Études corses n° 73 - Vivre l’insularité

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Revue de l’Association des chercheurs en sciences humaines (domaine corse).

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VIVRE L’INSULARITÉ

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9ÉTUDES CORSES, N° 73ALBIANA/ACSH

DÉCEMBRE 2011

JOSEPH MARTINETTI

Une géohistoire de la desserte maritime de la Corse, entre espace national et espace tyrrhénien

La desserte maritime de la Corse constitue un cas emblématique des mutations que le secteur des transports et plus particulièrement du cabotage insulaire, connaît désormais depuis une trentaine d’années. Ce secteur est contraint en effet d’assurer des obligations de service public exigeantes et coûteuses tout en devant répondre à une demande politique, voire idéologique de mise en concurrence et de libéralisation. Aux situations monopolistiques ou dominantes des compagnies publiques nationales, observables dans les années 1970 s’est substituée, en Corse, comme d’ailleurs en Sardaigne, une situation d’âpre concurrence entre des compagnies privées ou privatisées amenées à capter un marché touristique en expansion. Trois éléments ont favorisé cette évolution, une exigence qualitative de service de la clientèle, des impératifs libéraux et concurrentiels définis par la Commission de Bruxelles et l’expression d’un nationalisme régional exprimé par un transfert de compétences vers des autorités locales devenues les gestionnaires du secteur des transports. La supranationalité couplée à une volonté de reconnaissance identitaire locale a bousculé les règlements du droit social et économique définis dans le cadre de la Nation. Les nouveaux acteurs de la « postmodernité » ont pu ainsi éliminer les acteurs étatiques et drainer une partie des substantielles aides publiques qui conditionnent la desserte maritime régulière d’une île faiblement peuplée. Les stratégies spatiales déployées par l’ensemble de ces compétiteurs ont engendré un jeu de basculements

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géopolitiques de grande ampleur qu’une approche géohistorique permet de réinsérer dans une perspective plus ample de longue durée. Une nouvelle fois, la desserte de la Corse est soumise au jeu d’équilibre que génère la double appartenance à l’« espace tyrrhénien » et à l’espace national français.

ENTRE ESPACE TYRRHÉNIEN ET INTÉGRATION FRANÇAISE

Intégrée à l’espace géopolitique des cités maritimes de l’Italie occidentale, la Corse s’est précocement inscrite dans une logique tyrrhénienne de sa desserte maritime. L’appartenance géopolitique, associée à une évidente proximité géographique des côtes péninsulaires vite atteintes et nettement visibles depuis les côtes de la Corse orientale, expliquent les liens maritimes intenses et largement majoritaires qui ancrent le système spatial corse dans le bassin tyrrhénien jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Alors que les présides génois se répartissent de façon équilibrée sur le littoral corse, l’un d’entre eux, la citadelle de Bastia, polarise à partir du XIVe siècle l’ensemble du territoire insulaire. Elle nourrit sa primauté de sa fonction de transit au cœur du canal tyrrhénien entre l’intérieur de l’île et l’Italie péninsulaire et mérite amplement le qualificatif de « clé de la Corse 1 ». La ville s’impose alors comme la capitale politique et économique de l’île 2 malgré sa position excentrée au Nord-Est de l’île et son site portuaire difficile. Parmi ses nombreux atouts, Bastia « la tyrrhénienne » compte la présence active des Cap-Corsins dans ses activités économiques d’intermédiation ainsi que la proximité de couloirs topographiques qui, dans une île montagneuse favorisent son rôle de contact entre Corse intérieure et Terra Ferma. Ainsi à la fin du XIXe siècle, alors que l’île est française depuis plus d’un siècle, le géographe Élisée Reclus 3 rend compte dans sa Géographie

1. TAILLEFER François, « Bastia esquisse géographique », Revue de Géographie alpine, t. 29-3, 1941, p. 449-470.

2. GRAZIANI Antoine-Marie, la Corse génoise, économie, société, culture, 1453-1768, Ajaccio Alain Piazzola, 1997.

3. RECLUS Élisée, Nouvelle Géographie universelle L’Europe Méridionale, Paris, Hachette, 1887. Chapitre sur la Corse p. 671-688, chapitre sur la Sardaigne p. 607-634.

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9ÉTUDES CORSES, N° 73ALBIANA/ACSH

DÉCEMBRE 2011

JOSEPH MARTINETTI

Une géohistoire de la desserte maritime de la Corse, entre espace national et espace tyrrhénien

La desserte maritime de la Corse constitue un cas emblématique des mutations que le secteur des transports et plus particulièrement du cabotage insulaire, connaît désormais depuis une trentaine d’années. Ce secteur est contraint en effet d’assurer des obligations de service public exigeantes et coûteuses tout en devant répondre à une demande politique, voire idéologique de mise en concurrence et de libéralisation. Aux situations monopolistiques ou dominantes des compagnies publiques nationales, observables dans les années 1970 s’est substituée, en Corse, comme d’ailleurs en Sardaigne, une situation d’âpre concurrence entre des compagnies privées ou privatisées amenées à capter un marché touristique en expansion. Trois éléments ont favorisé cette évolution, une exigence qualitative de service de la clientèle, des impératifs libéraux et concurrentiels définis par la Commission de Bruxelles et l’expression d’un nationalisme régional exprimé par un transfert de compétences vers des autorités locales devenues les gestionnaires du secteur des transports. La supranationalité couplée à une volonté de reconnaissance identitaire locale a bousculé les règlements du droit social et économique définis dans le cadre de la Nation. Les nouveaux acteurs de la « postmodernité » ont pu ainsi éliminer les acteurs étatiques et drainer une partie des substantielles aides publiques qui conditionnent la desserte maritime régulière d’une île faiblement peuplée. Les stratégies spatiales déployées par l’ensemble de ces compétiteurs ont engendré un jeu de basculements

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géopolitiques de grande ampleur qu’une approche géohistorique permet de réinsérer dans une perspective plus ample de longue durée. Une nouvelle fois, la desserte de la Corse est soumise au jeu d’équilibre que génère la double appartenance à l’« espace tyrrhénien » et à l’espace national français.

