

Avec l’étonnement de mes regards, je vis

Le chœur des beaux rayons de lune aux tons bleuis.

Et mes regards étaient stupéfaits et ravis…

Avec mes yeux ouverts grandement je les vis.

C’est pourquoi maintes fois, au hasard d’une veille,

Ouvert sur l’infini, mon regard s’émerveille.

 

Amour méprisable

L’Amour dont je subis l’abominable loi

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M’attire vers ce que je crains le plus, vers Toi !

 Tu fus et tu seras l’Inconnue ennemie…

 Je t’adore en pleurant, ô si mauvaise amie !

Car voici la raison de mon tourment infâme :

 Je ne surprendrai pas le regard de ton âme.

C’est pourquoi je te hais, c’est pourquoi je te crains…

 J’appelle un autre amour, d’autres yeux, d’autres mains,

Et surtout, pour calmer la plainte qui s’élève

Du fond de mon cœur las, un rêve, un divin rêve !

 

Amour, toi le Larron…

Amour, toi, le larron éternel, qui dérobes

Les lourds trésors des cœurs et le secret des robes !

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 Tu te glisses et te dissimules la nuit,

Et ton pas est le pas du traître qui s’enfuit…

 Ton pas est plus léger que le doux pas du Songe !

Et l’on n’entend jamais ce bruit sournois qui ronge.

N’as-tu point d’amitié ? N’as-tu point de raison ?

Voici que s’insinue en mon cœur ton poison.

Epargne-moi ! Vois mon visage et mon front blême…

Mon ennemi l’Amour, je te hais et je t’aime.

 

Veillée heureuse

 J’épie, avec amour, ton sommeil dans la nuit :

 Ton front a revêtu la majesté de l’ombre,

 Tout sont enchantement et son prestige sombre…

Et l’heure, comme une eau nocturne, coule et fuit !

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 Tu dors auprès de moi, comme un enfant… J’écoute

 Ton souffle doux et faible et presque musical

S’élevant, s’abaissant, selon un rythme égal…

 Ton âme, loin de moi, suit une longue route…

 Tes yeux lassés sont clos, ô visage parfait !

 Te contemplant ainsi, j’écoute, ô mon amante !

Comme un chant très lointain ton haleine dormante,

 Je l’entends, et mon cœur est doux et satisfait.

 

Prière aux Violettes

Sous la protection humble des violettes

 Je remets les soupirs et les douleurs muettes

Qui viennent m’assiéger ce soir… Ce trop beau soir !…

Dans cet effondrement du final désespoir

Leur parfum est semblable aux prières des Saintes…

O fleur entre les fleurs ! O violettes saintes !

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Lorsque enfin, en un temps, s’arrêtera mon cœur

Las de larmes, et tout enivré de rancœur,

Qu’une pieuse main les pose sur mon cœur !

Vous me ferez alors oublier, Violettes !

Le long mal qui sévit dans le cœur des poètes…

 Je dormirai dans la douceur des violettes !

 

Accueil

 

http://www.reneevivien.com/images/page%27poemes%27_01.gif Oeuvrepoétique

Les poèmes ci-dessous correspondent à l'édition du recueil Le vent desvaisseaux publiée chez A. Lemerre en 1910. Cette version revue etcorrigée par Renée Vivien figure dans "L'oeuvre poétique complète deRenée Vivien" éd. Albin Michel.

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Vous pouvez consulter la dernière édition "Le vent des vaisseaux", 1921sur le site de la Bibliothèque Nationale de France: http://gallica.bnf.fr/ -rubrique Recherche

 

LE VENT DES VAISSEAUX,

1910

Les Quatre Vents

Le Rire des Vents

Les Dieux Lares s’irritent…

Le Palais du Poète

Une Chapelle

Chapelle de MarinsEssor d’une Mouette

Aux Mouettes

La Mauvaise Auberge

Péché d’orgueil

Venue du Jour

A mon Démon familierAube

Le Dernier Dieu

Domination du Poème

Orgueil de Poète

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Aveu dans le Silence

Défaite

 Traîtrise du Regard

Le Poète

Palais sous la Mer

Intangible

Voile impatiente

La Mouette qui s’éleva

 

Les Quatre Vents

Les quatre Vents se sont réunis sous mon toit.

Voici le Vent du Nord revêtu de blanc froid…

Voici le Vent du Sud portant les odeurs chaudes

Et toi, Vent de l’Ouest, qui pleures et qui rôdes !…

 Te voici, Vent de l’Est amer et bienfaisant,

 Toi dont les larges cris font trembler les cœurs lâches,

 Toi qui grondes, toi qui domines, qui te fâches,

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 Toi qui donnes la force et la gloire du sang !

Vous voici réunis, ô quatre Vents que j’aime !

Et vous chantez, et vous criez tous réunis

Avec la joie et de désespoir infinis

Que ressent le poète en face du poème.

 Tous vous obéissez au signe de mon doigt.

Mais, ô Vent de l’Ouest, qui rôdes et qui pleures,

C’est vers toi que s’en vont les songes de mes heures !…

Les quatre Vents se sont réunis sous mon toit.

 

Le Rire des Vents

Les quatre Vents ont ri dans le ciel du matin,

Puis leur humeur étant changeante, une querelle

S’est élevée entre eux. Et la femme autour d’elle

Vit s’abattre en riant le courroux du destin.

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Les quatre Vents on ri dans le ciel de l’aurore

D’un grand rire pareil aux désespoirs fervents.

Avez-vous entendu le bruit des quatre Vents

Qui détruisent, riant, et détruisent encore ?

Et comme l’on soufflette en la force des mains,

Comme l’on rit en chœur, comme l’on chante et danse,

Les quatre Vents ont ri de savoir leur puissance

Sur le troupeau soumis et triste des humains.

 

Les Dieux Lares s’irritent…

Mon cœur n’est rassuré qu’à demi… Mes Dieux lares

Revêtent, ce jour-ci, des formes très bizarres.

Leur regard est comme un poignard mal émoussé…

Et je tremble, craignant leur aspect courroucé…

C’est toi qui me maudis et c’est toi qui me damnes…

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Et cependant je vous servis bien, ô les Manes !…

 

Le Palais du Poète

Les murs de ce palais sont d’ébène et d’ivoire

Et les plafonds gemmés d’astres comme les cieux.

Les esclaves y vont à pas silencieux

Avec leurs pas très doux et leur face très noire.

Et les cyprès aigus s’y dorent au couchant…

On n’entend jamais plus la fuite d’or du sable

Dans le lent sablier… car l’instant adorable

 Y demeure, attiré par le pouvoir du chant…

Et le repos, semblable à l’écho, se prolonge

Infiniment suave et tendre et musical,

Comme un chant murmuré selon un rythme égal…

Ici l’on goûte en paix l’éternité du songe…

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Comme un serpent couché, le lent chagrin s’endort…

Le cœur tranquille enfin, et l’âme enfin ravie,

Le Poète s’attarde en oubliant la vie

Et croit goûter déjà la douceur de la Mort.

En attendant la paix de cet instant unique,

Les parfums sont très doux que brûlent les flambeaux…

Et dans les vases d’or que les grands lys sont beaux !

Car le Poète écoute, en pleurant, Sa Musique !…

 

Une Chapelle

Le grand vent de la mer a quitté la chapelle.

C’est pourquoi notre voix commune le rappelle.

Le grand vent de la mer est las de la chapelle

Et la détruit tout en se lamentant sur elle…

Car il subit la loi de sa rude nature

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En la reconnaissant si terrible et si dure !

Et voici ce que fut la chapelle où l’on prie,

Celle où pieusement on célèbre Marie.

 

Chapelle de Marins

Voici le soir… Voici l’orage aux cris amers,

Et la foule s’assemble au fond de la chapelle

Où l’on cherche Marie et n’espère qu’en Elle.

O vaisseau qui se noie en l’abîme des mers,

O Dieu ! je cherche en vain l’ombre de la chapelle,

Voici le soir… Voici l’orage aux cris amers.

Et dans mon cœur sévit la tempête des mers !

O Dieu ! je cherche en vain l’ombre de la chapelle.

Marie ! – O lys très blanc, qui règnes sur la mer !

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Essor d’une Mouette

Aidez-moi dans ma fuite, ô les beaux vents fidèles !

Car je sens remuer en moi mes longues ailes !

Et sans craindre l’effroi des espaces amers,

 J’obéis à l’appel impérieux des mers !

 Je ne sais où j’irai, ni quel souffle m’emporte…

Mais je ne reviendrai que triomphante ou morte,

 Je n’obéis qu’à vous, à votre étrange loi.

Me voici prête pour la fuite… Portez-moi !

 J’ignore où j’errerai, mais j’ai l’amour de vous,

O despotiques vents divinement jaloux !

 Je n’ai pu qu’entrevoir la lueur de vos faces,

Mais mon cœur est saisi par vos griffes tenaces.

O vous qui demeurez mon amour éternel,

Emportez-moi dans le ciel ouvert ! Dans le ciel !

 

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Aux Mouettes

 Je vous envie autant que je vous aime, oiseaux

Qui traversez sans moi tout l’infini des eaux.

Vous qui passez battant tout l’infini des ailes,

Rendez-moi, rendez-moi comme vous infidèles !

Que je sois libre ainsi que vous dans le ciel clair,

Que mon domaine soit le règne de la mer !

Et partout subissant l’éternelle infortune,

 J’obéirai, muette, à l’ordre de la lune.

Dans une obéissance au regard somnolent

 J’endurerai son règne intermittent et lent.

Mais mon sort est parmi les choses méprisées,

Et pourtant ! Et pourtant ! – O mes ailes brisées !

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La Mauvaise Auberge

Le monde inhospitable est pareil à l’auberge

Où l’on vit mal, où tout est mal, où l’on dort mal…

Et, pendant que le cri des femmes se prolonge,

 Je cherche le Palais Impossible du Songe.

 Je fais, dans cette auberge, un modeste repas…

En songeant à ce qui pourrait être… Et n’est pas…

 

Péché d’orgueil

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Le mensonge de ces gloires immédiates

Vers qui monte l’encens de vaines aromates !

O mensonge de ces paroles que l’on dit

Et que pleure un poète, en un beau soir maudit !

 Je porte dans mon cœur et dans mon âme nue

L’orgueil d’être farouche, et d’être méconnue !

Et je garde, malgré les deuils, mon cœur hautain

Ainsi qu’un solitaire en un pays lointain…

 

Venue du Jour

Le jour se glisse tel qu’un mauvais animal

A travers mes vitraux pour surprendre mon mal !

Le jour se glisse, ainsi qu’un serpent s’insinue,

Dans mes regards… Il entre et voit mon âme nue.

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Il voit la vérité de mon trop grand amour,

O jour maudit parmi tous les jours… Mauvais jour !

Maudit sois-tu jusqu’à la limite lointaine

Des temps, toi qui surpris ma colère et ma haine !

Maudit, toi qui sus voir, de tes yeux clairs, ô Jour,

L’affreuse immensité de mon terrible amour !

 

A mon Démon familier

 Toi qui hantes mes nuits cruelles, ô Démon !

Qui vient ouvrir sur moi tes prunelles hagardes

Et qui te tiens debout dans la chambre et regardes,

Emporte-moi sur tes ailes de goémon !

 Tu règnes sur mon cœur implacable et suprême !

