Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

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République de Côte-d'Ivoire Ministère de l'éducation nationale Étude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les petites villes de Côte d'Ivoire Programme d'éducation télévisuelle 1968-1980 Volume IX

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République de Côte-d'Ivoire Ministère de l'éducation nationale

Étude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les petites villes de Côte d'Ivoire

Programme d'éducation

télévisuelle 1968-1980

Volume IX

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IMP. B E U G N E T s.a. - PARIS

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Cette étude des problèmes rencontrés par les jeunes dans les petits centres urbains de Côte d'Ivoire a été réalisée par M. Jean-Marie Gibbal et Mlle. Hélène Villers (•Audecam) dans le cadre des études préparatoires au Pro­gramme d'Education Télévisuelle. Elle constitue une con­tribution aux recherches permettant d'orienter les pro­grammes et méthodes d'enseignement primaire et d'éduca­tion post-scolaire, en fonction de données psychologiques et sociologiques aussi précises que possible.

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S O M M A I R E

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INTRODUCTION 1

I - L'enquête sur les jeunes des petites Tilles et le projet d'ensemble 1

II - Les trois villes de l'enquête et leurs régions 2

A - La région d'Issia 3 B - La région de Ferkéssédougou k C - La région de Sakasso 5> D - La situation des trois villes 6

III - Problématique et démarche de l'enquête... 7

1ère PARTIE - JEUNES GiRÇONS ET JEUNES GENS DES

PETITES VILLES 10

CHAPITRE I - LES GROUPES DE JEÛNES 11

Section I - Les élèves du secondaire. 11

1/ Un réseau social homogène 12 2 / Vie quetidienae de relations

intenses et disponibilités Ht 3/Statut privilégié 16

Section H - Les élèves de l'enseignement primaire 16

1/ L'homogénéité ethnique des relations*. 17 2 / L'intégration dans le Milieu d'origine 18 3 / Solidarité dos conditions de vie et

des aspirations 19

I

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CHAPITRE I (suite) Page

Section III - Les déscolarisés 20

1/ L1 identification du groupe 21 2/ Caractéristiques de la situation des

déscolarisés 22 3/ La réintégration difficile 26

CHAPITRE II - LES RELATIONS ENTRE JEÛNES 31

Section I - Les relations des trois groupes.. 31

1/ Primalriens et collégiens 31 2/ Relations conflictuelles des désco­

larisés et des élèves du secondaire.. 35 3/ Déscolarisés et primairiens UO

Section II - Les relations filles-garçons Ul

1/ La séparation des sexes U2 2/ La guerre des sexes U3 3/ Image de la femme et problème du

mariage . hk

Section III - Clivages ethniques et clivages sociaux. U6

1/ Relations inter-ethniques et scolarité U7

2 / Relations inter-ethniques et positions dans la société U7

3 / Clivages et antagonismes ethniques... U8 h/ Stratification sociale moderne et

inter-ethnicité des relations -Le cas des enfants de fonctionnaires. 50

5 / Clivages sociaux à l'intérieur de l'ethnie $1

II

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CHAPITRE III - LBS ASSOCIATIONS DE JEUNES 53

Section I - Composition des différentes associations de jeunes î>3

1/ Les associations de jeunes adultes... 5H 2/ Les associations de collégiens et

d* étudiants en vacances 56 3/ Les clubs de jeunes 56

Section II - Buts et structures des associa­tions volontaires 57

1/ Les buts 57 2/ Structures des clubs 59

Section III - Fonctionnement des associationst précarité et vitalité des clubs.. 60

1/ Le fonctionnement normal 60 2/ La précarité 6k 3/ Causes de cette précarité 66 U/ Problèmes spécifiques des fédérations

régionales d'élèves et d1 étudiants... 68

Section IV - Les rapports entre clubs et les rapports entre groupes 6°

1/ Rivalités et alliances 70 2/ Antagonismes 71 3/ Les groupes de jeunes et les

associations 72

CHAPITRE IV - RELATIONS AVEC LE MILIEU D'ORIGINE... 75

Section I - Les différents niveaux des relations ville-campagne.. 75

1/Les différences régionales 75 2/ Les différences suivant les

groupes de jeunes 78 3/ Les différences suivant les

origines sociales 79

III

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Section II - Les jeune3 face aux contraintes de la famille étendue 80

1/ Position des trois groupes 80 2/ L1 aide aux parents 83

Section III - Les conflits 85

1/ La soumission des enfants du primaire. 85 2/ Les élèves du secondaire - Nouvelles

habitudes, problèmes de filles, pro­blemas d'argent 87

3/ Les déscolarisés - Dissimulation et refus d'aide 89

Section IV - Stratégie familiale ^ .. 91

1/ La mise à l'école.. 91 2/ Le rôle des parents lettrés 93 3/ L'arrêt de la scolarité 9U

CHAPITRE V - LES JEÛNES ENTRE LE MONDE TRADITIONNEL ET LE MONDE SCOLAIRE 96

Section I - Réinsertion différée et difficul­tés du retour au village 96

1/ La réinsertion différée 96 2/ Autonomie apparente des élèves 98 3/ Réserves et incompréhension récipro­

ques 100

Section II - Le poids des croyances tradition­nelles et La crainte des sanctions 101

1/ Changer d'habitudes 101 2/ Le respect et la crainte des vieux.... 101 3/ Les sanctions magiques des conflits... 102 k/ L'emprise du milieu sur les sceptiques 103

IV

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Section III - Milieu traditionnel et Milieu scolaire 106

1/ Les interférences école-village et village-école 106

2/ Pratiques scolaires et pratiques magiques 10 7

3/ L'échec» le recours à 1'explication extérieure toujours possible ,. 109

Section IV - Scolarisation et changement social. 111

1/ Stratification actuelle et scolarisa­tion 111

2/ La scolarisation, facteur de stratifi­cation sociale future 112

3/ L'école investissement 113

Section V - Ecole, milieu traditionnel et contradictions individuelles. 113

1/ Les cas limites : refus global du milieu d'origine ou réinsertion totale Ill*

2/ "Nous sommes entre deux mondes" Uli 3/ L< identification impossible 11$

líeme PARTIE - LES JEUNES FILLES DES PETITES VILLES... 117

CHAPITRE I - RECONNAISSANCE DES GROUPES ET DE LEURS RESEAUX DE RELATIONS 119

Section I - Les élèves du primaire ou les primairiennes 119

1/ Ecole et amitié 119 2/ Composition ethnique des réseaux

d'amitié et de camaraderie 120 3/ Volume du réseau de relations 120 k/ Clivages ethniques 121 5/ Clivages sociaux 122 6/Voisinage et amitié 122 7/ Clubs de primairiennes a Issia 123

V

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Paga

Section II - Les élèves du secondaire 126

1/ Amitié et école 126 2/ Etendu du réseau de relations des

jeunes filles du secondaire 127 3/ R pports ethniques et rapports sociaux. 128 k/ Clivages ethniques 129 5/ Clivages sociaux 130 6/ Filles entre elles 131

Section III - Les déscolarisées 132

1/ Raisons familiales 132 2/Histoire personnelle 133 3/ Intégration au milieu 13b k/ Etudes de cas 135 5/ Réseau de relations des déscolarisées.. 136

CHAPITRE II - RAPPORTS ENTRE LES DIFFERENTS GROUPES FEMININS ET RAPORT DES JEUNES FILLES AVEC LES GARÇONS 137

Section I - Rapports de filles entre elles 137

1/ Primairiennes et élèves du secondaire•. 13 7 2/ Elèves et non scolarisées 138 3/ Elèves et déscolarisées lUO

Section II - Rapports des élèves (filles) avec les garçons 11*2

1 / Reconnaissance des groupes de garçons.. lij.2 2 / Réseau de relations masculines IÍ4U 3 / Rapports ethniques Hi5> k/ Rapports sociaux 1^5 5/Fil les et garçons à l'école 3ii5 6 / Camaraderie 1k 7 7 / Rapports amoureux 1^8 8 / Choix imaginaire du conjoint 150

VI

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Section III - Occasions de rencontres entre les filles et les garçons 152

CHAPITRE III - ELEVES ET MILIEU TRADITIONNEL ... 155

Section I - Elèves dans le milieu familial et villageois« 155

1/ Milieu familial. 155 2/ Milieu villageois 156 3/ Ecole et milieu familial 156 h/ Ecole et milieu villageois 159

Section II - Rapports des élèves avec leurs parents, des jeunes avec les vieux. 162

1/ Parents-enfants 162 2/ Jeunes-vieux 161¿

Section III - Coexistence de deux systèmes de référence 165

1/ Adaptation de modèles traditionnels â 1 ' intérieur du système scolaire 165

2/ Combinaison des deux systèmes de référence 166

3/ Existence parallèle des deux systèmes de référence 167

h/ Contradictions et paradoxes 169

CONCLUSION 170

I - Situation des garçons 170

1/ Trois groupes distincts 170 2/ Relations inégalitaires entre jeunes... 171 3/ Les relations avec les adultes:

dépendance et conflits 172

VII

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II - Situation des filles 173

l/ Clivages en rapport avec le niveau de scolarisation mais absence de groupes comparables à ceux des garçons 17U

2/ Une dépendance vis-à-vis du milieu adulte plus prononcée que chez les garçons 175

3/ Les relations filles/garçons révéla­trices du statut des filles lettrées. 175

III - Changement social, conflits de personnalité et conflits sociaux. 177

1/ La représentation traditionnelle du monde 177

2/ Antagonismes nés de la scolarisation et conflits sociaux 178

3/ Changements sociaux et télévision scolaire 179

A N N E X E S

ANNEXE I - CHOIX PROFESSIONNEL ET IMAGE DE L'ADULTE DES ENFANTS DU FRIMAIRE I8l

Présentation des populations scolaires étudiées 182

1/ Composition ethnique 182

2/ Origine sociale des enfants 188

PREMIER SUJET: LE CHOIX D'UNE PROFESSION 190

I - Les choix professionnels 190

A/ Choix professionnels et origine ethni­que I90 1/ Les enfants autochtones 191 2/ Les allogènes 193 3/ Comparaison globale des choix des

autochtones et des choix des allô« gènes 19k

VIII

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B / Choix professionnels et origine s o ­ciale des enfants. 19k

II - Les motivations du choix 196

A/ Les différentes motivations retenues.. 196

B/ Hiérarchie des motivations par régions 209

C/ Motivations par région et suivant la profession choisie 219 a) Les motivations suivant la profes­

sion choisie 219 b) Différences régionales 223 c) Différences autochtones/allogènes.. 22b

D/ Les motivations d'ap. as l'origine so­ciale des enfants et par région 233 a) Les fils de fonctionnaires 233 b) Les fils d'agriculteurs 235 c) Les enfants de commerçants 236

E/ tentative d1appréhension synthétique des copies: tendances personnelles, familiales, altruistes 2U1 a)Tendances par région et par origine

e thnique 2lU b) Tendances exprimées et professions

choisies 2U2 c) Tendances et origines sociales 2b2

SECOND SUJET» L'ADULTE ADMIRE 2hh

A / Les différentes motivations 2I4.U

B / Hiérarchie des motivations par régions et par origine ethnique.. 253

C/ Origine sociale et image de l'adulte.. 263

D / Les composants de la modernité de l'adulte admiré 265

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ANNEXE II •* LES ELEVES DU SECONDAIRE

(Enquête de contrôle ) 268

I - Relations ville-campagne 272

A/ Fréquences des relations villes/

campagne 2 72

B/ Motivations de visites 2 73

C/ Préférences en matière résidentielle 277

II - Aide à la famille 279

A/ Aide aux adultes 279

B/ Aide aux enfants du primaire 282

III - Loisirs 285

IV - Croyances traditionnelles et

école 290 V - Les collégiens face aux croyan­

ces traditionnelles 293

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INTRODUCTION

Le présent rapport rend compte des deux missions que nous avons entreprises dans les petites villes ivoiriennes, d'une part de juillet à octobre 1969, d'autre part de juin à septembre 1970. Il se propose d'apporter un complément d'information aux travaux déjà existant sur les centres serai-urbains de Côte d'Ivoire. Il s'inscrit dans la phase préliminaire à l'implantation du programme d'enseignement audio-visuel primaire et post-primaire. Ainsi que les autres études préalables à l'extension à tout le pays de l'opé­ration de télévision éducative, les conclusions de notre travail ici présentées doivent concourir à éviter que les mesures adoptées méconnaissent la réalité ivoirienne. Après nous être concertés avec les responsables du projet, le complement d'information demandé a été circonscrit à la situation des jeunes des petites villes ivoi­riennes et de leurs environs.

I - L'ENQUETE SUR LES JEUNES:DES PETITES VILLES ET LE PROJET D'ENSEMBLE

Le projet nous semble obéir à un double impératif. Il vise en premier lieu à promouvoir un enseignement primaire audio-visuel programmé destiné à remédier au déficit scolaire actuel d'un point de vue quantitatif et adapté, quant à son contenu, à l'univers de l'enfant ivoirien.

En second lieu il se propose d'atténuer les décalages que l'on enregistre actuellement entre les enfants scolarisés et le milieu adulte. Ces décalages, ainsi que le souligne un mémorandum récent du B.I.T., sont directement responsables des difficultés de réinsertion des jeunes dans leur milieu d'origine et, ee fai­sant de l'exode rural massif des scolarisés (l) sans que pour

(1) L'exode des jeunes ruraux et les actions préconisées pour améliorer leurs conditions de vie et leurs possibilités d'emploi (B.I.T., Genève, 1969).

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autant de nouveaux emplois soient crées en milieu urbain* Le second objectif devrait être atteint grâce d'une part à l'édu­cation télévisée post-primaire qui amorcerait une évolution du milieu adulte, corrélative â la transformation de la formation scolaire de base, d'autre part à l'établissement de liens nou­veaux entre la jeunesse et les adultes à travers une politique d'action culturelle et sociale consécutive à l'implantation de-ce programme de télévision éducative.

L'articulation d'ensemble du projet situe notre rapport dans le cadre de la seconde phase du travail préparatoire au pro­gramme défini par le comité permanent de coordination de l'Edu­cation Télévisuelle en sa séance du 18 mai 1°69 à Abidjan qui fut intitulée "Données relatives au mdlieun. Cette phase se décompose en deux temps. Le premier a concerné le rassemblement et l'exploi­tation de la documentation déjà existante sur la réalité sociale ivoirienne dans le but de constituer une information directement utilisable par les différents réalisateurs du projet. Le second prend la forme d'enquêtes de terrain complémentaires. Nos deux missions interviennent à ce niveau. L'accent a été mis sur les jeunes des petites villes et de leurs environs, compte tenu du fait que ces villes constituent le relais indispensable entre le monde moderne et les villages.

Les impératifs de l'enquête nous ont amenés à restreindre notre observation aux jeunes qui, de près ou de loin, se trouvent encore concernes par l'école. Ainsi la notion de "jeunes" s'appli­que -t-elle dans notre travail uniquement aux enfants, adolescents ou jeunes adultes qui ne sont pas encore intégrés à une vie pro­fessionnelle active, soit qu'ils poursuivent des études, soit qu'ayant terminé leur formation scolaire ils n'aient pas encore trouvé à s'employer. Sont ainsi exclus de notre investigation les enfants et jeunes qui n'ont jamais été scolarisés, qu'il« soient ou non titulaires d'un emploi et ceux qui, anciennement scolari­sés, sont maintenant intégrés à une vie professionnelle active.

II - LES TROIS VILLES DE L'ENQUETE ET LEURS REGIONS

Nous avons essayé autant que possible de tenir compte de la diversité humaine et naturelle de la Côte d'Ivoire de façon à produire des résultats généralisables à tout le pays à travers les différences et les ressemblances enregistrées.

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Pour cela, nous avons enquêté dans trois régions bien dis­tinctes: à Issia dans l'ouest, à Ferkassêdougou dans le nord et enfin à Sakasso dans le centre. Ces trois agglomérations sont en même temps représentatives du milieu intermédiaire que consti­tuent au regard du changement social les petites villes de Côte d'Ivoire, tant par rapport au monde rural, que par rapport à la grande ville représentée par Abidjan. Les trois vi.Iles choisies sont des sous-préfectures. Les deux premières possèdent approxi­mativement la même population: 10.171 habitants à Ferksssédougou (l)j â peu près 11.000 à Issia selon les estimations récentes des autorités locales.

Sakasso, où nous avons seulement enquêté lors de notre se­conde mission, est au contraire un centre beaucoup plus petit qui doit approcher maintenant les H. 000 habitants. Il s'agit néanmoins d'un centre à croissance rapide (2) qui possède toutes les carac­téristiques urbaines des deux autres villes: du point de vue de l'infrastructure: importance des services publics (Sous-préfecture, Hôpital, Ecole, Gendarmerie) et présence d'établissements commer­ciaux, electrification de la ville qui l'oppose à la campagne voi­sine j du point de vue de la composition de la population: hétéro­généité ethnique et socio-professionnelle (agriculteurs, commer­çants, fonctionnaires). Sakasso demeure cependant plus proche du modèle rural que les deux autres centres, ainsi que nous le verrons par la suite.

Les trois villes et leurs régions présentent toutefois de nom­breuses différences que nous allons rapidement recenser.

A/ La région d'Issia:

Issia et sa région sont situées dans la sone de forêt dense, qui couvre tout l'ouest de la Côte d'Ivoire, à 390 kilomètres d'Abidjan. Les exploitations forestières, les plantations de café et, à un moindre degré celles de cacao, constituent les principa­les ressources de la région. Les paysans de la région pratiquent comme principales cultures vivrières l'igname, le manioc, et surtout le ris. Les exploitations agricoles sont de petites eu de moyennes dimensions, sauf quelques rares unités possédées par des proprié­taires citadins (en général fonctionnaires) qui investissent en plantations le surplus de leur revenu principal.

(1) Etude de quelques centres semi-urbains - Chevas su - GRST0M 1968.

(2) ; J. Chevassu - Essai de définition de quelques indicateurs de structure et de fonctionnement de l'économie des centres semi-urbains - 0RST0M 1970,

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D'un point de vue humain la région et la ville d'Issia sont en partie occupées par le peuple Bété (plus précisément les sous-groupes Boghué et Tocólo). Les Bété, du point de vue de leurs ori­gines, constituent une ethnie aux structures familiales patrili-néaires et à organisation politique lâche sur le modèle des socié­tés segmentaires, l'unité étant le village et encore mieux le lignage. Peuple de la forêt essentiellement chasseurs et guerriers dans la tradition, comme en témoigne encore le folklore actuel, ils diffèrent beaucoup au niveau même des contacts quotidiens des Sénoufo de Ferkéssédougou enracinés dans un univers paysan ou des Baoulé de

« Sakasso déjà habitués dans la tradition à une vie sociale située â une autre échelle.

B/ La région de Ferke'ssédougou:

Ferkéssédougou et sa région se trouvent tout à fait au nord du pays à 620 kilomètres d'Abidjan. Le milieu est très différent de celui des deux autres régions à tous les points de vue. Région de savane subissant une longue saison sèche, elle offre peu de possibilités économiques.

Les cultures bien que variées (maïs, mil, riz, arachide, sorgho) ne permettent pas d'atteindre les revenus de la zone fo­restière ou sub-forestière. La seule culture industrielle est eelle du coton, accompagnée depuis peu d'une expérience de plan­tation de kénafe (l).

Toutes deux sont marginales aux activités de la plupart des habitants de la région. Aussi le revenu monétaire moyen est-il très faible et se situe-t-il aux alentours de U.000 francs par an.

Sur le plan humain la région de Ferkéssédougou est peuplée par le sous-groupe Sénoufo des Niarafolo. Les Sénoufo possédaient une organisation social plus structurée que celle des Bété et également que celle des Baoulé. Les structures familiales actuel­les sont encore celle du matrilignage. Cependant, la progression de l'Islam, surtout dans le nord de la région de Ferkéssédougou et dans la ville elle-même, provoque la substitution progressive de règles patriarcales à celles actuellement en vigueur dans le fonctionnement de la famille. Malgré les atteintes portées à l'or­dre traditionnel (disparition du Poro (2) par'exemple), celui-ci

(1) Dont la fibre donne le jute.

(2) Initiation à plusieurs degrés dont les premiers devaient être obtenus par tous les jeunes.

k

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résiste encore suffisamment pour assurer le maintien du pouvoir des vieux dans cette société fortement organisée en classes d'âge, en castes et où les statuts d'origine se transgressaient moins aisément que dans les deux autres sociétés concernées par l'enquête.

G/ La région de Sakasso*

Sakasso et sa région se trouvent à mi-chemin des deux pre­mières zones d'enquête, tant d'un point de vue physique que d'un point de vue humain* Notre troisième terrain d'enquête se situe d'un point de vue physique dans la zone pré-forestière, aussi y retrouve-t-on les mêmes cultures vivrières que dans la région d'Issia ainsi que des plantations caféïères.

Situées à l'écart du grand axe goudronné Abidjan-Bouaké qui passe à I4.O kilomètres de là, Sakasso et sa région subissent l'at­traction de Bouaké distante également de UO kilomètres. La sous-préfecture de Sakasso comporte une densité de population beaucoup plus forte que celle d'Issia ou de Ferkéssédougouj aussi les mou­vements migratoires sont-ils beaucoup plus importants, en parti­culier vers la zone forestière, moins peuplée, où les ressortis­sants de la région ouvrent des plantations.

Sur le plan humain Sakasso se situe au centre du pays Warebo, lui-même au centre du pays Baoulé, dont elle est la capitale his­torique. Les habitants de la région appartiennent donc au sous-groupe Baoulé qui organisa autour de la reine Pokou l'exode du Ghana; ils ont encore aujourd'hui une forte conscience de leurs origines•

Les Baoulé se trouvent du point de vue des structures so­ciales traditionnelles dans une position intermédiaire par rap­port aux Bété et aux Sénoufoj leur société est moins anarchique que celle des premiers, elle est aussi moins organisée et hié­rarchisée que celle des seconds. Nous avons donc eu affaire à un milieu paysan moins déstructuré que celui de l'ouest, mais également plus ouvert sur le monde extérieur que celui du nord.

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D/ La situation des trois villes

Si l'on conpare l'infrastructure urbaine des trois agglo­mérations, on est amené à constater que Ferke'ssédougou,située dans la région la plus déshéritée, est paradoxalement la rille la Mieux équipée. Ce petit centre bénéficie en effet d'une fonction administrative ancienne (ancien chef-lieu de subdivi­sion à l'époque coloniale), doublée d'une importance économique qui remonte à la construction de la voie ferrée de la régie Abidjan-Niger» Ferkéssédougou se trouve encore au point de rup­ture de charge des marchandises transportées vers le Mali. Ainsi cette ville est relativement sur-équipée par rapport aux autres centres du nord.

Issia qui était l'ancien centre important du pays Bété a souffert pendant longtemps du développement de Daloa et est de­meurée relativement sous-équipée jusqu'à une période récente. Cependant les choses ont l'air de changer très vite maintenant. La ville vient d'être dotée, d'une part d'un centre social très moderne, flanqué d'une école ménagère, d'autre part d'un stade spacieux et moderne. En 1959, sous l'impulsion d'un sous-préfet très dynamique, le tracé de la ville a été remodelé en prévision d'une expansion future.

Sakasso, après avoir longtemps stagné, connaît depuis quel­ques années une extension rapide. Ainsi, de 1959 à 1968, le sec­teur public a vu augmenter ses effectifs qualifiés de U00 %. La proximité de Bouaké a entravé la croissance de Sakasso. Le petit centre continue à subir l'attraction de la grande ville; il est cependant passé du rang de bourgade à celui de petite ville, bien que son équipement urbain ne soit pas encore comparable à celui d1Issia et surtout celui de Ferkéssédougou.

D'un point de vue ethnique et socio-professionnel, Sakasso présente également moins de diversité que les deux autres centres. Il n'en demeure pas moins que plus de la moitié de sa population vit d'activité de transformation et de services ou d'activités administratives. Il y a également moins d'étrangers à la région dans la mesure où le développement urbain est récent. Cependant, si sur le plan ethnique les Baoulé sont nettement majoritaires, il existe néanmoins une forte minorité dioula regroupée dans un quartier de même nom et de nombreux étrangers le plus souvent

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fonctionnaires résidant par exemple au camp fonctionnaire ou à la Gendarmerie* La population d'Issia est beaucoup plus compo­site. Il 7 coexiste sehématiquement quatre groupes sociaux: les Bété originaires de la région, les Dioula originaires du nord, commerçants pour la plupart, les planteurs étrangers à la région qui sont en majorité baoulé, les fonctionnaires. A Ferkéssédougou, les Sénoufo originaires de la région et les emigrants malinké se différencient fort peu et possèdent en commun, de surcroît, l'Is­lam. Les originaires des autres régions du pays (sud, centre, est, ouest) sont très peu nombreux. Par contre, il existe une masse importante d'étrangers dbcigine Toi talque ou malienne que la pro­ximité des frontières et la présence du rail expliquent aisément. Enfin les fonctionnaires constituent un groupe homogène face au reste de la population.

III - PROBLEMATIQUE ET DEMARCHE DE L'ENQUETE

Nous voulons rendre compte dans ce rapport de la situation des jeunes des petites villes ivoiriennes en nous attachant à re­tracer les relations qui les lient, d'une part au monde scolaire et à celui des adultes et d'autre part à la société urbaine mo­derne en même temps qu'au milieu d'origine villageois. Aussi avons nous essayé autant que possible de travailler à la fois dans les trois petites villes visitées et dans les villages avoisinants.

La description de la situation des jeunes constitue l'essen­tiel de notre travail et correspond à la partie principale de no­tre investigation que nous retraçons dans ce rapport au niveau d'analyses uniquement qualitatives. Nous essaierons dans la mesure du possible de livrer dans des documents annexes les résultats quantitatifs du dépouillement de matériaux complémentaires! pour les collégiens en vacances, analyse d'un questionnaire de contrôle] pour les élèves du primaire, d'une part analyse des effectifs sco­laires en octobre 1970, et d'autre part analyse de contenu de deux narrations données aux élèves de CM2 des centres visités, dans les­quelles nous noue proposons de mesurer à la fois les attitudes mo­dernistes et traditionalistes des enfants.

Dans le présent rapport nous avons essayé d'appréhender les différents types de relations qui lient les jeunes les uns aux

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autres et également celles qu'ils entretiennent avec les adul­tes. Nous voulions ainsi mesurer les différents types de réin­sertion et les décalages et conflits qui en résultent.

Dès notre premier contact avec les jeunes à Issia, en juillet 1969, nous avons constaté une structuration de la po­pulation étudiée (l) en trois groupes distincts!

- élèves de l'enseignement primaire, souvent appelés "primairiens"

- élèves en vacances de l'enseignement secondaire - déscolarisés (c'est-à-dire enfants qui ont dû abandonner leur scolarité).

Lors de notre seconde mission, les traits distincts des trois groupes se sont légèrement altérés, surtout en ce qui con­cerne les déscolarisés, mais nous avons pu néanmoins conserver l'essentiel des conclusions provisoires après quelques réinter­prétations et modifications de détail.

Enfin il importe de préciser que nous pensions à l'origine de notre enquête travailler aussi bien avec les jeunes gens qu'avec les jeunes filles.

A l'issue de notre premier passage, force nous fut de souligner (2) le peu d'information dont nous disposions sur la situation des jeunes filles. Il est alors apparu néces­saire de procéder à une enquête complémentaire auprès de celles-ci. Les résultats de ce travail confié à Mademoi­selle TILLERS sont consignés dans la seconde partie du rapport.

(1) Celle entretenant des rapports plus ou moins étroits avec l'école.

(2) Gf rapport provisoire.

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Compte-tenu de ce qui précède, nous avons finalement adop+?

le plan suivant:

PREMIERE PARTIE» JEUNES GARÇONS ET JEUNES GENS DES PETITES VILLES

CHAPITRE I : LES GROUPES DE JEUNES

CHAPITRE II : LES RELATIONS ENTRE JEUNES

CHAPITRE III : LES ASSOCIATIONS DE JEUNES

CHAPITRE IV : LES RELATIONS AVEC LE MILIEU D'ORIGINE

CHAPITRE V t LES JEUNES ENTRE LE MONDE TRADITIONNEL ET LE MONDE SCOLAIRE

DEUXIEME PARTIE: LES JEUNES FILLES DES PETITES VILLES

CHAPITRE I t RECONNAISSANCE DES GROUPES ET DE LEURS RESEAUX DE RELATIONS

CHAPITRE II : RELATIONS DES JEUNES ENTRE EUX

CHAPITRE III : ELEVES ET MILIEU TRADITIONNEL

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HIEMIERE PARTIE

JEUNES GARÇONS ET JEÛNES GENS

DES PETITES VILLES

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I - LES GROUPES UB JEUNES

La seconds phase de l'enquête a confirmé l'essentiel de ce qui* a été dit au sujet des groupes de jeunes à l'issue de la première partie de l'étude. Nous avons cependant été amenés à apprécier différeraient le groupe des déscolarisés. Nous rappe­lons que l'observation a porté uniquement sur les jeunes qui de près (élèves du premier degré et du second degré) ou de loin (déscolarisés) entretiennent des rapports avec l'école. En sont donc exclus, d'une part, les jeunes qui n'ont jamais été scola­risés, et d'autre part ceux qui, une fois leurs études terminées, se sont trouvés immédiatement intégrés à une vie économique active. Ceux-là se confondent avec le milieu adulte dont ils se différen­cient tout au plus en regroupant dans des clubs composés unique­ment de garçons de leur âge. C'est à une présentation des groupes de jeunes scolarisés et déscolarisés que nous allons procéder dans ce .chapitre avant d'envisager leurs rapports réciproques et leurs relations avec le monde adulte.

SECTION II LES ELEVES DU SECONDAIRE

Dans les trois centres étudiés, les élèves du secondaire en vacances constituent le groupe le plus nettement différencié et organisé de la population de jeunes. Leur présence est repé-rable dès l'abord de la ville aux bandes qu'ils forment, aux vê­tements qu'ils portent à l'heure de la mode abidjannaise.

Pendant leurs vacances ils sont partout présents dans les rues, sur les marchés.

Leur retour leur offre l'occasion de réintégrer la commu­nauté dont ils sont issus, tout en affirmant une autonomie rela­tive vis-à-vis de la société traditionnelle.

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Nous délimitarons leur groupe d'un triple point de vuet

- un réseau social homogène - une vie quotidienne de relations intenses - un statut privilégié.

1/ Un réseau social homogène

Nous nous sommes cantonnés à la partie du réseau social concerné par les relations avec d'autres jeunes, à l'exclusion des relations avec les adultes.

La composition du réseau de relations de chaque membre d'un groupe permet de mesurer sa cohésion, ainsi que son degré de dif­férenciation. A ce titre les réseaux de relations des collégiens des trois villes étudiées présentant un certain nombre de traits communs:

a) fréquence des rapports d'égalité et de réciprocité b) présence d'éléments d'origine ethnique et sociale

différente c) connaissance au moins à distance de tous les collé­

giens en vacances.

a) Les collégiens en vacances fréquentent surtout d'autres collégiens. Les élèves du primaire ou les "civils" (l) sont en minorité dans leur réseau de relations sauf peut-être pour les élèves de 6ème et de £ème qui ont encore conservé des attachés avec leurs anciens camarades de classe. Ces relations prioritai­res avec d'autres collégiens s'établissent sur la base de l'éga­lité et de la réciprocité et se résument par la formule stéréo­typée» "Je vais chez lui comme il vient chez moi". Les membres d'un même groupe d'amis se rendent visite les uns aux autres tous les jours, mangent les uns chez les autres, parfois dorment tantôt chez l'un tantôt chez l'autre» Tout cela prend l'allure d'un vaste cycle d'entraide et d'échanges incessants. D'une année à l'autre nous avons retrouvé à Issia et à Ferkéssédougou les mêmes groupes de collégiens fonctionnant sur ce modèle.

Le plus souvent, les collégiens passent ce temps commun à se distraire mais il peut arriver qu'ils effectuent des révisions

(l)Civils: garçons qui exercent une profession non administrative.

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scolaires ensemble, comme nous l'avons noté à Sakasso où un groupe d'élèves avait préparé de la sorte,, à Pâques, le B.E.P.C. Les liens que. tissent entre eux collégiens et lycéens en vacances con­tribuent â les constituer en groupes homogènes et différenciés.

A l'inverse de ce qui précède, les quelques relations échan­gées avec d'autres jeunes non collégiens s'établissent sur une base inégalitaire au bénéfice de l'élève du secondaire, à moins qu'il ne s'agisse d'un garçon beaucoup plus âgé que lui.

b) En principe c'est plus la communauté de statut scolaire que celle d'origine sociale ou ethnique qui constitue le ciment du réseau social. D'ailleurs la majorité des élèves du secondaire est encore issue d'une couche commune de petits et de moyens plan­teurs, de petits commis et de marchands. La tendance à l'hétéro­généité des origines des membres du réseau social se note plus de façon différentielle par rapport au réseau social des enfants de l'enseignement primaire que de façon absolue. Il en va de même de l'inter-ethnicité du réseau social. Il est frappant que les col­légiens citent plus d'amis d'origine ethnique différente de la leur que les élèves du primaire.

Ils reconnaissent avoir pris l'habitude de ces relations inter-ethniques au cours de leur scolarité secondaire, en parti­culier lorsqu'ils sont internes* Il faut cependant nuancer à un double point de vue cette tendance.

En premier lieu, ces relations inter-ethniques demeurent très largement minoritaires. En second lieu, la préférence accor­dée â tel ou tel ami originaire d'une région différente de la leur s'accompagne encore chez la plupart des informateurs d'une dé­fiance généralisée à l'égard des relations inter-ethniques qui ne sont pas suffisamment personnalisées.

c) Cette inter-ethnicité encore faible des réseaux sociaux des collégiens se trouve compensée par le fait qu'il existe une connaissance diffuse et à distance des autres élèves du secondaire de la petite ville. Cette connaissance est facilitée pour l'ins­tant par le nombre encore relativement limité d'élèves qui pour­suivent des études secondaires et par leurs rencontres lorsqu'il se déroule des festivités dans la ville. En schématisant légèrement

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on peut dire que si tous les élèves du secondaire en vacances ne se fréquentent pas régulièrement, tous se connaissent pour­tant plus ou moins et donc se reconnaissent, lorsqu'ils se ren­contrent, comme détenteurs d'un statut et d'un mode de vie com­muns. Les collégiens se reconnaissent, d'ailleurs entre eux à leur allure, leur tenue vestimentaire, leurs plaisanteries. Deux exemples tirés des monographies de réseaux sociaux que nous avons recueillies vont résumer ce qui précède:

Pierre est un élève baoulé de seconde dont le père est com­mis à Sakasso. Ses vrais meilleurs amis sont l'un baoulé, l'autre guère, l'autre dioulaj ensuite il cite encore deux amis baoulé et un jeune dioula.

A Issia, René, fils d'un infirmier bété et élève de troisiè­me, cite huit amis dans son réseau de relations: dans l'ordre, un Bété, un Guère, deux Baoulé et pour finir encore quatre jeunes Bété. Tous les garçons cités par les deux informateurs sont élè­ves du secondaire. La plupart sont des enfants de notables comme nos deux informateurs,

2/ Vie quotidienne de relations intenses et disponibilités

L'analyse du contenu des journées-types que nous avons re­cueillies fait ressortir l'importance des visites échangées avec d'autres collégiens ou lycéens en vacances, avec des amis de la petite ville, ainsi que la fréquence des visites dans les villages avoisinants, au moins pour deux des villes visitées.

L'organisation du comportement quotidien des élèves donne l'impression d'une diversité d'activités qui contraste avec l'assoupissement de la petite ville.

Ainsi les jeunes collégiens se rendent-ils souvent à plu­sieurs chez l'un ou l'autre de leurs amis dans la ville même, ou bien encore, à Issia et Sakasso, dans des campements ou des villages voisins. L'hôte organise alors la réunion sur le mo­dèle des groupes d'adultes. Lorsque la visite s'effectue hors de la ville, il est souvent offert à manger à tout le groupe de jeunes.

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Pareil les thèmes abordés lors de ces réunions improvisées, ceux qui reviennent le plus fréquemment concernent- les souvenirs de 1*année scolaire qui vient de se terminer, les problemas sco­laires: la difficulté des enseignements suivis, la crainte de redoubler une classe, d'échouer à un examen. Les autres thèmes sont suscités par les vacancest matchs de football organisés par les élèves, soirées dansantes, les filles de la petite ville et de la région qu'on y a rencontrées. Cette vie de relations trou­ve en effet son expression la plus intense dans les nombreuses soirées dansantes organisées par les élèves en vacances. Ces soirées ont lieu indifféremment en ville ou dans les villages pour les régions d'Issia et de Sakasso. Pour le nord, elles ont lieu uniquement à Ferkéssédougou. Elles constituent un des buts de l'activité des groupes d'élèves de l'enseignement secondaire, comme nous le verrons dans le chapitre consacré, aux associations. Ces fêtes et réceptions diverses assurent la cohésion du groupe des élèves qui peut ainsi manifester sa singularité.

Cependant, malgré cette vie de vacances apparemment agitée, nous jeunes informateurs nous ont souvent exprimé lors de notre seoond passage un sentiment de disponibilité, de vacuité, par­fois même d'ennui. A part de rares exceptions et des moments privilégiés (les veilles de "boums" par exemple) leurs occupa­tions manquent de buts précis. Et les élèves en arrivent à re­gretter dans leur ville d'origine certaines de leurs activités de l'année scolaire dans la grande ville. U s aspirent alors à une vie de vacances mieux organisée et plus riche encore. Pour s'occuper, ils participent aux manifestations sportives de la région, c'est-à-dire aux matchs de football (l). Ils désirent presque tous des activités culturelles qui leur permettraient de meubler de façon utile leurs loisirs (centre de lecture dis­posant de revues par exemple).

Enfin, si tous ne quittent pas la petite ville pendant les vacances, tous aspirent aux voyages. Le voyage constitue l'al­ternative à la réinsertion dans le milieu d'origine pour les jeunes de la région.

(1) Cela surtout à Issia et Sakasso.

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3/ Statut privilégié

Les élèves en vacances bénéficient pourtant d'un statut qui leur est très favorable. A la différence de ce qu'ils font avec les autres jeunes, les parents les laissent à peu près libres de leurs agissements, en ce sens qu'ils sont assujettis â très peu de contraintes matérielles. Ils se considèrent com­me les détenteurs d'une expérience moderne due à leur passage dans l'internat d'un établissement secondaire ou seulement à leur séjour dans une autre ville plus grande que celle où ils sont nés. Cette expérience crée un décalage dont ils tirent des raisons de se différencier du milieu où ils passent leurs va­cances] ils ne manquent pas une occasion de l'évoquer au cours des conversations qu'ils tiennent entre eux ou avec des person­nes de statut différent.

Les élèves en vacances aiment aussi se distinguer des autres jeunes par leur élégance vestimentaire. Celle-ci constitue même un des traits de différenciation les plus marqués ainsi qu'un des griefs évoqué le plus souvent à leur encontre par les autres jeunes du même âge le souligne.

A tout cela s'ajoute l'estime des adultes à leur égard. Les élèves en vacances sont considérés comme appartenant à l'élite moderne de la petite ville. Après la classe de troi­sième ce sont des "grands" (c'est-à-dire des personnalités im­portantes). Ainsi que nous le dit l'un d'eux "pour les parents et les civils c'est un honneur d'être en compagnie d'un élève". Cette position privilégiée gouverne l'ensemble des rapports apparents avec les autres groupes ainsi qu'avec le milieu d'ori­gine pris dans son ensemble.

SECTION II: LES ELEVES DE L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE

Les enfants qui poursuivent leurs études primaires dans les villes de l'enquête forment également un groupe homogène bien que moins différencié que celui des élèves du secondaire. Ils sont englobés par ceux qui nous en parlent sous le vocable de "primairiens". L'âge, la situation scolaire des membres de ce groupe les intègrent beaucoup plus à la société dans laquelle

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ils vivent que les membres des deux autres groupes. De ce point de vue, ils représentent plus une génération qu'un groupe dis­tinct« Si nous nous plaçons cependant dans la perspective de l'étude de la stratification des jeunes en rapport avec leur sco­larité, les priraairiens se constituent alors plus nettement en groupe.

1/ L'homogénéité ethnique des relations

Les réseaux de relations des enfants du primaire présentent une double caractéristique. Ils comportent d'abord très peu de relations inter-ethniques. Et ce fait est aussi vrai pour les ori­ginaires de la ville étudiée que pour les enfants d'allogènes.

Ainsi à Issia, où nous avons interrogé â la fois des élèves bété, baoulé, dioula, nous n'avons relevé que très peu de cas faisant exception à cette règlej les enfants baoulé par exemple, à la différence de leurs aînés collégiens, ne recherchent pas à se regrouper avec des garçons d'autres origines ethniques sur la base d'affinités scolaires, mais maintiennent au contraire l'homo­généité de leurs relations à l'image de celles de leurs parents. A peine acceptent-ils parfois un ami originaire d'une ethnie très voisine de la leur. L'univers social de ces enfants n'est ce­pendant pas tout à fait clos, en ville du moins. Par le biais de l'école, d'une part, et des rencontres de rue de l'autre (les amis qui sont désignés comme étant les "camarades de rue"), ils finissent par connaître quelques garçons d'origine ethnique dif­férente. Ceux-ci ne constituent cependant jamais des relations très proches de nos informateurs. En agissant ainsi, les enfants transposent d'ailleurs dans leurs propres comportements les ré­serves de leurs parents à l'égard des ressortissants d'autres ethnies. Les relations demeurent alors assez distantes et super­ficielles et sont menacées de fragilité. Un jeune Dioula explique ainsi à Issia: "Les enfants bété je vais les voir, mais ils ne viennent pas me voir" et conclut qu'ils ne se rencontrent pas très souvent hors de l'école.

A Sakasso, les réseaux sociaux sont également très cloison­nés. Petits Dioula et petits Baoulé, en particulier, se fréquen­tent peu. Nous verrons le fondement de ces clivages ethniques

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dans le prochain chapitre. Les rares relations inter-ethniques que nous avons relevées ne sont pas poussées aussi loin que les relations intra-ethniques. Ainsi les enfants étrangers à la ré­gion ne se rendent pas dans les villages des amis baoulé qu'ils mentionnent pourtant dans leur réseau socialj la situation la plus fréquente est celle des fils de planteurs baoulé qui pos­sèdent des réseaux sociaux uniquement intra-ethniques. De sur­croît, leur réseau social est plus restreint, surtout lorsqu'ils viennent de villages voisins de Sakasso.

Les enfants de l'enseignement primaire conservent donc dans la majorité des cas une méfiance certaine à l'égard des enfants d'autres ethnies que la leur. Ils sont par contre beaucoup plus ouverts aux autres garçons de leur ethnie du même âge qu'eux, même si ceux-ci ne "fréquentent" plus ou n'ont jamais fréquenté (1).

2/ L'intégration dans le milieu d'origine

L'analyse des réseaux de relations traduit déjà une plus grande insertion dans le milieu d'origine à la fois familial et ethnique. Dans leur grande majorité, les "primairiens" n'ont ja­mais eu 1'occasion de quitter la petite ville ou le village dans lesquels nous les avons rencontrés. Ils ne sont pas encore impli­qués dans un processus de changement social comparable à celui que subissent les élèves de l'enseignement secondaire. Ils con­forment encore leurs comportements au modèle traditionnel offert par les adultes et ils adhèrent d'une façon beaucoup moins criti­que que leurs aînés aux valeurs de la société dans laquelle ils vivent. Le déroulement de l'existence quotidienne de ces enfants confirme ce qui précède. Leur condition est très proche de celle des enfants demeurés au village. Les enfants s'organisent en ban­des sans discrimination basée sur la fréquentation scolaire mais homogène du point de vue des catégories d'âge. Avec les autres enfants de leur âge, ils organisent des jeux, vont ensemble à la chasse aux oiseaux et aux petits rongeurs et aussi parfois sur les plantations des parents pour y travailler. Au même titre que leurs camarades de génération ils sont très dépendants de leurs parents et en subissent beaucoup plus l'autorité sans broncher que les membres des deux autres groupes.

(l) Fréquenter: aller à l'école.

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Ils participent d'une façon plus effective à la vie éco­nomique du milieu traditionnel que les élèves du secondaire et les déscolarisés. Ils demeurent à la place que leur impartit la hiérarchie des âges ordonnée par la tradition. U s ne bouscu­lent pas quelque peu cette hiérarchie comme les élèves du se­condaire et ils n'entrent pas non plus en conflit violent avec elle comme les déscolarisés.

3/ Solidarité des conditions de vie et des aspirations

Pourtant, les conditions de vie des enfants du premier degré, surtout celles des fils d'agriculteurs, sont souvent plus rigoureuses que celles de leurs camarades du même âge non scolarisés. Ils éprouvent des difficultés pour se nourrir régulièrement, pour trouver le temps de faire leurs devoirs après l'école. Ainsi les enfants qui viennent des villages voisins sautent souvent le repas de midi. Le problème du tra­vail scolaire après les heures de classe est souvent insolu­ble. D'abord pour les nombreux enfants confiés à des tuteurs: le temps consacré à l'étude dépend du bon vouloir de ceux-ci et certains tuteurs abusent de leurs pupilles en les surchar­geant de travail. Ensuite pour les enfants issus du milieu paysan voisin de la villeîles conditions de travail ne sont guère meilleures et une fois de retour sur la concession fami­liale il leur est très difficile de faire leurs devoirs.

Les difficultés de la vie quotidienne, la nouvelle expé­rience scolaire, créent un sentiment de solidarité très fort qui est bien la manifestation d'appartenance à un groupa.

Les originaires d'un même village se rassemblent même au niveau de sous-groupes et font beaucoup de choses en commun. Ils essaient de faire ensemble leur travail scolaire, ils pren­nent des distractions en commun. Les jours de classe ils par­courent ensemble le trajet qui les sépare de l'école et qui peut atteindre jusqu'à 7 ou 8 kilomètres dans un sens. U s s'entrai­dent également dans le travail agricole. Les fils d'agriculteurs qui accompagnent leurs parents sur leurs cultures demandent l'assistance de leurs amis. Tout le groupe d'amis se rend alors

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sur le champ à débroussailler ou à désherber et se transforme ainsi en un groupe de travail spontané. Ce fait fut relevé en milieu baoulé à Sakasso, sénoufo à Ferkessédougou, dioula à Issia et Sakasso mais non pas chez les jeunes Bété.

Ce sentiment de solidarité se prolonge par le sentiment que tous sont embarqués dans une même aventure. La plupart des élèves de l'enseignement primaire caressent l'espoir de dépas­ser le niveau du C. E. P., même s'ils mentionnent comme pro­fession future celle(d1agriculteur) de leurs parents.

SECTION III t LES DESCOLARIS.ES

Nous englobons sous ce terme tous les jeunes qui, pour des raisons diverses,ont été amenés à interrompre leurs études soit au niveau de l'enseignement primaire soit à celui du se­condaire. Dans ce dernier cas l'interruption est intervenue le plus souvent au cours des petites classes de $ème et de oème. Le groupe est composé de garçons qui n'ont pas encore trouvé à s'employer et qui refusent de retourner à des activités agri­coles .

Il nous paraît nécessaire de souligner copbien il a été difficile d'entrer en contact avec les membres de ce groupe. C'est parmi eux que les informateurs firent le plus souvent défection. A Ferkessédougou, nous n'avons pu interroger direc­tement qu'une poignée de garçons. La plupart des informations concernant les déscolarisés ont alors été recueillies auprès des élèves du primaire et du secondaire. Il en fut de même â Sakasso où nous enregistrâmes la plus complète dérobade des intéressés. Les déscolarisés étaient d'ailleurs en tout petit nombre dans cette ville au moment de nos passages et ils, ne tenaient pas du tout à entrer en contact avec nous. Nous avons pu néanmoins enregistrer quelques entretiens, mais avec des membres d'un sous-groupe légèrement différent de déscolarisés: ceux qui acceptent, en principe momentanément, de travailler avec leurs parents. Nous avons eu plus de chance à Issia lors de notre premier passage où presque tous les membres d'une

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troupe de théâtre ressortaient à ce groupe. Nous avons pu éta­blir plus facilement le contact à partir de leur activité cul­turelle, cependant nous ne retrouvâmes point en 1970,1a concen­tration et l'organisation de l'année précédente. Ceci amène à poser le problème de l'existence des déscolarisés en tant que groupe.

1/ L'identification du groupe

Le fait le plus frappant de la seconde partie de l'enquête est constitué par l'effacement des déscolarisés en tant que groupe organisé dans les deux premières villes où nous avons enquêté.

A Issia, la plupart des adolescents de ce groupe qui avaient constitué nos informateurs l'année précédente avaient quitté la ville pour partir à la recherche d'un emploi. La troupe de théâtre amateur qu'avaient instituée l'année précédente les déscolarisés n'existait plus.

Enfin, les relations conflictuelles entre déscolarisés et élèves qui avaient jalonné la première phase de l'enquête nous sont apparues beaucoup moins vives lors de ce second passage, dans la mesure où les déscolarisés étaient beaucoup moins nom­breux. A Ferkéssédougou, nous notons la même évolution: diminu­tion en apparence du nombre des déscolarisés trainant en ville, atténuation des conflits. Le regroupement des déscolarisés était d'ailleurs beaucoup moins net dans ce second centre. A Sakasso, enfin où nous n'avons pas enquêté en 1969, les déscolarisés ont encore moins tendance à s'organiser en groupe que dans les deux premières villes de l'étude parce qu'ils sont moins nombreux dans cette petite ville et parce que celle-ci est encore plus près du monde rural«

Aussi, là plus qu'ailleurs, les déscolarisés sont réabsor­bés par ce milieu rural s'ils demeurent dans leur région d'ori­gine» Pourtant, même s'ils retournent aux champs, ils conservent encore l'espoir de quitter la condition paysanne• A Sakasso, il s'établit d'ailleurs une certaine confusion dans l'esprit des élèves du premier et du second degré entre déscolarisés, non

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scolarisés, jeunes paysans. Toutefois, lorsqu'un informateur fait état de griefs précis contre un autre jeune, il est sou­vent mentionné que '•c'est un vaurien parce qu'il a dû quitter les bancs de force et qu'il refuse de travailler". C'est que justement les caractéristiques négatives des déscolarisés de­meurent même si leur groupe présente des contours moins nets:

- statut dévalorisé que l'on n'accepte pas - situation de crise dont on ne sait comment sortir - définition négative donnée par les autres jeunes (filles et garçons)

- rejet dans le groupe de ceux qui ont échoué, de tous les garçons qui se trouvent dans l'impossibilité de continuer leurs études quelles qu'en soient les raisons (manque de moyens finan­ciers, incapacité ou paresse, limites d'âge, celles-ci frappant en général plus durement les fils de paysans mis trop tard à l'école et dont la scolarité est souvent hachée d'interruptions plus ou moins longues).

2/ Caractéristiques de la situation des déscolarisés

Les contrôles effectués cette année, s'ils nous amènent á conclure à un moindre degré d'émergence du groupe des déscola­risés, ne rendent cependant pas caducs les principaux traits de leur situation, tels que nous avons pu les présenter dans le premier rapport.

a) - Les "panthères blessées". Quelle que soit la cause de l'interruption de leurs etudes, les membres de ce groupe parta­gent un sentiment d'échec mêlé à celui d'être les victimes d'une injustice. Les déscolarisés sont tellement malheureux qu'ils pré­fèrent demeurer dans une grande ville pendant l'année scolaire et ne revenir chez eux qu'aux grandes vacances de façon à se faire passer pour des élèves\ s'ils sont démasqués ils ne reviennent plus.

Un déscolarisé nous confie: "Quand je vois mes camarades qui continuent, j'ai envie de pleurer". Ces sentiments de honte, de déshonneur, de malheur sont très vite dépassés dans une atti­tude généralisée d'agressivité à l'égard du monde extérieur, car les déscolarisés recherchent dans leur entourage des res­ponsables à leur malchance.Ils sont susceptibles, ombrageux et

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ont souvent le sentiment d'être persécutés. Se croyant rejetés, ils créent la situation de leur propre rejet et s'excluent ain­si du milieu dans lequel ils vivent« Ils sont aigris et méfiants à l'égard des autres jeunes. Tout cela fait qu'à Issia on les surnomme les "panthères blessées". Par analogie au fauve du mê­me nom, leur souffrance morale les amène à attaquer avant même d'être provoqués. Leur hostilité est particulièrement dirigée vers les élèves du secondaire, ainsi que nous le verrons dans le prochain chapitre.

b) - La solidarité de la malchance. Les déscolarisês ont le sentiment de partager un sort pénible et cette conscience d'une destinée commune crée les conditions d'appartenance à un groupe lorsqu'ils ont la possibilité de se rencontrer.

Le phénomène se mesure d'abord dans les caractéristiques de leur réseau de relations: les rapports préférentiels s'éta­blissent presque toujours avec des garçons comme eux déscolari­sés et sans emploi. Les élèves du secondaire sont très rarement mentionnés et il s'agit alors le plus souvent de parents de l'informateur. Les difficultés communes ont aussi pour effet de faire tomber en partie les barrières ethniques et l'on re­trouve donc des éléments inter-ethniques dans les réseaux de relations des déscolarisés. Leur réseau de relations est par­fois composé uniquement de déscolarisés, bien que ce fait ne soit pas généralisé. Le nombre d'amis rencontrés régulièrement est souvent moindre que dans les réseaux de relations des élè­ves, car les déscolarisés n'osent pas trop se montrer. Nous avons noté également la présence de quelques amis "civils" plus âgés que les enquêtés.ou encore d'enseignants. Il s'agit alors de protecteurs des déscolarisés. Ceux-ci établissent des rap­ports de dépendance et non plus d'égalité avec ces personnes. Ils leur rendent visite, ils leur demandent conseil et assis­tance»

Les jeunes adultes qui se penchent bénévolement sur la sort des déscolarisés avec lesquels ils n'entretiennent aucun, lien de parenté sont relativement peu nombreux. Aussi ces jeunes se trouvent le plus fréquemment renvoyés seuls à leurs propres problèmes. A Issia, certains déscolarisés, après être entrés en conflit violent avec leur famille, la quittent pour aller vivre

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avec d'autres garçons qui se trouvent dans la même situation que la leur. Ils forment alors de petites communautés plus ou moins instables et ne voient plus leurs parents. Ceux que nous avons rencontrés à Issia en 1969 avaient quitté leur village et s'é­taient installés en ville chez des parents éloignés ou chez un autre déscolarisé. L'un de nos informateurs accueillait ainsi sur sa concession trois de ses camarades et partageait une même pièce avec eux.

c) - A la recherche d'une reconnaissance sociale

Les membres de ce groupe se trouvent dans une position di­minuée et essaient souvent de façon désordonnée de revaloriser leur statut. Ainsi essaient-ils d'abord, au cours des premières années qui suivent la fin de leurs études, de réintégrer l'école au niveau où ils l'ont quittée. Certains continuent à travailler par eux-mêmes de manière souvent fort anarchique et au gré des ouvrages fort rares dont ils disposent. Ils ne font alors que de l'histoire et de la géographie, que des mathématiques ou que du français suivant les possibilités. Lorsque ces tentatives se situent encore dans le cadre de l'enseignement primaire, les garçons qui les poursuivent se joignent le soir aux élèves qui font Teu^s devoirs et essaient de la sorte, tant bien que mal, de ne pas perdre le contact avec l'école. Cette situation d'in­détermination peut durer jusqu'à cinq ou six ans dans les cas extrêmes. Entre temps, les déscolarisés perdent l'habitude de ces exercices et également l'espoir de reprendre leurs études. Simultanément le niveau de leurs aspirations diminue à mesure que le temps passe. Il est très élevé au début et très éloigné de leurs possibilités effectives d'emploi. A la fin, ces semi-lettrés sont prêts à se contenter d'un très modeste emploi de bureau ou à se reconvertir à des tâches techniques. Dans cette optique, la création et le développement des C.T.R. peut com­bler leur attente. En attendant, beaucoup trop de dêscolarisés au chômage depuis des années sont prêts à toutes les compromis­sions pour pouvoir obtenir un emploi.

L'exemple de la troupe Théodore Kacou d'Issia

Nous avons observé à Issia une expérience qui concrétisait cette recherche de sécurité et d'amélioration du statut et qui

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consistait dans la création de la troupe de théâtre amateur Théodore Kacou (1). L'initiative est venue de quelques désco­larisés qui avaient assisté à une représentation donnée par un groupe théâtral de passage à Issia. Créée en avril 1969* la troupe comportait en août une quinzaine de membres. Tous se connaissaient avant la formation de la troupe« En août 1969» la troupe venait de terminer une tournée dans le centre-ouest jusqu'à Bouaflé. Les déscolarisés, membres de la troupe, avan­cent diverses justifications à leur adhésion â la troupe:

nl - Ça nous rapproche, on se retrouve ensemble 2 - Nous n'avons plus honte devant les élèves,

nous apprenons à mieux parler français 3 - Ça donne confiance k - Nous sommes plus respectés par les adultes

et les personnalités d'Issia."

Le contenu de ces motivations illustre bien le triple souci des déscolarisés de se regrouper afin de définir une forme commune de solidarité, de se situer par rapport au milieu dans lequel ils vivent, enfin et surtout d'être reconnus et estimés par ceux qui ne se trouvent pas dans la même position de pré­carité que la leur.

Le contenu même des pièces données aux représentations auxquelles nous avons assisté nous a semblé très significatif. Les pièces écrites ou simplement conçues comme canevas par des amateurs sont classées par les acteurs en deux catégories: "les classiques" et les "comédies". Dans les classiques, la part du texte écrit prend le pas sur l'improvisation, les thè­mes se veulent sérieux, voire dramatiques, les comédies font une très large part à l'improvisation et se rattachent à une forme théâtrale qui rappelle le style de la "comedia dell'Arte"* Le côté gestuel et bouffon du jeu des acteurs est particuliè­rement accentué. Les pièces jouées présentent deux orientations très marquées:

- Les pièces oscillent entre deux interprétations opposées de la réalité social. Dans la première de celles-ci on a affaire

(l) Du nom du sous-préfet d'Issia en 1969, personnalité dyna mique qui avait encouragé les fondateurs de la troupe.

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à un manichéisme et à un moralisme un peu simplistes (le bien et le mal) où, à la suite d'actions édifiantes, le bien finit par l'emporter. Dans la seconde, l'action met en relief une simple volonté de puissance, le plus fort triomphe quels que soient les moyens employés et son succès le justifie.

- Il ressort également des pièces que nous avons vues re­présenter une interprétation magique du monde moderne dont on attend beaucoup de façon tout à fait irréaliste. Les professions auxquelles on peut accéder en ville, les comportements nouveaux du citadin sont envisagés d'une façon tout à fait imaginative. Il en va de même des échanges auxquels donne lieu le nouveau mode de vie citadin. Ainsi, chaque fois qu'une transaction monétaire intervenait dans 3a pièce, le montant des sommes avancées était tellement extravagant qu'il signifiait bien que les acteurs-au­teurs n'avaient aucune mesure du monde qu'ils voulaient repré­senter. Cependant, au niveau même du contenu de la représentation, l'activité théâtrale possède un pouvoir libérateur certain. Ainsi chaque déscolarisé exorcise-t-il ses fantasmes et extériorise-t-il ses aspirations dans les rôles qu'il incarne (ceux de juge, de commissaire de police, de médecin, de professeur, de gendarme) compensant ainsi les contraintes et les manques de sa vie présente.

Remarquons encore que la forte concentration de déscolarisés à Issia pendant les vacances de 1969 a constitué un moment privi­légié de l'évolution de ce groupe bien plus fluctuant et instable que les deux autres.

3/ La réintégration difficile

A Sakasso la quasi-inexistence de déscolarisés flottants du type de ceux rencontrés à Issiaj l'impossibilité d'entrer en contact avec eux nous a conduit à nous intéresser à un sous-groupe de déscolarisés composé de ceux qui se réintègrent quel­ques temps à la vie paysanne dans l'espoir de reprendre leurs tétudes par la suite. C'est à partir de leur cas que l'on peut cerner les difficultés de la réinsertion des déscolarisés.

a) - Les situations d'attente. Les déscolarisés qui accep­tent de participer au travail agricole de leurs parents le font avec le projet d'obtenir de l'argent de leur famille en échange

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de leur aide. Avec cet argent, ils financeront leur nouvelle tentative scolaire. Tout comme les déscolarisés flottants qui n'acceptent pas de travail agricole, ceux qui nous intéressent actuellement conservent des contacts avec l'univers et les préoccupations scolaires. "Le soir, je révise mes leçons" nous dit l'un d'eux; "^e continue à m'entraîner à la maison' nous précise un autre qui bénéficie pendant les vacances de l'aide de son jeune frèra lettré, élève de quatrième. Plongés dans un milieu paysan, ces garçons essaient désespérément de conserver des liens avec des amis qui ont les mêmes préoccupations qu'eux. Aussi, nous citent-ils toujours comme relations préférentielles les liens qui les unissent à des garçons lettrés ou encore à d'autres déscolarisés se trouvant comme eux en voie de réinser­tion et qui comme eux nourrissent encore l'espoir de se faire payer leurs études dans un cours privé l'année suivante par un membre de la famille. En porte-à-faux sur deux milieux, celui des élèves et celui des paysans illettrés, ces garçons subissent l'incompréhension des seconds et les moqueries des premiers. Ils en éprouvent un profond ressentiment à l'égard de tous. Deux études de cas résumeront leur situation:

1er cas ; Koffi a échoué en 1969 au concours des bourses et n'a donc pas pu faire la sixième par manque d'argent. Il voudrait reprendre ses études l'an prochain. En attendant, il travaille sur la plantation de son père. Le soir il essaie de revoir les programmes du CM2. et de l'entrée en 6ème. Il tente également de maintenir le contact avec ceux de ses amis qui ont pu con­tinuer leurs études. Mais il a noté à ses vacances qu'il s'éta­blissait déjà entre eux une coupure. D'autres collégiens avec lesquels il entretient des liens moins étroits se moquent ouver­tement de lui: "Il y en a un, chaque fois qu'il vient ici, il me provoque en disant que je ne vaux rien, que je suis resté à traîner, que se ne connais pas les papiers". Deux des membres do son réseau de relations ont été obligés d'interrompre comme lui leurs, études contre leur gré 3 il sort parfois le soir avec ceux-ci. Mais quand les jeunes collégiens du village les voient avec des filles, ils se moquent d'eux. Koffi a près de 18 ans, il rêve pourtant encore d'être docteur. Il a l'impression qu'il a été "embrouillé (l) à l'entrée en 6èjm parce qu'il était fort

(1) En d'autres termes "quvil a subi une agression magique".

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en calcul, alors que c'est là qu'il a échoué. Son père n'a pas d'argent pour lui payer un cours privé, aussi espère-t-il qu'un membre lettré de sa famille pourra lui venir en aide.

L'histoire de Koffi résume bien la situation de la plupart des déscolarisés: refus d'abandonner l'espoir de reprendre leurs étudesj irréalisme des projets professionnels (ce garçon, qui à . 18 ans, n'a pas encore commencé ses études secondaires, voudrait encore être docteur); sentiment d'être la victime d'une agression occulte, frustration à l'égard des garçons qui ont eu la chance de continuer leurs études.