ENTRE ESPACE TYRRHÉNIEN ET INTÉGRATION FRANÇAISE

Intégrée à l’espace géopolitique des cités maritimes de l’Italie occidentale, la Corse s’est précocement inscrite dans une logique tyrrhénienne de sa desserte maritime. L’appartenance géopolitique, associée à une évidente proximité géographique des côtes péninsulaires vite atteintes et nettement visibles depuis les côtes de la Corse orientale, expliquent les liens maritimes intenses et largement majoritaires qui ancrent le système spatial corse dans le bassin tyrrhénien jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Alors que les présides génois se répartissent de façon équilibrée sur le littoral corse, l’un d’entre eux, la citadelle de Bastia, polarise à partir du XIVe siècle l’ensemble du territoire insulaire. Elle nourrit sa primauté de sa fonction de transit au cœur du canal tyrrhénien entre l’intérieur de l’île et l’Italie péninsulaire et mérite amplement le qualificatif de « clé de la Corse 1 ». La ville s’impose alors comme la capitale politique et économique de l’île 2 malgré sa position excentrée au Nord-Est de l’île et son site portuaire difficile. Parmi ses nombreux atouts, Bastia « la tyrrhénienne » compte la présence active des Cap-Corsins dans ses activités économiques d’intermédiation ainsi que la proximité de couloirs topographiques qui, dans une île montagneuse favorisent son rôle de contact entre Corse intérieure et Terra Ferma. Ainsi à la fin du XIXe siècle, alors que l’île est française depuis plus d’un siècle, le géographe Élisée Reclus 3 rend compte dans sa Géographie

1. TAILLEFER François, « Bastia esquisse géographique », Revue de Géographie alpine, t. 29-3, 1941, p. 449-470.

2. GRAZIANI Antoine-Marie, la Corse génoise, économie, société, culture, 1453-1768, Ajaccio Alain Piazzola, 1997.

3. RECLUS Élisée, Nouvelle Géographie universelle L’Europe Méridionale, Paris, Hachette, 1887. Chapitre sur la Corse p. 671-688, chapitre sur la Sardaigne p. 607-634.

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11Une géohistoire de la desserte maritime de la Corse

universelle du profond déséquilibre qui caractérise la Corse. Il la divise encore en deux univers distincts de part et d’autre de l’arête faîtière de la Corse cristalline. Au Nord-Est, la Banda di dentro ou « zone intérieure », centrée sur Bastia est ouverte aux influences du monde italien par la mer tyrrhénienne et à l’opposé, la Banda di fuori ou « zone extérieure » offre les traits d’un espace isolé, confronté aux immensités de l’espace méditerranéen. Si, selon Reclus, la Corse regarde vers l’Italie et organise son territoire selon cette orientation, la Sardaigne « tourne le dos à l’Italie et ne lui montre que ses côtes les plus abruptes et ses districts les plus sauvages ». Le géographe note toutefois que l’intégration de la grande île à la jeune nation italienne aura tôt fait de « retourner la Sardaigne vers l’Italie » comme il le constate déjà avec la prééminence croissante du port tyrrhénien d’Olbia Terranova.

L’intégration à la FranceIntégrée dans l’aire géopolitique française dans la seconde moitié du

XVIIIe siècle, la Corse connaît une redéfinition de son organisation urbaine et portuaire. Un rééquilibrage géopolitique s’effectue alors en faveur de la côte occidentale, plus proche des grands ports provençaux. La cité impé-riale rattrape sa rivale bastiaise selon un processus qui ne s’interrompt que dans les années 1970 4. En conséquence, intégrée à un territoire plus lointain l’île se « sur-insularise ». La traversée maritime devient en effet bien plus longue. Avec des vents contraires, elle peut prendre plusieurs jours 5. Il faut compter trente heures de navigation avec les premiers bateaux à vapeur contre moins de dix pour atteindre les côtes toscanes depuis Bastia. Un des fondements géographiques du « paradoxe corse » se met en alors place. Si l’intégration à la nation française est plus riche de potentialités pour les insulaires, il leur est moins aisé de surmonter les obstacles qu’impose une géographie de la perception. Avec l’affirmation de l’ère industrielle, un processus de concentration portuaire se réalise au

4. MARTINETTI Joseph, « Problématique du fait urbain en Corse » in RAVIS-GIORDANI Georges (dir.), Atlas ethno historique de la Corse, Paris, CTHS, 2004, p. 60-61.

5. CAMPOCASSO Pierre-Jean, « Les Corses et la mer », La Corse votre hebdo, 5-11 août 2011. Présentation de l’exposition organisée par le Musée de la Corse, Corte, cité par Véronique EMMANUELLI, p. 10-11.

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profit de Bastia et d’Ajaccio. Pourvoyeuse de produits bruts, l’île s’équipe pourtant de nouveaux ports comme Propriano ou Solenzara qui expédient le bois, le charbon de bois ou le liège vers les continents. Mais leur existence révèle avant tout les difficultés du port ajaccien à élargir son hinterland dans une île cloisonnée. Le processus d’industrialisation mis récemment en relief 6 reste modeste et ne peut contrecarrer la spécialisa-tion accentuée des insulaires vers un tertiaire public généreux. L’affirmation d’une économie administrée, alimentant un puissant mouve-ment d’émigration vers la France continentale et ses colonies, aboutit à une bipolarité parfaite entre Ajaccio et Bastia. Malgré ses handicaps topo-graphiques, Ajaccio, capitale de l’unique département de la Corse depuis 1811, est la grande bénéficiaire du concept de service public, défini dès la Monarchie de Juillet par le subventionnement de lignes maritimes régu-lières. À partir de 1830, les navires Liamone et Golo de la compagnie toulonnaise Gérard, assurent des lignes régulières entre Ajaccio, Bastia et Toulon. Le phénomène s’accentue sous le Second Empire avec la compagnie corse Valéry qui obtient un monopole de la desserte entre la Corse et désormais le seul port de Marseille.

Le décès du comte Valéry, en 1879, permet à l’Ajaccien François Morelli 7 originaire du village de Bocognano, dans la vallée de la Gravona, de reprendre l’essentiel de la compagnie maritime qu’il renomme alors « Morelli, Compagnie insulaire de navigation ». Cap-Corsins et Bastiais semblent passer la prééminence maritime aux Ajacciens. Cela confirme surtout la suprématie de Marseille qui centra-lise désormais la gestion de la desserte corse tout comme Gênes, au même moment, contrôle celle de la Sardaigne. Car, Valéry comme Morelli sont aussi des armateurs de Marseille, ce grand port où il faut être, en cette seconde moitié de XIXe siècle 8. Ces basculements révèlent

6. CAMPOCASSO P.-J., Corse industrielle, 1830-1960, mémoire révélée, matière transformée, Corte, Musée de la Corse, 2005.

7. PELLEGRINETTI Jean-Paul, « Morelli François », in Dictionnaire historique de la Corse, SERPENTINI Antoine Laurent (dir.), Ajaccio, Albiana, 2006, p. 651.

8. CATY Roland, RICHARD Éliane, « Armateurs marseillais au XIXe siècle », in Histoire du commerce et de l’industrie de Marseille, XIXe-XXe siècles, Marseille, Chambre de commerce et d’industrie, 1986.

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universelle du profond déséquilibre qui caractérise la Corse. Il la divise encore en deux univers distincts de part et d’autre de l’arête faîtière de la Corse cristalline. Au Nord-Est, la Banda di dentro ou « zone intérieure », centrée sur Bastia est ouverte aux influences du monde italien par la mer tyrrhénienne et à l’opposé, la Banda di fuori ou « zone extérieure » offre les traits d’un espace isolé, confronté aux immensités de l’espace méditerranéen. Si, selon Reclus, la Corse regarde vers l’Italie et organise son territoire selon cette orientation, la Sardaigne « tourne le dos à l’Italie et ne lui montre que ses côtes les plus abruptes et ses districts les plus sauvages ». Le géographe note toutefois que l’intégration de la grande île à la jeune nation italienne aura tôt fait de « retourner la Sardaigne vers l’Italie » comme il le constate déjà avec la prééminence croissante du port tyrrhénien d’Olbia Terranova.