Que le vent de la mer nous emporte tous deux

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Dans le divin mépris des courants hasardeux,

O toi que je redoute et cherche, ô Toi que j’aime !…

Les peuples sont petits et laids. Allons loin d’eux,

De leurs propos mesquins, de leurs cœurs infidèles.

Envolons-nous au bruit puissant des larges ailes

Que tu sais déployer dans le vent orageux !

Malgré le temps mauvais, debout dans la défaite,

Me voici faisant face à l’orage, à la mer…

O mon Démon, accours à ma voix, comme hier,

Et reconnais en moi ton Maître le Poète !…

 

Aube

Voici le matin clair… Mon âme ouvre les yeux.

De ses nocturnes yeux ouverts, elle regarde…

Avec cette stupeur tragiquement hagarde,

Redoutant la lumière évidente des cieux.

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C’est l’heure que je crains, celle où s’ouvrent les yeux.

Vient-il donc m’apporter quelque douleur nouvelle,

Ce matin dont m’atteint la première stupeur ?

 Je les referme en vain dans l’instant anxieux…

Voici, j’ai trop ployé sous le poids du destin

Pour ne point redouter l’inconnu de l’aurore.

Dois-je donc m’éveiller ? Dois-je souffrir encore ?…

Que vient-tu m’apporter, ô le nouveau matin ?

 

Le Dernier Dieu

Cruel, impérieux, malveillant et funeste,

Seul, entre les Dieux morts, il ressurgit et reste

Le Dernier Dieu, de Dieu trois fois maudit, l’Amour !

Pourquoi s’attarde-t-il en ce nouveau séjour

Et n’a-t-il point suivi les Divinités mortes

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Qu’on vénérait jadis, belles, grandes et fortes ?

Pourquoi ne suivit-il, vers l’ombre de l’oubli,

Aphrodite impuissante et Zeus au front pâli ?

Pourquoi ce dernier Dieu survit-il sur la terre ?

Son visage entrevu dans l’ombre est un mystère,

Dans cette ombre du temple où brûle un feu latent.

Autour de lui la foule implore, prie, attend…

Ah ! détourne de moi ta colère et ta haine,

O Dieu ! dont on subi la rancune lointaine

Qui s’éveille ou s’endort au hasard de ta haine !

Ne me hait point, ô Dieu ! mais prends pitié de moi,

Car je te dédierai mon ardeur et ma foi.

O dernier Dieu ! le plus puissant ! Pardonne-moi !…

 

Domination du Poème

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 Je subis tout mon sot… L’impérieux poème

Me domine à l’égal de la femme qu’on aime.

Amèrement jaloux, despotique et méchant,

Voici que vient régner, sur mon âme, le chant.

Servilement je sers l’impérieux poème,

Mille fois plus aimé que la femme qu’on aime.

Qu’il soit méchant, qu’il soit tyrannique et jaloux,

On ne l’en sert que plus promptement, à genoux !…

 

Orgueil de Poète

 Je voile avec dédain e trésor qui me reste…

Mon orgueil de poète est en moi comme un mal

 Tenace, suraigu, dominant, animal…

Car l’orgueil du poète est terrible et funeste…

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Quand la foule amassait la farine et le mil,

Mon orgueil m’enjoignit de m’astreindre et me taire,

Inexorable autant que le lointain tonnerre

Et l’orgueil de celui qui chante dans l’exil…

Qu’ailleurs l’aube de gloire irradie et rougeoie !

Que m’importe le vent qui disperse mes vers

Dans les replis obscurs de l’obscur univers,

Puisque je n’ai chanté que pour ma seule joie ?

 

Aveu dans le Silence

Dans l’orage secret, dans le désordre extrême

 Je n’ose avouer à moi-même que j’aime !

Cela m’est trop cruel, trop terrible… Mais j’aime !

Pourquoi je l’aime ainsi ? L’éclat de ses cheveux…

Sa bouche… Son regard !… Ce qu’elle veut, je veux.

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 Je ne vis que de la clarté de ses cheveux…

Et je ne vis que du rayon de ce sourire

Qui m’attendrit, et que j’appelle et je désire…

O miracle de ce miraculeux sourire !…

Sa robe a des plis doux qui chantent… Et ses yeux

Gris-verts ont un regard presque… miraculeux…

 j’adore ses cheveux et son front et ses yeux.

Elle ne saura point, jamais, combien je l’aime

Cependant ! – Car jamais ma jalousie extrême

Ne lui laissera voir, jamais, combien je l’aime !

 

Défaite

Dans un silence obscur, j’apprends la patience,

Moi dont l’orgueil fut grand, même dans le silence…

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Car mon plus grand péché fut celui de l’orgueil

Et de cela je garde en moi l’immense deuil…

Malgré tous mes efforts la défaite est certaine…

Et ta grande douceur, ô mon Amie ! est vaine !

Puisqu’elle n’a point su m’épargner un des pleurs

Que j’ai versés… Mais le couchant est plein de fleurs…

 

 Traîtrise du Regard

 Ton regard embusqué sous tes paupières sombres

Guette… Ton faux regard est là, traîtreusement…

Il épie, en secret, le passage des ombres

Dans mes yeux… Il me guette, inexorablement.

 J’ai peur de ce regard sournois… O perfidie

De ton regard profond et brun, de ton regard !

 Je te vois maintenant différente, étourdie,

Oublieuse… Et je t’aime… Il est trop tard… Trop tard !

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Le Poète

Il porte obscurément la pourpre du poète,

Ce passant qu’on rencontre au détour du chemin,

Vers lequel nul ne tend sa secourable main

Et qui lève vers l’aube un front large d’ascète.

Mais sous le grand manteau percé de mille trous,

Si vieux qu’il est pareil aux innombrables toiles

Que l’araignée a su tramer sous les étoiles,

S’ouvrent ses yeux divins, prophétiques et fous.

Cet inconnu c’est le poète en son passage,

Et le vent du chemin lui dicte, ainsi qu’un dieu

Dicte un ordre divin, son chant impérieux…

… Mais, hélas ! nul n’entend le merveilleux message.

 Toi, dont le vent clément rafraîchit le front nu,

 Tu n’oses même pas solliciter l’Aumône,

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Mais les siècles futurs te verront sur un trône,

Couronné de rayons, ô divin Inconnu !

 

Palais sous la Mer

Puisque tu sus surprendre enfin mon cœur amer,

 Je te découvrirai mon palais sous la mer !

 Tu verras, comme on voit en des visions rares,

Les étranges corails, les éponges bizarres !

 Je te découvrirai mes jardins, loin des vents,

Où chaque fleur respire, où les fruits sont vivants.

Puis tu verras les beaux poissons dont l’aile vole

Aussi légèrement que se dit la parole.

 Tu verras le soir glauque et fuyant sous les eaux,

Et nous regarderons ainsi que des oiseaux

Passer la mouette ivre et des voiles sereines,

Et parfois chanteront, pour nous deux, les Sirènes !

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Intangible

Nul n’oserait frôler l’effilement des doigts

Que je tends en un geste indifférent et triste.

L’amour n’a point d’écho pour répondre à ma voix,

Nul n’ose interroger mes regards d’améthyste…

Car moi, fille royale, ainsi je l’ai voulu,

Sachant que mon bonheur était dans le silence…

Seuls, les beaux chants lointains de l’autrefois m’ont plu,

Car c’est vers l’autrefois que mon âme s’élance…

Et nul n’ose troubler la sombre paix d’un seuil

Que garde l’inconnu. Mais j’y règne, impassible…

 J’y sers obscurément le Dieu de mon long deuil…

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Nul n’ose m’approcher… Car je suis l’Intangible…

 

Voile impatiente

La voile est lente et lourde, attardée en ce port.

Elle qui sut braver les plus fortes tempêtes,

Et qui connaît leurs cris et leurs plaintes secrètes,

Pour elle, le repos est pareil à la mort…

La voile est lente et lourde, attardée en ce port…

O le charmant péril du magnifique orage,

De son retentissant tonnerre, de l’éclair

Qui déchire la nuit en un rayon trop clair…

Défiant la folie ou l’effort du courage…

Vieux marins, veillez… Le temps est à l’orage !

Mais la voile s’agite, au fond morne du port…

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Elle appelle le vent des plus grandes tempêtes,

Car les mâts sont hissés… Toutes ses sœurs sont prêtes…

Nulle ne craint le vent qui menace la mort…

Mais la voile pourrit dans la vase du port…

 

La Mouette qui s’éleva

Oh ! soyez-moi cléments, mes espaces fidèles !

Car je sens remuer en moi mes grandes ailes !

Et je subis ici la volupté du vent,

Moi qui sus l’affronter et le braver souvent.

Vent qui fais s’élever en moi mes larges ailes,

Vent qui sait dominer les vagues infidèles,

Viens vers moi ! Porte-moi, comme tu fis souvent,

 Toi qui sais dominer la mer immense, ô vent !

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POEMES RETROUVES

 

POEMES DE JEUNESSE :

Souvenir de jeunesse de Coblentz

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A l’Ami

Dernier Rêve du Cœur

Les Musiciennes mortes

A mon ami M. Moullé

La chanson d’Ophélie

Automne

A un ami qui m’est cher

A mon Poète et Ami

A ma mère chérie

 

AUTRES POEMES :

Amazone

Sourire dans la mort

Sonnet à Alice Barney

Vertige

A mon Avril

A l’absente

Le Miroir

Remords tendre

Par-Delà la Mort persiste le Désir

Blonde au froid coloris…

Des refrains de simples couplets…

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Le lys noir

Michel-Ange à Vittoria Colonna

Les fruits

Chauve-Souris

Violon

Corinne Triomphante

La Coupe de Cléopâtre

Chanson

Poème

Perle abandonnée

Dans la Mort

Le Palais

Le Soir est glorieux

Notre-Dame des Fièvres

Désir d'amour

Adieu à la Sirène

A Cécile

Noir et Gris

Poème

(Bribes)

 

POEMES SIGNES PAULE RIVERSDALE

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Vers l’Amour

Divinité

Désir

Enterrée vivante

La Sirène

 

Souvenir de jeunesse de Coblentz

Là-bas sur le champ de manœuvre

Là-bas su le terrain prussien

On peut voir la douloureuse œuvre

D’un combat qui n’est pas ancien.

Là-bas tout près du bruit des armes

Du piétinement des chevaux

Est un pauvre tombeau sans larmes

Le plus douloureux des tombeaux

Ce n’est qu’une petite pierre

Là sont les prisonniers français

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Morts pendant la cruelle guerre

Dormant dans la suprême paix

Sans doute morts sur cette plaine

Morts comment ? Dieu seul le sait

Leur coupe d’amertume pleine

 Tels sont morts ces soldats français

Morts, morts en la terre ennemie

Morts sans le suprême secours

D’une voix, d’une main amie

Voilà qu’ils dorment pour toujours

Ils n’ont point revu la patrie

 Jamais ils ne la reverront,

Et près d’eux, personne ne prie

Hélas on passe indifférent

Comme si c’était peu de chose :

Ce sont des prisonniers français

Dit-on. L’on regarde, morose,

Ce tombeau d’ennemis défaits

Morts de douleur ou de famine

De froid ou bien de désespoir

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De la honte qui creuse et mine

Le courage… qui peut savoir ?

O mes frères hélas, mes frères

 Tout ce que vous avez souffert

Les pleurs, les hontes, les misères

Enfouis toujours sous ce sol vert

O lâche et dernière vengeance

Que le lieu de votre tombeau

Pour vous, ô pauvres fils de France

Le cimetière était trop beau.