2ème cas: Kouamé est également fils d'un planteur baoulé de la région de Sakasso. Il a abandonné sa scolarité l'an dernier mais il désire continuer ses études ou trouver, malgré son faible ni­veau scolaire (l), une place de commis grâce à un oncle fonction­naire dans une sous-préfecture. Il aide son père dans son travail mais il "s'entraîne" (2) aussi presque chaque soir. Ses trois meilleurs amis se trouvent dans la même situation que lui, aussi les rencontre-t-il très souvent et partagent-ils de nombreuses activités communes. Il insiste beaucoup sur la valeur de l'amitié et de s« solidarité dans la situation qui est actuellement la sienne. Il a beaucoup de ressentiment à l'égard des élèves du secondaire.

b) - Refus de la situation de déscolarisé

Le plus souvent les garçons impliqués dans un processus de déscolarisation ne veulent pas admettre un statut diminué. Il leur est rarement donné l'occasion de s'exprimer à travers une expérience, du type de celle de la troupe de théâtre amateur, que nous avons rapportée. Ainsi essaient-ils de différentes fa­çons d'échapper à leurs conditions, c'est-à-dire essentielle­ment à l'identification par les autres de leur échec ou de ce qui est considéré comme tel. L'attitude la plus fréquente est la fuite. Plus la ville est petite, moins on y rencontre de déscolarisés. Ceux de Sakasso ne demeurent pas chez eux et pré­fèrent se plonger dans l'anonymat de Bouaké ou d'Abidjan. Une

(1) Celui du C.M.2. (2) C'est-à-dire: il révise ses leçons de l'année précédente.

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autre attitude consiste à se réfugier dans la dissimulation* A Issia, certains déscolarisés ne reviennent que pour les vacances et même seulement pour la Fête Nationale. Ils essaient de se faire passer pour des élèves aux yeux de leurs compatriotes« S'ils sont démasqués, ils ne reviennent plus chez eux« A Ferkessêdougou, les déscolarisés font la même chose« Ils reviennent de Khorogo, d'Abidjan ou de Boualé pour passer la période des vacances dans leur famille. Certains adhèrent même à l'association des élevas en vacances« Il s'agit souvent d'élèves renvoyés des petites classes de l'enseignement secondaire et qui n'osent pas avouer leur échec« Au delà de là quatrième, les élèves exclus du collège ont, paraît-il, moins de honte à révéler leur situation, tout comme s'ils possé­daient déjà un bagage intellectuel suffisant pour ne point paraî­tre ridicules aux yeux de leurs anciens condisciples. La plupart du temps, ceux-ci ne leur posent pas de questions quand ils adhèrent à l'association en payant leur cotisation. Nous rapportons de Sa-kasso l'incident suivant: Alors que nous étions partis avec un in­formateur à la recherche d'un déscolarisé, nous rencontrâmes sur notre chemin un jeune avec lequel nous l'avons confondu. Ce garçon protesta et nous fit savoir qu'il était instituteur. Par malchance pour lui, notre informateur était lui-même enseignant et eût tôt fait de discerner que nous conversions avec un faux Instituteur et un vrai déscolarisé. De telles dissimulations expriment pleine­ment le refus de leur condition par les déscolarisés.

c) - Les conditions restrictives de la réinsertion. Quelles que soient les raisons de l'arrêt de leur scolarité (1) les désco­larisés sont perçus comme des ratés, des vaincus et ils ont beau­coup de mal à se faire réaccepter d'autant plus que l'incompréhen­sion réciproque est grande. Ainsi s'en prennent-ils eux-mêmes à leur entourage pour expliquer leur échec, comme nous le verrons dans le prochain chapitre. Ils acceptent très mal, au surplus, de se réintégrer à un niveau moindre que celui de leur aspiration, souvent tout à fait irréalistes comme nous l'avons déjà noté. En fait, les conditions objectives de leur réinsertion sont limitées:

(l) Manque de moyens financiers manque de capacité de l'enfant scolarisation trop tardive.

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Io) par le manque d'emplois modernes au niveau des petites villes. Les C.T.R. constituent bien un débouché théorique mais les garçons munis de leur diplôme ne trouvent guère à s'employer sur place;

2°) par la difficulté qu'il y a assumer la condition de paysan lettré dans l'univers traditionnel. Le décalage qui en résulte accentue méfiance et incompréhension réciproques;

3°) par le manque de moyens financiers des jeunes qui auraient pourtant besoin d'un capital de départ pour s'ins­taller de façon moderne;

U°) par le refus des notables traditionnels et des déten­teurs du pouvoir familial de voir les jeunes s'émanciper trop vite de la société traditionnelle (en particulier problème de l'attribution de terres).

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II - LES RELATIONS ENTRE JEUNES

Le complément d'enquête poursuivi à Sakasso, ainsi que les vérifications opérées à Issia et à Ferkéssédougou en ce qui con­cerne les relations entretenues entre les trois groupes, nous ont confirmés dans nos premières observations. Elèves du primaire et collégiens vivent en bonne entente et s'acceptent dans des rô­les complémentaires et hiérarchisés. Par contre, ils rejettent les dêscolarisés et n'établissent avec eux que des rapports con­flictuels. Nous reprendrons l'essentiel de ces résultats dans la section I. Mais nous ne nous contenterons pas dans ce chapitre de retracer les relations inter-groupales des élèves du primaire, des collégiens et des déscolarisés. Nous allons identifier succin-temenb les relations filles-garçons (section II) et nous étudierons ensuite (section III) les clivages ethniques et les clivages so­ciaux qui se supperposent aux relations entre les trois groupes et aux relations filles-garçons.

SECTION I - LES RELATIONS DES TROIS GROUPES

Nous envisagerons successivement les relations des primai-riens et des collégiens caractérisées par des rapports harmonieux et une perception complémentaire de leur situation réciproque, puis celles des collégiens avec les dêscolarisés, de nature con­flictuelle et caractérisées par un refus croisé de s'accepter dans leur situation actuelle, enfin celles des déscolarisés avec les enfants du primaire où ceux-ci rejettent ceux-là.

1/ Primairiens et collégiens

a) - Des relations harmonieuses et hiérarchiséest Les élè­ves du secondaire établissent leur domination sur ceux du pri­maire. Ils les considèrent comme de "jeunes frères". Ils éprou­vent à leur égard un sentiment de solidarité et de responsabilité.

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La position scolaire et l'âge des enfants du primaire concourent à ce qu'ils soient soumis â la tutelle et aux conseils des col­légiens. L'attitude des élèves du primaire répond de façon com­plémentaire à cette conception des collégiens qu'ils considèrent comme des grands frères. Ils solliciteront leurs conseils et leur protection.

Un collégien de Sakasso nous dit en parlant des "primai-riens": "Ils croient que nous menons une nouvelle vie au collè­ge et ils nous respectent". Les représentants des deux groupes adhèrent donc â une image favorable de ceux de l'autre, ainsi qu'à une hiérarchie implicite des statuts, ce qui situe les re­lations réciproques des deux groupes sur le plan de la complé­mentarité, mais aussi sur celui de la dépendance des élèves du premier degré vis-à-vis des collégiens.

Les collégiens en vacances exercent un rôle de leader à l'égard des jeunes enfants du primaire. Ils organisent les loi­sirs des enfants du primaire de deux façons principalement. Tout d'abord nous savions l,an dernier comment les collégiens d'Issia avaient organisé un tournoi de foot-ball entre des équipes composées uniquement de petits primairiens rassemblés au niveau des différents quartiers et baptisées du nom des grands clubs d'Afrique ou d'ailleurs, célèbres en Côte d1Ivoireî Santos, Kotoko, Banfica, Real. A cette occasion, les collégiens avaient assuré l'organisation des épreuves de façon méticuleuse.

A l'issue du tournoi, une coupe fut remise à l'équipe vainqueur. Cette coupe avait été achetée par les organisateurs, grâce à une collecte auprès de leurs autres camarades collégiens. Le même genre d'activité se déroula dans la région de Sakasso. Les collégiens et lycéens peuvent aussi organiser des matchs de foot-ball dans leur village d'origine, au moins dans l'ouest et le centre. Ce genre de manifestations semble absent des villages du nord où les collégiens, beaucoup moins nombreux, sont moins organisés. Le second type d'activités patronnées par les élèves du secondaire consiste dans les soirées dansan­tes que les grands élèves organisent pour leurs petits camarades.

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Les élèves du secondaire jouent également un rôle éducatif auprès de leurs camarades du primaire. Ils improvisent des cours de vacances plus ou moins bien organisés. La chose se passe de la façon suivante: un ou deux collégiens en vacances rassemblent des enfants de la ville ou du village, en général des petits pa­rents et procèdent avec eux à des révisions du programme de l'année. Ces actions sont cependant fragmentaires et pas forcé­ment efficaces. Il n'en faut pas plus cependant pour que les collégiens acquièrent la réputation d'aider les primairiens et obtiennent ainsi â peu de frais un prestige basé sur la supério­rité de leurs connaissances.

Les collégiens jouent également un rôle d'initiateurs. Ils "expliquent" aux jeunes demeurés au village la vie du collège et plus particulièrement celle de l'internat avec ses rites, ses bizutages. U s font parfois étalage de leurs connaissances, parlant les langues étrangères qu'ils apprennent au collège, ra­contant le contenu de leurs divers enseignements, commentant au besoin l'activité internationale.

b) - La dépendance des primairiens. Dans les relations des élèves du primaire et de ceux du secondaire, la stratification traditionnelle par âge recoupe en gros celle de la scolarité et les élèves du secondaire considèrent que les enfants du primaire sont leurs dépendants à un double titre. Ils s'adressent à eux pour obtenir de menus services. Lorsque les collégiens organi­sent une fête au niveau de toute la ville à celui du village, il font appel aux primairiens pour les aider dans leurs prépa­ratifs. Les enfants obéissent alors bien volontiers à leurs aînés, alors qu'ils se rebifferaient si de telles exigences étaient émises par les déscolarisés.

c) - Limites aux relations des élèves du primaire avec ceux du secondaire. Les premières tiennent aux rapports hié-rarchises qui existent entre eux, qui les amènent à vivre sé­parément une grande partie de leur existence de vacances. Eh effet, on ne fait tout ensemble, - c'est-à-dire manger, se pro­mener, dormir, parler -, qu'entre pairs, et les enfants du primaire se trouvent ainsi souvent exclus des activités de leurs aînés. Il n'y a pas de réciprocité rigoureuse dans leurs échan­ges de service. De la sorte, si les élèves du secondaire chape­ronnent ceux du primaire dans la préparation de leurs "boums",

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la situation réciproque, invitation des élèves du primaire aux «boums" des enfants du secondaire, ne joue pas. Les plus hardis parmi les primairiens déplorent de ne pas participer aux réjouis­sances de leurs aînés et ils demeurent parfois fort tard à l'en­trée du bal pour essayer de pénétrer ou au moins de savoir ce qui se passe à l'intérieur.

Les relations effectives entre jeunes des deux groupes dé­pendent aussi des liens de parenté qui peuvent préexister entre eux* Les élèves du primaire qui possèdent un frère aîné ou un cou­sin parmi les collégiens sont très nettement avantagés dans leurs relations avec ceux-ci. Les collégiens ont en effet tendance à s'occuper en priorité de leurs jeunes parents, mais ressentent beaucoup moins d'obligations à l'égard des autres jeunes.

Les cours de vacances improvisés prennent ainsi pour cadre la cour familiale où les collégiens dispensent leur enseignement d'appoint. Nous avons eu l'occasion de vérifier à Sakasso ce fait très important: l'aide des collégiens aux primairiens passe presque toujours par une relation familiale. A l'inverse, les enfants du primaire dépourvus de parents lettrés, déplorent le peu de contact avec les collégiens. U s souhaiteraient que leurs aînés s'occupent plus d'eux. Ceux-ci, pris dans le réseau de leurs multiples relations de vacances, les négligent plutôt. Le désir d'aider les enfants du primaire demeure platonique s'il ne s'in­sère pas dans le cadre familial.

Les relations entre élèves des deux cycles sont différentes également, suivant qu'elles se situent en ville ou en village. Les élèves du second degré qui passent leurs vacances dans des villages sont beaucoup plus disponibles que leurs camarades ci­tadins. Moins sollicités qu'en ville, ils disposent aussi de loi­sirs moins variés et peuvent donc mieux et plus longtemps s'occu­per des enfants du premier degré qui accèdent d'ailleurs à eux plus facilement. Ils peuvent alors apporter une aide plus effec­tive. Le milieu d'origine ethnique peut également avoir une in­fluence sur la nature des relations collégiens-primairiens. Ainsi, les collégiens dioula sont en relation très étroite avec leurs jeunes frères du primaire. Ils aident souvent leurs cadets dans leur travail, organisent pour eux des divertissements et exercent en général leur tutelle d'une façon plus effective que les collé­giens d'autres origines.

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En résumant, et en ne tenant compte que de l'essentiel, les relations des élèves du secondaire et de ceux de l'enseignement primaire se ramènent donc à une complémentarité très grande de leur situation et de leurs actions* Les élèves du secondaire rem­plissent des fonctions rassurantes et explicatives. Ils aident les enfants du premier degré quand ils sont en rapport direct avec eux. en particulier quand la relation se situe dans le cadre privilégié de la famille. En échange de quoi ils obtiennent res­pect et considération des petits élèves qui leur obéissent parce qu'ils sont en général plus vieux et toujours plus instruits.

2/ Relations conflictuelles des déscolarisés et des élèves du secondaire

Les déscolarisés se trouvent dans un état de crise qui affecte l'ensemble de leurs rapports avec les autres groupes et les autres strates de la société.

Cette crise latente éclate quand ils se trouvent confron­tés aux élèves du secondaire avec lesquels ils sont en rivalité directe. Ils en résulte une situation de nature très conflictuelle.

a) - Perception contradictoire des deux groupes l'un par l'autre.

La gêne réciproque des élèves du secondaire et des déscolari­sés à parler les uns des autres est un premier indice de leur mé­sentente.

L'opinion des élèves: U s dénoncent l'hostilité des déscola-risés à leur égard et ils en comprennent fort bien les raisons profondes (désir de leurs camarades malchanceux de continuer leurs études et sentiment d'être victimes d'une injustice). Cependant, si on les suivait, l'agressivité des désoccupés serait à sens unique et ne rencontrerait que patience et compréhension de leur part. Ils seraient tout disposés à aider les déscolarisés et à les accepter parmi eux. La réalité est assez différente. Les élèves., sauf exception, ne font pas de grands efforts pour se rapprocher des déscolarisés, même s'ils saisissent très bien une partie du fondement de leurs attitudes. U s les perçoivent finalement de fa­çon à la fois pessimiste et sévère. Ainsi, les élèves de Sakasso

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ont tine piètre opinion des déscolarisés. "Ils boivent , ils ne travaillent pas" nous disent-ils d'eux. Un collégien résume un peu leur opinion générale en décrétant: "Ce sont des inadaptés". Un autre explique leur inaptitude à se réintégrer au village de la façon suivante: "Dès qu'un garçon a fréquenté un peu les bancs, il ne veut plus aller aux champs, il devient paresseux. Les désco­larisés sont marqués par leur renvoi de l'école qu'ils n'acceptent pas; un collégien qui le sait nous dit: "Ils ne veulent pas parler de leur échec, ils font comme si rien n'était arrivé". Les élèves constatent alors que les déscolarisés leur sont hostiles, leur cherchent querelle.

L'opinion des déscolarisés: Ils n'expriment pas directement leur agressivité à l'égard des scolarisés. Dans un premier temps, ils insistent sur leur propre volonté d'entente avec tout le mon­de en général et avec les élèves en particulier. A les en croire, il n'existe aucun problème d'insertion pour eux. Tout ce qu'ils demandent, c'est qu'on ne soit pas fier avec eux, qu'on les res­pecte. Ils essaient souvent de faire croire qu'ils ont des rela­tions suivies avec des élèves en vacances. Leur opinion directe­ment exprimée se résume ainsi: "Nous n'avons pas de problèmes dans nos rapports avec nos camarades élèves, sauf s'ils se montrent fiers avec nous. Nous sortons souvent avec eux et nous les con­nais ons tous".

b) - Absence de relations réelles et conflits latents

La réalité des rapports des deux groupes diffère beaucoup de ce qu'en révêlent leurs représentants respectifs. D'une part, les élèves ne s'occupent guère des déscolarisés, et sauf dans des cas individuels, basés sur une amitié ancienne, ne leur appor­tent aucune aide. D'autre part, les déscolarisés recherchent fort peu la présence des élèves du second degré, même s'ils en nom­ment quelques-uns parmi leurs relations. Lorsque ces relations existent néanmoins, elles sont alors basées sur des liens de pa­renté ou de véritables rapports de dépendance dans lesquels le déscolarisé se place en position de client vis-à-vis du collé­gien. Mais ces dernières situations sont vraiment l'exception. Les membres des deux groupes évitent plutôt de se rencontrer. U s ne participent pas aux mêmes soirées. Quand les déscolarisés sont suffisamment nombreux ainsi qu'il en était à Issia en 1969, ils déambulent dans les rues en groupes distincts de ceux des élèves. Il n'existe donc pas de rencontre ni de mélange sur le plan amical.

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En fait, une hostilité réciproque s*exprime à la moindre occasion. Par exemple, lorsque élèves et déscolarisés se croisent dans la rue et que se pose le problème des salutations. Si les uns et les autres condescendent à se saluer la situation con­flictuelle est momentanément dépassée bien que l'échange soit tout à fait dépourvu de chaleur. Par contre, si les uns ou les autres refusent de saluer o de répondre, il peut alors y avoir un échange d'insultes, le ton monte vite à partir de l'accusa­tion de fierté portée aux élèves qui répondent en taxant les déscolarisés de jalousie. Ces accrochages peuvent dégénérer en bagarre ainsi qu'on nous l'a rapporté dans le nord. Le recours à la violence est généralement le fait des déscolarisés qui se sentent tout de suite agressés. A Issia, plusieurs incidents avaient éclaté l'an dernier lorsque la troupe du théâtre amateur répétait son répertoire. Les déscolarisés qui la composaient avaient accusé des élèves de venir troubler à dessein leur répé­tition en faisant fonctionner un poste transistor à pro:djnitê du lieu de répétition.

Toujours à Issia, les élèves du secondaire, constitués en équipe de foot-ball, se plaignent de la dureté et de l'irrégula­rité du jeu des déscolarisês qu'ils rencontrent lorsqu'ils affron­tent une équipe de village où les seconds se trouvent intégrés. Il avait été envisagé de faire â Issia même un match entre élèves et civils. Sans les rangs de ceux-ci auraient pris place de nom­breux dé Scolari, ses, aussi, la peur des incidents a-t-elle fait abandonner l'idée de ce match.

A Sakasso c'est à l'occasion des "boums" que se produisent des incidents. Les déscolarisés sont en général écartés des soi­rées dansantes que les élèves organisent parce qu'ils ne peuvent pas participer aux frais de la préparation de la réjouissance. Ils déclenchent alors des bagarres à l'entrée. Parfois invités, ils demeurent très susceptibles et réagissent violemment si une fille leur refuse une danse. S'ils organisent eux-mêmes une soi­rée en collaboration avec de jeunes "civils", ils se dispensent d'inviter les élèves ou bien encore exigent que ceux-ci viennent accompagnés de leur cavalière, car nous touchons là le fond du problème•

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Le fond du problème. Les déscolarisés envient la position privilégiée des élèves en vacances, leur élégance vestimentaire, leur prestige de lettrés qui leur valent maints succès auprès des filles de la sous-préfecture. Cette rivalité auprès des filles alimente l'essentiel des conflits qui dressent déscolarisés et élèves les uns contre les autres. Dans cet affrontement, les col­légiens sont toujours gagnants, car les filles préfèrent leurs vêtements à la mode et leur situation en tout point florissante au statut diminué et au caractère morose des déscolarisés.

Lorsqu'il s'agit de rivalité auprès des filles, les collé­giens en vacances peuvent se montrer très agressifs et blessants, ainsi que s'en plaignent les déscolarisés de Sakasso interrogés: "Les jeunes collégiens du village qui nous voient avec des filles se moquent de nous. U s disent aux filles: "Ces gars ne vont pas à l'école, ils ne valent rien, qu'est-ce que vous faites avec eux? Qu'est-ce que vous allez avoir? Rien"."Et les filles quittent".

Un autre informateur de Sakasso éprouve un profond ressenti­ment à l'égard des collégiens. Il les accuse de perturber les soi­rées dansantes en ne pensant qu'à courtiser les filles et en em­pêchant celles-ci de danser avec eux: "Nous leur disons: laissez-les danser d'abord, vous aurez toujours le temps d'aller avec elles après"• Le même garçon nous tient ce discours: "Les collégiens se croient des grands types parce qu'ils ont travaillé à l'écolej ils ont la mémoire (1); ils ne s'habillent pas comme nous. Les parents leur donnent de l'argent pour s'habiller. Nos parents souffrent pour avoir de l'argent, four t'habiller il faut que tu travailles aux champs. Si nous n'allons pas au collège, c'est par manque d'ar­gent, nos parents ne voulaient pas. Ils (les collégiens) s'adres­sent à nous et ils te donnent de l'anglais, de l'espagnol. Ils t'insultent avec ça» Moi je dis d'accord. Il faut essayer de par­ler français". Aussi, les déscolarisés ne retirent que rancoeur de cette situation diminuée. Ils n'hésiteront pas â provoquer une bagarre s'ils se sentent trop humiliés.

c) - Refus de l'accepter dans les statuts actuels. Il résulte des faits précédents une accumulation de griefs et de reproches croisés.

(l) Ce propos souligne l'importance que l'on attribue au facteur mémoire dans la réussite scolaire.

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Les déscolarisés trouvent les élèves en vacances arrogants et fiers: "^l 7 a beaucoup de moquerie de leur part, ils s1 esti­ment trop, ils sont surtout d'accord avec leurs frères, les autres élèves". Un garçon qui était membre de la troupe de théâ­tre nous tenait l'an dernier les propos suivants à 1»encontre des déscolarisés: "Il y en a qui se moquent de ceux qui jouent au théâtre. Ils disent que ce sont des voleurs, des vagabonds; quand on parle, ils disent que le théâtre n'est pas la réalité. Ils disent aussi: "Si tu comprenais le français, tu ne devrais pas t'exprimer ainsi" (c'est-à-dire: "Tu fais dés fautes de français)". Un autre déscolarisé nous dit: "Moi, je suis simple, j'aime n'importe qui comme moi, mais les fiers je ne les aime pas beaucoup..."

Un dêscolarisé de Ferkessédougou juge ainsi les collégiens: "Eux, ils veulent se montrer, ils se croient plus supérieurs, ils sont fiers. On se salue; bonjour - bonjour. C'est tout". Toujours à Ferkessédougou, un déscolarisé qui vient d'être ren­voyé du collège exhale sa rancoeur à l'égard de ceux qui ont la chance de poursuivre leurs études: "Les élèves qui réussissent se croient très supérieurs à ceux qui échouent. U s ne se mêlent pas à nous... Ils font trop de "boums"•

Les élèves, pour leur part, accusent les déscolarisés d'être jaloux et de très mauvaise foi. "Ils ont toujours des arguments pour se fâcher" disent-ils. "Us ne peuvent pas nous sentir". Ils trouvent leurs camarades malchanceux, très maladroits dans leurs rapports humains, peu éduqués et paresseux. Ils les considèrent avec un certain mépris, les assimilant à des ratés. Un informateur d'Issia, qui était pourtant un garçon bienveillant, est assez caté­gorique quand il parle d'eux: "Ils n'ont pas les mêmes connaissan­ces que nous, ils sont le plus souvent coléreux. Quand ils voient les élèves se promener en groupe ils les trouvent fiers, ce qui fait qu'ils sont le plus souvent mécontents. Ils ne peuvent pas participer dans les fêtes que nous organisons parce qu'ils manquent de moyens financiers et qu'ils sont à la charge des parents, comme ils ne travaillent pas".

Tout cela conduit à une incompréhension totale des deux grou­pes qui se rejettent mutuellement la responsabilité de la situation. Les déscolarisés ne peuvent se résoudre à accepter un statut diminué et les deux groupes demeurent ainsi en compétition, les uns n'accep­tant pas la domination des autres.

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3 / Déseolariaés et primairiens

Leurs relations sont également de nature conflictuelle. Les élèves du primaire refusent aux déscolarisés la supériorité qu'ils accordent aux élèves du secondaire. Au surplus, ils se méfient des déscolarisés.

Les Jeunes élèves du primaire ont une très mauvaise opinion des déscolarisés qu'ils considèrent comme des gens peu recomman-dables. "Ce sont des paresseux, des vauriens" disent-ils. Ils les assimilent aussi à des vagabonds. Leurs parents leur interdisent d'entretenir des rapports avec eux. Dans l'esprit des "primairiens" les déscolarisés sont confinés parmi les gens dangereux et margi­naux, ce qui n'est pas encore réellement le cas pour la majorité des déscolarisés. Nous avions relevé l'an dernier à Issia et Fer-késsédougou les griefs suivants, adressés par les jeunes élèves aux membres du troisième groupe:

- Les déscolarisés manquent de respect à l'égard de leurs parents et refusent de les aider,

- Les déscolarisés se singularisent par des actes de cha-pardage sur les marchés et dans les boutiques,

- Les déscolarisés sont brutaux et injustes avec les en­fants du primaire. Ils les jalousent de poursuivre des études qu'eux-mêmes ont été contraints d'abandonner.

Les enfants de Sakasso ne se distinguent pas dans leur appréciation de ceux des deux autres villes. Ils entretiennent une vision négative des déscolarisés qui sont vaguement perçus comme des profiteurs parce qu'ils ne travaillent pas et comme des perturbateurs parce qu'ils sont agressifs avec tout le monde

Ils acceptent d'être commandés par les élèves du secondaire qui les aident parfois dans leur travail scolaire et que les enfants admirent, mais ils refusent la tutelle des déscolarisés.

On nous avait d'ailleurs déjà rapporté l'an dernier plusieurs situations où les élèves du primaire avaient refusé de rendre un service à des déscolarisés, alors qu'ils s'empressent toujours

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de venir en aide aux collégiens. En réfusant, les enfants s'ex­posent d'ailleurs à des brimades de la part des déscolarisés qui sont perçus camne brutaux et persécuteurs. Il nous fut ainsi rap­porté à "akasso plusieurs cas de bagarres entre élèves du premier degré et déscolarisés. L'un de ceux-ci, par exemple, furieux d'avoir été renvoyé de l'école, a frappé l'un de ces anciens ca­marades à la sortie des classes.

Un élève de Sakasso nous parle dans les termes suivants d'un garçon qui "ne fréquente plus". WI1 traîne au village, il est sale, il ne veut plus aller aux champs, il insulte ses parents". Enfin, les enfants de Sakasso sont très au courant des bagarres qui opposent parfois collégiens et déscolarisés à propos des filles.

Nous remarquerons à l'inverse que si les enfants du primaire parlent volontiers de leurs mauvais rapports ou de leur absence de contact avec les déscolarisés, ceux-ci, au contraire, ne sem­blent pas avoir d'opinion arrêtée à l'égard des enfants. Ils se contentent de dire en général qu'ils ne rencontrent pas les mêmes difficultés avec eux qu'avec les collégiens.

Enfin, les élèves du primaire ne sont sensibilisés au pro­blème des déscolarisés que dans la mesure où ils en connaissent dans leur ville ou leur village. Souvent ceux qui sont originai­res de villages éloignés ignorent en partie la situation du grou­pe des déscolarisés car il est rare que ceux-ci séjournent très longtemps dans des endroits reculés, à moins que cela ne soit pour réintégrer le milieu familial.

SECTION II - LES RELATIONS FULES-GARÇONS

Celles-ci ont été envisagées de façon plus détaillée dans l'enquête sur les jeunes filles (l). Nous essayerons seulement d'apporter ici quelques informations complémentaires en envisageant successivement la séparation des sexes qui conduit à la guerre des sexes puis l'image de la jeune fille que se font les garçons, ainsi que les problèmes du mariage.

(l) Cf. le chapitre II de la seconde partie du rapport.

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1/ La séparation des sexes

a) - Les premiers indices. Lorsque nous avons pu assister à des réunions de clubs de jeunes nous avons découvert qu'il y avait souvent des filles, alors que nos informateurs ne les men­tionnaient pas quand ils nous enuméraient les membres de l'asso­ciation.

Dans d'autres cas, après nous avoir parlé des adhérents mas­culins de l'association en limitant son volume à leur propre nom­bre, les jeunes répondaient à la question: "Et des filles, il y en a-t-il?B "Oui il y a aussi des filles...»

Le second indice de cette séparation est le tout petit nom­bre de filles mentionné dans les réseaux sociaux, nombre qui a d'ailleurs tendance à s'accroître à mesure que nous nous adres­sons à des informateurs plus jeunes. Ceci tendrait à prouver que les rapports entre sexes évoluent vers une libération du statut de la femme puisque les plus jeunes informateurs admettent plus facilement d'avoir des camarades filles. Néanmoins la séparation des sexes demeure ainsi qu'une rapide enquête de contrôle nous a permis d'en juger. Elle se traduit par plusieurs faits.

b) - Les contraintes domestiques. Les filles ont des obliga­tions familiales quotidiennes que les garçons n'ont pas. Ceux-ci finissent très vite par reconnaître que les fillettes aident beau­coup plus dans la vie quotidienne leurs parents. Ils trouvent d'ailleurs cela tout à fait normal. Les filles sont donc beaucoup plus intégrées à l'économie domestique et ne disposent pas d'au­tant de loisirs que les garçons pour flâner dans les rues*

c) - D'une façon générale: les filles sont plus tenues que les garçons (1) malgré une certaine liberté apparente.

Elles conservent aux yeux des parents le statut imparti aux femmes dans la société traditionnelle. Dans celle-ci les agisse­ments personnels ne doivent pas nuire aux cycles des échanges matrimoniaux. Aussi les jeunes filles sortent-elles souvent le soir accompagnées d'un frère aîné qui surveillera leur comporte­ment et qui les séparera par sa présence même des camarades de l'autre sexe.

(l) Avec des nuances importantes suivant les régions: très te­nues dans le nord en pays sénoufo, les jeunes filles sont beaucoup plus libres de leurs faits et gestes en pays bété à Issia et surtout en pays baoulé à Sakasso,

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2/ La guerre des sexes

a) - Les rapports filles-garçons à l'école. Tous nos in­formateurs, aussi bien du primaire que du secondaire, nous ont volontiers rapporté qu'ils toléraient très mal qu'une fille réussisse mieux qu'eux sur le plan scolaire. Les filles sont présentées comme étant de statut inférieur et, comme telles, doivent être nécessairement dominées* A peine quelques étudiants ont émis à erkéssédougou ¿es opinions moins catégoriques et nous ont dit bien accepter de voir des filles dans les premiers rangs de leur année. L'un d'eux nous a tout de suite précisé que la fille dont il nous parlait avait d'ailleurs rétrogradé par la suite à une place plus modeste comme si ce détail signi­fiait que tout était rentré dans l'ordre. L'apparition d'une fille dans les premiers rangs du classement suscite un esprit de compétition très grand. Les garçons qu'elle précède redou­blent alors d'efforts pour "la faire tomber", c'est-à-dire pour la dépasser. Cette compétition n'est que le reflet des prati­ques qui régissent les relations quotidiennes des garçons et des filles.

b) - Ruses et méfiances. C'est une méfiance générale qui préside à ces rapports: "On ne peut pas se confier à une femme* - B0n ne peut pas lui révéler de secret" - "Une femme finit tou­jours par vous trahir si vous ne la dominez pas totalement". Tous ces thèmes reviennent régulièrement dans les entretiens. Les garçons se méfient en particulier des charmes et des sorts que peuvent leur jeter les filles pour les rendre amoureux d'elles. Par contre, tous les moyens sont bons pour conquérir une jeune fille, ruses verbales, mais aussi pratiques magiques symétriques de celles qu'utilisent les jeunes filles.

Les problèmes de grossesse. Ces rapports conflictuels écla­tent au grand jour dans le cas des grossesses accidentelles is­sues des rapports des jeunes«

D'une façon générale, lorsqu'un élève est responsable de la grossesse d'une fille, les parents de celle-ci se retournent contre lui pour demander des réparations monétaires et la situa­tion, sauf dans le nord, est source de conflits au sein de la famille des deux jeunes ainsi qu'entre les deux familles. Le cas le plus grave est celui où la fille est scolarisée. Les parents

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de celle-ci se retournent vers ceux du garçon, quand il a été identifié, pour leur réclamer soit le remboursement des frais des années de scolarité précédentes puisque leur fille va être obligée d'interrompre ses études, soit la prise en charge maté­rielle de la poursuite de la scolarité de la jeune fille après l'accouchement, soit enfin une indemnisation, plus le paiement des frais ultérieurs de scolarité lorsque les parents persistent dans leur intention de faire poursuivre des études à leur enfant. En plus de cela, les parents de la fille peuvent exiger le mariage lorsque celui-ci leur parait avantageux. Nous rapporterons à titre d'exemple le cas suivant enregistré à Issia. La fille de l'oncle d'un de nos informateurs bété s'est fait mettre enceinte par un instituteur agni. L'enfant était mineure et son amant a dû verser une indemnité de 300.000 francs. Le jeune homme désirait épouser la fille mais le père de celle-ci s'est opposé à cause des diffé­rences ethniques et également parce qu'il désirait que sa fille poursuivre ses études. "Il a exigé le paiement de l'amende et il a gardé l'enfant" remarque notre informateur qui pense comme il est bété que l'enfant devait revenir à son père. La cousine a fini par obtenir son brevet. Entre temps, l'amende avait été payée.

Dans le nord, les choses s'arrangent encore le plus souvent à l'amiable entre les deux familles; on n'impose pas le mariage au garçonj on fait en sorte que le différend ne soit pas porté à un niveau officiel (administrative ou judiciaire). Un élève de Ferkéssédougou a fait un enfant à une de ses amies. Il a reconnu celui-ci à sa naissance. Il a promis d'épouser la fille à la fin de ses études. Pour l'instant, celle-ci demeure chez ses propres parents qui sont d'accord avec l'attitude de son fiancé.

Quelques soient les issues plus ou moins douloureuses de ce genre de situation et la permanence de la valorisation de la fécondité en tant que norme traditionnelle positive, il importe de noter que les garçons perçoivent la grossesse comme un piège supplémentaire que leur tendent les filles.

3/ Image de la femme et problème du mariage

Les garçons interrogés perpétuent en partie dans leur esprit une image traditionnelle de la femme, composée d'abnégation, de soumission, de sérieux.

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La future épouse est souhaitée obéissante et effacée, bonne ménagère, et tous s'insurgent contre l'émancipation, jugée trop rapide, des jeunes filles actuelles. Ils sont pourtant sensibles à des qualités extérieures de modernité, ainsi insistent-ils beau­coup sur la nécessité qu'une fille "s'exprime bien", c'est-à-dire parle français couramment et sur celle qu'elle porte une "tenue correcte". La tenue correcte des filles aux yeux des garçons con­siste dans le port de vêtements de coupe européenne. Comme les filles concilient-elles à ce niveau là le modernisme qu'exigent leurs par­tenaires à la tradition imposée par leurs parents? En portant par dessus leur jupe ou leur robe un pagne qu'elles enlèvent pour dan­ser. Car les élèves du secondaire interrogés souhaitent choisir une épouse moderne d'allure et lettrée qui soit pour eux une compagne responsable. Leur libre choix est d'ailleurs doublement restreint.

En premier lieu,les jeunes se sentent limités dans le choix de la conjointe par des contraintes traditionnelles dont voici au moins deux exemples issus des normes régissant le milieu familial: dans le nord il nous a été bien spécifié que deux jeunes lettrés ne pourraient pas s'épouser quelques soient leurs affinités si le garçon et la fille étaient issus de castes opposées; ainsi jamais le fils d'un forgeron ne prendra pour femme la fille d'un griot. Dans l'ouest, en pays bété, les jeunes se heurtent encore dans les villages à l'application très stricte des règles d'exogamia. Ainsi les vieux dés deux familles épluchent-ils les généalogies des fian­cés pour être certains qu'il n'existe pas d'incompatibilité.

En second lieu, il existe beaucoup plus de garçons lettrés que de filles scolarisées. Si bien que de nombreux garçons épou­sent encore des filles illettrées. Alors qu'il est tout à fait exceptionnel qu'une fille scolarisée épouse un illettré à moins de contrainte familiale très particulière et très pesante.

En fait, les garçons interrogés se composent une image con­tradictoire de la femme souhaitée pour épouse. Ils la désirent bien sûr conforme aux normes traditionnelles, mais ils la sou­haitent également parée de qualités modernes. La femme lettrée cumule à la fois prestige et danger à leurs yeux. Bans cette op­tique, une femme lettrée saura aider son mari dans les diverses circonstances de 1'existence! elle pourra faire front commun de­vant les exigences de la famille traditionnelle. Elle pourra

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gagner de l'argent par un travail bien rémunéré. Elle ne sera donc pas une charge et elle aidera toute seule ses parents. En même temps, la femme lettrée représente un danger car elle met­tra en question l'autorité de l'homme par des revendications incessantes d'égalité, voire même d'indépendance. Les femmes lettrées sont réputées être sources d'histoires. "Elles trou­vent que leur mari se promène trop" nous dit un informateur. Trop émancipée, non seulement elle ne se laissera pas dominer, mais elle risque de rendre son mari très malheureux. Et l'on nous rapporte alors de nombreux cas d* hommes abandonnés par une femme letttée qui trouve ailleurs où se caser.

Les garçons essaient de résoudre cette contradiction dans la prudence sans vraiment la dépasser. Ils préfèrent prendre une femme lettrée mais ils la choisissent d'un niveau d'études suffisamment inférieur au leur pour qu'ils puissent la dominer. Dans cet ordre d'idées, ils préfèrent une fille uniquement ti­tulaire du CEP ou du brevet à une bachelière. De même préfèrent-ils une épouse sans profession et demeurant au foyer, pourvu qu'elle soit bonne ménagère c'est-à-dire qu'elle ait assimilé des rudiments de modernisme pour l'éducation des enfants et le respect des règles d'hygiène élémentaire, à une femme titulaire d'une profession extérieure au foyer.

Notons en conclusion de cette section combien nous avons pu apprécier indirectement, à travers les propos de nos infor­mateurs, les préférences des jeunes filles pour les élèves en vacances, ce qui confirme que la réussite de l'existence passe en Côte d'Ivoire pour l'instant par les succès scolaires. Par contre les jeunes filles rejettent totalement les déscolarisés et en cela notre observation confirme tout à fait les données recueillies par Helene Villers au niveau des jeunes filles.

SECTION III - CLIVAGES ETHNIQUES ET CLIVAGES SOCIAUX

La possibilité d'entretenir des relations inter-ethniques dans la petite ville constitue un changement important par rapport au milieu d'origine villageoise homogène, ethniquement et plus ou moins fermé socialement sur l'extérieur. Les jeunes des petites

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villes utilisent diversement ces possibilités de développement des relations inter-ethniques qui dépendent d'une part de la position du jeune vis-à-vis de l'école et d'autre part de son statut au sein de la société locale.

l/ Relations inter-ethniques et scolarité

L'école est souvent le premier milieu inter-ethnique dans lequel baigne l'enfant (l). Cette inter-ethnicité de la popula­tion scolaire croît d'ailleurs des classes primaires aux cours secondaires. Aussi n'est-il pas étonnant de constater que 1'in­ter-ethnicité des réseaux sociaux est plus grande chez les élè­ves du secondaire que chez les "primairiens".

Les élèves du secondaire en vacances reconnaissent d'ail-, leurs volontiers avoir pris l'habitude de fréquenter des amis d'ethnies différentes au collège dans la ville où ils poursui­vent leurs études. Ils précisent souvent qu'ils fréquentent là-bas plus d'amis d'ethnies différentes que dans leur ville natale. Enfin, pour les déscolarisés, la condition commune de réprouvés efface en partie les différences ethniques. C'est du moins ce que nous avons relevé à Issia dans la composition de la troupe de théâtre amateurs où nous trouvions mêlés des Bété, des Gouro, dee Dioula même* Dans ce dernier cas, des conditions très favorables de concentration étaient réunies que nous n'a­vons plus retrouvées par la suite lors de notre second passage en 1970.

2/ Relations inter-ethniques et positions dans la société locale

La localisation de l'habitat familial peut favoriser l'ins­tauration de relations inter-ethniques amicales. Ainsi, à Sa-kasso, où comme nous allons bientôt le voir les relations entre jeunes Baoulé et jeunes Dioula sont distantes et hostiles, un jeune Baoulé élève du secondaire possède néanmoins dans son ré­seau social plusieurs amis dioula. Il explique cela par le fait que la maison de ses parents est incluse dans le quartier dioula. C'est là qu'il a appris à mieux connaître les jeunes Dioula, dans leur voisinage immédiat, et à moins s'en méfier. H précise d'ailleurs: "Je m'intéresse aux petits Dioula parce que j'habite

(l) Au niveau des petites villes il s'entend, car le milieu villageoise demeure homogène sauf rares exceptions.

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le même quartier qu'eux, mais si c'était dans mon village ce ne serait pas le cas". C'est aussi la position géographique de leur habitat qui facilite à Sakasso les relations inter-ethniques des enfants du "camp fonctionnaire" ou de la gendarmerie, puisque dans l'un et l'autre endroit se trouvent concentrées des famil­les d'origine ethnique différente. Cependant, dans le cas des fils de fonctionnaires, le statut social commun de leurs parents est aussi une raison essentielle de I1inter-ethnieité des rela­tions«

3/ Clivages et antagonismes ethniques

Le cloisonnement par ethnie du milieu adulte se répercute cependant au niveau des relations entre jeunes. Il varie d'ail­leurs d'une ville à l'autre« A Ferkéssédougou, nous n'avons pas relevé vraiment de clivage ethnique global. Il existe seulement la dichotomie fils de fonctionnaire - fils de "civils", qui ne s'établit pas, comme nous allons le voir, uniquement sur les bases ethniques. A Issia, les clivages ethniques sont surtout sensibles chez les enfants de l'enseignement primaire. Ils op­posent d'une part les jeunes Bété aux Dioula, de l'autre les Bété aux fils des planteurs baoulé.

Chez les élèves du secondaire, ces clivages s'estompent au bénéfice d'un clivage jeunes Dioula - autres jeunes (c'est-à-dire Bété plus jeunes étrangers à la région non dioula).

Il s'agit plus d'ailleurs d'une séparation que d'une oppo­sition dans le cas des élèves du secondaire, car l'on n'enregis­tre pas vraiment de conflits. C'est ce qu'on nous explique à Issiat les élèves dioula sont peu nombreux, la plupart des jeu­nes dioula ne sont pas scolarisés. Ils demeurent dans leur quar­tier et les autres jeunes ont très peu de rapports avec eux. Nous ne savons pas ce qu'ils font entre eux... Ils ont d'autres habi­tudes, ils ne boivent pas d'alcool, par contre les autres élèves les soupçonnent de se droguer« Ils ne veulent pas que leurs fil­les aillent avec des garçons qui ne sont pas de leur race". Une fois enuméreos toutes les relations qui ë<opposent a des rela­tions étroites, nos jeunes amis font remarquer que les fiioula sont souvent très sympathiques. L'accent est donc mis sur les différences qui séparent jeunes Dioula et non Dioula plus que sur les antagonismes.

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Á Sakasso, que nous prendrons córame exemple, c'est bien d'antagonismes qu'il s'agit. La population de la petite ville présente moins d'hétérogénéité ethnique. Se trouvent en pré­sence la population autochtone baoulé et un fort groupe d'étran­gers dioula, enfin un nombre plus réduit de fonctionnaires. L'opposition principale s'établit entre les jeunes Diuola et les jeunes Baoulé, expression des antagonismes du milieu adulte. Certains enfants avouent ainsi que c'est leurs parents qui leur ont demandé de ne pas fréquenter des camarades de l'autre ethni­que. Cet antagonisme que nous avons d'abord noté chez les en­fants du primaire se perpétue de façon à peu près semblable chez les élèves du secondaire. Il existe des graduations dans cet antagonisme. Le point de départ est une certaine réserve. Un jeune Baoulé nous cite par exemple un ami dioula mais aous précise qu'il n'enmène jamais celui-ci dans son village. On passe ensuite de la réserve à la méfiance. Un jeune Dioula nous dit: "On ne joue pas avec les petits Baoulé, on ne connaît pas leur caractère, on ne comprend pas leur langue, on a peur d'aller chez eux". Il y a ensuite les moqueries réciproques, les différences d'habitudes (religion, alcool, circoncision, etc..,). Le degré suivant est l'hostilité déclarée.

Un fils de planteur baoulé déclare en parlant des Dioulaï "Ils sont méchants, mon voisin à l'école, il a voyagé chez son père pour que je ne sois pas admis". A cela une jeune Dioula répond: "Les Baoulé ils se croient supérieurs, ils disent que nous sommes des esclaves, s'il y a des palabres, c'est de leur faute". Ainsi les enfants des deux groupes se portent des accu­sations symétriques, ils se soupçonnent en particulier d'agres­sion en fétiches dans le but de faire échouer les garçons de l'autre ethnie à leurs examens. Il ressort donc de cet ensemble de propos que nos informateurs se portent de paît et d'autre un faisceau d'accusations semblables qui se croisent. Celles-ci aboutissent rarement à des conflits ouverts car les jeunes des deux groupes évitent les contacts. Certaines circonstances per­mettent cependant à cette hostilité latente de se manifester.

C'est le cas d'abord des matchs de foot-ball qui opposent des équipes de jeunes des deux groupes ethniques. Le résultat du match, quel qu'il soit, est souvent contesté. On accuse alors l'équipe victorieuse d'avoir pratiqué des manipulations magiques.

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Les échecs scolaires donnent aussi l'occasion aux accusations portées â 1»autre ethnie de se concrétiser. Ce sera tel ou tel camarade que l'on tiendra pour responsable d'avoir commis un acte de magie d'agression. Il est fort rare cependant que ces conflits dégénèrent en affrontements violents, sauf à l'occa­sion des matchs de foot-ball.

k/ Stratification sociale moderne et inter-ethnieité des relations -lu cas des enfants de fonctionnaires

Les enfants de fonctionnaires forment un sous-groupe de jeunes bien circonscrit dont les membres se fréquentent plus étroitement. Ils sont privilégiés pour plusieurs raisons:

. La qualité de lettrés de leurs parents qui peuvent mieux les conseiller dans leurs études et dans leur choix que ceux de leurs camarades.

. Les revenus plus élevés de leur famille qui les aide donc mieux.

. Le fait très important qu'ils résident le plus souvent loin du milieu d'origine ethnique de leurs parents. Ils s'habituent ainsi à une certaine indépendance à l'égard de la famille éten­due, les liens inter-ethniques s'en trouvent renforcés.

Ces liens inter-etniques contrastent avec une certaine homogénéité sociale de leurs relations: les fils de fonction­naires, tout comme leurs parents, sont des privilégiés par rapport au reste de la population de la petite ville. Ces en­fants ont plus d'argent de poche que leurs camarades. Ils donc la possibilité de faire plus souvent des réunions dansantes et d'adhérer, comme nous le verrons pour Ferkéssédougou, à des clubs dont les montants de cotisation sont plus élevés. Ils ont eux-mêmes conscience d'appartenir à une élite. Ce fait est plus net encore pour les filles de fonctionnaires et de notables qui refusent, aux dires de nos informateurs, de fréquenter n'importe quel fils de planteur, à moins que le garçon soit d'un niveau scolaire élevé.

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A l'inverse des fils de fonctionnaires, les fils de paysans pauvres, surtout s'ils habitent des villages voisins de la ville, et même s'ils sont collégiens, possèdent des réseaux plus intra-ethniques que la moyenne de leurs camarades. Leurs parents dis­posant de faibles ressources ne peuvent pas leur donner le mini­mum d'argent nécessaire pour participer à la vie de vacances. U s doivent de plus bien souvent aller les aider sur leur plantation. U s se trouvent donc en partie coupés du milieu des élèves en va­cances •

i>/ Clivages socianx à l'intérieur de l'ethnie

Le sous-groupe des fils de paysans pauvres d'une part, celui des fils de fonctionnaires d'autre part, constituent une amorce de stratification sociale du groupe des élèves en vacances. Il faut voir maintenant comment l'ensemble des enfants scolarisés forme une classe privilégiée au sein même du groupe ethnique. Les antagonismes et les conflits que nous avons notés dans la seetion précédente entre déscolarisés et élèves peuvent s'élargir entre les élèves d'une part et les jeunes paysans d'autre part et plus largement entre lettrés et illettrés. Nous pourrions donner toute une série de cas semblables à ceux cités plus haut; nous nous con­tenterons de quelques exemples qui tendent à prouver ce clivage.

a) - Décalage grandissant entre .jeunes élèves et jeunes paysans. La gêne réciproque qui en résulte: "J'avais un copain, on avait tout fait ensemble, maintenant il a du mal à cheminer avec moi parce qu'on a été écartés; moi je suis allé à l'école, et lui est resté au village. Evidemment, avec mon éducation européenne , on n'a pas les mômes opinions actuellement". (Elève de terminale à Ferkéssê-dougou).

b) - Dans les trois régions visitées le retour des élèves pour les vacances occasionne des perturbations diverses dans les villa­ges ou les villes. Les élèves ont un grand succès auprès des filles qui abandonnent leurs fiancés villageois pour les suivre. Il en ré­sulte des conflits entre les familles, des bagarres. Le -fiancé écon-duit peut faire beaucoup de grabuge, particulièrement en pays bété. Cette situation renforce les élèves dans leur complexe de supériorité et, inversement, les jeunes paysans dans leur sentiment d'infériorité»

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c) - En milieu dioula il existe un antagonisme très fort entre les enfants qui suivent l'école moderne et ceux qui vont à l'école coranique. Les seconds traitent les premiers d'impies et les menacent de l'enfer.

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Ill - LES ASSOCIATIONS DE JEUNES

Les associations volontaires constituent un des modes spéci­fiques d'insertion dans la vie urbaine au sein des agglomérations d'Afrique de l'ouest. Ces associations prennent les formes de clubs récréatifs, de mutuelles, d'unions sportives. Leur étude permet de mieux discerner les relations qui s'établissent entre leurs adhérents d'une part, et entre ceux-ci et les autres grou­pes de la société concernée d'autre part. A ce titre nous avons observé le fonctionnement des associations de jeunes là où elles existaient.

Si nous avons trouvé différentes associations de jeunes dans les deux premières villes où nous avons enquêté en 196?, celles-ci font quasiment défaut à Sakassoî la seule association d'élèves en vacances qui existait en 1969 n'avait pas reconduit ses acti­vités en 1970i quant au club de jeunes fonctionnaires, il fonction­ne de façon épisodique. Cette carence s'explique en partie par les dimensions restreintes de Sakasso qui, bien que sous-préfecture au même titre que les deux autres villes de l'enquête, compte une population trois fois moindre. Il y a donc moins d'étrangers à la région et la ville est encore plus intégrée au milieu rural environnant.

SECTION I - COMPOSITION DES DIFFERENTES ASSOCIATIONS DE JEUNES

Les jeunes tentent de manifester leur autonomie vis-à-vis du milieu adulte en constituant des clubs où ils se retrouvent entre personnes de même statut; les jeunes directement concernés par l'enquête (élèves et déscolarisés) ne sont pas les seuls â être impliqués par ce phénomène qui répond au besoin de solida­rité engendré par le changement social. Il nous faut donc égale­ment évoquer rapidement les associations de jeunes adultes pour mieux situer les associations des élèves en vacances et les clubs de jeunes.

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1/ Les associations de jeunes adultes

Nous avons trouvé deux types d'associations assez distinctes! des associations de fonctionnaires, des associations de "civils".

a) - Les associations de jeunes fonctionnaires se consti­tuent sur une base inter-ethnique, la communauté de statut profes­sionnel constituant le lien entre les membres de l'association.

Il existait une association de ce type à Issia (le club Kacou Théodore) et une à Ferkéssédougou (les Hippies) en 1969» Toutes deux étaient composées de fonctionnaires d'origines ethni­ques diverses. Les présidents dans les deux cas étaient étrangers à la région.

Le club d'Issia, dont le nombre d'adhérents s'élève à quinze personnes, présente la composition suivante en octobre 1969: le président est un instituteur d'origine baoulé. Le secrétaire gé­néral est chef de section aux Travaux Publics, il est d'origine sénoufo. Globalement le club comporte encore cinq instituteurs, deux employés de la Satmaci, un infirmier, deux autres petits fonctionnaires, un chauffeur des Travaux Publics et, ce qui est peu courant, deux sans emploi entrés sur la volonté du prési­dent. La composition ethnique du club est la suivante: deux Baoulé, quatre Sénoufo, deux Tagouana, un Bété, un Ebrié, un Agni, un Guère, un Gouro, deux Malinké, un Dahoméen.

A Ferkéssédougou, le club des "Hippies" comprenait également une quinzaine de membres en 1969. Parmi ceux-ci, le président ( yaeouba) était fonctionnaire du service de l'Elevage, le vice-président (attié), sergent des Eaux et Forêts, le second vice-président (malinké), est lui aussi fonctionnaire du service de l'Elevage, le secrétaire général (baoulé) est secrétaire à l'hôpital, le secrétaire général adjoint (attié) est gendarme, le rédacteur en chef (wobé) est au service de l'Elevage, l'Am­bassadeur (l) (yaeouba) au service de l'Habitat. Il y a deux réceptionnistes., l'un (adjoukrou) est fonctionnaire des P. et T., l'autre (sénoufo) est dactylographe. Le club comporte en­core un fonctionnaire bété et une dactylographe sénoufo. Ainsi qu'il ressort de cette enumeration, les membres de ce club sont aussi des petits fonctionnaires. Les fonctionnaires de grade plus élevé ont rang de notables au sein de la société de la petite ville et ils ne participent aux activités du club qu'en tant que membres d'honneur ou invités de marque lorsque le club organise des réjouissances publiques.

(1) G'est-à-dire "le chargé' des relations publiques" •

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A Sakasso, le club de jeunes fonctionnaires connaît unique­ment une activité épisodique à l'occasion des fêtes de l'indé­pendance et de quelques autres circonstances. Les fonctionnaires ne tiennent pas de réunions hebdomadaires et se contentent de cotisations ad hoc au gré des réunions prévues.

b) - Les associations de civils (l) sont composées en ma­jorité de jeunes adultes qui peuvent exercer des professions très variées* Les jeunes fonctionnaires n'en sont pas exclus pour autant, mais les adhésions se font dans ce cas plutôt sur la base d'affinités ethniques. Nous avons pu relever la pré­sence de trois clubs de ce type à Issia: "Los Capitoles" dont les membres étaient en majorité d'origine dioula, "Bensico" et "Santos" dont les membres étaient tous dioula, rarement lettrés et jamais fonctionnaires. La composition de Benslco est la sui­vante: le président est chauffeur, le vice-président également, le secrétaire général est transporteur, le trésorier aussi, le commissaire aux comptes et son adjoint sont chauffeurs, l'ambas­sadeur est transporteur, le rédacteur tailleur, les trois con­seillers techniques sont respectivement planteur, transporteur, acheteur de produits. Tous sont dioula, c'est-à-dire malinké.

. A Fericéssédougou, nous avons noté également la présence de plusieurs associations de même nature, avec en plus des groupes de type mutuelle, composés uniquement de jeunes agriculteurs. Les membres de ces dernières organisations versent des cotisa­tions dans le but d'améliorer leurs propres activités producti1-ves. Ainsi, l'un de ces groupements avait déjà acheté una ma­chine agricole.Celui dont nous avons observé le fonctionnement se fixait un objectif de même nature: l'achat d'une sardeuse. Les membres de l'association ont prévu, dans ce but, de culti­ver tous ensemble un champ dont le montant de la récolte sera versé dans une caisse commune. Ce typé d'activité est relative­ment exceptionnel. La plupart des associations de jeunes s'or­ganisent autour du modèle du club de loisirs. Nous avons pour­tant rencontré une nouvelle fois une association de jeunes adul­tes lors de notre second passage à Issia. Il s'agissait là, en 1'occurence d'une association coopérative formée pour mettre en valeur un bas-fond marécageux en y pratiquant la culture du riz irrigué qui est d'introduction récente dans la région. Le comportement de ces jeunes agriculteurs est d'autant plus re­marquable que les Bété ont la réputation d'être individualistes.

(1) On entend par "civil", en Côte d'Ivoire toute personne dont la profession n'est pas rémunérée par l'administration.

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2/ Les associations de collégiens et d'étudiants en vacances

U existe deux associations d'élèves et d'étudiants au ni­veau des deux sous-préfectures visitées en 19691 à Issia l'Ami­cale des élèves et étudiants d'Issia, à Ferkéssédougou l'Asso­ciation des élèves enseignants et étudiants de Ferkéssédougou (A.E.E.E.F.). A Sakasso, un tel regroupement ne s'était pas en­core opéré en 1970 (il l'avait été autrefois). Certains de nos informateurs, élèves des classes terminales du secondaire, s'en préoccupaient.

Les deux associations sus-mentionnées jouent le rôle de fédération à l'égard des différents clubs ou associations qui apparaissent à un niveau géographiquement plus limité et qui sont souvent mieux structurées que l'association générale: c'est le cas des associations qui apparaissent au niveau des gros villages dans la région d'Issia et à celui des quartiers à Ferkéssédougou. Dans cette ville, les jeunes enseignants qui étaient en rivalité avec les élèves en vacances ont été appe­lés â se joindre à eux au sein de la même association. Les associations des deux villes ont vocation d'unir tous les élè­ves du secondaire et tous les étudiants des deux sous-préfec­tures. Ce rôle même de fédération, de super-club, contribue comme on le verra plus loin à fragiliser les associations de collégiens.

3/ Les clubs de jeunes

Plus fluctuants, moins formalisés, ils ont également une activité plus circonscrite. Ils correspondent à peu près aux "groupes d'amitié" qu'il est possible d'observer à Abidjan. Ces clubs peuvent regrouper (l) à la fois des élèves, des gar­çons qui ne vont plus à l'école ou au collège et des garçons qui n»ont jamais été scolarisés.

Malgré leur fluidité, ces clubs témoignent cependant de la vitalité des groupes de jeunes, en particulier de ceux des élèves en vacances. Ce sont eux qui animaient surtout la vie des deux sous-préfectures quand nous y sommas repassés pendant

(l) C'est le cas à Ferkéssédougou d'une part, et en milieu dioula à Issia d'autre part.

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les vacances scolaires 1970. A Ferkéssédougou, tous les Jeunes, quelque soit leur âge ou leur degré de scolarisation, partici­pent à ce genre de clubs. Mais ils se regroupent alors par affi­nités basées à la fois sur des critères d'âge et d'égalité de­vant l'école (même niveau de scolarisation). Dans certains cas, c'est un critère d'ordre social qui est retenu, ainsi que nous le verrons» A Issia¿ ce genre de clubs concerne surtout, d'une part, des jeunes élèves du secondaire jusqu'à la troisième et les enfants terminant leurs études primaires, d'autre part, des jeunes civils de la région d'origine dioula pour la plupart«

SECTION II - BUTS ET STRUCTURES DES ASSOCIATIONS VOLONTAIRES

Les titres dont se parent les clubs de jeunes ont souvent une signification en eux-mêmes. Ils puissent leurs origines dans l'imaginaire quotidien (presse, cinéma, bandes dessinées) dont s'alimentent les membres des groupes qui nous concernent. La simple enumeration de ces noms est très évocatrice: A Issia, les Busnessman, les Idoles, les Redoutables Voyous, les Surfs, le Club Johnny Hallyday, les Kings, les Jamaïcains, les Princes, laa Palmas, Sept Gars pour Singapour. A Ferkéssédougou, les Rolling-Stones, les New Stars, les Rythmes and Blues par exem­ple. Les buts des clubs peuvent cependant varier d'un groupe à l'autre.

1/ Les buts

a) - Les associations de fonctionnaires et de civils se proposent plusieurs objectifs;

Sur le plan interne, assurer la cohésion, la bonne en­tente et la solidarité des membres de l'association. A cela s'ajoutent l'établissement de rapports privilégiés entre les membres du club, le développement d'un système de relations co­hérentes à l'intérieur duquel chaque membre se sent en sécurité.

Sur le plan externe, le club se propose de conquérir l'estime et même l'admiration, grâce à l'organisation de soirées dansantes où sont invitées des personnes favorables au club, des amis, des notables. Si la soirée est réussie, elle assurera la ré­putation de 1'association. Les buts principaux des clubs d'Issia

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et de Ferkéssédougou se conformaient à ce schéma. Pour atteindre cette notoriété, il est bon d'entretenir des rapports harmonieux avec les autres clubs dont les membres, plus encore que les au­tres personnes invitées, doivent être impresionnês par la réussite des soirées organisées par le club. A titre d'exemple, le club des jeunes fonctionnaires d'Issia se propose les buts suivants (l):

Io) regrouper tous les jeunes de tous les sexes sans aucune distinction de groupe ethnique ou de religion;

2") maintenir les liens de camaraderie existant entre les membres du club et tous ceux qui s'y intéressent;

3°) assurer l'égalité entre tous les membres actifs et une règle rigoureuse et imperative à l'intérieur du club;

I4.0) échanger des idées culturelles avec d'autres clubsj

5°) distraire et animer la sous-préfecture en établissant la solidarité et la fraternité entre tous les jeunes par des manifestations sportives (et également des soirées dansantes, ainsi que ce fut le cas, ajoutons-nous ).

b) - Les associations d'élèves en vacances proposent d'abord les mêmes objectifs que les associations de jeunes adultes. En même temps elles fixent à leurs membres des actions d'ordre plus général et ambitieux qui témoignent de leur désir d'agir sur le milieu social dont ils sont issus. Ainsi l'amicale des élèves et étudiants d'Issia énonce â l'article 2 de ses statuts, les buts suivants (l):

Io) aider à l'alphabétisation des paysans, à la vulgarisa­tion des techniques agricoles;

2°) organiser des manifestations sportives et culturellesj

3°) permettre à tous les élèves et étudiants de la sous-préfecture de s'entraider sur les plans matériel, moral et intellectuel;

(1) Citation du texte.

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U°) favoriser l'établissement de bons rapports entre ses membres d'une part, entre ceux-ci et leurs parents d'autre partj

5°) créer une atmosphère favorable qui permette à l'élève ou à l'étudiant de passer des vacances dans sa famille«

L'A.E.E.E.F. de Ferkéssédougour propose dans le préambule de ses statuts de "resserrer les liens de camaraderie, entre les membres. Organiser des activités utiles aux membres et à la popu­lation". Les rédacteurs des statuts poursuivent en énonçant dans le titre III ("Activités") les buts de l'association ainsi qu'ils sont reproduits ici:

Art. 28: L'association organise des activités culturelles et sociales dont peuvent bénéficier les membres et les non-membres.

Art. 29: Ces activités comprennent notamment des cours d'alphabétisation destinés à la population, des cours de vacances à l'intention de ses membres et des écoliers, des excursions, des soirées récréatives, des conférences, exposés ou causeries, des projections de films, des représentations culturelles et artistiques, des manifestations sportives, etc...

Art. 30: Pour maintenir les liens d'amitié existant antre les membres, une journée de l'A.E.E.E.F. est organisée le 20 juillet, jour aniversaire de la constitution de l'association.

c) - Les clubs de jeunes possèdent très rarement des statuts écrits. Ils sont uniquement centrés sur les activités de loisirs qui occupent la période de vacances et très précisément sur l'or­ganisation des "sorties" ou "boums" qui sont les deux termes dé­signant le plus fréquemment les soirées dansantes. Pour le reste, les membres de ces clubs parlent de l'amitié renforcée qui naît de leur participation à des activités communes et de la soumission à de mêmes règles.

2/ Structures des clubs

Les associations qui possèdent des statuts écrits présentent une organisation plus facilement discernable et plus complexe que

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celle des clubs de jeunes du style "groupe d'amitié". Les asso­ciations de ce premier type, en particulier les deux grandes associations d'Issia et de Ferkéssédougou, se conforment alors à l'organisation des associations préexistantes d'Abidjan dont elles empruntent les statuts pour l'essentiel. Elles ont à leur t§te un président, celui-ci est assisté d'un bureau qui compor­te généralement un vice-président, un secrétaire général, un secrétaire général adjoint, un trésorier, un commissaire aux comptes; l'ensemble des membres du club se réunit en assemblée générale. Dans les associations de jeunes fonctionnaires et de jeunes civils, nous notons une tendance assez marquée à la mul­tiplication des postes du bureau, de façon à ce que le plus grand nombre possible de membres soit investi d'une part de responsabilité•

La variante à cette première formule tient à ce que de nom­breuses associations ne possèdent pas de statuts écrits et pré­sentent une structure beaucoup plus souple. C'est le cas de la plupart des clubs de jeunes qui regroupent un plus petit nombre d'adhérents, (rarement plus de quinze par club). Là aussi, pres­que tous les membres se retrouvent investis d'un titre et d'une responsabilité. L'absence d'une organisation lourde n'est ce­pendant pas synonyme de manque de vitalité car bien souvent, ainsi que nous allons le noter, ce sont ces clubs de jeunes qui déploient le plus d'activité, qui se réunissent le plus fréquem­ment. Le petit nombre d'adhérents et la limitation de leurs buts (clubs de loisirs), leur assurent plus d'efficacité dans leur fonctionnement.