L’intégration à la FranceIntégrée dans l’aire géopolitique française dans la seconde moitié du

XVIIIe siècle, la Corse connaît une redéfinition de son organisation urbaine et portuaire. Un rééquilibrage géopolitique s’effectue alors en faveur de la côte occidentale, plus proche des grands ports provençaux. La cité impé-riale rattrape sa rivale bastiaise selon un processus qui ne s’interrompt que dans les années 1970 4. En conséquence, intégrée à un territoire plus lointain l’île se « sur-insularise ». La traversée maritime devient en effet bien plus longue. Avec des vents contraires, elle peut prendre plusieurs jours 5. Il faut compter trente heures de navigation avec les premiers bateaux à vapeur contre moins de dix pour atteindre les côtes toscanes depuis Bastia. Un des fondements géographiques du « paradoxe corse » se met en alors place. Si l’intégration à la nation française est plus riche de potentialités pour les insulaires, il leur est moins aisé de surmonter les obstacles qu’impose une géographie de la perception. Avec l’affirmation de l’ère industrielle, un processus de concentration portuaire se réalise au

4. MARTINETTI Joseph, « Problématique du fait urbain en Corse » in RAVIS-GIORDANI Georges (dir.), Atlas ethno historique de la Corse, Paris, CTHS, 2004, p. 60-61.

5. CAMPOCASSO Pierre-Jean, « Les Corses et la mer », La Corse votre hebdo, 5-11 août 2011. Présentation de l’exposition organisée par le Musée de la Corse, Corte, cité par Véronique EMMANUELLI, p. 10-11.

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profit de Bastia et d’Ajaccio. Pourvoyeuse de produits bruts, l’île s’équipe pourtant de nouveaux ports comme Propriano ou Solenzara qui expédient le bois, le charbon de bois ou le liège vers les continents. Mais leur existence révèle avant tout les difficultés du port ajaccien à élargir son hinterland dans une île cloisonnée. Le processus d’industrialisation mis récemment en relief 6 reste modeste et ne peut contrecarrer la spécialisa-tion accentuée des insulaires vers un tertiaire public généreux. L’affirmation d’une économie administrée, alimentant un puissant mouve-ment d’émigration vers la France continentale et ses colonies, aboutit à une bipolarité parfaite entre Ajaccio et Bastia. Malgré ses handicaps topo-graphiques, Ajaccio, capitale de l’unique département de la Corse depuis 1811, est la grande bénéficiaire du concept de service public, défini dès la Monarchie de Juillet par le subventionnement de lignes maritimes régu-lières. À partir de 1830, les navires Liamone et Golo de la compagnie toulonnaise Gérard, assurent des lignes régulières entre Ajaccio, Bastia et Toulon. Le phénomène s’accentue sous le Second Empire avec la compagnie corse Valéry qui obtient un monopole de la desserte entre la Corse et désormais le seul port de Marseille.

Le décès du comte Valéry, en 1879, permet à l’Ajaccien François Morelli 7 originaire du village de Bocognano, dans la vallée de la Gravona, de reprendre l’essentiel de la compagnie maritime qu’il renomme alors « Morelli, Compagnie insulaire de navigation ». Cap-Corsins et Bastiais semblent passer la prééminence maritime aux Ajacciens. Cela confirme surtout la suprématie de Marseille qui centra-lise désormais la gestion de la desserte corse tout comme Gênes, au même moment, contrôle celle de la Sardaigne. Car, Valéry comme Morelli sont aussi des armateurs de Marseille, ce grand port où il faut être, en cette seconde moitié de XIXe siècle 8. Ces basculements révèlent

6. CAMPOCASSO P.-J., Corse industrielle, 1830-1960, mémoire révélée, matière transformée, Corte, Musée de la Corse, 2005.

7. PELLEGRINETTI Jean-Paul, « Morelli François », in Dictionnaire historique de la Corse, SERPENTINI Antoine Laurent (dir.), Ajaccio, Albiana, 2006, p. 651.

8. CATY Roland, RICHARD Éliane, « Armateurs marseillais au XIXe siècle », in Histoire du commerce et de l’industrie de Marseille, XIXe-XXe siècles, Marseille, Chambre de commerce et d’industrie, 1986.

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13Une géohistoire de la desserte maritime de la Corse

également la dépendance qu’entretient l’organisation maritime à l’égard du pouvoir politique. L’effondrement du Second Empire a pénalisé le bonapartiste Valéry 9 et Morelli, après avoir tergiversé, comprend les bénéfices d’une adhésion au camp républicain. Sa compagnie contri-buera alors à consolider le système clientéliste d’Emmanuel Arène, homme politique le plus emblématique de l’intégration républicaine de l’île. La suppression du monopole soumet toutefois sa compagnie à rude épreuve et subissant la concurrence d’armateurs marseillais plus influents, elle fait faillite en 1892. C’est alors la compagnie Fraissinet qui récupère l’essentiel des avoirs. Elle obtient de l’État un contrat de service postal exclusif qu’elle conservera d’ailleurs jusqu’en 1947. Si aux débuts incertains de la IIIe République des armateurs italiens comme Raffaele Rubattino 10 reprennent pied sur l’île, ces initiatives seront contrecarrées par une confrontation exacerbée des nationalismes. Les liaisons de Bastia avec la Toscane sont maintenues, mais leur importance décroît au profit d’un partage cloisonné des aires nationales.

L’affirmation du concept d’insularité dans le débat public et la définition du principe de continuité territoriale

En qualifiant la Corse « d’île entourée d’eau de toutes parts », le député Emmanuel Arène 11 signifie à l’État ses obligations pour contribuer à atténuer les contraintes de l’insularité. L’idée encore non exprimée d’une « continuité territoriale » entre l’île et le continent s’impose dans le débat politique et devient le thème majeur de la demande sociale et politique. Le terrible constat d’une « Corse qui meurt » s’impose avant 1914 et se traduit par l’ébauche des premières mesures compensatoires visant à atténuer le coût des transports pour relancer l’économie locale. Pour le géographe Raoul Blanchard ou l’historien Henri Hauser, l’amélioration des transports doit permettre aux insulaires d’accéder à la modernité. Hauser écrit ainsi que « pour en faire un peuple moderne,

9. MARCHINI Antoine, « Comte Valéry », Dictionnaire historique de la Corse, p. 971-972.10. FINIDORI Charles, Corsica marittima, près de deux siècles d’histoire des liaisons maritimes avec la

Corse, Payan, 1988.11. VERSINI Xavier, Emmanuel Arène, roi de Corse, Ajaccio, La Marge. 1983.