Il fallait le champ de manœuvre

Avec ses hauts bruits de clairon

Nobles vainqueurs ! Voici leur œuvre

Et voici votre humiliation

Et nul ne vient à votre pierre

Pleurer en silence un moment

Vous avez pour tombe la terre

Dont le seul nom est un affront

Quelqu’un vous pleure dans la France

Les cœurs qui vous ont bien aimés

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Sont déchirés par la souffrance

O pauvres morts inanimés

O mes frères, Hélas ! Mes frères

 Tout ce que vous avez souffert

Les pleurs, les hontes, les misères

 Toujours, toujours sous ce sol vert.

 

A l'Ami

O la triste douceur des tendresses lointaines

Séparés, ô mon cher amour

Savons-nous si nos cœurs pleins d’espérances vaines

Doivent se retrouver un jour ?

Pourtant, nous nous aimons d’une longue amitié

Notre histoire fut un poème

 Toute une poésie achevée à moitié

Pourtant, ô mon amour, je t’aime.

Pourtant, matin et soir, comme un vol d’hirondelles

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Mes pensées s’en vont vers toi

Mes pensées d’amour, mes pensées fidèles

Et ton souvenir n’est qu’à moi.

Pourtant, ô mon amour, j’ai le rêve et l’espoir

Que rien n’efface ni n’enlève

 J’ai le constant désir d’un suprême au revoir

Laisse-moi le garder, ce rêve.

Oui, laissez-moi rêver ! Tu viens à mes prières

Et tu m’ouvres tes bras tendus

Et, suaves, je sens errer sur mes paupières

 Tes baisers longtemps attendus.

 Tes baisers, je les sens dans un trouble profond

Oubliant alors toutes choses

Odorants et légers qui tombent sur mon front

Ainsi qu’une pluie de roses.

 Tes bras autour de moi m’entourent avec tendresse

 Je sens, perdue dans tes bras,

 Je sens de toutes parts une grande caresse

Et ta voix me parle tout bas.

Une fièvre est en moi, toi seul peux l’apaiser

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 Je défaille et je n’ai plus d’haleine

Que juste ce qu’il faut pour mettre en un baiser

L’âme trop heureuse et trop pleine !

 Je parle sans penser – comme dans la fièvre –

L’air est doux et chaud alentour

 Je n’ai plus qu’un désir, ton baiser sur mes lèvres

Et je t’aime, et je suis l’amour.

 

Dernier Rêve du Cœur

Oui, je voudrais mourir par une jour de printemps

Parfumé de violettes et vigoureux de sève

Comme un premier amour avec un premier rêve,

Et c’est le seul moment de bonheur que j’attends

Par un jour blond et jeune aux rayons éclatants

Une heure de printemps aussi douce que brève

Et je veux bien alors que ma vie s’achève

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Car ils seront très doux mes derniers instants

Rêvant mon dernier rêve ô la douceur des cieux

 Je mourrai sans regret, le soleil dans les yeux

Dans l’âme les parfums des naissantes violettes

 J’aurai tout oublié, la passé détesté

Mes désillusions et mes douleurs muettes

Et rien que l’amour ne me sera resté.

 

Les Musiciennes mortes

 J’entends passer tout près l’essaim des musiciennes.

C’est le groupe sacré des âmes d’autrefois

Dont l’harmonie intime éclatait dans la voix,

Dans le clavier sonore où les lyres anciennes.

Leurs pas font murmurer les harpes éoliennes.

Leurs esprits harmonieux hantent l’ombre des bois

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Pour enseigner leur art et leurs divines lois

Aux jeunes rossignols, muses aériennes

Où leur vol passe, l’air a de légers frissons.

Elles viennent mêler leurs antiques chansons

Aux forêts, de mystère et d’ombre recouvertes.

Comme pour exhaler le chant ou le soupir,

 Je les vois hésiter, les lèvres entrouvertes,

Et le poète seul les entend revenir.

 

A mon ami M. Moullé

Vous qui savez aimer, vous qui savez comprendre,

Oh ! Ne vous laissez pas décourager en vain,

Poète dont le cœur, à la fois triste et tendre,

Vibre à chaque émotion du vaste cœur humain !

Gardez toujours en vous la frêle poésie,

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Gardez toujours en vous son doux rythme touchant,

Ecoutez bien la voix, âme qu’elle a choisie ;

Gardez toujours en vous la lumière et le chant !

Gardez toujours en vous cet idéal suprême,

La noblesse de l’âme avec celle du cœur ;

Que votre vie soit la poésie même !

Et soyez de vous-même et du monde vainqueur !

Que rien ne vous attriste et ne vous décourage.

Sachant que vous avez l’harmonie et l’amour ;

Persévérez toujours ! – Ayant le grand message

Que chantait autrefois le moindre troubadour.

Oh ! Le monde a toujours été dur aux poètes !

Car la réalité tuait leur idéal,

Mais vous, Ah ! Soyez grand ! Que tout ce que vous faites

Ait l’élan victorieux d’un hymne triomphal !

Et songez, quand parfois vous êtes seul et triste,

Que votre vie, hélas ! comprime votre cœur,

Ce cœur plein d’harmonie et de rêves d’artiste,

Songez que tout cela doit vous rendre meilleur !

Songez que cette vie ennoblit, ô poète !

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Songez que chaque épreuve est un progrès de fait ;

Que c’est un pas de plus vers le sublime faîte ;

Songez que tout cela tend à rendre parfait.

Si votre force, hélas ! parfois s’est endormie,

Qu’à peine vous pouvez rester fier et debout,

Souvenez-vous alors d’une petite amie

Qui saura vous comprendre et souffrir avec vous !

 

La chanson d’Ophélie

Elle chante Ophélie, en tressant des couronnes

De ces petites fleurs que les champs verts nous donnent

 Tout parfum, toute fraîcheur, en leur simplicité

Et le soleil sourit à sa jeune beauté.

Elle chante, inconsciente en sa douce folie,

L’âme ne sourit plus dans les yeux d’Ophélie

Elle chante, inconsciente, une étrange chanson

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Son léger pas paraît la fuite d’un rayon

 Tandis que le printemps autour d’elle rayonne

Elle chante en tressant sa dernière couronne

Et la blonde Ophélie errante au bord de l’eau

Ne sait pas que son pied effleure son tombeau

Près d’un fleuve, se penche en pleurant un vieux saule.

Comme un petit enfant qui monte sur l’épaule

De son aïeul souriant, ne craignant nul danger,

Elle monte sur l’arbre – un corps souple et léger.

Capricieuse elle veut, sur la branche ployante,

Suspendre sa couronne humble mais odorante

Et toujours en chantant sur les rameaux pleureurs

Elle monte, elle veut y suspendre ses fleurs

Mais un rameau se brise… Hélas la vierge tombe

L’eau souriante devient un instant sa tombe

Mais ses blancs vêtements la soutiennent encor

Comme le cygne après son dernier essor

A l’heure de sa mort chante son chant suprême,

Avant de disparaître, Ophélie de même

Flottante encore sur l’eau, chante son dernier chant.

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Et nul ne voit sa mort sauf le saule penchant

Hélas ! Bientôt finit cette chanson étrange,

En un long dernier râle étouffé sous la fange.

Puissé-je ainsi mourir, les mains pleines de fleurs

En chantant jusqu’au bout, sans larmes, sans terreur

Chantant jusqu’à ma mort, entraînée quand même

Par le fleuve inconnu, mystérieux et suprême

Par le fleuve funèbre où va l’homme banni

Par le fleuve profond qui mène à l’infini.

 

Automne

Ne me parle donc jamais plus

O l’amour de toute mon âme

D’un regard ayant moins de flamme

Et du poids des ans superflus

Que m’importent, auprès de toi,

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Et les quelques roses fanées

Et les quelques brèves années

Que tu vécus jadis sans moi

 Tout mon être, je te le donne !

 Tu me l’as dit voici longtemps,

Puisque j’ai l’âge du printemps,

C’est toi le tendre et triste Automne.

 Tes soucis, mon cœur les prévient

Et j’aime, puisqu’il faut tout dire

La tristesse de ton sourire

 Ton sourire qui se souvient

Le printemps, c’est la jeune fille

C’est en elle le premier amour

Dans ses yeux d’Avril tour à tour,

Le long regard se mouille ou brille

L’Automne est l’homme déjà mûr

Qui se souvient de sa jeunesse

Et son regard a la tendresse

D’un cœur souffrant, profond et sûr.

C’est un été plus tendre encore

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C’est un printemps toujours plus beau

C’est un suprême renouveau

Un couchant qui serait l’aurore

Pour te parler à cœur ouvert

Oui, c’est bien ainsi que je t’aime.

A toi, le sourire suprême,

De ceux qui jadis ont souffert

 Je t’apporte un cœur entier

Brûlant des premières fièvres

Et la virginité des lèvres

Que tu baiseras le premier.

Et je te donne ma jeunesse

 Je te donne mes dix-huit ans

Et le baiser de mon printemps

O ma première tendresse !

La passion porte avec elle

Le renouveau du cœur viril

Aime, c’est l’éternel Avril

Et c’est la jeunesse éternelle

Et moi, je demande à mon tour

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En échange d’un cœur de femme

Le dernier printemps de ton âme

Et d’être ton dernier amour !

 

A un ami qui m’est cher

Lorsque je vous ai vu pour la première fois,

 Je n’ai vu qu’un passante, qu’une ombre parisienne,

Dont la voix répondait par hasard à ma voix,

Dont la main effleurait par hasard la mienne.

 J’étais comme un rêveur attardé sur la grève,

Qui voit venir vers lui les vagues de la mer

Et qui les voit s’enfuir, en poursuivant son rêve,

Qui les voit retomber dans le néant d’hier.

 Je ne voyais qu’un flot de l’océan humain,

A peine s’attardait ma pensée fuyante,

Rien qu’un adieu banal, un serrement de main,

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Et je vous ai quitté, vous passant, moi passante.

Quand vos vers ont chanté tendrement à mon âme,

 Je n’ai vu qu’un poète, un esprit mélodieux,

Qui chantait en tissant le fil d’or de la trame

Faite d’illusions et de rêves radieux.

 J’écoutais en rêvant les chants de votre cœur,

 J’écoutais en rêvant l’harmonie secrète

 Toute pleine d’amour, de joie ou de douleur

Que soupirait tout bas votre âme de poète.

 J’étais comme un passant qui dans la nuit écoute

Un chant de rossignol, harmonieux et touchant,

Et qui, tout attendri, reprend après sa route

Emportant avec lui la mémoire d’un chant.

Enfin quand votre cœur au mien s’est révélé,

Quand j’ai vu sa grandeur, son intime noblesse,

Ami, le moindre doute alors s’en est allé,

 Je pouvais me confier sans crainte à sa tendresse.

Alors j’ai vu l’ami, cet ami de mes songes,

Cet ami tendre et doux, dont j’avais tant besoin,

Hélas ! Et maintenant les heures se prolongent

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En nuits, en jours, en mois, et vous êtes si loin !

Mais vous êtes toujours présent à ma pensée,

Mais vous êtes toujours présent à mon esprit..

Ami, votre tendresse, ainsi que la rosée,

Pénètre dans mon cœur, et ranime et guérit…

 

A mon Poète et Ami

Vos vers, ces doux oiseaux, m’apportent sur leurs ailes

Des paroles de votre cœur,

Ils viennent, comme un vol de blanches tourterelles

A travers la mer en fureur.