SECTION III - FONCTIONNEMENT DES ASSOCIATIONS; PRECARITE ET VITALITE DES CLUBS

Nous exposerons d'abord le fonctionnement normal des clubs à partir des observations recueillies pendant la première mis­sion pour passer ensuite aux causes de disfonctionnement et de blocage que nous avons surtout enregistrées lors de notre deu­xième passage.

1/ Le fonctionnement normal

a) - Les clubs de jeunes adultes: nous en rendons compte à partir de l'exemple du club Bensico d'Issia que nous avons pu observer à travers quelques réunions en 1969. C'est un club qui

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marchait bien parce qu'il s'était imposé des règles rigoureuses de fonctionnement. En particulier, le bureau procédait chaque se­maine à la collecte des cotisations le vendredi soir; le club se réunissait également le lundi soir. Cette seconde réunion était plus spécialement consacrée à la vie du club et aux questions que posaient les membres (l). Les retards et les absences étaient pé­nalisés financièrement. Les débats se déroulaient dans un ordre et un sérieux que nous avons pu éprouver. Le club jouissait d'une très bonne réputation, en particulier grâce à sa dernière "sortie" (soi­rée dansante) du mois d'août 1969 qui fut un grand succès (2). Le club était considéré comme le plus sérieux d'Issia. Les membres du bureau évitaient de recruter des personnalités contestables et ba­garreuses. Bensico nous est apparu beaucoup plus hiérarchisé que les clubs de jeunes fonctionnaires. Il était assez proche du modèle offert par la société traditionnelle malinké dont tous ses membres étaient issus. Les amendes réclamées à ceux qui enfreignaient les règles du club étaient effectivement perçues. La solidarité qui régnait entre les membres du club à l'occasion des réunions se pro­longeait dans la vie courante. Le club intervenait d'abord pour ré­gler les querelles qui pouvaient naître entre ses adhérents.

Ensuite, lorsqu'un membre du club entrait en conflit avec sa famille, les membres du bureau essayaient de s'interposer pour apla­nir le différend. Enfin, lorsqu'un membre du club était en diffi­culté dans la rue, ses camarades rencontrés pouvaient lui venir en aide. Si le garçon était reconnu dans son tort par ses amis, ceux-ci essayaient néanmoins de composer et de le faire pardonner par son adversaire. Ainsi, en septembre 1969, le bureau avait évité qu'une plainte soit déposée contre l'un des membres du club.

b) - Les clubs d'élèves se heurtent dans leur fonctionnement à de très nombreuses difficultés, d'abord et surtout dans le recou­vrement des cotisations. Ils sont ensuite victimes de l'absentéisme pratiqué par leurs adhérents. Ainsi, lors des deux réunions de tra­vail de l'amicale des élèves et étudiants d'Issia que nous avons pu observer en 1969, une trentaine de personnes seulement étaient pré­sentes chaque fois. Les participants étaient cependant très atten­tifs. Ils respectaient soigneusement les règles de procédure. Un point de la seconde réunion retint notre attentions si tous les élèves en

(1) Les clubs les plus actifs adoptent ce rythme de deux réunions par semaine.

(2) Notre observation se situe en septembre et octobre 1969.

a

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vacances pouvaient faire partie de l'association, quelles que soient leurs origines ethniques, seuls les Bété originaires de la région d'Issia accédaient réellement à des responsabilités au sein du bureau et participaient activement au débat. Cette année-là, les relations demeurèrent cependant très ouvertes malgré ces restrictions et les participants doués de fortes per­sonnalités s'affirmèrent très vite comme des leaders au cours des discussions. Ce fut le cas de deux élèves du secondaire et d'un étudiant. Ce dernier bénéficiait de surcroît du statut privilé­gié attaché à la condition d'étudiant. Les difficultés de fonction­nement relevées à l'époque étaient nées des activités extérieures de l'association. Ainsi, les élèves de la région d'Issia se sont heurtés au cours des vacances 1968 à l'opposition des adultes dans leurs tentatives de lancement d'un cours de vacancest les parents ont exigé a ce moment-là la présence des enfants sur les plantations, refusant l'aide des collégiens, sous pretexte que les élèves de l'enseignement primaire étaient indispensables à la récolte du riz. Ils auraient craint, aux dires de nos infor­mateurs, que les collégiens n'utilisent ces cours de vacances comme alibi afin de mieux courtiser les jeunes filles demeurées au village. Ce fait souligne incidemment l'hostilité des parents à l'égard des initiatives des jeunes qui tendent à trop bouscu­ler l'ordre établi.Pendant les vacances 1969, les élèves d'Issia furent donc réduits à organiser uniquement des manifestations de prestige. Ainsi, à l'issue de la seconde réunion observée, il fut prévu d'organiser d'abord un match de foot-ball contre une équipe villageoise, ensuite une soirée dansante après le match. Les deux manifestations avaient nettement pour but de permettre aux élèves du secondaire d'affirmer leur autonomie en tant que groupe.

Si l'organisation formelle de l'association est trop lourde pour aboutir à un fonctionnement satisfaisant et la limite à des activités symboliques, son existence permet cependant à un noyau de garçons plus dynamiques et animés par des liens d'amitié de se manifester.

Ce sont ces mêmes garçons qui organisent les matchs, les réu­nions, les soirées dansantes. Enfin, l'association fédère (et c'est là, peut-être sa fonction principale) les clubs d'élèves en vacan­ces qui existent dans chaque village important, (à Korèkipra et à Saloua para exemple pour 1969)»

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Ces associations d'élèves au niveau des gros villages exis­tent également de façon paradoxale (1) dans la région de Sakasso. A la différence des fédérations d'élèves au niveau des sous-pré­fectures, ces associations se définissent des buts plus circons- , crits et exercent en fait uniquement des activités de loisirs.

A Ferkéssédougou, les problèmes se posent en termes quelque peu différents. L'A.E.E.E.F. n'a que des activités sporadiques pour deux raisons principales:

D'abord les difficultés beaucoup plus grandes de com­munications auxquelles se heurtent élèves et étudiants résidant dans des villages pour se rendre à Ferkéssédougou.

Ensuite l'existence d'un très grand nombre de clubs de vacances plus ou moins organisés, à Ferkéssédougou même et qui concernent aussi, à la différence de ceux d'Issia, les grands élèves des classes terminales. Ces clubs se chargent des loisirs de leurs membres de sorte que les dirigeants de l'association n'ont plus beaucoup de suc­cès lorsqu'ils organisent des soirées dansantes. Ils se contentent alors de faire chaque année un bal anniver­saire à la date de la création de l'association.

Par contre, l'A.E.E.E.F., grâce à un membre de son bureau qui fut l'un de nos plus fidèles et plus compétents informateurs, orga­nise des soirées culturelles. Il y en eût une en 1969 et une seconde en 1970. En 1969, ce fut une pièce de théâtre "La dot" qui fut pré­sentée au public de Ferkéssédougou. Son contenu didactique visant à concilier modernisme et tradition mérite d'être mentionné: un père veut marier sa fille contre la volonté de celle-ci à un riche com­merçant qui lui paiera une forte dot. La jeune fille désire épouser un instituteur. Après l'intervention de plusieurs lettrés, c'est le jeune prétendant, favori de la fille, qui triomphera mais il accep­tera de payer lui aussi le montant de la dot. La représentation attira beaucoup de monde et contribua i assurer la renommée de l'as­sociation. Au cours des vacances 1968, l'association avait organisé la visite d'un camp du service civique installé sur la route de Kho-rogo. Trente personnes avaient participé â cette sortie. Le prési­dent nous avait confié qu'il projetait d'organiser pour 1970 un cours de vacances et d'alphabétisation au niveau de l'enseignement primaire avec le concours du bureau de l'association et celui des autorités locales.

(l) Puisque la sous-préfecture en est dépourvue.

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En fait, ce programme ne fut pas respecté en 1970 comme nous allons le voir, bien que l'A.E.E.E.F. demeure une des associations les plus vivaces parmi celles que nous avons observées*

c) - Les clubs de .jeunes animent en permanence la vie de la petite ville ou du gros village pendant la période de vacances. Il n'y a guère de semaine où l'un ou l'autre d'entre eux, sinon plu­sieurs à la fois, n'organise des "boums". Ceux-ci ont lieu chez un particulier dans la majorité des cas. Il arrive également que les organisations obtiennent l'autorisation d'utiliser un local publicj ainsi l'ancien Centre Culturel désaffecté, à Issia, servait parfois à cet usage. Etroitement cantonnés dans des activités de loisirs, tombant en sommeil pendant l'année scolaire et retrouvant leurs acti­vités pendant les périodes de vacances, dotés d'une grande souplesse d'organisation, ces clubs sont ceux qui se régénèrent le plus vite et qui ont le moins de difficultés à fonctionner.

2/ La précarité

Il est difficile de rendre compte en un seul passage du fonctionnement effectif d'une association volontaire. Ainsi, une bonne part des associations que nous avions trouvées florissantes en 1969 se sont révélées très menacées dans leur existence même l'année suivante lors de notre retour. Nous fûmes ainsi surpris de constater la disparition, ou du moins la mise en sourdine, de certaines d'entre elles qui paraissaient parmi les plus solides.

Ce fut le cas par exemple de Bensico, le club de jeunes adul­tes dioula d'Issia. Nous avons cherché, dès notre retour, à re­nouer contact avec son président. Lorsque nous avons retrouvé celui-ci, il nous a expliqué avec une certaine gêne que son club n'exis­tait plus. Il nous donna comme raison principale une explication assez vague basée sur la mauvaise volonté de la plupart des membres. Nous verrons plus loin quelles nous semblent être les causes vérita­bles de cette dissolution. A Sakasso, la saule organisation qui fonc­tionnait parmi les élèves du second degré en 1969, les "Princes Noirs", n'a pas repris ses activités en 1970. Les deux associations de jeunes fonctionnaires que nous avions observées à Issia et à Ferkéssédougou ont vu les leurs se restreindre de façon considérable de septembre 1969 à juillet 1970, alors que celles-ci étaient nom­breuses l'année précédente, les gestions saines et les rentrées d'argent (cotisations ou bénéfices des soirées dansantes) régulières.

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A notre retour nous notons une diminution du nombre des réu­nions, de celui des "sorties" et de celui des membres affiliés, une mise en question de l'organisation du club. Alors qu'en août I969 les "Hippies" de Ferkéssédougou nous étaient apparus comme un club bien structuré, la situation au milieu de 1970 se présente de la façon suivante: le club n'a plus d'argent, les cotisations sont très mal rentrées depuis un an malgré la réduc­tion du taux mensuel de 1.000 F. à 500 F. Malgré cela, les re­tards se sont accumulés. Lors de ses deux premières années d'existence, le club avait organisé quinze "sorties" par anj cette dernière année leur nombre est tombé à quatre.

Enfin, le club s'est dégonflé de ses effectifs\ sur les quinze membres du début, il n'en demeure plus que six. Notre informateur, membre de l'ancien bureau, conclut que le club n'existe quasiment plus et qu'il va falloir le réorganiser sur des bases nouvelles.

Les deux grandes associations d'élèves d'issia et de Fer­késsédougou enregistrent elles aussi des passages à vide dans leur fonctionnement. A Issia, les vacances avaient pourtant bien débuté par une réunion qui avait bénéficié de la publici­té de Fraternité-Matin. Le quotidien abidjarmais en avait en effet donné le compte-rendu dans sa page consacrée au centre-ouest. Mais de nombreuses absences d'élèves concernés par l'association avaient été remarquées dès la tenue de cette première réunion. Ensuite le flottement de l'année précédente où l'association avait pu néanmoins Accomplir plusieurs tâ­ches (1) devait se trouver confirmé par l'impossibilité dans laquelle se trouvèrent les organisateurs d'organiser quoi que ce soit pour la suite des vacances. A Ferkéssédougou l'affaiblis­sement du club fut beaucoup moins prononcé. Il y eut d'abord des réalisations que ne connut pas celui d'issia. Ainsi, pour la célébration de son anniversaire, l'A.E.E.E.F. organisa une grande soirée récréative et dansante qui, aux dires de nombreu­ses personnes interrogées, fut très réussie. Une autre soirée devait être organisée par la suite. Une pièce était en cours de répétition. En fait, elle ne fut pas jouée car les acteurs ne répétèrent pas assez souvent. Aussi les organisateurs man­quèrent-ils de temps pour arriver à la représentation finale qui fut annulée.

(l) Nombreuses réunions, plusieurs matchs, des bals, e t c .

6*

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La précarité que nous venons de noter dans le fonctionne­ment des associations présente moins d'inconvénients pour les élèves et étudiants que pour les jeunes "civils" ou les jeunes fonctionnaires. Pour les premiers, l'association ne constitue qu'un moment privilégié des vacances. A la fin de celles-ci le club cesse d'exister. Il revivra aux vacances suivantes. Les membres des clubs qui poursuivent leur scolarité ailleurs ont souvent l'occasion, de surcroît, de participer à d'autres asso­ciations dans la ville qui les accueille. Pour les seconds, l'existence de leur club est au contraire beaucoup plus impor­tante. Leur participation â ses activités est pour eux l'occa­sion de se différencier du reste de la population (par exemple les non-fonctionnaires, les vieux...). La disparition et même le ralentissement des activités du club les plongent dans un certain désarroi car ils ne trouvent guère en dehors de ces réunions et de ces "sorties" l'occasion de manifester leur iden­tité partagée.

3/ Causes de cette précarité

Elles sont multiples et varient d'un type de club à l'autre.

Les premières tiennent à l'instabilité résidentielle des membres des clubs» Les élèves reviennent peu souvent dans leur ville natale pendant l'année scolaire. Entre deux périodes de vacances, les liens se distendent parfois.

Pour les jeunes fonctionnaires, les changements d'affecta­tion sont une des causes principales de la faiblesse des asso­ciations. Ainsi, les deux clubs témoins d'Issia et de Ferkéssé-dougou se sont-ils vidés de la moitié de leurs membres à la suite de leur départ dans une autre ville de résidence. C'est ce qui est arrivé à une demi-douzaine de membres du club des "Hippies" à erkéssédougou parmi lesquels le président du club. Les statuts de ce club prévoyaient l'organisation d'une soirée de départ à chaque changement d'affectation d'un membre du club. Au bout de trois soirées, les ressources du club furent anéan­ties d'autant plus que la situation financière était déjà mau­vaise et l'on dût surseoir aux dernières fêtes prévues.

Nous touchons là une autre cause de la précarité des asso­ciations de jeunes qui tient au manque de moyens financiers. Ce problème est commun à toutes les associations volontaires ren-

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contrées en Côte d'Ivoire. Il revêt cependant une particulière acuité avec les associations de jeunes, compte-tenu de leurs très faibles ressources. Certains clubs bénéficient cependant d'appuis extérieurs qui prennent la forme de dons monétaires effectués par des notables de la petite ville (vieux fonction­naires ou bien encore commerçants). Il n'en demeure pas moins que c'est le "mal financier" qui fait périr la plupart des clubs. On assiste alors toujours à peu près au même processus: les co­tisations rentrent plus difficilement, les retards s'accumulent, ceux qui s'acquittent régulièrement de leur cotisation sont dé­couragés par l'absence de sanctions frappant les retardataires et bientôt ne paient plus à leur tour, puis le club cesse ses activités une fois sa trésorerie épuisée. Le processus peut être compliqué et accéléré si l'un des dirigeants du club opère des détournements de fonds.

Une autre cause d'éclatement des clubs tient aux conflits d1autorité dont ils sont parfois le siège. Certains dirigeants, les présidents en particulier, veulent user de leurs prérogati­ves pour imposer un pouvoir jugé trop lourd. Ils sont très vite contestés dans leurs prétentions par leurs administrés. C'est ainsi que les antagonismes entre le président trop autoritaire (l) et les membres du club déviennent plus fréquents jusqu'à finir par paralyser complètement le déroulement des séances. C'est ce qui s'est passé pour le club dioula de Bensico à Issia ainsi que nous l'a révélé un de nos informateurs. Celui-ci nous a tout juste confié qu'il y avait eu des conflits entre le pré­sident et les membres aans donner d'explications plus précises. Nous avions pu observer l'année précédente le caractère autori­taire de la gestion du club. L'ancien président bénéficiait d'ailleurs dans son action du respect pour la hiérarchie imposé à tous les jeunes au sein de la société dioula des petites villes. Nous pensons, ainsi que des informations complémentaires nous l'ont souligné, que cette assimilation du président, désirée par lui-même au surplus, aux "anciens" de la grande famille malinké traditionnelle provoqua par la suite des critiques à son égard. Les jeunes membres du club transférèrent leur refus latent de l'autorité des anciens en une réprobation explicite, parce que sans gravité pour eux (2), de leur président considéré comme un ancien.

(1) Par exemple choix discrétionnaire de ceux qui l'accompagnent dans une soirée pour laquelle il a reçu une invitation.

(2) A la différence de ce qui peut advenir de la révolte d'un jeune dans le cadre familial.

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Ce sont oes mêmes conflits d'autorité qui opposent cette fois non plus des Individus à un groupe mais des sous-groupes entre eux au sein des associations qui fédèrent les élèves du secondaire et les étudiants! antagonisme entre élèves des petites classes (6èae, Sème, Uène) et ceux des classes terminales, entre ceux-ci et leb étudiants et parfois, bien que plus rarement, entre élèves de termi­nales et jeunes enseignants. Ces conflits recoupent des problèmes plus spécifiques des associations d'élèves et d'étudiants*

k/ Problèmes spécifiques des fédérations régionales d'élèves et d'étudiants

Le caractère principal de ces fédérations est leur hétérogé­néité car elles regroupent des jeunes qui trouvent entre eux des affinités encore plus précises au niveau de sous-groupes. Elles sont alors animées de nombreuses forces centrifuges dont on peut énuaérer quelques-unest au nord, par exemple, l'activité de l'A.E.E.E.F. qui regroupe sur une base très large élèves, étudiants et enseignants est efficacement concurrencée par celle des clubs de vacances, aux effectifs plus restreints. Ces clubs presen«ett alors l'avantage de correspondre à des réseaux d'affinités plus précises» Ainsi les dirigeants de l'A.E.E.E.F. doivent-ils tenir compte pour leurs propres activités de celles organisées par les autres clubs dans les rangs desquels se retrouvent la plupart des membres de l'association principale*

Ailleurs, ce sont les antagonismes ethniques qui contrarient la bonne marche de l'association. A Sakasso, ils semblent même à 1*origine de l'impossibilité de former un club d'élèves à l'échelle de la sous-préfecture* A Issia, sans être aussi marqués, ils exis­tent suffisamment cependant pour être reparables. Ainsi les jeunes Bété acceptent-ils des fils d'étrangers, mais ils ne leur confient aucune responsabilité dans le club* Cette méfiance se compliquait lors des dernières vacances par des conflits surgis entre étudiants et élèves des classes terminales; certains de ceux-ci en arrivaient même à envisager la formation de leur propre association*

Malgré leurs difficultés de fonctionnement, les clubs remplis­sent un rôle important dans la vie quotidienne des jeunes en va­cances* A Issia et à Ferkéssédougou, la multiplicité des clubs, les efforts déployés par leurs membres pour les faire connaître,

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compensent largement leur précarité de fonctionnement. Rien qu» à Issia, nous avons noté entre le premier et le. second pas­sage la création d'une demi-douzaine de nouveaux clubs. Il s'agit de clubs de jeunes élèves appartenant aux petites clas­ses de Uème, 5ème et 6ème et de clubs de jeunes civils âgés de moins de 20 ans.

Les nouveaux clubs, au moment de leur première sortie, essaient de frapper l'opinion locale, en particulier celle de la population de jeunes, par le faste de leur réception.

Ils arrivent parfois à dépenser des sommes importantes, compte-tenu de la faiblesse de leurs moyens, engloutissant souvent la mise de fonds initiale qui a permis le démarrage du club. Les "Princes", club de jeunes d'Issia qui comprend sept membres, ont fait trois sorties: chacune d'entre elles a coûté entre 3.000 et £.000 Frs. Il y a eu chaque fois une cinquantaine d'invités. La dernière réception des "Surfs" d'Issia a rassemblé cinquante participants (2U garçons et 26 filles). Elle a coûté 3.500 F. qui correspondent aux achats suivants: k caisses de "Tip Top" (l), deux bouteilles de si­rops, six paquets de macaroni, des petits pois, trois kilos de viande, des paquets de cigarettes, des biscuits. A Ferkéssé-dougou, les "Rythm and Blues" ont dépensé 19.000 F. ce qui est une somme importante. Il faut dire qu'il y avait près de 150 personnes parmi lesquelles les membres des autres clubs, les chefs de service des administrations de Ferkéssédougou, les amis personnels des membres et des invités en provenance d'autres villes. Cette volonté de se faire remarquer par la prodigalité de la réception fait partie de la stratégie que suivent les clubs dans leurs rapports entre eux et avec la société de la petite ville.

SECTION IV - LES RAPPORTS ENTRE CLUBS ET LES RAPPORTS ENTiE GROUPES

Nous savons que les grands moments des clubs de vacances sont constitués par les "sorties" qui donnent l'occasion aux organisateurs de manifester l'unité et la force de leur asso­ciation. Si la réunion est réussie, le club en tirera un pres­tige qui rejaillira automatiquement sur ses membres. C'est la

(l) Une marque de soda.

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raison pour laquelle ceux-ci accordent tant d'importance et de soins à la préparation de ces festivités. Cette préparation absorbe la majeure partie des activités du club au cours des réunions qui précèdent la ou les sorties. On fixe alors le nombre des invités. Parmi ceux-ci figurent les délégations offi­cielles des autres clubs. On invite en général de trois à cinq membres par club, le plus souvent trois. Les présidents vien­nent d*officeÎ ils se font accompagner à tour de rôle par les autres membres du club. Les autres participants à la réunion sont soit des notables de la petite ville, soit des amis des adhérents du club, invités à raison de une ou deux personnes par membre. Au cours des journées qui précèdent les festivités l'établissement de la liste des personnes à inviter prête à de longues discussions, en particulier lorsqu'il s'agit de choisir les autres clubs invités officiellement. S'il est de règle d'inviter tous les présidents, ce principe peut être transgressé au cas où le club invitant entretient des rapports hostiles avec telle ou telle organisation concurrente. Ces soirées qui permettent d'inviter ou au contraire d'exclure un club rival sont justement 1'occasion de signifier clairement la nature favorable ou hostile des rapports que l'association entretient avec les autres associations de la ville.

1/ Rivalités et alliances

La réussite de la soirée, donc l'augmentation du renom du club, se mesure à son déroulement] aussi les hôtes tien­nent-ils â ce que leurs invités soient satisfaits et veillent-ils à leur bien-être, de bout en bout des festivités. Les arrivants sont placés au fur et à mesure de leur arrivée à des tables disposées autour de la piste de danse. Le bal ne commencera que plus tard, généralement après un bref discours de bienvenue prononcé par l'un des dirigeants du club invitant. On sert par la suite à l'assemblée des boissons et bien sou­vent un repas. Le club est mobilisé dans son ensemble car il faut éviter les incidents qui seraient de nature à gâcher la soirée : récriminations d'un laissé pour compte et aussi par­fois volonté de sabotage émanant d'un membre d'un club con­current. La compétition entre clubs de jeunes peut en effet mal tourner, bien qu'elle se cantonne le plus souvent dans une simple rivalité contrebalancée par des alliances«

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La plupart des critiques émises à l'égard des autres clubs entrent dans un jeu qui du fait même qu' il est vécu et partagé comme tel établit plus une solidarité et une communication entre les différents clubs que de véritables conflits. On critique for­mellement l'organisation de la soirée, les prétentions du club invitant ou encore le nom même du club. Il arrive parfois qu'en­tre clubs voisins et amis on s'espionne pour essayer de dérober le secret de la prochaine sortie du concurrent. Ainsi un de nos informateurs nous rapporte que lors d'une réunion de son club, lui et les siens avaient surpris à la porte du local qu'ils occu­paient deux membres d'un club rival en train d'écouter lettrs pro­pos: l'incident se régla sans drame et l'on se contenta de deman­der au club fautif de ne plus envoyer des "espions" dans le quar­tier lors des séances des "Busnesmen" (l).

2/ Antagonismes

Les faits qui précèdent concernent plus une lutte amicale pour le plus grand prestige que de véritables conflits. Ceux-ci surgissent parfois dans d'autres circonstances, celles par exem­ple où un club décide de ne pas en inviter un autre. Il faut alors y voir la traduction de conflits plus profonds qui scindent la population des jeunes en groupes opposés. Ainsi les clubs ou les simples groupes de "civils" refusent-ils souvent d'inviter les clubs d'élèves; ceux-ci ne leur rendent pas forcement la pa­reille. Les antagonismes peuvent également revêtir une base ethni­que; à Issia, par exemple, entre Dloula et Bété.

Qu'il s'agisse de conflit entre lettrés et illettrés ou en­tre garçons d'ethnies différentes, les raisons évoquées sont tou­jours les mêmes; d'abord des motifs généraux: "Ils ne respectent pas les règles....", ensuite des raisons circonstanciées: "Ils se sont mal tenus à notre dernière invitation".

Les membres d'un des clubs d'Issia (2) sont aussi accusés d'être des accapareurs de filles. Quel que soit le fondement réel des faits allégués, ces antagonismes semblent signifier un refus des statuts actuels. Les illettrés, ainsi que les jeunes "civils", n'acceptent pas de se laisser dominer par les élèves du secondaire. En cas d'antagonismes ethniques, aucun des clubs en présence ne veut céder le pas à l'autre. La situation

(%) Nom du club.

(2) Il s'agit des "Redoutables voyous", groupe composé uniquement de jeunes Bété.

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est alors beaucoup plus claire que lorsque élèves d'une part et illettrés et civils d'autre part s'opposent, car les premiers bénéficient toujours en dernier ressort d'une prééminence de fait. Les clivages ethniques interfèrent largement dans les pe­tites villes avec la stratification sociale moderne, sans ce­pendant s'y superposer tout à fait. Précisons enfin que les an­tagonismes ethniques dégénèrent rarement en conflit violent (échanges d'insultes graves et bagarres généralisées) comme par­fois entre élèves et "civils", mais l'on observe, l'on s'épie, l'on se craint et l'on ne se promène pas ensemble.

3/ Les groupes de jeunes et les associations

La position des groupes de jeunes par rapport aux associa­tions volontaires reflète chacune des situations.

a) - Les élèves du secondaire sont toujours les plus actifs. Ils consacrent la plus grande partie de leurs vacances à une vie de relations intenses. Il paraît donc normal que ce soit eux qui participent le plus activement aux associations volontaires. Les manifestations auxquelles donnent lieu les activités de leur club (soirées dansantes, soirées théâtrales, matchs) leur permettent de se différencier de leur milieu de vacances qui est bien souvent leur milieu d'origine. Ils expriment en même temps leur fidélité à ce milieu par des projets de développement culturel de la région qu'ils émettent afin de consolider leur prestige auprès des mi­lieux adultes.

b) - Les enfants du primaire; Nous pensions à l'issue de notre premier séjour qu'ils étaient trop jeunes pour constituer des clubs autonomes. Et il était de fait d'ailleurs qu'ils se re­groupaient dans ce but sous l'impulsion des élèves du secondaire, dans le cadre par exemple des tournois de foot-ball. A Issia par exemple, nous avons vu les primairiens de chaque quartier former leurs équipes et leurs clubs sous l'égide des collégiens. Nous avons cependant remarqué en 1970 qu'il existait des clubs de va­cances créés par et pour les élèves du primaire, clubs comptant parfois dans leurs rangs quelques collégiens des petites classes de 6ème ou ï>ème.

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c) - Les déscolarisés sont d'une façon générale exclus des associations de civils ou d'élèves, dans la mesure où l'activité de ces groupements implique une participation financière qu'ils ne peuvent pas assumer. Ils arrivent parfois à organiser leur propre groupement ainsi qu'en témoignait la troupe de théâtre amateur d'Issia, qui connut d'ailleurs une existence éphémère. On retrouve aussi quelques déscolarisés amalgamés aux associa­tions de "civils" à Ferkéssédougou et à Issia. Il leur arrive parfois d'être invités à titre individuel aux manifestations des différentes associations, mais ceci n'est pas sans créer des tensions; aussi les contacts demeurent toujours limités. Le plus souvent, les déscolarisés sont exclus et c'est ce sen­timent d'exclusion à l'égard de la forme d'intégration sociale que constituent les associations volontaires qui prédomine dans leurs rangs. On les perçoit en même temps très disponibles pour toute tentative qui tendrait à les regrouper dans le but de leur permettre de dépasser la situation actuelle.

Il convient en conclusion de ce chapitre de resituer les associations de jeunes dans le contexte de la ville et de la région»

Au niveau d'une comparaison régionale, les jeunes de Ferkéssédougou sont beaucoup plus portés à s'organiser en asso­ciation et en clubs. Les jeunes, à travers leur club, reflètent les caractéristiques de la société dont ils sont issus. Ainsi les jeunes Senoufo de Ferkéssédougou et les jeunes Dioula d'Issia, dont les sociétés traditionnelles de référence sont fortement or­ganisées, présentent les associations les plus cohérentes et aussi les plus nombreuses.

Les clubs de jeunes expriment également les efforts que leurs membres déploient pour se différencier du milieu adulte. A Issia et à Ferkéssédougou, où les jeunes constituent un groupe suffisamment homogène et important, les clubs peuvent développer leurs activités. A l'inverse, Sakasso est encore une trop petite ville. Mais il y existe déjà des velléités d'associations qui vont peut-être donner naissanûe à des clubs dans un proche avenir.

Enfin, du point de vue d'une stratification sociale mo­derne, l'analyse de la composition des clubs permet de dégager certains enseignements: les clubs de jeunes fonctionnaires se

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constituent à partir d'une condition sociale partagée. Dans les clubs de vacances d'Issia et de erkêssédougou, mais non pas dans les fédérations d'élèves, les membres sont souvent d'une origine sociale commune* Ainsi à Issia, plusieurs clubs étaient composés de fils de planteurs, les "Rythmes and Blues" de Ferkés-sédougou était presque tous des fils de fonctionnaires disposant de certains moyens matériels. La société adolescente reflète alors la stratification sociale en train de s'opérer dans les rangs de la société adulte.

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17 - RELATIONS AVEC LE MILIEU D'ORIGINE

Les relations des jeunes avec le milieu d'origine se si­tuent dans le contexte général des relations vilie-campagne, puisque le retour dans' la famille signifie dans la majorité des cas le retour dans le milieu traditionnel, le retour en milieu rural, la réintégration à une famille paysanne. C'est pourquoi nous commencerons par situer les niveaux différents de relations ville-campagne suivant les régions et suivant les jeunes concernés (Section i), avant d'aborder le contenu de ces relations (Section II) et les contradictions qu'elles en­gendrent (Section III, conflits et stratégie). Nous souligne­rons encore cette fois que c'est de l'adaptation à la nature de ees relations et de la possibilité de les faire évoluer que dépendra le succès du projet de télévision scolaire et éducative.

SECTION I - LES DIFFERENTS NIVEAUI DES RELATIONS VILLE-CAMPAGNE

La teneur des relations ville-campagne varie suivant les régions, suivant les groupes auxquels les jeunes appartiennent et suivant leur origine sociale*

1/ Les différences régionales

a) - Les données du problème

- Dans l'ouest, les pistes de la région d'Issia sont le lieu d'un trafic intense de biens et d'hommes entre les villa­ges et la ville. La plupart des jeunes Interrogés à Issîa avaient effectué plusieurs voyages et séjours dans des villages avoisinants pour de multiples raisons que nous envisagerons par la suite. Symétriquement, les enfants de l'école primaire du village-témoin choisi (Boguédla) se sont rendus plusieurs fois à Oaloa et à Issia pendant le temps qu'a duré notre observation, c'est-à-dire pendant les trois mois de vacances soelaires de 196°• A Sakasso, la situation observée en 1970 est très voisine de celle d'Issia; là aussi il existe une perméabilité des village« à la ville et vice-versa.

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- Il en va très différemment dans le nord. Â Ferkéssédougou» la campagne et la ville entretiennent assez peu de rapports. En 1969, la plupart de nos informateurs interrogés en ville, qu'ils soient "primairiens" ou élèves du secondaire, n'étaient pas allés rendre visite à leur famille villageoise ou n'avaient fait que de courts séjours dans les villages. A l'inverse, les élèves du vil­lage-test de Sokoro, situé à 8 kilomètres seulement de Ferkéssé­dougou, se sont rendus très peu souvent en ville pendant la même période. Enfin, certains fils de paysans qui résident en ville pendant l'année scolaire demeurent trois mois d'affilée au villa­ge pendant les vacances, ce qui n'arrive pratiquement jamais en pays bété et en pays baoulé à proximité des villes. Lors de notre second passage, nous avons retenu le cas des élèves du primaire et du secondaire dont les parents résident en ville. Lors d'une séance de contrôle, nous avons réuni une vingtaine d'entre eux pour savoir ce qu'avaient été leurs relations ville-campagne pen­dant ces dernières vacances. Leurs réponses furent révélatrices de la faiblesse de ces échanges: aucun n'avait séjourné longtemps au village. Deux d'entre eux y étaient restés trois ou quatre jours, la plupart n'avaient fait qu'y passer et étaient rentrés

à Ferkéssédougou le soir même. Enfin, un certain nombre des jeunes interrogés n'étaient même pas retournés dans le village d'origine de leurs parents.

b) - Les causes des différences régionales

- Il existe d'abord des causes d'ordre géographique et éco­nomique. Le trafic routier est beaucoup moins bien organisé dans le nord du pays où le nombre des "taxis-brousse" (l) en circula­tion est bien inférieur à ce qu'on trouve en zone forestière. La région du nord produit d'ailleurs fort peu de choses en comparai­son de la zone humide où l'acheminement du café et du cacao ali­mente le trafic. La population du nord a un niveau de vie trop faible pour engager des dépenses de voyage, même sur de courtes distances, alors que dans les régions d'Issia et de Sakasso les gens voyagent très facilement. Encore plus qu'ailleurs, les vil­lageois du nord se déplacent à piedj quand l'itinéraire est trop long ils empruntent parfois une bicyclette car ce moyen de loco­motion est plus répandu qu'en zone forestière, sans pour autant remédier vraiment à des transports routiers déficients. D'une fa­çon générale les gens disposent de ressources trop limitées pour . voyager et nous tenons là l'une des explications du faible niveau

(1) Véhicules servant au transport des passagers.

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d'échanges entre Ferkéssédougou et les villages avoisinants pour les groupes de jeunes que nous avons observés* Les deux séries de faits se recoupent d'ailleurs. Les gens circulent peu parce qu'il n'y a pas de taxis pour les transporter, mais les taxis sont en si petit nombre parce qu'il n'y a que peu de "clients" à transporter.

- D'un point de vue sociologique ce sont les différences globales de rapports entretenus avec la société des adultes qui constituent la différence profonde d'intensité des échanges ville-campagne.

Dans la région d'Issia d'abord, le milieu adulte n'oppose pas, en apparence, une résistance très grande à la pénétration du modernisme. 11 en va de même à Sakasso à ce premier niveau de contact, c'est-à-dire celui qui permet la réinsertion sociale traditionnelle dans le milieu villageois (1). De plus, l'orga­nisation sociale traditionnelle est moins rigide dans l'ouest et le centre que dans le nord où l'on a affaire à des sociétés castées et à générations très hiérarchisées par des rites d'ini­tiation tels ceux de Poro. Enfin les paysans de l'ouest et du centre bénéficiant de l'économie de traite disposent de ressour­ces monétaires plus importantes que ceux du nord, très proche encore d'une économie d'auto-subsistance. Aussi dans la région de ferkéssédougou les jeunes n'ont aucune aide financière à attendre de leur famille villageoise.

Dans la région d'Issia et de Sakasso, les collégiens n'hé­sitent guère à se rendre dans leur village d'origine, ayant plus à en attendre en satisfactions matérielles (dont monétaires) et de prestige (statut de lettrés). Dans le nord, malgré les attein­tes profondes portées à l'ordre traditionnel (la décadence du Poro, par exemple), les vieux détiennent encore un pouvoir réel et sont craints des collégiens* L'émancipation des collégiens, grâce à leur départ du milieu traditionnel, à leur nouveau mode de vie et à leur nouveau savoir, va à 1*encontre de la tutelle que subissent encore les jeunes villageois. Aussi les vieux ne les voient guère d'un bon oeil débarquer au village. Les élèves du secondaire en vacances et résidant en ville répugnent d'ail­leurs pour leur part à se rendre dans leur famille villageoise. Ils ne rejettent pourtant pas celle-ci, mais ils se contentent de voir les parents qui rendent visite à leur propre famille a

(1) Nous verrons dans le dernier chapitre que la confrontation du modernisme et de la tradition se pose à un degré plus profond à peu près partout dans les mêmes termes.

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Ferkéssédougou. A la différence de leurs camarades de l'ouest ou du centre, les jeunes du nord se sentent très gênés quand U s retournent dans leur village. Le décalage entre le milieu urbain et le milieu rural y est plus accentué que dans les zo­nes de forêt et de savane humide où la campagne, par le biais de l'économie de traite, est pénétrée de signes urbains. Leur gêne nait de l'hostilité latente des villageois faite d'un mé­lange de jalousie, d'incompréhension et de susceptibilité prêt à éclater à la moindre occasion, ainsi qu'en témoigne l'incident suivant rapporté par un jeune Sénoufo de Ferkéssédougou qui s'apprête à entrer en première année d'université. Notre infor­mateur était en train de recharger dans son village une lampe à pétrole. Sus ces entrefaits un de ses oncles arriva. Le jeune garçon, avant les mains sales, tendit à son oncle son poignet; l'oncle entra alors dans une violente colère et décréta que par ce geste son neveu avait voulu faire preuve de supériorité. Celui-ci essaya de s'expliquer, de dire qu'il n'avait pas l'ha­bitude d'échanger une poignée de main alors que les siennes étaient sales. Peine perdue, l'oncle persista à dire "qu'on l'avait traité comme une bête". Et notre informateur conclut: "Quand on arrive au village, il faut être sur ses gardes, car on ne sait jamais si on s'est bien conduit ou non*. En donnant ce cas, nous ne voulons pas suggérer que seuls les enfants du nord sont exposés à de telles situations qui peuvent surgir ailleurs également. Nous pensons que ce type de conflits qui empêchent le retour même au village est beaucoup plus fréquent dans cette région.

2/ Les différences suivant les groupes de jeunes

a) - Les enfants du primaire conservent plus de contacts avec le milieu villageois que les membres des deux autres grou­pes. Ils n'ont d'ailleurs pas quitté vraiment ce milieu. Lors­qu'ils sont originaires de la région, ils sont très souvent fils de paysans et aident leurs parents, l'école ne constitue plus qu'une parenthèse dans leur existence. Par contre, les an-fants de Dioula à Issia et à Sakasso demeurent le plus souvent dans un cadre urbain et aident leurs parents dans leurs activi­tés commerçantes.

b) - Les élèves du secondaire. Le clivage s'opère par région. Ceux d'Issia et de Sakasso, à l'exception des enfants de Dioula, ont des échanges ville-campagne relativement intenses. Par contre,

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les collégiens de Ferkéssédougou, lorsque leurs parents rési­dent en ville, ne vont pratiquement jamais dans le village d'origine de ceux-ci. Leur situation est donc semblable à celle des élèves de l'enseignement primaire dont les parents sont domiciliés en ville. 11 semble donc que l'urbanisation des jeunes s'opère plus rapidement à Ferkéssédougou qu'à Issia ou qu'à Sakasso, dans une région beaucoup plus fermée sur l'extérieur, grâce justement au contraste qui existe entre la ville et les villages et campements voisins.

c) - Les déscolarisés. Leur position vis-à-vis du village est tributaire des différences régionales. Ceux des régions d*Issia et de Sakasso disposent d'une marge de manoeuvres assez grande à l'égard de la famille villageoise qui réagit avec une certaine souplesse à leur comportement. Il leur est possible de se rendre de temps en temps dans leur village d'origine où ils se réfugient parfois après une période d'échecs citadins. Mais le plus souvent ils quittent à nouveau rapidement le vil­lage car leur objectif demeure de s'intégrer au milieu urbain« C'est pourquoi ceux avec lesquels nous avons travaillé à Issia étaient pleins de méfiance à l'égard du village et n'y retour­naient que vraiment contraints par des nécessités matérielles très fortes pour essayer, par exemple, d'obtenir un peu d'ar­gent. Bans tous les cas, ils craignent la pression du milieu dans le sens d'une éventuelle réintégration. Nous avons vu à Sakasso que cette réintégration prenait la forme d'un compro­mis temporaire à l'issue duquel le déscolarisé espérait pou­voir repartir en ville.

3/ Les différences suivant les origines sociales

a) - Les fils de paysans» Il est facile de constater que ce sont les fils d'agriculteurs, originaires de la région d'enquête, qui entretiennent les relations ville-campagne les plus intenses dans l'ouest et le centre« Le phénomène concerne les enfants des trois groupes, même si le contenu des rela­tions varie d'un groupe à l'autre. Les fils de paysans passent parfois plus de temps au village et, mieux encore sur les cam­pements, qu'en ville. Dans le nord, les enfants du primaire, lorsqu'ils sont fils de paysans, sont entièrement intégrés aux activités agricoles de la famille pendant les vacances, mais ce n'est déjà plus le cas de la majeure partie des collégiens.

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b) - Les fils de fonctionnaires et de notables, dans 1»ouest et le centre, s'ils sont originaires de la région, ont sourent l'occasion de retourner dans les villages où se trouve une partie de leur famille et où leur père possède bien sou­vent une plantation.

Il en va fort différemment de ceux dont les parents sont en poste dans la région, alors qu'ils sont originaires d'ail­leurs. Ceux-là n'entretiennent plus que de relations éloignées avec le village d'origine de leurs parents dans la mesure où ni ceux-ci ni eux-mêmes ne tiennent tellement à ce qu'ils s'y rendentt U s ne vont pas non plus dans les villages de la ré­gion d'accueil, sauf peut-être à Issia où a été relevée une certaine inter-ethnicité des réseaux sociaux des collégiens, entre élèves bété et élèves étrangers, les Oioula exceptés. Dans la région de Sakasso, un jeune Baoulé qui connaît plu­sieurs amis d'origine ethnique différente de la sienne nous dit que ceux-ci ne l'accompagnent pas dans son village, car ils ont peur des tombeaux baoulé: "Ils disent qu'il y a de la fumée qui sort des tombeaux"• Les relations ville-campagne des étrangers à Sakasso sont limitées aux matchs de foot-ball qui se déroulent occasionnellement dans les villages.

SECTION II - LES JEUNES FACE AUX CONTRAINTES DE LA FAMILLE ETENDUE

1/ Position des trois groupes

Quel que soit le groupe auquel ils appartiennent, les jeunes respectent la hiérarchie de la société traditionnelle. Il arrive qu'ils critiquent leurs parents mais, en principe, ils évitent de s'opposer ouvertement à eux. En effet, le jeune qui manifesterait trop d'indépendance s'exposerait à être rejeté par sa famille villageoise. Ce rejet est ressenti comme une grave menace dans une société où chacun ne vaut fi­nalement que par le réseau de relations et de solidarité qui l'enserre et le protège. De plus, le fait de déclencher de tels conflits entraîne souvent des sanctions si graves que leur simple évocation suffit pour inciter les jeunes à modé­rer leurs reivindica ti ons •

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Les jeunes, y compris les élèves du secondaire (1), demeu­rent très intégrés à un système de rapports qui est celui de la famille étendue avec un ensemble de statuts hiérarchisés et or­donnés les uns par rapport aux autres. Ainsi les décisions du chef de famille seront respectées et son autorité ne sera pas mise en doute, même si les élèves conviennent entre eux que "le vieux (2) exagère et qu'il peut aussi se tromper"•

Au niveau du groupe de descendants, la primauté de l'aîné sur ses cadets se perpétue de façon assez rigide, au moins dans le nord et dans l'ouest et entraîne, comme principale conséquence, une complication du jeu familial lorsque les statuts des enfants se diversifient sous l'influence de la scolarisation. Les jeunes du centre et de l'ouest actualisent cette solidarité familiale par leurs visites au village. Ce sont toujours les élèves en va­cances qui se déplacent vers leurs parents âgés. Au cours de ces visites, ils respectent formellement la hiérarchie familiale, l'opinion de leurs parents villageois; ils enregistrent sans broncher leurs conseils. Ils manifestent ainsi leur allégeance à l'égard de Bl'ancien". Les élèves du secondaire n'ont pas en­core conquis l'indépendance qu'ils revendiquent. Les garçons du nord, en demeurant à Ferkéssédougou fuient la famille villageoi­se jugée trop contraignante. Cependant leur contestation de la hiérarchie traditionnelle demeure passive car il suffit qu'appa­raisse en ville un parent en visite ou qu'ils soient eux-mêmes obligés de se rendre dans leur village pour qu'ils acceptent les statuts que la tradition impartit à chacun.

Les élèves du secondaire retirent d'ailleurs aussi des avan­tages à renouer avec leur famille, au moins dans le centre et dans l'ouest. Ils sont d'abord fêtés en tant que lettrés, puis­que l'instruction est encore perçue comme un moyen d'ascension sociale; ils sont ensuite considérés comme de grands voyageurs au sein de ces communautés rurale.0 où les déplacements sur de longues distances sont encore un phénomène récent. Les jeunes en particulier les admirent, qui souhaitent un jour pouvoir vo­yager comme eux. Ils sont enfin perçus comme détenteurs d'un

(1) Seuls quelques étudiants commencent à y échapper.

(2) "le vieux": le père, l'oncle, l'adulte Sgé qui incarne l'autorité.

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savoir moderne qui va au delà de leurs simples connaissances de lettrés. Leur expérience citadine est prise en considération lorsque le village est confronté avec un problème extérieur (un problème de modernisation par exemple). Ils participent alors aux délibérations et leurs avis sont écoutés. Ils sont par con­tre exclus, compte-tenu de leur âge, des délibérations concer­nant des problèmes intérieurs à la communauté villageoise (ou familiale) et d'ordre traditionnel. Les décisions affectant le milieu traditionnel leur échappent en principe à ce niveau là.

Les déscolarisés, de même qu'ils voient moins d'amis exté­rieurs à leur situation, fréquentent moins de parents. Cepen­dant, à moins de conflit très violent, ils sont encore loin d'être totalement coupés de leur famille. Le problème des dés­colarisés consiste, comme nous l'avons vu, à ne pas se laisser tout à fait réintégrer à la famille traditionnelle, car ils désirent que l'on reconnaisse leur statut de lettrés, alors qu'ils ne sont souvent que des "demi-lettrés". Ils sont dans une phase de conflits plus ou moins larvés qui éclatent quand on les presse de participer au travail agricole et qu'ils ré­fusent. Ils sont en fait dans une position défensive. La fa­mille constitue pourtant le dernier recours et la solution de repli temporaire ainsi que nous l'avons vu pour les déscola­risés de la région de Sakasso qui se réfugient quelques temps dans leur village avec l'intention de le quitter dès qu'ils auront accumulé quelque argent.

Quand aux élèves du primaire, leurs relations à la famille ne posent pas de problème nouveau puisqu'ils n'ont pas quitté celle-ci dans la majorité des cas, c'est-à-dire dans ceux des fils de paysans. Les fils de fonctionnaires et plus générale­ment d'étrangers à la région se trouvent par rapport à leur fa­mille d'origine un peu dans la même position, le prestige en moins, que les élèves du secondaire. Les visites au village, et celles-ci sont peu fréquentes comme nous l'avons vu dans la section précédente, signifient le retour souvent contraignant au sein de la famille traditionnelle à laquelle les enfants échappent en partie dans la ville où leur père est affecté.

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2/ L'aide aux parents

a) - Les élèves du secondaire: la connaissance des papiers. Ils sont mis a contribution pour remplir a la place de leurs pa­rents les formalités administratives. Tous les fils de planteurs pendant leurs vacances font les papiers dont ont besoin leurs parents. Même les fils de petits fonctionnaires sont sollicités par leur père. Celui-ci demande par exemple de rédiger à sa place ou de contrôler la rédaction des rapports qu'il doit remettre à ses supérieurs hiérarchiques. Par contre, les collégiens travail­lent moins fréquemment que les "primairiens" sur les terres fami­liales. Leur aide revêt d'ailleurs souvent un caractère symboli­que. Dans les régions de plantations (ouest et centre) les adul­tes se contentent parfois de se faire accompagner par leur enfant collégien, sans que celui-ci ne les aide effectivement dans leur travail. Il passera la journée à regarder son père travailler, à converser avec lui, puis ils regagnent ensemble le soir le villa­ge où le père pourra dire fièrement que son fils l'a beaucoup aidé. L'aide manuelle des élèves du secondaire est donc limitée de plusieurs façons. Elle l'est d'abord dans le temps puisque les collégiens ne reviennent dans leur famille que pendant une partie des vacances seulement. Elle l'est ensuite parce que cer­tains parents, pour des raisons de prestige, ne veulent pas que leurs enfants lettrés retournent sur une plantation comme un sim­ple paysan ou participent en général à leurs activités profes­sionnelles (1) qui se trouvent dépréciées dans leur esprit par rapport aux possibilités qu'ils attribuent à leurs enfants. Ce sont ces mêmes parents qui exigeront par la suite, pour manifes­ter leur autorité, que leurs enfants les aident.

Enfin les élèves du secondaire refusent eux-mêmes leurs concours pour les mêmes raisons de prestige qui font que leur aide n'est pas acceptée par les parents qui trouvent leurs pro­pres activités indignes de leurs enfants. La réinsertion très active des collégiens au niveau des relations familiales et du réseau social ne se double donc pas d'une réintégration équiva­lente sur le plan des activités économiques. Il arrive bependant que certains d'entre eux, issus de familles très pauvres, passent la majeure partie de leurs vacances à travailler avec leurs pa­rents pour financer ainsi les études de l'année suivante. Ainsi,

(l) Artisans, commerçants.

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l'aide manuelle des enfants du secondaire est en rapport in­verse avec la richesse de leurs parentsj moins ils sont riches plus on les aide. Le fait est vérifié en pays bêté et en pays baouléj il est cependant moins généralisé que pour les enfants du primaire. Le problème de l'aide éventuelle des collégiens constitue justement une source de conflits, compte-tenu de la position ambiguë des élèves en vacances et des problèmes d'au­torité parentale qui en découlent.

b) - Les enfants du primaire: l'aide dans le travail manuel. Très tôt (7 ou 8 ans) ils accompagnent leurs parents sur leurs terrains de culture. Ainsi, à Issia où nous avions enquêté en I969 pendant la période de vacances, nos jeunes informateurs du "primaire" disparaissaient-ils à tour de rôle pendant plusieurs jours pour aller aider leurs parents sur les campements voisins d'Issia. Ils aident surtout les femmes dans les travaux qui ne demandent pas la force d'un adultes par exemple, la récolte du riz ou bien le désherbage des plantations de café. Certains en­fants poursuivent leurs activités agricoles au cours de l'année scolaire les jeudis et dimanches. Aussi trouvent-ils très natu­rel d'aider leurs parents à longueur de semaine pendant les va­cances. Beaucoup d'entre eux passent ainsi leurs vacances loin de la ville dans le milieu socialement très clos des campements ou des villages. L'enquête conduite à Sakasso n'a pas modifié en la matière nos premiers résultats, les plus jeunes enfants du primaire aident les femmes sur les champs de cultures vi-vrières et accomplissent des tâchez de débroussaillage. L'aide est également fournie pendant les vacances et pendant les jours de congé. Les enfants d'artisans et de commerçants participent aux activités économiques des parents, l'un d'eux par exemple vend les glaces fabriquées par son père, l'autre aide celui-ci dans son atelier de teinturerie.

c) - Les déscolarisés; le refus de s'engager. Ils sont plus souvent sollicités que les eleves du secondaire, car leur qualité de lettrés (l) est ternie par le fait qu ils sont en chômage. U s se trouvent donc disponibles pour apporter une aide éventuelle à leur famille, d'autant plus que leur âge (de 15 à 20 ans en général) leur permet d'accomplir des tra­vaux aux côtés des adultes. Or, ils refusent le plus souvent

(1) En général d'un assez faible niveau.

au

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le concours qu'on leur demande. "Ils ne pourront plus retourner aux champs" disent-ils, car "Qué saurions-nous faire"? Cet aveu d'incompétence sous-entend en même temps qu'ils se sentent capa­bles de faire beaucoup mieux qu'un travail agricole*

Leur refus signifie également leur crainte d'être récupérés par la société traditionnelle. Ils ne veulent pas redevenir des paysans, mais désirent conserver la liberté de manoeuvres qu'ils croient encore posséder en tant que désoccupés dans l'attente d'un hypothétique travail auquel ils prétendent, compte-tenu des compétences qu'ils s'attribuent.

Enfin, à tort ou à raison, ils tiennent leur famille pour en partie responsable de l'impasse où ils se trouvent et refu­sent leur aide pour cette raison« Ici encore, nous donnons le modèle général du comportement des déscolarisés, sans tenir compte des multiples nuances qu'il serait nécessaire d'apporter pour avoir une vision complète de la situation. Sauf en cas de con­flits violents qui demeurent, comme nous le soulignerons, l'ex­ception, le refus d'aider n'est pas directement exprimé et les déscolarisés font plutôt ce que l'on pourrait appeler de la "ré­sistance passive"•

Dans ce cas ils apportent à leur famille une aide fragmen­taire, ponctuée d'absentéisme. Il arrive également que les dés­colarisés accordent quelques journées de travail à leurs parents dans l'espoir d'obtenir le montant du prix d'un voyage vers Abidjan ou Bouakés là-bas ils s'informeront à nouveau sur les possibilités d'emploi. ûe même ceux que nous avons rencontrés à Sakasso acceptaient tactiquement une réintégration temporaire au village dont ils espèrent tous tirer les moyens financiers de reprendre leurs études.

SECTION III - IBS CONFLITS

1/ La .soumission des enfants du primaire.

Ces derniers provoquent rarement des conflits en s'opposant personnellement à leurs parents car ils respectent et craignent beaucoup trop l'autorité de ceux-ci. Par contre, ils subissent plus encore que leurs camarades du secondaire les conflits qui naissent du fonctionnement interne de leur famille, ainsi qu'en témoignent les rivalités entre co-épouses nommées "marâtres"

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quand elles ne sont pas les mères des enfants interrogés. Les enfants du primaire sont plus souvent impliqués dans ee genre de conflits que leurs camarades du secondaire puisque leur sco­larité se déroule dans le cadre de la vie quotidienne familiale. La réussite scolaire différente des enfants des co-épouses ali­mente alors leurs rivalités au sein des familles polygamiques. Aussi le jeune garçon qui réussit mieux que ses demi-frères alors qu'il est privé du soutien de sa mère (par son absence, son di­vorce, son décès) subit-il la jalousie active et les brimades de ses marâtres. Ce genre de rivalités engendre une situation d'in­sécurité préjudiciable aux études des enfants. Ce phénomène, pas tout à fait généralisable, est néanmoins très fréquent en milieu islamisé. Parfois l'enfant craint tant ses marâtres qu'il fuit la cour de son père et se réfugie chez un autre parent en cas d'absence de sa mère* On nous a signalé plusieurs cas dans le nord où les résultats différents des enfants d'une même famille faisaient éclater des conflits qui dégénéraient en empoisonne­ment. A Sakasso, un enfant nous rapporte qu'une femme se plaint d'être obligée de préparer la nourriture des enfants des autres femmes quand celles-ci sont absentes; ainsi les enfants désco­larisés de la famille ne trouvent souvent plus rien à manger quand ils reviennent de l'école. Toujours à Sakasso, on nous con­firme que l'enfant n'ayant pas sa mère pour le protéger est en butte à l'hostilité de ses marâtres, surtout s'il obtient de bons résultats scolaires (l). D'une façon générale tout décala­ge de statut entre les différentes femmes et leurs enfants fait naître une atmosphère de jalousie et de suspicion qui ne favo­rise pas la réussite scolaire des enfants. Ceux-ci poursuivent leur scolarité au milieu de ces tensions et de cette incompré­hension familiale. Le cas suivant résume l'insécurité des en­fants du premier degré. Après la mort de sa mère, un enfant de la région de Ferkéssédougou fut confié à ses oncles maternels. Ceux-ci ne lui donnaient pas de quoi se nourrir lorsqu'il allait à l'école de façon à manifester leur réprobation. L'enfant était alors obligé de chaparder du riz et du mil que les femmes avaient rangés dans les greniers« De retour des champs, les femmes rudo­yaient l'enfant. Celui-ci vécut de manière précaire grâce à des

(l) L'enquête dé Sakasso confirme les premiers résultats! Voici par- exemple, un jeune informateur qui nous rapporte que sa marâtre - jalouse a médit de lui auprès de son père pour que celui-ci le frappe. Un autre nous rapporte qu'il avait failli être maudit à cause d'une belle-mère qui l'accusait d'avoir dérobé l'argent qu'elle avait pris elle-même.

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aides occasionnelles extra-familiales et aussi parfois grâce à l'assistance de son père (l'enfant habitait chez ses utérins puisqu'il s'agit d'un système Matrilinéaire chez les Sénoufo-Nafara). Il réussit cependant, malgré cette situation, à entrer en sixième« Son instituteur l'aidait alors de ses conseils et financièrement. Par contre sa famille, non seulement ne s'occu­pait pas de lui, mais le jalousait de le voir poursuivre ainsi sa scolarité. Celle-ci se déroula dans le même climat de haine et d'hostilité qui avait présidé â ses études primaires. Ces tensions furent finalement génératrices d'échecs puisqu'il se présenta trois fois au brevet sans réussir. Le garçon se sentait prédestiné à cet échec car dans ce contexte très peu propice aux études, son père lui avait dit: "Si tu ne réussis pas c'est que les vieux t'ont maudit"• Toujours aidé par son ancien maître de l'école primaire, le jeune garçon trouva enfin après quelques tâtonnements un petit travail au chemin de fer.

2 / Les élèves du secondaire - Nouvelles habitudes, problèmes de filles, problèmes d'argent

Leur attitude vis-à-vis de leur famille provoque les con­flits les plus fréquemment enregistrés. A Issia et à Sakasso, BOUS avons noté trois types principaux de conflits:

I - Les parents (surtout le père) se mettent en colère contre leur fils lorsqu'ils s'aperçoivent que celui-ci s'occupe trop dis filles et plus particulièrement d'une fille qui ne leur agrée pas. Ils craignent les risques de grossesse et les pertes financières qui en résulteraient si les parents de la fille dé­cidaient de se retourner contre eux comme il arrive le plus fré­quemment dans une telle situation. Oes élèves baoulé nous rap­portent par exemple les deux cas suivants à Sakasso:

1er cas: L'informateur et un de ses camarades ont invité chez celui-ci une fille et les trois jeunes écoutent des disques. Le père du camarade revient alors à la maison et entre dans une violente colère quand il voit la fille. Notre informateur est obligé de s'interposer entre son camarade et le père de ce dernier.

2ème cas» Un garçon va régulièrement rendre visite à une amie collégienne. Les parents de la fille s'inquiètent de voir leur en­fant courtisée par le jeune homme qu'ils finissent par identifier. Ils vont alors se plaindre à son père après avoir très sévèrement tancé leur fille. Le père s'en prend alors à son fils qui lui ré­pond. Il s'ensuit une violente querelle.

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A Issia, nous avons enregistré lors de notre passage cette année la situation suivante où s*est trouvé mis en cause le frè­re d'un de nos observateurs« les deux collégiens s'étaient ren­dus en compagnie de leur père dans le village de celui-ci» Là , J.B., le frère de notre observateur, rencontre la soeur cadette de la femme d'un cousin qui était venue rendre visite pour quel­ques jours à son aînée. J.B. commence à courtiser la jeune fil-r le; le jour du marché, le père de J.B. surprend ensemble les deux jeunes sur la place du village« Le soir même il fait appeler son fils et lui dit qu'il ne veut pas le voir avec cette fille-là. Puis il ordonne brusquement à ses deux enfants de retourner â Issia alors qu'ils devaient à l'origine l'accompagner plusieurs jours sur sa plantation.

2 - La seconde série de conflits naît des problèmes d'argent. Le père critique son fils parce que celui-ci reclame trop d'ar­gent pour son plaisir, qu'il dépense en sorties, en achats de gadgets, disques, radio, vêtements, en voyages. Les adultes d'une façon générale trouvent les collégiens trop dépensiers. A l'in­verse, ce sont les enfants qui se plaignent parfois à la fin des vacances, au moment de retourner au collège, de l'aide de leurs parents, jugée trop modique.

3 - D'autres conflits naissent des perturbations entraînées par la presence des eleves en vacances. Leurs parents leur de­mandent souvent de les accompagner aux champs pour une aide sym­bolique. De telles demandes correspondent à une volonté de con­trôle de leur emploi du temps. Si ceux-ci refusent, comme cela arrive fréquemment, prétextant que les vacances sont conçues pour qu'ils se reposent, les parents les menacent de leur cou­per les vivres à la prochaine rentrée. Dans la même optique, les activités de vacances des collégiens (les "boums", les matchs de foot-ball par exemple) font envie aux jeunes villageois; ceux-ci tentent alors de refuser à leurs parents de les accompagner au travail; la vie économique de la communauté villageoise risque de se trouver désorganisée et les adultes réagissent alors violemment.

A Ferkéssédougou, les causes de conflits sont encore plus nombreuses. Voici celles que nous avons recensées à l'issue d'une réunion de groupe.

- Nous retrouvons d'abord les mêmes causes de conflits que dans l'ouest et le centre, par exemple les problèmes d'argent.

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Les élèves sont accusés de gaspillage. De leur côté, ils ne sont pas satisfaits de la faiblesse des sommes que les parents leur allouent.

- Problèmes de rapports entre la mère, l'enfant et l'oncle utérin si celui-ci ne s'occupe pas assez de son neveu (l).

- Conflits provoqués par les parents que l'élève n'a pas reconnu dans une visite au village.

- Conflits naissant du refus d'aider les adultes aux champs ou ailleurs.

- Différences d'habitudes: les tenues vestimentaires des jeunes jugées trop excentriques, les excès de sorties nocturnes*

- Non respect des croyances et des pratiques religieuses des parents.

- Problème du mariage des lettrés. Conflits lorsque ceux-ci n'acceptent pas qu'on leur choississe une épouse, ou seule­ment lorsqu'ils ne respectent pas les formes traditionnelles du mariage.

Il existe enfin un autre type de conflits où sont souvent impliqués les collégiens. Il concerne les divergences d'opinion avec leurs parents. Ces derniers y voient une atteinte portée â leur autorité. Nous envisageons ces conflits d'une façon plus détaillée dans le dernier chapitre.

3/ Les déscolarisés - Dissimulation et refus d'aide

- Un type de conflit parents-enfants, spécifique du grou­pe des déscolarisés, nous avait échappé l'an dernier alors qu'il constitue la première forme d'antagonisme repérable au niveau des relations familiales de ce groupe, avant même les conflits d'ordre économique. Ce premier type de conflit est engendré par le refus des déscolarisés d'avouer à leurs parents qu'ils ne vont plus à l'école, soit qu'ils l'aient abandonnée soit qu'ils en aient été renvoyés. Les parents continuent â fournir une aide financière jusqu'à la découverte de la dissimulation. Nous avons enregistré plusieurs situations semblables à Issia et â

(l) Nous sommes en régime" matrilinéaire.