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un fragment de notre peuple, il faut leur donner le moyen de gagner plus à vendre leurs châtaignes qu’à détruire leurs châtaigniers, leur fournir des charrues et des machines agricoles, installer sur leurs côtes des pêcheries, rapprocher leur île des marchés du continent 12 ». Dans les années 1930, le maire radical de Bastia, Emile Sari, soutenu par de puissantes associations de Corses du continent mène une campagne active en faveur d’une baisse des tarifs. Ces prises de conscience n’inversent pas le mouvement de fond qui tend à vider l’île d’une jeunesse attirée par la manne d’emplois publics. À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, la problématique se pose à nouveau, mais change de nature. L’agriculture littorale et le tourisme de masse permettent en effet l’émergence d’une véritable économie productive et les transports sont sollicités pour favoriser le développement de cette nouvelle économie, en quête de marchés extérieurs. L’État confie alors la desserte de la Corse à la prestigieuse Compagnie générale transatlantique, la Transat, héritière de la compagnie des frères Pereire. Elle sera rapidement l’objet de profondes remises en cause et va cristalliser sur son nom des ressentiments contradictoires. On lui reproche ses rotations insuffisantes et ses tarifs élevés. Dans un article retentissant, intitulé « un département à la mer », le reporter et ancien résistant Eugène Mannoni 13 souligne la nécessité d’ancrer la Corse au territoire hexagonal en permettant une baisse substantielle du coût des transports. François Giacobbi, le puissant président du Conseil général exige même l’instauration d’un « pont entre la Corse et le continent » pour que les Corses soient enfin « traités comme des citoyens à part entière ». Inversement, les investissements de la Transat dans le tourisme hôtelier sont l’objet de critiques virulentes et la compagnie subit les premiers attentats au plastic. En 1969, l’État décide alors de fusionner les services méditerranéens de la Compagnie générale transatlantique et de la Compagnie mixte de navigation pour créer une Compagnie générale transméditerranéenne, supposée plus apte à gérer la spécificité de la desserte corse. Les événements d’Aléria en 1974 accélèrent le processus d’une prise en charge plus aboutie. Entérinant l’analyse selon laquelle les

12. HAUSER Henri, « En Corse, une terre qui meurt », La Revue du mois, n° 47, 10 novembre 1909, p. 539-569.

13. MANNONI Eugène, « La Corse, un département à la mer », Le Monde, 4-5 et 6 janvier 1960.

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également la dépendance qu’entretient l’organisation maritime à l’égard du pouvoir politique. L’effondrement du Second Empire a pénalisé le bonapartiste Valéry 9 et Morelli, après avoir tergiversé, comprend les bénéfices d’une adhésion au camp républicain. Sa compagnie contri-buera alors à consolider le système clientéliste d’Emmanuel Arène, homme politique le plus emblématique de l’intégration républicaine de l’île. La suppression du monopole soumet toutefois sa compagnie à rude épreuve et subissant la concurrence d’armateurs marseillais plus influents, elle fait faillite en 1892. C’est alors la compagnie Fraissinet qui récupère l’essentiel des avoirs. Elle obtient de l’État un contrat de service postal exclusif qu’elle conservera d’ailleurs jusqu’en 1947. Si aux débuts incertains de la IIIe République des armateurs italiens comme Raffaele Rubattino 10 reprennent pied sur l’île, ces initiatives seront contrecarrées par une confrontation exacerbée des nationalismes. Les liaisons de Bastia avec la Toscane sont maintenues, mais leur importance décroît au profit d’un partage cloisonné des aires nationales.

L’affirmation du concept d’insularité dans le débat public et la définition du principe de continuité territoriale

En qualifiant la Corse « d’île entourée d’eau de toutes parts », le député Emmanuel Arène 11 signifie à l’État ses obligations pour contribuer à atténuer les contraintes de l’insularité. L’idée encore non exprimée d’une « continuité territoriale » entre l’île et le continent s’impose dans le débat politique et devient le thème majeur de la demande sociale et politique. Le terrible constat d’une « Corse qui meurt » s’impose avant 1914 et se traduit par l’ébauche des premières mesures compensatoires visant à atténuer le coût des transports pour relancer l’économie locale. Pour le géographe Raoul Blanchard ou l’historien Henri Hauser, l’amélioration des transports doit permettre aux insulaires d’accéder à la modernité. Hauser écrit ainsi que « pour en faire un peuple moderne,

9. MARCHINI Antoine, « Comte Valéry », Dictionnaire historique de la Corse, p. 971-972.10. FINIDORI Charles, Corsica marittima, près de deux siècles d’histoire des liaisons maritimes avec la

Corse, Payan, 1988.11. VERSINI Xavier, Emmanuel Arène, roi de Corse, Ajaccio, La Marge. 1983.

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un fragment de notre peuple, il faut leur donner le moyen de gagner plus à vendre leurs châtaignes qu’à détruire leurs châtaigniers, leur fournir des charrues et des machines agricoles, installer sur leurs côtes des pêcheries, rapprocher leur île des marchés du continent 12 ». Dans les années 1930, le maire radical de Bastia, Emile Sari, soutenu par de puissantes associations de Corses du continent mène une campagne active en faveur d’une baisse des tarifs. Ces prises de conscience n’inversent pas le mouvement de fond qui tend à vider l’île d’une jeunesse attirée par la manne d’emplois publics. À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, la problématique se pose à nouveau, mais change de nature. L’agriculture littorale et le tourisme de masse permettent en effet l’émergence d’une véritable économie productive et les transports sont sollicités pour favoriser le développement de cette nouvelle économie, en quête de marchés extérieurs. L’État confie alors la desserte de la Corse à la prestigieuse Compagnie générale transatlantique, la Transat, héritière de la compagnie des frères Pereire. Elle sera rapidement l’objet de profondes remises en cause et va cristalliser sur son nom des ressentiments contradictoires. On lui reproche ses rotations insuffisantes et ses tarifs élevés. Dans un article retentissant, intitulé « un département à la mer », le reporter et ancien résistant Eugène Mannoni 13 souligne la nécessité d’ancrer la Corse au territoire hexagonal en permettant une baisse substantielle du coût des transports. François Giacobbi, le puissant président du Conseil général exige même l’instauration d’un « pont entre la Corse et le continent » pour que les Corses soient enfin « traités comme des citoyens à part entière ». Inversement, les investissements de la Transat dans le tourisme hôtelier sont l’objet de critiques virulentes et la compagnie subit les premiers attentats au plastic. En 1969, l’État décide alors de fusionner les services méditerranéens de la Compagnie générale transatlantique et de la Compagnie mixte de navigation pour créer une Compagnie générale transméditerranéenne, supposée plus apte à gérer la spécificité de la desserte corse. Les événements d’Aléria en 1974 accélèrent le processus d’une prise en charge plus aboutie. Entérinant l’analyse selon laquelle les