Ils viennent de bien loin, pour chanter à mon cœur

 Tout ce qu’a murmuré le vôtre,

Vos vers, ces doux oiseaux, m’apportent le bonheur

En passant d’un rivage à l’autre.

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Vos vers, ces doux oiseaux, m’apportent sur leurs ailes

Des paroles de mon ami,

De mon ami lointain aux pensées fidèles,

Et joyeux, mon cœur a frémi.

Leur essor a toujours un frisson de tendresse

Quand ils se posent sur mon cœur,

Ils viennent vos doux vers, me répéter sans cesse

Des mots d’ami pleins de douceur.

Alors, je ne suis plus tellement isolée,

Et mon cœur de joie a frémi,

Vos vers, ces doux oiseaux, m’ont souvent consolée,

O mon poète et ami.

( 5 mai 1894)

 

A ma Mère Chérie

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Elle ressemble aux blancs lilas

Lorsqu’avril tout en fleurs succombe,

Si léger, si doux est son pas

Qu’on dirait une fleur qui tombe.

Elle est plutôt ma grande sœur

 Toujours si blonde et si jolie,

Ses yeux souriant avec douceur

Sa charmante mélancolie.

C’est elle ! la fée aux yeux bleus

Qu’on voit passer mignonne et fière,

Le soleil, sur ses blonds cheveux

Les transforme en fils de lumière.

Et quoiqu’elle ait souffert longtemps,

Elle a gardé dans la tristesse

Au cœur, un éternel printemps,

Au front, l’éternelle jeunesse.

Ses yeux, aux ombres de velours,

Consolent souvent sans rien dire,

Et l’on se souviendra toujours

De la beauté de son sourire.

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Quand on souffre d’un mal profond,

Elle vient poser, la première,

Sa main fraîche sur votre front,

Comme l’ange de la prière.

( 1898 )

 

AUTRES POEMES

 

Amazone

L’amazone contemple à ses pieds des ruines,

 Tandis que le soleil, las des luttes, s’endort ;

La volupté du meurtre a gonflé ses narines ;

Elle exulte, amoureuse étrange de la Mort.

Elle veut les baisers des lèvres expirantes

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Qui laissent à sa bouche en feu le goût du sang ;

Sur le champ de bataille aux odeurs enivrantes,

Son orgueilleux désir se vautre en pâlissant.

Elle aime les amants qui lui donnent l’ivresse

De leur fauve agonie et de leur fier trépas,

Et, méprisant le miel de la fade caresse,

Les coupes sans horreur ne lui suffisent pas.

Le râle la remplit d’une ivresse sauvage ;

Au milieu des combats son cœur s’épanouit

Et, lionne aux yeux d’or éprise de carnage

La livide sueur des fonts la réjouit.

Elle rit et se pâme auprès du vaincu blême ;

Son corps, vêtu de pourpre, aux derniers feux du jour

Se penche avec ardeur sur le spasme suprême,

Plus terrible et plus beau que le spasme d’amour.

 

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Sourire dans la mort

Le charme maladif des musiques moroses

Ici ne convient point à l’auguste trépas ;

Venez ! Il faut couvrir de rythmes et de roses

La maison du poète, où le deuil n’entre pas.

Rien que l’éclat des chants : pas de vain verbiage,

Ni le sanglot banal d’importunes douleurs ;

Comme pour un splendide et joyeux mariage,

Il lui faut avant tout des fleurs, des fleurs, des fleurs !

Il épouse la gloire au sourire de femme

Et l’ombre est nuptiale autour de son cercueil ;

Les cierges enfiévrés sont des souffles de flamme

Qui veillent ardemment et longuement au seuil.

Dans le sublime oubli de sa vie ancienne,

Son front large sourit avec sérénité…

Il dort visiblement sa nuit olympienne,

Et son baiser d’amour étreint l’éternité.

 

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Sonnet à Alice Barney

Le mystère de ta beauté meurtrie

N’a rien de la froideur de notre ciel natal,

Et tes yeux où languit le rêve oriental

Semblent chercher toujours la lointaine Patrie.

 Ton pas semble fouler les sables de Syrie,

La flamme du désert brûlé à ton front fatal,

Il se mêle une odeur de rose et de santal

A l’étrange ferveur de ta lèvre qui prie.

Devant ton long regard l’horizon s’élargit.

Quelque chose d’ardent et de fauve rugit

Sous le chant de ta voix savamment modulée.

Et l’on sent rayonner en ton esprit vivant,

Aube d’un nouveau jour, lumière révélée,

Le mystique soleil qui nous vient du Levant.

 

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A mon Avril

Répands sur mon front d’insomnie

 Tes cheveux d’aurore et de joie,

O toi, ma tendresse infinie,

Avril, mon printemps, mon amour !

Quoi de plus tendre et de plus beau

Que de voir, miracle suprême !

Des roses naître du tombeau !

Cela s’est fait, puisque je t’aime.

Dans mon âme, où l’angoisse est morte,

Le souvenir est effacé…

Donne-moi tes lèvres ! qu’importe

La douleur que fut le passé !

L’oubli me sourit dans tes yeux

Et je dis à la vie en larmes

Un grand hommage silencieux

Car elle a de suprêmes charmes.

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Car j’ai, dans ma pauvre existence,

Parmi les jours où j’ai pleuré,

Quelque chose de doux, d’immense,

De lumineux et de sacré !

C’est pour cela que je bénis

Non seulement toi, ma très blonde,

Mais aussi les temps infinis,

L’espace et les cieux et le monde !

 J’ai compris qu’elle aube suprême

Se lève sur le grand néant,

Et qu’on espère, et que l’on aime

Et que l’on meurt en souriant !

 

A l’absente

Oui, c’est toi mon rêve suprême

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Pendant ces longs, ces mornes jours

Où je pleure au fond de moi-même

L’exil triste de nos amours !-

N’as-tu pas senti qu’un moment

Lasse de ses souffrances vaines

Mon âme allait éperdument

Vers tes chères lèvres lointaines ?-

N’as-tu pas entendu, ma blonde,

Le bruit d’un sanglot qui revient

Dans le cœur de la nuit profonde ?-

C’est mon amour qui se souvient.-

 

Le Miroir

 Je t’admire, et ne suis que ton miroir fidèle

Car je m’abîme en toi pour t’aimer un peu mieux ;

 Je rêve ta beauté, je me confonds en elle,

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Et j’ai fait de mes yeux le miroir de tes yeux.

 Je t’adore, et mon cœur est le profond miroir

Où ton humeur d’avril se reflète sans cesse.

 Tout entier, il s’éclaire à tes moments d’espoir

Et se meurt lentement à ta moindre tristesse.

O toujours la plus douce, ô blonde entre les blondes,

 Je t’adore, et mon corps est l’amoureux miroir

Où tu verras tes seins et tes hanches profondes,

 Tes seins pâles qui font si lumineux le soir !

Penche-toi, tu verras ton miroir tour à tour

Pâlir ou te sourire avec tes mêmes lèvres

Où trembleront encor tes mêmes mots d’amour ;

 Tu le verras frémir des mêmes longues fièvres.

Contemple ton miroir de chair tendre et nacrée

Car il s’est fait très pur afin de recevoir

Le reflet immortel de la Beauté sacrée…

Penche-toi longuement sur l’amoureux Miroir !

 

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Remords tendre

 Je n’ai pas su t’aimer, ma divine et ma blonde,

Blonde aux baisers de fleur, bien souvent, en secret

 J’ai dû faire pleurer les plus beaux yeux du monde,

 Je n’ai pas toujours eu la bonté qu’il faudrait.

 J’ai vécu trop de deuils, de douleurs, de mensonges,

 J’ai passé mon chemin, mon cœur est devenu

L’incrédule de rêve et l’ennui des songes ?…

Lorsqu’il était trop tard, ton sourire est venu.

 Je trouvais à souffrir Dieu sait quels sombres charmes,

 Tu me disais : Toujours ! Je répondais : Jamais !

 Je doutais âprement ; même devant tes larmes,

 J’étais triste et méchante ; et pourtant tu m’aimais !

 Je n’ai pas su garder intacte et parfumée

Une heure unique et tendre, au fond de mon destin…

O ma douceur ! Pourquoi t’ai-je si mal aimée ?

L’espérance ne peut épouser le chagrin.

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Quelque chose de frais, quelque chose d’immense,

Quelque chose de blanc comme l’éclat du jour

Avait paru pourtant dans ma terne existence,

Ce miracle : t’avoir inspiré de l’amour !

Une larme à tes yeux ressemble à la rosée ;

Pour me la donner, pleure une dernière fois !

Ce sera le pardon sur mon âme brisée

Et l’effacement pur du mauvais autrefois !

 

Par-Delà la Mort persiste le Désir

O ma Maîtresse morte, aux yeux de pâle azur,

 Je te vois dans ton lit que lave la rosée,

Dans ton cercueil fétide où coule un flot impur,

Et sans fin je t’adore, ô chair décomposée.

La nacre des baisers, des longs baisers d’hier,

Donne à ton corps brisé ce bleu de meurtrissure,

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Ce vert, ce violet voluptueux et clair.

 J’aspire ton parfum d’ombre et de moisissure.

 Je te convoite avec des râles et des cris,

Moi qui reviens cueillir sur tes lèvres livides

Ces baisers d’autrefois, empestés et pourris,

 T’étreindre et regarder sous tes paupières vides.

 Tu m’attends, allongée au fond du soir troublant,

Et je viens m’enivrer de ton affreuse haleine

En me disant : « C’est elle, et voici son cou blanc,

Voici ses clairs cheveux, ses mains de reine.

« Que notre solitude est douce, ô mon Désir !

« Quel merveilleux silence où mon sanglot se brise !

« C’est elle que je vois divinement pâlir…

« Voici la nuit d’amour si tendrement promise.

« Quelle nuit de caresse et de fièvre ! Oh ! les seins

« Frais et fleuris, les flancs d’une forme suprême !

« Le velouté du ventre et la rondeur des reins !

« La voici tout entière, et telle que je l’aime ! »

« Je suis le Ver qui vit de ton corps bien-aimé,

Qui dans l’ombre a rampé jusqu’à ta froide porte,

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Le Ver toujours tenace et toujours affamé,

Dont l’éternel désir se repaît de chair morte.

 

Blonde au froid coloris…

Blonde au froid coloris, perverse et virginale,

 Toi qui, dans la moiteur des nuits de bacchanale,

Mêles des lys meurtris à tes cheveux défaits,

 Tu n’aimes que les lits de paresse et de paix,

La musique des mots et des murmures mièvres.

 Ton baiser se détourne et glisse sur les lèvres.

Et j’ignore pourquoi, dans un silence amer,

 Tu me livres l’ennui languissant de ta chair.

Compagne au front distrait de ma lugubre couche,

 Tu me livres l’ennui languissant de ta bouche,

 Tes yeux sont des hivers pâlement étoilés…

La neige qui fleurit les monts immaculés

Est moins froide à frôler que ta pâle luxure.

Oh ! Le charme et l’horreur de ta blancheur impure !

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Des refrains de simples couplets…

Des refrains de simples couplets

Flottent là-bas, à la dérive…

Délicatement sensitive

 Ton âme est pleine de reflets.

Dans l’ombre, parmi les accords

Et les souffles de tubéreuse,

Resplendit, ô vierge amoureuse !

La flamme blanche de ton corps…

 

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Le lys noir

L’inquiétant Lys noir, large ouvert, semble offrir

Dans sa coupe de deuil un ivresse infernale.