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Sakasso. La révélation du subterfuge du jeune se fait en géné­ral de façon accidéntale et brutale« Les parents, à l'occasion d'une visite en ville, s'aperçoivent que leur enfant ne va plus à l'école en le trouvant à son domicile aux heures de classe. Dans d'autres cas, le directeur de l'établissement que fréquen­tait l'enfant apprend aux parents que celui-ci en a été renvoyé depuis longtemps, lors d'une visite que ceux-ci lui font à l'école.

- Les conflits les plus fréquents demeurent ceux qui naissent du refus d'aider les parents dans leur travail quotidien, refus que nous avons déjà eu l'occasion de signaler. C'est pour des rai­sons essentiellement différentes des élèves du secondaire que les déscolarisés refusent d'aider aux champs.

Ils font d'abord preuve de mauvaise volonté à l'égard des parents qui ne les ont pas suffisamment aidés selon eux.

- Ils considèrent ensuite que leur statut de lettrés ne s'accomode pas d'un travail manuel.

- Ils craignent d'être récupérés par le milieu rural en cé­dant aux instances de leurs parents.

- Enfin, ils refusent parfois de continuer à fournir une aide, en invoquant le fait qu'ils l'avaient assortie d'une possi­bilité de reprendre leurs études.

Le conflit prend parfois une tournure très violente et c'est alors que les sanctions les plus graves peuvent être prononcées. A Sakasso, un enfant dioula se heurte à sa famille dont le chef refuse d'accomplir les formalités administratives qui permet­traient à l'enfant de quitter la ville muni des papiers qui lui sont nécessaires pour travailler à Abidjan. L'enfant a refusé alors d'aller travailler pendant deux jours. Les parents ont commencé à proférer des menaces de malédictions à son encontre, puis des frères aînés se sont interposés entre lui et les adul­tes au pouvoir.

Dans un autre cas enregistré également à Sakasso, un plan­teur baoulé avait envoyé son fils qui venait de quitter l'école à Bouaké pour apprendre le métier de mécanicien. L'enfant en fait

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n'allait pas à son travail et traînait au lit jusqu'à raidi. Son père l'apprend» Il s'en va à Bouaké où il le trouve à son domi­cile au milieu de la journée. Le père se fâche, frappe son fils et le place comme apprenti chauffeur. Là non plus, l'enfant ne fait guère d'efforts, allégant qu'il désire reprendre ses études. Alors le père entre dans une violente colère et refuse de consi­dérer l'enfant comme son fils. Il lui dit qu'il peut s'en aller où il veut; c'est alors que l'enfant devient fou.

Toujours à Sakasso, un jeune informateur nous rapporte l'in­cident suivant qui oppose un déscolarisé à son pèrej "Le père voulait envoyer Kouassi aux champs. Il n'a pas été, son père s'est fâché. Il a dit alors à son père: Tu n'es pas un homme, et il a frappé eon père, le père a pris un bâton et il a blessé son fils au genou".

SECTION IV - STRATEGIE FAMILIALE

Les conflits constituent dans les relations du jeune à sa famille l'exception, la règle étant plutôt la composition, le compromis. Dans cette perspective, les conflits sont les cas limites d'un jeu de rapports forts complexes qui s'éta­blissent au sein de la famille entre le jeune et les adultes. Nous allons essayer de rendre compte de cette stratégie à tra­vers les problèmes naissant de la scolarisation des jeunes.

1/ La mise à l'école

Il se pose au départ le choix des enfants à scolariser. Le chef de famille auquel obéit le père (1) de l'enfant peut décider de conserver ce dernier auprès de lui afin d'aider au travail agricole. Dans la plupart des cas, lorsqu'un choix doit être effectué entre plusieurs enfants, la priorité re­vient à l'aîné, les cadets demeurent au village. Dans cette optique, il sera difficile à un enfant d'aller à l'école si son frère aîné n'a pas été scolarisé avant lui. Il arrive

(1) Celui-ci n'est donc pas automatiquement chef de famille. En milieu patrilinéaire c'est souvent un frère aîné ou un oncle paternel qui assure cette fonction.

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que des enfants n'acceptent pas les décisions de la famille et qu'ils s'enfuient du village, avec la complicité d'un parent lettré (l) en général. Ils essaient alors de trouver un tuteur dans une ville voisine où ils tenteront de se scolariser par eux-mêmes. Parfois, les études des enfants de l'enseignement primaire ne sont interrompues qu'un ou deux ans (nous avons rencontré plusieurs cas de la sorte dans la région d'Issia); elles seront reprises par la suite, en général sur l'interven­tion d'un parent auprès du chef de famille.

Dans le nord, le milieu adulte est encore largement hos­tile à la scolarisation, au moins dans les villages. Ce sont alors souvent les enfants les plus fragiles de constitution que l'on envoie à l'école; les plus robustes sont conservés pour les travaux champêtres. De nombreux parents sont contents que leurs enfants soient renvoyés de l'école. Lorsque le cas se présente, il arrive que le père de l'enfant fasse un cadeau à l'instituteur pour le remercier de lui avoir rendu son fils. Certains adultes manifestent leur mauvaise volonté à l'égard de l'école en refusant de faire les dépenses minimum imposées par la scolarisation de leur fils. Ainsi, les instituteurs que nous avons interrogés établissaient nettement la différence en­tre les parents qui, à ressources égales, étaient favorables ou hostiles à l'égard de l'école. Les premiers parvenaient toujours à trouver l'argent nécessaire aux achats demandés. Les seconds 1 laissaient traîner la situation dans l'espoir que leur enfant soit renvoyé de l'école* H existe également quelques personnes en désaccord avec l'hostilité générale de la communauté villa­geoise vis-à-vis de l'école. Ce sont dans la plupart des cas des jeunes adultes, frères aînés ou proches parents de l'en­fant scolarisable. Ils viennent alors trouver en cachette l'ins­tituteur pour lui demander de mettre leur jeune frère à l'école, mais ils ne tiennent surtout pas à se faire connaître, car ils savent d'avance que les vieux vont faire opposition. Ils deman­dent alors à l'instituteur de faire croire que le sous-préfet lui-même a pris la décision de la scolarisation.

En Côte d'Ivoire, la tendance générale est néanmoins, quel que soit le milieu, de faire poursuivre leurs études aux enfants le plus loin possible« Ainsi, quand l'enfant ne réussit pas le

(l) Car il faut accomplir un minimum de formalités pour inté­grer n'importe quelle école publique.

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concours des bourses à l'entrée au sixième, sa famille essaie de lui faire entamer une scolarité secondaire et pour cela de lui trouver une place dans un établissement. Comme les frais qui en résultent ne sont pas â la mesure des revenus paysans, les parents sollicitent les membres fortunés de la famille, en général lettrés, pour leur faire prendre en charge la scolari­té de l'enfant*

2/ Le rôle des parents lettrés

Les parents illettrés ne savent pas exactement ce qu'ils doivent faire pour aider leur enfant. Ils ne peuvent pas accom­plir par eux-mêmes les formalités nécessaires à la poursuite des études du jeune et ils y sont parfois peu favorables, c'est alors qu'interviennent les membres lettrés de la famille. L'en­fant pourra compter sur leur appui» Les élèves du premier de­gré qui comptent des adultes lettrés dans les rangs de leur fa­mille sont nettement privilégiés par rapport à leurs autres ca­marades. Les lettrés viendront expliquer aux autres adultes la nécessité de faire poursuivre leurs études aux enfants déjà scolarisés dont ils sont les alliés et les protecteurs en puis­sance. Un jeune Baoulé de Sakasso rapporte: "Mon oncle au vil­lage a beaucoup d'enfants. Il a dit qu'il n'allait pas envoyer les derniers à l'école. Alors un grand élève de la famille a dit qu'il fallait les envoyer coûte que coûte car on ne sait jamais. Ils pourront peut-être réussir plus tard". L'informa­teur ajoute que les lettrés de la famille ont dû intervenir pour persuader l'oncle qui d'ailleurs n'est pas »trop pauvre*1.

Dans le nord encore plus qu'ailleurs, c'est une chance de posséder des parents lettrés. Là aussi, ils interviennent pour permettre aux enfants de poursuivre leur scolarité. La plupart du temps, le manque d'école secondaire dans la région, la né­cessité d'envoyer vers le sud les enfants, arrête les paysans du nord dont on sait la pauvreté. "*ls préfèrent alors que leurs enfants travaillent la terre et reviennent à la tradition", nous dit un instituteur. Hais lorsqu'un débat sur la poursuite des études d'un enfant s'engage au sein d'une famille, les lettrés qui assistent à la réunion bénéficient du prestige que leur con­fère leur séjour dans les grandes villes du sud et leur expé-cience du monde moderne.

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La continuation des études, en particulier aux moments dé­cisifs du passage en sixième ou du passage en second après le brevet, sont des décisions qui se prennent au niveau de toute la famille quand celle-ci est unie, et quand elle comprend des lettrés dans ses rangs (1). Dans ces réunions, les lettrés mè­nent le débat, essayant de faire tomber les résistances des vieux qui s'opposent à la continuation des études d'un de leurs cadets. L'instituteur intervient quelquefois comme conseil au­près des parents. En pays sénoufo enfin, le système de parenté matrilinéaire fait qu'il est nécessaire de convaincre les oncles maternels. Lorsqu'on obtient leur accord, la partie est gagnée. Si l'oncle est en désaccord, on réunit un conseil de famille au sein duquel le jeune lettré essai d'imposer ses vues. Voici le schéma général d'une réunion que donne un instituteur de Ferkés-sédougou: "Souvent le jeune homme réussit, quand le jeune homme vient du sud il a un peu de prestige, l'oncle dit: Le jeune a peut-être raison, on va essayer. Mais l'oncle émet des réserves. "Il dit: J'accepte pour cet enfant mais le suivant il sera à moi".

Cependant le lettré qui prend sur lui de faire continuer ses études à un jeune contre le gré de sa famille s'expose à d'éventuelles critiques. Ainsi, s'il arrive un malheur à son protégé il en sera tenu pour responsable. A Ferkéssédougou par exemple, l'un d'eux^dont le poulain était mort dans une ville du sud, s'est vu dire: "Tu as voulu qu'il soit interne et il est mort".

3/ L'arrêt de la scolarité

L'arrêt de la scolarité secondaire ou primaire est diver­sement motivé (2). Il donne lieu dans les familles très unies à un processus de consultations analogues aux précédentes. C'est seulement à l'issue de ces débats familiaux qu'est prise la dé­cision de ne pas remettre l'enfant à l'école. Un élève de se­condaire d'origine baoulé, nous raconte à Sakasso comment son cousin (plus précisément le fils d'un frère de son père) arrêta sa scolarité après avoir consulté tous les membres importants de la famille, en particulier les oncles, et après leur avoir exposé les raisons pour lesquelles il ne désirait plus continuer.

(1) Ceux-ci provoquent en effet les conseils de famille dans ces cas car ils sont les seuls à pouvoir émettre un avis.

(2) Décision prise par l'élève lui-même dans le cas que nous citons, mais également nécessité d'aider la famille, pression du père ou de la mère, manque d'argent,-etc..

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Lorsque la décision vient des parents, les motivations financières sont déterminantes. Ainsi beaucoup de garçons de­viennent des déscolarisés, alors que leurs résultats scolaires ne sont pas forcément médiocres, lorsque leur père leur refuse brusquement son aide. Mais il peut s'agir également de mauvais élèves qui n'avaient aucune chance d'atteindre un niveau sa­tisfaisant. Dans ce cas, la mère de l'enfant intervient pour­tant en sa faveur, en admiration devant sa connaissance du français qu'elle ne parle pas la plupart du temps; elle ne comprend pas que son fils doive cesser ses études.

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7 - LES JEUNES ENTRE LE MONDE TRADITIONNEL ET LE MONDE SCOLAIRE

Dans ce chapitre de synthèse, nous allons essayer de re­censer les Incidences du milieu traditionnel sur le milieu scolaire. Pour cela nous essayerons d'abord de mettre en lu­mière ce que cache les relations avec la famille, telles que nous les avons décrites (section I), nous passerons ensuite au niveau des croyances implicites auxquelles les jeunes font référence et aux rapports de forces occultes qui soustendent les relations directement observables (section II). Nous ver­rons alors les interférences qui existent entre ce système de croyances et la façon dont les enfants vivent leurs expérien­ces scolaires (section III), puis les incidences réciproques de la scolarisation et de la stratification sociale (section IV) et enfin la façon dont est vécu, au niveau des consciences in­dividuelles, le changement social (section V).

SECTION I - REINSERTION DIFFEREE ET DIFFICULTES

DU RETOUR AU VILLAGE

Le problème de la réinsertion ne se pose pas vraiment pour les enfants du primaire, essentiellement pour deux rai­sons. En premier lieu, ils sont le plus souvent scolarisés dans la région de leurs parents, à proximité du village que ceux-ci habitent. En second lieu, leur jeune âge et leur ni­veau d'études ne leur permettent pas d'avoir le recul de leurs camarades collégiens et de disposer des éléments de comparaison que les seconds possèdent. Nous traiterons donc essentiellement dans cette section des comportements et des réactions enregistrées auprès des élèves du secondaire.

1/ La réinsertion différée

De nombreux collégiens ne regagnent pas immédiatement leur famille une fois l'année scolaire terminée. Ils profitent

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alors de leurs premières semaines de vacances, soit pour de­meurer à Abidjan ou à Bouaké lorsqu'ils poursuivent leurs étu­des dans ces villes, soit pour voyager à travers le pays. Dans ce deuxième cas, ils rendent visite à des parents qui résident dans les villes de l'intérieur. Aussi le chemin du retour vers Issia, Sakasso, Ferkéssédougou, est-il souvent fort long à par­courir. Il existe cependant d'importantes variantes régionales: les collégiens de Sakasso et d'Issia voyagent plus que ceux du nord, car ils disposent d'un réseau interurbain de parenté plus fourni. Il est cependant fort rare que les élèves sénoufo qui résident pendant l'année scolaire à Abidjan ne fassent pas une halte ou deux sur le chemin de Ferkéssédougou, à Bouaké en par­ticulier. La tournée des parents va bien sûr à 1'encontre de la réinsertion dans le milieu d'origineo

En retardant ainsi leur retour, les collégiens semblent ex­primer plusieurs intentions du point de vue qui nous occupe (l) et, tout d'abord, la recherche d'un gain de prestige qui se note au niveau le plus superficiel. Celui qui a beaucoup voyagé est investi d'une considération supplémentaire de la part de sa fa­mille villageoise. Les élèves profitent au surplus de ces visi­tes préalables à leur retour pour se faire les porteurs de mes­sages familiaux et se rendre ainsi indispensables dès leur arri­vée. Aux dires de plusieurs de nos informateurs, les élèves trouvent dans ces séjours familiaux loin de leur ville d'origine l'avantage de renouer progressivement avec leur famille. Le pas­sage du milieu moderne au milieu traditionnel serait alors moins brutal. C'est ce que nous confirment les quelques étudiants que nous avons interviewés. Disposant de plus de temps pour voyager que leurs camarades du secondaire, ils estiment que le passage de l'un à l'autre milieu est pour eux encore plus progressif dans la mesure où ils peuvent "un peu traîner" avant de regagner la famille. Ce manque d'impatience à rejoindre le village ou la ville d'origine traduit au fond une certaine aprehensión à l'égard de tout ce qu'on va retrouver.

Une fois arrivés à Issia, Ferkéssédougou ou Sakasso, les élèves marquent un nouveau temps d'arrêt lorsque des parents

(1) Sans compter l'intérêt touristique, le goût des voyages, du changement, du dépaysement, le désir de revoir des pa­rents que l'on rencontre peu souvent*

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habitent en ville, avant de gagner les villages d'origine, comme si une préparation supplémentaire des collégiens était nécessaire pour aller au delà. Il semble qu'ils attendent un moment propice pour renouer avec le milieu villageois. Nos informateurs invo­quaient, entre autres raisons, la nécessité de prévenir la famille villageoise de leur arrivée, en leur adressant un message ou un messager. Il faut aussi trouver une situation familiale sereine. Un éventuel conflit entre les parents du collégien et le restant de la famille retardera la visite et le séjour au village. Quel­ques garçons nous ont même révélé à Issia (Bété) et à Sakasso (Baoulé) que leurs pères consultaient, soit un devin soit leurs propres cultes et fétiches familiaux, pour savoir le moment le plus favorable au retour des enfants dans le milieu traditionnel. Nous atteignons là certaines des raisons profondes, et cachées dans un premier temps, du comportement des collégiens. Ceux-ci connaissent les dangers que courent les individus qui réintè­grent le milieu traditionnel du fait des rapports de forces occultes qui soustendent ce milieu. C'est donc en partie par crainte que les jeunes (1) opposent tant de préalables à leur retour en milieu villageois.

2 / L'autonomie apparente des élèves

Pourtant la situation semble à première vue très différente» Les collégiens en vacances, et a fortiori les quelques étudiants que nous rencontrons dans les villages, jouissent d'un prestige certain que nous avons évoqué précédemment. Ce prestige, allié à leur absence du milieu traditionnel pendant la majeure partie de l'année, leur confère une autonomie que l'on repère à de multi­ples indices aussi bien dans la petite ville que dans le village. Les nombreux liens d'amitié entretenus avec d'autres collégiens, la vie quotidienne passée en bande, sont la première expression du démarquage des élèves vis-à-vis de la société d'origine. Les associations d'élèves, les clubs leur permettent, ensuite, de se situer également comme groupe tant vis-à-vis du milieu familial et du milieu adulte que vis-à-vis des autorités administratives modernes» C'est ainsi que l'on peut saisir la signification des conflits larvés qui opposent parfois les sous-préfets aux asso­ciations d'élèves en vacances, dans la mesure où les premiers

(1) . . . . et leurs parents.

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estiment que les seconds reconnaissent mal leur autorité. Il est de fait que la population d'élèves de secondaire consti­tue un groupe qui se dérobe plus facilement à la tutelle du pouvoir moderne au niveau des petites villes. Enfin, nous re­tiendrons comme dernier indice (1) de cette autonomie les mul­tiples soirées dansantes qu'ils organisent en ville et aussi dans leurs villages, au moins pour les régions d'Issia et Sa­leas so. En ces moments privilégiés les collégiens s'expriment en tant que groupe de jeunes lettrés prêt à s'ouvrir, en théo­rie au moins, sur ses camarades non lettrés, mais en même temps sûr de ses prérogatives et de son avenir, en ce sens au moins que les collégiens savent qu'en aucun cas ils ne réin­tégreront tout à fait le milieu d'origine.

Cependant, cette autonomie apparente ne signifie pas du tout une indépendance réelle vis-à-vis du milieu adulte. Nous savons1 déjà que les conflits entre adultes et élèves ne tour­nent presque jamais à l'avantage de ceux-ci et que les situa­tions de tension se règlent plutôt par des compromis que par des oppositions ouvertes* Les élèves craignent trop les sanc­tions qu'ils encourent (2) en désobéissant aux adultes.

La perte d'autorité de ceux-ci, la crise d'autorité que des observations superficielles dénoncent, ne sont qu'appa­rence. Les adultes n'acceptent rien qui puisse remettre en question l'ordre traditionnel dans ce qui en demeure : l'au­torité parentale, le contrôle des parents sur les jeunes en­fants, les croyances traditionnelles profondes au niveau des lignages et les pratiques qui en résultent, les deux se main­tenant rigoureusement malgré la disparition des cultes pu­blics« Ils tolèrent l'agitation superficielle des jeunes en vacances parce qu'ils savent qu'elle n'ira pas très loin« Les jeunes s'en iront bientôt et tout rentrera dans l'ordre villageois. D'ailleurs, lorsque les élèves dépassent la me­sure, par exemple en détournant de leurs tâches les jeunes agriculteurs, les vieux interviennent fermement. La tolerance

(1) Il y en a d'autres, par exemple l'autonomie relative des élèves par rapport aux activités agricoles.

(2) Que nous exposerons dans la prochaine section.

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est cependant plus large dans le centre et dans 1'ouest où les élèves, plus nombreux, peuvent se regrouper, même au niveau villageois. En pays sénoufo. le milieu familiel plus pauvre, plus sévère, plus fermé sur l'extérieur, exclut au niveau vil­lageois de telles manifestations d'autonomie. La tolerance des adultes et des vieux joue seulement en ville et il 7 a relati­vement peu de conflits. A l'inverse, c'est en pays bété, ©ù nous rencontrons la société rurale la moins hiérarchisée des trois régions d'étude, que nous enregistrons également le plus de conflits (l). Il serait ainsi prouvé que ceux-ci ne surgis­sent que lorsque les jeunes ne sont pas dans une situation de dépendance telle qu'ils n'osent même pas s'exprimer* Cependant le dernier mot revient toujours aux vieux, même en pays bété.

3 / Réserves et incompréhension réciproques

Les élèves conviennent facilement qúüls ne disent pas tout ce qu'ils pensent à leur famille villageoise, surtout lorsqu'ils sont en désaccord avec les opinions exprimées. Lorsqu'ils se lan­cent dans les interprétations modernes du monde et de l'existen­ce, ils sont souvent très mal reçus. Nous avons rapporté que l'an dernier une grande source de controverses entre jeunes et vieux était née du débarquement des Américains sur la lune. Cer­tains parents musulmans nient encore aujourd'hui la réalité de cet événement. En général, toutes les déclarations plus ou moins scientifiques des enfants de retour au village et qui vont à l'encontre des croyances et des habitudes sont assez mal accep­tées. Un étudiant nous rapporte que dans la région de, erkéssé-dougou le lettré qui veut expliquer à ses compatriotes villa­geois qu'il est bon de retirer les petits cailloux mélangea au riz, sources de crise d'appendicite, se voit immanquablement répondret "Nous avons toujours mangé notre riz comme cela, tu fais le Blanc".

La communication s'établit d'autant moins facilement qu'il existe d'énormes obstacles de langue. Quand les enfants n'arri­vent plus à trouver le mot juste dans leur langue maternelle, les vieux refusent de croix» à leurs explications. Cette exigen­ce de s'exprimer dans la langue vernaculaire, où il n'est pas toujours possible de transcrire un vocabulaire moderne, se dou­bla de la difficulté à se faire comprendra en français qui est

(l) En particulier entre jeunes paysans et vieux lorsque les premiers veulent imiter les élèves pendant les vacances et refusent 'd'aller aux champs.

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encore peu répandu dans les villages. Dans tous les cas, un en­fant qui essaie d'expliquer quelque chose à un adulte est consi­déré córame mal éduqué et irrespectueux. Aussi, la plupart du temps les jeunes cachent-ils leurs divergences d'opinion et se conten­tent d'exprimer leur désaccord lorsqu'ils se retrouvent entre eux» "Les vieux mettent trop de mystère dans tout" ou bien encore: "Mon père raconte des âneries" sont les types de jugements que l'on peut alors enregistrer.

Dans les régions où il existe une certaine fluidité entre la ville et la campagne, un des moyens de pression des adultes sur les élèves consiste à obliger ceux-ci à venir rejoindre leurs pa­rents sur les campements et les petits villages. Le père ou l'on­cle procède alors à des demandes d'explication d'ordre familial, par exemple au sujet de tel ou tel comportement du jeune qui lui aura déplu, •'•'ans ce contexte très traditionnel soumis aux évoca­tions continuelles des ancêtres ou des esprits, le jeune ressent très fort le poids des croyances villageoises et la arainte des sanctions•

SECTION II - LE POIDS DES CROYANCES TRADITIONNELLES ET LA

CRAINTE DES SANCTIONS

1/ Changer d'habitudes

Il faut donc changer d'habitudes lorsqu'on retourne au vil­lage et retrouver celles dictées par la tradition. Dans la région de Sakasso, par exemple, les collégiens nous disent qu'ils évitent de chanter ou de siffler le matin en se lavant comme ils le font à l'internat; ceux qui ne respectent pas cet interdit encourent des réprimandes de la part des adultes. On peut citer comme autre exem­ple la soumission aux règles totémiques« Nous nous promenions â Issia lors de notre enquête de contrôle avec un garçon dont l'ani­mal totémique était le chien. Nous avons .alors croisé un eadavre de chien sur la route, notre compagnon nous dit que s'il avait été en compagnie de son père, il aurait été contraint de s'arrêter et de recouvrir le chien de branchages.

2 / Le respect et la crainte des vieux

Il est symptomatique que les mêmes jeunes qui critiquent l'autocratie des vieux de leur famille ne désirent pas pour autant

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que la situation change du tout au tout, c'est-à-dire que "l'on n^obéisse plus au vieux*. Ce respect des plus âgés tient d'abord à ce qu'ils sont les dispensateurs des richesses et qu'ils fi­nancent donc les études. Le lien de dépendance directe vis-à-vis de celui qui nourrit et protège est toujours ressenti très fort dans l'Afrique contemporaine, même au niveau des jeunes lettrés (l). Il est d'ailleurs fréquent que les parents coupent les sub­sides d'un fils récalcitrant. Tel de nos informateurs qui n'a pas voulu aider ses parents sur leur plantation n'a pas reçu le mon­tant de ses frais de transport au collège. Les parents refusent parfois de payer l'ensemble des frais de scolarité. Cette sanction, qui peut aboutir à l'arrêt de la scolarité, est cependant ressen­tie comme moins grave que celles d'ordre mágico-religieux ou que celles qui aboutissent à un rejet de la famille. L'aide matérielle des adultes entraîne donc obéissance et reconnaissance à leur égard. Mais les jeunes souhaitent en même temps un réaménagement de la tradition, qu'ils expriment un peu naïvement dans le sens du maintien du respect à l'égard des plus âgés, tout autant que de la suppression de la crainte qu'ils inspirent, du fait qu'ils sont supposés être détenteurs de pouvoirs occultes. Nous voulons en effet, dans cette enquête, nous contenter d'extérioriser les systèmes de relations inter-personnelles des jeunes de petites villes ivoiriennes. Nous avons rapidement pris conscience qu'il était impossible d'en rendre compte valablement si l'on ne les resituait pas en même temps dans le cadre idéologique ou elles s'inscrivent* Pour les jeunes, l'explication par la magie ou en­core le recours à la magie constituent les voies normales d'in­terprétation et de la résolution des tensions, des conflits, et des échecs qui naissent de la vie quotidienne. Comme les vieux détiennent le pouvoir mágico-religieux qu'il préside au système, ils sont craints pour les sanctions qu'ils peuvent infliger à ceux qui s'opposent à eux.

3 / Les sanctions magiques des conflits

Partout, il nous a été rapporté que ceux qui enfreignaient les règles du milieu traditionnel risquaient de tomber malades et parfois même de devenir fous. Le milieu adulte prévient même par ses manipulations les risques éventuels de conflits. Ainsi,

(1) Ce fait ressort nettement de l'analyse des narrations, données aux élèves de CM 2, dans le cadre de l'enquête.

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lorsqu'un lettré revient au village qu'il a quitté depuis long­temps, en particulier après un voyage en Europe, il est, paraît-il, amené (1) à "raconter tout ce qu'il a fait ailleurs, les fau­tes qu'il a commises", pour reprendre les dires d'un informateur. Pour cela, les vieux le rendait malade et dénoncent alors les fé­tiches offensés comme les responsables de la situation.

A plus forte raison, lorsqu'un conflit éclate, l'élève crain-dra-t-il des sanctions d'ordre magiques ou religieux: acte de ma­gie d'agression ou malédiction. La crainte des actes de magie d'agression ne concerne, pas les ascendants directs père et mère, mais plutôt les agissements de collatéraux ou d'alliés i oncles, tantes, marâtres, beaux-parents. La croyance à l'efficacité de ces pratiques est répandue chez une majorité de jeunes. La malédiction peut émaner du père et parfois aussi de la mère» On la rencontre plus fréquemment en milieu musulman et dans le nord. Elle se ra­mène au schéma suivantt Si c'est vraiment moi qui t'ai conçu (père ou mère), si c'est vraiment toi qui a fait cela (suit la descrip­tion de l'acte incriminé), alors que tu sois maudit et que tu échoues dans tes entreprises" (2). Que le jeune se sente l'objet d'une malédiction ou d'un acte de magie, (les effets enregistrés sont souvent voisins), la victime perd sa profession lorsqu'elle en exerçait une ou bien n'obtient plus que des mauvais résultats scolaires et d'une façon générale accumule les échecs. Elle acquiert une personnalité instable et présente de graves troubles de comportement.

Il faut remarquer que les élèves associent les risques d'agres­sion par les fétiches à la dénonciation des agressions par empoi­sonnements graves ou légers. Il s'établit d'ailleurs une confusion dans leur esprit entre les risques d'agression d'ordre purement magique et le danger du poison.

k/ L'emprise du milieu sur les sceptiques

Les jeunes qui affichent trop ouvertement leur incrédulité à l'égard du corps de croyances traditionnelles subissent alors de multiples formes dé manipulations qui se révèlent souvent d'autant plus efficaces que les réfractaires sont très peu nom­breux. H faut reconnaître qu'une forte dose de courage et un sens critique aigus sont requis de la part des collégiens qui

(1) Fait surtout noté en pays baoulé.

(2) Sur ce point nous renvoyons pour plus de détails au rapport provisoire.

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reviennent au village, pour résister à l'emprise des représenta­tions collectives héritéeB du milieu adulte. -Ûans un premier temps, les réfracta ires encourent la réprobation et les menaces des adul­tes (l). Dans un second temps, les jeunes sont soumis à un vérita­ble endoctrinement de la part de leurs aines. Cette entreprise de conversion, ou du moins de retour aux normes traditionnelles, débute souvent par le récit d'événements extraordinaires dont le narrateur a été le témoin. L'autorité morale de celui-ci, les liens personnels qui l'unissent avec le jeune, ne permettent pas à ce dernier de met­tre en doute sa parole» Mais la reprise en main prend très vite une allure systématique. Certains parents peuvent aller jusqu'à conduire leurs enfants chez tous les membres de la famille et chez toutes personnes susceptibles d'apporter des preuves ou d'accomplir des faits allant dans le sens de la révélation du système de croyances traditionnelles. Le jeune est alors confronté avec des faits appa­remment inexplicables. Tel de nos informateurs bété assiste à la façon dont un "masque" (2) met en flamme un arbre rien qu'en le regardant ou nous rapporte que son père, par simple effort de vo­lonté, peut empêcher un chanteur de chanter au cours d'une cérémo­nie. Tel autre nous dit avoir été témoin d'actions extraordinaires: moutons foudroyés rien qu'en les touchant avec une canne magique, murs qui s'effondrent dès que le féticheur les touche du doigt.

A ces diverses entreprises d'endoctrinement s'ajoutent parfois des manipulations plus précises sur la personne des jeunes qui pren­nent la forme de début d'empoisonnement. L'explication du malaise sera du type suivant* le jeune, par ces comportements et ses pro­pos, a indisposé les gardiens cachés (3) de l'ordre traditionnel. Il ne lui sera administré de contre-poison que s'il fait preuve de bonne volonté, au moins verbalement, et que s'il reconnaît ses erreurs.

Les propos échangés par les jeunes, les histoires qu'ils col­portent se combinent également à l'action des adultes pour perpé­tuer le système. D'une façon générale, les jeunes entretiennent la vision du monde qu'ils ont hérité du milieu adulte. C'est par l'in­termédiaire de camarades d'école que les jeunes introduisent, par exemple, des pratiques traditionnelles dans leurs pratiques scolai­res. Le jeune contestataire de retour dans son village affronte à

(1) On a une idée de ce qu'évoquent ces menaceä après la descrip­tion rapide des différentes sanctions.

(2) C'est-â-dire un porteur de masque. (3) Qui sont par exemple les esprits, les ancêtres, les fétiches.

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peu près seul les convictions de la communauté d'origine. Dans un tel contexte, un changement d'opinion de sa part et un retour »ux normes traditionnelles sont fréquents, à moins qu'il ne soit doté d'une très forte personnalité. Dans ce dernier cas, les garçons rencontrés reviennent sur leurs velléités de scepticisme et adhèrent à nouveau à l'opinion de leurs parents, ainsi que nous avons pu le remarquer d'un séjour à l'autre dans les deux premières villes enquêtées.

Aux vues des réponses obtenues, il nous est apparu que les élèves du premier degré semblaient moins informés que leurs ca­marades des faits magiques et des croyances en la magie. Or, les enfants du premier degré sont mieux insérés dans le milieu d'ori­gine villageois et devraient donc mieux connaître ces problèmes qui font partie de leur réalité quotidienne. On peut trouver plu­sieurs hypothèses à leur manque d'information, leur manque d'opi­nion et parfois leur condamnation de ces croyances.

- La première hypothèse tient à la nature des rapports entre enquêteurs et enquêtes. Les enfants du primaire, plus jeunes, étaient incontestablement les plus intimidés. Ils avaient une attitude doublement réservée par le fait qu'ils s'adressaient d'abord à un adulte, ensuite à un étranger. Ils n'ont donc cer­tainement pas révélé tout ce qu'ils savaient en la matière. Ajou­tons à cette première hypothèse le degré d'expression verbale des enfants du premier degré qui, de plus, pratiquent un français plus sommaire que celui de leurs camarades.collégiens«

- Il est possible également, comme seconde hypothèse et comme plusieurs informateurs nous l'ont dit, que les jeunes enfants soient en partie tenus à l'écart de ces connaissances et de ces pratiques magiques à cause de leur âge. Celles-ci ne leur seraient révélées que progressivement. A Sakasso, plusieurs enfants de Baoulé nous ont répondu dans ce sens, avouant qu'ils étaient trop jeunes pour avoir des fétiches mais qu'ils "en prendraient" quand ils seraient plus âgés.

- Comme dernière hypothèse, nous avançons qu'il existe peut-être déjà une évolution des attitudes et des comportements* Les enfants du premier degré dans l'ensemble (1) ont des parents plus

(1) Il s'agit d'une moyenne,bien sûr,car certains peuvent être les derniers nés d'une famille polvgamique dont le chef est agi.

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jeunes que les collégiens. Ces jeunes adultes seraient moins sou­mis à l'emprise des croyances traditionnelles qu'ils transmet­traient donc de façon moins rigoureuse.

Ces différents points mériteraient de plus amples investi­gations. Pour l'instant, force est de constater l'emprise sur le milieu scolaire, de ce que nous nommons par facilité de vocabu­laire les "croyances traditionnelles".

SECTION III - MILIEU TRADITIONNEL ET MILIEU SCOLAIRE

Malgré leurs qualités certaines d'adaptation, les enfants et les adolescents qui poursuivent leur scolarité sur les bancs de l'école primaire, puis sur ceux du collège ou du lycée, n'a­bandonnent pas du jour au lendemain la conception du monde et les pratiques qui en découlent qui leur ont été inculquées dès leur plus jeune âge et avec lesquelles ils se retrouvent pério­diquement confrontés. Aussi l'univers scolaire est-il tout im­prégné des données traditionnelles que nous venons de présenter.

1/ Les interférences école-village et village-école

Lorsqu'un villageois enregistre des revers de fortune et qu'il s'en explique à un devin (1) "medecin-man", il est fré­quent que celui-ci le renvoie à une faute commise par un élève de la famille pour expliquer la situation. Il sera toujours possible par la suite de faire avouer à un écolier lors de son retour au village qu'il a transgressé un interdit familial ou une règle de la communauté villageoise. A plus forte raison, en sens inverse, les jeunes seront-ils obligés de respecter les règles et les usages de leurs compatriotes (on nous parle sur­tout du respect des "fétiches familiauxn) lorsqu'ils regagnent le village. Sinon leur moindre échec scolaire sera interprété en terme de désobéissance aux fétiches.

C'est à la famille villageoise que pense en premier lieu un élève qui enregistre un revers sur le plan scolaire. Ses propres parents, les marabouts ou les féticheurs consultés, feront por­ter leurs soupçons sur celui ou sur celle qui, soit a des raisons particulières d'entretenir des mauvaises pensées à l'égard de l'élève malchanceux, soit est connu pour être en conflit généralisé

(l) Appelé féticheur ou marabout suivant le contexte culturel.

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avec sa famille. Le neveu d'un instituteur de Sakasso, élève de £ène, nous rapporte le oas suivant: un de ses amis plus âgé a obtenu de bons résultats scolaires jusqu'à la fin de sa classe de 3èmej au troisième trimestre de celle-ci, à quelques jours du brevet, il fut atteint d'une maladie des yeux (ses yeux cou­laient et il ressentait de fortes démangeaisons), il ne pouvsit plus travailler en classe et il ne se présente pas à son examen* Notre informateur ajoute alors: On a été en brousse consulter; il y a un féticheur oui a dit» »C'est la tante qui a fait ça parce qu'elle est jalouse"•

Nous avons également rencontré à Sakasso un jeune Wobé en visite chez son oncle infirmier et en traitement chez un mara­bout célèbre de la région. Ce garçon était victime depuis deux ou trois ans de troubles qui perturbaient gravement sa scolari­té. Tous les devins consultés avaient attribué la responsabilité de la situation à son oncle, jeune frère de son père« L'oncle en question était demeuré au village tandis que le père de l'in­formateur s'était enrichi comme gérant d'une chaine commerciale à Man. Malgré les bienfaits dont le petit oncle avait été comblé, celui-ci aurait été jaloux de la réussite du père de l'informa­teur. Ce dernier subirait ainsi actuellement les effets de ses agressions magiques.

Nous pourrions multiplier les exemples de situations où les mauvais résultats scolaires sont directement interprétés comme le résultat d'une agression en provenance du village d'origine de la victime.

2 / Pratiques scolaires et pratiques magiques

Les enfants du primaire et les collégiens essaient d'abord d'obtenir des résultats scolaires positifs pour leur travail et leur assiduité; en cela ils ne se différencient pas des élèves d'autres régions du monde, encore qu'il faille remarquer une fois de plus (l) la part excessive accordée à la mémoire qui prend le pas sur le raisonnement. En même temps, comme il était possible de le prévoir compte tenu de ce qui précède, les jeunes essaient d'assurer leur succès à l'aide de pratiques magiques. Il est bon de nuancer cette assertion en précisant qu'agissent

(l) De nombreuses études plus spécialisées ont mis le fait en lumière.

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de la sorte la majorité des enfants rencontrés mais non pas la totalité. Les élèves réfractaires à ces pratiques, au moins au niveau de l'expression de leurs opinions, sont soit des fils de lettrés ayant déjà atteint un certain niveau d'études, soit des enfants de parents pratiquant de façon ortodoxo une reli­gion oecuménique (islam ou christianisme). Nous avons rencontré des sceptiques également parmi les élèves des classes termina­les du secondaire et parmi les étudiantes. Il n'en demeure pas moins que la majorité des informateurs adhèrent aux croyances et aux pratiques qui en découlent, même si leur milieu familial est moins réceptif que celui de leurs camarades. Ainsi, les en­fants de fonctionnaires et d'étrangers qui sont coupés du mi­lieu traditionnel en matière de relations familiales ne le sont pas de ce fonds culturel commun à toute l'Afrique de l'ouest au niveau des normes, des croyances et des explications du monde. En effet, les enfants qu'ils fréquentent â l'école colportent de nombreuses informations concernant les faits de magie et il arri­ve même qu'ils fassent participer à leurs croyances et à leurs pratiques leurs petits camarades étrangers. La chose se passe se­lon le schéma suivantt à quelques jours d'une composition ou d'un examen, les enfants de la région persuadent leurs petits camarades étrangers de venir consulter avec eux un marabout ou un féticheur qui leur donnera le charme, le fétiche ou la re­cette efficace (l) pour passer l'obstacle sans coup férir.

Ainsi, les pratiques scolaires classiques se doublent de pratiques magiques. Un collégien baoulé de Sakasso, élève de classe terminale, nous présente les données générales de la situation: "A quelques jours des examens, chacun veut être ad­mis. Les parents essaient par tous les moyens de contribuer au succès de leurs enfants. Quand j'étais plus jeune, j'avais un ami adulte qui m'aimait beaucoup, il était marabout, il a voulu me donner un certain liquide qui devait me porter bonheur â l'école. On commande d'Europe dans des catalogues, on voit des chaînes magiques, des stylos magiques. J'ai commandé une fois en Europe un stylo, on m'a proposé en même temps toute une sé­rie de choses magiques''.

Il ressort de ces propos trois faits importants.

(l) Bavard "magique", pratiques diverses ou fétiches traditionnels.

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- Une volonté de réussir à tont prix et par tons les moyens aux examens. Plusieurs incidents relevés en cours d'enquête, comme celui que nous rapportons ici, le confirment, "un jour, on était là pour la composition. Il (1) a voulu effacer le tableau. Il avait un fétiche en poche qui est tombé* Dès que c'est tombé seu­lement tout le monde a crié dans la salle, vite il l'a remis en poche en regardant les élèves. C'est par là que j'étais sûr que c'était un fétiche. Tout le monde riait dans la salle. Il a fui à la maison"•

- Tout le milieu adulte soutient alors les enfants. Il est même possible de commander jusqu'en Europe des talismans et au­tres stylos magiques.

- Les parents jouent un rôle déterminant dans cette course aux fétiches avant l'examen. "Avant l'examen, je fais tout pour rester au village et voir avec mes parents. Alors ils vont chez le féticheur" (baoulé, fils de gendarme). Dans le nord, les col­légiens nous rapportent que les parents villageois les chargent de fétiches et de divers autres porte-bonheur lorsqu'ils quit­tent le village] mal leur en prend d'ailleurs s'ils refusent cette aide ou s'ils la traitent à la légère: leur attitude sera tenue pour responsable de leur échec.

3 / L'échec: le recours à l'explication extérieure toujours possible

Les fétiches servent à réussir, ils servent aussi à se pro­téger contre d'éventuelles agressions magiques car il est bien évident, à l'intérieur du système décrit ici, qu'ils peuvent être également causes d'échecs.

Nous avons vu que les antagonismes familiaux servaient à expliquer les échecs scolaires attribués alors aux agressions magiques des membres malveillants de la famille. Ce schéma constitue en fait une explication particulière au sein d'une explication générale de la malchance et des revers de l'exis­tence qui seraient toujours dûs aux rapports de forces cachés et d'essence magique qui naissent des systèmes de relations interpersonnelles dans lesquelles chaque individu est inséré«

(1) Le camarade dont parle l'informateur.

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Tous les revers scolaires trouvent alors une explication calquée sur ce modèle, même si le devin consulté n'incrimine pas un mem­bre précis de la famille. C'est dans cette rubrique que se re­placent les accusations croisées de magie d'agression que se por­tent des enfants d'ethnies différentes.

Tout ce qui est inexplicable directement, à moins que l'éle­vé ne trouve des raisons en lui-même de son échec, sera inter­prété à la lumière d'actes d'agression magique effectifs ou ima­ginaires. Au moment de passer un examen un élève ressent-il un malaise physique? Pour peu qu'il échoue, la raison en est attri­buée à une agression occulte; on l'a "attaché". Nous avons re­cueilli de multiples exemples de symptômes physiques rattachés à des agressions. Les plus souvent évoqués sont les suivants! - "Mes ¿Jambes et mes bras tremblaient" - "Un jour je ne voyais plus clair en classe" - «*e ne pouvais pas écrire, j'étais comme paralysé" - L'élève qui a été victime d'un malaise ira ensuite consulter un marabout ou un féticheur, seul ou en compagnie de ses parents. Celui-ci immanquablement fera le lien entre le com­portement de l'enfant pendant son examen et les réseaux cachés de forces et de tensions qui l'enserrent. Tout trouve donc une explication sur ce modèle. Un jeune Dioula de Sakasso, élève de £ème, nous donne ainsi les causes de ses difficultés de lecture: "Au CM 2, j'étais tellement fort, surtout en calcul, il y avait un petit Baoulê trop fort en fétiche; il a essayé de m'attacher un peu, lorsque je lisais, je bégayais un peu. Un marabout m'a expliqué que c'est un copain qui m'a "travaillé" avec le fétiche baoulé et c'est pour cela que je ne sais pas bien lire".

Un changement dans les résultats obtenus sera interprété de la même façon. "A l'école primaire il était trop fort et puis au cours secondaire il ne pouvait plus continuer", nous dit un gar­çon d'un de ses camarades qui a échoué, soulignant l'aspect anor­mal de cet échec. Un premier de classe qui rétrograde à un rang plus modeste, un élève bon dans une matière ou il enregistre brus­quement une contre-performance, sont convaincus d'avoir été envoû** tés. D'ailleurs leur entourage scolaire interprète le fait dans le même sens qu'eux*

En résumé, l'attitude des élèves vis-à-vis de l'école fait interférer deux ordres de causalité. Les élèves donnent, d'une part, des explications en termes concrets et positifs de leurs

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réussites et de leurs écheos: aaladle, surmenage, problèmes fa­miliaux, plus ou moins grande assiduité, aptitudes de l'élève. Mais ils présentent, d'autre part, des explications qui font dépendre les résultats scolaires de tous les systèmes de rela­tions inter-personnelles dans lesquelles chaque écolier se trou­ve impliqué et en référence au système idéologique traditionnel dans lequel il n'existe pas d'événements neutres.

Cependant, sauf de très rares exceptions (1), une protec­tion suffisante pour écarter les mauvais sorts et mettre sur la voie dé la réussite n'assurera pas celle-ci automatiquement* La position la plus fréquente consiste à dire que pour réussir il faut, d'une part, être protégé efficacement (référence au sys­tème traditionnel), d'autre part, travailler par soi-même (ré­férence au système moderne). Hais, comme il existe une tendance générale à 1*explication par la magie de toutes les formas de malchance, les actions occultes et les références à d'éventuel­les manipulations magiques interviennent encore plus dans l'es­prit des élèves comme facteurs négatifs (cause d'échec) que comme facteurs de réussite.

SECTION IV - SCOLARISATION ET CHANGEMENT SOCIAL

L'école reflète la stratification sociale actuelle et pré­pare la stratification future; c'est ce que comprennent de nom­breux paysans qui essaient de tout mettre en oeuvre pour que leurs enfants poursuivent leur scolarité.

1/ Stratification actuelle et scolarisation

Au niveau de l'enseignement primaire, puis à celui de l'en­seignement secondaire, les enfants ont des possibilités d'accès différentes à l'école suivant leurs origines (parents citadins ou ruraux, lettrés ou illettrés). Ils vivent dans des milieux plus ou moins favorables à la scolarisation. Ainsi note-t-on dans les trois régions d'enquête que les fils d'agriculteurs et plus généralement d'illettrés ont une connaissance et une pratique du

(1) Très rares sont les garçons qui imaginent que l'on puisse réussir sans aucun effort. On rencontre cependant quelques réponses du type: "C'est un élève qui a un fétiche très fort, il peut réussir sans travailler".

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français beaucoup moins bonnes que les fils de fonctionnaires et de lettrés. Les enfants des seconds bénéficient de condi­tions de vie meilleures et peuvent en particulier poursuivre leurs efforts scolaires dans un cadre familial plus protecteur tant d'un point de vue matériel que d'un point de vue psycho­logique. Pour peu que leurs parents s'intéressent à leurs pro­grès, ils trouvent alors chez eux le calme et la place néces­saires à la rédaction de leurs devoirs et à la préparation de leurs leçons. On note aussi, à l'inverse, que les enfants de ruraux fournissent souvent plus d'efforts que les petits cita­dins. Il existe chez eux, au moins parmi les élèves du CM 2 que nous avons interrogés, une conscience diffuse du fait que l'éco­le constitue la façon la plus directe d'échapper au milieu tra­ditionnel. Ayant connu plus de difficultés pour se faire scola­riser (l) et supportant encore une situation contraignante en raison des conditions de vie de leur milieu, les fils de paysans déploient plus d'ardeur au travail, alors que souvent les fils de notables et plus largement de lettrés peuvent se laisser aller à la facilité de leur position sociale et se comportent parfois comme une jeunesse dorée répugnant à l'effort. Quels que soient leurs résultats scolaires, ils espèrent toujours une issue pas trop catastrophique (un petit emploi obtenu par protection) à une scolarité médiocre, grâce aux relations de leurs parents. Les fils de paysans, pour leur part, savent très bien qu'un échec scolaire a de fortes chances de se solder par un retour à la condition paysanne.

Par contre, pour peu que les fils de fonctionnaires et de lettrés désirent travailler, ils enregistrent des résultats bien meilleurs que leurs camarades, grâce â leur handicap très favorable de départ.

2 / La scolarisation, facteur de stratification sociale future

En même temps et selon leurs résultats scolaires bons ou mauvais, les enfants occupent une place bien différente dans la hiérarchie sociale au sein d'une société où la réussite scolaire

(1) Les enfants de fonctionnaires sont normalement mis à l'école lorsqu'ils atteignent l'âge d'entrer au CP I alors que la scolarisation d'un fils de paysan résulte souvent d'un arbi­trage, au sein de la famille, comme nous l'avons noté.

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est encore perçue comme une voie assurée d'ascension sociale. La prise de conscience de ces changements futurs, conséquence de la scolarisation, explique les jalousies qui naissent en milieu, vil­lageois à 1'encontre des enfants qui réussissent trop bien leurs études.Ceux-ci sont alors en but à l'hostilité des autres enfants et aussi des parents dont les descendants échouent sur le plan scolaire. Ces jalousies s'expriment de multiples façons, depuis la réprobation et les insultes qu'encourent les parents qui van­tent trop imprudemment les succès de leurs fils, jusqu'à des ten­tatives d'empoisonnement perprétrés sur la personne de l'élève qui réussit ses études. La compétition scolaire et l'atmosphère de suspicion et de crainte dans laquelle elle se déroule sont autant d'indicateurs de cette stratification sociale en train de s'opérer qui accentue les conflits villageois.

3 / L'école investissement

Un fait, la scolarisation d'un enfant est souvent considérée comme un investissement différé. Cette raison explique que le mi ­lieu villageois n'est pas systématiquement hostile à l'école, sauf dans le nord. Si les parents n'aident pas toujours leurs enfants dans leurs efforts scolaires, s'ils mettent de nombreux obstacles à la poursuite d'un travail régulier, la continuation des études est néanmoins perçue comme un enrichissement futur pour la famille de l'enfant et c'est en cela que le jeune scola­risé constitue un investissement différé. Il en résulte que très peu de parents ou d'enfants arrêtent pas eux-mêmes une scolarité, c'est l'échec indépassable avec les séquelles financières qu'il représente qui signifiera l'arrêt définitif. De même, est-ce au nom de futurs avantages de la collectivité villageoise (1) que les paysans riches sont parfois sollicités dans le centre-ouest en particulier, ainsi qu'on nous l'a rapporté, pour subvenir aux besoins scolaires des élèves du village pauvres mais méritants.

SECTION V - ECOLE, MILIEU TRADITIONNEL ET CONTRADICTIONS INDIVIDUELLES

La scolarisation entraîne un changement au niveau des cons­ciences individuelles des élèves, qui est plus difficilement

(1) Cette pression exercée sur les plus riches par les paysans pauvres exprime également un idéal diffus de justice sociale.

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perceptible. L'acquisition d'un savoir moderne plonge les jeu­nes dans une série de contradictions dont nous avons déjà donné un aperçu. Nous voudrions rapidement évoquer en conclusion de ce chapitre la représentation que les jeunes se font de leur situation. Il existe d'abord deux façons extrêmes de résoudre ces contradictions.

1/ Les cas limites: refus global du milieu d'origine ou réinsertion totale

Un certain nombre de jeunes, suivant en cela leurs parents, révèlent qu'ils n'entretiennent plus aucun lien avec le milieu d'origine villageoise. Ce type d'information provient bien sûr d'étrangers aux trois régions d'enquête, par exemple des fils de fonctionnaires ou de commerçants. Les enfants qui connais­sent de telles situations expliquent que l'absence de voyage au village de leurs parents leur épargne la tutelle contraignan­te des vieux, la crainte des fétiches et de la sorcellerie, l'affrontement des susceptibilités villageoises.

A l'inverse, il nous a été rapporté quelques cas de réin­sertion totale dans le milieu d'origine pour y prendre la place et surtout les fonctions laissées vacantes par la mort l'un ascendant. Dans ce cas, les intéressés répudient globalement ou en partie leurs habitudes citadines. Un jeune informateur guère nous rapporte le cas d'un de ses cousins qui est revenu au village prendre la place du porteur de masque auquel il de­vait normalement succéder. Deux informateurs baoulé nous par­lent de la reprise de cultes familiaux par des nouveaux cita­dins qui, pour cela, renoncent à la ville et regagnent le vil­lage. Enfin, le cas le plus fréquent est celui du retour au village d'un jeune auquel il échoit par héritage de succéder au chef de famille. Il est bon toutefois de remarquer que, dans tous les cas qui nous furent rapportés, il s'agissait rarement de lettrés de haut niveau mais le plus souvent de personnes tout juste titulaires du C E . P .

2 / "Nous sommes entre deux mondes"

Les cas précédents constituent la limite de situations où les jeunes se débattent entre des impératifs ethniques et des comportements contradictoires, sans pouvoir ni vouloir choisir.

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La perpétuation des relations avec la famille étendue, en même temps que le désir de participer au monde moderne auquel l'édu­cation reçue leur donne droit, maintiennent les jeunes dans un état de contradictions incessantes: contradictions au niveau directement saisissable des relations sociales entre la fidéli­té à l'égard des relations familiales et intra-ethniques et la recherche d'affinités fondées sur la communauté d'une expérien­ce scolaire partagée, contradictions au niveau plus difficile­ment appréhendable des systèmes de références: La rationalité occidentale véhiculée par le contenu de l'enseignement de l'idéo­logie traditionnelle sécrétée par le milieu villageois où ils se retrempent périodiquement. C'est tout cela qu'exprime alors un de nos informateurs de Sakasso lorsqu'il dit: "Nous sommes entre deux mondes". Dans la plupart des cas, les jeunes s'acco-modent approximativement des deux systèmes mettant l'accent, tantôt sur l'un, tantôt sur l'autre suivant la situation (1), participant aux deus sans se retrouver totalement ni dans l'un ni dans l'autre. Seule une toute petite minorité d'étudiants rejette le système traditionnel, mais est bien obligé, pour ne pas rompre avec la famille, de s'en aecomoder en apparence, tel cet étudiant bété qui poursuit sa formation en Europe et qui, drapé dans son pagne, nous dit en parlant des vieux: "Ils nous expliquent tout au niveau des esprits, alors que nous com­prenons des phénomènes physiquesH. Mais le même informateur ajoute aussitôt que "les intellectuels n'essaient pas trop de discuter au niveau des villages pour qu'il n'y ait pas trop de problèmes".

3 / L'identification impossible

Même s'ils n'atteignent pas à un semblable niveau de luci­dité, nos informateurs désignent tous ce véritable exil inté­rieur qui commence avec l'école primaire et qui se perpétue avec les études secondaires et supérieures. Tout se passe comme si les jeunes, conscients des décalages irrémédiables de leurs situations tant à l'égard de la société moderne que de la so­ciété traditionnelle, essayaient de maîtriser avec peine une vérité contradictoire (ainsi un élève de classe terminale nous dit: "Il faut se recycler de temps en temps dans la famille et au village"), entre les termes de laquelle ils ne veulent

(l) On assiste en fait à des phases d'harmonie: choix du moder­nisme en ville et de la tradition à la campagne et à des phases de disharmonie: en ville choix de la tradition, au village choix du modernisme.

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ni ne peuvent choisir (l), à l'exception de la toute petite mi ­norité sus-mentionnée. L'impossibilité de la plupart des jeunes à faire la synthèse du double apport dont ils sont tributaires est génératrice de confusion intellectuelle grave que la plupart essaient de surmonter par une morale pratique, par un dédouble­ment de leurs attitudes. Aussi ne faut-il pas s'étonner de l'op­portunisme intellectuel qui constitue souvent la base de toutes leurs opinions et actions (2).

En dernière analyse le poids de la société traditionnelle est telle que les jeunes s'alignent surtout sur celle-ci par conviction personnelle et de crainte de se trouver déracinés.

(1) Recycler: le vocabulaire même employé dans cette situation trahit le chevauchement du modernisme et de la tradition.

(2) Par exemple: inter-ethnicité du réseau social dans la ville d'étude et intra-ethnicité de ce même réseau lorsque l'élève regagne son milieu familial, ou bien encore explication tour â tour par une causalité positive ou par les fétiches des accidents scolaires et même superposition des deux types d'explication.

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EEUXIEME PARTIE

LES JEUNES FILLES DES PETITES VILLES

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Parallèlement à la recherche de J . M . GIBBAI, nous avons entrepris vine courte enquête auprès des jeunes Ivoiriennes, scolarisées et déscolarisées. Ayant travaillé dans les trois mêmes villes que lui, Issia, Sakasso et Ferkéssédougou, nous ne reprendrons pas les descriptions géographiques, économiques et sociologiques qu'il en a faites.

Puisque notre travail avait pour but (et cela par défini­tion) d'être complémentaire du sien, nous avons cherché à opé­rer dans le même champ problématique que lui, c'est dire que notre attention a été à priori mobilisée par la reconnaissance de groupes parmi les filles.J.M. GIBBAL a bien montré que les garçons concernés par l'école (de manière positive pour les scolarisés ou négative pour les déscolarisés) étaient consti­tués en trois groupes homogènes, entretenant entre eux des rapports harmonieux ou conflictuels et qu'il a nommé: élèves du primaire (ou primairiens), élèves du secondaire (lycéens et collégiens) et déscolarisés. Nous avons repris pour la tester cette même distinction: les scolarisées sont soit des élèves du primaire (primairiennes), soit des élèves du secondaire (ly­céennes et collégiennes). S'y ajoutent les déscolarisées et en­fin les non-scolarisées que nous avons appréhendées à travers l'image qu'en proposaient les élèves et les déscolarisées.

Au cours des trois chapitres qui suivent, nous avons cher­ché â montrer que les fillettes et les jeunes filles se distin­guent par leurs réseaux de relations et leurs aspirations du reste de la population et sont donc susceptibles de former des groupes.

Mais si ces groupes ne trouvent pas de modalités d'exis­tence suffisante pour être reconnus comme tels et demeurent vir­tuels, c'est que les jeunes filles sont trop mobilisées par leur milieu familial et que les élèves sont trop peu nombreu­ses à passer leurs vacances dans les petites villes où résident leurs parents.

Cependant, quelque soit leur degré de cohésion et de struc­turation, quelque soit la reconnaissance ambiguë qui leur est faite par les autres forces sociales en présence (famille, grou­pes de garçons scolarisés, villageois) qui semblent à la fois les reconnaître comme telles et négliger cette différence dans

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la vie quotidienne, nous continuerons à distinguer les jeunes filles, en les nommant primairiennes, lycéennes ou collégiennes, et déscolarisées, parce que leurs réseaux de relations parfaite­ment distincts, les rapports qu'elles entretiennent entre elles et leur situation vis-à-vis de l'école nous le permettent. Dans le premier chapitre, nous avons abordé les primairiennes, les élèves du secondaire et les déscolarisées, en nous attachant surtout à étudier leurs réseaux de relations féminines. Dans le second chapitre, nous avons rendu compte des rapports que les jeunes filles entretiennent entre elles et des relations qu'elles ont avec les garçons. Enfin, le dernier chapitre traite du milieu familial dans lequel les jeunes filles sont insérées; insertion qui dans les chapitres précédents est demeurée en filigranne, mais toujours présente puisque souvent c'est elle qui limite la composition des réseaux de relations et oriente les rapports inter-personnels.

I - RECONNAISSANCE DES GROUPES ET DE LEURS

RESEAUX DE RELATIONS (i)

SECTION I - LES ELEVES DU PRIMAIRE OU LES PRIMAIRIENNES

1 / Ecole et amitié

En demandant aux élèves du primaire quelles étaient leurs amies et/ou leurs camarades (2) durant les vacances, nous avons constaté qu'elles fréquentaient dans la plupart des cas des fillettes ou jeunes filles qui étaient également à l'école pri­maire, dans la même école, et le plus souvent dans la même clas­se qu'elles. Parfois à ces amies s'en ajoutent d'autres qui, elles, ont quitté l'école ou sont déjà en 6ème ou 5ème. Ces amies ont généralement fréquenté l'école avec elles il y a quel­ques années ou bien habitent dans la même cour ou une cour voi­sine de la leur. C'est d'ailleurs souvent en raison de la

(1) Nous avons étudié isolément les réseaux de relations fémini­nes et les réseaux de relations masculines.

(2) Nous avons repris la distinction qu'ont établie toutes les élèves entre "amie'' et "camarade" et qui correspond à une hiérarchie dans l'ordre de l'attachement et de l'intimité.

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proximité physique que les primairieimes connaissent et ont très exceptionnellement des camarades qui ne vont pas en classe (fau­te de n'y avoir jamais été).

Les villes dans lesquelles nous avons mené notre enquête possèdent toutes une ou plusieurs écoles primaires, si bien que les primairiennes que nous y avons rencontrées pendant les va­cances y avaient également passé leur année scolaire. Il ne semble donc pas surprenant que le processus d'amitié et de ca­maraderie soit le suivant: c'est à l'école que les élèves du primaire rencontrent des amies qu'elles continuent à voir fré­quemment pendant les vacances ou des camarades avec qui elles entretiennent des rapports plus occasionnels. L'école apparaît bien comme le support initial et prépondérant de leurs rela­tions, puisqu'il semble qu'en dehors de l'école les primai­riennes n'ont que peu d'occasions de se faire des amies.

2 / Composition ethnique des réseaux d'amitié et de camaraderie

A Ferkéssédougou, à Issla, et à Sakasso, le réseau de re­lations des primairiennes est intra-ethniqus lorsque les fillet­tes appartiennent à l'ethnie dominante de la région (Sénoufo, Bété, Baoulé), et sont des filles de cultivateurs. A contrario, les relations inter-ethniquee sont le fait des fillettes étran-gères à la région et de celles dont le père occupe une situa­tion sociale importante.

Donc, soit l'appartenance à l'ethnie de la région, soit le fait d'être fille de planteur, et le plus souvent les deux à la fois, semblent influer les primairiennes â n'avoir que des re­lations inter-ethniques. De même, la non appartenance à l'ethnie de la région ou l'appartenance sociale â un milieu de notables ou de fonctionnaires,et à plus forte raison la convergence de ces deux facteurs, entraînent à une inter-ethnie i té dans le ré­seau de relations des primairiennes.

3 / Volume du réseau de relations

Le facteur d'appartenance sociale n'apparaît pas négligea­ble quant à la dimension du réseau de relations des élèves du primaire. A Sakasso, par exemple, une fille de gendarme cite quinze amies et camarades, tandis que les filles de planteurs, surtout lorsqu'elles demeurent au village, à quelques kilomètres

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de la ville, n'ont qu'une ou deux: amies« La pauvreté du réseau de relations de ces élèves s'explique aisément par le petit nom­bre de filles scolarisées originaires du village et qui 7 pas­sent leurs vacances (beaucoup voyagent pendant l'été), et du peu de loisirs qu'elles ont d'aller.en ville retrouver d'autres camarades, puisque les différents travaux agricoles et ménagers qu'elles ont à assurer durant les vacances dans leur famille, ne leur en laissent guère le temps.

k/ Clivages ethniques

Si beaucoup d'élèves du primaire ont un réseau d'amitié inter-ethnique, il n'en demeure pas moins qu'à Sakasso et à Issia, les primairiennes, surtout lorsqu'elles appartiennent à l'ethnie de la région, n'ont pas ou peu d'amies et camarades dioula. L'opposition qui règne entre les Dioula et les gens du centre et de l'ouest (l) est sans doute reflétée par les en­fants qui se plaignent parfois de la méchanceté des petits DioulaÎ "Les Dioula font toujours palabre. Si tu fais palabre avec un seulement, ils se groupent sur toi pour te frapper. Ils ont frappé une petite fille baoulé à la pompe parce que la petite fille ne voulait pas leur donner à puiser. La pe­tite fille pleurait et les Dioula se moquaient d'elle (Sa­kasso, Rose, 13 ans, CM2, père planteur, Baoulé).