12. HAUSER Henri, « En Corse, une terre qui meurt », La Revue du mois, n° 47, 10 novembre 1909, p. 539-569.

13. MANNONI Eugène, « La Corse, un département à la mer », Le Monde, 4-5 et 6 janvier 1960.

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15Une géohistoire de la desserte maritime de la Corse

problèmes de la Corse s’expliquent par son retard économique, son insuffisante intégration dans la modernité nationale et ses contraintes insulaires, le président Giscard d’Estaing institutionnalise le principe d’une continuité territoriale, financée par la solidarité nationale. Il propose alors la nationalisation de la Compagnie transméditerranéenne, rebaptisée SNCM, Société nationale Corse-Méditerranée. Maintenue dans ses locaux marseillais, la compagnie publique est affiliée à la SNCF qui en devient actionnaire et sa tarification s’aligne alors sur les pratiques de la compagnie ferroviaire. La SNCM devient le principal attributaire des aides publiques selon l’esprit du service public à la française 14. Elle obtient avec la Compagnie méridionale de navigation (CMN), compagnie privée, une convention d’une durée de 25 ans qui prend effet au 1er avril 1976 pour s’achever au 31 décembre 2001. Toutefois malgré une amélioration sensible de la desserte, la nouvelle entreprise publique est confrontée à de lourdes contraintes. Plus perméable aux pressions sociales et politiques, elle doit assurer un constant élargissement de son offre, à destination en particulier des ports secondaires de l’île. Son efficacité est pénalisée par les pratiques du port autonome de Marseille qui surpondère ses coûts et la forte implantation de la CGT s’exprime par un recours abusif aux grèves 15. L’application de la continuité territoriale engendre un nouveau paradoxe. Il se traduit par un effort sans précédent de solidarité nationale à l’égard d’une société insulaire où émergent des forces contestataires exigeant un désengagement de l’État. L’exigence accrue de souplesse et de confort jointe à l’incompréhension de mouvements sociaux fréquents développe chez les usagers un sentiment d’insatisfaction. Assimilée à l’État, la compagnie publique voit s’accumuler surenchères et rancœurs. L’intrusion d’une législation européenne appliquée au domaine des transports, associée à une réorientation de l’organisation spatiale de la Corse vers l’est tyrrhénien vont rapidement signifier les limites du fonctionnement public monopolistique.

14. GRAZIANI Serge, « La SNCM, la Corse et le retour de l’histoire », Quaderni, n° 59, hiver 2005/2006, p. 65-83.

15. PERALDI Xavier, « Le système de continuité territoriale de la Corse : coûteux, forcément coûteux », Revue d’Économie régionale et urbaine, n° 2, 1999, p. 333-352.

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16 Joseph Martinetti

ENTRE EUROPE ET DÉCENTRALISATION, UNE RÉAFFIRMATION TYRRHÉNIENNE DE LA DESSERTE CORSE

Le secteur maritime est recomposé avec l’arrivée au pouvoir de la gauche socialiste en 1981. François Mitterrand, engagé à prendre en compte la demande d’autonomie, charge son ministre de l’Intérieur Gaston Defferre d’entreprendre une réforme institutionnelle de décen-tralisation en 1982. Elle permet la création de l’Office des transports de la région Corse (OTRC) dont la mission est la gestion autonome par la nouvelle Assemblée de Corse de l’importante enveloppe financière de continuité territoriale attribuée par l’État. Dix ans plus tard, cette auto-nomie gestionnaire s’accroît dans le cadre de la réforme du socialiste Pierre Joxe, Ministre de l’Intérieur. L’Office des transports de la Corse (OTC) accroît alors ses prérogatives et devient un établissement public à caractère industriel et commercial. Géré par un membre de l’Exécutif régional, il a toute latitude pour fixer les modalités de la desserte à desti-nation de la France continentale. Davantage en prise avec une demande sociale qui s’exprime désormais à travers un débat public, l’OTC permet une amélioration sensible de la desserte en particulier dans le domaine aérien avec la création d’une compagnie régionale. Mais cette améliora-tion a un coût, assumé par l’État à travers une enveloppe financière toujours plus conséquente. Cette dernière représente à elle seule la moitié du budget d’une Collectivité territoriale de Corse (CTC) qui doit assumer des compétences supplémentaires avec la réforme Jospin de 2002. En 2010, l’OTC gère un budget de plus de 200 millions d’euros 16 soit 1,3 milliard de francs contre 950 millions de francs en 2000. Les offres de desserte subventionnées se sont encore élargies avec la mise en place en 2002 des aides sociales au passager. Elles constituent une aide directement versée à certaines catégories de passagers (résidents corses, jeunes, familles, personnes âgées) et ont largement contribué à soutenir le dynamisme conquérant de la compagnie Corsica Ferries sur les lignes de Nice et de Toulon dans les années 2000. Elles se sont ajoutées à la délégation de service public (DSP) qui subventionne la desserte Marseille-Corse depuis 1976. Un sévère rapport de la Cour des comptes

16. Site de l’Office des transports de la Corse, www.office-transports-corse.fr.

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15Une géohistoire de la desserte maritime de la Corse

problèmes de la Corse s’expliquent par son retard économique, son insuffisante intégration dans la modernité nationale et ses contraintes insulaires, le président Giscard d’Estaing institutionnalise le principe d’une continuité territoriale, financée par la solidarité nationale. Il propose alors la nationalisation de la Compagnie transméditerranéenne, rebaptisée SNCM, Société nationale Corse-Méditerranée. Maintenue dans ses locaux marseillais, la compagnie publique est affiliée à la SNCF qui en devient actionnaire et sa tarification s’aligne alors sur les pratiques de la compagnie ferroviaire. La SNCM devient le principal attributaire des aides publiques selon l’esprit du service public à la française 14. Elle obtient avec la Compagnie méridionale de navigation (CMN), compagnie privée, une convention d’une durée de 25 ans qui prend effet au 1er avril 1976 pour s’achever au 31 décembre 2001. Toutefois malgré une amélioration sensible de la desserte, la nouvelle entreprise publique est confrontée à de lourdes contraintes. Plus perméable aux pressions sociales et politiques, elle doit assurer un constant élargissement de son offre, à destination en particulier des ports secondaires de l’île. Son efficacité est pénalisée par les pratiques du port autonome de Marseille qui surpondère ses coûts et la forte implantation de la CGT s’exprime par un recours abusif aux grèves 15. L’application de la continuité territoriale engendre un nouveau paradoxe. Il se traduit par un effort sans précédent de solidarité nationale à l’égard d’une société insulaire où émergent des forces contestataires exigeant un désengagement de l’État. L’exigence accrue de souplesse et de confort jointe à l’incompréhension de mouvements sociaux fréquents développe chez les usagers un sentiment d’insatisfaction. Assimilée à l’État, la compagnie publique voit s’accumuler surenchères et rancœurs. L’intrusion d’une législation européenne appliquée au domaine des transports, associée à une réorientation de l’organisation spatiale de la Corse vers l’est tyrrhénien vont rapidement signifier les limites du fonctionnement public monopolistique.

14. GRAZIANI Serge, « La SNCM, la Corse et le retour de l’histoire », Quaderni, n° 59, hiver 2005/2006, p. 65-83.

15. PERALDI Xavier, « Le système de continuité territoriale de la Corse : coûteux, forcément coûteux », Revue d’Économie régionale et urbaine, n° 2, 1999, p. 333-352.