Il a le fier mépris de la beauté banale

Qu’un rayon de soleil trop fervent peut flétrir.

Et la sinistre fleur du vice sans désir

Se fane dans l’ardeur de l’âpre bacchanale

S’effeuillant aux cheveux d’une femme vénale

Dont le cœur ennuyé dédaigne de choisir.

Sachant combien le rire est énervant et triste

Elle exhale en mourant son parfum où persiste

Un relent affadi de festins et d’amour

Et l’aube vient brûler la paupière rougie

De la Douleur souillée essuyant au grand jour

Parmi les pleurs sacrés les sueurs de l’orgie.

 

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Michel-Ange à Vittoria Colonna

 Je goûte de toi le silence et le charme

Des nuits où la douleur se plaît à demeurer,

 Toi qu’on ne voit jamais essuyer une larme

Mais dont j’entends souvent la grande âme pleurer.

 Je suis déjà si las des baisers de la terre

O femme au noble front par les chagrins terni,

 Je ne trouve un peu d’ombre et de divin mystère

Que dans la profondeur de ton deuil infini !

Comment auprès de toi tenter la vaine épreuve

Des aveux dédaignés, des soupirs superflus ?

 Toi si haute et si sombre en tes robes de veuves,

 Toi dont l’espoir brisé ne s’éveillera plus ?

O ma nuit ! ô ma paix ! calme où se fortifie

Le magnanime élan, le généreux effort,

 Je mets à tes pieds saints mon cœur que purifie

La blancheur d’un amour qui ressemble à la mort.

 

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Les fruits

(sonnet)

 Je hais les fruits, splendeurs par le soleil mûries,

Prunes de pourpre et d’or, dont l’odorant sommeil

Dans l’aube fut troublé par un baiser vermeil,

Mystique Orange, éclose au pays des féeries,

Pomme fraîche exhalant le parfum des prairies,

Cerise folle, offrant ses lèvres au soleil,

Abricot à la joue espagnole pareil,

Et pêche aux chairs de femme exquises et meurtries.

Les fruits, réalités des rêves du printemps

Dans l’ostentation de leurs corps éclatants,

M’attristent à l’égal des choses accomplies.

Leur saveur sensuelle et leur lourde couleur

Ne fait frémir en moi que des mélancolies,

Car j’y vois l’agonie et la mort d’une fleur.

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Chauve-Souris

Vampire sans horreur et Monstre sans effroi,

Chimère sans beauté, Chauve-Souris, ô toi

Qui va heurtant du front les ténèbres divines,

Ivre d’ombre et d’horreur, de nuit et de ruines,

Comment ne pas t’aimer en pleurant, ô ma sœur ?

 Ta laideur de sabbat éloigne la douceur,

 Ton pitoyable élan se brise dans le vide

 Tant l’effort maladroit de ton lourd vol stupide

 T’affole et te tourmente, et ne t’élève pas !

Et tes regards meurtris sont aveugles et las

D’avoir trop adoré les astres et la lune…

 Tu sembles apporter la sinistre infortune

Et les pressentiments du danger et de la mort

 Tandis que l’univers se délasse et s’endort.

 Ta muette souffrance erre et rôde et s’égare.

Pleins de tâtonnements, ton passage bizarre

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Mêle l’inquiétude et la fièvre aux beaux soirs.

C’est toi le frôlement d’étranges désespoirs,

Furtifs, enveloppés de terreur et de haine.

Passe, spectre éperdu, pareil à l’âme humaine

Dans ce qu’elle a de triste et d’ignoble et de beau,

Avec ton corps de bête et tes ailes d’oiseau !

 

Le Violon

Le Musicien mire un visage hagard

Et des yeux d’où l’éclair des triomphes s’envole.

Le soir tombe, apportant une fatigue molle,

Et le vieil homme dit : Il se fait déjà tard.

L’amant peut oublier le plus divin regard

Et le son de la plus enivrante parole,

Mais rien ne peut guérir, rien jamais ne console

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L’artiste défaillant de la mort de son art.

Le violon se tait. Comme par ironie,

L’immortel instrument garde son harmonie

Et, matière, a vaincu l’esprit humilié.

Il attend un Elu, qui, dans un prochain âge,

Viendra, sans plus songer au vieux Maître oublié,

Recueillir largement le divin héritage.

 

Corinne Triomphante

 Tous deux ont noblement chanté, mais vers Corinne

Se portent l’éclat et l’hommage des yeux ;

Elle a fait murmurer et sangloter le mieux

La lyre, et l’Hellas devant elle s’incline.

Et des vierges ont mis à sa tempe

L’orgueil des lauriers, les feuillages du symbole ;

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Ses lèvres ont gardé le pli de la parole

Où le rythme savant éclate avec splendeur.

Corinne a triomphé, car la gloire ancienne

Des chanteurs refleurit au printemps de son front,

On la nomme divine et la foule répond

Par un élan d’amour vers la Musicienne.

Des roses et des lys, et des roses encor

S’effeuillent en parfum à ses pieds que l’on baise.

Elle ne sourit plus, son regard qui s’apaise

Semble celui d’un aigle arrêtant son essor.

A celui que son ode a frappé du silence

Elle va lentement, sans joie et sans orgueil,

Puis élève la voix, et des accents de deuil

 Traînent obscurément dans l’or de sa cadence.

Elle dit : « O Pindare ! ô frère ! n’est-ce pas

« Que les lauriers sont lourds sur le front d’un poète,

« Et que le doute en nous tressaille et s’inquiète

« De les ceindre avant la majesté du trépas ?-

« Jadis, la nymphe aux yeux pareils à la rosée

« Fuyait devant le Dieu des chants et du soleil ;

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« Lui, saisissant enfin les cheveux de vermeil,

« Ne garda plus aux doigts qu’une tige brisée.

« Et l’Immortel, pleurant son Immortalité,

« Fut ta proie, ô Désir qui toujours te refuses !

« En cueillant le lauriers des Héros et des Muses

« Apollon l’a maudit pour sa stérilité.

« Depuis lors, les amants de l’alme poésie

« Sont brûlés d’un souci plus amer que la mort :

« La forme de leur rêve échappe à leur effort,

« Fugitive éternelle aux lèvres d’ambroisie.

« Ils y laissent leur vie et leurs cœurs tout entiers

« Et s’attristent souvent aux heures de victoire :

« La Déesse les fuit, en leur laissant la gloire…

« Et leurs pleurs ont coulé sur les pâles lauriers ! »

 

La Coupe de Cléopâtre

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( A Alice Barney, qui un soir incarna Cléopâtre )

Dans la coupe profonde où rit la liqueur d’or,

Débordante, éclatante en fauves étincelles,

Parmi l’effeuillement des fleurs et d’un trésor,

Cléopâtre a trempé ses lèvres immortelles.

Comme de la lumière étincellent ses dents,

Ses paupières de pourpre ont de lourdes paresses,

Elle songe, à travers un nuage d’encens,

La royale Assoiffée aux étranges ivresses.

De sa voix langoureuse et fatale aux amants

Elle murmure : Assez des vains fruits de la terre !

Il me faut l’âpre vin aux lourds parfums fumants

Dont la terrible soif des Dieux se désaltère.

Pour que je puisse enfin, songe qui m’éblouit,

Boire superbement dans la coupe des Reines

Du Vin qui seul enivre et qui seul réjouit,

Verse-moi largement le flot pur de tes veines !

Comme un astre levant son visage divin

Que, dompté, l’univers en tremblant idolâtre,

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Dans cet enivrement superbe du festin,

La bouche humide et rouge, elle boit Cléopâtre !

 

Chanson

Lorsque la lune vient pleurer

Sur les tombes des fleurs fidèles

Mon souvenir vient t’effleurer

Dans un enveloppement d’ailes.

Il se fait tard, tu vas dormir

Les paupières déjà mi-closes…

Dans l’air des nuits on sent frémir

L’agonie ardente des roses.

Sur ton front lourd d’accablement

 Tes cheveux font de légers voiles…

Dans le ciel brûle infiniment

La flamme blanche des étoiles

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Et la Déesse du Sommeil

De ses mains lentes fait éclore

Des fleurs qui craignent le soleil

Et qui meurent avant l’aurore.

 

Poème

 J’ai ruiné mon cœur, j’ai dévasté mon âme

Et je suis aujourd’hui le mendiant d’amour :

Des souvenirs, pareils à la vermine infâme,

Me rongent à la face implacable du jour.

 J’ai ruiné mon cœur, j’ai dévasté mon âme,

Et je viens lâchement implorer du destin

Un reflet de tes yeux au caprice divin,

O tombe fugitive, ô pâleur parfumée

Si prodigalement, si largement aimée !

 J’ai cherché ton regard dans les yeux étrangers,

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 J’ai cherché ton baiser sur des lèvres fuyantes ;

La vigne qui rougit au soleil des vergers

M’a versé dans ses flots le rire des Bacchantes ;

 J’ai cherché ton parfum sur les lits étrangers

Sans libérer mon cœur de tes âpres caresses.

Et, comme les soupirs des plaintives maîtresses

Qui pleurent dans la nuit un été sans retour,

 J’entends gémir l’écho des paroles d’amour.

O forme fugitive, ô pâleur parfumée,

Incertaine douceur arrachée au destin,

Si prodigalement, si largement aimée,

 J’ai perdu ton sourire au caprice divin ;

O forme fugitive, ô pâleur parfumée,

 Tu m’as fait aujourd’hui le mendiant d’amour

Etalant à la face implacable du jour

La douleur sans beauté d’une misère infâme…

 J’ai ruiné mon cœur, j’ai dévasté mon âme.

 

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Perle abandonnée

 Je rends comme l’on jette une perle à la mer,

Au néant cet amour qui me fut rare et cher…

Le voici rejeté dans le lit de la mer,

Car rien de toi jamais ne me sera plus cher…

S’échappant de mes mains, il s’en retourne aux ondes

Dont ma main le reçut… Perfides et profondes,

O vagues, qui roulez, comme roulent les mondes,

 Toujours elle fut vôtre, ô cauteleuses ondes !

Reprenez le présent refusé, traîtres flots !

Avec le calme oubli des antiques sanglots,

 J’ai jeté mon amour au plus profond des flots !

Qu’il devienne la proie insensible des flots…

 J’ai repris mon regret et ma mélancolie.

Cet amour qui ne fut qu’un songe de folie,

Que je le lance loin de moi, que je l’oublie !

Ah ! que j’oublie, et que j’oublie, et que j’oublie…

 

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Dans la Mort

Dans le frais clair-obscur bleuissant des lumières

Viens rêver de la Mort.. J’adore tes paupières

Les siècles ont glissé sur nos fronts endormis

Plus légers et plus doux que des rires amis…

Et le ruissellement des feuilles de pivoine,

Pleut dans notre cercueil d’onyx et de sardoine.

Large comme l’amphore aux mains de Rébecca

 Ton flanc pâlit parmi les pleurs d’harmonica.

Vient reposer dans l’ombre où dorment les lumières,

Où j’adore la fleur de tes paupières.

 

Le Palais

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« Tu ne construiras point sur le sable. »

Evangile.

 J’élevai ce palais où dort l’âme des rois,

Où l’air chargé de myrrhe et de nard s’alambique,

Où j’évoque le rire ardent de la musique,

Et la liquidité des lyres et des voix.

 J’entourai de l’azur ténébreux des grands bois

Où dorment les serpents, sa façade héroïque,

 Je parfumai d’un bleu parfum de véronique

Les murs enorgueillis des échos d’autrefois.