Parfois, la méchanceté des petits Dioula est niée, mais remplacée par une accusation de saleté 1 "Les Dioula ne sont pas méchants, mais ils sont sales, et la morve ça leur vient toujours (au nés)" (Sakasso, Marie, 10 ans, CHI, père secré­taire, Bété).

A Issia, le rejet des Dioula par les primairiennes s'ex­prime plus en terme de comparaison qu'en terme d'accusation: "Je n'aime pas bien les Dioula, j'aime mieux les Baoulé, et les Guère que les Dioula". (Léonie, 13 ans, père infirmier, Bété) ou "Je préfère les Baoulé par leurs façons, ils sont bons. Les Dioula quand ils lavent le linge, ils versent l'eau dans leur cour, Ç* sent mauvais" (Solange, U4. ans, CM2, père infirmier à Issia, Guère).

(1) U n'y a pas, ou peu de conflits, entre les gens du nord et les Dioula.

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Mais, à l'inverse^les petites filles dioula accusent les enfants baoulé "d'être méchants" et de "porter des grigris".

5/ Clivages sociaux

Si les primairiennes rendent compte très précisément de conflits inter-ethniques sous forme de stéréotypes ou d'anec­dotes, par contre elles n'ont pas nettement conscience des différences sociales, et tout au plus certaines d'entre elles rapportent des faits qui en sont une illustration: "J'ai été invitée au "boum" par le fils du médecin. Mow père m ' a deman­dé, comme J'ai dit que c'est le fils du médecin, il m ' a lais­sée partir" (Anina, 15 ans, CM2, fille d'un planteur dioula, à Issia).

Cependant, dans les réseaux d'amitié, il est apparu, d'une part, que beaucoup de filles de cultivateurs se voyaient entre elles et, d'autre part, qu'un certain nombre de filles de fonc­tionnaires (agent de bureau, gendarme, secrétaire, directeur d'école, infirmier, directeur de la SATMACI...) ne citaient parmi leurs amies aucune fille de planteurs, mais par contre des filles dont le père exerçait une fonction assimilable de près ou de loin à celle de leur père.

Mais ce clivage demeure flou, dans la mesure où les autres primairiennes (filles de commerçant, d'instituteur, de doua­nier...) établissent des rapports d'amitié tant avec des fil­les de cultivateurs qu'avec des filles des notables ou des fonctionnaires, qu'elles choisissent souvent en raison de la proximité de leurs concessions avec la leur«

6/ Voisinage et amitié

Les primairiennes aident leur mère, leurs marâtres et leurs aînées, dans la maison; elles vont, s'ils en ont, dans le ou les champs de leurs parents, et parfois aident leur mère à vendre au marché. Elles sont retenues chez elles la plupart du temps et n'ont la permission de rendre visite â leurs petites amies qu'une ou deux fois par semaine: "Ce sont les samedis que mon père me laisse sortir, alors je vais chez Awa, celle qui est tout près, je vais causer chez elle jusqu'à huit heures de la nuit. Elle m'accompagne chez moi" (Catherine, 12 ans, CE2, père cultivateur, baoulé à Sakasso).

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Ainsi leur meilleure amie habite souvent dans une cour voi­sine, ce qui leur permet alors de se voir plus fréquemment et même d'accomplir ensemble les tâches que leurs parents respec­tifs réclament d'elles. "Je l'aide (mon ande) parfois à faire la cuisine, après ça elle m'accompagne chez moi, elle m'aide aussi" (Denise, II4. ans, CM2, père douanier guère à Ferkéssédou-gou). Elles vont ensemble chercher de l'eau, laver le linge, au marigot, ramasser du boisj parfois, elles "font des petits commerces": "Avec mes amies, on vend ensemble des oranges et des bananes à la douane; je donne l'argent à maman" (Awa, 13 ans, CM2, père planteur sênoufo à FerJcéssédougou).

Mais les petites primairiennes qui se rendent visite mu­tuellement se retrouvent également pour jouer (à la marelle, à cache-cache, à la corde, au welé, aux cartes, au ludo.. .) ou pour faire des promenades: B^n s'amuse, on joue au ludo, on visite les villages, il y a une montagne, on va sur la col­line, on s'amuse là-bas, on parle ensemble de ce qu'on fera le lendemain". (Armande, lU ans, CMI, père infirmier baoulé, à Ferkéssédougou). Elles bavardent de la classe» "On parle comment les maîtres nous frappent en classe" (l) (Eugénie, 111 ans, CM2, père planteur guère à Issia). Ensemble elles vont dans les boutiques, coupent leurs robes, se tressent et s'apprennent des chansons.

7 / Clubs de primairiennes à Issia

En général, elles se retrouvent à deux ou trois et non pas en bande, sauf à Issia où, fait original (l), certaines de nos informatrices appartenaient à des clubs dont tous les membres étaient des adolescentes. A titre d'hypothèse, nous supposons que l'existence de nombreux clubs de garçons, d'un centre de jeunes organisé par la mission catholique et d'un centre de puériculture et de couture que peuvent fréquenter les fillettes, ont pu servir de modèle et d'impulsion à la création de tels groupes (ce qui, a contrario, expliquerait l'absence totale de regroupement de filles à Sakasso où il n'y a pas non plus d'organisation de grands élevas, pas plus

(1) Encore que les regroupements de femmes soient fréquents dans la société traditionnelle.

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qu'il n'y a de lieu de rencontre ouvert et institutionnalisé. L'existence de ces clubs à Issia fait qu'un certain nombre de primairiennes se retrouvent régulièrement à six ou sept et que les activités qu'elles partagent (réunions, préparations de "boums" et boums eux-mêmes) se distinguent totalement de celles qu'elles ont dans leur milieu familial.

Il y a, à notre connaissance, trois clubs de primairiennes à Issiat "Les Cousines italiennes", "Les Intimes" et les "Beegees" (l). L'organisation interne de ces clubs n'est pas sans rappe­ler celle des clubs de garçons. Les élèves y ont toutes une fonction et un statut précis et hiérarchisé: présidente, vice-présidente, secrétaire générale, secrétaire adjointe, trésorie­rs directe et membres. Les "Cousines Italiennes" et les "Inti­mes" sont très célèbres auprès des élèves d'Issia. Les premiè­res sont cinq et portent parfois un uniforme: des robes tail­lées dans le même tissu de pagne bleu et jaune. Les "Intimes"» qui se sont constituées en club depuis plus longtemps que les "Cousines Italiennes", sont huit. Les membres des clubs ont po­sé comme postulat à leur association une parfaite entente: "On dit de ne pas faire de palabres, de ne pas faire d'histoires. Si tu fais palabre avec ta camarade et qu'elle n'a pas raison, ou si ce qu'elle t'a fait t'a touchée, tu vas le dire à La pré­sidente", et elles se sont fixé comme but principal l'organisa­tion de "boums". Il semble que leur accord soit très réel, puis­qu'il est perçu comme tel par des élèves étrangères à ces clubs: "Les clubs, je trouve ça bien, parce qu'au cours de leurs dan­ses, elles ne font pas de palabres". Elles se retrouvent lors de réunions qui sont l'occasion de verser leur cotisation. L'argent obtenu est utilisé pour organiser des fêtes. Chacune des "Cousi­nes Italiennes" remet tous les samedis dans la "caisse" deux cent francs qu'elle gagne, pendant l'année scolaire, en achetant des bonbons et en les revendant à la récréation.

S'ajoute à ces deux cent francs hebdomadaires, l'argent offert par leurs parents au moment des fêtes ou pour la réussite d'un examen. Les "Intimes", par contre, ne cotisent pas réguliè­rement, mais à l'occasion des "boums", participent librement en

(1) Si on en faisait un relevé systématique, les noms des clubs des élèves pourraient être utilisés comme indicateurs (parmi d'autres) de l'imaginaire des scolarisées. Ici les trois termes "cousines","intimes" et "abeilles" (bee en anglais) renvoient tous à des notions de communauté et de solidarité qui sont effectivement les bases de leur entente.

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remettant l1 argent que leurs parents acceptent de leur donner: "Moi je demande de 1*argent à mes parents, je ne vends pas des choses. D'autres le font, mais pas mol". (Rosalie, Hj. ans, CM2, Bété, père infirmier).

Notons à ce sujet que l'argent peut parfois devenir un point litigieux et la raison d'une dissolution du groupe, lors­que l'un de ses membres cède à la tentation de le détourner. Une élève qui allait en classe à Abidjan et qui 7 faisait partie des "KLackraan du Quartien Latin" nous a rapporté l'histoire suivan­te: "Le 10, on a invité des gens, et puis on avait donné plus de dix mille francs. Et notre présidente a pris tout l'argent, il ne restait plus que quatre mille cinq cent francs. Alors on a dit si c'est ça, on ne fait plus notre club, on laisse tomber et puis on a laissé tomber". (Rose, 19 ans, 2ème, Guère, père ins­pecteur primaire à Issia).

Mais il n'y a pas de scandales frauduleux, ni chez les "Cou­sines Italiennes", ni chez les "Intimes" et l'argent amassé sert à organiser des "boums" pour fêter la réussite scolaire de l'une de ses membres, le début des congés, ou pour célébrer la fête de l'Indépendance. Les membres prennent en charge toute la "soirée" en achetant des biscuits, des sodas, des chewing-gums et en pré­parant à manger. Elles invitent d'autres élèves et des collégiens. Ils dansent tous jusqu'à l'aube avec des disques et un electro­phone. C'est d'ailleurs les "boums" que les "Intimes" et les "Cou­sines Italiennes" ont données au début des vacances qui font leur célébrité, car certaines élèves primairiennes et jeunes collégien­nes y ont assisté.

Cela dit, certaines primairiennes qui ne font pas partie de ces clubs les critiquent très violemment: "Je n'aime pas les fil­les des clubs, elles ne sont pas bonnes, elles font des palabres, elles critiquent, elles disent qu'on est méchantes, elles sont fières, elles nous insultent parfois". (Elise, lU ans, CM2, Baou-lé, fille d'un adjudant chef d'Issia). "Dans un groupe il y trop de palabres et de batailles" (Thérèse, llj. ans, CE2, fille de plan­teur bété à Issia).

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SECTION II - LES ELEVES DU SECONDAIRE! LYCEENNES ET COLLEGIENNES

Dès que les élèves du primaire obtiennent le CEP et sont admises au concours d'entrée en 6ème, elles doivent, lorsqu'elles habitent une ville (l) où il n'y a pas de lycée ni de collège, la quitter pour une autre dont l'équipement scolaire est plus important et y être alors pensionnaire ou y vivre chez un tuteur.

Toutes les élèves du secondaire que nous avons rencontrées étaient donc revenues chez elles pendant l'été, après avoir passé une année scolaire à Abidjan, Gagnoa, Daloa ou Divo, pour celles qui passaient leurs vacances (ou une partie) à Issia, Abidjan, Beoumi, Dlmbokro, Gagnoa, Yamassoukro, pour celles qui étaient à Sakasso durant l'été; Abidjan, Béoumi ou Banfora, pour celles qui étaient à Ferkéssédougou.

1/ Amitié et école

Pour les élèves du secondaire, avec plus d'évidence encore que pour les primairiennes, c'est le lycée ou le collège qui sont à la fois l'origine et le fondement des amities que les jeunes filles entretiennent entre elles pendant les vacances. Au point que généralement leurs meilleures amies sont des com­pagnes de classes: "Mon amie fréquente avec moi1. Comme la dou­ble condition de fréquenter dans le même établissement (et dans la même classe) et de passer ses vacances au même endroit n'est pas toujours réalisée, certaines élèves du secondaire en vacan­ces n'ont que des camarades et pas d'amies (phénomène que nous n'avons jamais rencontré chez les primairiennes): "Mes amies sont â Daloa; ici je n'ai pas d'amies". (Armande, 16 ans, Hème, père planteur bété d'Issia), et beaucoun n'ont qu'une seule amie.

Les élèves de 6ème en vacances ont souvent comme camarades et même amies d'autres élèves qui, elles, ont échoué l'an passé au CEP et â l'examen d'entrée en 6ème et qui sont demeurées au CM2. C'est alors le souvenir d'une scolarité commune, qui fonde leur entente. Il n'empêche que le réseau de relations des élèves de 6ème en vacances est bien différent de celui qu'elles ont eu pendant l'année scolaire qui, lui, était constitué uniquement de camarades de 6ème.

(1) Ou ses environs.

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Il est tellement vrai qtie c'est à l'école que les jeunes filles établissent des rapports d'amitié, que les jeunes filles qui changent trop souvent d'école se plaignent de manquer de camarades. "Je change d'école souvent, je n'ai pas tellement de camarades". (Andrée, l6 ans, 3èrae, père sénoufo, mécanicien à Ferkéssédougou).

2 / Etendu du réseau de relations des jeunes filles du secondaire

Le réseau des relations féminines des élèves du secondaire en vacances est beaucoup moins étendu que celui des élèves du primaire, à cause de la rupture qu'il y a entre le lieu de leur scolarité et le lieu de leurs vacances. Il faut ajouter à cela que les élèves du secondaire sont peu nombreuses du fait d'une faible scolarisation et qu'elles le sont d'autant moins, dans les sous-préfectures où nous avons séjourné, qu'elles voyagent beaucoup pendant leurs congés.

Il semble comme pour les élèves du primaire, que la proxi­mité physique soit un facteur non négligeable dans les relations de camaraderie que les filles entretiennent entre elles. Hormis les lieux privilégiés de rassemblement que sont le marché et le marigot (l) ou des circonstances particulières telles que les "boums", l'espace de la ville paraît déborder largement le rá-seau de relations des élèves: "C'est tellement vaste, Sakasso, qu'on n ' a pas l'occasion de causer avec les autres". (Brigitte, 19 ans, 2ème, père chef de village à Sakasso).

Nous pensons que seuls les garçons ont la possibilité, la mobilité et le temps suffisant pour s'approprier l'espace en­tier de la ville, puisqu'aussi bien cette même collégienne ajoute tout aussitôt: "Depuis que mon frère est parti, il n ' y a plus d'activités, il y a deux ans il avait organisé un groupe théâtral". L'espace des vacances des garçons du secondaire re­couvre celui de la ville (2) pour laquelle ils sont un facteur d'animation, tandis que pour les jeunes filles, l'espace utilisé

(1) Où les élèves ont d'ailleurs la possibilité de rencontrer des jeunes filles déscolarisées et non scolarisées.

(2) I compris celui des villages avoisinants.

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est celui des alentours de leur concession et celui du quartier. La preuve en est que des élèves qui changent de quartier perdent des amies. "Avant j'habitais dans le quartier Saint-Paul, là il y avait plein de camarades de mon âge, et comme j'ai changé de quartier, je ne suis pas habituée aux filles de ce quartier1'. (Victorie, 21 ans, élève du CAFOP, père décédé, Ferkéssêdougou).

De faltóla proximité physique nécessaire à leur réseau d'ami­tié découle du temps, c'est-à-dire de l'aide qu'elles doivent accorder à leur famille. A Ferkéssêdougou d'une part, et à Issia de l'autre, l'Association des élèves de Ferkéssêdougou (A .E .F) , organisée par les jeunes gens de l'enseignement secondaire et su­périeur et le centre de la mission catholique, offrent aux jeunes filles la possibilité d'étendre leurs réseaux et d f 7 rencontrer d'autres élèves, mais elles n'ont pas forcément les moyens de s'assimiler à ces groupes, c'est-à-dire qu'elles n'en ont pas toujours le temps: "Je n'ai pas le temps d'assister à toutes les réunions, il faut que j'aide ma maman". (Victorie, 21 ans, élève du CAFOP, père décédé, Ferkéssêdougou).

Comme les élèves du primaire, les élèves du secondaire assu­rent pendant leurs vacances des tâches domestiques qui ne leur laissent pas le loisir de rencontrer leurs amies pour se distraire plus de deux ou trois fois par semaine: "On s'amuse le jour où on ne va pas aux champs". (Pamela, 18 ans, 6èrae, père planteur baoulé à Sakasso).

3/ Rapports ethniques et rapports sociaux

Nous avons tenu à montrer la pauvreté des réseaux de rela­tions (l) des élèves du secondaire, qui ne comptent souvent guère plus de deux ou trois camarades ou amie s, avant de donner des in­dications (qui de ce fait seront moins précises que celles que nous avons établies pour les élèves du primaire), sur leur com­position ethnique et/ou sociale.

A Sakasso les élèves du secondaire que nous avons rencon­trées étaient toutes baoulé, sauf une, qui était dioula. Les

(l) On constate ce même phénomène de pauvreté des réseaux de relations pour les femmes adultes d'Abidjan.

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élèves baoulé n'avalent que des amies baoulé, seule l'élève dlou-la avait un réseau de relations inter-ethniques. A Issia, la très grande proportion d'étrangers à la région fait que les réseaux de relations des élèves sent principalement inter-ethniques. Enfin, à Ferkéssédougou, les réseaux de relations des collégiennes sont inter-ethniques, mais comportent une forte majorité de Se©ouf o. Par ailleurs, une certaine tendance à se regrouper en raison de l'origine sociale procède à la composition de tous les réseaux de relations«

Mais l'incertitude de nos conclusions, qui tient à la très faible étendue des réseaux de relations, est en partie dissipée par le contenu des discours que tiennent les élèves du secondai­re et qui éclaire ce que nous avons appelé les clivages ethni­ques et les clivages sociaux.

U / Clivages ethniques

Pour toutes les élèves du secondaire, l'école a été l'ap­prentissage de l'inter-ethnicité: "J'ai des amies dioula, en classe à Béouml, mais pas ici" (Marie, 16 ans, £ème, Baoulé, Sakasso). Ici nous pouvons faire l'hypothèse qu'il existe pour les jeunes filles du secondaire deux systèmes de référence et de valeur: l'un "moderne", véhiculé par l'école, dans lequel les enfants ne se différencient pas par leurs origines ethni­ques et qui conduit les élèves durant l'année scolaire à choi­sir des amies indépendamment de leur communauté d'appartenan­ce: "Je ne fais pas de choix; j'aime bien les dioula" (Armande, 19 ans, 3ème, père planteur guère à Issia) - "J'ai des amies dioula, comme baoulé" (Béatrice, 17 ans, 3ème, Baoulé, père notable à Sakasso), l'autre, "traditionnel", celui de la fa­mille, qui suppose une plus forte intra-ethnicité dans les relations ou tout du moins le rejet de certaines ethnies, et que les élèves peu ou prou reprennent à leur compte pendant les vacances. Nous avons rencontré à Sakasso des élèves du secondaire qui, à travers ce qu'elles disaient, participaient en les reflétant aux antagonismes qui opposent les adultes baoulé aux adultes dioula (antagonismes qui se traduisent d'ailleurs au sol par une ségrégation spatiale, dont les quar­tiers dioula sont le signai Les accusations qu'elles portent sont de même nature que celles formulées par les primairiennest

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- Reproche de malpropreté: "Les Baoulé sont pas trop civi­lisés, ils sont trop sales". (Salita, ik ans, 6ème, père infir­m e r dioula â Sakasso).

- Reproche dont on voit qu'il reprend terme à terme ceux faits par les élèves baoulé du primaire et exprimés sans autre forme de procès par une élève du secondaire: "Je n'aime pas les Dioula". (Yolande, 15> ans, père baoulé, instituteur de Sakasso, 5ème).

- Accusation de pratiques magiques: "Surtout les filles dioula, elles portent des grigris", (-Brigitte, 1° ans, 2ème, père chef de village à Sakasso). "Les Bété, ne sont pas trop gentils, ils font des fétiches pour empoisonner leurs camara­des". (Fatou, lU ans, Dioula, père infirmier à Issia

Enfin certaines étrangères se sont plaintes de l'hostilité des élèves ivoiriennes â leur égard: "Les filles de Ferkéssêdou-gou me disent: "Tu viens en Côte d'Ivoire, tu n'as qu'à rester dans ton pays". (Aya, lLj, ans, 6ème, père voltaique).

Hais il semble que l'appartenance sociale, à partir d'une certaine notoriété des parents, neutralise les conflits inter­ethniques.

5/ Clivages sociaux

Nous avons rencontré â Issia et à Sakasso quelques élèves du secondaire qui appartenaient à des familles de notables dont la célébrité s'étendait au delà d'Issia et Sakasso et dont le nom (la renommée) et l'activité en faisaient des personnalités de la capitale. Les jeunes filles avaient conscience d'apparte­nir à une classe différente et savaient que les marques exté­rieures de cette différence étaient tout à la fois perçues et contestées (enviées): "Chez nous on nous critique, nous sommes les enfants d'un homme assez placé, on dit que nous faisons les malins, que nous aimons nous habiller et suivre le style de près. C'est pour cela que je n'aime pas souvent fréquenter les camarades, à part Sidonie parce qu'elle a un père assez bien placé. Avec les autres enfants du village, les autres élèves, surtout lorsqu'ils doivent payer quelque chose, ils disent: nous sommes pauvres, nos parents sont pauvres, nous ne pouvons pas faire cela". Alors nous, on préfère rester avec des enfants qui ne disent pas ça". (Béatrice, 17 ans, 3ème, Baoulé à Sakasso).

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Ces quelques élèves, n'ignorent pas non plus les avantages liés à l'appartenance de ce groupe privilégié: avantages de l'in­formation et du savoir dans l'exemple bien précis et fondamental (ne serait-ce que pour la possibilité de poursuivre des études -cf. 1-3) de la contraception: "Ça (les grossesses d'élèves) arrive plus souvent à un niveau plus basj parce que Quand même, à un cer­tain niveau les filles sont un petit peu plus au courant, alors elles prennent des précautions. A un niveau plus bas, alors elles se lancent dans les affaires sans bien savoir, alors c'est gâté pour leurs études" (Kuraba, 18 ans, 1ère). "Les filles qui ont des parents bien placés, elles ont quand même un savoir, et elles prennent des pilules. Avec les filles de Sakasso, c'est pas parce qu'on veut faire le secret, c'est un sujet qu'on n'est jamais arrivé à aborder" (Brigitte, 19 ans, 2ême, fille de notable baoulé de Sakasso).

6/ Filles entre elles

C'est pendant leurs moments de loisirs que les élèves se rendent visite. Il est bien évident que les filles de planteurs qui aident leurs parents aux champs ou qui doivent, surtout lors­que leur père n'a qu'une seule femme, rester à la maison pour préparer les repas et surveiller leurs frères et soeurs, ont moins de temps à consacrer à leurs amies que les filles de nota­bles chez qui plusieurs femmes et parfois une domestique, un boy, ou des parents s'occupent des travaux ménagers. Lorsque des amies habitent loin l'une de l'autre, leurs visites sont moins fréquen­tes. "Elles viennent me voir de temps en temps, nous aussi nous allons leur rendre des visites", (ses camarades habitent à l'autre bout de la ville). (Odile, 20 ans, 1ère, Peul, fille d'un conseil­ler pédagogique voltalque â ferkéssédougou).

Elles se rencontrent surtout pour bavarder. Elles parlent de l'école, de l'internat, de ce qu'elles ont fait et vu durant l'an­née, de l'avenir. "On parle de l'avenir» j'aimerai me marier à celui-là, ou celui-ci", (Solange, 16 ans, Uèae, Bété, fille de planteur d'Issia), de ce qui se passe dans les familles, de leurs camarades filles et garçons, des fêtes, des "boums", de leurs ro­bes» "Dès fois je dis» je viens d'acheter une robe, alors on me dit» fais moi voir, et si la robe plait à l'une d'elles, on va en faire une pour elle", (Jeanne, l5 ans,6ème, Agni, fille d'un per­cepteur d'Issia), ou des parents "qui ne nous laissent pas saaaaz sortir" (Marie-Anne, 18 ans, Uème, père instituteur baoulé à Sakasso).

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Elles se promènenti "On fait des promenades ensemble, quelquefois on va au rocher" (Jacqueline, lii ans, 6ème, père percepteur agni â Issia). "On se promène, on va dans les bou­tiques, quelquefois on va à la piscine" (Aya» 15 ans, Peul, père conseiller pédagogique à Ferkéssêdougou).

Elles écoutent de la musique et dansent entre elles avec "1»electrophone". A Ferkéssêdougou, elles vont au cinéma Les plus jeunes des élèves du secondaire jouent au ludo, à cache-cache, aux cartes, à la marelle, à la corde, au ballon, au volley-ball et s'apprennent des chansons.

SECTION III - LES DESCOLARISEES

C'est d'abord à travers ce qu'en disaient les élèves du primaire et du secondaire que nous parlerons des dêscolarisées. Dans le cadre d'un programme de télévision scolaire, il n'est pas négligeable d'aborder les raisons, telles qu'elles nous ont été rapportées, qui ont conduit des élèves à cesser de fréquen­ter l'école.

1/ Raisons familiales

Certaines situations familiales peuvent entraîner l'aban­don de l'école.

a) - Il arrive que les ressources financières des parents ne permettent pas à la jeune fille de continuer ses études au delà du CM2. L'entrée dans le secondaire, surtout si l'élève n'a pas obtenu de bourse, nécessite de paver les frais qu'occa­sionne un départ dans une autre ville, ajoutés à ceux de l'in­ternat, de vêtements et de fournitures plus importantes que dans le primaire et que souvent les parents sont dans l'incapacité d'assumer. Il est bien évident que ce sont tout spécialement les filles de petits planteurs qui sont le plus sujettes à de­venir des déscolarisées.

Un facteur ethnique joue également en ce sens que les Dioula ont encore une certaine réticence d'origine religieuse à envoyer leurs filles à l'école, si bien qu'en cas d'absence

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de moyens financiers et s'il 7 a plusieurs enfants, c'est à la fille que l'on fera cesser les études, tandis que le garçon aura plus de chances de les poursuivre«

b) - Un certain nombre d'élèves quittent l'école parce qu'elles ne peuvent pas suivre le niveau moyen de la classe ou qu'elles sont trop âgées (plus de 16 ans auCM2) (l) pour pré­senter le concours d'entrée en 6ème. Il est bien évident que ce qu'on appelle manque de dons, et c'est une banalité que de le rappeler ici, est lié en grande partie au milieu familial, incapable le plus souvent d'aider la jeune fille dans ses étu­des, surtout quand elle est l'aînée et qu'elle n'a pas de pa­rents lettrés pour la guider. De plus, dans bien des familles, le mode d'habitat, c'est-à-dire l'impossibilité pour la jeune fille de s'isoler le soir quand elle rentre chez elle, l'absen­ce d'électricité et les services ménagers qui lui sont deman­dés, ne favorisent guère un travail continu, un effort prolongé, au delà de celui qu'elle fournit à l'école. Ici d'ailleurs on peut ouvrir une parenthèse sur la difficulté et les retards qu'éprouvent les petites filles à apprendre le français, puisque en dehors du temps de l'école, elles s'entretiennent dans leur langue d'origine avec leurs parents. Là encore, ces facteurs de déscolarisation sont en fonction inverse du niveau social des parents.

c) - La disparition d'un des deux parents peut entraîner pour une élève son départ de l'école. La mort du père nécessite par­fois que la jeune fille seconde sa mère aux champs ou l'aide à vendre au marché tandis que le décès de la mère peut obliger une jeune fille à la remplacer dans la famille, c'est-à-dire à assu­rer les repas, le ménage et l'éducation de ses frères et soeurs en bas âge.

2 / Histoire personnelle

Le départ de l'école peut être également lié à des événe­ments de la vie personnelle et ce, surtout pour les élèves du secondaire.

a) - Certaines élèves refusent d'elles-mêmes de poursuivre leurs études. "Y a d'autres qui ont arrêté le collège, parce qu'elles voulaient être libres".

(1) Certains parents font modifier l'âge de leurs enfants pour leur permettre de continuer leur scolarité.

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b) - D'autres se marient très jeunes, et quittent alors l'école.

c) - Mais le plus souvent, certaines élèves du secondaire, parfois du primaire (CM2), tombent enceintes. Elles sont alors presque toujours renvoyées de l'école qu'elles fréquentaient. La plupart après l'accouchement ne retournent pas en classe parce que leur père refuse de donner à nouveau de l'argent pour leur scolarité. Elles s'occupent de leur enfant et restent dans leur famille. Cependant leur situation ne dépend pas uniquement de leurs parents mais également du père de l'enfant. Ce dernier, souvent à la demande des parents de la jeune fille qu*il a mise enceinte, reconnaît l'enfant qu'il fait, le cas échéant, élever dans sa propre famille, et paie les études de la jeune fille qu'il épousera par la suite.

3 / Intégration au milieu

Au contraire des garçons déscolarisés, il semble que les filles qui abandonnent leurs études pour l'une ou/et l'autre des raisons avancées ci-dessus se trouvent non pas dans une situa­tion intermédiaire, sans statut précis autre que celui d'an­cienne élève, n'appartenant ni au monde de l'école ni au monde des adultes, mais qu'elles sont immédiatement réintégrées dans un milieu social large. Elles retrouvent une place (qu'elles n'ont d'ailleurs jamais vraiment quittée) dans leur famille en y assurant un rôle ménager et une fonction économique, ou bien elles se marient le plus souvent avec un jeune homme lettré, ou bien elles trouvent un travail: "Elles font des commerces, elles vendent de l'attieké au marché, elles font de la couture", elles peuvent également passer des examens et avoir un métier: "Après quelques études à la maison, elle a réussi à passer un examen et elle est maintenant à la maternité (elle seconde la sage-femme)". Enfin d'autres partent dans de plus grandes villes. "Elle est à Abidjan chez son oncle maternel, parce qu'elle a refusé d'aller à 1'école"j "Elles vont chercher du travail dans les villes, à Bouaké, et elles deviennent matrones ou elles deviennent vendeu­ses dans les grandes boutiques, dans les supermarchés".

L'intégration sociale des déscolarisées n'est en rien me­nacée et, de surplus, auprès des lycéens et étudiants elles bé­néficient du statut de scolarisées qui, même s'il n'est que

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mémoire, se traduit au moins par la connaissance du français; seules les jeunes filles scolarisées ne les assimilent pas aux autres élèves (cf. chap. II I-C).

h/ Etudes de cas

Comme nous avons tenté de le montrer, les déscolarisées, au contraire de leurs homologues garçons, sont loin d'être des marginales. Nous avons eu cependant peu de contacts avec elles, en raison d'obstacles d'ailleurs différents de ceux que J .M. GIEBAL a rencontrés avec les désoolarisês. Elles étaient si bien intégrées à leur milieu qu'elles n'étaient guère mobili­sables pour un entretien et beaucoup d'autres, nous l'avons dit, avaient quitté la ville.

Nous rendrons compte cependant ici des interviews que nous avons recueillis, dans la mesure où ils éclairent et illustrent l'information qui nous a été donnée par les élèves. Les études de cas permettent de rendre plus précises et concrètes les rai­sons pour lesquelles les élèves ont dû arrêter l'école.

- Jeanne, 18 ans, Bétê, fille d'un petit fonctionnaire d'Issia, a quitté le collège de Gagnoa en 6ème, pour seconder sa mère trop âgée et séparée de son père. "Si ma mère se sent fatiguée, je fais la cuisine, je balaie la chambre, je lave mes petits frères et soeurs, et je vais aux champs avec ma mè­re". Elle veut devenir secrétaire pour gagner de l'argent.

- Rose, 22 ans, Sénoufo, fille d'un cuisinier à Ferkéssé-dougou, a quitté l'école au CMI, parce qu'elle n'avait pas la moyenne. Après quoi elle est partie à Abidjan chez son fiancé, commis magasinier. Quand elle a attendu un enfant, elle est retournée à Ferkéssédougou chez ses parents. Elle a perdu l'en­fant le jour de l'accouchement et, dans le même temps à Abidjan, son fiancé mourait. Elle est restée chez son père où elle s'occu­pe du ménage. Elle a un fiancé qui est employé à l'école de Korrogo. Elle attend de l'épouser.

- Yolande, 20 ans, Baoulé, père planteur aux environs d'Is­sia, a été en classe jusqu'au CM2. Elle a abandonné ses études parce qu'elle n'avait pas obtenu de bourse et que son père n'avait pas d'argent pour qu'elle continue. Elle reste à Issia chez son oncle pour suivre des cours de dactylo, à la sous-préfecture.

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Parmi les autres dé scolarisées que nous avons rencontrées« deux avaient quitté l'école â la suite d'événements qui ne nous ont jamais été rapportés par les élèves. Ces deux récits anecdo-tiques sont cependant exemplaires puisqu'ils montrent à quel point la poursuite des études est souvent aléatoire et combien l'interruption des classes peut être accidentelle.

- Béatrice, 17 ans, Wobé, résident â Issia, père décédé. C'est son frère qui s'est occupé de remettre au maître les pa­piers d'inscription â l'examen d'entrée en 6ème. Or ces papiers ont été égarés et Béatrice n'a pas pu passer l'examen. Elle est donc restée l'année entière chez son grand frère, et vient d'avoir un enfant qui a été reconnu par le père. "Mon grand frè­re a dit: comme c'est toi qui a "enceinte" ma petite soeur, tu vas nourrir la fille. Lui il a accepté de me nourrir. Il me nour­rit, il envoie de l'argent. Il veut m'épouser, mais je veux con­tinuer mes études". Elle compte reprendre la classe à Issia, cette année.

- Marie, 15 ans, Bété, père planteur à Issia. Son maître l'a renvoyée du CM2, parce qu'elle s'était querellée avec lui, au sujet d'une histoire de famille à laquelle il était étroite­ment mêlé. "Y a un maître au CM2, il a engrossé ma grande soeur Maintenant il y a un jugement. Le maître a insulté mon père et ma mère. J'ai fait palabre avec lui, à cause de ça il m'a ren­voyée de l'école". Elle est restée toute l'année chez elle, mais va retourner en classe â la rentrée dans une autre école.

5 / Réseau de relations des déscolarisées

Comme les élèves, les déscolarisées ont des réseaux de relations â tendance inter-ethnique et comme chez elles leurs propos reflètent les clivages qui existent entre certaines com­munautés: "Je n'aime pas les Dioula, ils sont tellement racis­tes" (Jeanne, 18 ans, Bété, d!Issia).

Les déscolarisées qui n'ont quitté l'école que depuis un an conservent des camarades scolarisées. Mais les autres plus âgées ont des amies mariées ou qui exercent déjà une profession et ne comptent parmi leurs camarades qu'exceptionnellement des lycéen­nes. Par contre, on le verra plus tard (cf. chap. Il), elles connaissent et ont des rapports amicaux avec les lycéens en vacances.

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II - RAPPORTS ENTRE LES DIFFERENTS GROUPES FEMININS

ET RAPPORT DES JEUNES FILLES AVEC LES GARÇONS

SECTION I - RAPPORTS DE FILLES ENTRE ELLES

1 / Primairiennes et élèves da secondaire

Le passage du CM2 à la sixième n'entraîne pas de rupture radicale entre celles qui sont désormais des lycéennes et les primairiennes, en ce sens que les élèves de 6èma continuent à voir pendant les vacances leurs camarades de l'an passé qui elles sont restées au CM2. Hais il semble que la nature des relations soit légèrement modifiée car, parallèlement à une camaraderie ou à une amitié qui demeure certaine, s'instaure un rapport d'autorité et de supériorité du en partie aux con­naissances nouvelles que les primairiennes reconnaissent aux élèves du secondaire« "J'ai des amies en 6ème, on a fréquenté ensemble quand elles étaient au CM2. Pendant les congés elles viennent chez moi, je vais chez elles, on cause ensemble, elles m'apprennent, elles me font faire des dictées et puis de pro­blèmes 3 si je fais des fautes, elles me corrigent".

La proximité physique est également un facteur de rela­tions entre les élèves du primaire et celles du secondaire. "J'ai une amie qui va au collège, je la connais parce que sa maison est à côté de la mienne" (Clémentine, l5 ans, CM2, père directeur à la SATMACI à ^erkéssédougou, Baoulé).

Il arrive également que de grandes élèves choisisent une primairienne et lui demandent de devenir leur araiet "Un jour elle (une élève de 5>ème) m ' a vue au balafon (l), après quelques jours elle est venue me dira que je vais être sa

(l) Danse au son des balafons.

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"chérie" (Attika, 10 ans, CML, père conseiller pédagogique à Ferkéssédougou, Peul). Lorsque l'écart d'âge et partant de la scolarité entre l'élève primairienne et l'élève du secondaire est assez important, il s'établit alors entre elles deux des rapports d'amitié hiérarchisés. Les jeunes élèves rendent des services à leurs aînées. "Elle (une élève de Uème) est chez nous là-bas j elle est devenue mon amie, elle me demande de puiser de l'eau pour elle, de laver les assiettes et de bala­yer" (Elisabeth, 13 ans, père instituteur baoulé, Sakasso). Elles les aident dans les tâches ménagères et font preuve à leur égard de marques de respect: "Elle est en 5ème. Je vais l'aider à puiser de l'eau pour mettre dans le canari. Je fais la vaiselle, puis la lessive. Quand elle vient chez moi, je la fais s'asseoir parce qu'elle est plus vieille que moi" (An­drée, lU ans, CM2, père cultivateur bété à Issia).

Les rapports amicaux et hiérarchisés reflètent ceux qu'en­tretiennent les soeurs de scolarité différente au sein de leur famille. C'est d'ailleurs souvent dans le contexte familial que les primairiennes sont amenées â connaître des amies de leurs grandes soeurs et qu'à l'inverse les élèves du secondaire sont en relation avec les petites amies de leurs cadettes. Les gran­des soeurs demandent aux plus jeunes de les aider dans les tra­vaux domestiques et sont obéies. Leur autorité n'est pas remise en question, car elle est un attribut traditionnel des aînés. "Les enfants n'obéissent parce que je suis la grande soeur". (Odette, 16 ans, i+ème, père planteur bété dans un village pro­che d'Issia). "j'obéis à mes grandes soeurs parce qu'elles sont plus grandes que moi, quand elles m'envoient au marché, quand elles m'envoient n'importe où, j 'y vais". (Salimata, 12 ans, CM2, père employé à la SATMACI, Senoufo, Ferkéssédougou).

Il semble que les liens existant entre les primairiennes et les élèves du secondaire, qui s'articulent à un rapport d'au­torité et d'obéissance, soient également très amicaux, et le fait que les grandes élèves emmènent leurs plus jeunes soeurs aux "boums" avec elles tend à le confirmer.

2/ Elèves et non scolarisées

Interrogées sur les non-scolarisées, la plupart des élè­ves, surtout celles du secondaire, répondent qu'elles n'en

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connaissent pas. Certaines leur reprochent de ne pas être assez développées et de ne pas être "civilisées11. C'est leur ignorance du français qui stigmatise la division entre les élèves et les petites filles qui n'ont jamais été en classe: "Comme elles ne sont pas à l'école je vais perdre mon temps parce qu'elles ne sa­vent pas parler français". (Christine, 10 ans, CE2, père chef de village, Baoulé).

Mais certaines élèves du primaire jouent avec leurs compa­gnes non-scolarisés, si l'occasion s'en présente: "-Parfois, quand je m'amuse avec mes cousines, elles (des petites filles qui ne vont pas en classe) viennent s'amuser avec nous. Elles sont gen­tilles" (Otto, lh ans, CM2, père planteur senoufo de Ferkéssédou-gou). "Je connais des filles qui ne fréquentent pas. On était dans la même cour avant, on joue, on va se promener, des fois on travaille ensemble, on va chercher l'eau ensemble". (Minata, llj. ans, CM2, père commerçant senoufo à *erkéssédougou). C'est d'ail­leurs parce qu'elles habitent leur cour ou une cour voisine, que quelques rares élèves du primaire citent des camarades non-scola-risées dans leur réseau de relations. La connaissance d'une lan­gue commune étant nécessaire à leur entente, il va de soi que ces fillettes sont de même ethnie qu'elles.

Si c'est au nom d'un savoir auquel n'ont pas accès les fil­lettes non solarisées que certaines élèves les rejettent, à l'in­verse c'est en raison d'un savoir que voudraient acquérir les non-scolarisées, que certaines élèves les fréquentent et jouent auprès d'elles un rôle pédagogique. Elles leur traduisent ce que les autres disent en français, elles lisent leurs lettres quand ces dernières en reçoivent, elles leur enseignent à parler fran­çais et à lire et leur apprennent des chansons de l'école. "Son papa n'a pas voulu la mettre à ]'école pour qu'elle reste aux champs. Quand elle voit ses amies aller à l'école elle voudrait y aller aussi. Je lui apprends à parler français, quand elle sau­ra le parler, je lui apprendrai à lire. C'est tout ce que je peux faire". (Eliane, 1$ ans, CM2, fille de douanier baoulé à Ferkés-sédougou).

Nous n'avons rapporté ici que des extraits d'interviews re­cueillis à Ferkéssédougou. Ce qui n'implique pas pour autant que nous n'ayons pas trouvé le même type de réactions à Issia et à Sakasso. Mais en effectuant délibérément ce choix nous avons voulu

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montrer que l'abondance de réponses faites à ce sujet à Ferkés-sédougou était proportionnelle au grand nombre de non-scolarisée de cette région. Dans le nord, la forte proportion de musulmans, dont on connaît les attitudes religieuses à l'égard des femmes, entraîne une faible scolarisation des fillettes.

3 / Eleves et déscolarisées

Il y a peu de déscolarisées dans les réseaux de relations des élèves tant du primaire que du secondaire. Notons, et cette constatation faite sur trop peu de cas mériterait d'être con­firmée, que les quelques déscolarisées qui sont des camarades d'élèves appartiennent à la même ethnie que ces dernières.

Mais pratiquement toutes les élèves connaissent de vue des déscolarisées, soit qu'elles habitent à proximité de la cour de l'une d'entre elles, soit qu'elles les rencontrent au marché, ou dans des "boums": "Surtout en vacances, quand il y a des ac­tivités soit des boums des surprise-parties, alors on s'en va ensemble pour danser8. (Chantai, 17 ans, 6ème, fille de plan­teur baoulé à Sakasso).

Si certaines élèves sont pleines d'indulgence pour les déscolarisées en arguant que ce n'est pas leur faute si elles ont quitté l'école, mais bien celle de leurs parents ou de leur "ami", la plupart des élèves ont envers elles une atti­tude critique et refusent souvent d'être leur amie. "J'avais une amie quand j'étais en Uème, elle a eu un enfant à l'école. Depuis elle ne fait rien. Je ne l'ai plus vue depuis". (Jeanne, 19 ans, 3ème, père infirmier bété à Issia).

Deux griefs principaux sont allégués par les élèves:

-Sn quittant l'école, elles ont gâché leur avenir, elles "ont gâté leur situation" et d'une certaine façon n'ont pas su profiter de la chance qui leur était offerte de s'ins­truire: "Je pense qu'elles sont sauvages, parce qu'elles ne veulent pas travailler", (^éonie, lli ans, CE2, père planteur baoulé à Issia).

- Les déscolarisées se "promènent trop", elles "courent après les garçons" et se "tiennent mal" avec eux: "A force d'avoir des amis, elles attendent un enfant. Ce n'est pas bon

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de faire ça. Elle était mon amie avant, maintenant elle n'est plus mon amie, ce n'est pas bien" (Eleonore, IS ans, CM2, père baoulé douanier â Ferkéssédougou).

Les deux termes de l'accusation se recoupent étroitement dans la mesure où beaucoup d'élèves ont conscience que leur réussite est liée à leur esprit de sérieux (certaines préten­dent refuser d'aller aux "boums" pour ne pas nuire à leurs études).

Il est reproché aux déscolarisées de ne pas avoir tenu l'école pour une valeur, et de ne penser ni à leur avenir sco­laire, ni à leur avenir affectif et matrimonial. "Je pense que ces filles ne réfléchissent pas bien en arrêtant leurs études et en se mariant. Moi ¿ë veux continuer". (Hélène, 15 ans, CM2, père agni, chef de brigade à Issia). "Le plus souvent c'est pas bon. Des fois elles font des enfants et le gars ne les marie pas: alors elles font que traîner. La prochaine fois, elles vont rencontrer un autre gars, elles feront des enfants eneore et maintenant les enfants auront un père différentj c'est pas joli. Si elles se promènent trop comme des je ne sais quoi, elles ne pourront pas avoir de mari". (Béatrice, 20 ans, 3ème, père baoulé décédé, sous-préfet d'Issia). Et c'est en cristal­lisant ces reproches qu'une jeune fille du CM2 a dit des désco­larisées t "Je pense qu'elles ne pensent pas".

Mais le rejet des déscolarisées par les élèves, grandes ou petites, n'en fait pas pour autant des homologues des gar­çons déscolarisés. Nous avons montré combien elles étaient in­sérées à un milieu social plus large que celui de l'école . («lias reprennent une place dans leur famille, elles accèdent au statut d'épouse, ou bien elles trouvent un petit métier ou une profession). De plus les jeunes gens,élèves ou étudiants, ne les excluent pas de leurs réunions. Elles sont invitées et assistent a leurs "boums", sortent et souvent se marient avec l'un d'eux ou du moins un lettré.

Les collégiens et les étudiants en congé cherchent en effet à rencontrer des jeunes filles instruites. Or, le très petit nombre de collégiennes en vacances (parce que de fait elles sont peu nombreuses â être scolarisées et que de sur­croît elles voyagent beaucoup pendant les congés qu'elles

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passent souvent dans une grande ville) ne leur offrent pas un choix suffisant d'amies, les amène à assimiler les déscolari­sées aux scolarisées. Les premières bénéficient à leurs 7eux des quelques années d'études qu'elles ont faites et de leur connaissance du français. Elles sont si peu comparables aux "panthères blessées" (1) que même "insouciantes" elles se re­fusent à frayer avec eux.

En nous maintenant au niveau de la pure interprétation (voie à la compréhension), nous pouvons expliquer le rejet des déscolarisées par les scolarisées comme le refus d'une situa­tion que les premières incarnent et dont les élèves se défen­dent d'autant plus qu'elles savent ne pas en être totalement à l'abri.

De plus, nous pourrions conclure que l'hostilité des jeu­nes filles scolarisées pour les déscolarisées est en fait la marque d'une rivalité auprès des collégiens et des étudiants et qu'elle signifie leur désir d'avoir elles aussi ce double avantage de la liberté (qu'elles leur prêtent) et de l'instruc­tion (que les jeunes gens leur accordent). Or, rien de ce que nous avons vu ou entendu ne nous permet de le faire.

Mais c'est précisément les rapports que les primairiennes et les collégiennes entretiennent avec les garçons, que nous allons maintenant aborder.

SECTION II - RAPPORTS DES ELEVES (FILLES) AVEC LES GARÇONS

l/ Reconnaissance des groupes de garçons

Quand les garçons parlent des filles, ils le font comme d'un groupe indifférencié. C'est souvent de la "gente fémini­ne" dans sa généralité qu'il s'agit. Ce qui tend à confirmer combien le groupe qu'elles forment en tant qu'élèves a du mal à se faire reconnaître comme tel et ce en raison de leur pe­tit nombre et de leur forte intégration au milieu familial.

(1) Cf, p*«aiéré partie, p. 22.

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Tout au contraire les primairiennes et les élèves du se­condaire* lorsqu'elles parlent de leurs camarades garçons, dis­tinguent bien les élèves du primaire qui sont en classe avec elles, les collégiens et les étudiants parmi lesquels les élè­ves du secondaire choisissent la presque totalité de leurs ca­marades de vacances, et enfin les déscolarisés qu'elles ne con­naissent pas et qu'elles ne veulent pas connaître.

Les déscolarisés - Le rejet qu'elles affichent unanimement à l'égard des déscolarisés renforce bien évidemment le constat de marginalité et leur existence tant bien même que négative en tant que groupe qu'en a fait J . M . GIBBAL. Les jeunes filles sont beaucoup moins indulgentes à l'égard des déscolarisés que ne le sont les collégiens. Le conflit n'est ni caché, ni déguisé: "Ceux-là, je ne les aime pas; s'ils me rendent visite, je ne veux pas les recevoir, et mon père non plus ne les aime pas". (Anne, lU ans, CM2, père fonctionnaire bété à Sakasso). Elles reflètent, en l'exprimant avec violence, l'opinion générale. Les déscolarisés, dans la bouche des jeunes filles, sont des "voyous", des "bandits", des "voleurs", et de "paresseux":"Ils sont là en ville rien qu'à se promener du matin jusqu'au soir» ils vivent aux dépens de leurs parents". (Madeleine, 20 ans, 3ème, père sous-préfet baoulé à Issia). Ils sont accusés de faire sans cesse des palabres, d'insulter les filles dans la rue, et parfois même de les frapper. "Mes» hier, je revenais du cinéma avec ma cousine, ils ont demandé de nous accompagner. On leur a dit qu'on n'avait pas besoin d'eux, qu'on n'avait pas besoin d'escorte. U s ont voulu nous frapper; ils étaient nombreux, au moins dix, on est allées appeler un policier qui les a questionnés et leur a dit de ne plus recommencer". (Ka-tia, 1" ans, collège technique, père conseiller pédagogique peul à ierkéssédougou). Ils sont même perçus par certaines élèves comme un danger, car ils ont la réputation de chercher à entraîner les autres dans leur "déchéance". "Quand je vais les suivre je serai aussi comme eux. Je ne veux pas les con­naître". (Odette, lH ans, CM2, père planteur guère à Issia). " U s disent à leurs amis de ne pas aller à l'école; ils di­sent: quand tu vas à l'école c'est pour te faire frapper tous les jours, c'est pas bien d'aller à l'école. Alors si toi aus­si tu es un bête, tu écoutes ce qu'ils te disent et puis tu abandonnes l'école. Alors quand ils te disent ça, faut pas les

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écouter, continue tes études". (Wataro, lh. ans, 6èmé, père se-noufo, employé à la gare de Ferkéssêdougou). Mais ce péril est imaginaire, car "les déscolarisés ont peur des filles instrui­tes« Ils ne les approchant pas parce qu'il 7 a des camarades qui les empachentB. (Solange, l6 ans, Uème, père planteur bété à Issia). "Les collégiens empêchent les déscolarisês de sortir avec les filles". (Madeleine, 20 ans, 3ême, père sous-préfet baoulé à Issia).

Cette protection exclusive et possessive des jeunes filles scolarisées par les collégiens est une manifestation de la com­pétition qui oppose ceux-ci aux déscolarisés. Il semble d'ail­leurs que toutes les préférences des collégiennes aillent aux lycéens, puisqu'on aucun cas elles ne voudraient épouser un déscolarisé.

2 / Réseau de relations masculines

Les primairiennes ont peu de camarades garçons car à l'éco­le les rapports entre garçons et filles sont souvent conflic­tuels et leurs parents ne leur permettent que rarement de parti­ciper aux réunions dansantes, sous prétexte qu'elles sont trop jeunes ou que des sorties trop nombreuses risqueraient de mena­cer leurs études. Et si elles y vont, c'est sous la surveillan­ce d'une grande soeur ou d'un grand frère qui les accompagne. "Ma mère dit que je fréquente et que je n'ai pas besoin de sor­tir. Parce que si tu t'habitues à la danse, tu n'étudies pas, tu échoues comme ça à tes examens11. (Fatou, 13 ans, CM2, père conseiller pédagogique peul à Ferkéssêdougou).

Il reste cependant que certaines primairiennes (une mino­rité) citent dans leur réseau de relations quelques garçons. Ce sont alors des petits camarades de classe, des amis de leurs frères, ou des frères de leurs amies. Enfin certaines primai­riennes, à Issia essentiellement, jouissent d'une plus grande liberté que leurs autres camarades et ont le droit d'aller seu­les aux "boums" et même d'en organiser. Dans ce cas elles con­naissent surtout des collégiens plus âgés qu'elles. Cela dit, la camaraderie entre garçons et primairiennes demeure, d'après elles, fait d'exception.

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Ce qui n'est pas le cas pour les élèves du secondaire qui, dès l'obtention du CEP, sont presque toutes autorisées à sortir. La quasi totalité des collégiennes et lycéennes ont pour "amis" (l) et camarades pendant leurs vacances des lycéens qui sont sou­vent dans des classes supérieures à la leur et des étudiants. Elles les rencontrent au cours des "boums" et à l'occasion, spé­cialement à Ferkéssédougouj de réunions culturelles et d'excur­sions organisées par les élèves. Mais, comme les déscolarisées, elles fréquentent également des jeunes gens qui ont terminé leurs études et qui ont déjà un métier (professeur, instituteur...). Ajoutons à cela que certaines élèves du secondaire citent plus de camarades garçons que de filles. En cela, elles se distin­guent radicalement des garçons qui ne parlent que très rarement de leurs amitiés féminines, même s'ils en ont.

3 / Rapports ethniques

Comme lorsqu'il s'agit du choix de leurs camarades garçons, il semble que les filles de planteurs originaires de la région ont tendance à choisir leurs amis et leurs camarades parmi des collégiens ou étudiants de même ethnie qu'elles, tandis que cel­les de notables, fonctionnaires et étrangers à la région, fré­quentent des jeunes gens d'ethnies différentes.

k/ Rapports sociaux

Nous n'avons pas constaté dans les réseaux de relations masculines de clivages sociaux évidents. Il est remarquable que beaucoup d'élèves ignorent la profession du père de leurs cama­rades (garçons). Par ailleurs, il apparaît que le statut d'éle­vé de terminale ou d'étudiant permet aux fils de planteurs de fréquenter des filles de notables ou de fonctionnaires.

5/ Filles et garçons à l'école

La relation entre les filles et garçons, lorsqu'elle est vécue à l'école c'est-à-dire dans les classes mixtes, n'appa­raît pas toujours comme harmonieuse.

(l) Le terme "ami'' qui est celui qu'elles emploient signifie amoureux ou amant, ceux qu'en France les élèves appellent leurs "petits amis".

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Au niveau du primaire, infiniment peu d'élèves citent dans leur réseau de relations des petits camarades de classe qu'elles revoient pendant les vacances. En plus, dans l'enceinte de l'éco­le, beaucoup de primairiennes ne veulent pas jouer pendant la récréation avec les garçons, soit qu'elles considèrent qu'ils n'ont pas les mêmes jeux, soit qu'elles estiment que les petits garçons de l'école sont "méchants", "brutaux", "bandits" et trop "bavards", (l).

Pour les jeunes filles du secondaire qui vont dans des écoles mixtes, les relations avec leurs compagnons de classe s'apaisent et c'est facilement qu'ils bavardent ensemble à la récréation.

Mais aussi bien à l'école primaire que dans l'enseignement secondaire, les garçons tendent à affirmer leur supériorité. Nous avons constaté, et cela s'explique aisément d'ailleurs par la répartition numérique dans les classes où les garçons sont les plus nombreux, que c'est toujours un garçon qui est choisi comme chef de classe. Cette sélection exclusive illustre bien l'idée que les garçons sont plus capables d'autorité. Il arrive même que certains chefs de classe soient accusés de profiter de leur statut pour s'assurer une solidarité de sexe contre les filles: "Quand les garçons bavardent, il (le chef de classe) ne dit rien, mais quand ce sont les filles, il prend leurs noms", (Marie, 10 ans, CM1, Bété, père secrétaire à Sakasso).

Cela dit, la compétence des garçons à être chef de c±asse n'est pas remise en cause par les filles. Le fait ne nous a ja­mais été rapporté comme anormal ou discutable et aucune d'elles n'a manifesté l'envie d'accéder à cette fonction.

Par contre, c'est au niveau de la réussite scolaire que les garçons ont besoin de défendre leur supériorité. Toutes les filles ont accusé ces derniers d'avoir une conduite de rivalité et de jalousie lorsque l'une d'elles prenait la tête de la classe ou simplement était première à une composition. Lors­qu'une fille travaille mieux que les garçons, ces derniers ex­priment leur jalousie et leur dépit de différentes façons (tel­les qu'elles nous ont été rapportées):

(1) Leur attitude est un reflet de la séparation des sexes dans la société adulte.

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- nIls font tout pour rattraper la fille" (élèves du se­condaire ) .

- U s la taquinent, la tourmentent ou l'insultent: "*ls taquinent les filles a la récréation, ils disentí puisque tu travailles en classe, moi je vais te frapper à la récréation" (dès l'enfance, la force physique est opposée à la supériorité intellectuelle). (Watara, 10 ans, CML, fille du conseiller pé­dagogique de Ferkéssédougou, Peul).

- Ils minimisent la réussite de la fille: "Ils disent que si la fille réussit, ils disent que c'est la chance". (Thérèse, 1U ans, 6ème, père adjudant chef baoulé à Issia).

- Ils interprètent sa réussite c'est-à-dire qu'ils accusent la jeune fille d'exercer des pratiques magiques pour s'assurer du succès: 'Parfois ils disent qu'elle a fait des medican»nts". (Béatrice, 13 ans, CM2, Guère, père infirmier à Issia). "D'autres disent que j'ai des fétiches et ils m'in­sultent". (Marceline, 13 ans, CM2, père fonctionnaire baoulé à Sakasso).

- Ils expliquent la réussite par les faveurs et la bien­veillance du maître: "Parfois y a des filles qui travaillent mieux que les garçons: Les garçons disent que les filles sont les amies du maître, que c'est pour ça qu'elles réussissent". (Odette, 19 ans, 3ème, père infirmier bété à Issia). Cette accusation qui est la plupart du temps une calomnie, n'est pas purement imaginaire. Il arrive qu'un maître ait pour amie une de ses élèves et que parfois même il la mette enceinte.

- Ils sont accusés par les filles d'avoir recours à des pratiques magiques pour dépasser la fille et même pour lui faire rater ses examens. "Si elle travaille mieux qu'un gar­çon, la fille devient malade, le garçon lui a fait fétiche. (Elise, 1E> ans, 6ème, fille de planteur bété à Issia).

6/ Camaraderie

Quand elles en ont, les primairiennes jouent pendant les vacances avec leurs petits camarades de classe, comme elles le font avec leurs amies: "On fait des contes, on joue au

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couteau dans un tas de sable. lies fois aussi on joue au ludo, ou bien aux cartes"• (Minata, lU ans, père cultivateur sénoufo à Ferkéssédougou).

Les élèves du secondaire rencontrent en dehors des "boums" et des réunions leurs camarades collégiens et étudiants qui viennent leur rendre visite. Ils bavardent ensemble de leurs études et vont parfois se promener. Au niveau de la camarade­rie, les rapports entre les jeunes filles et les jeunes gens apparaissent comme harmonieux, au point que certaines élèves préfèrent la compagnie des garçons» "j'aime surtout la com­pagnie des garçons, eux ils sont bien, ils sont francs, les filles c'est pas la même chose". (Catherine, 19 ans, père adjudant chef bété, à Issia).

7/ Rapports amoureux

Certaines élèves du secondaire, des dêscolarisées, et quelques primairiennes même, nous ont parlé de leur "ami" qu'elles voyaient régulièrement ou de leur fiancé, jeunes gens qui pour la plupart avaient déjà un métier (professeur, médecin) ou qui étaient en passe d'en avoir (futur ingénieur, étudiant en quatrième année de sciences économiques...). Mais au niveau de l'amour, la situation n'est pas toujours limpide.

Il est parfois donné une explication d'ordre magique aux rapports amoureux. Filles et garçons econduits sont censes recourir à des marabouts pour obtenir des parfums, des pou­dres ou des lotions qui leur permettent aussitôt et immanqua­blement la conquête ou la reconquête de l'être aimé. Il est bien évident que dans les exemples que nous ont rapportés les jeunes filles, c'était surtout des jeunes gens ou des hommes qui s'assuraient de puissances occultes pour faire triompher leur amour. "Il 7 a une de mes grandes soeurs, elle ne voulait pas le garçon, et puis le garçon est allé faire fétiche, et puis maintenant la fille est allée se marier au garçon". (Jean­ne, 17 ans, déscolarisée, fille de planteur baoulé à Sakasso).

Mais les élèves n'ont pas nié que certaines filles étaient soupçonnées d'aller voir des féticheurs pour se "faire mieux voir" et que certaines femmes étaient censées le faire pour

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retrouver l'affection d'un époux volage ou même pour s'assurer d'une puissance totale sur leur mari (l)i "Solange est allée chez un féticheur qui lui a donné un parfum. Quand son mari est là, elle met le parfum. Si elle dit: "Fais ça", il le fait, si elle dit "ne fais pas ça" il ne la fait pas. C'est la femme qui commande le mari". (Marie, lï> ans, CM2, fille de planteur bété d'Issia).

Le pouvoir du fétiche est à leurs dires absolu: "Y. a des gars qui aiment une fille, qui vont parler à la fille qui n'ac­cepte pas. Alors ils font des fétiches et la nuit quand la fille est chez elle, elle n'a pas l'esprit tranquille, alors elle sort de la maison, elle court vers ce garçon-là. Les pa­rents de la fille vont 1'attrapper pour la faire revenir. Mais elle ne pourra pas rester; forcée, elle ira". La jeune fille est attachée par les fétiches et attachée définitivement à l'homme en dépit de ses réticences ou aversions précédentes. L'amour protégé par les fétiches "est plus fort que tout", si bien que ce n'est pas en termes d'accusation que les jeunes filles rapportent ces pratiques mais en termes de constata­tion: amour total et mythique issu d'un breuvage et d'un ima­ginaire social.

Les rapports amoureux ou sexuels sont parfois entachés de méfiance : "Quand on va danser, ils (les garçons) disent: sortons. Ma grande soeur m'a dit: si un garçon te demande de sortir, ne sors jamais avec lui. Alors quand je vais danser, cette idée-là est toujours dans ma tête. Je ne sors pas avec les garçons, parce que si on sort avec eux, ils disent: Alors pourquoi tu cèdes? Ça n'est pas bien, et puis quand vous re­venez tout le monde va vous regarder. Et d'autres diront: Elle a dit à son père qu'elle allait danser, or ce qu'elle vient de faire, ce n'est pas ça". Il arrive d'ailleurs que les filles "fassent palabre" à des garçons par trop entreprenants.

Dans le cas d'une maternité, les rapports entre la jeune fille et son ami peuvent devenir ouvertement conflictuels

(1) En pays baoulé, les femmes ont traditionnellement un; pou­voir magique (de malédiction) qui équilibre les rapports de force entre elles et leur maii (Marie Paule de The dans: Participation Féminine au développement rural dans La région de Baoulé - CASHA).

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lorsque ce dernier ne veut pas reconnaître son enfant. Car s'il s'agit d'une faute morale, d'un discrédit porté à la jeune mère, il s'agit également d'un intérêt économique en jeu puisqu'aussi bien une reconnaissance de paternité assure à la jeune fille, et partant à sa famille, un apport financier (qui pourra d'ail­leurs lui permettre de reprendre ses études). Les conflits se traduisent alors par des palabres entre les parents de la jeune fille et son amant qui peut être conduit devant un commissaire de police.

Mais il semble que parfois la jeune fille tente de se venger elle-même en s'assurant, selon ses dires, d'un pouvoir magique: "J'ai une cousine, Victoire, elle fréquentait (l'éco­le) ici. Il y a un homme qui l'a mise enceinte, qui ne vient plus la voir et qui ne lui envoie pas d'argent. La fille est allée chez le féticheur, elle lui a demandé que l'homme attra­pe la lèpre, et qu'il perde ses doigts et elle a dit: Il n'a que venir chez moi s'agenouiller pour me demander pardon et si je dis oui, la lèpre disparaîtra. On dit que les tâches roses (1) commencent maintenant (2). (Elisabeth, 1Í+ ans, CM2, père agent de bureau bété à Sakasso).

8/ Choix imaginaire du conjoint

Quelques soient les tensions qui parfois opposent jeunes filles et jeunes gens les uns aux autres, toutes les élèves, une fois leurs études terminées, souhaitent se marier. La pres­que totalité d'entre elles désirent épouser un garçon qui aura fréquenté l'école, qui sera aussi instruit qu'elles, sinon plus, et dont elles seront la seule femme.

La supériorité traditionnelle du mari ne semble en rien menacée, car si certaines des élèves de première ou de termi­nale réclament l'égalité de l'homme et de la femme, il s'agit surtout de l'égalité dans la discussion, c'est-â-dire du droit à la parole, tandis que le mari aura en dernière instance ce­lui de décider: "J'obéirai à mon mari, il sera le maîtreB>

(1) Les tâches roses sont les premiers syntômes de la lèpre.