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16 Joseph Martinetti

ENTRE EUROPE ET DÉCENTRALISATION, UNE RÉAFFIRMATION TYRRHÉNIENNE DE LA DESSERTE CORSE

Le secteur maritime est recomposé avec l’arrivée au pouvoir de la gauche socialiste en 1981. François Mitterrand, engagé à prendre en compte la demande d’autonomie, charge son ministre de l’Intérieur Gaston Defferre d’entreprendre une réforme institutionnelle de décen-tralisation en 1982. Elle permet la création de l’Office des transports de la région Corse (OTRC) dont la mission est la gestion autonome par la nouvelle Assemblée de Corse de l’importante enveloppe financière de continuité territoriale attribuée par l’État. Dix ans plus tard, cette auto-nomie gestionnaire s’accroît dans le cadre de la réforme du socialiste Pierre Joxe, Ministre de l’Intérieur. L’Office des transports de la Corse (OTC) accroît alors ses prérogatives et devient un établissement public à caractère industriel et commercial. Géré par un membre de l’Exécutif régional, il a toute latitude pour fixer les modalités de la desserte à desti-nation de la France continentale. Davantage en prise avec une demande sociale qui s’exprime désormais à travers un débat public, l’OTC permet une amélioration sensible de la desserte en particulier dans le domaine aérien avec la création d’une compagnie régionale. Mais cette améliora-tion a un coût, assumé par l’État à travers une enveloppe financière toujours plus conséquente. Cette dernière représente à elle seule la moitié du budget d’une Collectivité territoriale de Corse (CTC) qui doit assumer des compétences supplémentaires avec la réforme Jospin de 2002. En 2010, l’OTC gère un budget de plus de 200 millions d’euros 16 soit 1,3 milliard de francs contre 950 millions de francs en 2000. Les offres de desserte subventionnées se sont encore élargies avec la mise en place en 2002 des aides sociales au passager. Elles constituent une aide directement versée à certaines catégories de passagers (résidents corses, jeunes, familles, personnes âgées) et ont largement contribué à soutenir le dynamisme conquérant de la compagnie Corsica Ferries sur les lignes de Nice et de Toulon dans les années 2000. Elles se sont ajoutées à la délégation de service public (DSP) qui subventionne la desserte Marseille-Corse depuis 1976. Un sévère rapport de la Cour des comptes

16. Site de l’Office des transports de la Corse, www.office-transports-corse.fr.

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17Une géohistoire de la desserte maritime de la Corse

a épinglé en 2011 le fonctionnement de l’OTC, rendant public ses dysfonctionnements internes 17. Trente années de gestion régionale ont accentué le fractionnement de l’offre et l’éventail des subventionne-ments profite désormais à des compagnies privées. Avec l’échéance annoncée des conventions de desserte en 2013, le nouveau président de l’OTC, Paul-Marie Bartoli, nommé par la nouvelle majorité de gauche, n’exclut pas une redéfinition plus rigoureuse du principe de continuité territoriale 18.

L’Europe et les nouveaux armateurs tyrrhéniensAyant pour objectif la remise en cause des monopoles nationaux dans

le but de décloisonner l’espace européen, les instances européennes, consolidées par l’adoption du traité de Maastricht décident d’ouvrir à la concurrence les lignes maritimes nationales. Par un règlement en date du 7 décembre 1992 (n° 3577/92), les autorités européennes libéralisent alors les dessertes insulaires en ouvrant les espaces maritimes nationaux à la concurrence communautaire. Les navires d’un autre État membre de l’UE peuvent désormais desservir les lignes nationales intérieures. Une période de six années transitoires a toutefois été accordée aux États méditerranéens pour s’adapter à cette nouvelle donne concurrentielle dans un secteur dont l’importance est loin d’être négligeable, en particulier en Grèce et en Italie. À partir du 1er janvier 1999, un navire étranger battant pavillon européen peut alors desservir les lignes intérieures entre la Corse et le continent. Si le principe de service public est maintenu avec attribution possible de subventions publiques, il devient sévèrement encadré pour ne pas être discriminatoire. Les années 2000 permettent alors une brutale recomposition de la desserte corse pour le plus grand profit des compagnies tyrrhéniennes, rodées depuis longtemps à une concurrence vigoureuse. Deux compagnies maritimes s’engagent à concurrencer les car-ferries de la SNCM sur les lignes

17. Rapport public annuel de la Cour des Comptes, Paris, février 2011. http://www.ccomptes.fr/fr/CC/documents/RPA/16_continuite_territoriale_avec_la_corse.

pdf18. CHABANON Anne, NICOLAÏ Henri, « Entre les compagnies et l’office des transports : débat à

quatre voix », Corse-Matin, 23 juin 2011.

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18 Joseph Martinetti

maritimes françaises. La Corsica Ferries créée en 1968 par un armateur bastiais et cap-corsin, Pascal Lota, enregistre certains de ses navires en France pour pouvoir dès 1996 se positionner sur la ligne Bastia-Nice. En 1999, elle accentue son offensive commerciale et avec une domiciliation génoise de ses bâtiments se lance avec succès à la conquête du vaste marché hexagonal à partir des ports de Nice, mais surtout de Toulon, idéalement placé pour concurrencer Marseille au débouché du couloir rhodanien. De 1968 à 1996 la compagnie de P. Lota a pu se spécialiser dans le transport maritime entre Bastia et les ports italiens voisins, Gênes, Livourne, La Spezia. Sur ces lignes internationales, elle a utilisé un pavillon de complaisance panaméen lui assurant des coûts de fonctionnement très avantageux sur le plan fiscal et des contraintes allégées en droit du travail. Au sein de l’équipage, les cadres restent italiens, mais une grande partie des salariés est à cette époque originaire de pays en voie de développement. Dans un espace tyrrhénien précocement ouvert à la concurrence, elle est aussi présente sur les lignes intérieures italiennes. Elle dessert la Sardaigne et l’archipel toscan où elle livre une âpre concurrence à la seconde compagnie tyrrhénienne qui se positionnera sur les lignes intérieures françaises, la Moby Lines. Comme de nombreuses autres compagnies maritimes internationales, Corsica Ferries se caractérise aujourd’hui par un fonctionnement capitalistique complexe sous forme de sociétés gigognes. Corsica Ferries France (CFF) est une société par actions simplifiée dont le siège est à Bastia. Elle est contrôlée par une holding intermédiaire implantée également à Bastia et qui appartient elle-même à une holding tête de groupe, Lozali SA, installée à Genève depuis 2006. L’armateur des navires, Forship Spa, est quant à lui une société italienne basée à Gênes. Si le propriétaire de la holding, Pascal Lota, reste toujours d’une très grande discrétion, le président de CFF, Pierre Mattei est lui très présent sur le terrain politique et médiatique insulaire. Issu du milieu nationaliste, il contribue à développer sur l’île un discours corsiste, relativement lissé et libéral. CFF finance ainsi de nombreux médias dont le très influent magazine Corsica, mais aussi des institutions publiques comme la nouvelle Fondation de l’Université de Corse. Toutefois la proximité avec les milieux nationalistes n’est pas exempte de profondes contradictions. CFF est en effet le

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17Une géohistoire de la desserte maritime de la Corse

a épinglé en 2011 le fonctionnement de l’OTC, rendant public ses dysfonctionnements internes 17. Trente années de gestion régionale ont accentué le fractionnement de l’offre et l’éventail des subventionne-ments profite désormais à des compagnies privées. Avec l’échéance annoncée des conventions de desserte en 2013, le nouveau président de l’OTC, Paul-Marie Bartoli, nommé par la nouvelle majorité de gauche, n’exclut pas une redéfinition plus rigoureuse du principe de continuité territoriale 18.