Mais sous votre ombre, ô fleurs vertes du sycomore !

Mon palais assailli par le vent de l’aurore

Ne sera plus qu’un peu de gris désenchanté…

Car je suis de ceux-là que la lumière accable,

Et, tenant par la main la froide Eternité,

L’aube me confondra : j’ai bâti sur le sable.

 

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Le Soir est glorieux

Le soir est glorieux ainsi qu’un hosanna…

 Jadis, il me comprit et me rasséréna.

 Je pleure, en contemplant le ciel roux comme l’ocre,

Sur mon esprit flottant et mon cœur médiocre.

Le fiévreux souvenir d’une Amie est dans l’air…

L’Arc-en-ciel de la Mort se lève sur la mer.

Et vers toi la Prêtresse, et vers moi la disciple,

Montre la Nuit unique et diverse et multiple.

La couleur de mes jours, tel un prisme incomplet,

S’assombrit gravement du vert au violet.

Sans révolte, j’attends le crépuscule neutre,

Sable, gris où le pas se veloute et se feutre.

Plus roue que le vin aux Noces de Cana,

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Voici venir le soir qui me rasséréna

 Jadis, et qui versa ses ors de soufre et d’ocre

Sur mon esprit flottant et mon cœur médiocre.

 

Notre-Dame des Fièvres

(Tolède)

 Ton haleine fétide a corrompu la ville…

Un vert de gangrène, un vert de poison

Grouille, et la nuit rampe ainsi qu’un reptile.

La foule redit en chœur l’oraison,

Délire fervent qui brûle les lèvres,

Frisson glacial parmi les sueurs,

Vers ta lividité, Notre-Dame des Fièvres !

L’ombre t’a consacré ses mauvaises lueurs.

Les phosphores bleus sont tes frêles cierges,

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Et les feux follets dorent ton autel,

Vierge qui souris à la mort des vierges,

Qui demeures sourde à l’obscur appel,

Madone vers qui matines et vêpres

Montent en grelottant, Notre-Dame des Lèpres !

 Ta cathédrale, aux murs rongés par les lichens

Ecœure le soir par sa tiédeur fade.

Sur les lits souillés de hideux hymens,

Suinte la moiteur des mains de malade.

Les ladres squameux et les moribonds

Mêlent leur soupir au cri des orfraies

Et baisent tes genoux, Notre-Dame des Plaies !

 Tes tragiques élus ont incliné leurs fronts

Sous le vent divin de tes litanies.

Et, parmi l’encens et les chants sacrés

Et l’écoulement des âcres sanies,

S’exhale en relent de pestiférés.

Le pus et le sang et les larmes pâles

Ont béni tes pieds nus, Notre-Dame des Râles !

 

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Désir d’Amour

A mon amie S. B.

 Je voudrais te dire des choses

Que nulle oreille n’entendit

Et sur ton sein cueillir les roses

Que nul encore ne cueillit

Pour tes yeux pleins de lueurs chaudes

Pour ton corps aux parfums subtils

 Je voudrais trouver dans mes rôdes

Parmi la nuit d’autres myrtils

Car je sais qu’aucun homme encore

N’a goûté ton hautain baiser

O ton baiser ! le faire éclore

Su tes lèvres, ô me griser !

 

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Adieux à la Sirène

 Je t’ai gardée, auprès de moi, toute une nuit…

Et maintenant retourne à la mer, ma Sirène !

Vers la mer, tour à tour menaçante ou sereine,

Car ton front se détourne et mon regard te fuit…

Retourne à cette mer toujours renouvelée,

Vers laquelle en secret ton songe amer revient,

Qui t’a bercée, et qui t’appelle et te retient,

Grande comme les cieux, et, comme eux, étoilée !

 Toi que mes yeux en pleurs ne reverront jamais,

Qui ne peux habiter la maison chaude e tendre

Où fut notre bonheur, qui ne peux plus m’entendre,

Va, plonge dans les flots, Sirène que j’aimais !

 

(Sans titire)

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Viviane, Gellô, Madeleine ou Cécile,

Dans ma bouche sans cris ta plainte s’étouffa ;

Et nous avons connu qu’il n’est pas si facile

De suivre hautement les routes de Psappha.

4 janvier 1909

 

A Cécile

Cette ville, où j’ai défait tes bandelettes,

A jamais retiendra mon cœur orageux.

Garde bien les roses mortes de nos jeux

Et ces violettes.

Mercredi.

 

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Noir et gris

 Tout, dans ma vie intime, est noir et fris, gris noir

Et mon âme est pareille au ciel gris dans la brume…

Ce ne sont que regrets et ce n’est qu’amertume.

Sur moi ne reluit plus l’arc-en-ciel de l’espoir.

Autour de moi le ciel est gris et l’air grisâtre…

Et, tendant vers le feu le frisson de mes mains,

Dans l’horreur des pareils (illisibles) lendemains

 Je cherche la chaleur bienfaisante de l’âtre.

Car nul enchantement, sous forme d’une femme,

Ne surprendra jamais enfin mes yeux ravis…

Voici : je n’attends plus que la mort, notre Dame…

Portant un vêtement gris et noir, noir et gris…

 

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( Bribes )

Dès ce beau soir, l’on me nomme l’Indifférente-

Par ce soir triste et froid, je ressemble à la lune-

 Je porte froidement ma si froide infortune.-

Mon âme est morte en moi, morte comme la lune-

Et ma bouche n’a plus de baisers, ni, mes mains

Des caresses, ............ étrangère aux humains-

 Je suis chaste comme la lune

 Je m’éloigne à jamais chastement de

.............................................

Désabusée, et pâle, indifférente et lasse

Autant qu’un roi d’Espagne au fond de son palais

 Je vais m’asseoir parmi les choses de la nuit

Et me voici dans la forêt de Brocéliande

N’as-tu point entendu le pas de Viviane ?

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Le roi d’Espagne est triste au fond de son palais

Car le temps est [un dieu ?] et les hommes sont laids.

-----------------------------------------------

Voici que l’Implacable elle-même,

elle-même

Pleura,-

Et la mer qui lui fut lieu de naissance hier

S’étonna

Donne à d’autres ta bouche et garde-moi tes yeux,

Garde-moi

Car e veux ton regard, profond comme ton âme,

Où demeure en beauté ta misère de femme.

 

POEMES SIGNES PAULE RIVERSDALE

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Vers l’Amour (1903)

Portraits

 J’aime la beauté de tes yeux étincelant,

Le ton de tes cheveux dorés et chatoyants,

 Ton petit nez mutin, ton front de tubéreuse,

 Ton profil gracieux, ta sveltesse onduleuse.

La blancheur de tes seins pareils aux monts neigeux

Se dresse fièrement pour provoquer les cieux,

Et tes mains aux longs doigts, savants en caresses,

Laborieusement prodiguent les ivresses.

Le rythme de ta voix me cajole et me plaît,

 Ton esprit si divers m’amuse et me distrait.

L’ombre du duvet blond reflété sur tes lèvres

Brûle mon jeune sang d’intolérables fièvres ;

 Ta grâce d’amoureuse inlassable pâlit,

Dans l’ardeur de l’alcôve et dans l’ombre du lit,

 Ton corps voluptueux sous mes baisers tressaille.

Oh ! les coups de ton cœur dans la belle bataille !

 

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Divinité

Déesse aux yeux d’or brun, clos ta paupière rose,

Fais des songes d’amour ; que ton sommeil soit doux ;

Que le rêve lointain comme un rayon se pose

Sur ton front languissant et sur tes cheveux flous.

 Je voudrais être la nuit, afin de t’étreindre,

 Je voudrais te presser sur mon cœur frémissant,

Entendre ton sanglot voluptueux se plaindre

Et retenir l’amour qui sourit en passant.

 

Désir

O toi dont le beau corps est fait de volupté,

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 Toi, dont le clair regard séduit, affole et grise,

 J’aime frôler et voir ta pâle nudité,

Et cueillir sur ta bouche une douceur promise ;

Me pâmer de bonheur et n’entendre aucun bruit ;

Oublier que j’existe et vivre dans un songe ;

Fermer les yeux, rêver, me perdre dans la nuit,

Quand l’écho des aveux ardemment se prolonge.

 

Enterrée vivante

L’effroyable réveil de se voir sous la terre,

Essayant d’ébranler les murs de sa prison.

Et sachant que bientôt cette lugubre bière,

Impitoyablement, lui prend sa raison.

…Elle pousse des cris, des sanglots de détresse,

S’arrachant les cheveux, elle tremble d’horreur,

Pensant à son aimé qui pleure avec tendresse

Celle qui fut la joie et la fleur du bonheur.

Elle crispe ses mains, repoussant le suaire

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Qui paralyse son effort épouvanté,

Dans ce sépulcre froid, tristement solitaire

Dont aucun mot ne peut dire l’atrocité.

Elle entend des pas sourds. Est-ce la délivrance ?

Dans un dernier sursaut, appelant le sauveur,

Qui s’éloigne en chantant sa placide ignorance.

Ce passant ne sait point ce qui le rend rêveur ;

C’est un écho lointain, une légère plainte,

Venant d’un être humain, qui là, tout près de lui,

Se sent mourir d’effroi dans le noir labyrinthe,

D’une livide enfant dont l’espérance a fui.

 

La Sirène

Sirène au corps d’argent, dont le regard fascine,

 Tu glisses comme un rets sur l’immense océan,

Attirant par ta voix, ô néfaste androgyne,

Le crédule pêcheur vers le gouffre béant.

 Tes chants mélodieux, dans la nuit étoilée,

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Dans le calme divin, font tressaillir d’émoi,

Et de loin on entend cette harmonie ailée

Qui glace l’homme plein de désir et d’effroi.

 Tu t’approches de lui, les lèvres souriantes ;

De ta chair parfumée émane le péril ;

 Tu l’appelles encor de tes mains suppliantes ;

Il est sous le pouvoir de ton charme subtil.

Inconscient, il suit la forme enchanteresse,

Oubliant son foyer, le bonheur du retour,

Et les serments qu’il fit à sa jeune maîtresse :

 Tu le tiens désormais dans tes filets d’amour ;

Mais il s’abîme au fond de l’onde impitoyable,

Il voit confusément l’épouvante des mers,

Des cadavres meurtris sur leur couche de sable,

Les crabes jaillissant de crânes entrouverts.

Il veut se libérer de sa prison mouvante,

Il tend ses bras vaincus vers l’horizon d’airain,

Puis meurt dans un sanglot. Et la douce voix chante,

Car une autre victime éclaire le lointain.

 

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Accueil

 

http://www.reneevivien.com/images/page%27poemes%27_01.gif Oeuvrepoétique

Accueil

ECHOS ET REFLETS,

1903

 

Les Yeux

L’Anxiété des Lèvres

La Double Ambiguïté

L’Automne

Couchant sur l’Hellas

A une Poétesse

L'Iris noir

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Marine

Colobra

L’œillet mauve

L’Oranger

Chanson Mystique

Créoles

Fleurs orgiaques

Au Pays des Miracles

A une Amie

Dryade

Floréal

Sonnet vénitien

Rythme dans la Forêt

Chanson nocturne

Nacre sur fond d’or

Pressentiment

Etoiles sur le Navire

Départ trouble

Baiser païen

Gravités de la Solitude

 

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Les Yeux

Les yeux noirs, où l’éclair des ténèbres reluit

Et s’éteint, les yeux noirs sont plus beaux que la nuit.