(2) Dans les formes imaginaires que prend le désir de ven­geance, on ne peut s'empêcher de reconnaître un désir inconscient de castration.

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Cette supériorité souhaitée s'exprime très nettement à travers les métiers que les élèves imaginent pour leurs futurs maris et qui attribuent à ceux-ci un rôle social très certain qu'elles ne réclament Jamais directement pour elles (ministre, ingénieur, directeur d'école, inspecteur de police, médecin). Ce choix ima­ginaire signifie bien le désir de beaucoup d'entre elles d'appar­tenir par leur alliance à un milieu privilégié, qu'elles en -Po­sent déjà partie ou non.

L'ethnie retenue pour un éventuel mari reflète souvent les attitudes familiales dans ce domaine, attitude dont à Issia nous avons eu un exemple très précis. Nous avions remarqué qu'une de nos informatrices était "en palabre" à la gendarmerie. Interro­gée le lendemain sur ce qui s'était passé la veille, elle nous a dit que "le jugement" avait lieu pour l'ami de sa soeur. "Il était en amitié avec ma sœur .Maman a attrappé le garçon et l'a envoyé à la gendarmerie. Elle ne veut pas que le garçon cherche sa fille parce que c'est un Dioula. ELle n'est pas contente, les Dioula prient quand nous allons à l'église. (Gabrielle, l£ ans, 6ème, père retraité gouro à Issia). Beaucoup de jeunes fil­les opposent précisément un argument religieux à l'impossibilité qu'il y a pour elles d'épouser un Dioula: "¿e veux me marier à un garçon de n'importe quelle ethnie, sauf à un Dioula, parce que je suis chrétienne". (Solange, 16 ans, fille de planteur bété à Issia). A l'inverse, les élèves dioula, reprenant l'exi­gence de leurs parents, ne veulent épouser que des Dioula: "La race pose des problèmes surtout chez nous, les musulmans. Nos parents exigent qu'ils (nos maris ou fiancés) soient des musul­mans comme nous. Mais la race aussi ça joue beaucoup: pas de peaux blanches, mais des gens de la même région, c'est-à-dire du nord". (Fatou, 17 ans, 2ème, fille de médecin dioula). "Je veux me marier à un Dioula, parce que mon papa est dioula". (Ava, Hi ans, 6ème, père infirmier dioula à Sakasso).

Il semble donc que l'opposition musulman/non musulman soit pertinente quant au choix du conjoint. Il n'empêche que certaines jeunes filles ou fillettes baoulé, bété ou guère sou­haitent des maris de même ethnie qu'elles. Nous avons d'ailleurs constaté que les "amis" ou les fiancés de certaines d'entre elles, qui n'étaient pas dioula, appartenaient à la même ethnie qu'elles.

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Il reste qu'un petit nombre d'élèves ont répondu qu'elles feraient un mariage d'amour et que le destin choisirait pour elles l'ethnie et le métier de leur mari, qui pourrait en ce cas très bien être un planteur, mais jamais un déscolarisé« (Le destin n'est pas tout à fait aveugle).

SECTION III - OCCASIONS DE RENCONTRES ENTRE LES FILLES

ET LES GARÇONS

Le terrain de foot-ball est un lieu possible de rencontre entre filles et garçons, car les élèves du primaire et du se­condaire assistent aux matchs de foot-ball organisés par les lycéens. Certaines même défendent une équipe. Mais toutes les élèves ne partagent pas cet intérêt et quelques unes d'entre elles trouvent les matchs ennuyeux et les affrontements spor­tifs trop brutaux.

Les "boums" favorisent bien sûr la rencontre des collé­giennes (essentiellement) et des lycéens ou des étudiants. Pendant les vacances beaucoup d'élèves assistent à plusieurs "boums" et en organisent pour fêter leurs succès ou font par­tie de petits clubs mixtes dans lesquels les filles ne parti­cipent pas à la cotisation. Mais d'autres, et souvent les plus âgées, n'ont aucun désir d'aller danser. Ces dernières lorsqu'elles ont passé l'année à Abidjan ont l'habitude de "soirées" où elles se sentent moins observées que dans celles des petites villes pendant lesquelles tout ce qu'elles font est reinterprete et plus tard raconté: "Si j'accepte d'aller aux "boums" avec celui qui m'a invitée, le lendemain on ra­contera dans toute la ville que c'est mon mari". Toujours. Issia c'est vraiment un village". (Victoire, 19 ans, 3ême, Baoulé, père décédé, Issia).

Elles y ont connu aussi des distractions qu'elles jugent plus raffinées (dîners dans des restaurants), ou plus "intel­lectuelles" (cinéma). D'autre part ces mêmes élèves sont sou­vent fiancées avec des hommes qui ont déjà un métier et auprès desquels les élèves et lycéens semblent trop jeunes. "Quand je

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sors avec mon fiancé (assistant d'un directeur d'hôpital) je vais manger au restaurant et parfois je vais au cinéma". (Rose, 19 ans, 3ème, père infirmier bété à Issia). Ces élèves souhai­tent rencontrer des camarades (filles et garçons), pour discu­ter avec eux, échanger des idées et écouter de la musique. C'est en raison de cela que les réunions à but culturel obtiennent l'adhésion des grandes élèves, quelqu'en soient les organisateurs.

A Sakasso, une élève de seconde, fille d'un notable de la ville, fiancée à un professeur, nous a parlé (et c'est la seule qui l'a fait à Sakasso) d'un camp d'étude organisé par des pro­fesseurs et des monitrices pendant les vacances, dans un monas­tère près de Bouaké: »Ils viennent là et puis nous allons trois fois pendant les vacances, on discute sur certains sujets pen­dant toute la journée et la soir à cinq heures on passe un film".

A Ferkéssédougou, les membres de l 'A.E.E.E.F. (Association des Elèves de Ferkéssédougou - cf. 1ère partie ) n'organisent qu'accessoirement des "boums" qui font alors suite aux soirées théâtrales, mais ils répondent aux aspirations de beaucoup d'éle-ves en axant leurs activités sur des préoccupations culturelles ou artistiques i organisation d'un groupe théâtral, d'excursions, de ballets et de manifestations musicales. Il semble qu'égale­ment à Issia le groupe organisé par la Mission Catholique et qui a commencé cette année permet aux eleves de se rencontrer avec, comme but commun, celui de développer dans la ville des facteurs d'animation ou tout au moins, pour débuter, d'analyser ce qu'il y manque. "I a des garçons et des filles (indépendamment de leur appartenance religieuse) on se réunit à la Mission. C'est pour aider la ville, on a parlé de ce qui manquait. Nous on a trouvé par exemple qu'il y a pas d'activités. Il y a une maison des jeu­nes, mais il y manque des choses: on voudrait pouvoir jouer au hand-ball, avoir des salles de jeux et une bibliothèque". (Eve­lyne, 17 ans, ï>ème, fille d'un percepteur agni à Issia).

Ce souci des grandes élèves d'avoir des activités dyna­miques et intellectuelles dépassant le cadre étroit des .rela­tions personnelles ou des distractions et ouvert sur l'avenir

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(de leur ville, de leur région, de leur pays) (l), certaines l'ont exprimé a contrario en condamnant les clubs de danse: "Les clubs qui fonctionnent juste pour faire des "boums", je ne les connais pas. Ils auraient mieux fait d'échanger des idées, parce que danser seulement ça n'apporte rien. Les fil­les qui ont des clubs pour faire des boums, elles ont mauvai­se réputation at puis ce sont des filles qui ne continuent pas des études, elles ne pensent qu'à danser''. (Kumba/ 18 ans, 1ère, père médecin dioula à Issia).

(1) Certaines élèves ont nettement conscience d'appartenir à un pays en mutationt "C'est un pays qui change, qui est en bonne voie". D'ailleurs c'est souvent le souci de ser­vir la nation qui est mis en avant, pour expliquer le choix d'un métier: "Je veux être infirmière pour servir mon pays".

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Ill - ELEVES ET MILIEU TRADITIONNEL

SECTION I - ELEVES DANS LE MILIEU FAMILIAL ET VILLAGEOIS

1 / Milieu familial

Nous avons déjà indiqué combien l'insertion des primairien-nes et des collégiennes dans leur milieu familial était une don­née importante de leur existence. Pendant les Tacanees, comme d'ailleurs à moindre titre pendant l'année scolaire (chez leurs parents, ou chez leurs tuteurs), elles assument des fonctions ménagères, parfois agricoles, si leurs parents ont des champs et qu'elles les y accompagnent, ou économiques lorsqu'elles aident leur mère à vendre sur le marché ou leur père à tenir un commerce (vente d'essence à la station Total, de consomma­tions au café-bar, de médicaments à la pharmacie.. .). "Chaque matin je me lève, je lave les assiettes, je balaie et j'arrose la cour, Je fais le feu, je balaie la maison, je nettoie, j'essuie les fauteuils, je lave les habits de mes petits frè­res. Quand j'ai fini de me préparer, je me lave. Ensuite ma maman me dit d'envoyer l'enfant au dispensaire parce qu'il est malade» A mon retour, elle me dit de laver les assiettes, je lave les assiettes". (Christine, 13 ans, CM1, Bété, fille de gendarme, à Sakasso).

Il va de soi que les élèves en vacances s'occupent éga­lement de leurs petits frères et soeurs: "Je les lave, je leur donne à manger, je lave leurs habits} s'ils font des palabres, je les gronde". (Anita, lU ans, CM2, père commerçant sénoufo, à Ferkéssédougou). Les soeurs plus âgées font faire (et- ce souvent à la demande des parents) les devoirs de vacances de leurs cadetst "Je leur fais faire des petits calculs et des dictées, je les fais lire" et parfois les obligent à parler français. "Je leur dis de parler français, »'ils ne le font pas, je les grondé0.

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D'autres enfants de la cour ou de la cour voisine s'adjoi­gnent de temps en temps à leurs frères et soeurs pour participer à cet "enseignement". Mais l'activité "pédagogique"' des primai-riennes ou lycéennes en vacances ne dépasse jamais l'espace de leur concession ou de ses alentours. Elles ne tiennent pas auprès des enfants le même rôle que les lycéens qui eux organisent pour les primairiens des jeux et des compétitions collectives (cf. 1ère, partie)«

2 / Milieu villageois

Certaines élèves font pendant les vacances des séjours dans leur village paternel eu maternel. A leur arrivée, elles sont accueillies avec de grandes manifestations de joie: des repas, des cadeaux et parfois même des danses. "Nous sommes très bien reçues, on nous fait des cadeaux, les gens qui ha­bitent auprès de mon grand-père préparent des plats pour nous*. (Odette, 13 ans, 5ème, père tailleur baoulé à Sakasso). "Le soir de notre arrivée, nos parents au village font venir les "balafonistes". (Salinata, 19 ans, 1ère, père employé à la sous-préfecture de Ferkêssédougou). Si elles restent un certain temps, les élèves accompagnent leurs oncles, leurs tantes ou leurs grands-parents aux champs et participent aux activités du village.

Nous avons donné un rapide aperçu du milieu familial et villageois dans lequel séjournent les élèves pendant leurs vacances, pour tenter maintenant de montrer comment "l'école" (valeur, symbole ou statut) est perçue par ce milieu et quel­les sent les réactions à l'égard des élèves qu'entraîne cette perception.

3 / Ecole et milieu familial

Nous avons montré (pour les déscolarisées) à quel point l'attitude du milieu familial vis-à-vis de l'école condition­ne la scolarité des enfants. Au départ, c'est bien une déci­sion des parents qui oriente l'avenir de leurs enfants.

Dans les familles des jeunes filles que nous avons rencon­trées, tous les enfants sont scolarisés et c'est généralement le père qui a décidé de cette scolarisation.

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Mais, parfois, quand aucun des deux parents ne veut mettre son enfant à l'école, c'est un autre membre de la famille qui intervient auprès d'eux pour obtenir qu'il aille en classe et c'est alors souvent lui qui paie les étudest "C'est ma grand-mère qui paie mon école parce que mon père n'a pas d'argent". "C'est mon oncle, le petit frère de ma maman, qui est lettré qui m ' a envoyé à l'école". "C'est ma tante qui a voulu que j'aille en classe. Mon père me disait de rester chez ma tante qui est vieille pour l'aider, aller chercher de l'eau et faire le ménage. Mais elle a dit qu'elle allait me mettre à 1'écolej même si j'ai le CER ou- si j'ai une bourse je peux prendre ça pour travailler".

Certains parents opposent un refus certain à la scolarisa­tion de leurs filles pour des raisons financières qui se super­posent à une tradition culturelle: "Ce n'est pas une question d'argent, des fois il y a des gens qui nraiment pas mettre leurs enfants à l'école, des fois ils n'ont pas beaucoup de filles, ils essaient de mettre une fille à l'école, et l'autre elle reste au village pour les aider". (Désirée, 20 ans, 3ème, Baoulé à Issia). "C'est le garçon qu'on préfère envoyer à l'éco­le. Pour des gens qui ne sont pas très instruits, ils préfèrent envoyer leurs garçons que d'envoyer leurs filles, parce que les mamans, elles, elles veulent pas envoyer leurs filles, parce qu'elles les aident à travailler à la maison". (Odile, 18 ans, 1ère, père conseiller pédagogique peul à Ferkéssédougou).

Pour certains parents, l'école représente un danger % le danger de l'émancipation et de certaines de ses conséquences: "Ifla mère ne veut pas payer mes études parce qu'elle dit que je vais faire autant que ma grande soeur qui au début de sa quatrième est tombée enceinte"» (Ali, lh ans, CM2, père culti­vateur sénoufo à Ferkéssédougou).

Mais presque tous les parents des élèves que nous avons rencontrées, non seulement ont décidé de la scolarisation de leurs filles, mais en sont très contents. Les mères sont satis­faites de savoir leurs filles instruites: "parce que maintenant même les femmes qui ne sont pas instruites veulent s1émanciper

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aussi, alors elles envoient leurs filles à l'école" (l). (Kum-ba, 18 ans, 1ère, fille de médecin dioula â Issia). Le retour des élèves du secondaire dans leurs familles, d'après une an­née scolaire passée dans une autre ville, est marqué par des festivités, surtout lorsque la jeune fille a passé avec succès ses examens: "Quand on arrive, surtout si on a été reçue à un examen, tout le monde est content, il y a des fêtes, papa don­ne un mouton". (Brigitte, 19 ans, 2èmei père chef de village à Sakasso, Baoulé). "Mon père a donné une surprise partie pour ma réussite".

Enfin, la scolarisation d'un enfant peut être perçue com­me un investissement, puisque dans l'avenir l'enfant aura un métier et donc des revenues qui lui permettront d'aider ses parents.

Lorsque l'école représente une valeur positive, il arrive que certains parents s'assurent auprès des féticheurs et des marabouts de la réussite scolaire de leurs enfants: "Quand on fait la composition de passage, les mamans font des "médica­ments" dans la maison et elles y restent jusqu'au moment où les compositions sont finiesj alors elles sortent de leur mai­son et puis quand on fait le classement les enfants son admis". (Marie, 10 ans, CM1, père fonctionnaire bété â Sakasso). "Un jour le maître a frappé un élève et puis en le frappant il a cassé la ceinture que l'élève avait autour des reins. Le maî­tre l'a vue et lui a demandé ce que c'étaitj il (l'élève) a dit que cela lui servait pour les papiers, il a ajouté: mon père a dépensé beaucoup d'argent, puisque vous l'avez coupée, il faut la payer. (Cléa, Hi ans, CE2, père planteur baoulé à Issia). C'est dans la même perspective que les parents recom­mandent à leurs enfants de se méfier de leurs camarades qui pourraient les rendre malades en utilisant contre eux des "fétiches".

Quand "l'école" «st ainsi valorisée, la réussite scolaire devient un pretexte d'expression aux conflits familiaux. La

(l) Dans les villages baoulé, les mères poussent leurs filles à faire des séjours dans les villes c'est-à-dire â se li­bérer du milieu traditionnel (Cf. Marie Paulé de Thé, Par­ticipation féminine au développement rural dans la région de Bouaké - CASHA - 68.)

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Jalousie et la rivalité de deux femmes peuvent se cristalliser sur les succès des enfants qui alors en font les frais. "Quand le mari a plusieurs femmes et que les enfants de la seconde travaillent mieux que ceux de la première, il y a des jalousies, soit que la belle mère n'aime pas les enfants de l'autre ou bien qu'elle cherche par tous les moyens à leur faire du mal". La crainte de la colère des marâtres et de leur pouvoir de malédic­tion est telle que cette même élève ajoutait: "Par exemple elles essaient de les empoisonner ou de les rendre malades en allant voir les charlatans; il y avait un camarade de classe, son père avait deux femmes et lui travaillait mieux que l'autre frère ; la rivale de sa maman a réussi au cours d'un souper à empoisonner l'enfant qui est mort après". (Julienne, 11 ans, CML, père com­merçant baoulé de Sakasso). Certaines élèves ont accusé leur ma­râtre de les faire échouer, (elles ou leurs soeurs) aux examens: "Il s'agissait de notre marâtre qui a été voir un féticheur pour attacher notre soeur: elle a passé deux fois son brevet et elle n'a pas été admise". (Désirée, 20 ans, 3ème, père décédé, ancien sous-préfet baoulé à Issia).

Enfin, la scolarisation des enfants est parfois, non plus prétexte mais cause de conflit entre les adultes: "Ma tante dit qu'on n'a pas miss aun enfanx. à l'école et que moi on m 'a mise à l'école; elle n'est pas d'accord, elle est méchante avec moi et elle fait des palabres avec mon père". (Marie-Anne, 18 ans, Uème, père baoulé instituteur à Sakasso).

U / Ecole et milieu villageois

Au village, le savoir des élèves suscite la fierté des pa­rents qui les reçoivent. "Ils nous admirent quand ils nous voient lire. Je leur fais la lecture et je raconte des histoires aux en­fants: ce qui se passe en ville, les disputes sur les marchés, le nombre de voitures qui passent, les accidents". (Odette, 13 ans, Uème, père tailleur baoulé à Sakasso). Les réussites scolaires des élèves sont sanctionnées et récompensées par de multiples ca­deaux: "Ma grand-mère était partie dans une boutique pour m'achè­tes des tissus et des chaussures parce que j'étais reçue au CM1". (Armande, l5 ans, CM2, père chef de brigade agni à Issia). Outre du riz, du mais, du mil, des poulets, des pagnes, parfois des bi­joux et même des boeufs (1), les parents donnent aux élèves de

(1) Leo bijoux et les boeufs sont peut-être pure imagination d'une fillette; nous les avons intégrés â notre texte parce que l'exa­gération reflète bien l'importance que les fillettes attachent aux cadeaux qu'elles reçoivent dans le village de leurs parents.

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l'argent et des fournitures nécessaires à leur scolarité (l): "Quand j'allais en classe, ires grands parents m'achetaient des habits, des cahiers, des livres et ils me donnaient de l'ar­gent". (Elise, l£ ans, fille de planteur bété d'Issia, a arrê­té sa scolarité au CMl).

Mais cette générosité et cette admiration à l'égard des scolarisées ont leur envers. Si certaines élèves entretiennent des rapports très amicaux avec les petites filles ou jeunes filles du village qui ne vont pas en classe: "Au village elles sont contentes quand j'arrive; quelquefois je leur apprends à lire et à parler français, elles m'apprennent â parler et à chanter en baoulé, elles m'apprennent des jeux", d'autres se plaignent de la jalousie des petites villageoises qui envient précisément l'accueil qui leur est fait: "Mes cousines m'ont dit de ne plus revenir au village parce qu' à mon arrivée ma grand-mère m'avait acheté des chaussures et des tissus. Je n'y suis plus retournée". Les élèves accusent certaines non-scola-risées d'être jalouses de leurs habits et de leur savoir:"Elles disent que je suis fière de moi. Elles sont jalouses. Moi je leur dis: Ce n'est pas moi qui vous ai dit de ne pas aller en classe". (Margot, lu ans, CM2, fille d'un infirmier bété d'Issia). "Des fois y en a bien d'autres qui sont jalouses parce que nous avons été à l'école et que nous sommes bien habillées; des fois elles sont contre nous, elles réussissent â nous faire des his­toires, mais nous leur pardonnons toujours. Elles font des in­sultes, elles disent que nous venons de la ville, alors que nous faisons comme si nous étions des blancs, alors que nous ne savions rien de ce que font les blancs". (Désirée, 20 ans, 3ème, Baoulé, Issia).

La "jalousie" des villageoises, que dénoncent les scolari­sées, n'est sans doute qu'un des aspects de ce qui oppose le monde rural au milieu urbain et qui se fixe aisément sur la sco­larisation, symbole de la citadinité. L'attitude que les élèves prêtent aux fillettes du village paraît n'être que le reflet de celle de certains villageois: "I a des hommes qui sont à-côté de ma grand-mère, qui ne sont pas contents parce que je vais en classe. Pendant les vacances si je veux m'amuser avec leurs

(1) A l'inverse, les parents villageois, lorsqu'ils viennent en ville chez leurs enfants ou leurs neveux, repartent avec de nombreux cadeaux.

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enfants, ils me disent: "pars d'ioi". (Justine, 1$ ans, CM2, Baoulê, à Issia). Les gens du village critiquent les "attitu­des" des élèves et les dénigrent en disant qu'elles font les "malignes". Mais l'animosité des villageois prend souoe par­fois à des reprochas bien précis. Ceux qui demeurent au villa­ge rejettent la fille de leurs parents citadins quand sa sco­larité ou plutôt les frais qu'elle entraîne les désavantagent financièrement! "Mes parents maternels ne m'aiment pas beau­coup; ils parlent mal de moi, ils disent que mon papa dépense beaucoup d'argent pour moi et ne leur en donne pas". (Marcol­line, 16 ans, 5>ème, fille d'un commerçant baoulé de Sakasso).

Au village comme dans la famille, les enfants scolarisés sont l'enjeu de jalousies auxquelles les filles n'échappent pas et dont elles craignent les effets pour elles-mêmes, si l'on en croit la certitude avec laauelle elles en rapportent des exemples: "Y a d'autres qui tuent les enfants d'un autre parce qu'il travaille à l'école et que peut-être un jour il aidera ses parents, alors ils tuent l'enfant". Remarquons ici que l'enfant est assimilé à une source de richesse éventuelle et que la jalousie qui en découle ainsi que son mode d'expres­sion sont de mène nature, obéissent au même schéma que dans le cas où ce sont des richesses matérielles qui sont convoi­tées: "Il 7 avait un vieux qui avait beaucoup d'argent et qui achetait tout ce qu'il voulait, l'autre qui était là était jaloux; il a invité son camarade â boire, il avait mis un médicament dans la boisson. Le vieux a bu et il est mort"•

Tous ces événements rapportés, ajoutés aux croyances d'ac­tes de sorcellerie, font que certaines élèves du primaire et du secondaire, et cela tout spécialement dans le nord de la Côte d'Ivoire, ne retournent pas dans le village de leurs parents, soit que leurs parents y voient un danger: "Mon papa ne veut pas qu'on aille rendre visite aux parents dans le village par­ce qu'il a peur qu'il nous arrive du mal", soit qu'elles-mêmes craignent d'y aller. A Ferkéssédougou, la crainte des vengean­ces par empoisonnement est tellement forte qu'une de nos in­formatrices, élève du secondaire, n'accepte jamais de nourri­ture autrement que chez elle ou chez sa meilleure amie". "Moi, je ne mange que chez Félicité et puis à la Mission, apart ça je n'aime pas manger". (Salimata, 20 ans, 2ème, père cultiva­teur sénoufo à ferkéssédougou).

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SECTIOM II - RAPPORTS DES ELEVES AVEC LEURS PARENTS,

DES JEUNES AVEC LES VIEUX

Les rapports des élèves avec le milieu familial et le mi ­lieu villageois passent bien évidemment (et tout spécialement) par ceux qu'entretiennent les enfants avec leurs parents et plus globalement les "jeunes" avec les "vieux". Ces rapports sont marqués par le double signe de la hiérarchie et de l'obéissance à l'autorité.

1 / Parents-enfants

Nous l'avons dit, les mères qui sont presque toutes illet­trées sont heureuses et fières de voir leurs filles recevoir une instruction. Mais ce n'est pas pour autant que s'instaure le dialogue. Les fillettes et les jeunes filles ne parlent pas avec leur mère ce qu'elles découvrent en classe ou dans la grande ville où elles font leurs études. Mais c'est précisément sur ce silence,sur ce non-dit que repose l'accord entre la mère et ses filles. "Ce que je fais en ville, je ne lui raconte pas. La conversation ne peut pas aller avec elle, mais ça ne pose pas de problèmes". (Kùmba, l8 ans, 1ère, père médecin dioula).

Pendant les vacances, les mères, une fois que leurs filles ont accompli leurs tâches ménagères, ne contrarient pas leur désir de lire le soir et ce sont elles parfois qui prennent la défense de l'école (outre les pratiques magiques auxquelles nous avons fait référence), en interdisant à leurs filles de sortir, de peur qu'elles ne mettent en péril leurs études: "Ma maman dit que je fréquente (l'école), alors que je n'ai qu'à rester tranquille".

L'autorité de la mère, pas plus que son statut ne y sont ébranlés par les acquisitions que leurs filles font durant l'an­née scolaire. Au contraire, les fillettes et les jeunes filles obéissent à leur mère et à leur père et très peu d'entre elles enfreignent les interdictions que leur imposent leurs parents

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ou, si elles le font, c'est souvent en s'assurant de la compli­cité de l'un d'eux. "Je vois mon "and" en cachette de mon père, mais ma mère le sait". "Je vais aux "boums", mon père me l'in­terdit, mais je le dis à ma mère".

Les primairiennes, qui sont plus tenues que les élèves du secondaire, craignent de désobéir: "Mon père ne permet pas que je sorte. J'ai envie d'aller aux "boums", mais je n'y vais pas car mon père me frapperait". Elles n'ignorent pas la sévérité des châtiments de leurs parents et la crainte qu'elles en ont est une mise en garde suffisante parfois pour qu'elles ne les suscitent pas: "Il y a des filles, quand elles sont enceintes, leurs parents ne veulent pas les recevoir. A cause de ça, chez nous, les filles elles ont peur de faire des affaires aux gars, parce que si elles tombent enceintes, tout de suite>si leur pè­re ne les chasse pas de la cour, il ne va pas cesser de les frapper chaque jour". (Katida, l5 ans, CM2, fille de planteur dioula à Issia).

Certaines élèves du primaire vont jusqu'à penser que les désobéissances aux parents, entraînent automatiquement des sanctions, cette fois infligées par le destin: "Ceux qui ne veulent pas écouter la maman, ce sont ceux qui prennent des ac­cidents; il y avait un petit garçon qui allait à l'école à Abidjan. Chaque soir quand il revenait de l'école il défaisait son sac et allait nager dans la lagune. Chaque jour son père lui disait dé ne pas y aller. Le petit garçon répondait: "Quand j'y vais je ne nage pas, je m'assieds auprès de mes amis". Et le père lui disait: "Quand je te parle si tu ne veux pas m'écou­ter, tu vas voir ce qui va t'arriver". Mais l'enfant n'écoutait pas. Un jour il est allé nager et il s'est noyé: pemdant deux jours on n'a pas vu l'enfant, le troisième jour on a vu le corps de l'enfant: les poissons avaient mangé ses yeux et son nez. On a pris le corps de l'enfant et on est allé l'enterrer. Le père avait toujours parlé, mais l'enfant n'avait pas écouté". (Rose, 13 ans, CM2, Baoulé). "Si ton père ou ta mère te disent de ne pas sortir et que tu sors beaucoup, tu attrapes des conséquences. Celles qui ne veulent pas travailler et qui sortent tout le temps, elles attendent des bébés". (Otto, V~> ans, Uème, Sénoufo, Ferkés-sédougou)•

En raison de la distance extrême entre les connaissances des élèves et celles de leurs parents et du silence qui est fait dans les familles sur cette distance, les fillettes et les jeunes

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filles ont peu d'occasions de s'affronter â leurs parents et donc d'entrer en conflit avec eux. Cependant, il existe une marge étroite de révolte pour les jeunes filles à l'égard de leurs parents. Comme nous l'avons vu tout à l'heure, certaines passent outre l'interdiction de leur père ou de leur mère et vont aux "boums" oia rencontrent "leur ami"j d'autres refusent d'aller vendre sur le marché. De toutes façons, s'il 7 a con­flit, il n'atteint jamais le point de rupture et de non-retour, comme cela peut se passer pour les garçons. "Les filles ne quit­tent pas leur famille, tandis que les garçons, ceux qui sont vraiment têtus, quittent leurs parents. (Kumba, l8 ans, 1ère).

2/ Jeunes-vieux

Mais cette opposition occultée ou retardée entre les filó­les et leurs parents semble être perçue quand il s'agit des rapports entre "jeunes" et "vieux". Ce sont les élèves du se­condaire qui ont abordé le problème du conflit entre classes d'âge, problème qui est en relation étroite avec l'avenir du pays et l'origine des décisions qui y président. "Les jeunes maintenant, ils sont fiers, alors ils veulent tout essayer. Les anciens leur donnent des conseils et les jeunes sont obli­gés de les suivre". (Marcelline, l6 ans, Baoulé, père pharma­cien à Sakasso). "Il y a quelquefois des jeunes qui ne s'en­tendent pas très bien avec les vieux, alors ce que les vieux disent les jeunes n'écoutent pas. Les jeunes ils veulent bien écouter les vieux, à condition que les vieux les écoutent aussi. Mais quand les jeunes parlent ils disent: buff, vous avez des idées d'ailleurs. Les vieux ils veulent s'imposer, ça ne peut pas aller. (Koumba, 18 ans, 1ère, Issia).

Exceptionnellement, le grand-père d'une de nos informatri­ces, exprime - c'est elle qui nous l'a rapporté - son doute sur la valeur de l'école: "Notre grand-père nous appelle et il nous dit: Mais enfin, vous allez à l'école pour apprendre ce que d'autres ont fait, ça ne vous sert à rien. Moi j'appelle homme celui qui invente quelque chose, par exemple la personne qui a inventé le fusil, ça c'est quelqu'un qui a trouvé quelque chose, mais vous vous allez à l'école, c'est pour apprendre ce que d'au­tres ont déjà trouvé; et puis il se moque de nous?. (Brigitte, 19 ans, 2ème, fille d'un chef de village baoulé, Sakasso).

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Le milieu traditionnel, en reposant et s'appuyant sur une hiérarchie institutionnalisée et respectée, s'assure de sa pro­pre "reproduction™ et se défend de cet "ailleurs" (système que par facilité nous appelons "moderne") dont les Jeunes scolari­sés se trouvent en partie dépositaires. Cette persistance du milieu traditionnel diffusé par la famille entraîne les enfants à le prendre partiellement comme système de référence, pour per­cevoir et vivre "l'école" (distributrice et symbole d'un savoir rationnel).

SECTION III - COEXISTENCE DE DEUX SYSTEMES DE REFERENCE

1/ Adaptation de modele's traditionnels à j.1 intérieur du système scolaire

Notons d'abord à ce sujet que l'activité ménagère et do­mestique à laquelle les filles sont habituées dans leur famille se trouve transposée au niveau de l'école où les primairiennes, surtout, balaient la cour, rangent la classe, aident le maître et font le ménage. Si cette articulation famille/école peut pa­raître artificielle, compte-tenu que l'entretien de l'école par les élèves est chose courante dans les milieux ruraux et semi-ruraux, nous pouvons par contre assurer sa validité lorsqu'il s'agit des pratiques magiques à l'école où l'influence du milieu traditionnel est alors certaine. D'une part, toutes les élèves, et cela indépendamment du crédit (ou de l'incrédulité) qu'elles y accordent, ont entendu parler, soit par leurs camarades d'éco­le, soit par leurs parents, du rôle positif ou maléfique des fé­tiches à l'école. D'autre part, beaucoup d'élèves, à l'exception des plus âgés ou des catholiques, ont expliqué la réussite de certains élèves par des pratiques magiques: "Y a un enfant quand on dit qu'il y a une composition, il met des choses sur sa figu­re. Des fois on dirait que c'est de la peinture, il met ça sur son front et puis il est toujours premier en classe". (Armande, l£ ans, CM2, agni, Issia).

Mais ce sont surtout leurs échecs, ou ceux de leurs frères, de leurs soeurs ou de leurs amies qu'elles interprètent comme le résultat de fétiches exercés sur elles (ou eux) par des ca­marades jaloux de leur réussite. "Moi, en somme, c'est à cause

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des fétiches que j'ai été malade. Je revenais de l'école et je ne pouvais,plus marcher. J'ai été à l'hôpital, et ils m'ont rien trouvé. Je suis restée à la maison. Ça c'est arrêté après l'examen, je n'ai pas pu le passer". (Minata, 15 ans, CM2, père sénoufo, cultivateur à Ferkéssédougou).

Les élèves, en rejetant l'interprétation scientifique de la maladie et en refusant d'expliquer leurs échecs scolaires ou leurs accidents (l'origine des grossesses est parfois attri­buée à des pratiques magiques) en terme de responsabilité per­sonnelle, reprennent le schéma traditionnel où la puissance, la réussite, sont expliquées par la possession de forces magiques et l'échec interprété comme une vengeance de rivaux et de voi­sins jaloux qui se sont assurés d'un pouvoir maléfique auprès des marabouts et féticheurs.

2 / Combinaison des deux systèmes de référence

Mais la plupart du temps, l'interprétation des réussites ou des échecs par des puissances occultes, coexiste avec une explication rationnelle qui, elle, rend seule l'élève respon­sable de ses études: l'intelligence, l'ardeur et l'application au travail sont des raisons de la réussite et, à l'inverse, la paresse ou le manque de capacités intellectuelles sont cause d'échec. La coexistence de ces deux systèmes de référence, qui est fréquente, n'est pas indiquée par les élèves comme une con­tradiction. La conscience de cet antagonisme pourrait d'ailleurs entraîner sa propre destruction, en mettant les élèves dans une situation si contradictoire que l'une des deux rationalisations serait abandonnée ou profit de l'autre. Au contraire, la combi­naison étroite des deux systèmes de valeurs déjoue en quelque sorte la contradiction: "Les fétiches ça aide si tu travailles" "Si tu n'as pas appris ta leçon, ça ne te sert à rien" (l).

Les formes "modernes" de valeurs traditionnelles, qui sont des adaptations, des ajustements du premier système au second,

(l) Pour tous ces points, Cf. Gibbal: Relation ville/campagne, et interprétation de la malchance en milieu urbain de Côte d'Ivoire. Colloque du C . N . R . S . sur la croissance urbaine en Afrique Noire et à Madagascar - Talence,septembre 1970.

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signalent elles aussi la coexistence du monde traditionnel et du monde moderne. Nous donnons ici deux exemples de cette muta­tion, l'un se rapporte à l'école et l'autre à la représentation de l'avenir professionnel des jeunes filles.

a) - Nous avons tendance à penser que la tricherie en classe, qui au dire des élèves est un fait extrêmement répandu, est la transposition dans l'école d'une qualité traditionnelle­ment reconnue i la débrouillardise, la ruse.

b) - Il est bien évident que la question: "Que désirez-vous faire plus tard?" est un non-sens, surtout quand elle est posée à des élèves du C M . ou du CM2. C'est dire que cette ques­tion n'a aucun but prospectif. Par contre, les réponses obte­nues constituent l'image que les fillettes et les jeunes filles se font des métiers féminins. Plus des trois-quart d'entre elles désirent devenir sage-femme, infirmière ou institutrice. Nous pouvons voir dans ces choix la transposition au niveau du tra­vail du rôle traditionnel de la femme et de la mère dans la fa­mille. Ces aspirations ne sont d'ailleurs pas du tout en con­tradiction avec les possibilités objectives qui seront offertes aux jeunes filles dans un pays qui développe ses équipements scolaires et hospitaliers.

Et si plus d'un tiers des élèves choisit de devenir sage-femme, c'est que certaines des plus jeunes sont attirées par la blouse blanche, d'autres par la sécurité des revenus et d'autres par le statut de la sage-femme dans une petite ville (troisième personnalité, après le sous-préfet et le médecin). La notion de sage-femme étant pour elles souvent élargie à celle d'infirmière, c'est également pour pouvoir soigner las membres de leur famille qu'elles choisissent ce métier. Mais la sage-femme, n'est-elle pas également la forme moderne de l'image traditionnelle de la "claire-voyante" qui a le pou­voir de réintroduire la fécondité dans le groupe?

3 / Existence parallèle des deux systèmes de référence

C'est également dans la représentation de l'avenir que les deux systèmes de référence (traditionnel et moderne) existent ensemble, non plus superposés cette fois, mais juxtaposés, pa­rallèles •

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a) - Le désir pour beaucoup d'élèves dfaccéder à des car­rières médicales (sage-femme, infirmière, pharmacienne, docteur) n'empêche pas certaines d'entre elles d'interpréter la maladie ou la mort comme la manifestation et l'expression d'une ven­geance magique.

b) - Toutes les élèves souhaitent aider leurs parents avec l'argent qu'elles gagneront quand elles auront un métier: "Avec l'argent que je gagnerai, je nourrirai mes parents". "Je vais travailler, je vais gagner de l'argent pour construire une mai­son pour mon papa, et une maison pour ma maman". (Sakasso, élève du CM2). En même temps, elles envisagent avec cet argent d'assu­rer leur propre entretient "Avec cet argent, je me nourrirai, je m'achèterai des habits". Cette double aspiration semble d'ail­leurs très réalisable. La référence au milieu traditionnel rend possible pour les jeunes filles une représentation "moderne" du mariage et de l'avenir professionnel. La plupart d'entre elles aspirent à être la seule femme de leur mari, à avoir plusieurs enfants et à continuer de travailler après leur mariage et leurs maternités. Mais c'est en faisant appel à la solidarité tradi­tionnelle de la famille qu'elles espèrent mener à bien ces trois objectifs, en envisageant de confier leurs enfants à leur mère, puisqu'il n'y aura pas d'autres épouses pour s'occuper d'eux ou de se faire aider chez elles par une de leurs petites soeurs.

c) - Mais par contré, il semble difficile de concilier pré­cisément ce désir de travailler à l'extérieur une fois mariées et celui que les jeunes filles ont souvent d'obéir â leur mari (car même si le terme "égalité" est prononcé, c'est presque tou­jours un homme "supérieur" à elles qu'elles voudraient épouser, comme en témoigne par exemple le métier qu'elles envisagent pour leur mari: ministre, sous-préfet, médecin, ingénieur, directeur d'école. . .) , alors qu'elles n'ignorent pas que beaucoup de maris ne souhaitent pas (par jalousie ou par souci de l'éducation des enfants) voir leur femme travailler à l'extérieur: "Les garçons sont très jaloux, ils ne veulent pas que leurs femmes soient se­crétaires. Pour les journées continues, ils ne sont pas telle­ment d'accord et il y en a qui défendent à leur femme de tra­vailler à cause de ça". (Kumba, l8 ans, 1ère, fille de médecin dioula à Issia).

d) - De la même façon le désir de faire "bien-commun" avec leur mari et celui de donner de l'argent à leur famille posent

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de réels problèmes de redistribution des revenus: ."Y a des hora-raes qui ne comprennent pas, quand c'est le bien commun et alors les parents de la femme n'ont rien pour eux". (Kumba, l8 ans, 1ère, fille de médecin dioula à Issia).

h/ Contradictions et paradoxes

La coexistence des deux systèmes entraîne finalement, même si parfois ils peuvent s'adapter l'un à l'autre, des contradic­tions ou paradoxes dont il semble que le spectacle d'une femme illettrée sur le marché d'Issia qui portait un pagne dont les éléments décoratifs (lettristes) étaient: INSTRUISEZ-VOUS - INS­TRUISEZ-VOUS, INSTR. . . est à la fois une caricature et une image grossissante.

Nous donnerons deux exemples de ces contradictions, qui s'inscrivent dans la vie quotidienne des scolarisées.

- Pendant les vacances, l'absence de livres chez leurs pa­rents ou dans les différents points de vente de la petite ville entraîne les jeunes filles qui en classe étudient les "grands auteurs français" (études par elles-mêmes paradoxales et dont certaines élèves se sont plaintes) à lire pendant leurs congés des romans-photos ou à relire leurs livres de classe.

- Leur presque totale ignorance de la contraception les met dans un etat d'insécurité vis-à-vis de l'école qu'elles ne sont jamais certaines de ne pas avoir à quitter en raison d'une grossesse, alors que toutes ont le désir très profond de conti­nuer leurs études. Les mères, qui pourtant craignent que leurs filles ne tombent enceintes, ne leur parlent pas pour autant de »leur condition féminine". Le silence à ce sujet entre mère et fille est tel que certaines élèves qui n'avaient pas eu de grande soeur ou de camarades pour les mettre au courant lors de leurs premières menstruations, ont cru qu'elles étaient malades ou qu'elles s'étaient blessées. L'ignorance de méthodes contracep­tives conduit, comme partout d'ailleurs, certaines élèves à ten­ter d'interrompre leur grossesse (avec des médicaments villageois ou de fortes doses de nivaquine) ce qui entraîne la mort de cer­taines d'entre elles.

Ces deux exemples, de niveau très différent, illustrent ce que nous avons cherché à montrer tout au long de ces pages, à sa­voir, combien les filles et fillettes sont insérées dans leur mi ­lieu familial et combien elles en sont dépendantes et parfois même tributaires.

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C O N C L U S I O N

Malgré les contextes sociaux différents des trois villes visitées, la situation des jeunes scolarisés présente un ensem­ble de points communs que nous allons d'abord rapidement rappe­ler en conclusion du rapport, avant de faire le point de la po­sition des filles et celui des différents conflits qu'entraîne la scolarisation.

I - SITUATION DES GARÇONS

Les jeunes scolarisés forment trois groupes distincts dont les relations se reproduisent de façon semblable d'un centre à l'autre tant avec les autres jeunes qu'avec les adultes.

1/ Trois groupes distincts

La seconde partie de l'enquête en 1970, n'a pas infirmé sur ce point essentiel nos premiers résultats» élèves du pri­maire, élèves du secondaire et déscolarisés ne se perçoivent pas et ne sont pas perçus de façon identique. A l'inverse, il existe une identification de chaque scolarisé à l'un des grou­pes suivant sa position vis-à-vis de l'école: identification positive et complémentaire pour les élèves du primaire et du secondaire (les "petits" et les "grands", menus services ren­dus par les premiers aux seconds, assistance et protection des seconds aux premiers), identification négative pour les désco­larisés perçus par les autres comme "ceux qui ont échoué" et unis par la solidarité de la malchance. Cependant nous avons reconnu lors de notre second passage moins de réalité et de cohésion au groupe de déscolarisés que lors de notre première mission où nous avions été impressionnés par ^expérience d'Issia (la troupe de théâtre amateur). Il n'en demeure pas

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moins que le premier terme de l'identification demeure ("ceux qui ont échoué", ceux "qui ne valent rien") même si' la fuite des déscolarisés vers les grands centres rend moins actuel le second terme, bien que nous ayons encore relevé la réalisation de cette solidarité au niveau des réseaux sociaux des déscola­risés interrogés à Sakasso qui accordaient leurs préférences à la fréquentation d'autres déscolarisés.

2 / Relations inégalitaires entre jeunes

Les enfants du primaire et les collégiens s'acceptent mu­tuellement dans leurs statuts: les "primairiens" reconnaissent l'autorité des collégiens. Les différences d'âge renforcent d'ailleurs les différences de statut qui naissent de la posi­tion vis-à-vis de l'école. Concrètement l'observation des rap­ports quotidiens des membres des deux groupes fait ressortir que collégiens et élèves du premier degré se mêlent relative­ment peu, sauf au sein des familles; cependant tous vivent en bonne entente.

Il en va différemment des rapports des collégiens avec les déscolarisés car les deux groupes sont en compétition, par­ticulièrement auprès des filles. Cette rivalité tourne toujours à l'avantage des collégiens; de ce fait les déscolarisés qui se trouvent renforcés dans leur sentiment d'échec en éprouvent une forte jalousie qui peut déclencher des conflits ouverts à l'égard des collégiens et un ressentiment diffus et général à 1'encontre de toute la société, adultes compris, car il est très rare qu'ils Se tiennent pour responsables de leur échec. Les élèves du secon­daire répondent d'ailleurs à l'attitude hostile des déscolarisés par des moqueries et par un fort sentiment de supériorité, ce qui n'atténue pas, tant s'en faut, les rapports conflictuels des deux groupes•

Les relations des élèves du primaire avec les déscolarisés ne sont pas non plus très amicales. Les enfants du premier de­gré donnent une représentation négative des déscolarisés auxquels ils attribuent une partie des perturbations éventuelles de la vie du petit centre (vols, bagarre avec les autres jeunes, "palabre" avec les parents). Enfin les élèves du primaire refusent de rendre des services aux déscolarisés, à la différence de ce qu'ils font avec les collégiens.

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L'ensemble de ces rapports entre groupes se cristallise dans les différentes associations auxquelles adhèrent les jeu­nes. Les associations d'élèves du primaire sont fréquemment sous la tutelle des élèves du secondaire. Ceux-ci institution­nalisent dans leurs clubs leur position de supériorité sur les autres jeunes. Ils se livrent ainsi dans le cadre de leurs asso­ciations à des activités de prestige pendant la période de va­cances. Enfin les déscolarisés dépourvus de moyens financiers, compte tenu qu'ils ne travaillent pas la plupart du temps, sont souvent tenus à l'écart des associations d'élèves et aussi par­fois de celles de "civils".

3 / Les relations avec les adultes: dépendance et conflits

Les collégiens se différencient positivement du milieu d'origine; leur position privilégiée se perçoit dans les rap­ports qu'ils entretiennent avec les adultes, ls sont en par­ticulier les enfants préférés de leurs parents qui tiennent souvent grand cas de 1ers avis. Ils doivent cependant céder cette position préférentielle aux étudiants encore peu nom­breux et sur lesquels notre observation fut trop parcellaire. Néanmoins on peut déjà noter pour Issia des amorces d'antago­nisme entre les élèves du secondaire, surtout les plus âgés qui ne continueront pas leurs études supérieures et les étu­diants qui étaient assez nombreux dans la région. Ces conflits larvés se percevaient dans le mauvais fonctionnement de l'asso­ciation au cours des vacances 1970» A ceci près, les élèves du secondaire jouissent encore des faveurs des adultes de leurs familles car c'est sur eux que l'on fonde le plus d'espoir. Les différentes formes d'aide qu'ils fournissent à leurs parents confirment ceux-ci dans cette idée. U s sont ainsi perçus comme les futurs détenteurs du pouvoir. Le revers d'une telle situa­tion tient à ce qu'ils suscitent de nombreuses jalousies.

Bien que valorisés par leurs études, les collégiens n'en demeurent pas moins soumis à la tutelle des adultes dont ils subissent à nouveau l'emprise quand ils reviennent dans leur milieu d'originej c'est la raison pour laquelle suivant le ca­ractère plus ou moins tolérant de la société d'origine les élèves soit entretiennent des rapports suivis avec les villages de leurs parents soit se contentent de demeurer dans la petite ville de

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leurs vacances.Lorsque les élèves prennent trop de distance vis-à-vis du pouvoir des adultes et lorsqu'ils s'opposent à leur autorité, il surgit des conflits dont nous avons recensé les principaux types: conflits naissants de refus d'obéissance ou d'aide, de demande d'argent, de la fréquentation des jeunes filles. Lorsque de tels conflits prennent une tournure violen­te, l'élève a rarement le dessus.

Ces situations conflictuelles sont encore plus marquées dans le cas des déscolarisés. Les déscolarisés se différencient négativement du milieu.d'origine. Leur statut dévalorisé (ils ont échoué), leur refus dans bien des cas d'accepter des tâches manuelles les rejettent à l'extérieur de leur famille qui ne veut plus assurer leur protection puisqu'ils ne se soumettent pas. En même temps la plupart des conflits enregistrés tradui­sent la lutte des déscolarisés contre la réintégration dans leur milieu d'origine et leur désir de se faire reconnaître comme lettrés. La contradiction ne trouve souvent de solution que dans la fuite des déscolarisés vers les grands centres.

Les élèves de l'enseignement primaire, à la différence des jeunes des deux autres groupes, n'entrent que tout à fait exceptionellement en conflit avec les adultes. Comme ils sont les plus insérés dans la société traditionnelle, ils subis­sent directement l'autorité parentale qui pèse sur eux d'au­tant plus lourdement qu'ils sont plus jeunes. Ceci ne veut pas dire cependant qu'au niveau de la vie quotidienne les en­fants soient constamment soumis au contrôle des adultes. Bien au contraire nous avons souvent vu les enfants des villages jouir en bande d'une liberté d'action beaucoup plus grande que celle des enfants d'une société industrielle qui subis­sent une prise en charge plus totale. Mais les rapports avec les adultes s'établissent toujours sur le mode autoritaire et les enfants retrouvent immédiatement la tutelle de leurs aînés dès qu'ils rentrent en contact avec eux.

II - SITUATION DES FILLES

Les filles scolarisées, bien que bénéficiant d'une posi­tion améliorée par rapport à leurs camarades illettrés n'accè­dent pas tout à fait à un statut équivalent à celui des élèves

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garçons. Les différences, soit positives (chez les déscolari-sées soit négatives (chez les élèves des enseignements primai­re ou secondaire) résultent directement de la situation generad­le de la femme dans la société ivoirienne en voie de transfor­mation.

1/ Clivages en rapport avec le niveau de scolarisation mais absence de groupes comparables à ceux des garçons

Les relations des élèves scolarisées avec les non scolari­sées sont relativement peu fréquentes et s'établissent sur le mode protecteur au bénéfice des premières qui reconnaissent d'ailleurs posséder peu de centres d'intérêt commun avec leurs compagnes demeurées au village. Par contre, les scolarisées expriment une certaine hostilité à l'égard des déscolarisées, qui ne revêt cependant pas la violence des antagonismes notés chez les garçons. Elles reprochent néanmoins aux filles qui ont abandonne l'école "d'avoir gâché leur avenir" et "Vie trop se promener".

Les élèves du premier degré sont beaucoup plus absorbées que leurs camarades garçons par les tâches domestiques et ne s'éloignent donc guère de la cour familiale. Aussi leur réseau social est-il beaucoup plus restreint. Toutefois, l'école par­tagée semble constituer un lien plus fort que chez les garçons car elle est la seule occasion offerte aux fillettes de sortir de leur univers clos.

Le même phénomène s'observe pour les élèves du secondaire en vacances qui expriment une nette préférence à entretenir des relations avec d'autres élèves du secondaire. Comme il y en a peu dans les petites villes, le réseau des élèves en vacances est très restreint. Aussi ne forment-elles pas vraiment un grou­pe du fait de leur nombre insuffisant et sont-elles amenées à conserver des contacts avec les autres filles de la cour ou du voisinage, même si l'intimité et la confiance en sont exclues.

Les déscolarisées ne se constituent pas non plus en grou­pes. En effet si les raisons d'abandonner leurs études semblent les mêmes que pour les garçons (manque d'argent des parents, limite d'âge, maladie, avec en plus les cas de grossesses), les

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déscolarisées n'en sont pas pour autant rejetées dans la margi­nalité* Elles participent au statut de lettrées dans la mesure où le nombre de filles scolarisées est encore limité» Elles sem­blent aussi se réintégrer facilement au milieu d'origine tout en ne se sentant en rien menacées par une dévalorisation de leur statut. Au contraire, le fait de savoir lire et écrire leur per­met d'accéder plus facilement à l'un des nombreux petits commer­ces réservés aux femmes. Enfin elles bénéficient pleinement de leur condition de lettrées auprès des garçons qui les préfèrent aux filles demeurées au village et elles n'épousent ainsi quasi­ment jamais d'illettrés.

2 / Une dépendance vis-à-vis du milieu adulte plus prononcée que chez les garçons

La position et les attitudes des jeunes filles en matière d'insertion dans le milieu familial et de relations avec le mon­de adulte ne diffèrent pas sensiblement de celle de leurs cama­rades garçons. L'idée qu'elles se font de leur situation est elle aussi tributaire de la juxtaposition d'un double système de réfé­rences modernes et traditionnelles à la fois que nous rappelle­rons au point suivant. Le fait à souligner provient de l'absence presque totale (1) de conflits importants entre adultes et jeunes filles scolarisées à la différence de ce qu'il advient pour les garçons. Les jeunes filles beaucoup plus insérées dans le milieu traditionnel n'osent pas en fait s'opposer directement aux adul­tes. Ainsi l'émancipation relative des jeunes scolarisées se fait dans le respect des supériorités établies: celle des vieux sur les jeunes mais également celle des hommes sur les femmes ainsi que nous allons le rappeler.

3 / Les relations filles/garçons révélatrices du statut des filles lettrées

Si les garçons citent très peu de filles parmi leurs amies et camarades, les filles lettrées, au contraire, aiment à mention­ner les relations masculines amicales qu'elles entretiennent

(l) Les seuls conflits susceptibles de dégénérer en affrontements graves sont occasionnés par les sorties nocturnes au moment des "boums" et autres soirées dansantes.

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avec des collégiens, comme une preuve de l'amélioration de leur statut. Ce point mis à part, les observations conduites auprès des garçons et celles obtenues auprès des filles concordent de telle sorte que les filles semblent accepter la position de dé­pendance où les garçons les cantonnent. D'ailleurs une fille qui réussit trop bien ses études et qui dépasse les garçons dans ses résultats scolaires est immédiatement en but à l'hostilité mas­culine. Les rapports entre sexes demeurent donc pour l'essentiel ce qu'ils sont dans la société traditionnelle avec quelques amé­nagements de part et d'autre. Les relations amoureuses sont em­preintes de méfiance et souvent l'attachement affectif d'un par­tenaire est perçu comme un "attachement en fétiches" et donc comme le résultat de pratiques magiques.

L'image du conjoint proposée par les filles répond à celle proposée par les garçons pour leurs futures épouses. La supé­riorité traditionnelle du mari ne semble en rien menacée, avec la réserve importante que les jeunes lettrées sont unanimement opposées à la polygamie. Les garçons portent leurs préférences sur de jeunes filles lettrées mais de niveau scolaire inférieur au leur de manière à ce qu'il ne se pose pas de problèmes d'au­torité dans le foyer. Ils souhaitent avant tout épouser une femme qui ait des qualités de "ménagère moderne«et craignent de s'unir avec celles qui pourraient exercer un métier dont elles tireraient trop d'indépendance. De tous ces éléments Hélène Vil-lers retient les points suivants en conclusion de son étude:

"Les élèves, et ce surtout pendant les vacances, sont très fortement intégrées à leur milieu familial où elles ont un rôle économique et domestique. Elles y sont soumises à un ordre hié­rarchique qui demande l'obéissance aux plus âgés, et qui est plus souvent subi que contesté. Cette dépendance se prolonge dans la représentation qu'elles se font de leur avenir: le métier qu'elles envisagent d'exercer est une transposition du rôle de femme et de mère dans la famille, au niveau de la société, et leur donnera la possibilité de procurer un appoint financier à leur famille et à un mari auquel elles obéiront. Jamais les élè­ves ne parlent de cette intégration comme d'une contrainte qu'el­les désireraient rompre. Par contre, presque toutes souhaitent, (et c'est peut-être une façon d'échapper au milieu familial, sans pour autant la nommer) aller vivre dans les grandes villes:

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Abidjan ou Bouaké, à cause des possibilités de distractions, de spectacles dont celui de la ville elle-mSme et de ses habi­tants, d'informations, de rencontres et d'anonymat, c'est-à-dire de liberté. La grande ville, lieu de la modernité, n'est pas seulement une imaginaire permettant de vivre la quotidien­neté, mais également pour la plupart d'entre elles, une réali­té puisque c'est souvent dans l'une de ces villes que les ly­céennes et les collégiennes passent leur année scolaire et que beaucoup d'elles (celles par exemple que nous n'avons pas pu rencontrer) y restent pendant leurs vacances. Et c'est effec­tivement dans les grandes villes que les facteurs de changement dont les élèves sont porteuses auront le plus de chance de se réaliser et de s'exprimer comme tels".

i n - CHANGEMENT SOCIAL, CONFLITS DE PERSONNALITE

ET CONFLITS SOCIAUX

1/ La représentation traditionnelle du monde

Un bilan des rapports entre jeunes et adultes (chapitre V de la première partie, chapitre III de la seconde) fait ressor­tir combien ceux-là sont gouvernés par ceux-ci, à quelques grou­pes qu'ils appartiennent et malgré une émancipation plus appa­rente que réelle, grâce au système de croyances traditionnelles dans le pouvoir des fétiches et dans la possibilité de sanctions magiques et occultes. Dans un premier temps, ces croyances sont transmises aux jeunes soit par le milieu de vacances de façon systématique ou non, soit également par le milieu scolaire. Dans un second temps, les jeunes adaptent ces révélations à leurs ex­périences scolaires quotidiennes expliquant alors leurs échecs par des agressions magiques et essayant aussi d'assurer leur suc­cès par des pratiques correspondant à leurs croyances. Quelques uns, en très petit nombre, échappent à ce système d'interpréta­tion et de comportement soit par un refus total du milieu tradi­tionnel, soit par une attitude de réserve sceptique qui n'est d'ailleurs jamais exprimée telle quelle aux adultes. En fait, la plupart des jeunes ne veulent ni ne peuvent choisir entre le

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monde moderne et le monde traditionnel. Ils superposent des normes et des comportements hérités des deux milieux. Ils ac-mulent alors des contradictions indépassables bien plus qu'ils ne trouvent de solutions à leurs problèmes.

2 / Antagonismes nés de la scolarisation et conflits sociaux

Au poids de la tradition s'ajoutent des conflits modernes qui sont l'expression d'une stratification sociale en train de s'opérer. Les jeunes ne rencontrent pas d'opposition absolue de la part de leurs parents lorsqu'ils désirent poursuivre leurs études secondaires, sauf dans le nord et plus généralement dans le cas des jeunes filles. Par contre, les oppositions et les ja­lousies émanant de parents éloignés ou d'autres membres de la communauté villageoise non directement intéressés au succès de l'enfant peuvent freiner celui-ci dans sa progression scolaire du fait du climat de suspicion qui en résulte. En cela jalousie et crainte des agressions magiques sont la marque de la diffé­renciation sociale qui s'amorce actuellement.

De même, les conflits qui éclatent entre jeunes expriment la stratification sociale moderne qui est en train de s'opérer. En effet, les jeunes de toute origine et de tout statut sont confrontés au sein de la société des petites villes ivoirien­nes, se connaissent et sont directement en concurrence, à la différence de ce que l'on observe dans une société aux clivages sociaux d'origine ancienne où les groupes de jeunes sont plus cloisonnés et stratifiés et ont donc moins l'occasion d'entrer en conflit. Rappelons à titre d'exemple les conflits qui sur­gissent à propos des jeunes filles. Il est assez rare que dans un pays depuis longtemps industrialisé, des jeunes gens origi­naires de classes sociales différentes soient en rivalité au­près des mêmes filles, car ils se tournent plutôt vers des partenaires originaires du même milieu.Or nous avons vu que dans les petites villes et les villages visités, c'étaient les mêmes filles qui étaient l'objet des rivalités et très rapi­dement des conflits entre élèves, déscolarisés et "civils", au bénéfice des premiers nommés bien sûr. D'autres clivages so­ciaux de nature moderne ont été répertoriés et tiennent aux catégories socio-professionnelles auxquelles appartiennent les parents des enfants suivant que ceux-ci sont fils de fonction­naires, de notables ou de paysans illettrés, de riches ou de

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pauvres planteurs, l'accès à l'école est très inégal ainsi que le sont les conditions de la compétition scolaire sur les bancs de l'école. Il faut retenir de tout cela que les jeunes sont engagés dans deux processus concomitants. Le premier aboutit à la constitution d'une société moderne composée de groupes diffé­renciés suivant la richesse et les compétences de leurs membres, ainsi que l'expriment les différents conflits enregistrés à pro­pos des questions scolaires, d'abord entre jeunes, ensuite entre jeunes et adultes. Le second processus concerne la perpétuation de la société traditionnelle et la réinsertion des jeunes dans le milieu adulte traditionnel que l'école leur a fait quitter,

ette récupération s'effectue par le biais du système de croyan­ces hérité des générations antérieures et qui s'impose aux jeu­nes à travers la forte pression qu'ils subissent.

3 / Changements sociaux et télévision scolaire

Ecartelés entre ces deux mondes, les jeunes sont assaillis par de multiples craintes, celles qui naissent de l'absence d'or­ganisation, de cadre protecteur au sein de leur existence citadi­ne, celles engendrées par les contraintes toujours présentes de la société traditionnelle. Le programme de télévision éducative devra donc également se fixer le but de sécuriser les jeunes té­léspectateurs en leur permettant de trouver la mesure du monde dans lequel ils vivent à travers une forme d'émission adaptée, c'est-à-dire, très différente de la classique "leçon" de l'en­seignement primaire ancien.

Si le programme est plus spécialement destiné aux enfants de l'enseignement primaire, son succès final dépend de la maniè­re (favorable ou hostile) dont il sera perçu par l'ensemble de la société villageoise. Il en découle que la campagne d'informa­tion préalable va revêtir une grande importance dans un premier temps. Le rôle des élèves du secondaire en vacances, qui sont les plus capables de faire passer un message moderniste auprès des adultes, pourrait être très important dans la mesure où on les prendrait comme intermédiaires entre les promoteurs du pro­jet et le public auquel ils expliqueraient que la télévision édu­cative signifie l'introduction d'une méthode d'enseignement qui assurera bientôt l'éducation moderne de base (lire et écrire) pour tous. Dans un second temps les émissions post-scolaires

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s'adressant au milieu adulte, constitueront une action d'accom­pagnement indispensable, de manière à favoriser une transforma­tion de l'ensemble de la société en rapport avec l'application du nouveau programme d'enseignement.

Enfin les responsables de l'expérience d'enseignement té­lévisuel devraient tenir compte de la masse flottante des dés­colarisés dont nous avons suffisamment souligné les difficul­tés de réinsertion. Nous pensons pourtant que la majorité d'en­tre eux serait prête à subir la formation professionnelle né­cessaire à ce que s'efface en eux les sentiments d'échec et d'injustice qui sont actuellement à la base de leur déracine­ment et de leur refus.

Nous avons donc essayé de montrer quels étaient les systè­mes de relations dans lesquelles se trouvaient impliqués les jeunes scolarisés des petites villes de Côte d'Ivoire. Nous re­tiendrons en dernière analjrse le manque d'autonomie des jeunes par rapport au milieu adulte. Il en résulte directement la né­cessité d'ouvrir le programme aux problèmes de la société adul­te en tenant le plus grand compte des relations (harmonieuses ou conflictuelles) que nous avons décrites pour, au besoin, les transformer par la suite dans le sens d'une libération des jeunes.

180

*

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A N N E X E I

CHOIX IttOFBSSIONNEL ET IMAGE DE L'ADULTE

DES ENFANTS Dû FRIMAIRE

181

Page 195: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Nous avons fait passer pendant notre enquête, deux séries de rédactions — tests dans chacune des villes visitées.

Le premier sujet était libellé de la façon suivante: "Quand vous serez un adulte, quel métier voudrez-vous exercer? Décrivez ce métier. Pourquoi l'avez-vous choisi?"

Le second sujet éiaiti "Décrivez un adulte, parent ou ami de vos parents, que vous admirez beaucoup. Quelles sont les rai­sons de votre admiration?"

Les instituteurs avaient bien entendu expliqué longuement les différents points de chaque sujet avant qu'il ne soit traité. De graves erreurs d'interprétation n'ont cependant pas pu être évitées dans un certain nombre de copies.

Les deux sujets ont été traités seulement par les élèves du CM2, c'est-à-dire de la classe terminale du cycle primaire.

Outre son nom, chaque enfant devait mentionner en tête de sa copie son sexe, son origine ethnique et la profession de son père.