L’Europe et les nouveaux armateurs tyrrhéniensAyant pour objectif la remise en cause des monopoles nationaux dans

le but de décloisonner l’espace européen, les instances européennes, consolidées par l’adoption du traité de Maastricht décident d’ouvrir à la concurrence les lignes maritimes nationales. Par un règlement en date du 7 décembre 1992 (n° 3577/92), les autorités européennes libéralisent alors les dessertes insulaires en ouvrant les espaces maritimes nationaux à la concurrence communautaire. Les navires d’un autre État membre de l’UE peuvent désormais desservir les lignes nationales intérieures. Une période de six années transitoires a toutefois été accordée aux États méditerranéens pour s’adapter à cette nouvelle donne concurrentielle dans un secteur dont l’importance est loin d’être négligeable, en particulier en Grèce et en Italie. À partir du 1er janvier 1999, un navire étranger battant pavillon européen peut alors desservir les lignes intérieures entre la Corse et le continent. Si le principe de service public est maintenu avec attribution possible de subventions publiques, il devient sévèrement encadré pour ne pas être discriminatoire. Les années 2000 permettent alors une brutale recomposition de la desserte corse pour le plus grand profit des compagnies tyrrhéniennes, rodées depuis longtemps à une concurrence vigoureuse. Deux compagnies maritimes s’engagent à concurrencer les car-ferries de la SNCM sur les lignes

17. Rapport public annuel de la Cour des Comptes, Paris, février 2011. http://www.ccomptes.fr/fr/CC/documents/RPA/16_continuite_territoriale_avec_la_corse.

pdf18. CHABANON Anne, NICOLAÏ Henri, « Entre les compagnies et l’office des transports : débat à

quatre voix », Corse-Matin, 23 juin 2011.

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18 Joseph Martinetti

maritimes françaises. La Corsica Ferries créée en 1968 par un armateur bastiais et cap-corsin, Pascal Lota, enregistre certains de ses navires en France pour pouvoir dès 1996 se positionner sur la ligne Bastia-Nice. En 1999, elle accentue son offensive commerciale et avec une domiciliation génoise de ses bâtiments se lance avec succès à la conquête du vaste marché hexagonal à partir des ports de Nice, mais surtout de Toulon, idéalement placé pour concurrencer Marseille au débouché du couloir rhodanien. De 1968 à 1996 la compagnie de P. Lota a pu se spécialiser dans le transport maritime entre Bastia et les ports italiens voisins, Gênes, Livourne, La Spezia. Sur ces lignes internationales, elle a utilisé un pavillon de complaisance panaméen lui assurant des coûts de fonctionnement très avantageux sur le plan fiscal et des contraintes allégées en droit du travail. Au sein de l’équipage, les cadres restent italiens, mais une grande partie des salariés est à cette époque originaire de pays en voie de développement. Dans un espace tyrrhénien précocement ouvert à la concurrence, elle est aussi présente sur les lignes intérieures italiennes. Elle dessert la Sardaigne et l’archipel toscan où elle livre une âpre concurrence à la seconde compagnie tyrrhénienne qui se positionnera sur les lignes intérieures françaises, la Moby Lines. Comme de nombreuses autres compagnies maritimes internationales, Corsica Ferries se caractérise aujourd’hui par un fonctionnement capitalistique complexe sous forme de sociétés gigognes. Corsica Ferries France (CFF) est une société par actions simplifiée dont le siège est à Bastia. Elle est contrôlée par une holding intermédiaire implantée également à Bastia et qui appartient elle-même à une holding tête de groupe, Lozali SA, installée à Genève depuis 2006. L’armateur des navires, Forship Spa, est quant à lui une société italienne basée à Gênes. Si le propriétaire de la holding, Pascal Lota, reste toujours d’une très grande discrétion, le président de CFF, Pierre Mattei est lui très présent sur le terrain politique et médiatique insulaire. Issu du milieu nationaliste, il contribue à développer sur l’île un discours corsiste, relativement lissé et libéral. CFF finance ainsi de nombreux médias dont le très influent magazine Corsica, mais aussi des institutions publiques comme la nouvelle Fondation de l’Université de Corse. Toutefois la proximité avec les milieux nationalistes n’est pas exempte de profondes contradictions. CFF est en effet le

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19Une géohistoire de la desserte maritime de la Corse

vecteur d’un tourisme de masse, toujours décrié dans la doxa nationaliste. L’entreprise ne pratique guère le concept de corsisation des emplois défendu par le syndicat nationaliste STC. À bord des navires, ses salariés sont exclusivement des Italiens et des Européens de l’Est. Sur un total de 1 300 salariés, la compagnie n’emploie qu’environ 250 Français, que l’on trouve à quai sur les ports corses ou continentaux ou bien employés dans la centrale de réservation. Le fonctionnement opaque de la holding soulève des interrogations. Au cours des difficultés financières que le groupe a connu dans les années 1990, certains ont pu évoquer un rôle particulièrement obscur de la banque suisse du Gothard dans son refinancement 19. Il faut toutefois mettre en relief sa grande souplesse et sa réactivité à la demande du marché qui en ont fait dans le débat public, en particulier dans les années 2000, un modèle d’adaptabilité et d’efficacité face au contre-exemple de la compagnie publique. Comme ses rivales privées italiennes, la compagnie utilise habilement les atouts du droit international maritime et peut jouer sur des tarifs promotionnels, pour affaiblir la concurrence. Le pavillon italien international lui assure une exonération partielle des charges sociales. Détenant désormais 65 % du marché sur les lignes Corse-continent, la compagnie bénéficie depuis 2002 de substantielles subventions par le biais de « l’aide sociale au passager » sur les lignes de Nice et de Toulon. L’éviction de la SNCM de ces deux ports lui assure près de 90 % des aides. La seconde compagnie maritime engagée sur le créneau concurrentiel des lignes intérieures françaises est la Moby Lines. En 2010 elle a ouvert la desserte Bastia-Toulon, segment subventionné. Toutefois la faiblesse du marché hors-saison et le lobbying des sociétés concurrentes l’ont poussé à rapidement jeter l’éponge et à se recentrer activement sur l’espace tyrrhénien. Moby Lines est un groupe milanais détenu par le Napolitain Achille Onorato et sa famille. Le siège administratif de la compagnie est basé à Porto Ferraio sur l’île d’Elbe. Spécialisée à l’origine dans les relations avec les îles mineures, La Maddalena puis l’île d’Elbe, elle dessert surtout la Sardaigne et la Corse au départ du continent italien. Ses navires, décorés

19. MOLGA Paul, « Corsica Ferries, un succès qui dérange », Les Échos, 2 mai 2011. PORSIA Enrico, 2005-2007 : « Corse : Guerre maritime pour la conquête de l’île », dossier en trois parties sur le site du journal en ligne Amnistia, www.amnistia.net/