Les yeux gris, où l’ardeur des étés passe et brûle,

Les yeux gris sont plus beaux que le doux crépuscule.

Les yeux bleus, clairs miroirs de rêve et de l’amour,

Rayons frais, les yeux bleus sont plus beaux que le jour.

Les yeux verts, où l’azur des feuilles tremble encore,

Lueurs d’eau, les yeux verts sont plus beaux que l’aurore.

Angoissants comme l’abîme et le désespoir,

Ombres d’or, les yeux bruns sont plus beaux que le soir.

 

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L’Anxiété des Lèvres

Donne-moi les mauvais baisers

Qui frémissent, inapaisés,

Parmi les lents sanglots brisés.

Lorsque tu seras endormie,

 Je contemplerai l’infamie

De tes fausses lèvres d’amie.

La lumière de ton miroir

A reflété mon désespoir

Et les glauques frissons du soir.

Redis-moi le divin mensonge

Où chaque soir mon être plonge

Comme en l’abîme d’or du songe.

Ah ! rends-moi les mauvais baisers

Qui frémissent, inapaisés,

Parmi les lents sanglots brisés !

 

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La Double Ambiguïté

 J’écoute avidement tes paroles dans l’ombre…

 Je goûte les langueurs et les parfums du lit

Et la complicité des ténèbres, où sombre

La Pléiade d’or que Sélanna pâlit.

 Tu souris, déployant ta chevelure blonde,

Et le sommeil répand des pétales d’azur.

La musique s’éteint. La nuit glisse sur l’onde

Harmonieusement, ainsi qu’un cygne obscur.

Ma bouche a possédé ta bouche féminine

Et mon être a frémi sous tes baisers d’amant,

Car je suis l’Etre Double, et mon âme androgyne

Adore en toi la vierge et le prince charmant.

 

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L’Automne

Avec des ardeurs de lionne,

La forêt vibre et s’abandonne

Aux baisers rouges de l’automne,

Et ta chevelure jauni

Pleure sur la lente agonie

Des solitudes d’Ionie.

La feuille vole et tourbillonne :

Le rythme du vent monotone

Gémit sur la mort de l’automne.

La forêt jette un cri fantasque,

Comme une plainte qui se masque

Sous le rire de la bourrasque.

Dans l’ombre au parfum d’anémone,

La nuit glorifie et couronne

La mort divine de l’automne.

 

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Couchant sur l’Hellas

 Tes pas mystérieux d’amante virginale

Erraient près de l’étang que l’Artémis créa.

Le couchant, glorieux comme un cri de cymbale,

Ensanglantaient les flots où dort le nymphéa.

Mon rêve rayonna d’une extase inconnue,

Autour de toi rôda mon désir obstiné…

 Tu souriais debout et divinement nue,

Plus blanche que Léda, plus blonde que Daphné.

Le soleil, rougissant les cheveux de prêtresses,

Exaspérait l’ardeur de leur corps irrité…

Au lointain hennissaient les noires Centauresses

Dont le rut saccageait les herbes de l’été.

 

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A une Poétesse

Voici le soir… Voici l’orage aux cris amers,

Et la foule s’assemble au fond de la chapelle

Où l’on cherche Marie et n’espère qu’en Elle.

O vaisseau qui se noie en l’abîme des mers,

O Dieu ! je cherche en vain l’ombre de la chapelle,

Voici le soir… Voici l’orage aux cris amers.

Et dans mon cœur sévit la tempête des mers !

O Dieu ! je cherche en vain l’ombre de la chapelle.

Marie ! – O lys très blanc, qui règnes sur la mer !

 

L’Iris noir

Dans tes pétales de ténèbres

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S’attristent les songes funèbres

Et les pressentiments du soir,

Long iris noir.

La Nuit aux mains prodigues verse

Des lueurs de lune perverse

Sur ton calice d’encensoir,

Long iris noir.

 Tu fleuris à l’ombre rougie

D’une mélancolique orgie

Que l’aurore vient décevoir,

Long iris noir.

 Tu meurs parmi les lassitudes

Abandonnant aux solitudes

Leurs frêles mains de désespoir,

Long iris noir.

 

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Marine

O sœurs de la tempête, ô filles de l’écume,

O mouettes, blancheurs de voiles, votre essor

A travers les maëlstroms et le vent et la brume

Est plus impérial que l’orgueilleux essor,

Brûlé par le soleil, de l’aigle aux ailes d’or.

Fuyez sous les yeux verts de l’aube maritime,

 Jetez vos cris aigus vers l’angoisse des flots,

Plongez votre regard enfiévré par l’abîme

 Jusqu’au sein irrité de l’orage et des flots

Dont l’éternel désir déferle en lourds sanglots.

A travers les maëlstroms et le vent et la brume

Charriant le phosphore et l’iode des flots,

O sœurs de la tempête, ô filles de l’écume,

O mouettes, planez sur l’orage des flots

Dont l’éternel désir déferle en lourds sanglots.

 

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Colobra

Voici la nuit lente, rampant

Vers l’opale de la colline..

Et, sinueux comme un serpent,

 Ton charme pervers me fascine.

Au fond de tes yeux ardoisés

Errent des éclairs et des ombres.

Oh ! le venin de tes baisers !

Le péril de tes regards sombres !

 Jamais ta ruse ne s’endort

Sous ton illusoire paresse.

Un goût de menace et de mort

Corrompt ta subtile caresse.

Voici la nuit souple, rampant

Vers l’opale de la colline…

Et, sinueux comme un serpent,

 Ton charme étrange me fascine.

 

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L’œillet mauve

Fleur qui décores le printemps,

Fleur qui t’effeuilles dans l’automne,

 Tu répands les parfums flottants

Où l’âme des jardins frissonne.

Et tu fanes lentement

Dans ta mauve mélancolie,

 Triste fragance d’un moment,

Pourpre délavée et pâlie.

Enfant d’un maladif soleil,

 Tu réjouis de ta préférence

Les vergers d’ombre et de sommeil

Où l’été verse le silence.

Le désir te cueille le soir,

Pour parer le sein de l’aimée

Qui reflète dans le miroir

Le pli de sa lèvre embaumée.

O charme triste d’un moment !

Penche ta corolle pâlie

Avant de mourir doucement

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Dans ta mauve mélancolie.

 

L’Oranger

L’air méridional a des langueurs d’amante ;

Le soleil, qui s’éteint parmi les orangers,

Attriste obliquement leurs feuillages légers ;

La vigne a recueilli des rires de Bacchante.

La mer vient exhaler sous le myrte et l’acanthe

Ses longs gémissements et ses chants passagers.

L’or vert du crépuscule estompe les vergers

Et le soir a versé sa torpeur enivrante.

L’âme grave en qui sourd le sanglot du désir

Et qui sait l’anxiété lourde e choisir,

Recèle le poison des coupes de Locuste.

Le fondu vespéral apaise les couleurs

Et s’attarde, pareil aux regrets, sur l’arbuste

Qui porte altièrement les fruits blonds et les fleurs.

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Chanson Mystique

 Ton âme a les feux de l’opale

Et de l’arc-en-ciel incertain,

Elle a l’ombre du bleu Lointain,

La candeur de la source pâle.

 Ton âme est pareille au cristal

Qui réfléchit les clairs de lune,

Aux lys exhalant vers la brune

Leur grave parfum virginal.

 Ton âme est le ruisseau qui chante

Les chansons de l’aube à la nuit…

Le rêve que le jour détruit,

Le luth murmurant sous l’acanthe.

 

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Créoles

Le soir frémit encor de nos anciens aveux

Sur les pics foudroyés que l’ouragan ravage…

Laisse-moi respirer l’odeur de tes cheveux.

Sous tes pas de créole enfant, traîne un sillage

D’échos et de reflets, d’angoisses et de vœux ;

 Tes seins ont la fraîcheur d’une rose sauvage.

Une vapeur légère estompe le contour

Des montagnes d’azur, et l’eau semble se taire

Pour recueillir le souffle agonisant du jour.

Mon être émerveillé contemple ce mystère,

Ce miracle : t’avoir inspiré de l’amour !

Et je plains le néant de l’être solitaire.

Dans le soir où languit un rêve oriental,

 Tes paupières de pourpre ont de lourdes paresses :

L’air est chargé de nard, de myrrhe et de santal.

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Et, comme un défilé de funèbres prêtresses,

Baissant leurs fronts gemmés d’argent et de cristal,

Les étoiles du Sud consacrent nos ivresses.

Les longs pressentiments, les lueurs et les vœux

 T’auréolent ainsi qu’une rouge couronne :

Sous tes pas se déroule un sillage d’aveux.

Vois flamber le minuit que la fièvre aiguillonne :

Laisse-moi respirer l’odeur de tes cheveux

Et te soumettre enfin à mes ruts de lionne.

 

Fleurs orgiaques

 Tes doigts frais effeuillent les fleurs

Qui parsèment de leurs pâleurs

Les tapis aux rudes couleurs.

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Vois mourir les roses païennes

Que les mains des Musiciennes

Mêlent aux lyres doriennes.

Aux soirs de voluptés, les fleurs

Neigent, ineffables pâleurs,

Parmi les sons et les couleurs.

Et leurs fébriles agonies

Ensanglantent les harmonies

Des corruptions infinies.

Les femmes masquent leurs pâleurs

Dans le soir ivre de couleurs

Qu’hallucine la mort des fleurs.

 

Au Pays des Miracles

Impérieusement je prendrai mon essor

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Cette nuit : je fuirai vers les espaces d’or.

 Je ferai ruisseler, fluidités sereines,

Entre mes doigts ardents les cheveux des Sirènes.

 Je verrai, dans un halo de parfums flottants,

Les fantômes errer sous le bleu du printemps.

 J’entendrai les chasseurs étranges des ténèbres,

Les frissons noirs des ifs, le son des cors funèbres.

Auprès de moi, blancheurs de nuage et de jour,

Luiront les visions mortelles de l’amour.

 Je pencherai mon cœur sur l’eau de la lagune,

Lorsque s’attendrira le rire de la Lune…

Impérieusement je prendrai mon essor

Cette nuit : je fuirai vers les espaces d’or.

 

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A une Amie

 Je m’abîmai dans tes yeux

Où la tristesse s’extasie,

Où s’attarde un reflet d’adieux,

O fleur d’ombre et de poésie !

 Tu fais gémir, en tes accords,

Les divines inquiétudes ;

La flamme blanche de ton corps

Brûle au fond de mes solitudes.

Un rêve d’automne et d’hiver

Filtre sous tes paupières closes,

 Tandis qu’émane de ta chair

L’exaspération des roses.

 

La Dryade

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La Dryade se berce au rythme des feuillages.

L’or vert de ses cheveux palpite dans le vent,

Et la précocité de l’avril décevant

Emplit de floraisons fragiles les bocages.

La Dryade se berce au rythme des feuillages.

La Dryade pensive écoute les oiseaux…

Ses membres ont frémi d’une extase inconnue.

Les lianes ont fait un lacis de réseaux

Autour es blancs frissons de la volupté nue…

La Dryade pensive écoute les oiseaux.

La Dryade se meurt de la mort de l’automne ;

Le soir tombe, et l’amour a tu son rire amer…

Le monde ensanglanté de vendanges s’étonne

A voir naître et grandir l’angoisse de l’hiver…

La Dryade se meurt de la mort de l’automne.