PRESENTATION DES POPULATIONS SCOLAIRES ETUDIEES

1/ Composition ethnique

Nous avons opéré un premier clivage dans chaque ville entre les autochtones de la région et les allogènes. Dans deux villes, les autochtones sont majoritaires.

A Sakasso (tableau n° 2) il y a 57 enfants baoulé (39 gar­çons et 18 filles) et 27 enfants allogènes (15 garçons et 12 fil les). A Issia (tableau n* 3) 77 jeunes bété (58 garçons et 19 filles) et 33 jeunes allogènes (21 garçons et 12 filles).

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Les autochtones sont par contre minoritaires à Ferkéssédougou (tableau n° 1) où nous trouvons 86 enfants sênoufo (61 garçons et 25 filles) contre 91 allogènes (58 garçons et 31 filles).

. Nous remarquons toutefois que les Malinké, au nombre de 18, ont été classés parmi les étrangers à la région alors qu'ils sont assez proches culturellement des Sênoufo qui se sont ismalisés à leur contact.

183

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Tableau n* 1

Composition ethnique

Ferkéssédougou

Autochtones : Sénoufo 86 enfants (61 garçons, 25 filles)

Allogènes x 91 enfants (58 garçons, 31 filles)

Détail des ethnies

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(1) C'est-à-dire Dioula et apparentés.

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Tableau n* 2 Sakasso

Composition ethnique

Autochtones : Baoulé 57 enfants (39 garçons, 19 filles)

Allogènes s 25 enfants (15 garçons, 10 filles)

Détail des ethnies

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Page 199: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Tableau n° 3 Issia

Autochtones : Bété 77 enfants (í>8 garçons, 19 filles)

Allogènes : 33 enfants (21 garçons, 12 filles)

Détail des ethnies

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Tableau n* k

ORIGINE SOCIALE DES ENFANTS

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Artisans Commerçants

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(l) Les totaux obtenus ne sont pas tout à fait équivalents à la population totale des échantillons, car il y a eu des réponses nulles (pas de profession mentionnée), non comptabilisées dans ce tableau.

187

Page 201: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

De plus, sont présents dans cette population scolaire d'autres ressortissants d'ethnies situées dans les régions de savane, très proches par leurs catactéristiques du milieu dans lequel vivent les Sénoufo. Aussi trouve-t-on également à Fer-késsédougou une majorité ethnique issue d'une zone culturelle-ment homogène bien que cette tendance soit moins nette que dans les deux autres villes.

2/ L'origine sociale des enfants

Nous avons distingué trois groupes: les enfants d'agri­culteurs, les enfants de commerçants et artisans, enfin, les enfants de personnes exerçant une profession moderne, généra­lement dans le cadre de la fonction publique (médecins, infir­miers, enseignants et autres fonctionnaires). La lecture du tableau n* h fait ressortir une composition différente des po­pulations, suivant que nous ayons affaire à des enfants autochto­nes ou allogènes* Les enfants autochtones des trois régions sont en majorité d'origine paysanne.

Les enfants allogènes sont plus fréquemment issus d'une fa­mille de fonctionnaires ou apparentés. Ils sont en majorité à Ferkéssédougou et à Sakasso. A Issia, seulement, les enfants de paysans allogènes sont beaucoup plus nombreux que les enfants de fonctionnaires allogènes; cette particularité semble tenir à la présence de nombreux emigrants ruraux attirés dans cette région par l'agriculture de plantation.

Ce sont ces deux types d'informations relatives à l*origine ethnique et â l'origine sociale des enfants que nous allons con­fronter avec celles obtenues dans les deux rédactions traitées pour essayer de savoir dans quelle mesure l'insertion dans un mi­lieu ethnique homogène ou au ¿ontraire une origine ethnique loin­taine d'une part, les différences culturelles et historiques entre les trois régions d'autre part et les origines sociales différen­tes enfin, déterminent-elles des choix et des attitudes plus ou moins modernistes. En d'autres termes, dans quelle mesure les élé­ments retenus comme caractéristiques de la situation des enfants influent-ils sur leur attitude vis-à-vis de la tradition et de la modernité?

188

Page 202: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

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189

Page 203: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

P R E M I E R S U J E T

LE CHOIX D'UNE PROFESSION

On été recensés dans le premier sujet, d'une part les pro­fessions choisies, d'autre part les motivations venant à l'appui de ce choix. Nous allons croiser systématiquement ces deux types d'informations avec l'origine sociale et l'origine ethnique des enfants.

I - LES CHOIX PROFESSIONNELS

Nous avons réparti les choix des enfants entre cinq types de professions qui regroupent l'ensemble des réponses exprimées: professions médicales, agriculteurs, fonctionnaires et apparen­tés, enseignants, commerçants et artisans. Ces catégories ne sont pas forcément homogènes, ainsi les professions médicales vont des infirmiers aux médecins, la catégorie fonctionnaire en­globe des professions de statut très différent, du petit commis au directeur de ministère, voire au ministre. Notre classifica­tion est donc restrictive puisqu'elle ne fait pas apparaître les hiérarchies au sein des catégories retenues. Il était cependant difficile de procéder autrement sur un plan statistique.

A - Choix professionnel et origine ethnique (tableau n° 5)

Une fois opéré le décompte des différentes origines ethni­ques, nous avons regroupé les enfants en deux populations, l'une homogène d'un point de vue ethniques les autochtones qui sont soit bété, soit baoulé, soit sénoufo suivant la ville étudiée; l'autre hétérogène ethniquement, composée des allogènes à la région.

190

Page 204: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

A ce premier stade de notre analyse, le traditionnalisme ou le modernisme du choix peuvent se mesurer en répartissant les réponses des enfants en deux classes: celles qui se portent sur les professions médicales, les postes de fonctionnaires et d'enseignants et correspondent à un choix que n'offre pas la société traditionnelle; au contraire les professions d'agricul­teurs, d'artisans et de commerçants correspondent à des activi­tés qui, bien que considérablement modifiées (l) dans la société contemporaine, existaient déjà au sein de la société tradition­nelle .

1/ Les enfants autochtones

Leur choix présente des différences notables suivant les régions.

A Ferkéssédougou, il est déjà apparu dans l'enquête prin­cipale que le milieu paysan était plus conservateur et mieux conservé que dans les deux autres régions. Aussi n'est-il pas étonnant de voir une majorité d'enfants (60 % - tableau n° 5) autochtones choisir une profession qui reproduit celles de la société adulte. Or nous avons vu que les enfants du nord étaient plus dépendants des normes de la société adulte que ceux des autres régions, dans la mesure où ils sont issus d'une société plus fermée sur l'extérieur.

C'est un résultat inverse que nous relevons à Sakasso, où à peine 15 % des enfants autochtones se tournent vers une profes­sion traditionnelle. Le fort pourcentage d'enfants baoulé qui choisissent une profession moderne semble déterminé chez les jeunes Baoulé de Sakasso par une série de facteurs convergents.

1) - Le grand nombre de fonctionnaires originaires de la région et parmi eux de hauts fonctionnaires, crée certainement une incitation chez les jeunes à suivre la trace de leurs aînés.

2) - Par ailleurs, Sakasso est une ville où la population de fonctionnaires a beaucoup augmenté au cours de cette dernière

(l) En particulier, apparition d'un artisanat moderne: mécani­cien, réparateur de radio....

191

Page 205: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

décennie. L'intrusion de ce groupe social nouveau au niveau de vie supérieur à celui de la population locale a dû contribuer à renforcer le goût des jeunes pour les professions modernes et publiques.

3) - A l'inverse, le voisinage du barrage de Kossou et les multiples perturbations occasionnées dans la vie quotidienne des paysans de la région par cette implantation détourne les enfants des activités agricoles, considérées dans ce contexte actuel com­me aléatoires et ingrates«

Par rapport aux résultats des deux autres villes, les jeunes Bété d'Issia occupent une position intermédiaire. Le pourcentage des enfants choisissant une profession traditionnelle est assez faible (26 %)} il est néanmoins supérieur à celui de Sakasso. lu sein des professions modernes, le fort pourcentage des professions médicales (i¿5> % des réponses) constitue une spécificité régionale. En exprimant leur attrait pour ces carrières, les jeunes Bété sui­vent d'ailleurs l'exemple de leurs aînés, qui sont très fortement représentés dans les rangs des infirmiers.

Une comparaison du choix des enfants autochtones des trois régions fait apparaître la singularité de ceux des jeunes Sénoufo qui sont les seuls à se tourner, avec une large majorité, vers des professions traditionnelles. Encore faut-il noter que les profes­sions commerciales et artisanales l'emportent largement sur les professions paysannes. Celles-ci arrivent cependant à Ferkêssé-dougou avant les professions modernes, ce qui ne se produit ja­mais dans les deux autres centres.

Ainsi, la forte propension des enfants scolarisés à déser­ter le milieu villageois est nettement mise en relief dès le sta­de du projet professionnel. Il est probable que tous les enfants ne réalisent pas leurs souhaits qui prennent souvent la forme de rêves éveillés lorsque la profession choisie s'éloigne le plus de la condition paysanne.

H n'en demeure pas moins vrai que l'exode rural est inscrit dans les attitudes des jeunes enfants du primaire dès leur acces­sion aux classes terminales de cet enseignement.

192

Page 206: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

2/ Les allogènes

Les choix des allogènes présentent également des différen­ces suivant les régions, ce qui, à première vue, paraît inatten­du, dans la mesure où nous présupposions que ceux-ci s'insé­raient dans des milieux sociaux relativement semblables et ca­ractérisés principalement par une distanciation vis-à-vis de la société d'origine villageoise, homogène ethniquement.

Ainsi, à Ferkéssédougou, les enfants allogènes se distin­guent des enfants des autres régions comme les autochtones par des choix plus traditionnels, bien que le nombre de ceux-ci ne soit jamais majoritaire (UO % des enfants allogènes qui se ré­partissent à égalité entre le paysannat et les activités commer­ciales ou artisanales).

Cette tendance résulte, nous semble-t-il, de l'origine ethnique de la plupart des étrangers à Ferkéssédougou: gens de la savane tout comme les Sénoufo, ils sont plus portés à suivre les incitations d'un milieu traditionnel d'origine mieux con­servé.

C'est à Sakasso que nous enregistrons également le plus faible pourcentage de choix traditionnels. La situation des agriculteurs de la région que nous venons de mentionner semble avoir détourné de l'agriculture les enfants allogènes d'une façon encore plus sensible que les jeunes Baoulé, puisque nous n'enregistrons aucune réponse dans ce sens. Il faut attribuer à la présence des enfants de l'importante colonie dioula de Sakasso le fait que tous les choix traditionnels se portent sur les professions de commerçants et artisans, qui occupent une bonne partie des adultes de cette origine.

A Issia, le pourcentage d'enfants étrangers choisissant une profession de type traditionnel est assez faible (21 %) mais il se répartit différemment, puisque 9 % des enfants désirent deve­nir planteurs, alors qu'aucun d'entre eux n'avait fait ce choix à Sakasso. Cette orientation du choix peut s'expliquer en partie par le fait que de nombreux étrangers à la région d'Issia (en par­ticulier des Baoulé) se sont installés en pays bété comme planteurs. Leurs enfants sont alors portés à envisager de reprendre la plan­tation familiale dans la mesure où celle-ci est en général prospère*

193

Page 207: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

En ce qui concerne les choix modernistes, la fonction pu­blique vient en tête à Sakasso, les professions médicales à Issia. Les jeunes étrangers semblent avoir suivi l'orientation des choix des autochtones; cependant, les pourcentages obtenus sont différents.

Comparaison globale des choix des autochtones et des choix des allogènes

La comparaison autochtones-allogènes fait apparaître des choix plus modernistes chez les jeunes allogènes. Cette tendan­ce confirme donc l'hypothèse de l'influence d'un milieu familial plus acculturé et plus marqué par le modernisme, surtout chez les fils de fonctionnaires et de commerçants modernistes (gérants de chaîne commerciale par exemple) et à l'exception des enfants de commerçants dioula.

Cette exception est confirmée par le fait qu'à Sakasso, 16,5 % des allogènes choisissent une profession traditionnelle contre IS % seulement des autochtones et compte tenu que l'en­semble de ces choix traditionnels porte sur des professions commerciales ou artisanales.

Il paraît nécessaire de remarquer que les origines ethni­ques et sociales se superposent en partie dans certains cas. Il existe ainsi une majorité de fils et filles de paysans parmi les autochtones. Au contraire, les enfants allogènes sont plus fré­quemment des fils de fonctionnaire, des fils de commerçantsj ce sont aussi parfois des fils d'agriculteurs confiés à des parents lettrés, sauf dans l'ouest où nous venons de voir que les enfants allogènes pouvaient être des fils de planteurs émigrés dans la région.

B - Choix professionnel et origine sociale des enfants (tableau n" 6).

Il s'agit de savoir en quoi le statut socio-professionnel des parents (leur statut de fonctionnaires: lettrés par exemple, ou au contraire leurs activités paysannes ou artisanales) influe sur le choix de leurs enfants.

Suivant la profession du père, nous relevons des différen­ces de choix, mais, en même temps, les différences régionales sont toujours sensibles dans le tableau n° 6.

19U

Page 208: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Chez les autochtones, les fils de paysans sont plus portés à choisir une profession traditionnelle, sauf à Ferkéssédougou, où les fils de fonctionnaires sénoufo s'écartaient moins qu'ail­leurs des professions traditionnelles. Au contraire, les fils de fonctionnaires bété d'Issia ou baoulé à Sakasso choisissent dans leur quasi-majorité une profession moderne.

Il existe cependant des différences régionales qui réappa-raisent même dans ce tableau où l'accent est mis sur l'origine so­ciale des enfants et non sur leur origine ethnique. En cela, les résultats du tableau n° 5> confirment ce qui avait été dit précé­demment x les enfants de Ferkéssédougou subissent l'influence d'un milieu traditionnel mieux conservé. Ces différences régionales sont bien sur plus nettes chez les autochtones que chez les allo­gènes.

Cependant, les professions modernes sont largement majori­taires, sauf à Ferkéssédougou. L'agriculture constitue un pôle de répulsion, sauf à Ferkéssédougou. Les enfants de Sakasso sont encore les moins portés à choisir une profession agricole, ceux d'Issia donnent des réponses qui les situent à mi-chemin de celles des enfants des deux autres villes. Parmi les professions tradi­tionnelles, celles de commerçants et artisans sont choisies avec un fort pourcentage à Ferkéssédougou par les fils de fonctionnai­res autochtones qui soulignent leur préférence pour le modèle tra­ditionnel amélioré tel que le représente le statut de commerçant.

Dans les trois régions, les fils d'allogènes font des choix globalement plus modernistes que les fils d'autochtones, avec l'exception déjà mentionnée de Sakasso, où $0 % des fils de com­merçants allogènes choisissent la même profession que leurs pa­rents. D'une façon générale, les enfants allogènes souvent nés dans les familles de fonctionnaires ou apparentés, choisissent plus volontiers que leurs camarades, enfants de paysans, la même profession que leur père.

D'un point de vue synthétique, sauf à Ferkéssédougou, c'est-à-dire à l'exception des enfants de fonctionnaires autochtones de Ferkéssédougou, les enfants dont le père est titulaire d'un emploi moderne ont une tendance plus marquée que les fils de paysans à choisir une profession du même type que celle de leur pèret 68 % des enfants allogènes de Ferkéssédougou, 7$ % de ceux de Sakasso, 200 % et 86 % des fils de fonctionnaires autochtones de Sakasso et d'Issia.

195

Page 209: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

A 1*inverse, les enfants de paysans ne choisissent jamais de façon majoritaire de devenir eux-mêmes des cultivateurs. Nous pouvons donc conclure dans un premier temps à une nette attiran­ce de l'ensemble des jeunes pour les carrières modernes. Cepen­dant, c'est parmi les fils de paysans et commerçants que demeu­rent les plus fortes influences traditionnelles puisqu'ils choi­sissent en plus grand nombre des professions de ce type.

Cette orientation moderniste des choix professionnels mé­rite pourtant d'etre nuancée par l'étude des motivations qui viennent à l'appui de ces choix.

II - LES MOTIVATIONS DU CHOIX

L'analyse des motivations exprimées à l'appui du choix pro­fessionnel conduit à des appréciations plus précises du modernis­me ou du traditionnalisrae des comportements observés chez les en­fants, qui vont d'ailleurs modifier quelque peu les premières im­pressions résultant du comptage brut des différents choix. Le va et vient entre les comportements modernistes et traditionnels se trouve singulièrement compliqué* par l'expression contradictoire de motivations traditionnelles qui viennent à l'appui d'un choix moderniste. Ainsi, les choix sont en apparence modernistes dans leur majorité si nous ne tenons compte que des professions choi­sies; mais redeviennent traditionnels si nous analysons les mo­tivations avancées.

La grille des motivations, le dépouillement des motivations ont nécessité un très délicat travail de codage: 23 types de ré­ponses ont été finalement retenus, que nous allons présenter en donnant dans chaque cas des exemples concrets tirés des copies.

A - Les différentes motivations retenues

1/ - La richesse

C. Dramane, Sénoufo, 13 ans, père cultivateur. "Quand on est mécanicien, on gagne trop d'argent. La mécanique est un lieu où on gagne plus qu'un fonctionnaire... La mécanique salit, mais on gagne beaucoup d'argent pour pouvoir nourrir sa famille... on a une solde inramense... Le mécanicien gagne plus qu'un grand fonc­tionnaire" .

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N. Konan, 12 ans, Baoulé, père fonctionnaire. "Quand je serai grand, je serai un ministre, les ministres gagnent beau­coup d'argent, leurs paiements ne sont pas petits (l), leurs paiements peuvent atteindre dans les 60.000 francs par mois".

D. Abel, lh ans, Dida, père petit fonctionnaire. "Quand je serai un adulte, je serai un bon planteur de café et de ca­cao, parce que les planteurs sont très riches surtout ceux qui ont de grandes plantations de café et de cacao"•

M. Kouadio, 12 ans "Quand on est mécanicien, on est plus riche que le chef de village et que le sous-préfet".

2/ - Ne pas être dans la misère

P. Ouattara, Sénoufo, 13 ans, père cultivateur, veut être cultivateur. "J'ai choisi ce métier pour avoir à manger et pour ne pas être malheureux".

3/ - Ne pas manquer

Fatoumata K., 13 ans, père planteur, veut être Institu­trice. "Parce que avec ce travail je peux nourrir toute la fa­mille ainsi que moi-même".

h/ - Aide à la famille

Thérèse N., Baoulé, 11 ans, père tailleur, veut être ins­titutrice. "Je nourrirai mes parents et mes soeurs".

* Jacqueline, Baoulé, 15 ans, père planteur, veut être in­

firmière. "Avec la somme que je reçois, je donne un peu à mon papa qui m'a mise à l'école et un peu à ma maman".

Gaston L., Bété, 12 ans, père planteur. "Je serai un doc­teur parce que j'ai trop gaspillé d'argent à mon père et à ma mère (sous entendu, il faudra que je les aide en retour).

(1) Nous avons respecté autant qu'il était possible le style et la syntaxe des copies.

197

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5/ - Autonomie

T. Coulibaly, Sénoufo, lk ans, père commerçant. "J'ai choisi d'être cultivateur parce que je travaille pour moi mais pas pour quelqu'un d„'autre™.

0. Kouadio, lb. ans, Baoulé, père cultivateur. "Quand je se­rai un adulte, je serai un cultivateur comme mon père parce que les cultivateurs n'achètent pas les ignames avant de les manger".

6/ - Sécurité de la profession

Sita C , Sénoufo, père cultivateur, veut être institutrice. "Chaque mois, on te paye toujours et dans chaque année on te paye douze fois".

Koffi K., Baoulé, père cultivateur, veut être gendarme. "Parce que le gouverneur de l'Etat les paie chaque mois de l'année".

7/ - Prestige par identification

A. Coulibaly, lk ans, père commerçant, Dioula, veut être journaliste parce que "Les journalistes sont bien vêtus, et sur­tout parce qu'ils approchent les personnalités de la politique, du sport, de la mode, parce qu'ils se font connaître".

Bernard Y., lu. ans, Bété, père planteur, veut être infir­mier. "J'ai choisi ce métier pour soigner les personnalités de notre nation".

8/ - Prestige

Souleymane, Sénoufo, ]£> ans, père cultivateur, veut être commerçant. "Le commerçant est souvent le plus instruit, intel­ligent et obéissant du village".

Gabriel C , Sénoufo, 12 ans, père instituteur. "J'ai choisi ce métier parce qu'un grand dessinateur voyage partout en Afri­que comme en Asie. Et peut-être, un jour, je deviendrai un grand millionnaire de classe".

Koné S., Sénoufo, lk ans, père cultivateur, veut être gen­darme. "Ce métier est très bon à mon avis, ça une très grande personnalité. Il est plus considéré que tout autre métier".

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Page 212: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Delphine A., Bété, 12 ans, père planteur, veut être dacty­lographe. "Je serai la cheftaine".

Gaston, Bété, 12 ans, père planteur, veut être docteur pour "faire sortir mon nom et le nom de ma famille".

9/ - Indépendance

Louise K., Baoulé, 17 ans, père postier, veut être institu­trice parce que "je fais tout ce que je veux dans ma classe".

Adama S., Sénoufo, père cultivateur, lU ans, veut être me­nuisier, "car menuisier est un métier que l'on exerce seul dans un atelier... Dans mon atelier, je serai le maître...".

10/ - Signes de statut moderne

Odette N., 1U ans, Baoulé, père cultivateur veut être sage-femme. "La sage-femme s'habille bien".

Quattara D., Sénoufo, 11 ans, père maçon, veut être commer­çant parce que "les commerçants ont tous des chemises et des pan­talons tergal" (1).

11/ - Modernité du travail

Drissa T., 13 ans, Sénoufo, père moniteur d'agriculture, veut être mécanicien. "Ce métier demande de connaître, écrire et lire, les clefs de la réparation des machines"•

Emannuel L., 1$ ans, Bété, père planteur, veut être techni­cien. "C'est lui qui fait fonctionner la machine".

12/ - Facilité du travail

Jean K., 1U ans, Baoulé, père chauffeur, veut être fonction­naire. "Quand on est cultivateur, on souffre, le soleil tape sur le cultivateur, il a mal aux reins, et dès lors, il est malade... Quand on est fonctionnaire, on est à l'abri du soleil et de la pluie... pas de douleur".

(1) Les signes de statut moderne peuvent porter sur la voiture, la maison, etc.

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Page 213: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Saïdou C , 12 ans, Dioula, père commerçant. "Quand je serai adulte, je voudrai être capitaine, un métier dans lequel on n'est jamais fatigué".

13/ - Développement du pays

Kariatou T., 15 ans, Sénoufo, père commerçant, veut être sage-femme. "Je l'ai choisi pour aider la Côte d'Ivoire, les femmes ivoiriennes, augmenter le nombre d'habitants".

Koné 0., Sénoufo, père cultivateur, veut être instituteur parce que "c'est un métier qui fait progresser le pays".

Delphine, Bété, Ü4. ans, veut être infirmière parce que ce métier "occupe une grande place dans la modernisation".

1U/ - Amélioration du village

Henriette Koffi, 13 ans, père cultivateur, Baoulé, veut être institutrice parce que "le métier d'enseignement nous apprend.... à conduire mon village à une ville modernisée".

Koné, 13 ans, père cultivateur voltaîque. "Je serai un directeur d'agriculture pour montrer aux paysans de mon vil­lage la nouvelle méthode de cultiver la terre".

Jean-Marc N., 13 ans, Baoulé, père cultivateur. "Je serai un ministre parce que dans mon village, il n'y avait pas de mi­nistre et aussi pour que mes parents deviennent riches... lorsque je gagne de l'argent, j'envoie cet argent dans mon village pour construire de belles maisons".

15/ - Conseils de parents

Jeannette A., 13 ans, Baoulé, père fonctionnaire. "La sage-femme est un bon métier que mes parents m'ont dit de choisir quand on est encore à l'école".

Justin, 13 ans, Baoulé, père cultivateur. "Je veux être un maître d'élèves parce que mes parents m'ont dit d'être maître d'élèves pour leur donner un peu à manger et des vêtements".

200

Page 214: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

16/ - Imitation d'un adulte

S. Coulibaly, lU ans, Sénoufo, père cultivateur, veut être également cultivateur parce que "tous mes parents ne font que de la culture".

Arouna D., lU ans, Malinké, père tailleur. "Quand je serai un adulte, j.'aimerai être tailleur parce que mon père est déjà tailleur".

17/ - Développement de l'instruction et de la culture

Saldou C , Sénoufo, 12 ans, père garçon de café, veut être instituteur "parce que c'est un métier qui apprend aux enfants à lire et à écrire".

Bibata Z., 13 ans, Mossi, père ferrailleur, veut être ins­titutrice: "Pour construire à mon tour d'autres élèves qui se­ront à leur tour quelque chose que je ne sais pas et peut être d'autres seront des docteurs, des ingénieurs, des infirmières".

18/ - Lutte contre la maladie

Celestin K., 13 ans, Baoulé, père cultivateur, veut être médecin. "Je choisis ce métier pour mieux soigner les habitants de mon pays".

Seri R., 12 ans, Bété, père cultivateur, veut être infir­mier. "Je l'ai choisi pour sauver la vie des malades"•

19/ - Promotion sociale

Akissî K., 15 ans, Baoulé, père cultivateur, veut être institutrice parce que "l'enseignement assure un meilleur sort".

Jean A., Attié, père décédé, Hj. ans: "Je serai un techni­cien de la radio télévision parce que ce métier est beaucoup re­cherché en Côte d'Ivoire".

20/ - Vengeance et agressivité

Bernard D., Sénoufo, 13 ans, père cultivateur: "J'ai choisi le métier de maître pour rendre les coups de bâton que j'ai reçu à l'école pour le maître".

201

Page 215: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Louise K., père postier baoulé, 17 ans, veut être institu­trice. "Je rends mes coups que j'ai reçu à l'école, je punis".

21/ - Avantages matériels

Salimata B., Dioula, père commerçant, veut être infirmière. "Je donnerai aux parents et à la famille des médicaments".

Saïdou K., lU ans, père maçon sénoufo, veut être institu­teur. "On a un logement gratuit".

22/ - Métier indispensable

Siaka 0 . , Sénoufo, père cultivateur, 13 ans, veut être cul­tivateur lui-même. "L'agriculture est un métier que tout le mon­de doit aimer parce que sans l'agriculture, on ne peut pas vivre".

Koné L . , Sénoufo, lU ans, père cultivateur, veut être for­geron. "Dans beaucoup d'endroits d'Afrique, les travailleurs ont besoin d'outils".

23/ - Force physique

Mamadou C , Dioula, père vendeur au marché, veut être cul­tivateur, "parce que ce métier donne de la force".

Logbo H . , 13 ans, Bété, tuteur exploitant forestier, veut être planteur: "Ce travail donne beaucoup de force".

L'ensemble des motivations retenues forme la liste suivante:

1) - Richesse 2) - Ne pas être dans la misère 3) - Ne pas manquer h) - Aide à la famille 5) - Autonomie 6) - Sécurité de la profession 7) - Prestige par identification 8) - Prestige (pouvoir, commandement) 9) - Indépendance

10) - Signes de statut moderne (voiture, belles maisons, loisirs, voyages)

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Page 216: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

11) - Modernité de la profession 12) - Facilité du travail 13) - Développement du pays lU) - Amélioration du village 15) - Conseils de parents 16) - Imitation d'un adulte 17) - Développement de l'instruction 18) - Lutte contre la maladie 19) - Promotion sociale 20) - Vengeance 21) - Avantages matériels 22) - Métier utile et nécessaire 23) - Force physique

Chaque motivation a été affectée d'un numéro qui sera repris tel quel dans les tableaux ultérieurs.

203

Page 217: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Tableau n° 7 Ferkéssédougou

Hiérarchie des motivations

1

2

3

U

6

9

10

13

15

18

19

21

22

Autochtones

- richesse

- ne pas manquer

- prestige personnel

- (aide à la"famille (instruction et culture

- (indépendance (imitation d'un adulte (caractère nécessaire du métier choisi

- promotion sociale

- (autarcie (facilité de la tâche (développement du pays

- (modernité du travail (lutte contre la maladie

- (ne pas être dans la misère (sécurité de la profession (avantages matériels

- signes de statut moderne

- (prestige par identifica­tion (vengeance

- suggestion et conseil des parents

- amélioration du village

L

1 -

2 -

3 -

k -

5 -

7 -

8 -

10 -

13 -

15 -

16 -

17 -

19 -

21 -

22 -

Allogènes

prestige

richesse

ne pas manquer

lutte contre la maladie

(aide à la famille (instruction et culture

développement du pays

(indépendance (facilite de la tâche

(sécurité de la profession (modernité du travail (caractère nécessaire du métier

(autarcie (promotion sociale

avantages en nature

amélioration du village

(signes de statut moderne (force physique

(ne pas manquer (prestige par identification

modèle d'un adulte

(suggestion et conseil des parents (vengeance

2Qlt

Page 218: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Tableau n" 8

Hiérarchie das motivations

Autochtones

1 - prestige

2 - richesse

3 - aide à la famille

k - lutte contre la maladie

5 - avantages matériels

6 - ne pas manquer

7 - amélioration du village

8 - (signes de statut moderne (imitation d'un adulte

10 - promotion sociale

il - (développement du pays (instruction et culture

13 - (modernité du travail (suggestion et conseil des parents

15 - (indépendance (nécessité du métier

17 - (ne pas être dans la misère (autarcie (sécurité de la profession (facilité de la tâche

21 t prestige par identification

22 - (vengeance et agressivité (force physique

20$

Sakasso

Allogènes

1 - prestige

2 - richesse

3 - (signes de statut moderne (lutte contre la maladie

$ - promotion sociale

6 - (instruction et culture (avantages matériels

8 - (sécurité de la profession (prestige par identifica­tion (facilité de la tâche

11 - (ne pas manquer (aide à la famille (indépendance (modernité du travail (développement du pays (amélioration du village (vengeance

18 - (ne pas être dans la misère (imitation d'un adulte

Page 219: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Tableau 9 Hiérarchie des motivations

Autochtones

1 m richesse

2 - (prestige (lutte contre la maladie

*• - (signes de statut moderne (développement du pays (instruction et culture

7 - aide à la famille

8 - ne pas manquer

9 - avantages matériels

10 - (indépendance (facilité de la tâche

12 - (autarcie (modernité du travail (caractère nécessaire du métier

15 - (prestige par identification (promotion sociale

17 - (ne pas être dans la misère (sécurité de la profession (amélioration du village (suggestion et conseil des parents (imitation d'un adulte

22 - (vengeance (force physique

Issia

Allogènes

1 - lutte contre la maladie

2 - (richesse

(prestige

h - développement du pays

5 - ne pas manquer 6 - (aide à la famille

(caractère nécessaire du métier

8 - instruction et culture

9 - modernité du travail

10 - (signes de statut moderne (facilité de la tâche (imitation d'un adulte

13 - (sécurité de la profession (indépendance (amélioration du village (promotion sociale (vengeance (avantages matériels (force physique

20 - (ne pas être dans la misère (prestige par identification

206

Page 220: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Tableau n* 10

1er sujet - MOTIVATIONS : Pourcentages obtenus

1

2

3 k 5 6

7 8

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207

Page 221: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Tableau n" 11

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2.7.

(Les numéros des colonnes renvoient au classement de chaque motivation).

208

Page 222: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

B - Hiérarchie des motivations par régions

Première approche t

Nous avons d'abord établi une hiérarchie non chiffrée des différentes motivations suivant les trois régions étudiées en distinguant entre autochtones et allogènes (tableaux 7, 8 et 9). Les pourcentages accordés à chaque motivation apparaissent ensuite dans les tableaux 10 et H .

Quelle que soit la région et le statut d'autochtones ou d'allogènes des enfants, deux motivations arrivent en tête du classement: le prestige attaché à la profession (motivation n* 8) et la richesse (motivation n° 1). 11 existe une seule exception, celle des enfants d'Issia qui avancent la "lutte contre la maladie" (motivation n° 18). Cette motivation, comme nous le préciserons par la suite, tient au grand nombre de professions médicales choisies par les enfants qui en font mention.

Les tableaux 7, 8 et 9 présentent l'avantage de nous offrir une hiérarchisation non quantifiée. Les tableaux 10 et 11 dy­namisent ces premiers résultats. Le tableau 11 en particulier fait apparaître l'importance des motivations richesse et pres­tige tirées de la profession. La première peut atteindre 66 % des motivations exprimées par la population considérée et ne descend jamais en dessous de 3f> %• La seconde (prestige) varie de 30 à 80 % des réponses. Ces deux motivations ont-elles des connotations modernistes ou traditionnalistes? Â première vue, elles semblent bien correspondre â un projet d'ascension so­ciale individuelle. La première, l'enrichissement matériel, répond au modèle qu'offre la société globale ivoirienne actuelle. 11 est cependant bon de noter que l'homme riche, l'homme doté de prestige, et aussi celui qui possède les deux attributs en même temps, jouissent d'une place eminente dans la plupart des sociétés traditionnelles ivoiriennes. Même si les voies d'accès à ces statuts élevés étaient moins nombreuses, et les individus encore plus prédéterminés qu'à l'heure actuelle, prestige et richesse, prestige par la richesse, richesse par le prestige étaient aussi le fondement et l'expression du pouvoir en milieu traditionnel.

209

Page 223: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Tableau n" 12

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212

Page 226: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Tableau rt° 15 Ferkéssédougou MDTIVATIONS ET PROFESSIONS CHOISIES PAR LES ENFANTS

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213

Page 227: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Tableau n° 16 Sakasso

1er sujet : MOTIVATIONS ET PROFESSIONS CHOISIES PAR LES ENFANTS

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21U

Page 228: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Tableau n° 17 Issia

1er sujet t MOTIVATIONS ET PROFESSIONS CHOISIES PAR LES ENFANTS

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215

Page 229: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Tableau n° 18 Ferkéssédougou

1er sujet - MOTIVATIONS ET PROFESSIONS CHOISIES : Autochtones et Allogènes

1

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216

Page 230: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Tableau n° 19 Sakasso

1er sujet - MOTIVATIONS ET PROFESSIONS CHOISIES : Autochtones et Allogènes

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217

Page 231: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Tableau n* 20 Issia

1er sujet - MOTIVATIONS ET PROFESSIONS CHOISIES

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0

12,50

12,50

0

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0

12,50

12,50

0

0

0

c

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0

0

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11,10

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0

0

0

0

0

0

0

0

0

0

0

0

1 PM

26, 6k

0

13,32

6,66

0

6,66

0

33,30

0

13,32

6,66

0

39,96

6,66

0

6,66

6,66

79,92

6,66

0

13,32

6,66

0

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A

66,60

0

100

33,30

0

0

0

33,30

33,30

0

33,30

33,30

0

0

0

33,30

0

33,30

0

0

0

33,30

33,30

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0

0

0

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0

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0

25

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0

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0

16,66

16,66

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16,66

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16,66

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16,66

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0

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0

0

0

0

0-

0

0

50 0

218

Page 232: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Deux autres motivations reviennent très fréquemmentt la lutte contre la maladie et l'aide à la famille* Dans un premier temps, la lutte contre la maladie peut être un peu hâtivement interprétée comme porteuse d'une connotation moderniste. En fait, l'image du guérisseur traditionnel tout puissant dans son village et capable de maîtriser les forces dangeureuses pour les orienter vers des issues positives (la guérison) nous semble partout présente en contre point de l'image également prestigieuse du médecin moderne qui dispose du pouvoir de lut­ter efficacement contre la maladie. Il est donc dans également difficile de retenir une orientation uniquement mo­derniste pour cette motivation.

La motivation "aide à la famille" pose moins de problèmes d'interprétation. Elle ne fait que reprendre à son compte les vieux impératifs de solidarité familiale qui sont l'expression très généralisée en milieu urbain d'Afrique de l'Ouest de la permanence des normes traditionnelles, au moins au niveau de la première génération citadine.

Ainsi, aucune des motivations le plus souvent avancées à l'appui du choix professionnel n'est résolument moderniste. Les motivations de ce type n'apparaissent que par la suite, ce sont "le développement du pays" ou encore "l'instruction et la culture" (entendue su sens moderne). Aucune de ces mo­tivations ne dépasse les 30 % dans le cas du plus forts pour­centage. Les enfants allogènes d'Issia choisissent à raison de 31 % d'entre eux, un métier dans le but de développer le pays.

C - Motivations par région et suivant la profession choisie

Les tableaux 12 à 17 inclus présentent l'échelle des mo­tivations par profession choisie «t par région. Les trois ta­bleaux 18, 19 et 20, introduisent le clivage autochtones/allo­gènes .

a) - Les motivations suivant la profession choisie

1/ - Professions médicales

C'est toujours la même motivation qui vient en tètei "lutter contre la maladie". Mais, elle est assortie des deux

219

Page 233: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

motivations majoritaires que le test a fait ressortir: prestige et richesse. On peut cependant se demander si la première moti­vation n'englobe pas les deux autres puisque la lutte contre la maladie représente une activité hautement valorisée aussi bien dans la société moderne que dans la société villageoise tradition­nelle. Dans ce cas, il devient aléatoire de dire que cette motiva­tion renvoie de façon univoque à des aspirations modernistes.

La première motivation vraiment moderniste: "développement du pays" n'arrive qu'en quatrième position à Ferkéssédougou et à Issia (27 % et 2U % des réponses). Elle est remplacée à Sakasso par la motivation n° lh: "modernisation du village". Celle-ci exprime également une tendance moderniste qui vient cependant s'inscrire dans le cadre de la communauté villageoise tradition­nelle .

2/ - Enseignants

A Ferkéssédougou et à Issia, les enfants qui choisissent l'enseignement donnent comme raison principale: "le développe­ment de l'instruction et du savoir moderne", motivation parfai­tement moderniste. A Sakasso, par contre, la richesse et le pres­tige viennent en tête, suivis de la motivation n° 20 qui exprime les sentiments d'agressivité et de vengeance des enfants. Cette motivation apparaît de façon spécifique dans les copies des en­fants qui désirent devenir instituteurs. Tout se passe comme si les enfants qui s'expriment de la sorte voulaient rendre â leurs futurs élèves ce qu'ils disent avoir enduré de la part de leurs maîtres au cours de leurs études.

3/ - Fonctionnaires

Les enfants qui désirent devenir fonctionnaires invoquent d'abord des raisons de prestige et des espérances de richesses, les avantages annexes tirés de la fonction (motivation n° 21), puis les signes de statut moderne viennent après seulement. C'«st seulement à Issia qu'une motivation moderniste, le développement du pays, se trouve en seconde position avec 39 % des réponses, passant avant même l'espérance de richesse.

Si l'on considère globalement les motivations exprimées au niveau des professions modernes, il ressort que les motivations modernistes ne l'emportent pas de façon décisive puisque prestige et richesse ne renvoient pas uniquement à des comportements modernes*

220

Page 234: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

k/ - Les agriculteurs

A Ferkéssédougou, à Sakasso et à Issia, la motivation n" 3 (ne pas manquer de nourriture) vient en tête. Elle est seulement concurrencée à Issia par la motivation n° 1 (richesse) qui arri­ve à égalité. Ces résultats sont à mettre en relation avec la fréquence d'apparition de la motivation n° 5 (autonomie) surtout forte dans les copies des enfants qui désirent devenir agricul­teurs. Nous pensons que ces deux motivations (ne pas manquer de nourriture et désir d'autarcie) se recoupent. A elles deux, elles signifient bien le repli sur soi, le désir d'autonomie. Il est possible d'ajouter à l'appui de cette démonstration le fait que ce sont surtout les enfants qui portent leur choix sur l'agri­culture (avec ceux qui se tournent vers les professions commer­ciales ou artisanales) qui avancent la motivation d'indépendance dans la profession. A Issia, en particulier, cette motivation (UU % des réponses) qui vient en deuxième position compense et complète la faiblesse des réponses à la motivation d'autarcie.

C'est d'ailleurs à Issia que la motivation d'enrichissement vient en tête, à la différence des deux autres régions. Nous pen­sons que ces réponses des enfants d'Issia se destinant à l'agri­culture sont plus modernistes que celles des enfants des autres régions aussi bien que des autres enfants d'Issia se destinant à des carrières différentes, parce qu'il est possible de réaliser dans le centre-ouest des gains importants, à partir des activités de plantation de café et de cacao. Au surplus, seuls les enfants d'Issia adhèrent avec un fort pourcentage à la motivation "pres­tige" (39 %), ce qui engendrerait le prestige dans le cas des en­fants qui choisissent de devenir agriculteurs.

Aussi, apparaît toute l'ambiguïté des motivations prestige et richesse: elles peuvent être interprétées dans un sens tradi­tionnel lorsqu'elles sont exprimées par des enfants choisissant des professions modernes, mais elles prennent une orientation mo­derniste lorsque ce sont de futurs paysans qui les expriment par comparaison aux enfants qui, ayant fait le même choix profession­nel, se motivent différemment. Au désir d'autarcie et de repli sur soi des enfants du nord et du centre répondent les projets dynamiques de ceux de l'ouest. L'autarcie est remplacée par la volonté d'indépendance, celle-ci doit conduire à un enrichissement

221

Page 235: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

et à un gain de prestige. Au contraire, les enfants des autres régions ne parlent pas de prestige pour justifier le choix d'une profession agricole. Mais le contenu de la notion de prestige semble essentiellement traditionnel pour les enfants qui se des­tinent à l'agriculture. Aussi, l'enrichissement moderne (par l'in­termédiaire de l'économie de plantation) débouche sur une réinté­gration des normes traditionnelles puisque, jusqu'à plus amples informations, le prestige recherché par les futurs agriculteurs nous apparaît ainsi.

Le choix d'une profession paysanne semble donc solidement ancrée dans des considérations d'ordre traditionnel. Le rôle d'exemple joué par les autres adultes (motivation n° 28), le fait de désirer exercer la profession des adultes de la famille, traduisent le poids de la société villageoise dans l'esprit des jeunes enfants de paysans.

De même, l'aide à la famille (motivation n° U) renvoie au devoir de solidarité qui constitue un des fondements de la morale traditionnelle. Aussi ces deux motivations (modèle donné par le monde adulte, devoir d'aide à la famille) viennent-elles en bonne place dans les copies des enfants de paysans qui désirent faire la même chose que leurs parents. Enfin, ce sont aussi les futurs agriculteurs qui mentionnent le caractère nécessaire et utile de la profession qu'ils désirent exercer.

5/ - Les commerçants et artisans

Richesse d'abord et prestige ensuite sont le plus souvent avancés par les enfants désirant devenir commerçants ou artisans.

Il semble, une fois de plus, que la richesse engendre le prestige. Ces deux motivations atteignent respectivement les pour­centages suivants:

7k % et 52,5 % à ierkéssédougou 75 % et 63 % & Sakasso 60 % et 23 % à Issia.

A Issia, cependant, le caractère nécessaire et utile du mé­tier vient avant les motivations de prestige. Nous relevons un certain nombre d'analogies avec les enfants qui ont choisi l'agri­culture: aspirations à l'indépendance et à l'autonomie sont de

222

Page 236: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

même nature. Liées à la richesse et au prestige, elles semblent ici faire référence aux statuts des grands commerçants de style traditionnel d'une part, et à ceux d'entrepreneurs modernes comme il commence à en apparaître en Côte d'Ivoire d'autre part. Les préoccupations traditionnelles sont cependant présentes lorsque les enfants motivent leur choix par l'exemple des adul­tes de la famille ("Mes parents sont commerçants, alors je se­rai aussi commerçant" constitue alors la réponse-type). Dans tous les cas, il s'agit alors d'enfants de commerçants dioula qui subissent fortement l'emprise d'un milieu traditionnel en­core très structuré et adapté à l'existence citadine offerte par les petites villes ivoiriennes.

b) - Différences régionales

Nous les avons quelquefois abordées à l'occasion des déve­loppements précédents, nous allons essayer de les revoir plus systématiquement en essayant de savoir s'il existe de grands écarts dans les réponses suivant les régions.

1 / - Pourcentage de réponses supérieur à 30 %t

Nous avons déjà noté le fait que dans toutes les régions les motivations de richesse et de prestige venaient en tête. Elles ne sont concurrencées qu'à Issia par "la lutte eontre la maladie". Celle-ci est la motivation spécifique des choix por tant sur des professions médicales, c'est donc la forte propor­tion d'enfants de cette région à choisir cette profession (1) qui entraîne le fort pourcentage de réponses pour cette motivation.

2 / - De 15 à 30:

Si dans le détail les mêmes motivations n'apparaissent pas exactement avec les mêmes taux de réponses d'une région à l'autre, on trouve cependant un équilibre de même nature, c'est-à-dire une proportion semblable de motivations "modernistes" traditionalis­tes ou de caractère indéterminé, composite.

(l) Ils imitent en cela, comme nous l'avons dit, de nombreux adultes de la région.

223

Page 237: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

3 / - De 0 à 15:

La même constatation peut être faite pour cette tranche de motivation, avec à peine quelques différences régionales qu'ex­priment les tableaux.

Ainsi il n'apparaît pas de différences régionales très nettes dans l'expression des diverses motivations, si l'on envisage la situation globalement. Les différences régionales au sein de cha­que profession paraissent plus réelles, ainsi que nous l'avons dit au cours du précédent développement.

c) - Différences autochtones/allogènes

Le clivage entre ces deux catégories apparaît également comme plus prononcé, ainsi qu'il ressort de l'analyse du tableau N° 11.

Reprenons à travers les tableaux la hiérarchie des motiva­tions exprimées dans les trois villes pour les autochtones et pour les allogènes, au moins pour celles qu'atteignent les plus forts pourcentages.

FERKESSEDOUGOU

Autochtones

2 - Ne pas manquer.

k - Aide à la fa­mille , dévelop­pement, Ins-

6 - Indépendance - Modèle d'un adulte

- Utilité, néces­sité du métier.

kB % bh,k % 31 %

lh,9 %

13,8 %

A:

I 2 3 U

5

7

Allogènes

- Prestige U8 % - Richesse UO % - Ne pas manquer.. 25 % - Lutte contre la

maladie 21,8 % - Aide à la fa­

mille, Instruc­tion 17,25 ?

- Développement du pays 16,1 %

La richesse, le prestige et le souci de ne pas manquer de nourriture viennent en tête, aussi bien chez les autochtones que chez les allogènes, mais pas dans le même ordre (à noter, par exemple, que le prestige vient avant la richesse pour les allogènes et que c'est l'inverse qui se produit pour les au­tochtones). Aucune de ces trois motivations n'est uniquement

22k

Page 238: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

moderniste. Pour les quatre motivations suivantes, une seule est moderniste chez les autochtones (instruction et culture), par contre trois le sont chez les allogènes, à savoir: lutte contre la maladie, instruction et culture et développement du pays. Encore est-il bon de rappeler les réserves émises à l'égard de "la lutte contre la maladie" en tant que motivation moderniste.

SAKASSO

Autochtones

1 - Prestige. 57 % 2 - Richesse. U7 % 3 - Aide à la famil­

le 2U % h - Lutte contre la

maladie 22,5 % 5 - Avantages mate­

rials...... 20,U % 6 - Ne pas manquer.. 18,7 % 7 - Amélioration du

village 17 %

Allogènes

1 - Prestige 79 % 2 - Sichesse 58 % 3 - Signe de statut

moderne......... - Lutte contre la maladie 25 %

5 - Promotion socia­le 20,8 %

6 - Avantages maté­riels

- Instruction et culture 16,8 %

A Sakasso, aussi bien dans l'une que dans l'autre popula­tion, prestige et richesse viennent en tête. Hais les autochto­nes ne donnent que deux motivations â résonnance moderniste: "lutte contre la maladie" et "amélioration du village". Ces deux motivations ne sont d'ailleurs pas uniquement modernistes, comme nous l'avons vu déjà. Les allogènes citent par contre qua­tre motivations à connotation; moderniste plus ou moins pronon­cée: signe de statut moderne, lutte contre la maladie, promotion rurale et instruction et culture.

225

Page 239: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

IS SI A

Autochtones

1 - Richesse Uli,5 % 2 - Prestige - Lutte contre la

maladie 35,2 % k - Signe de statut

moderne - Développement du

pays - Instruction et

culture Tkt5 % 7 - Aide à la famil-

1 13 %

Allogènes

1 - Lutte contre la maladie U0,6 %

2 - Richesse Prestige 37,5 %

k - Développement du pays 31,2 %

5 - Ne pas manquer* 25 % 6 - Aide à la fa­

mille - Nécessité et

utilité du mé­tier 18,752

Si les allogènes d'Issia citent en premier une motivation à résonnance moderniste, une seule autre motivation moderniste se trouve en tête de la hiérarchie, à savoir le développement du pays* Par contre, les autochtones citent en plus de ces deux premières motivations "les signes de statut moderne et le déve­loppement de l'instruction11. Bien entendu richesse et prestige se trouvent de part et d'autre parmi les trois premières moti­vations rapportées.

226

Page 240: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Tableau n 21 Ferkéesédougott

1er sujet - MOTIVATIONS ET ORIGINE SOCIALE DES ENFANTS

1

2

3

k

5 6

7 8

9 10

11

12

13

1k 15 16

17 18

19 20

21

22

23

A

1*1 9

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9 12

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16

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15

15

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3 16

16

7 16

3

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11

8

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11

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7 2

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8

2

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9

6

12

12

0

0

3

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15 0

9

9 6

227

Page 241: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Tablean n° 22 Sakasso

1er sujet - MOTIVATIONS ET ORIGINE SOCIALE DES ENFANTS

1

2

3

U 5 6

7

8

9 10

11

12

13

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16

17

18

19

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21

22

23

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15

22

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18

11

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18

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26

15

il

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7

2

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16

16

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8

16

8

12

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0

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16

16

12

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0

0

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0

25

25

0

0

25

0

0

25

0

0

0

0

0

0

75 0

0

50

0

0

0

228

Page 242: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Tableau n* 23 Iasia

1er sujet - MOTIVATIONS ET ORIGINE SOCIALE BES ENFANTS

1

2

3

U

5 6

7

8

9

10

11

12

13

Ik IS 16

17

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21

22

23

A

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12

h 3,50

3,50

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8

7

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h 2

6

12

35 h 1,50

8

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2

P

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13

21

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0

39

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U

13

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U3

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U

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0

0

0

0

0

0

0

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0

0

0

0

50

0

0

0

0

50

100-

0

50

0

0

229

Page 243: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Tableau n" 21* Ferkéssédougou

1er sujet - MOTIVATIONS ET ORIGINES SOCIALES

Autochtones et Allogènes

1

2

3

U 5 6

7

8

9

10

11

12

13

11*

15

16

17

18

19

20

21

22

23

AUTOCHTONES

A

38

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k9 13

10,^0

10,50

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2

13

15

15

2

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19

17

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13

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0

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15

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0

0

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22

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22

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0

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16,50

11

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0

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il

5,50

ALLOGENES

F

37

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17

11

11

1*

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1*

11

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1*6,50

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13,50

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13,50

13,50

13,50

13,50

0

0

6,50

26,50

20

13,50

0

6,50

20

13,50

230

Page 244: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Tableau n* 25 Sakasao

1er sujet - MOTIVATIONS ET ORIGINES SOCIALES

Autochtones et Allogènes

1

2

3

à $

6

7 8

9

10

11

12

13

là 15 16

17 16

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22

23

A

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10

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2,50

17

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22

10

2k 13,50

10

13,50

10

2,50

AUTOCHTONES

F

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7

21

21

7

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0

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0

0

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0

0

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0

0

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0

0

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0

0

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A

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8,50

0

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17

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17

25

17

17

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8,50

0

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0

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17

17

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0

F

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0

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0

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0

9

9

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0

0

0

0

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0

50

0

0

0

231

Page 245: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Tableau n° 26

1er sujet - MOTIVATIONS ET ORIGINE SOCIALE

Autochtones et Allogènes

Issia

1

2

3

k

5 6

7 8

9 10

11

12

13

U 15 16

17 18

19 20

21

22

23

AUTOCHTONES

A

SO

5 lh

1k

7

5 5

33

8,50

1k

7

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3,50

3,50

15,50

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F

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0

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0

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ALLOGENES

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0

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U,50

17,50

13 26

9 0

13

9

39

9 1*,50

9

30,50

U,50

F

kk 0

22

33 0

22

0

33 0

22

0

0

UU 0

0

0

33

33

0

11

0

0

11

C

232

Page 246: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

L'analyse des motivations exprimés à l'appui du choix pro­fessionnel conduit à conclure que les différences entre autochto­nes et allogènes sont beaucoup moins marquées au niveau des moti­vations qu'à celui du choix professionnel lui-même. Nous relevons cependant chez les allogènes une proportion légèrement plus éle­vée de motivations modernistes, sauf à Issia (l).

Ce sont toujours les deux mêmes motivations à résonnances multiples, prestige et richesse, qui viennent en tête, le prestige l'emportant un peu sur la richesse ches les allogènes*

Dans l'ensemble, l'expression des motivations conduit à atténuer le clivage autochtones/allogènes qui apparaissait comme assez net au niveau du choix professionnel.

D - Les motivations d'après l'origine sociale des enfants et par région (tableaux n° 20 a n 25)

Nous allons comparer les résultats par origine sociale et par région, en essayant d'apprécier la plus ou moins grande net­teté de ce nouveau clivage:

a) - Les fils de fonctionnaires:

Ferkéssédougou : I - Prestige U8 % 2 - Richesse h$ % 3 - He pas manquer - Lutte contre la maladie ... 2U %

5 - Aide à la famille - Développement du pays . . . . 17 %

7 - Avantages matériels lh %

Sakasso t I - Prestige 68 % 2 - Richesse U8 % 3 - Avantages matériels 28/6 h - Ne pas manquer

- Aide à la famille - Signe de statut moderne - Instruction - Lutte contre la maladie - Promotion sociale 16 %

(1) Encore faut-il remarquer que les allogènes d'Issia mention­nent globalement plus de motivations modernistes dont "ins­truction et modernité de la profession".

233

Page 247: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Issia : I - Richesse - Lutte contre la maladie . . . U3 %

3 - Prestige 39 % h - Développement du pays . . . . 3k % $ - iide à la famille 21 % 6 - Instruction - Signes de statut moderne. . . 17 %

Les enfants de fonctionnaires et apparentés (professions médicales, enseignants, fonctions administratives) ne se dis­tinguent pas dans leurs premières motivations des enfants dont nous avons déjà rendu compte, puisqu'ils citent en premier les deux motivations qui reviennent dans les précédentes analyses: "prestige" et "richesse". L'exception d'Issia, où la lutte con­tre la maladie arrive en tête, se trouve confirmée. Nous notons également, comme pour les enfants qui désirent être fonctionnai­res, que le prestige arrive avant la richesse, sauf à Ferkéssé-dougou.

La proportion des motivations modernistes s'établit comme suit d'une région à l'autre:

. A Ferkéssédougou 2 sur 7 - lutte contre la maladie - développement du pays.

. A Sakasso h sur 9 (viennent en quatrième position: signes du statut moderne, instruction, lutte contre la maladie et promo­tion sociale).

. A Issia h sur 7 (lutte contre la maladie, développement du pays, instruction et culture, signes de statut moderne).

C'est par l'intermédiaire de ces motivations qui n'arrivent pas tout à fait en tête de la hiérarchie que les enfants de fonc­tionnaires expriment des choix légèrement plus modernistes que ceux des enfants d'autres origines sociales. C'est parmi eux qu'ap­paraît le plus fréquemment la motivation très moderniste du "déve­loppement du pays". Parmi les motivations traditionnelles, "l'aide à la famille" se retrouve dans les réponses les plus fréquentes des enfants de fonctionnaires des trois villes. A celles-ci s'ajoute dans deux villes l'affirmation qu'un emploi dans la fonction publi­que permet de "ne pas manquer",voire de "bien gagner sa vie" et offre des avantages matériels.

23U

Page 248: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Les enfants de fonctionnaires conservent donc des préoccu­pations qui semblent empruntées à la situation de leurs parents et qui caractérisent peut être également la profession de fonc­tionnaires en Côte d'Ivoire.

Notons également les variations régionales: l'ensemble le moins moderniste apparaît â Ferkêssédougou situé dans la région la plus traditionnelle, le plus moderniste apparaît à Issia, région qui est la plus pénétrée à l'économie et au monde moderne* Ceci incline à penser que les enfants de fonctionnaires, toutes origines ethniques confondues, sont influencés par les conditions générales de la société locale dans laquelle ils sont insérés.

b) - Les fils d'agriculteurs :

Ferkéssédougou t 1 - Richesse. - He pas manquer kl %

3 - Prestige 30 % h - Indépendance autonomie, aide

à la famille, imitation d'un adulte, instructions, promo­tion sociale 18 %

Sakasso; I - Prestige 67 % 2 - Richesse 52 % 3 - Lutte contre la maladie ... 28 % k - Aide à la famille 22 % 5 - Statut moderne

- Imitation d'un adulte - Amélioration du village ... 18 %

Issia : I - Richesse U3 % 2 - Lutte contre la maladie ... 35 % 3 - Prestige 3U % '_ - Ne pas manquer 16 J6 5 - Développement du pays . . . . lh % 6 - Aide à la famille - Développement de l'instruction 12 %

Prestige et richesse viennent partout en tête, sauf à Issia où le choix des professions médicales se fait sentir dans les motivations.

235

Page 249: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Les enfants de paysans expriment moins de motivations mo­dernistes que les enfants de fonctionnaires, encore que la dif­férence ne soit pas très importante. Pour eux, les résultats sont les suivants:

A Ferkéssédougou : 2/8 : instruction, promotion sociale

Sakasso : 2/7 » lutte contre la maladie et signe de statut moderne (l)

Issia : 3/7 i lutte contre la maladie, le déve­loppement du pays, de l'instruc­tion et de la culture.

La progression observée du nord au sud pour les fils de fonctionnaires semble ici encore respectée. Le modernisme du choix est plus important à Issia, moins à Ferkéssédougou.

Deux motivations d'inspiration traditionnelle se retrou­vent pourtant présentes dans la liste des sept motivations classées: »»l'aide à la famille" partout présente et "l'imita-* tion d'un adulte" en bonne place à Ferkéssédougou et à Issia, mais qui ne totalise que 6 % des réponses à Issia. Cette der­nière motivation apparaît comme un signe très sélectif de tra­ditionalisme dans les opinions et les comportements des en­fants. C'est un de ceux d'ailleurs qui disparaît le plus vite; il est absent des copies de fils de fonctionnaires et peu fré­quent à Issia dans celle des fils d'agriculteurs les plus tou­chés par le modernisme. Par contre, l'aide à la famille demeure partout présente.

c) - Les enfants de commerçants

Ceux-ci ne sont pratiquement pas représentés dans l'échan­tillon d'Issia et très peu dans celui de Sakasso. Le fait tient comme nous l'avons déjà dit à ce que les commerçants dioula sont encore loin de toujours envoyer à l'école moderne leurs enfants qu'ils réservent souvent pour l'école coranique.

(l) Notons cependant à Sakasso: Io) La motivation "amélioration du village" possède une

connotation moderniste. 2°) Deux modernistes arrivent en neuvième position avec un

pourcentage de réponses non négligeable de l£ %t le dé­veloppement du pays et la promotion sociale*

236

Page 250: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

La comparaison portera donc seulement sur Ferkéssédougou et Sakasso.

Ferkéssédougou

1 - Richesse 2 - Ne pas manquer. . I4.O % 3 - Prestige 28 % U - Développement de

l'instruction . . 2$ % 5 - Autarcie 18 J6 6 - Promotion sociale 15 % 7 - Lutte contre la

maladie 12 %

Sakasso

1 - Instruction et culture. . 75 % 2 - Vengeance et agressivité. 30 % 3 - Richesse

- Ne pas manquer - Aide à la famille - Prestige par identificaron - Statut moderne 25 %

La proportion de réponses modernistes est la même dans les deux villes: 3/7.

Ferkéssédougou : développement de l'instruction, promotion sociale, lutte contre la maladie.

Sakasso: développement de l'instruction, prestige par iden­tification, statut moderne.

L'emprise de la société traditionnelle dispensatrice de mo­dèle de comportement semble moins forte que pour les enfants de paysans. Or, les commerçants et artisans constituent un milieu plutôt traditionnel où la forte influence de l'Islam auquel adhè­rent tous ceux qui sont originaires du nord devrait rendre les enfants peu sensibles aux incitations modernistes. Les résultats que nous avons enregistrés ici et qui ne vont pas directement dans ce sens trouvent peut être une explication dans le fait que ce sont les commerçants les plus modernistes (1) qui envoient leurs enfants à l'école.

(1) En particulier ceux qui ne sont pas islamisés.

237

Page 251: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Tableaux n° 27-28-29

1er sujet i MOTIVATI ONS. Garçons et Filles

Tableau n° 27

Personnelles

Familiales

Altruistes

Autochtones

59,5

2U,5

16

Allogènes

68

17,5

U*,5

Tableau n* 28

Personnelles

Familiales

Altruistes

Autochtones

50

23

27

Allogènes

Ul

2b

35

Tableau n° 29

Personnelles

Familiales

Altruistes

Autochtones

6U

20

16

Allogènes

68

13

19

238

Page 252: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Tableaux n* 30-31-32

1er sujeti MOTIVATIONS: Garçons et Filles (Profession choisie)

Tableau n* 30 Issia

Personnelles

Familiales

Altruistes

FM

U2

23

35

AUTOCHTONES

A

66,5

33,5

0

F

6U

1U,5

21,5

E

22,5

22,5

55

c

80

20

0

PM

26

26

U8

ALLOGENES

A

66,5

33,5

0

F

50

16,5

33,5

E

>5

22

33

C

80

20

0

Tableau n* 31 Sakasso

Personnelles

Familiales

Altruistes

AUTOCHTONES

PM

UU

28

28

A

60

UO

0

F

70

21

9

E

52

27

21

C

100

0

0

ALLOGENES

PM

57

17

26

A F

75

25

0

E

71,5

0

28,5

C

71,5

28,5

0

Tableau n* 32 Ferkésaédougou

Personnelles

Familiales

altruistes I

PM

31

7

62

AUTOCHTONES

A

60

UO

0

F

83

17

0

E

^

18

27

C

82,5

17,5

0

PM

UU

16

UO

ALLOGENES

A

65

20

15

F

78

11

11

E

67

11

22

C

90

5

5

23°

Page 253: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Tableara n° 33-3U-35

1er sujet: MOTIVATIONS: Garçons et Filles (origine sociale)

Tableau n° 33 Ferkéssédougou

Personnelles

Familiales

Altruistes

AUTOCHTONES

Â

59

29

12

F

78

5

10

C

6k

8

28

A

72

5

23

ALLOGENES

F

7U

21

25

C

87

6,5

6,5

Tableau n* 3h Sakasso

Personnelles

Familiales

Altruistes

A

57

27

16

AUTOCHTONES

F

78

7

1U

E

0

100

0

c

33,3

33,3

33,3

A

65

17,5

17,5

ALLOGENES

F

72

18

9

c

100

0

0

Tableau n* 35 Issia

Personnelles

Familiales

Altruistes

AUTOCHTONES

A

53

21

26

F

57

35

35

C

0

50

50

A

U8

18

3b

ALLOGENES

F

33

33

kh

2U0

Page 254: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

E - Tentative d'appréhension synthétique des copies: tendances personnelles, familiales, altruistes. (Tableau n" 27 à 32)

L'analyse ponctuelle des différentes motivations nous a permis de remarquer que chaque copie pouvait se caractériser par une tendance générale, suivant que le choix des enfants s'appuie en priorité, soit sur les considérations strictement individuelles et personnelles, soit sur un désir d'aide à la famille et une vo­lonté de s'affirmer à l'intérieur de ce cadre familial, soit enfin sur des aspirations altruistes.