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20 Joseph Martinetti

par des personnages de bande dessinée de la Warner Bros, ne fonctionnent que l’été, sans subventions, entre la Corse et l’Italie. En 2010-2011, avec les groupes Grimaldi Lines et Marinvest MSC du groupe napolitain Aponte, Moby Lines a repris les actifs de la compagnie nationale publique Tirrenia, démantelée et privatisée par le gouvernement Berlusconi. Les trois associés ont ainsi créé une filiale commune, la Compagnia italiana di navigazione. En s’engageant à employer les 1 600 salariés de l’ex-compagnie publique, elles ont reçu l’aval du ministère italien des Transports pour récupérer avantageusement les actifs de Tirrenia et continuer à percevoir les aides publiques. Une troisième compagnie tyrrhénienne, la SNAV, Societa dei navi veloci, est également présente en Corse et dessert depuis deux ans une ligne estivale entre Porto-Vecchio et Civitavecchia, à proximité de Rome. Elle a transporté environ 8 000 passagers au cours de l’été 2010. Elle est une des nombreuses filiales de la puissante holding Aponte Marinvest, basée à Genève et qui détient également la Mediterranean Shipping Company (MSC) spécialisée dans les croisières. La présence d’une compagnie de cette envergure traduit-elle une stratégie de plus grande ampleur visant à se positionner sur le marché touristique de la Corse 20 ?

Une vigoureuse recomposition dans l’espace tyrrhénien italien

Car l’espace maritime tyrrhénien italien est aujourd’hui le siège de recompositions brutales. Le démantèlement et la privatisation de la Tirrenia, malmenée par la concurrence privée a été effectuée en plusieurs étapes. Ce sont d’abord ses nombreuses filiales régionales spécialisées dans la desserte des isole minore qui ont été transférées aux Régions. En Sardaigne, après bien des péripéties la filiale régionale SAREMAR est devenue une compagnie publique régionale en 2009. Inversement la région Toscane n’a pas souhaité acquérir la filiale Toremar qu’elle a vendue à la compagnie Moby Lines. La flotte de l’ex-Tirrenia nationale a été attribuée au consortium Compagnia italiana di navigazione (CIN)

20. Voir le site de la revue en ligne La Gazzetta marittima, Livorno, http://www.lagazzettamarit-tima.it/

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19Une géohistoire de la desserte maritime de la Corse

vecteur d’un tourisme de masse, toujours décrié dans la doxa nationaliste. L’entreprise ne pratique guère le concept de corsisation des emplois défendu par le syndicat nationaliste STC. À bord des navires, ses salariés sont exclusivement des Italiens et des Européens de l’Est. Sur un total de 1 300 salariés, la compagnie n’emploie qu’environ 250 Français, que l’on trouve à quai sur les ports corses ou continentaux ou bien employés dans la centrale de réservation. Le fonctionnement opaque de la holding soulève des interrogations. Au cours des difficultés financières que le groupe a connu dans les années 1990, certains ont pu évoquer un rôle particulièrement obscur de la banque suisse du Gothard dans son refinancement 19. Il faut toutefois mettre en relief sa grande souplesse et sa réactivité à la demande du marché qui en ont fait dans le débat public, en particulier dans les années 2000, un modèle d’adaptabilité et d’efficacité face au contre-exemple de la compagnie publique. Comme ses rivales privées italiennes, la compagnie utilise habilement les atouts du droit international maritime et peut jouer sur des tarifs promotionnels, pour affaiblir la concurrence. Le pavillon italien international lui assure une exonération partielle des charges sociales. Détenant désormais 65 % du marché sur les lignes Corse-continent, la compagnie bénéficie depuis 2002 de substantielles subventions par le biais de « l’aide sociale au passager » sur les lignes de Nice et de Toulon. L’éviction de la SNCM de ces deux ports lui assure près de 90 % des aides. La seconde compagnie maritime engagée sur le créneau concurrentiel des lignes intérieures françaises est la Moby Lines. En 2010 elle a ouvert la desserte Bastia-Toulon, segment subventionné. Toutefois la faiblesse du marché hors-saison et le lobbying des sociétés concurrentes l’ont poussé à rapidement jeter l’éponge et à se recentrer activement sur l’espace tyrrhénien. Moby Lines est un groupe milanais détenu par le Napolitain Achille Onorato et sa famille. Le siège administratif de la compagnie est basé à Porto Ferraio sur l’île d’Elbe. Spécialisée à l’origine dans les relations avec les îles mineures, La Maddalena puis l’île d’Elbe, elle dessert surtout la Sardaigne et la Corse au départ du continent italien. Ses navires, décorés

19. MOLGA Paul, « Corsica Ferries, un succès qui dérange », Les Échos, 2 mai 2011. PORSIA Enrico, 2005-2007 : « Corse : Guerre maritime pour la conquête de l’île », dossier en trois parties sur le site du journal en ligne Amnistia, www.amnistia.net/

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20 Joseph Martinetti

par des personnages de bande dessinée de la Warner Bros, ne fonctionnent que l’été, sans subventions, entre la Corse et l’Italie. En 2010-2011, avec les groupes Grimaldi Lines et Marinvest MSC du groupe napolitain Aponte, Moby Lines a repris les actifs de la compagnie nationale publique Tirrenia, démantelée et privatisée par le gouvernement Berlusconi. Les trois associés ont ainsi créé une filiale commune, la Compagnia italiana di navigazione. En s’engageant à employer les 1 600 salariés de l’ex-compagnie publique, elles ont reçu l’aval du ministère italien des Transports pour récupérer avantageusement les actifs de Tirrenia et continuer à percevoir les aides publiques. Une troisième compagnie tyrrhénienne, la SNAV, Societa dei navi veloci, est également présente en Corse et dessert depuis deux ans une ligne estivale entre Porto-Vecchio et Civitavecchia, à proximité de Rome. Elle a transporté environ 8 000 passagers au cours de l’été 2010. Elle est une des nombreuses filiales de la puissante holding Aponte Marinvest, basée à Genève et qui détient également la Mediterranean Shipping Company (MSC) spécialisée dans les croisières. La présence d’une compagnie de cette envergure traduit-elle une stratégie de plus grande ampleur visant à se positionner sur le marché touristique de la Corse 20 ?

Une vigoureuse recomposition dans l’espace tyrrhénien italien

Car l’espace maritime tyrrhénien italien est aujourd’hui le siège de recompositions brutales. Le démantèlement et la privatisation de la Tirrenia, malmenée par la concurrence privée a été effectuée en plusieurs étapes. Ce sont d’abord ses nombreuses filiales régionales spécialisées dans la desserte des isole minore qui ont été transférées aux Régions. En Sardaigne, après bien des péripéties la filiale régionale SAREMAR est devenue une compagnie publique régionale en 2009. Inversement la région Toscane n’a pas souhaité acquérir la filiale Toremar qu’elle a vendue à la compagnie Moby Lines. La flotte de l’ex-Tirrenia nationale a été attribuée au consortium Compagnia italiana di navigazione (CIN)

20. Voir le site de la revue en ligne La Gazzetta marittima, Livorno, http://www.lagazzettamarit-tima.it/

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