 

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Floréal

 Je t’aime dans l’odeur des roses

Mourantes, quand il se fait tard,

Quand, sous tes paupières mi-closes,

S’alanguit ton pâle regard.

Mon âme tendrement troublée

 T’aime dans l’odeur des lilas,

Lorsque ruisselle la coulée

Du clair midi sur les fronts las.

O ma Maîtresse, ô mon Amie,

 Je t’aime en l’odeur des œillets…

Le bleu de ta chambre endormie

S’attendrit parmi les regrets…

Dans l’odeur de la violette,

 J’aime la grâce de ton corps,

 Tandis que le miroir reflète

L’éclat des ambres et des ors.

Dans l’odeur de ta tubéreuse,

 Je t’aime d’un mauvais désir,

A l’heure où l’aurore amoureuse

Se pâme avec un frais soupir.

Et, dans l’odeur de l’aubépine,

 J’aime tes yeux pleins d’éclairs bruns…

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O ma Maîtresse, ô ma Divine !

 Je te mêle à tous les parfums.

 

Sonnet vénitien

Le soir est imprégné de nard et de santal.

Lève sur moi tes yeux stagnants de Dogaresse,

 Tes yeux qu l’ennui vert des lagunes oppresse,

Las d’avoir contemplé la moire du canal.

Autour de toi s’affirme un silence automnal ;

Le dangereux parfum des daturas caresse

 Ton front sans véhémence, ô fragile Maîtresse,

Dont le souffle ternit à peine le cristal.

Le roux vénitien de tes cheveux anime

La solitude où traîne un sanglot de victime.

 Tragique, le couchant te prête son décor.

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 Tu portes le fardeau d’une antique infortune,

Quand tu fuis vers le sable où la Mer aux pieds d’or

Pleure sous le baiser stérile de la Lune.

 

Rythme dans la Forêt

Viens, nous irons vers la Nature,

Les abîmes et les forêts

Dont se crispe la chevelure,

Et vers l’automne aux longs regrets.

L’ombre, qui voit les lourdes fièvres

Se ralentir et s’apaiser,

Me verra boire sur tes lèvres

Le soupir profond du baiser.

Pour mes voluptés de poète,

 J’amalgamerai les couleurs,

 Je tresserai les chants de fête

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Et je ferai jaillir les fleurs.

 

Chanson nocturne

Un flot d’étoiles coule et fuit

Vers l’énigme des portes closes.

L’ombre fébrile de la nuit

Brûle d’une flamme de roses.

La lune dérobe au soleil

Le souvenir d’une heure aimée,

Et le parfum de ton sommeil

S’échappe ainsi qu’une fumée.

Il est si divin dans la nuit

Qu’il semble une flamme de roses…

Le flot des astres coule et fuit

Vers l’énigme des portes closes.

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Nacre sur fond d’or

La forêt s’attendrit à l’écho de ta voix ;

Les lucioles d’or aiguisent leurs lumières ;

 Je ceins d’iris ton front de vierge, et je revois

Le frisson blanc de tes paupières.

Mon cœur a réfléchi ton cœur pervers et pur :

 Je cueillerai pour toi les roses des allées

Où le couchant s’attarde, ivre d’antique azur

Et de poussières étoilées.

Le nacre mêle à l’or ses reflets irisés.

Au loin l’âcre sanglot de la mer s’atténue

Et, sous l’acharnement tiède de mes baisers,

 Jaillit la fleur de ta chair nue.

 

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Pressentiment

Pareille à ceux-là que la paix

Encloître dans l’ombre endormie,

Pâle sous te cheveux défaits,

 Tu m’apparus, ô mon Amie !

Il me semblait que les tombeaux

Ouvraient pour toi leurs larges portes,

Parmi les chants et les flambeaux

Et les violettes des Mortes.

L’air de l’aurore s’affligea

De ton renoncement austère.

 Tes épaules portaient déjà

Le poids funèbre de la terre.

 

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Etoiles sur le Navire

 Tristement je rêvais en regardant les flots…

Le vent occidental portait ma rêverie

Vers des cieux inconnus, et les anciens sanglots

Sourdaient confusément dans mon âme meurtrie.

Sur les embruns, fleuris de sillages légers,

Se mirait le reflet orangé d’une voile,

Et, fraternel parmi les astres étrangers,

Souriait le regard attendri d’une étoile.

 Tristement je rêvais en regardant les flots

Que fendait le passage orangé d’une voile ;

Dans mon âme, où somnolaient d’antiques sanglots,

Souriait le regard attendri d’une étoile.

 

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Départ trouble

Des arbres déchus de leurs gloires

S’exhalent les regrets tardifs,

Et les roses rouges et noires

Dardent leurs parfums sous les ifs.

Voici l’heure des adieux mornes,

O mon Désir ! O mon Souci !

 Je vais par les chemins sans bornes,

Car les lys se meurent ici.

 Tes seins livrent à l’air nocturne

Leurs dangereuses floraisons :

Accorde à mon vœu taciturne

 Tes mains qui filtrent les poisons.

Les oiseaux que le jour accable

Prennent leur ténébreux essor,

Et tes longs pieds creux sur le sable

Ont laissé leur empreinte d’or.

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La luciole tremble et brûle

Moins que ton incertain regard…

 J’entends au fond du crépuscule

Le divin sanglot du départ.

 

Gravités de la Solitude

 Je vis dans le farouche exil

De la volupté qui s’isole,

Et le rythme de ta parole

Fait rire en moi les chants d’avril.

 J’aspire les fraîcheurs nocturnes

Et la langueur de ton repos,

Dans l’ombre de tes yeux mi-clos

Et sur tes lèvres taciturnes.

Le sanglot lointain des douleurs

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Ne trouble plus la quiétude

De notre étrange solitude,

Ivre de musique et de fleurs.

Ah ! les soirs de fauve agonie,

Versant les rayons violets !

Ah ! les échos et les reflets

Des temples lascifs d’Ionie !

 

Accueil

 

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POEMES SIGNES HELENE DE ZUYLEN

Effeuillements

1904

 

 Tours de Burgos

Le Voile du Silence

 Jardin gré des Saisons

Pavot noir

Le Promontoire d’or

Palette automnale

 

 Tours de Burgos

Se drapant, comme d’un linceul,

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D’ombres et de douleurs fortes,

Plus graves qu’un portrait d’aïeul,

Les tours séculaires sont mortes.

Les ruelles et les calles

Fourmillent d’âpres épouvantes,

Et les maisons aux toits grêlés

Sont sépulcralement vivantes.

On y sent un confus effort

Dont l’incertitude dévie :

La fécondité dans la mort,

La pourriture dans la vie.

 

Le Voile du Silence

 Tandis que le remous des bruns varechs s’endort,

Le silence a posé deux longs doigts sur ses lèvres.

La Dame de l’Automne et la Dame des Fièvres,

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Les bras liés, ont pris le chemin de la mort.

Et voici, sous les étoiles qui se sont tues.

Les pasteurs d4ionie et des Iduménéens.

La baie a des repos méditerranéens,

Et les arbres ont des fixités de statues,

Le silence est vêtu d’une robe gris-bleu.

Ses yeux sont une nuit smaragdine et sereine…

C’est l’heure où les douleurs retiennent leur haleine,

N’osant plus sangloter leur déchirant aveu.

L’ombre, ayant répandu l’azur vert de ses urnes,

S’abandonne aux douceurs lasses du souvenir,

Et, parmi l’or des cieux que l soir vient ternir,

Le voile du silence a des plis taciturnes.

 

 Jardin gré des Saisons

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Au printemps, les Jardins livrent leur langueur moite

 Tandis que l’aconit distille son poison,

L’arc-en-ciel de l’avril se brise à l’horizon

Comme un frêle bonheur que le Néant convoite…

En été, les Jardins luisent, tel un miroir

 Juillet vide en riant sa corbeille de roses

Où sommeillent les ors des abeilles encloses,

Les opales de l’aube et les berges du soir…

Mélancoliquement attardé sur les mousses,

L’automne s’est vêtu de son rouge manteau…

Oranges des lointains ! Violets du coteau !

Sapins brûlés hérissant leurs aiguilles rousses !

Grappes au suc amer d’un soir désenchanté !

Lassitudes, en proie aux hantises cruelles,

Détournant loin des sphinx leurs errantes prunelles,

Et se réfugiant dans la simplicité !

Elles portent l’Ennui comme un lourd diadème,

Et leurs bouches sans joie ont méprisé le fard…

L’Automne aux doigts trempés de cinabre et de nard

Agonise sous les funèbres chrysanthèmes…

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L’Hiver, dont les savants et logiques dessins

Ont la complexité rigoureuse des lemmes

Enchevêtre un lacis vivifié de gemmes,

Perles du Gui, corail du houx, bloc des fusains.

Les nuages ont le prisme aigu des banquises,

Promontoires flottants sur l’azur d’un détroit,

Et, dans les clairs jardins où miroite le Froid,

Le regret des senteurs monte des roses grises.

 

Pavot noir

Fleur des mauvais jardins aux vénéneux sommeil,

Les servantes de l’Ombre et les Magiciennes,

Dont les nocturnes yeux redoutent le soleil,

Respirent âprement tes langueurs léthéennes.

Fleur des mauvais jardins au vénéneux sommeil.

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 Tu te fanes parmi les âcres chevelures,

Et tu connais le rêve ardent des fronts maudits

Que jamais n’effleura, dans un bruit de ramures,

Le souffle des matins et des simples midis :

 Tu te fanes parmi les âcres chevelures.

 Tu t’effeuilles auprès des femmes sans désir

Dont les prunelles sont froidement endormies,

Dont le cœur ennuyé dédaigne de choisir,

Et dont l’âme est pareille à l’âme des momies :

 Tu t’effeuilles auprès des femmes sans désir.

Ennui de l’aconit et de la belladone

Dans le soir où la voix des vieilles trahisons

Fait traîner, à l’égal d’un refrain monotone,

La fadeur et la fragilité des poisons !

Ennui de l’aconit et de la belladone !

 

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Le Promontoire d’or

Complexe et curieux en l’éther d’un bleu noir,

 Je vois s’enchevêtrer l’étrange zodiaque.

Sans flux et sans reflux, la mer est une plaque

De saphir dans le bloc d’émeraude du soir.

Les vêtements de fête ont pris des plis funèbres ;

Les nuages, pareils à de longs spectres gris,

 Traînent obscurément leurs linceuls défleuris :

Des Etres inconnus ont peuplé les ténèbres.

 Tout est vague… Voici l’heure de l’Incertain.

Le ciel semble une ébauche et la terre une esquisse ;

La barque de la Nuit aventureuse glisse

Avec lenteur vers un promontoire lointain.

 

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Palette automnale

Le couchant a rougi les arbres violets.

Un blond duvet de lièvre adoucit et veloute

Les champs où l’ombre lente a jeté ses filets,

L’azur des frondaisons et l’ocre de la route.

C’est une symphonie en carmin dégradé

Où chante sourdement l’âme de la palette,

Et l’arbre que la brise en passant a ridé

Dresse son délicat et frissonnant squelette.

La rouille des marais aux luisances d’étain

S’assombrit. Déroulant de cendreuses étapes,

L’étroit sentier se perd dans un verger lointain

Où sommeille la pourpre extatique des grappes.

La gouache du vert et le pastel du bleu

Se fondent en un ciel dont la tiédeur frissonne ;

Les soufres, les safrans et les cuivres du Feu

S’attisent sur la toile ardente de l’automne.

 

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