La plupart des copies combinent une ou deux tendances, quand ce n'est pas les trois. Cependant, l'une d'elles prédomine tou­jours et donne la tendance générale de là copie. Dans les tableaux et les analyses qui suivent, nous ne tenons compte que de cette tendance principale par copie: le dépouillement a été de la sorte le fruit d'un arbitrage, à l'issue duquel nous avons retenu la ten­dance dominante pour chaque enfant.

a) - Tendances par région et par origine ethnique

Bans les trois régions, et aussi bien pour les allogènes que pour les autochtones, les tendances personnelles arrivent en tête; elles correspondent aux motivations de prestige et de richesse. On pourrait hâtivement en conclure que, malgré les traces d'archaïsme, que laissaient apparaître les analyses détaillées précédentes, les choix professionnels des enfants traduisent une montée de l'indi­vidualisme. Ce fait nous semble beaucoup moins net lorsque nous tiendrons compte des informations apportées par le second sujet.

Les différences entre autochtones et allogènes tiennent à ce que les enfants étrangers aux régions étudiées tendent à exprimer des choix plus altruistes que les enfants autochtones. Cependant, l'inverse se produit à Sakasso. Ce résultat ne semble pas tenir à des traits culturels particuliers, mais ressort plutôt au con­texte général de la région où nous avons vu que la réalisation du projet de Kossou perturbait quelque peu la situation.

Avec la réserve de Sakasso, on peut dire que les choix des enfants autochtones et des allogènes se caractérisent par une com­binaison différente: ils sont personnels/familiaux pour les autoch­tones, personnels/altruistes pour les allogènes.

2U1

Page 255: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Les premiers expriment une tendance moins moderniste que les seconds, si l'on retient l'idée que la tendance altruiste (développement du pays, développement de l'instruction, lutte contre la maladie également) échappe aux caractéristiques ar­chaïques de la tendance familiale basée sur une conception traditionnelle de la solidarité au niveau des parents et des proches.

b) - Tendances exprimées et professions choisies

Le plus fort pourcentage de tendance altruistes va aux enfants qui choisissent des carrières médicales ou enseignantes.

A l'inverse, le plus fort pourcentage de tendance person­nelles se trouve chez les enfants qui se destinent à être fonc­tionnaires, commerçants ou artisans.

Les enfants qui veulent devenir agriculteurs n'expriment guère leur choix en termes altruistes. Aucun des enfants autoch­tones n'émet de choix altruistes. C'est seulement chez les allo­gènes de Ferkéssédougou que l5 % des futurs agriculteurs se signalent par une tendance altruiste.

Par contre, la tendance familiale se fait plus sentir pour cet ensemble d'enfants, puisque c'est celui qui totalise le plus fort pourcentage en ce sens, surtout chez les autochtones.

Le choix professionnel semble donc directement influencer la tendance générale de la copie.

c) - Tendances et origines sociales (tableaux 33, 3U, 35)

La prise en considération de l'origine sociale des enfants ne modifie pas la hiérarchie des tendances. La tendance person­nelles arrive nettement la première pour tous les groupes et tou­tes les régions, aussi bien chez les autochtones que chez les al­logènes. Ce sont les enfants d'agriculteurs autochtones qui ex­priment le plus fréquemment des tendances familiales. Les tendan­ces altruistes se retrouvent chez les enfants de fonctionnaires, bien qu'elles soient également souvent importantes dans les copies de fils de paysans. Les enfants de fonctionnaires apparaissent donc comme étant à la fois tournés vers leurs succès personnels et vers le développement du pays.

21*2

Page 256: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

En conclusion de cette analyse, remarquons que si "familial" peut s'identifier à "traditionnel" et "altruiste" à"moderniste", l'orientation "personnelle" est beaucoup plus difficile à caracté­riser dans un sens ou dans l'autre. Elle fait appel, tantôt à des motivations modernistes, tantôt à des motivations traditionnelles dans la mesure où le prestige et la richesse,qui sont les deux mo­biles principaux, constituent des éléments du statut le plus valo­risé dans les deux contextes traditionnels et modernes«

2U3

Page 257: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

S E C O N D S U J E T

L'ADULTE ADMIRE

Le second sujet concernait la description d'un adulte de l'entourage de l'enfant que celui-ci admirait tout particuliè­rement. Il était demandé à l'enfant de donner les raisons de son admiration.

L'exploitation des copies nous a permis de retenir cinq grands types de motivations.

A - LES DIFFERENTES MOTIVATIONS

Les cinq catégories de motivations retenues sont les sui­vantes :

1) - Admiration basée sur les liens de dépendance personnelle qui existent entre l'enfant et la personne admirée*

2) - La sociabilité. 3) - Le prestige. U) - La modernité. 5¡) - L'individu travailleur.

Deux des items font appel à plusieurs composantes que nous avons fait apparaître dans l'analyse des résultats.

I) - La sociabilité se décompose ainsi en générosité et servia-bilité d'une part, en bonté de l'autre.

a) - Génerosité/serviabillté

"Chaque matin il me donne une somme de £0 francs avant d'aller au travail. Il a pitié des pauvres qui souffrent nuit et jour. Les dimanches et les jours de fête il invite des hommes à déviser et à boire1'.

"Il est généreux, il vous donne ce que vous ne possédez pas". "Quand il part il fait tout ce que lés grands ou les petits lui demandent de faire. Il accepte toutes les commissions que lui or­donnent les fémues".

2UU

Page 258: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

b) - Bonté

"Je l'aine bien parce qu'elle n'est pas méchante et qu'elle fait du bien à toutes les personnes qu'elle voit".

"Il est gentil envers n'importe quelle personne du quartier". "J'admire non oncle parce qu'il est doux et patientt il ne

fait jamais palabre".

2) - Le prestige. L'admiration fondée sur le prestige se réfère à la sagesse» a la richesse, à la force physique ou encore dans quelques cas au pouvoir magique de l'adulte choisi.

a) - Sagesse

"Il donne de bons conseils aux enfants, il juge bien les affaires villageoises c'est pour cela que nous l'admirons".

"Je l*&dmire parce qu'il est intelligent et sage".

b) - Richesse

"Je l'admire à cause de sa richesse". "Je l'admire parce qu'il gagne beaucoup d'argent. Il est

le plus riche de mon village".

c) - Force et courage physique

"C'est à cause de sa force musculaire et de son courage". "Pierre est fort, il peu à lui seul abattre de grands ar­

bres. Far ses gestes il est surnommé le lion du village". "Une maison brûlait une nuit les lits, les pagnes brû­

laient, il se jeta dans la maison et sortit des choses".

Le lien de dépendance personnelle avec la personne admirée traduit un attachement fonde sur les prestations et la protec­tion accordées à l'enfant par l'adulte choisi. L'ensemble de ces motivations se ramène à un schéma du type: "Je l'admire parce qu'il me protège".

"Chaque jour il nous donne de l'argent et aussi des devoirs à faire à la maison... Quand j'étais au CPI, il a acheté mes four­nitures... Il m'a mis à l'école c'est pourquoi je l'admire".

2U5

Page 259: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

"Ma grande soeur, je l'aime bien parce que c'est elle qui m'a mis à l'école. C'est elle qui a acheté mes habits".

"J'aime mon oncle, parce qu'il me nourrit et qu'il m'envoie à l'école, c'est lui qui m'habille et qui m'achète mes outils de l'école».

Individu travailleur

"Il est travailleur, il pense toujours à sa plantation et à ses outils".

"C'est un homme travailleur... dès l'aube il saute de son lit et il part au champ".

"Il travaille beaucoup, il cultive bien, il ne se laisse pas traîner en route. Il me semble infatigable dans les travaux champêtres. Il quitte la maison de bonne heure et il ne rentre qu'à six heures du soir".

2U6

Page 260: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Tableau n* 36 FerT:éssédougou

2ène sujet : MOTIVATIONS

Lien de dépendance personnelle

Sociabilité

Générosité, serviabilité

Bonté

Prestige

Sagesse

Richesse

Force physique

Pouvoir magique

Modernité

Travailleur

Autochtones

52

62

31

U6

U6

20

lh

n

1,5

13

25

Allogènes

28

79

38

61

28

12

7

12

1

13

36 ^

2U7

Page 261: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Tableau n* 37 Sakasso

2ène sujet t MOTIVATIONS

Lien de dépendance personnelle

Sociabilité

Générosité, serviabilité

Bonté

Prestige

Sagesse

Richesse

Force physique

Pouvoir magique

Modernité

Travail

Autochtones

68

61

38

38

11

3,5

5

2

0

12,5

9

Allogènes

52

72

kh

52

2U

8

12

0

k

16

16

2U8

Page 262: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Tableau n* 38

2ène sujet t MOTIVATIONS

Issia

Lien de dépendance personnelle

Sociabilité

Générosité, serviabilité

Bonté

Prestige

Sagesse

Richesse

Force physique

Pouvoir magique

Modernité

Travail

Autochtones

hh

TL,$

30,5

$1

32

2U

10

3,5

0

8,5

13,5

Allogènes

50

79

U3

56

U6

26,5

3,5

16,5

6,5

10

10 -

2U9

Page 263: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Tableau n° 39 Ferkéssédougou

2ème sujet : HIERARCHIE DES MOTIVATIONS

AUTOCHTONES

1 - SOCIABILITE

2 - LIEN DE DEPEND.PERS.

3 - PRESTIGE - Bonté

S - Générosité, Serviabilité

6 - TRAVAIL

7 - Sagesse

8 - Richesse

9 - MODERNITE

10 - Force Physique

11 - Pouvoir Magique

62 %

52 %

U6 %

31 %

25 %

20 %

1k %

13 %

11 %

1,5%

1

2

3

h

5

6

7

8

10

11

ALLOGENES

- SOCIABILITE

- Bonté

- Générosité, Serviabilité

- TRAVAIL

-(LIEN DE DEPEND. PERS.

-(PRESTIGE

- MODERNITE

- Sagesse - Force Physique

- Richesse

- Pouvoir Magique

79 %

61 %

38 %

36 %

28 %

13 %

12 %

1 %

1 %

Page 264: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Tableau n° kO Sakasso

2ène sujet : HIERARCHIE DES MOTIVATIONS

AUTOCHTONES

1 - LIEN DE DEPEND. PERS. 68 %

2 - SOCIABILITE 61 %

3 - Générosité, Serviabilité

- Bonté 36 %

5 - MODERNITE 12,5%

6 - PRESTIGE 11 %

7 - TRAVAIL 9 % 6 - Richesse 5 %

9 - Sagesse 3»5%

10 - Force Physique 2 %

11 - Pouvoir Magique 0 %

ALLOGENES

1 - SOCIABILITE 72 %

2 - LIEN DE DEPEND. PERS.

- Bonté $2 %

k - Générosité, Serviabil. hk %

$ - PRESTIGE 2k %

6 - MODERNITE - TRAVAIL 16 %

8 - Richesse 12 %

9 - Sagesse 8 %

10 - Pouvoir Magique k %

11 - Force Physique 0 %

2£L

Page 265: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Tableau n* Ul Issia

2ène sujet : HIERARCHIE DES MOTIVATIONS

AUTOCHTONES

1 - SOCIABILITE

2 - Bonté

3 - LIEN DE DEFEND. FERS.

h - PRESTIGE

5 - Générosité, Serviabilité

6 - Sagesse

7 - TRAVAIL

8 - Richesse

9 - MODERNITE

10 - Force Physique

11 - Pouvoir Magique

71,5*

51 %

kh %

32 %

30,5%

2U %

13,5%

10 %

8,5%

3,5%

0 %

1

2

3

M

5

6

7

8

10

11

ALLOGENES

- Sociabilité

- Bonté

- LIEN DE DEPEND. FERS.

- FRESTIGE

- Générosité,Serviabil.

- Sagesse

- Force Physique

- MODERNITE - TRAVAIL

- Pouvoir Magique

- Richesse

19 %

56 %

50 %

k6 %

k3 %

26,5%

16,5%

10 %

6,5%

3,5%

252

Page 266: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

La modernité

"Il a toujours été félicité par ses professeurs quand il a eu son brevet d'étude, ses bacs, ses licences. Il est sorti doc­teur en pharmacie"•

"Elle est directrice du centre social, elle apprend des choses modernes"•

(Je l'admire) "à cause de sa façon d'agir et de porter ses chemises cintrées et son pantalon et chaussures noires... sa fa­çon de lire et d'écrire".

Nous reviendrons sur cet item qui mérite une étude plus sin­gularisée dans la mesure où il concerne directement le projet que nous essayons de concrétiser par notre test:

Mesurer modernisme et archaisms â travers les choix profes­sionnels et l'image type de l'adulte.

B. - HIERARCHIE DES MOTIVATIONS PAR REGIONS ET PAR ORIGINE ETHNIQUE (tableaux n" 36 à Ul).

Dans chaque tableau nous avons classé les cinq grandes mo­tivations en intercalant les motivations nées de l'affinement de notre analyse pour le prestige et la sociabilité.

La sociabilité et la dépendance personnelle apparaissent en tête et dans cet ordre, quelles que soient la région et l'origine (autochtones/allogènes) des enfants. Il existe une exception! celle des allogènes de Ferkéssédougou qui font passer le lien de dépendance personnelle après le travail.

La motivation "prestige" occupe globalement une position in­termédiaire, alors que modernité et travail se trouvent au bas de la hiérarchie des choix est à peu près la même, quelles que soient les régions et l'origine ethnique des enfants, bien que les pour­centages de réponse subissent quelques variations d'une catégorie d'enfants à l'autre.

Lien de dépendance personnelle: il est plus fort chez les autochtones que chez les allogènes : à Ferkéssédougou, î>2 % pour les uns et 28 % pour les autres et à Sakasso 88 % et 5>2 % respec-

253

Page 267: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

tivement pour les deux catégories. Mais l'inverse se produit en pavs bété à Issia (Uli % contre £0 %). Cette variation régionale exprime peut-être la répugnance des enfants bété â révéler une relation de dépendance à l'égard d'un adulte, répugnance qui pui­serait sa source dans une tradition plus égalitaire de la société bété (moins hiérarchisée autrefois que les deux autres sociétés concernées), débouchant à l'heure actuelle sur une moindre emprise des vieux. Cette légère variation régionale ne doit pas faire ou­blier que le taux de réponses basées sur un lien de dépendance per­sonnelle demeure élevé également chez les jeunes Bété et que cette motivation vient en tête de leurs réponses tout de suite après la sociabilité.

Cette tendance est d'ailleurs générale et concerne tous les enfants à l'exception des Baoulé de Sakasso qui citent en premier le lien de dépendance. Il faut remarquer que ce lien de dépendance s'établit dans la quasi totalité des réponses avec l'oncle utérin, frère de la mère de l'enfant; la place privilégiée de ce parent au sein de la famille traditionnelle se perpétue donc à l'heure actuelle.

La tendance générale des .enfants d'allogènes à exprimer un moindre pourcentage de réponses à la motivation "lien de dépendance personnelle" semblerait signifier une libération de l'emprise du mi­lieu traditionnel et un début de réorganisation des relations socia­les. Ce lien demeure cependant important et par la place qu'il occupe dans la hiérarchie des réponses et par le pourcentage de réponses qu'il représente chez tous les enfants allogènes, à l'exception de ceux de Ferkéssédougou.

Sociabilité

Les qualités de sociabilité reconnues à l'adulte admiré occupent le plus souvent la première place de la hiérarchie; la seule exception est constituée par les réponses des enfants baoulé à Sakasso qui pla­cent cette motivation en seconde position seulement.

La sociabilité renvoie, nous l'avons dit, à deux composants: générosité/serviabilité d'une part, bonté de l'autre. De ces deux com­posantes, ce que nous avons nommé bonté est particulièrement prisé chez un adulte, si bien que sur les onze motivations mentionnées (compte tenu de la démultiplication des items sociabilité et prestige) la bonté revient toujour en tête du tableau:

2ft

Page 268: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Ferkéssédougou : 3ème place chez les autochtones 2ème place chez les allogènes

Sakasso : 3ème place chez les autochtones 2èrae place chez les allogènes

Issia : 2ème place chez les autochtones 2ème place chez les allogènes.

Cette qualité renvoie à l'image de l'homme "qui ne fait pas de palabre", qui est ami avec tout le monde, à l'image de celui qui, dans le monde clos du village où chacun connaît et est connu de tous, ne constitue pas un élément perturbateur*

De leur côté, les qualités de générosité et de serviabilité connotent les valeurs d'entraide et de solidarité qui constituent encore une des composantes de la morale la plus largement répandue au niveau familial et au niveau de la communauté villageoise.

Deux remarques s'imposent ici. Tout d'abord, il est compré­hensible que dans des sociétés où les systèmes de relations inter­personnelles sont très développés et très complexes (1), de telles valeurs soient particulièrement prisées puisqu'elles favorisent les échanges inter-individuels et l'harmonie au niveau du village ou du quartier.

Ensuite, de telles valeurs peuvent entrer en contradiction avec le comportement réel des individus du point de vue des pratiques so­ciales réellement observables. Leur non-accomplissement les rend en­core plus désirables, confrontés aux perturbations qui en résultent. Ainsi pouvons nous peut-être expliquer qu'en pays bété, où les si­tuations conflictuelles sont beaucoup plus fréquentes qu'ailleurs du fait du manque de hiérarchisation des statuts et de la relative flui­dité de la société traditionnelle, les enfants, aussi bien allogènes qu'autochtones, estiment en bonne place (la seconde dans les deux cas) cette qualité.

(1) Du fait des différentes formes de changement social, en particulier de l'urbanisation, qui font participer l'individu à plusieurs sys­tèmes de relations dans le même temps.

2$$

Page 269: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Prestige

Il occupe un rang moyen«

Ferkéssédougou : Autochtones 3ème rang t k$ % Allogènes 5ème rang t 28 %

Sakasso : Autochtones Sème rang : 11 % Allogènes 5ème rang t 2k %

Issia : Autochtones Uème rang : 32 % Allogènes Uèrae rang : U8 %

De ses composantes c'est la sagesse (sauf à Sakasso où la richesse vient en tête) qui est le plus fréquemment exprimée. Nous avons affaire là encore à une qualité uniquement tradition­nelle« La sagesse est un facteur de prestige, donc de pouvoir.

On pourrait s'étonner que la richesse n'occupe pas un rang plus important parmi les facteurs d'admiration. Nous nous souve­nons en effet de sa place prépondérante dans les motivations don­nées à l'appui du choix professionnel.

256

Page 270: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Tableau n° U2 Ferkéssédougou

2èiB9 sujet : MOTIVATIONS : Origine sociale (Garçons et Filles)

LIEN DE DEPENDANCE PERSONNELLE

SOCIABILITE

Générosité, Serviabilité

Bonté

PRESTIGE

Sagesse

Richesse

Force Physique

Pouvoir magique

MODERNITE

TRAVAIL

Autochtones

A

U8,5

55

2U

U2

55

2k

17,5

11

2

U,5

35

F

6i

66

27

50

hh

27

11

11

0

22

11

C

52

69,5

>6,5

hX,5

29

6

11,5

11,5

0

37

11,5

A

36,5

73

26

57

kl

21

io,5

21

0

15,5

26

Allogènes

F

25

86

Ul

70

19

5

9

3

^)

15

U3

c

26,5

^ ^ >

ko

33

33

13

0

20

6,5

0

26,5

257

Page 271: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Tableau n° U3 Sakasso

2ème sujet : MOTIVATIONS : Origine sociale (Garçons et Filles)

LIER DE DEPENDANCE PERSONNKTiTiE

SOCIAHELIT2

Générosité, Serviabilité

Bonté

PRESTIGE

Sagesse

Richesse

Force Physique

Pouvoir magique

MODERNITE

TRAVAIL

Autochtones i

A

70

62,$

37,5

ItO

12,5

5

7,5

0

0

10

10

F

57

57

U2

28

7

0

0

7

0

21

0

C

100

50

0

50

0

0

0

0

0

0

50

A

83

75

33

58

33

16,5

16,5

0

0

16,5

18,5

Allogènes

F

18

81

81

63

9

0

0

0

9

27

18

C

50

50

0

50

50

0

50

0

0

0

50 i

258

Page 272: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Tableau n° kk Issia

2ène sujet t MOTIVATIONS : Origina sociale (Garçons et filles)

LIEN DE DEPENDANCE PERSONNELLE

SOCIABILITE

Générosité, serviabilité

Bonté

FRESTJGE

Sagesse

Riehesse

Force physique

Pouvoir magique

MODERNITE

TRAVAIL

l

Autochtones

A

ko

80

36

57

31,5

21

8,5

8,5

0

6

19

F

ko

80

Uo

60

53

J*0

20

0

0

26

13

C

0

50

0

5o

50

50

0

0

0

0

0

k$

80

3^

60

U5

20

10

15

10

5

10

Allogènes

F

%

77

^

kk

&

33

0

22

0

22

11

C

259

Page 273: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Tableau n° i+5

AGRICULTEURS

ORIGINE SOCIALE ET IMAGE DE L'ADULTE

AUTOCHTONES

FERKESSEDOUGOU

1 - Prestige Sociabilité ^ %

3 - Lien de dépendance personnelle I4.8 %

k - Travail 35 % 5 - Modernité U,5 %

SAKASSO

1 - Lien de dépendance personnelle 70 %

2 - Sociabilité 62 % 3 - Prestige 12,5 % k - Modernité

Travail 10 %

ISSIA

1 - Sociabilité 80 % 2 - Lien de dépendance

personnelle UO % 3 - Prestige 31,5 % k - Travail 19 % 5 - Modernité 6 %

ALLOGENES

1 - Sociabilité 73 % 2 - Prestige k7 % 3 - Lien de dépendance

personnelle 36,5 % k - Travail 26 % 5 - Modernité 15,5 %

1 - Lien de dépendance personnelle 83 %

2 - Sociabilité 75 % 3 - Prestige 33 % k - Modernité 16,5 % 5 - Travail 8 %

1 - Sociabilité 80 % 2 - Lien de dépendance

personnelle Prestige k$ %

k - Travail 10 % 5 - Modernité 5 %

260

Page 274: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

FONCTIONNAIRES

(Suite)

AUTOCHTONES

FERKESSEDOÜGOU

1 - Sociabilité 66 % 2 - Lien de dépendance

personnelle 59,5' % 3 - Prestige kk % k - Modernité U,5 % 5 - Travail 35 %

SAKASSO

1 - Lien de dépendance personnelle 57 % Sociabilité

3 - Modernité 25 % h - Prestige 8 % 5 - Travail 0 %

ISSIA

1 - Sociabilité 80 % 2 - Lien de dépendance

personnelle U5 % 3 - Prestige 53 % k - Modernité 25 % 5 - Travail 13 %

ALLOGENES

1 - Sociabilité 85 % 2 - Travail \ & % 3 - Lien de dépendance

personnelle 23 % k - Prestige 19 % 5 - Modernité 17 %

1 - Sociabilité 100 % 2 - Modernité - Travail 25 %

k - Prestige 12,5 % - Lien de dépendance personnelle

1 - Sociabilité 77 % 2 - Prestige

- Lien de dépendance personnelle ^>$ %

k - Modernité 22 % 5 - Travail 11 %

261

Page 275: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Mais nous pensons qu'il est possible de trouver une expli­cation de ce phénomène dans le fait que le lien de dépendance personnelle exprimé par une majorité d'enfants comme facteur d'admiration englobe l'admiration de la personne dont dépend l'enfant. De nombreux enfants se sont alors dispensés d'expli­citer ce trait qui avait déjà été mentionné à travers la pre­mière motivation parce que celui dont on dépend, qui vous nour­rit, qui vous "soutient" est riche, au moins de façon relative, c'est-à-dire par rapport à son dépendant. Le très fort pourcen­tage de liens de dépendance exprimé à Sakasso, mis en rapport avec le faible pourcentage de la motivation prestige, semble aller dans le sens de notre démonstration. Mais encore faudrait-il vérifier le fait de façon empirique à travers un contrôle basé sur des études de cas.

Modernité

De l'item modernité sur lequel nous reviendrons par la suite, retenons pour l'instant que dans trois cas sur six il occupe la dernière position (chez les autochtones et les allo»-gènes de Ferkéssédougou, chez les autochtones d'Issia).

Dans deux cas, "la modernité" occupe la quatrième place à égalité avec "le travail". Une seule fois, elle précède pres­tige et travail, occupant la troisième place chez les allogènes de Sakasso. Encore faut-il rappeler que la position du prestige trouve son origine dans l'importance de la motivation "lien de dépendance personnelle".

Individu travailleur

Ce sont surtout les enfants du nord qui sont sensibles à cette qualité qui attire 2f> % des réponses des autochtones et 36 % de celles des allogènes.

Les pourcentages aussi bien chez les autochtones que chez. les allogènes sont beaucoup moins élevés dans les deux autres régions. On pourrait penser que les fils de paysans auraient plus tendance à valoriser l'effort au travail. En fait, il 7 a plus de fils d'agriculteurs chez les autochtones que chez les allogènes et ce sont pourtant ces derniers qui donnent le pour­centage le plus élevé de réponses en ce sens. A ce niveau d'ana­lyse, il est encore difficile de donner une réponse: la prise en considération de l'origine sociale des enfants nous fournira des éléments d'appréciation plus précis.

262

Page 276: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

C. - CRIGINE SOCIALE ET IMAGE DE L'ADULTE

(tableaux n° U2 à kB)

Nous avons ordonné les réponses des fils d'agriculteurs et des fils de fonctionnaires. Les réponses des fils de commer­çants n'étaient pas en nombre suffisant (aucun enfant de com­merçant dans l'échantillon d'Issia) pour que nous ayons pu les exploiter.

La comparaison des réponses fait apparaitre des traits com­muns et une série de différences avec des nuances régionales.

Pour les deux catégories d'enfants, sociabilité, lien de dépendance personnelle et prestige se disputent les trois pre­mières places du tableau. La sociabilité est la qualité la plus recherchée, avec l'accent mis sur sa composante principale: "la bonté".

La première différence tient à ce que la modernité atteint des pourcentages de réponses plus élevés et occupe un rang meil­leur chez les enfants de fonctionnaires qui donnent ainsi plus fréquemment le modèle d'un adulte moderniste. On peut y voir la plus grande possibilité de contact avec des adultes de ce type pour les enfants de fonctionnaires et apparentés. Il faut cepen­dant remarquer l'exception de Ferkéssédougou où l'emprise d'un milieu traditionnel encore vivace restreint les possibilités de recours à un modèle moderniste. Chez les enfants de paysans, cette absence dVHamples d'adultes modernistes dans l'entourage devrait expliquer la faiblesse des choix atteints dans ce sens.

La place occupée par les "individus travailleurs" est éga­lement différentes globalement,les enfants de fonctionnaires va­lorisent plus cette qualité que les enfants de paysans. Mais il existe de fortes différences régionales et au sein de chaque ré­gion des disparités entre les réponses des enfants de fonction­naires autochtones et celles des enfants de fonctionnaires allo­gènes«

Ainsi, à Ferkéssédougou, des réponses donnant le travail comme qualité ayant motivé le choix représentent 35 % des enfants d'agriculteurs autochtones qui arrivent à égalité avec les enfants de fonctionnaires autochtones, et 26 % des fils d'agriculteurs allogènes.

263

Page 277: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Cependant, les fils de fonctionnaires allogènes de Ferkés-sédougou donnent I4.8 % de réponses dans le même sens, la qualité travail occupant alors la seconde place dans leurs réponses.

A Sakasso, le travail est peu mentionné par les enfants de paysans aussi bien autochtones qu'allogènes, alors que les en­fants de fonctionnaires allogènes y renvoient dans 23 % des cas, tandis que les enfants de fonctionnaires autochtones ne le men­tionnent jamais.

Il n'en demeure pas moins que la valorisation du travail ne semble pas s'effectuer à partir des mêmes considérations pour les enfants de paysans et pour ceux des fonctionnaires. Les premiers se réfèrent à une conception traditionnelle du travail (valorisa­tion de l'effort physique), au caractère nécessaire et utile du travail agricole, comme le prouvent les réponses faites dans le premier sujet traité, alors que les seconds pensent à un travail moderne de type plutôt bureaucratique.

Enfin, à Issia, les réponses des deux groupes sont sensible­ment équivalentes. Retenons que les fils de fonctionnaires se ré­fèrent plus facilement à cette qualité qui, combinée avec la mo­dernité, pourrait former une image plus dynamique de l'adulte admiré.

Prestige

Les résultats sont éparpillés, mais les pourcentages sont éle­vés dans l'ensemble. Ce sont les enfants de paysans qui viennent en tête à Ferkéssédougou ou à Sakasso, les enfants de fonctionnaires à Issia. Dans ce dernier cas, les réponses Insistent sur la Bàgesse; est-ce en réaction au milieu adulte bété? Les composants du prestige telles qu'elles apparaissent dans les copies en font une qualité tra­ditionnelle.

Lien de dépendance

Les variations des réponses à cet item trouvent un sens dans les conditions de la dépendance des enfants scolarisés. La scola­risation d'un enfant dénote l'adaptation au monde moderne du sys­tème de solidarité étendue qui caractérise le fonctionnement de la famille traditionnelle (voir première partie ). Aussi les enfants ont-ils nettement tendance à valoriser le lien de dépendance qui les unit avec l'adulte et leur famille qui favorise leur scolarité.

26k

Page 278: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Noos rappelons que cet arbitrage d'un ou de plusieurs membres de la famille de l'enfant intervient lorsque le père n'assure pas lui-même la scolarisation de celui-ci. Il existe d'une région à l'autre une attitude plus ou moins favorable du milieu paysan à l'égard de -la scolarisation des enfants. Ainsi, le "lien de dé­pendance personnelle" atteint un pourcentage plus élevé de ré­ponse à Sakasso qu'à Ferkéssédougou, parce que les enfants sont plus aidés dans la première région que dans la seconde. Dans celle-ci nous savons (l) que les enfants sont moins aidés dans leurs efforts scolaires pour des raisons objectives (plus petit nombre d'adultes susceptibles, grâce à leur niveau de revenus et â leur statut, de les aider) et subjectives (hostilité du milieu à l'égard de l'école). La situation inverse se rencontre dans deux autres régions. A Sakasso, les enfants de paysans sont très soutenus par un milieu adulte qui a compris le parti qu'il pouvait tirer de la scolarisation des enfants. Nous remarquons d'ailleurs qu'à Sakasso et à Issia, le pourcentage de réponses qui fondent l'admiration sur un lien de dépendance personnelle est supérieur chez les fils de paysans allogènes. Nous pensions pouvoir attribuer cette différence à ce que nombre de fils de paysans allogènes à la région se trou­vent en fait placés chez un tuteur fonctionnaire ou commerçant qui demeure dans la ville de la scolaritéj c'est ce tuteur en question qui est alors le modèle.

Une appréciation synthétique de l'ensemble des réponses sou­ligne le peu de différence entre celles des enfants de fonctionnai­res et celles des enfants de paysans. Les différences régionales sont plus accusées.

Une seule motivation fait cependant exception, c'est celle où l'admiration tire sa source du modernisme de l'adulte: elle amorce ainsi un clivage entre fils de paysans et fils de fonctionnaires. Encore faut-il pouvoir déterminer le contenu du modernisme auquel adhèrent les enfants, comme nous allons essayer de le faire maintenant.

D. - LES COMPOSANTS DE LA MODERNITE DE L'ADULTE ADMIRE t~

Les descriptions des personnalités "modernistes" ne font pas ressortir de notables différences suivant les régions, à deux ex­ceptions près:

(1) Cf. première partie.

265

Page 279: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

La première concerne deux copies d'enfants allogènes à Fer-késsédougou. Ceux-ci admirent deux adultes qui ont quitté leurs parents et qui n'entretiennent plus de relations avec leur fa­mille étendue. Ils sont partis pour "faire leur vie", ainsi que le note un des enfants. L'un des adultes est admiré "parce qu'il ne se trouve plus chez ses parents", parce qu'il travaille pour lui-même, sa femme et ses enfants, dans sa maison personnelle. La rupture des liens familiaux traditionnels est donc perçue comme une émancipation sociale qui permet d'accéder à un statut nouveau et à des comportements modernes. Bien que les deux cas rapportés soient, d'un point de vue statistique, de faible importance, nous les considérons comme très significatifs des tensions engendrées par le changement social, dans la Cote d'Ivoire contemporaine. Il n'est pas non plus insignifiant que ces cas se présentent dans les copies des enfants de Ferkéssédougou, même s'ils sont allogè-aes à la région, ville où la société traditionnelle paraît la mieux conservée et la plus réfractaire au changement.

La seconde exception à cette relative uniformité des répon­ses a été relevée à Issia où l'un des traits de la modernité est rattaché au "prestige de la parole moderne". L'homme qui a reçu une éducation moderne sait s'exprimer de "façon moderne".

N'y-a-t-il pas là una résurgence d'une valeur traditionnelle et une récupération par la société traditionnelle de la scolari­sation, puisque le "pouvoir de la parole" a souvent servi, sur­tout dans le milieu villageois peu stabilisé de la région bété, à régler les conflits qui pouvaient naître et qui naissent encore entre les membres de la communauté concernée?

Cette récupération par la tradition caractérise les traits communs des copies des enfants qui ont choisi un adulte moderniste en relevant des signes de prestige: des signes extérieurs de ri­chesse, l'apparence extérieure, le mode de vie.

Tout ce passe comme si les composantes du modernisme retenant l'admiration des enfants ressortissaient à une forme de prestige n'empruntant pas les voies traditionnelles. Le statut socio-profes­sionnel des personnes admirées les classe déjà dans une catégorie privilégiée (aisance due à une rétribution relativement élevée, signes de statut moderne, voitures, télévisions, maisons conforta­bles, habillement). La résidence en ville semble également signi­ficative de cette modernité par le style de vie qu'elle implique

266

Page 280: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

et qui recoupe les notions précédentes. Ge style de vie n'est d'ailleurs pas souvent explicité: l'enfant se contente de noter te que cette résidence implique, il connaît sans doute assez mal .e monde urbain mais semble pressentir son pouvoir émaneipateur tu faussement émane ipateur.

Le caractère assez superficiel des composantes de la moder­nité ressort ainsi de façon assez frappante. L'enfant voit dans les personnes admirées pour leur modernisme plus les consomma­teurs modernes que les producteurs: ce sont les biens durables possédés, le lieu de résidence, les signes de statut privilégié qui retiennent l'attention, plus que les rôles dynamiques des personnes admirées dans leurs activités professionnelles. Pour­tant, les professions exercées par les personnes admirées res­sortant dans la majorité des cas à des catégories modernes: fonc­tionnaires, médecins, enseignants, infirmiers, directeurs de ser­vices publics et de services industriels ou commerciaux.

Le modernisme de l'adulte admiré, analysé ainsi à travers ses différentes composantes, apparaît comme singulièrement res­treint, à l'exception des deux cas cités au début de cette section.

267

Page 281: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

A N N E X E II

LES ELEVES DU SECONDAIRE

(Enquête de contrôle)

268

Page 282: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

A N N E X E II

LES ELEVES DU SECONDAIRE

(Enquete de contrôle)

Ce document expose les résultats de l'exploitation d'un questionnaire de contrôle qui a été passé auprès des élèves du secondaire en vacances de deux des trois régions étudiées. Les questionnaires de Ferkéssédougou, passés après notre départ, sont arrivés trop tard pour être dépouillés. Nous avons, par ailleurs, éliminé les réponses des enfants allogènes aux deux régions, non parce qu'elles manquaient d'intérêt, mais parce qu'elles étaient trop peu nombreuses pour être traitées de fa­çon quantitative.

Nous avons appliqué une technique de sondage au hasard, interrogeant le plus grand nombre possible d'enfants du secon­daire en vacances. Le questionnaire a touché 77 enfants baoulé dans la région de Sakasso et 85 jeunes bété dans la région d'Issia.

Nous avons tenu compte au départ dans les questionnaires dépouillés du double critère de la résidence (en ville ou dans un village) et de l'origine sociale (enfants de paysans, et en­fants de non paysans). Le pourcentage d'enfants dont le père n'exerce pas une profession agricole étant extrêmement réduit par rapport à l'ensemble, nous avons finalement décidé de ne pas les faire apparaître dans nos conclusions.

Le but de ce questionnaire consiste à tester quantitati­vement certains des résultats obtenus sur le plan qualitatif dans la partie principale de l'enquête et consignés dans le premier rapport (l).

Les vérifications auxquelles nous avons procédé ont porté sur les cinq points suivants:

(1) Cf. Première partie.

26?

Page 283: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

1 - Relations villes-campagnes 2 - Relations d'aide et de collaboration avec la famille 3 - Loisirs des élèves en vacances h - Croyances traditionnelles et scolarité 5 - Opinion à l'égard des croyances traditionnelles.

270

Page 284: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Tableaux n° 1 - 2 - 3 Relations campagne -ville Relations ville-campagne Jour des visites en ville

Nombre de visites mens.

jamais

1 fois

2 fois

3 fois

U fois

plus de h fois

non réponse

Sakasso

0 %

21 %

k %

2 %

25 %

uu % k %

Issia

11 %

30 %

1U %

7 %

11 %

16 %

11 %

Nombre de visites mens.

jamais

1 fois

2 fois

3 fois

U fois

plus de h fois

non réponse

Sakasso

17,5 %

23,5 V

12 %

12 %

12 %

23,5 $

0 $

Issia

0 %

o je

0 %

ko %

10 %

10 $

uo $

Jour de la visite

lundi

mardi

mercredi

jeudi

vendredi

samedi

dimanche

n'importe lequel

non réponse

Sakasso

0 %

0 %

12,5 %

0 %

0 %

31 %

62,5 *

0 %

0 $

Issia

h %

1,5 Í

0 %

1,5 *

55 $

5,5 %

0 $

5,5 %

27 *

271

Page 285: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

I - RELATIONS VILLES-CAMPAGNES

Nous avons vu, dans la partie principale du rapport, que les jeunes Baoulé et les jeunes Bété résident dans des régions caractérisées par une grande perméabilité réciproque de la ville et de la campagne.

Nos jeunes informateurs de Sakasso et d'Issia se rendaient très souvent dans leur famille villageoise ou auprès d'amis, collégiens comme eux, résidant dans les villages des environs. Nous avons voulu mesurer la fréquence de ces déplacements et leur nature aussi bien auprès des adolescents résidant dans un village qu'auprès de ceux résidant en ville. Nous avons enfin demandé aux enfants leur préférence en matière de résidence.

A - Fréquences des relations villes-campagnes

1") Relations campagnes-villes

Le tableau n° 1 exprime la fréquence des visites à Sakasso et à l8sia des enfants résidant dans les villages avoisinants.

Nous constatons dès le premier abord que'les collégiens en vacances viennent très souvent dans les deux sous-préfectures où nous avons enquêté. Cependant, les jeunes Baoulé se rendent plus souvent à Sakasso que les jeunes Bété à Issia, alors que nous avions enregistré des déclarations contraires. Ainsi 11 % des jeunes uétê révèlent jamais être allés à Issia pendant leurs va­cances, alors que tous les jeunes Baoulé se sont au moins rendus une fois à Sakasso.

A l'inverse, 69 % des jeunes Baoulé sont allés quatre fois et plus en ville contre seulement 27 % des Bété,

Quel que soit la divergence des résultats entre les deux régions, un fait demeure cependant acquis: le nombre important de voyages en ville. Ce résultat confirme sur le plan quantita­tif nos premières observations qui nous avaient conduits à sou­ligner la grande mobilité des élèves en vacances dans les deux régions concernées. Nous pouvons en partie attribuer le taux su­périeur de venues en villes des collégiens baoulé au fait que nous avons enquêté dans des villages plus proches de Sakasso

272

Page 286: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

(15 kilomètres au plus) que ne l'était d'Issia le village qui nous a fourni la majorité de l'échantillon, à savoir Saïoua, relié à Issia par une mauvaise pista de près de lj.0 kilomètres.

Le tableau n° 3 classe les réponses à la question: "Quel jour venez-vous en ville de préférence?". La grande majorité des jeunes Baoulé (93*1? %) vient à Sakasso le samedi ou le di­manche, la majorité, plus faible, des jeunes 3été (55 %) se rend à Issia le vendredi, les jours choisis correspondant aux dates traditionnelles des marchés qui ont lieu le dimanche à Sakasso et le vendredi à Issia. Comme le dimanche est un jour férié pour l'administration, de nombreux enfants baoulé viennent accomplir à Sakasso les formalités administratives dont on les a chargés (l) (â la sous-préfecture ou à la poste) et passent la suite du samedi au dimanche chez un parent ou un ami.

2°) Relations villes-campagnes (tableau n° 3)

Nous observons globalement l'inverse de ce qui se passe dans la relation campagne-ville. Les collégiens bété résidant à Issia vont très fréquemment dans les villages: aucun n'y va jamais et 80 % y sont allés trois fois au plus (2). Les enfants baoulé se rendent moins souvent dans un village; 17,5 % décla­rent ne pas y être encore allés, alors que 35 % seulement y vont trois fois au plus. La plus grande fluidité des échanges ville-campagne et leur plus forte intensité en pays bété, notée au niveau de l'enquête quantitative surtout auprès de jeunes résidant à Issia, d'ailleurs, se trouvent confirmées par les réponses aux questionnaires.

B - Motivations des visites (tableaux n° h et n° 5)

Les visites ne sont pas exactement motivées de la même fa­çon dans les deux sens et dans les deux régions. Nous avons clas­sé dans chaque tableau les motivations par ordre d'importance.

(1) Même si cette motivation apparaît mal dans les réponses à la question les concernant.car il s'agissait d'une ques­tion ouverte.

(2) Alors que l'enquête se situait au milieu des vacances sco­laires, ce qui laissait le temps aux collégiens de se ren­dre encore dans leur village.

273 *

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Tableaux n° U - 5 - 6 Motivations des venues en villes Motivations des visites au village Préférences en matière de résidence

Motivations

1 - Faire des achats

2 - Visite à des amis

3 - Distractions

h - Visite des parents

5 - Prendre connaissance des nouvelles

6 - Messe

7 - Affaires personnelles - Démarches administra­tives

- Connaître la ville

Sakasso

U8 %

39,5 %

16,5 %

8,5 %

h %

h %

2 %

2 % 2 %

Motivations

1 - Visite des amis

2 - démarche adminis.

3 - Faire des achats

h - ^éunion de coll.

5 - Prendre connais­sance des nouvel.

6 - Distractions

7 - Visite des parents Affaires person.

9 - C'est ma ville natale

Issia

25,5 %

17 %

15,5 %

ih %

8,5 %

7 %

k % k %

1,5 %

Motivations

1 - Visites à des amis

2 - Visites à des parents

3 - Distractions

U - Adorer le fétiche

Sakasso

' 35 %

29,5 %

17,5 %

6 %

Motivations

1 - Visites à des amis

- Visite à des pa­rents

3 - Distractions

- Rancontre avec d'autres gens

Issia

UO %

HO %

20 %

20 %

Préférences

Vivre en ville

Vivre dans un vil­lage

Non réponses l

Sakasso ville

9k %

0 %

6 %

Sakasso village

U6 %

52 %

2 %

Issia ville

UO %

60 %

0 %

Issia village

11 %

83 %

8 %

27U

Page 288: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Io) Visite dans le sens village-ville

En pays baoulé, ce sont d'une part les achats faits en ville, d'autre part les visites amicales qui, dans l'ordre, motivent le plus fréquemment les collégiens en vacances dans leur visite-à Sakasso. A Issia s'intercalle en seconde posi­tion les déplacements justifiés par l'accomplissement de dé­marches administratives. Les achats faits en ville font appa­raître l'importance de celle-ci comme centre d'approvision­nement pour la plupart des produits manufacturés qui sont ra­rement offerts directement aux villageois.

Les visites aux amis et à Issia les réunions d'élèves (réponses n° U) sont la trace d'une vie de relations intenses qui caractérisent le séjour des collégiens dans leur région d'origine. La rubrique "affaires personnelles" concerne en gros les rendez-vous galants et les visites familiales au cours desquelles doivent se régler des problèmes importants. La rubrique "prendre connaissance des nouvelles" renvoie au rôle de relai que la petite ville joue entre le village et le monde extérieur.

La mission d'information est dévolue aux collégiens puis­qu'ils connaissent ce monde extérieur. Ils pourront à leur re­tour au village rendre compte de ce qu'ils ont appris. La ville est perçue également comme un centre de distraction.

La meilleure position de cette réponse en pays baoulé tient peut-être au fait que les enfants bété paraissent plus libres que les enfants baoulé de s'organiser et de s'amuser. Les enfants baoulé subiraient une tutelle plus forte des aînés. La motivation "messe" (5>ème position à Sakasso, absente à Issia) mesure l'in­fluence plus importante de la mission catholique de Sakasso.

2°) Déplacement dans le sens ville-village

Les motivations sont moins diversifiées que dans le sens inverse: le village offre moins de possibilités que la ville.

Dans l'une et l'autre région, les visites aux parents et aux amis occupent les premières places dans les réponses des collé­giens» Alors que les visites aux parents étaient à peine mention­nées dans le cas des venues en ville, leur importance tend ici à prouver que les villages demeurent les centres privilégiés de la vie familiale pour les collégiens.

275

Page 289: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Tableaux n° 7 - 8

Aide des enfants demeurant en village aux parents Aide des enfants demeurant en ville

Mesure de l'aide

Travail aux champs

Pas de travail aux champs

Non réponses

Sakasso

96 %

h %

0 %

Issia

89 %

5,5 %

5,5 %

Mesure de l'aide

Travail aux champs

Pas de travail aux champs

Non réponses

Sakasso

35 %

65 %

0 %

Issia

100 %

0 %

0 %

276

Page 290: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

C'est là qu'ils vont renouer avec les tenants de l'autorité familiale et qu'ils s'inséreront le mieux dans l'ordre de ce qui demeure de la société traditionnelle*

Les distractions occupent un rang non négligeable, le môme à Iseia et à Sakasso (3ème position). Il s'agit, pensons-nous, des soirées dansantes, des parties de pêche ou de chasse et tout sim­plement des repas qu'organisent les collégiens au cours de leurs congés.

La motivation n° U à Sakasso (adorer le fétiche), malgré le faible taux de réponses, mérite beaucoup d'attention car elle met en lumière le rôle du village comme centre de la vie religieuse et de l'idéologie traditionnelle dont la famille constitue encore le support.

C - Préférences en matière résidentielle (tableau n* 6)

Sous cette rubrique, sont classées les réponses à la question "Préférez-vous vivre en ville ou dans un village?".

Contrairement à ce que nous supposions, la majorité des choix se porte, à une exception près, sur le village. Seuls, les collé­giens baoulé de Sakasso ont exprimé dans une très large majorité (9U %) leur préférence pour la ville, alors que seulement ko % des collégiens d'Issia répondent en ce sens.

Les collégiens qui passent leurs vacances dans un village semblent fort bien s'en accommoder, puisque dans les deux régions ils disent en majorité préférer la résidence villageoise. Il faut cependant remarquer que cette majorité est faible en pays baoulé (i>2 %), comparée aux résultats obtenus en pays bété (83 %).

Nous émettons l'hypothèse que la plus grande tolérance et la plus grande perméabilité du milieu villageois bété orientent les réponses des collégiens dans un sens favorable au village, mais nous ne disposons pas d'éléments qui permettraient d'apprécier de façon plus précise leurs motivations.

277

Page 291: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Tableaux n° 9 - 10

Niveau de l'aide (collégiens au village) Niveau de l'aide (collégiens résidant en ville)

Niveau de l'aide

1 fois

2 fois

3 fois

k fois

5 fois

Plus de 5 fois

Tous les jours

Sakasso

0 %

0 %

2 %

0 %

2 %

67 %

15 %

Issia

0 %

1,5 %

0 %

0 %

1,5 %

57 *

33 *

Niveau de l'aide

1 fois

2 fois

3 fois

U fois

5 fois

Plus de 5 fois

Tous les jours

Sakasso

0 %

o je

0 %

0 £

0 %

83,5 *

aucun

Issia

0 %

0 $

50 %

o je

0 $

60 %

20 JÉ

278

Page 292: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

II - AIDE A LA FAMILLE

L'énoncé des motivations des relations ville-campagne a déjà fait apparaître certaines formes d'aide: les achats en ville et surtout les démarches administratives se font en effet sur l'instigation des aînés de la famille que le jeune collégien re­présente alors. Nous allons analyser ici plusieurs types de ré­ponses à des questions portant sur l'aide éventuelle des collé­giens aux adultes d'une part et d'autre part aux enfants de l'en­seignement primaire.

A - Aide aux adultes

Elle est appréciée à partir des réponses aux trois questions suivantes :

- Etes-vous allé travailler aux champs pendant vos vacances? - Si vous y êtes allé, combien de fois l'avez-vous fait? - Etes-vous allé aider aux champs: à la demande de votre père?

à celle d'un frère? d'un autre parent? de votre propre initiative?

1 - Mesure de l'aide (tableaux n° 7 et n° 8)

a) - Collégiens résidant au village

Que ce soit dans l'une ou dans l'autre région, les enfants aident leurs parents dans une très large majorité. Le taux des réponses positives est le plus élevé en pays baoulé et semble cor­respondre au caractère plus intégrant et relativement mieux pré­servé de la société traditionnelle baoulé.

279

Page 293: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Tableaux n° 11 - 12

Impulsion de l'aide (residence village) Impulsion de l'aide (résidence ville)

Impulsion

A la demande du père

A la demande d'un frère

A la demande d'un autre parent

De votre propre initiative

Non réponse

Sakasso

16,5 %

h %

k %

77 %

0 %

Issia

18,5 %

k %

7 %

77,5 %

0 %

Impulsion

A la demande du père

A la demande d'un frère

A la demande d'un autre parent

De votre propre initiative

Non réponse

Sakasso

35 %

17,5 %

6 %

kl %

0 %

Issia

0 %

0 %

0 %

80 %

20 %

280

Page 294: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

b) - Collégiens résidant en ville

Les résultats sont cette fois inversés d'une région à l'autre. La totalité des jeunes Bété (l) participe à un travail agricole pendant les vacances. Au contraire 35 % seulement des Baoulé, soit à peine plus du tiers de l'échantillon, ont aidé leurs parents. Nous émettons l'hypothèse que ce résultat est dû à la moindre flui­dité des relations ville-campagne en pays baoulé« Mais il faudrait passer quelques entretiens sur ce thème auprès des enfants des deux villes pour pouvoir donner une réponse plus précise.

2 - Niveau de l'aide

H est consigné dans les tableaux n° 9 et n* 10.

a) - Collégiens au village

67 % des Baoulé sont allés cinq fois ou plus aider leurs pa­rents aux champs, 58,5 % des enfants bété donnent les nâmes ré­ponses. Nous relevons également qu'un pourcentage important d'en­fants déclare aider les parents tous les jours.

- 15 % en pays baoulé - 33.5 % en pays bété.

b) - Collégiens habitant la ville

83 % des Baoulé sont allés cinq fois ou plus travailler aux champs, 60 % des Bété ont fait de môme. Ainsi, les collégiens résidant en ville déclarent également des niveaux d'aide impor­tants bien qu'il leur arrive moins fréquemment d'aider tous les jours«

3 - Initiative de l'aide (tableaux n° 11 et n° 12

Cette question a déclencha des réponses assez peu nuancées. A en croire les collégiens, c'est, dans la majorité des cas, sur leur propre initiative qu'ils fournissent une aide à leurs parents.

(1) Qu*ils soient ou non fils d'agriculteurs.seuls les quelques garçons se trouvant dans le second cas ont répondu dans le môme sens«

281

Page 295: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Notre connaissance des relations familiales existant dans les deux régions, et en particulier celle de la nature des conflits parents-enfants, tend à nous faire penser que l'aide fournie doit résulter, beaucoup plus souvent qu'il n'est mentionné dans les réponses que nous analysons ici, d'une demande de la famille. Le refus d'aider aux champs constitue même une des causes prin­cipales du déclenchement de conflits entre parents et enfants. Il est ainsi intéressant de noter que d'une part les enfants ont occulté dans leurs réponses l'existence de ces tensions et que d'autre part ils se sont attribués le mérite d'un travail qui leur est souvent imposé,

B - Aide aux enfants du primaire

Cette rubrique correspond à une tentative d'évaluation de l'aide scolaire que les collégiens fournissent souvent à leurs cadets demeurés dans la région d'origine. Les résultats que nous donnons ici sont issus de l'analyse des réponses à la question: "Vous occupez-vous parfois des petits élèves du primaire au cours de vos vacances"?

Les réponses regroupées dans les tableaux n° 13 et n° lU confirment le caractère très largement répandu de cette aide telle que nous pouvions l'appréhender pendant la phase qualitative de l'enquête. Seuls les collégiens résidant à Sakasso font exception puisque seulement 35 % d'entre eux déclarent s'adonner à ces tâ­ches d'enseignement pendant leurs vacances. Là encore un complé­ment d'informations serait nécessaire pour déterminer les causes exactes de ce résultat allant à 1'encontre de la tendance générale.

282

Page 296: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Tableaux n* 13 - Ht

Aide aux enfants (résidence village) Aide aux enfants (résidence ville)

Aide

Oui

Non

Non réponses

Sakasso

75 %

25 %

0 %

Issia

7U,5 %

22,5 %

3 %

Aide

Oui

Non

Non réponses

Sakasso

35 %

65 %

0 %

Issia

100 %

0 $

_ o je

281

Page 297: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Tableaux n° 15 - 16

Participation à des soirées dansantes (résidence village) Participation à des soirées dansantes (résidence ville)

Nombre de soirées dansantes

Aucune

De 1 à 5

De 6 à 10

Plus de 10

Plusieurs

Non réponses

Sakasso

16,5 %

76,5 %

6 %

h %

2 % *

Issia

17 %

57,5 %

8,5 %

ï,ï %

8,5 %

-

Nombre de soirées dansantes

Acune

De 1 à 5

De 6 à 10

Plus de 10

Plusieurs

Non réponses

Sakasso

3$ %

53 %

6 %

0 %

6 %

0 %

íasía

0 %

100 %

0 %

0 %

0 %

0 %

28U

Page 298: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

i n - L O I S I R - s

Nous avons essayé de mesurer la fréquence des distractions organisées pendant les vacances: soirées dansantes et matchs de football. Cette tentative correspond aux deux question:

- A combien de "boums", de surprise-parties avez-vous par­ticipé pendant vos vacances?

- A combien de matchs de football?

Les résultats à ces questions sont consignés dans les ta­bleaux n° 15 - 16 - 17 et 18.

a) - Les collégiens des villages

Ils ont tous participé à un nombre élevé de "boums" (l) et de matchs de football, aussi bien dans l'une que dans l'autre région. Nous nous serions attendus pour notre part â un pourcen­tage plus élevé en pays bété, mais ce ne fut pas le cas.

b) - Collégiens des villes

Le pourcentage de non-participation â l'une ou l'autre ac­tivité est plus important que pour les enfants du premier groupe et constitue un trait commun aux collégiens résidant en ville dans les deux régions.

(1) C'est le terme employé par les intéressés eux-mêmes.

28£

Page 299: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Tableaux n° 17 - 18

Participation à des matchs de foot-ball (résidence village) Participation à des matchs de foot-ball (résidence ville)

Nombre de matchs

Aucun

De 1 à 5

De 6 à 10

Plus de 10

Plusieurs

Non réponses

Sakasso

ik,$ %

56,5 %

2li,5 %

0 %

10,5 %

o S

Issia

29,5 %

1+0,5 %

15,5 %

1,5 %

10 %

0 %

ItO %

20 %

Uo %

0 %

0 %

0 %

Nombre de matchs

Aucun

De 1 à 5

De 6 à 10

Plus de 10

Plusieurs

Non réponses

Sakasso

kl %

35,5 %

12 %

6 %

6 %

o je

Issia

286

Page 300: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Tableaux n° 19 - 20

Les causes des échecs scolaires (réponses des élèves au village) Les causes des échecs scolaires (collégiens résidant en ville)

Les causes possibles

L'élève est incapable

Il est victime de fétichisme ou de maraboutage

Il est surmené, fatigué

Non réponse

Sakasso

37,5 %

25 %

35,5 %

0 %

Issia

31 %

18,5 %

U6,5 %

0 %

Les causes possibles

L'élève est incapable

H est victime de fétichisme ou de mar ab outage

Il est surmené, fatigué

Non Réponse

Sakasso

65 %

23,5 %

23,5 %

0 %

Issia

20 %

0 %

60 %

20 %

28$

Page 301: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Tableaux n° 21- - 22

Recensement des déclarations d'agression (village) Recensement des déclarations d'agression (ville)

Avez-vous été victime d'agressions magiques?

Oui

Non

Non1 réponses

Saka8so

29 %

71 %

Issia

18,5 %

19 %

2,5 %

Avez-vous été victime d'agressions magiques?

Oui

Non

Non réponses

Sakasso

35 %

65 %

o %

Issia

UO %

60 %

0 %

288

Page 302: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Tableaux n° 23 - 21*

Croyances magiques : nombre d1agressions (village) Réponses des collégiens résidant en ville

Combien de fois avez-vous été agressé?

1 fois

2 fois

3 fois

U fois

5 fois

Plusieurs fois

Sakasso

11; %

50 %

1k %

7 %

0 %

7 %

Issia

U6 %

23 %

0 %

7,5 %

0 %

15 %

Combien de fois avez-vous été agressé?

1 fois

2 fois

3 fois

k fois

5 fois

Plusieurs fois

Sakasso

50 %

33 %

16,5 56

0 %

0 %

0 *

Issia

50 %

0 *

0 %

0 JE

0 $

50 %

289

Page 303: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

IV - CROYANCES TRADITIONNELLES ET ECOLE

Nous voulions tenter de savoir dans cette partie s'il était possible de mesurer la part des croyances traditionnelles dans l'interprétation des résultats scolaires, d'où les questions sui­vantes qui introduisent les éléments traditionnels d'interpréta­tion des échecs par le biais des croyances en des agressions ma­giques .

a) - Echecs scolaires; Choisissez une des trois propositions suivantes en la soulignant:

- L'élève est incapable - Il est victime de fétichisme ou de maraboutage - Il est surmené.

b) - Avez-vous été victime d'agressions magiques pendant vos études?

Si oui, combien de fois?

1 - Causes .des échecs scolaires (Tableaux n° 19 et n° 20)

Le pourcentage de réponses item du choix (,l'élève à été vic­time des fétiches ou de maraboutage) n'est pas négligeable, sauf auprès des collégiens bété résidant à Issia qui donnent un taux nul de réponses alors que les baoulé de Sakasso accordent 23*5 % de leurs réponses à cet item. Au niveau d'une comparaison régio­nale, les Baoulé font plus état des croyances traditionnelles que les Bété, ce qui1 constitue une confirmation supplémentaire de la meilleure conservation'de l'appareil d'interprétation tradition­nelle dans cette région» Ces résultats sont cependant inférieurs à ceux que nous attendions, compte tenu des informations que nous avions obtenues par les entretiens de la partie principale de l'en­quête. Nous reviendrons sur ce point à la fin de cette rubrique.

290

Page 304: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

2 - Avez-vous été victimes d'agressions magiques pendant vos études?

Les réponses à cette question plus personnalisée donnent des résultats qui attestent un rôle plus important des croyan­ces traditionnelles au sein des activités scolaires, que nous ne pouvions conclure â l'issue de l'analyse des réponses à la question précédente. Partout le pourcentage de réponses posi­tives est plus élevé qu'à la question portant sur les causes générales des échecs scolaires. Il est d'ailleurs intéressant de noter que les jeunes Bété d'Issia qui avaient fait des ré­ponses nulles à la question précédente révèlent pour UO % d'en­tre eux avoir été victimes d'agressions magiques.

Au niveau d'une comparaison régionale, nous enregistrons d'ailleurs un résultat" inverse de ceux qui précédent. En effet, les jeunes Bété révèlent avoir été plus fréquemment agressés que les jeunes Baoulê. Trois interprétations semblent plau­sibles t

1 - La société bété, moins organisée encore que la socié­té baoulé, laisse plus facilement la place â des relations plus personnalisées, y compris dans le domaine magico-religieux (moins de cultes collectifs ou tout simplement familiaux et plus de pratiques individuelles).

2 - Les relations sociales sont plus conflictuelles en pays bété qu'en pays baoulé, la méfiance qui en résulte se tra­duit alors par les résultats obtenus à cette question.

3 - Les jeunes Bété ont pratiqué une certaine dissimula­tion dans leurs réponses à la première question. Les trois ten­tatives d'explication ne sont pas d'ailleurs exclusives les unes des autres.

Remarquons enfin, pour en terminer avec cette rubrique, que la nature même de cette partie de l'enquête (questionnaire écrit et standardisé), confronté avec le caractère délicat de la matière abordée, incitait les collégiens à toutes les formes possibles de réponses biaisées et de dissimulation. Les quelques résultats quan­titatifs obtenus ici semblent donc être en deçà de ceux obtenus par trinquete qualitative» Ils confirment néanmoins celle-ci avec la réserve que l'on ne peut prétendre à la précision et à la finesse de ce qu'il est possible d'obtenir par entretiens ou par observa­tions directes*

291

Page 305: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

Tableau n° 25

Les collégiens et les croyances traditionnelles

Choix de réponses

Les fétiches servent surtout à se protéger

Les fétiches permettent surtout de réussir

Les fétiches ne servent à rien

Les fétiches servent à se protéger et à réussir

Non réponses

La sorcellerie existe mais pas les fétiches

Il n'y a pas de sorcellerie mais les fétiches existent

Les deux n'existent pas

Les deux existent

Non réponses

En ville il n'y a pas de sorcellerie

En ville il y a plus de sorcel­lerie qu'au village

En ville il y a moins de sorcel­lerie qu'au village

Le sorcellerie n'existe ni en ville ni au village

Non réponses

Sakasso village

m , 5 %

h %

10,5 %

71 %

0 %

6 %

10,5 %

8,5 %

75 %

0 %

6 %

23 %

52 %

16,5 %

2,5 %

Sakasso ville

Hi,5 %

U %

10,5 %

71 %

0 %

6 %

io,5 %

8,5 %

75 %

0 %

6 %

23 %

52 %

16,5 %

2,5 %

Issia village

20 %

h %

35 %

29,5 %

11,5 %

1k %

10 %

12,5 %

51 %

12,5 %

lk %

10 $

39,5 %

17 $

19 *

Issia ville

20 %

0 %

U0 *

20 $

20 %

20 $

0 %

20 £

20 je

Uo %

20 £

20 %

ko %

20 $

0 %

292

Page 306: Etude des problèmes d'intégration sociale des jeunes dans les ...

V - LES COLLEGIENS FACE AUX CROYANCES TRADITIONNELLES

Nous avons voulu, en conclusion de cette série de vérifica­tions quantitatives, évaluer l'importance de l'adhésion ou du rejet du système global d'interprétation du monde qui transpa­raît à travers les références à la magie et à la sorcellerie. Pour cela nous avons posé trois questions qui sont reproduites in extenso dans le tableau n° 2ï>. Pour permettre de mieux saisir à la simple lecture des tableaux les résultats ainsi que les contradictions qu'ils contiennent si l'on compare les réponses d'une question à l'autre, nous avons adopté un plan d'exposition différent de celui des rubriques précédentes et nous avons ras­semblé en un seul tableau les réponses des enfants des deux ré­gions et des deux milieux.

Nous constatons que les opinions sceptiques ne sont nulle part majoritaires en nous en tenant seulement à la lecture des réponses entièrement négatives (les fétiches ne servent à rienj ni la magie, ni la sorcellerie n'existent; la sorcellerie n'exis­te ni en ville, ni au village). Ces opinions sceptiques sont même réduites à fort peu -de choses en pays baoulé. Un fait ressort à la lecture de ces tableaux: l'importance plus grande du clivage régional, qui prend le pas sur une opposition ville-campagne (tou­jours si nous nous en tenons à l'analyse des réponses entièrement négatives). Les taux d'adhésion sont globalement plus élevés dans la région de Sakasso et c'est à Issia que nous enregistrons le plus fort pourcentage de rejets, par exemple: "Les fétiches ne servent à rien".

- UO % de réponses à Issia - 35 % dans les villages voisins.

Le taux de réponses sensiblement égales en ville ou dans les villages tendront donc à prouver la continuité sociale et culturelle qui existe entre le milieu rural et celui de la pe­tite ville pour les enfants autochtones.

293